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1 NÉCESSITÉ DE LA CORRECTION PHONÉTIQUE EN FLE 1. Raison d'être de la correction phonétique La célèbre Loi de Laplace-Gauss énonce, en statistique, que la répartition d'une grande population peut être représentée par une courbe en cloche. Selon cette Loi, si on examine les apprenants du FLE selon la caractéristique précise de leur aptitude à acquérir / à maîtriser la prononciation du français, on s'aperçoit alors que plus on s'approche de la moyenne du critère considéré, plus le nombre d'individus est grand et que, au contraire, le pourcentage diminue rapidement dans les zones extrêmes, soit celles nommées expressément ici « très aptes » et « surdoués » d'un côté, et « peu aptes » de l'autre. peu aptes moyennement aptes très aptes «surdoués...» Fig. 1- Tableau 1 de la courbe en cloche de Gauss adaptée à la capacité d'acquisition et de maîtrise de la prononciation d'une L 2 . Ainsi, pour les besoins de cette étude et en partant de la droite de la courbe, cela implique grosso modo qu'à peine 2% des étudiants sont doués d'une capacité d'acquisition / maîtrise telle qu'ils pourraient à toutes fins utiles se passer du professeur : ce sont ces « surdoués » qui donnent souvent aux correcteurs une auréole de super compétents! Puis, il y a les 13,6% d'étudiants considérés comme très aptes et qui, en général, n'ont besoin que d'un petit coup de pouce pédagogique : ce sont eux qui rendent les classes si agréables, puisque le professeur voit immédiatement les résultats positifs de son enseignement. Vient ensuite la majorité des individus (68%) qui constitue la population principale des classes : c'est pour eux qu'essentiellement le professeur existe! Ces nombreux étudiants ont constamment besoin de la guidance et de la science du professeur. Et comme, bon an mal an, ces statistiques demeurent valables, on aura toujours 1 L'illustration de la courbe en cloche de Gauss est tirée de la page Internet suivante : http://gappesm.net/FAQ/differents%20tests%20de%20QI.htm

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NÉCESSITÉ DE LA CORRECTION PHONÉTIQUE EN FLE

1. Raison d'être de la correction phonétique

La célèbre Loi de Laplace-Gauss énonce, en statistique, que la répartition d'une grande population peut être représentée par une courbe en cloche. Selon cette Loi, si on examine les apprenants du FLE selon la caractéristique précise de leur aptitude à acquérir / à maîtriser la prononciation du français, on s'aperçoit alors que plus on s'approche de la moyenne du critère considéré, plus le nombre d'individus est grand et que, au contraire, le pourcentage diminue rapidement dans les zones extrêmes, soit celles nommées expressément ici « très aptes » et « surdoués » d'un côté, et « peu aptes » de l'autre.

peu aptes moyennement aptes très aptes «surdoués...» Fig. 1- Tableau1 de la courbe en cloche de Gauss adaptée à la capacité d'acquisition et

de maîtrise de la prononciation d'une L2.

Ainsi, pour les besoins de cette étude et en partant de la droite de la courbe, cela implique grosso modo qu'à peine 2% des étudiants sont doués d'une capacité d'acquisition / maîtrise telle qu'ils pourraient à toutes fins utiles se passer du professeur : ce sont ces « surdoués » qui donnent souvent aux correcteurs une auréole de super compétents! Puis, il y a les 13,6% d'étudiants considérés comme très aptes et qui, en général, n'ont besoin que d'un petit coup de pouce pédagogique : ce sont eux qui rendent les classes si agréables, puisque le professeur voit immédiatement les résultats positifs de son enseignement. Vient ensuite la majorité des individus (68%) qui constitue la population principale des classes : c'est pour eux qu'essentiellement le professeur existe! Ces nombreux étudiants ont constamment besoin de la guidance et de la science du professeur. Et comme, bon an mal an, ces statistiques demeurent valables, on aura toujours 1 L'illustration de la courbe en cloche de Gauss est tirée de la page Internet suivante :

http://gappesm.net/FAQ/differents%20tests%20de%20QI.htm

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besoin de praticiens de la correction phonétique, nonobstant les aléas financiers des institutions gouvernementales et éducationnelles, et ce dans quelque pays que ce soit.

