Rapport JP Corbeau Etude de Institut Quick

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LA REPRESENTATION ET LA FREQUENTATION DE LA RESTAURATION RAPIDE HAMBURGER PAR LES CONSOMMATEURS FRANAIS DE 15 A 25 ANS (ADOLESCENTS ET JEUNES ENTRANT DANS LA VIE)

Jean-Pierre CORBEAUProfesseur de sociologie de lalimentation et de la consommation (IUT de TOURS, Universit Franois RABELAIS)

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Sommaire1. Introduction6 6 8 8 8 9 9 9 10 10 10 11

Hypothses et problmatiques

2.

MthodologieA. Lenqute proprement ditea) b) c) d) e) Remarques prliminaires Taille et particularit de la population de lenqute Genre Rpartition par ge Rpartition par secteur dactivit

B. Chronomtrages, temps pass dans situations particulires C. Entretiens semi-directifs D. Observation de lieux du Hamburger Restaurant et de comportements alimentaires des 15-25 ans dans lespace urbain E. Une veille documentaire F. Reconstructions idal-typiques partir de triangles du manger a) b) c) d) Le triangle du manger Les mangeurs identifis Les aliments La situation

11 11 12 13 15 15 17 17 17 18 18 18 19 19

3.

Rsultats bruts (pourcentages) partir de la grande enqute A. La frquentation B. La vente emporter C. Le prix D. La construction du repas E. Les formes de convivialits F. Le temps alimentaire dclar G. La proccupation nutritionnelle

3

H. Lusage social du Hamburger Restaurant

19 20

4. Dconstruction des rsultats et construction du sens donn par des individus identifis selon des critres particuliersA. Les cohortes B. La catgorie dactivit C. Le genre D. Consommation individuelle, consommation collective, commensalit et convivialit E. Frquentation, temps pass manger, temps doccupation F. Dehors, dedans G. Nomadisme, sdentarit, drive-in H. Ordinaire ou festif

20 23 24 26

27 27 28 28 29 29 33

5.

Phnomnologie du Hamburger RestaurantA. La vision idologique B. Linstitutionnalisation gastronomique , clair-obscur de nouvelles offres de la street-food ou de lagro-industrie C. La frquentation modre comme inscription dans son temps

34 36 36 36 37 38 40 40 40 41

6.

Reprsentation des produitsA. La perception de loffre nutritionnelle B. Filiations religieuses et zoophagie ? C. Le Got et les textures D. Le prix

7.

Nouvelles formes de sociabilitA. Lancrage et le rseau B. Le Hamburger Restaurant, territoire dautonomisation C. Un nouvel espace de mise en scne (une variante du thtre gourmand et du bistrot crateur de scurit) D. Centre-ville, gare et priphrie urbaine : trois usages diffrents

42 44 46 46

8. 9.

Le burger, un aliment navette ? Des triangles du manger particulirement significatifsA. Le collgien en restauration mridienne

4

B. Les lycens et les lycennes le samedi midi ou le samedi soir C. Les tudiant(e)s du midi et ceux du soir D. Les retrouvailles du dimanche soir E. Les commerciaux speed F. Les commerciaux habitus G. Les 20-30 et lentre dans la vie. Le burger-restaurant du cin, une madeleine ? H. Les jeunes couples avec enfants I. J. 10. Une faon rationnelle de se nourrir versus femmes 30-40 ans Le solitaire et la wi.fi.

46 46 47 47 47 48

48 48 48 49 50

Conclusions

Bibliographie

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1.

IntroductionHypothses et problmatiques.

Plusieurs hypothses prsident notre enqute et organisent nos analyses. a) La premire hypothse concerne le dcalage repr1 entre la reprsentation du la Hamburger Restaurant (cf. encadr) dans les discours dominants, mais aussi chez leurs utilisateurs, et la ralit des pratiques alimentaires. Ceci concerne la fois la frquence de frquentation des HR, les moments o lon sy rend dans la journe, le temps pass dans le lieu, limage nutritionnelle des produits proposs, du burger en particulier et de laliment quventuellement on lui substitue. Force est de constater que ce dcalage existe, mais il paraissait intressant, travers une enqute quantitative, de le mesurer et de pouvoir ensuite, grce une approche qualitative, parvenir comprendre pour partie les logiques sociales dans lesquelles il sinscrit.Le Hamburger Restaurant (que nous dsignerons par HR au cours de ltude pour allger le texte) nest, dans le contexte de loffre alimentaire franaise contemporaine, quune forme parmi dautres de ce que lon dsigne souvent comme fast-food . Historiquement associ lamricanisation, ce type daliment sinscrit dans ce que certains nomment la world-food et plusieurs auteurs, dont nous sommes, le distinguent de la street-food . Chaque fois que lon cherche catgoriser le HR, il semble bien que lon se rfre de vieux clichs ou des tudes ou reportages nord-amricains correspondant des modles sociaux assez loigns de ceux quentretiennent les franais toutes catgories dges confondues avec leur alimentation. Les mangeurs eux-mmes ne distinguent pas toujours les segmentations entre ces offres multiples et les comportements alimentaires plus ou moins dstructurs quelles engendrent ou quelles ignorent.

b) La seconde hypothse est que le HR donnerait de mauvaises habitudes alimentaires. Elle serait une des causes principales de lobsit et dtournerait les consommateurs de la culture culinaire franaise Cette mtonymie est prsente depuis des dcennies dans lopinion, mais aussi chez les chercheurs2. On pourrait mme dire quelle est reprable ds quapparaissent en France les premiers fast-food dont il faut bien reconnatre quils imaginaient reproduire un modle amricain en jouant la rapidit du service, lalimentation en continu dstructurant le rythme alimentaire pour chapper lattente oblige du repas servi heure fixe ; pire, on prtendait mme changer le schma corporel du consommateur en1

Dans le cadre de travaux mens ces dernires annes avec les tudiants tourangeaux (cf. bibliographie), en collaboration avec J.P. Poulain ou au sein dquipes de recherche dans des programmes de lANR (Ludo-aliment et Alimados) ; cf. aussi la veille alimentaire sur lalimentation des adolescents (annexe I) et sur les fast-foods.2

Nous reprendrons ultrieurement leurs propos dans une partie analysant plus finement ces rsistances lamricanisation et linnovation (ce qui nest pas forcment superposable). Nous faisons allusion P. Aries, M. Bensoussan, C. Fischler, Lo Moulin, L. Ossipow, J-P. Poulain et L. Tibre, qui, des moments diffrents depuis une vingtaine dannes, construisirent leurs propos en acceptant la mtonymie, tantt pour la renforcer, tantt pour la relativiser ou lcarter.

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lencourageant manger debout ou moiti juch sur un tabouret. Cet historique , sur lequel nous reviendrons dans une partie ultrieure de cette tude, explique sans doute la rsistance, pour ne pas dire la rticence, de mangeurs plutt gs et attachs la conservation des habitudes alimentaires perues comme identitaires. Cette mtonymie imbrique dans des reprsentations idologiques prolonge et prcise les dissonances pointes dans notre premire hypothse. Elle a t renforce par limpact du film Super size me que les mdias et certains mouvements consumristes ont largement repris sans sinterroger sur le fait quavec nimporte quel type daliment ft-il haut de gamme et dune qualit organoleptique exceptionnelle ingurgit avec excs, avec dmesure, il tait possible de devenir obse tout aussi rapidement c) Notre troisime hypothse, plus nouvelle que les deux premires et plus positive concernant limage de ce type de restauration, suppose que la diabolisation des RRH sefface progressivement dans les pratiques alimentaires et conviviales. Leur prsence dans le paysage franais depuis plusieurs dcennies, leur imbrication dans les souvenirs de socialisation dun grand nombre de mangeurs contemporains, lmergence dune nouvelle offre de street-food qui transforme le burger en produit traditionnel (au-del de ses gots innovants), ainsi que la multiplication de produits dambulatoires valorisant la sdentarit de la convivialit / commensalit des RRH favorisent lacceptation dune RRH faisant partie du rpertoire gastronomique dans une logique de mangeur pluriel3 .Nous rappelons que nous qualifions de pluriel le mangeur franais contemporain inscrit dans une double pluralit : celle qui varie selon sa trajectoire sociale, son ge, sa cohorte, son genre, ses croyances, ses possibilits conomiques et sa position dans laccs loffre alimentaire et le distingue de son voisin. Celle qui le conduit modifier son comportement, ses choix, ses prfrences selon la situation qui permet sa rencontre avec un type daliment (nous pourrions dire que ce mangeur est un zappeur plus ou moins libre de choisir). Cette notion de mangeur pluriel est insparable de la notion de triangle du manger que nous dvelopperons ultrieurement et qui se matrialisera dans la dernire partie de cette tude.

d) Avec notre dernire hypothse (elle aussi plus favorable au HR), nous refusons limage dun mangeur et particulirement dun adolescent consommant passivement des produits hyper-markets. Confort par nos enqutes prcdentes4, nous pensons que le HR est aussi un lieu de construction de lautonomie des adolescents, de stratgies dappropriation de lespace urbain qui passent par linvention de nouvelles sociabilits caractristiques des adolescents et des jeunes. Le HR ne peut tre rduite aux seuls produits alimentaires quelle propose, elle est aussi une ambiance, une faon dtre ensemble, un territoire qui joue, comme dautres territoires, un grand rle dans la culture et les constructions identitaires adolescentes.

