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Rapport de restauration
de la guitare "royal II" Jacobacci
(n° inventaire : E.994.20.1)
Philippe CATTIAUX
Sous la direction de :
Stéphane VAIEDELICH et Sylvie RAMEL
Laboratoire de Recherche et de Restauration
Musée de la Musique
PARIS
2003
2
Remerciements
Je tiens à remercier dans un premier temps Stéphane Vaiedelich, directeur du Laboratoire de
Recherche et de Restauration du Musée de la Musique, de m’avoir accueilli durant ces deux
mois ainsi que Marie Fretray de la SEMA (société d’encouragement aux métiers d’art) qui
m’a permis d’obtenir le statut de stagiaire sans lequel je n’aurais pu réaliser ce projet. Je
remercie également Joël Dugot, conservateur ainsi que les restaurateurs Jean-Philippe
Echard, Anne Houssay, Jean-Claude Battault et plus particulièrement Sylvie Ramel pour sa
patience et ses conseils tout au long de mes recherches. Merci enfin à toute l’équipe du centre
de documentation pour leur collaboration.
3
SOMMAIRE
I. ETUDE PREALABLE A L’INTERVENTION SUR LES FILETS DE LA GUITARE ....................... 4
1. IDENTIFICATION DE L’OBJET : ................................................................................................ ................. 4 2. DESCRIPTION DE L’INSTRUMENT :................................................................................................ ........... 5 3. MODE DE FABRICATION : ................................................................................................ ....................... 6 4. CONSTAT D’ETAT DES ALTERATIONS................................................................................................ ....... 7 5. RAPPEL SUR LE NITRATE DE CELLULOSE................................................................................................ . 9 6. DIAGNOSTIC ET PROPOSITIONS DE TRAITEMENTS : ................................................................................. 10
II. INTERVENTION .................................................................................................................................. 14
1. PREPARATION DU SUPPORT : CONSOLIDATION DES FILETS ...................................................................... 14
2. MISE EN ŒUVRE DE LA DEPOSE : ........................................................................................................... 15
3. ETAT DES FILETS APRES INTERVENTION ................................................................................................. 17
4. MODE DE CONSERVATION PROVISOIRE : ............................................................................................... 17
III. PROPOSITIONS DE CONSERVATION ........................................................................................ 19
1. CONSERVATION PASSIVE DU NITRATE DE CELLULOSE : .......................................................................... 19
2. CONSERVATION ACTIVE DU NITRATE DE CELLULOSE : ........................................................................... 20
3. CONSERVATION DU CORPS DE LA GUITARE : .......................................................................................... 20
4. PROPOSITIONS DE SUBSTITUTS DE FILETS : ............................................................................................ 20
5. PROPOSITION DE MODE D’EXPOSITION : ................................................................................................ 21
IV. BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................................ 22
V. ANNEXE ................................................................................................................................................ 23
4
I. Etude préalable à l’intervention sur les filets de la guitare
1. Identification de l’objet :
Objet : Guitare jazz « Rogands-Guitares »
Collection : Musée de la musique N° inventaire : E.994.20.1
Auteur : Jacobacci père et fils
Datation : 1965
Dimensions :
- Longueur totale : 1080 mm
- Largeur caisse inf. : 423 mm
- Longueur vib.1 : 630 mm
Mode acquisition: Achat
Date acquisition: 15/12/1994 Etiquette à l'intérieur de la caisse :
"ROGANDS-GUITARES / JACOBACCI PERE & FILS / Luthiers à Paris /
Modèle N°ROYAL 2" (Rogands = Roger et André Jacobacci).
5
2. Description de l’instrument :
- Table et fond voûtés à « pan coupé » bordés d'un filet en nitrate de cellulose imitation
écaille de tortue.
- Deux ouïes en "f" à filet en celluloïd blanc.
- Chevalet à compensation réglable en bois et aluminium.
- Cordier en acier chromé de forme trapézoïdale.
- Plaque de protection en nitrate de cellulose imitation écaille de tortue.
- Deux micros simple bobinage à plots réglables, capots en métal.
