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RACHId MIMOUNI « Il a marqué la littérature algérienne de ces derniers années » ‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐ « Rachid Mimouni, le célèbre écrivain algérien, lauréat de plusieurs prix littéraires. L’auteur de « L’honneur de la tribu » a marqué la littérature algérienne depuis les années quatrevingt par ses nombreux ouvrages qui avait la mérite, que doit remplir toute œuvre littéraire digne de ce nom, de nous déranger, de nous sortir de notre confort, de nous entraîner dans des sentiers non battus et, bien sûr, de nous donner le plaisir, même grinçant, même brutal, de lire, de le lire. » Rachid Mimouni est né le 20 novembre 1945 à Boudouaou (alma), à 30 kilomètres à l’est d’Alger, d’une famille de paysans pauvres. Il fréquente l'école primaire du village avant de continuer ses études secondaires à Rouiba. Il poursuit ses études supérieures à Alger (licence en sciences en 1968). Assistant de recherche à l'Institut National pour la Productivité et le Développement Industriel, il obtient une bourse d’un an à l'Ecole des Hautes Etudes Commerciales de Montréal au Canada où il termine sa postgraduation avant de revenir enseigner dans le même établissement à partir de 1976. Il enseigne également, à partir des années 90, à l'Ecole Supérieur du Commerce. Membre du Conseil National de la Culture, Président de la Fondation Kateb Yacine, Président de l’Avance sur recettes. Il a également occupé le poste de viceprésident d’Amnesty International. Le 12 février 1995, Rachid Mimouni nous quittait. Sa mort surprit même ses proches. Rachid Mimouni a été admis en janvier 1995 à l’hôpital Cochin, à Paris. Il fallut toute la persuasion de sa famille pour le décider à se soigner. Son état de santé n’était guère brillant à son arrivée à Paris. Pour prévenir toute menace intégriste, son hospitalisation fut tenue secrète. Grâce à des soins intensifs, on le croyait tirer d’affaire. Un soir de février, il attendit que la poignée d’amis venue lui rendre visite quittât la chambre et alors que rien ne le laissait prévoir, il sombra dans un coma irréversible. Rachid Mimouni mourut loin des siens, loin de l’Algérie. Pour ses amis qui ignoraient jusqu’à sa maladie, le choc fut terrible. Leur tristesse céda très vite la place à la colère. « Il est mort de cette façon — en fugitif — dont meurent aujourd’hui quelquesuns des meilleurs Algériens... », écrivait un de ses amis dans la presse. Le chanteur Matoub Lounès exprima quant à lui sa stupeur et s’interrogeait sur cette « tragique fatalité qui colle aux talons de 1’Algérie. » Rachid Mimouni est mort de maladie. Il n’a pas été exécuté par les intégristes. Pourtant ce n’est pas faute d’avoir été menacé. Sans protection aucune dans son pays, il constituait une proie idéale pour les tueurs. Dès 1992, sa condamnation à mort était placardée dans la mosquée à quelques centaines de mètres à peine de chez lui. Malgré l’insistance de son entourage, il se refusa à changer de domicile. Il gardera les mêmes habitudes.

Rachid Mimouni: Analyse clinique d'une dictatureasmani.s.a.f.unblog.fr/files/2009/12/rachidmimouni.pdfRachid Mimouni est né le 20 novembre 1945 à Boudouaou (alma), à 30 kilomètres

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    RACHId MIMOUNI « Il a marqué la littérature algérienne de ces derniers années » 

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    « Rachid Mimouni,  le célèbre écrivain algérien,  lauréat de plusieurs prix littéraires. L’auteur de « L’honneur de  la  tribu » a marqué  la  littérature algérienne depuis les années quatre‐vingt par ses nombreux ouvrages qui avait  la mérite, que doit remplir toute œuvre  littéraire digne de ce nom, de nous déranger, de nous sortir de notre confort, de nous entraîner dans des sentiers non battus et, bien sûr, de nous donner le plaisir, même grinçant, même brutal, de lire, de le lire. »  

    Rachid Mimouni est né  le 20 novembre 1945 à Boudouaou (alma), à 30 kilomètres à  l’est d’Alger, d’une famille de paysans  pauvres.  Il  fréquente  l'école  primaire  du  village  avant  de  continuer  ses  études  secondaires  à Rouiba.  Il poursuit ses études supérieures à Alger (licence en sciences en 1968). 

    Assistant de recherche à l'Institut National pour la Productivité et le Développement Industriel, il obtient une bourse d’un an à l'Ecole des Hautes Etudes Commerciales de Montréal au Canada où il termine sa post‐graduation avant de revenir enseigner dans  le même établissement à partir de 1976.  Il enseigne également, à partir des années 90, à l'Ecole Supérieur du Commerce. 

    Membre  du  Conseil National  de  la  Culture,  Président  de  la  Fondation  Kateb  Yacine,  Président  de  l’Avance  sur recettes. Il a également occupé le poste de vice‐président d’Amnesty International. 

    Le 12 février 1995, Rachid Mimouni nous quittait. Sa mort surprit même ses proches. Rachid Mimouni a été admis en janvier 1995 à l’hôpital Cochin, à Paris. 

    Il fallut toute la persuasion de sa famille pour le décider à se soigner. Son état de santé n’était guère brillant à son arrivée à Paris. Pour prévenir toute menace intégriste, son hospitalisation fut tenue secrète. 

    Grâce à des soins intensifs, on le croyait tirer d’affaire. Un soir de février, il attendit que la poignée d’amis venue lui rendre visite quittât la chambre et alors que rien ne le laissait prévoir, il sombra dans un coma irréversible. 

    Rachid Mimouni mourut loin des siens, loin de l’Algérie. Pour ses amis qui ignoraient jusqu’à sa maladie, le choc fut terrible. Leur tristesse céda très vite la place à la colère. 

    «  Il  est mort  de  cette  façon —  en  fugitif —  dont meurent  aujourd’hui  quelques‐uns  des meilleurs Algériens...  », écrivait un de ses amis dans la presse.  

    Le chanteur Matoub Lounès exprima quant à lui sa stupeur et s’interrogeait sur cette « tragique fatalité qui colle aux talons de 1’Algérie. »  

    Rachid Mimouni est mort de maladie. Il n’a pas été exécuté par les intégristes. Pourtant ce n’est pas faute d’avoir été menacé. Sans protection aucune dans son pays, il constituait une proie idéale pour les tueurs. 

    Dès 1992, sa condamnation à mort était placardée dans la mosquée à quelques centaines de mètres à peine de chez lui. Malgré l’insistance de son entourage, il se refusa à changer de domicile. Il gardera les mêmes habitudes. 

  • L’écrivain Tahar Djaout, son ami de  longue date, tomba à son tour sous les balles des intégristes. Rachid Mimouni ressentit durement cette mort. Il lui dédiera son dernier livre, « La Malédiction », en ses termes : « A la mémoire de mon ami, l’écrivain Tahar Djaout, assassiné par un marchand de bonbons sur l’ordre d’un ancien tôlier ». 

    Le danger se faisait chaque jour plus proche. L’insécurité régnait partout. Nul n’était à l’abri. Rachid refusa de céder à l’affolement. Imperturbable, il poursuivra son travail. 

    C’est dans ce contexte que survint aussi la mort de son père, emporté par la maladie. Rachid était très attaché à son « vieux paysan de père ». Sa mort l’ébranla au plus profond de lui‐même. 

    Dans « Une Paix à vivre », il décrit ainsi le paysan fier d’accompagner son fils à l’Ecole Normale. Au premier regard, on reconnaissait  le paysan endimanché descendu dans  la ville. Pour s’en convaincre  il n’était que de voir  l’énorme turban qui  lui grossissait  la  tête ou  le beau burnous blanc qui gardait encore  les plis de son  rangement. L’Algérie était  à  feu  et  à  sang.  Les menaces  se  faisaient  chaque  jour  plus  précis,  plus  imminentes.  Le  danger  guettait maintenant ses enfants. Rachid se sentit coupable d’exposer ainsi la vie des siens. Il lui fallait partir et rapidement. La décision n’était pas facile à prendre. Rachid craignait l’exil par‐dessus tout. 

    Il pressentait quelque part que  l’exil  signifierait pour  lui un non  retour définitif.  Il  répétait  souvent  « Si  je quitte l’Algérie, je perds mes sources de vie, je ne pourrai plus écrire ». 

    Il se résigna.  Il quittera  l’Algérie  le 27 décembre 1993 au petit matin avec sa femme et ses enfants. Il n’y reviendra que pour y être enterré à côté de son père. 

    Ecrivain s’il en fut, Rachid Mimouni se  lança très tôt dans  l’écriture. A peine ses études en chimie et en économie terminées, sa seule préoccupation était d’écrire et surtout de se faire publier. Ce qui n’était pas une mince affaire en Algérie dans les années 1970. 

    Rien ne le découragera. Ni la censure qui n’a pas le courage de s’avouer et qui « estropie, édulcore le plus bénin des textes,  une  hérésie  utilitariste  qui  veut  privilégier  l’ouvrage  scientifique  et  technique  en  repoussant  d’un  revers méprisant ce qu’on commence à qualifier de littérature. »  

    Ni un régime arrogant et ne reculant devant rien pour faire taire les opposants. ‐ Kateb Yacine fut très vite interdit de parole publique ‐. 

    Ni une pratique éditoriale et  les magouilles qui, écrit Rachid Mimouni «  laissent dormir  les manuscrits des années durant en vue de faire réimprimer des livres dont les stocks d’invendus encombrent les rayons des dépôts. »  

    Son premier  roman, « Le Printemps n’en sera que plus beau » ne  fut publié qu’après des années d’attentes et de tracasseries  bureaucratiques  non  sans  avoir  été  amputé  de  plusieurs  passages  jugés  subversifs.  Rachid  ne  se découragera pas pour autant. Son obstination à écrire, à se faire éditer à tout prix n’avait d’égal que son courage. 

    Face à un Pouvoir qui ne supporte aucune remise en cause, Rachid Mimouni, sans aucun appui, sans moyens, isolé du monde  extérieur,  fera  front,  seul.  «  Si  hier,  avec  courage  et  talent,  nos  aînés  se  sont  levés  pour  dénoncer l’oppression coloniale, leurs épigones ne doivent pas se tromper d’époque », écrit‐il. 