Or la correction phonétique, bien que rudimentaire, est probablement née

le jour — très loin dans le temps — où un adulte a fait répéter à un enfant un mot que ce dernier ne prononçait pas comme tous les membres de la tribu. On peut imaginer en outre que la correction phonétique a davantage pris droit de cité lors des échanges économico-linguistiques où un négociant (professeur malgré lui) a fait répéter à un acheteur étranger (étudiant pour le moins attentif) un mot ou un bout de phrase mal prononcé qui entravait la conversation (transaction).

Évidemment, chacun connaît bien de nos jours cette situation pour l'avoir

vécue ou pour être en train de la vivre. Cet apprenant — locuteur/auditeur que nous sommes tous — se plie volontiers, au début, à une répétition mécanique, froide et parfois lassante d'exercices de prononciation suggérés par l'enseignant. Mais comme l'apprenant n'a pas encore acquis le sens de l'autocorrection active, ses nombreuses fautes ou hésitations ne font alors qu'alimenter son doute latent sur ses capacités à progresser tant soit peu : c'est une première grande lacune pédagogique.

Par ailleurs, si cet apprenant perçoit sa progression comme étant trop lente

et ardue à la suite de ses efforts, son sentiment de frustration ira grandissant, d'autant plus que, selon lui, personne ne semble savoir quoi lui suggérer de concret et de facilement accessible pour corriger mieux et plus vite sa prononciation défectueuse, si ce n'est que l'enseignant exige de lui, à nouveau, ce qui lui apparaît comme une fastidieuse répétition d'exercices qu'il a l'impression d'avoir « mâchés » déjà tant de fois : c'est une deuxième grande lacune pédagogique.

Que peut-on faire, alors?

Idéalement, la correction phonétique serait cette intervention efficace

qu'exerce le correcteur enseignant : a) en premier lieu, sur la réception auditive de l'apprenant en manipulant de façon experte le fameux ensemble sonore de la chaîne parlée. En fait, le correcteur doit s'assurer que l'apprenant a bien entendu ce qui a été réellement prononcé et non ce que ce dernier croit avoir été prononcé; b) puis, en facilitant concrètement le travail articulatoire et, conséquemment, la production sonore de l'émetteur apprenant qui désire communiquer oralement de manière compréhensible et agréable pour l'auditeur interlocuteur. 2. Le minimum d'éléments sonores requis pour une communication orale efficace et agréable

Bien que la langue écrite soit la représentation visuelle codifiée de la langue parlée, cette dernière est sans contredit l'instrument privilégié de la communication humaine.

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Par ailleurs, chacun parle pour exprimer des idées toutes plus différentes les unes que les autres et, ainsi, les milliers de mots que l'on utilise quotidiennement pour cette activité sont en apparence complexes, sur le plan sonore, à l'apprenant débutant dans une langue. Pourtant, ces milliers de mots sont véhiculés et supportés physiquement par un très petit nombre de sons (désignés par les termes phonèmes et allophones en phonologie) et de mélodies ou mouvements intonatifs — communément appelés intonèmes — représentés schématiquement par des lignes ou mouvements intonatifs comme ceux-ci :

De ce qui précède, trois idées se dégagent clairement : 1 - Dans une langue parlée, il y a par définition un certain nombre de sons

absolument essentiels pour que la communication orale la plus élémentaire puisse exister entre deux êtres humains.

2 - Par ailleurs, si dans la même langue parlée on veut que la

communication orale soit le moindrement agréable à l'interlocuteur, l'apprenant devra «assez bien» prononcer un minimum essentiel de sons, autrement l'interlocuteur devra faire des efforts inouïs pour comprendre, ce qu'il n'est pas toujours capable d'accomplir.

