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E_STUDIUM THOMAS D’AQUIN GILLES PLANTE QUESTIONS DE LOGIQUE

QUESTIONS DE LOGIQUE - Thomas Aquin · métaphysique».2 Cette pièce de choix ne peut que bien servir à une Illustration des problèmes qu’aborde la note de logique Le jugement

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E_STUDIUM THOMAS D’AQUIN

GILLES PLANTE

QUESTIONS DE LOGIQUE

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ILLUSTRATIONS

LORSQUE DESCARTES ÉTONNE

© Gilles Plante

Beauport, 17 janvier 2003

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Un titre de gloire

C’est en 1637, à Leyde, que paraît le Discours de la méthode pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences que René Descartes écrit en guise de préface à trois de ses ouvrages.1 Le vice-recteur Louis Liard le présente comme suit : «La gloire de René Descartes est d’avoir le premier découvert une méthode générale, applicable à tous les ordres de recherche, et d’avoir, par elle, constituer un corps entier de philosophie rationnelle, où tout se tient et se lie : les sciences mathématiques, les sciences de la nature et la métaphysique».2 Cette pièce de choix ne peut que bien servir à une Illustration des problèmes qu’aborde la note de logique Le jugement I : la suppléance et ses variations, l’ampliation et son contraire, la restriction, et la réimposition.

L’Illustration dont le titre est Lorsque Luc Ferry «navigue» en compagnie d’André Comte-Sponville s’achève par une conclusion : Connaître sciemment. Dans Le jugement I, nous avons écrit que l’acception du mot «jugement» qui nous intéresse est celle où «comprendre» [intervient] quand on exerce la faculté de connaître scientifiquement». Comme nous le verrons bientôt, René Descartes prétend que connaître scientifiquement exige qu’on emploie les mathématiques et qu’on fasse des expérimentations. Or l’exploration du connaître sciemment, selon l’expression que nous apposons à celle de connaître scientifiquement, pour le moment, va nous faire découvrir la subalternation de la seconde à la première.

Toujours dans Le jugement I, nous avons dit que le problème du jugement concerne l’alternative «vrai ou faux», telle qu’elle se pose en toute énonciation, là où le prédicat contient un verbe : «le verbe est ce qui ajoute à sa propre signification [comme nom] celle du temps», par consignification. Selon cette conjugaison, le verbe signifie une existence qu’il consignifie d’une manière temporelle. La suppléance est le signe formel de cette existence ; elle la signifie et consignifie, et ainsi la supplée dans l’énonciation. Si la valeur de suppléance en tient bien lieu dans l’énonciation, «le sujet (...) est bien posé dans l’existence [suppléée par la valeur de suppléance] de la manière que la copule le demande» dans l’énonciation, et la résolution est à accomplir dans «l’existence [suppléée par la valeur de suppléance] de la manière que la copule le demande». Lorsque le jugement va «vérifier si le prédicat convient bien au sujet», cette vérification porte sur l’existence temporelle telle que la supplée la valeur de suppléance substituée selon la signification et la consignification. Si cette suppléance supplée une composition, le jugement est vrai s’il l’affirme ; si la suppléance supplée une séparation, le jugement est vrai s’il la nie. Dans les deux cas, l’intellect qui juge ni n’affirme ni ne nie sans recourir à la comparatio, là où s’accomplit la résolution de la suppléance en l’existence signifiée et consignifiée.

Lorsqu’on «exerce la faculté de connaître scientifiquement», la «relation déterminée entre des termes» est médiate si la connaissance fait intervenir un moyen terme dans des prémisses, moyen terme à découvrir au cours de la «marche de la prédication vers le haut» ; la conséquence est alors médiate. Cependant, lorsque cette marche en arrive au «moment où il [faut] s’arrêter», la «relation déterminée entre des termes», un sujet et un prédicat, fait «l’objet d’une connaissance immédiate», en ce qu’aucun moyen terme intrinsèque

1 Il s’agit de la Dioptrique, des Météores et de la Géométrie.2 René Descartes, Discours de la méthode, Paris, 1960, Éditions Garnier Frères, texte établi, avec introduction et notes, par Louis Liard, ancien vice-recteur de l’Académie de Paris, introduction, p. 2

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n’intervient ; la conséquence est alors immédiate. Une conséquence, qu’elle soit médiate ou immédiate, doit être valide ; pour l’être, il est nécessaire qu’elle soit conforme aux règles qui gouvernent la suppléance, sa variation, l’ampliation et son contraire, la restriction, et la réimposition.

Démêlons certaines questions

Dans son Discours, René Descartes parle de ses études de philosophie en ces termes : «Je ne dirai rien de la philosophie, sinon que, (...) il ne s’y trouve encore aucune chose dont on ne dispute, et par conséquent qui ne soit douteuse (...). (...) Puis pour les autres sciences, d’autant qu’elles empruntent leurs principes de la philosophie, je jugeais qu’on ne pourrait avoir rien bâti qui fût solide sur des fondements si peu fermes».3 Par contre, les mathématiques lui ont plu : «Je me plaisais surtout aux mathématiques, à cause de la certitude et de l’évidence de leurs raisons ; mais je ne remarquais point encore leur vrai usage, et, pensant qu’elles ne servaient qu’aux arts mécaniques, je m’étonnais de ce que, leurs fondements étant si fermes et si solides, on n’avait rien bâti dessus de plus relevé».4 À cet égard, le vice-recteur Louis Liard, affirme que : 1. «Descartes a inventé ce qu’il appelle lui-même une mathématique universelle» ; 2. «et [qu’]il a le premier appliqué à la physique les méthodes mathématiques».5

Commençons par la seconde affirmation. Dans l’Illustration que nous avons intitulée Lorsque Luc Ferry navigue en compagnie d’André Comte-Sponville, nous avons fait mention du Grec Ératosthène de Cyrène (276-194 av. J.C.) qui découvrit la rotondité de la Terre en appliquant la géométrie à la physique ; bientôt, nous en rencontrerons un autre. Au XIIIe siècle, Robert Grosseteste, un franciscain qui fut maître des études à Oxford, où il enseigna la logique et eut Roger Bacon comme élève avant de devenir évêque de Lincoln, «commença à observer le phénomène de la radiation. À partir d’auteurs arabes comme Al Hazen [Ibn Al-Haytham] il recueilli de l’information sur l’optique, les lentilles, la réflexion et la réfraction. Il vint à la conclusion que la compréhension [understanding] de la nature doit être fondée dans l’usage des mathématiques, l’optique et la géométrie, l’exprimant ainsi : “Toutes les causes des effets naturels devraient être atteintes grâce à des lignes, des angles et des figures ; sans quoi il est impossible de connaître leur causes.” (...) Entre 1301 et 1310, Théodoric de Freiberg, un dominicain allemand, donna à cette nouvelle approche une forme expérimentale. Le phénomène de la lumière que Théodoric choisit de soumettre à un examen fut l’arc-en-ciel. Employant un cristal hexagonal, un bol sphérique rempli d’eau, une “gouttelette” de cristal et un morceau de parchemin percé d’un trou d’aiguille, Théodoric découvrit la cause de l’arc-en-ciel. (...) Il vit que la couleur du spectre de l’arc-en-ciel dépendait de l’angle selon lequel la lumière traverse la gouttelette et de la position de l’observateur. Alors en calculant le mécanisme de l’arc-en-ciel, Théodoric réalisait la première expérimentation scientifique en Europe de l’Ouest et accomplissait un changement dans la pensée qui avait commencé avec la chute de Tolède».6

Quant à la première affirmation, reconnaissons que la géométrie analytique, nommée 3 René Descartes, op. cit., p. 394 René Descartes, ibidem, p. 385 René Descartes, ibidem, note 1, p. 386 James Burke, The Day The Universe Changed, Boston and Toronto, 1984, Little, Brown and Company, pp. 52-53 ; ce livre est l’outil d’accompagnement de la série documentaire du même nom produite pour la télévision.

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«mathématique universelle» par René Descartes, est une importante découverte qui lui revient entièrement. Il la présente comme suit : «Considérant qu’entre tous ceux qui ont ci-devant recherché la vérité dans les sciences, il n’y a eu que les seuls mathématiciens qui ont pu trouver quelques démonstrations, (...) je n’eus pas dessein pour cela de tâcher d’apprendre toutes ces sciences particulières qu’on nomme communément mathématiques ; (...) voyant qu’elles ne laissent pas de s’accorder toutes, en ce qu’elles n’y considèrent autre chose que les divers rapports ou proportions qui s’y trouvent, je pensai qu’il valait mieux que j’examinasse seulement ces proportions en général [ampliation] et sans les supposer [suppléance] que dans les sujets qui serviraient à m’en rendre la connaissance plus aisée, même aussi sans les y astreindre [restriction] aucunement, afin de les pouvoir d’autant mieux appliquer après à tous les autres [suppléance] auxquels elles conviendraient [ampliation]. Puis, (...) je pensai que, pour les considérer mieux (...), je les devais supposer en des lignes [suppléance simple du graphe cartésien en abscisse et ordonnée], (...) ; mais que, pour les retenir ou les comprendre plusieurs ensemble, il fallait que je les expliquasse par quelques chiffres [suppléance simple], les plus courts qu’il serait possible ; et que, par ce moyen, j’emprunterais tout le meilleur de l’analyse géométrique et de l’algèbre, et corrigerais tous les défauts de l’une par l’autre».7

Le vice-recteur Louis Liard commente ce passage comme suit : «Dans les lignes qui précèdent, Descartes nous donne lui-même la clef de sa Géométrie analytique. Elle a pour objet la considération des rapports mathématiques en général ; de là vient qu’elle les exprime par des signes algébriques. Mais comme les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, où ces rapports soient réalisés, sont les courbes géométriques, elle a recours à la considération des figures. La géométrie proprement dite est donc ainsi un auxiliaire de l’algèbre; mais, par un retour inévitable, l’algèbre devient un auxiliaire de la géométrie. (V. l’Introduction, p. 9 à 54.)».8

Pour notre part, nous remarquons que la «clef» qui ouvre l’accès à une appréciation des lignes écrites par René Descartes passe par une question de réimposition, d’ampliation ou de restriction, à résoudre selon la problématique qui gouverne la suppléance. Au siècle de Descartes, le XVIIe, cette problématique de logique fut exposée par Jean Poinsot, dit de Saint-Thomas, un dominicain qui vivait dans l’Espagne de Philippe IV, une circonstance géopolitique qui ne favorisait guère les échanges intellectuels en Europe, notamment avec la France de Louis XIV. René Descartes ne fait nulle mention expresse de cette problématique. Lorsqu’il mentionne la logique qu’il a «un peu étudié, étant jeune» et qu’il témoigne de ce qu’il a retenu de ces études pour accomplir «son dessein», il s’exprime en termes de mise en garde contre des «préceptes (...) qui sont ou nuisibles ou superflus» et qui sont «mêlés parmi» d’autres, «très vrais et très bons», sans précision sur les uns et les autres, en ces termes :

J’avais un peu étudié, étant jeune, entre les parties de la philosophie, à la logique, et, entre les mathématiques, à l’analyse des géomètres et à l’algèbre, trois arts ou sciences qui semblaient devoir contribuer quelque chose à mon dessein. Mais, en les examinant, je pris garde que, pour la logique, ses syllogismes et la plupart de ses autres instructions servent plutôt à expliquer à autrui les choses qu’on sait, ou même, comme l’art de Lulle, à parler sans jugement de celles qu’on ignore, qu’à les apprendre ; et bien qu’elle contienne, en effet, beaucoup de préceptes très vrais et très bons, il y en a toutefois d’autres mêlés parmi ceux qui sont ou nuisibles ou