- Quatre potentiomètres (volume et tonalité pour chaque micro) commandés par des boutons
en celluloïd blanc.
Caisse :
- Branchement par jack (diamètre 6, 35 mm) situé sur l'éclisse.
Eclisses :
Manche :
- Manche en zamac laqué noir vissé à la caisse.
- Tête asymétrique plaquée de palissandre sur la surface supérieure.
- Six mécaniques de marque SB.
- Touche à vingt cases (jonction à la quatorzième) en palissandre indien bordée par un filet en
celluloïd blanc.
- Repères de touches en celluloïd imitation nacre, de forme rectangulaire.
-Incrustations sur la tête "ROYAL", motif en forme de "H", au dos : "Breveté SGDG".
Vernis cellulosique blond sur l’ensemble de la guitare.
(Source : Musée de la Musique : un musée aux rayons X)
6
3. Mode de fabrication :
Les multiplis de la table, du fond et des éclisses sont réalisés (suivant les dire de Roger
Jacobacci) en tulipier ou peuplier et acajou et collés en forme à la colle chaude à l’aide d’un
moule et contre moule. La table est renforcée par un barrage en H. Les assemblages de la
caisse sont consolidés en interne par des contre-éclisses qui élargissent la surface de collage
et en externe par des filets en nitrate de cellulose∗
Vue en coupe de l’assemblage de la caisse
. Ces filets sont collés avec un mélange de
copeaux de celluloïd dissout dans de l’acétone – solvant puissant du nitrate de cellulose.
Cette mixtion crée un ciment entre les deux matériaux.
Le manche, moulé en aluminium trempé (zamac) est boulonné en
feuillure à la caisse par l’intermédiaire d’une platine fixée par quatre
vis à l’intérieur de l’instrument sur le tasseau.
Vue en coupe de l’assemblage caisse-manche
∗Les filets tiennent également le rôle de parties décoratives. Généralement en bois, ils ont été
remplacés dans le domaine industriel par des matières plastiques pour de multiples raisons
(facilité d’emploi, variété d’imitations, coûts..).
fond
table
touche
boulon
manche écrou
feuillure
Contre-éclisse Eclisse
Table ou fond Filet
tasseau
7
4. Constat d’état des altérations
La guitare présente un avancement flagrant du processus de dégradation des filets depuis
l’étude réalisée par J.P. Echard en 1998 (cf. bibliographie 1).
- Les parties métalliques encore restantes à proximité du nitrate de cellulose comme le
support de cordier, l’entrée de jack ou le capot de micro-chevalet sont fortement corrodés.
- Les filets se désintègrent et tombent en poussière à la moindre manipulation de la
guitare. La dégradation du filet de table apparaît plus
avancée que celle du fond de par les nombreux
manques visibles. Les tâches noirâtres sur le pourtour
de la caisse dues au dégagement d’acide nitrique n’ont
guère évolué. On note que les fissures, jusqu’ici
internes au filet, tendent à s’ouvrir, entraînant des
décollages partiels du filet à la caisse. Les parties
brunes et moins touchées par la fissuration sont de plus
en plus rares.
- Le vernis, au contact du nitrate de cellulose s’opacifie et s’écaille
aux abords du support de cordier.
- On distingue très nettement ci-contre que le vernis sous le support de cordier – qui n’a donc
pas été exposé à la lumière – est exempt de craquelures. Ceci nous permet de confirmer que
la lumière et les U.V. interviennent comme catalyseurs dans le
processus de dégradation du vernis cellulosique. On constate
par ailleurs sous ce même support la présence de tâches
brunâtres à proximité du filet dues au dégagement d’acide
Entrée de jack Capot de micro-chevalet Support de cordier
Décollage partiel du filet
Eclat de vernis
8
nitrique. Ce constat nous informe que la lumière n’a pas –ou peu- d’influence sur la
dénitratation des filets.
- On note la présence de dépôts pulvérulents sur le pourtour de
la caisse de la guitare ainsi que l’apparition de celles sur les filets qui
pourraient provenir de la cristallisation du plastifiant (en l’occurrence
du camphre).