    Et Mimouni de s’en prendre à ces « Plébéiens thaumaturges » qui, insensibles au phénomène culturel, ont érigé au rang de panacée la vertu de l’action, ce qui leur fait assimiler la gratuité de l’œuvre à l’inutilité de l’artiste... Rachid en était convaincu. Il nous fallait réagir, sortir des discours d’autosatisfaction d’un régime tourné vers le passé, sans projet de société crédible et qui se complaît dans un état de « confortable sclérosé » Rachid voulait enrayer à tout prix cette « lente atrophie de la réflexion critique » qui a mené les débats à une consternante pauvreté. 

    Inlassablement,  il  plaidera  pour  une  autre  littérature,  une  littérature  qui  «  se  donne  une  société  à  changer,  une littérature qui mette le doigt sur la plaie ». De ce fait elle ne peut qu’être « engagée » et s’inscrire pleinement dans la réalité algérienne. Mais, ajoute Rachid,  la  littérature est « vertu d’exigence ». Et de définir  le rôle de  l’écrivain, de l’intellectuel algérien. « Je crois à l’écrivain comme pure conscience, probité intégrale, qui propose au miroir de son art une  société à assumer ou à  changer, qui  interpelle  son  lecteur au nom des plus  fondamentales exigences de 

  • l’humain:  la liberté, la justice, l’amour... Je crois à l’intellectuel comme éveilleur de conscience, comme dépositaire des impératifs humains, comme guetteurs vigilants, prêts à dénoncer les dangers qui menacent la société ».  

    En 1983, Rachid Mimouni publie « Une Paix à vivre » après trois ans d’attente dans les tiroirs de l’éditeur. Il y décrit la triste  réalité de  l’Algérie de  l’après‐guerre. Une Algérie plongée dans une profonde  léthargie que mène  la mort‐surprise  du  président  Boumediene  ne  viendra  pas  rompre.  Le  régime  reste  toujours  obnubilé  par  les commémorations,  la glorification des martyrs de  la Révolution, La Célébration des «  succès » de  la planification socialiste.  Rachid  tentera  de  susciter  une  prise  de  conscience  :  «  Il  est  temps  de  retrouver  notre  lucidité. L’oppression,  l’injustice,  l’abus du pouvoir sont  inacceptables d’où qu’ils viennent, et  il ne faut pas se contenter de dénoncer ceux d’hier. ». En vain. 

    Les intellectuels algériens continueront malgré ses appels à se complaire qui dans une collaboration avec le régime qui dans un silence complice. 

    « On est en droit de se poser des questions  ! s’écrie Rachid. Quel a été  leur rôle au cours de ces deux décennies? Quels sont  les grands débats qu’ils ont  initiés,  les projets,  les  idées qu’ils ont générés? Qui a dit ce qu’il pensait en son âme et conscience de la revendication berbère ?... »  

    Désabusé, Rachid parlera de ces «  intellectuels caméléons » méprisés par  le pouvoir qui cependant a besoin d’eux pour propager son discours et qui  leur demande « non seulement de chanter ses  louanges mais aussi de brûler ce qu’ils adoraient hier et inversement ». 

    Seuls Kateb Yacine étouffé et persécuté par le pouvoir, Mouloud Mammeri et Mohamed Dib trouveront grâce à ses yeux. 

    Il rencontra Kateb Yacine pour la première fois quelques années avant sa mort. Ce fut, aux dires de Rachid, un grand moment. Ils parlèrent longuement de « Nedjma », livre qui l’a profondément influencé. 

    En  1982, Rachid Mimouni  termine  «  Le  Fleuve  détourné  ».  Il  essaiera  en  vain  de  le  faire  publier  en Algérie.  La bureaucratie, la censure le décourageront. De guerre lasse, il se décida à envoyer son manuscrit à Paris, à l’adresse d’un éditeur qu’il avait découpée dans une revue. 

    La parution du  roman  fit  l’effet d’une bombe. Un  livre  révélait pour  la première  fois au monde  l’existence d’une Algérie qui souffre en silence, écrasée par un pouvoir tout‐puissant. Une Algérie bien différente de celle décrite dans les discours officiels. 

    Jacques Cellard lui consacra un article retentissant dans Le Monde. Il y comparait « Le Fleuve détourné » au « Procès » de Kafka et à « L’Etranger » de Camus. « Ce ne sont pas de minces personnages, précisa‐t‐il. Rachid Mimouni en porte le poids sans faiblir »  

    Le coup était rude pour le régime, et cela d’autant plus qu’il venait non pas de l’un de ces vieux opposants connus et tolérés  mais  d’un  jeune  inconnu  formé  dans  les  écoles  de  l’Algérie  Nouvelle.  La  jeunesse  était  censée  être entièrement acquise aux « valeurs de novembre et aux constantes nationales ».  

    Trop  tard pour  réagir. Rachid Mimouni devint du  jour au  lendemain mondialement connu.  Il était hors d’atteinte. Mais  les  tracasseries,  les  intimidations  se  firent plus  fréquentes. Elles donnèrent  lieu parfois à des  situations  fort cocasses. C’est  ainsi que Rachid  fut  convoqué un  jour par  la  police  du Port d’Alger  pour  s’expliquer  sur un  colis contenant des livres et qui lui était adressé. Prudent, il demanda à son ami voisin de l’accompagner. Une fois arrivé au port, un policier  lui demanda ce que signifier ce colis. Rachid, calmement,  lui expliqua que ces  livres édités en France lui étaient envoyés par l’éditeur parce qu’il en était l’auteur. Le policier entra dans une violente colère : « Et toi pourquoi tu n’écris pas en Algérie comme tout le monde? » Rachid regarda son ami et éclata d’un fou rire. Surpris par cette réaction,  le policier  les  laissa repartir avec  le précieux colis. Rien ne viendra entamer  la détermination de Rachid.  Ni  les  refus  «  d’autorisation  de  sortie  du  territoire  national  »,  ni  les  pressions  exercées  par  une  police politique omniprésente. 

  • Impassible,  il  continua à dénoncer  les excès d’un pouvoir,  toujours aussi  répressif. Son pessimisme naturel et  sa profonde  inquiétude se cristalliseront dans « Tombéza » publié en 1984. Un désespoir  insupportable se dégage de livre noir. « Mimouni pane de l’horreur sur un ton paisible sans remous, ni éclat », écrira un critique. 

    Mais  derrière  ce  ton  calme,  éclate  l’urgence  d’un  appel.  Rachid,  en  «  guetteur  vigilant  »  tirait  déjà  la  sonnette d’alarme. 

    « Je suis bien conscient que de  la  lecture de « Tombéza » émane d’un sombre désespoir. Le style veut traduire  la véhémence d’un appel  solitaire devant  le  tragique d’une  société qui vit  la déliquescence de  ses valeurs et de  ses institutions. Faute d’avoir été abordées avec le courage et la lucidité nécessaires, les contradictions de notre société n’ont fait que s’exacerber. Nous risquons ainsi de déboucher sur le drame. » Nous étions en 1985 ! 

    Les événements d’octobre 1988 soulevèrent un immense espoir dans le pays. Une relative démocratisation de la vie politique vit le jour. La pression se relâcha. Pour Rachid, il y avait comme une accalmie. C’est durant ces années qu’il rédigea « Une peine à vivre ». A côté de l’inévitable thème de la mort on voyait poindre le thème de l’amour... 

    Mais le répit fut de courte durée. « Un terrible monstre venait d’émerger des abysses... il allait tout dévaster. » . Une barbarie sans nom déferlait sur 1’Algérie. 

    « Alors cet homme si pacifique et si doux s’est déchaîné », écrit Jean Daniel dans Le Nouvel Observateur. « Il a fait croisade, il s’est répandu partout pour alerter, mobiliser, combattre ».  

    Pour Rachid, une fois encore, il était urgent d’intervenir dans le débat politique. Pour « Essayer de dire peut‐être de démontrer que  l’intégrisme est  le plus grand danger qui menace  l’Algérie »  . On sait aujourd’hui, dix ans après sa déclaration combien il avait raison. La barbarie, elle, est toujours là, plus que jamais. 

    « Le génie de Mimouni, explique un journaliste algérien réside en cela, qu’aux pires des situations, des pressions que subit  le citoyen,  jamais ne cède  l’artiste, un artiste doté d’une  force d’observation, d’une  lucidité à  telle enseigne qu’en suivant son regard on se croit perché sur les épaules d’un Titan ».  

    Mais la détermination dont il fit preuve dams sa lutte solitaire contre le régime puis contre un monstre : l’intégrisme ne saurait masquer une autre dimension de sa personnalité : une profonde humanité. Ses proches connaissaient et appréciaient sa retenue, son sens de la mesure dans les mots, dans les gestes. Sa démarche lourde, son air bourru cachaient mal une sensibilité à fleur de peau et une pudeur de tous les instants. 

    André Brincourt a bien traduit ce double aspect de la personnalité de Rachid Mimouni. 

    «  Il y avait chez  lui d’une part  la violence de ses écrits,  l’urgence de sa révolte contre ce qu’il a si véhémentement nommé : la barbarie et d’autre part la douceur de sa voix dans la vie quotidienne, presque sa timidité, ou faut‐il dire mieux : sa fragilité dans ses rapports humains fraternels ». 

    Rachid Mimouni est né dans une  famille de paysans près de Boudouaou, un gros bourg  connu pour  son marché hebdomadaire. Les paysans de la Mitidja et des montagnes environnantes s’y donnaient rendez‐vous. 

    Il grandit  entouré de  ses  trois  sœurs, d’un père  chaleureux  et d’une mère  trop distante  selon  lui. Très  tôt,  il  est affecté  de  douleurs  aux  articulations.  Sa  santé  restera  longtemps  délicate.  Rejoindre  chaque  jour  l’école communale, fort éloignée de la maison, était pour lui un véritable calvaire. 

    « Rachid  était  un  enfant  fragile,  raconte  sa mère.  Il  éprouvait  beaucoup  de  difficulté  à  courir.  Pendant  que  ses camarades jouaient au ballon, lui, adossé à un mur, préférait lire ».  

    Il put avoir une  scolarité presque normale grâce à  son  instituteur. Ce dernier était  séduit par  cet enfant  sage et appliqué. Il l’accompagnait régulièrement chez le médecin qui s’efforçait d’atténuer son mal. 