3 - En outre, si la réponse attendue est un « oui » ou un « non » décisif

et que le locuteur le chante erronément en montant , comme s'il était incertain ou comme s'il posait une question, que croit-on qu'il va se passer? Car rien ne peut indiquer à l'interlocuteur si c'est réellement une erreur d'intonation ou simplement le message réel du locuteur.

L'implication immédiate de tout ce qui précède est que si l'INTELLIGIBILITÉ

de la langue parlée est l'objectif premier de l'enseignement, la pratique de la correction phonétique se doit d'être présente, à tout le moins au début de l'apprentissage de la langue par l'apprenant. En d'autres mots, l'apprenant doit rapidement acquérir une prononciation compréhensible (intelligible, accessible, claire, limpide) sous peine de devenir pénible pour l'interlocuteur et, dans la plupart des cas, sous peine de perdre l'attention de ce dernier! Et tout cela malgré une bonne maîtrise du vocabulaire et de la grammaire écrite.

Par conséquent, étant donné que le but visé de tout enseignement d'une

langue étrangère est d'amener l'apprenant : — à posséder une communication orale efficace et agréable; — à éventuellement dire le dictionnaire tout entier et, même, à exprimer

tous les éléments de la grammaire parlée, si complexe soit-elle;

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l'enseignant doit absolument faire acquérir et maîtriser par l'apprenant un minimum d'éléments sonores2.

Voici donc, en résumé3 et de façon très schématisée4, ce minimum

d'éléments sonores à prononcer qu'exige la langue française parlée de façon agréable et intelligible :

• en français, la langue parlée est oralement exprimée par :

— un maximum de 36 sons / phonèmes, soit 16 voyelles et 20 consonnes (et un minimum de 32 avec 13 voyelles et 19 consonnes selon les régions francophones : voir ci-après);

— un accent dit tonique ou rythmique fixe, qualifié de sémantique5, parce qu'il est toujours sur la dernière syllabe prononcée du mot ou du groupe de mots (de l'idée), donc commandé par le sens. À cela s'ajouteront, bien sûr, les variations volontaires du locuteur, dites accents d'insistance d'ordre émotif ou intellectuel.

— un minimum de 2 grands mouvements intonatifs fondamentaux, soit les courbes mélodiques montante «progressive» et descendante «convexe» [représentation très schématisée]

On va maintenant examiner plus en détail ce minimum d'éléments sonores

à prononcer. 3. La phonétique essentielle du français

Parler pour communiquer, c'est produire des sons érigés en système : les

sons (voyelles et consonnes) sont alors produits selon une séquence déterminée — dans la bouche du locuteur — et sont ensuite décodés correctement en mots significatifs par l'auditeur. Voici maintenant, du point de vue phonétique (sonore), ce qui distingue une communication orale minimale de celle que l'on qualifie d'agréable / essentielle et, même, de celle dite maximale. 2Pour les besoins restreints de cette étude, « éléments sonores » désignent tant les sons/phonèmes proprement dits que les composantes prosodiques tels les accents, le rythme et les mouvements intonatifs. 3 Tous ces éléments sont détaillés dans les §§ 3 et 4. 4 Sans se préoccuper outre mesure, dans le cadre de cet exposé, des diverses visions et sous-divisions — ce que l'on nomme théories — des spécialistes phonologues qui tentent d'expliquer le tout comme un ensemble le plus économique possible. 5 Plusieurs phonéticiens européens qualifient cet accent de « grammatical ».