3

Cf. Corbeau, le mangeur pluriel in Le mangeur du XIXe sicle, Educagri, Dijon, 2003. CF. note 1

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7

Mthodologie.A. Lenqute proprement dite.

a) Remarques prliminaires.Il sagit de la partie dclarative de ltude avec passation de questionnaires (in situ ou dans des institutions scolaires et universitaires). Elle offre des possibilits dinterprtation statistique mais elle risque aussi de vhiculer des biais car elle ne repose pas sur une observation des pratiques mais sur ce que les locuteurs veulent bien nous en dire. Cette enqute par questionnaires directifs a t ralise par des tudiants de lUniversit de Tours (M2 sensoriel et innovation, M2 Histoire et Cultures de lAlimentation, Licence Professionnelle par apprentissage Management dune Unit de Restauration A Thme MURAT, et surtout les tudiants de Techniques de commercialisation des produits agroalimentaires (TC2A) de premire et de deuxime annes en formation initiale et en apprentissage). Lenqute (qui, au fil du temps, a intgr des questions supplmentaires concernant les prfrences, la reprsentation des aliments, la perception de leffort nutritionnel de Quick et la distinction entre les diffrents types doffres restauration rapide RRH + street-food ) sest droule du mois dOctobre 2009 Avril 2010. Cette information est importante car le fait que lenqute se droule la fin de lautomne et en hiver (qui fut rigoureux) ne permet pas dexaminer certains phnomnes saisonniers de composition de plateaux (valorisation des salades et des glaces, demande plus grande de boissons dsaltrantes, etc.) et surtout, nous navons pas pu observer beaucoup de journes permettant la frquentation de terrasses de RRH (sauf celle oblige des fumeurs) dont nous postulons (voir intra) quelle accentue des nouvelles formes de sociabilits dadolescents disposant dun territoire, dune place depuis laquelle ils dambulent par intermittence dans lespace urbain, depuis laquelle ils sont vus des autres ou se font voir avec des statuts dont nous analyserons ultrieurement la complexit. Les tudiants, qui tantt les ralisaient dans le cadre de TD, tantt les ralisaient lorsquils rejoignaient le domicile parental, ont de faon trs majoritaire (environ les 2/3 de la population des rpondants) interrog des adolescents de lagglomration tourangelle (Tours, St Pierre des Corps, Chambray, Jou les Tours) mais 230 personnes on t enqutes dans dautres villes ou agglomrations : par ordre dcroissant, Blois (74), Orlans (55), Angers (27), Chteauroux (25), Poitiers (17), Le Mans (15), Paris ou sa proche banlieue (11) et 6 personnes Vierzon.

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Cette pluralit des lieux denqute na pas permis de constater de diffrence significative de comportement ou de prfrences locales ou rgionales. Nous navons donc pas retenu cette variable comme pertinente5. Enfin, 80 % de cette grande enqute a t ralise in situ, des moments diffrents de la journe et sur des jours diffrents (y compris pendant des vacances scolaires). Ces variations sont essentielles car elles permettent de capter des clientles qui nattribuent pas au HR les mmes fonctions et qui la frquentent dune faon beaucoup plus ponctuelle que certains discours imbibs damricanisation ne nous le laissent supposer.

b) Taille et particularit de la population de lenqute.Cette enqute na pas t uniquement cible sur les 15-25 ans. Parmi les 863 personnes interroges, 760 avaient entre 15 et 25 ans (ce qui ne signifie pas non plus quelles frquentaient des tablissements scolaires, certaines disposant dj dune activit salarie ou cherchant un emploi). En amont et en aval de cette tranche dge, nous avons questionn des mangeurs frquentant le HR. Cette population hors cible nous a permis de mieux comprendre, par une logique de clair-obscur , les caractristiques des 15-25 ans. Ces enquts, plus jeunes ou plus gs, ont aussi fait lobjet dune petite analyse. 863 personnes ont t interroges et voici les caractristiques de cette population :

c) Genre435 filles, 428 garons.

d) Rpartition par geRpartition par ge

moins de 15 ans (collgiens) 39 22 42 15 - 18 ans (Collgiens, lycens ou apprentis CFA) 18 - 25 ans 382 378 25 - 30 ans + de 30 ans

5

Dans lenqute Alimados, des diffrences sont apparues entre les adolescents de Strasbourg qui semblent dambuler plus souvent que ceux de Marseille. Cette diffrence pourrait tre attribue aux conditions climatiques plutt qu des identits rgionales intrinsques.

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e) Rpartition par secteur dactivit

Rpartition par secteur dactivit

CFA Demandeurs demploi ou sans profession Ouvriers

31

34

21 13

43 70 9 12

Artisans Employs Cadres moyens Enseignants

640

Cadres suprieurs/professions librales Collgiens, lycens ou tudiants

Paralllement cette grande enqute de type dclaratif, dautres mthodologies dapproche des mangeurs frquentant le HR ont t mobilises pour quil soit possible de comprendre les mangeurs, de saisir le sens de leurs actions, mais aussi de mesurer des dissonances entre leur dclaratif et leurs pratiques.

B. Chronomtrages, temps pass dans situations particuliresCette mthodologie a t dcide en milieu denqute pour quantifier le temps pass attendre un menu ou un plat, le consommer et occuper la table o lon a pris place, seul ou accompagn. Il sagit de lobservation de pratiques effectues auprs de 250 personnes, 200 personnes taient dans la cible des 15-25 ans, qui a t ralise par les tudiants de 1re anne de TC2A.

C. Entretiens semi-directifs.Ils taient cibls sur des populations correspondant aux 15-25 ans et sur des populations plus ges pour aborder avec les locuteurs les systmes normatifs, la logique sociale et les reprsentations de lalimentation propose dans les RRH et dans les autres offres alimentaires. Les entretiens raliss par quelques tudiants et par moi-mme ont t mens auprs de 38 personnes (15 personnes avaient plus de 25 ans). Cette approche qualitative permet de disposer de verbatim pour illustrer la dernire partie de notre tude. Elle permet aussi de comprendre les reprsentations et les rapports au HR chez les adolescents. 10

D. Observation de lieux du Hamburger Restaurant et de comportements alimentaires des 15-25 ans dans lespace urbain.Ces observations se sont droules des heures et des jours diffrents pour cerner les diffrents usages qui sinsrent dans les projets ports par la convivialit. Elles se combinent aux informations obtenues dans les entretiens semi-directifs et permettent dtayer les notions de mangeur pluriel et dapproche situationnelle qui nous paraissent essentielles.

E. Une veille documentaire.Elle a t mise en place par les tudiants en documentation du dpartement info-com de lIUT de Tours (GIDOS 2) concernant les fast-food et street-food ainsi que les comportement salimentaires des adolescents. Elle fait lobjet dannexes la suite de cette tude.

F. Reconstructions idal-typiques partir de triangle du manger .Cette notion de triangle du manger est une proposition thorique que nous avons labore travers notre pratique de sociologue (cf. schmas et textes joints).

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a) Le triangle du manger.Les mangeurs, de sexes et dges diffrents, de toutes les catgories sociales, de toutes les cultures et de toutes les rgions du monde sinscrivent dans ce triangle du manger . Celui-ci implique toujours un mangeur, un aliment et la situation dans laquelle cette rencontre a lieu. Il est ncessaire de souligner que chaque discipline qui participe la connaissance du manger comme phnomne social total privilgie une entre du triangle plutt quune autre. Ainsi, lingnieur agroalimentaire ou lapproche strictement nutritionnelle valorisent le sommet de laliment alors que le psychologue prfre celui du mangeur, lethnographe celui des situations, etc. Ces prfrences qui lgitiment la dmarche pluridisciplinaire obligent chaque spcialiste se penser comme complmentaire des autres et non comme dtenteur dune vrit reposant sur une conception rductionniste de lapproche du fait alimentaire, de ce que nous appelons la filire du manger6. Lalimentation nest pas rductible sa seule dimension nutritionnelle, comme elle nest pas rductible sa dimension symbolique. Sa mdicalisation excessive naltre en rien

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Nous donnons une dfinition rapide de la filire du manger (cf. encadr) qui pour nous est indissociable de la notion de mangeur pluriel et permet de dcliner le triangle du manger de faon diachronique ou de comprendre comment un mangeur mobilise des logiques, un imaginaire, des affects particuliers pour donner un sens laliment quil rencontre dans un ici et maintenant et quil choisira, se distinguant par l dune faon synchronique dun autre mangeur prsentant pourtant les mmes caractristiques exognes.

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limportance quelle joue dans la construction de notre quilibre affectif et du lien social avec de multiples identits.La filire du manger englobe tous les phnomnes de socialisation, dappropriation culturelle, de construction dun aliment. Cela va de la dcision de produire un vgtal ou dlever un animal sa consommation par un mangeur. Elle concerne la production, les multiples et diverses transformations, la logistique, les types de conservations et de stockage et les dcisions dachat ou dentre du produit dans le canal de la prparation domestique ou dans une offre de restauration hors domicile qui sinscrit dans un concept commercial de groupe ou de franchise. La filire du manger sapplique lacte culinaire ou son quivalent et la mise en scne des mets raliss. Nous y ajoutons la production de discours plus ou moins normatifs de diffrents acteurs extrieurs aux mangeurs: Les spcialistes (agronomes, conomistes, vtrinaires, mdecins, sciences humaines et sociales, etc.), qui observent les diffrentes tapes de la filire agroalimentaire et en proposent des images de diverses natures Les mdias qui dramatisent ces mtalangages de spcialistes relatant le fonctionnement, mais plus souvent le dysfonctionnement de la filire Les politiques (au sens large) qui cherchent modifier, pour sy construire des pouvoirs, le champ alimentaire en lgifrant sur des pratiques.

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-

Enfin, nous envisageons dans la filire du manger les reprsentations dont lacteur social est porteur : souvenirs, croyances, dsirs, imaginaire Manger est donc un phnomne total signifiant une appartenance sociale, affirmant un lien socital et affectif, participant la construction dune identit culturelle.

Dans un souci pdagogique, nous proposons de dconstruire le triangle, cest--dire danalyser sparment les variations et les segmentations possibles de ses diffrents lments. Dans la dernire partie de cette tude, nous tablirons des interactions entre les comportements de mangeurs identifis dans des lieux du HR certains moments de la journe, le choix de produits alimentaires qui donnent du sens aux sociabilits ou aux attentes associes dans lici et maintenant de cette forme de restauration.

b) Les mangeurs identifis.Le mangeur est la fois producteur et reproducteur de modles et de normes de comportements alimentaires. Il suit des itinraires socioculturels pluriels. Son rpertoire gastronomique, ses habitudes culinaires, alimentaires, commensales varient selon la position sociale quil occupe. Pierre Bourdieu7, Raymond Ledrut8, Claude Grignon9, Jean-

