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Yvanie Caillé N° d’étudiante : 3158279
Rapport de stage Les patients influenceurs1 sur internet
MASTER 1ère année Mention : Rééducation, Ingénierie Médicale
Spécialité : Éducation Thérapeutique Année universitaire 2011-‐2012
1 Depuis l’apogée d’internet, le profil des leaders d’opinion a subi de grandes modifications, notamment grâce à l’arrivée de nouveaux outils destinés à véhiculer et partager son avis sur un sujet précis ; on parle désormais d’influenceur. La notion de leader d’opinion est apparue dans les années 50 grâce aux travaux de Paul Lazarsfeld, sociologue Américain qui a mis en exergue les effets des médias sur les individus, ainsi que l’influence des cercles « intimes » des individus sur leurs comportements.
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Table des matières
Introduction et objet .......................................................................................................... 3
Posture et méthode ........................................................................................................... 9
Analyse et résultats .......................................................................................................... 12
Annexe 1 : les sites et leurs caractéristiques ..................................................................... 24
Annexe 2 : guide d’entretien et grille d’observation ......................................................... 26
Annexe 3 : transcription des entretiens ............................................................................ 27
Remerciements A Christian Baudelot, un coach formidable, pour son soutien, son aide précieuse et – surtout -‐ pour son amitié… A Beate et Catherine, pour avoir accepté de se prêter au jeu des entretiens et pour leur patience et leur confiance… #PPE A Giovanna et Murielle, qui auraient sans doute eu aussi beaucoup de choses à dire si je les avais interrogées… #PPE A Denise Silber, qui a été à l’origine de nos rencontres… et aussi de m’avoir accueillie pour ce stage
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Introduction et objet Depuis la fin des années 90, l’émergence de l’internet santé a eu un impact majeur sur les patients et sur la relation soigné -‐ soignant. La principale raison de ce changement a été l’accès à l’information. Jusque là cantonnée à des ouvrages de vulgarisation plus ou moins disponibles, l’information santé s’est très rapidement déployée sur le web, sous différentes formes, avec des degrés de qualité variables. Mais quels qu’en soient les limites ou les défauts, elle a été rendue accessible à tous et en particulier à ceux qui étaient sans doute les plus demandeurs, les malades et leurs proches. Cet accès très large continue d’être discuté, en France notamment. Ses détracteurs mettent en avant la nécessité de protéger les patients des sources d’information de mauvaise qualité. Or, il a été démontré que cette crainte n’était pas fondée : même si la désinformation existe, les patients internautes apprennent très rapidement à faire le tri, de manière pertinente, entre les bonnes et les mauvaises sources2. Très vite, les patients ont su s’approprier ces nouveaux outils3. Les sites santé ont fleuri, professionnels ou amateurs, les patients se sont regroupés autour de forums ou de communautés. Une forme d’intelligence partagée a vu le jour : au-‐delà de l’information purement théorique, une connaissance pratique, celle du vécu de la maladie, issue des partages d’expériences et des échanges entre « ceux qui sont déjà passés par là ». Ces évolutions ont permis l’émergence de nouveaux types de savoirs, résultant à la fois des bases scientifiques et théoriques, mais aussi nourris des connaissances expérientielles des malades, qui étaient jusque occultées par les médecins. Le concept de e-‐patient s’est peu à peu imposé. Selon Wikipédia4, un e-‐patient est « un usager de la santé qui utilise internet pour collecter des informations sur une pathologie par laquelle il est concerné et des outils de communication électronique (notamment des outils 2.0) pour mieux vivre sa maladie. (…) » Récemment, des mouvements de e-‐patients ont commencé à s’organiser, aux USA notamment, avec la constitution de la Society for Participatory Medecine, qui a proposé la définition5 suivante :
2 Esquivel A, Meric-‐Bernstam F, Bernstam EV. Accuracy and self correction of information received from an internet breast cancer list: content analysis. BMJ 2006 Apr 22;332(7547):939-‐942 Kelly W, Connolly V, Bilous R, Stewart A, Nag S, Bowes D, et al. Reader beware: diabetes advice on the web. Pract Diab Int 2002;19(4):108-‐110 3 INSERM, Whist, Enquête web sur les habitudes de recherche d’information liées à la santé sur internet, Université Pierre et Marie Curie, nov. 2007 4 http://en.wikipedia.org/wiki/E-‐patient 5 http://e-‐patients.net/e-‐Patients_White_Paper.pdf
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Un e-‐patient est un patient ayant acquis sur internet des compétences lui permettant de : -‐ devenir acteur de sa maladie ; -‐ faire des choix et s’assurer qu’ils sont respectés ; -‐ s’engager, à la fois dans ses propres soins, mais aussi plus globalement dans la
défense de ses intérêts ; -‐ rééquilibrer sa relation avec les différents professionnels de santé pour
qu’elle devienne partenariale ; -‐ s’émanciper.
Cette définition est intéressante car elle repose directement sur la notion de compétences acquises sur le web. Un article6 intitulé « En quoi l'expertise du patient est différente de celle du médecin » a été publié en août 2011 dans Le Journal of Medical Internet Research. Les auteurs se sont intéressés aux différences entre l'expertise médecin et l'expertise patient en examinant 735 sources de contenu, papier et en ligne. 360 d’entre elles émanaient de patients et les autres avaient été produites par des médecins. Ces sources contenaient des recommandations, définies comme étant soit « des choses à faire », « des choses à savoir », ou encore « une façon d'aborder une situation ». 735 sources, proposant plus de 7 000 recommandations au total, ont été étudiées. La nature des recommandations des médecins et de celles des patients étaient significativement différentes : il s'agissait de deux modes d'expression distincts. Celles des cliniciens relevaient d’un mode prescriptif, tandis que les patients transmettaient leurs expériences, par l'intermédiaire d’un récit, à partir duquel le lecteur pouvait tirer ses propres conclusions. Les auteurs ont noté que ces récits étaient des compléments précieux aux discours des médecins et relevaient donc de la transmission de compétences distinctes. Au-‐delà de l’accès à l’information et à des formes nouvelles de savoirs patients, internet est aussi un moyen pour certains d’entre eux, devenus experts de leur maladie, de prendre la parole, non seulement pour faire profiter les autres de leurs connaissances, mais aussi pour devenir influents autour de certaines positions militantes7. Leurs sites, blogs et forums deviennent alors le point de départ de la constitution d’une communauté, dont la nature reste mal définie et autour de laquelle se développe une véritable expertise. Akrich et al.8 estiment ainsi que « (…) la place faite par la loi de 2002 aux représentants d’usagers dans le système de santé a créé les conditions d’une prise de parole reconnue des patients. Si la relation individuelle du patient à son médecin ne semble pas bouleversée par l’irruption d’Internet, compte tenu des stratégies d’ajustement mises en place de part et d’autre, il n’est pas exclu qu’elle soit davantage transformée sur le moyen terme au travers
6 J Med Internet Res. 2011 Aug 16;13(3):e62. Managing the personal side of health: how patient expertise differs from the expertise of clinicians. Hartzler A, Pratt W. 7 Florence Quinche, « Sites internet santé : vecteurs de normes santé ou lieux de contestation ? », Philosophia Scientiæ [En ligne], 12-‐2 | 2008, mis en ligne le 01 octobre 2011, consulté le 01 mai 2012. URL : http://philosophiascientiae.revues.org/107 ; DOI : 10.4000/philosophiascientiae.107 8 Akrich, M. and Méadel, C. (2009) Internet : intrus ou médiateur dans la relation patient/médecin ?, Santé, Société, Solidarité, 8, 2, 87-‐92.
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de l’action menée par des « groupes communautaires » : l’utilisation d’Internet leur apporte aujourd’hui une part de leur légitimité et de leur capacité d’influence ; c’est souvent par son intermédiaire qu’ils se constituent ou s’étoffent, qu’ils recueillent expériences et témoignages, qu’ils diffusent information et conseils et qu’ils accèdent eux-‐mêmes à la littérature médicale autrefois confinée dans les bibliothèques spécialisées. » Ce phénomène émergent est passionnant. Il remet notamment en question le modèle historique des associations de patients « traditionnelles » dans la représentativité des usagers et le militantisme en santé. Une des principales différences est que ces associations se sont constituées, par définition, autour d’un regroupement de personnes et dans le monde « réel ». Les communautés de malades nées sur le web – celles qui sont non commerciales en tout cas -‐ sont le plus souvent initiées par une seule personne, elle même directement concernée par la pathologie, qui développe dans ce cadre des stratégies d’alliance, de mobilisation et d’influence : un-‐e e-‐patient-‐e. Je suis une e-‐patiente… J’ai longuement réfléchi avant d’opter pour ce sujet de stage. En effet, il est extrêmement proche de ma « pratique », qui relève davantage d’une expérience personnelle que de la sphère professionnelle. C’est sans doute une des raisons de mon intérêt pour ce sujet. Mais dans le même temps, j’ai craint que cette proximité puisse biaiser mon jugement et m’empêcher de trouver la bonne distance par rapport à mon objet d’étude. Je suis devenue e-‐patiente. Il ne fait aucun doute que c’est grâce à internet que j’ai pu accéder à des connaissances et à des outils qui m’ont permis de développer des compétences spécifiques. J’ai ensuite acquis d’autres savoirs, complémentaires, indépendamment du web, mais s’appuyant néanmoins sur ce socle initial. J’utilise le web depuis 1992 environ, c’est à dire depuis ses balbutiements en France. Etudiante ingénieure, j’y accédais alors grâce aux installations informatiques de mon école. J’ai toujours été passionnée par les spécificités du web, par la richesse et la liberté des contenus qu’on y trouve, mais aussi par la possibilité qu’il donne aux individus d’échanger et d’interagir avec leur environnement numérique. La démocratisation de la toile vers le milieu des années 90 m’a permis d’en disposer rapidement à mon domicile. Dès lors, mes usages du web ont été très diversifiés et très fréquents, à la fois professionnels, mais aussi personnels. C’est devenu une sorte de premier recours où je cherchais (et où je trouvais très souvent) des réponses à la plupart de mes questionnements. J’ai donc acquis à cette période une forme d’expertise de la recherche sur internet, dans un contexte très mouvant et dynamique. Google n’existait pas encore, en revanche, différents moteurs de recherche, aujourd’hui tombés en désuétude, étaient alors utilisés. Chacun s’appuyait sur des algorithmes spécifiques, qui étaient ajustés au fil du temps et évoluaient rapidement. Ils constituaient des outils complémentaires, dont il fallait apprendre à se servir, en
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comprenant les spécificités de chacun, pour optimiser ses chances de parvenir aux réponses attendues. Jusqu’en 2001, je n’ai aucun souvenir d’avoir utilisé internet dans le domaine de la santé. J’ai une maladie chronique depuis l’âge de 12 ans. Pourtant, ce n’est que lorsqu’elle a évolué au point d’entrainer, de manière soudaine même si cette issue était connue, des transformations drastiques de mon existence, que je me suis tournée vers le web pour tenter d’y trouver des réponses et probablement de l’espoir. C’était en septembre 2001. Le paysage de l’internet santé français était encore relativement désertique. Je me suis rapidement tournée vers le monde anglophone, où des ressources plus diversifiées et pertinentes étaient disponibles. J’ai pu trouver l’information dont j’avais tant besoin. Les sites destinés aux patients m’ont apporté les premières réponses, mais elles m’ont un peu laissées sur ma faim. En poussant mes recherches un peu plus loin, j’ai pu accéder à des ressources médicales et scientifiques destinées aux professionnels ainsi qu’à des articles issus de grandes revues internationales. Je suis allée très loin dans cette quête et je pense avoir dès cette époque acquis une expertise de ma pathologie, certes probablement très parcellaire, mais finalement pertinente et surtout « up to date ». Ainsi, j’ai par exemple eu accès et intégré à ma réflexion des résultats récents de cette époque, qui bouleversaient un certain nombre d’habitudes médicales françaises. Mes échanges avec les soignants qui me prenaient en charge ont parfois été complexes. Je me suis heurtée à des réactions de rejet qui préfiguraient les réticences que l’on connaît toujours à l’heure actuelle sur l’usage du web par les malades, mettant en cause de manière globale la qualité de l’information disponible. Pourtant, les pratiques ont depuis évolué sans exception dans le sens que ces papiers – dont les sources étaient tout à fait indiscutables -‐ indiquaient. J’ai donc acquis une autre compétence, celle d’appréhender peu à peu et de gérer les réticences des médecins vis-‐à-‐vis des connaissances que j’avais acquises et que je tentais d’utiliser pour guider mes choix médicaux, dans le cadre de décisions « partagées ». Elles n’étaient pas systématiques. Certains soignants étaient au contraire très ouverts à ces discussions et trouvaient ma démarche positive. Les échanges qui avaient alors lieu étaient très enrichissants et satisfaisants. J’ai ainsi pu connaître mes premières expériences de « médecine participative ». Mais au-‐delà de l’information, j’ai aussi recherché sur internet de l’espoir. Sur les lieux de soins que je fréquentais, les échanges entre patients étaient pratiquement inexistants. La plupart des malades étaient bien plus âgés que moi et les conditions des soins ne se prêtaient pas à l’établissement de relations entre pairs. J’en aurais pourtant eu désespérément besoin, tant les questions relatives à l’expérience de la maladie et des traitements et à leur impact sur mon quotidien et sur mon avenir étaient aigues. Les réponses que m’apportaient les soignants restaient théoriques, parcellaires et « médico-‐centrées ».
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En explorant le web, j’ai enfin pu côtoyer des patients qui me ressemblaient. Et ces rencontres ont été très riches, précieuses et éminemment rassurantes. Parmi les différents sites et forums que j’ai fréquentés, là aussi exclusivement en langue anglaise, celui de John F. Martin9 a sans doute joué un rôle à part.
Ce jeune journaliste américain avait la même maladie et le même parcours que moi. Il l’avait traversé environ deux ans plus tôt. Et il avait décidé d’en faire un « blog », racontant chaque étape telle qu’il l’avait vécue, illustrée de photographies. Tout y était (et y est toujours aujourd’hui, même si son site n’est plus mis à jour que de manière très épisodique. Ce photo reportage, racontant et illustrant de manière à la fois détaillée et rassurante chaque examen, chaque traitement, sans occulter l’impact sur le quotidien, les difficultés, les émotions souvent intenses ressenties, a été d’une très grande aide pour moi. J’ai passé des heures sur ce site. Je n’ai jamais tenté de contacter John, je ne lui ai pas posé de questions, je ne lui ai pas dit merci, mais je le considère comme un vieil ami auquel je dois une fière chandelle… Quelques mois plus tard, j’avais franchi les mêmes étapes que lui. Mon avenir s’éclaircissait. J’ai repensé à mon parcours, aux moments difficiles et aux bonnes décisions que j’avais prises. Je me suis dit que j’avais eu de la chance, que j’avais eu raison de m’impliquer à ce point et qu’internet y était clairement pour quelque chose. La plupart des choix que j’ai faits, des combats que j’ai dû mener pour les faire respecter, ont été soit dictés, soit clairement influencés par ce que j’ai trouvé sur internet. Je me suis dit que j’avais eu de la chance de maîtriser cet outil, de maîtriser l’anglais et j’ai pensé à ce qu’aurait été mon histoire si je n’avais pas eu accès à ces ressources : probablement très différente et moins favorable. J’étais très reconnaissante et j’ai eu envie d’apporter ma pierre à l’édifice en tentant de « donner de l’espoir » à mon tour.