7 René Descartes, Discours, pp. 50-51; les commentaires entre crochets sont nôtres.8 René Descartes, op. cit., note 1, p. 51

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superflus, qu’il est presque aussi malaisé de les en séparer que de tirer une Diane ou une Minerve hors d’un bloc de marbre qui n’est point encore ébauché.9

Or c’est dans l’univers de suppléance pertinent au déploiement de «ces longues chaînes de raisons, toutes simples et faciles, dont les géomètres ont coutume de se servir pour parvenir à leurs plus difficiles démonstrations», que René Descartes trouve l’occasion de «[s’]imaginer [ampliation selon le temps imaginable ou l’existence imaginable] que toutes les choses qui peuvent tomber sous la connaissance des hommes s’entresuivent en même façon».10 Il poursuit sur cette lancée comme suit : «Et je ne fus pas beaucoup en peine de chercher par lesquelles il était besoin de commencer, car je savais déjà que c’était par les plus simples et les plus aisées à connaître» [c’est la suppléance simple des notions géométriques qui les rend «plus aisées à connaître»] ; ainsi «l’exacte observation de ce peu de préceptes que j’avais choisis me donna telle facilité à démêler toutes les questions auxquelles ces deux sciences s’étendent [ampliation et réimposition] qu’en deux ou trois mois que j’employai à les examiner, ayant commencé par les plus simples et les plus générales, et chaque vérité que je trouvais étant une règle qui me servait après à en trouver d’autres, non seulement je vins à bout de plusieurs que j’avais jugées autrefois très difficiles, mais il me sembla aussi vers la fin que je pouvais déterminer, en celles mêmes que j’ignorais, par quels moyens et jusqu’où il était possible de les résoudre».11

Dans Le jugement I, nous avons appris que le genre de la suppléance ne doivent pas varier de l’antécédent au conséquent dans une conséquence, sans quoi elle n’est pas valide. C’est pourtant ce que fait René Descartes dès qu’il s’écrie : «Je pense, donc je suis». Ce travers est assez fâcheux pour un «corps entier de philosophie rationnelle». René Descartes ne voit pas le problème puisqu’il écrit : «Ayant remarqué qu’il n’y a rien du tout en ceci, je pense, donc je suis, qui m’assure que je dis la vérité, sinon que je vois très clairement que, pour penser, il faut être, je jugeai que je pouvais prendre pour règle générale que les choses que nous concevons fort clairement et fort distinctement sont toutes vraies».12 Or, dans : «pour penser, il faut être», l’antécédent initial est devenu le conséquent, et le conséquent initial, l’antécédent : bref, «je suis, donc je pense». Quant à la «règle générale», c’est une conséquence qui n’est pas valide : «pense» amplifie le «je» qui le précède, alors que «suis» n’amplifie pas le «je» qui le précède. Par ailleurs, «démêler toutes les questions (...) très difficiles», et «déterminer (...) par quels moyens et jusqu’où il [est] possible de les résoudre» demande plus que de «[commencer] par les plus simples et les plus générales». Car le discernement du simple est compliqué (La simple appréhension II).

Jean Poinsot en donne un bon aperçu de tout le problème lorsqu’il écrit :

Dans la réimposition, (...), tous les vices [de la conséquence] se réduisent à un. Toutes les fois que la réimposition varie, la conséquence n’est pas valide, que la réimposition soit réelle ou de raison, ou qu’elles concernent des termes signifiant un acte de [connaissance]. Par exemple, [ces conséquences] ne sont pas valides : Pierre est un grand logicien. Donc Pierre est grand. [ici, la réimposition dans l’antécédent ne se retrouve pas dans le conséquent.] — L’homme est une espèce [ici, espèce accomplit une réimposition de raison sur homme]. Donc Pierre est une espèce [ici, la réimposition n’intervient plus]. — Le blanc est brillant. Donc la similitude, qui est blanche, est brillante. [c’est l’inverse des exemple précédents] — L’homme qui vient, je le

9 René Descartes, ibidem, pp. 47-4810 René Descartes, ibidem, pp. 49-5011 René Descartes, ibidem, pp. 50-5212 René Descartes, ibidem, p. 67

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connais [ici, le verbe connaître accomplit une ampliation sur homme, qui précède le verbe]. Donc je connais Pierre, l’homme qui vient [ici, le verbe connaître accomplit une réimposition sur homme, qui suit le verbe, réimposition qui n’est pas dans l’antécédent]. — Car les actes [de connaissance] portent sur leur objet toujours selon la formalité précise qui constitue ces actes. De là, cette conséquence n’est pas valide : Celui qui approche, je le vois. Donc je vois celui qui approche. (...) La converse n’est pas plus valide, à moins que la réimposition soit la même dans les deux cas, i.e. que vous preniez «en tant qu’approchant» (...) sous le même aspect de connaissance , et non sous un autre ; (...) autrement, en faisant varier les aspects formels de la connaissance [«les aspects formels» de la réimposition]. Et ceux qui disent que, là où des termes signifient des actes [de connaissance], la conséquence du terme soumis à une réimposition au terme qui ne l’est pas est valide, ne disent pas pour autant que la conséquence est valide lorsque la réimposition est changée. Ils disent que la conséquence est valide de la forme [réimposée] à la matière [réimposable], mais dans la mesure où la matière [réimposable] se trouve sous [stat sub ; stand under] la forme [réimposée]. Et c’est vrai».13

Dans : «Je vois très clairement que, pour penser, il faut être.», le verbe «voir très clairement» accomplit une réimposition de raison sur tout son objet : «pour penser, il faut être». Dans cet ordre de réimposition de raison, le verbe «voir très clairement» accomplit une réimposition de seconde intention sur «penser» et une réimposition de première intention sur «être». C’est encore un changement de réimposition de l’antécédent au conséquent qui vicie la conséquence, et ce, «très clairement». René Descartes prétend pourvoir «prendre pour règle générale que les choses que nous concevons fort clairement et fort distinctement sont toutes vraies» et, en «[commençant] par les plus simples et les plus générales», ainsi «démêler toutes les questions (...) très difficiles» ou «déterminer (...) par quels moyens et jusqu’où il [est] possible de les résoudre». Considérons l’exemple suivant, qui prendra bientôt de l’importance : Tous les rayons d’un cercle sont égaux. Donc tous les rayons d’une roue en bois sont égaux. La réimposition de l’antécédent selon «d’un cercle», un objet «que nous concevons fort clairement et fort distinctement», n’est pas celle du conséquent : «d’une roue en bois». Pour que la réimposition soit la même dans les deux cas, il faut substituer «roue de bois circulaire» à «roue en bois», en conservant «le même aspect [formel] de connaissance». Alors, et alors seulement, «c’est vrai» que «la conséquence est valide de la forme [cercle] à la matière [roue en bois circulaire], [et ce] dans la mesure où la matière [roue en bois circulaire] se trouve sous la forme [cercle]».

Quoi qu’il en soit, pour René Descartes, quelles sont «toutes les questions auxquelles ces deux sciences s’étendent» [ampliation] ? La réponse qu’il donne à cette interrogation se lit comme suit :

Mais sitôt que j’ai eu acquis quelques notions générales touchant la physique [ainsi envisagée avec les mathématiques], et que, commençant à les éprouver diverses difficultés particulières, j’ai remarqué jusques où elles peuvent conduire et combien elles diffèrent des principes dont on s’est servi jusqu’à présent , j’ai cru que je ne pouvais les tenir cachées sans pécher grandement contre la loi qui nous oblige à procurer autant qu’il est en nous le bien général de tous les hommes car elles m’ont fait voir qu’il est possible de parvenir à des connaissances qui soient fort utiles à la vie ; et qu’au lieu de cette philosophie spéculative qu’on enseigne dans les écoles, on en peut trouver une pratique, par laquelle, connaissant la force et les actions du feu, de l’eau, de l’air, des astres, des cieux et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature. Ce qui n’est pas seulement à désirer pour l’invention d’une infinité d’artifices qui feraient qu’on jouirait sans aucune peine des fruits de la

13 John of Saint-Thomas, Outlines of Formal Logic, translated from the latin with an introduction by Francis C. Wade, Milwaukee, 1955, Marquette University Press, pp. 132-133 (voir aussi pp. 78-79)

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terre et de toutes les commodités qui s’y trouvent, mais principalement aussi pour la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous les autres biens de cette vie ; car (...), s’il est possible de trouver quelque moyen qui rende communément les hommes plus sages et plus habiles qu’ils n’ont été jusqu’ici, je crois que c’est dans la médecine qu’on doit le chercher. Il est vrai que celle qui est maintenant en usage contient peu de choses dont l’utilité soit si remarquable ; mais, sans que j’aie aucun dessein de la mépriser, je m’assure qu’il n’y a personne, même de ceux qui en font profession, qui n’avoue que tout ce qu’on y sait n’est presque rien à comparaison de ce qui reste à y savoir; et qu’on se pourrait exempter d’une infinité de maladies tant du corps que de l’esprit, et même aussi peut-être de l’affaiblissement de la vieillesse si on avait assez de connaissance de leurs causes et de tous les remèdes dont la nature nous a pourvus. Or, ayant dessein d’employer toute ma vie à la recherche d’une science si nécessaire, et ayant rencontré un chemin qui me semble tel qu’on doit infailliblement la trouver en le suivant, si ce n’est qu’on en soit empêché ou par la brièveté de la vie ou par le défaut des expériences, je jugeais qu’il n’y avait point de meilleur remède contre ces deux empêchements que de communiquer fidèlement au public tout le peu que j’aurais trouvé, et de convier les bons esprits à tâcher de passer plus outre, en contribuant, chacun selon son inclination et son pouvoir, aux expériences qu’il faudrait faire, et communiquant aussi au public toutes les choses qu’ils apprendraient, afin que les derniers commençant où les précédents auraient achevé, et ainsi joignant les vies et les travaux de plusieurs, nous allassions tous ensemble beaucoup plus loin que chacun en particulier ne saurait faire.14

L’enthousiasme que René Descartes manifeste pour le «dessein d’employer toute [s]a vie à la recherche d’une science si nécessaire» s’impose comme programme dans la société techno-scientifique industrielle où nous vivons aujourd’hui ; mais cet aspect sociologique n’entre pas dans le champs de cette Illustration.

Par contre, ce que nous connaissons de la suppléance et de ses variations nous font accueillir ce «dessein» en faisant la part congrue. «Convier les bons esprits» de Jean Poinsot et de René Descartes permet que, dans «les notions (...) touchant la physique», «nous allassions tous ensemble beaucoup plus loin» que le vice-recteur Louis Liard. Ce dernier, pour qui la «révolution [que Descartes] opère dans cet ordre de sciences [qu’est la physique], en l’opposant à «l’imagination de la scolastique» qui, «malgré les découvertes de Galilée», maintenait «la physique (...) encore [sous] l’empire (...) des abstractions réalisées», en invoquant un cliché qui est devenu un lieu bien commun, manifeste son ignorance du problème de suppléance qu’implique l’emploi de l’expression «abstraction réalisée», dans ce contexte :

Après les mathématiques, Descartes devait, en suivant l’ordre prescrit par sa méthode, aborder la physique. C’est toute une révolution qu’il opère dans cet ordre de sciences. Malgré les découvertes de Galilée, la physique était encore l’empire des forces occultes et des abstractions réalisées. L’imagination de la scolastique avait peuplé le monde matériel de puissances mystérieuses, invisibles, intangibles et inintelligibles, formes substantielles, âmes de toute sorte, dont le moindre défaut était de donner le change à l’esprit et d’ériger les problèmes eux-mêmes en solutions. Descartes fait évanouir toute cette légion d’entités, et propose une explication purement rationnelle du monde des corps. C’est là un nouveau fruit, et non le moins précieux, de la méthode.

