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pratique | toxicologie OptionBio | Lundi 21 avril 2008 | n° 399 14 D epuis 1999, le TREND (tendances récentes et nouvelles drogues, voir encadré) permet d’appréhender l’évolution des modes de toxicomanie et la grande variabilité des différentes substances en circulation aujourd’hui. Le terrain des collectes de substances comprend deux espa- ces : l’espace urbain avec les structures d’accueil de première ligne et les lieux ouverts (la rue, les squats), et l’espace festif avec les free-parties, les teknivals, les soirées en discothèque ou les soi- rées privées. Devant la diversité des substances actuellement utilisées, le rôle du laboratoire est de plus en plus incontournable pour aider le clinicien dans sa prise en charge des patients. La famille des amphétamines Les effets recherchés par les consommateurs sont la recherche d’une désinhibition, la facilitation de la communication, du rapprochement émotion- nel avec d’autres personnes, une diminution de la fatigue, une hyperactivité motrice, voire une euphorie ou des hallucinations visuelles. Les effets, non recherchés ceux-là et liés à la toxicité dose-dépendante du MDMA (3,4-méthy- lène-dioxy-méthylamphétamine, ou ecstasy à pro- prement parler), peuvent intervenir après une ou plusieurs prises bien tolérées. Il s’agit de manifes- tations neurologiques (confusion, myoclonie, crise convulsive), d’hyperthermie importante et diffici- lement soignable, de rhabdomyolyse, pouvant aller jusqu’à une encéphalopathie métabolique aggravée par la consommation de boissons. Au démarrage du dispositif TREND, les dérivés de la phényléthylamine étaient les plus fréquemment rencontrés dans les milieux festifs, sous forme de comprimés d’ecstasy, reconnaissables à leur logo. Ces amphétamines ont ensuite fait leur apparition dans l’espace urbain, vers 2003, et ont une acces- sibilité maintenant importante : classiquement par voie orale (comprimés, gélules), mais également de plus en plus par voie nasale (sniff), voire par injection. Les analyses des échantillons relèvent actuelle- ment la présence de molécules hallucinogènes (2CB, 4MTA...). De plus en plus souvent, les tra- fiquants “rajoutent quelque chose” à la molécule de MDMA, afin qu’elle ne soit pas classée comme stupéfiante, et puisse ainsi être vendue sans être hors la loi ! (voir encadré) Les dérivés de la pipérazine et de la tryptamine Depuis 2005, les pipérazinés sont disponibles éga- lement sous le vocable d’ecstasy, recherchés pour leurs effets stimulants et hallucinogènes similaires à ceux du MDMA. Le dérivé le plus présent en France est le mCPP, métabolite d’une molécule anciennement utilisée comme antidépresseur ; les autres dérivés sont la TFMPP et la BZD. Leurs effets toxiques s’installent rapidement : nau- sées, vomissements, transpiration très importante, spasme musculaire, anxiété, attaque de panique, confusion mentale... Les dérivés de la tryptamine sont également de plus en plus souvent retrouvés. L’AMT, hal- lucinogène absorbé per os ou par inhalation et non classé en France, provoque des troubles du comportement. La DMT, classée stupéfiant, est un hallucinogène puissant présent dans la décoction de plantes d’Amazonie et qui peut être notamment utilisée à des fins de soumission chimique. Un comprimé avec logo Un logo figure sur 80 % des comprimés dits d’ecstasy. Il existe environ 350 logos, formés de chiffres, de lettres, ou bien évoquant des ani- maux, des personnages de bandes dessinées, des grandes marques... Ils ne peuvent servir de “repère” : en effet, pour un même logo, la com- position chimique et la concentration en principe actif sont variables. De plus, les trafiquants utilisent l’existence de logos attractifs sur les comprimés de spécialités pharmaceutiques pour les vendre... comme étant © Phanie/Alix Qu’y a-t-il vraiment dans l’ecstasy aujourd’hui ? Face à l’usage d’une grande variété de drogues, les cliniciens sont de plus en plus souvent confrontés à des patients intoxiqués qui présentent des tableaux atypiques, notamment en raison des mélanges créés par les trafiquants. Ainsi, sous l’appellation “ecstasy” est vendue une grande diversité des substances. Un dépistage positif doit donc toujours être confirmé par une technique spécifique. Sigles Dérivés de la phényléthylamine MDMA :3,4-méthylène-dioxy- méthamphétamine MDEA : méthylène-dioxy- éthylamphétamine MDA : méthylène-dioxyamphétamine Les hallucinogènes 2CB : 4-bromo-2,5-diméthoxy- phénéthylamine 4MTA : 4-méthyl-thioamphétamine TMA2 : triméthoxyamphétamine DOB : 2,5-diméthoxyamphétamine 2C-T7, 2C-T2 :éthyl-thio-2,5-diméthoxy- phénéthylamine Dérivés de la pipérazine mCPP : métachloro-phénylpipérazine TFMPP : trifluoro-méthyl- phénylpipérazine BZD : benzylpipérazine Dérivés de la tryptamine AMT, IT-290, 3-IT : alpha-méthyltryptamine DMT : NN diméthyltryptamine, extrait de liane (Banisteriopsis caapi) et d’herbacée (Psychotria viridis), et qui entre dans la composition du Ayahuesca (vin des morts, vin des esprits) en Équateur et au Pérou.