9 http://www.johnfmartin.net/
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J’ai décidé de reproduire sa démarche et de créer à mon tour un site, avec « les moyens du bord »… Je n’avais aucune connaissance du développement des sites web, j’ai décidé d’apprendre. J’ai tâtonné, j’ai persévéré. C’est ainsi que Renaloo.com a vu le jour, fin septembre 2002. Initialement, il s’agissait uniquement d’un site de témoignage. Mais très rapidement, il a été de plus en plus fréquenté et j’ai reçu de très nombreux e-‐mails de la part des internautes qui le visitaient, patients ou proches de patients. Les questions étaient très nombreuses, j’ai tenté d’y apporter des réponses en incluant des contenus médicaux et sociaux au site. Les difficultés des patients étaient immenses, leur solitude était vertigineuse. J’ai mis en place un forum, qui est rapidement devenu un lieu d’échanges et d’entraide. Mais la très grande détresse que j’ai rencontrée par l’intermédiaire du site m’a réellement interpelée. J’ai décidé de m’intéresser de plus près à l’écosystème de ma pathologie, je me suis investie dans des associations de patients, j’ai rencontré « dans la vraie vie » des militants, des professionnels, des institutionnels. J’ai acquis des connaissances et une compréhension sur les enjeux et les conflits d’intérêts qui influent sur la prise en charge des patients, sur les incompréhensions et les représentations qui, de part et d’autre, influent négativement sur la qualité de la relation de soin, sur la manière dont un patient, « représentant des usagers » peut utiliser la démocratie sanitaire pour tenter de défendre ses pairs. J’ai compris beaucoup de choses qui m’avaient échappées, j’ai été révoltée par certains constats, j’ai fait des rencontres exceptionnelles, je me suis fait des amis précieux. Je me suis forgé des convictions sur ce qui était juste et j’ai eu envie de mener certains combats. Renaloo est devenu un outil au service de cet engagement. Sans perdre de vue ses « missions » essentielles, qui restent l’information des patients et de leurs proches et la constitution d’une communauté web qui les rassemble, le site a évolué, dans sa forme et dans ses orientations, désormais plus politiques. De manière logique, Renaloo est devenu une association de patients en 2008 et un acteur « qui compte » dans le paysage. Rétrospectivement, je pense souvent au processus qui a fait de moi ce que je suis aujourd’hui. Le réveil bruyant de la maladie qui sommeillait depuis si longtemps a clairement eu un impact sur mon destin, sur mes choix, sur mes priorités. Mais ma démarche personnelle de quête d’informations et de création de ce petit site devenu grand, est aussi une expérience très marquante. Ces deux faits combinés m’ont profondément transformée et ont eu un réel impact sur ma vie. J’ai la conviction d’avoir changé, mais aussi d’avoir beaucoup appris. Comment ai-‐je appris ? Qu’ai-‐je appris ? Pourquoi ai-‐je fait certains choix, pris certaines directions ? Quelle influence ont eu ces apprentissages sur mon parcours, à moins que ce ne soit l’inverse ? Je me demande souvent pourquoi les choses ont évolué ainsi et je reste étonnée du chemin parcouru. J’aimerais mieux le comprendre. Alors, lorsque j’ai dû réfléchir à un cadre pour réaliser mon stage de master 1, compte tenu de ma « pratique » et de ces interrogations, c’est tout naturellement que je me suis tournée
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vers le web. Un lieu singulier et en perpétuelle mutation, qui a déjà transformé profondément (et ce n’est que le commencement) l’accès des patients à l’information, leur capacité à bâtir des relations d’entraide et d’échange et à rééquilibrer leurs relations avec les soignants. Un lieu qui voit naître et se formaliser de nouveaux types de savoirs médicaux, jusque là occultés par les médecins : ceux du vécu des maladies et des traitements. J’ai eu envie de tenter de comprendre, par l’intermédiaire de ce stage, ce qui fait qu’une personne malade, qui vient chercher des informations sur sa santé sur internet (grâce à la démocratisation du web, c’est désormais le cas d’une très large proportion des français) peut être amenée à devenir à son tour contributrice. A faire la démarche de construction d’un outil (un site, un blog, un forum, un groupe ou une page sur un réseau social, etc.) lui permettant de partager son expérience, ses connaissances, avec le plus grand nombre. Quelles motivations sont à l’origine de cet engagement ? Quels leviers, quelles compétences (pré existantes ou à acquérir) sont impliqués ? Comment s’inscrit-‐elle dans la durée, qu’est-‐ce qui explique la pérennité d’un tel engagement ? Comment évolue t-‐il avec le temps, en direction du militantisme, de l’expertise ? Comment certains de ces e-‐patients deviennent-‐ils peu à peu des « influenceurs », de nouvelles formes de leaders d’opinion, dont l’expertise compte, dont la légitimité n’est plus (ou moins…) questionnée, dont la voix est entendue, sur internet et au delà ? Quelles nouvelles formes de solidarité et de mobilisation émergent de ces initiatives ? Autant de questions que j’ai tenté d’explorer au fil de ce travail.
Posture et méthode A l’instar de ma démarche de 2001, j’ai décidé de me tourner vers des personnes « qui me ressemblent ». Ce qui nous rapproche n’est plus une pathologie particulière, mais l’expérience de la maladie qui a été à l’origine d’une démarche, d’un parcours singulier. La e-‐santé en France est désormais une réalité et quelques e-‐patients ont émergé ces dernières années. Elles (à ce jour, ce sont des femmes, en France en tout cas) sont engagées, militantes et elles font de plus en plus parler d’elles. Après avoir suscité des réactions de défiance et de rejet (« les patients sur internet, c’est n’importe quoi… »), elles deviennent « tendance ». Comme nous ne sommes pas si nombreuses, nous nous connaissons bien. Comme nous partageons beaucoup de convictions et de révoltes, nous faisons front commun, nous sommes même très vite devenues amies. J’ai donc décidé de m’intéresser à Catherine Cerisey, auteur du blog Après mon cancer du sein et à Beate Bartès, créatrice du forum Vivre sans thyroïde et de les écouter me raconter leurs histoires, leurs réalisations et surtout leurs visions de ces questions.
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Pour ce stage, j’ai été accueillie pas la société Basil Stratégie, fondée par Denise Silber, une des spécialistes de la e-‐santé en France, qui développe un fort intérêt pour la thématique des e-‐patients. Comment parvenir à une connaissance objective d’un processus complexe en interrogeant deux personnes seulement, dont je suis de plus très proche ? « Il faut voir les choses en même temps dans la perspective du « je », dans celle du « il / elle » et dans celle du « nous » » Norbert Elias J’ai pris le parti de faire de mes réserves (mon implication personnelle, ma connaissance du sujet, mon amitié pour les interviewées) des atouts. La perspective du « je » Toute ma réflexion, le sens de mes questions et la trame de l’entretien (voir annexe 2) ont été guidés par une introspection objective, en maturation depuis un bon moment, indépendamment de ce travail, sur ma propre expérience. C’est ce troisième entretien, avec moi-‐même, dont j’ai exposé très sommairement les contours en introduction, qui donne leur sens aux deux autres. A la lumière de cette introspection, j’ai mené deux entretiens qualitatifs d’explicitation, selon une méthode de type ethnographique. Il ne s’agit pas ici de s’intéresser à des êtres d’exception. L’individu ethnographique n’est pas représentatif. Il ne vaut pas à la place d’autres. Il ne vaut que pour lui-‐même, il n’est pas interchangeable. Il est le résultat d’un processus, le produit d’une histoire, aussi bien personnelle que sociale. On peut considérer sa trajectoire comme la rencontre entre plusieurs histoires collectives. Ici : histoires des malades et des maladies, de la médecine, des relations patients -‐ médecins, des traitements ; histoire de l’apparition d’un nouveau média, « hyper connecté », reposant essentiellement sur un modèle de gratuité et d’accessibilité et ouvrant des perspectives presque infinies ; histoire des femmes aussi, ce n’est sans doute pas un hasard qu’elles soient très majoritaires dans cet univers des e-‐patient-‐e-‐s, comme elles le sont également parmi les effectifs du master ; histoire des mouvements de patients, marqués par l’épopée du VIH et par le « rien de ce qui nous concerne ne doit être fait sans nous » de la déclaration de Denver en 1983, à l’origine de l’enclenchement de la reprise de pouvoir des malades dans le soin, les systèmes de santé et la démocratie sanitaire.
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L’objectif était donc de parvenir à analyser de manière qualitative ces processus, c’est-‐à-‐dire le déroulement d’une situation où les actes de chacun comptent, mais où rien n’est joué d’avance et qui, pour autant, échappe à chacun des participants. La perspective du « elles » Dans le cadre des entretiens, il m’a cependant semblé nécessaire de m’éloigner du « je » et du « nous ». J’ai ainsi précisé à mes interlocutrices que je m’adresserais à elles en tant qu’étudiante, et pas comme patiente, e-‐patiente, ou amie. Cette « règle du jeu » a été bien comprise et respectée. Pour autant, il est clair que la connaissance respective des enjeux comme des personnes a été un élément facilitateur, elle a induit une qualité de compréhension et de dialogue durant les entretiens mais aussi une confiance, une réelle liberté de parole. Nous parlons le même langage (et lorsqu’on évoque les nouvelles technologies, ce n’est pas forcément anecdotique !). Nous savons ce que nous partageons. Sur les sujets abordés, nous nous comprenons à demi mot, sans doute mieux que quiconque. Les traces comme outils… Toujours selon Norbert Elias, un processus, c’est « une configuration en mouvement », un système mobile de places. Ici, malgré la dématérialisation des supports, les processus laissent des traces objectives : les sites, les blogs, les forums, les posts sur les réseaux sociaux, les articles publiés… Tous ces éléments et leurs contenus constitueront donc des outils précieux pour éclairer l’analyse des entretiens et la compréhension globale des processus. Les entretiens ont été réalisés à distance pour le premier (Beate Bartès) et en face-‐à-‐face pour le second (Catherine Cerisey). Dans des deux cas, ils ont été enregistrés et retranscrits (voir annexes 2 et 3). Mon analyse, éclairée par l’observation de leurs « traces » sur le web, s’est intéressée aux raisons de leur engagement, à leurs visions de leurs réalisations (au présent et dans l’avenir), aux outils mis en œuvre, à la place du témoignage et de la personnification dans leurs démarches, à leurs interactions avec les médecins, et enfin aux éléments qui les distinguent et aux conséquences de ces différences.
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Analyse et résultats L’initiation : une rupture biographique décisive Il existe beaucoup de traits communs entre ces deux (trois) personnes : des femmes, jeunes, instruites, aspirant à une existence indépendante, à une carrière professionnelle. Une épreuve de santé fait d’un coup basculer leur existence en dehors des sentiers tranquilles de la normalité et les confronte très tôt à la mort, à la maladie chronique, au handicap, aux incertitudes sur leur avenir, aux risques de devoir mener une vie différente des autres et surtout de celle pour laquelle elles s’étaient préparées (études, projets, famille, enfants, etc.). Un besoin commun à ce stade : s’informer, savoir, comprendre. Et une ressource providentielle, même si tout n’est pas parfait : internet. Chacune prend conscience de l’opportunité de cet outil et de l’aide précieuse qu’elles y trouvent. Elles surmontent l’épreuve (ou les épreuves…), qui constitue-‐nt néanmoins pour elles une rupture biographique profonde. Elles recomposent positivement leur existence à partir de cette expérience, désormais silencieuse, mais dont chacune sait pourtant qu’elle risque de se manifester à nouveau bruyamment, sans pour autant pouvoir dire quand… Une épée de Damoclès qui compte sans aucun doute dans la constance de leur mobilisation, tout comme leur statut de malade chronique : le deuil de la guérison a été une des étapes de leurs parcours. Pour autant, dans chaque cas, c’est toute une table des valeurs qui a été bouleversée. On ne voit plus la vie après comme avant. Elles n’oublieront pas, ne tireront pas un trait sur les moments difficiles. Interpelées par leur vécu mais aussi par celui des autres malades qu’elles ont croisés, elles décident de se tourner vers eux et d’aider. Pour Beate, la démarche est immédiate : elle exprime très simplement avoir souhaité aider les autres à s’en sortir aussi bien qu’elle. Pragmatique, elle s’appuie sur les outils (l’accès à l’information, aux échanges entre patients, etc.) qu’elle a utilisés et les transpose simplement au monde francophone… Elle fait simple et efficace. De là, les choses s’enchaînent, l’objectif est rapidement atteint. Beate la discrète ne s’affiche pas sur son forum. Pas de témoignage personnel, pas d’explication sur les origines du site ou de l’association. Ou si peu : en cherchant bien, on trouve sur le forum un message daté d’octobre 2000, le tout premier qui ait été publié. Beate s’y présente rapidement et explique très succinctement pourquoi elle est là…
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Vivre sans Thyroïde nous entraine dans un univers qui apparaît comme collectif, au service de la communauté des patients. Ce qui compte, c’est la fonction. Le design du forum est très sobre, simple, un peu daté par rapport à ce qu’on trouve aujourd’hui sur le web. Mais qu’importe, pragmatisme là encore, l’essentiel c’est qu’il rende service. Pas de »bling bling » ni de révolution en vue. D’ailleurs, Beate veut-‐elle aller plus loin ? Pas si sûr. Les choses qu’elle aimerait trouver le temps de faire restent purement dans le registre des activités actuelles du forum. La seule limite qu’elle évoque à l’accomplissement de ses projets reste son manque de disponibilités, lié à la poursuite de son activité professionnelle. La solution : attendre les quelques années qui la séparent de sa retraite pour pouvoir ensuite se consacrer totalement à Vivre sans Thyroïde. Beate se satisfait de ce qui a été accompli. Elle n’envisage pas plus que cela, s’impliquer dans des combats plus larges ou plus politiques. Lorsqu’on lui parle compétences, elle répond empathie et capacité à prendre du recul : là aussi, sa vision reste centrée sur la relation d’aide établie avec les internautes, sur le forum. Catherine, quant à elle, a attendu neuf années avant de se lancer dans l’aventure du blog. Une phase de maturation sans doute nécessaire, nourrie de quelques expériences de bénévolat non concluantes. Les objectifs initiaux sont simples : montrer qu’au-‐delà de la phase aigüe du traitement d’un cancer, de la récidive, on peut s’en sortir et reprendre une vie normale au long cours, à l’ombre d’une rémission totale. Catherine est une survivante. Le témoignage a donc ici valeur d’exemple.
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Blogueuse depuis moins de trois ans, Catherine n’en est qu’au début de sa quête. Pourtant, quel chemin a déjà été parcouru ! Et elle ira beaucoup plus loin. Elle le sait, elle le pressent et… elle le veut. Même si elle ne formalise pas encore totalement sa vision : œuvrer pour le rééquilibrage de la relation soigné -‐ soignant, devenir porte-‐parole des malades, créer une association, pourquoi pas. Elle verra bien. Catherine est pétillante et ambitieuse. Elle s’enthousiasme pour ce qu’elle est en train de vivre et la manière dont son blog a transformé son existence, la place qu’il a prise dans sa vie. Du succès est née la motivation, qui a catalysé le militantisme… et réciproquement ! L’évolution des articles publiés au fil du temps, depuis le lancement du blog est également très révélatrice de son cheminement personnel. Les billets publiés ont initialement été très factuels : des infos, de l’actualité, des événements… Des contenus glanés sur le web, remis en forme sur le blog. Puis, au fil du temps, la plume s’est faite plus personnelle, plus engagée aussi. Catherine a repris la main et le blog d’info est devenu sa tribune. C’est cette parole libre, militante, légitime qui est aujourd’hui au cœur de son action, relayée très largement par les réseaux sociaux et les sites amis. Une parole qu’elle porte et qu’elle revendique. C’est sans doute la raison pour laquelle la notoriété de Catherine Cerisey est désormais au moins aussi importante que celle d’Après mon cancer du sein. Elle est devenue une sorte de référente de la parole patient dans le monde de la e-‐santé, elle est régulièrement sollicitée pour intervenir dans des conférences, elle a fréquemment les honneurs des médias. La blogueuse est devenue influente… sur le web et au-‐delà.