Que prescrit-elle, en effet ? De décomposer par la pensée les objets les plus complexes, jusqu’à découvrir les éléments simples, clairs et distincts dont ils sont faits, et de se représenter ensuite, par un mouvement continu de la pensée, les combinaisons diverses par lesquelles ces éléments forment les choses les plus composées. Or, qu’y a-t-il de simple, de clair et de distinct dans les idées que nous avons des corps ? Ce ne sont pas assurément les notions de la plupart des qualités sensibles, couleurs, sons, odeurs, saveurs. De ces qualités nous avons des

14 René Descartes, ibidem, p. 1026

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sentiments obscurs et confus, mais non pas des idées claires et distinctes. Les seules choses que nous connaissions clairement et distinctement dans les corps sont des grandeurs, des figures et des mouvements, c’est-à-dire, en dernière analyse, des éléments géométriques et mécaniques. Il en résulte que les corps ne sont pas ce qu’ils nous apparaissent ; qu’ils n’ont en eux-mêmes ni couleur, ni chaleur, ni saveur, ni odeur, ni aucune de ces qualités que les philosophes appellent qualités sensibles de la matière ; mais qu’ils ont pour unique essence l’étendue géométrique, et pour raison des modifications qu’ils subissent, le mouvement. La physique doit être une géométrie et une mécanique. Dès lors rien d’inintelligible en elle : tout s’explique, dans la nature, par des rapports mathématiques.15

Le vice-recteur Louis Liard ignore que, de la qualité, le «scolastique» Thomas d’Aquin écrit expressément : «Intelligatur de qualitate quæ fundatur super quantitatem» (Il est compris de la qualité qu’elle elle est fondée sur la quantité).16 La qualité se considère comme une addition logique à la quantité, que le mathématicien considère en faisant abstraction de la qualité ; et le physicien en refait l’addition. Plus, «la qualité se dit des choses mathématiques immobiles, souligne Aristote ; c’est le sens [suppléance] dans lequel les nombres ont une certaine qualité [celle d’être immobiles] : (...) ce qui, dans l’essence du nombre [concret, et non du nombre abstrait de l’arithmétique], est en dehors de la quantité [de sa divisibilité] est qualité (...) : six, par exemple, n’est pas deux fois ou trois fois un nombre, mais une fois, car six est une fois six».17 Ainsi, l’hexagone qui caractérise le cristal dont Théodoric de Freiberg se sert dans son expérimentation est une figure définie par une fois six côtés ; un semestre est défini par une fois six mois ; un corps humain entier, par une fois ses six éléments (membres, tête et tronc).

C’est encore la qualité qui permet au vice-recteur Louis Liard de diviser «clairement et distinctement (...) des grandeurs, des figures et des mouvements» qui, comme tels, et ce, «en dernière analyse», ne sont précisément pas des «éléments géométriques». Six est une grandeur numérique, sans être une figure ; s’il était une figure, un semestre serait un hexagone. Il est encore moins un mouvement puisqu’il est immobile. Bien que sa quantité soit divisible, sa qualité ne l’est pas ; enlever un côté à l’hexagone de Théodoric, c’est obtenir un pentagone. La grandeur numérique du mot «grandeur» est une fois huit ; c’est sa qualité, à tel point que «grandeu» n’est pas entier. L’entier «grandeur» n’est ni un octogone ni un mouvement. Le corps entier d’un bébé grandit durant la croissance, tout en demeurant constitué par une fois six éléments.

Mais ne nous éloignons pas de notre propos. Nous nous intéressons à la «révolution qu[e René Descartes] opère dans cet ordre de sciences» qu’est la physique, et ce, en la considérant selon la problématique de la suppléance.

Un illustre inconnu

À Athènes, autour de 335 avant Jésus-Christ (environ 1972 ans avant Le discours de René Descartes), un Grec, disciple d’Aristote, écrit un traité intitulé Mécanique18 en empruntant le nom du Stagirite ; appelons-le Pseudo-Aristote. Dans cet ouvrage, une trentaine de 15 René Descartes, ibidem, Introduction, pp. 15-1616 Thomas d’Aquin, In octos libros physicorum Aristotelis, Livre I, leçon III, 2317 Aristote, Métaphysique, 1020b 2-918 The Complete Works of Aristote, The revised Oxford translation, edited by Jonathan Barnes, Sixth Edition, Princeton, 1995, Princeton University Press, Volume two, Mechanics, translated by E. S. Forster, pp. 1299-1318 ; la traduction des textes est de nous.

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problèmes sont soulevés. Par exemple :

1. Pourquoi l’application d’une petite force sur l’extrémité d’un levier peut-elle soulever de grands poids ?

2. Pourquoi un rameur placé au centre d’un navire peut-il le mouvoir plus qu’un autre placé ailleurs ?

3. Pourquoi un navire lourdement chargé peut-il être mû par la faible force que le timonier exerce sur le petit gouvernail placé à l’arrière ?

4. Pourquoi une pierre lancée avec une fronde va-t-elle plus loin que si elle est lancée avec la main ?

5. Pourquoi l’homme muni d’un casse-noisette parvient-il à casser une noix sans lui assener un coup ?

6. Pourquoi un corps en mouvement est-il plus facilement mû qu’un corps à l’arrêt ?

7. Pourquoi l’homme assis sur le sol, lorsqu’il se lève, fait-il un angle aigu de sa cuisse et sa jambe, ainsi qu’un autre de sa poitrine et de sa cuisse, sans quoi il ne peut pas se lever ?

8. Pourquoi un objet placé dans une eau tournoyante tend-il à se retrouver en son milieu ? Rappelons-nous de l’effet Coriolis (La simple appréhension I).

9. Etc.

Le premier problème dont traite Pseudo-Aristote concerne la balance : «Premièrement, (...) une question se soulève dans le cas de la balance. Pourquoi les plus grandes balances sont-elles plus précises que les plus petites ? Et le principe fondamental en est : pourquoi le rayon qui s’étend plus loin du centre se déplace-t-il plus vite que le rayon plus petit, lorsque le rayon proche est mû par la même force ?» Puis, il ajoute aussitôt : «Maintenant, nous employons l’expression “plus vite” en deux sens [suppléance] : si un objet traverse une distance égale en moins de temps [qu’un autre objet traversant la même distance], nous disons [que le premier est] plus vite, et [nous le disons] aussi s’il traverse une plus grande distance [que le second] dans un temps égal». C’est au second sens que s’intéresse Pseudo-Aristote puisqu’il poursuit ainsi : «Alors le plus grand rayon décrit un plus grand cercle [que celui décrit par le plus petit rayon] en un même temps ; car la circonférence externe est plus grande que l’interne».

First, then, a question arises as to what takes place in the ease of the balance. Why are larger balances more accurate than smaller ? And the fundamental principle of this is, why is it that the radius which extends further from the centre is displaced quicker than the smaller radius, when the near radius is moved by the same force ? Now we use the word ‘quicker’ in two senses; if an object traverses an equal distance in less time, we call it quicker, and also if it traverses a greater distance in equal time. Now the greater radius describes a greater circle in equal time; for the outer circumference is greater than the inner.19

Dans ce paragraphe, Pseudo-Aristote part d’une première question : «Pourquoi les plus grandes balances sont-elles plus précises que les plus petites ?» Dans l’énonciation même de cette première question, il mentionne le fait que les plus grandes balances qui sont plus précises que les plus petites, en considérant ces balances selon l’existence qu’elle exerce. Il la signifie dans une ampliation selon l’étendue à toute partie subjective par «les» ; et il la consignifie selon l’existence temporelle propre au temps qui passe par l’indicatif présent «sont». Et l’interrogation qui est formulée dans la première question porte sur la cause qui accomplit le fait mentionné : «pourquoi». Il qualifie ensuite sa recherche de la cause : «Le 19 Pseudo-Aristote, Mécanique, 848b 1-10

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principe fondamental en est». Un principe, par définition, est premier, sans quoi il n’est pas un principe. Mais, Pseudo-Aristote tient à découvrir le principe «fondamental», celui qui fonde le fait d’une manière première. Bref, il cherche un moyen terme qui est premier dans le genre pertinent au fait qu’il mentionne : la précision considérée selon la grandeur d’un rayon.

La découverte de ce moyen terme premier demande une recherche du pourquoi dont le chemin est tracé par la seconde question : «Pourquoi le rayon qui s’étend plus loin du centre se déplace-t-il plus vite que le rayon plus petit, lorsque le rayon proche est mû par la même force ?» Dans cette seconde question, l’existence qui est signifiée est celle de tout rayon d’un cercle, selon une ampliation étendue à toute partie subjective. Il la consignifie encore selon le temps possible : «plus vite» fait l’objet d’un commentaire sur les «deux sens» de l’expression. Puis, il situe l’existence du rayon dans une ampliation selon le temps imaginable ou l’existence imaginable : «Alors le plus grand rayon décrit un plus grand cercle [que celui décrit par le plus petit rayon] en un même temps ; car la circonférence externe est plus grande que l’interne».

Pseudo-Aristote nous révèle aussi le schéma du syllogisme qui indique les pas d’une «marche de la prédication vers le haut». Le «principe fondamental», en tant que principe, doit y être dans ce qui y est premier : les prémisses ; en tant que fondamental, comme moyen terme premier. Le problème consiste à découvrir ces prémisses où les termes majeur et mineur, et le moyen terme, se trouvent dans plusieurs champs d’ampliation. Or, l’ampliation selon l’existence exercée est plus restreinte que l’ampliation selon l’existence possible, et l’existence possible est plus restreinte que l’ampliation imaginable. Le syllogisme se doit aussi de tenir compte des réimpositions pertinentes. Et, comme tout syllogisme met en œuvre une conséquence, les règles de la conséquence valide pour l’ampliation et la restriction, ainsi que pour la réimposition, doivent toutes être satisfaites.

Commençant sa recherche du «principe fondamental», Pseudo-Aristote écrit que tout rayon «subit deux déplacements. Si les deux déplacements d’un corps sont dans une proportion déterminée, le déplacement résultant doit nécessairement être une droite, et cette ligne est la diagonale de la figure faite par les lignes tracées selon cette proportion». «Posons que la proportion des deux déplacements [auxquels est soumis un corps] est de AB à AC» ; le déplacement résultant que subit le corps amènera

ce dernier à G (Figure 1). Si le déplacement AC se prolonge jusqu’à D, et le déplacement AB jusqu’à E, et que la proportion de AB à AC est maintenue, «AD doit nécessairement être dans la même proportion à AE que AB par rapport à AC. Donc le petit parallélogramme est similaire au plus grand, et leur diagonale est la même, si bien que A sera à F. De la même manière, on peut montrer que, à quelque point où le déplacement est arrêté, le point A sera dans tous les cas sur la diagonale». Bref, en langage actuel, la résultante AF des deux forces AE et AD est la somme géométrique des deux vecteurs AE et AD.

