32
a 3f Caillois e e UlnZalne littéraire du 1 er au 15 mai 1970

Quinzaine littéraire 94, mai 1970

Embed Size (px)

DESCRIPTION

Faulkner (sa correspondance, par Coindreau), Barthes (l'Empire des signes et sur Kristeva), Benvéniste, Zabriskie Point, Roger Caillois

Citation preview

Page 1: Quinzaine littéraire 94, mai 1970

a3f

Caillois

e eUlnZalnelittéraire du 1er au 15 mai 1970

Page 2: Quinzaine littéraire 94, mai 1970

SOMMAIRE

3

5

6

8

10

11

1213

14

15

LIVRESDE LA QUINZAINE

ESSAI

CORRESPONDANCE

ROMANSETRANGERS

ROMANS FRANÇAIS

DOCUMENTS

ETUDE

ARTS

Roger Caillois

Roland Barthes

Malcolm CowleyWilliam Faulkner

Irvin FaustValentin KataïevGuillermo Cabrera Infante

Romain GaryJean·Pierre GaxieViviane ForresterYves Buin

Paul LidskyGabrielle Russier

Pascal Quignard

Wolfgang BrücknerHerman J. Wechsler

L'écrit ure des piern'sCases (rUII échiquier

Cem pirI' cles siglles

Corresp0/l(L((//ce. 1944-1962

L 'aciaigLeLe puits sacréTrois tristes tigres

Chiell bLallcGruffilesAillsi des exiLésLa N/iii l'erticaLe

Les écril:aills cOlltre La CommulleLellres cie prisoll

L'être du baLbutiemellt

1magerie popuLaire aLLem((//de.La I!ral'ure. art ma;eur

par Gilles Lapouge

par Françoise Choay

par Maurice.Edgar Coindreau

par Jean Wagnerpar Y. C.par Jacques Fressard

par Cella Minartpar Claude Bonnefoy

par Pierre du Bois

par Martin Fortpar Maurice Nadeau

par Jean-Noël Vuarnet

par Jean Selz

16 EXPOSITIONS

18 ECONOMIEPOLITIQUE

19 LINGUISTIQUE2021

22 HISTOIRE

24 PSYCHIATRIE

25 THEATRE26

27 CINEMA

28 FEUILLETON

Denis RocheRohert Latlès

.T ulia KristevaLeonard BloomfieldEmile Benveniste

Eugen Kogon

Sous la direction deFranco Basaglia

René EhniRacineJean Genet

Galeries parisiennes

CarllacMille milliards de dollars

SéméiotikéLe LallgageLe vocabuLaire desillstit ul iOlls illdo-européennes

L'état 5.5,

L "illstitution en négatioll

Super-PositionsBéréniceLes Bonnes

Zabriskie Point

W

par Gérald Gassiot-TalabotNicolas BischowerGuy C. Buys~

par Alain Jaubertpar Bernard Cazes

par Roland Barthespar Angèle Kremer-Mariettipar Françoise Bader

par Roger Errera

par P. F. Guatlari

par Simone Benmussapar Gilles Sandier

par Annie GoldmannDar .lacaues-Pierre Amette

par Georges Perce

Crédits photographiques

La Quinzainelittéraire

z

François Erval, Maurice Nadeau.

Conseiller : Joseph Breitbach.Comité de rédaction :Georges Balandier, Bernard Cazes,François Châtelet,Françoise Choay,Dominique Fernandez, Marc Ferro,Gilles Lapouge, .Gilbert Walusinski.

Secrétariat de la rédactionAnne Sarraute.

Courrier littéraireAdelaïde Blasquez.

Maquette de couvertureJacques Daniel

Rédaction, administration :43, rue du Temple, Paris-4e•

Téléphone: 887.48-58.

Promotion.DiffusionFabrication Promodifa400 rue St-Honoré - Paris-ler

Publicité littéraire':22, rue de Grenelle, Paris-7·.Téléphone : 222·94·03.

Publicité générale : au journal.

Prix du n' au Canada : 75 cent!!.

Abonnements :Un an : 58 F, tlingt.trois numéros.Six mois : .34 F, douze numéros.

. Etudiants : réduction de 20 %.Etranger : Un an : 70 F.Six mois: 40 F.Pour tout cb-angement d'adresseenvoyer 3 timbres à 0,30 F.Règlement par mandat, chèquebancaire, chèque postal :C.C.P. Paris 15.551.53.

Directeur de la publicationFrançois Emanuel.

Imprimerie: Graphiques GambonImpression S.LS.S.Printed in France

p. 3p. 5

p. 6

p. 8p. 9p. Il

p. 12

p. 13

p. 15p. 16

p. 17

p. 21

p. 23

p. 25

p. 26p. 27

Skira éd.Skira éd.

Cartier-Bresson, Magnum

Gallimard éd.,

Gallimard éd.

Denoël éd.

MasperoRichard Bouchara

Atelier René Jacques

Michel CenetEtienne Hubert, Point Car·dinal

Minuit éd.

Roger ViolletCarla Cerati, Snark

BèrnaudD.R.

Page 3: Quinzaine littéraire 94, mai 1970

Caillois, l'arpenteurQUINZAIN.,

Deux livres de Roger Caillois.quelle fête, et pourtant cetinfâtigable découvreur ne fran­chit cette' saison aUCURe nou­velle frontière, Il campe surdes positions déjà balisées :l'un de ses ouvrages décritdes pierres, L'autre, Casesd'un échiquier, rassembleles thèmes de ses livres pré­cédents, On dirait qu'après delongs périples, Caillois a vou­lu dresser son bivouac,

1Rog~r \.aillois1/écrilllre de.~ pierre~

(~ ~~s s~ntier~ de la l'réal ion ))SkI ra, e<l., HO Il.

1Cfl.~e~ d'lIll échifJllierGallimard, éd. 344 p.

Non qll'il soit fatigué ,I~ "aga­hOluler mais il a recueilli tant ,I~

pépiles et si ,Iissemhlahles 'Ill'il,élll'ollve la nécessité de classer sonhésor. Ali premier regal'll, ,'e tré­sor est ,lécOlll'ertant. Il ~st fail ,lehric ~t de hroc : <les nli 1I0ux è,l,Ips scarabées, FanltHnas et leh:lIl1're.III, les fêles et les rê, es, lesrpligions 1'1 le (·el'f-yolant. laguelTe el le pape. line anthologiechinoise dite par Borges n'est paspins san~'renlle et l'on compren,1(Ine Caillois, observe une pauseafin ,l'organiser ~a cue'lleUe.

Il ,I~mellre fi<lèle Ù S\I manièremais les ohje1s qll'il examine, ailliell <l'être cellx qne Illi propo,.:elltle mon,le' on l'es 'rê,"es ,les IHllilllles',sont les oh,jets pl'o,11I its pm' sonpropl'e espl·it. Sous son micl'oscopedément les liHes qll'il a ,léjÙ "om­p'lsés. El sllr ces lin'es, l'e c1assi­fi.'.lteur épenln se met à la heso­I!ne. Il le" confronle on les 0llpose.11 ,Iécrit l'or<lre qui les sOl'ti~nt.

11 les traite ('omme IIne "oll~l'Iion

,le flelll's. De sorte (In~ l'OIuTagemél'ile dellx lel'l~II'es. soit 'Ill'on y,'hen'he les hantises habitnelles <I~

Cailloi,.:, enri.'hies de qnelqnes jo­l,esses, soit qu'on le lise "'Hllmele IIll'fle, d'emploi de l'espl'it ,leCai l'ois.

C'est celle secolHle lectllrt~ qlleno:,s' l'et ienill'(lIIs pOlir lu raison(Ille C!lillois ne nous a jamais gâtésen confi,lences. Pour lu prerilièrefois, il nOlis parle de lui-même,mais que l'on n'allende pas de cetéeri,'ain' halltain, glacial et céré·moniellx un q lIelnHlqlle ~panche.

ment., Impl'llpre au lyrisme etpOllrtant SOlicieux de se dire, il achoisi nn, ehemin ohliqnc pour

transporter sa ('(Hlfe"sion. t :elle-.'inuit "omme 1111 ('hanl brouillé, non,le la voix elle-mêm~, non ,les dlll­s",s qll'" ,lit l'elle voix, mais plllltlt,Ips relut ions qn'enlr",t iennent en­semble les piè('es ,lu puzzl", qn'ila ,Ies"iné en tl'ente années. De (,epuzzle, nous connaissons déjà biendes 1II0rceallX mais ils sont ici réu­nis ~t r~taillés, (Ians I~ ,I~ssein deformer la totalité jamais aperçue.p~u Ù p~u se compose sons nosyeux la géognlphie (l'lin espl'it, linportrait en miroir ,le l'anteur.

\.e portrail est animé d'Ilne pas­sion fon,lamentale, celle (le l'or­.h'p. Taxinomiste forcené, Cailloisaurait pn (Iem~urer nn gnunmai­rien excellent, lin érudil on 111I lo­gicien si une p~tit~ foli~ n'l)\'aitpas penerti SOIl penl'hant il lac1assirication. C'e't que, l'elle pas_sion fie 1'0nJr~, il l'applique il ré­(luire le (Iésonlre. Il l'onsacre son•UlClII· ,les l'atégories à ce 'luiéc!'appe anx catégories el sa logi.que à l'extrav!lgant. Son œuvreesl alors sans resselllhlance. Elleénlql"e la chall"e-solll'is : les ler­ritoires qui attirent Caillois sontceux <lui hantent les visionnail'es,I~s I~Tiques ou les nOl't lII'nesrê,'e, inwi!ination, inconscient,monstnreux ou anormal. Mais sesIIlnyens sont ~mprllntés aux logi­cieus et allx posit i,'istes. De IÙ leton uniuue <le ,.:a pl'()se : IIne voixl'aisounahle pOlir dire lit déraison,l'ne j"resse gm)\'ernée, uue géomé­trie chargée <le jeler ses lacs elses figures sur l'informe et surl 'in(li Hél'encié.

Mendeleïev

Le heau texte sur Men<l~leïev

illustre ccII'" i(lée. On sait que l~

chimiste l'usse s'~st interrogé sllrla mat ii·re. Recensaut les élé­lII~nls; il a déconvel't la règle 'lu iles cOll1nHIIHle et la loi <le lellr SIlC­cession, ~n fonct,ion (I~ lellr masseaillmique. Il a ainsi élahoré, parla seille 10gi(J1re, un tahleau descorps simples. (h, Ù son époqlle,cerlains (le ces C()J'ps étaieut incon­nlls et (ks cases demellntient inoc­cupées SHI' l'échiquier. Menfleleïevn'en ,avait cure. Sa confian(~~ en laIngiqlle était ,intacle ~t Ips annéessllivantes, en effel,' on vit tout~s

les cases dn tahleall l'ecevoir leurslocataires et ces locataires - leséléments lnanqilants - avaientexactement la masse atomique an-nOlicée l'al' MeÎuleleïev. '

V()iIÙ le genre (l'affaire <fui en·

Agate œillée (Uruguay),

('hante Caillois. Il rêve d'un Men.deleïev de la nuit 011 (I~ l'ilTégu­lier. l\e pourrail.on pas étahlir,(Ians <les champs plus incerl.ainsqlle l'ehri de la l'himie, 111I tahleauanalogue (Iont l't-('onomie fixeraitles lois de l'imaginaire, la l'égu­larilé de l'anormal, l'algèbre desténèbres? Projet qui n'est passuns énlqller (:elu i qll~ Baullelaireassil!nait Ù la poési~ - ,'t nlll nes'étollnera que Caillois place Bau­11~laire au pr~mier rang parmi lespoèl~s.

TOlites ces idées nous l'envoientail thème (le la collee! ion. Le heauliHe Slll' l'Ecritllre de,~ J!ierre,~

nons rappelle qne Caillois a desuperhes collect inns cie minéraux.Celle ll1ani~ n'est pas insigni.fiante. On la retrouve (Ialls heall­cnllp (l'esprits <iu premier mériieet l'on pOllrrait se (Iistraire Ù iso­ler, .Ians celle collection que fOl'­ment l'ensemhle des écrivains, lacollect ion plus étl'(lite 'lue con~ti­

tuent les é('I'ivains (,(llJel'lion­neurs : au hasanl, Goethe onRousseau et leurs herbiers, Lévi·Strauss el ses pensées sau\'a~'es,

Jünger et ses coléoptères, Borgeset ses hiblinlhè(Ines, f:aillois et sespie.-res. Et pourquoi ne pas utili­ser celte classe d'écrivains (,ollec­tionnellrs en nIe (le (Iélimiter pillsjustement, pal' le jeu des (lifférell­ces et (les res"emhlailces, le lieuexal'I 0 .. fOll('tiolln~ \.ai 1I0is?

f:hoisissons Jiin~er. Il a destraits communs avec Caillois. Il estégalement fasciné par l'insolite,les insectes, le je,n d'échecs, lecristal ou la gue.-re. Mais lés mê­m~s ohsessiollf sont soumises à fIestrait~ments opposés. Si J'un etl'autre patrouilJel1t. flans les mê-

mes territoires, Caillois ne (:èd",guère il ses fas('inations et "on pro.pos est (le soumettrc l'in('onllu aul'onlll\, J iinger opère an contraire .Il ne se porte aux confins du connuqne pour (~ontempler (Ians unesorle <l'extase, l'innolllmé.

Sur l'autre frontière

Sur l'autre frontière. Borges.Ses (~oJlel'tions sont plus rares,elles rassemhlent (les lin'I's, tlesanimaux imaginai l'es, (les th~olo­

I!ies et ,les gnoi-;es. Comme Cail·lois, Borges est un logicien, maisla (Iifférenœ eRt ra<lil'ale. Cai 1J0isse saisit d'une propoliitiun qui 'Qf~

Cense la logiqlle et il lui passe lelieol de la ra'Ïson: On '(lirai.! fl"tHl

chien de herger qui l1-?aime queles hrebis (Iont h tpte ~sl un peufêlée, mais qui pa~se son t~mp~

Ù leur faire rejoil11lre le troupeap:­Bor~es chemine à l'envers.' Son­honheur est ,le traiter 11I11' formulesimple, inl'ontestahle, et (le la nÜ·

'nel', (le la pervertir pal' la ~l'âce

fl'une 10l-(ique ,plllS rigOllreuse oupl,lIs fine ..(Jne sOl'le (le Zimon,(lé­verl-(0n(lé. Il s'agit tians nn ('as deramenel' la déraison à la logitlue,(Ians l'autre, de faire de la 10giq~le

lin virilS fie la (Iéraison. L'un veut,réfluire le verlige à la l'èrtitu(le.L'autre pal·t (l'une eertiltlfle pourahoutir au vertige.

Il est une antre (Iistinction. Bor­ges est un farceur et un sceptique.Son ironie (Iésespérée ruine toutefoi et tout l'onfort. Il est fascinépar la mélaphysique et la théolo.gie, mais comme il est agnosti(llIe.on conviendra <I"e cet intérêt estplutôl hizarre et assez ludique.Rien de tel chez Caillois, Il ne

La Quinzaine littéraire, du r au 15 mai 1970

Page 4: Quinzaine littéraire 94, mai 1970

~ Caillois, l'arpenteur

quitte jamais son seneux. Sousl'apparente frivolité .Ie ses collec­tions, malgré une légère telHlanceà la préciosité, c'est une interroga­tion grave qu'il exprime.

Tout se passe comme si l'énergiede cette œllvre naissait ,l'ulle pa­ni'l"e. Caillois semMe tel' rOI isé àl'idée du chaos. Pour un rien,pour une distraction, tout l'édificebâti par les hommes risque des'anéantir comme se ,Iévide un tri­cot mal terminé. La longue re­cherche revêt alors un caractè-repathétique car c'aillois se portetoujours au lieu ,Ill plus grandpéril. Il fortifie les frontières, ilcolmate les brèches, il veille auxportes ,le la cité et dès flue les ar­mées des ténèhres font mouve­ment, il intervient pour rpduirel'anolllai ie ou pOllr portel' la lu­mière dans la nuit. Romain hienplus (pIe Grec, il consolide, il civi­lise, il trace des routes et lancedes ponts, il légifère.

Plus proohe de Linnéque de Darwin

Ainsi, cette pensée (l'apl)arenceant i.lristOl'j'l(ue - plus proche ,leLinné IJl1e de Darwin - n'est passans relations intimes avec l'his­toire, Caillois sait que la meuaceest incessante. Il tient que la gra!l­leur de la civilisation et .le l'his­toire (et sans rloute pense-t-il ensecret, rIe l'Occident) est ,l'avoir,iu~ulé, par l'exercice alistère ,lela pensée, les vagues de la lIuit.« La civi/i.~atirm est une cOl/qllêtefragile, proté5{ée seuLement 1'''1'ulle mince épaisseur de verre ; illaut l'our la maintenir une vigi­Innee '111i ne se lais,~e l'a.~, rem pla.cel' par le sentiment que Les avan­tages lentement acquis crm.~tit1lellt

une ,~o,.te d'état lIaturel. Les rn:ms­tres demeurent à l'affût n.

Jamais tramfuille, c'aillois n'est(lonc jamais vraiment satisfait. Ilne lu.i suffit pas que l'universsoit or(lonné et gouverné. Il veutaussi fJlle le monde soit clos etqu'il se nrnge ~u principe .lel'tmité. Pour lui, l'illimité estauss'i infJ1liétant que le désorrIredont il n'est qu'une autre figure.De cette secon,le hantise, d'autresimages renrlent compte : la tahlede Mendeleïev rassnre Caillois enprouv.ant qu'il y a rIe l'orrlre damles choses. Le jeu rl'échecs luisuggère que le monde est égale.ment limité, Qu'enseigne en effetce jeu? Il montre qu'avec une col.

lection réduite ,le pleces, on peutmener ,les I.arties innomhrahles,on peut produire l'illimité. c'etapologue peut se tra,luire ,lans laréalité : on ne doit pas s'alarmerpuce que l'imivers est un lahyrin.the inextricahle. Le jeu ,l'échecsnous apprend que celle p,'ofusiondécourageante ries formes n'est envérité qne la combinaison rIe quel.'lues éléments simples et limités.Si l'on sait .léchiHrer la syntaxedu mon.le, on s'apen;oit que ledédale ,les phénomènes recouvreen rpalité une structure simple etclose, dont seule la fér'olHlité com­bin<!toire est infinie. Ainsi, commevingt-q.uatre leures forment l'lesbiLliothèques sans fin. quel(luesfigures élémentaires (Iohnent nais.sance à l'enchevêtrement rIes for·mes.

Une métho.le, celle de la ,~ciellce

diu,'!ulwle. ,-a fournir lin contenudémonstratif à l'nsa!!e ,le l'échi­quie~, Qn'est-ce que fa science ,Iia­gonale? C.aillois propose ,l'éclai­rer l'nn par l'antre deux champsque la tra,lition scientifique séepare. Il ccmpare les dessins rIespierres avec ceux ries peintres, oubien les arabesques des papillonsavec les emblèmes ,les civilisationsarchaÏfrues. Ainsi parvient. il à ,Ié­sensevelir, sous It's classes onlinai­l'es .le la eonnaissance, des classesinaperçues (Jont le 1)I'emier méritet'st d'énoncer l'unité de champsséparés. Toute l'œnvre de Cailloisest ainsi constellée (le carrefoursoù se prodnisent de hizarres ren­contres: l'inanimé avec le vivant,le minéral avec le végétal, la chi­mie avec le rêve, l'animal avecl'humain.

On a pa1'fois l'epToehé à unetelle méthode son anthropomor.phisme.", C'est le eontraire qn'ilfa,mlrait dire. Ce que c'aillois mon·tre, c'est que J'homme fait p,artierIe l'univers animal, même miné­ral - et 'IU'il ne s'en r1isÜnf!;neque par la raison. c'elle premièreleçon est simple. II en est uneautre, plus l'Ure. La science diago.na'e enseif!;ne ceei : il arrive lJue,leux formules homolo~ues, rlanscette com hinatoire qne constituel'univers, apl)araissent en l'leuxpoints très floignés l'lm de l'autreet en ries champs tenus pour iso·lés. Par exemple, une premièrefois ,Ians le poisson hippocampe,une ,Ieuxième fois ,lans le chevalrlu jeu d'pchecs (et Caillois estconvaincu qu'entre les fIeux for·mes il n'y a pas influence mais

coïncidence). Autre exemple: lemême .lessin pl'écis et complexeorne à la fois le ,-entre ,J'une arai.gnée de Flori,le et le masque ,lesllivinités mexicaines. De telles l'en.('ontres ra"issent c'aillois. Elles lui,lisent (Ine ,lans l'embrouillamini'-erti~ineux .Ie "l1ni,-ers, les com­binaisons possibles ne sont pas illi­mitées puisqu'il a Lien fallu utili·sel' certaines de ces comhinaisonsà deux reprises. Le mOlllle n'estpas seulement onlonné. Il est fini.

Une tension austère

c'es hantises que nous avons es­sayé de dire commandent un cer­tain stvle, ,J'ailleurs aclmirahle.Rien ,I~ vague et rien d'inutile.Une tension austère. Le poète estcelui 'lui nomme, le f!;arrlien desmots, clonc ,le la réalité que lesmots découpent et ('ont rôlent.L'ér'riture ,le Caillois fuit aussihien les images et le flou ,le lapoésie insllirée que les hl'umesdont s'enveloppent à h fois laphilosophie et celle littératurecontemporaine ,Iont Ca:llois nefait pas gran,1 ('as. Style .le cristalet .le métal, il tran..tH~, il taille,il définit, il indse, il polit et ilgouverne. Ses mOllèles sont à cher.('her du côté de Montesquieu,mienx encore chez Tac:re : 10111­gne (Iure et sans havnre, parfaite,elle étincelle d'une poésie sèche et,le l'espèce rIe crépitement électri.rlue qui montre que le courantn'est jamais cOl!rt·cin~uité par an­cnn désorrlre. Langue (Iont onpourrait r1ire ce que- c'aillois ,lit(le eelle .le Taeite : faite pour lemarbre et le hronze, pour l'im­muahle par l'immuable.

Cette attirance pour le métal oupOUl' le minéral pose une autrequestion. Une lente ,1érive semhlecOIHluil'e Caillois vers l'les pays.:!­~es de plus en plus austères, Il acommencé par étlHlier les hom­mes, leurs sociétés, leurs reli~ions,

leurs guerres. Puis il a accordéune place croissante au monde ani.mal, celui des insectps. Enfin,lapassion des pierres, si elle est an·cienne, tend à ,Ievenir envahis.sante. Cioran, qui a noté dansc'ai\lois cette fascination du miné.l'al, y lit I.a hantise rIes commence·ments. c"est exact, mais encorefaut·il préciser : la pierre qui séeduit Caillois n'est pas tout à faitcelle rIes commencements. Elle nedurcit qu'après le maf!;ma, aprèsl'inrli(férencié (les vrais commen­cements. Elle marque plutôt la fin

,lu ehaos, la prenllere signaturelisible du monde et son é,'ritlll-eori;.::inelle. Elle propose ,Iéjil, clanssa perfectinn et ,Ians snn étel'll ité,la première éilalJ('he ,le ('elle 01'·,Iollnanee ,lont 1,ll1s tarcl la 10gi'luedes hommes étendra la sou"enli.neté à la totalité de la ,'réation.

Ce système dont on peut ,Ié(,hif­frer les linéaments il tnn"ers lesmoreeaux é,'latés proposés aujollr.,J'hui est d'une arehiteclure assezmajestueuse. Cet énivain s'est as·signé la mission ,l'être m:linte­neur, (·ivilisatellr. {Tn eonsel'\ateurau sens le pIns nohle ,lu mot. Est·il pel'mis eepelulant ,le mal'quer11I1 regl'et et ,le se demalHler siles ('ontraintes (11lïl s'est imposéesne sont l'as t roI' sévèœs ? Le stylemême de Caillois souffre parfois,l'un exeès de contrôle. Un riencl'incertitlHle jetterait des éclatsplus lointains .Jans ('es heaux l'ris.taux oÙ l'on a~'lIerait que passentnon seulement ,le dures clartés,mais aussi les reflets ,les hrouil·lar,ls et ,les spectres.

~ous aimons il croire (l'le c'ail­lois est conscient de ces ehoses,(fUel'l'les allusions glissantes lesU/-l~èrent. Et son gOIÎt .le 1'0r,Ire,sa passion rIes hiérarchies ne vontpas sans quelqne ptran1!eté. Carenfin, ,le lllPme que le hlltisseur,le ponts ,Ians la cité antique,passe pour Facri lège et entretient(Iuelque ar'cointance avec le malet les ténèbres, cet écrivain quis'acharne pal' le moyen ,les scien­ees ,lial-(ona les, à jeter des pontsentre les règnes, il rassemhlerl'inanimé et le vivant, "animal etl'homme, est aussi un homme riela trans~ression. A force rIe fabri­quer Iles chimères, ne hrouille.t·ilpas cet ordre (lu monde auquel ilfait révérence? Un nécromant sediFsinll1le sous le législateur.

c,'est pourquoi il est licite d'eu­1f'nIIre sous cette helle l'rose molli­trisée les échos et les rnmeurs ciela mer des ténèhres. Ces tenta­t ions, ces invites (lu délire et del'ivresse ont toujours été conte.nues, jusqu'ici, denière les ,Ii/-lueset les fortifications rlont c'ailloisa encerclé l'inconnu. Le livl'e qu'ilpublie aujourd'hui est un livred'arpenteur, il recense les forte.l'esses qn 'il a installées aux avant·postes. On voudrait imaf!;iner quec'est r1ans l'intention informuléede s'abandonner, un jour, aux dé.1ires dont ce livre dit en dépit delui.même, les fascinations.

Gilles Lapouge

Page 5: Quinzaine littéraire 94, mai 1970

L'entploi des signesPar symi-trie, c"e line eÎJt pu,,'apl,clel' POlir le JapolI, puis.CIIlC le Jilpon, en tant qu'œu"reet i-c'riture ;.dohale, y jOlie pourRol"'lIl Barthes· rriti'l"e lemênu- rôle 'lue na~l1ère l'œu,,recJe Rac'ille .Ian!' POLIr Racilll',c~onstitue la même sollil'itat ion(.. l'lare "ide mais éternellementofferte a la si;.:nifil"ation ll).l'une semhlahle lel'tllre rréa.tril'e.

1Roland BarthesL'em pire dl!.~ signe,~

Skira, éd., 150 p,

Mais sans cloute ce titre est-ilmeilleur ilont le premier mot estconllne la métaphore de la néces·llaire ledure plurielle et indiquecl'emhlée au moins trois ré;.:ionsoit se déploie le texte : l'empirf,(.Iu !'oleil levant) ainsi ronnotép·arce <lue le Japon est visé horsréférence à la révolution indus­trielle ; le .Iomain~ et la puis!'anceIles si;.:nes clans sa totalité ; et en­core l'empire au sens raciniend'ascendant, d'une clominationpas:,ionne!le exercée par une l'er­t:!ine incarnation Iles si;.:nes.

Dès le lIépart, Barthes l'rellllsain Il'avertir <IU'il refuse fa situa.tion touristique ou ethnologique.Il s'a~ira Il'un pays imarinaire :prélever un cel'tain nomhre IJetraits (( et de ('e,~ truit,~ former dé­libi>rémeTlt III' sntème. C' e.~t re,~ystème que j'~,}pellerni le ./a.Imn '1. Dès lors le voil:i lihre Ilechoisir dans cet IInivers oit l'em­prise des signifiants est telle quel'opac·ité cie la lan;.:ue n'est qu'unmoyen sllpplémentail'e de s'yahandonner. r.es traits seront Iloncle T/'p~I,~, l'OlllpO!'é, créé comme lUI

tableau (l'a,;"embla~e, par touche!'de la hal!uette, qui, cI"êtant sur leplatelnl • palelle, montre, trans­porte, refait, écrit; la villc' Ol'l'absence d'adresse écrite con·traint à la cl'éation Ile traces; lepoème, intelli;!ihle, mais qui neveut rien dil'e, simple adéquationIl'un événement bref. à sa justeforme; le visage (. sans hiérar­chie morale Il où la paupière des·sine l'ouverture du vide, L'attraitcie ces si;.:nes vivants est à' chaquefois si intense qne le système sem.hie n'affleurer que IUlr ac·.·illent :le centre vide Ile la ville l'envoyantà celui clu paquet qui se Ilét;loieautour d'un presque rien, celui Ilupaljuet à celui clu poème ou clu

('orp,~ «(( grancle em'el0l'pe ,ide Ilela parole ll), dans la circularitéméthodolo;!ÏC/ue exemplaire .11'l'anthroplllo~ie strllcturale. Brcf,la situation présente du lan;.:a;.:e,.Iu sens et ..Ir' l'prriture pOlir la1'l~f1exion oceillentale ouvre sou·(Iain le Japon II un déchiffrementpo!'sihle, hors la tra.litionnelle ethavarlle projection .Ie nos proprescatp~ories : la Icrture .Ie Barthesspmi,le bien à ce jour inpl!alpe.

Mais elle n'est pas une fin ensoi. r.e .Iéchiffrement qui est unetechnicfl,e cIe clépaysement, lemoven .l'un éhranlement, cI'unl( r~l1versement cles anciennes leI"tlnes )1, cie la saisie cI'une diffé·rence, renvoie en abyme le systèmede l'Occident. En lisant le Japon,11ans un Ilouhle jeu cie miroirs,nous nous lisons nous-mêmes etnous·mêmes le lisant. Le repas ja.ponais nous renvoie l'ima;re du re·pas' occiclental fi~é autour ducentre (fui l'orflonne, le palaisroyal, omhilic fantomatique de lacité à nos centre-villes redondants,Ips corps écritures à nos corpsphysiolo~dCfues.Nous sommes ceuxpour qui existe une substance cIel'aliment, lin si;.:nifié clu silence oudu poème, une âme dans le corpsau nom Ile laquelle nous échappel'intelli;.:ihilité cie la politesse ja­ponaise 0\1 (( le salut peut êtresO/lstrait à toute humiliation,il tO!lte vanité parce qu'à ICI lettreil ne sf/lue personne ll. Ainsi, dansce miroir étranl!er nous apparaîtl'étran!!eté Ile nos structures oil leplein et le vi.le, l'intérieur et l'ex­térieur, le dehors et le dedansc'onstituent le thpâtre .Iu sens et.Iu non-sens.

Bnthes écrit clans Critique c'tVérité (lUe l( la vél'itahlf' (1 cl'i­ti'iue Il .les institutions et des lail­l!a~!es ne consi-te pas à les (( ln­;rer II mais à les di.,:tillf{uer, II lessr'puT/'r, à les dédoubler )1. r.e quif"t fait pour le Japon: il s'a;rissait.11' .Iévoiler la Jlossibilité cl'un~

.Iifrérence .Illns la propriété clessystèmes symboliques, « la fissure~êl11e du symholique 1). Mais no·tre évocation !Iura laissé entelulreque contrairement au préceptecité, cette éc1'Îture cie l'Orient estelle-même orientée, traverséell'une préférence, ll'un jugementà tout le moins esthétique, sinonéthique, et même clavanta;re. Et,tout naturellement, la question ­verti;rineuse - se pose à chaqueinstant : la voie ne nous est-ellepas historiquement ouverte quimène cie l'empire cles mots à celui

Ites signes, n'est-ce point aux pay·sages évoqués par Barthes qllemène la (1 cléconstruction Ilu lo;ro.centrisme II invoquée par J acqllesDerrilla ?