- Le vernis, sous la cale de rehaussement du micro-chevalet en celluloïd blanc,
présente des tâches brunâtres à l’instar des zones en contact avec les filets.
Formation de celles
9
5. Rappel sur le Nitrate de cellulose
- Historique (cf. bibliographie 7)
Le nitrate de cellulose est à l’origine de la première matière plastique : le celluloïd. Réalisé
par J.W.Hyatt en 1870, il résulte de la dissolution du nitrate dans de l’alcool camphré suivi de
l’élimination de l’alcool par évaporation. Le camphre se trouve retenu par les
macromolécules de nitrate de cellulose qu’il plastifie.
Le celluloïd remplace des matériaux naturels comme la corne, l’ivoire, le bois, la nacre ou
encore l’écaille de tortue pour la fabrication d’objets usuels ou décoratifs. Malgré un succès
considérable, le celluloïd, trop dangereux à manipuler et à utiliser par suite de ses risques
d’inflammation, a été supplanté par l’acétate de cellulose, divers éthers et esters
cellulosiques, et par de nombreuses matières plastiques synthétiques.
(cf. fiche technique du nitrate de cellulose en annexe A)
- Instabilité du nitrate de cellulose
L’instabilité inhérente du nitrate de cellulose dépend de différents
facteurs, tels la pureté du matériau de départ, le type et la quantité
d’additifs ainsi que les conditions environnementales. Dés sa
fabrication, l’objet en celluloïd devient sujet aux réactions
chimiques, physiques et biologiques dues à son environnement. Les
molécules de nitrate de cellulose cristallisent et les molécules de
camphre migrent vers la surface ou elles se subliment à température
ambiante. Cette évolution irréversible– car il n’existe aucun moyen aujourd’hui d’enrayer
complètement ce processus- laisse l’objet très cassant (cf. constat d’état). La dégradation
visible du celluloïd se traduit par un jaunissement progressif de la pellicule de surface, la
formation de bulles, la fragilisation et le rétrécissement de l‘objet, qui en se dégradant,
devient une masse pulvérulente ou bulleuse. Au cours de ces
modifications, on constate le dégagement d’une forte odeur de
camphre. Les mécanismes de décomposition du polymère se
regroupent en trois modes de dégradation qui agissent en
concurrence :
- chimique
- thermique (cf. bibliographie 6)
Celluloïd dégradé
Vue macroscopique
Micro fissuration
Vue microscopique
10
- photochimique
6. Diagnostic et propositions de traitements :
La dégradation de ces filets pose un problème grave et met en péril la conservation de cette
guitare. Elle va non-seulement entraîner la perte progressive de matière par les différentes
manipulations auxquelles l’instrument est exposé, mais elle va surtout continuer à détériorer
la guitare elle-même. Les conservateurs du Musée, face à cette situation urgente, ont pris la
décision d’enlever ces filets, au risque de ne préserver que des fragments représentatifs.
Le but de mon stage est donc consacré à la recherche de l’intervention la plus efficace et la
moins traumatisante pour l’instrument. Après réflexion auprès des restaurateurs du
laboratoire, nous avions le choix entre deux grandes lignes d’interventions possibles :
l’utilisation de procédés mécaniques
l’utilisation de procédés chimiques
Les procédés mécaniques :
- La méthode « idéale » consiste à décoller le filet « à sec » à l’aide d’une fine lame sans
addition de produits susceptibles de créer une hydrolyse de la chaîne.
Risques : étant donné la fragilité du matériau, la moindre force exercée par la lame
entraînerait une désintégration de la matière.
- Une autre méthode consiste à tronçonner le filet côté éclisse à l’aide d’un disque extra fin
monté sur outil rotatif. La rainure réalisée diminuerait la surface d’accroche et permettrait un
dégagement plus aisé du filet.
Cette méthode est très critiquable de par la perte de matière engendrée et demande une
grande précision d’exécution. Très risqué, ne pouvant se faire qu’à main levée du fait qu’il
n’y ai pas de surface de référence, ce procédé ne sera utilisé qu’en dernier recourt.