The reason of this is that the radius undergoes two displacements. Now if the two displacements of a body are in any fixed proportion, the resulting displacement must necessarily be a straight line, and this line is the diagonal of the figure, made by the lines drawn in this proportion. Let the proportion of the two displacements be as AB to AC, and let A be brought to

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A D

FE

C

BG

Figure 1

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B, and the line AB brought down to GC. Again, let A be brought to D and the line AB to E; then if the proportion of the two displacements be maintained, AD must necessarily have the same proportion to AE as AB to AC. Therefore the small parallelogram is similar to the greater, and their diagonal is the same, so that A will be at F. In the same way it can be shown, at whatever points the displacement be arrested, that the point A will in all cases be on the diagonal.20

Pseudo-Aristote n’avait évidemment pas lu René Descartes, mais son emploi du mot «proportion» rappelle ce que le second écrit : « (...) voyant qu’elles ne laissent pas de s’accorder toutes, en ce qu’elles n’y considèrent autre chose que les divers rapports ou proportions qui s’y trouvent, je pensai qu’il valait mieux que j’examinasse seulement ces proportions en général et sans les supposer que dans les sujets qui serviraient à m’en rendre la connaissance plus aisée, même aussi sans les y astreindre aucunement, afin de les pouvoir d’autant mieux appliquer après à tous les autres auxquels elles conviendraient». Pseudo-Aristote ne connaît pas l’algèbre, que nous devons à Diophante d’Alexandrie (325-419) et qui entre en Europe médiévale lors de la traduction, en latin, des œuvres écrites par les auteurs arabes ; il ignore la géométrie analytique de René Descartes, ainsi que le calcul infinitésimal (Newton et Leibniz) et le calcul vectoriel, que le dernier ignore tout autant. Cependant, dans la recherche qu’il conduit, avec la géométrie, Pseudo-Aristote doit prendre garde aux règles de la conséquence valide pour la suppléance, sa variation, l’ampliation et la restriction, et la réimposition, comme nous l’avons dit plus haut. L’ajout des développements qu’on connut les mathématiques après la géométrie et l’arithmétique ne change rien à cet égard, ni pour Pseudo-Aristote, ni pour René Descartes, ni pour les autres.

L’importance de l’ampliation ressort particulièrement bien de ce passage où Aristote s’interroge sur le problème de la cause et de l’effet :

Quand il s’agit de faits, soit en train de se produire, soit passés, soit futurs, la cause est exactement la même que dans les êtres [dont le devenir est achevé] (car c’est le moyen terme qui est cause) , avec cette différence que, pour les êtres, la cause est, tandis que pour les faits présents elle devient, pour les faits passés elle est passée, et pour les faits futurs elle est future. (...) Cette sorte de cause et son effet deviennent simultanément, quand ils sont en train de devenir, et ils existent simultanément, quand ils existent; et s’ils sont passés, et s’ils sont futurs, il en est de même. Mais dans les cas où il n’y a pas simultanéité de la cause et de l’effet, (...) que le temps intermédiaire <entre la cause et l’effet> soit indéterminé ou déterminé, il ne sera jamais possible de conclure que, par cela seul qu’il est vrai de dire que tel événement passé s’est produit, il soit vrai de dire que tel autre événement passé postérieur s’est produit : car, dans l’intervalle de l’un à l’autre, ce dernier énoncé. sera faux, bien que le premier événement se soit déjà produit. Le raisonnement est encore le même quand il s’agit du futur : on ne peut pas non plus conclure que, parce que tel événement s’est produit, un événement futur se produira (...). Une autre raison encore, c’est que le temps intermédiaire ne peut être ni déterminé, ni indéterminé, puisque l’énoncé sera faux pendant tout ce temps.21

C’est dans cet esprit que Pseudo-Aristote écrit : «Alors il est évident que, si un point [B] est mû le long de la diagonale [BDC] par deux déplacements, il est nécessairement mû selon la proportion des deux côtés du parallélogramme [ABFC]; sans quoi il ne sera pas mû le long de la diagonale. Si son mouvement résultant des deux déplacements cesse d’être en une proportion déterminée [la proportion de BA à BF] à quelque instant, son déplacement ne peut pas être en ligne droite. (...) Aussi, si les

20 Pseudo-Aristote, Mécanique, 848b 10-2021 Aristote, Seconds analytiques, 95a 10-40

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A

B

C

ED

F GFigure 2

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deux déplacements ne maintiennent pas la proportion [de BA à BF] durant un quelconque intervalle [de temps], [la proportion devenant progressivement celle de BA à BG], une courbe [BEC] est produite» (Figure 2).

Thus it is plain that, if a point be moved along the diagonal by two displacements, it is necessarily moved according to the proportion of the sides of the parallelogram ; for otherwise it will not be moved along the diagonal. If it be moved in two displacements in no fixed ratio for any time, its displacement cannot be in a straight line. For let it be a straight line. This then being drawn as a diagonal, and the sides of the parallelogram filled in, the point must necessarily be moved according to the proportion of the sides; for this has already been proved. Therefore, if the same proportion be not maintained during any intervalle of time, the point will not describe a straight line; for, if the proportion were maintained during any intervalle, the point must necessarily describe a straight line, by the reasoning above. So that, if the two displacements do not maintain any proportion during any intervalle, a curve is produced.22

Pseudo-Aristote en arrive ainsi au cœur du problème qu’il se pose au sujet de la balance. «Maintenant, que le rayon d’un cercle subisse deux déplacements simultanés est évident à partir de ces considérations, parce que le point [n’importe lequel] situé verticalement au-dessus du centre [autour duquel il accomplit une révolution complète] revient à la perpendiculaire [initiale d’où il est parti], de telle sorte qu’il est encore perpendiculairement au-dessus du centre». Alors «traçons le cercle ABC

(Figure 3), et laissons le point B, au sommet, se déplacer à D et en venir finalement à C. Si, alors, il était mû dans la proportion de BD à DC, il se déplacerait le long de la diagonale BC [du parallélogramme ABFC, où le rayon AC est égal à BF]. Mais, dans le cas présent, comme il ne se déplace pas selon une telle proportion, il se déplace le long de la courbe BEC. Et, si l’un de deux déplacements causés par les mêmes forces subit plus d’interférences et l'autre moins, il est raisonnable de supposer que le mouvement plus perturbé sera plus lent que le mouvement moins perturbé ; c’est ce qui semble arriver dans le cas du plus grand et du moindre des rayons de [plusieurs] cercles [concentriques, par exemple, l’un de rayon AB, ici représenté, et l’autre, de rayon ACH égal à BFG, non représenté]. Car, étant donné que l'extrémité [B] du rayon moindre [AB, qui est égal au rayon AC] est plus proche du centre stationnaire [A] que celle [l’extrémité H] du plus grand [le rayon ACH du cercle ici non représenté, qui est égal à BFG], comme si elle [l’extrémité H] avait été tirée dans une direction contraire [à celle vecteur ACH, indiquée par la flèche BFG], vers le milieu [A], l'extrémité [B] du moindre [rayon] se meut plus lentement [que l’extrémité H du plus grand]. C'est le cas avec tout rayon [qui est soumis à deux déplacements] ; il se déplace le long d’une courbe [BEC], selon un mouvement naturel [force centrifuge] le long de la tangente [BFG] et selon un mouvement non naturel [force centripète] vers le centre [A]. Et le rayon moindre est toujours plus [fortement] mû par son mouvement non naturel [centripète] ; étant plus proche du centre qui le retarde, il est plus contraint. Et que le moindre de deux rayons ayant un même centre [dans des cercles concentriques] soit mû plus que le plus grand par le mouvement non naturel est clair de ce qui suit».

Now that the radius of a circle has two simultaneous displacements is plain from these considerations, and because the point from being vertically above the centre comes back to the perpendicular, so as to be again perpendicularly above the centre.

Let ABC be a circle, and let the point B at the summit be displaced to D, and come eventually to 22 Pseudo-Aristote, Mécanique, 848b 21-35

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A

B

C

ED

F GFigure 3

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C. If then it were moved in the proportion of BD to DC, it would move along the diagonal BC. But in the present case, as it is moved in no such proportion, it moves along the curve BEC. And, if one of two displacements caused by the same forces is more interfered with and the other less, it is reasonable to suppose that the motion more interfered with will be slower than the motion less interfered with; which seems to happen in the case of the greater and less of the radii of circles. For on account of the extremity of the lesser radius being nearer the stationary centre than that of the greater, being as it were pulled in a contrary direction, towards the middle, the extremity of the lesser moves more slowly. This is the case with every radius, and it moves in a curve, naturally along the tangent, and unnaturally towards the centre. And the lesser radius is always moved more in respect of its unnatural motion; for being nearer to the retarding centre it is more constrained. And that the less of two radii having the same centre is moved more than the greater in respect of the unnatural motion is plain from what follows.23

Pseudo-Aristote s’interroge au sujet «de la balance. Pourquoi les plus grandes balances sont-elles plus précises que les plus petites ? Et le principe fondamental [dont il est à la recherche se découvre en répondant à cette autre question] (...) : pourquoi le rayon qui s’étend plus loin du centre se déplace-t-il plus vite que le rayon plus petit, lorsque le rayon proche est mû par la même force ?» Il commence à découvrir sa réponse. Mais, avant de voir comment il la complète, il est convenable de bien saisir le problème de physique. En 335 avant Jésus-Christ, la balance, qui sert à peser les marchandises, mais aussi la monnaie, n’est pas

l’instrument de précision gradué qui nous est familier. Deux plateaux sont suspendus à un bâton de bois au milieu duquel est attachée une corde (Figure 4). Après avoir mis un poids étalon dans un plateau et ce qu’il s’agit de peser dans l’autre, on voit avec l’œil si le bâton est en position horizontale ou s’il penche d’un côté. Pseudo-Aristote a observé visuellement que les plus grandes balances, celles dont le bâton est plus long, sont plus précises que celles dont le bâton est plus court, et il cherche une explication.

À cette fin, il imagine deux balances (Figure 5), une grande (la rouge) et une petite (la bleue), dont les bâtons respectifs se confondent dans une même ligne déterminant le diamètre de deux cercles concentriques : «Alors le plus grand rayon décrit un plus grand cercle [que celui décrit par le plus petit rayon] en un même temps ; car la circonférence externe est plus grande que l’interne». Et le développement écrit à 849a 1-20, où il expose le cœur du problème, se termine ainsi : «Et que le moindre [le rayon bleu] de deux rayons [confondus sur la même ligne déterminant le diamètre de chaque cercle] ayant un même centre soit mû plus que le plus grand [le rayon rouge] par le mouvement non naturel [celui qui retarde, le mouvement centripète] est clair de ce qui suit». C’est dans «ce qui suit» qu’il va maintenant fournir la démonstration de «ce qui semble arriver dans le cas du plus grand et du moindre des rayons de [plusieurs] cercles [concentriques]» selon son observation visuelle.

