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1/21 Rapport de la Commission européenne sur l’application de la Directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle Réponse des Barreaux français Bruxelles, le 30 mars 2011 La Délégation des Barreaux de France, basée à Bruxelles, est la représentation, auprès des institutions européennes, du Conseil National des Barreaux, du Barreau de Paris et de la Conférence des Bâtonniers. Elle représente ainsi l’ensemble des Barreaux et des avocats français, soit plus de 53 000 avocats. Les Barreaux français se réjouissent de la possibilité offerte par la Commission européenne de pouvoir formuler leurs observations sur le rapport du 22 décembre 2010 sur l’application de la directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits fondamentaux. Les Barreaux français ont rédigé la présente réponse, qui répondra aux points soulevés par la Commission dans son rapport et proposera d’autres pistes de réflexion sur l’application de la directive 2004/48/CE.

Rapport de la Commission européenne sur … caractère universel de l'Internet permet de commettre aisément toute une série d'infractions aux droits de propriété intellectuelle

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Rapport de la Commission européenne sur l’application de la Directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits

de propriété intellectuelle

Réponse des Barreaux français

Bruxelles, le 30 mars 2011

La Délégation des Barreaux de France, basée à Bruxelles, est la représentation, auprès des institutions européennes, du Conseil National des Barreaux, du Barreau de Paris et de la Conférence des Bâtonniers. Elle représente ainsi l’ensemble des Barreaux et des avocats français, soit plus de 53 000 avocats. Les Barreaux français se réjouissent de la possibilité offerte par la Commission européenne de pouvoir formuler leurs observations sur le rapport du 22 décembre 2010 sur l’application de la directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits fondamentaux. Les Barreaux français ont rédigé la présente réponse, qui répondra aux points soulevés par la Commission dans son rapport et proposera d’autres pistes de réflexion sur l’application de la directive 2004/48/CE.

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Index

1. Défis spécifiques de l'environnement numérique................................................................................................ 3

1.1- La nécessaire définition du rôle et de la responsabilité des acteurs de l’Internet et l’introduction d’une nouvelle catégorie d’acteurs de l’Internet , à savoir « les éditeurs de services »……………..3

1.2- Les problèmes de compétence territoriale des juridictions européennes concernant les atteintes

commises sur Internet………………………………………………………………………………..5 2. Le champ d’application de la directive ............................................................................................................... 7 3. La notion d'intermédiaires et l'applicabilité des injonctions................................................................................ 9

3.1- L’absence de définition de la notion d’ « intermédiaires »………………………………………....10 3.2- Les conditions de mise en œuvre des mesures à l’égard des « intermédiaires »…………………...10 3.3- La portée des injonctions…………………………………………………………………………...10

4. Le juste équilibre entre le droit d'information et la législation sur la protection de la vie privée...................... 11

4.1- Généralités sur le droit d’information…………………………………………………….………...12 4.2- Le moment de la mise en œuvre du droit d’information……………………………………..…….12

4.3- L’étendue du droit d’information…………………………………………………………...………13

4.4- La notion d’« échelle commerciale »………………………………….……………………………14

4.5- Faciliter la mise en œuvre du droit d’information sur Internet………………………..……………14

5. L'effet compensatoire et dissuasif des dommages-intérêts................................................................................ 15

5.1- Le calcul des dommages intérêts…………………………………………………………………...15 5.2- Sur la preuve du préjudice………………………………………………………………………….16

6. Mesures correctives ……………………………………………………………………………………………18 7. Autres points ..................................................................................................................................................... 19

7.1- La saisie-contrefaçon....................................................................................................................... 19

7.2- Le caractère contrefaisant des produits en transit et en transbordement.......................................... 19 Conclusion...............................................................................................................................................................21

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1. Défis spécifiques de l'environnement numérique

Le caractère universel de l'Internet permet de commettre aisément toute une série d'infractions aux droits de propriété intellectuelle. Des produits portant atteinte à ces droits sont offerts à la vente sur l'Internet. Les moteurs de recherche permettent souvent aux fraudeurs d'attirer les internautes pour leur proposer d'acheter ou de télécharger les produits qu'ils offrent de manière illégale. Le partage de fichiers dont le contenu est protégé par des droits d'auteur s'est généralisé, en partie parce que l'offre légale de contenus numériques n'a pas pu se développer au même rythme que la demande, notamment au niveau transnational, de sorte que bon nombre de citoyens respectueux des lois ont massivement enfreint le droit d'auteur et les droits voisins en téléchargeant de manière illégale et en diffusant des contenus protégés par le droit d'auteur. De nombreux sites hébergent des œuvres protégées ou facilitent leur diffusion en ligne, sans le consentement des titulaires des droits. Il pourrait être nécessaire, dans ce contexte, d'évaluer clairement les limitations du cadre juridique en vigueur.

La directive 2000/31/CE relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur1 (ci-après la « directive 2000/31/CE ») définit le régime applicable à certains acteurs de l’Internet, alors que le respect des droits de propriété intellectuelle est régi par la directive 2004/48/CE relative aux mesures et procédures visant à assurer le respect des droits de propriété intellectuelle2 (ci-après la « directive 2004/48/CE »). Ces deux textes ne définissent pas clairement les responsabilités de tous les acteurs de l’Internet en cas de contrefaçon de droits de propriété intellectuelle. Or, les Barreaux français considèrent qu’il est nécessaire de définir le rôle et la responsabilité de chacun des intervenants de l’Internet présents sur le territoire de l’UE, notamment lorsque les sites litigieux sont hébergés et édités en dehors de l’UE.

1.1- La nécessaire définition du rôle et de la responsabilité des acteurs de l’Internet et l’introduction d’une nouvelle catégorie d’acteurs de l’Internet , à savoir « les éditeurs de services »

La distinction classique « éditeur » / « hébergeur », résultant de la directive 2000/31/CE ne semble plus adaptée aux modèles économiques les plus récents et en particulier à l’avènement des moteurs de recherche, des sites collaboratifs du web 2.0 ou encore des sites d’enchères en ligne.

1 Directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur («directive sur le commerce électronique»), JO L 178 du 17 juillet 2000, p. 1–16

2 Directive 2004/48/CE DU Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle, JO L 157 du 30.4.2004, p. 45–86

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En effet, depuis quelques années, une insécurité juridique préoccupante tenant à la qualification jurisprudentielle incertaine de ces nouveaux opérateurs peut être déplorée, tant au niveau national que communautaire. Ceux-ci sont tour à tour qualifiés d’ « éditeur » ou d’ « hébergeur », sans que des critères précis soient dégagés pour les rattacher à l’une ou l’autre des catégories. Ainsi un certain nombre de décisions judiciaires récentes révèlent un malaise quant au régime de responsabilité qui doit être appliqué à ces opérateurs.