7

Bourdieu1979

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Louis Lambert10 ont particulirement insist dans leurs travaux respectifs sur le rle de ces appartenances sociales, du genre, de lge dans la construction de nos prfrences alimentaires. Lmergence de ces systmes complexes permet une sociologie des mangeurs rfutant les dterminismes redfinis comme de simples dterminants. Nous aurons loccasion dy revenir dans les exemples concrets de notre dernire partie. Les comportements alimentaires sont alors, aussi, marqus par le genre (masculin ou fminin), par lge11 (et au del, la cohorte laquelle on appartient : ici nous pointerons une culture adolescente qui, dune anne de naissance lautre peut senthousiasmer pour tel ou tel produit, telle ou telle texture quelle est la premire exprimenter et qui joue alors une vritable fonction de marqueur identitaire). Les rpertoires du comestible, du culinaire et du gastronomique changent selon la rgion dorigine et celle o lon rside12, selon ses conceptions thiques, selon quil existe un relatif continuum avec les socialisations induites par les ans ou que lon est impliqu dans une situation nouvelle, plus ou moins porteuse danomie. Le mangeur invente alors, en combinant de faon originale des influences vhicules par les agents sociaux quil frquente, en transgressant des rgles tablies et pour lui dsutes ou en dcouvrant de nouvelles manires dtre13. Bref, le mangeur obit des trajectoires multiples (mais il les induit aussi) qui le diffrencient des autres tout en crant et en renforant des appartenances et des liens sociaux. Autrement dit, le premier sommet du triangle du manger, celui du mangeur, varie dans lespace. Cest la dimension synchronique du triangle qui fait que les adolescents comme dautres catgories dge zappent entre diffrentes formes de restauration, cherchant tantt se distinguer, sautonomiser, tantt sinscrire dans des traditions. Cest le mme adolescent mangeur pluriel qui apprcie un burger consomm avec ses pairs, la cuisine traditionnelle de ses grands parents, la cuisine crative ou la salade dite qui quilibre son rgime hebdomadaire (surtout chez les femmes). Paralllement, il importe de considrer les mutations de nos comportements alimentaires, de nos prfrences, de nos gots. Nous nous inscrivons tous dans des histoires collectives et plus individualises. Nos comportements alimentaires changent avec notre ge, mais8 9

Ledrut 1979 Grignon 1981 Lambert 1987 Garabuau Moussaoui 2002 et Lambert 1987 Poulain 1998 Corbeau 2000

10 11 12 13

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changent aussi avec les modes et les offres qui sy imbriquent. Toutes ces mutations collaborent la construction de la dimension diachronique ( travers le temps) du triangle du manger. De ce point de vue, la frquentation du HR nest plus une nouveaut mais renvoie des socialisations alimentaires, des souvenirs denfances, des aliments navettes 14 crateurs de complicits intergnrationnelles.

c) Les aliments.Le second lment du triangle est reprsent par les aliments. Comme les mangeurs, ces aliments doivent tre apprhends de faon plurielle. Ils varient travers le temps parce que des inventions technologiques modifient (pour partie et pour certains dentre eux) leur production ou leur transformation. Ils varient aussi dans lespace parce quil est possible, un mme moment, de trouver sur le march des produits de qualits diffrentes, de cots diffrents, de proprits organoleptiques particulires, connots par dventuelles certifications, des labels, des appellations dorigine ou des notorits de marques. Par leur histoire et par leur ct ordinaire, festif, exceptionnel, les aliments vhiculent des symboliques. Les mangeurs les peroivent, plus ou moins inconsciemment, comme correspondant leurs attentes, comme provocatrices de peurs ou les rassurant. On saisit dj comment des reprsentations ngatives des nourritures proposes par le HR, exprimes par certains acteurs de sant publique ou par les dfenseurs dun patrimoine gastronomique cristallis dans le temps, peuvent tre crateurs de tensions chez un mangeur qui, selon les moments, actualise une qualit bnfique ou inquitante des produits quil dsire incorporer.

d) La situation.Cette interaction entre un type de mangeur et un type daliment un moment donn se droule au sein du troisime lment du triangle : la situation Elle-mme modifie lattente du consommateur ou valorise tel ou tel aspect des nourritures. Par ailleurs, la situation permet aux mangeurs de dvelopper entre eux des formes de sociabilit. Cela dprcie ou renforce les valeurs des aliments partags et facilite la mmorisation des motions gustatives. La situation possde une incidence sur la rflexivit dveloppe par le mangeur / consommateur et doit donc toujours tre prise en considration dans les actions des campagnes de sant publique ou dinformation nutritionnelle.14

Selon lexpression de Nicoletta Diasio in Cahiers de lOCHA n14.

15

Le triangle varie de faon synchronique (cf. schma 1) puisque nous postulons que le consommateur est pluriel, que les attitudes et comportements changent selon les individus mais aussi selon les situations dans lesquelles ils se trouvent impliqus ; selon la nature de laliment, son aspect, limaginaire qui sy associe. Le triangle varie aussi dans le temps (cf. schma 2) puisque chacun de ses lments possde une histoire : individuelle ou collective pour le mangeur ; cratrice de symboliques pour le produit (moment dapparition dans nos socits, raret, canal emprunt pour parvenir au mangeur, prestige de la marque, etc.) ; recoupant la mutation des formes et des rituels alimentaires pour la situation de consommation. Cest dans une telle complexit contextuelle que se droule la rencontre des nourritures La situation rassure, ou non, le mangeur. Elle cre une quitude en l'intgrant dans ce qui lui semble tre un groupe d'appartenance (construit sur une filiation culturelle perue comme sans rupture ou sur l'intensit d'un climat socio-affectif telle qu'on en tire un plaisir anantissant toute forme de mfiance) avec les rites qui s'y attachent. Cest incontestablement dans cette logique que sinscrivent les adolescents des annes 2010 lorsquils voquent le HR. La situation, nouvelle ou insatisfaisante, focalise l'attention du mangeur sur l'aliment Celui-ci peut alors fournir un moyen de se rassurer, soit parce qu'il exprime de faon plus ou moins mythifie une identit que l'on souhaite fortifier, soit parce qu' travers sa consommation on cherche une inclusion dans un groupe de rfrence que l'on souhaite intgrer. Mais, dans ce contexte de mfiance engendr par la situation inscurisante , l'aliment peut devenir un OCNI15, la mfiance se transforme en crainte Que les mdias dramatisent ou qu'une rumeur se dveloppe, et cette crainte, qui ne trouve aucune forme de rgulation sociale dans la situation commensale, se transforme en peur. Cela explique par exemple comment, plus particulirement chez des adolescentes qui dveloppent une plus grande rflexivit par rapport leurs incorporations alimentaires, une dramatisation de linformation nutritionnelle provoque des dnis et des dplacements vers dautres produits jugs plus sains ou meilleurs pour la silhouette.

15

Objet Comestible Non Identifi selon le mot de Claude Fischler.

16

2. Rsultats bruts (pourcentages) partir de la grande enqute .Seules les rponses des enquts ayant entre 15 et 25 ans (scolariss ou non, soit 760 personnes) ont t retenues pour ces pourcentages afin de ne pas introduire de biais en considrant des pratiques et des reprsentations de personnes plus ges ou plus jeunes qui se distinguent des ados et des sociabilits associes lentre dans la vie. Rappelons aussi quil sagit dun dclaratif que la dconstruction ultrieure permettra parfois de pondrer la lumire des chronomtrages, des analyses des entretiens et des observations de terrain.

A. La frquentation

La frquentation

6% 26%

8% 24%

Ne frquentent jamais les burgerrestaurants 1 fois par mois 1 fois par semaine 2 fois par semaine

36%

3 5 fois par semaine.

B. La vente emporter79 % des enquts dclarent ne jamais faire appel la vente emporter. Parmi les 21 % qui le font, 5% prfrent le faire le midi et 16 % le soir.

La vente emporter du midi est plutt le fait de personnes entre 20 et 25 ans qui sont salaries et qui profitent de la pause mridienne pour faire des achats ou (pour certains commerciaux interrogs) pour se reposer dans leur voiture en tlphonant aux amis ou en coutant de la musique. Nous sommes alors plutt en prsence de consommations individuelles o la solitude du mangeur lui permet de se ressourcer .

17

Rappelons que notre enqute sest droule en hiver et que le menu emport pour tre consomm, de faon plus collective, sur une pelouse, sur un banc de rue pitonne ou de square tait empch par les conditions climatiques. Par contre les ventes emporter du soir sont souvent consommes de faon conviviale dans le domicile ou le lieu de retrouvailles dune bande dadolescents. Pendant les mois de notre enqute, nous navons pratiquement pas constat de consommation de menus avec dambulation dans lespace urbain.

C. Le prix82 % dpensent entre 6 et 10 pour se nourrir dans un burger-restaurant, avec un pourcentage de 63% des personnes qui se situent entre 7 et 9 . Pour des raisons que nous analyserons ultrieurement, les garons qui mangent plus dpensent plus que les filles

D. La construction du repas58 % des enquts prennent le menu 31 % (sur les 31 %, 26 %sont des garons) prennent plus que le menu 6% des salades (sur les 6%, 5% sont des filles) 5 % se contentent de boissons et de desserts (correspondant des prises alimentaires associes des sorties ou des retrouvailles avant soires).

E. Les formes de convivialit.8 % des personnes interroges frquentent le HR en restauration mridienne avec des collgues ; il sagit de mangeurs salaris ayant entre 18 et 25 ans ou des apprentis. 17 % des enquts se rendent systmatiquement seuls dans le HR. Sils sy installent, ils ont plus de 20 ans et sont impliqus dans la vie active (7%). Sinon il sagit pour eux de prendre des aliments qui sont consomms ailleurs avec dautres convives ou mangs dans un vhicule. 75 % frquentent le HR avec des amis ou leur famille (celle-ci est reprsente par les parents ou, pour les 18-25, par la conjointe ou le conjoint et mme dans certains cas les enfants). 18

-

-

F. Le temps alimentaire dclar.

Le temps alimentaire dclar.

5%

15% Moins de 15 minutes De 15 30 minutes De 30 minutes 1 heure

42% 38%

Plus dune heure

G. La proccupation nutritionnelle85 % des 15-25 ans pensent ne pas manger quilibr quand ils vont dans les fast-foods auxquels ils associent le HR. Mais, ils lassument totalement dans le dclaratif. La prochaine dconstruction de ces rsultats bruts permettra de saisir les variations des reprsentations nutritionnelles en fonction de lge et du genre, et des implications dans certaines formes conviviales et commensales.

H. Lusage social du Hamburger Restaurant.Lusage social du burger-restaurant (dclaration spontane)Lieu de rencontre avant daller au cinma 25% 8% 11% Proximit des magasins pour faire du shopping Pour gagner du temps 12% 23% Pour se retrouver entre amis. Pour se dtendre et ne pas se prendre la tte Pour sorganiser avant une sortie

21%

Les trois derniers items simbriquent et expriment les conditions de la sociabilit dans une culture adolescente.