Les procédés chimiques :
Le but du procédé chimique est de dissocier le filet de la caisse par infiltration d’un produit
capable de ramollir le joint d’interface et permettre ainsi le passage d’une lame. Celui-ci ne
doit pas être un solvant puissant du nitrate de cellulose afin de ne pas solubiliser les filets. Il
ne doit pas non plus avoir un trop grand pouvoir de dispersion pour éviter toute migration
dans le bois et dans le réseau de craquelures du filet.
Avant toute chose, une étude a été élaborée sur des échantillons de nitrate de cellulose
dégradés pour définir la réaction des produits potentiellement utilisables pour l’intervention.
11
Les indications contenues dans le Horie (cf. bibliographie 3) concernant les matériaux dans
leur structure originelle, la série de test comporte un non-solvant du nitrate de cellulose afin
de vérifier qu’il ne réagisse pas au matériau dégradé.
Afin de réaliser une série de tests représentatifs, on a fait figurer des produits de chaque
famille de solvants (en évitant l’alcool et l'eau qui favorisent l’hydrolyse) en y extrayant les
solvants au pouvoir « ramollissant ».
Les solvants sont placés sur le triangle de solubilité suivant les caractéristiques suivantes :
liens hydrogènes
forces de dispersion
moments dipolaires
Les solvants choisis sont déterminés de par leur positionnement sur le triangle de solubilité,
ils se situent sur, ou à proximité de la ligne rouge(voir schéma ci-dessous).
5 solvants sont sélectionnés pour une série de tests dont les résultats sont fournis ci-dessous.
Les protocoles de mise en œuvre sont mentionnés en annexe B.
1.Toluène
5.Ethyle méthyle cétone
4.Nitrométhane
3.Acétate d’éthyle
2.Acétonitrile
Ligne de démarcation de solubilité
12
Résultats des tests
- Echantillon 1 : test toluène (non-solvant)
Le toluène n’entraîne aucune réaction si ce n’est une pénétration superficielle et sans
conséquence dans le réseau de craquelures visible en vue macroscopique.
Remarque : ce résultat ne présente pas d’intérêt pour l’objet de ces tests mais il est bénéfique
pour la suite des opérations (cf. II-2).
- Echantillon 2 : test acétonitrile ( dit « borderline »)
La pellicule de surface se ramollie instantanément et le solvant ne pénètre pas dans le réseau
de craquelures, évitant ainsi toute fragmentation de l’échantillon. L’évaporation, très lente,
permet un temps de travail satisfaisant.
L’acétonitrile s’est avéré intéressant seulement l’état de surface de l’échantillon après
évaporation complète du solvant est légèrement modifié et présente un aspect mat et rugueux.
- Echantillon 3 : test acétate d’éthyle (solvant)
L’acétate d’éthyle n’a pas donné de résultats concluants pour l’objet de notre étude. Le
ramollissement de l’état de surface est insignifiant et l’évaporation du solvant est trop rapide
pour permettre un temps de travail suffisant.
- Echantillon 4 : test nitrométhane (solvant)
Le nitrométhane ne donne pas le résultat escompté et ne présente aucun intérêt dans le cadre
de cette étude. Le solvant présente une faible viscosité et une faible tension de surface,
favorisant ainsi le démantèlement du réseau de craquelures par pénétration. Le
ramollissement de la surface est insignifiant et l’évaporation très rapide.
- Echantillon 5 : test éthyle méthyle cétone (solvant)
On peut situer l’éthyle méthyle cétone entre l’acétonitrile ( par son pouvoir ramollissant) et le
nitrométhane (par le fait qu’il favorise le démantèlement). La pellicule de surface est
légèrement ramollie. Le solvant s’infiltre lentement dans le réseau de craquelures créant un
démantèlement de la structure. L’évaporation est relativement rapide.
13
Conclusion :
Cette série de tests nous a permis de procéder par élimination.
- Le nitrométhane et l’éthyle méthyle cétone sont à bannir de notre étude car ils favorisent le
démantèlement du réseau de craquelures, ce qui va à l’encontre de notre objectif visant à
sauvegarder la structure du filet.