On pourrait en lire la marquedans les eHorts d'une certaine pein.ture actuelle mais, de façon pluséclatante dans l'œuvre de Matisse,progressive déconstruction, fête designes d'autant mieux déscnglués desens que plus parfaitemcnt limpi­des. Pourtant, Barthes tente demasquer sa préférence et fliffèretoute réponse par quelques phra­!les anodines, et même un peu tri·vi,ales, semblahles à des lapsus vo.lontain's. Ainsi il relè;.:ue clansl'omhre Je Japon industriel etaC'c~uItnralisé et surtont, il note llUhas d'une pa;.:e, en commentaireIIe5 photo;.:raphies de cieux jellneschantenrs à la mocle : (( Le laponl'III rI' clans la mue occidentale: illJf'rd ses signe's, comme on pc'rd se,~

c!WVI>UX, S('S dents, sa peau; ilpassc~ dl~ la signification (vid(~) àla communication (de masse). »On serait tenté de réponclrequ'après tout la fissuration clusymbolique pourrait bien être lafaçon .Iont le Japon (industrialisé)risque aujourd'hui de conquérirl'empire du monde.

Mais on pent aussi lire cefteaffirmatiou réaliste comme uneformule ma~ique : déclarer à tra·vers elle que l'empire des signesest à jamais différé et différent,que le la/mn fut une métaphoreofferte à Barthes par le dieu desvoyageurs, n'est-ce pas conjurer le

vertige du vicie Ilui monte .Iel'Empire fIes signes?

Car ce livre merveilleux est sansdoute celui oil Barthes s'est,"'ancé le plus loin flans son in.terrogation cie J'écritlll'e, oit le sys·tème peut enfin s'étoiler hors detoute systématique, Bartheséchappe ici à l'âcreté Iles écritspolémiques, à la pesanteur desécrits théoriques où la rè~le corn·mamIe cie laisser apparentes lescontnres (cl'analyser cles cas lIé·monstratifs, de forger un lexique).La collection cie Gaétan Picon pla.cée sons le si;.:ne .Ie l'hnmenr luipermettait une liberté jamais re·trouvée depuis Sur Racine', LaC'omposition p,ar touches (1), pardéroulement de notes sans hiérar·chie ni centre (on I>eut le commen·cer par les Baguettes, le Visageécrit, les Courbettes ou l'Effractioncll/. se.m), au ;':l'é de mots simplesqui ne visent apparemment an·eune profondeur, clonnent à !la ,'Ié·marche la mohilité, la préci!lion,la lé1-!f.reté et le bonheur re!rarclésclans les :restes qui si~nent le Ja.pon. Mais la séclndion rIe l'Em·pire des signes tient pent.êtreavant tout au fait que ce livre estle si~ne cI'un empire - au sen.sracinien - d'un pouvoir passion.nel, daté et localisé, d'un ravisse·ment à l'occident.

Françoise Choay

1. A quoi conlribue également - etde façon aulonome - l'image, remar·qu~blement mise en page.

La Quinzaine liUéraire, du 1- au 15 mai 1970 5

Page 6: Quinzaine littéraire 94, mai 1970

COBBIIS.

PONDANCIIS

Fa··ulkner, "'".. ",'

Par Maurice·Edgar CoindreauLe jour où. en 1946, ayant

feuilleté le Portable Faulknerde Malcolm Cowley, mes yeuxtombèrent sur la phrase sui­vante: «Dans les parties lesplus reculées du Mississippi,on dit parfois d'une femmeenceinte, mais plus souventd'une jument ou d'une vache:elle sera légère en août ou enseptembre", phrase où Wil­liam Faulkner aurait trouvé,d'après Cowley, son titre Lightin August, je sus qu'il ne fal­lait p<;ls attendre de ce critiquedes jugements littéraires trèspénétrants.

1Malcolm Cowley,William FaulknerCorrespondance 1944-1962Gallimard, éd., 216 p.

On ne pouvait même pas luidonner le Lénéfice de la nouveautécar, dans le New York HeraldTribune du 12 mars 1933, IsaLelPatterson, qui tenait la rubriqueTurn ,âth a bookrvorm dans cejournal, écrivait les lil!nes sui­vantes: « A propos, le bruit courtque Ben IV(/'s.~on a aimé tou t par­ticulièrement le titre d!1 nollt'eauroman de Blair Nile.~_ Li!!htAl!ain, parce qu'il amit tro;"'éau.~.\i que Light in Au/-(ust, deIFillian! Faul/mer était Ul/ titremerveilleux. C'est pm.~ible, maisévidemment Ben IVaxmn ne com­prend pa.~ ce que le titre deW. Falll1.:ner signifie, all.~.~i nou.\cr()yon.~-nous obligés de révélerqll'il ne .~'a{{it nullement d'illll­minfltio)l; "liv,ht" veut dire lecontraire de "heavy" et Ben feraitsagement de jeter lin coup d'œilsur l' hi.~toire d'Angleterre ju.\­((Il' il ce qu'il apprenne ce ((l/(' lareine Elizabeth dit qlland l'lie sutqlle la reine Mary venait dedonner un héritier au trôned' Eco.\.~e. 1)

Isabel Patterson était une fem­me de beaucoup d'esprit et quitenait à ce que personne ne l'igno­re, mais eHe me joua le vilaintour .Je mourir sans me .Jonnerle temps IJe lui .Jeman.ler cequ'avait .Jit Ja reine ElizaLeth. Etje crains b;en de ne jamais lesamir. En 193ï, étant allé pas­ser plusieurs jonrs chez WilliamFaulkner, en Californie, .ie luillosai la question. Il sourit, .lit :"It's "l'r:,<' funny" et me confirma

que .t'avais eu ra]~on fIe (lonner àson livre le titre de Lumièrl'fl',Joût car il s'al!issait Lien d'unelumière qu~, Lien plus tard, ild':crira en détail au cours fIe sesentretiens avec les étudiants IIp­l'['niversité de Virl!inie que trou­blaient un peu les vaches .Ie Ml';Cowley.

Plus I!rave, ,Ians ce Portnblf,Faul/mer, était la mutilation desPalmiers sauvages, roman double,écrit, comme Faulkner l'a dit etr~t!il, en mauière de hll!ue auxthèmes savamment imhriqués.':X'en puhlierqu 'une partie étaitune mons! ruosité.

j'Oln'ris 110nc cel te correS'lon­Ilance avec une c~rtaine n\l~fjdnce.Dès les commentaires ,lu déLut jet)'011\' ai Iles inexact it u,les en cequi concerne les déLuts tle Faulk­Iler en France. Il est Hai queMalcolm Cowley n'a jamais étét l'ès Lien informé Ile ce qui sepassait dans notre pays en matièrelittéraire. Quanll, une année, à lacleman,le de Gaston Gallimarllj'écrivis à Ilivers cl'itiques amé­ricains pour leur demaluler ,le sejoinflre à nous pour renllre hom,ma~e, en quelques lignes, à sap,restil!ieuse maison qui av'ait tantfait ponr les lettres contemJlorai­nes, Malcolm Cowlev fut le seulà refuser en des ter;nes qui, tra-

fluits litt':ral~mpnt en {rançai.;,donneraipnt : « Je me f01l,\ rovale­ment de la N.H.F. '/ui, il TIIacoftnai.\.\ance. n'a .;amai.\ rien faitpour les lettre.\ américaines. ) .l~

lui envoyai alors le calalo:me enlui exprimant mes rel!rets ,I~ n'ypas voir fil!urer ses propres œu­vres, et je reçus qu~lques mol sIl'excuse.

Donc, tluancl il'eti vient au lan­l'pment Ile Faulklier en FraICI'e, ildil simplement : il y eut le roman­I·ier AlHlré Malraux. Il ne sait pasque Valery Larbaud, avant queparaisse la préfat'e qu'Alulr': Mal­raux écrivit pour Sanctuaire en19:n ~vait puLlié dans CommerceXXIX: Vile Uo.~e fJOur Emilie(hiv'er 19:~:n, que la même année,la :X.R.F. avait puLlié Septembreardellt en suite à un art ide fluej'avais Ilonné il la même revue leP juin 19:H, que la préfat'e IleLarLaud pour TflIuli.~ qUI' rago­"Ùe avait été écl'ite avant la pré­fa(,e Ile Sanctuaire, comme en té­moi~ne le dernier paral!raphe:« 11 faut .mullaiter que le .mccè.~

obtenu en f)(/,:'<'s de languf' frwl­çaise par cettel:er.~ioll de As 1lay Ilyinl! l'ngage ['éditeur il pu­blier une l'er.~Îfm de Sanctuary. »

Or, il alhint que RaimLaultavant terminé cette ve'rsion et An­d~é Malraux sa préface, les deux

ouvral!es se trouvèrent ~n lil!lW~n mt-me t~mps pour la cours~

final~. Pour ,I~s raisons commer­ciales, .il" crois, Pt trios sal!~s durpste, Sanctuaire prit le d':partI~ premi~r ~t Talldi,\ I/ue .ïa!{onisesuivit de quelques mois. ValeryLarLaud, quand il insèra sa prè­faeP. dans Ce Vicl' impulli la lec­ture supprima le derni~r para­I!raphe Ilui n'avait plus sa raisond'ptre. Il est donc exact que lal'n''face d'Andrè Malraux lançaFaulkner en France, mais c'estValery Larbaud qui lui avait faitfranchir l'ocf'an. Malcolm Cowl~y

il!nore tout cela, mais Faulknerne l'il!norait pas el 111'~n sut tou­jours gré.

.J'aurais aimé trouver à la lec­ture de cette corr~spondanc~ l'oc­casion Ile Ilonner à Malcolm Cow­ley sinon le taLleau d'honneur,tout au moins un Lon point. Or ilm'a paru sinl!ulièrement rapetisséalors que William' Faulkn~r ensortait mal!nifi quenlent I!ramlî.Ses, lettres sont admiraLles parIp-ur dil!nit':, leur simplicitc\ leurcalme, leur dés;r de n~ pas cOIn­"licIup-r les chosp-s inutil~IIJent,

lettres de I!rand seil!nellr prêt àtout accepter sauf Ile trallsilferavec' ses principes. Le ton en ehan­I!e pro!!ressivement. Le ~7 o!'to­bre 19.:\.5, (Jour 1lP- citerfJue cetexemple, quand Malcolm Cowleylui a!)preIHI qu'il a chanl!é( 41uhomme n eil l( l'homme» il accep­te ave(~ résil!nation celle ahsurf!eeorrection de pet-de-loup en expli­quant toutefois à son correspon­dant pourquoi il avait, à dessein,pris cette IiLerté avec la I!ram­maire française, (( de l'homme »ne pouvant pas l0l!iquelllent setransformer en Doom.

I.es choses se I!â!eront plus tarll,quand, eélèLre en Europe, et sur­tout après le prix ~oLel, Faulknersera devenu une ri(~he matièrepour la puhlicité. On le harcèlealors de toute parI. Malcolin Cow­ley s'al!ite, Il va même jusqu'àporter Iles jUl!ements littérairelt.Le l:r février 194·6, il donne desconseils a RoLert Linscott quiavait eu l'e:oœellente idée de pu­Llier en un volume, dan::l la Mo­llem Library, le Brllit et la Fu­reur et Taluli.\ que j'agoni.~e. « JecOTltinue à m.' dem.ander, éerit­il, si le choix Ifue l'OU.~ faite.~ d"roman destiné à relancer Failli..·ner .\lIr le marché littéraire estheureux. jl1e.~ doute.\ viennent des

Page 7: Quinzaine littéraire 94, mai 1970

le nloraliste

'57 ILLUSTRATIONS

Vient de paraître

Il a été tiré à part1000 exemplaires numérotés

reliés pleine peau

Jean Starobinski

Portrait de l'artisteen saltimbanque

Dans toutes librairiesVolume broché 16,5 x 21,5 cm .couverture acétatée. F 35.-

.J e me permellrai de suggérerque, dans les éditions futures decette correspon,lance, on suppri.me .lIes fautes de français, qui nesoni peut-i-tre que des fautes d'im­pression, que l'on ne transformepas la Paris Reviel(; en Rqvue ·dePari,~ et que l'on rende leur ~exeà ,Jeux femmes de lettres qui, l'o·mancières, se voient. appeléesromanciers. C'est. un détail maisqui a tout de même son impor.tance.

Pa!!es admirables et pathéti­ques. Sans emphase ni gran,lilo­quence. La révolte de l'hommetraqué, de l'homme qui écrivaità. son tortionnaire (bien inten­tionné, mais tortionnaire tout demême) 'lu ~il 'aurait voulu, sic'eÎlt été possible, ne pas si!!nNses livres eomme certains auteursélizabethains et qu'on bornât sabio!!raphie à ces simples mots :« Il écrivit ses livres et il mOIl'

rut. Il (leltre ,lu Il février 1949)

Il faut lire celle correspondan­ce. On en trouvera rarement,l'aussi digne et d'aussi pathéti­que. William Faulkner le roman·cier devient Faulkner le mora·liste et y trace le plus beau POl'·trait que je connaisse de ce qu'auGrand SièeJe on appelait un hon­ni-te homme.

ce trat'ail sans L'otre assentimentet ,;e pensais (lue vous devriez lesavoir. Il (p. 153) L'artide paruten cIeux numéros, 5 et 12 odobre195:1. Quand, lors ,l'un séjour àNew York, Faulkner se trouvaen face ,le Robert Cou~hlan quilui dem:mda ce 'lu 'il pensait deson article, il répondit comme ilavait répondu à Malcolm Cowleyaprès l'article sur Hemin!!way:« Je ne l'ai pa,~ lu, mai,~ ,;e ,missûr Iju'il est bien» (p. 154). Oncroirait entendre le colonel SaI"toris s'adressant à des Snope5.Parfois un beau chien de race sevoit suivi d'une troupe Ile petitsroquets aboyeurs qui cherchent àlui voler son os. J'en ai connu unqui, au bout ,le quelques minutes,perdait patielll:e, 'levait la patte etles asper!!eait. Après quoi, il leurdonnait un bon coup de ,lents.Ce coup de dents, Faulkner finitpar le donner, et ce fut le magni.fique article qui parut en 1955dans Harper's Magazine sous letitre On Privacy. Sachons !!ré àMalcolm Cowlev ,J'en avoir inclusune partie dan~ son livre. Il nousdevait bien cela.

questions que je me pose moi·même sur As 1 lay dyin~. Là, jene suis pas d'accord avec Faulk·ner et je ne le considère pas com·me un de ,~es nwilleurs romans.Trop de sauts continuels d'un ét.atd'â.me à lin autre. Pa,~ assez decontraste avec The Sound and theFury, les deux romans étant. desromans psychologiqlles. II

Les bras en tombent quand onlit de semblahles insanités. Lemarché littéraire ! Il ne sera plusguestion ,l'autre chose dans leslettres de Cowlev et cela amt-neraFaulkner à cha;"!!er de ton et à,lire non et non à tout effort deses tortionnaires de le tran~for·

mer en produit Ile consommationet en objet ,le publi,·ité. MalcolmCowley a une excuse. Il avaitbeaucoup fréquenlé Hemin!!wayet son optique' était faussée; ilavait pris de mauvaises habitu·des et n'était jamais parvenu àcompren,Ire que les lieux hom­mes ne se ressemblaient en rien.Il en était mi-me si loin qu'il pro·posa à Faulkner ,l'écrire un arti­cle sur lui, comme il en avait écritun sur le m'as-tu-vu chas5eur de!!rosses bi-tes. Faulkner naturelle·!nent dit non, ou, plus exaete·ment, il essava : (( re.~saie de direNON, mai,~ ~n dix pages de motspol.v.~yllabil/lles, parce que maconscience, mon cœllr, mes goûtset tOllt le fon:d de gratitllde 'I"eje peux en('ore at'oir, m'empê.chentd'écrire ce mot. simple etrapide. » (p, J.t3) Cowley ne luienvoya pas moins son article, d'oÙla répons!' : (( J'ai vu l'otre arti·cle .mr lIemillgll'ay. Je ne l'ai paslu, mai,~ ,;e ,mis qu'il est bon, sansqlloi l'I)//,~ ne l'ail riez pas signé.Et pOlir cettl' rai.~on jl' suis certainqu'IIemingll'ay pense IIU' il pstbon et .i' e,~père qu'il en tirera pro·fit, si tant l',~t qu'un brave homoml', un arti.~tl' pui,~se at'oir be,~oin

dl' tirer profit de quoi que CI' soit.tHais ';1' sui,~ l'Iicorl' plus convaincu(l't résolu) illl(' jamai;~ lJue celan'l'st pa.~ pour moi. JI" protest(>·rai jll,~qu'au·bollt... )) (p. 147)

Mais Malcolm Cowley était plusenti-té que ces mules que Faulkneraimait tant et sur lesquelles ilécrivit de si belles pa!!es.N'ayant

, pas réussi, il tenta de lancer dansl'arène un rédacteur dé Lifl', Ro·bert Cou'!!hlan, et il va jusqu'à.proférer des mf\naces; affirmantà Faulkner que, s'il n'àccepte·pasl'article ·,JeCou!!hlan, Lifl> « trou·vI'ra··queiqu'un·d'autrl' pour faire

. La Quinzaine liuéraire, du 1" au 15 mai 1970

Page 8: Quinzaine littéraire 94, mai 1970

ROMANS

ÉTRANGERS

Une cruauté•sans concession Kataïe'v

c'est dur. C'est cynique.C'est même d'une cruautésans concession. Pas la moin­dre tendresse. C'est un uni­vers d'où tout sentiment adisparu. C'est plein de bruit- un véritable tintamarre ­mais il n'y a pas la moindrefureur : la fureur exige unminimum de passion, doncd'humanité. Or ce roman estun perpétuel ricanement si·nistre. Mais les éclats de cericanement suffisent à faired'Irvin Faust l'un des écri·vains les plus impression­nants qui nous soient venusdes Etats-Unis depuis dix ans.

1Irvin Faust

'UAciaigleTrad. de l'américainpar André Simon.Gallimard éd., 245 p.

Le premier ouvrage de l'auteur:Hardi les lions! publié il y a troisans, était un recueil de nouvellessur divers personnages exemplai­res de la société américaine. C'étaitbien fait, ironique et cruel maisavec un, soupçon de tendresse quitempérait l'acuité de la vision. Letalent était là, mais on peut lirechaque année dans Esquire et dansle Saturday Evening Post - où cesrécits avaient d'ailleurs paru ­des nouvelles d'égale qualité. Rienne laissait prévoir ce roman impi­toyable qui dépasse de loin la ·so­ciété américaine même si c'est cettedernière qui est la première cible.

Irvin Faust part d'un événe­ment contingent : le refus de Ken·nedy de céder à la menace deKrouchtchev sur Cuba. La psychosede panique décrite dans le romanest évidemment exagérée et invrai·semblable, mais elle appartient ausystème d'outrance voulue par l'é­crivain et elle revient comme unesorte, de leitmotiv concret à traversles multiples débordements du hé­l'os. Ce dernier est juif, professeurde littérature anglaise, marié, homome tranquille et sans histoire, sesphantasmes et ses désirs secrets de­meurant toujours jugulés par lecadre de sa vie policée.

L'événement historique sert decatalyseur : la fin du monde étantattendue, il décide de vivre sa vie.C'est là où apparaît l'habileté deFaust. Dans le roman de Karleja :Je ne joue plus, le héros aussi dé·

8

cidc d'aller au-delà de ses habitu­dcs de vie et il se met à dire touthaut ce qu'il pense et ce que tout len'0nde pense tout bas. Faust agitdifféremment : le héros veut sim­plement mettre en pratique le seulidéal qu'on lui a enseigné et vivreau rythme de ses mythes. Quelssont ces mythes? Le base-ball, lecinéma, la bande dessinée, la publiocité, la démocratie, le sexe, la fa·mille et l'Amérique une et indivi­sible.

Une randonnéepassionnante

Dans sa classe, il commence afaire l'éloge d'un champion debase-bail (et le conformisme de sesétudiants est tel que cet éloge estconsidéré comme la définition au·dacieuse' du héros élisabéthain), ilinsulte son chef de service et culbu·te la plus prude de ses collègues, la­quelle découvre soudain son véri­table tempérament. Mais ce n'estqu'un début : tout se situe encoreà l'intérieur du roman réaliste, mê­me s'il est traité sur le mode burles·que. Alors il prend l'avion et com'mence une randonnée invraisem­blable et passionnante où le présentest envahi par le passé, où le hérosincarne tour à tour les mille et unpersonnages qu'on lui a appris àaimer et à considérer comme exem·plaires. Le discours devient un mé·lange de vaudeville et de culturesubtile, l'itinéraire du héros devientune suite de catastrophes qui lelaissent pantois, et il n'a plusqu'une se~le ressource : le relourau foyer et au collège désertés.

Ccst, on ra deviné, totalementdésespéré. L'homme qui s'échappedu conformisme de l'American Wayof Life n'a qu'une issue : se plon­ger dans les mythes qu'on lui a en­seignés parce qu'il n'en connaît pasd'autres. Or, ces mvthes sont lesproduits de ce confoimisme : le ré­sultat ne peut être que désastreux.Quoi qu'il fasse, l'homme est prisau piège. Toute velléité de révoltese termine comme la menace rieKrouchtchev sur Cuba, par une di·lution de l'événement dans letemps. Le pire événement du mon­de n'est jamais qu'une péripétiesans importance : tout le reste estfabrication de mythes.

Une rigueur d'écriture

Cette destruction de toutes lesvaleurs ne va pas sans un boule­versement du langage, mais Faustest logique : de même que le mon­de ne peut être détruit par l'hommcsans' risque d'un isolement morteLle langage ne peut être lui non plusdétruit totalement. C'est à l'inté­rieur des structures qu'il va éroderle langage. C'est pendant deux centspages un feu d'artifices où brilleune écriture elliptique,prgotiquc,volontiers précieuse, pleine de rac­courcis qui sont autant de trou­vailles. Faust fl\it feu de t0ut bois :il utilise les titres de films (cer­tains connus seulement des spécia.listes), les scénarios, les dialoguesdes bulles de bandes dessinées, lesslogans publicitaires.

Je sais bien que ce roman peutprofondément irriter : Irvin Faustva, en effet, jusqu'au bout de sonpropos, c'est-à-dire jusqu'au mau­vais goût. J'ai écrit tout à l'heurele mot cynique. Faust l'est sansapprêt. On songe aux films de Jean­Pierre Moeky ou de Marco Ferreriqui ravissent les uns et font hurlerles autres. Ce qui donne plus depoids à ce cynisme, c'est qu'il estsoutenu par une rigueur d'écritureque n'ont pas toujours les cinéastesprécités.

Jusqu'à présent, le nom d'IrvinFaust n'a pas encore été inscrit surles tablettes des spécialistes de lit·terature américaine. C'est pourtantun écrivain de plus à ajouter à cet­te é~ole juive qui a fait couler tantd'encre. Irvin Faust s'inscrit dansles tout premiers rangs. Personnel­lement, je n'hésite pas à le mettreen tête.

Jean Wagner

1Valentin KataïevLe puits sacréTrad. du russepar Lily DenisGallimard, éd., 166 p.

A plus de soixante-dix ans, Va­lentin Kataïev se retrouve sur unetable d'opération. On lui adminis­tre . des anesthésiques et lé voilàse promenant en Géorgie, rencon­trant Ossip Mandelstamm. effec­tuant un voyage aux Etats-Unis à larecherche de la l( vraie Amérique ll,

introuvable d'ailleurs. Heureuxpays où les anesthésiques produi­sent de tels effets ...

En fait, il s'agit d'abord d'unechronique qui se veut eriti<lue.L'U.R.S.S. fait l'objet d'une ironieassez mordante : le chat parlantmeurt au cours de son dressagependant la Révolution, car il n'apas réussi à prononcer le mot « néo·colonialisme ll, le cc guide » officiel,cupide, lèche-bolles nous rappellece que l'on savait déjà : tous lesrégimes ont leurs profiteurs.

En revanche, rien de plusconventionnel que la satire desU.S.A. : le fric, le problème noir,les maisons mortuaires. Tout a étédit, redit sur cc thème. Curieùse·ment, Kataïev est muet sur la dro·gue : le sujet serait·il tabou enU.R.S.S. ?

Une méditationsur le temps

Mais on aimera quelques bon­heurs d'écriture, la descriptionamoureuse des paysages et de lavie simple de Géorgie. On sera sen·sible à la méditation poétique surle temps qui, tel l'anneau de Moe­bius, se tord, se distord, se resserre,se ferme sur lui,même, perd parfoistoute réalité et finit par anesthé­sier.

Ce livre mélancolique d'un sep­tuagénaire serein ressemble fort autestament d'un vieillard pour lequella vie devient statique et qui attendla mort dans une sage immobilité.Cet écrivain qui ne fut jamaisexceptionnel trouve là des. 'accentspersonnels au point qu'on peut sedemander parfois si c'est bien levaudevilliste de Je veux voirMioussov qui a écrit cette chroni·que triste et tendre. Kataïev serait·il enfin lui-même ?

Y.C.

Page 9: Quinzaine littéraire 94, mai 1970

Cuba, avant Fidel

LE NOUVEAU

Claude Vivien (Henry James), Roger Munier (Orphée)Kenneth White. Charles Racine

, André Dalmas (Effusion de Sens), , 'Rappel: cahier 14 ' ,

(M. Heidegger: Qu~est-ce que la Métaphysique?)Cahiers de littérature en librairie et Nouveau ~rtier Latin,

78, boulevard St-Michel, P(lris-16<Le cahier : 20 F. 'Abonn;ment: 55 ./

•__.;... ...;',;..;...;.._.;.. ".J.

COMMERCEvient de paraltre

'ma. ironique et ten,lre, centré s... rLa Havane d'avant la rl~volnlion

'et sa faune :noeturne : cover.:rirlsà prétent ions hollywoodiellll!'!1,musieiens de l'aLarets, journalis.tes, photo).!raphes, prostituées ca·piteuses, et, Lien entendu, touris·les en qu(-te de spe('tades affrio·bnts. CaLrera, Infante évoquetout ce petit mOlllle de ni:rhtduLs et ,le promena,les en tor"é­dos sur le Lord de mer avec uneluci,lité non (lépourvue ,le nos­lal:rie. Bien qu'il Ile soit aw(une·ment question ,le politiqn?, ondevine à certains traits, cà et là,,qne ses "entiments à l'éWtrd .Iunouveau ré:ri,ne et ,le ses .li:rni.laires sont pour le moins m:~lan·

i!ès. Témoin cette fli!l'he à l'adres·se ll'Alejo Carpentier, « le der·ni"r romancier frnnçltis qui écrit1'/1. espagnol pour rendre la poli­tesse à Heredia ll, ou cette remar·que, qu'on a quelque peine àcroire purement Ilhilole:rique, surle fi cuLa in à l'envers)) qui l'es·semble à ,du ru"se.

Vn beau liv!',!, en somme, ,quiéehappe à tOlite classifil'ation('omme il tout eJllLri~~:Hlement. etqu'on lit avec plaisir en dépi,t ,ludérapa!!e final. Ajoutons que l'au·teur a eu la e"~ nce de voir sonouvral-!e confié à un traducteur,le I-!rande clas3~, (lont le tal!'nt,l'écrivain, le sens inné du jeu ·demots, s'al'cordent miraculeuse­ment à son style. AILert Bensous.san - dont on n'a pas oublié lèsBagllQulis (2) - nous offre une vé·ritable, recréation d'un texte appa·remment intrallllisihle. Si quelquejury s'avisait de l'ellonner du .lus.trI' à un art mé"onnu autant quelIlal rémunéré, il devrait couron·11er ce mérite·là.

luct/ues' Fressard

1. Gallimard, Co.ll. « La Croix duSud Il, 1962.

2. ,Me...,ure de Fran(:e, 1965,

et les œuvres de

Traité des TropesDU MARSAIS

Cahier 15·16

ml~ditat!on en action sur les rap·ports de la' r"alité et ,lu la'n~a~e.

Qn'on n'aille pas (,roire pOl!r:tu tant que nos Trfiis trist(,s ti1!l'/i.~

se /'p,IÙisent à une sorte ,le fat ta­sie oÙ la jon:rlerie le ,l'sputf' ill'intelleetÜali"me, L'auteur nOI~s

raconte aussi .les histoires, et ille fait meneillellsemeat Lien,ave(( un art ('ollsommé (le la nou·velle qui l'onfirme les qualités deson précèdent recueil, Dans lapaix comme dall,~ la guerre (1),L'hisloire .11' La Estrella, l'énor·me ('hanteuse nQire, eaehalot mé.('OI111U flu boléro, a toute la beau·té tri"te ,l'une lilélodie de jazz.Le rél'Ît de MI'. Camphell nousoffre à la fois un apolo:rue à va·riations .multiples, sur une anec·,lote plus vraie que nature, et ~ II

portrait joyeusement féroce ,lutouriste américain typique flans lep[/r(ld,:,~ pour prospeetus en cou·leurs des CaraïLes.

Tout le livre, ,l'ailleur,,, se prp.senlt' "Ollllllt' un vaste Tr.opicora.

Quant au reste, la réussite estcerlaine. Elle tient sans doute à('1' que tous les procéflés énullléré~

plus hallt sonl employés sansl'omhre fIe la moindre péllanterie,ave,' 1111 parfait naturel, à la fa~on

d'une lan~ue native en «uelquf'sorte, et presque ini!.(·numenl.L'auteur s'y meut à son aise elnous met à l'aise. Il utilise le ma­tl~riau qui lui eon"ient et ne cher­l'he pa~ à jeter de la poudre auxyenx, Rien ('hez lui qui sente lelahoratoire ou l'éf'riture pourl"~eriture, S'il affirme, à l'ol'ca­sion, que le vTai sujel de son l'o·man ~,.;t la Litt/'rature, entpndonsque ,,'est dans la Ulf'~Sl1re oÙ ('l'Il",·

ci fait part il' inlé~ral1te 411' la v'if'fles );/'1'0"; flu'il met en scène, Ih~

mème (Pf' r(trrroclH'.I~"{!:lle Ifuidonne !'on titre il rouvra:re n'estpas nu simple jeu verhal l'fl fairmais une autheut i'lue "Olllpt ineCF Laine.

S:"nplo1llatif"lle en~'ore il ('etél:.ar,L l'elllp~oi ,lu m()nolo~ue

dans l~s étinl'elantes !1équenfesdn dèLut : la forme appart~nte estcelle .Ill monolo·!ue intérieur flansla li~née .le .lo;·ce. En fail, (·ha·que personna~e prt'!ld /a parale,tout haut, qu'il s'adresse à un pu·Lli(', qu'il réfli:re une lettre, qu'ilra(:on'e une hisloire au télép)lOneou qit'il ,e narle à lui·même. Le"dent ,le Cahre,'a Infante consiste,lrme à ,lécouvrir, a"ec honheur,une transposition lilléraire con·"'Iincante de ces différents par­l('r,~ cu1Jai,ns, captés à l'ori:rine surle vif. D'Uli côté, la vie imite lalitt{·rature ou le sner'tae1e, ('ommeml le v;oit dans le « viol)) (léso­pilant d'« Inl!rid Ber~ame», vé·cu dans le plus pur !'tyle (le nosC'Ihiers du cinéma; ,le l'autre,

'la littérature mime la vie pal' l'in.termédiaire d'un lan~al-!e spéci.fi,que, (lui fonl}e l':I~uvrf'. D'oÙl'importanl'e de la parodie et dupastiche. Parodie, par exemple, destaxinomies érudites, à la façon deBorl-!es (mais ,avel' plus d'exuLé·rance et sans la souveraine l'ete·nue fIe l'Ar~entin) ; pastiche, en·t1'e autres, des :rrands noms (le lalittérature cuLaine, sur le thèmede la mort de Tl'otsky (le lecteurfran~ais apnréciera au moins lav,~rSlOn ,l'Alejo Carpentier etcelle ,le Nicolas Guillén, particu.li,èremellt savoureuses). Ces exer·cices de style, dont le livre esttruffé, vont plus loin que le libremouvement d'une imal-!ination,Iébri·dée : ils nous proposent une

Guillermo Cahrera Infante,Trois tristes ÛgresTra,l. ,le l'espa~l101

par Albert BensoussanColl. « Du monùe enlier»Ga Il imard, éd., ,I():~ Il,

Palindrome,.;, l'aHi~ralllme,.;,pro­vl'rhe" sllrréalistes «( Tt'l qui ritvendredi. robinson pleurera,»« L'Ilavanie l'st mère> ,le tous lesvif'es. »), manipulations typo~r:I­

phiqlles en tonl ~I'nre, pa~e hlan­"he pour la rêvel'ie>, pa~e noire ,letOlite son encre 10rs(IU'un Ile,.; hé­ros l'hoit dans le> néant, mot,.; hif.fés, él'orchés, in n~rsés, .lé,'er ...ésil flots, en italiques ou en "api~a'

les, lacis de lapsus freuduleuse­ment enlacés, où la « métaphysi.(lue » voisine av'e(' le « méal phy.sique» qui annonce la « sylphi.lis (le Chopin »', tout l'attirail hé·tl~rodite fIe l'universelle avant·~aTfle - nualH'é ,l'lin soup<;onIl',:tlmanal'h Vermot semLleaHlil' é'!é ré~lIli ,Jans ('1' livre, enl'ollection interminaLle et verti·~ineuse.