    Son  enfance  fut  donc  loin  d’être  idyllique.  «  J’ai  frôlé  l’autisme  »,  confia‐t‐il.  Il  gardera  une  tendresse  toute particulière à un enfant autiste de son voisinage. L’enfant l’appelait Moumouni ! Ce qui remplissait Rachid de joie. 

  • Elève  brillant, Rachid  fut  facilement  admis  au  collège. Mais  son  adolescence  fut  tout  autant  laborieuse. Unique garçon, il lui fallut travailler très tôt pour aider son père à subvenir aux besoins de la famille. 

    Malgré ses problèmes de santé, Rachid trouva à s’employer très vite dans les immenses fermes coloniales entourant Alma (devenue Boudouaou). Les exploitations étaient surtout spécialisées dans la culture du tabac. 

    Ce travail, saisonnier, pénible le marquera profondément et laissera des traces dans son œuvre, notamment dans « Une peine à vivre » où il raconte son expérience. 

    « Durant plusieurs semaines, j’eus à disposer feuille après feuille sur la saignée du bras. Non, ce n’était pas un travail de forçat. Mais le rugueux parenchyme enduisait peu à peu de résine noire la peau des mains, des avant‐bras, de la poitrine, du cou puis du buste tout entier. Aucun savon ne parvenait à dissoudre cette viscosité et, durant  la nuit, dans  la grange où  je dormais,  je sentais  la poussière s’agglutiner sur mon corps poisseux. Et surtout, surtout cette molle gomme  imprégnait mon être d’une écoeurante odeur. J’eus des nausées à vomir toutes mes entrailles, des toux qui déchiraient mes poumons. Je devais en garder une incurable allergie au tabac ».  

    Rachid attachait beaucoup d’importance à cette expérience. Dans  les dernières pages du roman,  il revient sur son travail dans les champs de tabac : 

    « Nous n’aurions jamais dû accepter de travailler dans ce maudit champ de tabac. Cette peine à respirer, c’est une peine à vivre. Je n’ai jamais pu courir un 1000 mètres ni pousser une belle beuglante. Je déteste nager, car cela ravive ma crainte d’étouffer. Je ne pouvais même pas prendre de repos, car je ne me sentais jamais à mon aise. Comment espérer jouir de quelques moments de détente avec ma difficulté à aspirer? »  

    Rachid  était  tourmenté  par  la  vie. Mais  il  arrivait  à  surmonter  cette  «  peine  à  vivre  »  en  s’imposant  rigueur  et discipline dans son travail, dans sa vie quotidienne. « Il faut toujours rationaliser, aimait‐il répéter, sinon... ». 

    Dans ses livres, ses héros souffrent toujours et la mort est toujours là, au bout, presque comme une amie, pour les délivrer. 

    Comment ne pas penser à cette page admirable, la dernière de l’un de ses tout premiers romans « Une paix à vivre » Le jeune Djabri, malade est guetté par la mort. Il songe à sa fin prochaine. 

    « Il se vit étendu sur le sol, recouvert d’un drap blanc, tandis que l’assemblée psalmodiait uniformément des versets du Coran. Il vit la tombe creusée pour lui et imagina les mains attentives et respectueuses qui le placeraient dans sa dernière demeure où, après tant de drames et de  luttes,  il pourrait enfin goûter  la sérénité du repos définitif. Ces pensées ne lui inspirèrent aucune tristesse, il fut même content à l’idée d’aller rejoindre, dans le sein de cette terre nourricière, ses parents et ses quatre sœurs... Il pensa à son enfance... Il comprit brusquement que la promesse de cette mort prochaine le libérerait de tous ses complexes, de toutes ses timidités, et qu’elle seule enfin était parvenue à l’exorciser de tous les démons de son enfance ».  

    Rachid Mimouni n’avait pas peur de  la mort. Lorsqu’au plus fort des massacres et des attentats, son entourage  le pressait de partir à l’étranger, il répondait toujours « Je suis algérien jusqu’à la moelle des os ». Il voulait partager le sort des siens. Il s’est battu pendant des années avec pour seules armes sa plume et son courage. Il a refusé toute compromission avec le régime. Mais voilà que, lui qui a sans cesse appelé à la résistance, est contraint à l’exil alors que son pays plongeait dans l’horreur. L’épreuve a été dure à supporter. 

    Lucide  jusqu’au bout, Rachid Mimouni dresse un  terrible  constat,  celui de  l’échec d’un  combat pour  la  liberté; « Triste histoire que celle des  intellectuels algériens. Chaque fois qu’ils avaient rendez‐vous,  ils ont raté  le coche de l’histoire ». 

    Sa déception  est  à  la mesure de  son  combat  solitaire  immense. L’indifférence devant  le drame d’un peuple,  les portes qui se ferment, accroissent son amertume : « La nuit tombe sur Alger la Blanche et une fureur meurtrière s’y déchaîne. Ceux qui ont été contraints de  fuir cette aire de carnage buttent contre un mur d’impassibilité.  Ils sont meurtris au plus profond de leur être » écrit‐il en mai 1994. 

  • Mais qu’avons‐nous donc  fait pour mériter un pouvoir  aussi médiocre, des dirigeants  aussi bornés, une  violence aussi cruelle, aussi aveugle? ‐ Interminable Malédiction ‐ 

    Rachid Mimouni a‐t‐il préféré partir discrètement un soir d’hiver, comme s’il pressentait  les noirs  lendemains tant redoutés ? 

    SOURCE: site Officiel de l'écrivain Rachid MIMOUNI   http://www.rachidmimouni.net    

     

    Rachid MIMOUNI: Analyse clinique d'une dictature Q : Comment le fils de paysans pauvres est‐il devenu un écrivain ? Y‐a‐t‐il eu un hasard bénéfique ? 

    Rachid Mimouni:  J’ai  eu  la  chance  que mon  père  tienne  à m’envoyer  à  l’école,  à  l’école  française,  je  tiens  à  le préciser, ce qui n’était pas évident à l’époque. Les enfants d’Algériens n’allaient pas à l’école… Et il tenait à ce que je reste à l’école, à ce que je puisse poursuivre mon cursus normal. 

    Q : Pourquoi ? 

    Peut‐être parce qu’il avait une espèce de revanche à prendre sur le fait que lui‐même était totalement analphabète. Par  son propre père,  il a été mis au  travail  très  tôt,  il  s’est  rendu  compte de  la difficulté de  vivre en  faisant des travaux manuels.  

    Et s’est dit je souhaiterais réserver à mon fils ‐‐ je suis le seul garçon ‐‐ il voulait me préparer un avenir meilleur… 

    Q : Pourquoi une école française ? 

    Il  n’existait  à  l’époque  que  l’école  française.  Il  se  trouve  que  je  suis  né  (en  1945)  dans  un  petit  village  de  la colonisation, très typiquement colonial, Boudouaou, plus connu sous son nom d’Alma. A l’époque il n’y avait qu’une école  française. Quelques années plus  tard, on a créé une école coranique. Mais  très vite  le directeur de  l’école… Nous étions quelques uns à faire en même temps l’école français et l’école coranique : nous étions mal vus des deux côtés. 

    C’était vraiment le village de colonisation, totalement créé par les colons, environ en 1870. Nous habitions dans les quartiers pauvres de  la ville.  Il n’y avait pas auparavant de concentration d’habitants. Le village de colonisation se définit d’abord par les deux grands édifices qu’il possède : d’un côté, l’église, en face, toujours au centre, la mairie. Les deux grands édifices qu’on retrouve toujours dans les villages décolonisation et au centre du village. Pourquoi ? Parce qu’il y a eu deux grands apports d’émigrés. Les colons d’un côté, qui avançaient derrière l’armée française, qui s’installaient là où ils pouvaient prendre des terres. Et eux ils étaient des gens très religieux, donc le premier édifice qu’ils commençaient à construire, c’était l’église. 

    Et beaucoup plus tard, vers 1880, après la montée du laïcisme en France, des exilés, dont la première préoccupation était de construire la mairie, parce que c’était le lieu laïc par excellence. Ces gens‐là ne sont pas devenus des colons mais ont travaillé dans l’administration ; par exemple l’enseignement était totalement tenu par eux. 

    Ca  explique  la  typologie  de  ces  villages  de  colonisation,  à moitié  des  gens  laïques  qui  ne  fréquentaient  jamais l’église, l’autre côté, les colons, qui eux étaient religieux. 

    Q : Donc votre père a voulu vous donner cette chance ? 

    Il était analphabète… Il n’y avait pas un livre chez nous. 

     

    http://www.rachidmimouni.net/

  • Q : A quel moment y‐a‐t‐il eu un déclic, quand le fils de petit paysan s’est‐il intéressé aux livres, à la littérature, à l’écriture ? 

    Je pense que cela devait être vers la 4 eme. Cela a correspondu au fait qu’à ce moment là je commençais à maîtriser un peu la langue française, auparavant je parlais Arabe. Grâce à l’enseignement, j’ai pu accéder à la littérature. C’est à ce moment là que j’ai commencé à lire les grands classiques de la littérature française, et universelle. Cette envie est née comme ça, parce que dès le début j’adorais la littérature… Et j’ai continué à le faire. 

    Q : Donc vous avez découvert les livres. Un milieu tout à fait étranger par rapport à votre milieu familial. A quel moment avez vous dit "Moi, j’aimerais écrire"… Aimer les livres, c’est une chose, écrire… 

    C’est  vrai,  le  livre  était  totalement  étranger. Dans  la maison  de mes  parents  il  n’y  avait  pas  un  livre,  sinon  les quelques ouvrages scolaires que j’amenais. En dehors de cela, pas un livre… Si bien qu’aujourd’hui mon père, quand il vient me voir, il regarde la bibliothèque. Il est très étonné de voir qu’on peut vivre dans cet univers de livres. Pour lui,  c’est un monde qui  lui est  totalement  fermé.  Il a donc une espèce d’incompréhension, d’un  côté. Mais aussi d’admiration qu’on puisse passer sa vie uniquement à regarder des pages écrites… 

    Q : Le premier livre qui vous a émerveillé ? 

    C’était le Grand Meaulnes. C’est le livre qui m’a le plus marqué à cette période là.  