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3. Dconstruction des rsultats et construction du sens donn par des individus identifis selon des critres particuliers :A. Les cohortesLe rapport au HR dpend de lge et de la cohorte laquelle on appartient.

a) Les moins de 15 ans (42 personnes interroges et 7 entretiens) adorent cegenre de restauration mais ils ne le frquentent pas souvent (plutt les jours de repos et pendant les vacances). Sils sy rendent il leur apparat comme un territoire o ils peuvent sinscrire dans une sous-culture adolescente. Au-del de la fonction dautonomie que signifie la frquentation du lieu, ils disent ne pas vouloir sy rendre tous les jours. Ils aiment zapper entre diffrents types doffres alimentaires (camion, snacking et pour ceux chez lesquels elle existe, la nourriture familiale pas complique, sans se prendre la tte, simple ) et sont particulirement attirs par la street-food : pizzas, kbabs, ptes. Laliment consommable pendant une dambulation les sduit. Le burger ne leur parat pas entrer dans cette catgorie, linverse des frites. Ils savent que lquilibre nutritionnel de tous les aliments quils mangent hors domicile est sans doute mauvais, mais surtout les garons nen prouvent pas de grande culpabilit : limportant cest avant tout le plaisir, dans lequel la texture joue un rle trs important. Ils aiment le croustillant, le craquant/onctueux. Ils peroivent mal en situation les apports caloriques dune boisson et, comme leurs ans (15-25 ans, ils boivent beaucoup daliments yaourts, smoothies, sodas, jus de fruits et bires, voire alcool). Lorsquon les interroge sur le dsquilibre nutritionnel la vision est floue : le burger et son pain sont voqus comme trs caloriques (en tout cas plus que les sandwichs !), mais le ketchup ou les sauces ne suscitent pas de mfiance dans cette catgorie dge qui connat les messages nutritionnels appris lcole ou au collge mais ne projette pas leurs ventuelles consquences en termes de sant (cette difficult projeter la consquence de ces incorporations dans le futur a t repre dans les enqutes menes en amont dans le cadre du programme PNRA le ludo-aliment o les pradolescents interrogs connaissent et restituent parfaitement les principaux messages des politiques dducation nutritionnelle perue comme un enseignement didactique, une nouvelle matire sans pour autant les appliquer in situ. Cette difficult projeter la consquence prte aux incorporations est augmente par le genre, par lappartenance socioculturelle et par le degr de prcarit, toutes catgories dge confondues). Que la sant soit voque et elle est systmatiquement pose en termes de silhouette. Dans cette catgorie d'ge il arrive que l'on frquente encore le burger-restaurant en famille (cela correspond souvent des sorties pour des achats dans un centre urbain, des sorties communes au cinma ou des retrouvailles avec l'un des parents particulirement le pre 20

s'ils se sont spars). Nous sommes donc dans une phase transitoire entre un lieu investi tantt avec un statut d'enfant (au sens de fils ou fille de) le burger joue alors son rle d'aliment navette (cf. partie dveloppe ultrieurement), tantt avec un statut plus indpendant de membre d'une communaut de pairs o l'on s'initie l'autonomie, o l'on affirme sa culture adolescente . Pour renforcer cette analyse, soulignons que dans les entretiens auprs des pradolescents de 13-15 ans lorsque lon voque les pratiques alimentaires, le groupe familial reste toujours le groupe rfrent (avant les autres formes de restauration commerciales ou scolaires). Dans la catgorie dge suivante le groupe de pairs et les lieux multiples de restauration quil peut frquenter sont plus souvent cits et lemportent parfois chez de jeunes locuteurs. On comprend alors la consquence dune absence de pratiques culinaires voire alimentaires dans certaines trajectoires de prcarit sur les constructions identitaires de certains adolescents ne pouvant se rfrer initialement un modle alimentaire familial structur partir duquel ils pourraient affirmer leur autonomie.

b) Les 15-18 ans (378 personnes enqutes et 8 entretiens) essentiellement descollgiens et surtout des lycens, en pleine pubert, considrent le HR comme un lieu qui leur appartient, o ils peuvent se retrouver dans un entre-soi qui sans doute les rassure et partir duquel ils peuvent investir de faon ponctuelle et intermittente lespace urbain. Le burger assure une vritable fonction totmique qui fait systme avec la culture de marque de cette cohorte. Cela explique peut-tre que lon commence lacheter (mais toujours dans un lieu de restauration rapide o il est servi chaud pour tre transfr dans lespace privatis et non dans une logique dautarcie depuis le conglateur familial vers lespace de convivialit avec les htes et htesses) et que lon se retrouve dans la complicit dun domicile ou sur un lieu public dtourn de son sens dans une sorte de pique nique favorisant la spontanit et lexubrance o lon partage le mme type daliment sinon le mme plat. Dans les entretiens, on observe une rfrence la petite enfance o beaucoup denquts venaient avec leur famille dans le HR qui tait un endroit o lon samusait avec des nouveaux copains et copines sans que les adultes interviennent, moins que cette frquentation plus occasionnelle dans lenfance du HR soit associe aux vacances quand on partait ou quon allait faire une excursion. Le burger est aussi une madeleine , il voque des nostalgies et exprime un lien social intergnrationnel dans cette catgorie dge La sortie au fastfood tait associe un moment festif de libert, de rapport ludique laliment.

De ce point de vue nous pensons que cette offre qui s'inscrit dans ce que nous appelons une cuisine de foire (cf. Corbeau 2007a)16 correspond une volont ludique d'chapper 16

Nous rappelons ce que nous appelons cuisine de foire . Elle propose au mangeur, qui dambule sur le forum ou dans la ville, de consommer, dans une sorte danonymat protecteur gommant les manires de table, des fritures, des pts, des viandes en broche ou grilles, des cornets, etc., favorisant la dimension ludique et la facilit dappropriation de laliment. Ce type doffre culinaire et alimentaire favorise une sorte dgalit par labsence mme de codes et de marqueurs sociaux initiaux (cela peut aussi se trouver renforc dans les repas et ftes de quartier).

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des manires de table stigmatisantes, marquant les appartenances sociales des mangeurs, une volont de trouver des consensus et non, comme le propose P. Aris (2002), une rgression avec une infantilisation de consommateurs. Le genre joue un rle important chez les 15-18 ans. Les garons mangent plus et transgressent sans culpabilit les principes dquilibre nutritionnel. Comme la frquentation de ce type de restauration revt un ct festif et quil y a une certaine mise en scne de soi, on peut accepter dinvestir un comportement excessif qui attire lattention des autres. Nous verrons ultrieurement comment se dveloppent des formes particulires de sociabilit.

c) Les 18-25 ans (382 personnes interroges et 8 entretiens). Tous ne sont paslycens ou tudiants. Les logiques de frquentation diffrent. Le HR est souvent un lieu de retrouvailles pour les tudiants avant une soire ou un temps fort sportif. Elle est aussi un lieu de rendez-vous pour organiser une journe, ou une semaine (cf. dernire partie sur la frquentation du dimanche soir des RRH proximit des gares). Elle devient aussi, plutt en fin de semaine, le restaurant associ la sortie au cinma ou en bote (les deux pouvant se cumuler, lorsquil sagit de savoir comment finir la soire aprs avoir vu un film finissant entre 22 et 24 h et que lon a un petit creux). La construction des menus est marque par le genre. Les filles se surveillent davantage que les garons dans leur alimentation. Elles sorientent plus facilement vers des offres de sandwichs ou salades qui leur apparaissent plus correctes (cf. intra sur le genre). Celles et ceux qui sont salaris peuvent frquenter, le midi, avec des collgues, le restaurant dans une logique de proximit. Le soir, cette frquentation correspond plutt une soire cinma ou une sortie avec des ami(e)s que lon retrouve quel que soit le jour de la semaine. Les cadres moyens ou les commerciaux qui dmarchent aiment la restauration emporter quils consomment dans leur bureau, parfois dans la nature sil fait beau, pour faire un break , ou dans leur voiture.

d) Les 25-30 ans (39 personnes interroges et 8 entretiens). Selon leur activit etselon quils sont en couple ou non, ventuellement parents de jeunes enfants, ils frquentent les enseignes dans des logiques diffrentes. Ils ou elles peuvent venir en restauration mridienne surtout depuis que l'on craint pour le pouvoir d'achat , avec des collgues de travail sympathiques ou pour retrouver des amis travaillant proximit. On fait cela une deux fois dans la semaine, a change du sandwich ou du truc mang la va-vite .

Elle constitue pour nous une catgorie gastronomique , prsente depuis que la ville existe, aux cts de ce que Curnonsky appelait la Haute cuisine et de la cuisine affective caractristique de la cuisine familiale et se rfrant un ancrage territorial ou une histoire.

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3 personnes interroges nous ont dclar qu'avant elles allaient toutes les semaines dans une sorte de rituel d'quipe de travail dans des restaurants de grillades mais que cela faisait trop cher et que finalement, un bon gros hamburger avec des frites croustillantes, donne autant de plaisir. Pour certains dentres eux (employs, cadres moyens) cest aussi une sortie du samedi soir avant ou aprs stre fait un cinma, en couple ou, ce qui est le plus frquent, avec une bande de copains et copines (que nous pouvons interprter comme une volont de prolonger des complicits adolescentes, de sancrer dans le jeunisme au moment o lentre dans la vie pourrait induire des routines). Des enquts ayant des enfants vont le samedi midi ou le dimanche dans les restaurants o les enfants samusent. Ils considrent que ces endroits doivent tre connus de leur progniture car ils ne veulent pas tre comparables leurs parents qui avaient cr une sorte dinterdit qui empchait dtre comme toutes les autres copines du mme ge. A linverse, dautres couples parentaux sinscrivent dans une sorte de continuum qui accepte les HR comme un lieu faisant partie de la socialisation des enfants : Nous y avons eu de bons souvenirs, ctait la fte, les parents taient relax et nous aussi Alors pourquoi ne pas faire pareil avec nos enfants en gardant justement ce ct festif ? Dans cette catgorie d'ge, les femmes, qu'elles viennent seules, avec des collgues, des ami(e)s ou en famille, disent se surveiller du point de vue nutritionnel et chercher une lgret en prenant une autre offre que le menu, en simplifiant la structure du repas, en rgulant la consommation de frites (piques dans l'assiette des autres ou en prenant une portion pour deux).

e) Les plus de 30 ans (22 personnes interroges et 7 entretiens). La taille delchantillon ne permet pas de distinguer une vritable typologie de consommateurs. Contentons-nous de signaler que le genre marque cette tranche dge. Que dune faon gnrale la surveillance de soi est encore plus forte surtout lorsque la frquentation est solitaire (ce qui arrive plus souvent que dans les autres tranches dge, soit pour trouver une offre que lon connat, soit pour consulter les wi-fi sans tre regard comme un paria, soit parce qu une femme seule est moins importune dans un Quick que dans un bistro ou un buffet de gare quelconque ).