«Soit un cercle BCDE et soit XNMO, un autre cercle plus petit, les deux ayant le même centre A. Construisons les diamètres, CD et BE dans le grand cercle, et MX et NO dans le petit. Complétons le rectangle DYRC [c’est le rectangle des plateaux, omis dans notre figure]. Si le rayon AB revient à la même position de laquelle il est parti, i.e. AB, il est clair 23 Pseudo-Aristote, Mécanique, 849a 1-20

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Figure 4

Figure 5

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qu’il fut mû vers lui-même ; et de même en est-il de AX qui reviendra à AX. Mais AX se meut plus lentement que AB, comme il a été dit, parce que l’interférence est plus grande et que AX est retardé» [par sa proximité du centre]. (Figure 6)

Let BCED be a circle, and XNMO another smaller circle within it, both having the same centre A, and let the diameters be drawn, CD and BE in the large circle, and MX and NO in the small; and let the rectangle DYRC be completed. If the radius AB comes back to the same position from which it started, i.e. to AB, it is plain that it moved towards itself ; and likewise AX will come to AX. But AX moves more slowly than AB, as has been stated, because the interference is greater and AX is more retarded.24

«Maintenant, construisons AHG, et de H, une perpendiculaire sur AB à l’intérieur du [petit] cercle ; et, de H, construisons HZ parallèle à AB, et ZU et GK perpendiculaires sur AB ; alors ZU et HF sont égales. Donc, BU est moindre que XF ; en des cercles inégaux, des droites égales perpendiculaires au diamètre coupent de plus petites portions du diamètre dans le plus grand cercle ; ZU et HF sont égales». (Figure 7)

Now let AHG be drawn, and from H a perpendicular upon AB within the circle, HF; and, further, from H let HZ be drawn parallel to AB, and ZU and GK perpendiculars on AB; then ZU and HF are equal. Therefore BU is less than XF; for in unequal circles equal straight lines drawn perpendicular to the diameter cut off smaller portions of the diameter in the greater circles; ZU and HF being equal.25

«Maintenant le rayon AH décrit l’arc XH dans le même temps que l’extrémité du rayon BA a décrit un arc plus grand que BZ dans le grand cercle ; c’est que le déplacement naturel [centrifuge] est égal et le non naturel [centripète] est moindre, BU étant moindre que XF. Attendu que doivent être en proportion : les deux mouvements naturels [doivent être] l’un et l’autre dans le même rapport, comme les deux mouvements non naturels».

Now the radius AH describes the arc XH in the same time as the extremity of the radius BA has described an arc greater than BZ in the greater circle; for the natural displacement is equal and the unnatural less, BU being less than XF. Whereas they ought to be in proportion, the two natural motions in the same ratio to each other as the two unnatural motions.26

24 Pseudo-Aristote, Mécanique, 849a 24-3125 Pseudo-Aristote, Mécanique, 849a 32-3726 Pseudo-Aristote, Mécanique, 849b 1-5

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C DN O

B

E

M

X

A

Figure 6

C DN O

B

E

M

X

A

Figure 7

H

G

ZU

K

F

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«Maintenant le rayon AB a décrit un arc GB plus grand que ZB. Il doit nécessairement avoir décrit GB dans ce temps [le temps mis par AX à parcourir l’arc HX] ; car ce sera sa position quand, dans les deux cercles, la proportion entre les mouvements naturels [centrifuge] et non naturels [centripète] tient bon. Si, alors, le mouvement naturel est plus grand dans le plus grand cercle, le mouvement non naturel, aussi, s’accorderait en étant proportionnellement plus grand dans ce cas seulement où B est mû le long de GB pendant que X est mû le long de XH. C’est que, en ce cas, le point B vient à G par son mouvement naturel, et à K par son mouvement non naturel, GK étant perpendiculaire à partir de G. Et comme GK est à BK, ainsi HF est à XF. Ce qui sera clair, si B et X rejoignent [respectivement] G et H. Mais, si l’arc décrit par B est moindre ou plus grand que GB, le résultat ne sera pas le même, non plus que le mouvement naturel sera proportionnel au mouvement non naturel dans les deux cercles».

Now the radius AB has described an arc GB greater than ZB. It must necessarily have described GB in this time; for that will be its position when in the two circles the proportion between the unnatural and natural movements holds good. If, then, the natural movement is greater in the greater circle, the unnatural movement, too, would agree in being proportionally greater in that case only, where B is moved along GB while X is moved along XH. For in that case the point B comes by its natural movement to G, and by its unnatural movement to K, GK being perpendicular from G. And as GK to BK, so is HF to XF. Which will be plain, if B and X be joined to G and H. But, if the arc described by B be less or greater than GB, the result will not be the same, nor will the natural movement be proportional to the unnatural in the two circles.27

Dans tout ce développement, Pseudo-Aristote considère un cercle dans une ampliation selon le temps imaginable ou l’existence imaginable. Il va maintenant faire une restriction selon le temps possible ou l’existence possible, suivi d’une restriction selon le temps naturel ou l’existence temporelle exercée.

«Aussi, la raison pour laquelle le point plus éloigné du centre est mû plus vite par la même force et pour laquelle le plus grand rayon décrit le plus grand cercle est claire de ce qui a été dit [plus haut] ; et de là la raison pour laquelle les plus grandes balances sont plus précises que les plus petites est aussi claire. C’est que la corde à laquelle est suspendue une balance agit comme le centre [des cercles concentriques], qu’il est au repos, et que les parties de chaque côté de la balance forment des rayons [c’est la restriction à l’existence possible]. Donc, par le même poids, l’extrémité de la balance doit en proportion être nécessairement mue plus vite puisqu’il est plus distant de la corde, et un certain poids doit être imperceptible aux sens dans les petites balances ; car il n’y a rien [dans une petite balance] pour empêcher le mouvement soit si petit qu’il est invisible à l’œil. Tandis que, dans une grande balance, le même poids rend le mouvement visible. Dans certains cas [c’est la restriction à l’existence temporelle exercée] l’effet est clairement vu dans les deux balances [considérées selon l’existence temporelle exercée], mais beaucoup plus dans les plus grandes étant donné que l’amplitude du déplacement causé par le même poids est plus grande dans les plus grandes balances. Et alors les marchands de pourpre [teinture avec laquelle les vêtements étaient teints en rouge, ce qui était un signe de dignité sociale], en la pesant, la trafique pour tromper, en ne plaçant pas la corde au centre ou en coulant du plomb dans un bras de la balance, ou en employant du bois pris près de la racine d’un arbre pour l’extrémité vers laquelle ils désirent qu’elle incline, ou un nœud, s’il y en a un dans le bois ; car la partie du bois où il y a un nœud est plus lourde, et qu’un nœud est comme une sorte de racine».

27 Pseudo-Aristote, Mécanique, 849b 7-1914

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So that the reason why the point further from the centre is moved quicker by the same force, and the greater radius describes the greater circle, is plain from what has been said ; and hence the reason is also clear why larger balances are more accurate than smaller. For the cord by which a balance is suspended acts as the centre, for it is at rest, and the parts of the balance on either side form the radii. Therefore by the same weight the end of the balance must necessarily be moved quicker in proportion as it is more distant from the cord, and some weight must be imperceptible to the senses in small balances, but perceptible in large balances ; for there is nothing to prevent the movement being so small as to be invisible to the eye. Whereas in the large balance the same load makes the movement visible. In some cases the effect is clearly seen in both balances, but much more in the larger on account of the amplitude of the displacement caused by the same load being much greater in the larger balance. And thus dealers in purple, in weighing it, use contrivances with intent to deceive, putting the cord out of centre and pouring lead into one arm of the balance, or using the wood towards the root of a tree for the end towards which they want it to incline, or a knot, if there be one in the wood; for the part of the wood where the root is is heavier, and a knot is a kind of root.28

La variation de la suppléance, dans ce dernier paragraphe, implique des réimpositions, en plus de l’ampliation et de la restriction. Le passage où Pseudo-Aristote parle des marchands de pourpre décrit un événement qui arrive dans le temps qui passe (le temps passé, présent et futur de l’existence exercée par la res) ; mais une réimposition amène cette existence de la res dans l’univers intentionnel, celui du réel, là où cette existence exercée est signifiée comme telle par une réimposition de raison.29 De cette première réimposition, il remonte à une seconde, qui abstrait cette expérience de l’existence exercée signifiée et la porte au niveau de l’existence possible. De cette seconde réimposition, il remonte à une troisième, qui abstrait de l’existence possible le sujet considéré, la balance possible, et le porte au niveau de l’existence imaginable : «Aussi, la raison pour laquelle le point plus éloigné du centre est mû plus vite par la même force et pour laquelle le plus grand rayon décrit le plus grand cercle est claire de ce qui a été dit [plus haut]». C’est alors que Pseudo-Aristote peut entreprendre ses considérations géométriques sur des balances imaginables. Mais, et c’est le point qui nous importe dans cette Illustration, observons que Pseudo-Aristote, dans sa «marche de la prédication vers le haut», se conforme à la règle de conséquence de la réimposition : «Ils disent que la conséquence est valide de la forme [réimposée] à la matière [réimposable], mais dans la mesure où la matière [réimposable] se trouve sous la forme [réimposée]. Et c’est vrai». — Peut-on en dire autant de la «méthode» que René Descartes expose ainsi : «Et je ne fus pas beaucoup en peine de chercher par lesquelles il était besoin de commencer, car je savais déjà que c’était par les plus simples et les plus aisées à connaître» ? — Remarquons, au passage, que cette règle concerne des problèmes qui ont hanté Emmanuel Kant : Comment une mathématique pure est-elle possible ? Comment une physique pure est-elle possible ?

Pour découvrir la «marche de la prédication vers le haut» suivie par Pseudo-Aristote, nous avons nous-même ajouter une autre réimposition, la réimposition de raison qui nous a livré des êtres de raison, les êtres logiques que nous avons considérés comme objet pour les fins

28 Pseudo-Aristote, Mécanique, 849b 7-850a 229 Le mode intentionnel d’exister du concept réflexe est proprement nommé «réel», mot dans lequel le suffixe «el» signifie que ce qui existe ainsi selon l’intention peut aussi exercer le mode d’exister d’une res extra animam, selon la similitude que la comparatio repère entre la forme saisie dans le concept direct et la forme exercée par la res extra animam, et ce, en acte signifié dans le concept réflexe qui conçoit la forme de la forme. En ce sens, le réel est un compris qui se trouve dans notre tête, alors que son fondement est in re extra animam. La res achève le réel lorsque l’intellect emploie le concept réflexe dans le jugement vrai. (La simple appréhension II, p. 13)

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de la discipline que nous exposons. Cependant, une question se pose. Pseudo-Aristote connaissait-il les éléments que notre commentaire expose ?

L’intention d’une science

Pseudo-Aristote commence son traité par une réflexion : les phénomènes qui arrivent par nature nous étonnent lorsque nous n’en connaissons pas la cause, d’une part, de même que ceux qui sont produits par un art qui va contre la nature et qui est mis en œuvre pour le bénéfice de l’humanité, d’autre part. Car il arrive que la nature menace le vivant ; par exemple, l’inondation menace l’habitat des animaux. Alors, l’animal raisonnable fait appel à l’art mécanique. Pseudo-Aristote écrit : «Le mot du poète Antiphon est tout à fait vrai : “Soumis à la nature, nous triomphons par l’art”».