    La  littérature arabe,  je n’y avais pas accès à cette époque  là.  Je parlais  l’arabe bien  sûr,  je  savais  l’écrire, mais  je n’avais pas une connaissance de la langue arabe suffisante pour accéder à la littérature. A l’époque, c’était toujours la période coloniale, dans mon  lycée, on nous enseignait d’abord  l’anglais comme première  langue étrangère, et l’Arabe comme deuxième langue. Alors que c’est ma langue maternelle. Ca veut dire que même en nombre d’heures j’avais moins d’heures d’arabe que d’anglais. Ce n’est que beaucoup plus tard que j’ai étudié l’arabe en cours du soir, pour pouvoir…  Je  travaillais,  j’enseignais dans un  institut,  je m’étais entendu avec quelqu’un qui étudiait  l’arabe, c’était des cours particuliers, le soir… 

    Q : Le Grand Meaulnes, c’était un monde extraordinaire pour des petits Français, mais pour vous cela devait être un monde de rêves fabuleux ? 

    Le roman est fascinant… Cette atmosphère de mystère… C’était un monde auquel on accédait lentement à travers des extraits de  textes qu’on avait dans nos  livres. C’était un monde auquel  je n’accédais que par  la  littérature. Je peux dire que j’imaginais, je voyais, je me représentais… D’ailleurs, quand je suis venu la première fois à Paris, j’avais l’étrange  impression d’être dans une ville que  je connais,  je n’y avais  jamais mis  les pieds, mais par  le biais de  la littérature,  j’y avais accédé. Je vois  le parc Monceau,  le  jardin du Luxembourg… J’avais beaucoup  lu sur ce monde que je n’avais jamais vu. Je l’approchais par la littérature. Si bien que quand je le voyais réellement, il me paraissait familier. 

    Q : Vous êtes rentré dans ce monde imaginaire… Est‐ce qu’un jour vous avez dit "Je veux écrire" ? 

    Pas vraiment. Ca n’est pas venu  comme  ça. Cela a été  insidieux. Lentement,  je m’imprégnais des écrivains pour lesquels  j’avais une  immense admiration. C’était  la période où  je pensais que tous  les écrivains que  l’on retrouvait dans les livres étaient tous morts. Il m’était à cette époque là difficile d’imaginer qu’un écrivain soit encore vivant. 

    C’est venu très  lentement. J’ai commencé à gribouiller des textes, comme on peut  le faire à cet âge  là, vers 13‐14 ans. Je les ai encore ces textes, mais ils sont très mauvais. Et puis cela a continué comme cela. Un peu plus tard, vers l’âge de 19 ans, j’ai publié mes premiers textes, quelques nouvelles. 

    Q : Comment réagissait votre père ? 

    Je  le  faisais  encore  en  secret. Quand mes premières nouvelles  sont  sorties, mon père ne  le  savait pas.  Je  les  ai publiées dans une revue algérienne, juste après l’indépendance. 

     

  • Q : Ces années de la fin de la guerre, vous les avez regardées en spectateur, ou en acteur ?  

    Quand la guerre d’Algérie a commencé, j’avais 9 ans. Elle s’est achevée, j’avais 16 ans. Donc j’étais un enfant, puis un adolescent….  Cela  m’a  terriblement  marqué.  Je  n’ai  pas  été  un  acteur…  C’est  quelque  chose  qui  a  marqué terriblement mon enfance, parce que c’était une guerre spéciale. Ce n’était pas  la guerre d’un pays, d’une armée, contre une autre armée. Des batailles qui peuvent se dérouler en rase campagne. C’était…  Il y avait une présence extrêmement  importante de  l’armée partout. Je me rappelle, pour aller à mon  lycée, en bus, à dix kilomètres,  il y avait trois contrôles de l’armée. Et même à un enfant comme moi on lui fouillait son cartable, on lui demandait ses pièces d’identité. 

    Par  la suite, notre quartier a été  rasé, et on nous a mis dans un camp de  regroupement parce qu’on soupçonnait certains de nos pères d’abriter des maquisards du FLN. Ce qui était vrai d’ailleurs. C’était un truc affreux. J’ai vécu les deux dernières années de  la guerre… On nous avait donné  très exactement 24 heures pour déménager,  et aller construire une maison là‐bas. Ce camp de regroupement était un terrain vague. Il fallait construire des masures en roseau, c’est là dedans que nous avons vécu deux ans. 

    Q : Beaucoup d’écrivains  se  sont  concentrés  sur  cette période. Vous même  vous avez  tiré un  trait  sur  cette période, vous vous intéressez à autre chose, vos livres ne portent pas… 

    Moi, je parle des problèmes de l’Algérie actuelle, moderne. D’abord parce que nos aînés ont écrit sur cette période, sur cette guerre d’Algérie. Tout en continuant de penser que c’est une page très glorieuse de l’histoire de l’Algérie, je considère qu’il fallait parler des préoccupations actuelles des gens, plutôt que de continuer à chanter cette mélopée. 

    Q : Le personnage d’une Peine à vivre, le dictateur... Manifestement, on retrouve dans beaucoup de vos livres le thème du personnage qui détient une certaine autorité, et en abuse. Maintenant, pourquoi le dictateur ? 

    Il faut bien se rendre à l’évidence qu’effectivement ce thème du pouvoir est très présent dans mes écrits, parce que j’estime  ‐‐ et  le dictature  le dit à un moment donné  ‐‐  le pouvoir est une maladie. C’est quelque chose qu’il  faut essayer de réduire à sa plus simple expression. Moins les gens détiennent le pouvoir, mieux c’est pour les citoyens. 

    Q :  Comment  êtes‐vous  arrivé  à  cette  conclusion ?  Est‐ce  que  vous même  vous  avez  souffert  de  gens  qui avaient trop de pouvoir ? D’où vous vient cette… 

    Je crois que  je ne suis pas  le premier ! On a toujours dit depuis  longtemps que  le pouvoir pervertit. Je n’ai pas du tout, dans ma carrière, ni dans ma famille, eu à subir une forme de tyrannie ni d’oppression. Mais je considère, c’est une  conviction  à  moi,  que  le  pouvoir  est  un  mal,  et  qu’il  faut  mettre  en  place  des  systèmes  ‐‐  un  pouvoir démocratique  ‐‐ et à  l’intérieur même d’un pouvoir démocratique, partager  le pouvoir, ne pas  le  laisser aux mains d’une seule personne ou d’un groupe de personnes. Je crois que plus il y a de centres de pouvoirs autonomes les uns par rapport aux autres, mieux la démocratie se porte. 

    Q : Votre dictateur… Vous avez pensé à un certain nombre de dictateurs connus… Staline, Amine dada… Avez‐vous pensé à des dictateurs arabes en particulier ?

    Bien  sûr….  Il  est  certain  que  ce  dictateur  tire  ses  traits  d’un  certain  nombre  de  tyrans  qui  ont  existé,  qui  sont toujours… Ce dictateur a les insomnies de Staline, il a la panse d’Idi Amine, il a la moustache de Boumediène ou celle de  Saddam Hussein,  il  a  la  grossièreté  de  langage  du  syrien Assad,  quand  il  n’y  a  pas  de micro…  Ceux  là  plus particulièrement… 

    Q : Pourquoi est‐il un peu désincarné ? Il n’a pas une tête de dictateur arabe. Pourquoi ? 

    Ma première  idée, c’est de dénoncer  les dictatures à travers  le monde. Nous savons tous qu’elles sont encore très nombreuses dans  les pays du Tiers Monde. Je suis certain que si  je  l’avais  localisé dans un pays donné, cela aurait posé des problèmes… d’abord techniques… On ne peut pas… puisque  je parle d’un chef d’Etat, si  je  le  localise en Algérie, on pense aux chefs d’Etat, à un des chefs d’Etat qui ont dirigé  l’Algérie. Or ce personnage, bien qu’ayant emprunté des traits à un certain nombre de dictateurs ayant existé,  il n'est pas Boumediène,  il n’est pas Staline,  il n’est pas Amine Dada, il n’est pas Saddam Hussein. 

  • J’aurais  parfaitement  pu  le  situer  en Algérie,  si  le  niveau  du  pouvoir  qu’il  exerce,  ce  tyran  là,  était  plus  bas,  s’il s’agissait d’un directeur d’entreprise, ou d’un maire, cela aurait pu se faire… Mais à ce niveau là, techniquement, cela aurait  été  impossible,  parce  que  les  gens  auraient  dit  "Non,  ça  n’est  pas  vrai,  il  ne  ressemble  pas  à  celui  qui  a existé"… 

    Q : D’autres raisons ? 

    Le  premier  élément,  c’est  que  je  voulais  dénoncer  toutes  les  dictatures,  et  pas  seulement  celle  qui  a  existé  en Algérie. J’avais peur que si je le situe en Algérie on dise "Oh les pauvres Algériens, c’est bien malheureux pour eux", en oubliant qu’il en existe bien d’autres. Aussi le fait que ça m’est venu comme ça, au départ le dictateur était dans un pays sans nom. 

    Q : Vous  le présentez comme quelqu’un qui a des comptes à régler avec  la société, une revanche à prendre… quelqu’un  issu  d’un milieu  assez misérable… Quand  on  entend  tout  ça,  est‐ce  que  finalement  il  n’est  pas justifié, mais expliqué. Est‐ce que  vraiment  les dictateurs  sont des gens qui ont des  raisons  logiques d’être dictateurs ? 

    Ils ont des  raisons. Ce que  j’ai  voulu  faire,  c’est expliquer pourquoi  il devient un  tyran. Ce n’est pas du  tout une tentative de  justification. C’est  vrai que quand on prend un dictateur,  ce  sont  la plupart du  temps des gens qui viennent de milieux très défavorisés et ont des comptes à régler avec  leur passé ou avec  leur milieu d’origine  ‐‐ à l’exception des monarchies, qui elles aussi sont des formes de dictature, mais c’est un autre problème. 

    Prenez  Nasser,  sans  être  extrêmement  misérable,  son  père  était  un  tout  petit  fonctionnaire  qui  vivait  très misérablement. Sadate était un paysan né au bord du Nil. 

    Les dictateurs sont souvent des pauvres types pour qui  le pouvoir est une revanche. Mais un  jour,  ils réalisent que cette revanche est totalement  illusoire et  ils commettent une faute. Mon dictateur a succombé à  l’amour  ‐‐ peut‐être le seul sentiment capable de détruire le pouvoir. 

    Q : Pour cette analyse clinique du système dictatorial, est‐ce que vous avez réuni une documentation ? Avez vous fouillé dans la vie de Sadate, Nasser, Boumediène, avez vous fouillé dans la vie des dictateurs ? 

