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SARP Association pour l’aide psychologique, la recherche et la formation PROJET AENEAS Rapport final sur le volet recherche LES MIGRANTS SUBSAHARIENS EN SITUATION IRREGULIERE EN ALGERIE : CARACTERISTIQUES, PROFILS ET TYPOLOGIE Novembre 2008 Equipe de recherche KHALED Noureddine, directeur de recherche, SARP. HAFDALLAH Rafika, psychologue, attachée de recherche, SARP. GHARBI Houria, psychologue, attachée de recherche, SARP. Coordinatrice CISP : ADAM Carine Avec la participation de: MUSETTE Saib, sociologue, expert.

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Rapport de la_recherche_sur_les_migrants_subsahariens

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SARP

Association pour l’aide psychologique, la recherche et la formation

PROJET AENEAS Rapport final sur le volet recherche

LES MIGRANTS SUBSAHARIENS EN SITUATION IRREGULIERE EN ALGERIE : CARACTERISTIQUES,

PROFILS ET TYPOLOGIE

Novembre 2008

Equipe de recherche KHALED Noureddine, directeur de recherche, SARP. HAFDALLAH Rafika, psychologue, attachée de recherche, SARP. GHARBI Houria, psychologue, attachée de recherche, SARP.

Coordinatrice CISP: ADAM Carine

Avec la participation de: MUSETTE Saib, sociologue, expert.

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INTRODUCTION L‟équipe de la SARP travaille sur la problématique des migrations depuis plus de quatre ans, l‟intérêt ayant été suscité par le projet sur l‟aide aux retours volontaires comme une réponse parmi d‟autres à la situation sans perspectives dans laquelle se trouvent nombre de migrants en Algérie. Jusqu‟alors le travail de la SARP se concentrait sur les victimes de terrorisme (travail toujours d‟actualité d‟ailleurs), mais la situation particulière que les migrants vivent en Algérie, telle la détresse vécue ou le fait d‟être piégé sans possibilité d‟aller plus avant ni même de rentrer au pays suscita l‟intérêt de cette organisation. La problématique méritait qu‟on s‟y intéresse. Beaucoup d‟études ont déjà été réalisées sur les migrants, mais elles y portaient un regard sociologique, économique ou sécuritaire, mais aucune étude n‟avait encore , à notre connaissance, été réalisée par des psychologues et peu d‟entre elles ont touché un nombre important de migrants. Cette étude est donc unique en son genre, particulièrement en Algérie et au Maghreb. Elle va voir le jour en partenariat avec le CISP et a pour sujet d‟analyse les migrants subsahariens se trouvant sur l‟ensemble du territoire national. L‟élaboration de l‟échantillon a été aussi difficile que laborieux en raison de la précarité des conditions de vie des migrants, de leur grande mobilité ainsi que de leur intérêt à se rendre invisibles afin d‟échapper à la vigilance des services de sécurité. Une fois l‟échantillon délimité, il était enfin possible d‟appliquer un questionnaire mûrement élaboré, simple et exhaustif pour tenter d‟établir des profils descriptifs concernant les migrants subsahariens en Algérie, savoir qui ils sont, leurs origines, leurs trajectoires, leurs motivations, leurs conditions de vie, leurs projets et d‟autres informations encore. Ainsi 2.149 personnes ont pu être approchées, avec l‟aide des agents de proximité, parfois de même nationalité que les migrants, et ont ainsi répondu à ce questionnaire élaboré pour établir le profil de ces migrants. Quels itinéraires sont utilisés? Quelle est leur situation actuelle? Comment vivent-ils en Algérie? Quels sont les problèmes rencontrés? Y a-t-il une volonté d‟implantation en Algérie? Dans une seconde étape, partant des lacunes inhérentes aux questionnaire en tant qu‟outil de recherche extensive, et dans un souci d‟approfondissement des données quantitatives, nous sommes rentrés dans des considérations plus individuelles afin d‟essayer de comprendre, de manière approfondie, les récits de vie et les trajectoires personnelles : celles des hommes et celles des femmes, celles des migrants économiques, des migrants frontaliers et celles des réfugiés.

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Le présent rapport s‟articule autour de cinq chapitres : Le premier chapitre retrace un bref historique de la migration subsaharienne en Algérie et rappelle les dimensions sociologiques liées à ce phénomène. Il tente également de définir les concepts utilisés dans cette recherche et de poser la problématique générale. Le deuxième chapitre décrit avec précision la méthodologie adoptée aussi bien dans l'étude quantitative que dans l'étude qualitative. Il décrit le champ d'investigation, les outils d'investigation ainsi que les critères de choix de l'échantillon d'étude. Le troisième chapitre reprend en détail les données quantitatives pour tracer les profils sociodémographiques et socioéconomiques de la population d'étude. L'analyse des profils s'appuie essentiellement sur les résultats quantitatifs mais utilise le récit de vie des migrants pour illustrer ces résultats. Le quatrième chapitre "la migration subsaharienne au féminin" se penche essentiellement sur les caractéristiques propres aux femmes migrantes en les comparant à celles des hommes. Le cinquième chapitre essaie de construire et de proposer une typologie des migrations subsahariennes en Algérie selon deux dimensions:

- une dimension verticale qui comprend trois types de migrants : les migrants frontaliers, les migrants économiques et les migrants réfugiés;

- une dimension horizontale comprenant la migration de transit, la migration féminine et la migration de retour.

Enfin, dans la conclusion générale, nous tentons de synthétiser brièvement les résultats les plus importants de cette étude et d'ouvrir quelques perspectives pour l'avenir.

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CHAPITRE I

LE MOUVEMENT DES POPULATIONS SUBSAHARIENNES VERS L’ALGERIE

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Comprendre la genèse d‟un phénomène aussi complexe est un exercice capital pour aller vers des résolutions objectives à même de réguler les flux des populations au niveau de la sous-région. Dans ce chapitre, nous allons mettre en évidence quatre éléments qui nous semblent importants pour cerner le phénomène de la migration irrégulière en Algérie en provenance des pays sub-sahariens.

D‟abord, il y a lieu de situer la part de la migration régulière dans ces mouvements1.

La liberté de la circulation des peuples nomades, des Touaregs entre l‟Algérie, le Niger et le Mali obéit à des règles, historiques, admises par l‟ensemble des pays de la sous-région.

Puis, il y a lieu de relever certains faits politiques majeurs en Afrique qui ont en partie

contribué à la modification des mouvements de populations : la situation sécuritaire instable en Algérie lors des années 1990, le déclin économique en Afrique de l‟Ouest et la crise en Côte d‟Ivoire. Une rupture des mouvements initialement vers l‟Afrique de l‟Ouest2 allait s‟opérer au profit de l‟Afrique du Nord et notamment de l‟Algérie. Ensuite, la migration irrégulière est aussi une réponse, sinon une réaction, du reste prévisible, aux restrictions imposées aux africains pour entrer en Europe.

Enfin, depuis quelques années, face aux drames quotidiens des migrants, des

initiatives ont été prises d‟abord au niveau des pays du Maghreb. Puis des consultations informelles entre pays méditerranéens (Dialogue 5+5). Ensuite, l‟Europe a développé une assistance active vis-à-vis de plusieurs pays de la rive sud3, à travers son projet de « Politique de bon Voisinage » et le programme d‟aide à la recherche-action, dans le cadre du programme AENEAS, dans lequel le Maghreb est une zone prioritaire. Enfin, entre l‟Europe et l‟Union Africaine, un début de dialogue sur les questions de la migration internationale s‟est amorcé.

Ce positionnement du problème est un changement d‟optique dans la saisie des

déterminants de la migration africaine. On a toujours examiné les déterminants du côté de la «demande»4, mais il faut aussi examiner dans quelle mesure « l‟offre » peut induire aussi sa demande. Cette offre, notamment l‟opportunité d‟emplois en Europe, contribue à créer aussi sa propre demande et cet effet d‟appel n‟est pas sans incidence sur les flux migratoires venant des pays du Sud. Cette approche suggère notamment que les facteurs endogènes liés au processus migratoire (pauvreté, instabilité économique, politique ou sociale ...) ne peuvent à eux seuls expliquer le phénomène migratoire subsaharien en situation irrégulière au Maghreb et plus particulièrement son accroissement substantiel à la fin de la décennie 90.

1.1. Les hommes libres du Sahara

1 Il y a lieu de noter que le nombre de travailleurs migrants provenant du Niger et du Mali en situation régulière en Algérie, selon le RGPH (Recensement Général de la Population et de l‟Habitat) de 1998, est de l‟ordre 20 000 personnes. 2 Les mouvements des migrants subsahariens en Algérie ont connu une accélération à partir de 2002 (éclatement de la crise ivoirienne), date à laquelle les arrestations sont devenues plus importantes Cf. Données statistiques de la DGSN (Direction Générale de la Sûreté Nationale). 3 Cf. Jean Pierre Cassarino.2006. Expérience de développement en Afrique du Nord et modalités de participation des migrants », pp 209-226. in Musette Saib. Les Maghrébins dans la migration internationale, ed. CREAD, Alger 4 Mohamed Khachani. Les migrations clandestines au Maroc, Communication lors du « Séminaire tripartite sur les mouvements migratoires entre l‟Afrique subsaharienne, le Maghreb et l‟Europe », BIT, Rabat, les 26-27 avril 2006.

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La liberté de circulation des Touaregs obéit à des règles admises par l‟ensemble des pays de la sous-région. C‟est donc une migration régulière. Certes, il n‟est pas dans notre intention de revenir sur l‟histoire du peuplement de cet espace. Nous proposons trois éléments clefs qui constituent l‟architecture d‟une fusion sociétale stable. Autrement dit, toute tentative d‟interdiction de ces mouvements portera atteinte à l‟équilibre maintenu jusqu‟ici entre les peuples de cette région.

Conscient de cet enjeu, l‟Algérie indépendante a tout fait pour maintenir cet équilibre

au sud et ce, au prix de dérogations aux lois de la république. La liberté de circulation des Touaregs est maintenue dans tout l‟espace du Sahara. Les Touaregs sont dispersés entre l‟Algérie, le Mali et le Niger. Selon le recensement de la population algérienne (RGPH), les ressortissants du Mali et du Niger, établis en Algérie sont estimés à près de 20 000 personnes, dont 75% ont opté pour la nationalité algérienne5. La taille de la population des touaregs au niveau de la zone reste encore indéterminée. Cette faiblesse des données statistiques n‟élimine en aucun cas l‟existence de ce peuple, dont on sait qu‟une fraction importante réside dans les régions de Kidal au Mali et d‟Agadez au Niger.

La migration, au sens moderne du terme, obéit à des limites territoriales. Selon

l‟acception onusienne, la migration est un acte de changement de résidence, pour une durée d‟au moins une année, dans un pays autre que celui où l‟on réside habituellement. L‟Algérie indépendante devait déposer ses limites territoriales auprès des Nations Unies. Après de longues négociations, ces limites ont été arrêtées de concert avec les Etats du Mali et du Niger.

Les accords entre l‟Algérie et le Mali sur la délimitation frontalière datent de la

publication du décret 63-356 du 12 septembre 1963. Ce n‟est que vingt ans après que la loi portant approbation de la Convention relative au bornage des frontières est intervenue (Loi N° 83-09 du 21 mai 1983) et le décret N° 83-09, portant ratification de cette convention, publié au Journal Officiel le 28 mai 1983. Simultanément, des accords vont être établis avec le Niger avec la promulgation de la loi N° 83-08 du 21 mai 1983 portant approbation du bornage de la frontière d‟Etat et le décret N° 83-379, portant ratification de cette Convention, publié le 28 mai 1983. Mais, au-delà de ces Conventions sur le tracé des frontières, il y a un autre élément structurant les rapports entre les populations, celui de l‟économie. L‟économie des peuples nomades du désert obéit aux principes du troc. Ce système est maintenu et l‟Algérie a contribué, de différentes manières, à la régulation du fonctionnement de ce système, avec plusieurs instruments, entre autres, l‟arrêté interministériel du 14 février 1988, fixant les conditions et modalités d‟importation et d‟exportation de marchandises dans le cadre du commerce de troc frontalier avec le Niger, puis un autre arrêté interministériel en décembre 1994 qui fixe les modalités d‟exercice de troc frontalier avec le Niger et le Mali, modifié et complété en le 14 décembre 1995, puis encore récemment par un arrêté du 12 avril 1999.

La liberté de circulation des personnes est aussi admise avec la suppression de visa

pour les «migrations frontalières». La suppression de visa offre une certaine liberté de circulation des personnes mais pour des durées limitées. Au-delà, d‟une durée de 90 jours, l‟étranger qui désire s‟établir dans le pays et exercer une activité sédentaire doit régulariser sa situation auprès des services compétents.

5 Cf. Nacer Eddine Hammouda, 2005. Statistiques sur les migrations internationales en Algérie, BIT, Alger.

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D‟ailleurs la migration frontalière, dite aussi alternante ou saisonnière, étant de courte durée, est estimée non-pertinente pour les statistiques de la migration internationale6 et n‟entre pas dans la catégorie des travailleurs migrants, telle que définie par la Convention onusienne de 1990 sur les droits des migrants. L‟étude de Sassia Spiga7 sur le fonctionnement du marché du travail dans le Sud de l‟Algérie montre par ailleurs la nécessité de la main d‟œuvre migrante sub-saharienne saisonnière pour la pérennisation de l‟économie oasienne.

Toutefois, il n‟est pas dit que ces mouvements ne connaissent de perturbations. Des

afflux périodiques sont enregistrés de temps en temps mais assez vite régulés. Au lendemain de l‟indépendance, l‟Algérie a été confrontée à des flux en provenance des pays limitrophes en raison essentiellement de la sécheresse et des difficultés économiques qui ont sévi dans la région sahélienne. Le sud de l‟Algérie servait aussi de refuge pour les populations limitrophes lors des conflits au Niger et au Mali. Quatre centres d‟accueil ont été créés pour l‟hébergement et la prise en charge de ces réfugiés. Ces centres ont été fermés depuis, suite au règlement des conflits frontaliers (1998) avec le Niger et le Mali. Plus récemment encore, une révolte armée s‟est produite dans la région de Kidal au Nord du Mali. Des populations entières de la région, craignant le pire, se dirigent chaque fois vers le territoire algérien. L‟Algérie est sollicitée régulièrement par les rebelles et par le gouvernement malien comme médiateur dans cette crise.

Cet équilibre au niveau de la région a été mis à rude épreuve durant les années 1990.

Un nouveau mouvement de populations, venant de l‟Afrique de l‟Ouest, s‟est orienté vers le désert du Sahara. Certains se sont installés en Algérie, d‟autres ont tenté d‟accéder à l‟Europe par toutes les voies terrestres, maritimes ou aériennes à travers l‟Algérie, la Tunisie et le Maroc.

1.2. Rupture des mouvements vers l’Afrique de l’Ouest, réorientation vers l’Afrique du Nord

Initialement dirigés en grande partie vers la Côte d‟Ivoire les migrations africaines se

sont peu à peu réorientées vers l‟Afrique du Nord et notamment l‟Algérie. Certains faits politiques majeurs semblent avoir contribué à la modification de ces mouvements de populations en Afrique notamment : la crise en Côte d‟Ivoire, l‟instabilité politique en République Démocratique du Congo, les politiques migratoires libyennes8 et la situation sécuritaire instable en Algérie lors des années 1990.

6 Cf. Typologie des migrations internationales, UNDESA, 1998. 7 Cf. article de Sassia Spiga « les interrelations entre l‟immigration sub-saharienne et les activités économiques dans la Wilaya d‟Adrar, pp.227-249. in Musette Saïb. Les maghrébins dans la Migration internationale, CREAD.2006. 8 La Libye, sous embargo international (1992-2000), a mené pendant cette période une politique « pan africaine » encourageant les populations subsahariennes à venir travailler sur son territoire. En 2000, le pays a connu une forte réaction hostile aux immigrants après des confrontations violentes entre libyens et ouvriers subsahariens. Cet évènement a poussé le gouvernement à instituer des mesures répressives contre les immigrés (régularisations plus restrictives, détention prolongée et arbitraire des immigrés, expulsions forcées). Ces politiques restrictives couplées avec la levée partielle de l‟embargo, le dialogue ouvert avec l‟Europe et notamment avec l‟Italie ont mené à un déplacement partiel des routes migratoires transsahariennes vers l‟ouest en passant par l‟Algérie, le Maroc et la Tunisie. Enfin, les mesures répressives en Libye semblent avoir « encouragé » les migrants subsahariens à atteindre l‟Europe (notamment l‟Italie) depuis les côtes libyennes» in Hein de Haas. Migrations transsahariennes vers l‟Afrique du Nord et l‟UE : Origines historiques et tendances actuelles. Université d‟Oxford. MPI. Nov. 2006, page 3.

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En 1994, la Côte d‟Ivoire commence à basculer dans une crise latente. En 1996, la

République Démocratique du Congo entre dans une crise politique aiguë. Puis en 2002, la crise ivoirienne finit par éclater. Si la crise ivoirienne explique en grande partie la modification des mouvements de population dans la région de l‟Afrique de l‟Ouest, il ne faut pas écarter les migrations provoquées par les guerres civiles en Sierra Leone (1991-2001), au Liberia (1989-96 et 1999-2003) et les violences au Nigeria9.

En Afrique de l‟Ouest, la Côte d‟Ivoire est connue pour être un pays d‟immigration.

Selon les spécialistes10, dès l'époque coloniale de forts courants de migration vers la Côte d'Ivoire ont été organisés puis favorisés à partir des pays voisins. Ainsi, se sont constituées dans les villes et dans les zones rurales d'importantes communautés (burkinabée, malienne, guinéenne, nigérienne) complètement impliquées dans l'économie ivoirienne et indispensables à celle-ci11. Ces communautés se sentant en danger dans le climat de guerre des années 2000, des mouvements de départ ont eu lieu.

A partir de septembre 2002, date du déclenchement de la guerre civile en Côte

d‟Ivoire, les départs allaient devenir massifs12. La crise en Côte d‟Ivoire et le déclin économique qui l‟a précédée a également eu un impact sur l‟afflux de nouveaux immigrés en Côte d‟Ivoire. La Côte d‟Ivoire n‟était, en effet, plus en mesure d‟accueillir ces personnes et de leur offrir les opportunités d‟emplois qu‟ils recherchaient auparavant dans ce pays, aussi, les mouvements migratoires dans la région se sont redirigés vers l‟Afrique du Nord. Une inversion des flux allait donc se produire en toute légalité dans le cadre des accords de la CEDEAO13, dont le Mali et le Niger sont parties prenantes. Ces Accords militent pour le principe de la libre circulation des biens et des personnes entre les pays de l‟Afrique de l‟Ouest. C‟est aussi un des principes de toute intégration régionale, à l‟image de l‟Union Européenne.

La crise en Côte d‟Ivoire, jusque là destination principale de la migration de main

d‟œuvre en Afrique de l‟Ouest, combinée avec un manque de destinations migratoires alternatives dans la région, ont incité un nombre croissant de ouest-africains à migrer vers

9 Hein de Haas. Op Cite. p. 3. 10 Marc Le Pape et Claudine Vidal sont chercheurs au CNRS, sociologues, co-auteurs de « Côte d'Ivoire, l'année terrible, 1999-2000 », Karthala, Paris, octobre 2002. 11 Au recensement de 1998, la Côte d'Ivoire comptait 26% d'étrangers. La communauté étrangère la plus importante est celle des Burkinabés (56% des étrangers) suivie des Maliens et des Guinéens. 12 D'après le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l'ONU, un demi-million de personnes environ ont quitté la Côte d'Ivoire entre septembre et avril 2002. On compte également quelques 750 000 personnes déplacées à l'intérieur du pays. C'est le Burkina qui, comme dans d'autres domaines, a été le plus durement touché. Avant même les derniers combats de l'an dernier, des dizaines de milliers de Burkinabés étaient déjà rentrés chez eux, fuyant les agressions de groupes ivoiriens déterminés à chasser les étrangers ou à s'approprier les terres cultivées par des immigrés. Depuis septembre, leur nombre à dépassé 200 000. La moitié d'entre eux environ a bénéficié de la campagne officielle de rapatriement menée par le Gouvernement du Burkina. Fin mars, environ 40 000 Maliens qui travaillaient en Côte d'Ivoire étaient rentrés chez eux. Le Ghana, dont les ressortissants en Côte d'Ivoire étaient moins nombreux, ne comptait fin février qu'environ 3 000 rapatriés, mais avait accueilli plusieurs milliers d'Ivoiriens et autorisé plus de 55 000 citoyens du Burkina, du Mali et du Niger à traverser le territoire ghanéen pour regagner leur pays d'origine. Cf. Ernest Harsch, 2003. Les ondes de choc régionales de la guerre en Côte d'Ivoire, in Revue Afrique Relance, Vol.17 /2 juillet 2003, page 7. 13 CEDEAO : Communauté Economique des Etats de l‟Afrique de l‟Ouest.

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l‟Afrique du Nord14. Si durant les années 1990, la voie était déjà ouverte à travers le Maghreb avec un volume assez faible, à partir de 1997, le volume s‟est accru de manière exponentiel, comme nous le montre le graphique suivant. Nous pouvons aussi observer un déclin à partir de 2003.

Cette modification des flux de migrants coïncide aussi avec une crise sécuritaire qui

perdure en Algérie. L‟Algérie est entrée en crise à partir de 1992 et celle-ci s‟est étendue à toute la décennie venant influer sur les formes de mobilité des personnes. En Algérie, du point de vue institutionnel, le contrôle des passages relève de la Police des Frontières mais sa capacité est limitée et les frontières très vastes. Durant la crise des années 1990, la sécurisation des frontières portait essentiellement sur la traque des terroristes et des contrebandiers. De fait, la surveillance des frontières du grand sud s‟est réduite. Cela a simultanément accru la porosité des frontières aux afflux de migrants subsahariens15.

Pendant la fin de la décennie 1990 et le début des années 2000 on a observé une

augmentation des flux de migrants sub-sahariens à travers le Maghreb. Les réseaux se sont multipliés. Le nombre d‟arrestations a connu une accélération ces dernières années. On compte plus de 40 nationalités parmi les personnes arrêtées en 2005 en Algérie. Selon les autorités algériennes, 6 000 personnes en moyenne ont été arrêtées entre 2002 et 2006, contre seulement 150 arrestations en moyenne annuelle de 1990 à 200216.

Les migrants convergent vers les Wilayas d‟Adrar, d‟El Oued et notamment

Tamanrasset. Cette dernière wilaya est devenue le premier poste d‟entrée des migrants irréguliers. Les personnes arrêtées sont refoulées aux frontières – au poste In Geuzzam (Frontière du Niger) et de Tin-Zouatine (Frontière du Mali).

Les facteurs d‟instabilité politique, de pauvreté, endogènes en Afrique, ne sont pas

seuls explicatifs de cette montée de migrants vers le Nord. Face aux durcissements des contrôles et à la limitation des visas pour les Africains (et d‟autres en provenance d‟Asie), la voie terrestre est devenue un des moyens d‟accéder à l‟Europe, avec l‟aide des réseaux de passeurs qui activent aussi bien en Europe qu‟en Afrique et en Asie

14 Hein de Haas. Op. Cite. Page 3. 15 Lucille Baros et ali. 2002. L‟immigration irrégulière subsaharienne à travers et vers le Maroc, Cahiers des Migrations internationales N° 54F. BIT Genève. 16 Statistiques de la DGSN, janvier 2007.

Evolution des arrestations des migrants en situation irrégulière selon les autorités espagnoles.

Unité : en millier Source : Statistiques de l’Espagne citées par Mohamed Khachani, lors du « Séminaire tripartite sur les mouvements migratoires entre l’Afrique subsaharienne, le Maghreb et l’Europe », BIT, Rabat, les 26-27 avril 2006.

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1.3. Restrictions de l’Europe et réseaux actifs de passeurs pour les besoins des économies du Nord

La migration irrégulière est aussi une réponse, sinon une réaction attendue, aux

restrictions imposées aux africains pour entrer légalement en Europe. Ces restrictions vont amener une réorganisation des mouvements de personnes pour alimenter le marché du travail européen. Ces restrictions vont notamment donner naissance à l‟organisation de réseaux de passeurs tant au niveau de l‟Afrique qu‟au niveau de l‟Europe, pour satisfaire les besoins en main d‟œuvre des entreprises des pays du Nord17.

La position défendue par le représentant de l‟Espagne au Conseil de l‟Europe valide

partiellement cette hypothèse : « Ne soyons pas cyniques: il faut admettre que si nos sociétés offrent des postes de travail aux migrants, c’est parce qu’ils sont délaissés par les autres travailleurs. Que devons-nous faire quand un migrant clandestin trouve un travail et qu’il est sous contrat? C’est un homme qui travaille, qui jouit de ses droits civiques et certainement de travailleur. Il faut le régulariser. Mon pays, l’Espagne, est contre les régularisations massives. Lorsque mon gouvernement est arrivé au pouvoir, le chiffre des migrants avec contrat de travail s’élevait à 800 000. Que peut-on faire face à cette situation? Gonfler la sphère de l’économie souterraine? Nous, en Espagne, nous

traversons cette période difficile comme partout en Europe » 18. En fait, l‟essentiel des migrants africains (hors Afrique) est en Europe. Les raisons de

cette présence s‟expliquent par l‟histoire de la colonisation mais également par les sollicitations répétées de cette main d‟œuvre par les gouvernements européens lors des périodes de crise de main d‟œuvre ou durant les Guerres Mondiales. Le critère de sélection antérieur était l‟aptitude physique et la santé du migrant. Si les Etats européens mettent en place des restrictions sévères, avec la Convention Schengen, pour le contrôle de l‟arrivée des citoyens non communautaires, pour autant les restrictions ne sont pas totales.

La nouvelle stratégie européenne est fondée sur des nouveaux critères de sélection

des candidats à l‟immigration. L‟élite africaine est sollicitée, par le biais de politique d‟immigration choisie, pour combler le déficit en main d‟œuvre qualifiée de certains pays européens. Parallèlement à cela, ces restrictions donnent naissance à la formation de réseaux de migration irrégulière tant en Europe qu‟en Afrique qui viennent alimenter le besoin en main d‟œuvre bon marché des entreprises des pays du Nord. Ces dernières confrontées à la concurrence internationale cherchent à maintenir leur compétitivité en s‟appuyant sur cette main d‟œuvre irrégulière qui permet de réduire les coûts de salaires et les charges.

Les flux de migrants subsahariens irréguliers vers l‟Europe seraient assez

faibles par rapport aux migrants qui entrent par d‟autres voies. Le stock de migrants en situation irrégulière est estimé en 2006 à 5 millions en Europe19. Selon l‟estimation du HCR, le nombre annuel de migrants subsahariens qui transite en Algérie serait

17 Le rapport de l‟UNDESA (2000) sur les déficits de l‟Europe en main d‟œuvre étrangère pour maintenir sa croissance face au vieillissement de sa population, a conduit certains pays européens à développer une politique active de migration (migration sélective ou »choisie » des compétences africaines. 18 Cf. Conseil de l‟Europe 29e séance du 5 octobre 2006. Compte Rendu. 19 Cf. Conseil de l‟Europe 29e séance du 5 octobre 2006. Selon le Rapport de la Commission : « On évalue à cinq millions le nombre de migrants clandestins en Europe, ce qui pose de nombreux problèmes humanitaires et sur le plan des droits de l‟homme. »

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d‟environ 25 000 personnes en 200520, dont le quart est intercepté par les services de sécurité au Maghreb. Cette estimation sert de base de sondage, retenue dans ce rapport. Le volume moyen annuel de passages serait près de 10.000 sur un nombre de 400.000 à 500.000 personnes qui entrent illégalement en Europe chaque année par toutes les voies.