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La force du témoignage «Toute douleur qui n'aide personne est absurde » André Malraux Beate, nous l’avons vu, n’a pas jugé utile de raconter formellement son histoire, préférant mettre son expérience de la maladie au service des relations d’aide qu’elle établit et la distillant, en fonction des besoins, auprès des usagers de son forum. On peut émettre l’hypothèse que ce choix est lié au pronostic favorable de sa pathologie et de la très large majorité des problèmes thyroïdiens. L’objectif de Beate n’est pas de se revendiquer en tant que survivante, mais de mettre son expérience au profit de l’accompagnement de ses pairs, pour les aider à mieux vivre leur maladie chronique. Pour Catherine, en revanche, le témoignage a été un acte fondateur, le socle originel de Après mon cancer du sein, le premier contenu en ligne. Il s’agit là d’un point commun avec Renaloo, sur la forme mais aussi sur le fond. Nos histoires, nous les avons racontées de manière très analogues, y compris dans leurs structures, dans leurs styles, dans nos mots, dans la retranscription de nos ressentis… Et dans le constat que nous faisons toutes deux de l’importance et de l’utilité de cette étape d’introspection et de rédaction. Se mettre en évocation pour coucher sur le papier des moments aussi intenses et parfois douloureux de nos existences, a sans aucun doute eu des vertus thérapeutiques précieuses et nous a permis de passer un cap. D’autant plus que nous l’avons fait avec des objectifs précis : laisser une trace de ce que nous avions traversé, qui participe de ce que nous sommes devenues -‐ mais aussi aider l’autre, rassurer, ne pas inquiéter inutilement. Savante alchimie à trouver… Il est fréquent que les rescapés d’une épreuve éprouvent le besoin d’en parler, de communiquer, de raconter, à la fois pour eux et pour les autres. Dans les générations anciennes, le véhicule classique est le livre (ou l’article), voire l’association (d’anciens combattants, de victimes, de malade) où l’on se retrouve « entre nous ». Souvent, le témoignage se suffit à lui-‐même. On raconte et c’est tout. Avoir survécu est en soi un mérite, une chance, un modèle. Le témoignage participe de l’appel à la compassion, du miracle du rescapé, de l’héroïsme de la victoire. Il n’y a pourtant aucune velléité d’exhibition dans nos démarches. Notre expérience doit servir aux autres, sinon, elle ne servirait à rien. Mais comprendre ce qu’on a vécu pour soi, l’objectiver dans un récit ou en apprenant à le restituer dans le cadre d’une relation d’aide, constitue autant de mouvements réflexifs précieux. Ainsi avons-‐nous aussi pu tirer parti de ce que nous avons appris sur nous-‐mêmes, au-‐delà de la compassion. Ce retour sur soi et sur la compréhension de l’épreuve fait corps avec la nécessité d’en informer les autres, pas seulement les prendre à témoin, mais leur donner la parole. Les différences que l’on peut noter en termes de « personnification » et de mise en avant de soi sont cependant importantes, car elles ont un impact sur la nature même des relations
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d’entraide qui sont mises en œuvre. On voit ainsi qu’elles peuvent passer par l’identification à une personne, une sorte de modèle ou de guide, qui donne de l’espoir en montrant qu’on « peut s’en tirer », ou bien demeurer communautaires et globales, favorisant l’interactivité et l’implication de chacun. L’internaute peut alors facilement passer du statut d’usager à celui de contributeur. Cette transition peut lui apporter d’autres formes d’enrichissements, la satisfaction d’avoir pu – ou su – aider, une valorisation personnelle. Au total, chacune d’entre nous a cherché à offrir aux autres ce qui nous a cruellement manqué dans la traversée solitaire de nos épreuves respectives : un lieu d’information, de paroles, d’échanges, de rencontres, de conseils, un soutien multiforme. Nous ne sommes pas ici dans le registre de la charité, mais dans celui de la libération de la parole, de l’émancipation, de la lutte contre la dictature médicale et sociale de l’infériorisation du patient. Il s’agit finalement de rendre publique et collective la souffrance solitaire et privée. Pas pour l’exhiber, mais pour la transcender dans une forme collective de réflexion, d’information et… d’action. e-‐patients & docteurs Le rôle des médecins dans chacun des processus explorés est particulier : omniprésent et pourtant lointain. Si certaines rencontres ou certaines relations de soins semblent avoir été cruciales et avoir eu un impact sur la décision de créer une entité web, aucune d’entre nous n’a associé son ou ses médecins à la construction de son projet. Au-‐delà de l’absence d’implication, Catherine indique clairement ne pas avoir informé ses médecins de l’existence de son blog, ils l’ont appris indirectement, « parce que tout le monde en parle »… Pour d’obscures raisons déontologiques, l’un d’entre eux refuse d’ailleurs toujours de le visiter. Quant à ceux qui fréquentent le blog sans connaître Catherine, là aussi, leur attitude reste très prudente : ils ne se manifestent que par des messages privés, ne postent pas de commentaires sur le site, restent anonymes et invisibles. Encore une question de déontologie ? Les médecins de Beate l’ont quant à eux, initialement encouragée à lancer son forum, sans que leur implication aille au-‐delà. Elle s’est contentée de les solliciter ponctuellement pour des avis sur des questions d’internautes. Elle a ensuite eu des expériences négatives de participation de médecins (pas les siens !) au forum. Elle décrit clairement le déséquilibre que leur présence – inévitablement en tant qu’experts – induit, au détriment de la qualité de la relation entre pairs. Elle a aussi eu l’occasion à plusieurs reprises de se frotter aux réticences et aux résistances des spécialistes, qui réagissaient négativement à sa présence, en tant que patiente, à des congrès internationaux. Même si elle est globalement satisfaite de l’évolution favorable de la perception de son association par les médecins, elle reste très prudente. Elle souligne néanmoins que ceux avec lesquels elle collabore aujourd’hui, ne sont pas représentatifs de la communauté des spécialistes de la thyroïde. Ils se sont choisis mutuellement…
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Dans les deux cas, peut-‐être pour éviter de « mélanger les genres » ou simplement par crainte de réactions négatives, nos e-‐patientes ont initialement fait le choix délibéré de tenir leurs médecins à l’écart de leurs projets internet. Une posture qui a sans aucun doute un sens. On peut là aussi éclairer ces constats d’une observation autour des pratiques des réseaux sociaux et en particulier de twitter. Il s’agit en effet à l’heure actuelle de celui où les influenceurs de tous poils se retrouvent, communiquent et se constituent en réseaux thématiques. Un de ces « réseaux » est consacré à la e-‐santé. Assez large et très actif, il regroupe différentes communautés d’intérêts. Les e-‐patients et les e-‐docteurs (majoritairement des médecins blogueurs) en font partie. Ils se « suivent » mutuellement, ce qui signifie qu’ils voient leurs contributions respectives. Les e-‐patients « twittos », peu nombreux (Beate et Catherine en font partie), sont néanmoins très actifs et se positionnent sur des sujets tels que le vécu de la maladie, l’expertise patiente, ou la médecine participative, mais aussi sur des questions très proches de celles qu’abordent les e-‐docteurs, qu’elles soient relatives aux pathologies qui les concernent ou beaucoup plus larges : santé publique, relation soigné-‐soignant, médecine 2.0, etc. Pourtant et contrairement à ce qu’on pourrait penser, les échanges entre ces deux sous-‐groupes restent très marginaux. Le dialogue ne s’instaure qu’exceptionnellement. Là aussi, on peut s’étonner de ces préventions mutuelles, qui empêchent de manière manifeste ces deux populations de communiquer entre elles. Un lieu comme twitter pourrait pourtant se prêter à l’instauration de relations fructueuses, voire de collaborations, qui permettraient de faire progresser la réflexion globale. Même son de cloche pour Renaloo. Je dois admettre avoir partagé ces réserves. Je n’en ai pas parlé à mes médecins. Puis la notoriété du site a fait qu’ils n’ont pu que le connaître. Comme Beate, j’ai connu de grands moments de solitude à l’occasion de certains colloques ou congrès. Ma présence suscitait parfois des réactions clairement hostiles, le plus souvent une ignorance teintée de mépris. Puis, les choses ont évolué. Renaloo a gagné en crédibilité et en notoriété, pas seulement pour sa présence sur le web, mais aussi pour ses actions dans « la vraie vie ». Les relations avec les « leaders d’opinion » et les sociétés savantes, sont devenues excellentes. Renaloo s’est doté d’un comité médical, certains spécialistes ont rédigé ou co-‐rédigé des articles, des brochures. Un réel partenariat s’est peu à peu installé, allant jusqu’à des actions communes (un modèle qui s’est révélé particulièrement efficace) auprès des tutelles, dans le cadre de lobbying. Des stratégies d’alliance, des relations de confiance et de respect mutuel se sont instaurées. Mais, comme dans le cas de Vivre sans Thyroïde, elles ont été le fait d’individus et ne concernent qu’une minorité des acteurs. Au-‐delà des réticences qui perdurent, lorsque les valeurs défendues par les malades vont à l’encontre des intérêts de certains médecins, les levées de boucliers restent la règle, les corporatismes ont la vie dure. Tout cela reste fragile.
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Plus prosaïquement, même s’il est inéluctable, le mouvement d’autonomisation et d’empowerment des malades, reste manifestement difficilement accepté par certains médecins, encore attachés au modèle paternaliste. Ils y voient une remise en question de leurs prérogatives, une perte de pouvoir, un risque de dilution des messages. L’intérêt des relations d’aides entre pairs est également fréquemment questionné. Les pairs aidants sont soupçonnés d’être incapables de prendre suffisamment de recul par rapport à leurs propres parcours et de délivrer des messages et des conseils orientés, subjectifs et inappropriés. Il s’agit là de mouvements de résistance, traditionnellement rencontrées lors de phases de changements. Le rééquilibrage de la relation de soin passe inévitablement par une forme de perte de pouvoir, consécutive au partage de la connaissance et des prises de décision, au passage d’une relation paternaliste à une relation partenariale. Catherine et Beate rappellent d’une seule voix (je me joins à elles) que les médecins auraient beaucoup à apprendre de leurs patients. C’est d’ailleurs l’étape suivante qu’elles appellent de leurs vœux : après avoir « influencé » leurs pairs sur internet, les e-‐patients – et les patients experts en général -‐ pourraient bien être amenés à faire de même avec les soignants. Pour leur apprendre – par exemple – ce que c’est que d’être un patient… Et donc, à devenir de meilleurs médecins. La dynamique de cette relation, particulièrement fragile, entre patients influenceurs et médecins est donc un processus complexe, au sens où Elias l’entend… Son étude plus approfondie pourrait sans doute éclairer utilement la question des évolutions en cours des relations soignés-‐soignants. Elle pourrait par exemple s’intéresser aux représentations liées à l’émergence d’un patient, ou d’un groupe de patient, qui prend la parole, « sort du lot », acquiert une influence ou une notoriété (auprès d’autres malades, de certaines institutions, des médias…), qui plus est en s’emparant de sujets qui sont habituellement l’apanage des médecins. « La souffrance ne peut avoir de sens que quand elle ne mène pas à la mort, et elle y mène presque toujours. » André Malraux (encore lui) Au-‐delà de ces traits communs aux trois démarches, il y a aussi des différences. Leur analyse est très instructive. On peut être influenceur sur le web de plusieurs manières. Les personnes sont différentes, les pathologies dont elles sont atteintes également. Il existe des différences de pronostic, de prise en charge et d’impact sur la vie selon qu’on soit en rémission d’un cancer du sein, d’un cancer de la thyroïde ou transplantée rénale. Au plan plus global, cette hétérogénéité se retrouve. Les publics sont aussi différents en nombre : 52 000 femmes sont confrontées au cancer du sein chaque année en France. L’insuffisance rénale terminale se situe dans les mêmes ordres de grandeur, avec environ 70 000 patients traités par dialyse ou greffe. Les pathologies thyroïdiennes concerneraient quant à elles, pas
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moins de 10% de la population, soit six millions de personnes environ. On retrouve les mêmes différences lorsqu’on s’intéresse au degré de gravité de ces pathologies, aux représentations qu’en a le grand public, ainsi qu’à leurs conséquences concrètes sur la vie des malades. Cet impact particulier est sans aucun doute très corrélé au degré d’engagement dont ils font preuve lorsqu’ils recherchent de l’information ou s’impliquent sur des forums. Là aussi, une très grande diversité est donc observable. Le choix des moyens d’expression seront différents, dès le départ : un blog pour l’une, son blog, très personnel, dont elle revendique être l’unique plume. Il se veut un lieu de prise de parole, d’expression et de témoignage. L’objectif est ici de donner de l’espoir, de servir de modèle, de montrer qu’on peut s’en sortir, aller bien, longtemps après... Un forum (devenu association) pour l’autre, avec une volonté fondatrice de s’inscrire dans l’échange et dans la réponse aux besoins exprimés. La démarche a été ici très collective, avec une ouverture nette et souhaitée à la participation active de nombreux internautes volontaires. Le besoin créé l’organe, le forum ne vit que parce que des internautes viennent y chercher information et soutien. Cette ligne conduit du reste de manière logique à la création d’une association quelques années plus tard. Renaloo se situe à la croisée des chemins de ces deux initiatives, réunissant leurs principales caractéristiques (le versant blog, témoignage et la personnalisation initiale, ayant évolué par la suite vers une dimension plus communautaire, avec l’ajout d’informations, d’actualité, du forum et la création de l’association). Ces partis pris différents se retrouvent également dans l’énoncé des compétences que Catherine et Beate estiment avoir acquises au fil de leur engagement : écrire, identifier, comprendre et partager des connaissances et des informations, prendre la parole (y compris en public) ainsi que « la maladie » de manière globale pour la première, empathie et capacité à aider l’autre sans projeter sa propre expérience pour la seconde. Il est d’ailleurs probable que ce ne sont pas les seules, mais uniquement celles qu’elles jugent suffisamment marquantes pour les mentionner. La manière dont ces auto-‐apprentissages se sont mis en place est très intéressante et mériterait qu’on s’y attarde. Créer, animer, faire vivre une entité web nécessite un engagement au quotidien mais aussi une palette large de compétences, allant bien au-‐delà de la technique (qu’aucune ne mentionne d’ailleurs, même s’il s’agit d’une manière évidente d’un acquis) et qui varient en fonction des objectifs et des moyens mis en œuvre… Une question plus générale, qui n’a été que superficiellement évoquée dans ce rapport, me semble mériter d’être approfondie : existe-‐t-‐il des liens et quels sont-‐ils, entre ces démarches individuelles et autodidactes et l’éducation thérapeutique ? Pour Catherine et Beate, même si elles n’en ont pas bénéficié et n’y ont pas été initialement formées (Beate a suivi tout récemment la formation en e-‐learning de l’UPMC), la réponse est évidemment positive.
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Des moyens nouveaux, des pratiques variées Les supports matériels de communication sont nouveaux, balbutiants, mais chacune a très vite pris conscience du potentiel et de l’opportunité qu’ils représentaient, sans toujours anticiper leur montée en puissance rapide dans le temps. Blogs, forums, sites, réseaux sociaux apportent des dimensions nouvelles aux formes traditionnelles de la culture de l’écrit : la simplicité, l’immédiateté, l’accessibilité et l’interactivité. Elles sont aussi révélatrices de la coupure générationnelle qui a eu lieu. D’une part, elles permettent la mise en œuvre d’un véritable processus de mobilisation extrêmement efficace (chacun des outils proposés s’est illustré par une fréquentation et une activité – sur le web, on parle d’influence -‐ très importante). D’autre part, elles marquent un retour aux individus plutôt qu’aux blocs compacts de militants associatifs. Les internautes qui accèdent à ces outils ne sont pas des « représentants des usagers », ils adhèrent très minoritairement à des associations. Ils sont là parce qu’ils ont exprimé un besoin, ils ont une pathologie en commun. Les formes de participation sont à la carte, leur pérennité également. De la simple consultation des articles d’information, la participation à des discussions sur un forum (qui là aussi, peut se décliner en différents niveaux d’implication), jusqu’à l’engagement en tant que militant (rédacteur, modérateur, community manager, e-‐patient expert ou ressource…), l’horizon des possibles est vaste et chacun peut y trouver son « bonheur ». Internet est un formidable outil d’empowerment et nous avons raison de l’utiliser pour et avec les patients. Beate regrette du reste la montée en puissance, récente, de l’internaute consommateur et individualiste, adepte de l’immédiateté et du jetable, en particulier parmi les usagers de Vivre sans Thyroïde. Elle voit dans ces comportements nouveaux de l’irrespect, un certain manque d’éducation, une méconnaissance, voire un mépris de l’engagement de ceux qui font vivre la structure et des efforts qu’elle nécessite. Ce phénomène est inévitable, il est inhérent à la démocratisation de l’accès aux outils numériques et des réseaux sociaux, mais aussi à une évolution sociétale. Il y a une décennie, les internautes étaient peu nombreux et représentaient sans doute une certaine « élite ». Une série de codes et de règles de bonne conduite sur la toile s’était alors imposée : la « nétiquette », depuis longtemps tombée en désuétude… Il s’agit donc d’un effet pervers de la réduction de la fracture numérique, qui a aussi beaucoup d’aspects positifs : plus besoin aujourd’hui d’être un-‐e privilégié-‐e pour bénéficier des possibilités du réseau. Une part croissante des malades et de leurs proches, y compris les plus vulnérables d’entre eux, peuvent désormais utiliser ces outils…
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« Ni rire, ni pleurer, comprendre » Spinoza En partie par empathie, en partie probablement aussi par curiosité sur les pratiques -‐ encore rares -‐ et usages par les patients d’un nouveau média plein de promesses, mais aussi par volonté de mieux comprendre ma propre « pratique » sur ce terrain et de la confronter à des expériences analogues, j’ai choisi de me pencher pour ce travail sur des personnes « qui me ressemblent » et sur leurs démarches, à la fois très proches, mais affichant aussi des différences notables avec la mienne. Au-‐delà d’un socle commun manifeste, de l’élan qui nous anime, des convictions partagées, issues de nos expériences de la maladie, mais aussi des démarches d’entraide et des fabriques de solidarités que nous avons tenté, par différents moyens, de mettre en œuvre sur internet, chaque histoire reste en effet singulière. Des formes de solidarité nouvelles… Le web s’adresse d’abord à des individus. Il est en cela bien de son temps. Son usage est en général solitaire. Pour autant, il est bel et bien générateur de lien social. C’est notamment le cas ici. Les relations interpersonnelles qui s’établissent via les trois plateformes que nous examinons relèvent clairement de formes de solidarités inédites entre les patients. En fonction des orientations prises, les flux de solidarité sont différents : bilatéraux (de l’animatrice vers l’internaute et réciproquement) pour Après mon cancer du sein, triangulaires (des animateurs vers les internautes et entre les internautes) pour Vivre sans Thyroïde et Renaloo, voire plus distanciés et indirects, lorsqu’on passe à l’étape de la représentation des « usagers » et qu’il s’agit de défendre leurs intérêts… De la solidarité à la mobilisation Fabriquer de la solidarité entre les patients est une chose, susciter la mobilisation en est une autre. Est-‐il possible, à partir de ces outils et des communautés constituées, de provoquer des mobilisations collectives ? A ce jour, les communautés de patients auxquelles nous nous intéressons restent de tailles limitées. Le degré d’implication de leurs membres, nous l’avons vu, est également variable. A ce jour, le militantisme semble peu présent dans leurs rangs. Comment faire vibrer la fibre activiste et déclencher l’engagement, au sein et au-‐delà de ces socles ? L’histoire des mobilisations de patients est encore très « 1.0 », dans le sens où elle s’est jusque là appuyée sur des moyens classiques, dans la vraie vie. On peut cependant noter que le nombre n’est pas une condition sine qua non. L’exemple du VIH est marquant, puisque le succès de la mobilisation a été très lié à la présence de militants proches du monde du
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spectacle ou des médias, qui ont su mettre à profit ces réseaux pour gagner en visibilité et en influence. Pari réussi. Mais la mobilisation peut aussi s’appuyer efficacement sur des spécificités du web. La courte histoire d’internet regorge déjà d’exemples en la matière, où l’effet « viral » des réseaux, associé à une cause suffisamment forte a permis aux individualités de s’additionner et de soulever des montagnes. On peut par exemple évoquer le cas de ce chef d'entreprise tétraplégique qui, l'été dernier, avait été brutalement privé de douches suite à une décision unilatérale de l'organisme chargé des soins à domicile. Lequel dut revenir sur sa décision, après que l'appel au secours de l'intéressé, lancé sur son blog, soit arrivé jusqu'à l'Elysée grâce à une mobilisation sans précédent via le réseau Twitter. La mobilisation n’est pas toujours légitime ni utile d’ailleurs : on se souvient de ce hoax10 appelant depuis 2003 au don de moelle osseuse pour sauver une petite fille appelée Noëlie. Si le courriel était une véritable recherche au départ, la petite fille n'a pu être sauvée et la chaîne continue de tourner malgré l'appel des parents et du CHU d'Angers qui sont toujours régulièrement contactés. Ces phénomènes s’appuient également fréquemment sur la puissance de l’intelligence collective rendue possible par les outils 2.0. Récemment, la vaccination contre la grippe A H1N1 en a apporté une démonstration magistrale11. Un groupe de médecins généralistes qui fréquentaient les espaces de discussion professionnels sur le web, particulièrement engagés sur ces questions et critiques vis-‐à-‐vis des choix de la puissance publique, a rédigé de manière collégiale un document12 , neutre et indépendant, apportant une information factuelle sur les dangers de la grippe et les dangers du vaccin. Ce document, mis en ligne et donc accessible à tous, a connu un succès fulgurant, dans le sens où il répondait à des préoccupations réelles, émanant autant des usagers (qui n’étaient pas tous des patients) que des soignants. Il a reçu un millions quatre cent mille visites en quelques semaines. Il a eu un impact majeur sur le déroulement de la campagne nationale de vaccination. La mobilisation est donc clairement rendue possible sur internet et elle peut être multiforme. Les communautés de patients – en tout cas celles auxquelles nous nous intéressons et qui émanent des patients eux-‐mêmes -‐ constituent manifestement un terreau fertile pour ce type de phénomènes, qui pourraient là aussi, faire l’objet de recherches complémentaires…
10 Selon Wikipedia, les canulars, appelés en anglais hoaxes, pluriel de hoax, se trouvent souvent sous la forme de courriel ou de simple lettre-‐chaîne. À la différence des spams, qui sont la plupart du temps envoyés de manière automatisée à une liste de destinataires, ces types de messages sont relayés « manuellement » par des personnes de bonne foi à qui on demande de renvoyer le message à toutes leurs connaissances, ou à une adresse de courrier électronique bien précise. 11 DUPAGNE Dominique, La revanche du rameur, éditions Michel Laffon, 2011 12 http://www.atoute.org/n/article134.html « Faut-‐il ou non se faire vacciner contre la grippe ? »
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Internet est un formidable outil et nous avons raison de l’utiliser en tant que patients et pour et avec les patients. Le web a pour nous constitué une opportunité contemporaine. Parce que nous étions de cette génération, nous avons su nous en emparer pour le mettre au service des malades. Pionnières, nous l’avons donc sans doute été. Mais l’histoire du web et de la e-‐santé n’en sont qu’à leurs balbutiements. L’engouement actuel pour l’ETP, la modification des discours et des représentation autour de la e-‐santé, la promotion de l’autonomisation des malades, sont autant de facteurs qui vont inévitablement favoriser l’émergence de nombreux e-‐patients, dont certains deviendront des influenceurs. Ils seront amenés à jouer un rôle majeur vis-‐à-‐vis de leurs pairs dans les années à venir. Mais leur feuille de route ne s’arrêtera pas là. L’internet ne sera pour eux qu’un média. Les mobilisations auront lieu. Et pourraient bien permettre de changer, au moins un peu, le monde.