- A titre d’exemple, la Cour d’Appel de Paris a jugé, en 2006, que les sociétés Google (arrêt réformé par la Cour de cassation en juillet 2010) et Tiscali3 (arrêt confirmé par la Cour de cassation en janvier 20104), dès lors qu’elles « retiraient un avantage économique ou commercial de leurs services » devaient être considérés comme des éditeurs et pouvaient voir leur responsabilité engagée à ce titre. - A l’inverse, un très récent arrêt5 de février 2011, la Cour de cassation française a consacré le statut d’hébergeur de la plateforme de vidéo en ligne Dailymotion. - Dans le même sens, la Cour de justice de l’Union européenne, saisie de questions préjudicielles par la Cour de cassation française, a retenu le statut d’hébergeur de Google dans le cadre de ses activités liées au système Adwords6 . La notion d’avantage commercial procuré par des activités litigieuses – qui aurait conduit à plutôt admettre, en l’espèce, la qualification d’éditeur - n’a pas été retenue. Cet arrêt revient donc très largement sur la jurisprudence Tiscali précitée. - A la suite de cette décision, la Cour de cassation française a rendu plusieurs arrêts7, aux termes desquels elle a considéré que le prestataire de service de référencement, qui se borne à stocker des mots-clés et afficher les annonces, ne commet pas une contrefaçon. - Enfin, la Cour d’Appel de Reims, dans un arrêt du 20 juillet 20108, n’a pu explicitement rattacher ces opérateurs à l’une des deux catégories. Ainsi, elle a retenu que la plateforme d’achat-vente eBay proposait des « services de communication en ligne à objet courtage », activité à laquelle elle applique le régime de responsabilité de l’éditeur.

• La frontière entre les catégories d’hébergeur et d’éditeur est donc très incertaine.

Ce flou juridique préjudicie aux titulaires de droits, qui ne savent plus qui tenir pour responsable des atteintes dont ils sont victimes sur Internet et sert, au contraire, les intérêts des acteurs solvables, tels que Google ou Dailymotion, qui se retranchent derrière le régime

3 Cour d'appel de Paris du 7 juin 2006, Télécom Italia (Tiscali) /Dargaud Lombard, Lucky Comics 4 Cour de cassation, Civ. 1ère, 14 janvier 2010, Télécom Italia (Tiscali) /Dargaud Lombard, Lucky Comics 5 Cour de cassation, Civ.1ère, 17 février 2011 6 CJUE 23 mars 2010, Google France SARL et Google Inc. / Louis Vuitton Malletier SA (C-236/08), / Viaticum SA et Luteciel SARL (C-237/08) et / Centre national de recherche en relations humaines (CNRRH) SARL et autres (C-238/08), affaires jointes C-236/08 à C-238/08 7 Cour de cassation, Com., 13 juillet 2010 8 Cour d’appel de Reims Chambre civile, 1ère section, 20 juillet 2010, eBay France et International / Hermès International, Cindy F.

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protecteur du statut d’hébergeur. Ainsi, les Barreaux français affirment qu’il est urgent de redéfinir les statuts et responsabilités de chacun des acteurs d’Internet.

• En outre, les Barreaux français estiment opportune la proposition des sénateurs français consistant en la création d’une nouvelle catégorie, dénommée « éditeur de services », qui serait à mi-chemin entre celles d’éditeur et d’hébergeur9. Cette catégorie serait rattachée à toute « société qui retire un avantage économique direct de la consultation des contenus hébergés ». Le régime applicable à l’ « éditeur de services » serait alors un régime de responsabilité intermédiaire caractérisé par :

- l’obligation d’identification claire des personnes qui ont créé le contenu qu’il héberge et,

- l’obligation de mettre en place des moyens de surveillance des informations qu’il transmet ou stocke et de recherche des faits et circonstances révélant des activités illicites. En conséquence l’ « éditeur de services » ne verrait sa responsabilité engagée que dans la mesure où il aurait connaissance d’activités / informations manifestement illicites et qu’il n’agirait pas pour les retirer ou en bloquer l’accès. Cette « connaissance » ne résulterait pas, à la différence de celle de l’hébergeur, d’une notification extérieure, mais de la surveillance / recherche à la charge de l’éditeur de services. Le législateur devrait alors définir avec précision le degré de l’obligation dont serait débiteur l’ « éditeur de services ». Selon les Barreaux français, la création de cette nouvelle catégorie permettrait, d’une part, d’éviter de laisser certains opérateurs du web dans une situation d’incertitude quant à leur responsabilité et, d’autre part, d’améliorer la protection des titulaires de droits de propriété intellectuelle. De plus une telle clarification permettrait aux opérateurs d’assainir leur « business model », de développer une offre légale plus qualitative et satisfaisante pour le consommateur internaute.

1.2- Les problèmes de compétence territoriale des juridictions européennes concernant les atteintes commises sur Internet

Le développement très substantiel de l’e-commerce, par vocation transfrontalier et international, pose le problème de la compétence des juridictions européennes pour les sites Internet hébergés et édités hors des frontières de l’Union européenne. A ce titre, les règles de procédure civile françaises en matière délictuelle permettent au demandeur de saisir le Tribunal du lieu du fait dommageable ou celui du lieu où le dommage a été subi. Cependant, de manière tout à fait habituelle, afin d’échapper à leur responsabilité, les défendeurs soulèvent l’exception d’incompétence des juridictions françaises. La société

9 Rapport d'information du Sénat n° 296 du 9 février 2011 de Messieurs les Sénateurs Laurent BETEILLE et Richard YUNG, disponible à l’adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/r10-296/r10-2961.pdf

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américaine eBay peut, par exemple, se vanter d’avoir à son actif un certain nombre de jurisprudences sur cette question :

- Dans un arrêt du 2 décembre 200910, la Cour d’Appel de Paris a admis la compétence des juridictions françaises dès que le site – bien que son extension ne soit pas un « .fr » et que son contenu soit rédigé en langue anglaise - est accessible depuis la France. Ce seul critère de rattachement est satisfaisant et garantit une bonne protection des titulaires de droits qui peuvent ainsi poursuivre les actes dont ils sont victimes devant leurs juridictions nationales. - Toutefois, cette approche très protectrice des titulaires de droits de propriété a, par la suite, évoluée, comme en témoigne un arrêt du 3 septembre 2010 de la Cour d’Appel de Paris11, dans lequel cette juridiction a considéré « qu'il ne peut être attribué aux juridictions françaises une compétence systématique et générale tirée du fait que le réseau Internet couvre nécessairement la France ; qu'il convient en effet d'examiner s'il existe un critère de rattachement qui fonde la compétence territoriale de la juridiction saisie, c'est-à-dire en l'espèce, de caractériser l'existence d'un lien significatif et suffisant entre l'activité du site et le public en France et de montrer l'impact économique que celui-là est susceptible d'avoir en France ». En l’espèce, le lien a été jugé suffisant et la Cour a reconnu la compétence des juridictions françaises.