Le taux de passages d‟Algérie par voie terrestre vers les pays voisins (Maroc et Tunisie) serait au maximum 2,5%. « La migration en provenance du Maroc représente moins de 7% de l’ensemble des flux irréguliers qui arrivent en Espagne. Donc, dans l’absolu, c’est un épiphénomène qui est malheureusement amplifié et utilisé par certains lobbies »21. La population subsaharienne en situation irrégulière au Maroc est estimée à près de 10 000 personnes, selon les autorités marocaines22. Selon le Ministère des Affaires Etrangères italien (2006), « il y a environ 2,8 millions de migrants réguliers de 198 nationalités en Italie et près de 500.000 en situation irrégulière ».

La part des subsahariens dans cette migration n‟est pas spécifiée. Mais les

arrivées de migrants par les côtes italiennes sont estimées à 23 000 en 2005, soit 10 000 de moins par rapport à 2004. Cette baisse du côté italien s‟explique par des accords de surveillance conjointe avec les autorités libyennes23. En 2005, environ 120.000 migrants ont été interpellés en Espagne dont 10% ont été expulsés. Là aussi, la part des subsahariens dans cette population n‟est pas spécifiée. Selon les données des autorités espagnoles, sur un ensemble de près de 10 000 personnes arrêtées au niveau de la méditerranée en 2004, 34% venaient des pays subsahariens. Le mythe qui entoure les discours sur l‟envahissement de l‟Europe par les africains est aussi bien mis en évidence par d‟autres analystes (Pliez, 2006 ; Da Haas, 2007).

Le premier auteur affirme qu‟il y a bien une exagération des chiffres devant l‟impossibilité d‟une estimation satisfaisante : « Le nombre de migrants africains qui accostent en Europe demeure infime en dépit d’une forte médiatisation des naufrages et arrestations au cours des dernières années. Au regard des estimations récoltées, l’île de Lampedusa a vu passer 20 500 clandestins entre 2002 et 2004. A ce rythme là, il faudra plus de deux siècles pour que 2 millions de clandestins traversent à cet endroit la Méditerranée ».

De la même manière, De Haas met en évidence l‟existence de toute une littérature et des discours, notamment anglophone, affichant des données non vérifiées sur la migration subsaharienne : «It is a misconception that all or most migrants crossing the Sahara are “in transit” to Europe. In particular, Libya is an important destination country in its own right. There are probably more sub-Saharan Africans living in

20 « Selon les différentes estimations, entre 65.000 et 120.000 subsahariens entreraient le Maghreb (la

Mauritanie, le Maroc, la Tunisie, l'Algérie et la Libye) chaque année. » Cf. De Haas. Migrations Transsahariennes vers l'Afrique du Nord et l'UE: Origines Historiques et Tendances Actuelles,

Nov.2006. 21 Propos du Ministre marocain de l‟Intérieur Al Mostafa Sahel. Angola Press. Août 2005. http://www.bladi.net/6610-le-maroc-a-demantele-60-des-reseaux-d-immigration-clandestine.html . 22 Op. Cit. Données citées par Mohamed Khachani, 2006. 23 Cf. Hamood Sara (2006) African transit migration from Libya to Europe. The human Cost. Ed. American University of Cairo, Egypt. 76 p.

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North Africa than in Europe. An estimated 65,000 to 120,000 sub-Saharan Africans enter the Maghreb yearly overland, of which only 20 to 38 percent are estimated to enter Europe. The total number of successful irregular crossings by sub-Saharan Africans should be counted in the order of several tens of thousands, according to our estimates 25,000 to 35,000 per year. The majority of migrants enters Europe legally and subsequently overstays their visas. The total annual increase since 2000 of the registered West African population in the EU has been around 100,000. This is still relatively modest compared to a total EU immigration of 2.6 million in 2004. There are an estimated 800,000 registered West African migrants in the main receiving countries compared to 2,600,000 North Africans ».

La dernière estimation de l‟UE ne fait que complexifier la mesure des migrations irrégulière : « Le continent africain est le continent le plus exposé aux migrations. On peut estimer, compte tenu de l’imprécision des statistiques, que les migrations légales ou illégales provenant de l’Afrique subsaharienne à l’intérieur et à l’extérieur d’Afrique concernent 2 à 4 millions de personnes par an. Leur part augmente au détriment des migrations internes rendues plus difficiles par les conflits armés qui touchent de près ou de loin aujourd’hui 24 pays africains et la fermeture des frontières pratiquée par certains d’entre eux. Parallèlement, la fuite des cerveaux, l’image positive de l’Occident et l’existence dans certains pays d’une diaspora importante (facteurs pull), ainsi que la difficulté de trouver sur place un travail correctement rémunéré et le sentiment que l’Afrique est enfoncée dans une crise sans fin (facteurs push) se conjuguent pour amplifier ces migrations malgré les risques qu’elles font courir à ceux qui les entreprennent. » (Résolution EU N° 1611, 2008)

Les restrictions des pays européens à la migration régulière, amplifiées par des

discours alarmistes sur l‟invasion de l‟Europe par des africains, conjuguées avec la formation de réseaux de passeurs versant dans des actions anti-éthiques, sont à l‟antipode du respect des droits des migrants. Aucun pays européen n‟a encore ratifié à ce jour la Convention onusienne de 1990 sur les droits des travailleurs migrants. Mais, le drame humain qui survient régulièrement par les traversées des «pateras» interceptés ou naufragés, que ce soit dans le détroit de Gibraltar, aux îles Canaries ou sur les côtes de l‟île de Lampedusa, est largement médiatisé par les défenseurs des Droits de l‟Homme. La création, en Afrique du Nord, de «camps d‟accueil » des migrants et notamment des demandeurs de statuts de réfugié politique, pour le compte de l‟Europe, devait même permettre à certains pays européens d‟externaliser le traitement de la migration irrégulière.

1.4. Les pays du Maghreb appellent à des résolutions intercontinentales

Face aux drames quotidiens vécus par les migrants, des initiatives ont été prises

d‟abord au niveau des pays du Maghreb. Puis, des consultations informelles du Groupe dit des 5+524 sur la migration ont connu un rythme assez régulier ces dernières années (Tunis, 2002 ; Maroc, 2003 ; Algérie, 2004 ; France, 2005). Ensuite, vient l‟initiative du Maroc et de l‟Europe en 2006. Celle-ci a développé une assistance active vis-à-vis de plusieurs pays de la

24 Le Groupe ou Dialogue 5+5 est un instrument de dialogue politique informel qui réunit l'Algérie, l'Espagne, la France, l'Italie, la Libye, Malte, le Maroc, la Mauritanie, le Portugal, et la Tunisie. Le dialogue s‟est amorcé en 2002 par la Conférence de Tunis. Les membres du groupe 5+5 se réunissent autour d‟une approche globale des questions migratoires (gestion des flux migratoires, politiques d'intégration et co-développement) qui prenne en compte le respect des intérêts des pays d'origine et des pays d'accueil dans une dynamique de solidarité, de coopération et de développement.

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rive sud25, à travers son projet de « Politique de bon voisinage » et le programme d‟aide à la recherche-action, dans le cadre du programme AENEAS, dans lequel le Maghreb est une zone prioritaire. Enfin, l‟Unité Africaine s‟est également impliquée dans la gestion de la question migratoire.

Au niveau des pays du Maghreb, La Tunisie a été le premier pays du Maghreb

à adopter une loi très répressive26 contre la migration irrégulière, puis le Maroc aussi a promulgué une loi pour sévir contre les passeurs et les complices des migrants en situation irrégulières27. Tandis que le Maroc et la Tunisie ont opté très tôt pour plus de fermeté dans le traitement de cette forme de migration28, l‟Algérie a été le dernier pays du Maghreb Central pour adopter plus de rigueur dans le traitement de la situation des étrangers (2008) mais elle diffère encore son adhésion au programme de Bon Voisinage proposé à la négociation par l‟Union Européenne. Quant à la Libye, elle a opté pour une coopération étroite avec l‟Italie dans la surveillance des eaux territoriales, tout comme le Maroc avec l‟Espagne. La Mauritanie, dernier pays touché par le transit vers les îles Canaries, tente d‟obtenir une assistance particulière de l‟Espagne et de l‟Europe.

La législation algérienne portant sur le l‟entrée, le séjour et la circulation des

étrangers en Algérie est restée inchangée de 1966 à 2008 ! La loi algérienne N° 08-11 du 25 juin 2008 s‟aligne ainsi à la réglementation de la migration irrégulière de la Tunisie et du Maroc. Constitué de 52 articles, cette loi est assez sévère dans la pénalisation de la migration irrégulière, autant pour le migrant que pour le transporteur, l‟employeur, les complices et le logeur.

L‟étranger en transit est défini comme un non résident étranger. Est considéré

comme non résident, l‟étranger qui transite en Algérie, ou celui qui vient y séjourner pendant une période n‟excédant pas 90 jours, sans avoir l‟intention d‟y fixer sa résidence ou d‟y exercer une activité professionnelle. Ainsi tout étranger en transit ou l‟étranger qui bénéficie des dispositions de conventions internationales ou d‟accords de réciprocité, est dispensé du visa consulaire. Le transit, dans cette acception, ne concerne que certaines catégories de voyageurs – les marins à bord de navires, les personnes en voyage de transit à travers le pays. Ce qui est foncièrement différent de la migration de transit, qui elle, n‟a pas encore de définition dans le lexique de la migration. Les pénalités pour l‟étranger, l‟employeur, les logeurs sont plus ou moins les mêmes selon les dispositions pénales (chapitre 8, article 38 à 50). Les amendes varient entre 2 000 et 800 000 DA, et/ou des peines d‟emprisonnement de 2 mois à 10 ans.

25 Cf. Jean Pierre Cassarino.2006. Expérience de développement en Afrique du Nord et modalités de participation des migrants », pp 209-226. In Musette Saib. Les Maghrébins dans la migration internationale, ed. CREAD, Alger 26 La Loi de février 2004 ajoute un chapitre à la loi de 75 sur les titres et documents de voyages : cette loi réprime sévèrement toute aide à l‟attention des migrants clandestins. Monia Benjemia.2005. Etude de la législation tunisienne sur la migration internationale », BIT, Alger. 27 Cf. Khadija Elmadmad, 2005. Etude de la législation marocaine sur la migration internationale, BIT, Alger. 28 OIT, Les législations maghrébines sur la migration internationale, 2005 – Alger.

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La nouveauté de cette loi ne repose pas seulement par l‟aggravation des

peines mais aussi par, au moins, trois nouveautés : Le wali est enfin autorisé à procéder à l‟expulsion de tout étranger en

situation irrégulière, selon l‟article 36 « Sauf régularisation de sa situation administrative, l’étranger qui entre illégalement en Algérie ou qui se trouve en situation de séjour irrégulière sur le territoire algérien peut être reconduit aux frontières par arrêté du wali territorialement compétent ».

la création possible de « Centres d‟Attente » pour l‟hébergement des

migrants en situation irrégulière en attente des procédures d‟expulsion. Selon l‟article 37 « Il peut être créé, par voie réglementaire, des centres d’attente, destinés à l’hébergement des ressortissants étrangers en situation irrégulière en attendant leur reconduite à la frontière ou leur transfert vers leur pays d’origine ». Le placement dans ces Centres peut être ordonné par le Wali pour une durée de 30 jours, renouvelable en attendant l‟accomplissement des formabilités.

La forte pénalisation des mariages mixtes ou entre étrangers, surtout en

bande, dans le but d‟obtention d‟une carte de résident pour un étranger comme le stipule l‟alinéa 2 de l‟article 48 de cette Loi : « Lorsque l’infraction est commise en bande organisée, la peine est portée à dix (10) ans d’emprisonnement et à une amende de 500.000 à 2.000.000 de dinars. Les auteurs encourent également la confiscation de tout ou partie de leurs biens »

Outre ces dispositions réglementaires, l‟Algérie, à l‟instar de pays membres du

groupe informel 5+5, partage les mêmes résolutions adoptées lors de la rencontre d‟Alger en 2004 sur la nécessité d‟élargir les consultations sur la question de la migration internationale avec les pays sub-sahariens. Sur le plan global, ainsi est-il relevé dans les conclusions de la présidence du Groupe 5+5 « compte tenu de l’extrême complexité de la question de la migration, en particulier en ce qu’elle crée de liens intenses et renouvelés entre plusieurs régions du monde, les ministres ont estimé que le débat sur cette question doit nécessairement et selon des mécanismes concertés et appropriés, être élargi aux pays voisins d’Afrique sub-saharienne, également concernés par le phénomène de la migration irrégulière. Dans ce contexte, les ministres recommandent de dégager les termes de références d’une concertation avec l’ensemble des pays de la région, à l’effe t de permettre un traitement global et harmonieux de cette question. » Cette consultation a pris des formes différentes au sein des pays maghrébins.

Comme soulignés ci-haut, deux actions parallèles méritent une halte, celle du Maroc

et celle de l‟Union Africaine. A l‟initiative du Maroc, de l‟Espagne et de la France, une consultation des pays africains avec l‟Europe a été organisée à Rabat. La question de la migration clandestine a été au cœur de cette rencontre. Le Plan de Rabat adopté en juillet 2006 propose une série d‟actions. La question de la migration irrégulière occupe une section avec deux modes d‟intervention : il est proposé, en premier lieu, d‟organiser un programme de lutte contre la migration irrégulière et en second, d‟assister les pays de départ et de transit à mieux contrôler les frontières.

Par ailleurs, l‟Union Africaine propose un projet de plate-forme pour une

consultation Europe-Afrique sur la question de la migration. Lors de la réunion des experts

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de l‟Union Africaine à Alger (avril, 2006), la question de la migration irrégulière et le rôle des pays de départ et des pays de transit ont été examinés. Une première rencontre de haut niveau s‟est par ailleurs tenue entre l‟Unité Africaine et l‟Union Européenne au mois de novembre 2006 à Tripoli.

Pour conclure, ces quatre éléments constitutifs de la problématique des mouvements

des populations subsahariens au Maghreb imposent une extrême prudence quant au traitement des migrations irrégulières. Ces constats nous conduit inévitablement à poser des spécifiques aux problèmes des migrations irrégulières des subsahariens en Algérie, notamment quant à l‟existence d‟une migration frontalière institutionnalisée entre les pays riverains du Sahara et aussi par l‟existence des réfugiés selon les crises vécues au niveau de cette zone. Donc quelle est la nature actuelle de la migration subsaharienne en Algérie ? Quelle est sa composition, sa dispersion ? Quels sont ses caractéristiques ? Sont-ils tous en transit vers l‟Europe ? Quelle est la part des migrations frontalières ? Autant de questions qui nous serviront de fils conducteurs pour notre analyse de la migration subsaharienne vers et à travers l‟Algérie.

1.5. Cadre conceptuel et définitions de la migration irrégulière

La littérature actuelle fait appel à une série de notions pour l‟observation de ce

phénomène, souvent traduit par «migration clandestine», des «sans papiers» ou des «sans document», la «migration illégal » et la confusion s‟installe avec l‟inclusion des notions de la «traite» et de «trafic» des migrants. Toute notion repose sur un registre théorique. Sans prétendre à une revue de la littérature sur ce phénomène, nous proposons un examen succincte des quelques analystes qui suggèrent l‟adoption du concept de migration irrégulière qui repose en fait sur les principes des droits de l‟Homme et de la Convention des Nations Unies de 1990 sur les droits des travailleurs migrants et des membres de leurs familles. En 1975, le BIT a défini l‟irrégularité de l‟acte par «une situation dans laquelle se trouve un migrant au cours de son voyage, à son arrivée ou durant son séjour (et son emploi) dans un pays et qui se trouve dans des conditions contrevenant aux instructions ou accords internationaux, multinationaux ou bilatéraux pertinents ou à la législation nationale ».

Trois dimensions de l‟acte sont précisées. Les modalités mises en œuvre au

cours de son voyage signifie le défaut (i) d‟utilisation d‟un mode de transports réguliers (ii) de traverser par des couloirs frontaliers non-autorisés. A son arrivée dans le pays d‟accueil, le défaut de présenter des documents de voyage conformes à la réglementation en vigueur. Lors de son séjour, implique le défaut d‟avoir une situation (sociale, résidentielle, économique) acceptable sur le plan légal ou légitime sur le plan des droits humains.

A ce niveau, survient aussi de deux autres défauts: la durée de séjour et

l’emploi régulier pour les travailleurs. Le dépassement de la durée de séjour entraine ipso facto une situation d‟irrégularité. L‟acceptation d‟un emploi sans autorisation préalable (lorsqu‟elle est exigée) conduit à l‟irrégularisation même si le séjour est légal.

Sur la base de cette définition que le Tapinos (OCDE, 1999) arrête un modèle

d‟analyse, intitulé paradoxalement « clandestine migration », permettant d‟identifier

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les différentes formes des « migrations illégales » sous trois formes d‟illégalité : à l‟entrée, durant le séjour (notamment la résidence) et ensuite, l‟emploi. Il est à relever les confusions qui s‟installent par l‟auteur avec les différentes notions de clandestin et d‟illégal.

Il existe toutefois une brèche permettant de légitimer la migration irrégulière:

c‟est le cas notamment des demandeurs d‟asile, des déplacements forcés, des réfugiés, des apatrides. Lors d‟un conflit politique ou militaire, lors d‟une catastrophe naturelle, les personnes se déplacent légitimement sans les préalables réglementaires. L‟irrégularité de ces formes de migration est couverte par la Convention de Genève de 195229 portant sur les réfugiés et apatrides en attendant de statuer sur la situation réelle de la migration irrégulière.

Une revue intéressante de la littérature sur la migration irrégulière est

entreprise par A. Levinson30 (2005) avec une mise en perspective des possibilités de mesure de ce phénomène a postériori, c'est-à-dire à la suite des régularisations. La même posture est adopté par Papamédetriou, spécialiste américain de la « migration illégale »31. Tous ces auteurs admettent les difficultés de la mesure de la migration irrégulière. Nous avons plutôt des « guestimates », c'est-à-dire des estimations approximatives de ce phénomène, comme le souligne Piyasiri Wikramasekara, expert senior de l‟OIT.

Dans une étude récente de l‟IPPR32 sur la migration irrégulière, une distinction

nette est établie de ce concept onusien, utilisé notamment par ses agences, l‟OIM et l‟Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe), tandis que les notions de

o « migration illégale », a une connotation criminelle des situations de la

migration internationale qui relèvent notamment de l‟administration. Cette notion est largement utilisée par l‟Union Européenne.

o « sans papiers » ou « sans document » est assez ambiguë et introduit une certaine confusion entre migrants et réfugiés. Cette notion est souvent reprise par les ONG et les media

o « non-autorisé », notion propre aux personnes susceptible d‟une expulsion. Cette acception est utilisée notamment par les services de sécurité. Dans sa résolution 1509 (2006) l‟Assemblée de l‟Union Européenne adopte

définitivement le concept de migration irrégulière, s‟alignant ainsi sur la position onusienne des droits des migrants. L‟article N° 7 de cette résolution est sans appel :

« L’Assemblée préfère l’expression «migrants en situation irrégulière» à d’autres

comme «migrants illégaux» ou «migrants sans papiers». Cette expression est en effet plus

29 Cf La protection des réfugiés : guide pratique à l‟usage des parlementaire N0 2, 2001, HCR 30 Levinson A, 2005. “The regularization of unauthorized migration: literature survey and case studies” Centre on Migration, Policy and Society, University of Oxford, 2005. 31 D.G. Papamedetriou, 2005. The Global Struggle with Illegal Migration – no end in sight. Migration policy Institute Website. 32 Institute for public policy research (IPPR) :Irregular migration in the UK – a fact file, 2006

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neutre et, contrairement au terme «illégal», n’a rien de stigmatisant. Elle est aussi

l’expression que privilégient de plus en plus d’organisations internationales qu i traitent des questions de migration33. »

Les migrants en situation irrégulière bénéficient depuis 2004 des droits

humains universels avec l‟entrée en vigueur de la Convention des Nations Unies (1990) sur les droits des migrants et des membres de leurs familles. Cette Convention est venue combler un vide au niveau international et permet ainsi de cimenter l‟ensemble des Conventions Internationales : à commencer par la déclaration universelle des droits de l‟homme (1948), la convention internationale sur l‟élimination de toutes les formes de discrimination raciale (1965), le Pacte internationale relatifs aux droits civils et politiques (1966), le Pacte international aux économiques, sociaux et culturels (1966), La convention relative aux droits de l‟enfant (1989) la Convention no 143 de l‟OIT sur les migrations dans des conditions abusives et sur la promotion de l‟égalité de chances et de traitement des travailleurs migrants (1975). Puis au niveau régional, par exemple, les conventions européennes : la Convention européenne des Droits de l‟Homme (1950) (STE no 5), la Charte sociale européenne (1961) (STE no 35), la Charte sociale révisée (1996) (STE no 163) et la Convention du Conseil de l‟Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (2005) (STCE no 197).

La résolution 1509 (2006) du COE de l‟UE sur les droits fondamentaux des migrants en situation irrégulière est, à ce titre, assez éloquente: les migrants sont des droits civils et politiques, ils ont aussi des droits économiques et sociaux. Une lis te de 18 droits civils et politiques est établie partant du droit à la vie, en passant par le respect de la dignité de la personne humaine, et la non-discrimination raciale ou ethnique en matière d‟admission ou de refus d‟admission. Quant aux droits économiques et sociaux, une liste de 7 séries de droits minimaux est retenue : partant du droit au logement, à l‟équité dans la rémunération, à la protection sociale, à la santé, à l‟éducation des enfants et à la protection des personnes vulnérables.

Cette résolution cadre parfaitement avec les principes retenus par la Convention

des Nations Unies de 1990, soit plus de 16 ans après l‟UE adopte des résolutions qui restent encore inapplicable par les pays membres (R 1755) et l‟Assemblée est consciente « qu’un instrument juridique spécialement consacré aux droits des migrants en situation irrégulière a peu de chances de recueillir l’adhésion des Etats membres du Conseil de l’Europe, mais elle constate qu’il existe d’autres moyens de codifier et de préciser les droits minimaux des migrants en situation irrégulière. » (R1755 : article 2, 2006)

Ces quelques précisions conceptuelles, tirées notamment des Conventions

Internationales, des Résolutions tant onusiennes qu‟européenne devait nous permettre d‟aborder avec plus rigueur la question des migrations subsahariennes, notamment dans le cadre des Droits Humains.

33 La résolution 1509, http://assembly.coe.int/Mainf.asp?link=/Documents/AdoptedText/ta06/FRES1509.htm

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C‟est dans cette logique de prudence qu‟il nous semble indispensable de connaître le

profil des migrants subsahariens présents en Algérie. Ce diagnostic est nécessaire pour éviter des actions symptomatiques.

En fait, à ce jour, aucune étude approfondie n‟a été réalisée sur les migrants subsahariens

au Maghreb. Le CISP, accompagné par la SARP, a conduit quelques interventions lors de la réalisation d‟un projet précédent 34 qui visait la sensibilisation des migrants potentiels dans certains pays d‟origine contre les risques des migrations irrégulières et l‟aide au retour de migrants en transit en Algérie.

L‟analyse suivante présente la méthodologie d‟une enquête par questionnaire, de

type quantitatif, menée au premier trimestre 2006 auprès de plus de 2 000 migrants. Cette investigation est aussi soutenue aussi par une deuxième enquête par entretien, plus qualitative, conduit en 2007 auprès d‟une quinzaine de migrants subsahariens présents en Algérie.

34 Projet Jai/2003/hlwg/07 réalisé par le CISP et ses partenaires africains avec le soutien financier de la Commission Européenne.

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CHAPITRE II

APPROCHES METHODOLOGIQUES

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La méthodologie mise en œuvre pour la réalisation de cette étude est d‟une importance capitale pour cerner la valeur heuristique des résultats obtenus, ainsi que de leurs limites. Nous présentons d‟abord les techniques d‟investigation testées et retenues, puis les techniques d‟analyse des résultats obtenus.

2.1. L’enquête par questionnaire

Cette section présente de manière succincte, la population cible et le champ d‟investigation, les outils retenus, le contenu du questionnaire et la formation des enquêteurs. Nous intégrons aussi l‟approche de l‟enquête par entretien.

2.1.1. Population cible et champ d’investigation

La population d'étude est celle des immigrés subsahariens, en situation irrégulière, présents en Algérie sur l‟ensemble du territoire national. Constituer un échantillon représentatif de la population immigrée en situation irrégulière n‟est pas aisé. Cette population tente de se rendre la moins visible possible afin d‟éviter les services de sécurité. D‟ailleurs, un segment d'entre elle est très mobile et tente de continuer son périple vers d'autres étapes de transit ou vers l'Europe.

Pour essayer d'appréhender le mieux possible la réalité des migrants en situation irrégulière, nous avons constitué "l'échantillon d'étude" d'une manière très pragmatique. Avec l'aide d'un coordinateur de terrain et d'agents de proximité35, issus eux-mêmes de l'immigration subsaharienne et sélectionnés pour leur bonne connaissance de la réalité du terrain, nous avons procédé à l‟identification de 21 «poches» de migrants en Algérie.

Ces mêmes agents ont été recrutés comme enquêteurs et ont été chargés de passer les questionnaires selon la technique de boule de neige. L‟itinéraire et le nombre de personnes à interroger par site était fixé en fonction de la taille des poches identifiées.

2.1.2. L’outil d’investigation

Pour la conception du questionnaire, nous nous sommes inspirés des outils déjà existants appliqués à ce type de population:

Le questionnaire utilisé par le HCR, Haut Commissariat aux Réfugiés. Le guide d'entretien utilisé par la SARP, Association pour l‟aide

psychologique, la Recherche et la Formation. Le formulaire d'information utilisé par les agents de proximité employés par

CISP.

35

Cf. liste des enquêteurs en annexe.

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Certaines questions contenues dans ces trois outils ont été reprises et d'autres questions ont été ajoutées de manière à en faire un outil aussi exhaustif que possible. La version finale du questionnaire a été arrêtée après plusieurs examens. D'abord, il a été présenté à différents "experts": chercheurs, agents de proximité, personnes ayant acquis des compétences dans le domaine après avoir participé à des projets sur l'immigration. Leurs observations nous ont permis de modifier la formulation de certaines questions ou d'en rajouter d'autres jugées pertinentes. Ensuite, il a été testé, sur le terrain, sur une vingtaine d'immigrés subsahariens afin d‟assurer la facilité de compréhension des questions par les migrants et d‟évaluer la taille du questionnaire et le temps nécessaire pour sa passation.

Contenu du questionnaire Il comporte plusieurs séries de questions réparties selon les rubriques

suivantes : Identification : regroupe les renseignements personnels de l‟enquêté : sexe,

âge, nationalité, niveau scolaire, situation familiale, expérience professionnelle. Conditions de vie dans le pays d‟origine : concerne les informations sur la vie

du migrant dans son pays, en précisant la région d'origine, l'activité professionnelle et les revenus.

o Causes de l’immigration : replace le processus d‟immigration dans le temps (de l‟émergence de l‟idée d‟immigrer jusqu‟au moment de son exécution par le départ) ainsi que les causes du départ du pays d'origine.

o Itinéraire migratoire : regroupe toutes les informations sur le voyage depuis la sortie du pays d‟origine jusqu‟à l‟arrivée en Algérie, en retraçant l'itinéraire emprunté et en évaluant le coût, les conditions du voyage, les événements particuliers survenus lors du voyage et la destination choisie.

o La situation en Algérie : reprend les causes du choix de l‟Algérie, les sources de revenu, les contacts avec le pays d‟origine, les conditions d‟habitation, l'accès aux soins, les perspectives d'avenir (rester en Algérie ou partir ailleurs) ainsi que la perception que l'immigré a des algériens et la perception qu'il pense que les Algériens ont de lui.