De .1 oVl'e à BlItor ou Co:',azar,,l~ Lewi~ Carroll il Rayinonfl Que.neau en passant par Henry ',1 i1­IflT,' tous les :rralllh; sont au rende':!;·VOliS, tOlItes les influences s'entre·l'roisent, et l'auteur ne s'en caèhepas le moins du momIe, 'nom·mant ses m ..:iilres lui.même, à laLonne franquette, sOHli~nanl àplai!'ir ses em:lrunts, l'omme danscet épilo;!ue qui ..f:ollllense el ,pa·l'Ollie le hmeux chanitre finald'Uly.~,~e, On pourrait ;Tainflre lepire, l'inlli:restion, l'allel'l..'ie aud{'jà vu, l'ennui qui s'installe, ehL'en pas ,lu tout, CaLrera Infantenous tient en haleine sans désem·parer ,lnrant trois cents pa:res,l'un texte tour à tour drôle, co·c:t"se, sai irique, PO(~t ique, émou·v'ant. Iiis~ns trois (~ents pal-!es, ('al'dalis le dernier quart il faut Lienrel'onnaÎlre que les (,hoses se I-!â.tent un peu, On croit entendre lecrépitement d'une machine à écri.rI' emQallée qui (léviflerait !1alts

.arrêt les mêmes mot!1 dans tousles sens, COllllne la mitrailleuse dela florde SUllt.'age, pour pren(lre,une (le ces ('omparaisons cinéma·to:rraphiques dont Guillermo Ca·~rera Infante hit un si I-!énéreuxemploi. C'est un I-!rand art que

'de savoir s'aITêter à temps, maispeut.on raisonnaLlement l'exil-!er,l'un tempérament Laroque parexeellelll'e, .qui met tout SOli I-!é.nie ,lans la profusion ?

Là Quinzaine littéraire, du r au 15 lJUJi 1970 ,t

Page 10: Quinzaine littéraire 94, mai 1970

ROMANS

FRANÇAIS

Romain Garyface au racisme

Viviane ForresterAinsi des exilés« Lettres Nouvellcs))Denoël, 192 p.

1Romain GaryChien blancGallimard, éd., 256 p.

Quand Romain Gary se heurteà quelque (~hose qu'il ne peutchanger, qu'il ne peut résoudre,qu'il ne peut redresser, il l'éli­mine; il l'évacue dans un livrepour cesser J'en être oppressé.C'est ce qu'il explique lui-mêmedans Chien blanc, qui est néJ'une indignation tellement viyeque l'on se demande, à la fin, siles vertus thérapeutiques de l'écri­ture auront, cette fois encore, pufaire leurs preuves avec efficacité.

Chien blanc est un récit vécudont le sous-titre pourrait être« Romain Gary face au racisme ».C'est un livre d'humeur, intéres­sant pour cela même, où les évé­nements se bousculent et où latral!édie est souvent évoquéeavec esprit et sarcasme. C'est unlivre lucide, nourri Ile révolte, etqui permet de découvrir unUomain Gary a s s e z nouveau,plus journaliste que romancier,brusque, tranchant, nerveux, irr:­table, mais capable de b~.'lUX

él'}ns et se sentant pris entre deuxchaises dans ce monde cont?mpo­rain qui le passionne tout en luidonnant périodiquement Iles en­vies irrésistibles de fuite: commedans son précéllent roman Adieu,Gary Cooper, on retrouve icil'évocation nostalgique de la(( Mongolie Extérieure)), il h­·quelle Gary rêve chaque fois qu'ilvoudrait se trouver transporté ail­leurs, à l'extérieur d'un mondeIlemt il épouse, é;Jillermiquemenl,les maux.

Cela commence le 17 février19é8, un soir Où les Gary recueil­lent Ilans leur maison de Holly­wood un chien perdu, un maf!ni­fique berv,er allem.:md aussitôtrebaptisé Batka. L'événementn'aurait pas grande importance sice chien ne s'avérait pas, au boutde quelques jours, être un I( Chienblanc)), c'est-à-dire une bêtespécialement dressée pour s'atta­quer aux Noirs. Voilà donc Ro­main Gary contraint une fois deplus de plonf!er dans le problème

-raci al. Or, autour de sa femme,l'actrice Jean Seberl!, s'al!itent denombreux l!roupes Ile libéraux,j,lus ou moins authentiquementi.ll·alistes, qui transforment sou-

. vent le salon en salle de réunion

10

et à qui il ne cache pas son exas­pération: « Je leur avais expli­qué que .i'aL'ais déjà eu beaucoupdl' mal à me débarrasser du V iet­nam, du Biafra, du sort de.~ 1n­diens mas.~acrés en Amazonie,des inondations au Brésil, du sortdes intellectuels soviétilJue.~, il fal­lait tOllt de même savoir s'arrê­ter. )l Mais à cause de ce chien- remis sans grand espoir à unzoo, pour rééducation - et sur­tout parce que la question noireavale aujourd'hui quiconque setrouve aux Etats-Unis,- Gary re­prend des contacts, tâte le poulsde l'Amérique, écrit et dpcrit.

Une excellente santéintellectuelle

D'où ce livre, où l'on trouvetout compte fait, beauwup plusIh .hoses qu'il n'y paraissaitd'abord et, au premier chef, uneexcellente santé intellectuelle. Aug:~ fhs événements - et ils furentnombreux, à eette époque, de­puis les émeutes de Watts jus­qu'aux assassinats de Martin Lu­ther King et de Robert Kennedy- on sent Gary fai.re des effortsdésespérés pour ne pas se laissergagner par la _ violence, pourl'obliger à demeurer verbale:c'est ce qu'il appelle « se main­tenir en laisse n. Rencontrantavec la m<-me faëilité les dirigeantsN01rs les plus extrémistes, BobKennedv ou les intellectuels amé­ri.ca ins dont « le signe distinctif parexcellence est la culpabilité)) car(( avoir mauvaise conscience, c'estd:'monfrer que l'on a une bonneconscience ('Tl parfait état dl! mar­che et, pour commencer, une('muc;ence tOllt courf )), il essaiede se ménager les haltes nécessai.res pour l'organisation de sesidées. Il écrit alors: « Le Viet­n:lm ('st la pire· chose qui pouvaitarriVf'r au Vietnam, mais la meil·leure chose qui pouvait arriver àl'A mérique: la fin des certitu­des, la rem;se en question, lasommation à la métamorphose. Jene sais pas ce que sera la nou­velle Amérique, mais je sais quel' er:plosion noir(~ l'empêchera depou.rrir sur· pied dans l'immobi­lisme des structures sclérosées auxsapes invi.~ibles. l.~ A mérique sera.~auvép par le défi noir, ce chal­lenge dont parle Toynbee, que lescivilisations relèvent en .~e transemutant.)) Devant l'hallucinante

surenchère dans la violence il la­quelle on assiste, on ouhlie pre~­

que l'histoire du chien; et pour­tant, elle est horrible, puisqu';' lafin du livre « Chien blanc » seradevenu « Chien noir )), tellementbien dpbaI'rass~ (le ses odieuseshabitudes, qu'il ne fera qu'unebouchée .lu premier homme blancqu'il rencontrera. « Bral.'o l't nll'r­ci, dira Gary au dresseur Noir ­appartenant à la secte· des Bla('kMuslims - qui aura opéré eerevirement s;-Jeetaculaire, comnwça, au moills, nous ne .~olnntl'.~

plus seuls à nous déshonorer! »

Mai 1968. Fati~ué Ile souffriraméricain, Gary an'ive à Parispour souffrir français. En blue­jeans, barbu, il se (ait matraquerpar un a~ent en sortant de d:ezLipp. Il fonce chez lui, enfile soneostume le plus distin~ué, épin­~le la rosette, coiffe le « Hombur~

hat)) Ile chez Gellot, accrocheson parapluie. Retour dans larue. Les C.R.S. s'effacent, préve­nant, les éludiants lancent desinsultes. Ce passage du livren'ayant pas été clairement com­pris par la critique, Gary s'estengagé à le rendre plus intellif!i­ble dès la prochaine édition.Mais où sommes-pous ? En pleinhappen;ng. « .le suis un minori­taire-né)) écrit Gàry retour desChamps-Elysées, le jour du défilégaulliste.

Non-conformisme et exhibition­nisme vont de pair dans Chil'nblanc. Mais entre ceci et cela,quelques remarques pertinentrssur la société américaine très ju­dicieusement définie comme étantde provol'ation, ou sur la situa­tion des Noirs - « le jeune Noir·r/.t' sait pas qu'il fait partie d'uneminorité. Vivant parmi des cen­taines de milliers et de millionsd'au tres No-irs concentrés dan.~ lesghettos... il en vient à oublÙ~r

complètement l'aspect numériquede la supériorité des Blancs l) ­

ajoutent encore à l'efficacité durécit. Ce n'est pas négligeable.On reproche à Romain Gary sonincapacité de se ranger totale­ment et sans réticences d'un côtéou de l'autre, l'absence de mani­chéisme, en somme. Cela peutagacer, en effet; mais cet aga·cement ne ramène-t-il pas au.point de départ, c'est-à·dire à ce­lui que suscitent, précisément, lesminoritaires ?

Cella Minart

1Jean-Pierre GaxieGraffitesSeuil, éd. 160 p.

1Premiers livres de leur auteur,

publiés au même moment, Graf­fites et Ainsi des exilés sont corn·me ces jumeaux qui ne se rcssem­b1ent pas. D'évidence, ils ne sor­tent pas du même œuf. Graffitesest un recueil de proses, allant dela brève notation poétique à lanouvelle, Ainsi des exilés est unroman. Pourtant, d'une certainemanière, ils appartiennent à lamême famille, comme au mêmetemps, ils présentent des tracesd'une hérédité commune.

Jean~Pierre Gaxie et VivianeForrester écrivent après les recher­ches diverses du nouveau roman.Sans celles-ci, ils ne seraient pasce qu'ils sont. Ils ne sont pas fas­cinés par elles pour autant. Poureux, cl'lles-ci appartiennent à unpaysage culturel où font égalementsigne d'autres œuvres, différenteset plus anciennes. Ici comme là,plus tliscrète chez Viviane Forres­ter qui semble par instant être unpersonnage de Marguerite Durashumant lei' vents humides sur les'plages de Julien Gracq, plus vivechez Gaxie qui se perd dans la mi.ture et goûte les réalités fantasti­ques, se révèle une secrète nostal­gie du romantisme. Mais ce qui,par delà des écritures très diffé­rentes, rapproche le plus ces deuxauteurs, c'est un sens très certainde l'effleurement, de l'allusion, unfaible marqué pour les retours sursoi, les présences furtives, les ab­sences insistantes, les souvenirs ef­filochés et obsédants, un art detaire, enfin. qui est moyen de dé­signer. Mai~ ~('s parentés se situentau plus profond et chacun a choisid'avoir son propre visage.

D'un texte à l'autre - le pluscourt, Enfance, a moins d'une pa­ge, le plus long, Libretto, en comp­te vingt - Jean-Pierre Gaxie passeinsensiblement du poème en proseà la nouvelle. Du moins c'est cequ'il semble si l'on s'en tient à uneclassification arbitraire. En fait, lesdifférences sont moins nettes. Tou­jours on entend la même voix,

Page 11: Quinzaine littéraire 94, mai 1970

Après le Nouveau roman Réseaux

La Quinzaine lilléraire, du 1"' au 15 mai 1970

qu'elle dise je. qu'elle décrive unI)aysage ou qu'elle raconte l'histoirecie Pazzi, passant paisible dans unvillage tranquille, c'est-à·dire toutaussi énigmatique que lui-même.Ou plutôt, c'est la même main ­la même plume - qui griffe le pa­pier, agrippe lïnstant. rallrappepar brihes le temps perdu. Cruf­fites. ce sont des notes. analoguesaux graffiti, qui fixent. non par letrait. mais dans récriture. la trace(fun geste, la couleur d'un ciel. lejeu - au sens scéni({ue - d'unerencontre. et jusqu'au mouvementd'une émotion.

Un univers auxfrontières fragiles

De run ù l'autre, ces « graffi­tes ». poèmes. descriptions ou ré­cits - ou le tout ensemble - des­sinent lIII univers aux frontièresfragiles el néanmoins repérables.Apparemment. les cadres temporelssont aholis, mais tout se joue tou·jours entre un maintenant qui estle' temps du discours. du pélerinageal:X lieux de jadis. de récoute des\' iei Iles pierres ou des sensa': iO:lsrenaissantes et une enfance. ulleadolescence. un amour perdu ctLJlljours vif. De même, il est dif·ficile de savoir ee qui est vrai, ce<lui est songe. Mais tout est réécrit,repris. transposé tandis que le nal··rateur. le poète sans cesse retrouve.penl. réinvente les mêmes chemins.les mêmes parcours et les odeursqui les ellvelovpenl. Là, sans dou·te. dans celle attention au sensible,dans ces errances romantiques quisont moyen de faire surgir les pay·sages, les personnages et leurs fan·tômes est le meilleur du livre. Sion peut regretter quelques précio.sités de style, quelques adjectifs« COI'uscants» qui n'ajoutent rienà son talent. il est certain queJean.Pierre Gaxie fait là des déhutspromclleurs.

Viviane Forrester. aussi, a legoÎlt des dévoilemcnts progressifs.des glissements dans la durée descorrespondances cntre lcs lieux, lespersonnes, les situations, les évé·nements, des promenades dans lesouvenir, des bouffées d'enfance oude passé colorant 1Ïnstant présentou se dissolvant en lui. Mais aucontraire des incantations de Jean.Pierre Gaxie, son écriture vise audépouillement, à l'économie. Son

élégance est d'être sobre. Elle n'ha·!tille pas une histoire avec des mots,

ri r;wl(' ·Forr('~U'r.

elle J,a laisse s'infiltrer, s'insinuerell iïe les mots, se développer à tra·\ers une série de gestes quotidiens.de ll:ltal.i:lIls brèves, de points denie différents.

En cf'Cet. rhistoire dl' Sarah Ma·rielle. actrice jadis célèbre, toujourscélèbre. qüi tourne le dos à cequ'elle fllt ou plutôt à ce qu'oncrut qu'elle était, pour trouver surune petite plage de Hollande unesorte de sérénité, pour retrouver SORvrai visage et meUre de l'ordredans ses souvenirs nous est contéepar plusieurs voix qui, sans cesse,s'entremêlent, la sienne et eeHesde ses amis d'autrefois ou d'au­joul"lrhui. En même, temps queI"image de cette femme sort de la

Editeurs

Calmann-Lévy

Trois nouveaux romans chez Cal·mann-Lévy: La ville sur la mer, parSuzanne Prou, satire sociale et politi­que où l'on retrouvera les obsessionsfilmilières de l'auteur des Patapharis,des Demoiselles sous les ébéniers etde l'Eté jaune (voir les numeros 16, 36et 59 de la • Ouin,zaine "), élargies,cependant. et approfondies par' ladimension inhabituelle des interroga­tions qu'elle a su poser ici. Le pont del'Academia, par Pier Pasinetti, chro­nique romanesque qui a pour tôile defond non seulement le 'quartier deVenise qui lui <lonneson titre. maisaussi la Californie, et dont le projetnarratiJ vise et réussit à briser lescadres traditionnels dans une optique

mythologie cinématographique et serecompose devant nous, comme lafigure d'un puzzle. la petite villede Scheveningen, d'abord anonymeet neutre, simple décor de sa nou·velle vie, se révèle et révèle sonpassé, ses fissures nées de la guerreet que rien ne peut combler.

En fait, à travers ces voix, cen'est pas seulement l'h istoire deSarah Marielle qui, du village d'en­fance, proche du lieu où elle tournason plus grand film et connut sonplus tragique amour jusqu'à la pla­ge désolée et monotone où elle s"in­vente de nouvelles racines et sereconnaît enfin elle·même qui sedessine et s'impose, c'est en fili­grane, l'histoire de notre monde.bouleversé par la guerre, hanté parle souvenir des horreurs qu'ellesuscite, par la nostalgie d'une in­nocence perdue.

Tout ici s'inscrit dans les jeuxdu rappel et de l'oubli, de la quêteet de la fuiie. Et tout s'inscl'it éga·lement dans ce paradoxe : vou!antfuir dans le souvenir, Sarah Ma·rielle se rapproche de son innocenceprimitive, et finalement se retrouve,cherchant roubli et voulant créerautre chose. Ses amis. ou les ha'li­tants de Scheveningen sont au con·traire repris par leur passé, s'avan­cent vers l'enlisement ou la dé[~ra­

dation. Ce double mouvement, Vi­viane Forrester a su moins le dé·erire que le suggérer, avec un senstrès juste de la nuance. Derrièreles gestes de tous les jOli rs ou desconversations banales, elle revèledes abîmes. Désormais, il faudracompter avec elle.

Claude Bonlll'foy

qui s'inspire de la révolution joycienne.L'Apocalypse écarlate, par Victor Gar­don. qui est à la fois un poème lyrique,un récit épique et un témoignage sur('univers des réfugiés arméniens. instal­lés à Tiflis pour échapper aux massa­cres des Turcs.

Ed. du Seuil

Sous le titre de l'Etudiant, parait auxéditions du Seuil un inédit de Mi.cheletd'une • actualité surprenante" ainsique s'en explique Gaëtan Picon dansl'essai qu'il lui consacre et qui accom­pagne le ,volume:,. Michelet et la pa·role histo~ique", L'Etudiant regroupel'ensemble des cours que l'historiencontinua à rédiger pour son p(oprecompte lorsque, après les événements.de ,1848, il fut contraint de quitter leCollège de "France. '

1Yves BuinLa Nuit verticaleGrasset, é(l., 174 p.

Un lonl! reeJt aux sonorités (li~­

('rètes, pr~squ~ assourdies, hale­tant lhns ses cheminements l'OU­terrains, en\oÎltant l'lus que sé­41uisant, semblable (lans sa morephol0l!ie à des fonds marins. ()ue~on accès soit r~ndu malaisé par\'usal!e .l'un (Iollbl~ j~u d~ for·mes typo!!rarh;qnes (pleine pal!eet colonne) n 'enlève rien à s~s

qualités l\'intelIi~eJlee et (le poé­sie. Yves Buin, qui a 1';I1~tru­

ment d'une belle lanl!u~ a(~êrée

comme du silex, aventure son (lis­cours littéraire silr le terrain desdiva~'ations, des « aberrations (lesfacultés mentales H, savammentmaîtrisées, ordonnées suivant deslois qui relèvent bon I!ré mal I!rédn calcul de~ l'robabilité~. \-ar. il;nlrtir (le sepsations, d'impres­sio.ns, de réfle" :ons provolJnéespar le choc ressent i à la vue, à lalecture et à l'écoute d'~'uvres despeintres Frani': Marc et Marc 1'0'hey, du poète Georl! 'l'rakI, (lujoueur (le jazz Charlie Parker ettlu eompositelll' Anton \Vebern(toutes œuvres unies par un mê·me lien s~eret), l'écrivain écrit,prodnit un te':te aux sounlesbeautés qui semble traduire end'autres sil!nes - ceux de l'éeri·ture syncopée - les phrases, lespalpitations, les rythmes d'unepartition de jazz.

D~ lonl!ues I!ammes ehromati·ques qui monlent (lu hleu aupourpre et de,~('elldent llu noir aublanc se eonju!!uent avec ll'ato·nales arabesques musicales. A vraitlire, l'art Ile BlIin tient en cequ'il Illet il eO'lt ribut ion tons lessens. La Nuit verticale e~t le ru·b~Hl eluel!istreur de leurs manifes·tations. Point n'est besoin (le semunir d'une clé Ilour entrer flans('~s areanes. Buin le (lit lui-même,il fait du sens avee du non-sens.Aussi son cheminement ressemble­t-il il un parcours en forêt vier!!e- quantI le chasseur ouvre àt'oups (le maehete (les pistes quise referment aussitôt sur lui,quand, s'étant trop profontlémentenfoncé (lans l'épaisseur des tail.lis et (les lianes, il e~t contraint .lereven i r sur ses pas (lesquels?).Sous J'apparente raison .les motscoule la déraison (les motivationsqui ont (léclellché les réactions enchaîne du phénomène .le création.[,a Nuit verticale est l'itinérairesensé (les investil!ations, des é~a'·e·

~Il

Page 12: Quinzaine littéraire 94, mai 1970

Les écrivainscontre la Commune

ments hors du temps et du sens.Yves Buin, qui procède par jux.tapositions, voire par télescopagesde phrases courtes, comme pas·sées au laminoir, donne librecours à ses musiques intérieures, àses fantaisies impromptues quise rencontrent dans un concert deréminiscences. Le texte, qui sem­ble apparemment sour.dre par laseule vertu de l'écriture ,automa­tique, obéit en fait aux flux dela vie inconsriente. Un étranl!eréseau de connivences lie les 1I1ul·tiples personnages qui l'habitent.Leur llénominateur commun setrouve être une ville, Salzbourl!,où se passe l'événement (lequel?peu importe, l'essence du dis,cours est ailleurs). '

Salzbourg, que raconte, que faitexister dans sa chair (morte ouvive) une jeune femme, juivepolonaise anonyme, absente enfait et qui n'est là que pour axerles dérè~dements du récit, est leli,èu d'élection du poète Trakl.Rien n'est fortuit. La nécessitédi,cte à Buin son inspiraÙon. Epvérité, le titre parle de lui.même,qui accole deux concepts de pri.me abord inconciliables mais semarient dans un beau fracas (10·

décaphonique. Il dit la finali,té dulivre. La vnticalité qui.. surdéter·mine la nuit, l'ouvre sur le ver­tige, l'élève, elle qui est ombre,lieu de tous les possibles, à lallimension démiurgique.

Par sa coufiguration, le l'ecU(comment le qualifier autre·ment ?) fait penser à un spectrequi opère un choix parmi lesrayons lumineux pour ne garderque ceux qui satisfont à ses condi·tions, en les déviant, en les trans­formant. Il est à la fois un avecl'auteur et autre. En même tempsqu'il s'él'l'it, s'écrit son histoire,L'érriture fait (~orps (I( s'incar·ne ») avec elle·même. Elle est sonpropre destin. Buin n'est plusque le label d'un produit qui, sesuffisant à lui.même, se consti·t,uant en république autareique,ge conserve de lui que son nom.Le récit efface le récit, il se remeten cause à l'instant même oÙ ils'affirme. La parole, dont Buinse délivre, est dérobée à eUe·mê·me" à sa fonction première decommunication. Le mot excède lemot. Il s'évade de sa sphère dedésignation, s'érige en objet tota'litaire. « Le moindre de vos mots,dit la voix de la Nuit verticale,est un absolu, un lieu de vérité il)'dépassable. » Pierre du BoÏJ

12

1Paul Lidsky ,Les écrivains 'contre la ,CommuneCahiers lihres, 167·168.Maspero, éd., 180 p.

Issu, ll'un diplôme d'étudessupérieures de Lettres, cet ouvragese propose de mettre en lumièreet d'expliquer l'altitude (les écri·vains de 1871 qui, à quelquc~

exceptions pl'è's (les plus ilIustr('~

étant .Rimbaud, Verlaine, Villiel'sde l'Isle·Allam et bien entenduVictor Hugo)' se déchaînèrent àqui mieux mieux contre la'Commune, pendant comme après,

Avec Hne pl'Obité parfaite,l'auteur n'avaJ1(~e rien qui ne soitétayé l'al' Iles textes «Iont il a'déniché la plupart dans la corres·pondance Iles intéressés ou dansdcs articles de journaux, et l'onsOl,ffre Ile voir Théophile Gau·tier (le doux Théo )', Alexan­d,'e Dumas, Flaubert, Leconte deLisle, Zola ou'Georl!e Sanll expri.'mer une rage, une haine d·'tineviolence stupéfiante!

Les moins féroces sont Gobi·neau, les Goncourt, qui (et c'est uncommencemellt d'explication) ontvu des scènes ou' vécu, commeCatulle Mendès, à Paris au milieudes' Communards. Gobineau mon·tre le cortège des prisonniers« n'ayant ni dormi ni reposédepl/.i.~ dix jours» « frappés enroute par le soleil» et tom·bant « foudroyés sur les bas·côtés du chemin, On a amené deilxcharrettes pleines de ces morts, » Ily a vu « des femmes en. quantité,des jeunes filles de quatorze à quin­ze ans» sur lesquelles les hussardsde l'escorte « frappaient à coups'de sabre », il note la foule des,spectateurs applaudissant, riant,« charmée » de voir « fendre latête d'un homme qui n'avançaitl'US »). Il rlécrit une «( dame res·pectable, son livre de messe à lamain» et qui donne de l'argentà un soillat parce qu'il a « expèdiéd'un coup de baïonnette un enfantincendiaire ».

Catulle Mendès a assisté à larépression sur place : l( on amèneft!S Fédérés vingt par vingt, on lescondamne; conduits sur la place(du Châtelet) les mains liées der~

rière le dos, on leu.r dit « tournez·VOliS». A cent pas il y a unemitrailleuse; il.s tomb(mt vingt,l'ar vingt, Méthode expéditive.

'Da,ns une cour, rue Saint·Denis,;il Y a, une écurie rerJtplie de cadao,

Dessin de Gustave Doré.

V"I'S. J'ai VII cela de me," proprl'syeux. »

Et c'est cela qu'approuvp-nt, quiremplit d'une joie furihonde deshommes de lettres, rles poètes.Un Vigny qui a écrit '«( Chatwr·ton», un Leconte de Lisle quiétait socialiste, une George Sand,auteur du Compagnon du tour deFrance.

La désillusion qui asuivi la révolution de 48

Une des grandes raisons de cellerage sanglante, J'auteur Ja voitclans la désillusion qui a suivi larévolution de 1848. Romanciers etpoètes avaie':'t en général épouséavec plus ou moins d'exaltation lacause (lu peuple en qui ils voyaientl'ennemi du bourgeois, ce bour­geois, leur seul lecteur possible>,et qui ne les comprenait pas. Touspensaient alors naïvement (etorgileilleusement) ( qu'il suI/itd'aller aux masses 'et de leur direla vérité pour que celle-ci appu­raisse lumineusement». Or, lesmasses fermèrent leurs yeux etleurs oreilJes à J'élite intellec·tuelle : 5 millions de voix pour,( le neveu rle J'oncle» en 1850,18.000 à Lamartine. Oubliant que,aux yeux du peuple ils faisaientpartie eux·mêmes des bourgeoiset qu'entre lui et eux s'était creuséun abîme en juin 1848, ils pensè.rent que (( l'Action n'est pas lasœur du Rêve », se replièrent surleur rêve, sur leur art et leur Tour

(l'hoil't', se méfiant désormais cie(~ette (( race d"esclave.~ qui nI' peutvivn' salis bât et sans joug»(Maxime Du Camp).

.Mais celte attitude, possible enpério(le de calme, les fera tt'éhu­cher au premier vent de l'histoire,et tomber, l'épouvante au cœur,au sein de la forteresse bourgeoisequi les défenclra eux et leurshiens, sans les{Juels ils ne pOUl'·raient se livrer à leurs chèresoccupations, à l'abri de la ra­cailJe. La Commune et Paris serontle mal, Versaillës et l'Armée serontle bien et selon une lliall'diqueconnue, leur langage (lem' grandearme) sera à la meSUl'e de leur('lIpitulation intérieure, c'est·à.(lire d'une bassesse incroyable. Le,.Jlapitre IV du livre, consacré au\'ocahulaire des auteurs anti.communards serait comique s'iln'exhalait une puanteur de sang.

Un chapitre qui ne manque pasde saveur est celui qui fait desrapprochements entre mai 1871 etmai 1968. Citant les journaux, lesdiscours radio(liffusés et télévisés,il souligne l'identité de réflexes(les couches con<ervatrices de laSociété. De même qu'en 71, il nes'agissait que de ( brutes sangui.naires » menées l'al' des( voyous », par des « étrangers »et qui « crevaient de jalousie »vis·à·vis des Bourgeois, en mai 68,presque toute la presse se refuse enchœur à prendre en consirlérationles causes réelles, c'est·à·dire poli.tiques et sociales, de cet immensemouvement étudiant et ouvrier.C'est « une fièvre obsidionale »,une (( maladie », une ( gangrène »,

un ( virus », bl'ef quelque chosede passager et d'imprévu, le seulproblème étant cie trouvt'r le mé·dicament approprié pour que lemalade retrouve la santé et le sou·rire. Il y a des harrica(les, desgrèves monstres, on en minimisela portée en les attribuant à desfauteurs rle troubles, à de;; COol·plots internationaux, ou à la pè.gre. Chose curieuse, la même mu­sique est chantée, et à pleine voix,par « l'Humanité » qui se distin­gue par une hystérie aussi sauvageque celle des écrivains en 1871. Làoù la bourgeoisie plus sage em·ploie dans son langage surtout lebouclier, le P.C.F. fulmine, met·tant en évidence un conservatisme{le gauche aussi lourd et plus sus·ceptible que le conservatisme dedroite.

Livre à lire et à méfliter.Martin Fort

Page 13: Quinzaine littéraire 94, mai 1970

Pour Gabrielle

l'

P.S. - L'éditeur de ce~ lellre~ n!,u~'

fail indderrimenl savoir que le pro.duitde. leur puhli,calion doit rev.enir l!J!1I'enfanls de Gabrielle Ru~sier,

quoi elle l~royai t s'~st effOlulré.Sur l'et amas de dèeomLres ell~ vaplacer son cadavre.

Histoire momie s'il en fnt, elexempla"ire, qui méritait Lien leslarmes d'un président de la Répu­blique. « Compremw qui vou·dra ... », le vers d'EIÜan! visait(( une fille I!ahnte » (le l'ocf~upa­

tion, une malheureuse toncJue dela LiLération. Victime pour vic­time, il est également on ne peutplÙs moral que la suici(lé~ ait reçuce eoup (le pied de l'rIDe.

Maurice lVaileau

((Les grandes vaguesrévolu tionnaires"

collection dirigée par Mautice Nadeall

une image, agrandie jusqu'au mythe, de l'homme d'aujourd'hui quela violence tourmente et fascine, ·JacquelinePiatier. LE MONDE uristyle haché, violent, rapide, d'une remarquable efficacité narrative.Bernard Pingaud. LA QUINZAINÈ LITTÉRAIRE

Cher point du mondé

.' ..