- L’acétate d’éthyle ne présente pas d’intérêt particulier. La réaction est minime et
l’évaporation trop rapide.
- On retiendra par contre l’acétonitrile, qui contient les caractéristiques que nous
recherchions, à savoir la dissolution de la surface avec une très faible viscosité.
- Le toluène va nous permettre d’élaborer un adhésif neutre en complément de paralloïd B-72
pour la consolidation externe des filets.
Bien entendu, ces tests ne tiennent pas compte des altérations que pourraient entraîner ces
solvants dans le temps. Il aurait fallu, pour cela, réaliser une étude de vieillissement artificiel
pour définir l’évolution du nitrate de cellulose à moyen et long terme. Seulement le temps de
réalisation de ces études est bien trop long face à l’urgence de l’intervention.
Incision du vernis
II. Intervention
La première opération est de remplacer la cale en celluloïd du micro-chevalet (cf.
annexe C ; photos 1-2) . Cette pièce est substituée par une cale en carton neutre pour stopper
la corrosion du capot de micro. Pour cela, le simple démontage du micro est nécessaire. Une
fois enlevée et diagnostiquée, la cale en celluloïd est stockée dans un sachet en polyéthylène.
Etat de la cale :
Elle présente une cassure et on s’aperçoit que la partie en contact avec le
vernis est dégradée. Le dédoublement ainsi que le rétrécissement de la
surface ont engendré des fissures ouvertes et un détachement de matière.
En prévention de l’intervention sur les filets, le démontage du manche et du support
de cordier est nécessaire afin de libérer l’accès au pourtour de la caisse.
Etat du support de cordier :
Le support est dans un état de corrosion avancé, on distingue des dépôts
blanchâtres sur la surface en contact avec le filet.
(cf. annexe C ; photos 3-4)
Etat du manche :
Le manche, constitué d’aluminium laqué, ne semble pas réagir au nitrate de cellulose. On
recense les mêmes dépôts blanchâtres sur une zone en contact avec le filet – sans doute dus à
la transpiration d’acide (cf. annexe C ; photos 5-6).
1. Préparation du support : consolidation des filets
La guitare est posée sur un gabarit évidé pour le passage de la voûte permettant ainsi la
stabilité de l’instrument lors de l’intervention.
Le vernis recouvre tel un film la totalité de la caisse. Il est
donc nécessaire dans un premier temps, d’inciser cette
pellicule au niveau du joint d’interface à l’aide d’une lame
fine et très tranchante. Cette lame, légèrement chauffée à sec
(sur une plaque chauffante ou dans du sable chaud), pénètre
dans le vernis sans créer d’éclats. L’incision est réalisée au
canif à main levée du fait de l’irrégularité du filet en
épaisseur et en largeur.
14
15
Le vernis de la caisse est protégé, par mesure de précaution,
avec de la bande adhésive neutre le temps de la consolidation
des filets.
Les tests réalisés ci-dessus nous permettent d’élaborer un adhésif neutre composé de paralloïd
B-72(15%) et de toluène (85%)- choisi pour sa neutralité envers le nitrate de cellulose (cf. p.9
« Echantillon 1 »). Cet adhésif est appliqué par imprégnation sur de fines bandes de non tissé
(épaisseur 0.5/10ème
2. Mise en œuvre de la dépose :
). Une première couche de bandes doublées (les largeurs varient suivant le
rayon de courbure) est apposée en chevauchement
les unes par rapport aux autres (cf. annexe C ;
photos 7-8). La seconde couche, appliquée dans le
sens de la longueur, a pour rôle d’unifier
l’ensemble. Une fois l’opération terminée, le
surplus de non tissé est tranché par transparence
suivant l’incision réalisée afin de dégager l’accès
au joint d’interface. La consolidation terminée,
l’adhésif de masquage est enlevé.
Lors de l’incision du vernis, je me suis aperçu que l’outil tranchant légèrement chauffé
pénétrait sensiblement dans le joint d’interface. Je décide, après concertation auprès des
restaurateurs, de réaliser un essai avec une fine lame chauffée sur une partie partiellement
décollée sur le filet de fond au niveau du talon.