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3.1 Système vocalique du français La langue française actuelle possède un système vocalique très riche —

tant en nombre qu'en timbres —, bien qu'il y ait des variantes dans les nombreuses régions francophones du monde. Pour ne donner qu'une seule comparaison, on dit que les Parisiens utilisent généralement 13 voyelles, alors que la plupart des Québécois francophones de souche emploient encore un système de 16 voyelles : les trois voyelles en moins à Paris proviennent du fait que les deux /a/ et /A/ ne sont plus rendus que par un /A/ plutôt central, alors que les /´/ et /{/ se confondent dans une sorte de /Œ/ moyen et que, finalement, la nasale /{‚‚)/ est à toutes fins utiles disparue. (Wioland & Pagel, 1991)

Sans déclencher de guerre de clocher, on peut au moins dire que les

apprenants ont besoin d'un système vocalique qualifié ici d'essentiel s'ils veulent communiquer de manière efficace et agréable, car l'interlocuteur francophone ne peut se contenter très longtemps d'incohérence ou d'inexactitude lors d'une conversation: dans ces conditions son intérêt à la conversation/communication se perd rapidement. Par ailleurs, la maîtrise du système vocalique maximal (selon la région francophone) sera toujours un idéal que tant l'enseignant — dans sa correction — que l'apprenant — dans son apprentissage — se doivent d'avoir comme but ultime.

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Fig. 26- Tableau des divers systèmes vocaliques du français communicateur. 3.2 Système consonantique du français

Le système consonantique maximal des 20 consonnes du français est

quasiment le système minimal qu'un apprenant devrait assez bien prononcer pour obtenir une compréhension agréable. Dans la pratique, toutefois, on constate que les / Á / et / ≠ / 7 peuvent ne pas être maîtrisés du tout sans une trop grande 6 Tiré de Jean-Guy LeBel - Traité de correction phonétique ponctuelle : essai systémique d'application, 1993: 147Dans leur ouvrage Le français parlé, WIOLAND & PAGEL affirment que le /≠/ disparaît au profit de /n/ + /j/, ce qui réduirait le nombre de phonèmes consonantiques à 19. De façon générale, ce n'est toujours pas le cas au Québec.

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conséquence pour la compréhension, étant donné leur faible indice de fréquence d'apparition dans la langue parlée, soit respectivement 0,3% et 0,1%, ces deux phonèmes étant les moins utilisés en français parlé. N'empêche que leur maîtrise rendra beaucoup plus agréable la production orale qui en découlera à l'oreille de l'ensemble de la francophonie.

système consonantique maximal :

sourdes p f t s S k

sonores b v d z Z g R l j ( Á ) w

nasales m n ( ≠ ) Par ailleurs, en considérant les consonnes une par une, il s'avère que

chacune d'elles peut être plus ou moins bien prononcée sans que la communication n'en soit trop compromise, mais on constate aussi que l'apprenant maîtrise généralement mal plus d'une consonne, et c'est là que ça se gâte!

Quand on compare le système consonantique au système vocalique, on a

nettement l'impression que la marge de manœuvre est pas mal moindre avec les consonnes qu'avec les voyelles, et c'est théoriquement vrai. Cependant, comme la majorité des grandes langues de civilisation possède un système consonantique d'une vingtaine de sons, dont une bonne partie se ressemble d'une langue à l'autre, le degré d'exigence et l'effort de correction changeront selon l'origine linguistique de l'apprenant dans le concret de la classe.

Le TRAITÉ (1993) — voir le §3 — et les FICHES CORRECTIVES (1991) traitent

abondamment de ces problèmes, mais voici à titre indicatif les principales difficultés consonantiques rencontrées par certains apprenants d'origine linguistique diverse :

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4. La prosodie essentielle du français Quiconque entend parler sa langue maternelle par un allophone qui, bien

que possédant assez bien la prononciation des sons, débite les mots de manière soit trop saccadée et fortement martelée, soit égale et monocorde, soit longue et étirée ou brusque, ou encore chante les mots avec des intonations tellement étrangères à cette langue, comprendra facilement l'assertion suivante : le rythme et la prosodie d'une langue sont l'ossature à laquelle se greffent les sons. Les sons évoluent et changent avec le temps comme suite aux variations d'accentuation et, conséquemment, d'intonation. Les langues dites romanes, issues du latin, en sont une preuve remarquable.