B. La catgorie dactivit.Cette dconstruction risque dtre redondante par rapport aux catgories dge dveloppes prcdemment o nous avons signal les diffrents types dactivits. Contentons nous de rappeler que cette enqute privilgie la tranche dge des 15-25 ans dans laquelle nous rencontrons des adolescents totalement dpendants (conomiquement, dans les rseaux de sociabilit, logistiquement, etc.), des parents, des adolescents en pleine dynamique dautonomisation avec toutes les incertitudes que cela peut supposer et le besoin scurisant dinclusion ou dappartenance dans une bande qui en dcoule. Cela correspond aussi des premires mises en couple perues ou non comme phmres, avec parfois 23

des enfants, des entres dans la vie crant lindpendance au quotidien (sinon lindpendance financire). Cette catgorie dge trs htrogne et traverse par des diffrences de trajectoires sociales importantes, regroupe aussi des personnes en fin dtudes ou de formations qui cherchent un emploi et connaissent parfois une grande prcarit. Elle comprend aussi des personnes qui jouissent dun bon revenu li leur travail salari (artisanal, ouvrier, employ, paramdical, etc. ; carrire sociale, enseignante, commerciale, gestionnaire, etc.) qui se fondent progressivement dans les modles adultes mais semblent attaches au HR qui constitue le territoire de leurs annes prcdentes.

C. Le genre.Concernant les 15-18 ans et surtout les 18-25 ans, les filles choisissent, de faon prfrentielle, les poissons, les salades et le poulet (sans que la filiation l'animal soit clairement perue pour l'offre des bouches de poulet). De mme, les jeunes filles de 18-25 ans sont plus sensibilises que leurs compagnons la valeur calorique des sauces et elles les utilisent avec plus de parcimonie. Elles prfrent les boissons light aux sodas authentiques, boivent moins de bires, mais oublient quelque peu les recommandations dittiques ds quil sagit de desserts et particulirement de glaces ou de milk-shakes . Nous lavons soulign ds la dconstruction des cohortes, les adolescents et les adolescentes nentendent pas les informations nutritionnelles de la mme faon. Garons et filles connaissent les dangers du trop gras, trop sal, trop sucr, quel que soit leur ge. Mais la facult dentrer dans une logique de prvention apparat de faon majoritaire bien aprs la mmorisation du message et de faon plus prcoce chez les filles que chez les garons ; en ajoutant le fait que, dans ces tranches dge, comme sans doute dans dautres, la sant est toujours perue travers le souci de la silhouette norme, ce qui une fois encore stigmatise davantage le corps fminin, plus canonis, que le corps masculin. Garons et filles ne croient pas de la mme faon ces messages. Les garons, surtout ceux qui sont sportifs, ne se sentent gure concerns. Les messages de sant passant, surtout entre 15 et 20 ans, par la silhouette, il suffit que celle-ci ne prsente pas de surpondration particulire pour que les garons, surtout sous le regard des filles, se valorisent en bousculant ce quils peroivent ce moment l comme des interdits les recommandations nutritionnelles. Par ailleurs il semble que les besoins dapports nutritionnels rclams par les garons interrogs soient plus importants que chez leurs camarades fminines (ce que les politiques dinformation nutritionnelle semblent avoir oubli) On peut noter aussi que les filles, davantage que les garons, commencent exprimer des prfrences pour une dite plus vgtarienne, ou du moins une alimentation sans viandes rouges. Lorsque la filiation lanimal est voque (zoophagie) elle provoque plus facilement chez elles un dni de consommation de chair au nom dune anthropomorphisation de lanimal moins forte chez les garons. Dans le mme temps, la simplification du dbut du repas, salade, poisson ou btonnets de poulet partags, soda light, saccompagnent dune possibilit de craquer pour un dessert en fin de repas.

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Lge des enquts, et particulirement la tranche des 15-18 ans, permet de saisir la monte dun rapport au corps rflexif plus prcoce chez les filles que chez les garons (on le peroit dj chez les moins de 15 ans). Ce type de reprsentation rflexive du corps est totalement prsent chez les adolescentes de 15-18 ans.

***Rappelons, aprs L. Boltanski, diffrentes : que cette rflexion se manifeste de trois faons

- Il sagit de rflchir la consquence de ses incorporations alimentaires sur la sant, la silhouette, lthique. Autrement dit de projeter dans lavenir son action prsente. Les filles y parviennent mieux et plus tt que leurs compagnons, cest pourquoi elles entendent et respectent mieux les campagnes de prvention de sant publique (nous constaterons que ce sont elles qui mesurent le mieux les efforts faits par Quick pour amliorer les qualits nutritionnelles des produits proposs. On doit toutefois signaler que la possibilit de se projeter dans lavenir est aussi marque par son statut social et quune situation de grande prcarit rend cette projection quasi impossible. Par ailleurs, les premires inquitudes fminines concernant la consquence des incorporations alimentaires concernent la silhouette mme la thmatique de la sant qui merge ultrieurement est imbrique dans cette gestion du corps plus ou moins normalise. La dimension thique et la monte dune forme de vgtarisme posant le problme du statut de lanimal est rcente et plus prsente chez les jeunes femmes que chez les jeunes garons. - La seconde dimension de la reprsentation rflexive du corps correspond au souci de se contrler, de surveiller son rapport pulsionnel laliment, de mdiatiser le rapport celui-ci par des manires de table ou linvention dune potique de lalimentation. Dans le cadre du HR, la simplification des manires de table, lexacerbation de la dimension ludique transgressant les codifications habituelles sont la rgle. Il nempche que les garons particulirement dans la tranche des 15-16 ans cherchent choquer les copines en thtralisant lexcs alimentaire comme une prise de risques porteuse de plaisir, alors que les adolescentes se lcheront plutt sur des desserts que sur des burgers ou des frites avec une certaine culpabilit face cette impossibilit de se contrler dans linstant. - Le dernier palier de la reprsentation rflexive du corps concerne limage de celui-ci proprement dite : miroir, mon beau miroir Limage rflchie, que lon peroit aussi dans le regard des autres rassure ou inquite, surtout ladolescence et surtout chez les filles dont le corps est plus canonis que celui des garons et qui sont soumises dans leurs consommations culturelles une plus grande multiplicit de messages concernant le respect dun idal corporel comme conformisme oblig de sduction et de russite sociale. Pour des raisons culturelles, les garons chappent davantage ces obligations qui, lorsquelles existent depuis le PNNS1 se mdicalisent et stigmatisent la surpondration comme un risque sanitaire (danger peu ou non peru par les adolescents, surtout lorsquils se trouvent impliqus dans une situation conviviale).

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D. Consommation individuelle, commensalit et convivialit.

consommation

collective,

Rappelons la distinction que nous oprons entre commensalit et convivialit. La commensalit signifie que lon mange ensemble. Cela peut tre agrable, mais aussi contraignant lorsque lon doit subir lordre dune communaut (religieuse, patriarcale, etc.) interdisant toute libert individuelle, toute transgression du code. On peut aussi, et cest ncessairement le cas ds que lon pntre dans un lieu de restauration collective, manger les uns ct des autres, sans quil y ait vraiment de communication. Libres ensemble dirait Franois de Singly ; le HR, qui ne dveloppe pas ncessairement la rflexivit concernant les manires de table et la surveillance de soi, est donc un lieu dans lequel ce sentiment de libert en mangeant ct des autres est plus ressenti que dans des restaurants toils o le mangeur devient lacteur dun thtre gourmand faisant lobjet dune valuation sociale. La convivialit suppose une communication entre les acteurs sociaux. La dynamique de celle qui nous intresse ici commence depuis le partage des mets ou des boissons. Lune des originalits des lieux de RRH rside dans leur capacit dynamiser le passage dune commensalit entre adolescents partageant dj des signes communs mode vestimentaire, objets symboliques, look, produits culturels, etc. vers une convivialit o, dans un rapport narcissique, on ose communiquer avec celles ou ceux des tables voisines, on scelle ltre ensemble par des partages de nourriture renforant ainsi un entre-soi dont nous verrons ultrieurement quil est scurisant pour sapproprier lespace urbain ou pour construire son identit.

La consommation individuelle lintrieur du restaurant est essentiellement un phnomne qui concerne les plus de 30 ans. On peut y ajouter la consommation individuelle avec le drive-in ou la vente emporter. Dans ce dernier cas, il sagit le plus souvent de diffrer le moment du partage vers un autre lieu. Ce dplacement de convivialit sapplique alors tous les ges mais plus particulirement aux collgiens et aux lycens (13-18 ans). Concernant la commensalit, elle sapplique parfaitement de nouvelles formes de sociabilits o commensalit et convivialit alternent, se superposent. La communication mdiatise est en effet accepte dans les burger-restaurants : on mange avec les autres et lon tlphone, se coupant pour un temps de la convivialit, quitte informer les autres mangeurs des informations concernant larrive ou non de celle ou celui qui tlphone. Une prsence virtuelle peut sinviter dans le burger-restaurant plus facilement que dans dautres formes de restauration. Soulignons que lorsquil y a beaucoup de convives, la logique est plutt commander des mets emporter pour sinstaller ailleurs, dehors ou dedans, selon le temps et les saisons.