L’expérience s’avère concluante, le filet se détache sans trop de difficulté.
Outillage:
16
Dépose du filet de fond :
La première étape est de réaliser une incision sur 1mm de profondeur en
plusieurs passages. Cette fine rainure permet au second outil, non
tranchant mais plus fin, de pénétrer sans créer d’éclats de vernis. Par des
passages répétés, la lame, régulièrement chauffée, descend
progressivement jusqu’au fond de la rainure côté fond. Travaillant sur
des segments de 5 cm environ, le filet est dégagé sur la zone
correspondante de l’éclisse. Le filet, au fur et à mesure, est maintenu par des points de
plastiline (côté fond et côté éclisse) pour qu’il préserve sa forme et
pour éviter qu’il ne se fragmente. Une fois le filet totalement
désolidarisé de la rainure, un moule de plastiline est confectionné
côté éclisse pour procéder au démoulage (cf. annexe C ; photos 9-
10). Les points de plastiline sont enlevés côté fond. La caisse est
retournée et positionnée sur une plaque en carton plume évidée de
manière à ce que les filets soient au contact de celle-ci (cf. annexe
C ; photos 11-12). Le démoulage consiste à faire glisser l’empreinte de plastiline sur la plaque
de carton afin de préserver la forme initiale du filet. Il faut à présent dégager uniformément la
caisse du filet.
Canif à lame très tranchante
Outil fin à bout rond non tranchant
17
Dépose du filet de table et de talon
Même mise en œuvre que précédemment mais le filet étant plus dégradé, la tâche s’est avérée
plus longue et délicate.
3. Etat des filets après intervention
- Le filet de fond est préservé dans sa totalité et n’a pratiquement pas souffert de
l’intervention. On note une légère perte de matière à l’extérieur du filet sur 1 cm environ au
niveau du talon.
- Le filet de table, dans un état de dégradation plus avancé du fait
qu’il ait été plus exposé, a beaucoup moins bien réagi à
l’intervention. L’intérieur du filet, essentiellement constitué de
cristaux et poussières, n’est maintenu que par une fine couche de
nitrate encore solide. De nombreux segments se sont dédoublés
malgré la consolidation laissant échapper leur contenu.
Une reconstitution primaire a été établie à l’ aide de fine
bandes d’adhésif mais l’ensemble du filet reste d’une
extrême fragilité (cf. annexe C ; photos 13 à 20).
- idem pour le filet de talon
4. Mode de conservation provisoire :
18
Un contre moule réalisé d’après la rainure
de la caisse a été positionné pour
maintenir la face intérieure des filets. En
attendant que soit trouvé un mode de
conservation définitif, les filets sont
sauvegardés sur leur plaque respective de
démoulage et placés dans une boîte en
carton plume.
III. Propositions de conservation
Deux actions peuvent être mise en œuvre dans le domaine de la conservation :
- la conservation passive dont les mesures principales consistent à optimiser les
conditions de stockage en réserve et d’exposition.
- la conservation active qui a pour rôle d’innover des traitements de stabilisation des
dégradations.
1. Conservation passive du nitrate de cellulose :
Dans la mesure où les facteurs de dégradation n’ont pas été étudiés ou ne sont pas connu, la
conservation passive reste la priorité parce qu’elle est relativement facile à mettre en œuvre et
peu coûteuse. Les mesures prises tendent à limiter les facteurs de détérioration dûment
connus, comme la lumière, la chaleur, l’humidité et les différents polluants que contient l’air.
Il est très difficile de conclure sur les bienfaits d’une méthode en ce qui concerne le
traitement du celluloïd. Il est par contre possible de présenter sous forme d’un tableau
quelques points essentiels au ralentissement de la dégradation des filets ainsi qu’à leur
conservation en vitrine :
Problèmes Solutions
Eviter la propagation de la dégradation aux autres objets.
Séparer les objets en celluloïd des autres matériaux, ou les isoler chacun dans une vitrine.
Enlever les produits gazeux issus de la détérioration auto catalytique.
Echange d’air continuels, bonne ventilation.