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Annexe 1 : les sites et leurs caractéristiques
http://catherinecerisey.wordpress.com/ 400 visites par jour en moyenne.
http://www.forum-‐thyroide.net/ 4338 visites par jour en moyenne. Bénévoles : 5 membres du CA, 20 membres actifs (pas tous régulièrement actifs), 12 modérateurs ; 4 antennes régionales (Ile de France, Normandie, Bretagne, Québec)
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http://www.renaloo.com 1400 visites par jour en moyenne. Environ 25 bénévoles actifs, 3 modérateurs sur le forum.
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Annexe 2 : guide d’entretien Je pose ces questions en tant qu’étudiante, c’est un sujet qui, à ma connaissance, est peu exploré. J’ai quelques idées sur la question, issues de mon expérience personnelle et des constats que j’ai faits. Ce travail vise à les confronter à la réalité et à la diversité des parcours…
-‐ Peux tu me dire qui tu es ? -‐ Peux-‐tu me raconter de manière synthétique ton parcours médical ? -‐ Est-‐ce que tu utilisais déjà internet avant ton diagnostic ? Est-‐ce que tu utilisais
internet en lien avec la santé ? -‐ A quel moment de ce parcours et pourquoi t’es-‐tu tournée vers le web ? Peux-‐tu
raconter comment ça s’est passé ? -‐ A l’époque, ce que tu as trouvé a t-‐il répondu à tes besoins ? Qu’est-‐ce qui t’a été le
plus précieux ? Qu’est-‐ce qui t’a déçue ou choquée ou révoltée ? -‐ Quelles ont été tes activités à l’époque ? Consultation des infos seulement ?
Contribution ? A quoi (forum, articles, etc.) ? -‐ Comment es-‐tu passée du statut d’utilisatrice à celui de contributrice ? -‐ Puis à celui de webmaster ? Peux-‐tu raconter ta démarche ? -‐ Comment as-‐tu fait connaître ton site / forum ? -‐ Comment le site / forum a t-‐il été accueilli par les internautes. Quelles ont été les
réactions des patients ? médecins ? de tes proches ? -‐ Peux-‐tu raconter l’histoire de ton blog / de ton forum ? -‐ Estimes-‐tu avoir appris des choses / acquis des compétences grâce à cette
expérience ? Lesquelles ? -‐ Comment considères-‐tu cette expérience aujourd’hui ? Quel bilan en tires-‐tu ? -‐ Comment vois-‐tu l’avenir de ton site / forum et de ton engagement sur le web ? -‐ Que t’apporte ton site / forum aujourd’hui ? Comment vois-‐tu ton rôle en tant que
blogueuse / forumeuse / responsable associative sur internet ? -‐ Ton combat, aujourd’hui, c’est quoi ? Qu’apporte l’outil web dans ce cadre ? -‐ Et si c’était à refaire ?
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Annexe 3 : transcription des entretiens Transcription de l'entretien avec Beate Bartes – samedi 28 avril 2012 -‐ skype BB : D'accord. Donc tu fais un peu 1 sorte de reportage sur le cheminement de plusieurs patients d'experts, en gros. YC : C’est un entretien qualitatif, c'est la raison pour laquelle je vais nous enregistrer. Ensuite, je vais tout retranscrire sur papier, je vais tout retaper si tu veux. C'est l'analyse de cet entretien et de celui que j'aurai avec Catherine, qui permettra de construire mon rapport de stage et de valider ou pas mes l'hypothèses et puis d'essayer de tirer des conclusions. Avec deux entretiens, tu ne peux pas trop tirer de conclusions généralisables, mais ce qui compte c'est surtout la méthodologie. C'est un peu « short » pour faire un vrai travail universitaire, mais dans le cadre de mon stage c'est ce format là. BB : Donc tu as des questions toutes faites là ? Yc : Exactement, j'ai un guide d'entretien. BB : OK… YC : Donc, on y va ? BB : Oui ! YC : Alors, est-‐ce que tu peux me dire rapidement qui tu es ? BB : D'accord, alors j'ai déjà raconté ça tellement de fois… Donc, je suis née en 56, je suis venue en France en 78 pour suivre mon futur mari. J'ai continué mes études pour faire un diplôme de traductrice. J'étais secrétaire trilingue en Allemagne. J'ai ensuite réussi à travailler chez Airbus. Depuis que j'ai mes enfants je suis à mi-‐temps, au service de traduction technique. Et puis bon, c'est tout, une vie de famille tranquille. Et maintenant l'histoire de la maladie. En 99, non, enfin avant ça. On m’a trouvé… Non c'est moi toute seule… On m'a trouvé que j'avais un petit goitre… 10 ans avant, mais on me l’a fait observer lors de mes accouchements d'ailleurs. On m'a dit « il faut vérifier la thyroïde », mais à l'époque on ne faisait pas d'échographie, je ne savais même pas à quoi ça servait. La prise de sang était normale, et personne n'y a jamais pensé. J'ai eu mes 3 enfants, ce qui a certainement fatigué la thyroïde. Je ne savais même pas… Personne ne s'en est jamais occupé… Ni les médecins, ni moi. Et c'est en 99, va savoir pourquoi, une prémonition un peu… Je me disais : il faut que je demande au médecin s'il y a autre chose qu'une prise de sang pour la thyroïde. Va savoir pourquoi je me suis posé cette question. Je suis allée voir mon généraliste, et il m'a dit « on va faire, bon, une échographie ». À l'échographie, bingo, quatre beaux nodules. Donc, les nodules, c'est classique. Donc, on a fait le reste des examens : scintigraphie, prise de sang, et je suis allée chez l'endocrinologue. Il m'a dit « bon vous allez prendre du Lévotirox et on va observer un peu pour voir s'ils restent comme ça ou s'ils bougent ». Et puis je suis sortie de là, je n'en savais pas beaucoup plus. Je savais qu'il y avait des nodules à la thyroïde, le mot nodule fait un peu peur. Donc, j'ai cherché un peu sur Internet, comme je t'ai dit c'était en 99, donc Internet c'était tout petit. Et j'avais déjà un peu l'habitude de
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chercher sur Internet. Je m’en servais déjà avant, je cherchais plein de trucs partout. J'ai trouvé je ne sais plus quoi, j'étais dans les tous premiers chats qui existaient, j'échangeais des conseils avec les gens. Le truc le plus beau que j'ai trouvé, un jour, c'était un clavier d'ordinateur pour aveugle. Quelqu'un cherchait, et moi je me suis dit ça doit quand même exister, j'ai cherché et j'ai trouvé, je sais même pas comment. Il y avait déjà Google à l'époque, je sais plus, je crois qu’on utilisait d'autres moteurs. Je sais qu'il y avait plein de moteurs de recherche différents. Quand je cherchais, pour des infos médicales ou autres, il fallait utiliser différents moteurs. En fait c'était super compliqué. Il y avait moins de pensée unique. Mais donc j'ai cherché côté français, j'ai dû trouver 2 ou 3 pages, faites par des médecins ou des hôpitaux, très techniques ou qui faisaient super peur, où je ne comprenais absolument rien. Au plan médical j'avais une petite expérience, parce que j'avais déjà été malade avant, j'avais eu une fausse couche, et un problème qui m'a valu une opération de la rate, mais j'étais toute jeune, c'était au début des années 80 donc… J'avais une expérience de l'hôpital, disons, mais je n'avais aucune connaissance médicale. Et donc, j'ai cherché côté français, j'ai rien trouvé, je me suis dit puisque je suis bilingue pourquoi je ne chercherais pas côté allemand. Et là, j'ai eu la grande chance, en 99, de tomber sur un tout petit forum, à l'époque il contenait 500 messages à peu près, créé par un patient allemand, qui avait eu un cancer quelques mois avant, peut-‐être un mois avant, enfin il avait créé le forum en mai 99. Et ça s'appelait en allemand « vivre sans thyroïde ». Moi… J'ai débarqué là-‐dedans, j'ai lu tous les 500 messages, pour voir comment ça marchait un forum, et j'ai dit « ça a l'air sympa » et j'ai débarqué avec ma première question. J’ai dit : « expatriée en France, nodules, qu'est-‐ce qui va m'arriver ? », un truc comme ça… Ils m'ont gentiment accueillie, ils m'ont tout expliqué, ça faisait 6 mois que j'étais sous traitement pour voir si les nodules allaient se calmer, voilà, j'ai eu vraiment le temps de tout apprendre. On m'a dit ça peut être malin, ça peut être bénin, si jamais il faut opérer ça se passe comme ça, la cure d’iode, je connaissais tout… Il m'a fallu 6 mois mais… Et ça m'a beaucoup plu en plus, l'esprit. Très vite, moi aussi, j'ai amené des idées. J'ai dit tiens, on répète ça toujours les mêmes choses, les nodules froids, les nodules chauds, les différences, et tout, c'est un peu bête de toujours tout répéter, est-‐ce que on ne pourrait pas faire une foire aux questions ? Et des choses comme ça. Donc j'ai très vite été active dans ce truc, j'y suis toujours. Et donc tout a commencé comme ça. Comme les nodules changeaient, ils n’étaient pas beaux, on m'a dit « il faut opérer ». On m’a opérée en juin 2000. Donc, ça c'est très bien passé, puisque je n’avais aucune appréhension. Une semaine, après le chirurgien m'appelle, il m'annonce le diagnostic… Enfin, non, il m'annonce rien, il m'appelle pour me donner rendez-‐vous. Comme je savais les différentes hypothèses, j'ai dit « c'est vous qui m'appelez en personne, je pense que vous avez quelque chose à m'annoncer ». Il m'a dit oui. Il m'a convoquée le lendemain pour tout expliquer. Ça s'est bien passé la consultation d'annonces, et tout, j'ai eu de la chance, je suis préparée à ma cure d'iode, j'ai rencontré des médecins qui à cette époque-‐là déjà trouvaient super que j'en sache autant d'Internet, et quand je parlais ils me disaient : c'est exactement ce qu'il faut et on vous aidera, on vous conseillera, il faut absolument lancer un truc, les malades sont tellement perdus et tout. Donc c'était eux aussi des précurseurs. Et donc, là-‐dessus, 2
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mois après, le temps de me rétablir, je me dis tiens, si je demandais comment on fait et que je lançais mon forum ? A l'époque, il y avait des petits serveurs gratuits, qui n'existent plus, qui permettaient de faire des forums gratuits très facilement et donc je me suis calquée sur le modèle allemand, avec le même logo et tout, un copain m'a fait le code HTML, un jour d'octobre 2000 j'ai lancé ma première question et il y a eu une réponse 3 jours après. Et ça a commencé comme ça. YC : D'abord tu me dis que quand tu étais en traitement pour voir si tes nodules allaient se calmer et que pendant cette période tu as tout appris sur le forum, c'est bien ça ? Comment tu vois la différence entre l'information que tu avais de la part de tes médecins et l'information que tu trouvais sur le forum ? BB : Ben, je pouvais aller plus loin, je savais qu'il y avait des nodules chauds et froids, je pouvais aller plus loin dans les détails si je voulais, et surtout je pouvais profiter du vécu des gens. Par exemple, le médecin, exemple que j'utilise souvent quand je parle médecin ou chirurgien, il va toujours dire : « ça se passe bien ». Forcément, et en fait généralement c'est une opération qui se passe très bien. La douleur est bien maîtrisée et sauf de rares complications, ça se passe bien. Le médecin, il va te le dire, tu vas l'écouter d'une oreille. Et tu vas te dire oui oui, c'est le médecin. Et sur le forum, déjà à l'époque, il y avait des gens qui revenaient raconter leur opération le lendemain de leur sortie. En disant, « voilà, j'ai eu l'anesthésie, j'ai eu les fameuses chaussettes de contention… », et puis tu voyais qu'ils étaient bien vivants, qu'ils étaient là, ça avait un autre impact. C'est pas que je croyais pas les médecins, mais les médecins, c’est leur boulot de dire les choses techniques mais les patients c’est leur vécu qu'ils apportent. YC : Tu avais plus confiance dans ce que tu entendais des patients ? BB : Non, c'est pas plus confiance, c'est un autre regard. C'est le vécu. C'est beaucoup plus pratique de la part des malades. Genre : qu'est-‐ce qu'il faut mettre dans la valise pour aller à l'hôpital et des petites conneries comme ça. La bombe d'eau minérale, je sais pas moi, un petit bloc pour tout noter, ou si jamais tu n'as plus ta voix quand tu te réveilles, parce que c'est la grande crainte des malades, amener un bloc et un stylo pour pouvoir écrire. C'est des trucs tout con, mais ça te rassure super d'avoir ça. YC : Et donc tu m'as parlé aussi du soutien que tu as obtenu de la part des médecins ? BB : Surtout un en fait, qui lui était précurseur, alors que les autres dans le service ils étaient très circonspects, quoi. Il m'a demandé d'où je connaissais tout ça. Parce que lui, c'est le genre de médecins, tu vois, déjà à l'époque, alors que j'étais censée rien connaître, il me montrait ma scintigraphie. Mais c'était le seul qui faisait ça, donc il était un peu précurseur. Les autres, ils expliquaient rien du tout, il te disaient « c’est bon voilà ». Lui, il m'expliquait pourquoi c'était bon, quoi. On est deux passionnés qui se sont trouvés comme ça Je me rappelle, j'avais fait un reportage photo pendant mon séjour en médecine nucléaire, j'avais pris des notes et après j'ai fait un petit journal là-‐dessus. J'avais imprimé ça sur ma petite imprimante bidon. Je l'avais envoyé, je crois que je l'avais envoyé par courrier en écrivant : « est-‐ce que vous pensez que ça pourrait être intéressant pour les futures patients ? ». Expliquer comment se déroule une cure diode. J'avais pris les capsules, j'avais pris les WC atomiques spéciaux, j'avais pris le lit, j'avais pris tout, tu vois. Et j'avais fait ça avec un style un peu rigolo. Je sais plus où je l'ai envoyé, il faut que je retrouve ça. Je crois