Ainsi tout enseignement d'une langue étrangère se devrait-il de débuter en

insistant sans relâche sur l'acquisition de la prosodie. Évidemment, des connaissances insuffisantes de cette matière et un manque de ténacité — de la part de la grande majorité des enseignants — font que la maîtrise du rythme et de l'intonation est trop souvent le moindre des soucis dans le monde des langues étrangères. Et c'est très dommage tant pour les apprenants que pour les interlocuteurs autochtones de quelque langue que ce soit!

4.1 L'accent et le rythme

Obtenir l'égalité rythmique du français n'est pas de tout repos avec les

étudiants dont la L1 est à accent variable comme le sont l'anglais, le portugais et l'espagnol. Toutefois, le rythme syllabique du français ne peut souffrir beaucoup d'écarts sous peine d'incompréhension « étonnée » vécue par un apprenant qui, par ailleurs, aura pourtant fourni — et souvent réussi — un bel effort de prononciation des sons.

L'essentiel se résume à ceci : a) en français, l'accent dit tonique ou rythmique est fixe et il est toujours sur

la dernière syllabe du mot ou du groupe de mots (de l'idée), c'est-à-dire que, s'il y a plus d'une unité lexicale pour exprimer une idée, chaque mot ou chaque unité lexicale perd son accent au profit du groupe de mots (de l'idée); c'est pour cela qu'on qualifie souvent l'accent fixe français de sémantique8.

Exemples :

1-J'irai. 2- Monsieur.

J'irai tout à l'heure. Monsieur Jean. J'irai tout à l'heure chez toi. Monsieur Jean Lebrun.

8 Plusieurs phonéticiens européens qualifient cet accent de « grammatical ».

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Ainsi l'idée est généralement composée de une à huit syllabes réellement prononcées, qui forment ce qu'on appelle un groupe rythmique et, aussi, un mot phonétique9 — lequel bien sûr va parfois au-delà de ces huit syllabes.

b) cet accent final est plutôt un accent de durée, qui contraste

énormément, d'une part, avec l'accent d'intensité très marqué du PORTUGAIS, de l'ANGLAIS et de l'ESPAGNOL (en ordre décroissant), et d'autre part avec l'accent de hauteur de nombreuses langues asiatiques.

c) finalement, comme toutes les syllabes inaccentuées du français ont

tendance à être d'égales durée et intensité, chaque timbre vocalique doit être pleinement et distinctement prononcé, contrairement à ce qui se passe en anglais (phénomène de neutralisation/centralisation) et, dans une moindre mesure, en espagnol et en portugais.

Autant que possible, donc, et avec beaucoup de patience, on exigera :

a) un accent qui tombe toujours sur la dernière syllabe prononcée des mots qui composent l'idée;

b) un accent où prédomine la durée; c) une prononciation égale et pleinement distincte des voyelles

inaccentuées. 4.2 L'intonation

Il y a deux mouvements intonatifs fondamentaux et essentiels en français :

le mouvement montant « progressif » et le mouvement descendant « convexe »

Mouvement montant « progressif » : il crée une attente, il est généralement la fin d'une question, il constitue aussi la fin de tous les groupes rythmiques (excepté le dernier) d'une énonciation10.

En soi, ce mouvement n'est pas tellement difficile à faire reproduire, mais c'est l'endroit où le mettre dans l'énoncé qui donne des problèmes, surtout aux anglophones qui, après avoir correctement monté, ont ensuite tendance à descendre légèrement presque partout, c'est-à-dire à produire quelque chose qui ressemble à une vague .