Ralentir la dégradation due à la dénitratation et à l’hydrolyse, la formation d’acide et réduire les variations de relief.
Faible humidité ambiante : - H% =50%
Ralentir le détérioration, de cristallisation et de dénitratation.
Température basse : - T° = 20°C
Eviter la dégradation due aux U.V. Matériaux filtrant les radiations tels le plexiglas UF3.
Eviter la corrosion des containers métalliques. Cases en verre, céramiques ou plastiques résistants aux acides.
Piéger l’acide formé. Produits chimiques réagissant avec l’acide Ex. :CaCO3, NH3.
(cf. bibliographie 5-6)
18
20
2. Conservation active du nitrate de cellulose :
S’il est possible d’émettre des hypothèses de stabilisation, il n’existe à ce jour aucun
traitement au processus de dégradation du nitrate de cellulose. Le nouveau composé chimique
émergeant de la dégradation du celluloïd est à définir avant d’énoncer de quelconques
propositions.
Une étude visant à immerger le celluloïd dégradé dans de l’ESBO (epoxidised soya bean oil)
a donné des résultats encourageants. L’inconvénient de cette action réside dans le fait que
l’époxy n’est pas un matériau réversible. Il n’est pas conseillé, d’autre part, de trop manipuler
les filets étant donné leur fragilité.
Il pourrait être intéressant de pratiquer plusieurs expériences sur des fragments de filet de la
table. Cette étude viserait à trouver un moyen de diagnostiquer l’évolution du processus de
dégradation.
3. Conservation du corps de la guitare :
Pour la mise en conservation préventive du corps, il n’est pas nécessaire de remplacer les
filets sauf si l’instrument devait être mis en présentation. Un simple nettoyage de surface du
vernis est nécessaire pour éviter que les dépôts d’ acide ne continue à le détériorer.
L’instrument doit être stocké dans un endroit sec à l’abri de l’humidité à une température de
20°C.
4. Propositions de substituts de filets :
Notre but aujourd’hui est de substituer le nitrate de cellulose par un matériau compatible avec
le bois. Celui-ci doit pouvoir être enlevé à moyen et long terme sans endommager
l’instrument. Il existe de très nombreuses imitations d’écaille de tortue (cf. bibliographie 2).
Le problème est que la plupart de ces substituts se détériorent dans le temps :
- l’acétate de cellulose a supplanté le celluloïd lors de son interdiction dans les années
1950. Ayant - à quelques variantes près- les mêmes caractéristiques que son homologue
cellulosique, il ne correspond pas à nos attentes.
- la galalithe, à base de caséine, présente les mêmes inconvénients.
21
- la phanorite est une matière plastique fabriquée à base de gélatine dans le but
d’imiter des substances comme l’écaille. Les articles moulés reçoivent une application de
laque pour les préserver de l’humidité car la gélatine est très sensible à l’hygroscopie. Le
problème réside dans la méthode de collage qui risque d’être irréversible.
- la gomme laque est également utilisée pour l’imitation de l’écaille. Un mélange de
charges teintées est agglomérée dans la gomme laque. Le mélange s’opère à chaud et le
moulage est réalisé sous pression. Ce matériau, même plus résistant par moulage, reste
sensible à l’eau et brunit en vieillissant.
- l’exécution d’un moulage en cires teintées et travaillées peut être envisageable. Ce
procédé demande une certaine maîtrise de la technique. Le problème de la cire est qu’elle
s’introduit dans les pores du bois et qu’elle est très difficile à enlever.
- la dernière solution s’avère être la plus rigoureuse et la plus réversible. Il s’agit de
coller un simple filet de bois (dont la nature serait à étudier) à la colle chaude. Un procédé de
peinture illusionniste imitant l’écaille est alors appliqué sur ces filets.