Les Lettres Nouvelle~

nir de"aill d'autres jUl!es. L'insti.tution nommée Education natio·nale entreprend cie se déLarrass~r

(le la breLis lf.aleuse. Alors, Ga·brielle pren~1 pellr et s'affole. Sonamour sali. elle·mêmé réputée in·fi'tme, privée lIe ('e qui pour elle aété toujours plus qu'un gagne.pain,l'exereiee (le son métier, se vovantoblil!ée cIe ('onfi"er à l'Assist.~n:'ecIeux jumeaux Ile six ans qu'elle aeus cI'un mal'ial!e précol'e, son('()ural!e l'aLanIJonne. Elle. n'aplus la force de vIvre en Lête mar­quée llans une ..·société qui la consi.dère cOll11lleanormale. Plus en·l'ore: elle ne ·croit· plus, sli pei'llepUTl!ée, "à'1a possiLilité de repartirI)our ljne 'nou.velle vie. lout ce ·à

sa eollèl!ut' Pt, très tôt, il l'avaitdis: inl!uée clu lot. Son sérieux, sasoif dt' ('onnaÎtre en allant aufond des l'hoses, la présence enl'lit' ll'une « ('prtaine exil!elH'e in­tc"rit'ure qui pouv'ait la eonduire ilIPle ét raul!e forme de clépasse­nient de soi» (el qui venait sansdoute dt' sa formation protes­tante), nl'.lis aussi « ('e qu'il ya'ail de refus, de défi cahré elparfois de prOHwat ion en t'Ile nIlli font évoquer l'Alissa de Gide,Antil!one, une héroïne d'Anto·nioni. Ces référelll'cs lillérairessont de mise à pr<.>pos de quel.qll 'un - t't l'~lte l'orrespondanl'een (-.lit foi - qui s'était mis entêlt' de délllentir l'affirmation deHilllLaud : (( la \Taie vie est ab·sente n. Moins uaïv'e, moins éprised'absolu, plus sOUl',c-use de ('1'

qu'il faut el ne faut pas faire, Ga­Lrielle eÎ11 pu ('ouler Iles joursd'hypol'l'ite Lonheur avec son jeu.ne amant. Au lieu de cela, et portéeil l'e (( dépasst'menl d'elle-même»par la val!ue de mai qui la faitvivre en ('Omlllllllauté de penséeet cie sent iments avee ses élèves,elle conçoit sa passion comme uneétape vers l'elle « vraie vie » qui,durant quelques semaines, semblaità portée de la main. En se disantheureuse, elle d(:'fie les pharisiens.Quoi d'étonnant il ('e qu'elle soitell1!lorlée dans le reflux?

Jelée en prison, son rêve l'onti·nne de l'h:lbiter : « Di,~.moi, éc'rit·elle il un de ses amis, (lUi' 1(' ,~()l('il

l'\:i,~tt', tl'W la vérité 1'1 la purl'té,~()III dl' Cl' Tllund!" '1'1t' .il' n(' rêl'ai,~

pas ... ». La voi('i devant le triLu·nal et son histoire cie nouveau éta·lée en puLli(:. Elle ne bronehepas. C'en est trop. Le pro('ureurestime qlle la peine est trop lé·gère, (j'ue la condamnée doit reve·

Sans doute v a·t-il quelque('hÜse ~Ie I!enant ~Ians une tellepubli('ation; et de plus I!ênanl en­('ore il "pn~er qu'elle va de"enirun sU('('ès. de librairie. C..rtes, laI!ralHI .. presse s'en ..st tenue I!éné.ralement au niveau lill fait di,:el's~('al\4laleux. Pal' ('ompellsatiOl'I,fallt·ilfail'c d'Ilne jeune femme~Iésespérée une sainte de l'amour,une IH:'roïne et une martyre '?

Entre le fait divers t~t le mythe,Raymon~1 Jean, prt"sentateur de~~p!te ('ollrte mai~ illtense et bOIl­leversante ('orrespondalll'e, a trou­vé le ton jnste. A' l'indil!nat ion,au "athélique, il l'exaltati(m, il apréféré l'analyse fond(',,, sur unsolide ~ens des réalités de la vieet sur le ·sens, moins ('ommun, de('es ('omposantes ('ontradidoiresqui forment le ('adre de noIreexistell('e sociale et ~l"i (lissilllll­lent, pour les poissons a"eul!lesqlle 1I0llS ~ommes, l'élat de kll'ha­rie dans leqllel nolis vinll\s, (:equi a droit de ('ité dans les li, re .. ,('e l'Jlli est ma;!1Iifié dans la poé­si .. P.I le rOlllan : l'amOllI' d.. deuxêtres libres, ({;abrielle et C'Jris.tian l'étaient et en· s'aimant nefaisaienl tort il personne) n'e ..1aU('llIIement toléré par une sociétéqui l'l'fuse de ('ollfondre la lillé·r:llure ave(' la vie. Toléranle enapparence ,;euleml,nt, par la mar­('he normale de ses institutions,sans tapal!e el sans ('olère, anony­mement, elle ft"taLlit le l'ours na·turel lies ('hoses, lin moment per­turLé, (:'Iimiile les I!êneurs. EUe al'assentiment de tous l'es (( -hon­nêtes vens » dont parle Prévert etqui, en l'ol't'Urellee, d'lin pro('u­l'l'Ill' (( :lOlInêle» il d'(( honnêtes('ommunistes » de parents font lachaîne pour éviler (!Ile ne I!al!nel'inl'endie. L'arl!Umenl sans répli.(/Ill' (Jui a tué GaLrielle Ru,.;s'errelè\'e (le ('e,; I!énéralisat ions im·bé('i les llont est prod il!ue lafameu,;e ."a!!es.. e des nal iOlls ': (( Et,~i l()lI,~ le,~ flr()fe,~,~('"r.~ .~e TI/./'l/rrÎl'1l1

ri ('r",('llI'r (("('(' It'''r,~ (;lt~J'('s... »

Précisénll'Ilt, "Raymond Jean,avel' un tad et lH1e ~Iéli('atesse

iufrn:s, monlre en quoi GahrielleRussie,.. était un être partil'ulieret l'e fJu'ayait d'unique son (( aven·ture» aV'e(' le jeune Chr:stian.Ravmollli Jean avait eu GahriellepO;lr é)èn~ avant qu'elle llevienne

1Gauriel1e RussierLellre~ de pri~oll

pré('é~lé de (( Pour Gabrielle»par Ravmon~1 Jeal!.Ed. du Seuil. 144 p;

Lu Quinzaine liltéraire, du 1" au 15 /liai 1970 :13

Page 14: Quinzaine littéraire 94, mai 1970

ETUDE

Sacher Masoch

'La Quinzaine,11t-"

43 rue du Tempte, Paria •.C.C.P. 15.551.53 Paris

1. Gill('s De!('U7.c_ Présell/a/ioll cle SII­rlwr MIISO,." (avee (1' lexIe inlé~ral dl'là \'1~IlUS à la fourrure). Ed. de Minuil.1%7.

gOISSC. s'institue par le fameux('olltrcll. Le contrat instaure dumoi la dépossession. la souffran;'l'heun'use (li masochisle .. ), par« une parole C/iJsolUlIIl'lIt clCJIlllée ".Dans la figure qu'il donne dul'ont raI. Quil-\nard fail entendre queli Il' conlral supplée la lransgres­"ion .. ct. par là. il silue MasochaU-llelà des grandes provocationssl'xUl'lIl's Ilui de Smic à Balaille scdonncnt comme lransl-\rcssives ouIc demeurenl malgré ellcs. L'idl;l'force (cl là. I)Cut-i:lre. un paralli'leavec Gilles Deleuze devrail êtremainlenu. malgré cc qu~en dit Qui­nard lui-même) est <lue. de la mortde Dieu nail une d~sinlégralion quistipule l'ers le cUlltrat. Mais ce,au-delà de la visée de la transgres­sion_ car (1 MC/soch est hors el'ulletelle l'ISl'e: ~a reiC/tioll illtl'relit­trclllsgressioll_ Ll's rd~t iOlls sacrées.le.~ 1'//rois théoLo~iques. Leselécla­lIIC/tiollS de la IIwLéeliction se sont1·I/CJllelré('s. De LC/ III or/ de Dieu'WÎt La désilltégrC/tioll. La lIulI-/i:w­tioll elu pire... »

Depuis eNte désintégralion, laparole du halbutiement suscite laloi qui la soumet. stipulant versle eonlral - comme l'œuvre peut­êlre.' vers une forme à la foisconlractée et contractuelle qui laplie et la l'eplie sur elle-même.

j eU/I-Noël V llUrllet

-.:rit un abo_tD d'un an 58 F 1 Etranger 70 F

0, de six mois 34 F 1 Etranger 40 F

'règlement joint par

_0 mandat postal a chèque postal

o chèque bancaire

Renvoyee cetle carte à

Il.~'

vm.Da.

rlr », dans un texte comme éeritsur une' bande de Moebius ct l.1uitoujours à la périphérie d'unanneaU déecntré. rép<-lc cl prél'isc.effaee sans l'effacer son origille illl­possibll'.

Dès lors. pounluoi nc pas citerpour dire Qui~nard œ que Qui­gnard dit de 1\1asoch'! « Le l'es·sort des œUl'n's' dl' Mc/SO(-[, l'st lC/répétitioll. LC/ métC/phore... ('(' quituurlle ll'.~ pages à lïlltérieur destextes cLl' Masoch. l'st {"attl'Ildre.le sl!spelle/I! à tuute répétition...ALors Les poillts Ile suspellsio/l oÎt

soure/ent e/ se pere/l'lit ('ette non­/illité e/e la pC/roll'. et ce/IOIl-Cll'{>­111'111 l'II t ell! sile/lce. crIl/te /C/rolll'xcl'ptiulI/teILe. /1I/1lC'lIt le bC/lbu­tielllellt ci rexpl'('/atioll ... » Nouantle parler et l'angoisse. le line nefait pas « revenir ». scull'mentl\'lasoch mais aussi dan's une cer­taine mesure la violence feutréed'un B1am'hot. la violence fraetu­rante d'un du Bouchet.

l\1ais. )luisl(ue Masoch nous faitpenser Véllus_ /lmrrures. crcwa­ches... qu'en esl-il, scion PascalQuignard. du masochisme direc­tement (sexuellement) envisagé '?Lorsque la mort devient mère,Masoch (C au plus près de la mort,l'éloigne et en rel ranche la pos­sibililé. la violence nue. Il s'agild'avoir femme comme la vie pro­cure une mère, une mort il quoiL'un s-a//iLie ». Celle affiliation,Ilui est unc ruse renversanl (oudifférant) l'expeC'lation de l'an-

Abonnez-vous

« Qu'Cil. l'st-il de la pIaille'! LapIaille est ill/illie. Elle n 'est pasLa ml'sure du regard. au regarddu projet... n'où si La pLaille estma m('re. si 1/1(/ l'OÎ.1; l'II est déLé­guée. si l'Ile est excès et /11/11·

totalité. FerrI' l'II elle: y ètrl' àlïlltérie!:.r exdut CJlte F~~ a(mrde.y mel/(/('e le pire : le continu. leplI r OUl'er/. la m or/. là oÎt rèt reest de Il'c~tre pas JE. ilÙ sïllClil'i­duer s·éparpille., oÙ tout resollllemais de perSOIlIlI'... »

Par de telles concrétions méta­phoriques. l'éeriture se distribueautour de quelques imal-\es centra­les ou quasi-thèmes (lu pLai/H'. lI'doublet CClïll-jésus. La siri>lIe et lemiroir /c~/é... ). par lesquelles ne setrouye pas désignée l'œuvre deMasoeh. m'ais dans lesquelles celleœuvre devl·ail. au meilleur cas.revelllr.

Un tel revenir (et revcnir autre)caractérise une recherche <lui eslsymptomatologie, mais surtout vo­lonté d'inlerprétation. parce qu'ellerompt avec lous les crilères del'ohjeetivité cl >'e manifeste commeeffort d'invention créatrice. Ene!Tel, celui qui tienl la plume in­vente le visage de son précurseur(Masoeh), invente celle originedont nous savons bien qu'elle estet qu'elle n 'est pas. Car s'agit-il,au fait, d'un essai sur Saeher Ma­roch '! L'Etre dl! balbutiement.c'est au>'si et peut-êlre surtout lefait de « chânter. balbutier, mou-

1Pascal QuignardCEtre du baLbutieml'II tEssai sur Sacher MasochMercure de France éd., 191 p.

Dans ravant-propos du livrequ"il a consacré à Sacher Masoch(J). Gilles Deleuze écrit : « Il sepeut que La critique (au sells Litté­raire) et la clillique (au sells médi­caL) soiellt déterminées à l'litrerdans de nombreux rapports où{'/lne apprend de rautre et réci­proquemellt. La symptomatologieest toujours "//aire d·urr. .. » C'cstune telle « symptomatologie " quetente Pascal Quignard dans unessai dont ni le contenu ni l'artne se peuvent séparer, sous lesigne de Sacher Masoch, d'unevisée à la fois clinique et poétique:

« Balbutier, c 'est la parole dulangage rendu, de la parole abso­lument donnée. C'est RedoubLe­ment" c 'est la passion de la passi­vït.é, passion de la passion. C'l'stM étap/wre. c 'e,~t la Passioll de La!Jassioll. passioll de La Passioll ...[,e bClllmt iem l'lit est La parole duretour, du dé tour au retour même.cl la mère, du retour au détourmême, cl la mort. )1

Par une rhétorique dont n 'estpas mince la puissance d'effrac­tion, Pascal Quignard fait irrup­tion dans le discours philoso­p'Jique. Mais a la limite extrêmeoÙ ce discours. disjoint. n'est plusd'un réseau métaphorique inquietùe lui-même et constamment tra·"el'sé par ses doubles éblouissant,;ou obscurs.

II n'est pas sftr que l'Etre dubalbutiement, en ce que son pm·l'os présente d'encore très phéno­ménologique malgré la volontl;excessive ou excédente de l'auteur,s'inscrive au même ciel que laPrésentation de Sacher Masochrédigée par Gilles Deleuze. Néan·moins, rapproche existentielle etlinguistique de Quignard corres·pond à une dimension qu'il n'étaitpas dans le propos de GillesDeleuze de mettre en relief : di·mension pathique, émotionnelle,située là oÙ le discours se retournesur ses fantômes non discursifs,sur le formalisme sensible qui lehante. C'est pourquoi la médita­tion de Pascal Quignard est decelles que les lecteurs préoccupésde Masoch comme ceux qui sontpréoccupés par l'idée d'un renou·vellement formel en philosophil·.n'éluderont pas.

Page 15: Quinzaine littéraire 94, mai 1970

ARTS

Six siècles d'estampes

Lu Quinzaine litléruire, du 1" IIU 15 IIlIIi 1970

Herman J. WechslerLa Gravure, art majeur137 il!. dont 16 pl. en coul.Cercle d'Art, 244 p.

une· seule planche de bois) biendes années après que Gutenbergeût mis au point (vers 1448) soninvention des caractères mobiles.L'Ars Moriendi et la BilJlia Puu­pernnt en sont de célèbres exem­ples dans la seconde moitié du XV"siècle.

Cette conLinuité d'une esthétiqueprimiLive fut la cause de bien deserreurs de datation, certaines 'plan­ches du XVIII" et même du débutdu XIX" siècle ayant été attribuéesà un travail de beaucoup antérieur.Les changements de technique, mê·me au début de ('époque de la ré­\olution industrielle, ne fUrent pastoujours, d'ailleurs, aecompa~nés

d'un changement d'esprit, ni d'unrenoncement aux habituelles mé­thodes de composition. C'est unedes caractéristiques les plus remar·quables de l'imagerie populaire quela représentation d'un fait histori­que pouvait fort bien s'accommoderd'une part de pure imagination.Et c'est en cela sans doute que lesmots image et imaginaire ont abolila frontière qui séparait leurs si·gnifications. Une lithographie alle­mande de Gustav Kiihn, de Neu­ruppin, intitulée l'Attaque du, Lou­vre pendant la révolution de juil.let 1830, nous fait ainsi voir, sousles coups de feu des assiégeants, lePalais des Doges de Venise!

Les Bilderbogen lithographiéesauront encore, à Munich et ailleurs,une période charmante avec le ro­mantisme sentimental des com-

~lS

\

~a~ uncerfrou\v{c.~~J~

'i)ig. 11.

Bois gravé allemand, X V Ile siècle.

'iJig, 8. ~cr 'liiffe!woll.

Bois gravé allemand, X V Ile siècle.

restera pour eux le moyen de pré­dilection qui leur permettra d'igno.rel' longtemps toute évolution sty­listique. C'est aussi ce qu'avaientfait les imprimeurs de livres, nousdit de son côté Herman Wechsler,en continuant à imprimer des ou­vrages entièrement xylographiques(dont chaque page de texte était,comme son illustration. gravée SHI'

de très primll1ves xylographies duXV" siècle et se termine par unposter Pop munichois de 1967. Etl'on 'reconnaÎtra son mérite si l'onsonge au temps 'que représente larechcrchc, dans les eaLinets d'l's­tampes, des· pièces qui, seules, Tl;'

pondcnt aux caractères de l'image.rie populaire, alors qu'elles n'ysont jamais rassemblées sous la dé­signation de celle catégorie, maisclassées aux noms de leurs auteurs,généralement inconnus.

C'est grâce à cette patience queBriickner a pu étaLlir, pour cha­que époque, l'activité des princi­paux ateliers, que dominaient auXV" siècle ceux d'Augsbourg, deMayence et de Nuremberg, et ob­server l'apparition des nouveauxthèmes qui s'imposèrent pour untemps plus ou moins long, parfoispour pl~sieurs siècles, dans l'ima­gerie.

Beaueoup de ces thèmes étaientconnus ailleurs qu'en Allemagne (leCouple mal assorti, la Fontaine dl'Juuvence, le Monde à l'envers, etc.),mais, sans parler des images depropagande religieuse, aussi biencatholique que protestante - endépit dcs iconoclastes réformistes-, c'est en AfIemagne que furentsurtout répandus, autour de la Ré·forme, certains sujets où se reflè­tent les angoisses et les supersti­tions d'une époque malheureuse.La Mort, le Diable, les sorciers etles sorcières, y jouent un rôle pré­pondérant, en même temps que sontimagés avec une maladresse qui nes'oppose pas à une force expressivevéritablement dramatique, les ca­lamités, les actes de vandalisme.et les plus inquiétants phénomènescélestes qui s'étaient abattus oumenaçaient de s'abattre sur la ter­re.

Un des thèmes les plus rares horsd'Allemagne est celui de Marieenceinte, ici représenté par uneimage d'Augsbourg, la Vierge deBogenberg, inspirée d'une figura­tion vénérée au Moyen Age. L'en­fant est visible sur le ventre deMarie où il se tient debout et com­me dévoilé par une exploration ra­diographique.

L'histoire de l'imagerie populai­'re se confond avec celle des tech·niques d'impression. Mais alors qul'les imagiers utiliseront tous les pro­cédés qui viendront successivements'ajouter à la gravure sur bois ­taille-douce, eau-f~rte, plus tardlithographie, etc. - le bois gravé

Tous ceux que concernent lesformes les plus modernes dereproduction de la penséeécrite ou dessinée en sontredevables aux premiers xylo­graphes dont le travai 1 est àl'origine de toutes les tech­niques d'imprimerie. y com­pris celles du livre. Cepen­dant, nul, à ma connaissance.n'a commémoré d'une façonou d'une autre, en cette an·née 1970, le sixième cente­naire de la gravure dont leplus ancien exemple connu,le fameux bois Protat. auraitété taillé en 1370. Ces lignesfavoriseront peut-être la répa­ration d'une injustice ou d'unoubl i.

Lcs études consacrées aux incu­naLles de l'estampe s'accordenl lou­tcs à démontrer le earactère essen­tiellement populaire dcs premiersboi:; gravés, qu'il s'agisse de petifP;;images de piété ou de cartes àjouer. C'est aussi ce que nous en­seignent les auteurs des deux nou­veaux ouvrages dont nous signa.Ions aujourd'hui le g!'and intérèl :l'Imagerie populaire allemande, deWolfgang Briiekner, et la Gravure,art majeur, de Herman J. Weeh­sler. L'importante documentationiconographique (plus de 300 estam­pes reproduites dans les deux volu­mes) sur quoi se fonde l'étude desauteurs, a pour nous un attraitd'autant plus grand que les origi.naux ne nous sont pas facilementaccessibles et qu'ils nous sont enpartie inconnus.

Pour Wechsler, la plupart desexemples publiés dans son livre ontété choisis dans la collection deLessing J. Rosenwald, fondateur dumusée destiné à sa conservation,l'Alverthorpe Gallery de Jenkin­town, en Pennsylvanie. Pour Brü­ckner, c'est dans les collections pri­vées et les musées d'Europe Cen­trale, principalement ceux oe Ber­lin, Hambourg, Munich et Nurem­berg, qu'il a trouvé cette admirablesérie d'images qui commence par

1Wolfgang BrücknerImagerie populaire allemande199 il!. dont 45 pl. en cou!.Elccta-Wcber, 224 p.

1

Page 16: Quinzaine littéraire 94, mai 1970

~ Jean Selz Un tourplaintes et des histoires racontéesen feuilles volantes. Remarquonsque l'imagerie enfantine fut tard i­ve et ne compta, le plus souvent.que pour une faible part de la pro­duction. De tous temps les imagesservirent à la décoration des inté­rieurs villageois : les Kistenbilderdésignaient celles qu'on collait àl'intérieur des bahuts et des cof­fres, parfois découpées en pcti lsmorceaux, ornant les bois de lit etles portes, ou même, comme ce fl1tle cas, à répoque baroque, d'un cer­tain « Pctit château des Chanoi­nes », à Dürnstein, en Basse-Autri­che, tapissant les murs par centai­nes, les feuilles les plus populairess'y trouvant réunies, pêle.mêle, àces Callotliguren dérivées des Cub­bi Je Jacques Callot.

Les enfants, cependant, eurentleurs histoires, leurs jeux et leurssoldats à découper, aussi bien enbois gravé et en taille-douce qu 'enlithographie. Et lorsque, vers 1870.apparut la chromolithographie, cespetites images brillantcs qu'on ap­pelle en Allemagne des « hosties "(Oblaten) s'offraient à eEX, colléessur des pains d'épices ou. sur despages festonnées de papier dentelle.Ce fut une des dernières formes.et l'une ùes plus jolies, de lïmage­rie véritablemcnt populaire. Onpeut en voir actuellement une excel­lente collection à l'exposition d'()­bla/en qui vient de s'ouvrir àl'Allonaer Museum de Hambourg.

C'est aussi dans la seconde moi·tié du XIX'- siècle que les imngesgravées sur bois debout connurcntune srande vogue en Europe aprèsque cet emploi eût fait, cinquanteans plus tôt, son apparition dansl'illustration du livre. Un bel exem­ple nous en est mantré dans la Cru­vur!!, art majeur avec la reproduc.tion d'une page de l'ouvrage IleThomas Bewick, History 01 BritishBirrls.

Ce que sont les particularités dubois debout, ce que sont toutes lestechniques de l'estampe (il en estaujourd'hui de nouvelles et de trèscompliquées), c'est ce que \Vechs­1er explique fort bien dans son li­Vl'e, et c'est ce qu'il est utile deconnaître alors que le Louvl·e. laBibliothèque Nationale et de nom­breuses galeries nous invitent cons­tamment à contempler dcs gravu­res : nous n'y prendrions peut-êtrepas un plaisir aussi grand si nOlisignorions toutes les difficultés «(uedoit surmonter le graveur.

Jean Selz

1(,

Conceptnon concept

Le moindre paradoxe de cecompte rendu c'est qu'il paraî­tra au moment où s'achèvel'exposition qu'il concerne etque cela n'a strictement au­cune importance. Parmi lesréfiexts que l'art conceptuelmet en question, celui de visi­ter une exposition, comme aubon vieux temps, après avoirété informé de son organisa­tion, est sans doute l'un deceux qui paraissent des plussuoerflus lorsque l'on fait lebilan de l'opération « 18 ParisIV. 70 n.

Ce sigle signifie que 18 artistes,sollicités par Michel Claura, ont parti­cipé en avril 1970, à Paris, 66, rueMouffetard, à une «exposition" quetout le monde s'acharne à considérercomme «conceptuelle" bien que l'or­ganisateur se défende vigoureusementde n'avoir rien fait de tel. Celui-ci seiivre même à une critique du terme etde l'usage qu'on en fait, et ajoute(<< Opus international" n° 17) que lemot, « d'une part, devient synonyme defacilité et~ d'autre part, fait référenceà une cérébralité de bon aloi ".

Donc, 18 artistes européens, améri­c[lins (ct japon1!,is) ont été invités àparticiper il cette opération désignéesous' la référence 18 Paris IV. 70. Lapremière surprise qui attendait les visi­teurs non initiés c'est que 6 seulementd'entre eux (je crois) avaient laissésur les murs quelque chose qui ressem­blait à une trace de leur invention: Gil­bert et George montraient leurs effi·gies; Toroni, des empreintes de pin­ceau; Lamelas, la projection de troisfilms de trois minutes chacun sur des~ortions de temps pris en tournagecontinu; Jean Dibbets, une suite narra­tive de' plusieurs photos prises dans lemétro à chaque arrêt, pendant quinzeminutes; Ruscha, un livre accordéondéplié avec un gâteau (français) aubout et, si je ne m'abuse, il y avaitencore des carrés de couleurs de Djia:let des compositions de Ryman. Que.s'",tait-i1 donc passé qui explique cetétrange phénomène de dilution?

Il faut tout d'abord rappeler que l'artconceptuel posant l'absence de touteréalité esthétique formelle, les moyensàe concrétisation du concept peuventcertes être extrêmement variés (tilms,documents dactylographiés, photos,bandes magnétiques, etc ... ), mais éga­Iement non apparents, non concrets. Lesup;1ort matériel ne constitue, à aucunmoment, l'œuvre elle·même qui de­meure mentale. D'où l'importance ducatalogue qui constitue l'élément cen­trai et essentiel de l'exposition. Ainsi,René Denizot peut écrire: • Le cata­logue rassemblant des documents sansréalité esthétique est donc la totalitéde l'exposition te conceptuelle.. aussibien d'un point de vue formel commeutalogue de l'exposition (panorama de

Jean Di"I",\-.

ce qui est présenté) que du point devue du fond (le catalogue constitue leconteru de l'exposition). Il ('st à la foisle sens de l'exposition et sa réalitésensible ».

On se réfèrera donc au petit livrenoir édité par Seth Siegelaub, .. prochic·teur" de l'exposition, et établi parMichel Claura. Il révèle la raison pro­fonde de la débandade à laquelle cetteexposition a donné lieu et noc!s montreen quoi celle-ci sortait effectivementdu cadre « conceptuel ". Claura a concul'intervention des artistes en deux éta­pes : il leur a demandé, le 20 novembre1969, la soumission d'un premier pro­jet pour le 15 décembre, ét2nt entenduque tous les projets reçcs seraientretournés à chacun des artistes invités,qui renverraient, un mois et demi plustard, leur participation définitive, modi­fiée ou non, après donc avoir pris con­naissance des intentions de tous lesautres. On a beau dire que l'art concep­tuel démystifie le terme de « création"et que l'activité du conceptualismes'intègre entre les domaines de larecherche et ceux de la communication(Catherine Millet), la bonne dose desubjectivisme, de prudence, de carrié­risme et d'égocentrisme, qui anime laplupart desdits conceptualistes, a pro­voqué un mouvement de volière effa­rouchée. L'idée diabolique de Claura afait remonter plus d'un sur son per­choir. Certains ont rompu tout de suite(on ne les nommera pas), d'autres ontcherché des alibis, des dérobades sub­tiles, ont voulu sauver la face: Weinerlaisse aléatoire la réalisation de sapièce; Sol Lewitt efface son premierprojet; Broodthaers envoie un certificatmédical de bonne s;:m~é, pour s'excu­ser, Barry donne dans la divagation: .

D'autres (Brown, Richard Long, d'unecertaine façon On Kawara), les vraisconceptuels de service, ont maintenusans broncher ou presque leurs pre­miers projets. L'évolution des partici­pants • concrets» que nous avons citésplus haut a consisté surtout dans desajustements ou des accommodementsde leur première mouture. Il faudra donGse reporter, pour saisir les subtilités deces comportements et de ces réactions,au petit catalogue noir (en vente danstoutes les bonnes librairies, c'est-à-dire

dans une dizain~ de points à Paris).Il est véritabler:lE''lt .. le sens et laréalité sensible" de cette expositionextraordinai remen ~ ratée, donc sour·noisement réussie dans la mesure oùelle signifiait autre Ghose qu'une paradeconceptuell e.

C'est, en effet. il une entreprise dedér.1olition que s'est livré Claura, à uncarambolage intelligent qui visait moinsles quelques artistes réunis - biensympathiques au demeurant - à qui ilne veut aucun m,,1. que le problème del'art reposé par leurs activités variéeset leur charmant dilettantisme et lefonctionnement même de ce que l'onanpelle une « manifestation artistique ",c'est-à-dire une revue statique, norma­tive, obligatoire, solennelle et cloison­née.

Le système de l'intervention en deuxtemps, au lieu de provoquer une • ac­tion" sur l'exposition de la part desartistes, a donné un mouvement derecul se traduisant par un refus ou uneparticipation passive et spectatrice,que Claura analyse dans la pœtface deson catalogue; il fait ainsi lui-mêl'le lacritique de son entreprise et des réac­tions des participants - ce qui n'estpas la moindre originalité de sa tenta­tive,

Les causes de ce mouvement derecul ou de passivité, résident essen­tiellement dans l'esprit de sérieux desofficiants et dans la référence à unecertaine idée de l'art (l'art est une« réponse à donner" et non une « ques­tion ,,) que' gardent au fond d'eux­mêmes ceux-là mêmes qui en dislo­quent les apparences. «Sur uneidée, sur un concept, des spécula­tions cie tous ordres repartent bontrain sous la houlette de l'art ».

Effectivement, sauf chez' deux irré­ductibles : Toroni et Buren, et chezun participant qui détonne et détonnebrutalement dans la complaisance del'ensemble: Francois Guinochet. Toroniet Buren ont déêonnecté l'exposition,non seulement en se référant à destravaux effectués en -dehors d'elle, maisen donnant à ces travaux, l'un avecimpassibilité, l'autre avec ironie et inso­lence, une valeur critique et révélatrice.Ainsi Buren, qui dans un premier projetavait proposé de faire la critique de

Page 17: Quinzaine littéraire 94, mai 1970

dans les galeriestous les autres projets (ce qui n'a pasété pour rien dans la débandade decertains), a répliqué dans son inter­vention définitive par cc la réalisationlittérale de son premier projet, c'est-à­dire: des bandes verticales bleues etblanches ont été visibles en dehorsdes limites de cette exposition du 25au 31 mars, dans 110 stations demétro ". Ainsi Buren a opposé l'ensem­ble de son travail (sur lequel il faudraitrevenir dans un autre article) à latotalité de l'entreprise conceptualiste,à ses équivoques et à ses complai­sances. Le retournement de la menacecritique, contenue dans le premier pro­jet, en une gifle massive est bien dansla manière de ce dangereux individuqui déjoue (presque) tous les piègesqu'on lui tend depuis deux ans et pour­suit son entreprise de mise en questionde l'art avec une précision et unelogique étonnantes.

Quant à François Guinochet, il a étéle plus expl icite: critique de l'avant·garde, de la spécificité de l'art commeactivité parcellaire, des rapports decelui-ci avec un système social devantlequel il est impuissant, etc. Même si.l'on ne partage pas ce radicalisme durefus de l'art comme moyen - et c'estpour une part mon cas - son interven­tion est une bouffée d'air frais dans lemarais conceptualiste, une réponserationnelle et cohérente devant quinzemaniérismes mentaux, un réquisitoiresans bavure sur "imposture de la plusmanifeste opération de • dépassement­récupération" à laquelle on ait assistédurant cette décennie.

Gérald Gassiot-Talabot.

HantaiUn espace triste : le musée d'art

moderne; un maté.riau pauvre : desmètres de papier couverts de signespeints. Hantaï prouve que le monu­mental tient seulement à la perfectiondu oeste qui l'écrit. Et les dimensionsde ce mur géant de papier qui serabientôt réalisé en tôle émaillée, démul­tiplient, en quelque sorte, la recherchemenée par le peintre dpuis une di­zaine d'années et permettent d'enmieux saisir l'organique continuitéavec ses commencements.

(Musée d'Art moderne.)