- Dans le même esprit, un très récent arrêt du 7 décembre 2010 de la Cour de cassation12 semble poser des indices plus exigeants pour admettre la compétence des juridictions françaises. En effet, selon cette décision, qui confirme l’arrêt déféré13, c’est la concordance de plusieurs circonstances (annonces rédigées en français, prix des produits en euros, livraison en France) qui permet de retenir la compétence des tribunaux français.

Ainsi, les Barreaux français considèrent qu’une clarification et une harmonisation des règles de compétence des juridictions nationales sont certainement utiles. Cependant, les Barreaux français se demandent si de telles mesures ne devraient pas relever non d'une refonte de la directive 2004/48/CE, mais plutôt d'un texte de portée plus large, à l’instar de la directive 2000/31/CE, afin que des règles de compétence uniques puissent s'appliquer à toutes les catégories de contenus illicites ou préjudiciables, et non seulement aux contenus contrefaisants.

10 Cour d’appel de Paris Pôle 1, 2ème chambre, 2 décembre 2009, eBay Europe, France et Inc / Maceo 11 Cour d’appel de Paris Pôle 5, chambre 2, 3 septembre 2010, eBay / Parfums Christian Dior, Kenzo Parfums, Parfums Givenchy, Guerlain 12 Cour de cassation, Com., 7 déc. 2010, Louis Vuitton Malletier (LVM) / eBay Inc et eBay international AG 13 Cour d’appel de Paris, 22 mai 2009, Louis Vuitton Malletier (LVM) / eBay Inc et eBay international AG

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2. Le champ d’application de la Directive

La Directive s'applique à toute atteinte aux droits de propriété intellectuelle protégés au titre de la législation européenne ou nationale et ne contient aucune définition des droits de propriété intellectuelle qu'elle couvre. Bien que cette approche souple offre plusieurs avantages, des interprétations divergentes de la notion de «droit de propriété intellectuelle» ont amené les États membres à demander à la Commission de publier une liste minimale des droits de propriété intellectuelle qu'elle considère comme couverts par la Directive. Même après la publication de cette clarification, il subsiste des hésitations quant à savoir si certains droits protégés en vertu de la législation nationale sont couverts ou non par la Directive. Ces incertitudes portent principalement sur les noms de domaine, les droits nationaux concernant des éléments tels que les secrets de fabrication (notamment le savoir-faire) et sur certains actes qui relèvent souvent du droit interne en matière de concurrence déloyale, tels que les copies parasites et d'autres formes de «concurrence à la limite de la loi». Ces formes de mauvaise conduite commerciale semblent également être en augmentation. Elles ont souvent des effets préjudiciables sur les titulaires des droits d'auteurs, sapent l'innovation et n'apportent que des avantages à court terme aux consommateurs. Il pourrait être utile d'approfondir l'évaluation de ce phénomène négatif et d'examiner la nécessité d'inclure, dans la Directive, une liste minimale des droits de propriété intellectuelle couverts.

Le considérant 13 de la directive 2004/48/CE prévoit que :

« Il est nécessaire de définir le champ d’application de la présente directive de la manière la plus large possible afin d’y inclure l’ensemble des droits de propriété intellectuelle couverts par les dispositions communautaires en la matière et/ou par la législation nationale de l’Etat membre concerné […] ».

L’article 2 de la directive 2004/48/CE, relatif au champ d’application, est libellé comme suit :

« 1. Sans préjudice des moyens prévus ou pouvant être prévus dans la législation communautaire ou nationale, pour autant que ces moyens soient plus favorables aux titulaires de droits, les mesures, procédures ou réparations prévues par la présente directive s’appliquent, conformément à l’article 3, à toute atteinte aux droits de propriété intellectuelle prévue par la législation communautaire et/ou la législation nationale de l’Etat membres concerné […] ».

En revanche, la directive ne contient pas de liste précisant les droits entrant dans son champ d’application. La seule indication permettant de déterminer les droits de propriété intellectuelle couverts par la directive est une déclaration 2005/295/CE de la Commission14, qui liste les droits de propriété intellectuelle en question.

14 Déclaration 2005/295/CE de la Commission concernant l’article 2 de la directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil relative au respect des droits de propriété intellectuelle, JO L 94 du 13 avril 2005, p.37

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• Or, s’agissant d’une déclaration, cette liste de droits est, par définition, non contraignante.

• Ensuite, cette liste, dans la mesure où elle n’est pas exhaustive, laisse subsister un certain nombre d’incertitudes :

- A titre d’exemple, l’article 1 g) du règlement 772/2004/CE concernant l'application de l'article 81 § 3 du Traité à des catégories d'accords de transfert de technologie15 prévoit que :

« Définitions

1. Aux fins du présent règlement, on entend par :

[…]

g) « droits de propriété intellectuelle », les droits de propriété industrielle, le savoir faire, le droit d’auteur et les droits voisins ;

[…] ».

Or, le savoir faire ne figure pas parmi les droits énoncés dans la déclaration 2005/295/CE. Se pose, dès lors, la question de savoir si le savoir faire doit être considéré comme un droit de propriété intellectuelle entrant dans le champ d’application de la présente directive. A ce titre, les Barreaux français s'interrogent cependant sur l'opportunité qu'il y aurait à rendre applicables au cas d'atteintes au savoir-faire toutes les dispositions procédurales de la directive 2004/48/CE, alors que celles-ci peuvent avoir des conséquences très lourdes et qu'elles n'ont pas été conçues pour s'appliquer à des situations où la définition et la portée des droits du titulaire ne sont pas clairement fixées par le droit de la propriété intellectuelle (ce qui entraîne nécessairement des débats complexes relatif à l'objet et à l'étendue de la protection).