Our wonder is excited, firstly, by phenomena which occur in accordance with nature but of which we do not know the cause, and secondly by those which are produced by art despite nature for the benefit of mankind. Nature often operates contrary to human interest ; for she always follows the same course without deviation, whereas human interest is always changing. When, therefore, we have to do something contrary to nature, the difficulty of it causes us perplexity and art has to be called to our aid. The kind of art which helps us in such perplexities we call Mechanical Skill. The words of the poet Antiphon are quite true : Mastered by Nature, we o’ercome by Art.30

Rappelons-nous le mot de René Descartes : «Je me plaisais surtout aux mathématiques, à cause de la certitude et de l’évidence de leurs raisons ; mais je ne remarquais point encore leur vrai usage, et, pensant qu’elles ne servaient qu’aux arts mécaniques, je m’étonnais de ce que, leurs fondements étant si fermes et si solides, on n’avait rien bâti dessus de plus relevé». Même après avoir «bâti dessus [quelque chose] de plus relevée», sa géométrie analytique, il revient clairement et distinctement à la visée d’un «art mécanique» lorsqu’il écrit : «On (...) peut trouver une [philosophie] pratique, par laquelle, connaissant la force et les actions du feu, de l’eau, de l’air, des astres, des cieux et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature».

La convergence avec Pseudo-Aristote est manifeste, bien que nous trouvions chez ce dernier une différence que nous allons bientôt éclaircir. Le mot «mécanique» nous vient du grec «mêchanikos», qui signifie : qui concerne les machines (mêchanê). Le verbe grec «mêchanaein» signifie : fabriquer, construire, exécuter (quelque chose d’ingénieux).31 Pseudo-Aristote est sans doute familier avec la machine de guerre et la machine de théâtre (Deus ex machina) ; mais il considère, à juste titre, qu’un levier et une balance sont des machines. Un cyclotron est une mêchanê, de même qu’une digue, une seringue, une presse hydraulique, un télescope. Tout protocole opératoire selon lequel une expérimentation est exécutée décrit une action de mêchanaein. Bref, le programme auquel René Descartes convie tous «les bons esprits à tâcher (...) aux expériences qu’il faudrait faire» manifeste une intention de fabrique pour l’intellect qui considère sous un tel aspect formel (réimposition) «la connaissance, la force et les actions du feu, de l’eau, de l’air, des astres, des cieux et de tous 30 Pseudo-Aristote, Mécanique, 847a 10-2031 Émile Pessonneaux, Dictionnaire grec-français, Paris, 1953, 28e édition, revue et augmentée, Librairie classique Eugène Belin

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les autres corps qui nous environnent» en vue de «tous les usages auxquels ces corps sont propres», et ce, «en même façon» que les «divers métiers de nos artisans», afin de nous «rendre maîtres et possesseurs de la nature».

L’inondation est un événement naturel qui est menaçant pour un habitat humain. L’homme, soumis à la nature à cet égard, songe à se prémunir contre elle. Pour vaincre l’inondation, il fait appel à l’art mécanique pour construire une digue. Aucune digue ne peut tenir contre l’eau sans une connaissance des forces impliquées. C’est pourquoi, avant de la mettre en chantier, l’homme étudie la mécanique des forces naturelles pertinentes à l’inondation et des forces naturelles qui peuvent contenir les premières en s’y opposant, celles de la digue, selon l’intention propre à la raison de fabrique puisqu’un tel objet complexe ne peut être considéré que selon une telle intention.

Dans l’Éthique à Nicomaque, Aristote divise l’intellect qui considère en trois genres : la raison théorétique, la raison pratique et la raison de fabrique. Selon l’intention de la raison théorétique, celle qui contemple, la connaissance ne vise qu’à seulement bien connaître ce qu’il en est d’un objet pleinement constitué, par exemple : La somme de deux et de trois est égale à cinq. La matière est la mère du multiple. Aucun être en puissance ne passe de lui-même en acte. Selon l’intention pertinente à la raison de fabrique, la connaissance vise à bien faire un objet qui, n’étant pas pleinement constitué, est complété par l’art mécanique ; par exemple : un pont à construire ; un cœur à réanimer. Selon l’intention propre à la raison pratique, la connaissance vise à bien vouloir, l’objet n’étant pas pleinement constitué avant que l’action humaine ne soit posée ; par exemple : La protection de l’enfance est à vouloir. Les trois intentions peuvent être mises à contribution pour la considération d’un problème, chacune conservant son genre : par exemple, bien connaître l’anatomie, bien faire une intervention chirurgicale, bien vouloir enlever la cataracte qui obstrue l’œil d’un patient.

Précisons que l’intention de l’intellect qui considère n’est pas l’intention volontaire de l’homme doué de cet intellect. Dans la phrase de René Descartes, un rapport est fait entre deux connaissances selon une intention de fabrique : «connaissant la force et les actions (...), aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans». Cette intention intellectuelle ne doit pas être confondue avec l’intention volontaire suivante : «nous (...) pourrions employer (...) et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature». Même l’intention de la raison pratique ne se confond pas avec l’intention volontaire, comme René Descartes le dit : «Ce qui n’est pas seulement à désirer [objet d’un bien vouloir] pour l’invention d’une infinité d’artifices (...) mais principalement aussi pour la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien, et le fondement de tous les autres biens de cette vie». Cette phrase exprime une connaissance de l’objet «nous rendre comme mapîtres et possesseurs de la nature» considéré à titre de «bien vouloir».

«[Connaître] la force et l’action (...) de tous les (...) corps qui nous environnent» et connaître ces «corps» ne relève pas de la même espèce d’intention intellectuelle. Que l’homme le veuille ou pas, l’intention de l’intellect qui considère le vol des oiseaux pour construire un aéronef en s’en inspirant connaît «la force et les actions (...) de l’air» sur les ailes d’oiseaux selon l’intention de fabrique, alors que l’intention de l’intellect qui considère l’oiseau comme substrat du vol est théorétique. Selon le vice-recteur Louis Liard, «pour Descartes, tout être vivant est une machine. Aucun des phénomènes qui s’accomplissent en lui ne doit être

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rapporté à des forces distinctes des forces mécaniques».32 Sauf que, dans la phrase : «Tout être vivant est une machine.», la suppléance du terme commun «machine», qui suit médiatement du signe affirmatif universel «tout», est non distribuée ; dès lors, la conséquence que l’être vivant n’est qu’une machine, ce que signifie la phrase : «Aucun des phénomènes qui s’accomplissent en lui ne doit être rapporté à des forces distinctes des forces mécaniques.», n’est pas valide puisqu’elle consiste à faire varier la suppléance «non distribuée» en celle de «distribuée». Cependant, tout être vivant présente un aspect mécanique (un aspect formel, pour une réimposition) que saisit «une [intention intellectuelle de fabrique] en connaissant les forces et actions (...) [des] corps qui nous environnent (...) [dans] tous les usages auxquels [ces corps] sont propres» : par exemple, un cheval de trait. — La géométrie analytique de René Descartes est une science pérenne ; elle s’enseigne encore dans nos écoles. Le morceau de la philosophie cartésienne que nous venons de lire le mérite autant, mais à un autre titre que celui de pérenne : reposant sur une conséquence qui n’est pas valide, son enseignement instruit sur le vice d’une conséquence.

Une roche tombée par hasard dans un cours d’eau, une digue construite par un castor, et une autre, par un ingénieur, sont toutes trois étudiées par la mécanique, une science dont l’intention de fabrique se manifeste dès qu’on procède à une expérimentation. Pseudo-Aristote définit les «problèmes mécaniques» comme étant ceux où des forces entrent en jeu. «Des exemples de cela, ce sont ces cas où le moins prévaut sur le plus grand, et ceux où une petite force motrice meut de grandes charges — en fait, pratiquement tous ces problèmes que nous appelons “problèmes mécaniques”» fournissent autant d’exemples.

À cet égard, le disciple distingue les «problèmes mécaniques» des «problèmes naturels» en ce qu’ils ne sont «ni entièrement identiques ni entièrement sans rapport». C’est ici qu’une divergence entre Pseudo-Aristote et René Descartes se manifeste : les «problèmes mécaniques», écrit le Grec, ont «quelque chose en commun tant avec les spéculations mathématiques que les spéculations sur la nature», qui sont théorétiques, mais pas tout en commun ; ici, «spéculation» signifie proprement la théorétique, selon son nom grec. «Les spéculations sur la nature», pour Pseudo-Aristote, c’est la physique, mais au sens d’Aristote, une philosophie de la nature dont René Descartes se détourne : souvenons-nous de sa «physique», dont les «notions (...) diffèrent des principes dont on s’est servi jusqu’à présent», principes qui proviennent «de cette philosophie spéculative qu’on enseigne dans les écoles» qu’il a fréquenté en France du XVIIe siècle.

Sauf que Pseudo-Aristote n’a pas été un élève de Laflèche, comme René Descartes. Et, contrairement à ce dernier, il ne considère pas que la logique «contienne (...) beaucoup de préceptes (...) qui sont ou nuisibles ou superflus, [au point] qu’il est presque aussi malaisé de les (...) séparer [des autres qui sont «très vrais et très bons] que de tirer une Diane ou une Minerve hors d’un bloc de marbre qui n’est point encore ébauché». C’est pourquoi il pose, sans les nommer expressément, deux niveaux d’ampliation : «Alors que les mathématiques démontrent comment les phénomènes se passent, la science naturelle [la physique, au sens aristotélicien du terme] démontre dans quel milieu [naturel] ils arrivent» :

Instances of this are those cases in which the less prevails over the greater, and where forces of small motive power move great weights—in fact, practically all those problems which we call Mechanical Problems. They are not quite identical nor yet entirely unconnected with Natural

32 René Descartes, Discours de la méthode, note 1, p. 8418

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Problems. They have something in common both with Mathematical and with Natural Speculations; for while Mathematics demonstrates how phenomena come to pass, Natural Science demonstrates in what medium they occur.33

À cet égard, il est fidèle à l’enseignement qu’Aristote donne dans les Seconds analytiques :

Telles sont donc, dans une même science et suivant la position des moyens termes, les différences entre le syllogisme du fait et le syllogisme du pourquoi. Mais il y a encore une autre façon dont le fait et le pourquoi diffèrent, et c’est quand chacun d’eux est considéré par une science différente . Tels sont les problèmes qui sont entre eux dans un rapport tel que l’un est subordonné à l’autre : c’est le cas, par exemple, des problèmes d’Optique relativement à la Géométrie, de Mécanique pour la Stéréométrie [la stéréométrie est «[l’]application pratique de la géométrie à la mesure des solides naturels», dit le Petit Robert, non sans faire un emploi impropre de «pratique», alors que «fabrique» s’impose], d’Harmonique pour I’Arithmétique, et des données de l’observation pour l’Astronomie (certaines de ces sciences sont presque synonymes : par exemple, l’Astronomie mathématique et l’Astronomie nautique, l’Harmonique mathématique et l’Harmonique acoustique). Ici, en effet, la connaissance du fait relève des observateurs empiriques, et celle du pourquoi, des mathématiciens. Car ces derniers sont en possession des démonstrations par les causes, et souvent ne connaissent pas le simple fait, de même qu’en s’attachant à la considération de l’universel on ignore souvent certains de ses cas particuliers, par défaut d’observation. Telles sont toutes les sciences qui, étant quelque chose de différent par l’essence, ne s’occupent que des formes. En effet, les Mathématiques s’occupent seulement des formes : elles ne portent pas sur un substrat puisque, même si les propriétés géométriques sont celles d’un certain substrat, ce n’est pas du moins en tant qu’appartenant au substrat qu’elles les démontrent. Ce que l’Optique est à la Géométrie, ainsi une autre science l’est à l’Optique, savoir la théorie de l’Arc-en-ciel : la connaissance du fait relève ici du physicien, et celle du pourquoi de l’opticien pris en tant que tel d’une façon absolue, ou en tant qu’il est mathématicien.34