    Oui, parce que cette histoire des dictateurs m’a  toujours  intéressé. Je  l’avais même  lue auparavant, avant d’avoir l’idée d’écrire ce  livre. Je me suis documenté pour reprendre des éléments précis. Dans  le  livre,  le maréchalissime sort parfois en voiture dans la ville, et dès qu’il voit une belle femme, il la fait monter pour coucher avec elle. C’est un détail tout à fait vrai tiré de la vie de Beria. Beria faisait ça le soir quand il avait fini de travailler… Il sortait dans la rue avec sa voiture, et quand il voyait une belle femme, il l’emmenait chez lui.  

    Il  y  a  aussi beaucoup d’autres détails. L’histoire de  l’enlèvement de  cette  fille qu’il  aime  a  tout  à  fait existé.  J’ai complètement transformé les circonstances, mais cela a existé en Algérie il y a 20 ans, en 1970… Comme je n’avais pas à faire un essai… 

    Q : Quelles ont été les premières réactions en Algérie ? 

    Bien sûr les Algériens vont décrypter les indices. Il y en a au moins un qui va leur permettre d’identifier ‐‐ de penser à Boumediène. C’est que le maréchalissime, quand il prend le pouvoir par un coup de force, son secrétaire général lui dit "Comment va‐t‐on appeler ce coup d’Etat" ? Le maréchalissime n’avait aucune idée, "c’était un coup d’Etat, j’ai pris  le pouvoir,  je n’ai pas besoin d’appeler ça comme ça". L’autre  lui dit "Non,  il faut quand même se  justifier aux yeux de l’opinion nationale et internationale, on va appeler ça un "redressement révolutionnaire" ‐‐ Et comme vous le savez, quand Boumediène est venu au pouvoir, il a appelé ça un redressement révolutionnaire, donc les Algériens vont faire la chasse aux indices qui peuvent identifier l’Algérie... Il y en a beaucoup ? Non, quelques uns. Cinq ou six. A chaque  fois, ça marche avec  l’Algérie, c’est un pays au bord de  la mer, un pays qui a des  ruines  romaines, qui produit du pétrole… Mais il y a de nombreux pays qui remplissent ces conditions. 

     

     

  • Q : Qu’est‐ce qui a changé pour un écrivain engagé en Algérie aujourd’hui ? 

    C’est très différent. Deux choses essentielles ont changé. Nous ne sommes plus surveillés par la police. C’est quand même une grande nouveauté. Avant 1988, j’étais régulièrement convoqué à la police, ce n’est jamais très amusant ces histoires là. Chaque fois que je faisais une conférence, le lendemain j’étais convoqué. A la fin, au lieu de répondre à leurs questions, je leur donnais le texte de la conférence. 

    En ce qui concerne mes  livres,  ils ont d’abord été  interdits. Les premiers  ‐‐ Le Fleuve détourné et Tombéza. On a même  été  jusqu’à  interdire  la  presse  française  qui  en  faisait  des  critiques.  Quand  le Monde  parlait  du  Fleuve détourné, il ne rentrait pas en Algérie. 

    Mes  livres,  surtout  les premiers, ont provoqué des enquêtes des  services de police,  ils  interrogeaient  les gens de mon entourage, mes amis,  l’institut où  je  travaillais. C’est  très amusant de voir quel est  le contenu de  l’enquête, j’essaie de  le montrer dans une peine à vivre. Les gens du pouvoir n’ont aucune sensibilité à  la culture. La culture pour  eux,  c’est  absolument  inconsistant,  ça  n’existe  pas,  il  n’y  a  de  réalité  que  dans  le  pouvoir.  Vous  avez  pu constater dans ce roman qu’à un moment donné le maréchalissime convoque tous les peintres qui existent encore dans le pays, c’est pas parce qu’il s'intéresse à la peinture, c’est parce qu’il recherche une femme, et il veut qu’on lui fasse  le portrait  le plus fidèle possible de cette femme.  Il cherche à retrouver un visage,  il a une  idée très claire,  il veut le visage de cette femme là pour en faire une photographie et pour la donner à ses agents pour qu’ils aillent la rechercher. Voilà l’idée qu’il se fait du peintre, c’est à dire que ce sont des gens qui savent dessiner de la façon la plus précise possible. Et donc il va les utiliser dans ce sens là. Leur production en tant qu’art, il y est totalement fermé, il ne sait pas ce que c’est.  

    Pour en revenir au propos de ces enquêtes qui ont été faites sur moi au moment de la sortie du Fleuve détourné, les policiers qui interrogeaient les gens, ils voulaient savoir 

    1) si j’avais, moi ou mon père, des terres qui avaient été nationalisées pendant la réforme agraire. Ils voulaient savoir si  nous  avions  une  usine  qui  aurait  été  nationalisée.  Ils  voulaient  savoir  si  nous  étions  proches  d’un  des  grands opposants  politiques  qui  à  l’époque  étaient  tous  en  exil,  ou  emprisonnés.  Pour  eux,  si  j’ai  écrit  un  livre  aussi contestataire, c’est que j’ai un compte à régler personnel avec les gens du pouvoir. 

    Ils  cherchaient une  raison… Pour  eux,  écrire un  livre,  faire de  la  littérature, n’est pas  compréhensible.  J’étais un citoyen comme un autre, il n’y avait pas de dossier sur moi. 

    Deuxième élément, il n’y a plus de censure en Algérie, on peut écrire ce qu’on veut, là où on veut. Très récemment, j’ai  écrit  un  article  très  méchant,  à  la  limite  de  l’insulte,  contre  le  gouvernement,  pratiquement  j’insulte  le gouvernement, bon,  c’est passé. Avant, d’abord  jamais  cet article ne  serait  sorti, et  s’il était  sorti,  j’aurais passé quelques jours en tôle.  

    Un autre exemple. Vous ne connaissez que les livres qui sont sortis en France. Mais avant, j’avais publié deux livres, deux romans, en Algérie. Le premier est passé sans problème, c’est un roman que j’ai écrit à l’âge de 20 ans, assez imparfait, parce qu’il n’y avait pas de contenu critique dedans. Mais j’ai publié un deuxième livre, "Une paix à vivre", qui lui a eu de très sérieux problèmes avec la censure. En fait, j’ai négocié avec la censure pendant 6 mois. Parce que dans certains chapitres de ce roman je parlais du coup d’Etat de Boumediène, je racontais l’histoire d’un groupe de lycéens qui sortaient dans  la rue pour protester contre  le coup d’Etat  ‐‐  ils ont été pris, emprisonnés. C’est un peu autobiographique, puisque j’étais parmi ces lycéens sortis dans la rue. 

    Il  était  hors  de  question  de  laisser  tout  ce  passage.  Il  y  avait m^me  une  censure,  je  dirais  littéraire. Quand  le personnage disait "Merde", on disait "Non, c’est beaucoup trop grossier, on ne peut pas publier ça, est‐ce que vous pouvez le changer par un mot moins fort". 

    Il y avait autre chose… A un certain moment,  je montrais  le président  ‐‐ après avoir parlé du coup d’Etat  ‐‐  je  le montrais dans un truc pas très sérieux, il faisait des bêtises… Par exemple, il venait assister à une pièce de théâtre, pour montrer qu’il s’intéressait à… (la culture) et il la quittait en milieu de pièce. dans ce système, dans toute la salle, il n’y a que des officiels et des agents de sécurité. Quand  il s’en va, tout  le monde s’en va avec  lui ‐‐  il n’y a pas de public ‐‐ je traitais avec un peu de dérision ce genre de comportement. Le censeur me disait "Est‐ce que ‐‐ je veux bien,  c’est  vrai  ‐‐ mais  d’une  façon  générale  est‐ce  qu’on  peut  donner  cette  image  d’un  chef  d’Etat ?  Il  y  a  des 

  • moments où il est sérieux. Pourquoi est‐ce que vous ne contrebalancez pas en mettant un passage bien. A mon avis, c’est marginal,  ce  qui  est  important,  c’est  ce  qu’il  fait  par  ailleurs.  Pourquoi  vous  ne montrez  pas  ce  qu’il  fait d’important et d’essentiel". Au fond, il cherche à vous faire refaire votre roman, et à changer votre vision du monde. 

    Q : Est‐ce que pour les écrivains algériens c’est un nouveau chapitre ? 

    Oui, très important, maintenant les écrivains algériens peuvent écrire, publier, ce qu’ils veulent, là où ils veulent… y compris en Algérie. Très important pour les intellectuels. 

    Un intellectuel, c’est par définition quelqu’un qui doit s’exprimer. A partir du moment où il a la liberté d'expression, c’est fondamental. 

    Q : Pour vous, ça ne change pas grand chose? 

    Oui, moi j’ai eu la chance de pouvoir éditer ici en France. Mais nous avons beaucoup d’autres écrivains qui essaient ‐‐ essayaient ‐‐ de publier là bas, et ils étaient sous le poids de la censure. 

    Q : Vos livres ont ils été traduits en Arabe ? 

    J’en ai un, Tombéza. C’est  l’unique  livre traduit en arabe. L’Algérie est assez paradoxale. Alors que mes cinq  livres ont été traduits, au total, dans onze  langues étrangères…  Il y a eu des éditions pirates au Moyen Orient, c’est très éphémère. 

    Q : Vous êtes un écrivain algérien de langue française. Pour qui écrivez vous d’abord ? 

    Mon public naturel, c’est le public algérien. Mais un écrivain, d’une façon générale, cherche à avoir le public le plus vaste et le plus diversifié possible. Par conséquent, je suis très heureux d’avoir un public ici en France, comme je suis très heureux d’être traduit en anglais, en allemand, en espagnol, en italien. 

    Que cherche un écrivain, au fond ? A faire aimer ce qu’il fait par le plus grand nombre de gens possible, à essayer de leur faire partager ses  idées. Par conséquent, mon public premier, c’est  l’algérien. Mais  je suis très heureux d’avoir beaucoup d’autres publics  

    Q : Aujourd’hui, avec  toutes  les mesures d'arabisation en Algérie, quelle est  la place d’un écrivain de  langue française ? Etes‐vous sur une plate‐forme qui se rétrécit de plus en plus ? Etes‐vous un peu dans un cul de sac ? Ou au contraire, avec les nouvelles libertés, est‐ce que ?… 

    C’est  une  question  très  importante,  aujourd’hui  en  particulier.  En  France,  on  voit  très mal  l’avenir  de  la  langue française en Algérie. Souvent on me parle de cette loi qui a été votée il y a un an environ par l’assemblée… Vous avez pu constater qu’en dehors des pays  je dirais naturellement francophones,  la Suisse,  la Belgique,  le Quebec,  le seul pays vraiment francophone, où l’usage du Français est très répandu, c’est l’Algérie. Ce n’est pas des pays comme le Sénégal,  la Côte d’Ivoire,  comme  le Congo,  le Zaire, dont  la  langue officielle est  le Français. Nous, notre  langue officielle, c’est l’Arabe. Mais le seul pays où on utilise couramment le Français, c’est l’Algérie. 