Affiches deChine populaireUne exceptionnelle série d'affiches

jamais montrées qui datent d'avant la• révolution culturelle ". Il faut allerles voir pour réfléchir objectivementsur les directives de l'art, leur évo­lution et leur destin dans la penséemarxiste-léniniste et sur le poids d'unetradition artisanale et picturale dontla puissance est ici, non point encoreréprimée, vulgarisée ou niée, maisau contraire exaltée par la fraîcheuret la joyeuseté avec laquelle lesthèmes révolutionaires y sont inté·grés.

(Galerie Vercamer J.)Jusqu'au 6 mai.

Claude Georges

Perturbations, éruptions, explosionsde couleurs structurées par ce gra­phisme si caractéristique de ClaudeGeorÇJes. Le découpage des tableaux,formés de la réunion de plusieurstoiles, ainsi qu'une bande dessinée quisert de préface expriment clairementle désir du peintre de se placer dansla perspective d'une" abstraction nar·rative " : description en plusieurs ima­ÇJes de scènes" interplanétaires " to­talement abstraites. S'il en était be­soin, la force d'une telle expositionmontre que - malgré quelques reten·tissants naufrages d'artistes de l'Ecolede Paris depuis 10 ans - les meilleurscréateurs de l'abstraction lyrique ontune aventure picturale dont les recher·ches actuelles sont très vivantes.

(Le Point Cardinal.)Jusqu'au 23 mai 1970.

Bertholo

L'univers des modèles réduits deBertholo est constitué par quelquesé'6:n,nts naturels primaires (le soleil,l'eau, le vent, et ses fameux nuages)dont on observe l'action sur une situa­tion schématique qui est anecdotepure : une maison et deux palmiers,un bateau à quai. Le globe solaire ap·paraît ou disparaît sur la ligne d'hori­zon et l'ombre des palmiers se rac­courcit ou s'allonge; une balise ma­rine est ballotée par les flots. Dansles dernières œuvres, un élémentaléatoire est introduit par la coursed'une bille folle dont on peut suivreles avatars dans un boîtier transpa­rent; ainsi sont programmés les re­couvrements partiels des trois nuag~s

de • nuaÇJe à surface variable ", oule saut d'un dauohin dans une merhouleuse. La beauté de la mécaniqueet des enqrenages apparents, la len­teur et la précision des mouvementsfascinent aussi.

(Chez Lucien Durand.)Jusqu'au 9 mai 1970

Nous remettons au prochain nu­méro la critique de l'expositionMatisse qui nous a semblé mériterune étude approfondie dans sa pré­sentation définitive. Mais' nous si­ÇJnalons dès à présent à nos lec­teurs l'exceptionnelle qualité del'accrochage dû à Jean Matisse, lefils du peintre. Moquant les modes.et sans autre système que celuide la sensibilité, non seulement ila su respecter le cheminement del'œuvre sans être l'esclave de lachronologie, mais il a différenciél'organisation des cimaises selonles périodes de la vie du peintre :bourrant presque les premières sal-

Claude Ct'or!(es, huile sur toile, détail.

Eva AeppliTrente poupées grandeur nature, en­

sachées dans de longues robes de ve­lours châtaigne, d'où n'émergent queles longues mains de squelette et latête, dont la forte ligne du nez accen­tue l'arc d'un crâne prognathe. Trentetêtes identiques aux méplats marqués,qu'une légère variation dans la miseen place de l'œil ou de la bouche,quelques roussissures légères suffi­sent à rendre différentes.

Ces visages, ces mains que l'on di­rait sculptés, sont en réalité faits detissu et ces poupées sont d'étrangespersonnages asexués dont le hiératis­me intemporel provoque la rémi­niscence littéraire et en autorise lamise en scène.

Etres d'entre vie et mort, ils siè­gent chez lolas dans "attente d'onne sait quel jugement, juges ou ac­cusés, victimes ou bourreaux, em­preints de toutes les ambiguïtés dé­lectables de la culpabilité.

(Galerie Alexandre lolas.)

Nicolas Bischower

les, au gré d'expériences extraor­dinairement diverses et au goût del'époque, aérant ensuite, jouant dela hauteur, des contrastes et desrapprochements. C'est une des pre·mières fois qu'il nous aura étédonné de mesurer positivement (etnon négativement comme dans lecas de la triste exposition Picasso)la triple valeur heuristique, esthé­tique et didactique de l'accrochage.

F. C.

Grand Palais jusqu'au 21 septem­bre 1970, tous les jours de 10 h à20 h et le mercredi de 10 h à 22 h.

Roel d'HaeseDeux totems semblent veiller sur

l<>s confins de l'exposition de Roeld'Haese comme pour mieux "isolerdu monde extérwur. A l'entrée, Dide­rot soulevé par le jaillissement d'uncri déchirant. Au fond, Gœthe, tel unPégase aptère pétrifié par quelquefoudroiement chtonien au moment deprendre son vol, cloué au sol par unehésitation qui fige son corps dansune scrutation inquiète. Entre cesdeux pôles, que Claude Bernard sem­ble avoir dressés à dessein, commedes bornes initiatiques, aux extrémi­tés de cette exposition, un univershermétique, clos, gardé par ces divi·nités tutélaires.

L'invocation de celles-ci ne paraîtpas gratuite. Chacune d'elles inGarne,à sa manière, dans la mythologie fami­lière qui nous tient lieu de lecture,une image de sérénité, tantôt aima·ble et souriante, tantôt grave et appo­linienne. Roel d'Haese les restitue àun univers profondément chaotique etbaroque où la joie et la légèretén'éclatent, de haute lutte, qu'au som­met d'une infrastructure analyséeavec une humilité méticuleuse, com­me dans la Madelon, ou érigée sur unpromontoire écra!lflnt, comme 1e spieds massifs de l'Aviateur.

Chacune de ces œuvres relève dela métamorphose, aboutissements noc­turnes d'associations hybrides, que lebronze perpétue dans leur dérisoireincongruité. Dans les dessins, en re·vanche, la fluidité et la mobilité deslignes accentuent leur fragilité. Noyésdans les spirales et les circonvolu·tions du rêve, les visages et lescorps se confondent comme des re­flets perçus par à-coups dans une dé­rive envahissante.

(Galerie Claude Bernard.)

Guy C. Buysse

La Quinzaine littéraire, du r au 15 mai 1970 17

Page 18: Quinzaine littéraire 94, mai 1970

CarnacMille' lIlilliards

de .'dollars

:\li~llt'nlCnls de Kerrnaria.

1Denis RocheCarnacPhotos de J.-R. MassonTchou éd., 256 p.

A la fois carnet de routc, guidchuristique ct recueil de citations,un livre' récent ouvre en quclques~;·te une parenthèse dans la sériede3 « Guides noirs» que publieté~ulièrement l'éditeur ClaudeT~:hou.

. Carnac est en effct le dossierd'une irritante énigme qui n'a pasu'anqué de fasciner, après des gé­nerations d'archéologues, d'histo­riens, d'écrivains, le poète DenisRoche. L'ordre mégalithique2.200 menhirs, 4.500 dolmcns, 70ali~nements et 106 cromlechs duterritoire français, monstres depierre que Ics spécialistes s'effor­cent de recenser mais auxquels ilsne peuvent donner d'explicationsatisfaisante. Le grand menhir briséde Locmariaquer aurait mesuréplus de 20 mètres et pesé dans les30.0 tonnes. L'une des dalles decouverture du dolmen de Bagneuxpèse 52 tonnes. Les alignements 'deCarnac comprennent près de 3.000!.l1enhirs plantés sur 4 kilomètres.Or nous ne savons rien des hom­mes (des « civilisations» ?) qui ontpu édifier ces monuments, ni destechniques employées.

Quelques ossements, quelqucsohjets pas toujours contemporains,quelques gravures ne nous rensei­gnent guère. Les données ethnolo-

18

giques et anthropologiques Ics plusrécentes permettent tout au plusd'émettre quelqucs hypothèses, Iledéceler quelques filiations. Le dol­men, souvcnt enfoui sous un tumu·lus aurait cu un rôle funéraire. Lemcnhir est plus ambigu : poteau·totem, stèle votivc ou eommémora­tivc, silhouette humaine, phallus?Le phénomène mégalithique touchcdes régions aussi diverscs que leTibet, rInde, la Corée, rEthiopie,la Syrie, rAfrique du Nord, laCorse ou le Danemark. S'agit-il dephénomènes de convergence '! Peut­on interpréter Ics aires de disper­sion 'européenncs par rextenslOnd'une Il religion » venue par merdu Moyen-Orient '! Autant d'inter­rogations que Denis Roche ne man­que pas de rappeler.

Mais (1 hors des mégalithes, riend'autre ne caractérise le mégali­thisme ». En effet, que dire '! Nousn'avons aucune donnée « histo­rique», rien qui réponde à uneotle, à quelque possibilité de dé­chiffrement. Absence de sujet cer·tes, mais non pas absence de dis­cours : des génér~tions de « com­mentateurs malheltl eux» se sontsuccédé avec la même frénésied'explication radicale. Et c'est sur·tout cette disproportion entre notreignorance et l'abondance du di~"

cours qui a frappé l'auteur. !.lnlivre sur les mégalithes ne peut êtreque l( l'histoire des rhétoriques duI/l(;/{alithisme». Ainsi, le dolmen,l( sa signification n'existant pas,est-il possible que signifie à sontour la façon que nous avons de le

1Robert T,aui-s11 ille Milliarris dl' DollarsEdition spé"iale, 222 p.

Ce livre, écrit dans un esprit as­sez analogue à celui Ile J,-J. Ser­\'an-Schreibcl', mais clavantage('('ntré sur les entrcpl'ises, reposcsur un raisonnement par extra·polalion construit semble-t-il com­me suit: les ~()() premières firmesaméri,'aines, ct les 100 premièresfirmes non américaines ont ,lou­hlé leUI' chiffre Ira.ITaires en huitans. Cela nous donne une hypothè­se de croissanee - 1(' doublementen huit ans -, ct une idée Ilesproportions entre sociétés améri·('aines ct non amél'icaines - einqà un. Il est plus difficile de direpourquoi l'auteur a ehoisi ensuitede ('oneentrer le projeeteur surles soixante plus grandes entre-

raconter r »

Quel est cc lieu, Carnac? Com­ment explilluer ces alignemcnts demilliers d'énormes blocs dressés?Armée romaine figée par Saint Cor­neille, vestiges d'un camp de César"monument druidique, cimelière« préhistorique », figuration zodia­cale, monument égyptien (Carnac= Karnak !), champ de bataille ...Chaquc époque secrète des inter­prétations, chaque auteur projelleses funtasmes, entendez sa eelloma­nie, son égyptomanie, son nal iona­lisme; ct les textes que cite lon­guement Denis Roche, ne man­quent pus de saveur. Quelqucs écri­"ains s'en sont mêlés : Chateau­hriand «( Teutatès veut du sang:il a parlé dans le chêne des clrui­des») ou Fluubert «( Le champ de

,Carnac est IlIl large espace dansla campagne, oÙ l'on voit onze filesde pierres noires... »). '

En fait, le livre risque de laissersur sa faim le lecteur curieux : pasde ~rande synthèse, pas d'expli­eution définitive et rassurante. seu­lement quelques hypothèses n 'esl­ce pas, tout compte fait, une démar­che scientifique? Ainsi, not rescience n'ayant pu se l'approprier,le classer, le mégalithe demeu redisponible, ouvert à tous les dis­cours. C'est ce constat agaçant quedresse Carnac. Signalons les bellesphotographies de Jean-Robert Mas­son qui apportent à l'ouvrage sonindispensable complément gra­phique.

Alain Jaubert

prIses (a\'ee lc même' pu rtugc:lO + 10). Est-cc pal'ce (lue lechiffre (ruffaires de ce groupeétait en 1968 (Ic ronlt'e de 2:>0millianls de tlollal's. ce (plÎ ave,"lu règle précitée, le fait Ilualint.plcr ,l'ici 198:> et le porte UII ('hif­fre « parlant» de 1.000 milliards,titre de l'ouvragc ? On uuruit puen effet opérer le même calculavec les 600 firmes, et Iruilleurs)1. Lattès é('rit quelque l'urt IllIele llIonde développé sera ,lominééconomi'iuement pal' 1.')0 ent re­pl'ises, alol's que d'alltres ont parléde 300.

Le ('hiffre n'est pas l'essentiel,au demeurant. Ce qu'il s'agit Ilefaire ressOl·tir, e'est d'uboJ'(1 lu ten­dance il la l'onl'entration éeonomi­qlle, et jI n'est pus sÎtr qlle l'extra­polation soit un bon instrumentde prévision, car en 1930 BerIeet Neans s'étuient déjà essayés àun tel exerei('e, et l'évolution réel­le n'a pas ('onfirmé leIII' pronostic.Le second oh.iectif, à mon avis leplus intéressant, ('onsiste à souli·gner qlle dans le~ échanges écono­III i'lues internationaux, l'investis­sement direct effedllé il l'étrangerdevient allssi important qlle l'ex­pOl'lal ion. D'oÙ la néecssité de ré­\'iser certaines unalyses économi­'lues qui tlatent Ile l'époque oÙc!Jaque Elat n'avait affaire qu'àdes entreprises pu rement autoch­lones. alors qlle de nouveaux cen­tres de décision apparaissent, à sa­voir les firmes dites multinationa­les Ilui échappent (moins totale­ment pourtant que l'auteur ne lesuggère en forçant le trait 1 à J'in­fluence de la pclitique économi­que ou monétuire. On auraitd'uillcurs tort de croire que lephénoJlti'ne sc limite aux seuleséconomies indust delle" de l'Ouest,car ,les sodétés multinationalesanglo-saxonnes s'installent dansle Tiers-Monde pour y transfor­mer des matières premières ali­mentaires, et elles commencent àfail'e Ile même dans des pays del'Est IBulgarieL

La partie «effets de civilisa­I ion» du phénomène est moinsconnlincante, parce que trop ra­pillement traitée. Je préfère là­dessu,; renvoyer le lecteur au livrede Mishan, de la London Schoolof Eeonomics, The Costs of Econo·mir Crowth, qui vient de paraîtreen livre de poche chez Penguin,en formulant le vœu qu'il soithientôt traduit en français.

Bernard Cazes

Page 19: Quinzaine littéraire 94, mai 1970

LIRaVISTICI 1JE

L'étrangère

La Quinzaine littéraire, du r au 15 lII<ti 1970

par Roland Barthes nous a fait découvrir. Le premieracte de ce dialogisme, c'est, pour lasémiotique, de se penser à la foiset contradictoirement comme scien­ce et comme écriture - ce qui. jecrois, n'a jamais été fait pa'r aucunescience, sauf peut-être par la sciencematérialiste des présocratiques, etqui permcttrait peut-être, soit diten passant, de sortir de l'impassescience bourgeoise (parlée) / scienceprolétarienne (écrite : du moinsposlulalivcmcnt ).

La valeur du discours kristevien,c'est que son discours est homogèneà la théorie qu'il énonce (ct cettehomogéné'ilé est la lhéorie même) :en lui la science est écriturc, lesignc est dialogique, le fondementest destructeur : s'il paraît « diffi­cilc » à certains, c'est précisémentparce qù 'il est écrit. Cela veut dire(1 uoi '! D'abord qu'il affirme et pra­tique à la fois la formalisation etson déplacemcnt, la mathématiquedevenant en somme assez analogueau travail du rêve (d'où beaucoupde criailleries). Ensuite qu'il assumeau tilre même de la théorie le glis­sement terminologique des défini·tions dilcs scienlifiques. Enfin qu'ilinslalle un nouveau type de trans­mission du savoir (ce n'est pas lesavoir qui fait problème, c'est satransmission) : récriture de Kris­teva possèdc à la fois une discursi.vité, un « développement» (on vou·drait donner à ce mot un sens « cy·c1istc » plus que rhétorique) et uneformulation, une frappe (trace desaisissement et d'inscription), unegcrminalion : c'est un discoürs quia~it moins parce qu'il « représente »unc pensée que parce que, immédia­lement. sans la médiation de lalcrnc écrivance, il la produit et ladestine. Cela veut dire que la séma­nalyse, Julia Kristeva est la seule àpo";voir la faire: son discours n'estpas propédeutique, il ne ménagepas la possibilité d'un « enseigne­ment» ; mais cela veut dire au,ssi,à l'inverse que ce discours noustransforme, Il 0 U s déplace, nousdonne des mots, des sens, des phra­ses qui nous permettent de travail­ler et déclenchent en nous le mou­vement créatif même : la permuta­tion.

En somme, ce que Julia Kristevafait apparaître, c'est une critique dela communication (la première, jecrois, après celle de la psychana­lyse). La communication, montre­t:elle, tarte à la crème des sciencespositives (telle la linguistique), desphilosophies et des politiques "II« dialogue », de la « parli('ipation "

~1!1

• Nous définissons le texte commeun appareil translinguistique qui redis­tribue "ordre de la langue, en mettanten relation une parole communicativevisant l'information directe, avec dif­férents types d'énoncés antérieurs ousynchroniques. Le texte est donc uneJ:rvductivité, ce qui veut dire : 1 r:O'l

rapport à la langue dans laquelle ilse situe est redistributit (deslructivo­constructif), par conséquent il estabordable à travers des catégories lo­giques plutôt que purement linguisti­ques; 2. il est une permutation detextes, une intertextualité : dans l'es­pace d'un texte plusieurs énoncés, prisà d'autres textes, se croisent et seneutralisent -.

Le texte

La théorie

• La recherche sémiotic/ue resteune recherche qui ne trouve rien aubout de la recherche (. aucune clépour aucun mystère", dira Lévi­Strauss) que son propre geste idéo­logique, pour en prendre acte, lenier et repartir de nouveau.

Julia Kristeva

ve, dialectique, irréductible à un sensuniaue mais faite de type de pratiquessignifiantes dont la série plurielle res­te sans origine ni fin. Une autre his­toire se profilera ainsi, qui sous-tendl'histoire linéaire : l'histoire récursi­vement stratifiée des signifiancesdont le langage communicatif et SOI.

idéologie sous-jacente (sociologique,historiciste, ou subjectiviste) ne re­présentent que la facette superfi­cielle ".

rie de la sémiologie : « Toute se­miotique ne peut se faire quecomme critiqlLe de la sémiotiqup. ».Une tclle proposition ne doit pass'cntcndrc eomme un vœu pieux ethypocrite «( critiquons les sémioti­ciens qui nous précèdent »), maiscomme l'affirmation que dans sondiscours même, et non au niveaudc cluelques clausules, le travail dela science sémiotique est tissé derclours destructeurs, de coexisten­ces contrariées, de défigurationsproductives.

La science des langages ne peutêtre olympienne, positive (encoremoins positivistc), in-différente,adiaphorique, comme dit Nietzschc;elle est elle-même (parce qu'elle estlangage du langage) dialogique. ­notion mise à jour par Julia Kris­teva à partir de Bakhtine, qu'elle

L'écriture et la science

La sém.analyse

.''Si le sémioticien vient après l'écri·vain, cet • après - n'est pas d'ordretemporel : il s'agirait, pour l'écrivaina:lssi bien que pour le sémioticien,de produire simultanément des langa·ge!'. Mais la production sémiotiquea~ra la particularité de servir de trans­mission entre deux modes de produc­tion sionifiants : l'écriture et la scien­ce; la sémiotique sera donc le lieuoù la distinction entre elles est desti­née à s'articuler-.

• Faisant éclater la surface de lalargue, le texte est l'. objet" qui per­mettra de briser la mécanique concep­tuelle qui met en place une linéaritéhistorique et de lire une histoire stra­tifiée : à temporalité coupée, récursi-

L'histoire

• Le problème de l'examen critiquede la notion de signe se pose à tou­te démarche sémiotique : sa défini­tion, son développement historique,sa validité dans, et ses rapports avecles différents types de pratiques si­gnfiantes. La sémiotique ne sauraitse faire qu'en obéissant jusqu'aubout à la loi qui la fonde, à savoirla désintrication des démarches Si­

gnifiantes, et ceci implique qu'ellese retourne incessamment sur sespropres fondements, les pense etles transforme. Plus que • sémiolo­gie» ou • sémiotique -. cette scien­ce se construit comme une critiquedu sens. de ses éléments et de seslois - comme une sémanalyse-.

l'œuvrc dc Julia Kristeva est cetavertisscment : que nous allonstoujours trop lcnlemcnt, que nousperdons du temps à « croire », e 'est­à-dirc à nous répélcr ct à nous eom­plairc, qu"il suffirait souvent d'unpetil supplémenl de libcrlé dans unepcnsée nouvellc pour gagner desannécs dc travail. Chcz Julia Kris­teva, ce supplément est théoriquc,Qu'est-ce que la théorie'! Ce n'estni une abstraction, ni unc généra­lisation, ni une spéculation, c'estune réflexivité; c 'cst en quelquesorte le rcgard rctourné d'un lan­gage sur lui-même (ce pour quoi,dans une société privée de la pra­tiquc socialistc, condamnée par làà discourir, le discours théoriqueest transitoirement néet'ssaire). C'esten ce sens quc, pour la prcmièrefois, Julia Kristeva donnc la lhéo-

Quoique récente, la sémio­logie a déjà une histoire. Dé­rivée d'une formulation toutolympienne de S a u s sur e(<< On peut concevoir unescience qui étudie la vie dessignes au sein de la vie so­ciale "), elle ne cesse des'éprouver, de se fractionner,de se désituer, d'entrer dansce grand carnaval des lan­gages décrit par Julia Kris­teva. Son rôle historique estactuellement d'être l'intruse,la troisième, celle qui déran­ge ces bons ménages exem­plaires, dont on nous fait uncasse-tête, et que forment,paraît-il, l'Histoire et la Ré­volution, le Structuralisme etla Réaction, le déterminismeet la science, le progres­sisme et la critique descontenus. De ce .. remue­ménage ", puisque ménagesil y a, le travail de JuliaKristeva est aujourd'hui l'or­chestration finale il enactive la poussée et lui don­ne sa théorie.

Lui devant déjà beaucoup (el dèslc début), je vicns d'éprouver uncfois de plus, et cette fois-ci dansson cnsemble. la force de ce lra­vail. Force veut dire ici déplace­ment. Julia Krisleva change la placedes choses: elle délruil Loujours ledernier préjlLgé, cel u i donl oncroyait pou v 0 i r se rassurer els'enorgueillir; ce qu'elle déplace,c'est le déjet-dit, c'est-à-dire l'insis­tance du signifié, c'est-à-dire la bê­tise; ce qu'elle subvertit, c'est l'au­torité, celle dc la scicnce monolo­gique, de la filialion. Son travailest entièrcmcnt neuf, exact, nonpar purilanisme scientifique, maisparce qu'il prcnd toute la place dulieu qu'il occupe, l'emplit eXlIcte­ment, obligeant quiconque s'cn ex­clut à se découvrir en posilion dcrésistance ou de censure (c'est cequ'on appelle d'un air très choqué:le tcrrorisme).

Puisque j'en suis à parler d'unlieu de la recherche (laissant à qucl­ques citations que j'ai choisics lesoin de rappeler les arliculations decctte pensée), je dirai que pour moi

1Julia KrislevaSéméiotiké,Recherches pour une sémanalvse.Coll. Tel Quel. .Le Seuil éd., 381 p.

Page 20: Quinzaine littéraire 94, mai 1970

Un classiquede la linguistique

et de l' Il échange », la communica·tion est une marchandise. Ne nousrappelle-t-on pas sans cesse qu'unlivre Il clair» s'achète mieux, qu'untempérame~tcommunicatif se placefacilement? C'est donc un travailpolitique, celui·là même que faitJulia Kristeva, que d'entreprendrede réduire théoriquement la corn·munication au niveau marchandde la relation hitmaine, et de l'inté­grer comme un simple niveau fluc­tuant à la signifiance; au Texte, ap­pareil hors-sens, affir.mation victo·rieuse de la Dépense sur l'Echange,des Nombres sur la Comptabilité.

Tout cela fera-t-il son chemin ?Cela dépend de l'inculture fran­çaise : celle-ci semble aujourd'huiclayoter doucement, monter autourde nous. Pourquoi ? pour des rai·sons politiques, sans doute; maisces raisons semblent curieusemfmtdéteindre sur ceux qui devraient l~

mieux leur résister; il y' a un petitnationalisme d e l'intelligentsiafrançaise; celui·cl ne porte pas,b i e n sûr, sur· les nationalités(Ionesco n'est-il pas, après tout, lePur. et Parfait Pet i t BourgeoisFrançais ?), mais sur le refus opioniâtre de l'autre langue. L'autrelangu~ est celle que l'on parle d'unlieu politiquement et idéologique­ment inhabitable : lieu de l'inter­stice, du bord, de l'écharpe. du boi·tement : lieu .cavalier puisqu'il tra·verse,· chevauche, panoramise et of·fense. Celle à qui nous devons unsavoir nouveau, venu de l'Est etde l'Extrême·Orient et ces instru·ments nouveaux d'analyse et d'en­gagement que sont le paragramme,le 'dialogis'me, le texte, la producti.vité, ~'intertextualité, le nombre etla formule, nous apprend à travail­'1er dans la différenc~, c'est·à·direpar dessus les différences au nomde quoi on nous interdit de fairegermer ensemble l'écriture et lascience, l'Histoire et la forme, lascience des signes et la destructiondu signe : ce sont toutes ces bellesantithèses, confortables, 'conformis­tes, obstinées et suffisantes, que letravail de Julia Kristeva prend enécharpe, balafrant notre jeu n e.science sémiotiq\.le d'un trait étran­ger(ce qui est bien plus difficilequ'étrange), conformément à la pre­mière p h ras e de Séméiotiké :Il Fq.ire de la ,langue un. travail, œu­vrer dans la matérialité de ce qui,pour la société, est un moyen. decontact et de compréhension, n'est.ce pas se faire" d'emblée; étrangerà.la langlJe ?»

Rolqnd Barthes

fi

La traduction en français del'ouvrage fondamental de lalinguistique américaine doitêtre salué comme un événe·ment de l'ordre de .Ia culturegénérale; il est douteux, eneffet, qu'en linguistique cettetradl.!ction puisse e x e r c e rencore que 1que influenceactuellement. Certes, l'impor·tanc.e de cette Bible ou de cevade·mecum de la linguistiqueaméricaine n'est plus à établiret, depuis la date de sa paru·tion, 1933, le livre a été lu,comme il est à souhaiter,même en France.

l.eonard Bloomfield,Le Langagf'.Trall. de l'américainpar Janick Gazio,a\ ant·proposde Frédéric François.Payot, éd., 525 p.

Toutefois, il faut le dire dèsmaintenant, beaucoup de lecteurs,.non linl!uistes et linguistes, béné­fjcieront de ce taLleau complet etsystématique du fondement de lalinl!uistique structurale actuelle.De ce point de vue, on trouveraitdifficilement l'équivalent de cel'ôté-ci de l'Atlantique: un ou·Ha!!e qui prend le lecteur sans·prénotion aucune et qui le con­duit, dé chapitre. en chapitre, àla connaissance de la ling:uistique.Ce' fondement a donc' double va­leur, et scientifique et pédagogi­que.

L'avant-propos de FrédéricFrançois tente de discerner defaçon claire et intéressante Il cequi est vivant» et (( ce qui estmort », ou plutôt le vrai et lefaux, d'un tel travail d'ensemble.Il a l'avantal!e d'attirer l'attentionsur les roints litil!ieux et sur les­quels la discussion reste ouverteet susceptible d'être féconde. Ilressoit Ile ce texte liminaire que.la lin!!uistique de Bloomfield estissue .l'une idéol01tie propre, maisn'en dirait·on pas de même desautres? Aussi apparaît flonc unpremier problème général : celuidu rapport de l'idéologie et dela sl'ience sociale, car lalinl!uis­tique est, pour ·Bloomfielll commeponr Trubetzkoy, ni science de la·nature ni science de l'e"prit, maisscienCf' .~ocialp.

Sans doute, ICI encore, seraeQnfirmée l'observati~n selon, la­quelle' des chercheurs d'inspira.

tion différente parviennent finale·ment à des formulations et à dessolutions anal0l!ues. Mais, (~omme

le soulil!ne l'introduc~teur, ces so·lutions ne sont pas idfmtiqLlf's.Par exemple, Bloomfield hésitesouvent entre critère physique(aceent très fort, fort, ou faihle)et critère fonctionnel (fonction(~ulminative, .Iémarcative, ou ex­pressive). Tandis que pour Tru­hetzkoy seules les fonctions lin­/-!,uistiques de l'accent ont quel­que valeur clarifiante.

Autre problème I!énéral et ll'ail­leurs extra-linl!uistique, celui fIela différf>flcf' qui s'instaure fata­lement entre les précurseurs etleurs SUf~('esseurs : ce que ces der·niers ~a)!nent en rigueur sur lespremiers ne s'obtient qu'au dé­triment .Ie la richesse et de lamu1tiplil'ité des voies ainsi sacri­fiées. Faire é('ole entr3îne doncnél'essaire mutilation; d'où laprudence qui c01nmande la re­lecture de ce qu'il est convenud'appeler les Il classiques n : leurcontenu Ilépasse largement leurpostér.ité. C'est aussi en quoi laleeture du Langage de Bloomfields'impose trente ans après. Unmême ret(;ur aux sources .le la lin­I!uistique européenne n'est pat!sans conséquences: l'intérêt d'uneétude du Cerele fIe Pra!!ue n'aIl'ailleurs pas échappé. Si J'his­toire exigeait quelque justifica­tion, voilà qui est fait.

Il est vrai, comme l'affirmeMalmberl! ,lans Lf's flOU I:ellf',~ ten­dances de la linguistiqllf' (P.U ,F.,1966), que l'analyse de Bloomfieldne se distingue pas de celle desphonolo)!ues de Pra)!ué. Aussis'est-on interrogé sur l'oril!inedes similitudes qu'offrent les tra­vaux .le Bloomfield avec les prin­cipes et les méthofles des formesdites structurales de la lin)!uisti­que européenne. Y a-t~il eu dépen­danee réelle, puisque entre 1914,,Iate de l'Introduction to tlze Stu­dy of languagf' et 19~3, Bloom­field avait pu prendre connais­·sance des tenrlances européennes ,?Ou bien, s'al!it-il d'un accord.« nécessaire Il s'expliquant parl'ohjet lui·même. rie l'étudebloomfieldienne Je lanl!agehumain?

La "conception du lan)!al!e com­me produit social, Bloomfiehl apu la trouver chez son compatrio.te Sapir, qui lui·même comme lesuppose Adam SchaH (in: Lan·gage et connaissance, éd. Anthro­pos, 1969) concorde avec Hum·

Loldt. En fait, Sapir; a été fornH~à

l'éeole des ethnologues (~Omllle

Boas, et Bloomfield à celle ,leWundt d'abord et des behaviorls­tes ensuite. De toutes façons,Bloomfield· a vivement repoussél'interrm~t~tionpsYl'hologisante de.Hermann Paul. Il v a chez Bloom­field un refus' très net dunlf'''tali.~11I(', au bénéfice d'une.Iescription linl!uistique adéq\.late,permettant d'ailleurs grâce à uneri~~ueur toute "cientifique d'appor­ter les. conelusions historiqllPs né­j'essaires adaptées à une ten(~ des­cription. Tels sont les principesd'une étude lin)!uistique de l'évo·lution. Conune l'éerit FrédéricFrançois: Il la distinction pntrel'ariatiuns p/w.nétiques continuesf't variations phonologiqups dis·continues, aboutissement des pre­nlièrt,.~, peUt seule en f'I/(·t rt!ndrec(~;r lois intelli,~ibles... (~llf;n lesloi.~ ne deviennf>nt intelligiblesque .~i on les envisage commel( structurales n, c'est-à-dire com·me traduisant lf's prt's.sionsqu'exercent 11111 tuellf>nwnt le,~

plzonènws les UliS sur les autrt!s,causes stru.cturdf's qui fournis.wnt1(,. cadrt~ dans lequel des considé·ra-tions de ling1listiqup externepeuvent. jouer (emprunts, inva­sions, etc.) » (p. XIII.XIV). AinsiBloomfield raual'he-t-il ril!0ureu­sement toute l'onclusion historieque concernant la. lanl!ue à laprésupposition d'une analyse syn·chronique. .