Aristote écrit : «les Mathématiques s’occupent seulement des formes : elles ne portent pas sur un substrat puisque, même si les propriétés géométriques sont celles d’un certain substrat, ce n’est pas du moins en tant qu’appartenant au substrat qu’elles les démontrent». Les ampliations, restrictions et réimpositions sont manifestes. Elles le sont aussi dans cette phrase de René Descartes : «On (...) peut trouver une [philosophie] pratique [intention de fabrique] , par laquelle, connaissant la force et les actions du feu, de l’eau, de l’air, des astres, des cieux et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les [corps] pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils [corps] sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature». La subalternation de la stéréométrie (en grec, stereo signifie solide ; metron : mesure)35 aux mathématiques repose sur la règle de conséquence valide pour la réimposition : «Ils disent que la conséquence est valide de la forme à la matière, mais dans la mesure où la matière se trouve sous la forme. Et c’est vrai». C’est cette règle de conséquence qui déploie la stéréométrie sous les mathématiques. Mais prétendre que «l’univers est donc “une machine où il n’y a rien du tout à considérer que les figures et les mouvements de ces parties»36 transgresse la règle de la conséquence valide pour la réimposition (en plus d’être en contradiction manifeste avec : «connaissant la force et les actions du feu, de l’eau, de l’air, des astres, des cieux et de tous les autres corps qui nous environnent»). Prétendre, en se fondant sur cette transgression, qu’une physique non 33 Pseudo-Aristote, op. cit., 847a 23-2934 Aristote, Seconds analytiques, 78b 31-79a 1435 Émile Pessonneaux, Dictionnaire grec-français : Solide, en grec, est un terme géométrique qui signifie : trois dimensions. C’est une des «propriétés géométiques» du substrat qu’est le corps (soma). 36 René Descartes, Le discours de la méthode, introduction de Louis Liard, p. 17

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stéréométrique, une philosophie de la nature, porte sur «rien du tout» ne consiste plus à «bien conduire sa raison». Le cosmos présente un aspect formel (réimposition) que la stéréométrie saisit ; cette stéréométrie, c’est une physique au sens qu’exprime la phrase de Robert Grosseteste, que nous avons lu plus haut. La mécanique a «quelque chose en commun» avec la stéréométrie, mais elle s’en distingue par l’intention : l’intention de la stéréométrie est théorétique (science pure, dirait-on aujourd’hui), alors qu’une intention de fabrique anime la mécanique (science appliquée).

C’est dans la perspective de la subalternation de la mécanique à la stéréométrie que Pseudo-Aristote écrit : «Parmi les questions de mécanique, sont incluses celles qui ont un rapport au levier. Il semble étrange qu’un grand poids puisse être mû par une petite force, et ce, lorsqu’une addition de plus de poids est impliquée ; car, un même poids, qu’on ne peut pas mouvoir du tout sans levier, on peut le mouvoir tout à fait facilement avec lui, malgré le poids additionnel du levier».

Among questions of a mechanical kind are included those which are connected with the lever. It seems strange that a great weight can be moved with but little force, and that when the addition of more weight is involved ; for the very same weight, which one cannot move at all without a lever, one can move quite easily with it, in spite of the additional weight of the lever.37

Pourquoi ? Pseudo-Aristote répond : «La cause originaire de tous ces phénomènes est le cercle. Il est tout à fait naturel qu’il en soit ainsi ; (...) le cercle est fait de deux contraires. D’abord, il est formé par le mouvement et le repos, qui sont par nature opposés l’un à l’autre. De là, en examinant le cercle, nous ne devons pas nous étonner [que] des [propositions contraires soient formulables] à son propos. Premièrement, dans la ligne qui circonscrit le cercle [la circonférence], (...), deux contraires apparaissent, nommément, le concave et le convexe. Ils sont tout aussi opposés l’un à l’autre que le grand et le petit ; l’intermédiaire étant l’égal pour le premier cas, la droite dans le second cas. Donc, tout comme s’ils doivent se changer l’un dans l’autre le plus grand et le plus petit deviennent égaux avant de pouvoir passer en l’autre extrême, ainsi une ligne doit devenir droite en passant du convexe au concave, ou du concave au convexe, et courber».

The original cause of all such phenomena is the circle. It is quite natural that this should be so ; for there is nothing strange in a lesser marvel being caused by a greater marvel, and it is a very great marvel that contraries should be present together, and the circle is made up of contraries. For to begin with, it is formed by motion and rest, things which are by nature opposed to one another. Hence in examining the circle we need not be much astonished at the contradictions which occur in connexion with it. Firstly, in the line which encloses the circle, being without breadth, two contraries somehow appear, namely, the concave and the convex. These are as much opposed to one another as the great is to the small; the mean being in the latter case the equal, in the former the straight. Therefore just as, if they are to change into one another, the greater and smaller must become equal before they can pass into the other extreme; so a line must become straight in passing from convex into concave, or on the other hand from concave into convex and curved. This, then, is one peculiarity of the circle.38

Dans la figure 8 (page suivante), l’arc AB est convexe du point de vue bleu, concave du point de vue vert, selon une ampliation pertinente au temps imaginable (existence imaginable). C’est ainsi que «le cercle est fait de deux contraires», en tenant compte des deux points de vue que peut prendre un observateur qui, lui, n’appartient pas au cercle. Pseudo-Aristote 37 Pseudo-Aristote, Mécanique, 847b 10-1538 Pseudo-Aristote, op. cit., 847b 16-848a 3

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considère aussi «le mouvement et le repos» dans l’existence imaginable. Quiconque regarde la figure 8 voit que le cercle n’est nullement en mouvement, mais Pseudo-Aristote l’imagine alternativement en mouvement et à l’arrêt. À cet égard, «une autre particularité du cercle est qu’il meut dans deux directions contraires en même temps ; car il meut simultanément la position [d’un point] vers l’avant et vers l’arrière. Aussi, telle est la nature du rayon qui décrit un cercle [par exemple, la grande aiguille d’une montre avance de 12 à 6 et recule de 6 à 12 pour un observateur placé à 6]. Car son extrémité revient encore à la même position d’où il part ; car, dans un mouvement continu, sa dernière position est un retour à sa position d’origine, de telle manière qu’il a

clairement subi un changement [en partant de] cette position».

Another peculiarity of the circle is that it moves in two contrary directions at the same time; for it moves simultaneously to a forward and a backward position. Such, too, is the nature of the radius which describes a circle. For its extremity comes back again to the same position from which it starts ; for, when it moves continuously, its last position is a return to its original position, in such a way that it has clearly undergone a change from that position.39

Or, comme nous l’avons vu plus haut, «(...) les phénomènes observés dans la balance peuvent être référés au cercle, et ceux [qui sont] observés dans le levier, à la balance ; pendant que, pratiquement [intention de fabrique], tous les autres phénomènes de mouvement mécanique ont rapport au levier. En outre, puisqu'aucun de deux points sur un même rayon ne voyage avec la même rapidité, mais que [celui] de deux points qui est le plus loin d’un centre fixe voyage plus rapidement, beaucoup de merveilleux phénomènes arrivent dans les mouvements de cercle, ce qui va être démontré dans les problèmes suivants», la trentaine dont nous avons donné quelques exemples plus haut, et celui de la balance.

Therefore, as has already been remarked, there is nothing strange in the circle being the origin of any and every marvel. The phenomena observed in the balance can be referred to the circle, and those observed in the lever to the balance; while practically all the other phenomena of mechanical motion are connected with the lever. Furthermore, since no two points on one and the same radius travel with the same rapidity, but of two points that which is further from the fixed centre travels more quickly, many marvellous phenomena occur in the motions of circles, which will be demonstrated in the following problems.40

Ces phénomènes sont alors envisagés selon l’intention de fabrique du «mécanicien». «Parce qu'un cercle meut deux formes contraires du mouvement en même temps, et parce qu'une extrémité du diamètre, A, bouge vers l’avant et l'autre, B, vers l’arrière, des personnes inventent [une machine], comme les roues de laiton et le fer qu'ils fabriquent et destinent aux temples, qui meut plusieurs cercles en des directions contraires comme résultat d'un seul mouvement. Traçons le cercle AB et un autre cercle CD en contact avec le premier ; alors, si le diamètre du cercle AB meut vers l’avant, le diamètre CD se déplacera vers l’arrière par rapport au cercle AB, pour autant que le diamètre tourne autour du même point. Le cercle CD déplacera donc dans la direction opposé à celle du cercle AB. De même, le cercle CD mouvra le cercle attenant EF dans une direction opposée à la sienne pour la même raison.

39 Pseudo-Aristote, ibidem, 848a 4-1040 Pseudo-Aristote, ibidem, 848a 11-19

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A

B

Figure 8

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La même chose arrivera dans le cas d'un plus grand nombre de cercles, alors qu’un seul d'entre eux est mis en mouvement. Les mécaniciens saisissant cette particularité inhérente au cercle, tout en dissimulant le principe, construisent un instrument afin d'exposer le merveilleux caractère du dispositif, pendant qu'ils en obscurcissent la cause».

Because a circle moves in two contrary forms of motion at the same time, and because one extremity of the diameter, A, moves forwards and the other, B, moves backwards, some people contrive so that as the result of a single movement a number of circles move simultaneously in contrary directions, like the wheels of brass and iron which they make and dedicate in the temples. Let AB be a circle and CD another circle in contact with it; then if the diameter of the circle AB moves forward, the diameter CD will move in a backward direction as compared with the circle AB, as long as the diameter moves round the same point. The circle CD therefore will move in the opposite direction to the circle AB. Again, the circle CD will itself make the adjoining circle EF move in an opposite direction to itself for the same reason. The same thing will happen in the case of a larger number of circles, only one of them being set in motion. Mechanicians seizing on this inherent peculiarity of the circle, and hiding the principle, construct an instrument so as to exhibit the marvellous character of the device, while they obscure the cause of it.41

Relisons attentivement la phrase suivante : «Les mécaniciens saisissant cette particularité inhérente au cercle, tout en dissimulant le principe, construisent un instrument afin d'exposer le merveilleux caractère du dispositif, pendant qu'ils en obscurcissent la cause». La règle de conséquence qui gouverne la réimposition y est clairement observée. «La cause originaire de tous ces phénomènes est le cercle», dit plus haut Pseudo-Aristote, et «il est tout à fait naturel qu’il en soit ainsi». Ce qui est circulaire a le cercle pour nature. Une «particularité inhérente au cercle» peut ainsi être «principe» pour un «instrument».

Les «mécaniciens» qui, comme René Descartes, sont à juste titre séduits par «le merveilleux caractère du dispositif» qu’ils mettent en œuvre dans les «expériences [à] faire», «construisent un instrument», mais en n’en «saisissant [pas la] particularité inhérente», l’intention de fabrique. Certes, «elles ne portent pas sur un substrat puisque, même si les propriétés géométriques sont celles d’un certain substrat, ce n’est pas du moins en tant qu’appartenant au substrat qu’elles (...) démontrent», comme l’écrit Aristote. Mais c’est en se «dissimulant le principe» qu’est la règle de conséquence valide pour la réimposition qu’ils peuvent prétendre au monopole de la science. Or, connaître sciemment, sans mathématique ni expérimentation, est antérieur à connaître scientifiquement, si cette dernière expression est prise comme René Descartes (et bien d’autres) l’entend, avec l’addition logique des mathématiques et de l’expérimentation, ce qui est une restriction.