    Alors, vis à vis par exemple de l’auditoire, c’est assez paradoxal, le public de n’importe quel livre en Algérie, quand il est écrit en Français,  il est double de celui quand on écrit en Arabe. A qualité égale, à même prix, un  livre se vend deux fois plus quand  il est écrit en français. Le signe  le plus manifeste de cela, c’est  les  journaux. Un  journal, quel qu’il soit, quand  il sort en Français… Les  journaux actuels  ‐‐ une  floraison.  Il y en a 6 ou 7 qui vendent à 150.000 exemplaires par  jour. Nous avons un très grand public ‐‐  les Algériens ont une soif de  lire vraiment extraordinaire. Avant, nous avions  les  journaux officiels de  l’Etat. Le Moudjahid  tirait avant à 350.000 exemplaires par  jour. Son équivalent  du  soir,  Horizon,  300.000.  Leur  équivalent  n  Arabe,  Chaab,  à  l’époque,  tirait  à  60.000  exemplaires, vendait  à  30.000.  Messa  (équivalent  du  soir)  15.000  exemplaires.  C’est  le  journal  de  l’Etat,  il  y  a  les  mêmes informations dans le Moudjahid que dans Chaab. 

    Le lectorat de langue française est encore immense. dans toute l’Algérie, aujourd’hui, plus de 50 journaux, dont 5 ou 6 tirent à 150.000. Le Moudjahid a baissé ‐‐ encore à 200.000 ‐‐ le Watan à 150.000, Le Soir, à 150.000. 

  • Q : Donc vous n’êtes pas inquiet pour votre avenir ? 

    Au delà des débats… c’est un pays… Cette assemblée qui vote des lois complètement débiles ne représente pas du tout l’Algérie. Elle a été élue dans des conditions particulières, des bonshommes qu’on mettait là parce qu’on n’avait plus besoin d’eux ailleurs, des gens qui ne  savent pas gérer, qui  faisaient des bêtises quand on  leur donnait des responsabilités, alors on les mettait dans l’assemblée. 

    Aujourd’hui  l’Algérie  se  dirige  naturellement,  c’est  une  chance  je  pense,  vers  un  système  bilingue,  où  les  gens parlent naturellement  les deux  langues. Je  le constate parce que  je suis enseignant,  j’ai des étudiants qui font  leur licence totalement en Arabe. Ils arrivent chez moi en post‐universitaire, ils passent très naturellement en Français, sans  aucun  problème.  Le  Français  n’a  jamais  été  autant  enseigné  que  depuis  l’indépendance. A  l’époque,  dans l’Algérie entière,  il y avait 5.000 personnes qui allaient à  l’école des Algériens. Aujourd’hui  il y a 500.000 étudiants dans le cycle supérieur, qui étudient le Français… 

    Q : L’absence de censure crée‐t‐elle un nouvelle atmosphère ? Ouvre‐t‐elle un nouveau chapitre ? 

    Certainement,  depuis  la  libéralisation…  Pour  le moment,  cela  s’exprime  surtout  dans  la  presse.  Le monde  de l’édition  connaît  des  difficultés matérielles,  ils  n’ont  pas  assez  de  papier  pour  sortir  les  livres  qu’ils  aimeraient publier. Mes  livres sont  repris par un éditeur algérien qui  les  ressort  là‐bas, sous son nom. C’est beaucoup moins cher. Une Peine à vivre 120 F, en Algérie cela vaudrait 500 dinars, alors mon éditeur le reprend, il serre le texte, parce que  le papier est  cher,  la qualité est moins bonne… S’il a assez de papier,  il  va  faire un premier  tirage à 20.000 exemplaires. pas sûr qu’il puisse faire un second tirage. Il faut attendre au moins un an. 

    Q : En conclusion, comment vous définissez vous ? 

    Pour moi, l’écriture est un acte de transgression… J’appartiens à cette race d’écrivains militants ! Il n’est pas possible d’ignorer la misère, l’injustice, la corruption… 

    (Les Cahiers de l’Orient (extraits), 1992. The Middle East magazine, February 1992) 

    Source: http://www.chris‐kutschera.com/Rachid_Mimouni.htm     

     

     

     

     

     

     

     

    http://www.chris-kutschera.com/Rachid_Mimouni.htm

  • RACHID MIMOUNI    

    Au printemps 2007, Le Fleuve détourné de Rachid Mimouni a connu une adaptation pour la scène. Nommée à  la direction de  la Maison de  la Culture de Béjaïa,  la metteure en scène Hamida Aït el Hadj y a retrouvé le dramaturge et metteur en scène Omar Fetmouche qui dirige le Théâtre de la ville  et  qui  s’est  attelé  à  adapter  le  plus  célèbre  roman  de Mimouni.  Lors  d’une  conférence  de presse donnée en compagnie de l’animateur TV Mourad Khan et du chanteur de rap Lotfi Double Kanon,  qui  ont  été  sollicités  pour  les  besoins  de  la  pièce,  Omar  Fetmouche  s’est  ouvert  des nombreuses difficultés de l’adaptation.  La générale a eu  lieu  le 6 février 2007 au Théâtre national d’Alger. Le spectacle a ensuite été visible à Boumerdès, lors du 12è anniversaire de la disparition de l’écrivain, ainsi qu’à Béjaïa.   Le 12 février 1995, la nouvelle tombait comme un couperet : l’écrivain Rachid Mimouni décédait à l’hôpital Cochin à Paris  d’une  hépatite  aiguë.  Alors  que  le  pays  s’enfonçait  dans  la  spirale  de  la  violence  et  des  assassinats d’intellectuels  et  d’artistes,  l’Algérie  perdait  l’une  de  ses  voix  les  plus  lucides  et  les  plus  attachantes.  Dans  un entretien accordé au milieu des années 80 à l’universitaire Hafid Gafaïti, Rachid Mimouni disait croire "à l’intellectuel comme éveilleur de conscience, comme dépositaire des impératifs humains, comme guetteur vigilant prêt à dénoncer les dangers qui menacent la société".   Né en 1945 à Boudouaou (ex‐Alma) à l’est d’Alger, au sein d’une famille de paysans modestes, Rachid Mimouni se destinait à une carrière de scientifique. Après une licence de chimie obtenue en 1968 à  l’ENS de Kouba, il poursuit des études de management à Montréal. De retour au pays, il enseigne l’économie à l’Inped, à l’Ecole supérieure de Commerce et à l’université d’Alger.  Il mène parallèlement une carrière d’écrivain inaugurée avec Le Printemps n’en sera que plus beau, un premier roman écrit en 1971 et paru seulement sept ans plus tard. Auteur d’une dizaine de livres, Rachid Mimouni a commencé par publier des poèmes et surtout des nouvelles (une vingtaine), notamment dans la revue Promesses.   La reconnaissance viendra avec Le Fleuve détourné, paru en 1982 à Paris et largement salué par la critique. Fervent lecteur de Kateb Yacine, Dos Passos,  Joyce, Kafka et Camus, mais aussi des Sud‐Américains Borges, Asturias et Garcia Marquez,  l’écrivain s’est  imposé avec ce  roman où  le narrateur, un maquisard qui a perdu  la mémoire  lors d’un bombardement, retrouve ses esprits et son village après l’indépendance. Officiellement au nombre des martyrs de la guerre de libération, le personnage va s’épuiser à vouloir reconquérir une identité et retrouver les siens dans un pays où il ne reconnaît plus rien.  D’abord édité en France, Le Fleuve détourné attendra  trois ans avant de  l’être en Algérie. L’auteur confiait que  la police à cette époque enquêtait à son sujet et le convoquait pour l’interroger.   Sensible à la réalité sociale algérienne, Rachid Mimouni s’est constamment attaché à investir le pays réel dont il a pu forcer le trait dans certains livres comme Tombéza (1984), un roman "volontairement poussé au noir". Citant Picasso, lorsqu’il déclarait en substance que "l’art n’est pas  la vérité, mais un mensonge qui permet de  l’approcher au plus près...", Mimouni disait croire très fort à ce pouvoir de l’art.  "Imagination proliférante,  refus d’une esthétique  formaliste, notait à  son  sujet  l’universitaire Benamar Mediene, en guise de préface à  l’édition algérienne de L’Honneur de  la tribu, Mimouni  fait sauter  les clôtures, ouvre à  l’infini  les perspectives de  la parole.  [...] Comme Julien Gracq, ajoute Mediene, Mimouni sait que  la  littérature et  la poésie sont l’esprit de l’histoire. C’est dans l’histoire que Mimouni explore en ses profondeurs, en ses strates de non‐dits, pour donner forme et parole aux oubliés, aux silencieux, aux aphasiques, aux muets, aux bègues et aux ombres dans cet univers du temps des morts."   Dans Une peine à vivre (1991), Mimouni s’est efforcé de "montrer l’horreur de la dictature et des systèmes totalitaires". Entre essai et pamphlet, avec pour point d’orgue les premières élections législatives pluralistes de décembre 1991, De  la barbarie en général et de  l’intégrisme en particulier (1992) se penche sur  le  legs de  l’Algérie du parti unique et l’imposture des intégristes islamistes. Dans La Malédiction (1993), qui est aussi son dernier roman, les islamistes ont entrepris  de  prendre  le  pouvoir  et  de  régenter  la  vie  quotidienne  de  millions  de  citoyens  pris  en  otage.   En décembre 93, ce défenseur des libertés d’expression et de conscience s’était résolu, la mort dans l’âme, à quitter 