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que je l'ai envoyé à la direction du service. Et ça a fait un bins monstrueux, parce qu'il y avait des photos dessus, je sais pas quoi, le secret médical et tout ce que tu veux. Les deux médecins qui avaient trouvé l'idée très bonne, ils m'ont envoyé un petit mail en me disant attention, enfin c'était impensable qu'un patient invente un truc comme ça avec en plus des photos. Alors finalement, moi j'ai mis ça sur le forum avec des grosses barres noires sur les visages, et pour les médecins j'ai pris les têtes des médecins d'Urgence. YC : Et alors, ce contact avec ce médecin particulier qui t’a soutenue… BB : oui parce que justement pour les patients français il n'y avait rien à l'époque. Je crois qu'à cette époque-‐là, au moment où j'ai créé le forum, je ne crois pas qu'il y avait déjà Dupagne13, en tout cas je ne l'ai pas trouvé. Parce que je crois qu'on s'est créé la même année, mais je sais pas à quel moment exactement. Quand moi je vais chercher en 99, n'existait pas encore. J'étais partie côté allemand… Mais dès 2000, j'ai commencé à correspondre avec Dupagne aussi. Quand il avait des gens qui avaient des questions sur la thyroïde, il me les renvoyait à moi. Mais quand j'ai vu que ça n'existait pas en français, ça m'avait tellement aidé, j'ai tellement super bien vécu la maladie, j'aurais voulu que tout le monde la vive comme ça, avec mes compagnons de malheur, à l'époque on était enfermé une semaine, on était radioactifs. Ils le vivaient beaucoup moins bien parce qu'ils étaient beaucoup plus angoissés. Quand ils arrivaient, pourquoi ceci, pourquoi cela. Parce que le fait est,enfermé une semaine, ça va, mais par ignorance il y avait des gens qui disaient « ils ne m’ont pas vidé la poubelle depuis une semaine. On vient jamais me faire le ménage. ». Mais c'est normal, tu es radioactif, mais si tu ne le sais pas… Tu vas quand même pas irradier la pauvre femme de ménage si tu l'obliges à venir vider la poubelle ? J'ai dit, c'est quand même dommage qu'il n'y ait pas plus de patients qui profitent de ces informations. J'en ai parlé aux médecins, ils ont dit ça c'est une très bonne l'idée, comme un groupe de paroles, mais ce sera plus grand, on touchera plus facilement les gens. Ça m'a encouragée. Et puis l'exemple de voir l'autre site, parce que s'il n'y avait pas eu le site allemand, moi toute seule, je n'en aurais pas été capable, mais j'ai eu la chance de pouvoir me calquer sur son modèle. YC : Et, ce constat des difficultés des autres patients, c’est quelque chose qui te choquait ? BB : non, qui m’attristait plutôt, je me suis dit c'est dommage. Il y avait des dames d'un certain âge, elles étaient totalement affolées, parce qu'elles n'avaient même pas l'idée de poser les questions. C'est l'ancienne génération qui ne posait pas de questions. YC : Et quand tu as créé le forum, est-‐ce que ces médecins t’ont soutenue, tu les as impliqués pour relire ou écrire des articles, pour répondre aux questions ? BB : Non. Par contre, chaque fois que j'ai eu des questions un peu compliquées, après je correspondais avec eux par mail pour ne pas dire de conneries. Je disais au patient, je vais en parler à un médecin et j'en parlais au médecin et je répondais comme ça. La seule et unique fois, mais c'était des années après, qu'un médecin a voulu intervenir directement sur le forum, c'était un endocrinologue en disant qu'il était endocrinologue. Là, je ne te dis pas, c'était atroce. Je ne donne pas de conseils médicaux, mais je commence à m’y connaître un
13 Dominique Dupagne, médecin généraliste pionnier de l’internet santé et fondateur du site atoute.org, auteur de « la revanche du rameur »
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peu en thyroïde. Plus personne ne me croyait, l'autre il venait une fois par semaine, et alors 3 jours avant tu avais question pour J.-‐C., question pour J.-‐C. c'était un truc affolant… YC : d'accord. Et il est resté longtemps sur le site ? BB : Non pas du tout, il est parti. La même histoire avec un chirurgien, qui a voulu discuter risque de la chirurgie, je sais pas. Il est parti vite fait. Mais il s'est pris une volée de bois vert, il y a des gens qui ont projeté tout le négatif sur lui, tu vois, même si c'était pas forcément avec lui. Il est vite parti et on a tout effacé, parce que ça allait trop loin, quoi. On n'a pas réussi à calmer les gens. Donc tu penses qu'un forum patient, c'est fait pour les patients et que les médecins n'ont pas à y participer ? BB : Ils pourraient, il y en a de plus en plus qui nous renvoient les gens, d'ailleurs suite à mon petit exposé que j'avais fait à Paris devant les chirurgiens, il y en a plein qui m'ont contactée pour que je leur envoie des dépliants. Donc apparemment ils ont bien compris l'intérêt mais ils interviennent pas, eux. Et ça serait compliqué, parce que c'est vraiment un forum de patients. Et il y a plein de patients qui ne font pas confiance aux patients experts. Tu en as énormément. J'ai eu déjà plusieurs fois des gens qui ont totalement contesté le rôle du forum et le rôle qu'on pouvait jouer et dès qu'on disait un truc à quelqu'un même si c'était un conseil de prudence, genre augmenter les médicaments en 3 paliers, mais on se prenait de tout en disant « vous donnez des conseils médicaux », alors qu'on savait que ça pouvait très mal se terminer parce que certains médecins ne sont pas forcément, ne savent pas forcément tout, et certains font des conneries malheureusement. Et c'est juste parce qu'on voyait des conneries en train de se faire on donnait des conseils on a jamais dit aux gens de faire de l'auto médication. Mais quelqu'un à qui on double un dosage comme ça, du jour au lendemain, alors que nous on sait très bien par des dizaines d'expériences que ça peut donner pleins d’effets secondaires et que c'est plus prudent de glisser sur une semaine, enfin. YC : Et dans cette situation-‐là, il vous est arrivé par exemple des petits conseils un peu médicaux, au-‐delà de conseiller aux gens de changer de médecin ? BB : On l’a fait surtout pour des problèmes de manque d'écoute pas tellement pour des questions techniques. Mais les questions d'écoute, le manque d'écoute, c'est quand même très très fréquent. Surtout que la thyroïde, c'est pas comme un problème d’urée, qui est mesurable. Tu peux pas dire c'est bon, c’est mauvais. La thyroïde, si tu n'es pas dans les normes, ça peut avoir une énorme répercussion, certains médecins disent que vous êtes à la norme, c'est bon. Ils ne vont pas chercher plus loin, alors que la norme c'est très très large, et si tu n'as pas atteint les normes, tu vas te sentir comme situé hors normes, parce que c'est pas ta norme et il y a de plus en plus de médecins qui le reconnaissent, on en parle dans les congrès et tout. Et donc les gens, le plus important dans ce forum comme le nôtre, c'est de pouvoir en parler et de voir qu'il y a d'autres gens comme toi et de voir que tu n'es pas folle, parce que la thyroïde, il y a certains symptômes ils sont très facilement placés dans la dépression, des trucs comme ça… On a des gens qui ont été sous antidépresseurs pendant 20 ans c'est absolument affolant. Donc, quand tu es très fragile, rencontrer des pairs qui disent moi j'étais comme ça c'est super important. YC : D'accord. Comment est-‐ce que tu as fait connaître ton forum ?
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BB : Ben, les premières années, ça c'est fait comme ça. Le forum était sur Internet et par Google ou autre les gens sont arrivés tout seuls. J'ai mis des balises, des trucs comme ça, au début un peu tu vois. Dans le HTML, mais je n'ai pas fait d'énormes efforts. Mais ce qui a super bien marché pour nos forums, c'est qu'il y avait plein de liens internes. Chaque fois qu'on avait déjà dit la même chose, on mettait un lien et on disait voilà, c'est déjà expliqué dans telle discussion, pourquoi tout redire. Ou telle personne a eu un problème similaire, tu peux lire son témoignage. Et donc, il y a des dizaines de milliers de liens internes. Comme Google entre autres, je connais pas exactement leur mécanisme de référencement, mais des liens qui pointent vers un site, ça compte, plus il y en a plus tu va monter automatiquement. Donc automatiquement, presque dès le début, on a été très bien placés, les gens ont trouvé. YC : Et tu penses qu'il y a aussi des sites qui vous ont référencé ? BB : un petit peu mais le plus, c’est encore Google, encore maintenant. Je crois qu'il y a plus de 80 % des gens qui viennent par Google. À l’époque je correspondais beaucoup avec des sites de santé qui faisaient des articles sur la thyroïde, genre Doctissimo ou autre. Et puis je leur disais que nous, on était un forum de patients et s'ils ne voulaient pas mettre un lien dans leur liste de liens à la fin de cet article et beaucoup le font. YC : Et comment le forum a-‐t-‐il été accueilli, par les patients tu en as déjà parlé, mais aussi par les médecins ou d'autres structures, tu parlais d'autres sites santé par exemple, par des institutions ? Est-‐ce que par exemple la HAS ? BB : Au début c'était vraiment très circonspect, ils disaient « mon Dieu les patients, ça va être n'importe quoi », assez vite il y a eu ça sur Doctissimo, je sais plus comment ils ont commencé, mais au début c'était n'importe quoi. Enfin c'est encore un peu n'importe quoi, mais c'est beaucoup mieux. Mais à l'époque c'était plein de conneries, les gens disaient n'importent quoi, ils s'agressaient les uns les autres. Et donc, les gens pensaient Doctissimo souvent, dès qu’on prononçait le mot forum, les conneries, tu vois. Ça s'est amélioré maintenant, mais je sais que cette réputation la, ils l’ont trainée pendant un bon moment. Il y a même un site qui fait les perles de Doctissimo, parce qu'il y a des trucs énormes, sauf que maintenant l'auto modération entre les gens fonctionne un petit peu mieux. YC : Et pour la modération de tes forums comment ça se passe ? BB : Très longtemps il n'y a que moi qui pouvait modérer les messages. Maintenant j'ai des modérateurs qui peuvent aussi s’en occuper, scinder des discussions, etc. on modère a posteriori. On est à peu près une dizaine, on essaie de tout lire, de ne jamais laisser personne sans réponse. S'il y a une grosse erreur, si c'est vraiment énorme, je vais intervenir. Il n'y a que moi qui peut aller dans les messages pour les modifier. Je ne fais pas de censure ou quoi que ce soit. Mais s'il y a vraiment un gros contresens ou quelque chose comme ça, je vais l'enlever ou modifier directement. Mais sinon on essaye surtout de réagir par vos réponses. Si quelqu'un par exemple commence à parler de tels produits miracles ou je sais pas quoi, on va trouver des liens qui parlent des risques, des articles scientifiques, des choses comme ça. On essaye de résoudre les problèmes par la discussion, et la plupart du temps ça marche. Et le vrai spam, on le jette. C'est assez étonnant d'ailleurs, ça fait 12 ans qu'on existe, et on a eu 2 ou 3 crises un peu dures, à cause de personnes vraiment mal intentionnées, mais sinon on a survécu tout ce temps sans trop de problèmes, ce n'est pas le cas de tous les forums.
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YC : Tu me disais qu’au début, vous avez souffert de cette représentation un peu négative des forums de patients ? BB : Oui, oui, parce qu'en 2004, j'ai eu l'idée de participer aussi au niveau international, puisqu'il y a une fédération internationale d'associations de la thyroïde. Et depuis, je les rencontre tous les ans, j'en suis la secrétaire, donc ça m'a permis de participer au congrès européen de la thyroïde, tous les ans dans différents pays, depuis 2003 2004. Je vais chaque année à ce congrès, là où vont les plus grands spécialistes. Donc ça leur permet de me voir, à force ils s'habituent. Je me rappelle que certains, par exemple un ponte toulousain, la première fois qu'il m’a vue, il a fait un saut en arrière quand il a appris que j'étais une patiente. Je lui ai serré la main, on était peut-‐être 10 français dans le truc, toute contente, en Écosse, je lui dis bonjour, il me dit bonjour, il croit que je suis un médecin quelconque, et puis je lui dis je suis une patiente de votre service. Il a fait un saut, et tout le reste du congrès, il m’a regardée de loin, comme si j'étais nuisible. Sauf que maintenant, si je lui écris un mail, il me répond dans la demi-‐heure. Ça me fait doucement rigoler. À l'époque, on n'avait pas bonne presse, et en plus en France, il y avait une autre association de malades de la thyroïde, qui s'occupait surtout et avant tout de Tchernobyl. De manière très agressive, tu sais ce sont des petites bonnes femmes, elles passent encore de temps en temps à la télé, sauf que maintenant le procès a été plus ou moins classé, donc elles passent plus. Elles ont raison avec leurs trucs, de soulever la question, de Tchernobyl, mais elles faisaient ça de manière super agressive. Par exemple, elles allaient à des réunions d'information pour malades, avec des sifflets, des cartons jaunes, et tous leurs trucs anti nucléaire. Un coup de sifflet chaque fois qu'on leur disait peut-‐être ce n'est pas Tchernobyl. Alors que ce n'était pas un truc sur Tchernobyl, c'était un truc sur le cancer. Ça servait à rien, les pauvres malades étaient complètement déboussolés. C'est comme ça que j'ai du recollé les pots cassés depuis des années, quoi. En disant nous, on n'est pas là pour agresser systématiquement tous les médecins en disant qu'ils sont tous des criminels, on veut juste essayer d'améliorer les rapports. On se prive pas de dire que quelqu'un ne fait pas ce qu'il faut, mais on n'est pas là pour agresser ni les uns ni les autres. YC : D'accord. Donc finalement vous avez cherché à travailler dans la durée en essayant à chaque fois d'être très crédibles dans vos démarches, ce qui a fait que petit à petit vous avez été reconnus. Et maintenant les relations que vous entretenez avec les professionnels sont de bonne qualité ? BB : Oui et même par les autorités, petit à petit, je ne sais plus depuis quand on communique avec l'inca, je crois que c'est par exemple avec le professeur Schlumberger, avec lequel on coopère depuis des années, qui a dû leur parler de nous. Ils cherchaient à éditer un guide patient sur le cancer de la thyroïde, toute une commission qui devait discuter des détails, il y avait comme représentant des patients une personne de la ligue, et moi. Il y avait 20 médecins, j'ai fait plein de remarques relativement bien fondées, puisque depuis des années je vais à plusieurs congrès par an, je suis pas médecin, je ne prétends absolument pas l'être, mais je comprends quand même à peu près ce qui se passe. Et donc, j'ai fait plusieurs remarques, qui apparemment été tellement bonnes qu’on les a retenues... Et depuis, les spécialistes, ils nous connaissent.