2.1.3. Recrutement et Formation des enquêteurs

Afin d'uniformiser la méthode d'approche sur le terrain, les enquêteurs ont été regroupés pour une session de formation. La session de travail a permis de leur présenter, en détail, les objectifs de l'étude, le contenu du questionnaire et les procédures de passation. Cette rencontre a aussi permis de clarifier certains items du questionnaire et de préciser les informations demandées pour chaque item. Chaque enquêteur a été soumis à des séances de simulation pour évaluer son niveau de connaissance et de maîtrise du contenu du questionnaire et des objectifs de l'étude. Des consignes ont été arrêtées afin d‟encadrer le travail de terrain. Concernant les procédures de passation, nous avons insisté sur les consignes suivantes :

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Avant de procéder à la passation, l'enquêteur doit expliquer aux enquêtés l‟objectif de l‟enquête.

Il ne doit pas commencer la passation du questionnaire avant d'avoir obtenu leur adhésion et collaboration complète.

Les questions doivent être posées verbalement à l‟enquêté. Le questionnaire doit être passé individuellement. Il doit être rempli par l‟enquêteur lui même, quelque soit le niveau

d‟instruction de l‟enquêté. L'enquêteur doit inscrire fidèlement les réponses données par l'enquêté.

Le coordinateur de l'enquête sur le terrain était chargé de :

S‟assurer que chaque enquêteur maîtrise convenablement aussi bien le questionnaire que les consignes et les applique correctement.

Noter toutes les remarques et les difficultés rencontrées par les enquêteurs. Leur apporter un soutien pour identifier les solutions adéquates à leurs

problèmes afin d‟assurer la continuité du travail. Faire des rapports réguliers sur le déroulement de l'enquête et rendre compte

des difficultés rencontrées. Entretenir un contact permanent avec l'équipe de recherche.

2.1.4. Techniques d’exploitation des données

Les techniques d‟exploitation des résultats varient en fonction de la nature de l‟enquête. L‟enquête par questionnaire, dont la quasi-totalité des questions est fermée, a fait l‟objet d‟une analyse statistique sous SPSS. Par contre les résultats de l‟étude qualitative ont fait l‟objet d‟une analyse thématique selon les occurrences dans les entretiens.

. Réalisation de l’enquête, saisie et traitement des données

Le nombre total de questionnaires collectés a dépassé le nombre initial prévu,

2149 au lieu de 1650 prévus (voir tableau 1). On peut noter les observations suivantes :

Certaines poches, non prévues au départ, ont été rajoutées au cours de l'enquête. Il s'agit de Mostaganem, Sidi Bel Abbés, Laghouat, Timimoun, Biskra et Batna.

Certaines autres poches, prévues au départ, n'existaient plus au moment de l‟enquête tels que Maghnia et Beni Saf.

D'autres étaient peu accessibles. Le nombre de questionnaires était bien en deçà des prévisions à Ain Témouchent, 15 sur les 80 prévus, ou Ouargla 77/150.

A l'inverse, plusieurs autres poches ont été plus accessibles. Il s'agit d'Oran (402 questionnaires au lieu de 200 prévus, d'Alger (373 reçus au lieu de 250 prévus) et Tamanrasset (636 reçus pour 500 prévus).

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A leur réception, tous les questionnaires ont été examinés par le coordinateur de terrain et l‟équipe de recherche. Avant d‟être codés, certains ont été écartés car non conformes aux exigences de l‟enquête. Une tabulation de variables a été élaborée et réajustée régulièrement pour saisir les données. Les données collectées lors de l‟enquête ont fait, dans un premier temps, l‟objet d‟un tri à plat qui a permis d‟extraire certaines informations présentées au HCR dans un rapport préliminaire.

Après l‟élaboration de ce premier rapport, nous avons fait appel à l‟expertise d‟un statisticien pour nous appuyer dans l‟analyse des données. Le consultant statisticien recruté par le CISP a été chargé d‟effectuer certains traitements des données collectées (détection et nettoyage des doublons, correction des erreurs de saisie, codage des variables saisies en alphanumérique, catégorisation manuelle des variables qualitatives, catégorisation automatique des variables continues etc.). Dans un second temps, le statisticien a effectué des corrections pour pondérer l‟échantillon car nous étions en présence de deux types de sous représentations : l‟une volontaire, le taux de sondage au niveau de Tamanrasset était deux fois plus faible que celui des autres lieux d‟enquête (en raison du nombre important de migrants dans cette zone) ; et l‟autre involontaire, le nombre de femmes mariées était deux fois plus faible que celui des hommes mariés déclarant avoir leur femme en Algérie. Ces pondérations ont mécaniquement modifié les tris à plats précédemment effectués. Les données présentées dans le présent document tiennent compte de la pondération de l‟échantillon.

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Tableau 1: Répartition de la population d'étude

Sites Estimation Prévus Reçus Centre 2 500 250 373 Ouest 4 100 410 485

Sud 13 900 890 1 143 Est 1 000 100 94

Ensemble 21 500 1 650 2149

2.1.5. Difficultés rencontrées pour l’enquête par questionnaire

Le facteur temps. Le temps qui a été imparti pour ce travail de terrain (6 semaines) était insuffisant pour couvrir un si vaste pays, plus de 20 Wilayas - d‟El Tarf à Maghnia ; de Biskra à Adrar et d‟Alger à Tamanrasset. Cette insuffisance de temps a constitué une pression énorme sur les enquêteurs qui s'est répercutée, parfois, sur la qualité du travail lors de l'administration des questionnaires.

Le transport des questionnaires. L‟acheminement des questionnaires (parfois des centaines) d‟Alger à d‟autres wilayas n‟a pas toujours été facile. Nous avons du répondre plusieurs fois à des interrogatoires des services de sécurité à l‟entrée ou à la sortie des aéroports.

L’accès aux migrants et leur accord. L‟accès aux migrants n‟a pas été aisé en raison du refus des chairmans 36 ou de certains réceptionnistes d‟hôtels, de dortoirs ou de hammams37. De plus, certains migrants, méfiants, refusaient de se faire questionner tandis que d‟autres exigeaient de les remplir eux-mêmes. Pour les personnes analphabètes, la traduction a parfois posé de sérieux problèmes aux enquêteurs. Il faut aussi signaler que les femmes migrantes ont été difficiles d‟accès. En effet, celles-ci sont souvent dépendantes d‟un « tuteur », compagnon ou époux qui peut faire « barrage » aux personnes souhaitant s‟adresser à elles. Comme avec les chairmans, il fallait donc obtenir l‟autorisation de leurs tuteurs pour aborder avec un questionnaire les femmes migrantes. Ce problème d‟accessibilité explique en partie la faible présence de femmes dans notre échantillon.

Autres difficultés. Il est à souligner que certains migrants se sont montrés peu motivés par l'enquête qu'ils estimaient peu utile ayant déjà été sollicités, semble-t-il, par le HCR ou par des agents d‟Ambassade. En outre, la mobilité des migrants représente un énorme problème surtout pour les régions du sud. De même, la précarité de leurs conditions de vie a parfois perturbé ce travail d‟enquête auprès des migrants, qui terrassés par la faim et/ou la maladie, prêtaient peu d‟intérêt à cette enquête.

36

Chairman : « Chef » d‟un groupe de migrants, seul habilité à permettre ou faciliter l‟accès au groupe.

37 Les hôtels, dortoirs ou hammam sont des lieux de vie communs des migrants en Algérie, leur accès suppose une autorisation des réceptionnistes.

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2.1.6. Quelques observations de la réalité du terrain d'enquête Nous allons exposer, pour certains lieux d'immigration ou de transit, quelques observations sur les conditions de vie des migrants. Elles ont été rapportées par le coordinateur de terrain au cours de cette étude en février 2006. Djanet Djanet est une ville située dans le lit d‟un oued encastrée entre deux grandes chaînes de falaises. Pour rentrer à Djanet, les migrants sont souvent abandonnés par les conducteurs à plus de 20 Km et parfois même 40 Km de la ville. Ils doivent donc continuer le reste du chemin à pied. Beaucoup de migrants y vivent surtout les nigériens qui avoisineraient les mille personnes. Les nigériens sont les plus nombreux parce que leur objectif n'est pas spécifiquement d‟aller en Europe. Les maliens, eux, sont moins d'une vingtaine mis à part les touaregs qui, eux, sont nombreux et se confondent avec les autochtones. Mis à part les maliens et les nigériens, les autres nationalités sont très peu nombreuses, moins d'une vingtaine de personnes toutes nationalités confondues (camerounais, congolais, ghanéens, nigérians et ivoiriens). D'après les chairmans congolais et camerounais, ils ne sont jamais en grand nombre et ne cherchent pas à s‟établir à Djanet. Dès leur arrivée, ils continuent aussitôt vers la Libye, la Tunisie ou les grandes villes du nord algérien (Oran et Alger) aidés par les chairmans et quelques uns de leurs adjoints qui s'occupent des passages. A Djanet, les migrants maliens sont tailleurs ou manœuvres. Les nigériens vivent grâce à des activités précaires. Ils sont surtout manoeuvres ou petit commerçants (« trabendistes »). Ils gagnent l'équivalent de 50 à 100 euros par mois et font des sacrifices pour envoyer une partie de leurs revenus, tous les 2 à 3 mois, à leurs parents vivant dans le pays d‟origine. Leur problème majeur demeure, comme partout ailleurs, la traque des forces de police. Pour y échapper, ils louent des petites chambres délabrées dans des maisons vétustes où ils cotisent à plusieurs (parfois une dizaine d'individus) pour partager le loyer (10-15 € par mois). Ces lieux d'habitation sont très stratégiques pour eux, perchés à plus de 10% d‟inclinaison ils sont difficilement accessibles par la police sans la complicité des personnes connaissant ces lieux. Il y a des migrants âgés de 12 ans et d‟autres âgés de plus de 60 ans. Mais en général, leur âge moyen est de 25 ans environ. Les rafles à Djanet sont très fréquentes et imprévisibles d'après les migrants. Il est possible de passer plus de 40 jours dans les locaux des forces de sécurité dans des conditions inhumaines. Illizi Comme à Djanet les migrants qui arrivent à Illizi doivent faire une trentaine de kilomètres ou plus, à pied, avant de rentrer dans la ville. Illizi est une ville très compliquée puisque tout étranger, en règle ou non, doit aller au commissariat principal pour demander un " laissez-passer" s‟il souhaite prendre un taxi, un bus, ou une chambre d'hôtel. A Illizi, il y a beaucoup moins de migrants qu'à Djanet. Là aussi, les nigériens dominent en nombre, avec environ 35 individus. Les autres

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nationalités (maliens, congolais, camerounais, ghanéens, nigérians, ivoiriens… ) ne dépassent pas la trentaine. Il y a donc moins de 100 migrants à Illizi. Comme à Djanet, les nigériens ainsi que les autres migrants font ici du « trabendo » (petit commerce illicite) ou se font employer comme manœuvres dans les chantiers de construction. Il est extrêmement difficile de louer un logement à Illizi. C'est pourquoi l'écrasante majorité des migrants squattent des chantiers ou construisent des tentes de fortunes. Lors de notre passage à Illizi, la situation était difficile pour les migrants, car l'Oued avait débordé et inondé une bonne partie de la ville. Beaucoup de migrants avaient ainsi perdu leurs logis de fortune. Tamanrasset D'après les informations que nous avions obtenues auprès des migrants, de nombreux migrants nigériens et maliens vivent dans la ville de Tamanrasset. Une bonne partie de cette population migrante s'est fondue dans la population autochtone. Des quartiers entiers ou des marchés et centres commerciaux sont presque entièrement occupés par les maliens, nigériens et quelques nigérians. On doit noter une particularité dans cette ville, c‟est la présence notoire de la population migrante féminine. On les rencontre un peu partout surtout dans les marchés où elles étalent leurs condiments et autres légumineuses sèches. Il y a également des prostituées, des femmes de ménage, des restauratrices et d'autres femmes aux foyers car beaucoup de migrants ont ramené leurs femmes et leurs enfants et ont élu domicile à Tamanrasset. Les nationalités présentes à Tamanrasset sont très nombreuses. Il existerait plus d'une quinzaine de nationalités et la population migrante est estimée à plusieurs milliers de personnes (si l‟on prend en compte les migrants en transit et ceux inscrits dans une migration plus durable de type pendulaire). Certains parmi eux y vivent depuis 20 ans, d'autres se sont même mariés avec des autochtones. Cependant, les rafles n'épargnent personne pas même les migrants qui sont en règle et ceux qui résident à Tamanrasset depuis plusieurs années. Beaucoup de migrants travaillent dans des ateliers de couture, de soudure, de réparation de radio et télévision. Il y a aussi ceux qui sont dans les restaurants et les points de vente de la viande de mouton grillée à la nigérienne. Il parait qu'il est possible de payer l'intégralité de la somme nécessaire à la traversée pour l'Europe depuis Tamanrasset. On signale aussi beaucoup de cas d'escroqueries organisées avec la complicité des passeurs et des fraudeurs transporteurs algériens. Tamanrasset est un lieu de prédilection pour les passeurs en tous genres, la mafia et les réseaux de prostitutions. Les jeunes femmes qui partent en Europe dans le cadre de ces réseaux à partir de l'Algérie passent par Tamanrasset. Ces réseaux sont puissants et capables de ravitailler l‟Europe en migrants. Ils sont très organisés à partir des pays d‟origine et tout au long du parcours migratoire et s‟appuient sur les conditions de vie difficiles des familles ou la vulnérabilité des femmes migrantes pour les exploiter. On observe qu‟à Tamanrasset, les victimes des réseaux de prostitutions sont en majorité des nigérianes, guinéennes et ghanéennes. Les migrants ressortissants des pays limitrophes (Mali et Niger) sont mieux acceptés par les algériens que ceux des autres pays. Ainsi, un migrant malien ou nigérien peut

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louer une maison ou un atelier, ou encore faire son commerce à côté des algériens sans problèmes. En revanche, les autres nationalités ont plus de difficultés à fraterniser avec la population autochtone. Les congolais, les camerounais, les nigérians (non houssa), les libériens et autres sont parfois obligés de trouver refuge dans des tentes de fortune. Tamanrasset se distingue des autres localités par un mouvement incessant de populations migrantes. C'est la plus importante plaque tournante de l'immigration subsaharienne en Algérie. On remarque l'arrivée quotidienne de nouveaux migrants tandis que d‟autres partent pour continuer leur périple. Il y a ceux qui vont vers Djanet pour rejoindre la Libye et ceux qui continuent vers les villes du Nord. Ces derniers passent par Ghardaïa ou Ouargla pour atteindre Alger. L'Algérie n'exige pas de visa pour les maliens qui peuvent circuler librement. Les autres doivent verser l'équivalent de 300 euros environ aux passeurs pour circuler clandestinement. Ils peuvent aussi s'acheter un passeport malien pour l'équivalent de 190 euros. Ainsi, à part un certain nombre de nigériens qui arrivent avec de vrais visas, les migrants d'autres nationalités, se débrouillent, dans leur grande majorité, pour obtenir un passeport malien. Béchar La population migrante à Béchar est essentiellement composée de nigériens, de tchadiens, de maliens, de camerounais et de nigérians. En nombre, ce sont les nigériens qui dominent ils sont majoritairement issus d‟une même région du Niger, Tahoua. Ils viennent pratiquement tous du village de Salewa et leur arrivée à Béchar date de plus de 50 ans. Apparemment, ils vivent en symbiose avec les algériens de cette localité. Contrairement au reste des régions algériennes, à Béchar, ce sont les personnes âgées qui sont les plus nombreuses. Elles font du commerce au détail qui leur procure des revenus modestes. Toutefois, il existe des jeunes un peu plus actifs dont le revenu est sensiblement supérieur à celui des personnes âgées. La population migrante féminine est très rare. Ici les migrants sont presque tous des bricoleurs, à l‟exception de quelques tailleurs. Ils louent des habitations délabrées, entre 1000 et 2000 DA par mois et cotisent à 3 ou 4 pour payer le loyer. Adrar Depuis la destruction des ghettos de Maghnia par les autorités algériennes, Adrar a vu sa population migrante se multiplier et se diversifier. C‟est ici qu‟ont été regroupés les migrants de Maghnia, dans un camp provisoire, avant leur refoulement. Ils sont plus d‟un millier de toutes nationalités. Les maliens constituent la plus grande communauté migrante, puis viennent par ordre d'importance les nigériens, les nigérians, les tchadiens, les sénégalais, les camerounais, les guinéens. La majorité de la communauté migrante d'Adrar vit essentiellement de petits travaux sur les chantiers, du bricolage en tout genre et du petit commerce. A l‟inverse de Béchar, ici, il y a une forte proportion de femmes dont une majorité vit du commerce du sexe et évitent le contact avec toute personne étrangère à leur milieu. Comme à Béchar, les migrants louent des maisons vétustes et cotisent à plusieurs pour payer les frais.

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Naama Naama est un cas particulier, car c‟est à l‟occasion du marché hebdomadaire de la ville que les migrants se retrouvent. Ils sont environ une centaine, dont la majorité viennent des villes environnantes. Ils sont le plus souvent originaires du Mali, du Niger, du Nigeria et du Tchad. Timimoum Les immigrés de cette wilaya viennent essentiellement du Niger, du Mali, du Burkina, de Guinée, de Cote d‟Ivoire et du Sénégal. D‟autres sont justes de passage avant de regagner les villes du Nord. Ils cohabitent sans grands problèmes avec les autochtones et vivent du petit commerce de subsistance. La population migrante est jeune à Timimoun à l‟opposé de Béchar. Elle compte environ 300 personnes dont la moyenne d'âge est de 17 ans. Ghardaïa et Ouargla Ces deux villes représentent les passages obligés de presque tous les migrants qui veulent gagner les villes du Nord dont la plupart sont candidats à la traversée vers l‟Europe. Toutefois, il existe une frange de migrants, originaires surtout du Mali et du Niger, qui vit dans ces villes depuis des décennies. Toutes les nationalités sont pratiquement représentées. Les principales sont celles du Niger, du Mali et du Cameroun. Ces deux wilayas totalisent 2500 à 3000 migrants dont une proportion non négligeable de femmes. Leurs activités sont essentiellement le petit commerce, la broderie et le bricolage en tout genre. Ils logent dans des vieilles habitations comme à Béchar ou Adrar et dans des hôtels et hammams délabrés. Un point commun à toutes ces villes de la porte du désert est qu‟il existe un trafic d‟exploitation de mineurs originaires du Niger et du Mali. Ces enfants travaillent dur dans des conditions peu humaines pour 500 DA le mois (moins de 6 euros). Ce trafic serait l‟œuvre des convoyeurs tchadiens. Oran Après Alger, Oran est la deuxième ville du nord de l„Algérie en nombre de migrants sub-sahariens. Elle compterait plus de 2.000 migrants et ceci depuis que les frontières espagnoles méditerranéennes sont devenues infranchissables. En effet, avant cela, il n‟y avait à Oran que les trabendistes nigériens et des brodeurs maliens, nigériens, béninois, ghanéens et guinéens qui gagnaient bien leur vie. Actuellement, il existe une dizaine de nationalités dont les plus dominantes en nombre sont celles du Cameroun, du Nigeria, du Niger, du Bénin, du Liberia, du Mali et du Ghana. Il y a aussi, comme à Alger, des femmes et des enfants, notamment des nigérianes, des libériennes et des camerounaises. Dans le travail de proximité, approcher les femmes migrantes est extrêmement difficile car leurs partenaires ou leurs tuteurs ne leur permettent aucun contact avec les étrangers. Leurs enfants sont nés soit dans les pays d‟origine, soit au cours du trajet. A Oran, la majorité des migrants sont concentrés dans les hôtels du quartier Madina Djadida, à l‟exception des tailleurs - brodeurs qui sont hébergés par leurs employeurs. D‟autres s‟unissent pour louer des appartements délabrés dans de vieux quartiers. La majorité est jeune, mais on peut trouver des personnes de plus de 60 ans.

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Il y a deux occupations principales à Oran, le « trabendo » (petit commerce illicite) qui est du ressort des nigériens et la broderie que pratiquent certains nigériens, maliens, guinéens, béninois et ghanéens. Tous ceux qui ne sont donc pas brodeurs ou « trabendistes », ne déclarent pas leurs activités parce que, le plus souvent, ils pratiquent l‟escroquerie en tout genre. Quant aux femmes, elles sont le plus souvent des prostituées. Actuellement Oran est devenue la base arrière des passeurs depuis que les camps de fortunes de Maghnia ont été rasés par les services de sécurité algérienne. Il semblerait que les passeurs repliés sur Oran organisent des traversées vers le Maroc. La situation est devenue difficile pour les trabendistes et les brodeurs. Leur travail n'est rentable qu'en été et ils ne gagnent que le tiers de ce qu‟ils gagnaient il y a à peine 4 ans. Tlemcen et Maghnia Tlemcen comptait environ 400 migrants, ils étaient à peine une soixantaine au moment de l‟enquête : essentiellement des nigériens, maliens et ghanéens. Ils sont pour la plupart trabendistes (nigériens) ou brodeurs (nigériens et autres). Les trabendistes vivent dans des hammams délabrés, tandis que les brodeurs sont logés par leurs employeurs. Ces derniers gagnent beaucoup plus que les trabendistes; environ 20.000 à 30.000 DA par mois contre à peine 5000 DA par mois pour les premiers. Cependant, les brodeurs chôment pendant presque les ¾ de l‟année. A Maghnia, les ghettos qui abritaient des milliers de migrants de plusieurs nationalités sub-sahariennes ont été rasés par les autorités algériennes et il n‟en restait aucune trace au moment de l‟enquête. Comme s'ils n‟avaient jamais existés. Les migrants subsahariens avaient choisi Maghnia en raison de sa proximité avec la frontière marocaine, pays par lequel ils transitent vers l‟Europe. Cette ville était considérée aussi comme la base arrière pour ceux qui ont échoué dans leur traversée. Mais l‟Algérie accusée par le Maroc de complaisance vis-à-vis des immigrés clandestins a du démanteler les ghettos de Maghnia au mois de septembre 2005 sous la pression de l'Union Européenne. Les quelques refoulés du Maroc qui échappent à la traque policière sont épuisés par une marche de plusieurs jours et réduits à la mendicité. Mostaganem, Mascara, Sidi Bel Abes et Relizane Dans ces quatre localités de l‟Ouest, les migrants ne dépassent pas 300 personnes au total. Ils sont composés de trabendistes nigériens, de brodeurs maliens, béninois, ghanéens, burkinabés et de quelques camerounais qui ne déclarent jamais leurs activités. Dans ces localités, les migrants logent aussi dans des hammams ou sont hébergés chez leurs employeurs. Comme à Tlemcen, ici, les migrants, traqués par les forces de sécurité, se font rares. Constantine La population migrante à Constantine, ne dépasse pas actuellement les 300 personnes, en raison d‟une récente rafle qui a eu lieu dans presque tous les hôtels et les hammams où vivent les camerounais, congolais et nigériens. C‟est pourquoi on les trouve difficilement maintenant dans cette ville. Les nigériens sont au nombre de

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80 individus environ, les maliens au nombre de 50 et les burkinabés moins d‟une dizaine. En revanche, on trouve beaucoup plus de ghanéens 150 environ. Les ghanéens sont exclusivement des tailleurs brodeurs et sont dans leur grande majorité hébergés chez leurs employeurs. Les nigériens sont des "trabendistes", exerçant un petit commerce illicite et logent dans des hôtels vétustes. Les maliens sont des cordonniers et habitent le plus souvent dans des dortoirs ou cotisent pour louer une petite maison qui coûte l'équivalent de 50 à 60 euros le mois. Les burkinabés sont aussi des cordonniers, mais quelques uns sont des brodeurs. Les autres nationalités représentées à Constantine (congolais, camerounais et nigérians) étaient dans des hôtels. Il semble que leurs activités douteuses (escroqueries en général) aient provoqué la colère des forces de l‟ordre qui les ont chassés de la ville. Biskra A Biskra, il n‟y a que des ghanéens, des burkinabés et, plus rarement, des béninois. Ils sont tous brodeurs et presque tous hébergés chez leurs employeurs. A Biskra, les migrants subsahariens n‟ont aucune liberté de circulation et beaucoup restent pendant plusieurs semaines sans sortir de leurs ateliers de travail qui sont, en même temps leurs logements. Ceci est dû à la rigueur des services de sécurité de la ville qui pratiquent le refoulement systématique. Parfois, ils vont jusque dans les ateliers pour arrêter les migrants. Annaba et El Tarf D‟Annaba à El Tarf, on dénombre 11 nationalités de migrants subsahariens environ. Ils sont nigériens, maliens, nigérians, congolais, mauritaniens, ghanéens, béninois, tchadiens, ivoiriens, guinéens et camerounais. Mais, en dépit de cette diversité de nationalités, leur nombre total dépasse à peine la centaine d‟individus. Ceci est le résultat d‟actions d‟envergures menées, depuis 3 années environ par les services de sécurité qui pratiquent, comme à Constantine, le refoulement systématique. Ici les migrants sont, selon les nationalités, soit des trabendistes, soit des brodeurs ou cordonniers, comme à Constantine. Ils logent dans des hammams, des squats, des hôtels ou sont hébergés chez leurs employeurs. Alger Les migrants subsahariens dans la région d‟Alger sont estimés à 3000 individus environ. On dénombre une vingtaine de nationalités dont les plus importantes sont celles du Cameroun, Nigeria, Niger, Mali, Ghana, Liberia, Bénin, RDC, Cote d‟Ivoire, Guinée…. Les migrants qui vivent à Alger sont principalement des migrants de transit qui cherchent à rejoindre le Maroc, la Libye ou la Tunisie. A Alger, les migrants travaillent au noir. Il existe des trabendistes nigériens issus de la migration pendulaire qui gagnent environ 5€/jour, des tailleurs -brodeurs notamment les nigériens, les maliens, les guinéens, les béninois, les ghanéens et les sénégalais qui gagnent en moyenne 250 €/le mois. Les brodeurs sont logés et nourris par leurs employeurs algériens, ils vivent et travaillent dans leurs ateliers. Les manœuvres qui travaillent sur les chantiers sont de toutes nationalités, leur revenu est très aléatoire mais dans l‟ensemble ils gagnent moins que les trabendistes. La

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cordonnerie est la spécialité des maliens, des burkinabés et des ivoiriens, ils gagnent environ 5 €/jour. Certains migrants sont impliqués dans certains trafics illicites (faux billets, faux papiers etc.). A Alger, les migrants se regroupent dans plusieurs sites : Casbah, (Haute et Basse), de Bordj El Kiffan jusqu‟à Ain Taya et de Del Ibrahim jusqu‟à Ain Bénian. Dans la Casbah ils vivent dans de vieux hôtels, hammams ou dortoirs délabrés, entassés parfois à plus de 5 dans des chambres qui ne dépassent pas 2-3 m2. En été, certains migrants sont contraints de dormir à même le sol dans les couloirs, entre les lits ou encore dans les halls des hammams. Dans les autres sites d‟Alger les migrants vivent soit dans des ghettos (habitats de fortunes), soit ils louent des garages au niveau des villas avec des autochtones. Les plus « nantis » louent de vrais appartements mais toujours est-il qu‟ils payeront plus chers que des clients algériens. Il faut noter que depuis 2005 un changement s‟est opéré au niveau de ce phénomène, c‟est la féminisation progressive de la migration subsaharienne. En effet, nous estimons en 2007, la population migrante féminine à au moins 500 personnes pour la ville d‟Alger. Un autre fait notable est la présence de plus en plus importante de familles avec enfants. Il y a cinq ans ce phénomène ne s‟observait réellement qu‟à Tamanrasset. Les familles vivent essentiellement dans les quartiers périphériques de la ville. On observe enfin une forte augmentation du nombre de mineurs migrants dont la majorité est composée de jeunes filles introduites dans le circuit du travail du sexe.