Depuis Bloomfield, les troisrelations syntaxiques suivantesont été définies rar les linl!uistesaméricains d'après les rapportsentre les constituants immédiatset l'unité: relation de suborlli·nation (l'unité et un seul desconstituants appartiennent à lamême clàsse fonnelle), relation del'oordination (la classe formelle del'unité est celle même de chacunries constituailts), relatioil deconstruction exocentrique (la clas.se formelle rie l'unité est autreque ~elle des constituants). Onidentifie ces constructions avec lesfonctions de la glossématique<l:dossèmes : les plus petites uni·tés de sil!nalisation): la' sélec·i·ion, la combinaison, la solida·rité. Il faut savoir, en outre, queBloomfield a relevé le caractèreindécomposable ,du mot qu'Ü dé·finit comme "minimal free form" :forme libre minimale. Ce critèrea le défaut d'exclure les préposi.tions et conjonctions mais il{onctipnne négativement po»r,

Page 21: Quinzaine littéraire 94, mai 1970

Le vocabulaireindo-européen

La Quinzaine Iitl4lraire. du 1:" cu 15 mai 1970

(' lasser les unités liées (comme leait de mangeait). Ainsi le mél'itede cette définition du mot estd'être purement linguistique, etnon sémantique.

L'ouvrage lui-mi-me procèllf'd'une présentation pro~ressive.

L'observation est la base de cetenseignement. « Jac/,' et Jill des­cendent un sentier. Jill a faim.Elle ,'oit une pomme sur un arbre.Elle fait un bruit alWC son larynx.sa langue et sps lèvres. Jack sautela barrière, grimpe à l'arbre,prend la pomme, rapporte à Jill,la pose dans sa main, Jill mangela pomme)) (p. 26-27). Bloom­fie!l1 décompose l'incillent en troisparties: « A. Actions pratÎque.~

précédant l'acte de parler. El Ll'discours. C. Actions pratiques sui­vant l'acte de parler.)l Il y ad'une part en A des éléments quisont le ,~timulus du locuteur, fl'au­tre part, en C, nous assistons àla réponse de l'auditeur. Quant àl'événement-parole, il se décom­pose ainsi : BI : mouvements desl'ordes vocales, de la mâchoire in­férieure, de la langue, qui sontune réaction au stimulus : réactionlinguistique de substitut; B2:mouvement des ondes sonores;B3: vibration des tympans deJack, audition-stimulus : stimuluslinguistique-substitut. Qu'est-ceque le langage ? Ce sont les ondessonores qui comblent la séparationentre les corps du locuteur et del'auditeur. Et si : « Un groupe' so­cial humain est réellement uneunité d'un ordre supérieur à celuid'un animal seul, de même qu'unanimal composé de plusieurs cel­lules est une unité d'un ordre su­périeur à celle d'une simple cel­Iule» (p. 31), le langage n'estautre que ce qui coordonne legroupe social. Les communautéslinguistique~ ont des types Ilediscours qui sont: 1. la languelittéraire standard; 2. la languestandard padée; 3. la languestandard provinciale; 4. la lan­gue sous-standard; 5. le dialectelocal. Si, des trois phases de l'in­cident Jack-J ill, on admet queA et C constituent notre monde et,par le fait, renferment la signi­fication de B, et concernent doncla sémantique.

Une étude du langage peut semener sans préjugés spéciauxquant à la signification, c'est laphonétique: c.a.d. la phonétiquede laboratoire qui étudie la lan­gue du point de vue acoustiqueet physiologIque. Au contraire,

« la phonologie ne prend pasgarde à la nature acoustique desphonèmes, mais les acc('pte sim­plement comme dl's unités dis­tinctes)) (p. 131). Bloomfieldmontre la nature et la portée dela méthode comparativl' qui per­met des reconstructions; mais:« La méthode comparative nelWU,~ hu/iqul' en principe rien ence qui concerne la forme acous­tique des formes reconstruites;elle n'identifie les phonèml's d(,sfonnes reconstruites que conlmede,~ unités récurn'lltes » (p. 291).La métholle comparative supposedes ruptures et « reconstruit de,~

langue,~ mères uniformes, existantà certains moments du passé, pt

suit des changements qui ont ('ulieu après que chaque languemère se soit scindée jusque dansla langue mère qui a .mil;i dansla langue enregistrée)l (p. 293).Il en résulte une généalo~ie deslangues. De quoi dépenll l'expan­sion des traits linguisti{IUeS, si­non des conditions sociales? Etquand peut-on parler de change­ment phonique? Seulemf'nt,« lorsque la substitution de l'ha­bitudl' a conduit à une altérationde la structur<' de ·la langl/('))(p. 344). Le chan~ement phonéti­que « l'st un changement dans le.~

habitudes d' ('xécution des mou­I;enlent.~ producteurs de ,~on))

(p. 347) ; mais il existe d'autreschangements; tout d'abord lechangement analo.gique, ne prove­nant pas d'un prolongement alté­ré de formes plus anciennes etrésultant d'un processus de for­ma~ion étudié par Bloomfjeld etqui n'est autre que le mécanismede la quatrième proportionnelle

A P

B xA et B étant de même nature,

la relation Ax doit être néces­saIre.

Autre changement : le change­ment sémantique, ce sont « lesinnovations qui chan!{ent le senslexical plutôt que la fonction!{rammaticale d'une forme» (p.402). Et Bloomfield montre que« la métaphore poétique ('st en!{rande partie une excroi.~sance

des emplois figurés du discoursordinaire)) (p. 219). Il est per­mis, en tout cas, d'espérer quela linguistique pourra permettreune meilleure compréhension dessociétés humaines. Telle est laconclusion de Bloomfield.

Angèle Kremer-M'arietti

Emile BenvenisteLe vocabulaire des1nstitutions indo-européennesT. 1. Economie, parenté, sociétéT. 2. Pouvoir, droit, religion.Minuit éd., 376 p. et 340 p.

A l'heure où la linguistique s'estdégagée de la grammaire comparéed'où elle est issue, et rejette sou·vent l'histoire pour se vouloir uni·quement structurale, un linguistenous restitue « le vocabulaire desinstitutions indo.européennes»M. Benveniste fait revivre sous nosyeux les institutions des Indo-Eu­ropéens, leur économie, leur sys­tème de parenté, leurs relationssociales, leurs conceptions du pou­voir, du droit, de la religion, aumoyen de la seule comparaison deslangues par eux léguées à la partiedu monde qu'a soumise leur orga­nisation politique et sociale. soli­dement structurée.

La matière est vieille : l'appari­tion des Indo-Européens dansl'histoire date de près de quatremillénaires ; Bopp, l'un desfondateurs de la grammaire com­parée, est mort il y a plus d'unsiècle, et dans nombre de nos fa­cultés, cette discipline décline. Maisneuf est le dessein : la langue, loind'être à elle-même son propre ob­jet d'étude, est utilisée, et elleseule, comme instrument permet­tant de ressusciter la culture répan­due par les tribus indo-européennesde l'Atlantique au Turkestan.Aussi la comparaison ne se limite­t-elle plus à la grammaire : alorsque l'étude du vocabulaire, souventnégligée, n'avait en général donnénaissance qu'à des répertoires, toutici, est synthèse, et organisation dedonnées lexicales disparates. Voi­ci donc que son t conciliées histoireet structure, « diachronie » et« synchronie ll, et qu'avec cet exem·pIe magistral de structuration dulexique « la dimension temporelle...devient une dimension explica­tive )l.

La méthode aussi est renouvelée.Les comparatistes, guidés par lesouci de reconstruire des formes,ont souvent mis l'accent sur l'éty­mologie. Le propos de l'auteur est,au contraire, de préciser avant toutle sens d'un terme, d'en donner unereconstruction interne dans des lan­gues particulières, par l'analyse de

Emile Benveniste,

ses emplois, connotations histori­ques, connexions et opposi tionsdans le contexte, et de définir saplace à l'intérieur d'un système :bref, de distinguer sa « significa­tion )l, notion centrale autour delaquelle s'organise un ensemblelexical cohérent, des « désigna­tions», fruits de développementshistoriques particuliers.

Dans cette entreprise - et c'estlà le paradoxe -, l'auteur sertl'étymologie, mais ne s'en sert quepeu ou point. Ainsi la comparaisontraditionnelle pose pour le nom du« frère » un prototype bhràter,d'où procèdent les formes histori­quement attestées (latin frater, an­glais brother, russe bàtja, etc.),compte tenu des évolutions phoné­tiques connues pour chaque lan­gue. L'originalité est ici de montrerque ce terme s'insère dans un sys­tème de parenté classificatoire, etnon généalogique, car en grec, lenom du « frère de sang » est autre(adelphos), et phrater, désignantun membre d'une phratrie, témoi­gne d'une signification indo-euro­péenne large, et encore prégnantechez les confréries religieuses dumonde italique, Frères Arvales àRome, ou Atiédiens en Ombrie. Ail­leurs, les interprétations tradition­nelles sont renversées : le sens« richesse II de peku (cf. françaispécuniaire) ne vient pas, commeon le pensait, d'une extension sé­mantique de l'acception «bétail ll,

mais est l'appellation générique dela « richesse mobi1iêre et person­nelle l), ayant fini par désignerdans certaines langues la propriété...

21

Page 22: Quinzaine littéraire 94, mai 1970

~ Benveniste

spécifique qu'est le bétail pour unesociété d'éleveurs.

L'auteur démasque des structu­res voilées par plusieurs siècles oumillénaires d'évolution. les peuplesont parfois conservé le fonction­nement de certaines institutions, enen renouvelant l'expression. Lesquatre divisions sociales et territo­riales de plus en plus larges dumon d e indo-européen, famille,clan, tribu, pays, sont désignées eniranien par des termes dont les troispremiers ont d'ailleurs des corres­pondants formels, mais n'ont plusla même ordonnance : et de mon­trer comment le grec, par exemple,a rénové ici son appareil lexical.en conservant l'institution. Parfois,.les transformations du vocabulairereflètent l'évolution des structurespolitiques: le vieux nom du « roi ))qu'ont encorc l'Inde et Rome(rex) témoigne d'une représentationplus religieuse que politique de laroyauté; mais celle-ci est plus mo­derne et démocratique en Grèce,où elle s'exprime par deux termesnouveaux, le lcallax. seul détenteurdu pouvoir et le bllsiLeus, qui, s'ilexerce des fonctions magico-reli­gieuses, est un homme et non pInsun dieu comme le rai indien. Etl'étymologie, qui n'est jamais te­nue pour condition suffisante de lareconstruction d'un sens n'est mê­me pas nécessaire : aucun termene peut être rapproché de la « han­ne» germanique, institution quisurvit jusqu ïl l'époque modernechez les riverains de la Mer duNord, mais l'étude des emplois en­seigne que, si elle est devenue uneassociation économique de mar­chands, elle est à l'origine une com­pagnie de jeunes guerriers, queTacite décrit dans sa Germanie.

Saussure disait déjà que dans lalangue il n'y a que des différences,et ce sont elles que M. Benvenistefait surgir ou aplanit, en restauranttantôt la diversité de ce qui paraîtun, tantôt l'unité de ce qui sembledivers, pour découvrir la significa­tion d'un mot, perdue et grâce àlui retrouvée : contrairement àl'opinion reçue, l'animal mâle .1.1,

non pas un, mais deux noms qui,s'ils riment et pnr un accident del'histoire se sont confondus en sans­krit, sont distincts. L'un, physique,désigne l'espèce mâle comme oppo­sée à la femelle (ers :. grec arsen),l'autre, fonctionnel, transpose la no-

22

tion initialc de pluie comme hu­meur fécondante, en celle de re­producteur du troupeau (wers : p.ex. grec e (w) érsè « rosée » et la­tin verres « verrat))). Il y a là re­fus d'admettre la synonymie et dé­sir de réduire la polysémie.

Dans cette quête, des divergen­ccs sont ramenées à l'unité : l'undes noms du « droit» en grec,diké peut être rapproché du latindico « dire », dont il sembleéloigné, parce que la racmedeik-, qui leur est commune, si­gnifie « montrer ce qu'on doit fai­re )) : la diké est la formule dedroit qui se transmet, dans unesociété où le rôle du juge est de« prononcer avec autorité» (dico)le formulaire.

N'ayant plus besoin d'un supportformel, la comparaison franchit lecercle de la linguistique, et dumonde indo-européen. De la tripar­tution sociale spécifique de ce der­nier en classes hiérarchiséesprêtres, guerriers, agricultcurs ­dégngée par M. Dumézil. M. Bcn­veniste donne de nombreux exem­ples d'application au lexique. Maisil fnit intervenir aussi des usagesd'autres sociétés. Le potLatch, typede relations qui repose sur unsystème dc dons et contre-dons,bien connu notamment chez les po­pulations indiennes du Nord-Ouestde l'Amérique, rcnd compte, entreautrcs, des sens successifs du latinhostis « .hôte» puis (( ennemi »,mais en réalité à l'origine (( celuiqui est en relntions dc compensa­tion )). Le nom allemand du c( no­bIc» Edel, étymologiquement(c nourrisson », s'explique par lapratique du foslerage, qui consisteà faire élever les enfants noblespar des parents nourriciers, et qui,de règle dans les sociétés scandina­ve et surtout ccltique pour les en­fants roynux, existe aussi chez lanoblesse de Géorgie. Si l'on a crujusqu'à maintenant que la grandefamille indo,européenne était or­ganisée autour du père, la termi­nologie garde des traces d'une li­liation matrilinéaire.

A insi s'universalisent les pers­pectives ouvertes par ce livre, quitranscende le vocabulaire des insti­tutions iodo-européennes et la lin­guistique même.

Françoise Bader

HISTOIRB

Autrichien, déporté à Buchen­wald de 1938 à 1945, EugenKogon fut l'un des premiersà décrire après la guerre, lesystème des camps de con­centration allemands. Publiédès 1946 en ·Allemagne etl'année suivante en France,peu avant les Jours de notremort de David Rousset, sonouvrage vient d'être réédité.Il faut saluer cette initiative,rare dans l'édition.

1Eugen KogonL'Elat S.S.Coll. PolitiqueLe Seuil, éd. 380 p.

Le phénomène concentration­naire nazi a touché l'Europe cn­tière : le nombre des victimes (huitmillions environ, dont six millionsde Juifs) et. leur origine variée ontfait que les classes, les pays, lesopinions et les confessions les plusdiverses ont été représentés dansles camps. Il y a aussi sa durée :même si le système en tant que leIn'apparaît que tard, il demeureque Dachau ouvre ses portes en1934. La machine à exterminertuera jusqu'au bout. Les derniersconvois quittent Paris le 15 aoî,t1944, Lille le 2 septembre; quel­ques jours avant l'armistice, l'avia­tion anglaise bombarde au large dcHambourg et de Lubeck des navi­res allemands où les déportés ontété parqués et abandonnés. Consi­dérons aussi l'extension dans l'es­pace : on trouve des camps enAllemagne (Dachau, Buchenwald,Neuengamme, Bergen-Belsen, Ra­vensbruck), en Autriche (Mauthau­sen), en Pologne (Auschwitz, Tre­blinka, Maïdanek), en Tchécoslo­vaquie (Flossenbourg, Theresien­stadt), en France enfin (Le Stru­thof-Natzweiler, en Alsace).

Le système concentrationnaire,loin de naître en 1933, n'apparnÎtqu'à partir du moment où la guerres'étend à l'ensemble du continent.Certes il 'J a, bien avant 1942, descamps, des déportés, des bourreaux,des massacres. Mais les différencesavec ce qui va suivre sont essen­tielles : on peut, jusqu'au déclen­chement de la guerre, sortir descamps (Bruno Bettelheim sera ainsile premier à révéler aux Américainsîncrédules ce qu'il avait vécu). Lessévices, reéls, sont encore indivi­duels et ne sont pas le résultat sa­vant d'une organisation quasi-scien­tifique. Enfin et surtout la finalité

reste. la réclusion, non l'extermina­tion ou l'exploitation à des finsindustrielles. Si, d'autre part, desexterminations massives ont lieualors, c'est sans r e cou r s àl'institution concentrationnaire. pardes voies clandestines (cas ùu prfl­gramme d'euthanasie cn 1939­1941) ou des moyens « artisanaux»(massacres perpétrés par les Ein­sa/zgruppen sur le front de l'Est).Pour que l'on se trouve cn p.'é­sence du système proprement dit,il faudra autre chose : la main­mise militaire allemande sur toulel'Europe, l'accroissement dans desproportions énormes des déportéset des (( déportables » (1ui fs. tzi­ganes, résistants, opposants de tousbords sans oublier les prisonniersde droit commun et tous ceux quidurent leur déportation au hasard),le développement des bcsoins del'économie de guerre allemande. Aces facteurs géographiques, numé­riques et économiques vient s'ajou­ter un dernier fait : le régimenazi se transforme : le primat del'idéologie sur toutes les autresconsidérations, même stratégiques,est absolu. Une bureaucratie poli­tico-policière spécialisée dans l'ad­ministration de la terreur, dans latechnique de l'extermination indus­trielle, prend une place capitale :les S.S. (D'où le titre du livred'E. Kogon).

C'est ce système qu'il a décrit, àpartir non seulement de sa propreexpérience de Buchenwald, mai..d'informations recueillies sur d'au­tres camps. Plusieurs chapitres re­latent avec précision de quoi étaientfaites la vie et la mort des dépor­tés : l'entassement, la lutte perma­nente pour l'existence, les condi­tions inhumaines de travail, la ma­ladie, la faim, le froid, l'insécurité,les tortures. Quant à l'essence dusystème, elle repose sur deux élé­ments.

Le premier est ce que l'on pour­rait nommer l'administration indi­recte. Les camps étaient adminis­trés par les détenus, sous la surveil­lance d'une hiérarchie SS parallèle.Au commandant du camp (Lager­führer) correspond le doyen ducamps (Lageraiteste). Viennent en­suite les responsables de bloc(Bloclcalteste), de chambre (Stuben­dienst) et les messagers (Lauler).Coiffant le tout, des services admi­nistratifs spécialisés : le ravitaille­ment, source de nourriture, doncde vie et de contacts possibles avec

Page 23: Quinzaine littéraire 94, mai 1970

Le système• •concentrationnaire

COLLECTIONS

«R»

La Quinzaine littéraire, du 1« au 15 mai 1970

1 cxterieur ; l'hôpital (Re1'ler). pos­te clé pour s'abriter, faire abriterun ami, mais aussi éliminer unadversaire ou prendre l'identitéd'un mort. Au-dessus, une sortede ministère de l'intérieur : le Se­crétariat (Schreibstube). tient rétat­civil de cette ville immense; la sec­tion politique (Politische Abtei­lung) dispose des informations po­litiques sur les détenus et permctdonc de les connaître, de discernerles ennemis de camoufler un allié;une sorte de police intérieure (La­~erschütz) maintient cc l'ordre ».Enfin l'administration du travail,oÙ le rôle essentiel est joué parl ,1rbeitstatistik, qui répartit lesemplois, d'où dépendent chaquejour la vie et la mort. Kapos etvorarbeirers surveillent les esclaves.

A toutes ces fonctions s'attachentdes privilèges considérables : plusde nourriture, moins de coups,l'exonération des travaux les plusmeurtriers, en un mot la possibilitédirecte ou indirecte, d'écarter oude rapprocher la mort. Tel est l'en­jeu de la lutte pour le pouvoir.Pour comprendre par qui et com­ment seront exercées ou contrôléesces responsabilités, il faut passerau second élément du système : ladifférenciation des déportés. Il n'yaurait pas de pire erreur que cellequi consisterait à imaginer unemasse homogène de détenus faisantface aux 55, L'hétérogénéité desdéportés est fondamentale : diffé­renciés par la langue, la nationa­lité, la confession, les détenus sontenfin et surtout divisés par le mo­tif de leur déportation. Aux poli­tiques s'opposeront les droits com­muns, Réelle, cette hétérogénéitéest consacrée dès l'arrivée au camp.Chaque détenu doit porter un trian­gle indiquant son origine : rougepour les politiques, vert pour lesdroit-commun, jaune pour lesJuifs, rose pour les homosexuels,violet pour les Témoins de Jéhovah,sans oublier l'indication, par unelettre, de la nationalité. L'une oul'autre de ces qualités peuventd'ailleurs se conjuguer. La couver­ture du livre de Kogon reproduitces insignes,

Propriétaire du système et l'ex­ploitant, la bureaucratie 55 règnesouverainement sur les déportés.Sadisme, pédanterie administrativeet préoccupations économiques voi­sinent chez elle. Méticuleuse, vo­lontiers didactique et moralisatrice«( Le travail rend libre »; (c Achacun son dû »; cc Un pou, tamort »), elle secrète son propre

langage, on trouve dans les archivesdes exemples innombrables du vo­cabulaire aussi neutre et aussi tech­nique que possible alors en vigueur,qu'il s'agisse de la désignation descamps ou de celle des traitementsinfligés aux déportés,

A propos du comportement deceux-ci, E. Kogon émet des juge­ments que les études publiées de­puis vingt ans ont en gros confir­més. Ainsi celui-ci : l'accoutuman­ce psychique, donc la résistancephysique et la survie étaient direc­tement fonction de la force de ca­ractère et de la présence de convic­tions politiques, religieuses ou mo­rales chez les détenus.

Encore n'est-ce pas tout. Cet uni­vers totalement réglementé étaitaussi celui où régnaient l'arbitraire,voire le bouffon. Arbitraire, la clas­sification des camps, contenue dansune circulaire de Hevdrich du -;décembre 1941 qui ~nonce grave­ment que les camps de premièrecatégorie (Dachau, Sachsenhausenel... Auschwitz 1) sont réservés auxdétenus susceptibles d'amendement.ceux de la seconde catégorie (dontBuchenwald, Neuengamme et Aus­chwitz II) aux détenus sur lesquelspèsent de lourdes charges, maisencore susceptibles d'amendement.Comme le note Mme Olga Worm­ser-Migot dans sa remarquable .thè­se «( Le système concentrationnairenazi - 1933-1945 », Presses Uni­versitaires de France, 1968), ils'agissait là d'une opération de ca­mouflage parmi d'autres : « Vo­lonté de déguiser la réalité concen­trationnaire en se donnant à soi­même, à ceux auxquels s'adressentles directives, et qui sont pourtant

dans le secret des camps, l'illusionque tout ce qui se passe dans lescamps est strictement dosé, vouluet qu'il peut se concevoir des de­grés dans la situation concentra­tionnaire ». Arbitraire parfois l'af­fectation aux déportés de tel ou teltriangle, comme le note E. Kogon :cc Les insignes donnés aux prison­niers ne fournissaient aucune ga­rantie absolue quant à leur qualitéet leur appartenance réelle. ) Lebouffon ? Il suffit de se rappelt'rque Buchenwald eut des équipessportives aux maillots impeccables,des orchestres, une salle de ciné­ma, une bibliothèque et une maisonclose, Les camps avaient aussi desprisons et des cachots. Laissonsconclure Jean Cayrol :

« Neuf millions de mOl·ts hantentce paysage. Qui de nous veille danscet étrange observatoire pou r nousavertir de la venue de nouveauxbourreaux ? Ont·ils vraiment unautre visage que le nôtre '? Quelquepart, parmi nous, il y a des kaposchanceux, des chefs récupérés, desdénonciateurs inconnus. II y a tousceux qui n'y croyaient pas, ou seu­lement de temps en temps. Et il Ya nous qui regardons sincèrementces ruines comme si le vieux mons­tre concentrationnaire était mortsous les décombres, qui feignons dereprendre espoir devant cette imagêqui s'éloigne, comme si on guéris­sait de la peste concentrationnaire,nous qui feignons de croire que toutcela est d'un seul temps et d'un seulpays,et qui ne pensons pas à regar­der autour de nous, et qui n'enten­dons pas qu'on crie sans fin. »

Roger Errera

«Jeune éditeur qui a choisi pourprogramme liberté dans diversité cher­che pour dernière née de ses collec­tions auteurs personnellement concer­nés par révolte particulière, individuelleou collective, d'aujourd'hui ou d'autre­fois, sur laquelle il leur serait demandéd'apporter regard neuf et conceptionssubjectives. Universitaires et pédantsde tout poil s'abstenir.»

L'annonce, est-il besoin de le préci­ser, est de notre cru et nous n'espé­rons guère la voir figurer demain' dansles pages spécialisées des grandsquotidiens. Cela n'aurait rien de cho­quant. cependant, aux yeux de ceux quitiennent - et ils sont nombreux ­que les temps sont proches où toutcitoyen normalement constitué se sen­tira sinon tenu du moins habilité àprendre la plume, soit pour rendrecompte de son aventure particulière,soit pour reprendre à son compte telleaventure de l'humanité qui lui paraitoffrir avec la sienne propre tout unréseau de correspondances éclairantpour l'une et pour l'autre.

Gageons, en tout cas, que si notreappel devait être entendu, la chosen'aurait rien pour déplaire à Jean Plu­myène et Raymond Lasierra qui prési­dent, chez André Balland, aux destinéesde la collection « R» (comme Révolte,Rébellion, Révolution) et dont le grandproblème à l'heure présente n'est pasde trouver des idées nouvelles, il s'enfaut, pas même de gagner à leur entre­prise un public qui, à en juger par l'ac­cueil fait aux premiers titres, semblelui avoir été acquis d'entrée de jeu,mais bien de découvrir de nouveauxtalents capables de tenir la gageurequ'ils leur proposent.

Car du talent, il en faut beaucouppour réussir à concilier la passion etla rigueur scientifique, l'érudition et latenue littéraire, le coût du détail, de lacouleur, des faits, et celui de l'analyse,de l'eXégèse. de la démythification.C'est ce dont Gilles Lapouge nous faitla brillante démonstration lorsque, trai­tant de l'histoire des Pirates (voir lenuméro 87 de la « Quinzaine»), il nouspropose tout ensemble une fascinantegalerie de portraits, le récit haletantd'une des révoltes les plus extrêmeset, en tout état de cause, les plus éten­dues dans le temps qu'ait connuesl'humanité, et un essai anthropologique,sociologique et philosophique à traverslequel se fait jour le sens même d'unprojet à contre-courant de l'ordre établi,d'une mythologie insolite quoique fon­dée sur ces thèmes devenus aujour­d'hui familiers que sont l'impossible,l'échec et la transgression.

De même, Claude Mettra, ressusci­tant dans le Grand printemps desgueux ces révoltes à demi-muettes, cesmouvements presque souterrains desmasses populaires qui, en 1925, allaientallumer en Allemagne un immenseincendie, choisit de le faire par le tru­chement de Thomas Münzer, familierd'Erasme et de Dürer, dont le témoi­gnage passionné ajoute ainsi unedimension inhabituelle à cette étuderemarquablement documentée.

C'est dans une optique non moins« personnelle. que Joël Schmidt, étu­diant cette révolution fondamentale queconstitue pour l'humanité l'apparitiondu christianisme au sein de "Antiquitédans un livre qu'il intitule le Christdes profondeurs, s'attaque avec un

~23

Page 24: Quinzaine littéraire 94, mai 1970

PSYCBIATRI..

La contestationsavoureux mélange de fougue et derigueur qu'il doit à sa formation protes­tante à la problématique même durap·port entre Rome et les chrétiens quilui paraît mieux que toute autre appro­che éclairer l'histoire du christianisme.Et la, même démarche pousse JeanBécarud et Gilles Lapouge à analyserdans les Anarchistes d'Espagne les ori­gines lointaines de la flambée de 1936pour mieux interpréter toute rhistoirerécente de l'Espagne et, au-delà de cephénomène singulier, les fondementsmêmes des relations entre la libertéet ('Etat, l'idée et le réel.

Dernier titre paru de la collection,Les esclaves noirs de Hubert Gerbeau,est le récit terrible de ces révoltesabsolues parce que dés~spérées quimarquèrent l'histoire de l'esclavage, enmême temps que l'exégèse d'un phéno­mène inquiétant pour l'esprit en cequ'il menace de subsister longtempsencore, quel que soit le progrèsdes sociétés, dans l'inconscient del'homme.

Circonstance piquante, qu'on ne sau­rait manquer de souligner, la collection« R - a été conçue à une époque où,si l'on s'en souvient, la France s'en­nuyait ferme, c'est-à-dire un mois avantl'explosion de mai 1968. Bien des livresont été écrits sur les événements quiréussirent si bien alors à désennuyer laFrance. Aucun, semble-t-il, n'a réussi àfaire surgir cette « lecture au seconddegré - qui est l'idéal poursuivi et sou·vent atteint par "ensemble des étudesque nous venons d'évoquer.

OUVRAGES A PARAIIRE

Les écrivains encagés (titre provi·soire), par Françoise d'Eaubonne qui, àtravers quelques cas exemplaires telsque Saint-Jean de la Croix ou Genet,retrace l'histoire des écrivains qui, entout temps et en tous pays, euren1maille à partir avec la justice régulièreou séculière.

Les Dandys, étude historique, socio­logique et philosophique sur le phéno­mène du dandysme, par E. Carassus.

Les .Gnostiques, par Jacques Lacar­rière, qui analyse le problème de lagnose depuis les chrétiens aberrantsdès . premiers siècles après Jésus·Christ jusqu'à ces résurgences moder­nes de l'esprit gnostique que sont,çI'après l'auteur, le surréalisme ou lephénomène hippy.

'Toujours chez André Balland, vientd'être créée une collection d'essaispolémiques avec, pour premier titre, lepamphlet de Jean-Jacques Brochier paruce m'dis-ci sous le titre de Cllmus. phi­losophe pour classes terminales. ParmIles ouvrages à paraître prochainement:A r a g 0 n, prisonnier politique, parAlain Huraut, jeune poète· qui met enquestion l'art poétique de cet auteur,dégradé ou tout au moins infléchi,s·eJon lui, par ses appartenances poli·tiques; Demain le parricide ou la dé·mission du père dans le conflit degénérations actuel, par André Coutu,auteur de deux ouvrages parus chezFayard: Dix siècles de violence auquartier latin et La lune n'est pas.morte, En préparation, un pamphlet deJeiln-François Steiner contre la clien­tèle de « L'Express -.

24

" Ceux qui étaient enfermésici, priaient pour mourir;nous étions entassés à quatre­vingts dans des dortoirs grilla­gés, gilets de force pour les

.épaules et les pieds, attachésà un arbre dans la cour... » Letémoignage d'Andréa, un aveu­gle interné depuis de longuesannées à l'hôpital psychiatri·que de Gorizia, sur la frontièreitalo·yougoslave, tout près deVenise, donne le ton du livrecollectif du psychiatre italienFranco Basaglia et de sonéquipe.

L'Institution en négation.30us la direction deFranco Basaglia.Tracl. de l'italienpar Louis Bonalumi.Coll. « Combats n.Le Seuil, éd., 288 p.

C'est en terme cIe lutte militanteque nous est retracée, en une quin.zaine de témoignages enregistrés,de comptes rendus de cliscussions,d'extraits de journaux de borllpermnnels et d'articles, cette sor·te de guerre de libération qui aété menée Ilepuis dix années pour« renverser n l'institution trallï­tionnelle. Et cela sans le moin­dre pédantisme. D'emblée, un re·fus violent de toute pseullo- neu­tralité scientifique dans ce domai­ne, qui, pour les auteurs, est émi­nemment politique.

Les cho~es ont commencé en1961. La nouvelle direction del'}>ôpital - sous l'impulsion duDr Basaglia, a opéré 1< une brus­que rupture de la soliclarité fonc·tionnelle II au sein du personnel,le démarqual!e d'une « avant­garde» qui refusera d'assumerplus lon~temps le « mandat Ilecure et de surveillance» confiépar la société répre~sive. Progres­sivement, tous les sen;ces serontouverts ; Iles assemblées généralesou\'erte~ à tous wnt instituées, onintensifie les communications,l'organisation des loisirs et de lasocial-thérapie...