5. Proposition de mode d’exposition :
Les filets en celluloïd doivent être séparés de l’instrument dans une vitrine isolée. Il faut dans
un premier temps, remplacer le support en carton plume -qui n’est pas fiable dans le temps-
par un support stable (exemple : plaque de polyéthylène). Le procédé de substitution s’avère
extrêmement délicat et demande une réalisation rigoureuse étant donné la fragilité des
éléments. La cage peut être réalisée en plexiglas UF3 pour filtrer les U.V.– une étude de la
réaction du matériau avec les acides serait cependant à effectuer. La vitrine, sous contrôle
hygroscopique et climatisée, pourrait contenir des « pièges à acides » sous forme de filtres tel
le charbon actif. On peut le trouver sous plusieurs formes (poudre, morceaux, papier…) et
donne des résultats très intéressants au niveau de la détérioration autocatalytique du nitrate de
cellulose (cf. bibliographie 6).
Les filets peuvent être placés sous différents types d’atmosphères :
- la sursaturation de camphre en phase vapeur en minimiserait la sublimation.
- l’azote substituant l’oxygène ralentirait la dégradation en réduisant le phénomène
d’hydrolyse.
Un système de circulation d’air est à étudier de manière à prévenir l’accumulation d’oxyde
d’azote et la formation d’acide nitrique (cf. bibliographie 4).
22
IV. Bibliographie
1. Echard J.P. « Etude de dégradation du filet en nitrate de cellulose d’une
guitare Royal II Jacobacci »
(Musée de la Musique, Paris 1998)
2. Grall E., « Recherche d’un matériau de substitution à l’écaille de tortue »
(Musée de la Musique, Paris 1983)
3. Horie C.V., “Materials for conservation”
(Butterworths, Borough Green, Sevenoaks; Kent TN15 8PH, England)
4. I.C.C. (http://www.cci-icc.gc.ca), « exposition et mise en réserve des objets de
Musée en nitrate de cellulose »
( notes de l’I.C.C., Ottawa 1994)
5. Keddam E., « Objets en celluloïd : identification, altération, conservation »
( LRMF, Paris 1997)
6. Quye Anita and Williamson Colin, “Plastics, collecting and conserving”
(NMS Publishing, 1999)
7. Quye Anita, « Ivoire de substitution : bref historique du nitrate de cellulose et
précautions pour son entretien à long terme »
(1998)
- Section française de l’institut international de conservation (sfiic)
www.fnet.fr/sfiic/
- Base de données bibliographiques du Réseau d’information sur la conservation
(BCIN)
- Institut canadien de conservation (ICC)
www.bcin.ca
http://www.cci-icc.gc.ca
V. Annexe
A. Fiche technique du Nitrate de cellulose
B. Tests de solvants sur des échantillons de nitrate de cellulose dégradés
C. Photos de restaurations
22
25
Annexe B
Tests de solvants sur des échantillons de nitrate
de cellulose dégradés
- Test 1 : Echantillon + Toluène (24/1)
- Test 2 : Echantillon + Acétonitrile (24/2)
- Test 3 : Echantillon + Acétate d’éthyle (24/3)
- Test 4 : Echantillon + Nitrométhane (24/4)
- Test 5 : Echantillon + Ethyle méthyle cétone (24/5)
1) 2)
3)
Annexe C
Photos de restaurations
Substitution de la cale en celluloïd blanc ci-dessus à gauche par une cale provisoire en
carton plume ci-dessus à droite (cf. II).
Démontage et stockage du support de cordier
Démontage du manche où on aperçoit le dépôt
blanchâtre du à la « transpiration » du filet en celluloïd
4)
5) 6)
25
27
Consolidation des filets (cf. II. 1.)
Les bandes doublées de non-tissé sont maintenues par de l’adhésif le temps de
l’imprégnation et du séchage de la solution de paralloïd B-72 / Toluène .
7) 8)
9) 10)
Dépose des filets (cf. II. 2.)
11) 12)
Maintien des filets (cf. II. 2.)
28
La force exercée par le passage de la lame (aussi faible qu’elle soit) crée une fragmentation
de l’enveloppe du filet laissant échapper son contenu (cristaux et poussières)
Etat après dépose du filet de table (cf. II. 3.)
Reconstitution du filet au niveau du « pan coupé ».
Déstructuration du filet lors du démoulage.
Ci-dessus à droite, un fragment d’enveloppe du filet.
13) 14)
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17) 18)