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YC : Et donc aujourd'hui, comment tu vois en 2012, le rôle de Vivre sans thyroïde ? C'est un forum, mais ça va bien au-‐delà de ça ? BB : On voudrait faire plus de choses, c'est un problème de temps. C'est moi toute seule dans mon salon qui fait ça, c'est même pas un problème d'argent, c'est un problème de temps. Parce que même si on avait l'argent, il faudrait encore trouver des gens. Moi, je me donne à fond, parce que je l’ai créé. Et puis maintenant, il y a plein de choses qui sont créées, d'articles, qui resteront même sans moi. Mais c'est vrai que c'est aussi un effort de tous les jours : donner les bonnes réponses, chercher à rassurer les gens, c'est aussi lié au caractère des gens qui le font. Et comme on est peu nombreux à être vraiment impliqués, c'est pas facile. YC : Et toi, tu restes passionnée comme au premier jour ? BB : Il y a des moments de ras-‐le-‐bol. Quand il y a des gens qui cherchent la petite bête. Les malades sont différents. Les gens, je trouve que les gens ont changé. Déjà il y a plus de gens. Il y a plus de gens qui ont Internet. Au tout début, en 2000, on était un peu une élite… Les malades qui cherchaient de l'information sur Internet, c'étaient des gens qui avaient un ordinateur, certains moyens, parce qu'à l’époque c'était horriblement cher, qui savaient lire, écrire, qui savaient poser une question sans écrire en SMS, quoi. Qui cherchaient un peu plus aussi. Donc, c'était pas forcément toujours les mêmes rapports. Maintenant on a beaucoup plus de gens, surtout sur Facebook. Facebook c'est pire que le forum. Des gens qui débarquent, qui écrivent en SMS, qui ont même pas cherché, qui débarquent avec leurs questions, qui veulent une réponse, sans même avoir pris la peine de regarder avant dans Wikipédia, quoi. C'est quoi la différence entre ceci et cela. On n'est pas là pour ça. Ils se rendent même pas compte qu'ils nous prennent un temps précieux et que nous sommes des patients, comme eux. C'est la société de consommation, un peu, tu vois. Tu veux de l'immédiat, tu veux de la quantité, si tu n'as pas la bonne réponse tu n'es pas content, tu n'as pas la patience de faire l'effort. Parce que tu n'as pas appris. Enfin je ne sais pas. Par moment, ça me déprime un peu. Heureusement, c'est pas la majorité, mais quand même. Parfois, je reste bouche bée, je dis c'est quoi ça. Jamais de la vie, moi, à l'époque, j'aurais osé faire ça. Arrivé avec les grands souliers, dire voilà, je suis là, donnez-‐moi une réponse dans les 5 minutes et sur n'importe quelle connerie que je pourrais trouver ailleurs en 5 minutes. Donc je trouve que le public a un petit peu changé. Les gens les plus perdus, d'ailleurs, ceux qui savent à peine écrire, qui débarquent sur le forum et qui disent est-‐ce que j'ai la thyroïde, à la limite, assez souvent, je m'en occupe tout particulièrement. Parce que c'est ceux qui ont le plus besoin, parce que vraiment ils connaissent rien. Ils connaissent ni leur corps, ni leur maladie, ni rien. Il faut tout reprendre à zéro. Et tout leur expliquer, ce qui n'est pas évident, parce qu'ils ne comprennent pas forcément très facilement, il faut utiliser des mots très simples. On a beaucoup d'étrangers aussi, on a beaucoup de pays du Maghreb, d'Afrique et tout, c'est pas évident. Mais c'est pas ceux là qui me chagrinent, c'est ceux qui arrivent en poussant tout le monde, en disant moi je veux toutes les réponses tout de suite... Et qui posent 10 fois la même question parce qu'ils ont pas pris la peine de lire. Enfin, ils n'ont pas de très bonnes manières, et ils se rendent même pas compte que c'est quand même un effort. Par exemple, on a fait une association, parce que évidemment il fallait finir par le financer, le serveur déjà, il coûte 1000 € par an, parce qu'il est super
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fréquenté donc, avant on en avait un autre et il se cassait la gueule sans arrêt. Et puis j'ai des déplacements, on imprime de plus en plus de documents parce que tout le monde demande des brochures. Et tout ça il fallait bien le financer, donc depuis 2007, on a créé l'association. Pour permettre aux gens qui le voulaient d’adhérer, de verser ce qu'ils veulent, certains 5 €, d'autres 100 €. Donc, on fonctionne uniquement avec ça, on a 7000 € par an. En voyageant Easy jet et en squattant les canapés des copines, ça suffit. Mais, les gens qui viennent sur le forum, il y a 11 000 et quelques personnes inscrites, depuis 2004, à l'association il y a à peine 400 adhérents. Les gens, ils ne comprennent même pas que tout ça, ça peut éventuellement avoir un coût. Ils n'y réfléchisse même pas et on n'est pas là pour les relancer tous les jours en disant il faut adhérer. On n'est pas là pour ça. Certains, quand ils ont posé 100 questions, ils pourraient peut-‐être avoir l'idée quand même. YC : Donc, tu m'as parlé de l'évolution des internautes, en tout cas une partie d'entre eux. Est-‐ce que tu penses au cours de ces 12 années, il y a eu 1 évolution aussi des médecins, en tout cas dans la manière dont ils informent leurs patients et dans la relation qu'ils établissent avec leurs patients ? BB : Oui, enfin pas tous, mais il y en a quand même de plus en plus. Oui, parce que je pense qu'il y a quelques années, ils pensaient encore qu'ils pourraient freiner ça. Les patients osaient même pas leur parler d'Internet. Mais là maintenant, et on le voit sur Twitter et tout ça, il y a de plus en plus de médecins qui sont là aussi et qui s'y informent aussi, et ils voient que tout n'est pas mauvais, et que ça peut aussi être intéressant que le patient comprenne un peu sa maladie. Le problème, c'est les gens qui fouinent partout mais qui n'arrivent pas à faire le tri et qui arrivent avec une grande liste de symptômes. Mais c'était déjà comme ça avant avec le dictionnaire médical. C'est sûr que ces patients-‐là peuvent être très difficiles à gérer… Donc le patient il va pas arriver chez le docteur avec sa pile de documents, il va d'abord arriver chez nous. Et c'est nous qui allons aider à faire le tri. Je dis souvent en rigolant : « nous ont fait le service après-‐vente. Le patient sort de chez eux, va sur son ordinateur, il y arrive chez nous. » YC : Et donc, tu penses qu'une partie des médecins a compris ce que les relations entre pairs et le fait que les patients puissent s'entraider entre eux était quelque chose de positif pour le vécu des personnes, pour les aider à mieux vivre cette période de leur vie, à mieux comprendre leur maladie ? BB : Une partie, mais je pourrais pas te dire le pourcentage. Parce que moi, les médecins que je fréquente, c'est ceux qui sont plutôt favorables à ça. Donc disons que c'est certainement les plus intéressés, quoi. Il y en a certainement encore plein dans leur coin, d'ailleurs quand on lit les témoignages des patients, c'est assez hallucinant, à qui il faut surtout pas parler d'Internet. Je crois qu'il y a encore énormément de méfiance. Parce que évidemment Internet ça peut aussi être critiqué, quelqu'un qui fait une grosse connerie, ça va se savoir aussi. Toutes les discussions sur les dépassements d'honoraires par exemple. Et toutes ces choses là. J'ai dit à mon truc l'autre jour devant les chirurgiens, écoutez, maintenant, les patients, ils savent tous. Ils ont accès à tous. Donc, le mieux, c'est encore d'en parler avec eux. Ils demandent s'il vaut mieux se faire opérer dans le public ou dans le privé, il faut leur donner une réponse. S'ils demandent si c'est vous en personne qui les opérez ou quelqu'un de votre équipe, plutôt que de dire oui c'est moi alors qu'on sait pertinemment, en faisant le
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calcul que par rapport au nombre de consultations par semaine que vous faites vous ne pouvez pas, il suffit de leur dire c'est quelqu'un de mon équipe qui est sous ma responsabilité, ils seront tranquilles, mais leur mentir ça ne va plus. Mais ils ont du mal à comprendre. YC : Écoute, c'est vraiment intéressant tout ça. Comment tu vois aujourd'hui ton rôle de créatrice de forum, de responsable associative sur Internet et hors Internet, comment tu vois l'avenir de Vivre sans thyroïde ? BB : Bonne question, je navigue encore un peu à vue, parce que c'est encore moi qui porte un peu toutes les choses. Heureusement que j'ai trouvé Muriel qui est super motivée et qui a une super énergie. Et qui remue un peu les choses, mais c'est vrai que les autres, nous on a plein de membres actifs, mais qui en fait, c'est un peu dans toutes les associations pareil, c'est un tout petit groupuscule de personne qui fait tout. Plus ou moins, et les autres se reposent dessus, quoi. Je sais pas, j'ai encore à peu près 5 ou 6 ans pour la retraite, donc j'espère tenir jusque-‐là. Après, j'aurai plus de temps. Par exemple, on a dit, pour que les gens trouvent plus facilement les informations qui existent, on a une foire aux questions. Elle est très fournie, mais personne ne la trouve. Et donc ils posent tout le temps les mêmes questions. D'où l'idée de faire un portail, avec vraiment une base de données bien fournie. Et le calendrier, maintenant il faut écrire les articles et le remplir. Il faut arriver à trouver des gens suffisamment motivés pour le faire. Il faut superviser tout ça, c'est pas évident. On aimerait bien aussi faire davantage de conférences par exemple, parce que ça intéresse les gens les vraies conférences, les rencontres, mais comme c’est galère à organiser, on n'en fait pas des masses. YC : Et comment tu vois le rôle des médias sociaux, l’émergence de Facebook, de Twitter, est-‐ce que ça change votre manière de travailler, peut-‐être au-‐delà de votre pathologie et est-‐ce que ça a changé aussi votre capacité à communiquer, à mobiliser des gens. Des gens qui peuvent avoir de l'influence, des journalistes, des blogueurs ? BB : Twitter, oui, parce que par exemple, on s'en sert chaque fois, par exemple pour annoncer, quand on a une info vraiment intéressante, comme hier, quelqu'un qui est arrivé sur le forum, qui avais pas écrit avant, mais qui avait trouvé le forum juste avant son opération et qui raconte son cheminement, comment il a pris les choses, comment il s'est fait opérer, comment il a trouvé son chirurgien, comment tout s'est bien passé et tout. C'était un exemple type de l'utilité énorme du site. Donc Muriel, elle a eu l'idée de mettre ça sur Twitter. Et plein d'autres comme ça, chaque fois qu'on écrit un article intéressant, qu'on organise quelque chose, on met sur Twitter. Et apparemment, ça intéresse. À chaque fois ça nous ramène des gens. Facebook, je sais pas si on a pas fait une erreur, on a créé un groupe Facebook, alors qu'en fait on aurait peut-‐être dû juste créer une page. Du coup il y a tout 1 petit monde de gens sur Facebook, ce n'est pas les mêmes que sur le forum. Enfin, certains sont les mêmes, mais, c'est des gens qui sont beaucoup plus dans l'immédiat que ça. Facebook, c'est pas pratique pour ça. Mais absolument pas, parce que tu vas prendre une demi-‐heure pour rédiger une explication et après tu peux plus jamais la retrouver. Parce que sur Facebook, il n'y a pas de fonction recherche. Pour s'encourager, untel va se faire opérer, pour les petits mots gentils, ça marche très bien. Mais les gens, à chaque fois ils posent des questions plus ou moins médicales, à chaque fois on leur dit bien sûr le forum, tout est dit
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sur le forum. Rien qu'hier, il y a plusieurs personnes qui étaient en train d'arriver, ils posent des questions sur les régimes à la con. Un truc comme ça, si tu le surveilles pas, ça peut aller très très vite. Par système de boule de neige, un va dire je suis pas bien avec tel régime, et tout le monde lui emboîte le pas, va mettre des liens, et tout le monde va aller sur des sites de charlatans. Du moment qu'il y a notre nom dessus, c'est quand même une certaine responsabilité. Des fois on se demande si on pourra le gérer longtemps, ce truc. On est 3 modérateurs à garder un œil, et plus ça devient actif plus c'est difficile. C'est pas le bon endroit pour avoir des discussions sur la maladie. On l'avait pensé pour annoncer nos rencontres où les nouveaux articles ou tout ça. Du coup on aurait peut-‐être dû faire une page passive, vous pouvez faire juste des commentaires. Je sais pas. Parce qu'un groupe, tout le monde, ils sont plus de 500, peut écrire… C'est quand même… C'est pas évident… On arrive encore à gérer mais finalement ça nous ajoute encore du boulot. Ça nous amène peut-‐être quelques gens de plus sur le forum, mais bon à 4500 connexions par jour, on a pas besoin de chercher des gens, ils viennent tout seul. C'était plutôt pour permettre à tout le monde d’en profiter. Évidemment, c'est souvent les gens qui cherchent les informations qui ont le plus besoin. Donc, par Facebook, on touche en partie notre population. Mais c'est pas facile à gérer. YC : Et donc, Vivre sans thyroïde, aujourd'hui, c'est une association de patients qui fait parti du CISS, etc. Est-‐ce que tu as aussi des souhaits pour que l'association puisse intervenir au niveau de la gestion des systèmes de santé, sur la prise en charge, au plan plus institutionnel ? BB : Je vois difficilement comment le faire. À certains moments on peut faire des courriers, en s'associant au CISS des choses comme ça. Le CISS est très bien placé pour le faire, j'en fais partie justement et par exemple en les représentant le conseil de la CPAM en tant que suppléant, des choses comme ça. J'implique plutôt le CISS dans ce sens que je leur fais remonter des trucs, par exemple, chaque fois qu'ils font des communiqués de presse, je les mets sur le forum ou sur Facebook. Mais je me vois mal toute seule, c'est un truc en plus. YC : Et donc, pour toi, rétrospectivement, au travers de cette expérience de 12 ans, qu'apporte l'outil Internet pour les patients ? BB : L'accès à l'information et la démocratie. Tu ne dépends plus de ton seul médecin pour te procurer les informations. Et surtout, la démocratie. Parce qu'avant les gens, dans les grandes villes encore, ils pouvaient aller à la bibliothèque, mais quelqu'un qui était au fin fond de sa campagne ou à l'étranger, par exemple, il n'avait aucune chance. Alors que là, récemment, il y a une patiente française qui habite à l’étranger, qui a été opérée d'un cancer, c'était compliqué, il fallait qu'elle fasse un traitement qu'elle ne pouvait faire qu'en France. Je l'ai mise en contact avec mon médecin toulousain, actuellement elle est suivie à Toulouse, et j'espère qu'on pourra la tirer d'affaire. C'est un truc fantastique, avant Internet ça existait pas. Elle aurait crevé toute seule dans son coin et puis c'est tout. YC : Et donc, finalement, si c'était à refaire toute cette aventure de vivre sans thyroïde ? BB : Je sais pas si je le referai si je savais tout à l'avance, mais enfin je ne regrette rien, non plus. Ça m'a ouvert à d'autres horizons c'est sûr. Financièrement et tout ça si j'avais pu, à un moment j'y ai pensé, tout arrêter chez Airbus... Mais le problème, c'est que par exemple il aurait fallu, pour avoir les subventions… Ce serait certainement possible d'avoir des
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subventions quelque part. Mais faudrait monter un énorme dossier. Ça prend beaucoup de temps et ce temps-‐là, je l'ai pas. Donc, c'est un peu le serpent qui se mord la queue. Il faut d'abord avoir le temps de monter des dossiers, et après embaucher quelqu'un qui te cherche les subventions. Donc finalement, on a encore jamais fait dans ce sens. Et chez Airbus, je gagne très bien ma vie et je suis à mi-‐temps et j'aurais jamais ça en faisant que le forum. Avec en plus le risque, chaque année, de devoir me battre pour les subventions pour ne pas être à la rue l'année d'après. Comme je sais en plus que les labos, maintenant, ça va être beaucoup plus contrôlé est beaucoup plus difficile pour les associations d'avoir des subventions, je me dis heureusement, finalement, que je suis pas là-‐dedans. Enfin, il y a d'autres trucs, certainement il y a des dossiers à l’Inca. On a raté un appel à projet de l'Inca, le médecin m'en a parlé et le jour où on s'est réunis pour monter le dossier, on a vu que la date limite, c'était le lendemain. Donc c’était fichu, mais on aurait pu. Si on avait pu prendre vraiment le temps de s'asseoir et de monter le dossier, on aurait pu. Et je suis à mi-‐temps, ça va. Donc je me dis, j'ai 5 ans à tenir, mais enfin, le forum, c'est au moins mi-‐temps. Voire plein temps. YC : Ce que tu me dis, c'est que tu aimerais aller encore plus loin, mais tu te heurtes à la fois à une problématique de temps, de disponibilité, de moyens humains et de moyens financiers ? BB : Oui, par exemple, embaucher une secrétaire, ce serait une bonne idée, mais il faudrait encore qu’elle comprenne tout le bazar. Donc c'est plutôt à moi de le faire, mais comme moi j'ai déjà plutôt du retard avec tout, j'entasse tout, c'est un bordel monstrueux. Donc il me faut déjà un an pour tout mettre en ordre. Pas facile. YC : Il y a juste une question que j'ai oubliée de te poser, c'est aujourd'hui, les problèmes de santé sont-‐ils résolus, es-‐tu toujours suivie, sous traitement ? BB : J'ai plus la thyroïde, donc je prends évidemment le Lévotirox à vie. Parce que sans ça, dans 6 mois je suis morte. Mais c'est un petit comprimé que tu prends tous les matins, donc c'est rien du tout. Du moment que c’est bien dosé, c'est vraiment aucun souci. Et j'ai un contrôle une fois par an. Une prise de sang, et on nous tâte le cou et éventuellement une échographie, et c'est tout. YC : Donc, tu vois ton médecin une fois par an ? BB : Oui, le suivi, quand on est en rémission, c'est vraiment archi léger. Il y a un marqueur, tu sais, dans le cancer de la thyroïde, s’il est indétectable c'est bon, et si jamais c'est augmenté, on fait des examens. C'est vraiment archi-‐simple comme suivi. Il faut le bon dosage des hormones, parce que c'est sûr qu'un peu plus ou un peu moins, ça va pas. Mais sinon, quand on est bien dosée, il y a vraiment aucun souci. D'ailleurs, ça aussi, c’est un peu pour ça que j'ai créé le forum à l'époque. Je voulais partager ça, parce que avant tu te dis mon Dieu un cancer, c'est mortel. Et puis mon Dieu, la thyroïde, tu vas prendre 50 kg et plein de choses comme ça, plein de choses que tu as entendu dire à droite et à gauche. Et j'ai voulu partager le fait qu'on pouvait guérir et qu'on pouvait aller bien. D'ailleurs je voyais à la télé, ça m'a choqué, avec l'autre association là. Je voyais 3 ou 4 bonnes femmes, elle faisait toutes 150 kg, elles étaient assises tristement dans un coin, qui disaient : « on est foutues depuis Tchernobyl ». Elles se posaient comme ça en victimes et elles faisaient aussi rien pour s'en sortir. Elles étaient certainement malheureuses, mais enfin. Et je me disais mon Dieu quelqu'un qui voit ça et qui envie de s'en sortir, il a plus qu'à se jeter par la fenêtre… J'ai pas
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de mérite, je m'en suis bien tirée, je dis pas qu'on peut pas être mal, absolument pas. Mais j'essaye d’aider tout le monde le mieux possible. Déjà en cherchant avec le médecin le meilleur dosage, parce que parfois quelques microgrammes de plus ou de moins… YC : Et est-‐ce que tu as parfois l'impression que tu es devenue une sorte de modèle, d'inspiratrice pour les autres patients ? BB : c'est un bien grand mot, mais j'espère peut-‐être un peu, oui. YC : Est-‐ce que tu as d'autres choses que tu aimerais me dire ? BB : Il y en aurait tellement… C'est vrai que ce qui fait chaud au coeur, c'est pas que les rapports entre moi et les gens… C'est justement de voir parfois les contacts qui se nouent entre les gens. Via le forum, je dis chouette, c'est quand même moi qui suis à l'origine de ça. Mais après ça continue tout seul et c'est vraiment magnifique. Par exemple hier, au Québec, à Montréal, il y avait entre eux une rencontre entre personnes du forum concernées par un cancer, qui se voient depuis quelques mois, qui sont devenues super copines, moi je trouve ça totalement génial. J'ai participé déjà ces rencontres, à la première, mais depuis elles se rencontrent toutes seules c'est totalement génial. Et plein d'autres aventures, comme je sais pas, j'ai rencontré Muriel, sur Twitter, elle vous a rencontrées toutes, c'est génial tous ces trucs. Tous ces réseaux et ces cercles de plus en plus grands, et c'est ça la démocratie aussi. On a même plus honte d'aller discuter, je sais pas, d'aller interpeller Claude Evin ou n'importe qui. Il y a 12 ans, j'aurais jamais osé faire ça de ma vie. Alors que maintenant, j'écris, par exemple l'année dernière, il y avait avec l’AFSSAPS la liste des médicaments dangereux, je leur ai écrit, ils m'ont appelée,… Petit à petit, on commence à avoir un tout petit pouvoir, peut-‐être que certains voudraient un peu réfréner, mais… Sinon, par exemple, on annonce un gros problème en première page, ça va faire du bruit tout de suite. Regarde le truc de Cath et de Muriel, quand on ne voulait pas les laisser participer à la formation benchmark. On a quand même réussi à forcer la main. C'est génial. YC : Pour toi, c'est aussi un outil de prise de pouvoir ? BB : Oui et puis je trouve aussi qu'il y a une solidarité qu’on sent entre les gens. C'est fantastique. Il y a des gens qui ne font que consommer, mais il y en a d'autres qui essaient de rendre un peu. Ce qu'ils ont pu avoir comme conseils au début, et qui conseillent les autres à leur tour. C'est magnifique, à chaque fois ça fait vraiment chaud au coeur. Je peux être énervée par 2, 3 messages, et puis je vais tomber sur 1 ou 2, et je vais me dire chouette quand même. YC : Donc pour toi, Internet, c'est un vrai outil, pour les personnes qui ont un problème de santé ? BB : ah oui vraiment, j'étais déjà comme ça avant, pour plein d'autres trucs, parce que je suis curieuse, parce que j'aime m’informer, mais alors pour les gens qui ont un souci de santé, c'est un truc inouï. Je mesure vraiment la chance qu'on a d'avoir cet outil là. Avant, tu étais dans un petit bled, tu avais ton petit médecin de famille, qui ne connaissait rien. Et tu fais quoi ? YC : Justement, au-‐delà des connaissances sur ta pathologie, qu'est-‐ce que tu as eu l'impression d'apprendre pendant ces 12 années consacrées à t’occuper du forum et de l'association ? Quelles sont les compétences que tu as acquises grâce à cette expérience ?