Qu’y a-t-il vraiment dans l’ecstasy aujourd’hui ?

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Depuis 1999, le TREND (tendances récentes et nouvelles drogues, voir encadré) permet d’appréhender l’évolution des modes de

toxicomanie et la grande variabilité des différentes substances en circulation aujourd’hui. Le terrain des collectes de substances comprend deux espa-ces : l’espace urbain avec les structures d’accueil de première ligne et les lieux ouverts (la rue, les squats), et l’espace festif avec les free-parties, les teknivals, les soirées en discothèque ou les soi-rées privées. Devant la diversité des substances actuellement utilisées, le rôle du laboratoire est de

plus en plus incontournable pour aider le clinicien dans sa prise en charge des patients.

La famille des amphétaminesLes effets recherchés par les consommateurs sont la recherche d’une désinhibition, la facilitation de la communication, du rapprochement émotion-nel avec d’autres personnes, une diminution de la fatigue, une hyperactivité motrice, voire une euphorie ou des hallucinations visuelles.Les effets, non recherchés ceux-là et liés à la toxicité dose-dépendante du MDMA (3,4-méthy-lène-dioxy-méthylamphétamine, ou ecstasy à pro-prement parler), peuvent intervenir après une ou plusieurs prises bien tolérées. Il s’agit de manifes-tations neurologiques (confusion, myoclonie, crise convulsive), d’hyperthermie importante et diffici-lement soignable, de rhabdomyolyse, pouvant aller jusqu’à une encéphalopathie métabolique aggravée par la consommation de boissons.Au démarrage du dispositif TREND, les dérivés de la phényléthylamine étaient les plus fréquemment rencontrés dans les milieux festifs, sous forme de comprimés d’ecstasy, reconnaissables à leur logo. Ces amphétamines ont ensuite fait leur apparition dans l’espace urbain, vers 2003, et ont une acces-sibilité maintenant importante : classiquement par voie orale (comprimés, gélules), mais également de plus en plus par voie nasale (sniff), voire par injection.Les analyses des échantillons relèvent actuelle-ment la présence de molécules hallucinogènes (2CB, 4MTA...). De plus en plus souvent, les tra-fiquants “rajoutent quelque chose” à la molécule de MDMA, afin qu’elle ne soit pas classée comme stupéfiante, et puisse ainsi être vendue sans être hors la loi ! (voir encadré)

Les dérivés de la pipérazine et de la tryptamineDepuis 2005, les pipérazinés sont disponibles éga-lement sous le vocable d’ecstasy, recherchés pour leurs effets stimulants et hallucinogènes similaires à ceux du MDMA. Le dérivé le plus présent en