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E. Frquentation, doccupation.

temps

pass

manger,

temps

Plusieurs locuteurs soulignent que le HR sait grer les flux Au RU, lorsque cest bon il y a du monde et on attend pour tre servi. Aprs, table on a la pression et on expdie vite le repas () on cherche discuter ailleurs (). Chez Quick ou McDo, cest le contraire : tu attends quand il ny a personne. L ils ne sont pas prts. Mais, bon, dans les 5 minutes maximum qui suivent la prise de commande, ils viennent servir Le temps moyen dattente dclar est de 3 4 minutes pour un menu. Dans le cas du drive-in quelques enquts (qui le frquentent des moments creux de la journe et surtout de la soire) se plaignent dune attente un peu longue. Ce sentiment est intensifi par lventuelle prsence dautres vhicules : a fout la pression, on ne prend pas toujours le temps de vrifier et cest l que lon te donne le menu que tu nas pas choisi Mais tu ten aperois trop tard. Le temps de la restauration et celui de loccupation de la table varient considrablement selon que cest un jour de congs et selon que lon est le midi ou le soir. Le temps pass manger et le temps o lon reste dans RRH sont, dans les faits, plus importants que dans le dclaratif. Il est ainsi amusant dentendre des mangeurs expliquer quils viennent dans le HR parce que cela est rapide et qui passent plus de 20 minutes manger, ce qui ne les empche nullement de rester aprs encore un bon quart dheure. En semaine, le midi, le repas (souvent menu) est consomm en 18 20 minutes mais lon reste la table, aprs, de 10 15 minutes en moyenne. Le mercredi et le samedi, le temps pass aprs le repas varie chez les 15-18 ans de 20 minutes 1h30 et chez les 18-25 ans de 10 minutes 1h. Les 200 chronomtrages que lon trouve en annexes permettent de saisir des modes de frquentation dans lesquels effectivement, si lon mange vite on reste peu de temps table alors quune consommation qui dpasse les 20 minutes saccompagne presque toujours dun temps de sdentarisation table largement comparable. Les chronomtrages ont apprhend des frquentations du Samedi soir lies la sortie (en bote, au cinma, etc.), des frquentations de jours normaux mais aussi des frquentations lorsquil ny a pas de contraintes horaires en aval (pas de cours ou RTT laissant laprs midi disponible). Il ressort de la quantification de ces chronomtrages quen moyenne, les mangeurs (qui ont attendu 3 4 minutes pour avoir leur commande) passent 20, 285 minutes manger avec un cart type de 8, 51, cest--dire que le temps de lincorporation alimentaire est comparable, voire suprieur celui que lon a dans la restauration scolaire. La diffrence est flagrante ds quil sagit de comparer le temps rest table aprs avoir mang : la moyenne obtenue dans les 200 chronomtrages tait de 25 minutes. Certes lcart type passe alors 14, 85, ce qui confirme lexistence dune minorit de mangeurs rapides et nomades et un grand ensemble, qui, en restauration mridienne, un jour

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ordinaire reste 15 20 minutes discuter aprs avoir mang (ce qui est impossible en restauration scolaire o on nous presse de laisser notre place).

F. Dehors, dedansRappelons que notre enqute sest droule de lautomne au mois de mars. Le phnomne saisonnier de la terrasse na pu tre vraiment observ, mme si des enqutes antrieures nous permettent de distinguer deux scenarios : - Celui de la rue pitonne o elle devient une vritable citadelle depuis laquelle un fragment de bande occupant une table part dans une dambulation plus ou moins longue avant de revenir et o les interpellations souvent ludiques nous paraissent au vu de prcdentes enqutes17 plus frquentes que lhiver lorsque lon est confin au-dedans et que la cohabitation laisse percevoir une forme de civilit entre les diffrents clients dorigines et dges diffrent - Celui du restaurant excentr o une pseudo terrasse donne parfois sur une galerie marchande. Les comportements ne diffrent gure, alors, de ceux du dedans car les adolescent(e)s nont pas directement accs des engins motoriss. A linverse, la terrasse en bordure de parking o lon peut se faire remarquer avec son booster, un vhicule plus important, ou la sociabilit, sans que cela ne soit jamais dclar ni sans doute pens, sinscrit davantage dans les sociabilits des teenagers nord-amricains des sixties-seventies.

G. Nomadisme, sdentarit, drive-in.Nous pensons qu partir du burger restaurant se construisent de nouvelles sociabilits dadolescents. Elles mtissent des temps de sdentarit, un lieu la table des copainscopines que lon cherche rcuprer le plus vite possible lorsquelle est inopportunment occupe o lon consomme aliments et liquides et qui inscrit dans un espace, scurise en permettant le dveloppement, depuis ce centre dautonomie, de dambulations, parfois trs courtes dans lespace et le temps, ou plus longues, un peu comme des parcours desquels il faut revenir vainqueur, aprs la qute dun objet, dun contact, dun exploit motoris, etc., exploit ou simple dtour qui trouve sa rcompense dans la consommation dune boisson, dun dessert. La vente emporter et souvent le drive-in chappent cette logique dambulatoire. On sait o la collation achete par les adolescents va tre consomme, dans quel parc, sur quel monument dune zone pitonne, etc., cet aliment partag avec dautres permettra de collectiviser lespace public urbain. Certes ce partage peut se faire dans un domicile priv ou

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Alimados auquel nous sommes associs et, depuis une dizaine dannes, des enqutes ponctuelles menes avec les tudiants tourangeaux dans le cadre de notre enseignement.

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pour des clients plus gs dans un vhicule. Dans ces deux cas la consommation de laliment permet aussi de renforcer lappropriation du lieu. Il faut toutefois pointer un usage du drive-in par des commerciaux (ou des teufeurs ) nimporte quelle moment de la journe et surtout de la nuit. Nous verrons plus loin comment, pour ces clients nomades/motoriss et solitaires, la reprsentation et les attentes de loffre Hamburger-Restaurant sont alors diffrentes des autres mangeurs du mme ge.

H. Ordinaire ou festif.La frquentation nest jamais banale pour les adolescents interrogs. Mme si elle est habituelle (plus 4 repas dans la semaine) elle nest pas perue comme ordinaire mais porte avec elle une symbolique festive quil faut sans doute attribuer au rapport ludique qui se cr avec les produits proposs, lambiance sans grande contrainte et malgr tout respectueuse de laltrit, au fait que la frquentation chez les adolescents sinscrit dans une logique de bande o lon blague avec ses semblables et renforce le lien social en aspirant un rituel dinclusion (consommer la mme marque, le mme produit) depuis une appartenance un groupe dj existant.

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4. Phnomnologie RestaurantA. La vision idologique

du

Hamburger

Comme nous lavons voqu dans notre introduction, cette restauration a fait, ds son apparition il y a quelques dcennies, lobjet de nombreuses attaques. Au-del des thmes des reproches qui existent toujours (cf. veilles documentalistes en annexes), il existe trois postures idologiques de critique lencontre de ce que ces discours hostiles continuent dappeler les fast-foods . Une premire attitude, totalement idologique, considre cette forme de restauration comme une manifestation dun imprialisme nord-amricain qui standardiserait le monde pour en tirer profit. Cette crainte repose sur la peur dune acculturation trs loigne de notre conception du mtissage18 et postule finalement une passivit du mangeur subissant des gots quil ne partagerait pas, acceptant des techniques corporelles (manger debout, etc.), de nouvelles formes de production et de distribution de la nourriture (McDonalds, leader dominant le march, symbolisant et signifiant lui seul toute une forme de mondialisation qui standardiserait les comportements alimentaires fortifie cette mfiance).Lorsquun mangeur mais cela sapplique dautres domaines est confront laltrit ou linnovation et les mutations quelles impliquent, cest--dire lorsquil est entran dans une logique de mtissage (au sens de Nouss et Laplantine dtre lun et lautre , de leau froide et de leau chaude, coexistant et non leau tide de lacculturation), nous pensons quil peut ragir selon cinq scnarios : - Refuser le mtissage au nom dune conception cristallise du patrimoine, dune obligation de reproduction sociale dun dogme niant la dimension temporelle. Il sagit dune vision hgmonique et trs ethnocentriste de plus en plus difficile assumer avec la mondialisation. - On peut refuser certaines formes de nouveauts, soit quelles ne correspondent pas nos gots aprs exprimentation, soit quelles fragilisent les quilibres prcaires de nos habitudes ou de nos croyances. Ce refus de linnovation, qui saccompagne gnralement dune demande de classifications et dallgations scurisantes, constitue une forme dexorcisme de la crise anomique quengendre la dynamique des socits et des inventions sociales. - Le troisime scnario est celui du mtissage impos. Il correspond lacculturation dune socit par une autre qui la domine conomiquement, politiquement, symboliquement, etc. Cest le scnario qui est systmatiquement retenu par une majorit dacteurs des politiques de sant ou de dfense dune identit gastronomique lorsquil sagit dvoquer le HR. - Le quatrime scnario est celui dun mtissage dsir. Le mangeur cherche de nouveaux gots, de nouvelles textures. Il veut aussi signifier des complicits qui chappent ses codes traditionnels, il pense, travers lacceptation de nouvelles formes alimentaires, sinclure dans un modle qui permet son inclusion dans un groupe, une communaut plus ou moins phmre qui, ce moment, fait sens pour lui. - Le dernier scnario est celui dun mtissage non pens qui, sans quon y prenne garde, nous fait consommer des produits aux gots diffrents, aux qualits nutritionnelles modifies, etc.

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Cf. encadr.

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Cette conception dune acculturation, dune imitation passive des modles exognes qui standardise le monde, postule aussi quil suffit de regarder les Etats-Unis pour comprendre ce qui nous arrivera dans les prochaines annes Tous les scnarios catastrophiques concernant lpidmie, la pandmie dobsit reposent sur cette croyance. Frquentant peu ou pas le HR franais, des spcialistes le peroivent travers les visions strotypes dune frquentation et dune offre nord-amricaine (on pense Super Size Me) oubliant la diffrence de rapport lalimentation qui distingue les Franais, comme un certain nombre dEuropens et dautres pays, des nord-amricains et de leurs habitudes alimentaires. Il est difficile de se dbarrasser de cette croyance Ds les annes 90 des auteurs (que lon associe plutt la dfense dune haute cuisine gastronomique ) soulignaient en toute honntet Ce nest pas parce que la pieuvre de lamricanisation stend partout, et est partout victorieuse, que le fast-food triomphe ; cest parce que lvolution naturelle de notre socit nous y amne. Jen dirais autant des jeans, du pop-corn ou du chewing-gum. Nous ne sommes pas pour autant plus amricaniss que nous ne sommes italianiss en mangeant une pizza, ou siniss en dgustant un potage aux nids dhirondelles 19. Les Franais, les Italiens et mme quelques autres europens ne sont pas disposs consommer, comme les amricains, des hamburgers 10 heures ou 17 heures. Cest pourquoi, 12h30 prcises, des queues se formrent devant les restaurants (Il sagit de Disney Land Europe) (.) Les organisateurs avaient surestim20 la souplesse et la dstructuration des habitudes alimentaires des Europens . Toutes les informations, tous les propos recueillis dans cette tude confirment les constatations faites par ces deux auteurs (nous aurions pu en citer dautres) il y a maintenant une vingtaine dannes. Il faut alors sinterroger pour savoir si la persistance de cet imprialisme amricain justifiant la mfiance ou le refus ne peut tre impute aux deux autres visions idologiques du HR

La seconde posture de refus du HR concerne la crainte de produits trangers notre culture gastronomique . Le HR serait le cheval de Troie permettant leur entre dans le paysage franais : aprs le burger (plus amricanis dans les reprsentations que le sandwich), ce seront le soda particulirement au cola puis le ketchup, les bouches au poulet, etc. Cette crainte dtre accultur et non mtiss (cf. encart en intro) simbrique dans celle des produits agro-industriels : le HR ne serait pas un lieu de distribution daliments exotiques fabriqus artisanalement cest--dire suggrant une certaine proximit entre les acteurs de la production du mets et le mangeur comme le thtralisent les points de vente de sandwichs, de viennoiseries et certains bistrots fournisseurs de plats fabriqus ailleurs mais un lieu anonyme, celui dune innovation dont lhyginisme sinterprte alors comme source dinsipidit.19

Lo Moulin, op. cit, page 46. C. Fischler, in Flandrin, p. 878

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Ce qui est redout ici est moins le risque dacculturation que celui de linnovation. L encore, ces produits dsigns comme novateurs existent pour beaucoup dentre eux depuis des dcennies : les adultes daujourdhui les ont consomms lorsquils taient enfants.