2.2. L’étude qualitative: enquête par entretien semi directif

Cela consiste à amener la personne concernée, par des questions très ouvertes,

à parler spontanément de son histoire personnelle et à nous fournir les informations qualitatives qui nous permettrons de comprendre de manière approfondie le processus qui a poussé les personnes ou les familles à se lancer dans l'aventure migratoire en tenant compte de la particularité de chaque cas. Cette technique étant très ouverte et difficile, il est nécessaire de mobiliser des psychologues expérimentés pour mener les entretiens. Chaque récit nécessite plusieurs (4 à 5) séances d'entretien d'une durée moyenne d'une heure avec chaque cas. Connaissant l'état de méfiance des migrants en situation de clandestinité, la difficulté principale consistera à convaincre les personnes ciblées à accepter de participer à toutes ces séances d'entretien pour raconter leur vie avec beaucoup de détails. Présentation du guide d'entretien

Parmi les composantes de l'entretien, les points suivants ont été retenus.

Le passé du migrant dans son pays d'origine: famille, milieu de vie, éducation,

événements particuliers, place de l'émigration dans l'histoire familiale. Le projet migratoire: comment s'est-il constitué? Quels sont les éléments de

base de ce projet ? Motivations ?

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La trajectoire migratoire et les événements vécus durant le trajet. Chaque migrant a un vécu particulier du trajet et peut évaluer l'écart entre la réalité du voyage et ses représentations de départ.

La situation actuelle dans le pays d'accueil. Vécu et réalité. Le projet futur, les aspirations, avec quels moyens et quelle stratégie ?

Profils identifiés

Les profils identifiés sont nombreux et dépendent du critère retenu: économique, familial, ancienneté dans la migration, niveau d'étude, origine, psychologique (ayant vécu un événement traumatique particulier), catégorie d'âge, sexe et destination. L‟identification des migrants tente autant que possible d‟avoir accès à des migrants de différentes nationalités.

- Migrant économique (H-F): Alger (2)

Sont identifiés comme « migrants économiques » les individus qui déclarent avoir pris la décision d‟émigrer en raison des causes suivantes : chômage, revenus insuffisants, manque de perspectives socioéconomiques.

- Migrant réfugié: Migrant déclarant avoir émigré pour fuir des problèmes de sécurité, des problèmes d‟ordre public, ou des persécutions politique, ethnique ou religieuse et ayant soit le statut de réfugié du HCR ou le statut de demandeur d‟asile (après dépôt d‟une demande auprès du HCR).

- Migrant de transit : Migrants économique en attente de partir vers d'autre

pays que l'Algérie.

- Immigrant en Algérie: migrants qui déclarent vouloir rester en Algérie.

- Migrant pendulaire (spécifiquement pour Tamanrasset et la région du sud du pays): ce sont les migrants frontaliers qui font des aller-retour entre l'Algérie et le pays d'origine selon les saisons et leurs besoins économiques.

- Migrant célibataire vivant seul en Algérie: Migrant déclarant ne jamais

avoir été marié. - Migrant marié vivant en famille en Algérie: Migrant vivant en Algérie avec

une ou plusieurs femmes avec ou sans enfants.

- Migrant marié vivant seul en Algérie: Migrant dont la famille (conjoint ou conjoint et enfants) sont restés dans le pays d‟origine.

- Migrant de retour: Migrant qui déclare clairement vouloir retourner dans son

pays d‟origine.

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- Migrant mineur: migrant qui n'a pas atteint l'âge de la majorité (18 ans) au moment de son entrée en Algérie.

- Primo-migrant : Migrant dont c'est la première tentative d‟immigration.

- Migrant récidiviste: Migrant qui a effectué plusieurs tentatives

d‟immigration.

- Migrant de niveau universitaire: Migrant ayant un diplôme universitaire ou niveau équivalent, ayant fréquenté l‟université ou une école supérieure dans son pays d‟origine, en Algérie ou ailleurs.

- Migrant peu instruit: Migrant analphabète ou ayant fait une école primaire.

- Migrant frontalier: migrant originaire du Mali ou du Niger. - Migrant non frontalier: Migrant d‟un autre pays que le Mali et Niger.

- Migrant ex-étudiant en Algérie: Migrant en situation irrégulière depuis que

ses études se sont terminées ou que son visa a expiré.

Chaque migrant peut cumuler plusieurs de ces profils. Pour pouvoir les couvrir tous, il est nécessaire de tracer la trajectoire d'une vingtaine de cas (10 hommes et 10 femmes) plus deux familles.

Pour des raisons de difficultés de terrain, seuls 17 personnes ont été concernées par les récits de vie. Tous les critères se retrouvent plus ou moins dans les 17 personnes sauf celui de mineur que nous n'avons pu obtenir. Au total, nous avons fait des entretiens de récits de vie avec 17 migrants des deux sexes, à Alger (6 cas) et Tamanrasset (11 cas), 11 hommes et six femmes se répartissant comme suit selon la nationalité: Femmes: Cameroun (3), Congo (2), Niger (1). Hommes: Niger (4), Cameroun (2), Congo (1), Togo (1), Tchad (1), Libéria (1), Guinée (1). Les discours enregistrés ont fait l‟objet d‟une analyse thématique mettant en exergue les axes suivants : les réalités sociales et économiques dans le pays d‟origine, les motifs d‟émigration évoqués, le financement du voyage, les difficultés rencontrés lors du voyage, les conditions de vie en Algérie et les perspectives et projets d‟avenir.

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CHAPITRE III

PROFILS DES MIGRANTS SUBSAHARIENS EN ALGERIE

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Une première lecture (section 1) des résultats nous permet de préciser la dispersion géographique, selon les pays de départ et leur répartition territoriale en Algérie. Puis, cette population se distingue selon ses traits démographiques. De même, l‟activité économique de ces migrants est assez particulière. Enfin, les distinctions socioculturelles de cette population et de leurs conditions sociales actuelles en Algérie sont aussi intéressantes quant à la détermination des projets migratoires. Une deuxième lecture des résultats de l‟enquête (section 2) met en exergue une typologie des migrants subsahariens. Puis, d‟autres thèmes connexes sont exploités, à savoir le projet migratoire, les causes de la migration, le périple vers l‟Algérie avec ses difficultés et les perceptions des migrants.

3.1. Portrait des migrants subsahariens en Algérie

Cette première section est une tentative pour décrypter les principaux traits caractérisant les migrants subsahariens en Algérie. Différentes facettes de leurs profils sont esquissées, les lieux de concentration et leur provenance, le sexe et le groupe d‟âge, l‟activité économique, le revenu, les remises migratoires, la situation matrimoniale, le niveau d‟instruction, les conditions d‟habitation et le niveau de confort.

3.1.1. Caractéristiques sociodémographiques

Cette section révèle les traits sociodémographiques des populations subsahariennes en Algérie. Dans un premier temps, nous ferons état de sa répartition selon l‟espace «résidentiel», en Algérie puis dans les pays d‟origine. Ensuite, la structure démographique de cette population est esquissée selon la classe d‟âge et le sexe.

Dans le pays d’accueil, une large concentration des migrants au Sud

L‟enquête a été conduite dans plusieurs Wilayas du pays, qu‟on peut aisément regrouper en quatre régions. Selon les données finales de l‟enquête, la population globale touchée par l‟enquête compte 2048 personnes sur l‟ensemble des sites répartis sur tout le territoire national. C‟est la zone sud qui comprend le plus grand nombre (64%) avec les plaques tournantes de l‟immigration subsaharienne que sont les agglomérations de Tamanrasset et de Ghardaïa.

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L‟Ouest vient en deuxième position (19%) puisque c‟est le passage obligé pour les candidats à l‟émigration vers l‟Europe qui tentent de traverser la frontière marocaine. Le Centre, particulièrement Alger (12 %) attire surtout ceux qui sont à la recherche de travail pour se donner les moyens de tenter l‟aventure vers l‟Europe. Enfin, la zone Est du pays est la moins prisée par les subsahariens notamment car, d‟après nos observations, la traque policière y est plus systématique.

Les migrants se déclarent en majorité d’origine urbaine La majorité de la population immigrée de l‟enquête se déclare d‟origine urbaine (66%) et le tiers d‟origine rurale (34%). Mais une bonne partie de ceux qui se déclarent « urbains » est constituée par des personnes qui ont fuit les campagnes pour s‟agglutiner autour des villes à la recherche d‟un emploi avant de prendre la décision d‟émigrer vers des horizons plus cléments. Une écrasante majorité est constituée des hommes, mais la structure d’âge selon le genre est identique

La population d‟étude comprend une écrasante majorité d‟hommes par rapport aux femmes (86% contre seulement 14%). Bien que les subsahariens soient réellement beaucoup plus nombreux que les subsahariennes dans la population des immigrés clandestins, nous pensons que cette catégorie est sous représentée dans notre échantillon parce qu‟elle a été difficilement accessible aux enquêteurs. En effet, il semble que les femmes soient souvent dépendantes des hommes et plus difficiles à atteindre.

Figure 1 Répartition de la

population selon les zones d‟enquête en Algérie

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14%

86%

hommefemme

Figure 2. Répartition de la population par sexe

En observant la répartition de la population d‟étude par catégories d‟âge, nous remarquons que la grande majorité des immigrés se situe entre 26 et 40 ans. Ces deux catégories d‟âge regroupent plus de 67% de la population d‟étude. Les pourcentages augmentent beaucoup à partir de 25 ans et déclinent fortement après 40 ans. Les mineurs sont très peu nombreux et comme pour les femmes, ils ont été difficilement accessibles aux enquêteurs. Ils seraient tenus à l‟écart par des adultes méfiants.

0%5%

10%15%20%25%30%35%40%

moinsde 20ans

21 à 25ans

26 à 30ans

31 à 40ans

40 à50ans

plus de51 ans

hommefemme

Figure 3 Structure de la population migrante selon l‟âge et le sexe.

La décision d’émigrer peut être un projet personnel

On relève à travers la figure N° 4 que les aînés de la famille représentent la plus grande proportion parmi les enquêtés. Pour la population féminine, il semble que ce soit les plus jeunes de la famille qui émigrent le plus. Globalement, que l‟on soit l‟aîné, le deuxième ou le troisième de la famille, on est bien représenté dans la population subsaharienne en Algérie. Ceci pourrait signifier que la décision d‟émigrer ne serait pas seulement un projet familial où l‟aîné est désigné comme candidat à l‟émigration mais un projet plus personnalisé où les parents ne seraient pas les seuls à décider.

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0,05,0

10,015,020,025,030,035,040,045,0

1er 2ème 3ème

Homme %Femme %

Figure 4 : Répartition des migrants selon le sexe et le rang dans la fratrie

Les migrants étaient rarement au chômage dans leurs pays d’origine

Les immigrés n‟étaient pas inactifs dans leurs pays d‟origine, ils exerçaient en très grande majorité, une activité professionnelle (84,6% pour les hommes et 82,5% pour les femmes). Nous avons deux illustrations parfaitement opposées l‟une de l‟autre : l‟une démontre l‟activité et l‟autre l‟insuffisance des revenus.

0,0

10,020,0

30,040,0

50,0

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80,090,0

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Homme % Femme %

non

oui

Figure 5 Migrants actifs selon le sexe

Nous reproduisons, ci-après, quelques propos de migrants qui illustrent la variété des situations sociales et économiques dans le pays d‟origine.

Les différentes entretiens font découvrir que la plupart des migrants travaillaient dans leur pays d‟origine : les secteurs de travail sont les suivants : la mécanique, l‟électricité bâtiment, et les commerces ou couture. Certains d‟entre eux sont mariés et ont des enfants et d‟autres sont célibataires. Il semble que, malgré que ces immigrants aient une activité professionnelle dans leurs pays, elle n‟était pas rentable et ne permettait pas de couvrir leurs besoins :

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- Une migrante rapporte qu‟elle a quitté le pays parce qu‟elle ne pouvait pas démarrer un commerce suite au décès de son mari. -Un migrant de la même nationalité a exprimé sa difficulté à subvenir aux besoins de sa famille et comme il n‟avait personne à qui confier ses enfants, il s‟est trouvé dans l‟obligation de les faire venir. - Un camerounais à Tamanrasset nous rapporte qu‟il était le porte parole d'une association estudiantine du temps du gouvernement en place. Il rajoute les propos suivants : « Comme je vous ai dit on était contre le gouvernement de ce pays, les gens ont tendance à croire que le Cameroun est un pays qui va bien, mais ils ne savent pas vraiment les problèmes que les camerounais vivent. Au Cameroun, le pauvre devient de plus en plus pauvre, et le riche de plus en plus riche ». Il ajoute: « c'est vrai on a commencé à vivre certaines menaces lorsque l'association a pris un peu de l'ampleur ». - Un nigérien rapporte que sa mère possédait des sources thermiques et son père des troupeaux d'ovins et semblait ne pas avoir de problèmes de subsistance dans le pays d‟origine, mais quitte son pays en disant qu‟il doit chercher du travail, alors qu‟à l‟heure actuelle sa famille continue a le soutenir financièrement. - Nous avons retenus les informations suivantes concernant un Tchadien qui a commencé à se prostituer à l‟âge de 15 ans et qui a du quitter la maison plusieurs fois suite à des bagarres avec sa famille, il dit « j’ai vécu des moments difficiles avec ma famille ». A vingt ans, il décide de louer une maison avec des filles du milieu (des prostituées), pour éviter les conflits avec la famille. Il nous informe, également, que sa situation était "bien" avant qu‟il ne décide d‟immigrer, il rajoute qu‟il a quitté le Tchad juste pour « voir autre chose et discuter avec d’autres personnes ». Nous pensons que ceci n‟est pas le seul motif, c‟est plutôt la situation familiale qu‟il avait du mal à gérer et même s‟il avait déménagé, le regard des autres restait toujours négatif à son égard. - Une camerounaise relate les propos suivants : « non je ne suis pas partie du Cameroun parce que c‟était la misère c‟et faux. Je suis partie du Cameroun parce que j‟étais trop touché par la sorcellerie. Je vendais les téléphones portables, les cabines téléphoniques et à un moment donné tout est tombé a l‟eau ». - Une autre femme de la même nationalité rapporte : « mon mari travaillait mais les militaires tchadiens, ils ne payent pas bien, ils leur donnent seulement un petit salaire de 20 € par mois. C‟est peux, comme il est mort je ne pouvais pas laisser mon enfant ». Une migrante congolaise nous a informé qu‟elle était coiffeuse et qu‟elle voulait faire l‟agriculture, car dit –elle : « je voulais faire l‟agriculture, parce que la coiffure, tu peux bien trouver mais ce n‟est pas bien payé ». Ce qui ressort des différents récits, que cinq personnes ont déclarés avoir une activité professionnelle avant de quitter leur pays d‟origine, mais cette dernière s‟est avérée insuffisante et ne permettait pas de couvrir leurs besoins. Par contre deux migrants, ont déclarés avoir des difficultés dans l‟acceptation de leur façon de concevoir leurs vie (défendre une association, donc une idéologie et accepter un choix de vivre (prostitution))

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Il faut noter également que les situations des migrantes congolaises se rapprochent un petit peu, du fait qu‟elles fuient généralement une situation familiale lourde à supporter.

Les revenus des migrants étaient estimés insuffisants pour couvrir les besoins de la famille

Seulement, les revenus de ces activités n‟étaient pas suffisants pour couvrir les besoins personnels et encore moins pour couvrir les besoins de leurs familles. Par ailleurs, ce que les enquêtés déclarent comme activités professionnelles sont souvent des petits boulots précaires et peu rémunérateurs tels le petit commerce illicite ou le travail saisonnier dans le secteur agricole.

0,010,020,030,040,050,060,070,080,090,0

Homme % Femme %

non

oui

Figure 6 Revenus suffisants pour la famille

En Algérie, ils travaillent pour la plupart dans l’informel

De par leur situation de migrants clandestins, les subsahariens exercent des activités informelles (non déclarées) et précaires. Ils sont les plus nombreux à vivre du petit commerce illicite qu'on appelle ici "trabendo". D'autres, un peu moins nombreux vivent de l'artisanat. Ils sont essentiellement brodeurs ou cordonniers et travaillent chez des artisans autochtones chez lesquels ils sont souvent logés. On trouve également des manœuvres, et ouvriers non qualifiés, qui travaillent sur les chantiers de construction et ceux qui ont des activités changeantes selon l'occasion "un peu de tout". En ce qui concerne les femmes, elles sont occupées comme femmes de ménage chez des particuliers mais il y a aussi la prostitution, sujet tabou, qui n'apparaît pas dans l'enquête.

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05

10152025303540

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Figure 7 : Secteur d‟activité en Algérie

Les femmes avec lesquelles nous avons réalisé des entretiens, disent qu‟elles ont tendances à aller vers des activités tel que la coiffure et la restauration (3 femmes sur 5 ont déclarées faire le restaurant ambulant). Pour les hommes, les secteurs d‟activités les plus investis sont la maçonnerie et les petits commerce (comme avoir une table de cigarettes). Un migrant Libérien, nous dit que quand il était en Libye, il était reconnu comme réfugié et percevait son indemnité, alors qu‟en Algérie, il n‟a pas cette chance et de ce fait il travaille comme chauffeur de camion pour fruits et légumes. Une camerounaise rapporte les propos suivants : « On a un art culinaire chez nous. De temps en temps je fais des repas africains que je vend aux autres migrants ».

Les remises migratoires des subsahariens sont possibles

Ils sont 43% à pouvoir envoyer une aide financière à leurs familles. Parmi ceux qui déclarent envoyer une aide financière à la famille, la majorité (44%) envoie la moitié du revenu, 34% le tiers, 11% le quart et 11% le cinquième.

7%

43%

50%non

oui

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Figure 8 Envoi d‟une partie de revenu

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Figure 9 Fraction de revenu envoyé

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3.1.2. Caractéristiques socioculturelles

Des situations familiales complexes

Le portrait socioculturel des migrants subsahariens en Algérie n‟est pas aisé à déterminer. Les données récoltées méritent donc d‟être traitées avec une extrême prudence. Une première esquisse de la situation matrimoniale indique que les hommes sont plus souvent célibataires, et les femmes plus souvent mariées. Les femmes sont plus nombreuses dans la catégorie des veuves/divorcées. Ce portrait cache certaines réalités antérieures et complexes. Par exemple, on a relevé des célibataires qui déclarent par ailleurs avoir des enfants au pays. Mieux encore, il y a lieu de relever le nombre et la nationalité des conjoints des personnes mariées, en Algérie ou restés dans le pays d‟origine pour cerner l‟organisation familiale des migrants.

0%

10%

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célibataire marié(e) divorcé(e) veuf(ve)

hommefemme

Figure 10. Situation matrimoniale des migrants selon le sexe

Les femmes migrantes sont plus instruites que les hommes

L‟autre versant du trait socioculturel est celui de la formation ou du niveau d‟instruction. La structure des niveaux selon le sexe est assez significative. Les femmes dominent dans les niveaux supérieurs (secondaire et universitaire) par rapport aux hommes. Et nous pouvons observer exactement l‟opposé aux niveaux inférieurs, notamment aux niveaux coranique et primaire, dominés par les hommes.

0% 5% 10% 15% 20% 25% 30% 35%

analphabète

coranique

primaire

moyen

secondaire

supérieur

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Figure 11 Structure des niveaux d‟instruction selon le sexe (en %).

Par ailleurs, le projet migratoire est fortement corrélé avec le niveau d‟instruction. Plus on est instruit, plus l’attraction de l’Europe est forte.

0%5%

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Algérie Europe

Figure 12. Projet migratoire selon le niveau d‟instruction (%)

3.1.3.Conditions de vie - habitations, confort, accès aux soins

La location, l’hébergement et les squats sont les formes d’habitation dominantes

Les modes d'hébergement des migrants en Algérie sont désormais connus. Globalement, il existe trois modes principaux:

o Le mode le plus dominant est la location; que se soit la location de chambres vétustes ou de vieilles maisons que les immigrés se partagent à plusieurs (47%) ou de chambres dans des hôtels vétustes et peu chers (12%) ou encore de place pour passer la nuit dans les hammams (8%) ou des dortoirs collectifs (3%).

o Le deuxième mode est l'hébergement chez l'habitant pour 16% des enquêtés. Il s'agit surtout des artisans (cordonniers ou brodeurs) qui sont logés chez l'employeur souvent dans un garage ou dans l'atelier de travail.

o Le troisième mode consiste en des squats dans les chantiers de construction.

On peut aisément observer l‟étroite corrélation entre le projet de migrer et le choix des pays : plus on est instruit, plus l‟attraction de l‟Europe est forte. Et exactement l‟opposé est observé pour le choix de rester en Algérie. Les personnes ayant des niveaux d‟instruction plus faibles optent pour migrer en Algérie.

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Figure 13 Mode d‟habitation des migrants

A travers les entretiens, il apparaît que les migrants préfèrent être dans des endroits ou ils sont regroupés en communauté, notamment pour les femmes qui louent, généralement, dans les maisons inachevées avec d‟autres femmes qu'elles soient célibataires ou mariées. Elles déclarent que les conditions d‟hébergement sont déplorables: manque d‟hygiène et d‟eau. Une camerounaise rapporte que dans les ghettos, il y a des bagarres et des disputes entre les femmes. Il semble que les hommes exercent beaucoup de violence envers les femmes et que ces dernières n‟ont pas la possibilité de s‟en défendre. Chaque femme doit être liée à un homme pour se sentir protégée, mais certaines femmes qu‟on a interrogées ne veulent pas être sous l‟emprise d‟un homme et préfèrent se débrouiller toutes seules. C‟est le cas d‟une nigérienne qui vit a Tamanrasset avec sa fille et qui a préféré faire le restaurant ambulant et vivre avec une famille nigérienne et une camerounaise et qui nous rapporte les propos suivants : « les hommes nous font vivre des choses qu‟on peut pas supporter » et de ce fait elle refuse d‟être avec un homme.

Les migrants disposent d’un confort minimum

L‟examen des services de base disponibles au sein des logements occupés donne un éclairage plus précis sur leurs conditions de vie. La majorité des immigrés dispose d'un minimum de commodités (eau, sanitaires et électricité) mais elle ne dispose pas de gaz de ville et encore moins de chauffage ou d'espace suffisant.

Une deuxième lecture nous fait découvrir que près de 30% ne dispose même pas d'eau ni de sanitaires et plus de 10% de ces personnes ne disposent d'aucune de ces commodités. Il s'agit très probablement des squatters de constructions en chantier et de SDF (sans domicile fixe).

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20

40

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80

100

120

Eau Sanitaires Eclairage Gaz de ville Chauffage Espace

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NON OUI

Figure 14 Niveau de confort des habitations

Un accès restreint aux soins

Le système de soins accuse un déficit énorme quand il s'agit des immigrés en situation irrégulière. Seuls 22% déclarent avoir accès aux soins. Comment cette minorité fait-elle pour accéder aux soins ? Comment se débrouille l'immense majorité des personnes en cas de maladie ? Voilà des questions fondamentales du point de vue des droits de l'homme qui mériteraient d'être approfondies dans des études ultérieures.

78%

22%

nonoui

Figure 15 Accès aux soins

La violence quotidienne dans les relations hommes-femmes

Il est à signaler que le fait que les femmes soient en Algérie loin de leurs familles qui pourraient les protéger, elles se trouvent dans une situation de vulnérabilité et sont souvent victimes de violence de la part de leurs compatriotes hommes. A propos de cette question, une camerounaise a relaté qu‟elle a été agressée par un voisin a elle : « Hier un voisin a porté la main sur moi à l‟absence de mon mari et de

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mon frère, mais on est pas venu tous pour la même cause, moi c‟est un échec du parcours. Mais en Algérie parce que nous ici les hommes nous maltraitent beaucoup surtout quand on est éloignés de nos familles, donc ils se disent qu‟ils peuvent tout nous faire, et rien ne peux leur arriver. Par exemple, le père de mon enfant me dit souvent: "je peux te tuer ici en Algérie, ta famille ne me connais même pas, je peux te faire n‟importe quoi je te tuer et après je fuit et je part. Ni les algériens, ni les camerounais de ta famille ne savent que je suis avec toi. Personne ne va me voir le faire. Je te tue et je m‟en vais" ». Une migrante congolaise a quitté le Congo avec sa fille, atteinte d‟une déficience mentale, nous a raconté : « Tamanrasset, il faisait très chaud, moi je ne supporte pas, chez nous on a deux saisons il fait 25°-26°. J‟ai trop de soucis, je ne mange pas bien, je souffre beaucoup, on boit l‟eau du puit, c‟est sale, je ne supporte pas de prendre l‟eau du puit. Ca me demande beaucoup d‟efforts, je suis malade et ça me rend nerveuse. Chaque jour je sors, je manque de sous, Il faut que j‟aille mendier à la mosquée et ce n‟est pas la vie que j‟avais chez moi ».

3.2. Motivations et itinéraires de la migration subsaharienne

Cette radioscopie est loin d‟être exhaustive. Les données de l‟enquête permettent une multitude d‟analyses approfondies. Nous proposons quelques repères essentiels autour des motifs de l‟immigration et des destinations projetées des migrants subsahariens.. Puis, nous porterons un regard sur les itinéraires des migrants à travers les portes d‟entrée (principales et secondaires), à travers l‟Algérie, le Mali et le Niger. Ensuite, nous détaillerons les souffrances endurées pendant le voyage, un voyage pour certain encore inachevé.

3.2.1. Motifs d’immigration destinations et profils de migrants

Les facteurs qui poussent les subsahariens à émigrer vers l‟Algérie ou vers l‟Europe via l‟Algérie sont multiples mais les plus récurrents sont d‟ordre économique : chômage, revenus insuffisants pour couvrir les besoins du concerné et de sa famille et manque de perspectives socioéconomiques. Ces trois facteurs regroupent à eux trois près de 93,5% des réponses. Le facteur « problèmes de sécurité » compte à peine plus de 6,5% des réponses. Il concerne les migrants qui ont fuit leurs pays à cause de la guerre civile ou de troubles politiques tel les Congolais de RDC par exemple, le Libéria ou la Côte d‟Ivoire.

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05

101520253035404550

Chômage Revenuinsuffisant

Manque deperspectives

Pb de sécurité

pour

cent

age

Figure 17 Motifs de la migration

L’Algérie devient un pays de destination et non uniquement de transit vers l’Europe

Si on examine les destinations ciblées, nous constatons que la proportion de subsahariens désirant vivre en Algérie est loin d‟être négligeable puisque 57% d‟entre eux s‟inscrivent dans ce projet alors que 43% ambitionnent de partir en Europe ou ailleurs (autres pays du Maghreb, Canada, Australie). Cette première lecture suggère que l‟Algérie est désormais un pays d‟immigration et pas seulement un pays de transit vers l‟Europe.

Si on compare les hommes et les femmes on relève des tendances contraires. Une plus grande proportion d‟hommes veut s‟installer en Algérie (58,3%) alors que seul 49,6% des femmes cible l‟Algérie comme destination.

0 10 20 30 40 50 60

Algérie

Europe

Ailleurs

pourcentage

La distribution par catégorie d‟âge montre clairement que la destination

« Europe » est dominante par rapport à la destination « Algérie » jusqu‟à l‟âge de 40 ans. Elle décline progressivement à partir de 41 ans et plus nettement pour les plus de 50 ans au profit de la destination Algérie. L‟Europe serait donc prisée surtout par les plus jeunes et plus ils avanceraient en âge plus ils renonceraient à affronter les difficultés et les risques d‟un départ pour s‟installer finalement en Algérie. C‟est une hypothèse qui mériterait d‟être vérifiée par une étude plus ciblée.