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BB : De l'empathie, une écoute, et surtout la capacité à ne pas généraliser de comprendre que chacun peut vivre des choses tout à fait différentes, par exemple un jour, j'ai voulu mettre quelqu'un en garde dans un message privé. Il m'avait demandé par rapport à tel ou tel médecin comment il était, et je lui avais dit « ouh la la, il est très hautain ». Et la personne a été horriblement vexée, parce que elle, elle adorait ce médecin et il lui convenait. Comme quoi, chacun à une perception différente, il ne faut surtout pas généraliser, tu vois… Tu as des gens qui supportent très bien tel médicament et pas tel autre, pour d'autres c'est l'inverse, ça apprend aussi l'humilité. Tu finis par te dire que tu ne sais rien, tu sais les grandes bases, mais je ne dirai jamais que je sais tout et ce n'est pas parce que chez moi c'est comme ça que ce sera pareil chez un autre. Et ça, ce n'est pas évident, beaucoup de gens ne l'ont pas. Tu as souvent des gens qui te disent moi ça va, ça m'a fait du bien, donc à toi ça va te faire du bien. C'est pas des patients experts, c'est des patients qui débarquent comme ça. Et c'est pareil dans les discussions de café du commerce, d'ailleurs. Tu as toujours quelqu'un qui te dit mais moi, mon accouchement a été horrible, donc pour toi ça va être pareil. C'est exactement la même chose. YC : Alors, tu dirais que ça t'a appris à écouter ? Oui.. Ça m'a permis de vivre pleinement mon côté Dr House, aussi. Parce que les gens parfois ils arrivent avec des toutes petites bribes d'information et moi je devrai deviner quels problèmes ils ont. Et il m'est déjà arrivé de trouver un diagnostic que le médecin n'avait pas identifié. Attends, je voulais dire encore un truc… Je sais plus… C'est la chance énorme de pouvoir échanger avec les pairs, c'est encore plus important pour les maladies rares évidemment. La thyroïde, c'est fréquent, mais le cancer de la thyroïde, c’est rare. Tu ne peux pas faire des groupes de paroles. Si tu fais un groupe de paroles dans un hôpital, tu n'auras pas assez de monde. Parce que les gens sont éparpillés de partout. Plus important, on a eu quelques personnes qui avaient des cancers très graves. Oui, il y a peut-‐être 30 cas par an, et encore. Pour eux c'était absolument précieux de pouvoir échanger par l'intermédiaire du forum. Ils étaient dans des essais cliniques, ils étaient tout seuls. Pour eux, c'était super important de pouvoir s'encourager mutuellement, de voir que chez untel ça marchait, ça progressait, que les marqueurs baissaient, c'était vraiment très important, quoi. YC : Et alors selon toi, ce qui se passe sur le forum de vivre sans thyroïde, c'est l'éducation thérapeutique ? C'est une partie de l'éducation thérapeutique ? Quelles sont les différences entre une séance classique d'éducation thérapeutique et ce qui se passe sur le forum ? BB : Il y a beaucoup plus de choses que l'éducation thérapeutique. Il y a l'éducation thérapeutique, d'une part, il y a les 3 savoirs, le savoir-‐être, le savoir-‐faire, le savoir cognitif. Le forum il y a le savoir cognitif, pour commencer. On essaye vraiment de trier les informations qu'on trouve sur Internet, les articles, tout ça et de les traduire en article intelligible. La différence entre un nodule chaud, un nodule froid, et tout ça. C'est quoi l’hypo, c'est quoi l'hyper… Tout ça, c'est des savoirs cognitifs. Les gens, quand ils arrivent avec leurs prises de sang, où le diagnostic du médecin, qu'ils puisse un tout petit peu venir sans devoir chercher partout et sans prendre peur. Et puis on va essayer de leur donner des explications adaptées à leur cas. On va leur dire il faut peut-‐être demander à ton médecin de faire une ponction, ou alors ça n'a vraiment pas l'air inquiétant… Par exemple, ils arrivent souvent entre l'examen et la visite chez le médecin. Et à ce moment-‐là, ils sont super
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angoissés, et il faut environ 1 mois avant qu'ils voient leur docteur. Et là on peut leur dire bon ça à pas l’air très grave, ça a pas l’air urgent, ça les rassure. Tout ça c'est du cognitif. Et en éducation thérapeutique proprement dite, par exemple, on donne énormément d'information sur l'importance de prendre ses médicaments et dans quelles conditions on les prend. Très fréquemment, on a des échos, des gens qui disent : « avant je ne savais pas qu'il fallait prendre ça avant, je le prenais en mangeant. Maintenant que je prends avant, mes symptômes ont disparu ». Et les choses comme ça. Et donc ça, c'est vraiment de l'éducation thérapeutique. Mais on fait aussi tout ce qui est l'empathie, l'échange avec les pairs, c'est pas que de l'éducation thérapeutique. C'est tout le côté humain, les encouragements, partager ses angoisses, tout ça contribue évidemment à l'éducation thérapeutique et à la prise en charge. Par exemple expliquer à quelqu'un pourquoi ce serait quand même mieux qu'il se fasse opérer, c'est aussi quelque part de l'éducation thérapeutique. YC : Bon ben écoute merci beaucoup, on a parlé de pas mal de choses… BB : avec plaisir, si tu as d'autres questions, n'hésite pas… YC : Là, on est au bout de mon questionnaire, sauf si tu à d'autres choses à ajouter. BB : Non je crois que c'est bon. YC : Merci beaucoup Beate ! Annexes 3 : transcription de l’entretien avec Catherine Cerisey Réalisé le 3 mai 2012 à Paris YC : Est-‐ce que tu peux en quelques mots me dire qui tu es ? CC : Alors, je m'appelle Catherine Cerisey, j'ai 48 ans. 2 enfants… un ex-‐mari… J'ai été malade il y a 11 ans maintenant d'un cancer du sein, en 2000, que j'ai découvert tout à fait fortuitement, puisque j'avais 37 ans et que je ne faisais pas de mammographie systématique, qu’on fait entre 50 et 74 ans en France. Et… Bon ça a été compliqué, parce que les médecins n’y croyaient pas beaucoup. Donc, on m’a enlevé la petite boule, on a dit que c'était rien, on a fait une biopsie, etc. C'était rien. On me l'a enlevée, c'était rien non plus… Et puis voilà, il s'est trouvé que c’était un cancer. Donc, j'ai été traitée de façon assez lourde, avec l'ablation du sein, plus la chimiothérapie… Au moment de la reconstruction… Donc un an… un an et demi après… J'ai découvert une deuxième boule au même endroit que la précédente. Alors les médecins n’y ont pas cru du tout. En me disant que c'était absolument pas possible que ça revienne à cet endroit-‐là, puisse que j'avais eu un curage axillaire et donc, je n'avais plus du tout de ganglions. Et en fait c'était un ganglion qu'on avait oublié. Donc, j'ai beaucoup insisté. Et finalement on me l'a enlevé. Et je suis repartie… pour une série de chimiothérapie et cette fois radiothérapie et 5 ans d'hormonothérapie. YC : Donc, tu m’as raconté assez rapidement ton parcours médical. Est-‐ce que tu peux me raconter comment Internet est intervenu dans tout ça ? CC : Ben, en fait, moi je connaissais un petit peu Internet, mais je travaillais dans les ventes aux enchères, donc ce n'est pas un métier très technophile… Mais quand on m'a annoncé que j'avais un cancer, c’est, je pense, une des premières choses que j'ai faites. C'est d'aller
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sur Internet, bon ça m'amusait déjà un peu, pour voir, pour comprendre… C'était marqué carcinome mammaire grade 1, donc, moi je voulais voir ce que c'était, quelles chances de survie j'avais… J'ai beaucoup cherché sur Internet, mais à l'époque il y avait, il y avait vraiment pas grand-‐chose… Sur le cancer, en forum il n’y avait que la ligue, qui était un forum assez anxiogène, je sais même pas s'il était modéré… En tout cas, moi, je me suis confrontée avec des gens qui avaient des pathologies bien plus graves que la mienne, puisque c'est évidemment tous cancers confondus… Je me suis pris quelques trucs un peu difficiles… J'ai cherché, j'ai trouvé des sites, intéressants… Alors ce qui est plus drôle, c'est que je revenais évidemment avec des infos chez mon cancérologue, qui hurlait, en me disant « mais c'est pas possible, n’allez pas sur Internet, vous allez lire que des bêtises etc. c'est horrible » et tout… Et moi j'avais aussi beaucoup envie, et c'est pour ça que j'ai atterri sur le forum de la ligue, de trouver des femmes dans mon cas. Puisque j'avais 37 ans, j'étais vachement jeune par rapport à la moyenne d'âge de femmes atteintes par le cancer du sein et dans les hôpitaux, je ne croisais que des femmes plus âgées que moi… Qui n'avaient pas les mêmes problématiques, comme l'annonce aux enfants petits, la sexualité… Alors, je sais qu'on peut avoir une sexualité très longtemps et j'espère, mais c'est vrai que c'était des problèmes majeurs pour moi. Et puis les femmes ne se parlaient pas, en tout cas pas beaucoup, dans les salles de chimio. Et j'avais besoin de rencontrer des femmes. J'en ai rencontré deux, en fait, à l'époque. À ma rechute, d'ailleurs, donc en 2002 et ça a été vraiment génial. Donc, rencontrées sur le net, et ensuite passées très très vite à l’IRL14. Voilà, donc, en 2008, j'ai fini mes traitements. Donc, l'hormonothérapie. Et là, j'étais devenu une vraie geekette15. J'avais un petit peu abandonné mes recherches cancer, etc., puisque j'étais dans des traitements au long cours, donc, je gérais. Mes enfants étaient plus grands, et donc je me suis dis tiens, je vais créer un blog… Et, pour moi c'était une évidence d'ouvrir un bloc sur le cancer du sein. Alors la première chose que je me suis dite, c'est euh… Ben justement, ce que je recherchais, ces femmes qui avaient la même problématique que moi, elles vont trouver ce blog, etc. Et puis, le fait que j'ai autant de recul sur la maladie, donner de l'espoir à ces femmes, en disant voilà, je suis encore là, au bout de 11 ans… Parce que ça, j'aurais adoré pouvoir rencontrer des femmes qui me disent j’ai 15 ans ou 20 ans de recul et… J'en ai pas rencontré… Les femmes que j'ai rencontrées sont des gens qui étaient en plein dedans. Donc, ça, j'ai pas trouvé. La plupart des blogs, c'était des blogs de femmes qui sont dans la maladie, qui sont en chimio, qui racontent leurs séances… Qui racontent leur perte de cheveux, etc. Et puis, c'était en octobre. Octobre, c'est le mois d'octobre rose, donc le mois mondial dédié au cancer du sein. Alors, j'avais créé des alertes Google, et j'ai eu plein plein d'infos qui sont tombées : des initiatives caritatives sympas, des courses, des défilés, des campagnes publicitaires et tout… Et je me suis dis ça pourrait être sympa de donner ces infos. Donc, au début, mon blog est tout bête, tout succinct.
14 IRL : « In real Life », terme utilisé par les internautes pour parler de la « vraie vie » 15 Féminin de geek, terme d'origine américaine anglophone. Depuis le début du xxie siècle, les multiples définitions qui furent attribuées au terme « geek » peuvent se résumer par leur point commun : le geek est celui qui s’évade grâce à son imaginaire, c’est-‐à-‐dire qui se divertit grâce à celui-‐ci, en se passionnant pour des domaines précis (science-‐fiction, fantastique, informatique…) dans lesquels il aura une connaissance très précise, et en s’insérant au sein de communautés actives de passionnés. Catherine Cerisey parle ici de l’internet et des réseaux sociaux.