- De même, il serait souhaitable de savoir si les contentieux relatifs aux noms de domaine (hors problématique de marque) sont concernés par la directive 2004/48/CE et si les noms de domaine peuvent être qualifiés de « dénomination commerciale », droit de propriété intellectuelle figurant dans la déclaration 2005/295/CE.

Ainsi, afin d’assurer une plus grande sécurité juridique quant au champ d’application de la directive, les Barreaux français estiment qu’il s’avère nécessaire d’y intégrer une liste précise des droits de propriété intellectuelle qu’elle couvre.

15 Règlement 772/2004/CE de la Commission du 27 avril 2004 concernant l'application de l'article 81, paragraphe 3, du traité à des catégories d'accords de transfert de technologie, JO L 123 du 27 avril 2004, p. 11-17

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3. La notion d'intermédiaires et l'applicabilité des injonctions

La Directive interprète de manière très large la notion d'«intermédiaires», pour inclure tous les intermédiaires «dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit de propriété intellectuelle». Cela implique que même les intermédiaires qui n'ont aucun lien contractuel ni aucune relation avec le contrevenant sont soumis aux dispositions prévues par la Directive. Or, le niveau de preuves qu'exigent les tribunaux dans les États membres est en général relativement élevé. Il subsiste en outre des incertitudes en ce qui concerne les intermédiaires et les mesures spécifiques dont ils relèvent lorsqu'ils contribuent ou facilitent une infraction, indépendamment de leur responsabilité. Les intermédiaires qui transportent des marchandises soupçonnées d'enfreindre les droits de propriété intellectuelle (tels que les transporteurs, les transitaires ou les agents maritimes) peuvent jouer un rôle crucial dans le contrôle de la diffusion de marchandises portant atteinte aux droits de propriété intellectuelle. Les plates-formes Internet telles que les marchés en ligne ou les moteurs de recherche peuvent aussi jouer un rôle essentiel dans la réduction du nombre d'infractions, par le biais notamment de mesures de prévention et de politiques de «notification et retrait». Les fournisseurs de services Internet influencent également de manière fondamentale la manière dont fonctionne l'environnement en ligne. Ils fournissent l'accès à l'Internet et relient entre eux les réseaux, hébergent les sites web et les serveurs. En tant qu'intermédiaires entre tous les utilisateurs de l'Internet et les titulaires de droits d'auteurs, ils se retrouvent souvent dans une situation compromettante en raison des actes illégaux commis par leurs clients. C'est pourquoi la législation de l'UE contient déjà des dispositions spécifiques limitant la responsabilité des fournisseurs de services Internet dont les services sont utilisés pour porter atteinte à un droit de propriété intellectuelle. Les mesures à prendre contre les intermédiaires concernent, notamment, le droit d'information, les mesures provisoires et conservatoires (par exemple les ordonnances de référé) ou les injonctions permanentes. La Directive laisse aux États membres la faculté de déterminer le moment et la manière d'émettre une injonction à l'encontre d'un intermédiaire. Pour que ce système soit efficace, il pourrait être utile de préciser que les injonctions ne devraient pas dépendre du fait que la responsabilité de l'intermédiaire ait été mise en cause. En outre, les résultats présentés dans le document de travail des services de la Commission accompagnant le présent rapport indiquent que les instruments législatifs et non législatifs actuellement disponibles ne sont pas suffisamment forts pour permettre de lutter de manière efficace contre les atteintes en ligne aux droits de propriété intellectuelle. La Commission pourrait examiner comment impliquer plus étroitement les intermédiaires, compte tenu de leur position favorable pour contribuer à prévenir les infractions en ligne et à y mettre fin.

La directive 2004/48/CE prévoit la mise en œuvre de procédures et sanctions non seulement à l’égard des auteurs d’actes de contrefaçon, mais également à l’égard d’une catégorie plus obscure qualifiée d’ « intermédiaires ».

La directive prévoit ainsi que les « intermédiaires »: - sont assujettis au droit d’information (article 8) ; - peuvent voir prononcer à leur encontre des mesures provisoires et conservatoires (article 9) ; - peuvent voir prononcer à leur encontre des injonctions permanentes (article 11).

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3.1- L’absence de définition de la notion d’ « intermédiaires »

L’application de ces dispositions pose quelques difficultés, dans la mesure où la notion d’ « intermédiaire » n’a été définie ni par le législateur communautaire, ni par son homologue français16. Cette situation est particulièrement critique dans l’environnement numérique – caractérisé par l’anonymat - où la coopération des agents techniques est souvent nécessaire pour poursuivre les actes de contrefaçon. Ainsi les Barreaux français souhaiteraient que soit, par exemple, précisé le point de savoir si les hébergeurs ressortent de la catégorie des « intermédiaires », visée par la directive.

3.2- Les conditions de mise en œuvre des mesures à l’égard des « intermédiaires »

Une autre incertitude réside dans la question de savoir si les mesures suscitées peuvent être sollicitées et accordées, nonobstant toute reconnaissance de responsabilité desdits « intermédiaires ». Le rapport de la Commission préconise, pour que le système soit efficace, de préciser que les injonctions ne devraient pas dépendre du fait que la responsabilité de l’intermédiaire ait été (les Barreaux français rajouteraient « puisse être») mise en cause. Selon les Barreaux français, une telle solution irait dans le sens d’un arrêt du 17 février 2010 de la Cour d’Appel de Paris, qui a jugé que « l'hébergeur qui fournit ses services au sens de l'article 8 de la directive 2004/48 du 29 avril 2004 relative aux droits de propriété intellectuelle, ou intervient dans la distribution de ces produits au sens de l'article L. 716-7-1 précité est donc condamné à cette production de pièces, peu important son ignorance de la nature contrefaisante de l'objet ».

3.3- La portée des injonctions Le rapport de la Commission soulève une difficulté relative à la définition, par le demandeur, des contours de sa demande d’injonction. A cet égard, les Barreaux français soulignent le caractère de précision très exigeant des tribunaux dans le cadre de l’octroi de cette mesure.