La troisime attitude qui sous-tend les attaques idologiques contre le HR est incarne par Paul Aris21 : Chacun peut dsormais manger librement, avec les mains, debout, dans nimporte quel ordre, en faisant du bruit, en sempiffrant, etc. McDonalds fait ainsi de chaque mangeur le fils de la Mre, peu regardante ou exigeante sur la faon de passer table mais avide de plaire ses enfants (). Le mangeur entretient avec le produit une relation maternelle de type fusionnel l o auparavant il dveloppait une relation paternelle objectale 22. Le fast-food apparat alors comme lexemple type de rgression de lalimentation23, loutil dinfantilisation du mangeur. Rgression des gots avec un petit nombre daliments plus ou moins gadgetiss, rgression dans les manires de table, abandon des couverts, couteaux et fourchettes Cette attitude de condamnation du fast-food est amplifie par lacceptation un peu rapide du phnomne du best-of Jean-Pierre Poulain24 et Laurence Tibre soulignent avec pertinence que la modernit alimentaire condamne par P. Aris et G. Ritzer25 nest pas rductible au ftichisme et la rgression. Ils reprennent les travaux de Stephen Mennell26 pour lequel paralllement lhomognisation dont les fast-foods seraient lexemple type on observe aussi un accroissement de la varit alimentaire : La diminution des contrastes et laugmentation de la varit ne sont que les deux facettes dun mme processus 27. Cest le phnomne du best-of particulirement visible dans loffre alimentaire des menus des fast-foods. Phnomne que J.P. Poulain, L. Tibre peroivent dune faon moins ngative que S. Mennell en renforant lide de C. Fischler pour qui Ce serait une erreur de croire que lindustrialisation de lalimentation, le progrs des transports, lavnement de la distribution

21

Cf. P. Aris, Les fils de McDo. La McDonalisation du Monde, LHarmattan, Paris, 1997 et La fin des mangeurs, Descle de Brouwer, Paris, 1997.22

Op. cit, p. 83.

23

Nous ne partageons pas cette interprtation ngative et psychologisante et lui prfrons celle dune dimension ludique prsente dans la cuisine de foire (cf. encadr ) depuis que la ville existe et que les hommes cherchent des convivialits simples chappant au maximum des codifications exprimant des diffrences de statuts sociaux.24

JP. Poulain, L. Tibre, Mondialisation, mtissage et crolisation, in Cuisine, alimentation, Mtissages sous la direction de J.P Corbeau, Bastidiana, n 31-32, Dcembre 2000, pp. 225-242.25

G. Ritzer, The MacDonalization of society, Pin Forge Press, Californie, 1995. S. Mennell, Fanais et Anglais table, du Moyen-Age nos jours, Flammarion, Paris, 1985. Op cit. P.460

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de masse ne peuvent que dsagrger et araser les particularits locales et rgionales 28 et en renvoyant notre conception du mtissage (cf. encadr). Pour terminer lanalyse de la vision idologique ngative des fast-foods, nous voudrions reprendre succinctement quelques thmes dvelopps par les trois postures et mettre en parallle les rponses quun sociologue observant les comportements alimentaires peut leur opposer. Au-del de lanti-amricanisme, de la peur des produits exotiques (qui sont aussi des produits agro-industriels signifiant une innovation que lon apprhende), de linfantilisation du consommateur et du phnomne prtendu acculturant du best-of, deux arguments mergent systmatiquement depuis des annes : dune part les fast-foods dstructurent la journe alimentaire et la conception traditionnelle du repas la franaise. Dautre part ils engendreraient un mal nutrition en ne proposant que des produits trop gras, trop sals, trop sucrs, etc. et en favorisant des absorptions monstrueuses rsultant de cette drgulation du rapport aux aliments eux-mmes trop sduisants dans leurs gots et textures. Aprs avoir observ les 15-25 ans dans leur pratique du Hamburger-Restaurant (ainsi que dautres catgories dge en priphrie), nous pouvons rtorquer que les rythmes alimentaires y sont respects : on sy retrouve pour se restaurer aux heures quasi traditionnelles des repas. La littrature sociologique (L. Moulin, C. Fischler, J-P. Poulain, L. Ossipow, etc.) confirme quil ny a pas drosion de ce modle puisque cette stabilit des pratiques commensales ou conviviales tait dj repre il y a plus de 20 ans. On peut, bien sr, sy retrouver dautres moments de la journe o le Hamburger Restaurant pour les adolescents et les jeunes adultes devient le lieu de rendez-vous, dinvention de sociabilit, assumant ainsi dans lespace urbain ou suburbain la fonction joue par le caf/bistrot pour des gnrations prcdentes. Concernant la simplification du repas, elle nest pas plus prsente que dans dautres formes de restauration qui prolifrent dans lespace urbain (cf. travaux de J.P. Poulain). Le Hamburger Restaurant tant trs majoritairement par les adolescents interrogs considr comme une forme de restauration table, on occulte la dimension daliment dambulatoire et unique que peut revtir le burger ; on prend le temps de manger, de consommer un menu ou de se combiner un plateau et de se faire plaisir (voir encadr). De ce point de vue, la street-food participe davantage la simplification du repas mme si elle ne dstructure pas autant que daucuns le prtendent les rythmes alimentaires29. On retiendra comme une piste de lecture des frquentations dHamburger-Restaurants pour sy restaurer en dehors des squences traditionnelles, limpact dune vie nocturne qui dcale et qui se constate pendant le temps des vacances o la fin de semaine.28

C. Fischler, LHomnivore, p. 190

29

Cf. V. Quantin, La bouffe de foire, o les enqutes menes dans diffrentes villes Poitiers, Niort, La Rochelle, montrent que les mangeurs franais frquentent essentiellement aux heures des repas, les sandwicheries, les camions de pizza, de kebabs, etc. Seuls les touristes (souvent britanniques ou amricains) frquentent en continu loffre de street-food La Rochelle, rejoints par des ado ou de jeunes personnes noctambules qui se nourrissent nimporte quand dans la journe, puisque se rveillant plutt laprs midi.

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Nous navons pas observ dabsorptions monstrueuses dans ce type de restauration. Largument, souvent donn par les adolescents : manger beaucoup reviendrait trop cher. Par ailleurs les frquentations sont gnralement collectives, dans un espace clair o le regard des autres provoque des formes de rgulations interactives. On notera aussi que les rituels dexcs de ces nouvelles gnrations se sont dplacs vers les consommations dalcool (binge drinking, etc.) et que celles-ci se droulent ailleurs, dans des recoins collectiviss de lespace public, dans des ftes ou dans les domiciles privs. A ce sujet, les incorporations gigantesques qui nous ont t relates ou auxquelles nous avons parfois assist, taient toujours des incorporations hors restaurant de produits bon march achets ici ou l pas ncessairement de junk food dont lquilibre nutritionnel paraissait trs improbable...

B. Linstitutionnalisation gastronomique , clair-obscur de nouvelles offres de la street-food ou de lagro-industrie.Pour continuer cette phnomnologie des Hamburger-Restaurants, nous voquerons rapidement leur institutionnalisation dans le modle franais. Il rsulte dune sorte de clair-obscur . Dans le mme temps quils existent depuis plusieurs gnrations, quils nous deviennent familiers, quune majorit de mangeurs, mme en les frquentant peu, y associe de bons souvenirs, dautres formes de restauration apparaissent : street-food plus exotique (asiatique, tex-mex, africaine, etc.), plus dambulatoire (box-ptes, dnner-kebabs, snacking, etc.), tantt perue comme assez quilibre (salades et sandwichs qui finalement revalorisent loffre des Hamburger-Restaurants), tantt perue comme une sousmalbouffe (camions, friteries, etc.) quil faut viter. Alors, le Hamburger-Restaurant se patrimonialise . Il devient, sinon un lieu de tradition car on peroit les nouvelles propositions gustatives dans les menus, un lieu o linnovation est acceptable, avec une marque qui rassure, un accueil auquel on est sensible. Il est un lieu o les techniques corporelles pour manger sdentarisent, sans que cela tourne la contrainte, o lon est bien install. Les efforts nutritionnels sont perus, surtout par les femmes qui comparent avec les autres offres. On apprcie la diversit propose. Bref, ce double phnomne, avec - dun ct leur reconnaissance lie lexistence depuis plusieurs dcennies et leur appropriation par plusieurs gnrations de mangeurs, - dun autre ct ce dplacement de la modernit alimentaire vers des offres trs trop surprenantes, peu confortables frquenter en tout cas jamais vcues comme exceptionnelles et festives linverse du HR et perues souvent (sauf quelques produits vgtariens et sandwichs territorialiss que nous mentionnerons plus loin) comme plus dangereuses pour la sant. ancre le HR dans le modle alimentaire franais.