Figure 18 Destinations

ciblées des migrants

subsahariens

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05

10152025303540

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26 à 30ans

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Algérie %Europe %

Figure 19 : Destination selon l‟âge

Le niveau scolaire semble également influer sur le choix de la destination. Apparemment plus les gens sont instruits plus ils choisissent l‟Europe comme destination. La situation familiale est un autre facteur qui influence le choix de la destination. Un plus grand nombre de célibataires font le choix de l‟Europe comme destination alors qu‟un plus grand nombre de personnes mariées préfèrent rester en Algérie. Ces résultats ont permis d'identifier trois types de migrations subsahariennes.

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Algérie Europe

Figure 20 : Destination selon le niveau scolaire

Enfin la nationalité différencie nettement les deux choix de destination. Les ressortissants des pays frontaliers, surtout les nigériens mais aussi les maliens désirent, dans une bonne proportion rester en Algérie. Les ressortissants des pays non frontaliers ont plutôt tendance à utiliser l‟Algérie comme pays de transit vers l‟Europe.

Ces résultats ont permis d'identifier trois types de migrations subsahariennes:

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La migration de transit: elle concerne les personnes qui traversent le territoire algérien par voie terrestre et se fixent momentanément dans les grandes villes côtières pour y travailler et accumuler suffisamment d'argent pour payer les passeurs et tenter l'aventure vers l'Europe. Ce type de migration s'est accentué considérablement ces dernières années jusqu'à défrayer la chronique et préoccuper sérieusement les pays du nord (notamment l'Europe).

La migration pendulaire: traditionnelle, elle a toujours existé, notamment au sud du pays où les frontières n'ont jamais vraiment empêché une circulation des personnes entre l'Algérie et les pays limitrophes (Mali, Niger, Mauritanie) au gré des saisons et des activités.

La migration durable: C'est un phénomène qui a toujours existé, dans les grandes villes du sud algérien comme Tamanrasset mais à petite échelle. Les candidats à ce type de migration finissaient par se fondre dans la population autochtone pour s'y intégrer totalement. Ce qui est récent, c'est que ce type de migration prend des proportions de plus en plus importantes et tend à s‟observer sur l‟ensemble du territoire Algérien. Des vagues successives de personnes, fuyant des phénomènes comme la misère, la sécheresse, la famine et parfois la guerre qui sévissent dans les pays du Sahel, remontent vers le nord, à la recherche de conditions de vie plus clémentes. Les frontières de l'Europe devenant de plus en plus difficiles à franchir, beaucoup de personnes, après plusieurs tentatives infructueuses ou après plusieurs refoulements, finissent par se résigner à s'installer dans le nord du Maghreb. Ce phénomène est susceptible de s'accentuer dans les années à venir.

Toutes ces informations sont confirmées par les migrants lors des entretiens de récit de vie.

A cette difficulté de prendre la famille en charge se rajoute des éléments de souffrance personnelles et qui a notre avis et le premier éléments déclencheurs de la décision de quitter le pays; Un migrant rapporte qu‟il a perdu sa femme et ses enfants dans la guerre, une migrante nous parle de maltraitance qu‟elle a subi de la part de son deuxième mari et d‟autres rapportent la fuite suite a la guerre et des conflits les opposants à des idéologies différentes. D‟ailleurs, une migrante camerounaise a quitté sa famille pour venir travailler (elle est coiffeuse) a rapporté les faits suivants : « j‟ai vu la situation je me suis dite que peut être ailleurs, tu peux te trouver un petit travail, tu peux te faire des économies, et rentrer chez toi. Au Cameroun, pour le moment ça ne marche pas, y a trop de coiffeuses ».

Un migrant Guinéen a déclaré que : « je suis né a Conakry, je viens d‟une famille très pauvre, ce qui m‟a poussé à sortir a l‟aventure c‟est pour aider ma famille».

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Anièce, une camerounaise rapporte les faits suivants : « Non je ne suis pas partie du Cameroun parce que c‟était la misère c‟et faux, je suis même pas partie du Cameroun parce que j‟aime m‟installer en Algérie. Je suis partie du Cameroun parce que j‟étais trop touché par la sorcellerie peut être ça vous ne le connaissez pas ici mais en Afrique noir ça y a beaucoup, alors c‟était pour moi le moment de quitter le mauvais œil ». Alors qu‟une autre camerounaise : « J‟ai décidé de partir parce qu‟on avait pas de moyens, et la vie était très difficile, même moi je ne partais pas à l‟école, y‟avait pas les moyens on ne pouvais pas payer ». Nous avons recueilli les propos suivants : « Mon mari m‟a poussé de sortir, je suis venue ici dans l‟aventure. Quand même, à mon âge, je ne sais pas comment faire pour nourrir mes enfants parce que avec lui il m‟aidais à les nourrir, et comme j‟ai personne ne serait ce que pour les faire manger je suis obligée d‟aller et de chercher là ou je pourrais avoir un peu de moyens pour subvenir aux petits besoins de mes enfants. Rester au Cameroun sachant qu‟il est là et peut me causer des problèmes. 15 ans de vie ce n‟est pas 15 jours ». Un camerounais nous a confié les propos suivants : «Je chante et partout ou ça se passe les gens apprécient. Un jour le gouvernement a décidé de réprimer ce mouvement et les leaders du mouvement ont fuit de leur coté. Oui pour fuir cette répression, m‟installer dans un pays ou je serais plus libre là ou je serais plus fière de moi-même et pouvoir m‟exprimer et exprimer pour ceux qui sont autours de moi et pour ceux qui vivent dans les mêmes conditions que moi alors là il y a pas de solution, je veux aller dans un pays européen et je n‟ai pas les moyens de le faire ». «J‟ai quitté mon pays à cause de la guerre. J‟étais le chef des rebelles, et si je ne partais pas avec eux pour combattre je serai tué donc je n‟avais pas le choix soit je regagne les camps de rebelles soit je serai tué ». En conclusion: Les motifs de départ semblent assez variés, mais il n'en demeure pas moins que le motif économique (subvenir à ses besoins et ceux de sa famille) reste le plus fréquent et le plus commun. Mais souvent, notamment pour les femmes, c'est l'association d'un échec familial (divorce par ex.) et de difficultés de subsistance qui les poussent à tenter leurs chances ailleurs.

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3.2.2. Itinéraires des migrants subsahariens

L'Algérie, pays de transit des migrants subsahariens vers l'Europe, devient de plus en plus un pays de destination. Ces migrants, n'utilisent que très rarement les côtes algériennes (Beni Saf surtout) pour traverser la méditerranée, mais franchissent les frontières Nord-Ouest (Maghnia), pour atteindre le Maroc ou les frontières Est et Sud-Est (Deb Deb et Djanet) pour arriver en Tunisie ou en Libye. Nous décrirons dans ce travail, les portes par lesquelles les migrants subsahariens accèdent à l'Algérie; les itinéraires qu'ils prennent pour leurs destinations respectives; les itinéraires dans les territoires malien et nigérien d'où transitent presque 98% des migrants subsahariens avant d'entrer en Algérie et enfin nous retracerons les chemins privilégiés qu'empruntent les migrants originaires d'Afrique Centrale et d'Afrique occidentale.

Principales portes d'entrée en Algérie utilisées par les migrants subsahariens Il existe trois principales portes d'entrées des migrants subsahariens en Algérie. Les portes de In guezzam à la frontière nigérienne et celle de Tinzaouatine et de Bordj Badji Mokhtar à la frontière malienne. C‟est par ces portes que passe l‟essentiel des migrants subsahariens clandestins ou réguliers; qu‟il s‟agisse de nouveaux migrants, de refoulés ou de personnes pratiquant la migration pendulaire.

Les portes d’entrées secondaires empruntées par les migrants subsahariens

Ce sont les endroits où passent les migrants refoulés de la Libye, de la Tunisie et du Maroc et ceux qui essayent de changer de cap après leurs échecs dans leurs traversées à partir des autres pays du Maghreb en particulier la Tunisie, le Maroc ou la Libye. Les migrants revenant du Maroc se retrouvent à Maghnia, ceux revenant de la Tunisie ou de la Libye sont refoulés respectivement par Deb Deb ou par Djanet.

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A/. Itinéraires des migrants subsahariens à l’intérieur du territoire algérien Les migrants clandestins subsahariens empruntent plusieurs itinéraires à l‟intérieur du territoire algérien. Ces itinéraires dépendent principalement des destinations prévues par les migrants mais ils peuvent être modifiés en fonction de la conjoncture et des informations obtenues sur les mouvements des services de sécurité et d‟immigration algérienne. Toutefois, il existe 4 principaux itinéraires. A1/. Itinéraire In Guezzam-Tamanrasset-Ghardaia

En entrant par In Guezzam, la plupart des migrants passent par Tamanrasset avant de continuer sur In Salah, puis Ghardaïa en passant par El Goléa pour continuer plus au Nord. D‟autres moins nombreux vont de Ain Salah à Ouargla. De Ghardaïa, il y a ceux qui vont à Alger et ses environs, Blida… etc. Ceux qui vont à l‟Ouest (Oran puis Tlemcen et Maghnia) et ceux qui vont à l‟Est (Biskra puis Constantine et Annaba). A2/. Itinéraire Tamanrasset-Djanet C‟est le chemin privilégié des migrants subsahariens se rendant en Libye et parfois en Tunisie via l‟Algérie. En outre, ceux qui arrivent par Illizi prennent également le chemin. Par ailleurs, les refoulés de la Libye et de la Tunisie, ainsi que ceux qui se redéploient à partir de ces pays, entrent en Algérie à partir de Djanet ou de Deb Deb pour regagner les villes du nord de l‟Algérie via Illizi, Ouargla et Ghardaïa. Il faut noter aussi que c‟est l‟un des plus durs chemins pour les migrants à cause de la restriction des déplacements clandestins dans les régions de Djanet, Illizi et In Amenas.

A3/. Itinéraire Bordj Badji Mokhtar-Adrar Les migrants qui entrent dans le territoire algérien par là, prennent en général la direction de Regane, puis Adrar et ensuite Ghardaïa d‟où ils rencontreront ceux venus de Tamanrasset ou de Djanet et Illizi. Ils remontent ensuite vers les villes du Nord via Ouargla et Ghardaïa comme pour le cas de l‟Itinéraire Tam-Djanet A4/. Tinzaouatine-Tamanrasset De Tinzaouatine les migrants remontent jusqu‟à Tamanrasset pour soit continuer sur Djanet, Illizi, soit pour remonter vers les villes du Nord par les mêmes voies que l‟itinéraire de In Guezzam-Tam –Ghardaïa. B/. Itinéraires des migrants subsahariens dans le territoire nigérien Les migrants à l‟intérieur du Niger, convergent vers Agadez et Arlit, les deux dernières villes avant la frontière algérienne. Généralement, les migrants subsahariens non nigériens, pénètrent dans ce pays par Niamey la capitale, notamment ceux provenant du Burkina Faso et du Mali. Ceux qui viennent des

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régions côtières de l‟Afrique de l‟Ouest entrent principalement par Gaya Maradi et Zinder. Tahoua est empruntée par ceux qui viennent du Nigeria et de l‟Afrique Centrale. C/. Itinéraires des migrants subsahariens dans le territoire malien La plupart des migrants subsahariens non maliens passent par Bamako avant de remonter jusqu‟à Gao, puis Kidal pour franchir la frontière algérienne à Tinzaouatine. Ceux qui passent par Gao puis Kalil traversent la frontière algérienne à Bordj Badji Mokhtar L‟écrasante majorité des migrants subsahariens provenant de l‟Afrique de l‟Ouest et de l‟Afrique Centrale, transitent soit par le Niger soit par le Mali pour atteindre l‟Algérie.

3.2.3. Financement du voyage

Ci-dessous quelques éléments qui ressortent des entretiens avec les migrants de différentes nationalités. La plupart des migrants ont été soutenus dans le financement de leur voyage par les membres de leurs familles et notamment par les parents. - Un Nigérien rapporte « C‟est mes parents qui m‟ont soutenu au Niger parce que là bas on a "les sources" et aussi sa mère a des troupeaux "Oui parce qu‟on a les troupeaux". Il faut signaler que certains migrants sont obligés de payer leur voyage par tranches. Ils font le voyage par étapes en essayant de travailler pour financer l'étape suivante. Une migrante nigérienne nous a raconté que du Niger à Asamaka c‟est elle qui a payé le voyage, l‟équivalent de 400 DA mais là, elle était obligée de travailler pour payer Asamaka à Tamanrasset. Un camerounais nous a informé que c‟est son père qui lui a financé le voyage du Cameroun au Tchad et pour les autres déplacements c‟est sa mère, sa grande soeur ou des amis qui sont à l‟étranger ( envois par le biais de Western Union). Une camerounaise rapporte ce qui suit : « Pour Kotono- Bamako c‟était 225 DA plus les baguages à 100 DA. En route il faillait payer 100 DA à chaque frontière et aussi on nous demande tout le temps de l‟argent (ça c‟est pour les policiers, ça c‟est pour tel, et ça c‟est pour tel), en tout cas beaucoup d‟argent en route. Je bossais…. je pouvais avoir aussi de papa je collecte et puis on continu. Il nous envoyais par la banque "Western Union" ». Une autre camerounaise a quitté son pays à cause des problèmes qu‟elle a eu avec son mari suite à une stérilité secondaire. Nous avons collecté ses propos « Parce que, vous savez, quand on se prépare à quitter notre pays et que tu dois te débrouiller dans un autre pays tu fais quand même des petites économies, ne serait ce que pour le voyage. J‟avais une somme de 120.000 francs français (150euros) ça m‟a permis de transiter. » Un jeune Togolais qui a quitté son pays à cause des conflits liés aux élections présidentielles a rapporté qu‟il fait des économies pour payer son voyage et qu‟il souhaite être soutenu par le HCR dans le cadre de l‟aide par le travail pour les réfugiés.

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Un nigérien âgé de 33 ans a fait un prêt chez le copain à son père. Deux migrants ont rapporté qu‟ils ont financé leur voyage par leur propre moyen (une camerounaise avait un commerce et un nigérien avait des champs chez lui). C‟est le cas aussi d‟un nigérien qui déclare avoir vendu une partie du terrain familial. Il a laissé une partie pour sa famille et avec ce que lui a rapporté le reste, il a payé le transport pour Tamanrasset. Conclusion: Les moyens de financements sont assez variés mais la famille est souvent présente pour aider à financer ne serait-ce qu'une étape du voyage. Pour le reste, le migrant se débrouille souvent pour travailler et économiser l'argent nécessaire.

3.3. Le vécu des migrants

3.3.1. Souffrir pour arriver à destination

L‟un des éléments extrêmement novateurs de cette étude est certainement la

mise à nu de l‟ensemble des types de souffrances vécues par les migrants lors de leur voyage. Cette liste est hiérarchisée selon les fréquences des données.

En tête de liste, c‟est la grande fatigue, suivie immédiatement de la faim et de la soif. Ce qui n‟est pas surprenant en fait pour la traversée du désert. Sur le chemin, de longues escales s‟imposaient. L‟insécurité, l‟absence d‟hygiène compliquent d‟avantage les conditions du voyage. Non seulement, ils ont eu à faire face aux voleurs et à des agressions, mais ils ont également été traqués, parfois arrêtés, sinon refoulés par la police. Il est important de signaler que le nombre d‟agressions sexuelles nous semble sous-estimé en raison de l‟inaccessibilité aux femmes lors de l‟enquête mais également à leur réticence légitime d‟aborder de type de souffrance avec des personnes (enquêteurs) qu‟elles ne connaissent pas suffisamment pour pouvoir se confier.

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Figure 21 Hiérarchisation des types de souffrances vécues pendant le voyage

A travers les entretiens, il apparaît que les événements les plus marquants se constituent essentiellement de la fatigue, de la faim et de la soif. Sur le chemin, de longs périples s‟imposent. L‟insécurité et l‟absence d‟hygiène compliquent d‟avantage les conditions du voyage. Non seulement, ils ont à faire face à des vols et à des agressions, mais aussi ils sont souvent traqués, parfois arrêtés, voire refoulés par la police. Nous avons constaté à travers les récits de vie que ces observations sont confirmées. Selon les cas interrogés, certains déclarent avoir vécus des événements traumatiques tel que le fait d‟avoir été abandonnés dans le désert par les passeurs, de marcher des kilomètres pendant des jours, de ne pas manger, d‟avoir souffert de la soif, de vivre un viol, d‟avoir des soucis de santé et de voir certaines personnes mourir devant leurs yeux.

Un nigérien nous a informé qu‟une fois il a pris le transport à partir d‟Aghlit avec une vingtaine de personnes et puisqu‟ils n‟avaient pas de papiers c‟était un fraudeur qui devait les ramener mais il les a abandonné à 80 km de la ville. Ils ont passés trois jours dans le désert sans manger et sans boire. A ses dires, ils étaient une vingtaine

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mais cinq personnes seulement ont pu arriver à leur destination, les autres sont morts en cours de route. En plus de ces événements se rajoutent d‟autres liés aux refoulements des et ses conditions des plus pénibles. Deux migrants interrogés (une nigérienne et un congolais) ont soulevé les conditions très pénibles dont lesquelles les refoulements se font. Une migrante camerounaise a quitté son pays du fait qu‟elle avait une stérilité secondaire et était maltraitée par son mari (avait 2 enfants d‟un premier mariage) rapporte qu‟elle n‟a pas vécu des situations traumatiques lors du voyage. Par contre, une autre migrante de la même nationalité qu‟elle est venue avec sa fille qui souffre de déficience mentale. Cette dernière a subi un viol et ce dans une période ou sa mère était hospitalisée. Une camerounaise rapporte les propos suivants : «on a même failli mourir dans le désert, on a fait quatre jours, quand nous sommes arrivés l‟eau était déjà fini …on a utilisé ce qui restait comme eau pour le mettre dans la voiture. Et puis,…il y a eu le guide. Il est mort. Ils l‟ont découvert mort dans le désert ». Un libérien a subi, en plus du refoulement, plusieurs arrestations et a fait la prison à deux reprises. Un nigérien qui est venu nous voir avec sa femme et ses deux enfants nous a informé qu‟il a subi des refoulements mais qu‟il n‟a jamais vécu d‟événements traumatiques. Cependant, il est affecté par un accident de la circulation qu‟il a eu et qui l'a rendu handicapé pendant plusieurs années. Nous avons retenus les propos suivants : «…la voiture portait vingt personnes…c‟était un petit camion avec une benne, c‟était la nuit, une nuit très noire, très obscure et la voiture a fait un accident. Certains rapportent que des policiers leur ont fait subir un mauvais traitement, d‟ailleurs un migrant rapporte les propos suivants : "chacun doit trouver un trou dans les rochers …j‟ai décidé de garder mes affaire (sac) sur moi, lorsque je serai refoulé à Tinzawatine, je préfère avoir le minimum, avec moi ». Une migrante rapporte que même si elle rentre chez elle au Cameroun, elle continuera à souffrir car ce qu‟elle a vécu risque de la marquer toute sa vie : « je ne vais pas faire les mêmes choses, je vais changer mais ça reste la souffrance. Si moi je vais remettre mes pieds chez moi je vais ressentir la souffrance comme ça dans la vie qu‟on vit: passer des heures tu risques la mort, on te laisse, on te passe au refoulement, tu pars au ghettos, le ghetto c‟est le carton, en hiver tu tombes malade, tu ne peux pas travailler, tu penses, ça c‟est la souffrance ». Le rapport 2005 d‟Amnesty International indique : " Des centaines de migrants, originaires pour la plupart d‟Afrique subsaharienne, ont été arrêtés et expulsés. Certains ont affirmé que les forces de sécurité avaient fait une utilisation excessive de la force au moment de leur interpellation ; d‟autres se sont plaints d‟avoir été torturés ou maltraités en détention. Deux Nigérians morts au mois d‟avril auraient été abattus par les forces de sécurité". Le même rapport note que " beaucoup d‟entre eux, qui fuient leur pays en conflit, n‟ont pas toujours la garantie de pouvoir matériellement bénéficier de la reconnaissance du statut de réfugié et de voir examiner leurs demandes d‟asile avant d‟être reconduits à la frontière ". Il n‟y aurait pas d‟informations claires sur le statut

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des réfugiés parmi les autorités chargées du contrôle de l‟ordre public, des frontières aériennes, maritimes, terrestres et les autorités judiciaires ".

Conditions de refoulements :

En posant des questions sur le refoulement et ses conditions, nous avons retenu les propos suivants d‟un camerounais: - « les toilettes dans les cellules du refoulement sont en plein air, si vous voulez vous mettre à l‟aise, il faut le faire devant tout le monde, pas d‟intimité. Peut- être qu‟on accorde encore quelques faveurs aux femmes, on les emmène dans les bureaux, mais les hommes ça se passe devant tout le monde, je sais pas si vous comprenez. Le pain parfois, un peu le matin un peu le soir, un carton de lait pour 05 personnes pendant 02 jours ». « C‟est des camions à bétails,... oui, ça c‟est pas pour les hommes, c‟est pour le bétail. On nous prend, on nous jette derrière, on ferme. Si tu veux uriner, tu vas uriner à l‟intérieur, si tu veux faire les selles, tu vas faire ça à l‟intérieur, c‟est lamentable". « On quitte le plus souvent vers 22 heures, on prend une pause en plein milieu du désert vers 06 heure – 07 heures le matin, 45 minutes maxi et on arrive à12 heure (midi)». Un congolais raconte qu‟il a été refoulé 5 fois depuis 2005 et porte un regard très critique à l‟égard du HCR, il trouve que certains agents fonctionnent avec la corruption et vendent les certificats de réfugiés à 300 euros ou 400 euros et que s‟il avait de l‟argent il n‟aurait pas subi tous ces refoulements. Quant aux activités qu‟il avait fait avant ses refoulements, il dit qu‟il a travaillé à Tamanrasset pendant 2 mois et qu‟il percevait une indemnité journalière de 300 DA.

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3.3.2. Les perceptions des migrants

Les perceptions des migrants découlent directement de leurs expériences vécues en Algérie. Elles recouvrent deux volets : comment perçoivent-ils les algériens ? Comment pensent-ils être perçus par les algériens ?

Les réponses à ces deux questions pourraient constituer des indicateurs psychologiques assez pertinents du degré d‟intégration de la population subsaharienne parmi les autochtones ou, au contraire, refléter leurs difficultés relationnelles avec ces mêmes autochtones.

Perception des algériens

Plusieurs qualificatifs négatifs sont utilisés par les migrants pour signifier leurs perceptions des algériens. Du plus fréquent au moins fréquent on trouve : racistes ou xénophobes, agressifs, désagréables, méprisants et mal intentionnés.

0 5 10 15 20 25 30

Racistes, xénophobes

Comportements agresssifs

Comportements humains

Désagréables

Sans réponse

Méprisants

Mal intentionnés

Pourcentage

Figure 22 Perceptions des Algériens d‟après les migrants

Si on regroupe toutes les personnes qui ont donné au moins une des

appréciations négatives représentées dans la figure 22, on peut constater qu‟une grande majorité de migrants est dans ce cas de figure.

A l‟inverse, les appréciations positives des subsahariens représentent moins de 21%. Enfin, 10% ne se prononcent pas.

Etre perçu par les Algériens

Ce volet complète bien le précédent. Il représente la perception sociale de soi. C‟est du moins la manière dont ils croient être perçus par les Algériens. Là aussi, ce sont les appréciations négatives qui dominent telles que : misérable avec près de 29% de fréquence, esclave (près de 18%), sous homme (12%), étranger, trafiquant, animal,

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porteur de maladies et enfin mal éduqué. Les appréciations positives ne dépassent pas 8,2%.

0 5 10 15 20 25 30

mésirables , nécéssiteux

esclaves

sous hommes

perceptions positives

sans avis particulier

étrangers

trafiquants et malfaiteurs

animaux

porteurs de maladies

mal éduqués

Pourcentage

Figure 23. Perceptions des migrants par les Algériens.

Si on considère ces perceptions comme des indicateurs du mal être des immigrés subsahariens dans le contexte algérien, il semble important d‟approfondir cette analyse en essayant de comprendre quel regard porte la population algérienne sur ces personnes.

3.4. Perspectives et projets d’avenir : le piège

La recherche quantitative de la SARP fait découvrir que les subsahariens sont partagés presque à parts égales entre ceux qui veulent vivre en Algérie et ceux qui visent à partir en Europe ou ailleurs (autres pays du Maghreb, Canada, Australie). Déjà, cette première lecture suggère que l‟Algérie est désormais un pays d‟immigration et pas seulement un pays de transit vers l‟Europe. En ce qui concerne les projets d‟avenir, les quatre femmes interrogées déclarent leur souhait de rentrer chez elle mais posent toute la difficulté à avoir de l‟argent pour le faire. Il semble q‟elles se retrouvent dans une sorte de piège. Pour illustrer ce souhait, nous rapportons les propos suivants :

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- « on a pas d‟économies, surtout si tu te trouves avec un bébé comme moi, ces conditions on ne peut pas les supporter… .parfois tu veux bien rentrer mais rentrer comment ? » -« Je préfère rentrer et aller faire la plantation chez moi et subvenir aux besoins de mes enfants que de rester ici les bras croises ». - "Pour le moment, mon projet est stand baye, mais qui sait si jamais je trouve quelque chose à faire pour faire mes économies…je rentre ». « Pour le moment, j‟ai pas de projet, je ne vois pas le bout du tunnel, je vois tous noir , vous voyez un peu, donc si je voyais clair je peux vous dire j‟ai un projet, maintenant, je peux engager un projet, mais j‟en ai pas pour le moment »(congolais). - Une congolaise déclare : « Je ne peux pas rentrer… j‟ai tout perdu, toutes mes richesse, la maison. Si ma fille n‟avait pas de problèmes et si elle était capable de prendre en charge, je chercherai du travail, parce que les femmes algériennes n‟acceptent pas que je travaille et que je ramène le bébé avec moi ». - Depuis qu‟il a perdu son épouse, un nigérien qui a voyagé avec ses neuf enfants se trouve dans une impasse, car il ne peut pas rentrer chez lui parce qu‟il n‟a pas les frais du transport, il nous dit « j‟encaisse l‟échec, je veux rentrer mais je ne peux pas ». - « Il faut les moyens, tout les pays que j'ai traversé j'ai cherché de quoi faire pour avoir un peu de sous, Nigeria, Niger » - Une nigérienne rencontrée à Tamanrasset avec sa fille, nous explique qu‟actuellement elle se trouve confrontée à des difficultés financières et de ce fait, n‟a pas de projet dans l‟immédiat. L‟Europe, le retour au pays d‟origine ne sont pas toujours le souhait des migrants interrogés car certains d‟entre eux souhaitent aller dans un pays africains, rester en Algérie ou aller au Sénégal par exemple. - Un Tchadien souhaite aller au Sénégal s‟il ne parvient pas à trouver du travail à Alger. - Un camerounais exprime sa position ambiguë par rapport à l'Europe: « L‟Europe c‟est vrai ça, ça me tente mais pas tellement quoi, pas tellement, ça tente mais ça veut dire que si l‟occasion se présente je vais pas cracher dessus ». Pour payer son déplacement, un togolais dit qu'il a fait des économies. Il ne veut pas aller en Europe, il veut juste être aidé par le HCR dans le cadre du MGR, c'est-à-dire le travail pour les réfugiés, pour pouvoir économiser un peu d‟argent et rentrer chez lui avec "quelque chose dans la main". Plusieurs déclarent être dans une situation de blocage en Algérie et ne peuvent pas payer le voyage pour rentrer chez eux. Par contre, d'autres ont déclaré leur souhait de continuer la traversé vers l‟Europe, en comptant bien sur un parent, un ami une fois arriver la bas. Pour les pays ou qui des guerres (Congo, Libéria par ex), la population qui émigre rapporte qu‟elle est en difficulté pour revenir à cause de l‟insécurité mais leurs pays sont "vidés de leurs ressources et de ce fait les personnes n‟espèrent plus avoir leur chance si elles rentrent.