France est le mCPP, métabolite d’une molécule anciennement utilisée comme antidépresseur ; les autres dérivés sont la TFMPP et la BZD.Leurs effets toxiques s’installent rapidement : nau-sées, vomissements, transpiration très importante, spasme musculaire, anxiété, attaque de panique, confusion mentale...Les dérivés de la tryptamine sont également de plus en plus souvent retrouvés. L’AMT, hal-lucinogène absorbé per os ou par inhalation et non classé en France, provoque des troubles du comportement. La DMT, classée stupéfiant, est un hallucinogène puissant présent dans la décoction de plantes d’Amazonie et qui peut être notamment utilisée à des fins de soumission chimique.

Un comprimé avec logoUn logo figure sur 80 % des comprimés dits d’ecstasy. Il existe environ 350 logos, formés de chiffres, de lettres, ou bien évoquant des ani-maux, des personnages de bandes dessinées, des grandes marques... Ils ne peuvent servir de “repère” : en effet, pour un même logo, la com-position chimique et la concentration en principe actif sont variables.De plus, les trafiquants utilisent l’existence de logos attractifs sur les comprimés de spécialités pharmaceutiques pour les vendre... comme étant

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Face à l’usage d’une grande variété de drogues, les cliniciens sont de plus en plus souvent confrontés à des patients intoxiqués qui présentent des tableaux atypiques, notamment en raison des mélanges créés par les trafiquants. Ainsi, sous l’appellation “ecstasy” est vendue une grande diversité des substances. Un dépistage positif doit donc toujours être confirmé par une technique spécifique.

SiglesDérivés de la phényléthylamineMDMA :3,4-méthylène-dioxy-

méthamphétamine

MDEA : méthylène-dioxy-

éthylamphétamine

MDA : méthylène-dioxyamphétamine

Les hallucinogènes2CB : 4-bromo-2,5-diméthoxy-

phénéthylamine

4MTA : 4-méthyl-thioamphétamine

TMA2 : triméthoxyamphétamine

DOB : 2,5-diméthoxyamphétamine

2C-T7, 2C-T2 :éthyl-thio-2,5-diméthoxy-

phénéthylamine

Dérivés de la pipérazinemCPP : métachloro-phénylpipérazine

TFMPP : trifluoro-méthyl-

phénylpipérazine

BZD : benzylpipérazine

Dérivés de la tryptamineAMT, IT-290, 3-IT :

alpha-méthyltryptamine

DMT : NN diméthyltryptamine, extrait de

liane (Banisteriopsis caapi) et d’herbacée

(Psychotria viridis), et qui entre dans la

composition du Ayahuesca (vin des morts,

vin des esprits) en Équateur et au Pérou.

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de l’ecstasy ! Il s’agit notamment de comprimés de Burinex®, Célestamine®, Célestène® (qui peut donner des faux positifs en test de dépistage...), Defanyl®, Effexor®, Fucifine®, Fonzylane®, Hypos-tamine®, Idarac®, Nivaquine®, Subutex®, Théra-lène®, dont certains présentent des effets convul-sivants à forte dose.

Dépistage des amphétamines par immunochimieDu fait de la diversité des molécules potentielle-ment présentes dans l’ecstasy vendue aujourd’hui, les symptômes cliniques sont souvent atypiques et rendent difficiles la prise en charge par le cli-nicien. L’étape analytique est alors d’autant plus importante pour établir, ou non, une relation entre les symptômes et la présence d’amphétamines, ou d’autres substances. Si le dépistage urinaire est rapide et facile à réaliser, la confirmation voire la quantification sont des étapes indispensables, même si elles sont beaucoup plus lourdes à mener.Les tests de dépistage sont essentiellement des techniques immuno-enzymologiques en milieu liquide (techniques EMIT, CEDIA) ou en milieu solide (techniques KIMS, FPIA).L’interprétation de ces tests impose de bien identi-fier vis-à-vis de quelle molécule ils sont préconisés (réactif amphétamine, réactif ecstasy), la nature des anticorps utilisés (monoclonaux, polyclonaux ; anti-amphétamine, anti-métamphétamine, anti-MDMA) et les seuils retenus.L’évaluation de la qualité de ces tests de dépistage par la Société française de toxicologie analytique (SFTA) en 2006 montre que si aucun faux positif n’a été rendu sur des urines exemptes de dérivés de l’amphétamine (249 laboratoires ont participé à ce contrôle qualité externe), les résultats sur des