  • son appartement de Boumerdès à 50 km d’Alger pour s’établir à Tanger avec sa femme et ses trois enfants. Rachid Mimouni tiendra une chronique sur les ondes de Médi 1, qui fera l’objet d’un recueil publié à sa disparition. L’écrivain s’est éteint dans la fleur de l’âge. Il avait tout juste cinquante ans.   Certains de ses romans ont été traduits, notamment en arabe (Tombéza, La Malédiction), en anglais (L’Honneur de la  tribu, La Ceinture de  l’ogresse), en allemand  (Tombéza, L’Honneur de  la  tribu) et en espagnol  (La Ceinture de l’ogresse). Deux romans ont en outre connu des adaptations pour le cinéma. Après Le Fleuve détourné, signé Okacha Touita et resté dans les tiroirs, ce fut au tour de L’Honneur de la tribu d’être adapté et porté à l’écran par Mahmoud Zemmouri.    Bibliographie de Rachid Mimouni 

     

      Chroniques de Tanger (jan. 1994‐jan. 1995)  (Paris, Stock, 1995)   (Rééd., Paris, Presses Pocket, 1998)   La Colline visitée. La Casbah d’Alger  

    Texte de Rachid Mimouni  Dessins de Jacques Ferrandez   (Paris, Editions DS, 1993)    La Malédiction (roman)  

    (Stock, 1993)  (Rééd., Paris, Presses Pocket, 1995)   De la barbarie en général et de l’intégrisme en particulier  

    (Paris, Le Pré aux Clercs, 1992)   (Alger, Rahma, 1993)  (Rééd., Presses Pocket, 1994)   Une Peine à vivre (roman)   (Stock, 1991)  (Rééd., Presses Pocket, 1993)   L’Honneur de la tribu (roman)  (Paris, Robert Laffont, 1989)  (Paris, Livre de Poche, 1991)  (Rééd., Stock, 1999)   La Ceinture de l’ogresse (nouvelles) (Paris, Seghers/Le Fennec, 1990 ; 1998)  (Rééd., Alger, Laphomic, *) (Rééd., 

    Stock, 1999)   Tombéza (roman)  (Robert Laffont, 1984 ; Rééd., 1989)  (Rééd., Alger, Laphomic, 1985)  (Rééd., Paris, LGF, 1991)  

    (Rééd., Presses Pocket, 1996)  (Rééd., Stock, 2000)   Une Paix à vivre (roman) (Alger, ENAL, 1983 ; Rééd., 1994)  (Rééd., Stock, 1995)   Le Fleuve détourné (roman)  (Robert Laffont, 1982) (Rééd., Alger, Laphomic, 1985) (Rééd., Presses Pocket, 1991)  

    (Paris, Stock, 2000)   Le Printemps n’en sera que plus beau (roman)  (Alger, SNED, 1978 ; Rééd., 1988)  (Alger, ENAL, 1983 ; Rééd., 1994)  

    (Rééd., Stock, 1995)  (Rééd., Presses Pocket, 1997) 

    Source : http://www.algeriades.com/news/previews/article1632.htm  

     

             

    http://www.algeriades.com/news/previews/article1607.htmhttp://www.algeriades.com/news/previews/article1607.htmhttp://www.algeriades.com/news/previews/article594.htmhttp://www.algeriades.com/news/previews/article594.htmhttp://www.algeriades.com/news/previews/article1632.htm

  • Rachid MIMOUNI : Une œuvre majeure et plurielle  

    Écrit par Rachida Derguini      19‐02‐2009   

     Il y a quatorze ans, le 12 février 1995, Rachid Mimouni nous quittait. Plus  vivante  que  jamais,  l’œuvre  de  ce  fils  de  paysan  devenu  grand écrivain, reste inlassablement ancrée à l’Algérie. A un moment où  le pays tout entier n’a pas encore fini sa  lutte contre l’obscurantisme, cette œuvre nous parle, encore et toujours actuelle et subversive… En hommage à cet écrivain, témoin lucide et inépuisable des heures les plus sombres de la folie meurtrière qui a saigné l’Algérie, un regard sur quelques‐uns de ses romans…    Avec  Le  printemps  n’en  sera  que  plus  beau  (1),  son  premier  roman, Rachid Mimouni  fait  revivre  la période héroïque du combat d’un peuple pour son  Indépendance  :  les héros de ce romans sont jeunes, graves, investis d’une mission essentielle. Comme  dans  une  tragédie  antique,  ils  évoluent  dans  une  trame  simplifiée  qui  fait  de  l’action  principale  une inexorable avancée vers la mort. La voix du poète, semblable à celle d’un coryphée,  la très forte stylisation théâtrale du texte,  le nombre réduit de personnages amplifient la portée symbolique de ce drame qui finit par s’incarner dans le sacrifice final de l’héroïne… Le  printemps  n’en  sera  que  plus  beau  intègre  ainsi  l’incontournable  thème  de  l’histoire  de  l’Indépendance algérienne… Mais,  déjà,  sont  posées  dans  ce  premier  roman  la  problématique  collective  du  sacrifice  fondateur, celles de l’amour, de l’illusion et des engagements à tenir…  Une  paix  à  vivre(2)  nous  invite  à  suivre  une  tranche  de  la  vie  d’un  adolescent  aux  toutes  premières  heures  de l’Indépendance algérienne. L’Ecole Normale d'instituteurs en est le cadre narratif privilégié : lieu de formation de la jeunesse de l’après‐guerre, mais aussi lieu où se cristallisent de nombreux paradoxes. Ainsi en est‐il du culte de l’école cultivé par les parents alors même qu'il est contredit par leur propre inaptitude à en apprécier les acquis autrement qu’en termes de statut social : à l’exemple de Mohamed IGUER, petit berger devenu musicien mondialement reconnu, mais au génie totalement méconnu des siens, qui mourra dans une  indifférence quasi‐générale... Ainsi en est‐il aussi de l’ apprentissage scolaire de la citoyenneté qui, pourtant, au sein de la société, se heurte aux barrières  érigées  à  l’expression  politique  (avec  la  répression  des manifestations  estudiantines,  et  l’encadrement bureaucratique de l’expression…) . Ainsi en est‐il enfin  d'une revendication de liberté à l’égard de la pression religieuse , et qui, pourtant, tourne court dès la première mise à l’épreuve de force… Mais  au  delà  de  cet  arrière  plan  sociologique  et  politique, Une  paix  à  vivre  trouve  sa  dimension  littéraire  dans l’itinéraire poignant du personnage principal, Ali Djabri. Pour cet orphelin de seize ans, dont  les sœurs ont été décimées par  la maladie,  l’ignorance et  la misère, dont  les parents ont été déchiquetés par les bombardements de l’armée française, il reste une échappatoire à la folie qui le menace : comprendre. Comprendre la logique meurtrière qui a ravi à son affection Fatma, sa sœur cadette, sa préférée, puis ses trois autres sœurs  ; comprendre pourquoi « un déluge de  feu s’était abattu sur  (son) douar, dévastant  les vieilles mechtas et poursuivant les petites fourmis humaines qui fuyaient à travers champs »… Le poids  trop douloureux de  la mémoire  fait d’Une paix à vivre un  impossible quête de  l’oubli  : et  il  finit par être mortifère…   Le Fleuve détourné(3) amorce un tournant décisif dans l’écriture de Mimouni. La mise  en  évidence  de  l’absurde  politique  et  social  s’effectue  par  un  entrelacement  de  deux  itinéraires  et  un traitement particulièrement complexe de la temporalité romanesque. Le  premier  itinéraire  est  collectif  :  il  concerne  un  groupe  d’hommes  considérés  comme  subversifs  par  une administration omnipotente qui entend bien les neutraliser au moyen d’une castration systématique.  

  • Le second  itinéraire est  individuel  : un ancien moudjahid, figurant comme martyr‐chahid sur  la  liste de noms d’un monument aux morts, revient   pourtant un jour, sur les lieux de son passé, à la recherche de son épouse et de son fils. Un seul et unique narrateur ‐ sans nom – pour deux quêtes entrecroisées : un mort vivant qui, de mémoire perdue en mémoire retrouvée, observe avec effroi l’état de délabrement moral de son pays. Cette polarité du récit décuple les possibilités de points de vue et c’est ainsi que, substituant au poids du passé et de l’histoire le poids non moins oppressif du présent et du vécu, Rachid Mimouni inaugure une thématique nouvelle : la thématique existentielle.  Celle‐ci marquera l’ensemble de ses romans à venir. Elle est exprimée avec angoisse par ses différents personnages, dont celui de l’Ecrivain, à travers cette question fondamentale : « Que sommes‐nous ? »  Et, en effet, lorsque l’injustice, le viol, la dépossession habitent un corps social, il y a trahison de la mémoire, et c’est alors « en nous‐même qu’il faut chercher l’origine de la trahison ». Dans  le Fleuve détourné, Rachid Mimouni pose  les  jalons d’une orientation radicale de son écriture, renforcée par cette sorte de mise en écho interne de ses romans : en effet, on y trouve déjà formulés et même réitérés les mots de « malédiction  »  et  de  «  peine  à  vivre  »  qui  deviendront  les  titres  de  ses  romans  suivants,  tandis  que  le  thème obsessionnel du viol et de la bâtardise constituera la substance principale de Tombéza(4).    Tombéza se déroule dans ce temps aussi infini que bref qu’est le temps d’une agonie. Au  seuil  de  sa  mort,  le  personnage  Tombéza  déroule  le  film  de  son  horrible  vie  qui,  inéluctablement,  va  se transformer en destin. Il se saisit alors du pouvoir de raconter mais aussi de celui de parler : parler sans peur, sans complaisance, mais avec une hargne, un écœurement et une  inextinguible  révolte, d’une société qui a  fait de  lui non seulement  le produit d’un viol mais aussi le coupable de sa bâtardise. Tout comme sa mère qu’il n’a pas connue, sa mère, adolescente d’à peine seize ans  lorsqu’elle fut non seulement violée par un inconnu mais aussi, et à cause de ce viol, battue à mort par son propre père. A travers  le prisme d’une société qui condamne ses victimes,  les déclare coupables d’avoir subi  le viol et  les punit pour  ce même motif,  Rachid Mimouni  impose  une  autocritique  sociale  rigoureuse  qui  débouche  sur  l’idée  que l’individu ne peut qu’accuser les traits de la société qui l’englobe. Ici,  l’hypocrisie sociale et  la  lâcheté sous toutes ses  formes  : celle du tabou sexuel et de  la misogynie qui offre au violeur une totale impunité, celle du tabou religieux qui permet à l’ignorance d’embrigader la foi et le savoir, celle du tabou de la bâtardise qui désigne le bouc émissaire …et la liste est longue.   Une Peine à vivre (5) exploite le même motif d’un personnage au seuil de sa mort. Ce  roman  présente  l’interminable  râle  d’un  homme  qui  a  su  user  de  toute  les  compromissions,  les  lâchetés,  les violences et les servilités qu’une société recèle à l’usage de qui veut bien s’en servir sans vergogne et sans scrupule pour gravir un à un les échelons qui mènent au faîte du pouvoir. Un râle en effet  long et  interminable puisque c’est celui du narrateur principal qui n’est autre que  le tout puissant Maréchalissime,  ligoté contre  le mur du polygone en  face d’un peloton d’exécution  formé de ceux‐là mêmes qui l’ont adulé et l'ont  vénéré jusqu'au  moment de sa disgrâce. Les  problématiques  du  pouvoir  et  de  la  dictature  développées  dans  ce  roman  sont  placées  par  l’auteur  sous  le double exergue de Nietzsche et de Camus. Nietzsche, dont Mimouni  a  choisi  cette  citation, ô  combien prémonitoire  :  "Les hommes  forts,  les  vrais maîtres retrouvent  la conscience pure des bêtes de proie  ; monstres heureux,  ils peuvent revenir d’une effroyable série de meurtres,  d’incendies,  de  viols  et  de  tortures  avec  des  cœurs  aussi  joyeux,  des  âmes  aussi  satisfaites  que  s’ils s’étaient amusés à des bagarres d’étudiants." Et  Camus  :  « Nous  portons  tous  en  nous  nos  bagnes,  nos  crimes  et  nos  ravages. Notre  tâche  n’est  pas  de  les déchaîner à travers le monde. Elle est de les combattre en nous‐mêmes et dans les autres".  Entre  la  bête  immonde  tapie  en  chacun  de  nous  et  une  destinée  plus  humaine,  le Maréchalissime,  personnage dictateur n’a pas su faire le choix de l’amour et du bonheur…   Quelques mois  avant  sa mort, Rachid Mimouni  publiait  son  dernier  roman,  la Malédiction  (6),  dédié  à  son  ami écrivain  Tahar  Djaout,  assassiné  lâchement  par  la  horde  intégriste  à  l’instar  de  nombreux  autres  intellectuels algériens. Avec comme toile de fond  les événements  (occupations et manifestations  intégristes), qui ont marqué Alger, à  la veille  des  élections  législatives  de  1991,  la Malédiction  dessine  l’incroyable  cheminement  qui  peut  conduire  un homme à haïr son propre frère au point de le sacrifier à la furie intégriste. 