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Il semble que la plupart des migrants sont soutenus, dans les moments de difficultés par leurs familles, même si, celles-ci sont souvent en difficulté dans le pays d‟origine

Conclusion : Ce qui ressort des différents récits, c‟est le fait que les personnes qui quittent leurs pays quelque soit leur nationalité ne le font pas parce qu‟elles veulent s‟aventurer ou se suicider comme certains le pensent mais ce sont des personnes qui ont vécus, assez souvent, dans le pays d‟origine, des situations personnelles traumatiques associées à des difficultés socioéconomiques qu'ils ne peuvent plus supporter. Alors, dans un sursaut de survie, ils essaient de tenter leurs chances ailleurs.

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CHAPITRE IV

LA MIGRATION SUBSAHARIENNE AU FEMININ

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Bien que nous n'ayons pas fait d'étude spécifique sur les femmes et que le nombre de femmes atteint par notre étude soit assez réduit, nous tentons, dans ce chapitre, d'en tirer les grandes tendances qui pourraient servir à la réflexion et à une recherche plus spécifique. Les expériences faites dans d‟autres continents, la migration des femmes asiatiques vers le monde arabe, et la migration des femmes latino en Europe, ont constaté des éléments qui peuvent expliquer l‟incidence du genre sur la migration. Dans la revue BRIDJE (3), une revue des recherche sur la migration féminine dans les trois continents exportateurs de migrants, on trouve plusieurs questionnements et observations. Le genre détermine, qui migre, pourquoi et comment ? La décision est prise et la migration influence : les impacts de la migration sur les migrants eux-mêmes, les régions d‟origines et de destinations. Les migrations influencent, les relations entre les sexes, qu‟elles renforcent les inégalités et les rôles traditionnels ou les remettent en question et les transforment. L‟expérience vécu des individus selon qu‟ils appartiennent à l‟un ou a l‟autre sexe est au cœur des formes que prennent les migrations, de leurs causes et de leurs conséquences, les rôles sexospécifiques, les relations et les inégalités entre les sexes définissent en partie qui migre, comment pourquoi et pour quelle destination. (3). Comment se présente la migration subsaharienne féminine en Afrique vers ou à travers l‟Algérie par rapport à celles des hommes du même continent ? 4.1. Pourquoi la migration se féminise de plus en plus ? La féminisation des flux migratoires s‟est accentuée depuis les années 90. Sur 191 millions de migrants internationaux recensés en 2005, 94.5 millions sont des femmes. Les femmes représentent également la moitié des 12.7 millions de réfugiés dans le monde. D‟après FATOU SHOW (5page 9) la migration féminine n‟est pas différente dans ces raisons de celle des hommes. Elle a comme principales raisons :

- Une crise économique et les aléas du développement. - Les crises politiques et la désintégration des appareils d‟état. - Les crises environnementales, sanitaires et endémiques.

Honoré Minche, Henri Yambéné et Yve Zao Zao chercheurs en CNE-MINRESI au Cameroun: " La féminisation des migrations clandestines en Afrique noire". Le groupe de chercheurs explique que la migration clandestine féminine est liée à un

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environnement global qu‟il faut prendre en considération: processus démocratique défaillant dans les pays d‟Afrique, économie formelle au point mort, crises intrafamiliale, interethniques et militaro-politiques, guerres civiles et persécutions diverses, globalisation mais aussi mutation sociale.

Les femmes migrantes sont particulièrement vulnérables à l‟exploitation, aux discriminations et aux abus. Elles constituent, en effet, une main d‟oeuvre bon marché, occupant des emplois exigeant et peu gratifiants. Beaucoup sont aussi exposées aux violences et à la prostitution. Leurs parcours renforce aussi la transformation des rôles publics et privés traditionnels entre hommes et femmes. (1). Dans les récits de vies les femmes parlent aussi de la féminisation de la migration : Psy: pour quoi maintenant de plus en plus y a des femmes ? Est-ce que un changement dans leur pays a permis aux femmes de se décider, ou est ce que y a autre chose ? Migrante : moi je me dis que c‟est d‟abord les conditions de nos pays, d‟abord il n‟y a pas le travail. Avant, mon papa, quand il s‟est marié, la vie était facile. Maintenant pour que l‟homme t‟épouse y a une demande au prêtre mais il faut toujours les moyens pour faire ces choses là, alors s‟il n‟y a pas le travail il n‟y a rien, l‟homme ne peut pas t‟épouser. Surtout chez nous, dans notre pays, la femme coûte chère c‟est pas comme chez vous ici où en Europe. Chez nous on donne la dote de la femme, on doit la doter, peut être a 2000 € la dote seulement, et pour trouver ces 2000 € dans notre pays … Psy : c‟est à dire tu dois les donner à sa famille ? Migrante : Oui, et la famille va te demander une liste: on veut un mouton, ou un bœuf, les pattes, le vin rouge, un carton de poisson, ça peut arriver à 2000 €. Psy : pour faire la fête ? ............... Migrante :Alors la femme la plus moins chère c‟est a 2000 €, alors pour l‟homme qui ne travaille pas, il n‟y a pas assez de travail… pour trouver du travail, c‟est pas facile pour avoir 2000 €. Tout ce qu‟il peut faire, c‟est de rester avec toi pendant 10 ans comme moi j‟étais avec le premier père de mes deux enfants, on a fait 10 ans il n‟avait pas d‟argent pour me doter. ...................... Psy : donc c‟est ça qui pousse les femmes a émigrer ?

Psy: pour quoi maintenant de plus en plus y a des femmes ? Est-ce que un changement dans leur pays a permis aux femmes de se décider, ou est ce que y a autre chose ? Migrante camerounaise: moi je me dis que c’est d’abord les conditions de nos pays, d’abord

il n’y a pas le travail. Avant, mon papa, quand il s’est marié, la vie était facile. Maintenant pour que l’homme t’épouse y a une demande au prêtre mais il faut toujours les moyens pour faire ces choses là, alors s’il n’y a pas le travail il n’y a rien, l’homme ne peut pas t’épouser.

Surtout chez nous, dans notre pays, la femme coûte chère c’est pas comme chez vous ici où en Europe. Chez nous on donne la dote de la femme, on doit la doter, peut être a 2000 € la

dote seulement, et pour trouver ces 2000 € dans notre pays … Psy : c’est à dire tu dois les donner à sa famille ? Migrante : Oui, et la famille va te demander une liste: on veut un mouton, ou un bœuf, les

pattes, le vin rouge, un carton de poisson, ça peut arriver à 2000 €. Psy : pour faire la fête ? Migrante :Alors la femme la plus moins chère c’est a 2000 €, alors pour l’homme qui ne

travaille pas, il n’y a pas assez de travail… pour trouver du travail, c’est pas facile po ur avoir 2000 €. Tout ce qu’il peut faire, c’est de rester avec toi pendant 10 ans comme moi j’étais avec le premier père de mes deux enfants, on a fait 10 ans il n’avait pas d’argent pour me

doter. Psy : donc c’est ça qui pousse les femmes a émigrer ? Migrante : : la plupart des pays qu’il y a pas la terre, surtout le Cameroun, tu peux travailler,

la femme peut travailler, on te paie le mois si je peux l’évaluer par rapport ici c’est presque 3000 DA. Tu peux travailler 5 mois mais on te paie seulement 2 mois… tu es obligé de venir… même dans les autres pays il n’ y a pas le travail, il n’y a pas le mariage ça va

seulement te pousser… surtout quand tu as des enfants, alors tu te demande comment faire pour vivre comme ça ? Comment faire pour élever les enfants ? Tu es obligée de sortir en disant qu’ailleurs tu peux mieux trouver.

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Migrante : : la plupart des pays qu‟il y a pas la terre, surtout le Cameroun, tu peux travailler, la femme peut travailler, on te paie le mois si je peux l‟évaluer par rapport ici c‟est presque 3000 DA. Tu peux travailler 5 mois mais on te paie seulement 2 mois… tu es obligé de venir… même dans les autres pays il n‟ y a pas le travail, il n‟y a pas le mariage ça va seulement te pousser… surtout quand tu as des enfants, alors tu te demande comment faire?

4.2. Caractéristiques sociodémographiques des femmes Les rapport des chefs de commissions dans la conférence sur la migration a Lisbonne 2007, rapportent que

« Avec 66 millions de migrants, l‟Afrique représente aujourd‟hui environ un tiers des migrants ainsi qu‟un tiers des réfugiés et la moitié des déplacés internes du monde, prés d‟un migrant sur deux (47%) est une femme. (Lisbonne) 2007 » (1). Mais notre échantillon ne comporte que 14.3% de femmes pour 86.6% d‟hommes, cela est du en partie à l‟accès aux femmes qui sont pour la plupart sous l‟égide et ou l‟emprise d‟un homme, mari ou seulement compagnon qui à été lié presque de force à cette femme durant son voyage, comme c‟est le cas des camerounaise qui sont à l‟instant de leurs arrivés en Algérie ou même avant, mise avec des hommes de leurs nationalité , comme le raconte (migrant du Cameroun, 24 ans ) qui a été élu sur la tête de sa communauté et qui gère ses affaires.

Ce faible pourcentage de femmes vues dans notre recherche se rapproche des statistiques, se joint un peu avec les statistiques cités par M. Khachani dans son livre (2), « de plus en plus de femmes tentent l‟aventure dans les mêmes conditions difficiles que les hommes, on peut estimer que leur nombre à près de 20 % des migrants subsahariens en général, se sont des jeunes filles de 18 à 35 ans, parfois ayant un niveau d‟instruction universitaire.......femmes parfois enceinte »

Migrant : j’ai dis quand les filles arrivent !déjà on m’appelle pour me dire qu’il y a des filles qui arrivent. Psy : uniquement pour les filles ou même pour les hommes. Migrant : Même pour les hommes. Là je suis un peu informé, je suis préparé. Mais alors quand les filles arrivent sur place et qu’elles n’ont pas de l’argent pour

continuer ; qu’est ce qu’on fait je peux appeler quelqu’un à Alger ou à Oran. Je lui dis que tout récemment tu m’as dit que quand quelqu’un arrive il faut que je te fasse signe. Comme tu es encore célibataire voilà une fille, elle est comme ça et comme ça ….je lui fais le portrait de la fille, et s’il veut je prends la fille en photo, je vais au net et je lui envoie la photo. Je ne suis pas un proxènète s’il vous plait.

Je vous dis seulement ce qui se passe dans la communauté.

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( informations fournies par Khaled Jammah , président de l‟association des familles des victimes de la migration clandestine, AFVIC)in (2, page 9). Cette situation est confirmée par le récit d'une migrante de 32 ans, camerounaise avec un enfant ici en Algérie et deux autres enfants chez sa maman au Cameroun. Elle subit une violence régulière d'un homme qu‟elle n‟a pas choisi. Elle dit dans son récit de vie:

4.3. Catégories d'âge La catégorie d‟age la plus représenté chez les migrants subsahariens en situation clandestine semble être la même chez les hommes et les femmes. 64% et 66%, sont entre 26 et 40ans. 4.4. Nationalité : Une différence ente le nombre les hommes t les femmes migrants clandestin qui se trouvent en Algérie, On trouve plus de femmes que d‟hommes dans les nationalité, RDC 6.2% contre 3% d‟hommes, cote d‟ivoire avec 2.5% contre 1.9% d‟hommes, Libéria 6.7% contre 2.4% d‟hommes, Cameroun 13.5% pour 5.5% d‟hommes. Les autres nationalité les hommes semble être plus présent en Algérie en tant que clandestin, Niger 37.6% de femmes contre 52.7% d‟hommes, mali 5% contre 13% d‟hommes. 4.5. Niveau scolaire : La différence dans le niveau d‟instruction entre les hommes et les femmes est significative. Dans le niveau analphabète, on trouve plus de femmes que d‟hommes, 15% pour 13%.

"Oui , oui aux guetto, et la bas a TAM y a les bagarres , les disputes des femmes, ils font ceci, ils font cela, et c’est quand tu choisis quelqu’un. On n'avait plus

d’argent on connais personne ici à Alger, donc quand quelqu’un te dis que je suis un ancien, j’ai ma maison, j’ai ceci , j’ai cela, toi aussi tu es obligé de tomber. Tu connais même pas où tu parts, tu es comme ça, alors parfois ce sont des mensonges. Ils nous disaientt que la femme ne travaille pas, ne fait pas ceci, ne fait pas cela, beaucoup de chose. C’est pour ça qu’on est tombé dans le piége , je

croyais ce qu’on me disais était vrai, et je suis tombée dans le piége...................... chacune et partie se lier avec un homme ?........oui..... Que vous pensez que c’est nécessaire pour être protégé, si non on vous agresse ? ........ Oui, nous sommes arrivées ici avec eux.

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Pour le niveau scolaire coranique, les femmes sont moins que les hommes, avec 23% contre 36% d‟hommes, la même remarque pour le niveau d‟instruction primaire ou les femmes représentent 13% pour 25% d‟hommes. Dans le niveau moyen les femmes et les hommes semblent être égal. 13%. Dans les niveaux d‟instructions secondaire et supérieure, on trouve que les femmes sont plus représentées que les hommes. Pour le niveau secondaire elles sont de 21% contre 12% d‟hommes, et pour le niveau supérieure elles sont de 6% contre 6% d‟hommes. 4.6. Statut matrimonial : Parmi les hommes migrants presque la moitié est célibataire (48%). Par contre, il y a moins de femmes célibataires, elles ne sont que 27%. Cette différence est significative sur le plan statistique. Les hommes mariés sont un peu moins nombreux dans leurs catégories que les femmes migrantes mariées (45.6% contre51.2%). Les femmes divorcées sont de 14.4% pour 4.3% d‟hommes divorcés. Cela peut témoigner de la chance minime qu'ont les femmes africaines divorcées à se remarier. les hommes. divorcés semblent pouvoir le faire plus facilement. On rencontre encore moins d‟hommes veufs: ils sont 0,3% contre 4.7% de femmes veuves. Qui migrent avec ces enfants, et qui a le plus d‟enfants dans le pays d‟origine ? Sachant qu‟il y‟a beaucoup d‟enfants qui naissent en route et en Algérie aussi. En règle générale, plus on a d‟enfants plus ils sont dans le pays d‟origine, sauf dans le cas des familles installées au sud du pays. Les cas de femmes migrantes avec des enfants en Algérie sont plus fréquents que les hommes du même cas. Presque 10% ont 1 ou deux enfants ici contre 2% seulement chez les hommes. Une migrante témoigne:

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Les femmes avec 3 à 5 enfants en Algérie sont moins de 4%, mais leur pourcentage reste plus élevé que celui des hommes (2%). Cette femme du Congo a même eu un enfant pendant le voyage comme elle en témoigne.

Pour le nombre d'enfants laissés dans le pays d‟origine, on ne trouve pas une grande différence entre les femmes et les hommes. Enfin, les femmes qui viennent des zones rurales sont beaucoup moins nombreuses que les hommes; elles sont de 10% contre 37% d‟hommes. 4.7. Situation économique des femmes dans le pays d’origine La plupart des migrants travaillent dans leurs pays d‟origine, les femmes à travailler sont un peu moins, 82% pour 84% d‟hommes, une différence qui n‟est pas significative. Les femmes qui déclarent pouvoir subvenir à leurs besoins personnels dans le pays d‟origine, sont à 42% contre 26% d‟hommes, et celles qui peuvent subvenir aux besoins de la famille sont de 27% contre 17% d‟hommes.

Migrante: Quand arrivée a Alger, j‟ai senti le retard...........il a 6 mois le bébé et je ne peux pas travailler, j‟ai le bébé..............j‟ai deux au Cameroun avec maman........là bas on peut avoir 5 enfants sans être mariée (rit)........je suis séparée du papa il est allé se marier une autre plus jeune............. Psy : donc vous pensez que la majorité des femmes qui sont là, ce sont des femmes qui ont des enfants la bas ? Migrante : oui Psy : les célibataires ne viennent pas beaucoup ?

Psy : et vous avez un garçon ? Migrante : oui moi j‟ai un garçon. Psy : vous l‟aviez eu là bas au Congo ? Migrante : non je l‟ai eu en Tchad, à N'Djaména.

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Cela est il lié aux situations sociales dans les pays d‟origine, conflit politique ou pauvreté, ou à une différence dans les rôles des deux sexes. Est ce que le revenu de la femme s' ajoute à celui de l‟homme ou est elle le seul soutien pour la famille ? 4.8. Pourquoi migrent-elles? La plupart des migrants avance la situation économique comme première raison à vouloir s‟aventurer dans le projet migratoire. Les hommes sont 45.6% à partir à cause du chômage contre 32.5% de femmes qui sont parti pour la même raison. Les femmes avancent les problèmes de sécurité et d‟ordre public en premier plan. Elles sont 7% contre 3.4% d‟hommes qui ont migrés pour cette même raison. Le manque de perspectives socio- économiques dans le pays d'origine semble motiver plus les femmes que les hommes, elles sont 35.7% pour 24.9% d‟hommes.

Les femmes qui ont émigré pour les raisons liées aux conflits politiques et ethniques sont plus représentées dans cette recherche que les hommes: 4.4% contre 1.7%. Ce qui correspond au nombre de femme qui s‟est déclarées réfugiées, 4.8%. Le tri croisé entre problème de sécurité, statut matrimonial et sexe, démontre que les veuves et les célibataires sont majoritaires à évoquer cette raison comme motivant

Migrante: Moi j‟ai mon métier, je suis coiffeuse ......j‟ai des dons je veux faire l'agriculture.....y‟a pas argent......je me suis dit peut être ailleurs. Je vais travailler un peu ça ne de mande que 1000 E ........(camerounaise 32 ans) Migrante du Congo: j‟ai décidé de partir parce qu‟ on n'avait pas de moyens, et la vie était très difficile. Même moi je ne partais pas à l‟école, y‟avait pas les moyens on ne pouvais pas payer. Psy : donc vous n‟avez pas été à l‟école ? Migrante du Congo: non je n‟ai pas été à l‟école, même le français que je parle ça fait un moment que je me débrouille un peu. Migrante du Congo : oui même au Tchad, ils fuit la guerre, quand la guerre a commencé entre les soudanais et les tchadiens même les tchadiens venaient se réfugier dans la capitale du Cameroun. Nous aussi on était obligé de traverser parce que dans la capitale c‟est coupé. Au Cameroun y‟avait tout les étrangers qui fuient la guerre.

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leur projet migratoire. Ce sont, pour la plupart, des femmes qui ont fuit leurs pays, seules ou avec un enfant. Migrante congolaise, veuve:

4.9. Qui aide les femmes dans la prise de décision de s’aventurer en tant que migrant clandestin ? Il semble que la fréquence des femmes qui sont encouragées par leurs parents est plus élevée que celle des hommes: elles sont 26.9% pour 10.7% d‟hommes. Les hommes sont plus fréquemment seuls à prendre la décision d'émigrer. Ils sont 72.8% pour 54.2% de femmes. Les femmes sont plus fréquemment mariées, veuves ou divorcées avec des enfants, un statut qui ne les rend pas indépendante à prendre leur propre décision de migration. Une question qui reste à vérifier selon le contexte culturel. En tous cas, les femmes qui décident pour elles mêmes sont déjà plus que la moitié, 54%. 4.10. Avec qui les femmes prennent elles la route migratoire ? Combien ça leur coûte ? Et avec quel argent payent elles ? 38.5% des femmes qui voyagent le font avec un membre de la famille, contre 8.3% seulement des hommes. Le voyage avec un compagnon se fait dans le tiers des cas. Il n'y a pas de différence, sur ce point, avec les hommes, alors que la fréquence des

Psy: - Et votre mari, il est où ? Migrante: - Mon mari il est mort dans la guerre, il est mort dans la guerre avec quatre enfants Psy: - Comment?

--

Migrante:- Avec quatre enfants, ils étaient bombardés à l'école. Psy: - Vous êtes de quelle nationalité? Migrante: - Congolaise, Zaire. ...............On est parti dans des camions et les militaires tiraient partout......On nous a mis en prison. On était toutes des femmes avec des enfants.

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femmes qui voyagent seules est presque moitié moins importante que celle des hommes dans ce même cas: 30,9% pour 54,5% d‟hommes. Elles paient le voyage plus fréquemment à un prix plus élevé que celui payé par les hommes (28.8% contre 12.8%). Il semble que cette différence soit liée au pays d‟origine et à la distance parcourue. Dans notre échantillon, elles viennent plus fréquemment que les hommes de pays lointains et, le plus souvent pour fuir les conflits politiques et ethniques (Cameroun, Nigéria, Congo). Les femmes sont plus souvent aidées financièrement par la famille pour l‟argent utilisé pour le voyage (42.4% pour 32.4% d‟hommes) et aussi plus souvent encouragées par les parents. Elles moins souvent l'épargne personnelle (50.9% pour 68.9% des hommes. Enfin, elles sont aidées dans les mêmes proportions que les hommes (11.1% et 11.8%).

4.11. Femmes et destination Les femmes sont plus nombreuses à vouloir émigrer vers l'Europe: 48.4% pour 39.4% d‟hommes. Il faut noter, cependant, que, parmi les hommes qui vivent en Algérie, 57.4% voulaient cette destination au départ. La tri croisé entre sexe, niveau scolaire et destination démontre que pour les deux sexes, plus on est instruit plus en cherche a aller vers l‟Europe. Pour la catégorie analphabète des deux sexes les proportions sont équivalentes entre le choix de l‟Europe et celui de l‟Algérie. Le choix de la destination est motivé, en majorité par des raisons économiques pour les deux sexes mais cette motivation est plus fréquente chez les hommes (84.6% pour 60.2% chez les femmes). Le lien de famille est une raison qu'on retrouve plus souvent chez les femmes que chez les hommes (22,3% contre 4%): suivre un mari ou trouver un mari. 4.12- Femmes et risques du voyage Les femmes semblent moins souvent informées des risques du voyage que les hommes: 38.6% pour 43.9% d‟hommes. A partir de l'analyse par pays on trouve que les femmes viennent plus fréquemment de pays lointains qui ont connus les conflits politiques ou ethniques. Celles là partent, dans une migration forcée, sans préparation.

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Quels sont les risques de la route ? Parmi les risques qui peuvent être lié au genre, on trouve le harcèlement sexuel qui est de 4.4% chez les femmes, contre 0,2% chez les hommes et le viol qui est de 3.3% chez les femmes et de 0.9% chez les hommes. L‟insécurité est évoquée plus souvent par les femmes: 46% pour 29.5% d‟hommes. Les femmes sont plus fréquemment attaquées par les bandits: 16.1% pour 8.1% chez les hommes. Pour les autres risques les hommes et les femmes semblent à égalités: la faim et la soif, la fatigue et les mauvaises conditions du voyage sont les plus apparentes avec 70%. L‟analyse des données de femmes par pays à démontré que, la route est plus risquée pour les femmes qui viennent du RDC, du Cameroun, du Ghana, de Côte d‟ivoire et du Nigeria pour le harcèlement sexuel et le viol. Le Burkina Fassau, le Mali aussi pour l‟insécurité de la route.

Psy : donc vous, quand vous êtes venu, vous aviez l‟intention d‟aller en Europe ? Migrante : quand je suis venue, c‟était pas tellement d‟aller en Europe. Mon but c‟était d‟abord arriver ici et voir comment été,… rester et voir si je peux travailler. Comme je venais de vous dire travailler un an et rentrer et réaliser ce que j‟avais en tête. Tu sais, la bas, j‟ai de la famille, j‟ai mes deux enfants.

Migrante du congo: oui, c‟était un toit simple chambre cuisine et un salon, pendant un an j‟ai fait des économies, et maintenant je me débrouille. Il faut que je paie mais seulement le travail, je me bat, je me bat encore si je trouve quelque chose, ça fait 5 mois que j‟ai pas travailler. C‟est la faute à la guerre au Tchad et les soudanais, c‟est quand la guerre a commencé, j‟ai reçu même un coup. Psy : une balle ? Migrante : oui ici c‟était a N'djaména, ça me fait toujours.

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Les risques ne sont pas liés à la route seulement, la femme est aussi souvent agressée dans son pays d‟origine. 4.14. Femmes et conditions de vie en Algérie. Les femmes, en grande majorité, travaillent en Algérie, surtout dans les villes du nord du pays mais un peu moins souvent que les hommes: 80.2% contre 93.36%, 27% ont travaillés dans d‟autres pays, durant le voyage contre 30% des hommes. 14.3% de femmes se trouvent sans activités pour seulement 5.2% d‟hommes. Les femmes qui travaillent sont le plus souvent dans les travaux informels: 68.5% pour 74.9% d'hommes Les femmes se retrouvent à faire le ménage: 18.1% contre seulement 2.1% d‟hommes.

Psy : vous parlez aussi des viols, vous avez subi vous aussi un viol? Migrante camerounaise : oui la plupart des femmes ont subi des viols, j‟ai subi un viol. Psy : par qui ? Migrante : pas ici en Algérie, c‟était au Cameroun. Psy : ah! au Cameroun c‟était quand vous étiez petite. A quel âge a peu prés ? Migrante : d‟abord quand j‟étais petite, pas trop petite étant que tel c‟était pas un viol, j‟avais 16 ans, c‟était au moment ou j‟étais déjà marié… c‟était dans la nuit où je sortais voir ma mère, … je rentrais à la maison, … y‟avait le train qui passait, … alors moi je voulais traverser les rails,… c‟est là qu‟un homme est sorti il avait un couteau il ma menacé et c‟est comme ça qu‟il ma violée. Le lendemain je suis partie à l‟hôpital on a essayé de faire les examens, on n'a rien trouvé,… j‟avais peur du sida, mais même ça peut arriver, comme ça, sans viol. Psy: quand vous dites que la plupart des femmes étaient violées, vous parlez de leur pays ou en venant ici ? Migrante : y a celles en venant ici et y a d‟autre dans leur pays, parce que le viol dans notre pays ça ne manque pas.

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Elles sont 4% dans l‟artisanat, couture, broderie et cordonnerie contre 19.3% d'hommes. Le bâtiments semble être un secteur essentiellement masculin: seulement 2.7% de femmes pour 9.1% d'hommes. Par contre, dans le commerce, elles sont dans les mêmes proportions (37%). 12% de femmes et d‟hommes font un peu de tout. Les revenus du travail, sont ils suffisants? Elles arrivent à pouvoir subvenir à leurs besoins personnels et envoyer une partie à leurs familles moins souvent que les hommes: 26% pour 31.6% d'hommes. 31.1% de femmes arrivent à envoyer une partie de leurs revenus au pays pour 45.1% des hommes. Les femmes qui continuent à recevoir de l‟aide du pays sont de 9.6% pour 3.8% des hommes. Une aide qui vient essentiellement des parents et des frères et sœurs. La situation économique des femmes est très précaire: elles sont plus dans le ménage ou au chômage. Dans un ghetto de camerounais, une sur cinq seulement faisaient occasionnellement des bricoles et travaille comme coiffeuse à l‟occasion. Les difficultés pour la femme subsaharienne en situation de migration clandestine installée au nord de l‟Algérie à trouver du travail se trouvent clairement dit dans les récits de vies.

Même celles installées au sud comme cette nigérienne de 27 ans, migrante économique, qui arrive à installer un petit commerce, un restaurant ambulant. Elle souffre comme elle en témoigne

Psy : est ce que maintenant vous regrettez d‟être venue ou non ? Migrante : normalement je regrette vraiment d‟être venue, oui je regrette je ne savais pas que j‟allé arriver a ce niveau, tu n‟as pas les moyens tu ne peux rien faire tu es coincé donc je ne savais pas que ça pouvais arriver Psy : Et si vous étiez informée au départ? Migrante : oui si j‟étais informé au départ avant que j‟allais prendre la route et puis même si je tenais la route je n‟allais pas tomber dans le piége. Tout le problème parce que j‟étais pas informée, je ne savais pas comme ça se passe, je ne connaissais pas le problème.