urines positives (contenant MDMA et/ou métham-phétamine) mettent l’accent notamment sur le manque de spécificité de ces techniques.En effet, il faut savoir que les interférences médi-

camenteuses sont nombreuses, particulièrement les médicaments avec chaîne phényléthylamine, certaines amines sympathomimétiques, les ano-rexigènes, amiodarone, butropion.... Certains métabolites également peuvent interférer : c’est le cas de métabolite du Médiator®, médicament souvent utilisé qui explique nombre de faux posi-tifs, en médecine du travail par exemple.

Prudence dans l’interprétationUn dépistage positif doit donc toujours être donné sous réserve de sa confirmation par technique spécifique (chromatographie liquide couplée à la spectrométrie de masse en tandem ou chromatographie gazeuse couplée à la spec-trométrie de masse).

Une confirmation d’un dépistage négatif peut être nécessaire en fonction du contexte clinique, met-tant en exergue l’importance de la communication entre clinicien et biologiste.

Au final, rien n’est simple : ni pour le clinicien, compte tenu de la grande diversité des substan-ces vendues sous l’appellation “ecstasy”, ni pour le biologiste devant le manque de spécificité des réactifs de dépistage disponibles et les nombreu-ses interférences intermoléculaires. |

ROSE-MARIE LEBLANC

consultant biologiste, Bordeaux (33)

[email protected]

SourceCommunication de J.-H. Bourdon (laboratoire de toxicologie, Centre antipoison, Marseille, 13), lors du 36e Colloque national des biolo-gistes des hôpitaux, Dijon, octobre 2007.

Dispositifs d’identification des droguesObservatoire français des drogues et toxicomanieCréé en 1993, l’Observatoire français des drogues et toxicomanie (OFDT) est un groupe-

ment d’intérêt public. Il produit des informations scientifiquement validées sur les subs-

tances licites comme illicites. Il renseigne et documente de multiples questions dans le

domaine des substances psychoactives et des dépendances.

TRENDLe dispositif TREND (tendances récentes et nouvelles drogues) est un réseau de recueil

de données quantitatives et qualitatives relatives :

– aux produits circulants,

– à la description des usagers,

– aux modes d’usages,

– au retentissement sanitaire et social de l’usage de drogues,

– à la perception de cet usage par la population.

Ce dispositif existe depuis 1999, à l’initiative de l’OFDT et de l’Afssaps, et a pour objectif

d’identifier, de décrire les phénomènes émergents liés à l’usage des drogues en France.

SINTESLe SINTES (système d’identification national des toxiques et substances) est l’un des outils

d’information du dispositif TREND. C’est un système de collecte d’échantillons des différen-

tes substances rencontrées dans les différents espaces festifs et urbains (saisies par la

police, les douanes...) et qui répertorie ensuite les résultats de l’analyse en laboratoire de

ces produits. Il permet d’évaluer en temps réel les produits consommés en France.

Test de dépistage urinaire de la présence d’amphétaminesTechniques immunoenzymologiquesEMIT : Enzyme multiplied immunoassay technique, marqueur G6PD

CEDIA : Cloned enzyme donor immunoassay, marqueur bêta-galactosidase

Technique d’immuno-agrégationKIMS : Kinetic interaction of microparticles in solutionTechnique d’immunofluorescenceFPIA : Fluorescence polarisation immunoassay, marqueur fluorescéine