16 La directive 2004/48/CE a été transposée en droit français par la Loi n°2007-1544 du 29 octobre 2007de lutte contre la contrefaçon, Journal Officiel de la République Française du 30 octobre 2007, entrée en vigueur 31octobre 2007, et par le décret n°2008-624 du 27 juin 2008 pris pour l’application de la loi n°2007-1544 du 29 octobre 2007 de lutte contre la contrefaçon et portant modification du code de la propriété intellectuelle, Journal Officiel de la République Française du 29 juin 2008, entrée en vigueur le 30 juin 2008

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4. Le juste équilibre entre le droit d'information et la législation sur la protection de la

vie privée

Le droit d'information oblige le contrevenant ou une autre personne à fournir au titulaire de droits des informations sur l'origine et les réseaux de distribution des marchandises portant atteinte aux droits de propriété intellectuelle. La difficulté majeure concernant ce droit d'information est la nécessité de respecter la législation sur la protection de la vie privée et la protection des données à caractère personnel. Dans certains États membres, le droit d'information prévu par la Directive semble être accordé de manière très restrictive, en raison principalement des législations nationales sur la protection et la conservation des données à caractère personnel. Cette question pourrait mériter une attention particulière. Les législations nationales doivent également permettre aux tribunaux d'appliquer la législation de l'UE sur le respect des droits de propriété intellectuelle. Selon la Cour de justice de l'Union européenne, il faut parvenir à un juste équilibre entre les différents droits en jeu (tels que le droit à la protection des données et le droit de propriété, qui comprend les droits de propriété intellectuelle) étant donné que la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne reconnaît à la fois la protection des données et de la vie privée et la protection de la propriété intellectuelle comme des droits fondamentaux. Le cadre juridique européen sur la protection des données à caractère personnel, d'une part, et le respect des droits de propriété intellectuelle, d'autre part, sont sur un pied d'égalité, en ce sens qu'aucune règle ne prévoit que le droit à la protection de la vie privée devrait généralement primer sur le droit de propriété ou vice versa. Les législations nationales mettant les différentes Directives en œuvre doivent être donc conçues de manière à trouver dans chaque cas un équilibre entre ces droits, afin de garantir que les dispositions relatives au droit d'information puissent protéger efficacement les titulaires de droits sans compromettre les droits liés à la protection des données à caractère personnel. Il pourrait être nécessaire de continuer à évaluer dans quelle mesure les législations des États membres et leurs modalités d'application sont conformes à ces exigences. Le cas échéant, on pourrait étudier des moyens de remédier à la situation et de parvenir à un équilibre adéquat entre les différents droits en jeu.

L’article 8 de la directive 2004/48/CE relatif au droit d’information prévoit que :

« 1. Les Etats membres veillent à ce que, dans le cadre d’une action relative à une atteinte à un droit de propriété intellectuelle et en réponse à une demande justifiée et proportionnée du requérant, les autorités judiciaires compétentes puissent ordonner que des informations sur l’origine et les réseaux de distribution des marchandises ou des services qui portent atteinte à un droit de propriété intellectuelle soient fournies par le contrevenant et/ou toute autre personne qui :

a) a été trouvée en possession de marchandises contrefaisantes à l’échelle commerciale ;

b) a été trouvée en train d’utiliser des services contrefaisants à l’échelle commerciale ;

c) a été trouvée en train de fournir, à l’échelle commerciale, des services utilisés dans des activités contrefaisantes ; ou

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d) a été signalée, par la personne visée au point a), b) ou c), comme intervenant dans la production, la fabrication ou la distribution des marchandises ou la fourniture de services.

2. Les informations visées au paragraphe 1 comprennent, selon les cas :

a) les noms et adresses des producteurs, fabricants, distributeurs, fournisseurs et autres détenteurs antérieurs des marchandises ou des services, ainsi que des grossistes destinataires et des détaillants ;

b) des renseignements sur les quantités produites, fabriquées, livrées, reçues ou commandées, ainsi que sur le prix obtenu pour les marchandises ou services en question. »

4.1- Généralités sur le droit d’information

Les Barreaux français considèrent que le droit d’information constitue une avancée majeure dans les systèmes juridiques européens, en particulier dans le système français.

En effet, de manière générale, les juridictions françaises statuent, jusqu'à présent, en matière de contrefaçon par une décision mixte qui tranche la question de la validité et de la contrefaçon et qui ordonne avant dire droit une expertise sur le préjudice résultant de la contrefaçon ainsi constatée. Ces expertises sont le plus souvent longues (1 à 2 ans) et peuvent donner lieu à des difficultés lorsque le contrefacteur refuse de fournir les documents permettant de réaliser une évaluation satisfaisante du préjudice. C'est pourquoi les Tribunaux sont de moins en moins enclins à ordonner des expertises.

En fait, les experts ne disposent pas de moyens efficaces pour obliger les contrefacteurs à communiquer tous les documents utiles pour la fixation exacte du préjudice.

La communication de certains documents au titre du droit d’information, qui peut être ordonnée sous astreinte dans le jugement qui tranche la question de la contrefaçon, permet désormais au titulaire de ce droit d’obtenir très rapidement les informations nécessaires pour l’évaluation de son préjudice. Elle a donc pour effet positif :

- d’accélérer considérablement les procédures d’évaluation du préjudice ;

- de permettre de réparer beaucoup plus exactement ce préjudice ;

- d’inciter les parties à trouver une solution amiable au litige (dès lors que les documents transmis au titre du droit d’information permettent aux deux parties d’avoir une vision claire sur le préjudice réparable).

4.2- Le moment de la mise en œuvre du droit d’information

• L’article 8 de la directive ainsi que les dispositions de droit interne le transposant disposent que le droit d’information a pour finalité la preuve de l’origine et des réseaux de

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distribution des produits qui « portent atteinte » à un droit de propriété intellectuelle ; le même article prévoit que le droit d’information concerne les marchandises « contrefaisantes ». Cependant, ces notions ne sont pas définies dans la directive.

• Les Barreaux français considèrent qu’il subsiste des incertitudes sur le moment de la mise en œuvre du droit d’information. En effet, reste posée la question de savoir si ce droit d'information peut être exercé avant que le juge ait constaté la contrefaçon dans une décision au fond. En particulier, il s'agit de savoir si la communication de documents au titre du droit d'information peut être ordonnée dans une ordonnance du juge de la mise en état, en référé ou sur requête.

- Selon l'opinion majoritaire, les termes « produits ou procédés contrefaisants » signifient nécessairement que le droit d’information ne peut être ordonné qu’après une décision au fond. Cet argument de texte exclurait la compétence du juge des référés pour ordonner la communication de documents au titre du droit d'information.