9 « Le mot phonétique peut être composé d'un ou plusieurs mots écrits qui à l'oral forment

une unité à la fois de production et de perception. » (Wioland & Pagel, 1991:17) 10 Proposition énonciative : phrase affirmative ou négative qui exprime une idée, sans interrogation ni exclamation. (dictionnaire LEXIS)

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ex.: Je m'en vais à l'hôpital demain matin. = correct

ex.: Je m'en vais à l'hôpital demain matin. = incorrect Mouvement descendant « convexe » : c'est celui du dernier groupe

rythmique d'une énonciation, d'un ordre, d'une exclamation : il répond généralement à l'attente suscitée par le mouvement montant. L'élément le plus difficile à obtenir dans ce mouvement est son allure convexe comparée, d'une part, à la courbe concave du mouvement descendant de l'anglais et, d'autre part, comparée soit à la chute plutôt brusque de l'espagnol en

général, soit à la descente plutôt étirée du portugais du Brésil . En résumé, il s'agit de bien opposer — et d'exiger rigoureusement — le ton

montant , qui est celui de la zone d'inquiétude, d'incertitude, d'interrogation, par rapport au ton descendant , qui est celui de la zone de certitude, de non retour, de la fin réelle d'une idée.

5. CONCLUSION

Il est étonnant de constater que, trop souvent, les professeurs de FLE ne soupçonnent pas la simplicité et, tout à la fois, la richesse et la productivité phonétiques de la langue parlée. Tout d'abord simplicité, dans le sens qu'on arrive à prononcer toute une langue — son dictionnaire et sa grammaire en entier — à l'aide de très peu d'éléments sonores et prosodiques. Ensuite richesse et productivité, du fait qu'avec la maîtrise d'un si petit nombre d'éléments on réussisse à exprimer toutes ses idées, si nuancées soient-elles, en combinant quasiment à l'infini un ensemble de 32 à 36 sons supportés par quatre traits prosodiques fondamentaux, à savoir deux types d'accents et deux mouvements intonatifs.

En outre, il ne faudrait pas oublier que les étudiants affirment régulièrement,

au début de leur apprentissage, qu'ils veulent en priorité acquérir la maîtrise de la langue parlée. Pourtant, d'assez récentes études empiriques tendent à démontrer

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que de 30 à 50 heures intensives de travail phonétique, administrées sur une période de 15 à 20 semaines, sont suffisantes pour apprendre et pour maîtriser passablement bien la phonétique d'une nouvelle langue, dans le but de posséder une communication agréable11. Il y a donc tout lieu de croire qu'il faille, à nous les professeurs, consacrer du temps à cette discipline qu'est la correction phonétique.

En effet, l'expérience démontre clairement que le temps de classe que le

professeur s'imagine à tort enlever à la grammaire écrite est pourtant consacré à une bonne cause, à savoir la grammaire parlée12 qui, de son côté et très rapidement, rapportera de gros dividendes lors des étapes de l'explication et de l'acquisition de l'écrit grammatical.

Au surplus, en ce qui concerne les étudiants, il y a aussi lieu d'insister pour

qu'ils mettent de l'énergie et beaucoup de temps dans le travail phonétique — autant dans les exercices d'audition que de prononciation13 — s'ils veulent rapidement parler convenablement, dans le sens de communiquer clairement. Bien prononcer, c'est déjà s'exprimer avec netteté auprès de l'autochtone et, au surplus, cela devrait être le mot d'ordre par excellence chez tous les tenants de l'approche dite communicative.

Par conséquent, et même si cela exige beaucoup des professeurs — connaissances à parfaire, acceptation de faire un peu moins de grammaire traditionnelle, ténacité dans l'application —, il y a nécessité14 pour tous, professeurs comme étudiants, de pratiquer ce qu'il est convenu d'appeler la correction phonétique et d'y être fidèle : cela devient tellement gratifiant à la longue et, en définitive, tellement efficace.