  • Durant la décennie 90, la réalité, hélas, a, en horreur, dépassé la fiction . Mais si  la  littérature ne se  laisse pas  réduire à cette macabre comparaison, c’est que  finalement Rachid Mimouni dans son geste créateur a accompli sa fonction sociale d’écrivain pour avoir, ainsi qu’il se l’était proposé, tendu à la société algérienne le miroir qui lui renvoie, aujourd’hui plus que jamais, sa propre image…  

     Source :http://www.mediaterranee.com/Rubriques‐generales/Culture/RachidMimouniUneoeuvreMajeureEtPlurielle.html  

     

    La MALEDICTION : la mort de Rachid Mimouni  

    L’écrivain algérien est décédé samedi des suites d’une hépatite aiguë. Le journaliste belge Luc Beyer de Ryke l’avait rencontré récemment. 

    « Non, il n’était pas prêt à mourir. ». 

    EN répondant à  l’appel qui m’annonçait  la mort de Rachid Mimouni,  je songeai à ces mots écrits dans son dernier 

    roman  au  titre  prémonitoire,  « la Malédiction ».  Le  personnage  principal, Khader,  est  condamné  à mort  par  les 

    intégristes. Comme Mimouni. L’écrivain,  lui, n’a pas été assassiné mais pourtant c’est à cause d’eux qu’il est mort. 

    Pourchassé, il a tardé à faire soigner le mal qui l’assaillait. S’il « n’était pas prêt à mourir », il vivait néanmoins avec 

    l’idée de  la mort.  Il  la redoutait. Moins pour  lui que pour  les siens. Pour sa petite fille menacée à diverses reprises. 

    C’est lors de l’une de ces alertes que j’ai connu Rachid Mimouni. Je l’avais invité à « Rencontre », émission de la RTBF 

    (Radio‐Télévision belge de langue française), semblable à ce qu’était en France « Radioscopie » de Jacques Chancel. 

    Pour  l’interviewer  ‐  même  à  Paris ‐,  il  fallait  s’entourer  de  précautions.  On  me  fixa  rendez‐vous  dans  un 

    établissement  près  de  Denfert‐Rochereau  pour me  conduire  ensuite  dans  un  appartement  ami  où m’attendait 

    Mimouni. Je le trouvai un peu tendu, angoissé, le col de la chemise blanche, froissé, largement échancré, le cheveu 

    poivre et sel en broussaille. Après avoir échangé quelques mots, il s’apaisa, se laissa aller à se raconter, à clamer ses 

    indignations, à s’insurger contre « la malédiction » qui s’étendait sur sa terre, sur l’Algérie tant aimée. Il parlait avec 

    intelligence mais plus encore avec passion. « Mon  livre est un cri d’urgence contre  la barbarie. C’est à dessein que 

    j’use du  terme  car même  s’il prend des  formes différentes en  terre d’islam,  l’intégrisme annonce  le  retour de  la 

    barbarie. Qu’il  s’agisse  de  l’Iran,  du  Soudan,  où  s’accomplit  dans  le  sud  un  génocide,  de  l’Arabie  Saoudite,  de 

    l’Egypte, partout nous avons affaire à une internationale islamiste qui s’appuie sur des complicités occidentales, en 

    particulier  américaines.  Les Etats‐Unis  y  voient  une  garantie  d’ordre  au  service  du  libre‐échange. En Algérie,  ils 

    veulent remplacer la langue française par l’anglais. » 

    Mais  que  vient  faire  l’islam  là‐dedans ?  « L’intégrisme  n’en  est  qu’une  falsification  amenée  sous  le  couvert  de 

    certains  versets  du  Coran mutilés  et  amputés.  Lorsqu’on  évoque  le  dialogue,  « ils »  répondent  par  le meurtre. 

    Bouhalza fut égorgé devant sa fille de dix ans. Un militant du mouvement berbère qui avait exigé que les islamistes 

    soient traités en prisonniers politiques, interrogeait un de ses compagnons de cellule : « Lorsque nous serons libérés, 

    si  tu  me  vois  attablé  à  la  terrasse  d’un  café  buvant  une  bière,  que  feras‐tu ? »  Et  l’autre  de  répondre :  « Je 

    t’égorgerai. » 

    Avec  tristesse,  le  regard empreint d’une grande  lassitude, avant que  je  le quitte, Rachid Mimouni me  récita cette 

    sourate mise en exergue de « la Malédiction » : « Celui qui a tué un homme qui lui‐même n’a pas tué ou qui n’a pas 

    commis de violence sur la terre est considéré comme ayant tué tous les hommes. » 

    LUC BEYER DE RYKE 

    Article paru le 14 février 1995 http://www.humanite.fr/1995‐02‐14_Articles_‐La‐Malediction‐la‐mort‐de‐Rachid‐Mimouni  

    http://www.mediaterranee.com/Rubriques-generales/Culture/RachidMimouniUneoeuvreMajeureEtPlurielle.htmlhttp://www.humanite.fr/1995-02-14_Articles_-La-Malediction-la-mort-de-Rachid-Mimouni

  • Bibliographie (http://www.librairie-gaia.com/Dossiers/Algerie/Mimouni.htm )

    "Le fleuve détourné"   

     

    Il  partit  dans  la  montagne  avec  ceux  du  maquis  alors  que  se  levait  sur  l'Algérie  le  vent  de l'indépendance. Blessé lors d'un bombardement, il perdit la mémoire. Ce n'est que bien plus tard qu'il rassemble maladroitement  les fragments épars de son  identité en miette.  Il décide alors de regagner son village. Mais  là‐bas, personne ne  l'attend plus. On  le croyait mort. On avait  inscrit son nom sur quelque monument. Qu'a‐t‐on à faire d'un revenant dans un pays meurtri ? Un pays qui  n'est  plus  irrigué  par  le  fleuve  immémorial  de  la  tradition  et  se meurt  doucement. Mais  le revenant s'obstine. Veut revoir femme et enfant. Veut savoir et comprendre. Commence alors une enquête déchirante qui  le confrontera à une terrible vérité. Une voix venue de  l'Algérie nouvelle qui raconte  les souffrances de son peuple. Un roman d'une densité et d'une rigueur exemplaires par un  jeune écrivain algérien d'expression  française, considéré comme un des chefs de  file des écrivains de sa génération.

     "Une peine à vivre"  

     

    Face  au peloton d'exécution,  le dictateur  attend  la mort. Tandis que  les  soldats  épaulent  leurs fusils, l'homme se souvient... De son enfance misérable; de son engagement dans l'armée; de son absence  de  scrupules  et  d'humanité;  du  putsch  sanglant  qui  fit  de  lui  le maître  absolu...  Il  se souvient  surtout  de  la  seule  femme  qu'il  ait  aimée  et  qui  a  mystérieusement  disparu.  Dans quelques instants, les balles traverseront sa poitrine et il sourit... Etrange itinéraire d'un dictateur amoureux  qui  courut  à  sa  perte  pour  avoir  été  confronté  à  un  dilemme  terriblement  humain  : l'amour ou le pouvoir...

     "Tombéza"  

     

    On ne peut parler avec justesse de l'horreur que sur un ton paisible, sans remous ni éclats. C'est le parti qu'a choisi Rachid Mimouni pour nous  raconter  l'histoire d'un enfant, d'un adolescent puis d'un  adulte  ‐  celui qu'on  appellera Tombéza  ‐ qui, né dans d'horribles  circonstances, parcourra toutes  les horribles circonstances qui mèneront à  la naissance de  la nouvelle Algérie. Et quand, ayant fait son trou dans cette société qui se cherche à tâtons, parvenu à l'honorabilité et presque aux  honneurs,  il  sera  abattu  par  plus  corrompus  que  lui,  s'achèvera  la  trajectoire  d'un  destin maudit.  Au‐delà  du  portrait  d'un  homme  monstrueux  ‐  et  finalement  extr