- Selon l'opinion minoritaire, cette interprétation serait contraire aux travaux préparatoires de la loi du 29 octobre 2007. En effet, dans son rapport17, le sénateur Béteille indiquait, concernant l’introduction du droit d’information, que :

« la procédure du droit d’information peut être mise en œuvre sur requête non-contradictoire, en référé ou au fond. L’expression « à la requête du demandeur » porte confusion et mérite d’être remplacée par une formulation qui ne préjuge pas de la procédure utilisée. »

Ces incertitudes sur le moment auquel le droit d’information peut être demandé (avant ou après le jugement établissant « l’atteinte ») ont, par exemple, conduit les différentes sections de la Chambre spécialisée du Tribunal de grande instance de Paris à rendre des décisions différentes18.

Les Barreaux Français estiment qu'il serait nécessaire de préciser quand le droit d'information peut être mis en œuvre. Ils estiment également qu'il serait nécessaire de préciser que le droit d'information n’est pas conditionné par la conduite préalable d’une saisie-contrefaçon et que sa mise en œuvre ne remplace, ni ne limite le droit du titulaire à user de la procédure de saisie-contrefaçon.

4.3- L’étendue du droit d’information

Les Barreaux français considèrent qu’il serait nécessaire de préciser que la liste des éléments susceptibles d’être demandés au titre du droit d’information prévue par la directive n’a pas un caractère exhaustif, voire de supprimer cette liste afin de laisser davantage de latitude aux titulaires de droits dans leurs demandes en fonction des circonstances d’espèce.

17 Rapport d'information du Sénat n° 296 du 9 février 2011, précité 18 Tribunal de grande instance de Paris, arrêts des 21 mars 2008, 18 septembre 2009 et 4 mai 2010

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4.4- La notion d’« échelle commerciale »

Les Barreaux français soutiennent qu’il serait opportun que la directive précise ce que signifie la notion d’« échelle commerciale », afin notamment de savoir si elle doit être comprise par opposition à la notion française de « cadre privé et à des fins non commerciales » prévue à l’article L. 613-5-a) du Code de la propriété intellectuelle en tant qu’exception à la contrefaçon.

4.5- Faciliter la mise en œuvre du droit d’information sur Internet

Afin de faciliter la mise en œuvre du droit d’information, il pourrait être utile que soit précisée la nature des informations ou données devant être stockées par les fournisseurs d’accès Internet et par les hébergeurs, à l’instar de ce que prévoit la règlementation française de 2004 relative à la confiance dans l’économie numérique19. Ceci permettrait aux tribunaux de pouvoir enjoindre efficacement aux opérateurs la production de données utiles quant à l’identification des contrefacteurs.

19 Loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, Journal Officiel de la République Française du 22 juin 2004, p.1-22

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5. L'effet compensatoire et dissuasif des dommages-intérêts

Les mesures, procédures et réparations prévues par la Directive doivent être effectives, proportionnées et dissuasives. A l'heure actuelle, les dommages-intérêts octroyés dans les affaires de droits de propriété intellectuelle restent comparativement faibles. Seuls quelques États membres ont signalé une augmentation des dommages-intérêts octroyés suite à la mise en œuvre de la Directive. Selon les informations communiquées par des titulaires de droits, l'octroi de dommages-intérêts ne semble pas réellement dissuader les contrevenants potentiels d'entreprendre des activités illicites. Ceci est particulièrement vrai lorsque les dommages-intérêts accordés par les tribunaux sont inférieurs au bénéfice engrangé par les contrevenants. L'octroi de dommages-intérêts vise principalement à placer les titulaires de droits dans la même situation que s'il n'y avait pas eu violation de leurs droits. Or de nos jours, les bénéfices des contrevenants (enrichissement indu) semblent souvent sensiblement plus élevés que le préjudice réellement subi par le titulaire des droits. En pareil cas, on pourrait examiner si les tribunaux devraient être habilités à accorder des dommages-intérêts proportionnels à l'enrichissement indu des contrevenants, même s'ils sont supérieurs au préjudice réel subi par le titulaire des droits. De manière analogue, il pourrait être justifié de recourir davantage à la possibilité d'accorder des dommages-intérêts pour d'autres conséquences économiques et pour le préjudice moral subi. Dans les cas où le contrevenant est une personne morale et que le titulaire des droits n'obtient pas des dommages-intérêts parce que le contrevenant ne possède pas d'actifs, a été mis en liquidation ou est insolvable pour tout autre motif, il pourrait y avoir lieu d'évaluer si le titulaire des droits peut réclamer des dommages-intérêts au directeur général de la société en vertu du droit interne, et dans quelles conditions le cas échéant. conditions le cas échéant.

5.1- Le calcul des dommages intérêts5.1- Le calcul des dommages intérêts

Il a été rapporté que l’évaluation des dommages et intérêts s’est améliorée depuis la transposition de la directive, notamment grâce à la diversité des méthodes de calcul qu’elle offre.

Les dommages-intérêts sont prévus par l’article 13 de la directive. Ainsi, le texte de la directive prévoit que :

- Les dommages-intérêts doivent être « adaptés » au préjudice ; ce terme ne semblant pas signifier que les dommages et intérêts sont limités à la seule réparation du préjudice subi par le titulaire des droits de propriété intellectuelle20.

- Il fait obligation aux juridictions de prendre également en compte « les bénéfices injustement réalisés par le contrevenant et, dans des cas appropriés, des éléments autres que des facteurs économiques, comme le préjudice moral causé au titulaire ». Les juridictions ont donc une large capacité pour allouer des dommages-intérêts allant au-delà de la simple réparation du préjudice subi et permettant de sanctionner le contrefacteur à hauteur des gains injustifiés qu'il aura réalisé.

En pratique, les dommages-intérêts alloués ne sont toutefois pas toujours suffisants pour compenser les dépenses engagées par le demandeur et leur effet est rarement dissuasif. Il 20 Voir toutefois sur ce point la réponse du Ministre de la Justice français à une question écrite du 12 novembre 2009 (PIBD 2009, n° 908, I, 248)

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arrive, en effet, fréquemment que le contrefacteur, même condamné à réparer l’entier préjudice du titulaire bafoué, demeure gagnant à l’issue de l’action en contrefaçon, car ses bénéfices ont été supérieurs aux gains manqués et aux pertes subies par le demandeur. Ceci résulte souvent de l’échelle particulièrement importante des actes de contrefaçon qui peuvent générer des gains très importants. A ce jour, les bénéfices réalisés par le contrefacteur sont pris en considération au titre des conséquences économiques négatives mais ceci n’est pas suffisant.