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4.13. Femme et lien avec le pays d'origine Les femmes qui ont un contact avec la famille sont un peu plus nombreuses que les hommes, 88.6% contre 83.6% pour les hommes Les femmes sont plus en contact avec la famille: père et mère (37.3% pour 26.9% d‟hommes), frères et sœurs ( 12.2% pour 1.9% d‟hommes). Moins fréquemment en contact avec le conjoint (1.3% pour 6.8% des hommes) et avec les amis (1.4% pour 4.4% des hommes). 4.14. Rapports entre les femmes et les hommes ? La violence est le fait le plus apparent dans les relations entre homme et femme subsahariens, une camerounaise qui s‟exprime avec plus de liberté que les autres femmes dit dans son récit de vie:

- A Tamanrasset, elle souffre de violence verbale de la part des algériens du fait qu’elle est seule, et qu’elle a peur des policiers, elle dit « quand je les

vois, je jette ma bouffe et puis je la ramasse après ».

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" Parfois il nous font vivre des choses qu‟on ne peut pas supporter. Parfois tu veux bien rentrer mais rentrer comment? Comment tu vas faire? Y a des choses que moi-même je supporte, par exemple quand il vient te prendre, il te fait n‟importe quoi, il te tapes, il va te ridiculiser il te fait comme si tu étais une petite fille…. Oui, tu n‟as personne à coté. Tout le monde est loin de toi,… il te fait tout ce qu‟il veut, un tas de choses….Moi dernièrement, je suis partie à la police parce que le père de mon enfant me tapais trop… Il m'a mis dehors… .Toujours il me dit sort, sort, sort chaque fois, … et quand moi j‟étais à la police, la police est venue à la maison, la première fois, moi j‟étais me rendre à la police, la,police a appelé c‟était dans le temps de Daouda , donc la police a appelé Daouda. Daouda est venu me chercher là bas, je suis partie me rendre à la police pour qu‟on me refoule, j‟étais enceinte de 4 mois, je n‟arrive pas a supporter, y a trop de souffrance non seulement ta tête travaille…parce que nous ici, les hommes nous maltraitent beaucoup, surtout quand on est éloignées de nos famille,… donc ils se disent qu‟ils peuvent tout nous faire, et rien ne peux leur arriver. Par exemple, le père de mon enfant me dit souvent que je peux te tuer ici en Algérie, ta famille ne me connais même pas, je peux te faire n‟importe quoi, je te tus et après je fuis et je pars. Ni les algériens, ni les camerounais ta famille ne sais pas que je suis avec toi, personne ne va me voir le faire, je te tue et je m‟en vais . Nous sommes vraiment maltraitées, et puis je me dis nous qui venons de loin, vous savez que les femmes algériennes ne se passe pas comme nous qui sommes des clandestins c‟est a nous que ça arrive. Psy : est ce que les hommes africains, en général, sont violents ? Migrante : la majorité est violente.

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L‟autonomie des femmes migrantes est menacée chez des unes, notamment les femmes avec un compagnon et des enfants, une autonomie économique impossible à cause du marché du travail a Alger. Souvent, la femme subit la violence sans protester parce qu‟elle se fait entretenir par son compagnon .

"Parce qu‟il y a les autres qui se trouvent ici en aventure, … y a les évadés des prisons, les voleurs,… ceux qui ont fuit leur pays dont on connait pas certains leurs histoires,… c‟est comme ça que ça peut arriver. Tu croise quelqu‟un que peut être sa famille a peur, peut être c‟est un évadé et surtout tu ne sais pas pour quoi il fuit,… c‟est comme ça,… on reste ensemble tout ce temps et après il va te montrer une autre face,… tu ne peux rien faire, … tu cèdes parce que si tu vas décider de le quitter,… parce que moi, comme j‟ai mon enfant, c‟est tout le monde qui va te repousser,… non! Impossible! psy : c'est-à-dire comme vous êtes sa femme il a le droit de vous faire tout ce qu‟il veut. Migrante : oui il fait tout ce qu‟il veut,… y a pas moyen de fuir ou de faire quoi que se soit. Psy: c‟est surtout les problèmes des femmes si je comprends bien ? Migrante : oui c‟est les problèmes de femmes et beaucoup d‟autres problèmes…. et il n‟est pas le seul,… comme ma sœur la congolaise qui pleurait ici,… ce sont les mêmes problèmes,… même son mari aussi, ce sont les même actes, on ne sais pas comment mais on supporte, les femmes supportent seulement.

Migrante: Oui c‟et ça mon rêve, tout le problème qui se pose c‟est que moi j‟ai le bébé, … si j‟avais pas le bébé, je peux me débrouiller quelque part, parfois il n‟accepte pas, comme c‟est un bébé c‟est pour ça,… tu reste là, il te frappe, il te fais tout ce qu‟il veut. Psy : il s‟occupe un petit peux de son bébé ? Migrante : oui il s‟occupe aussi du bébé, il lui achète des couches, pour la nourriture ce n‟est pas un problème, comme les algériens sont développés…

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Parfois l'autonomie est difficile à cause des différences culturelles entre l‟Algérie et les autres pays d‟Afrique. Cette migrante n‟arrête pas de se plaindre de ne pas pouvoir sortir parce qu‟elle n'est pas habillée comme les algériennes. Elle dit qu'au Cameroun, les femmes peuvent se balader et sortir dans la rue comme elles veulent. Le viol, la prostitution, ou seulement un problème d'intégration des femmes à la communauté des migrants, une reproduction d‟un modèle relationnel culturel. Dans les récits de vie de ce migrant camerounais, on trouve des traces « de traite des femmes ».

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Migrant : j‟ai dis quand les filles arrivent !déjà on m‟appelle pour me dire qu‟il y a des filles qui arrivent. Psy : uniquement pour les filles ou même pour les hommes. Migrant : Même pour les hommes. Là je suis un peu informé, je suis préparé. Mais alors quand les filles arrivent sur place et qu‟elles n‟ont pas de l‟argent pour continuer ; qu‟est ce qu‟on fait je peux appeler quelqu‟un à Alger ou à Oran. Je lui dis que tout récemment tu m‟as dit que quand quelqu‟un arrive il faut que je te fasse signe. Comme tu es encore célibataire, voilà une fille, elle est comme ça et comme ça ….je lui fais le portrait de la fille, et s‟il veut je prends la fille en photo, je vais au net et je lui envoie la photo. Je ne suis pas un proxénet s‟il vous plait. Je vous dis seulement ce qui se passe dans la communauté. Psy : qu‟est ce que vous avez utilisé comme terme là ? Migrant : j‟ai oublié (rire)….. Je ne vends pas les filles. Psy : vous ne vendez pas les filles ? Migrant : non. Psy : qui a dit que vous vendez les filles ? Migrant : personne ! Surtout pas vous. Psy : non, on ne porte pas de jugement sur les personnes. Migrant : moi je mets les 2 personnes en contact, et là s‟ils s‟arrangent nous gagnerons l‟argent du passeport. Et dans l„argent du passeport qu‟il envoie pour la fille, il faut qu‟il envoie quelque chose pour la communauté aussi. C‟est ce qu‟on appelle un peu les droits de dédouanement. C‟est vrai ce n‟est pas une marchandise, mais puisqu‟il faut bien que la communauté survive, cet argent qu‟il envoie, c‟est vrai que cet argent n‟entre pas dans les poches du président ni du gouvernement… . Psy : cet argent peut aller jusqu‟à combien ? Migrant : parfois dans les 20 000DA. Psy : ……….. ? Migrant : parfois oui, une partie va dans les poches du président et une autre va dans les caisses noires du gouvernement. Psy : et c‟est des filles pour travailler pas pour le travail du sexe. Migrant : pas le travail du sexe. Quand la fille va, elle va en tant que petite amie du gars. Parce qu‟ils ont eu le temps de parler au téléphone. Cette fois-ci ils ne se sont pas encore vus mais parfois le courant passe vite. Ils s‟envoient des photos pour savoir quel genre de mec j‟ai et quel genre de fille j‟attends.

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Dans un autre entretien avec une camerounaise:

L‟évolution des rapports de genre reste à étudier, surtout dans les conditions de la migration clandestine où la femme n'est protégée ni par la loi, ni par la famille, ni par la communauté.

Psy: ou bien c‟est par la nationalité que vous regroupez ? Migrante : oui y a d‟autres nationalités y a des congolaises Psy : elles sont entre elles ou bien vous vous mélangez ? Migrante : on est mélangé y à même des tchadiennes, mais elles sont toujours avec nos frères camerounais. Psy : ah d‟accord, alors c‟est la nationalité de l‟homme au fait qui désigne un petit peut les regroupements. Migrante : c‟est ça oui, là ou nous sommes y a beaucoup de camerounais.

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CHAPITRE V

TYPOLOGIE DES MIGRATIONS SUBSAHARIENNES EN ALGERIE

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Après avoir procédé à la radiographie des migrants subsahariens, nous proposons la construction d‟une typologie des migrations pour rendre intelligibles les différences profondes entre la migration frontalière, les réfugiés et la migration économique. De même, nous tenterons des coupes transversales, parce que non exclusives, selon la migration de transit, la migration de retour éventuel et la migration familiale. 5.1. Construction de la typologie Le profil global esquissé dans le chapitre précédent ressemble plus à un archétype des migrants subsahariens présents en Algérie. La construction d‟une typologie permet alors de mieux cerner les particularités des migrations irrégulières en Algérie. Selon la nature de l‟entrée, 15% de la population enquêtée affirme avoir obtenu un visa pour séjourner en Algérie ! Ils sont actuellement en dépassement de la durée de séjour autorisée. Autre fait, 5% des enquêtés affirment avoir été déjà refoulés du territoire algérien, ce sont ainsi des récidivistes. Les primo migrants sont dominants, avec 70% des réponses. Mais les multi-migrants ont entre 2 et 50 tentatives d‟entrée en Algérie. De même, pour l‟exercice de l‟activité, moins de 1% des enquêtés affirment travailler dans la légalité. Les indicateurs de légalité (d‟entrée, de résidence ou de travail) sont peu significatifs pour la construction d‟une typologie. Notre construction est fondée, d‟abord, sur la présence de réfugié potentiel parmi les migrants subsahariens. De même, historiquement, le territoire du Sahara est occupé par les Touaregs, les hommes libres qui sont depuis peu sédentarisés dans les différents pays des rives nord et sud du désert. Une économie des frontières existe bel et bien. La migration économique frontalière, avec son pendant historique, une migration économique, est ainsi une réalité économique et sociale à construire. Ces trois types de migration peuvent être aisément construits tant ils se complètent et ils s‟excluent mutuellement. Sont regroupés dans le type de migrants dits « réfugiés potentiels» (5%), les personnes ayant déclaré avoir émigré pour fuir des problèmes de sécurité, des problèmes d‟ordre public, ou des persécutions politique, ethnique ou religieuse. Les migrants frontaliers proviennent notamment des pays limitrophes de la frontière «sud» de l‟Algérie, à savoir le Mali et le Niger, et qui résident dans la région du sud. Ils représentent 51% de la population enquêtée. Le reste de la population forme la migration économique, par convention.

Figure N°23 : Typologie des migrants

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Cette entrée en matière plante le décor de notre univers d‟analyse, une typologie en trois dimensions avec trois coupes transversales qui seront effectuées mettant en relief la migration de transit et la migration féminine et la migration de retour. Avant d‟entrer dans l‟étude des traits particuliers de chaque type, il y a au moins, deux dimensions comparatives qui méritent qu‟on s‟y attarde: l‟espace et le temps. En premier, il s‟agit de cerner des pays d’origines des migrants subsahariens, un des paramètres importants pour situer la nature du problème et la multiplicité des acteurs et des pays concernés. Quant aux poches des migrants en Algérie, une ventilation selon la typologie retenue permet de comprendre la dynamique du phénomène. Après l‟espace, le phénomène mérite d‟être étudié dans le temps. La date d‟entrée des migrants en Algérie nous renseigne non seulement sur la durée de séjours mais aussi sur l‟âge des migrants au moment de s‟installer dans un des types de migration. 5.2. Dispersion spatiale

Toute analyse des migrations internationales s‟arrête en premier lieu

sur les pays d‟origine des migrants. Cette règle est maintenue tant elle nous renseigne sur les distinctions fondamentales de notre typologie. Il est aussi admis, notamment dans le traitement des migrations irrégulières, la grande méfiance des personnes à déclarer leurs pays d‟origine ou encore mieux leurs nationalités du moment.

Tableau N°2 : Dispersion selon la typologie et les pays d‟origine

déclarés

Pays d‟origine Economique Refugié Frontalier Ensemble Gabon 0,1 0,0 0,0 0,0 Afrique du Sud 0,0 0,6 0,0 0,0 Tanzanie 0,1 0,0 0,0 0,0 Mauritanie 0,1 0,0 0,0 0,0 Rwanda 0,0 0,8 0,0 0,0 Ethiopie 0,1 0,0 0,0 0,1 Centre Afrique 0,0 1,6 0,0 0,1 Ouganda 0,1 0,8 0,0 0,1 Sierra Leone 0,1 0,8 0,0 0,1 Angola 0,1 1,2 0,0 0,1 Gambie 0,3 0,0 0,0 0,1 Congo Brazza 0,5 0,0 0,0 0,2 Sénégal 1,6 0,0 0,0 0,7 Guinée 2,2 0,0 0,0 1,0 Togo 2,3 1,9 0,0 1,1 Burkina Faso 2,5 1,4 0,0 1,2 Tchad 3,9 0,0 0,0 1,7

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Cote d'Ivoire 3,4 8,3 0,0 1,9 Liberia 2,7 31,6 0,0 2,9 RD Congo 5,1 28,1 0,0 3,7 Benin 10,3 1,6 0,0 4,6 Ghana 12,1 2,7 0,0 5,5 Nigeria 13,3 5,3 0,0 6,2 Cameroun 13,7 7,4 0,0 6,5 Mali 4,7 1,0 19,9 12,2 Niger 20,6 4,9 80,1 49,7 ND 0,2 0,0 0,0 0,1 Ensemble 100,0 100,0 100,0 100,0

Il est évident que la migration économique frontalière au sud de

l‟Algérie ne peut provenir que des pays riverains, notamment le Mali et le Niger. Et comme nous l‟avons déjà signalé, dans cette zone, une économie frontalière fonctionne depuis des millénaires avec la libre mobilité des peuples touaregs au travers des différentes contrées du désert. La sédentarisation des nomades n‟a pas pour autant réduit l‟économie du troc au niveau de la zone. Cette économie est même institutionnalisée par l‟Algérie avec des accords bilatéraux régulièrement réajustés avec les pays subsahariens riverains du désert. Par contre, les migrants potentiellement réfugiés proviennent, pour une part infime des pays frontaliers, mais surtout du reste de l‟Afrique subsaharienne. Deux pays (Liberia et République Démocratique du Congo) occupent le podium avec 58% des migrants potentiellement réfugiés. Ces deux pays sont suivis d‟une dizaine d‟autres nationalités. De même, les migrants économiques proviennent d‟une vingtaine de pays d‟Afrique subsaharienne. On peut observer que des migrants des pays frontaliers aussi s‟intègrent dans cette forme de migration car ne résidant pas dans les territoires du sud de l‟Algérie.

La répartition des migrants sur le territoire nationale offre une

dispersion des personnes en fonction du type des migrations. La migration frontalière dont la wilaya de résidence est retenue dans sa construction, offre une dispersion intéressante dans les wilayas du Grand Sud, avec Tamanrasset, Adrar, Bechar comme destination privilégiée. Par contre les réfugiés sont concentrés notamment dans les grandes villes du Nord – Oran, Alger pour 85% des migrants potentiellement réfugiés. Les migrants économiques occupent pratiquement l‟ensemble des poches de migration irrégulière identifiée sur le territoire nationale.

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Tableau N°3: Répartition des migrants selon le type et la wilaya de résidence

économique réfugié frontalier ensemble Batna 0,1 0,0 0,0 0,0 Illizi 0,1 0,0 1,5 0,8 Laghouat 0,1 0,0 2,5 1,3 Naama 0,1 0,0 3,9 2,0 Djanet 0,3 1,0 3,1 1,8 Biskra 0,5 0,0 0,0 0,2 Bechar 0,7 1,9 6,8 3,8 Sidi Bel Abbés 1,3 0,0 0,0 0,6 El Tarf 1,4 0,8 0,0 0,6 Ain Temouchent 1,5 0,0 0,0 0,6 Tlemcen 1,5 0,8 0,0 0,7 Mascara 1,6 0,0 0,0 0,7 Mostaganem 1,9 0,0 0,0 0,8 Annaba 1,9 0,8 0,0 0,9 Ouargla 4,0 4,9 4,6 4,3 Ghardaïa 4,4 0,0 12,9 8,5 Adrar 5,2 0,0 8,7 6,7 Constantine 5,0 0,0 0,0 2,2 Tamanrasset 15,7 4,9 55,9 35,4 Alger 19,7 54,6 0,0 11,6 Oran 32,9 30,4 0,0 16,2 Ensemble 100,0 100,0 100,0 100,0

Le coût du voyage est fonction de la dispersion spatiale des pays d’origine Le coût du voyage est fonction de la distance à parcourir. Ce qui semble évident ne l‟est pas systématiquement, les coûts intègrent d‟autres paramètres non-identifiables, tels la période du passage des frontières, le nombre de personnes, la qualité du passeur… C‟est ainsi que nous avons construit une hiérarchie des coûts moyens selon les pays d‟origine déclarés

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Graphique N°24: Hiérarchisation des coûts moyens selon les pays d‟origine Unité : en dollars US

Le coût moyen le plus élevé est enregistré par les Ivoiriens avec plus de 7000 dollars par personne. Le coût moyen le plus bas est relevé chez les nigériens avec 120 dollars par personne. Nous pouvons aussi observer deux tranches nettes, les ressortissants de 17 pays (du Niger à la Tanzanie), le coût moyen du voyage est de moins de 1000 dollars par tête. Les quatre pays restant (Angola, Afrique du Sud, Rwanda et Côte d‟ivoire), les coûts moyens varient entre 2588 dollars à 7454 dollars, selon les déclarations des migrants. Toutefois, il est important de souligner que ces coûts moyens n‟ont de significations que par rapport à la période de départ. Avec l‟hypothèse qu‟il y a une évolution dans le temps, c‟est selon l‟année de départ du pays ! Si le coût moyen global est de l‟ordre de 488 dollars déclarés par personne, c‟est surtout durant les années 2002-2003 que le coût moyen global est le plus élevé, estimé à 849 dollars. Ces dernières années, le coût moyen accuse une

Page 88: Rapport de la_recherche_sur_les_migrants_subsahariens

baisse sensible. Cette baisse peut être expliquée par une plus forte concurrence entre passeurs. Cependant, la différence entre les coûts de la migration est intéressante à mettre en relief sur un autre plan. Le graphique suivant donne l‟amplitude des distinctions entre les trois types retenus de la migration.

Pour les migrations frontalières, le coût est le plus bas avec un montant

maximum de 60 dollars. Les migrants économiques se partagent entre deux tranches de manière plus ou moins égales, avec 40% entre 145 et 350 dollars et le même pourcentage avec un coût qui dépasse les 350 Dollars. Par contre, les réfugiés enregistrent les coûts les élevés avec plus de 350 dollars qu‟ils déclarent pour le voyage vers l‟Algérie.

5.3. Durée des migrations

Tout comme la notion d‟espace, la notion du temps a une importance capitale dans l‟analyse des migrations irrégulières. Ce paramètre est construit sur la base de différentes questions liées à la date de départ du pays d‟origine et de la date d‟entrée en Algérie. Combiné avec la date de naissance des migrants, nous avons l‟âge d‟entrée en Algérie. L‟âge médian d‟entrée en Algérie est de 26 ans tandis que l‟âge médian du départ du pays d‟origine est de 27 ans. L‟écart global étant ainsi d‟une unité entre la date de départ et la date d‟entrée en Algérie. Cet écart est progressif pour les trois types de migrations : il est d‟une unité pour les migrants frontaliers, de deux unités pour les migrants économiques et de trois unités d‟écart pour les réfugiés potentiels. La durée de migrations traduit les différentes étapes du voyage avant d‟atteindre l‟Algérie. La durée de migration ne correspond pas toujours à la durée de séjour en Algérie pour au moins 25% des migrants.

La durée médiane de séjour des migrants en Algérie est estimée à 2 ans. Cette durée est aussi valable pour les réfugiés que pour la migration

Figure N°25 Radar des coûts selon le type

de migrations

Page 89: Rapport de la_recherche_sur_les_migrants_subsahariens

économique. Elle est de 3 ans pour les frontaliers. La fourchette de la durée de séjour varie entre une « année et moins » à 36 ans ! Ce qui pose un problème de la mesure de l‟âge des migrants. Le plus vieux des migrants actuellement est entrée en Algérie à l‟âge de 12 ans, il a actuellement une ancienneté de 36 ans en Algérie et il est toujours en situation irrégulière. Ainsi, l‟âge actuel des migrants n‟est pas un indicateur sensible quant aux types de migrations. C‟est surtout l‟âge d‟entrée sur le sol algérien qui indique la nature des trajectoires et les péripéties des migrants pour la recherche d‟un statut de migrant.

On peut aisément observer sur le graphique suivant, les variations d‟entrées en Algérie selon l‟âge et les types de migration. Les migrants frontaliers entrent à tous les âges en Algérie, de l‟enfant jusqu‟au troisième âge. Les migrants économiques entrent en Algérie assez jeunes : 45 ans au plus. Les réfugiés entrent à partir de 11 ans et jusqu‟à la cinquantaine. Les pics d‟âge sont différents d‟un type à l‟autre : le pic le plus haut est de 22 ans pour les frontaliers, 25 ans pour les migrants économiques et 30 ans pour les réfugiés.

Figure N°26: Variation de l’âge d’entrée en Algérie selon les types de migration

Page 90: Rapport de la_recherche_sur_les_migrants_subsahariens

5.4. Caractéristiques particulières des migrations irrégulières

On parle bien des migrations irrégulières présentement. La typologie construite nous permet de démontrer l‟hétérogénéité des mouvements des populations subsahariennes vers et à travers l‟Algérie. Une analyse approfondie peut révéler des traits spécifiques ou des caractéristiques communes de chaque type. Cette tentative de spécifier les types est accompagnée aussi, comme nous l‟avons déjà annoncé, par trois coupes transversales des types, pour mettre en relief, la migration de transit, la migration familiale et la migration de retour potentiel.

Les réfugiés potentiels

La présence des réfugiés parmi les migrants subsahariens en situation irrégulière en Algérie n‟est pas un mystère en soi. Pour rappel, parmi les pays du Maghreb central, l‟Algérie abrite la plus fort contingent de réfugiés, reconnus par le HCR, sur son territoire38. La quasi-totalité des migrants potentiellement réfugiés sont entrés en Algérie notamment depuis 1994 avec un pic observé en 2005. Depuis cette date, la tendance des arrivés est à la baisse. La catégorie de population appelée "réfugiés", bien que relativement peu importante en nombre semble à priori avoir des caractéristiques très spécifiques. Il est à noter que 15% des réfugiés ont déjà fait l‟objet d‟un refoulement. Elle regroupe les personnes qui ont été contraints de fuir leurs pays, selon des motifs variés et cumulés, comme on peut le constater sur le graphique suivant

NB : le pourcentage des réponses dépasse le 100% en raison des réponses multiples

Pour la quasi-totalité, tel que nous l‟avons construit, le problème de sécurité est le motif principal,. Mais il y aussi d‟autres raisons évoquées, telle les persécutions, qu‟elles soient d‟ordre politique, ethnique ou religieuse.

38

Cf. Statistiques de l’UNDESA, 2007. L’Algérie abrite plus de 150 000 réfugiés, tandis que la Maroc et la Tunisie, ensemble, n’hébergent que 300 réfugiés.

Figure N°27 Motivation des réfugiés

potentiels.

Page 91: Rapport de la_recherche_sur_les_migrants_subsahariens

Comme nous l‟avons déjà souligné, cette population se distingue aussi

dans la dispersion dans l‟espace, tant des pays d‟origine que dans sa mobilité sur le territoire algérien ; puis selon une temporalité assez spécifique, ils sont arrivés en Algérie pour la plupart dans les années 2000.

Une segmentation de ce type de migrant par rapport aux migrants

économiques, pris dans sa globalité, permet de mettre en évidence une série de caractéristiques assez spécifiques de réfugiés selon les résultats suivants. Tableau N°4 : Modèle de régression sur le migrant potentiellement réfugié Indicateurs et modalités B E.S. Wald ddl Signif. Exp(B)

Région Sud (référence) 172,309 3 ,000

est ,242 ,234 1,073 1 ,300 1,274 Ouest ,301 ,161 3,485 1 ,062 1,352 centre 1,749 ,152 132,625 1 ,000 5,748 Niveau scolaire

Analphabète (référence) 149,381 5 ,000

coranique -1,445 ,275 27,564 1 ,000 ,236 Primaire -,541 ,212 6,484 1 ,011 ,582 Moyen -,021 ,206 ,010 1 ,920 ,979 Secondaire ,378 ,198 3,665 1 ,056 1,460 Supérieur 1,417 ,219 42,001 1 ,000 4,126 Retour (oui/non) -,596 ,111 29,125 1 ,000 ,551 2002 – 2004 -,674 ,130 27,028 1 ,000 ,510 2005+ -,253 ,206 1,508 1 ,219 ,776 Etat matrimoniale

Célibataire (référence) 6,196 2 ,045

Familiale -,098 ,158 ,385 1 ,535 ,906 Autres ,238 ,128 3,470 1 ,062 1,269 destination(1) transit vs

immigré ,398 ,132 9,057 1 ,003 1,489

REVENU

4000 ou moins 71,134 4 ,000

4001,00 - 6000,00 -,014 ,205 ,004 1 ,947 ,987 6001,00 - 8000,00 -,821 ,222 13,672 1 ,000 ,440 8001,00 - 12000,00 ,660 ,177 13,916 1 ,000 1,934 12001,00+ ,091 ,181 ,253 1 ,615 1,095 Groupe d’âge

27 ou moins (référence) 122,766 2 ,000

Entre 28 et 35 ans 1,382 ,152 83,222 1 ,000 3,984 36 ans et plus 2,006 ,184 119,291 1 ,000 7,436 Constante -3,638 ,116 986,914 1 ,000 ,026

Page 92: Rapport de la_recherche_sur_les_migrants_subsahariens

Les traits individuels qui font qu‟un migrant soit probablement un

réfugié sont de trois ordres : les migrants âgés des plus de 36 ans, ayant un niveau d‟instruction de niveau supérieur et ayant un statut plutôt célibataire. Sur le plan matériel, deux catégories extrêmes de réfugiés apparaissent, soit ils on une aisance matérielle ou alors ils sont dans la précarité totale. Aussi et nous le verrons par la suite, ils sont plus en situation de « transit » en Algérie et sont peu disposés aussi au retour dans leurs pays d‟origine

Sur le plan socio-économique, les réfugiés forment une catégorie assez particulière. Ils sont près de 70% des actifs qui exercent évidemment « sans permis de travail » et 17% sont « sans travail ». La plupart des actifs occupés exercent «un peu partout » (40%). Ce secteur est suivi par celui des BTP qui occupe 18% des réfugiés. Puis comme, une part importante est constituée par des femmes actives (17%), le secteur des « ménages», notamment services aux particuliers, occupe la troisième position. Ce qui est assez étonnant, dans le secteur de l‟artisanat, c‟est que le revenu moyen mensuel maximum est de 10 700 DA, suivi par « travaille un peu partout » avec 10 600 DA. Le reste des secteurs identifiés ne permet même pas d‟atteindre les 10 000 DA/mois. Selon le niveau d‟instruction, bien que cette population soit constituée par une part importante de personnes de niveau secondaire et plus (60% des actifs), ce sont les travailleurs de niveau moyen qui engrangent un niveau de revenu moyen, proche du SMIG algérien. Les réfugiés maintiennent des contacts avec le pays d‟origine mais sont moins disposés à envoyer de l‟argent à leurs proches, seulement 18.4% font des transferts dont près du tiers de manière mensuelle. Mais il est à relever, que les réfugiés affirment être les plus indigents car seulement 15% affirment que les revenus tirés d‟une activité économique soient suffisants pour la satisfaction de leurs besoins élémentaires.