Au début, « personne ne des­serrait les dents n, puis ce fut ledégel, une vie intense gagne tousles services, plus de cinquanteréunions par semaine pour l'en­semble de l'hôpital, d.es amélio­rations spectaculaires sont obte­nues, des malades sont renvoyés

chez eux après Ilix, quinze ouvinl!t ans d'hôpital.

Basaglia et Minguzzi cléciclentalors cie mener une en<!uête appro.fonllie sur les expériences similai­res en France, celles clu courantde Psychothérapie inst itu! ion·nelle, et en Angleterre, cenedes Communautés thérapeutiques(Dingleton sous la clirection deMaxwell Jones). Progressivelnent,ils Ilégagent leurs propres concep­tions, prennent leur distance àl'é!~anl Ile ces autres tentativesqu'ils jugent trop réformistes etremettent en cause leurs propresIlémarehes initiales.

Jusque là, c'était l'équipe diri-geante « l'avant-garde> li

qui « octroyait des pri\jlège~ II

aux malades. Les dés étaient pi.pés. Basa/!lia et son équipe Iléci­lient, en 1965, Ile clévelopper plusà fond la « culture communautai.re II qui, peu à peu, gagne duterrain et modifie les rapports deforce réels entre le personnel etles malades. Les conceptions cieMaxwell .Jones sont critiCfuées:ils consiclèrent que les techniquesdu « reachin/! a consensus II nesont, après tout, qu'une nouvelleméthode d'intégration clu malafleà la société répondant à « l'illéalde panorganisation de la société"néocapitaliste" Il (p. 149, LucioSchiter). La fameuse « troisièmerévolution psychiatrique », ne se­rait, selon les auteurs, qu'« unetnrdive adaptation des m{)dalilé.~

de contrôle social dll comporte­ment pat/lOlogi(IUe all:t méthode.~

de prodllction perfectionnées a"cours des quarante dernières (fn­

née.~ par ies .~ociologlle.~ et lestechniciens de la communicationde masse. » (p. 149).

Ils refusent Iionc toute politiqued'amélioration et de consolidationdes hôpitaux, cette politique qui,en France, devait mener les cou­ranIs psychiatriques les plus nova·teurs à collaborer étroitement avecle ministère de la Santé, à élabo­rer, avec les hauts fonctionnaire",les circulaires de réforme des hô'pitaux psychiatriques, etc. Expé­rience, à la longue, décevante etamère qui a conlluit au Iléses­poir certains psychiatres français,parmi les meilleurs (1).

En Italie, la situation des hôpi.taux et de la législation étant sansIloute une des plus archaïquesIl'Eurolle, de telles illusions nepouvaient guère être de mise

(coup de tampon infâmant ~ur

le casier jUllic'iaire de l'interné,inter!Iiction cles clroits civiquespenclant cinq ans, torture ill'étranglette: « un draf' le plu.~

.~()/i,.enl mouillé pour ('mp(;('''er [are.~piratio·n (I"e ['on tord étroite­nu'nt mltour dll cou : [fi perte decml1l(1i.~.mllce e.~t imnl(~diate» (p.W-t., Basaglia).

Basaglia ne se fait pas Il'illu·,ion sur l'expérience de Gorizia:son avenir est condamné: aumieux, les eh oses y évoluerontconnne llans les Communautésthérapeutiques de Maxwell Jonesà Dingleton, c'est·il-dire dans un« engagement lliclactique et thé­rapeutique plus pou~sé au niv'eaudu staff, mais qui s'enferme clansla sphère particulière des intérêtsinstitutionnels n (p. 10(1).

A la différenl'e de ce qui sepasse généralement ailleurs, la« révolution psychiatrique Il (leBasaglia et de son équipe n'estpas « pour rire ». D'année en an­née, on assiste il une véritable e~'

calade qui a d'ailleurs entraînécIe graves clifficultés à ses promo­teurs. (C L'open 11001' », l'ergothé­rapie, la socialthérapie, la secto­risation, tout cela est mis en placemais n'ac'croche pas de fac:on satis­faisante. Est·ce le contexte du« Mai ramnant li italien qui en­traîne ce refus permanent Ile touteauto-satisfal'tion ? Ou bien e~t-ce

l'indifférence de l'Etat italien etson incapacité à promouvoir desréformes qui décourage toute ten­tative de rénoralion ? De toutesfac:ons, « l'avant-garclen de Gori­zia n'en est pl us là: le « butcommun Il c'est maintenant le« renversement institutionnel », la« néga1ion Ile l'institution »,

l'équivalent italien Ile l'<mti-psy­chiatrie de Lail'g et Cooper enAngleterre (2).

L'honnêteté même Ile ce livreconduit à nous interroger sur lecaractère désespéré de celle ten­tative. N'est-elle pas habitée se­crètement par un désir de voir leschoses craquer? Le proeès clialec­tique n'est-il pas en train de semuer en fuite en avant, et, en unsens de se trahir lui-même? Pour1'« anti-psychiatrie n, l'interven·tion politique constitue le préaJa.hIe cIe toute thérapeutique. Maisle mot d'orllre de 1< Négation del'institution n qui n'a de sens ques'il est assumé par une avant-garfJeréelle et solidement amarrée dansla réalité sociale, ne risque-t.j]pas de servir de tremplin .à une

Page 25: Quinzaine littéraire 94, mai 1970

psychiatriqueUne pièceconvenable

nou\'elle forme .Ie répression so­"iale, celle fois au niveau Ile laSociété glohale el visant le statutmême de la folie?

llasaglia déclare 'lU 'avec les mé­dicaments (ju'il administre « leméllecin calme sa propre anxiéli.face à un malalle a\'ec lequel ilne sait pas entrer en contaet nit rou\'er un langage commun » (p.117). Formule ambigui.: et peut­être Ilémagogique, la ps.y<:hophar­macologie n'est pas, en soi, unescience réactionnaire! C'est lecontexte Ile son utilisation qui Iloitt-tre mis en question.

La nosographie également estpeut-être un peu légèrement jetéepar-dessus honl. Les voies .le larépression sont quelquefois suh­tiles ! Plus efficaces que des poli­ciers, peu\'ent devenir les tenants.l'une normalité il tout prix ! Avecles meilleures intent ions du mon­de, morales ou politiques, on envient à refmer au fou le Ilroitd'être fou, le : « c'est la faute àla société)), peut masquer unefaçon Ile réprimer toute déviance.La négation institutionnelle de­vieillirait alors une dénégation ­Verneinung, au sens freudien ­du fait singulier .Ie l'aliénationmentale. Avant de prendre optionsur la nosographie, Freud s'estemployé à donner vraiment laparole aux névrosés, à les Ilégagerde tout effet de mggestion. Renon­cer à la suggestion médicale pourtomher dans la suggestion ('oUec­tive ne constituerait qu'un héné·fice illusoire.

Je pense que Basaglia et sescamarades seront amenés à dépas­~er certaines de leurs formulationsactuelles, un peu trop à l'emporte­pièce, et IC creuseront» leur pro-

pre écoute Ile l'aliénation mentalesans la rahattre systématiquementsur l'aliénation sociale. Les cho­ses sont relativement simples etse doÎ\'ent d'être violentes quanllil s'agit cIe nier l'institution ré­p'·essive. EUes sont heaucoup plusdifficiles lIuatul il s'agit d'enten­dre la folie. Quelques formulesIl'inspiration sartrienne ou maoïs­te n'y suffisent pas.

La causalité politique ne régitpas aussi directement la causalité.le la folie. C'est peut-être, à l'in­verse, un agencement signifiant in­conscient, où loge la folie, quiprédétermine le champ structu­ral où se déploient les options po­liliques, les pulsions et les inhi­hitions révolutionnaires, à côté,au delà Iles déterminismes sociauxet économiques.

Bien heureusement, l'entreprisecIe Basaglia n'a pas basculé dan.;un dogmatinne théorique. Celivre est pré<:ieux en ce 'lu 'il posemille questions que les doctes dela psychiatrie contemporaine évi­tent soigneusement.

P.F. Guattari

1. Dernièrement ent'ore, la réformede l'ensei~nement de psyl'!liatrie, miseau point par les servÏ<'es d'Edgar Fauredevait semer la ('onfusion dans les rangsde la "ontestation psyl'!liatrique d'aprèsmai 19611. La SO('iété de Psyt'hothérapieInstitutionnelle elle-même s'est malremise du mouvement de mai, t'el' tainspsyl'!liatres estimant « qu'il ne s'étaitrien passé en mai Il, rien en tout (,asqui puisse ('Olll'erner la psydlothérapÎeinstitutionnelle, des positions violem­ment ('ontradi('toires s'affrontèrent lorsd'un C()n~rès International à Vienne en19611, Con~rès que Basaglia finit parquiller en ('laquant la porte.

2. Cf. « Politique de l'expérience»Laing, Ed'. Sto(:k et Recherches c( Spé·dal enfanœ aliénée >J, Il, dé.:embre 68.

1René EhniSuper-Positionsau Théâtre 347

Un plateau de théâtre, un lit,une productrice Nini " marxistestyle Express ", dit l'auteur, unmetteur en scène Vava ," mar­xiste style Nouvel Observa­teur JI, quelques comédiensstyle Béjart, on répète unepièce qui pourrait, on le sup­pose, être 0 Calcutta. Et c'estun débat sur le théâtre dit « po­litique " qui va s'engager car laproductrice Nini a fait venir« l'ami de la préfecture Il quipeut permettre ou interdire lespectacle.

Déjà, là, je ne comprends pastrès bien. On a, "c'est vrai, beau­coup de nùs sur le théâtre en cemoment et de spectacles ditsrévolutionnaires, mais je ne sa­vais pas qu'on avait besoind'une permission ministériellequelconque et si on en avaitbesoin, tous ces gens étantmarxistes s'en passeraient. Onsait donc, a priori, que l'auteurne va pas parler de véritablethéâtre politique, mais d'unthéâtre qui se prétend tel et quiest tout à fait commercialisé.

La pièce, dans sa premièrepartie, est construite commeune pièce de boulevard, c'est­à-dire qu'on présente la produc­trice, le metteur en scène com­me étant des types de notrethéâtre courant, on nous pré­sente des comédiens amorpheset on nous parle de « l'ami dela préfecture JI, en préparantson entrée. Il arrive en effetà grand renfort de bruits desirène, sifflets, coups de freins,etc. Fin de la première partie.

C'est surtout dans la secondepartie que le débat s'installe.Les idées échangées sont sou­vent très confuses. Bien sûr,l'attaque contre les "artistesgauchistes" qui mêlent sur leurthéâtre 1ibération sexuelle etlibération politique, le tout par­fumé d'encens et de yoga, estjuste, si du moins ce que mon­tre Ehni est "' gauchiste ". Enfait, l'auteur dénonce un théâtrecommercial qui s'affuble desplumes du gauchisme. Mais onsait bien que ce ne sont pas làdes spectacles politiques, seulsles régimes en place ont intérêtà les considérer comme tels.

Vava est un metteur en scènede gauche tel que la droite sele représente. C'est en cela quela position d'Ehni n'est pasclaire: ou bien c'est une dénon­ciation du théâtre commercialdit politique (ce que je crois),ou bien c'est une dénonciationdu théâtre gauchiste non com­mercialisé mais, qui relève aussi.bien de l'amalgame et du confu­sionnisme car on y mêle sou­vent le Che, le dollar, le nu, .onpeut aussi ajouter le spiritua­lisme, la croix, le rite, etc.

Face à Vava et Nini, carica­tures, images stéréotypées etparisiennes de la gauche, le per­sonnage de « l'ami de la préfec­ture " est le seul à avoir unecertaine poésie, une certainetendresse. Il n'est jamais ridicu­lisé, il garde son individualité etparce qu'il est interprété sansexcès par Fernand Gravey, cequ'il dit prend valeur de véritépour le public et on est tenté decrolre que l'auteur parle à tra­vers lui. Il a donc toutes lescartes en mains et il saura' 'Sansdifficulté manipuler Vava. SOilargument (celui de l'auteur,' jesuppose) selon lequel' il fautlaisser faire la révolution surune scène pour éviter qu'elle sefasse dans la rue, toute actionreprésentée étant une actiondésamorcée, relève d'une ana­lyse superficielle du théâtre po­litique.

Quant à Nini, on a, par mo­ment aussi, l'impression quel'auteur parle à travers elle. Sonargument est fort quand elle, difqu'on accepte la pornographiesur tous les murs, dans .toutesles publicités, qu'elle est, ad­mise dès qu'elle représente unecertaine puissance d'argent etqu'on la refuse au théâtre aunom d'un moralisme Tartuffeparce que le théâtre dispose demoins de pouvoir d'argent, donc'de moins de p~uvoir tout court.

En somme, cette pièce con·vient parfaitement au régimedans lequel n 0 u s sommes.e L'ami de la préfecture ,,' estaussi un ministre aux idéese progressistes ", car enfin tousces gens-là entre eux c'est bon­net blanc et blanc bonnet, selonun mot célèbre. Je ne sais ,pa~,

au juste quel dossier plaideRené Ehni.

Simone Benmussa

La Quinzaine littéraire, du 1" au 15 mai 1970 '25

Page 26: Quinzaine littéraire 94, mai 1970

TH*ATR.

Miroirs partout

Miroirs partout sur les scè­nes. Bérénice, vue par Planchon,les Bonnes dans la mise enscène de Garcia, en espagnol,les deux formes de tragédie,celle de jadis et celle d'aujour­d'hui, inscrites toutes deux da:;sun labyrinthe de miroirs, se r3­trouvent comme chez elles.

1RacineBérénice (par Planchon)Théâtre du Montparnasse

1Jean GenetLes Bonnes(par Victor Garcia)Cité universitaire

On savait déjà que le théâtrede Genet se fonde sur un jeude glaces; voilà que, dans Plan­chon, le jeu des glaces se fourreinsolemment dans la dramatur­gie racinienne, dont il opèreune « mise en pièces .. autre­ment implacable que celle qUePlanchon fit semblant d'infligerau Cid. « Toute l'invention· con­siste à faire quelque chose derien ", disait Racine. Jamais cerien n'a éclaté sur la scène avecune telle évidence; c'est lespectacle - et l'analyse - dece rien, qui fait la matière dece superbe exercice de troisheures.

J'admire la ruse de Planchon.Pour traiter cet .. objet ar­chaïque.. qui est aujourd'huipour nous la tragédie racinienne,et voulant oublier toutes les

26

exegeses qui en ont été faites,s'acharnant seulement à traquerles personnages dans ce qu'ilsd:seilt et ce qu'ils font, Plan­chon n'a cassé ni violé le cl dis-

. cours .. racinien, comme auraitpu le faire sauvagement Ché­reau. Il l'a subtilement déplacé.De l'élégie magique. louisqua­torzienne et classique, de 1670,il a fait un jeu de constructionbaroque, logé dans .une CourLouis XIII de roman précieux, un[eu sur l'amour et la gloire etleur mécanique compliquée,comme on I.es aimait vers 1630,avec une héroïne dure, à l'or­gueilleux courage, sortie toutdroit de Corneille. 11 suffisait d'ypenser.

Donc, on nous montre quoi?Trois personnages de roman(presque de bandes dessinées) ,toujours prêts à prendre desposes, trois êtres jeunes et nar­cissiques se contemplant, mul­tipliés, dans des miroirs, « semirant dans leurs monologues ",comme dit Planchon pris au jeude leurs paroles plus ou moinsdoubles, plus que livrés à devraies passions, ne croyant pasnécessairement à ce qu'ils di­sent, cc corrigeant d'une scène àl'autre le sens qu'ils donnent àleurs actes » et créant de leurssincérités successives une réa­lité à demi fantasmatique. unmonde incertain, presque imagi­naire ou rêvé, que le jeu desmiroirs irréalise davantage en­core; imaginaire comme cetteCour idéale sortie d'un rêve et

multipliée par les glaces: unmonde de figurants tyranniques,joliment habillés de tons pas­tels par René Allio. architectede ce palais : officiers, gentils­hommes, dames de Cour, car­dinal romain, et un Paulin-Col·bert armé de la raison d'Etat;tout ce « monde extérieur .. , ty­ranniquement présent, et chargéde figurer Rome et sa Loi,arpente le plateau (un plateaucarré qui s'enfonce de guingoisdans le public) selon les mou­vements, rectilignes et à angledroit, d'une géométrie qui com­pose un espace parfaitementirréel; un monde où le bruit despas se répercute à l'infini, inso­lite et menaçant comme dansles songes, ou comme la voixdu Dieu janséniste, spectateuret muet. A la fin, quand Béré­nice, lionne blessée dans sonorgueil, arrache dans sa colèrele pan d'une alcôvé qui s'effon­dre, c'est moins le mur du pa­lais de Titus que les briques duthéâtre qui apparaissent : toutecette réalité - en fait cesallées et venues et cette rhéto­rique - n'était que jeux de théâ­tre et fantasmes d'adolescents:il ne s'est rien passé.

Rien. Dès le début. d'ailleurs.Titus sait qu'il renverra Béré­nice; il ne l'aime plus ou dumoins ne sait plus s'il l'aime,ce qui revient au même; cequ'il sait c'est qu'il est proba­blement empereur de Rome,puisqu'il se voit et veut se voirtel dans ses miroirs. et que cejeu nouveau est plus fascinantqu'une maîtresse déjà ancien­ne : adolescent fragile et crispé,empereur-enfant maladroit etembarrassé, à la fois apeuré, etsadique sur les bords, il est,aprés tout, fort racinien. Antio­chus, aussi gosse mais plus ro­mantique ou plus romanesque,s'enivrant délicieusement deson malheur, de sa vocation del'échec, est un Oreste modéréoue la folie ne menacerait Pd s,Quant à Bérénice, heureuse rrin­cesse de magazine tant qu'elleignore ce qui l'attend, blondeinsouciante aux coquetteriesgamines. l'amour ni le déses­poir. sauf par bouffées, nel'étouffent; c'est l'orgueil bles­sé qui la rend furieuse, et fe­melle terrible, le seul homme,finalement de la pièce. Bref onest à mille lieues de l'élégietragique et du déchirant adieu;

nous ne nous en plaindrons pas.

Sami Frey, malgré sa voixcoincée dans le nez, Denis Ma­nuel, Antiochus de roman. etFrancine Bergé - on sait depuisles Abysses· quelle comédienneelle est - ont été excellem­ment ce que Planchon voulaitqu'ils fussent. Transposant euxaussi dans l'espace, par leursdéplacements rigoureusementgéométriques, l'artifice et laconvention de l'alexandrin detragédie, et diversifiant le dis­cours tragique à travers un sa­vant appareil de cris, soupirs,silences, déclamations. joutesoratoires, ils rendent la tragé­die à sa machinerie rhétorique.Bref, je me trompe peut-être,mais il me semble que, dans cetrès brillant exercice de man·darin, Planchon, en décapantainsi Bérénice comme il avaitdécapé Tartufe ou Richard III,prend un malin plaisir à nousdire que Racine (du moins dansBérénice) n'est pas Shakes­peare, ni Molière, et que cettequintessence de la culture fran­çaise n'a finalement rien à nousdire aujourd'hui sur l'homr.:e.son destin et son histoire (dpart. peut-être, le néant - jan­séniste - du monde, mais çaintéresse qui?) et que mettreen scène ce rien est un plaisirde choix pour un homme dethéâtre très intelligent et un peudésabusé.

Il est bien certain, en tout cas,qu'une tragédie modeste ·com.me les Bonnes nous parle unlangage singulièrement .plus ri­che que ces jeux raciniens, àquelque niveau, ou selon quel·que grille, qu'on les déchiffre.Quand on a vu la mise en scèneque Victor Garcia a présentéedes Bonnes à Barcelone et à Ma..drid - et pour quelques joursà la Cité Universitaire - (ainsique le fragment de film, haliu­cinant, réalisé sur sa mise enscène du Balcon à Sao Pauloj,on comprend que Genet, dansl'enthousiasme, ait donné à Gar­cia les droits sur son œuvre.On a l'impression de voir lesBonnes pour ·Ia première foistelle qu'on imaginait l'œuvre :cc une version admirable - ditGenet - qui rajeunit mon texteet lui donne de nouvelles dimen­sions »; non, sa vraie dimen­sion plutôt. Dans un labyrinthede miroirs - non plus la Gale­rie des glaces logée par Allio

Page 27: Quinzaine littéraire 94, mai 1970

CINEMA

A ··.' ntonlonl

et de ses différents mondes, sans liens

Une image frappante de l'Amérique

entre eux. Un montage brutal et rapide.

celui omniprésen des forces de ré­pression, policiers bardés d'antennes,plus semblables à des habitants d'unmonde étrange qu'à des hommes.

Contrairement à ses précédentsfilms, où il utilisait u" style feutré etallusif pour décrire un monde indéciset inquétant, Antonioni utilise ici degros plar.s brefs, des zooms, un mon­tage brutal et rapide (sauf dans' laséquence du désert. bien entendu)ahn d'exprimer la violence d'un uni­vers où toutes les forces sont agres­sives. Deux séquences sont particu-

lièrement réussies: l'arrivée du petitavion bariolé de tendres couleurs psy·chédéliques, petit papillon hésitant etfragile pris en chasse et cerné im­placablement par les voitures de poli­ce et le morceau de bravoure du film,destruction imaginaire du motel où setient la réunion d'affaires et, par en­chaînement. de toute la société amé­ricaine: les aliments,' les vêtements,les produits de toutes sortes, y com­pris les livres, s'éparpillent dans unchatoiement de couleurs explosivessur un fond de ciel bleu, terminant cebeau film dans une apothéose quel'emploi du ralenti rend encore plusinquiétante.

C'est une œuvre qui frappe surtoutpar sa, clarté, sa simplicité, l'efficacitédes moyens employés. Peut-être pour­rait-on reprocher à son auteur de nefaire que constater une crise déjà bienconnue, mais il est un des premiers àl'avoir exposée avec une maîtrise quiest le propre des classiques.

Annie Goldman."

Dans Zabriskie,Point, il va plus loin. Iln'est plus passible de ne pas prendreparti, de s'évader dans une sérénnéartificielle; il Y a un lien entre lamort du jeune homme et le groupefinancier pour lequel travaille Daria.Mais, comme toujours chez Antonioni,ce lien n'est pas indiqué, C'est à Da­ria, et éventuellement au spectateur,de le faire. Le seul moyen d'empê­cher de telles morts est de détruireune société au service d'lIne classedominante. Déjà, le caractère facticedu paradis rêvé par Daria était suggé-

ré dans la scène d'amour: la jeunefille imagine le désert peuplé de cou­ples, trios, groupes faisant l'amour,mais leurs gestes étaient caricaturauxet la poussière qui recouvrait leurscorps les apparentait à des cadavres;cet. âge d'or n'en était pas un, car seretirer dans le désert ri'est pas possi­ble tant qu'il y aura des gens pour letransformer -' par l'argent - en unejungle cruelle et mortelle.

Les amateurs d'Antonioni apprécie­ront comment en quelques plans il adonné une image frappante de l'Amé­rique: son gigantisme (énormes pan­neaux publicitaires, camions-citerneslléants, autoroutes vertigineuses), sesfantastiques moyens techniques, sesmillions de dollars. Plus encore, lajuxtaposit:on des différents mondessans liens entre eux: celui des affai­res, uniquement préoccupé d'inves­tissements et de rapports, celui· descontestataires, celui des • laisséspour compte", petits blancs silen­cieux, isolés, perdus dans des snackspoussiéreux, 'enfin, par-dessus tout,

Le dernier film d·Antonioni. Zabris­kie Point, surprendra peut·être lesspectateurs dans la mesure où il ré·vèle un certain « engagement» de sonauteur, lequel paraissait jusqu'alorsse tenir à l'écart des courants du ci­néma critique. En réalité, il ne fai1que développer d'une manière plussimple, plus directe et plus claire, uneproblématique déjà contenue dans sesfilms antérieurs, en particulier depuisl'Eclipse.

Le dernier film d'Antonioni.Zabriskie Point, suscite desprises de position passion·nées et contradictoires. Nousdonnons ci-dessous d euxpoints de vue opposés. Lelecteur - qui sera vraisem­blablement aussi spectateur- jugera.

Dans Blow Up, Antonioni, dressaitle constat d'un échec: celui d'unesociété en apparence heureuse et fa­cile, en réalité fausse et sinistre;mais il terminait sur une note pessi­miste : le héros prenait conscience decette facticité mais s'y résignait.

Dar.s un campus de l'Université deCalifornie, les étudiants noirs se réu·nissent pour décider l'occupation del'université et convient leurs confrè­res blancs à les suivre. Différentesthèses s'affrontent: radicalisation desmilitants, hésitation, enthousiasmedes Blancs. L'un d'entre eux, peuconvaincu de l'efficacité des métho­des proposées et las des discussionsstériles, quitte la réunion. Cependant,il participe à la manifestation et tue- de sang-froid - un policier. Obligéde fuir, il s'empare d'un avion privé etvole vers le désert proche. Or, làjustement, roule en voiture une jeuneétudiante, Daria, secrétaire d'un hom­me d'affaires chargé de créer un énor­me complexe immobilier dans cettezone. Les deux jeunes gens se ren­contrent - d'une manière un peu so­phistiquée, il faut le dire - mais sile garçon par son acte, se trouve déjàà un certain point de non-retour, lajeune fille, en revanche, préfère croi­re en la possibilité d'une évasion indi­vidualiste - la drogue, les médita­tions d'un douteux «maître à pen­ser» - et se moque des révolution­naires qui préfèrent lutter dans la réa­lité plutôt que « d'élargir le champ déleur imagination". Après une halteau point central du désert, ZabriskiePoint, gigantesque paysage lunaire desable et de roc, lesieunes gens seséparent. Naïvement, le garçon croitpouvoir rendre impunément l'avionvolé et la jeune fillp- part rejoindreson patron, en conférence avec ungroupe financier. éventuel bailleur defonds. Mais, évidemment, la police seprépare à accueillir le jeune voleurqui est tué avant même de sortir del'avion, et Daria, comprend en appre­nant la nouvelle, qu'elle ne peut plusse réfugier dans l'évasion et qu'il nelui reste qu'une solution, abandonnerson travail et rejoindre - éventuelle­ment - les grounes révolutionnairesfbien que ceci ne soit pas clairementdit dans le film).

GiUes Sandier

Jamais cette violence sacri­lège à travers laquelle deux pa·rias ne parviennent pas à exor­ciser leur condition de parias,cependant que la consciencedes maîtres. retournée commedoigt de gant. est jetée à j'en­can et rendue à sa pourriture,jamais cete messe, selon Ge­net, n'avait atteint cette altitudetragique, ni ce pouvoir de dé­nonciation. Il fallait que Garciavînt.

dans un cabinet Louis XIII, maisuri mur de plaques de métalmobiles et verticales, cernantun haut-lieu de sacrifice et demeurtre, Garcia, avec son sensespagnol, cérémonial, érotiqueet funèbre, rend la scène, com·me le veut Artaud, à sa desti·nation de 1ieu rituel. dont l'au·tel. au centre - c'est-à-dire lelit - ressemble à ce trou d'om­bre sur lequel les devins anti­ques évoquaient les morts. Etla messe noire commence. jus­qu'à la consommation du rite,jùsqu'aux noces sacrilèges desdeux sœurs, la criminelle et lasainte.

Une messe dont la liturgie estconduite au rythme d'une tran·se continue, qui nous projetted'emblée dans l'onirique, selonles lois d'une déclamation sa­vante, rompue, accélérée, à lascansion démente, usant d'unfantastique apparei 1 de rupturesde ton, de dédoublements, dechangements de registre desvoix, toute une construction ver­bale et gesticulatoire chargéede porter ce terrible jeu c1'ima­ges et de signes à travers quoideux pauvres filles, deux souil­lons en blouse noire, pariasvouées à l'amour et la hainesans issue, jouent jusqu'aubout de leur condition d'humi­liées: tantôt grimpées sur descothurnes pour jouer la céré­monie dont Madame est l 'hos­tie, tantôt tapies dans leur or­dure gratta:=It la terre comme desenfants de Bunuel ou des bêtesapeurées. Quand Madame appa­raît, tombant des cintres com­me un Jupiter d'Opéra, toute ca­paraçonnée d'or et de toc et sepavanant, divinité idiote, dansun bruit de clochettes, com­mence alors la lente ascensionvers le rite du crime, qui de­vient en fait une lente descentedans la mort.

Lli Quin7.aine littéraire, du 1" au 15 mai 1970 27

Page 28: Quinzaine littéraire 94, mai 1970

~Antonioni

FEUILLETON

Tout ~a est de la vieille histoire. Je conseillerai à

Antonioni la lecture complète des œuvres de Brecht.

par Georges Perec

A tort ou à raison, chaque film deMichelangelo Antonioni est considérécomme un événement. Si vous aVez'le malheur d'être considéré comme uncinéphile, on ne commence plus parvous dire bonjour quand on vous ren­contre, on vous demande: «Qu'est-ceque vous pensez du dernier Antonioni,Zabriskie Point?» On a envie de ré­pondre: «Pa.s fameux» et d'allerboire un verre sur les bords de ·IaSeine en regardant les jeunes fillesqui rient comme ça, pour rien, à latable d'à côté. Enfin puisqu'jl fautparler de Zabriskie Point, parlons-en.C'est un film qui touche à beaucoupde problèmes à la fois, qui est fait debeaucoup de sujets très à la mode:la révolte étudiante, la drogue chezles jeunes, l'impérialisme américain,plus agressif et auto-satisfait que j~­

mais, le problème du couple et la re­volution sexuelle, la société unidimen­sionnelle, etc.

Au premier abord, tout ceci sembleun peu décousu: je veux dire dans

le film, ou plutôt mis bout à boutcomme des éléments d'une démons­tration pas très convaincante parceque d'un' mécanisme trop simplet.L'histoire est facile à résumer. Unjeune étudiant contestataire blancs'aparçoit que les flics de son paysn'hésitent pas à cogner, et rneme àtuer pour faire régner l'ordre (uncomble pour la 'glorieuse Amérique,pays de la liberté et du coca-cola), ilvole donc un avion pour fuir cetteterre d'agents d'affaires et de poli­ciers armés de fusils à lunette et debonne conscience (celle de ce queM. Nixon appelle la majorité silencieu­se). Il s'envolera sous les yeux éba­his des mécaniciens de l'aérodrome.Il rencontrera dans le désert une jeu­ne fille en vditure fuyant son amantagent d'affaires, sorte de Jean-JacquesServan-Schreiber ne rêvant que mana­gement, technocratie et Club Méditer­ranée pour toutes les bourses. Lejeune contestataire et la femme enrupture d'amant iront faire l'amour àZabriskie Point, un désert minéral quiblanchit les corps mais hélas ne puri­fie pas les âmes de ses tourments.Les plans du coït, filmés selon uneesthétique très magazine • Play Boy",montrent, comme toujours chez le réa­lisateur, la parfaite solitude des par­tenaires. L'affaire se terminera tragi­quement mais logiquement. A p r è savoir traîné sur les routes au volantd'une vieille voiture grise, ce coupleen fuite finira par revenir au point dedépart. Le garçon posera l'avion surl'aérodrome pour se faire abattre parles flics comme un vulgaire gibier.La jeune femme retournera auprès deson <lmant, lui dira bonjour et trouverasa tête vraiment insupportable de con­tF!ntement. Elle reprendra alors sa voi·ture et rêvera que la maison saute,que le cauchemar climatisé vole dansle,s airs, avec ses bouteilles de Coca,

28

ses cigarettes Lucky Strike, ses frigi­daires bourrés d'épinards en boîte.

. Bref, elle rêve de faire sauter la so­ciété. Point final. Par ici la sortie m'es-sieurs dames.