Ainsi, afin de réaliser l’objectif de dissuasion poursuivi par la directive et d’endiguer la tentation de commettre ces fautes lucratives, les Barreaux français estiment qu’il pourrait être opportun, ainsi que le préconise le rapport du Sénat21, de prononcer, lorsque le contrefacteur est de mauvaise foi, la restitution des fruits. Ce mécanisme, inspiré du code civil à l’égard du possesseur de mauvaise foi, constituerait un moyen de réparation satisfaisant et attractif pour les justiciables face au système anglo-saxon des dommages-intérêts punitifs. Les Barreaux français précisent, cependant, qu’il conviendrait alors de définir la notion de « mauvaise foi ».

5.2- Sur la preuve du préjudice

• L’article 6 de la directive 2004/48/CE prévoit que :

« 1. Les Etats membres veillent à ce que, sur requête d’une partie qui a présenté des éléments de preuve raisonnablement accessibles et suffisants pour étayer ses allégations et précisé les éléments de preuve à l’appui de ses allégations qui se trouvent sous le contrôle de la partie adverse, les autorités judiciaires compétentes puissent ordonner que ces éléments de preuve soient produits par la partie adverse, sous réserve que la protection des renseignements confidentiels soit assurée. […] »

Or, la question de l’ampleur du préjudice et de son entière réparation est intrinséquement liée à celle de sa preuve. A cet égard, les Barreaux français déplorent un certain nombre de difficultés quant à la constitution de la preuve. En effet, en pratique, de la même manière qu’en ce qui concerne le droit d’information, les tribunaux français ont de plus en plus tendance à ne pas accorder cette mesure au demandeur qui n’a pas fait procéder à des opérations de saisie-contrefaçon avant l’engagement de l’action au fond. Cette restriction a pour conséquence que le demandeur à l’action en contrefaçon qui n’a pas fait diligenter de saisie-contrefaçon est placé, dans la mise en oeuvre de ses droits procéduraux, dans une situation discriminatoire par rapport au demandeur de droit commun. Par conséquent, les Barreaux français estiment, qu’afin d’améliorer la réparation du préjudice, il convient de clarifier ce point en rappelant que le juge peut évidemment ordonner la production d’éléments de preuve détenus par les parties, indépendamment de la saisie-contrefaçon. Il s’agit , en effet, de deux mécanismes distincts et il est regrettable

21 Rapport d'information du Sénat n° 296 du 9 février 2011, précité

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que le fait qu’il n’ait pas été procédé à une saisie contrefaçon empêche les juges du fond de permettre à la partie requérante d’utiliser la procédure pour faire valoir ses droits.

• Par ailleurs, les Barreaux français soulignent l’existence d’une autre difficulté lorsque le droit d’information ou la production de pièces peuvent être mis en œuvre. Il s’agit de la définition précise des documents visés par la demande. En effet, les juges exigent du demandeur qu’il en précise la nature, le lieu et parfois même les références, alors même que ces informations ne sont pas à sa portée. Or, cette rigueur excessive est tout à fait préjudiciable aux titulaires de droits.

• En outre, les Barreaux français estiment qu’il convient de préciser la notion de « sous le contrôle de la partie adverse », prévue à l’article 6 de la directive, considérant que cette notion est ambigüe. En effet, cette rédaction ne permet, par exemple, pas de savoir si des pièces non directement détenues par la partie adverse mais par une de ses filiales doivent être considérées comme étant sous le contrôle de la première.

• Enfin, une certaine frilosité des titulaires de droits à produire aux débats certaines pièces justificatives, compte tenu de leur caractère hautement confidentiel, peut être constatée. En effet la production de ces pièces dans une instance implique, en vertu du principe du contradictoire, leur connaissance par la partie adverse, souvent un concurrent frontal du demandeur. Ainsi, les Barreaux français considèrent qu’une communication, sur le modèle de la procédure devant les Autorités de concurrence, pourrait être envisagée, afin d’encourager le demandeur à intégrer des éléments au dossier relativement à son préjudice. A ce titre, il résulte d’une étude publiée sur le site legalis.com22, comparant les pourcentages entre les sommes demandées et les sommes obtenues selon le type de réparation ou sanction, à partir d’un échantillon de décisions en matière de conflits de marques ou de noms de domaine, que les magistrats accordent plus facilement des sommes proches de celles demandées pour les dépens (66%) alors qu’ils réduisent de près de la moitié les prétentions des parties en matière de dommages et intérêts (45%). Ceci tend à confirmer que lorsque les demandes des parties sont justifiées (ce qui est le cas en matière de dépens) les juges accordent des sommes très proches de celles demandées.

22 http://www.legalis.net/spip.php?page=analyse_statistique&id_article=1469

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6. Mesures correctives Comme l'indique de manière plus détaillée le document de travail des services de la Commission, il pourrait être nécessaire de clarifier davantage la définition des «mesures correctives». Plus particulièrement, la plupart des législations nationales ne font pas de distinction claire entre le «rappel» et «la mise à l'écart définitive» des marchandises dont on a constaté qu'elles portent atteinte à un droit de propriété intellectuelle, pour les retirer des circuits commerciaux. Il conviendrait aussi de préciser comment appliquer ces mesures si les marchandises ne sont plus en possession du contrevenant. Enfin, pour ce qui est des coûts liés à la destruction des marchandises portant atteinte aux droits de propriété intellectuelle, on pourrait examiner comment veiller à ce que le tribunal puisse directement imposer ces coûts à la partie qui succombe.

• En ce qui concerne le rappel des circuits commerciaux, les Barreaux français soutiennent que se pose la question de la mise en œuvre pratique de cette mesure. En effet, si les produits contrefaisants ont été écoulés auprès du consommateur final, il semble très difficile d’envisager de les rappeler. En revanche, si les produits contrefaisants sont encore dans un réseau de distribution (qu’il soit propre ou non au contrefacteur), les produits contrefaisants pourront être retirés de ce réseau de sorte à ne plus être accessibles au consommateur final.

• De surcroît, dans l’hypothèse où cette mesure pourrait être mise en œuvre, une autre difficulté surgit vis-à-vis du contrefacteur : alors même que celui-ci aura versé des dommages-intérêts au titulaire du droit de propriété intellectuelle en réparation de son préjudice, il devra également rembourser le client qui lui aura restitué le produit. Une telle « double peine », si elle répond à l’objectif de dissuasion voulu par la directive, semble difficile à concilier, selon les Barreaux français, avec les mécanismes de la réparation en matière de responsabilité civile.