La migration frontalière

La migration frontalière est la forme classique de nos voisins du Sud qui entre dans les rapports de « bon voisinage » avec l‟Algérie dans la régulation d‟une économie frontalière. Tels que conçus, les migrants frontaliers demeurent et travaillent dans le grand sud. Leur présence en Algérie date des années 1970. Elle forme aussi la population la plus importante de migrants. Les motivations à la base de la migration frontalière sont surtout l‟insuffisance de revenus, suivi par le chômage et le manque de perspectives socioéconomiques. Il va de soi que la proximité géographique et l‟histoire commune des peuples des pays voisins sont aussi des facteurs à la base de cette migration. Par ailleurs, il est à souligner qu‟une colonie de maliens et de nigériens sont présents de longue date dans les régions du Sud, dont une part importante ont la nationalité algérienne. L‟existence d‟un réseau de solidarité est un avantage particulier pour les frontaliers et ils sont les moins nombreux à subir le refoulement d‟Algérie.

Page 93: Rapport de la_recherche_sur_les_migrants_subsahariens

Les traits individuels des migrants frontaliers sont assez intéressants : c‟est une population assez jeune (moins de 3o ans), de faible niveau d‟instruction et plutôt masculine (85%). Elle a un double profil social se partageant de manière plus ou moins égale entre les mariés et les célibataires. Elle accuse une faible propension à la migration de transit mais sont plus enclins au retour dans leurs pays d‟origine.

Sur le plan socio-économique, cette population est largement versée dans l‟économie informelle, telle qu‟elle est organisée dans les oasis du Sud (77%). Ils sont 93% en activité. Les actifs frontaliers sont moins exposés au chômage avec un taux de 7%. Ils sont 48% dans le « petit commerce ». Le deuxième secteur revient à l‟artisanat qui occupe 19% des frontaliers. Pourtant ces deux secteurs ne rapportent pas le maximum de revenus aux travailleurs. Le revenu moyen mensuel des frontaliers dans le commerce atteint 7300 DA, tandis que la moyenne dans l‟artisanat est estimée à 7500 DA. C‟est surtout dans le secteur agricole de l‟économie oasienne que les frontaliers maximisent leurs gains avec 11 600 DA, proche du SNMG algérien. De même le « bâtiment » a un rapport intéressant avec un revenu moyen de 10 800 DA. Les femmes actives arrivent difficilement à dépasser la moitié du revenu moyen des hommes. En fonction des niveaux d‟instruction, le frontalier de niveau supérieur atteint un revenu qui peut aller jusqu‟à 13 600 DA.

L‟une des particularités des travailleurs frontaliers est évidemment la nature des rapports qu‟ils entretiennent avec les membres de la famille restés aux pays d‟origine. Les frontaliers sont les plus satisfaits de leurs revenus par rapport aux autres catégories de migrants. Ils sont aussi le plus nombreux à effectuer des transferts à la famille restée au pays d‟origine : 56% contre une moyenne globale de 46%. Ils envoient ainsi plus de la moitié de leurs gains avec une fréquence plutôt mensuelle, sinon trimestrielle. Les frontaliers accusent aussi le taux le plus faible parmi les migrants qui reçoivent de l‟aide du pays d‟origine, avec 1% des cas contre une moyenne globale de 5%.

Figure N°28 Motivations de la migration

frontalière

Page 94: Rapport de la_recherche_sur_les_migrants_subsahariens

La migration économique

Cette population est parfaitement distincte des deux premières catégories. Bien qu‟elle partage presque les mêmes motivations que la migration frontalière, avec une expression plus importante pour l‟insuffisance de revenus, suivi du chômage et du manque de perspectives économiques.

Nous avons déjà vu que sa dispersion des pays d‟origines couvre un large spectre de l‟Afrique subsaharienne. Cette dispersion traduit aussi de longues distances parcourues notamment par ceux qui sont venus par voie terrestre ; donc une durée de migration relativement longue avant d‟entrer en Algérie. De même, elle est assez dispersée dans les poches de migration.

Les traits individuels de cette population sont marqués par un fort taux de célibat, des hommes pour la plupart, repartis dans toutes les classes d‟âges et les niveaux d‟instruction sans grande différence. Cette migration se distincte notamment par une touche linguistique anglophone qui rend leur quotidien dans un pays arabophone (et francophone) comme l‟Algérie assez difficile. Cette population est la plus encline à «transiter » par l‟Algérie en direction de l‟Europe notamment. Le sentiment du retour est assez fort en cas d‟échec des projets migratoires.

Sur le plan socio-économique, les migrants économiques sont en

Algérie pour travailler surtout, mais ils ne sont que 75% qui déclarent bénéficier d‟un revenu d‟une activité économique. Ils sont 38% dans le « petit commerce », 23% dans l‟artisanat et 16% travaillent «un peu partout». Les travailleuses dans cette catégorie sont assez nombreuses, elles représentent 14% des actifs.

Les femmes bénéficient d‟un revenu moyen mensuel assez faible par

rapport aux hommes avec 8 900 DA, soit légèrement inférieur à la moyenne

Figure N°29 Motivation de la

migration économique

Page 95: Rapport de la_recherche_sur_les_migrants_subsahariens

générale, estimée à 11 000DA/mois. Les migrants économiques dans l‟artisanat déclarent recevoir le gain moyen maximum avec 14 200 DA/mois. Le gain moyen minimum est relevé par ceux qui affirment exercer dans «plusieurs secteurs» ou dans «l‟agriculture», avec seulement 6 900 DA/mois.

Les migrants économiques sont plus ou moins satisfaits (32%) des

revenus procurés en Algérie et 40% parmi eux opèrent des transferts d‟argent aux membres de la famille restés aux pays d‟origine Sur cet ensemble,45% affirment envoyer plus de la moitié des leurs gains, plutôt d‟un fréquence «aléatoire», sinon «trimestrielle».

Pour conclure sur cette typologie des migrations irrégulières, la dimension socio-économique semble discriminer parfaitement les trois types observés. On peut aisément déduire que 66% des migrants semblent avoir des difficultés financières car avec les revenus tirés de leurs activités, ils n‟arrivent pas à satisfaire leurs besoins élémentaires. Malgré cette condition de précarité affirmée, ils sont 36% de migrants qui ne manquent pas de partager leur maigre revenu avec leurs proches restés aux pays d‟origine.

5.5. Une analyse par coupes transversales de la typologie Une lecture transversale de cette typologie apporte d‟autres éléments pertinents pour lever le voile sur certains faits et comportements nouveaux observés parmi les migrations irrégulières en Algérie. Trois coupes ont été effectuées. La première porte sur la « migration de transit », le deuxième sur la migration familiale et la dernière sur la migration de retour potentiel. La migration de transit

La migration de transit est une donnée nouvelle en Algérie. Les trois types de migrations présentent chacun une propension de ré-émigration avec une plus forte tendance relevée chez les réfugiés potentiels notamment. La migration de transit est mesurée à partir du projet des migrants qui optent pour la plupart, pour une migration vers l‟Europe. La configuration d‟une migration de transit parmi les populations subsahariennes est assez aisée. Ils sont 43% des migrants qui affirment « transiter » par l‟Algérie vers d‟autres destinations, dont 40% vers l‟Europe. En fonction de notre typologie, ils sont 83% des réfugiés potentiels qui envisagent de poursuivre leur migration vers d‟autres contrées, 61% des migrants économiques n‟ont pas l‟intention de rester en Algérie et 23% des migrants frontaliers s‟inscrivent dans la même perspective. Les migrants de transit, comme nous l‟avons déjà évoqué, sont assez dispersés sur le territoire Algérie. Une analyse par segmentation de la population en transit versus immigration en Algérie, indique un certain nombre de traits marquants de cette population.

Page 96: Rapport de la_recherche_sur_les_migrants_subsahariens

Tableau N°5: Analyse régression des migrants de transit en Algérie Indicateurs & modalités B E.S. Wald ddl Signif. Exp(B)

région Sud (référence) 602,646 3 ,000

Est -,096 ,088 1,190 1 ,275 ,909 Ouest ,640 ,060 115,630 1 ,000 1,896 Centre 1,771 ,076 547,951 1 ,000 5,876 Groupe d’âge

27 ou moins (référence) 192,443 2 ,000

Entre 28 et 35 ans ,084 ,048 3,110 1 ,078 1,088 36 ans et plus -,612 ,059 108,600 1 ,000 ,543 Résidence dans le pays

d’origine (urbain/rural)) 1,493 ,046 1035,195 1 ,000 4,449

Arabe écrit Non (référence) 116,994 4 ,000

Peu -,795 ,082 93,318 1 ,000 ,452 Moyen -,151 ,102 2,198 1 ,138 ,860 Bien -,278 ,119 5,445 1 ,020 ,757 Très bien ,841 ,218 14,967 1 ,000 2,320 Français écrit

Non (référence) 110,163 6 ,000

Peu -,079 ,086 ,841 1 ,359 ,924 Moyen ,495 ,108 20,990 1 ,000 1,641 Bien ,125 ,119 1,109 1 ,292 1,133 Très bien 1,277 ,163 61,043 1 ,000 3,584

Pourquoi ce choix de destination liens de famille (référence)

147,161 5 ,000

Liens amicaux ,585 ,175 11,222 1 ,001 1,795 Recherche du travail ,261 ,086 9,185 1 ,002 1,299 Intégration sociale 1,299 ,142 83,792 1 ,000 3,664 Autre -,127 ,222 ,328 1 ,567 ,880 Plusieurs choix ,943 ,124 57,664 1 ,000 2,569 Constante ,884 2902,042 ,000 1 1,000 2,420

Les variables les plus significatives sont dans l‟ordre suivant : - Les migrants résidant dans la zone du Nord de l‟Algérie ont une

plus forte probabilité d‟être des migrants de transit. - La probabilité des célibataires d‟être des migrants de transit est la

plus forte. - Ce sont les plus jeunes qui ont le plus tendance à être des migrants de

transit.

Page 97: Rapport de la_recherche_sur_les_migrants_subsahariens

- Plus le niveau d‟instruction augmente plus il s‟agit d‟une migration de transit ; la probabilité qu‟un universitaire soit un migrant de transit est 1,7 plus élevé que celle d‟un analphabète.

- Les anglophones ont plus de probabilité d‟être des migrants de transit.

- Les bons arabisants sont aussi des migrants de transit mais pour d‟autres destinations que l‟Europe.

- Pour la langue française, mais la relation est beaucoup moins nette, les très bons francophones ont trois fois et demi plus de probabilité d‟être des migrants de transit par rapport à ceux qui ne savent pas écrire en français.

- La probabilité d‟être des migrants de transit est trois fois plus faible chez ceux qui travaillent en Algérie par rapport à ceux qui ne sont pas occupés.

En bref, la probabilité d‟être un migrant de transit peut être résumée par le profil suivant : jeune et célibataire, provenant du monde urbain et résidant dans les wilayas du Nord, ayant un niveau d‟instruction assez élevé et une maîtrise des langues étrangères, n‟ayant pas d‟emploi. La migration familiale

Fait nouveau qui reste peu étudié, la présence de femmes, voire de familles qui se déplacent (migration familiale), peut être observée dans les trois types de migrations observées en Algérie. La part de femmes est assez faible. Elles ne représentent que 14% des populations enquêtées : la part la plus importante se trouve parmi les réfugiés avec 25% ; puis 18% des économiques et 10% des frontalières. La migration familiale n‟est pas à confondre avec la migration féminine même si la plupart des femmes voyagent en famille (75%) contre seulement 16% des hommes qui sont accompagnés par un membre de la famille. L‟hypothèse la plus probable est que les femmes migrent en famille. Les femmes célibataires qui s‟inscrivent dans un processus migratoire sont peu nombreuses en raison des risques inhérents au voyage et au fait qu‟en Afrique ce rôle est encore dévolu aux hommes

La migration familiale en fonction de notre typologie donne la

représentation suivante : la part des migrants familiaux est la plus importante parmi les réfugiés, puis un niveau légèrement supérieur des familles sont dans la migration frontalière et enfin, un peu plus de 20% sont des migrants économiques.

Page 98: Rapport de la_recherche_sur_les_migrants_subsahariens

Si dans le temps, aucune différence significative n‟est observée entre les migrants familiaux et les non-familiaux, dans l‟espace, on observe une forte concentration des migrants familiaux dans la région du Sud, ce qui explique aussi leur appartenance à la migration frontalière. Les migrants familiaux sont peu instruits avec près de 60% de niveau « primaire et moins ». Pour les migrants familiaux, l‟Algérie comme destination est choisie à 72% pour le travail mais également pour des liens familiaux. C‟est sur le plan économique que la distinction est plus forte. 75,5% des migrants familiaux disent ne pas parvenir à subvenir à leurs besoins contre 63,4% pour les migrants célibataires. Les migrants familiaux ont davantage tendance à envoyer une partie de leurs revenus au pays 48,9% contre 30,7% pour les migrants célibataires. Enfin, les migrants familiaux seraient davantage enclins à retourner chez eux (82%) s‟ils ne parviennent pas à atteindre leur destination contre 60% pour les migrants célibataires.

Figure N°30 Migrants familiaux selon la

typologie des migrations

Page 99: Rapport de la_recherche_sur_les_migrants_subsahariens

La migration de retour Enfin, la dernière configuration porte sur la migration de retour, bien entendu potentielle, par ceux qui souhaitent, dans certaines conditions, d‟un retour au pays d‟origine. Ils sont 67,8% qui positivent le retour en cas d‟échec de leurs projets migratoires: 70% parmi les frontaliers, 66% des économiques et 57% des réfugiés. Cette éventualité est bien présente dans l‟esprit des migrants subsahariens en cas d‟échec de leurs projets migratoires. Plus de 60% des migrants connaissent des personnes qui ont déjà empruntées le chemin du retour. Figure N°31: Raisons pour le retour dans le pays d’origine selon le type de migrations

Nb : la somme des % dépasse 100% pour les réponses multiples

L‟éventualité d‟un retour serait motivée pour les migrants frontaliers

pour des raisons plutôt familiales (plus de 35%) et l‟espoir de réaliser un projet professionnel au pays d‟origine. Pour les migrants économiques, le retour serait inévitable avec la précarité des conditions de vie en Algérie (plus de 20%), certes ce motif est suivi par les raisons familiales et l‟espoir de création d‟une activité économique. Pour les réfugiés, en pôle position se trouve la précarité des conditions de vie (plus de 20%), suivie par la nostalgie de la famille et surtout « être mieux chez soi », car cette catégorie a été contrainte de quitter le pays d‟origine.

L‟analyse de régression (cf. tableau de régression suivant) effectuée sur la probabilité de retour indique les traits prédominants suivants pour les migrants susceptibles d‟opter pour cette éventualité : - les femmes plus disposées (par inférence, les migrants familiaux) que les hommes au retour. - La probabilité de vouloir retourner dans le pays d‟origine augmente avec l‟âge. En d‟autres termes ceux qui quittent leur pays d‟origine à un âge avancé ne vont pas jusqu‟au bout de leur projet migratoire. - De même, les nouveaux venus sont plus prompts que les anciens à opter

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éventuellement pour le retour. - Ceux qui ont un emploi en Algérie ont 1,5 fois plus de probabilité de vouloir rentrer chez eux. La combinaison des deux variables (emploi en Algérie avec celle du travail dans le pays d‟origine) peut nous fournir des éléments d‟explication. Lorsque le différentiel n‟est pas élevé le migrant préfère travailler chez lui. - Enfin, la méconnaissance de la langue arabe est aussi un frein pour les migrants subsahariens à poursuivre leurs projets.

Tableau N°6: Segmentation des migrants selon la probabilité de retour

Indicateurs et modalités B E.S. Wald ddl Signif. Exp(B) Sexe (femme/homme) ,316 ,057 30,633 1 ,000 1,372

Année de sortie du pays d’origine 2001 ou avant (référence)

291,991 2 ,000

2002 - 2004 ,473 ,041 132,711 1 ,000 1,604 2005+ ,791 ,048 274,114 1 ,000 2,206 Type migrant

Célibataire (référence) 88,142 2 ,000

Familiale ,589 ,064 83,709 1 ,000 1,802 Autres ,262 ,043 36,710 1 ,000 1,299 Groupe d’âge

27 ou moins (référence) 160,897 2 ,000

Entre 28 et- 35 ans ,291 ,042 48,147 1 ,000 1,338 36 ans et plus ,686 ,054 160,563 1 ,000 1,986 Emploi dans le pays

d’origine (oui/non) ,493 ,050 98,516 1 ,000 1,637

Emploi en Algérie (oui/non) ,389 ,062 39,777 1 ,000 1,476

Milieu de résidence dans le pays d’origine (urbain/rural))

,200 ,042 22,966 1 ,000 1,221

Arabe écrit Non (référence) 260,383 4 ,000

Peu ,848 ,075 129,232 1 ,000 2,334 Moyen 1,058 ,097 118,181 1 ,000 2,881 Bien 1,339 ,108 154,432 1 ,000 3,815 Très bien ,579 ,237 5,990 1 ,014 1,785 Peu ,154 ,079 3,841 1 ,050 1,167 Moyen ,083 ,093 ,788 1 ,375 1,086 Bien ,394 ,108 13,287 1 ,000 1,484 Très bien 1,102 ,153 52,013 1 ,000 3,010 Anglais parlé

Non (référence) 19,623 4 ,001

Peu ,283 ,113 6,233 1 ,013 1,327

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Moyen -,297 ,138 4,613 1 ,032 ,743 Bien ,218 ,144 2,291 1 ,130 1,243 Très bien ,193 ,168 1,320 1 ,251 1,212

Pourquoi ce choix de destination Liens de famille (référence)

13,690 5 ,018

Liens amicaux ,054 ,143 ,143 1 ,705 1,056 Recherche du travail -,045 ,072 ,380 1 ,537 ,956 Intégration sociale -,350 ,114 9,438 1 ,002 ,705 Autre ,022 ,196 ,012 1 ,912 1,022 Plusieurs choix ,038 ,100 ,145 1 ,703 1,039 Constante 1,015 2902,023 ,000 1 1,000 2,760

Conclusion En guise de conclusion, cette typologie établie sur la base des résultats de notre enquête met en évidence les différences notables, statistiquement significatives, permettant de comprendre l‟hétérogénéité des populations migrantes subsahariennes en Algérie.

La migration frontalière, qu‟on ne saurait caractériser comme étant une migration irrégulière stricto census, car cette circulation entre dans le cadre de la politique de bon voisinage de l‟Algérie permettant de réguler non seulement la circulation des personnes mais surtout le commerce frontalier fondé historiquement et institutionnalisant le troc, et de pourvoir aux besoins saisonniers de la main d‟œuvre migrante pour l‟économie oasienne du sud d‟Algérie.

Les réfugiés potentiels constituent un type parfaitement caractérisé par des causes spécifiques de départ des pays d‟origine. Cette population peut, sous certaines conditions, bénéficier d‟une protection humanitaire dans le cadre des dispositifs du HCR et du Gouvernement algérien.

La migration économique est de loin le type idéal dans la migration de main d‟œuvre subsaharienne vers et à travers l‟Algérie. Cette population peut, après examen des cas, faire l‟objet des différentes mesures (régularisation, condamnation, expulsion… ) mises en œuvre par l‟Algérie pour la régulation de la migration internationale.

L‟analyse en coupe transversale apporte des éléments d‟appréciation sur les comportements des migrants en fonction du mode de migration (familial/non

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familial)), de leurs projets migratoires (transit/immigration) et le cas échéant, de leurs dispositions au retour dans le pays d‟origine.

La mise en exergue du mode familial, permet de situer des situations exceptionnelles pour lesquelles des mesures appropriées sont nécessaires. La part la plus importante de la mobilité familiale revient aux réfugiés qui migrent sous la contrainte mettant leur vie en danger. La dimension sensible de ce comportement n‟est pas tant la présence féminine mais surtout la présence des mineurs ou encore des enfants nés sur le sol du pays d‟accueil.

La migration de transit est un comportement de voyage propre aux

ressortissants des pays enclavés qui sont autorisés, dans le cadre des mobilités par voie terrestre, de traverser d‟autres territoires, pour atteindre leurs destinations. L‟ampleur pris par ce mouvement est un effet des restrictions de voyage par voie aérienne. Dans chaque pays de transit, le migrant s‟adonne, pour une période donnée, à une activité économique pour réunir l‟argent nécessaire pour la suite du projet migratoire. Ce sont encore essentiellement les réfugiés qui adoptent ce comportement.

La migration de retour apparaît dans cette construction comme étant paradoxalement une issue probable devant « l‟échec » du projet migratoire contrairement à l‟idée valorisante et positive d‟un retour avec la « réussite » dans le pays d‟accueil. Cette attitude est encore plus prégnante quant elle est engendrée par des situations de détresse, car le retour devient emblématique et mérite une assistance. Le type de migrant plus prompt au retour est inévitablement, dans ces conditions, les migrants frontaliers car la distance est faible et les liens familiaux sont plus intenses. Le retour assure une sécurité totale. A l‟inverse et à l‟évidence, le retour des réfugiés repose sur la résolution des motifs à la base de l‟exil.

Cette lecture de la migration subsaharienne repose aussi sur

deux facteurs clefs à la base de la construction de cette typologie, à savoir sa contextualisation dans l‟espace et dans le temps.

La situation géographique de l‟Algérie rend le territoire national

non seulement un passage obligé pour les peuples des pays enclavés pour accéder par la voie terrestre à la rive nord de l‟Afrique, mais aussi comme une terre d‟accueil pour les ressortissants des pays voisins lors d‟une catastrophe ou d‟une situation de conflits armés mettant en danger les populations civiles. La distance entre le pays d‟origine et l‟Algérie engendre aussi un effet sur le coût et la durée du voyage.

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Outre la durée du voyage, la dimension temporelle apporte aussi un éclairage sur la durée du séjour des différents types de migrants en Algérie. Cette durée, n‟est pas seulement fonction de la nature du projet mais renseigne également sur l‟âge d‟entrée des migrants en Algérie, facteur clef pour la compréhension des conditions de vie et d‟intégration des subsahariens dans le pays.

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CONCLUSION GENERALE

Cette recherche sur la migration des subsahariens en Algérie est une suite logique de notre exploration de ce phénomène dans le cadre du projet portant sur l‟aide au retour des migrants du Niger, du Mali et de la RDCongo. La recherche gagne non seulement en profondeur mais s‟étend aussi aux autres nationalités présentes sur le sol national ces dernières années. Comme tout phénomène mouvant, la saisie de la réalité ne peut être qu‟instantanée car le changement s‟opère très vite. L‟image construite peut aussi disparaître rapidement, du jour au lendemain. Mais dans le fond, il reste des traces qui marquent la vie des personnes, des agents sociaux tels des portraits qu‟on aurait souhaités servir aux « autres » ! Notre lecture de cette recherche repose sur deux dimensions: les résultats obtenus et les perspectives.

Les résultats obtenus. Le problème de la migration subsaharienne est assez spécifique sur le

sol algérien car ce phénomène n‟est pas récent mais il est historique. La conjoncture actuelle, amplifiée tant dans des facteurs endogènes et exogènes à l‟Afrique et à la région méditerranéenne, a contribué largement à l‟exacerbation d‟une crise de mobilité et au dysfonctionnement d‟une économie de frontière largement positive dans un processus de co-développement intra-africaine.

L‟approche adoptée pour l‟exploration profonde de ce phénomène

comporte des risques manifestes tant du point de vue des migrants que des services de sécurité comme tout acte relevant des droits humains. L‟effort engagé et l‟espace couvert par cette double enquête (quantitative & qualitative) marque une certaine originalité par rapport aux portraits dessinés à grands traits qui se rapprochent plus de caricatures que de profils réels des migrants.

La radiographie de la migration subsaharienne nous a permis de

mettre en évidence les traits dominants de cette population, prise dans sa globalité. Différents angles classiques sont ainsi éclairés : démographique, social, culturel, économique. L‟angle psychosociologique offre des images inédites de la perception des migrants et des dangers auxquels ils sont confrontés lors du voyage.

La construction d‟une typologie des migrants vient ensuite

déglobaliser le phénomène et met en vedette l‟hétérogénéité de cette population. La segmentation opérée obéit à des critères qui ne souffrent d‟aucune ambigüité et procède d‟une rigueur scientifique dans la

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configuration des types. L‟idée centrale est celle de la mise en évidence de l‟existence d‟une migration frontalière organisée et institutionnalisée tant sur le plan social qu‟économique dans un espace qui offre en plus une certaine homogénéité culturelle, fondée sur un groupe ethnique partagé entre différents territoires. Puis, il est aussi opéré une distinction des réfugiés potentiels parmi les migrants économiques.

Cette typologie construite est ensuite décomposée, par une analyse

statistique très fine, selon des comportements des migrants dans la réalisation de leurs projets migratoires. Cette analyse en coupe transversale met en lumière des phénomènes nouveaux liés à la migration de transit, à la migration familiale et au retour potentiel des migrants vers leurs pays d‟origine.

Les perspectives La richesse des données collectées sur ce phénomène est certes

intéressante et peut faire l‟objet d‟autres explorations. Une déconstruction de la population observée en groupes sociaux est une piste à explorer. Ces résultats peuvent aussi servir pour des actions de sensibilisation ou de plaidoyer. Loin de nous l‟idée d‟avoir saturé totalement un phénomène, mobile et changeant en permanence, qui ne se laisse jamais saisir dans toutes ses profondeurs. D‟autres pistes, entre autres, de la migration irrégulière peuvent faire l‟objet d‟une exploration, celle de l‟action institutionnelle, des procédures de la régularisation et de l‟intégration des migrants sub-sahariens en Algérie.

L‟action institutionnelle, après avoir été longtemps passive, est

un poste d‟observation importante à suivre, notamment avec la mise en œuvre des nouvelles dispositions de la loi algérienne sur les conditions de séjour des étrangers en Algérie. La création des centres d‟accueil mérite un droit de regard de la société civile sur les conditions de détention des migrants.

Les données nouvelles attendues du dernier recensement de la population algérienne (2008) vont permettre d‟avoir une vue globale des étrangers résidant en Algérie. La question de la régularité des séjours reste énigmatique. Le recensement va ainsi nous offrir une base de données très riche, à partir de laquelle des enquêtes ciblées peuvent être conduites en direction des populations originaires au sud du Sahara.

De cette donnée, deux axes méritent une exploration. Sur le plan

de la régularisation des migrants, les procédures appliquées concrètement sont encore enveloppées d‟une certaine opacité

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bien que la législation algérienne soit parfaitement claire à cet effet. La régularisation n‟est pas une fin en soi, l‟intégration des migrants subsahariens notamment dans la vie économique et sociale est une voie encore semée de beaucoup d‟osbtacles.

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ANNEXES 1. Carte représentant la dispersion des différents types de migrants

subsahariens sur le territoire algérien. 2. Carte représentants la dispersion des migrants subsahariens selon les

pays de provenance.