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Je poste des liens, des photos etc. et donc très vite je me suis mise à écrire. Et euh… Et voilà et puis mon blog a été amélioré avec le temps. YC : Alors tu as parlé de ces deux femmes que tu as rencontrées en 2002, c'est ça ? CC : Oui YC : Est-‐ce que tu peux en dire un peu plus sur la manière dont vous vous êtes rencontrées d'abord sur Internet, comment ça s'est… Par quel biais… Quels types de relations se sont nouées ? Comment vous avez décidé de passer à la vraie vie ? Qu'est-‐ce que ça t'a apporté et qu'est-‐ce que ça leur a apporté ? CC : Alors, en fait je les ai rencontrées sur la plate-‐forme de la Ligue, les deux. La première avait un cancer du poumon dont est décédée d'ailleurs depuis. Et elle, c'est une femme qui m'a tout de suite prise sous son aile… Euh… J'étais vraiment en pleine panique lors de ma rechute et elle m'a beaucoup beaucoup aidée. Ça a vraiment été ma maman cancer, si tu veux. Et puis l’autre, on s'est rendu compte très très vite on était soignées par le même médecin, dans le même hôpital. Donc, on s'est dit mais c'est trop bête et lors d'une consultation, elle était en chimio, et on s'est rencontrées. Donc c'est elle que j'ai rencontrée en premier, c'était une femme jeune, qui n'avait pas d'enfant, qui avait 35 ans à l'époque, moi j'en ai 38, donc assez proches. Et… On a tout de suite sympathisé. C'était plutôt l'effet miroir avec elle. Euh… Vraiment, le fait de se dire qu'on vit la même chose, on a le même chirurgien, le même oncologue. Bon, elle avait pas d'enfant. Donc, elle je l’ai rencontrée très vite parce qu'elle était parisienne. Christine, qui était ma « maman », je l'ai rencontrée dans le midi en fait. Je suis partie dans le midi et je me suis dit, c'est l'occasion de la voir, et c'était vraiment super.… A l’époque, elle était en phase pas tout à fait terminale mais bien avancée, c'était pas facile pour moi, et après, d'ailleurs, les rapports se sont un peu inversés. Quand elle est passée dans une phase plus difficile, c'était plus moi qui essayait de la soutenir. YC : Ce sont devenus des relations dans la vraie vie et finalement, Internet s'est rapidement effacé par rapport à ces relations ? CC : Alors oui, c'est devenu des relations dans la vraie vie, on n’avait plus de contacts sur le forum, mais je suis quand même restée sur le forum. YC : Et donc, si j'en reviens à ton blog, est-‐ce qu'aujourd'hui quand tu repenses à la manière dont tu as eu l'idée de le créer, tu penses que c'était juste comme ça parce que tu étais devenu une geekette, tu t'es dit pourquoi pas un blog et c’était évident que ce serait sur le cancer du sein, ou est-‐ce que tu penses qu'il y avait aussi d'autres raisons, peut-‐être des choses qui t'avaient choquées, que tu avais regrettées pendant ton propre parcours ? CC : Alors le manque, le manque d'info, le manque de soutien, ça c'est sûr… Depuis, entre ma maladie et le blog, il y a des forums importants qui sont sortis. Je savais qu'il y avait pas mal de blogs, mais… J'avais envie d'apporter du soutien. Parce que, en fait, j'ai fait beaucoup de bénévolat entre les deux… Et ce bénévolat, il m'a laissé un petit goût de pas complet, je suis restée sur ma faim parce que… C'était du one to one en termes de relations et euh… j'avais l'impression d'aider des femmes… Au compte-‐gouttes… et je me suis dit qu'internet, c'était vraiment l'endroit où je pouvais toucher un maximum de gens. Donc euh… Oui… J'avais envie d'aider. Je crois que c'est vraiment la chose qui m'a le plus motivée. Après, l'information, … C'est venu plus progressivement et après. Le premier moment… Et puis, peut-‐être aussi un effet thérapeutique de l'écriture, de coucher son histoire sur le clavier,
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sur l'écran, mon histoire pour qu'elle soit écrite… Peut-‐être laisser une trace à mes enfants, tu vois, il y avait probablement plein de choses qui se sont mélangées… YC : D'accord. Alors comment tu l’as fais connaître, ce blog au tout début ? CC : Alors, j'ai beaucoup, beaucoup bossé à ça. Euh… Au référencement. Je suis allée sur des forums, j'en ai parlé, j'en ai parlé sur Facebook, euh… Beaucoup les forums. Beaucoup de femmes sont venues parler sur les forums et puis sur Twitter, beaucoup… Et… Et ensuite le référencement Google s'est fait assez naturellement, assez vite d'ailleurs. YC : Est-‐ce que tu as obtenu du soutien, tout de suite, des sites qui ont décidé de relayer l'information, l’adresse du blog, des retours des internautes… CC : Alors des retours des internautes, mais j'en ai eu assez vite… Euh… J'ai eu des commentaires, pas énormément, mais des petits commentaires, et puis de fidèles en fait… De deux blogueuses… D'ailleurs, ça m'a permis de connaître le milieu de la blogosphère autour du cancer du sein et plus généralement au féminin… Et c'est assez sympa, assez dynamique, etc. Et, en fait, j'ai pas eu de retour de sites… Ça ça a été beaucoup plus lent… Je pense que j'ai mis un an et demi, entre eux ni moi ça a pris plus d’un an pour avoir des échanges, etc., avec les autres sites de santé, probablement dû à la frilosité des sites santé vis-‐à-‐vis des sites de patients… YC : Et à tes médecins, est-‐ce que tu leur a parlé de ce blog ? CC : Alors non, j'en ai pas parlé à mes propres médecins. Et en fait, donc ce blog a deux ans et demi, et… Lors de mon dernier contrôle, au mois de septembre, mon oncologue m'ausculte, et en pleine auscultation, j'étais évidemment très à l'aise… D'abord, j'avais peur… Ensuite j'étais torse nu… Etc. Et là il me dit « mais parlez-‐moi de votre blog, Catherine » et alors là, je me suis liquéfiée… « Vous le connaissez comment ? » Il me dit, « mais tout le monde en parle ! » Et donc, ma 1e réaction, ça été de lui demander « est-‐ce que vous êtes allés le voir ? » Il m'a dit « non, déontologiquement, j'irai pas. Parce que, vous êtes ma patiente, et je veux pas savoir ce que vous écrivez. » Alors, j'ai, j'ai dit, « mais je ne parle pas de vous nommément. » Il m'a dit « non, je n'irai pas ». Et, mon autre médecin, c'est-‐à-‐dire mon chirurgien, lui, m'a proposé un échange de liens avec son site. Donc, ils ont eu une réaction complètement différente, et très drôle d'ailleurs, mais qui correspond aussi à la façon dont ils ont réagi il y a 10 ans. C'est-‐à-‐dire qu'il y a 10 ans, mon oncologue, me disait « surtout n'allez pas voir Internet. » Mon chirurgien me disait pas ça. Il confirmait ou infirmait ce que je lui disais, mais il disait pas « N’y allez pas, Internet c’est mal. ». Je pense qu'ils ont évolué de façon naturelle et que leurs réponses correspondent à ce qu'ils sont réellement. YC : Est-‐ce que tu leur as proposé de contribuer à ton blog d'une manière ou d'une autre ? CC : Alors, non, parce que en fait mon blog, c'est vraiment mon bébé. Donc, c'est une plume. J'ai pensé à l’ouvrir à une autre amie blogueuse, parce qu'elle avait un autre regard. Donc je pensais à l'ouvrir à une1 autre amie blogueuse cancer du sein. Alors les médecins non. Alors ce qui est drôle c'est que les médecins, ils le lisent, je le sais, parce qu'ils m'écrivent, il m'envoie des mails. À partir du formulaire du blog. Mais alors, ils ne commentent jamais ils ne s'affichent pas, jamais. YC : Et quand ils t’écrivent, c'est dans quel registre ?
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CC : Alors, très souvent, pour me dire qui ils recommandent le blog, qu'ils aiment beaucoup, qu'ils aiment beaucoup la façon de… D'aborder la relation patient médecin, justement. Le… Ça peut être de tout… J'étais très fière, parce qu'il y a notamment un médecin qui s'appelle le docteur Dominique Gros, qui écrit beaucoup de livres, et qui est un sénologue ( ?)… une énorme réputation… Avec qui j'ai des échanges… Mais, pour revenir à mes médecins, il y a mon généraliste aussi… Euh… Qui lui, va souvent sur mon blog, me dit-‐il, et ce qui nous permet d'avoir des conversations à bâtons rompus lors des consultations… Mais pas mon oncologue. YC : Alors, est-‐ce que tu peux parler de ton blog, aujourd'hui. Quel est le chemin parcouru ? Quelles sont les grandes réussites ? Les grandes victoires ? CC : Alors, la première grande victoire, c'est que j'ai créé une communauté. Énormément de femmes ( ?), puisque j'ai entre 800 et 1000 visiteurs, non, pages vues pas visiteurs uniques, vues par jour… Je pense que ça c'est ma plus grande joie, c'est de me dire que j'aide des femmes, et que elles me le disent, elles me remercient. Par rapport au bénévolat dont je te parlais tout à l'heure, j'ai vraiment l'impression d'avoir touché euh… Vraiment beaucoup de gens… Ensuite, moi, j'ai énormément évolué, ça c'est ma plus grande réussite. Dans les faits, par l'écriture déjà, tout simplement. Et puis, dans l’information. J'ai appris à traiter l'information, à la recouper, à savoir quels sites étaient intéressants, m’intéressaient en tout cas… Et quels sites me permettaient… Vers quels sites aller, en fait, euh… facilement. Et ma présence sur les réseaux sociaux a été exponentielle, aussi. Très très importante. Et puis, enfin, je suis devenue une blogueuse militante… Surtout, au niveau de la relation patient médecin, du patient expert, de l'importance de l'inclusion du patient dans la thérapeutique, etc. Mais ça, c'est quelque chose que j'ai vraiment appris. Probablement, c'était quelque chose que je savais, puisque quand tu regardes mon histoire, c'est moi qui ai tapé du poing, etc. etc. pour qu'on m'opère la deuxième fois, donc, j'ai pris les choses et la maladie en main. Donc, je devais l'être intrinsèquement, cette patiente éclairée. En tout cas, cette patiente consciente d'être importante dans le processus décisionnel. Mais, euh, je suis devenue, en deux ans et demi, par mes lectures par la présence sur Twitter, par mes rencontres… Avec le monde de la santé et avec des patients dans le même cas que moi… Et je pense que oui, j'ai acquis une expertise assez importante. Voilà le blog, il a beaucoup évolué… D'ailleurs quand tu relis mes premiers posts et les derniers posts, disons de la dernière année, j'ai beaucoup plus de billets d'humeur, de prises de position, etc. YC : Alors, tu es devenue une sorte de référente, aujourd'hui, d'abord pour les patientes concernées par le cancer du sein, et puis aussi pour l’univers de la santé, du cancer, j'imagine que tu es sollicitée de part et d'autre, assez régulièrement ? CC : Maintenant oui, alors, pour des conférences pour la e-‐santé, pas mal de conférence dans lequel j'interviens. J'interviens en octobre prochain, parce que octobre, encore une fois, c’est le mois du cancer du sein donc, c'est un mois assez chargé, sur le parcours des
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mots M-‐O-‐T-‐S dans le cancer. Je… Donc, certaines conférences, des conférences dans la e-‐santé, des conférences et de plus en plus, sur le cancer du sein, où ma propre expérience joue. Et puis, les médias. Les médias, j’ai fait quelques télévisions, quelques radios et puis pas mal de journaux. Donc, oui… Je vois ça de façon très… J'ai été très surprise, la première fois j'ai été sollicitée. Et puis… Et en fait je me rends compte qu'effectivement, ma parole a du poids. Donc, je continue ma route, et je suis très contente de ça. YC : Qu'est-‐ce que tu dirais, aujourd'hui, que cette expérience du blog a apporté ? Dans ta vie d'abord, en termes de militantisme, par rapport aux messages que tu veux porter, par rapport au réseau ? CC : Elle a tout changé, cette expérience. Elle a tout changé. Elle a changé dans ma vie personnelle, puisque j'ai rencontré énormément de gens, des gens qui sont devenus des amis. Donc, elle a changé mon univers. Elle a changé mon temps, puisque je travaille à 130 %, je ne fais que ça, même si c’est bénévole, je ne fais que ça. Donc elle a changé mon temps, mon quotidien, en fait, je ne fais que ça et, avant j'avais mes enfants, dans la première vie, j'étais clerc de commissaires-‐priseurs, donc ça a carrément tout changé. Ensuite, le fait que je sois devenu militante… Euh… C'est quelque chose d'important, parce que je ne savais pas que j'avais cette forme de militantisme en moi. Je suis quelqu'un qui parle beaucoup, etc. mais je me suis rendu compte que j'avais des idées très précises sur des choses, que j'arrivais à me faire une idée très précise. Et, j'ai envie de devenir le porte-‐parole de toutes ces femmes… Euh… Cette majorité silencieuse, qui n'a pas accès, justement, à ces conférences, à ces colloques etc. Et de… D'essayer de changer les choses. Ça, c'est peut-‐être le 3. 0, c'est-‐à-‐dire de repasser dans l’IRL pour changer vraiment les choses. YC : Donc, l'avenir de ton blog, tu le vois… CC : Donc l'avenir de mon blog, d'abord ça m'embêterait beaucoup beaucoup de le lâcher. Ca, je pense que c'est juste pas possible, tu peux pas te permettre de fermer quelque chose comme ça ,même si tu sais que les articles perdureront etc. etc. j'ai, j'ai vraiment pas envie d'arrêter. Maintenant, c'est vrai que j'écris de moins en moins. Aujourd'hui j'écris une fois par semaine. Avant, j'écrivais trois ou quatre fois par semaine tu vois. Parce que j'ai moins le temps, parce que justement l’IRL a repris un peu le dessus. Et que je fais beaucoup de choses à l'extérieur. Et donc, c'est ça que je trouve merveilleux dans l'Internet, parce que… Ses détracteurs disent que c'est que du virtuel…, que c'est pas la vraie vie… Etc. Et en fait, pour moi c'est un pont absolument extraordinaire et ça m'a évidemment permis de… C'est ce qu'on disait tout à l'heure, de changer la vie… Et de changer les choses… Dans la vraie vie. YC : Et donc, par rapport à ces constats et à ses objectifs, ce que tu dis en termes de militantisme de représentativité et par rapport aux messages que tu veux porter, ça se rapproche à la fois des mouvements d'associations de patients, quelque part, avec des combats communs en tout cas… Et puis, également des messages que veut porter l'éducation thérapeutique, sur l’information, la place des patients, comment tu vois ta démarche par rapport à ces deux dimensions, et est-‐ce que à un moment donné ça pourrait se rejoindre ? CC : Alors, oui, absolument, au niveau associatif, je, je… C'est pas que j'ai pas l'esprit associatif… C'est qu'en fait il n'y a pas d'association…. A l’heure actuelle, dans le cancer du
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sein, je parle, qui me corresponde. Ou qui corresponde à mes attentes. Alors, en faire une, pourquoi pas ? Ça pourrait être la deuxième étape. Dans l'éducation thérapeutique, je pense que ç’en est en fait. Parce que justement, il y a un dialogue avec cette communauté, et je réponds toujours, en donnant des conseils. Alors, évidemment, la première chose que je fais, c'est de conseiller d'aller consulter son médecin… Mais… Parce que évidemment je donne aucune information médicale. Mais, le cancer est une maladie, comme la plupart des maladies chroniques. On l’a toute sa vie. Bah notamment là, il y a une femme qui me dit, je ne veux pas le dire à mes enfants, c'est trop difficile pour eux… Ma réponse a été de lui dire mais non, il faut le dire, avec des mots différents en fonction de leur âge, etc. tous les psychologues disent qu'il faut dire les choses. Ça peut être aussi un conseil, voir l'association juridique pour des aides etc. Ou ne pas prendre du jus de citron à la place de la chimiothérapie. Enfin, c'est vraiment ça, voilà. Donc, ça, je pense que effectivement c'est de l'éducation thérapeutique. Absolument. YC : Maintenant, par rapport à ton parcours, quelles sont à ton avis les qualités des compétences que tu avais, qui t’ont vraiment servi pour la mise en place de ce blog et de tout ce qui va avec ? CC : Les qualités, c'est peut-‐être un refus de… De… D'accepter le côté quasi inéluctable du cancer qui aurait pu être un décès. Euh… Donc, d'avoir vraiment envie de me battre euh… Ça, je pense que ça m'a aidée, le fait d'avoir des facilités à parler et à écrire. Et puis de… de… Peut-‐être, l'envie, ce besoin de rendre ce qu'on m'a donné, c'est-‐à-‐dire cette aide que m'ont donnée ces deux amies… Euh… Donc, cette volonté de faire plus, plus large, plus grand, parce que… Parce que je pense que je suis très optimiste et qu'on peut changer les choses, voilà. YC : Et maintenant, qu'est-‐ce que ça t'a appris ? CC : Ça m'a tout appris, ça m'a tout appris. Ça m'a appris à parler en public. Ça m'a appris à écrire. Ça m'a appris à… La maladie. Le fait de… Beaucoup de gens me disent mais, qu'est-‐ce que tu fais encore dans le cancer… Tu es guérie… Alors qu’on n'est jamais guérie du cancer, on est en rémission. Euh… Pourquoi tu reviens plus dans la vraie vie, c'est pas ça la vie, c'est pas la maladie etc. Moi, ce que j'ai l'habitude de dire, c'est que connaître la maladie, connaître cette pathologie, tous ses aspects, je veux dire sous des aspects éducation thérapeutique, mais ça peut être aussi sur l'après cancer, sur ce qui se fait, ce qui se dit, sur, je sais pas, notamment, tu vois, j'ai assisté à un colloque sur le dépistage systématique avant 50 ans. Et moi, j'étais vraiment pour, le dépistage systématique. À partir de 40 ans. Et bien, ce colloque a bousculé mes idées et j'ai appris, dans ces choses-‐là… Donc. Je… Donc ce que je disais c'est que le fait de connaître ma maladie, ça me permet de mettre ma peur à distance. En tout cas de la mettre à distance gérable. Parce qu’il y a moi dans tout ça. Et en fait, j'avoue que j'ai appris sur moi aussi. J'arrive maintenant à avoir du recul suffisant, parce que je vois, par exemple, beaucoup de gens qui rechutent par exemple. Et j'arrive à pas me projeter, tu vois, dans l'histoire des autres et pour me dire c'est leur propre histoire, parce que j'ai pris suffisamment de recul pour ne pas me projeter. Je suis là pour les aider mais ça n’impacte pas ma vie, ma peur, mon angoisse. YC : Et donc, si c'était à refaire ?
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CC : Je le referai. Sans aucun souci. Euh… Peut-‐être différemment au début, parce que j'ai appris beaucoup de choses. Donc, je les mettrais à profit dès le début. Mais, je regrette pas une chose que j'ai faite, une ligne que j'ai écrite. Il m'arrive parfois de relire des anciens posts. Alors, j'ai un peu évolué, je dirais pas tout à fait la même chose de la même manière. Mais euh, globalement, non, je suis très contente de ça. YC : Est-‐ce qu'il y a d'autres choses que tu aimerais ajouter ? CC : Oui. Alors, tu gardes si tu veux. Je pense que l'éducation thérapeutique, c'est très très bien, ça doit être élargi. J'aime pas le mot éducation… C'est une très bonne chose mais… certains patients n'ont pas besoin en tout cas de passer par l'éducation thérapeutique de leurs médecins… Je pense qu'il faut faire confiance, dans une maladie chronique, au patient lui-‐même, qui est capable d'apprendre tout seul, par Internet. Je pense qu'Internet est un outil extrêmement précieux. Et que cette éducation thérapeutique est une excellente chose, une excellente avancée, mais trouve ses limites, actuellement, telle qu’elle a été conçue, elle est trop limitée. Mais euh… Il faudrait qu’on l'inverse, aussi, que les patients, en tout cas les patients experts, puissent aussi éduquer leurs médecins, sur ce qu’ils ne savent pas forcément, du quotidien du malade.