11 C'est-à-dire dans le but d'atteindre une INTELLIGIBILITÉ suffisante pour que l'interlocuteur autochtone ait envie — et plaisir — à continuer la conversation. 12 Voir LEBEL, Jean-Guy — «La grammaire parlée du français en correction phonétique», Revue de l'AQEFLS, XXIV, 2, 2003: 7-39. 13 Consulter entre autres LEBEL, Jean-Guy — Correction phonétique du FLE..., 2002; puis Bibliographie sélective, 2002. 14 C'est un DEVOIR sur le plan de l'éthique de l'enseignement; puis c'est une OBLIGATION dans le concret de la classe, et c'est finalement une EXIGENCE de la part des étudiants.

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On ne peut oublier que le travail phonétique existe depuis la naissance : ce sont les balbutiements du nouveau-né et les innombrables interactions verbales des parents qui en sont une preuve irréfutable. Et comme « Nous arrivons équipés d'un appareil auditif prêt à parler toutes les langues. »15, la bouche peut ainsi parler toutes les langues du monde. Encore faut-il éduquer cette oreille et aider cet appareil articulatoire qu'est la bouche à maîtriser tous ces nouveaux sons du monde. Or la Loi de Laplace-Gauss énonce qu'environ 84% d'une population normale d'étudiants (fig.1) ont besoin — de peu à beaucoup — d'un professeur correcteur qui les guidera dans l'acquisition et la maîtrise d'une prononciation intelligible, donc agréable, des nouveaux sons de la langue à apprendre, en l'occurrence du FLE.

On peut d'ores et déjà conclure qu'il y a nécessité d'un travail phonétique, à

tout le moins durant une bonne trentaine d'heures au début de l'enseignement/apprentissage du FLE. La correction phonétique a donc sa place dans cette démarche, mais qu'on ne se leurre pas : elle est essentielle pour toute langue du monde.

***************

Bibliographie LEBEL, Jean-Guy — Traité de correction phonétique ponctuelle : essai

systémique d'application, Les Éditions de la Faculté des lettres, Université Laval (Québec, Canada), 2e édition, 1993 : XVIII + 278 pages. Distributeur : librairie ZONE, www.zone.ul.ca

LEBEL, Jean-Guy — Fiches correctives des sons du français, Les

Éditions de la Faculté des lettres, Université Laval (Québec, Canada), 1991: XIII + 459 p. + 1 tableau plié. Distributeur : librairie ZONE, www.zone.ul.ca

LEBEL, Jean-Guy & TAGGART, Gilbert — Exercices de prononciation

des voyelles françaises en opposition, Les Éditions de la Faculté des lettres, Université Laval (Québec, Canada), 2e édition revue, corrigée et accompagnée de 2 cassettes sonores, 1992, 46 p. Distributeur : librairie ZONE, www.zone.ul.ca

15 Phrase de Suzanne JACOB, tirée de son essai La Bulle d'encre (1997: 49), et prononcée lors du XIIIe Congrès brésilien des professeurs de français, tenu à Salvador / Bahia en 1998.

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LEBEL, Jean-Guy — Bibliographie sélective : phonétique différentielle

et corrective, Département de langues, linguistique et traduction, Université Laval (Québec, Canada), 2002, 62 p. Distribuée par l'auteur.

LEBEL, Jean-Guy — «La grammaire parlée du français en correction

phonétique» Revue de l'AQEFLS, XXIV, 2, 2003: 7-39. LEBEL, Jean-Guy — Correction phonétique du FLE pour étudiants

hispanophones et lusophones : boîte à outils de prononciation, Les Ateliers de phonétique intégrée (Québec, Canada), 2002, 114 p. Distribuée par l'auteur.

WIOLAND, François & PAGEL, Dario — Le français parlé : pratique de

la prononciation du français, Editora da Universidade Federal de Santa Catarina (Florianopolis, Brasil), 1991.

Jean-Guy LeBel Professeur retraité/associé

Département de langues, linguistique et traduction Université Laval

Québec, Canada

[email protected]

Conférence présentée lors de la Journée d’étude sur la phonétique des langues secondes, organisée par la Faculté de communication, École de langues, UQÀM, Montréal, le 1er avril 2011.