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7. Autres points

L'analyse de la mise en œuvre de la Directive par les États membres fait ressortir un certain nombre d'autres questions qui pourraient mériter un examen plus approfondi au niveau de l'UE. Premièrement, il semble que les États membres ont rarement repris les dispositions facultatives de la Directive (concernant les descriptions par exemple, prévoyant qu'un greffier se rende sur les lieux du contrevenant présumé et examine la situation. Dans certains Etats membres, cette disposition facultative de la Directive n'a pas été mise en œuvre pour les procédures civiles et ce type de mesure est donc uniquement applicable dans le cadre d'une procédure pénale). Plus rares encore sont les cas où les États membres, conformément à l'article 2, paragraphe 1, ont adopté des réglementations qui sont plus favorables aux titulaires de droits que les dispositions prévues par la Directive. Les raisons pourraient en être étudiées plus en détail. Le lien qui existe dans les réglementations des États membres entre l'exigence prévoyant que l'atteinte doit être commise à «l'échelle commerciale» (c'est-à-dire que l'infraction doit être commise dans le but d'obtenir un avantage économique ou commercial direct ou indirect) et le droit d'information nécessiterait également une étude plus approfondie. Deuxièmement, il pourrait y avoir lieu d'évaluer les options disponibles pour résoudre les problèmes liés à la collecte de preuves dans les affaires transnationales, de même que la nécessité de définir plus précisément dans quelle situation on peut considérer que des informations sont «sous le contrôle» d'une partie dans une procédure judiciaire (article 6, paragraphe 1). Il pourrait aussi valoir la peine d'examiner plus attentivement si les règles actuelles en matière de collecte de preuves dans des cas impliquant des renseignements confidentiels créent des problèmes dans la pratique, notamment dans le cadre de mesures provisoires et dans les cas où la notion de confidentialité diffère entre pays. Enfin, il pourrait y avoir lieu d'étudier l'intérêt d'harmoniser l'utilisation secondaire des marchandises portant atteinte aux droits de propriété intellectuelle, ainsi que les éventuels problèmes liés à cette harmonisation. onisation.

7.1- La saisie-contrefaçon7.1- La saisie-contrefaçon

• Concernant la saisie-contrefaçon, les Barreaux français estiment que la directive n’est pas suffisamment explicite quant à la possibilité de demander au juge l’autorisation de saisir l’intégralité des stocks des produits argués de contrefaçon avant qu’une décision contradictoire ne soit rendue. Or, cette possibilité serait particulièrement intéressante en matière pharmaceutique afin de pouvoir empêcher l’arrivée de produits contrefaisants pouvant affecter la santé publique.

• En outre, dans le cadre des opérations de saisie-contrefaçon, la directive n’établit pas clairement si, dans la mesure où l’huissier instrumentaire peut procéder à leur saisie réelle, il peut également procéder à la description des matériels et instruments utilisés pour produire ou distribuer les produits contrefaisants. Or, une telle précision paraît tout à fait opportune aux Barreaux français car, en ce qui concerne les moyens de la contrefaçon, une simple description suffit dans la plupart des cas.

• Par ailleurs, dans la mesure où l’article 7.1 de la directive prévoit que les preuves doivent permettre d’étayer les « allégations selon lesquelles il a été porté atteinte à son droit de propriété intellectuelle ou qu’une telle atteinte est imminente », les Barreaux français considèrent qu’il conviendrait de clarifier le fait que la saisie peut concerner aussi bien les preuves de l’atteinte au droit que celles de l’imminence de cette atteinte.

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- Par exemple, en France, l’article L. 615-5 du Code de la propriété intellectuelle vise « la contrefaçon », « toute personne ayant qualité à agir en contrefaçon » ainsi que les « produits ou procédés prétendus contrefaisants ». Ces dispositions ne semblent donc pas viser la possibilité de rapporter la preuve de l’imminence de l’atteinte alors que cette preuve est essentielle pour prévenir l’atteinte.

• Les Barreaux français ajoutent que l’accès par le saisissant aux documents saisis lors d’une saisie-contrefaçon n’est pas suffisamment clair aux termes de la directive.

- Par exemple, dans deux affaires parallèles en France et aux Pays-Bas, le juge français a jugé que le saisissant avait accès aux documents saisis dès la fin des opérations de saisie-contrefaçon (ce qui est la pratique habituelle en France), alors que le juge néerlandais a jugé que les documents ne seraient accessibles au saisissant qu’après qu’un jugement au fond ait été rendu23.

• Enfin, les Barreaux français soutiennent qu’il conviendrait de préciser que les preuves obtenues dans le cadre d’une saisie-contrefaçon réalisée dans un pays de l’Union Européenne peuvent être utilisées en dehors du pays où a été réalisée la saisie (sous réserve de l’admissibilité de cette preuve dans le pays étranger).

7.2- Le caractère contrefaisant des produits en transit et en transbordement

Bien que les produits en transit fassent l’objet du règlement 1383/2003/CE24 concernant l’intervention des douanes sur le territoire de l’Union Européenne, les Barreaux français estiment qu’il y a aujourd’hui une insuffisance législative concernant les produits contrefaisants qui ne peuvent être saisis en douane dès lors qu’ils ne sont pas destinés au marché commun. Il est donc nécessaire de prévoir dans la directive le caractère contrefaisant de ces produits placés sous le régime douanier du transit et du transbordement afin d’en permettre la saisie25.

23 Tribunal de grande instance de Paris, Ordonnance de référé rétractation du 30 septembre 2008, Abbott / Medtronic ; Tribunal de Maastricht, 29 juillet 2008, Abbott c. Medtronic 24 Règlement 1383/2003/CE du Conseil du 22 juillet 2003 concernant l'intervention des autorités douanières à l'égard de marchandises soupçonnées de porter atteinte à certains droits de propriété intellectuelle ainsi que les mesures à prendre à l'égard de marchandises portant atteinte à certains droits de propriété intellectuelle, JO L 196 du 2 août 2003, p. 7–14 25 Voir en ce sens le Rapport d'information du Sénat n° 296 du 9 février 2011, précité

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CONCLUSION Aux vues des considérations qui précédent, les Barreaux français estiment qu’il serait souhaitable que la Commission européenne envisage d'apporter certaines précisions à la directive 2004/48/CE et ce, afin de permettre une meilleure protection des droits de propriété intellectuelle. Les experts français ayant participé à la rédaction de cette réponse sont à la disposition de la Commission européenne pour une rencontre afin de développer les points soulevés dans la présente. Pour toute information complémentaire, veuillez contacter Anne-Gabrielle HAIE, Juriste à la Délégation des Barreaux de France.