Conclusion

La science, enseigne Aristote, est l’effet, en nous, d’une démonstration du fait ou du pourquoi qui prend la forme d’un syllogisme. Ce syllogisme est de la première figure, si la cause prochaine peut être connue ; cette dernière y est placée comme moyen terme. Dans le cas où elle ne peut pas être connue, on doit alors procéder dans la seconde figure, avec une cause éloignée ou un indice, qui se placent comme moyen terme.

Dans son traité, Pseudo-Aristote procède par un indice qu’il mentionne dès la formulation de sa question : «Pourquoi les plus grandes balances sont-elles plus précises que les plus petites ?» La cause prochaine se trouve dans la qualité «précises». Elle ne peut pas être 41 Pseudo-Aristote, ibidem, 848a 20-37

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connue, dit Pseudo-Aristote : «Un certain poids doit être imperceptible aux sens dans les petites balances», bien que «dans certains cas l’effet [soit] clairement vu». Alors Pseudo-Aristote se rabat sur la cause éloignée : «La cause originaire de tels phénomènes [dans le genre pertinent à la balance] est le cercle».

Considérons un bâton de bois comme les rayons d’un cercle. Ce n’est pas en tant que rayon que ce bâton est de bois ; ce n’est pas en tant que bois que ce bâton est le diamètre d’un cercle. C’est per accidens (l’accident prédicable) que le diamètre est fait de bois dans un cercle dont le centre est fait d’une corde : «C’est que la corde à laquelle est suspendue une balance agit comme le centre, qu’il est au repos, et que les parties de chaque côté de la balance forment des rayons». Mais c’est per essentiam (l’espèce et l’accident propre prédicables) que ce matériau circulaire est un cercle. Le cercle, tel que l’étudie Pseudo-Aristote, est une cause dans une ampliation selon l’existence imaginable ; mais «l’effet [qui] est clairement vu dans les deux balances» l’est dans une restriction de l’existence imaginable à l’existence exercée selon le temps qui passe, en observant la règle de conséquence valide pour la réimposition ; car, de même que le concave devient convexe par l’intermédiaire de la droite, de même l’existence possible est intermédiaire entre l’existence imaginable et l’existence exercée. C’est pourquoi le cercle, dans l’existence imaginable, est une cause éloignée de l’effet observé dans l’existence exercée. Dans le cas de la balance, la connaissance de la cause relève du mathématicien, alors que la connaissance du fait que la corde est placée au centre ou pas relève du mécanicien.

Mais, quelle est la démonstration que Pseudo-Aristote met en œuvre ? À cet égard, ce passage des Premiers analytiques est important :

Il ne faut pas toujours chercher à exprimer les termes par un seul nom, car souvent nous aurons affaire à des locutions composées auxquelles on n’a pas donné de nom. C’est pourquoi il est difficile de réduire les syllogismes de cette nature. Parfois aussi l’erreur, dans une recherche de ce genre [quand on voudra, dans tous les syllogismes, exprimer le moyen terme par un seul nom (Note 1, J. Tricot)], viendra de ce qu’on croit qu’il peut y avoir syllogisme pour des choses qui n’ont pas de moyen terme. Admettons que A signifie deux angles droits, B triangle, et G triangle isocèle. A appartient G par B [la somme des angles de tout triangle isocèle est égale à deux angles droits, parce qu’il est un triangle] ; par contre, il n’appartient plus à B par la médiation d’un autre terme : c’est, en effet, une propriété essentielle du triangle de posséder deux angles droits, de sorte qu’il n’y aura pas de moyen terme [exprimé par un seul nom (Note 3, J. Tricot)] pour la proposition A [appartient à] B, bien qu’elle soit démontrable. Car il est clair que le moyen ne doit pas toujours être pris comme une chose individuelle [qui puisse s’exprimer uno vocatio (Note 4, J. Tricot)], mais quelquefois comme une locution composée, ce qui arrive précisément dans l’exemple que nous venons de citer.42

Malgré qu’il soit «difficile de réduire les syllogismes de cette nature», la démonstration stéréométrique que met en œuvre Pseudo-Aristote, en employant un moyen terme, un terme majeur et un terme mineur qui ne sont pas exprimables par un seul nom, comme nous avons pu nous en rendre compte en lisant son texte, est un syllogisme de la seconde figure : un Cesare.

Cette démonstration se comprend comme suit : «Quand il s’agit de faits (...) en train de se produire, (...) la cause est exactement la même que dans les êtres [dont le devenir est achevé] (car c’est le moyen terme qui est cause), avec cette différence que (...) cette sorte de 42 Aristote, Premiers analytiques, 48a 29-39

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cause et son effet deviennent simultanément, quand ils sont en train de devenir, et ils existent simultanément [une fois le devenir achevé], quand ils existent [au moment de cet achèvement]».43

Le sujet de la démonstration est donné dans une question, et il doit se retrouver comme sujet de la conclusion :

Pourquoi les plus grandes balances sont-elles plus précises que les plus petites ?

La majeure universelle négative du Cesare est :

En outre, (...) aucun de deux points sur un même rayon ne voyage avec la même rapidité, mais (...) [celui] de deux points qui est le plus loin d’un centre fixe voyage plus rapidement (...). Furthermore, (...) no two points on one and the same radius travel with the same rapidity, but of two points that which is further from the fixed centre travels more quickly (...).44

La mineure universelle affirmative est :

C’est que la corde à laquelle est suspendue une balance agit comme le centre [des cercles concentriques], qu’il est au repos, et que les parties de chaque côté de la balance forment des rayons [c’est la restriction à l’existence possible]. Donc, par le même poids, l’extrémité de la balance doit en proportion être nécessairement mue plus vite puisqu’il est plus distant de la corde, et un certain poids doit être imperceptible aux sens dans les petites balances ; car il n’y a rien [dans une petite balance] pour empêcher le petit mouvement d’être invisible à l’œil. Tandis que, dans une grande balance, le même poids rend le mouvement visible.For the cord by which a balance is suspended acts as the centre, for it is at rest, and the parts of the balance on either side form the radii. Therefore by the same weight the end of the balance must necessarily be moved quicker in proportion as it is more distant from the cord, and some weight must be imperceptible to the senses in small balances, but perceptible in large balances ; for there is nothing to prevent the movement being so small as to be invisible to the eye. Whereas in the large balance the same load makes the movement visible.45

Réduite à un schéma, la démonstration se lit comme suit :

Il est nécessaire qu’aucun de deux points sur un même rayon [terme majeur] ne voyage avec la même rapidité, (...) [celui] de deux points qui est le plus loin d’un centre fixe voyageant plus rapidement (...) [moyen terme].

Il est nécessaire que l’extrémité d’une grande balance [terme mineur] voyage plus rapidement à titre de [celui] de deux points qui est le plus loin d’un centre fixe (...) [moyen terme].

Donc, il est nécessaire qu’aucune extrémité d’une grande balance [terme mineur] ne soit l’un de deux points sur un même rayon (qui voyagent avec la même rapidité) [terme majeur].

Dans le Cesare, le moyen terme est bien «le principe fondamental (...) pourquoi le rayon qui s’étend plus loin du centre se déplace plus vite que le rayon plus petit, lorsque le rayon proche est mû par la même force». Le pourquoi, c’est : «Alors le plus grand rayon décrit un plus grand cercle [que celui décrit par le plus petit rayon] en un même temps ; car la

43 Aristote, Seconds analytiques, 95a 10-4044 Pseudo-Aristote, ibidem, 848a 11-1945 Pseudo-Aristote, Mécanique, 849b 7-850a 2

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circonférence externe est plus grande que l’interne». Le «principe fondamental», en tant que principe, est dans les prémisses ; en tant que fondamental, il est un moyen terme premier dans le genre considéré. L’énonciation sur la quantité du bâton dans les balances qu’on lit dans la conclusion sert ensuite d’antécédent dans une conséquence valide dont le conséquent est : dans une grande balance, un même poids rend le mouvement plus visible que dans une petite balance. Ainsi le sujet logique de la conclusion, qui est aussi le sujet logique de la mineure et de la démonstration, est bien la quantité des bâtons dans les balances ; elle est le sujet de la qualité «précises», sujet qui n’est pas un substrat, bien que cette quantité ait bien un substrat : une balance.

La démonstration en Cesare et la conséquence «ne portent pas sur un substrat puisque, même si les propriétés géométriques sont celles d’un certain substrat, ce n’est pas du moins en tant qu’appartenant au substrat qu’elles (...) démontrent»46 le pourquoi pertinent. Observons de plus que ce Cesare et cette conséquence, non seulement ne sont pas infirmés, mais encore explicitent les données fournies dans l’applet de physique conçu par Walter Fendt, et traduit par Yves Weiss (voir l’annexe I).47

Enfin, rien n’empêche un philosophe de la nature d’établir la nécessaire existence du substrat, que René Descartes mentionne sans la démontrer, dans : «On (...) peut trouver une [philosophie] pratique [intention de fabrique] , par laquelle, connaissant la force et les actions du feu, de l’eau, de l’air, des astres, des cieux et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les [corps] pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils [corps] sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature».

Ce philosophe n’expliquera pas alors pourquoi les plus grandes balances sont plus précises que les plus petites ; ce dernier problème relève d’une autre science, la mécanique. Ni la stéréométrie ni la mécanique ne sont une philosophie de la nature. Pour établir la nécessaire existence du substrat, le philosophe de la nature doit procéder par démonstration. La science est l’effet, en nous, d’une démonstration du fait ou du pourquoi qui prend la forme d’un syllogisme. Dans cette démonstration, le philosophe considère le fait que les plus grandes balances sont plus précises que les plus petites, et il cherche pourquoi la quantité «grande» et la quantité «petite» sont prédicables d’un même sujet : le «milieu» naturel. Car, si rien ne peut être à la fois grand et petit, la comparaison entre une grande et une petite balance est impossible. Si «rien du tout», comme René Descartes le dit, n’est un sujet pour être soit grand soit petit, rien n’est soit grand soit petit. Il est vrai que les «principes» mis en œuvre dans cette démonstration appartiennent à une «philosophie spéculative [théorétique]», et qu’ils «diffèrent des principes» servant à «voir qu’il est possible de parvenir à des connaissances qui soient fort utiles à la vie». Elle est théorétique, au sens strict, et n’est que théorétique, mais elle n’en est pas moins une science.

Quoi qu’il en soit, notre propos, dans cette Illustration, fut de faire ressortir que la «clef» qui ouvre l’accès à une appréciation des lignes écrites par René Descartes passe par une question de suppléance, de réimposition, d’ampliation et de restriction. Que «l’exacte

46 Aristote, Seconds analytiques, 78b 31-79a 1447 On peut voir ce document sur l’Internet : Applets Java de Physique, Walter Fendt, traduction par Yves Weiss, Loi du levier, à http://home.a-city.de/walter.fendt/phf/phf.htm.

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observation de ce peu de préceptes [de logique donne une] «facilité à démêler toutes les questions auxquelles [...] s’étend» l’analutikê epistêmê, c’est beaucoup demander ; «plusieurs» sont et demeurent «très difficiles». «Mais (...) [à] la fin» de cette Illustration, nous voyons comment l’analutikê epistêmê «[détermine] (...) par quels moyens et jusqu’où il [est] possible de les résoudre».

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ANNEXE I