Ce film donne l'impression terrifian­te d'être admirablement composé surle plan technique. Antonioni sait choi­sir ses objectifs, diriger un travelling,mais exactement comme un photo­graphe de mode sait trouver l'anglede prise de vue. Cela donne donc unfilm glacé, élégant, avec des beauxpaysages, des têtes de flics plu~

vrais que nature et des couples qUiroulent nus dans la poussière. Toutceci ne serait pas gênant si on nesentait une volonté de faire pensersur l'échec de la société, sur le mal­être de l'individu moderne, sur le mal­heur de ces deux personnages d'au­jourd'hui à la recherche d'un nouvelEden. Les personnages ont l'air sur­pris de n'avoir pas trouvé le bonheuren roulant l'un sur l'autre, loin desvilles et de la civilisation corruptrice.

Ces enfants du Coca-Cola et de Rous­seau (mais plus encore de D.H. Tho­reau puisqu'ils sont américains) traî­nent leur ennui et se replient sur eux­mêmes. On finit par trouver qu'ils seprennent trop au sérieux, qu'ils s'écou­tent trop vivre. Notamment la jeunefi!le dans la dernière bobine, qui joueles Jeanne Moreau désabusées, en er­rant l'air dégoûté le long des vitresd'une sorte de villa accrochée à unrocher. A aucun moment les person­nages n'ont l'idée de passer de larévolte individuelle à une prise deconscience collective. L'idée que lemonde peut se changer ne les effleu­re pas. Ils se replient sur eux-mêmes.Ils cultivent leur désespoir avec unsoin assez morbide. On aurait enviede leur dire: ne vous regardez plusle nombril et passez à l'action politi­que. Mais non. Ils restent coincés,peureux finalement, tragiques et naïfsà la fois, individualistes forcenés quifinissent par en crever sous l'œil im­passible des flics américains (quiont vraiment l'air très imoassibles,même en tirant au pistolet!l.

Antonioni a voulu montrer l'Améri­que telle qu'il. la voyait: sorte de dé­sert rouge. de désert où ne poussentque la violence, le dollar et les agentsd'affaires. Ses deux personnages res­semblent à de modernes Paul et Vir­ginie s'apercevant que le monde n'estpas fait pour les enfants rêveurs. Ilscherchent la fuite par tous lesmoyens. La drogue étant la plus priséeactuellement. Mais tout ça est de lavieille histoire, Il y a longtemps queles hommes cherchent l'ailleurs et fi­nissent par retomber sur la fornica­tion, la lecture des journaux, le bridge,le suicide mJ la lecture. Pour cettedernière. je conseillerai à Antonionila lecture complète des œuvres deBertolt Brecht.

Jacques-Pierre Amette

La conception des enfants est, surW, l'occasion d'une grande fête quel'on appelle l'Atlantiade.

Les femmes W sont tenues dansdes gynécées et soumises à une gardeextrêmement vigilante, non par craintequ'elles ne s'échappent - leur doci­lité est exemplaire, et elles ont dumonde extérieur une vision plutôt ef­frayée - mais pour les protéger deshommes: de nombreux athlètes eneffet, généralement parmi ceux queles lois impitoyables du sport W ontécarté des Atlantiades, tentent pres­que quotidiennement, en dépit dessanctions extrêmement sévèrE;ls quipunissent ce genre d'agissements, des'introduire par effraction dans le Dé­partement des Femmes et d'atteindreles dcrtoirs. L'optique particulière quirégit la Société W trouve d'ailleurs iciaussi une application originale: la ri­gueur du châtiment infligé à l'athlèteest en effet directement proportion­nelle à la distance qui le sépare desfemmes au moment de son arrestation:s'il est surpris aux abords de la cein­ture électrifiée qui entoure le gyné­cée, il risque d'être passé par les ar­mes séance tenante; s'il réussit àfranchir la zone des patrouilles, il peuts'en tirer avec quelques semaines decachot; s'il parvient à passer le murd'enceinte, il ne se verra infliger qu'unesimple bastonnade et s'il a la chanced'arriver aux dortoirs - la chose nes'est jamais vue mais elle n'est pasthéoriquement impossible - il serafélicité publiquement sur ·Ie stade cen­trai et recevra le titre de Casanovad'honneur. ce qui lui oermettra de par­ticiper officiellement à la prochaineAtlantiade.

Le nombre des femmes est assezrestreint. Il excède rarement le demi­millier. La coutume veut en effet quel'on laisse vivre la totalité des enfantsmâles (sauf s'ils présentent à la nais­sance quelque malformation lés ren­dant inaptes à la compétition, étantentendu qu'aux pentathlon et déca­thlon une infirmité physique mineureest souvent considérée davantaoecomme un atout que comme un handi­cap], mais que l'on ne garde qU'unefille sur cinq.

Jusque vers 13 ou 14 ans, 18s fillespartagent la vie des garçons dans lesMaisons de Jeunes. Puis les garçonssont envoyés dans les villages, où ilsdeviennent novicGs et plus tard athlè­tes, et les filles gagnent le gynécée.Elles s'y livrent à longueur de jour­née à des activités d'utilité publique:tissage des maillots, des survête­ments et des étendards, fabricationdes souliers, confection des costumesde cérémonie, tüches alimentaires etménaqères diverses, à moins, évidem­ment, qu'elles ne soient sur le pointd'accoucher ou qu'elles ne s'occupent,pendant quelques mois, des pouponsen bas âge. Elles n8 sortent jamais dugynécée, sauf pour les Atlantiades.

Les Atlantiades ont lieu à peu prèstous les mois. On amène alors sur lestade central les femmes qui sont pré­sumées fécondables, on les dépouillede leurs vêtements et on les lâche surla piste où elles se mettent à courirdu plus vite qu'elles peuvent. On leurlaisse prendre un d8mi-tour d'avance,puis on larce à leur poursuite lesmeilleurs athlètes W, c'est-à-dire lesdeux meilleurs de chaque disciplinedans chaque village. soit en tout, puis­qu'il y a vingt-deux disciplines et qua-­tre villages, cent soixante-seize hom­mes. Un tour de niste suffit générale­ment aux coureurs pour rattraper lesfemmes et c'est 111 plus souvent enface des tribunes d'honneur, soit surla cendrée soit sur la pelouse, qu'ellessont violées.

Ce protocole particulier qui fait queles Atlantiades ne ressemblent à au­cune autre compétition W a, on le de­vine, plusieurs conséquences remar­quables. En'premier lieu, ~lIe p!ivecomplètement les non-classes (memes'ils ont triomnhé dans les Sparta­kiades) et les troisièmes des cham­pionnats de classement (par exemple,Perkins aux 400 m W, Shanzer aupoids Nord W, Amstel aux 100 m Nord­Ouest W, etc.) de toute chance d'obte­nir une femme tant au 'ils resteronttroisièmes ou, • a fortiori ", non clas·sés (et cela même si ce troisième est,par ailleurs, premier ou deuxièmedans un championnat local, une épreu­ve de sélection ou une compétitionolympique). En second lieu, le nombredes femmes étant toujours inférieur

Page 29: Quinzaine littéraire 94, mai 1970

bl· #pU" leSau 20 avril

Livresdu 5

Mikhaïl M. BakhtineProblèmes de hipoétique de DostoïevskyTrad. du russepar Guy Verret.Ed. de l'Age d'Homme,325 p., 28 F.

Le même ouvrage. estpublié au Seuil, dansune' autre traduction,

Bernd RulandDossiers intimesdu poùvoirTrad. de l'allemandpar N. Nideriniller.Presses de la Cité,318 p., 16,90 F;

De clara Petacci àSoekarno, en passantpar Eva Braun.. Evita .Peron et Trujillo, uneÇlaleri('l de portraitsdignes de laRenaissance italienne.

Jacques WeygandWeygand, mon pènFlammarion, 512 p.; 30 F,32 p. hors texte.

Une biographie appuyéesur des documentsinédits 'et sur lacorrespondance' intimede Weygand.

A. Michel, 276 p., 18 F.Une étude précisesur l'un desplus énigmatiques.des personnages duXVIII' siècle.

.Mikhaïl M. BakhtineLa poétiquede DostoïevskiTrad. du russepar 1. Kolitaheff.

. Présentationde Julia Kristeva.Coll. « Pierres vives ",Seuil, 336 p:, 30 F.Un ouvrage fondam'ental,qui constitue un des' ,apports majeurs du "formà1isme russe àlathéorie de' la littérature.

CRITIQUBRISTOIRJil:LITTBR,J\IRB

• Zoé OldenbourgSaint BernardA. Michel, 420 p., 28 F.

Une étude neuve etobjective sur celuiqui fut le plus grandingénieur des âmes dela France médiévale.

• Karl GeiringerJean·Sébastien BachTrad. de l'anglaispar Rose Celli.Seuil, 384 p., 30 F.Une étude à la foisbiographique et critique,par un professeur del'Université deCalifornie.

P. Céria et F. Ethuin('énigmatique comtede Saint-GermainUn'e reproduction horstexte.Coll. « Les chemins del'impossible ",

B IOGRAPBIESMEMOIRESCORRES·PONDANCES

Charles Lè QuintrecLa marche des arbresA. Michel, 144 p., 19,50 F.

Romain RollandBeethoven,Les grandes étapescréatricesA. Michel, 1500 p., 69,50 FA l'occasion dubicentenaire de lanaissance du musicien.

Raymond ChasleLe corailleur des limbespréèéc;lé de versosinterditsPierre·Jean Oswald,95 p., 9,60 F.

M. Villa-GilbertMon amourtout habillé de blancTrad. de l'anglaispar C.-M. Huet.A. Michel, 192 p., 16,50 FLa confession d'unadolescent hanté parses obsessions.

Jack VanceUn monde d'azurColl. • Ailleurs etdemain "Trad. de l'américainpar J. Rémillet.Laffont, 232 p., 16 F.Un récit où lascience-fiction rejointle conte philosophique.

. Emile ZolaLes Rougon·MacquartTome III: Une paged'amour, Nana etPot·BouillePrésentation et notesde Pierre C·ogny.Coll. • L'Intégrale ",Seuil, 522 p., 20 F.

'REEDITIONSCLASSIQUES

Jacques Harnelin"ckHorror vacuiTrad. du néerlandaispar Maddy Buysse.Coll. • Nouvellesnouvelles ".A. Michel, 192 p., 19,50 FUn recueil de nouvellesinsolites, entre lecauchemar et le rêve.

ROMANSETRANGERS

Homero AridjisPerséphoneTrad. de l'espagnolpar Irma Sayol.Gallimard, 224 p., 18 F.Par un jeune poètemexicain, un vastepoème en prose à •l'avant-garde de la jeune Ror W~lf .

Poésie latino.américaine. Le tembl~ festinTrad. de 1allemandpar Lily Jumel.Gallimard, 232 p., 19 F.Un roman exubérantcomme un tableau deBreughel et dont lethème principal estl'appétit sous toutes sesformes.

Georges TouroudeLes pavésde la haineA. Michel, 320 p., 15,90 FUn roman d'amourqui a pour toile de fondles événementsde la Commune.

Mercedes Sali sachsLa frontièrede l'amourTrad. de l 'espàg.l'IO1par Denise Nast.Laffont, 344 p., 20 F,Coll. «Pavillons-.Les problèmes majeursde la vie d'uri couple.

Zaharia StancuLa tribu .Trad. du roumainrar Léon Negru~zi.

'.- A. Michel, 376 p., 28 F.L'epopée d'une tribude' Tziganes d'origineroumaine pendant la

.~. deuxième guerremondiale.

Roger PeyrefitteDes Français .Flammarion, 296 p., 25 F. ,

La chroniquescandaleuse de lasociété françaisecontemp.oraine.

Michel Sage"Le rendez·vous de~arcelone ou unejournée à NurembergLaffont, 304 p., 20 F.

Une nuit, à Barcelone,un' homme à la .r"echerche du tempsperdu et· des amoursmortes.

Claude Longhy Willi HeinrichLe cri et le silence ~éométrie amoureuse

Trad. de l'allemandLaffont, 296 p.., 55 F. par Louise Marsiac.Le récit, inspiré A. Michel, 336 p., 15,90 F.rie notre passé récent, La peinture crue maisd'une nuit d'angoisse véridique d'un couplevécue par une femme au bord de la rupture.qui attend qu'on lui .annonce l'exécution de .José Cardaso Piresl'homme qu'elle aime. . le Dauphin .

Trad. du portugaispar R. Quemserat .Gallimard, 224 p., 18 F.A la fois une histoired.e chasse, unechronique stendhalienneet une fresque sur lePortugal' et ses mythes.

Jean ChatenetPetits blancs, vousserez tous mangésSeuil, 272 p., 21 F.

Un • reportage fiction"sur l'Afrique. au~ prises .italo Calvinoavec la cooperation. Temps zéro

Trad. de l'italienpar J. Thibaudeau.Seuil. 160 p., 16 F.Dix récits dans laveine des Cosmicomics(voir le n° 55 de la• Quinzaine").

Jacques Folch·RibasLe démolisseurLaffont, 224 p., 16 F.

Par un écrivaind'origine es!)agnole etde langue françaisequi vit actuellement àMontréal.

ROMANSFRANÇAIS

Hervé Bazinles bienheureuxde la DésolationSeuil. 256 p., 20 F.A:Jpuyée sur un faitdivers qui passionnarécemment lessocirnogues d'Outre­Manche, l'odysséeétonnante des habitantsde l'île de Tristan daCù.nha dévastée parl'irruption d'un volcan.

Pierre Nord. ProvoCations à Prague

Flammarion, 224 p., 12 F.

Dans les coulissesdes machinations russes'ou les dessous .politiques du« Printemps de Prague ".

Jean Hougronta gueulenhine de dentsPlon, 528 p., 27,50 F.

Un roman qui fait suiteà « Histoire de GeorgesGuersant « et qui a pour

. cadre l'Indochine.

Pour compenser ces différences etrétablir un tant soit peu l'équilibre,l'administration des Atlantiades a pro­gressivement assoupli les règles de lacourse et a admis des procédés quiseraient évidemment inacceptablesdans le cadre d'une compétition nor­male. C'est ainsi· que l'on a d'abordtoléré le croche-pied, puis, d'une ma­nière plus générale, toutes les ma­nœuvres ayant pour but de faire· per­dre l'équilibre à un concurrent: pous­sée des épaules, .coup de coude, coupde genou, poussée de la main ou desdeux mains,' percussion transcutanéedu poplité interne entraînant uneflexion réflexe de la jambe, etc. Pen­dant un "certain temps, on a tenté d'in­terdire des types d'agression jugéstrop violents, comme la strangulation,la morsure, J'uppercut, le coup du la­pin (manchette au niveau de la troisiè­Me vertèbre cervicale), le coup detête au plexus solaire (ou coup debO:.Jle), . l'énucléation, les coups detr-.utes sortes portés au sexe, etc.Mais ces attaques devenant de plusen plus fréquentes, il s'est avéré deplus en plus difficile de les réprimeret l'on a fini Par les admettre dansles règles. Néanmoins, pour éviter queles concurrents ne dissimulent sousleurs maillots des armes (non pas desarmes à feu dont l'usage est évidem­ment interdit aux athlètes, mais, parexemple, ces lanières de cuir plombéqu'utilisent les pugilistes, les fers delance des javelistes, les poids. deslanceurs, ou divers instruments con­tondants, ciseaux, fourchettes, cou­teaux qu'ils auraient pu se procurerl,ce qui aurait exagérément fait dégéné­rer la compétition, et l'aurait transfor­mée en un carnage aux consé:juencesimprévisibles ~ ce sont; après tout,les meilleu;'s éléments des vil~ages,

en fin de· compte les meilleurs spor­tifli de "île, qui. sont admis à se pré··senter aux Atlantiades - on a imposéque les adversaires soient, comme lesfemmes qu'ils poursuivent, entière­ment nus. La seule tolérance admise- elle se justifie dans la mesure oùil s'agit teut de même d'une course àpied, même lli son clépart en est pas­sabJement mouvementé - concerneles chaussures, dont les pointes· sontaiguisées ·et rendues particulièrementacérées et lacérantes.

Les sprinters de 100 01 et de200 01 s'asphyxient souvent avantd'arriver au but, les coureurs de. fondou de marathon ont du mal à s'impo"s·er. sur une distance qui excèd_e rare­m::lnt un tour de stade, c'est-à-dire550 mètres. Quant aux non-coureurs,si les sauteurs ont parfois une mai­(F"l chance, les lanceurs et les lut­tp.urs son t pratiquement éliminésd'avance.

(à suivre)

à cent soixante-seize (il dépasse enfait rarement la cinquantaine), la plu­pJrt des athlètes autorisés à courirl'Atlantiade, souvent les deux tiers,parfois plus, n'obtiendront absolumentrien. Il est enfin évident que, vu lamlture même de la compétition et ledemi-tour d'avance concédé aux fem­mes, ce sont les Coureurs de demi­fond ou, à la limite, les sprinters de400 01 qui sont les plus favorisés.

La Quinzaine littéraire, du 1" au 15 mai 1970 2lI

Page 30: Quinzaine littéraire 94, mai 1970

Livres publiés du 5 au 20 avril 1970

par René Pavans. .Elie WieselColl. « Science ouverte " Entre deux soleilsSeuil, 368 p., 35 F. Seuil, 256 p., 20 F.Un ouvrage méthodolo- Un ensemble de textes,gique, où l'auteur légendes, dialogues,discute l'usage qui a été témoignages qui font lefait jusqu'ici du principe tour de la questiond'uniformité. juive.

Abel Clarté

Eros et Rastignacou la Maison RodelcoDix caricatures dePinatel.Ed. de la Source,160 p., 20 F.

Un pamphlet contreles mœurs littéraireset, notamment, les prix.

• Paul LidskyLes écrivains contrela CommuneMaspero, 184 p., 14,80 F.

La réaction bourgeoiseen 1871. à travers sesécrivains les plusreprésentatifs, ou lesmécanismes essentielsd'une 1ittérature dedroite.

• Pierre PascalDostoïevsky,sa vie, son œuvreEd. de l'Age d'Homme,400 p., 33 F.

Par un spécialistede la civilisation russe,une étude anti­conformiste et trèséclairante.

SOCIOLOGIEPSYCHOLOGIE

R. BlumMarc NedelecLa médecine de groupeSeuil. 176 p., 18 F.Un professeur demédecine en retraites'interroge sur l'avenirde la profession .

Pierre SolignacPour un médecinde familleFlammarion, 226 p., 18 F.Par un médecingénéral iste et unneuropsychiatre, uneétude qui met l'accentsur le rôle humain etpsychologique dumédecin.

Robert SoupaultLettre ouverte à unmalade en colèreA. Michel, 160 p., 9,60 F.Par un ancien chirurgien,aujourd'hui à la retraite,une étude sur lesproblèmes actuelsde la médecine et lerôle social du médecin.

EN SEIGNEMENTPEDAGOGIE

• Alexandre S. NeillLibres enfantsde SummerhillTrad. de l'anglaispar M. Laguilhomie.Préface deMaud Mannoni.Maspero, 328 p., 20.80 FL'aventure d'une écoleautogérée, créée parl'auteur en 1921 dansla région de Londres.

Eugène RethaultTrois postulats de lapsycho-pédagogiemoderneE.S.F. éd., 110 p., 20 F.Un ouvrage destinéaux éducateurs, auxpédagogues et surtoutaux parents.

Henri WadierLa réforme del'enseignementn'aura pas lieuLaffont, 272 p., 18 F.Un ouvrage objectifsur la situation del'enseignement enFrance, par un

enseignant qui s'appuiesur l'expérience de touteune vie.

ESSAIS

• Roger CailloisCases d'un échiquierGallimard, 344 p., 25,20 F(Voir ce numéro, p. 3).

Gabriel DelaunayL'herbe et le ventA. Michel, 272 p., 18 F.Un nouveau recueilde «Feuillets dutemps volé '.

Marcel HaedrichEt Moïse créa DieuLaffont. 224 p., 18 F.Par le commentatéurd'Europe n° 1, unenouvelle lecture de laBible à travers laquellese dégage "histoire dupeuple juif.

R. HooykaasContinuité etdiscontinuitéen géologieet biologieTrad. de l'anglais

Roger IkorLettre ouverteaux JuifsA. Michel, 160 p., 9,60 F.Une méditation surl'ensemble desproblèmes qui seposent aujourd'hui auxJuifs d'Israël et de ladiaspora.

Peter KolosimoDes ombressur les étoilesTrad. de l'italienpar S. de VergennesColl. «Les cheminsde· l'impossible '.38 documents hors texte,A. Michel, 384 p., 25 F.Ecrite en 1969, unehistoire de l'explorationde "espace connu etinconnu qui prendaujourd'hui un tonrrémonitoire.

HISTOIRE

Roland AuguetCruauté et civilisation:les jeux romainsFlammarion, 272 p., 24 FUne vaste synthèsehistorique,psychologiqueet sociologique.

Cecil Maurice BowraL'expérience grecqueTrad. de l'anglaispar G. et F. Chevassus.64 p. d'illustrations.Fayard, 256 p., 45 F.Le message laissé àl'humanité par lacivilisation grecque,des épopées homériquesjusqu'à la chuted'Athènes.

Yves Cazaux

Une nouvelle forme d'équipement culturelLE COLLÈGE GUILLAUME BUDÉ DE YERRES

a 1 CES 1200 élèves : enseignement gènéralb / tES ·1200 élèves : enseignement

scientifique et spécialiséc / CES j 200 élèves : enseignement pratiqued 1 Restaurant libre-service. salles

de réunion. centre médico-scolairee 1 Logements de fonètionf 1 Salle de sports avec gradins (1000 places)

et salles spécialisées

:.-... t.l'U;Ù;l," • 9 / Piscine"~":'j., h 1 Installations sportives de plein air,. i 1 Formation professionnelle

..... ,.,. et promotion socialej / Bibliothèque. discothèquek / Centre d'action sociale.

:1' r' garderie d'enfants; conseils sociaux./fi accueil des anciens~ 1 / Maison des jeunes~~ m 1 Centre d'action culturelle:

théâtre. galerie d'exposition, musêe.centre ,renseignement artistique

n / Foyer des Jeunes Travailleurs

LE COLLEGE DE YERRES INTËGRE. EN UN MËME ENSEMBLE ARCHITECTURAL, LES DIVERS ËOUIPEMENT,SSPORTIFS. SOCIAUX ET CULTURELS DE LA COMMUNE.

L'ENSEMBLE DE CES ËOUIPEMENTS EST AU SERVICE DE L'ENSEMBLE DE LA POPULATIQN. LEUR UTILISATION.TOUT AU LONG DE LA JOURNËE. DE LA SEMAINE ET D.E L'ANNËE. PAR LES JEUNES COMME PAR LES ADULTES.ASSURE LEUR PLEIN EMPLOI.

30

réalisation g.P L·Abbaye. Yerres -·91. Essonne - 925.39.80

Page 31: Quinzaine littéraire 94, mai 1970

Bilan d'avri.lLES LIBBAIRE'S ONT VENDU

2

1

2

3

1

2

1

3

7

•'0e-8!

III11=li.e-0"z;

7

1

9

2

5

3

4

Gallimard

Stock

Skira

Anthropos

Denaël L.N.

Gallimard

Tchou

la maison de papier (Grasset)

l'iris de Suze (Gallimard)

l'éléphant blanc (Flammarion)

Voyages avec ma tante (Laffont)

Tous les chiens, tous les chats(Flammarion)

lettres de prison (Le Seuil)

Ciel et terre (Denoël)

le zoo humain (Grasset)

La vieillesse (Gallimard)

les allumettes suédoises(Albin-Michel)

l'empire des SignesLe Japon séméiologique de Barthes

Discours, parcours et FreudPsychanalyse' existentielle

la grande terreurLes purges staliniennes

Du rural à "urbainUne sàciologie appliquée

Etudes de styleUn philologue épris de totalité

Jacob.La belle époque de l'anarchie

Dans le. poing de la révolutionCuba aliec Fidel

1 Françoise Mallet-Jorris

2 Jean Giono

3 Henri Troyat

4 Graham Greene

5 Konrad Lorenz

6 Gabrielle Russier

7 J.-J. Servan-Schreiber

8 Desmond Morris

9 Simone de Beauvoir

10 Robert Sabatier

Robert Conquest

Henri Lefebvre

José Yglesias

Bernard Thomas

Léo Spitzer

Roland Barthes

Marc Bernard MaYQrquirias Denoël L.N.Sortilèges de Majorque

Marie-Thérèse Bodart Marcel lecomte SeghersUn grand poète surréaliste belge

Roger Caillois Cases d'un échiquier GallimardPar l'un des meilleurs esprits de cetemps

Julie'n- Gracq la presqu'i1e José CortiPar l'auteur du Rivage des Syrtes

Cabrera Infante Trois tristes tigres GallimardCuba avant Fidel

Norman Mailer les armées de la nuit Grasset1a Marche sur le Pent<,!gone

Ror Wolf le terrible festin . GallinfardUn jeune roman·ciér. allemand

Liste établie d'après les renseignements donnés par les libraires suivants :Biarritz, Barberousse. - Brest, la Cité. - Dijon, l'Université. - IssouduIT.!,Cherrier .. - Lille, le Furet du, ,Nord. - Montpellier, Sauramps. - Nice,Rudin. - Orléans, Jeanne d'Arc. - Paris, les Aliscans. - Aude, au Chariotd'or, Gallimard,' la Hune, Julien-Cornic, Mangault. Marceau, Max Ph. DelaUe,Présence du Temps, Variétés, Weil. - Poitiers, l'Université. - Rennes, lesNourritures terrestres. ......: Royan, Magellan. - Strasbourg, les Facultés,les Idées et les Arts. - Toulon, Bonnaud. - Tournai, Decallonne. Ver­sailles, Pinte. - Vichy, Royale.

LA QUINZAINE .LI,TTÉRAIRE

LITTERATURE

ESSAIS

VOUS RECOMMANDE

. Ludwig Biswanger

DOCUMENTS

Vassilis VassilikosHors les mursMaspero, 160 p., 11,80 F.Publié en Grèce un anavant le coup d'Etat,un témoignagefondamental

révolutionnaire, éliminéen 1937.

T.C. Sorensenl'héritage des. Kenne.dy8 p. de photos. 'Laffont, 400 p., 22 F.Un essai sur "les butset les concepts de Johnet Robert Kennedy,par celui qui fut leurami et leur conseiller.

G. ThomasM. Morgan Wittsle volcan arrive !8 p. de photos,Laffont, 280 p., 22 F.Un nouveau titre dansla collection ft Cejour-là.: un documentsur l'éruptioll de lamontagne Pelée, le8 mai 1902. '

Gilbert penoyanEl Fath parleles Palestinienscontre Israël15 documents hors texte,2 cartes.A. Michel, 232 p., 18 F.Une enquête menéeauprès des Palestinienseux:mêmes, .et à tr.averslaquelle se dégagent la'raison et le contenu de.leur lutte.

Georges J. Demaixles esclaves du diableColl. ft Les cheminsde l'impossible.16 documents hors texte.A. Michel, 272 p:, 18 F.Une ·enquête sur lamagie et la sorcellerieà travers les âges,qui a pour point d~départ l'assassinat deSharon Tate.

et pressiondémographiqueFlammarion, 224 p., 18 F.Une étude économiquesur l'évolution agrairedes communautés quine sont pas encoreindustrialisées.

Omar Makaloul'équilibre budgétairedes pays en voiede développementMaspero, 184 p., 18,10 F.Les tares d'uneéconomie fondée toutentière sur le principede dépendanceéconomique vis-à-vis despays industrialisés.

eK.S. Karolles guerillerosau pouvoir24 p, de hors texte.Laffont, 608 p., 34 F.L'itinéraire politiquede la révolution cubaine,

'par un témoinprivilégié et unspécialiste ducommunismeinternational.

e E. Pasukanisla théorie générale duDroit et le marxismeTrad. de l'allemandpar J.-M. Brohm.Présentationde J.-M.Vincent,suivi d'une analysede Karl Korsch.E.D.I., 180 p., 13 Fdiff. Maspero).Par un bolchévik de lapremière hellre et lejuriste soviétique leplus éminent de lagénération

e Eldridge CleaverPanthère noireTrad. de l'américainpar Thomas Gumprecht.Coll. ft Combats ",Seuil. 224 p., 16 F.Par l'auteur d' ft Unnoir à l'ombre.:aujourd'hui exilé à Alger.

CIélude Fohlenl'agonie desPeaux RougesR~.sma, 236 p., 24,15 F.L'histoire d'une tragédiequi dure depuis troissiècles: celle desIn'Iiens d'Amérique duNord menacés de mortlente.

Jacques DuclosMémoires· Tome III:dans la batailleclandestineFayard, 304 p., 20 F(Voir le numéro 59 dela ft Ouinzaine.• )

eH. Darin-Drabkinle Kibboutz;société différenteTrad. de l'anglaispar Michel Janin. 'Seuil. 352 p., 25 F.Le kibboutz, institutionoù le communisme, M. Barelli Gallagherl'égalité absolue, la Ma vie avecgestion démocratique Jackie Kennedysont appliqués, et ses Trad. de l'américain

Heinz Gollwitzer rapports avec la nation par F.-'v1. Watkins.L'impérialisme israélienne. Presses de la Cité,de 1880 à 1918 318 p., 16,90 F.Coll. ft Histoire illustrée e Charles de Gaulle La petite histoire de la

Maison-Blanche sous.de l'Europe., Discours et messagesFlammarion, 216 p., Tome 1: Pendant le règne des Kennedy.13.50 F. l,a guerreLes bases sociales et Plon, 736 p., 35,70 F. Albert Etévééconomiques de Un recueil des discours' la victoirel'impérialisme moderne et messages du général . des cocardeset les conséquences de Gaulle, qui couvre la 48 p. de dessins, plansde celui-ci. période de juin 1940 à et photographies.

janvier 1946. Laffont, 328 p., 24 F.L'aviatiOfl françaiseavant et pendant lapremière guerremondiale.

Guillaumele Taciturne .2 cartes in texte.A. Michel. 384 p., 28 F.La biographie trèscomplète d'un hommeq;Ji étonna son siècleet dont la formed'esprit demeure trèsactuelle.

Ester BoserupJ;.V.pluti.oo ..agraire

POLITIQUEECONOMIE

P. de Sermoiseles missions secrètes

,de Jehanne la Pucelle12 p. de photos.laffont, 328 p., 18 F.Par des ascendants deRobert des Armoises,Dne étude appuyée surdes documentsfamiliaux.

'Maréchal JoukovMémoires • Tome 1Fayard, 540 p., 30 F.Un documentexceptionnel. sur laseconde guerremondiale et sur leta,es d'un systèmestalinisme par l'anciengénéral de l'arméesoviétique.

'Harrison Salisburyles 900 joursle siège de léningrad28 photos, 3 cartes.A. Michel. 656 p., 34 F'(prix de lancementjusqu'au 10 mai: 28 F).Un document.exceptionnel,par un journalisteaméricain, spécialistede l'U.R.S.S.

La Quinzaine littéraire, du 1" au 15 meli 1970 :u

Page 32: Quinzaine littéraire 94, mai 1970

L'UNIVERS DES FORMEScollection dirigée par André Malraux et André Parrot

vient de paraîtredans la série " Le Monde Romain"

LA FIN DE LART ANTIQUEpar Ranuccio Bianchi Bandinelli

Ce livre considère l'Artde Rome, de Constantinople

et de toutes les provincesde l'Empire qui apportèrent

une contribution artistiqueoriginale, de

la fin du Ile siècleà la fin du IVe siècle.

Ce volume fait suite auprécédent ouvrageRome, Le Centredu Pouvoir, qui traitait des'origines de Romejusqu'à la mort del'Empereur Commode

en 192 après J.-C.

dans la même série par le même auteur Rome, Le Centre du Pouvoir (paru) l'Italie avant Rome (à paraître)

:8CoCoCo

Une documentation générale. accompagne les textes illustrés de quatre à cinq

cents reproductions en noir et en couleursselon les volumes.

f!!fGALLIMARD

Chaque ouvrage relié au format 210 x 270 mmest présenté sous jaquette illustrée.Demandez à votre libraire le dépliant deL'Univers des Formes