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C. La frquentation modre comme inscription dans son temps.Le dernier point permettant de saisir cette phnomnologie du Hamburger-Restaurant, qui linclue progressivement dans la gastronomie nationale un peu comme le couscous qui est devenu un classique de la cuisine franaise dans lesprit des mangeurs est le fait qu linverse des Etats-Unis, les personnes que nous avons interroges nimaginent pas frquenter tous les jours les HR pour sy restaurer. Comme nous avons dj eu loccasion de le souligner, la frquentation des HR est toujours vcue comme festive par nos locuteurs. Ce caractre lui est confr, entre autres, par son aspect intermittent. Il faut se dbarrasser des reprsentations dun mangeur inscrit dans un seul modle alimentaire. Les usagers des HR, particulirement les adolescents que nous avons privilgis dans cette tude, sont des mangeurs pluriels. Ils zappent entre diffrentes formes de restauration. A ct du HR, ils frquentent aussi la restauration scolaire, la cuisine familiale (quils apprcient) ; ils se lancent de plus en plus dans la confection de plats quils partagent avec des proches (certains dcouvrent avec plaisir lacte culinaire grce des missions de TV mais surtout grce des blogs ou des sites comme Marmiton). Ce retour de lacte culinaire conciliable avec la frquentation ponctuelle des HR est dautant plus visible que des adultes ont cuisin ou cuisinent dans leur environnement et que cette activit est prsente comme crative ou patrimoniale, ce qui narrive malheureusement pratiquement jamais dans les catgories sociales les plus dfavorises. Cette constatation mrite dtre pondre car si collgiens, lycens et tudiants frquentent (avec des avis partags, cf. Annexe 3.) la restauration scolaire, un certain nombre dentre eux nont pas la chance davoir des parents ou des grands-parents prparant des petits plats . Ils cherchent alors des offres de substitution (snacking, viennoiseries industrielles, etc.) qui ne grvent pas leur budget et qui, dans le contexte franais, sont sans doute beaucoup plus responsables, au mme titre que linactivit physique, de la construction de pathologies alimentaires. Ces adolescents ou ces jeunes personnes peuvent aussi cumuler labsence dacte culinaire dans le domicile avec une grande prcarit. Dans leur discours ils parleront beaucoup des HR mais, en observant leur pratique, on constate quils ny mangent pas souvent des burgers (cela est trop onreux pour eux). Sils en consomment il sagit de produits surgels achets petit prix. Le HR est frquent, mais on y mange peu, sauf pour une sortie hebdomadaire. Il ne saurait tre les premiers responsables du dsordre alimentaire crateur de pathologies comme on lentend souvent. Concernant cette frquentation modre, il nous faut revenir sur des dclarations de parents (ayant moins de 25 ans ou plus) partiellement rapportes antrieurement qui considraient que leur progniture devait connatre et frquenter le HR, soit pour ne pas reproduire le modle du dni dont ils avaient t victimes dans leur jeunesse, alors que les grands parents, maintenant, sont beaucoup plus tolrants avec les petits enfants, soit pour crer une complicit avec leurs enfants, sans doute sinscrire souvent leur insu dans un jeunisme ou du moins dans des souvenirs renforant leur identit Mais il faut aussi 35

signaler le tmoignage de parents nous expliquant quils vivent dans de petits espaces et quils ne peuvent y recevoir tous les copains et copines de classe de leur fils ou fille au moment des anniversaires : Le Quick devient une bonne formule surtout lhiver entre le parc et le restau (). Un espace o les mmes se sentent bien, mais o il y a un vrai rituel de partage (). Ca leur fait des souvenirs, alors pour une fois on peut oublier lquilibre alimentaire, cest pas pire que les gros gteaux et les crmes que faisait ma grand mre et qui finalement ne mont jamais fait grossir.

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5. Reprsentation des produitsA. La perception de leffort nutritionnel.Les informations affiches sont vues. Les femmes y sont plus sensibles que les hommes et cela augmente avec lge. Les jeunes filles de moins de 25 ans et les femmes de plus de 35 ans disent que loffre permet de manger quilibr. Labsence de sel a t bien perue par elles, comme un signe trs visible dengagement dans le PPNS. Loffre en poissons et les salades satisfont cette clientle fminine qui, dans un systme imbriquant dittique et got disent leur prfrence pour les btonnets de poulets. Plusieurs jeunes femmes dans les entretiens regrettent que des petits menus ne soient pas proposs. Les adolescents (garons) ne viennent pas l pour respecter les conseils nutritionnels mais pour avoir du plaisir (les qualits nutritionnelles des mayonnaises et sauces sont mal perues par eux, mais ils se modrent sur le sel et les sodas). Garons et filles de 15 25 ans regrettent souvent la glace trop importante mise dans les gobelets servis.

B. Filiations religieuses et zoophagie ?Rappelons, la suite de Nolie Vialles, la diffrence entre les zoophages et les sarcophages . Les premiers sont des mangeurs qui font la filiation lanimal lorsquils consomment sa chair ou lorsque, dans la filire du manger, ils font lacquisition dun morceau cuisiner (de ce point de vue la dcoupe qui voque souvent la morphologie premire dans la tradition bouchre franaise renforce la conception zoophage plus ou moins associe, aussi, une proximit entre le monde des leveurs la campagne et celui des consommateurs). Les sarcophages apparaissent dans notre socit avec lurbanisation et une rupture entre lanimal bte viande et lanimal de compagnie qui santhropomorphise. Les sarcophages ne peuvent ou ne veulent pas imaginer lanimal dont ils consomment la chair. Ils y parviennent en valorisant les hachis, les brochettes, les lanires (dans une tradition bouchre asiatique qui est assez sarcophage). Cest dans ce contexte que les burgers, chili, sauces, pizza, ptes bolognaises, raviolis, bouches au poulet, sushis, etc. se dveloppent.

Du point de vue du sociologue, on sinterroge sur la mise en avant de lHalal. Cela prsente sans doute des intrts de dveloppement de clientle (cf. veille annexe 2) mais cela prsente aussi quelques risques ou effets pervers.

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Dabord, chez des mangeurs non musulmans, la rfrence lHalal renforce la filiation lanimal. Elle voque ncessairement les conditions dabattage qui, dans une logique sacrificielle (comme pour la viande casher), peuvent associer des images de sang jaillissant de la gorge. Le burger, voire les btonnets de poulet, taient jusque-l des plats, des produits sarcophages trs protgs par la marque ou le nom que celle-ci donnait leur mode de prparation et de prsentation. Tout coup ils rsultent de labattage dun animal et cela peut encourager, dans le contexte actuel, un refuge sur des positions plus vgtariennes . Nous lavons constat dans les entretiens avec plusieurs adolescentes (mais aussi chez deux tudiants qui taient assez sduits par les thses anti-spcistes tout en continuant manger des produits sarcophages ) mais aussi avec des locutrices un peu plus ges. Ensuite, nous avons constat dans des entretiens avec des 15-20 ans que plusieurs personnes dun islam modr modifient leur rapport laliment selon la situation de consommation et le groupe dappartenance, la communaut qui sy associe30. Dans la famille, la viande consomme est ncessairement Halal : elle fait partie de lidentit culturelle et familiale. Dans la restauration scolaire on va vers des plats sans problme, carrs de poisson, ptes, grosses salades, pain, etc. Et lorsque lon est dans le HamburgerRestaurant, on fait comme tout le monde, comme le groupe, on mange un Giant ou un Big Mac. Bien sr, quand on sait quon est tous musulmans, on va plutt chez un petit marchand de kebabs, on sait que sa viande est bonne et halal. Cela est pos de faon plus forte par de jeunes musulmans de 20-25 ans qui napprcient pas forcment les enjeux commerciaux lis la religion et qui sinterrogent dun double point de vue : Cest de llevage industriel et donc cela ne peut pas tre Halal puisque lanimal nest plus respect comme dans une logique sacrificielle souligne un premier locuteur suivi par un autre qui finalement boycotte le produit Halal : Chez KFC ils disent que le poulet est halal, alors beaucoup de personnes y vont, a leur donne bonne conscience, mais moi je trouve que cest trop gras et de mauvaise qualit alors on maura pas avec des arguments comme a (). Manger Halal a pose le problme de la confiance, a peut pas tre grande chelle .

C. Le Got et les textures.Nous pouvons tmoigner en tant quobservateur des frquentations de HR, animateur de petits focus groupes avec les tudiants tourangeaux et analyste dentretiens, que chaque enseigne de HR fait lobjet dune valuation, comme nimporte quel autre restaurant. Il faut se dbarrasser de limage dun mangeur qui consommerait passivement son menu, quelle que soit lenseigne.

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Cela a t constat aussi par les chercheurs des quipes du programme Alimados. Cf. Les adolescents musulmans et le Halal, Julie Lior et Christine Rodier, in Cahiers de lOCHA n14, pp. 3346.

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McDonalds a ses fans, tout comme Quick et dans une moindre mesure KFC (dont les produits sont gnralement jugs trop gras, avec un ct trop piquant qui devient parfois suspect). Si lon reste au niveau des textures et du got (qui sans doute forment aussi un systme avec la dimension nutritionnelle plus prsente que les adolescents ne limaginent), les clients de Quick y vont pour le got (particulirement des btonnets de poulet). Ils trouvent que loffre est plus importante que chez McDonalds et que les saveurs des burgers sont plus varies. Viandes et garnitures sont perues comme plus copieuses. Concernant la texture des frites que lon veut croustillantes et pas trop petites, parce quelles deviennent trop dures. Elles paraissent sches quand tu les prends mais elles sont encore plus grasses quand tu les manges, les enquts dclarent que cela varie dun restaurant lautre : Sur le reste tu as un got Quick, un got McDo, ou KFC : les yeux ferms tu reconnais si tu manges un Big Mac ou un Giant, par contre, les frites il y a un Quick o elles seront bonnes et puis un autre cest moins bien. Pareil pour les McDo ; et puis le lendemain ce sera meilleur. Je pense que a dpend des sacs de surgels et surtout de la temprature et du temps que celui qui est en cuisine mettra. Un autre sujet de discussion des prfrences concerne la texture du pain un peu lourd, pas suffisamment croustillant, pour beaucoup dadolescentes qui prfrent celui de McDonalds. Au contraire, des garons trouvent que le pain de Quick correspond mieux leurs attentes : Quand tu manges ton menu tu nas pas faim deux heures aprs. Chez Mc Do cest moins copieux et a peut arriver. Les salades et les poissons de Quick plaisent, particulirement aux filles. Concernant les desserts, aucune vritable distinction nest faite entre Quick et McDonalds. Rappelons que de nombreux enquts ont soulign que tous HR confondus, les boissons servies comportent trop de glaons, cela dilue le got et puis quand cest des sodas rapidement ils ptillent moins et cela devient dsagrable boire.

D. le prixCe sont les tudiants qui sont les plus critiques par rapport au prix des produits des HR. Pour eux, cest moins intressant quau restaurant universitaire mais ils corrigent tout de suite en remarquant que celui-ci bnficie de financements qui diminuent le prix du ticket. Dans le mme temps, ils apprcient la possibilit davoir des rductions avec la carte tudiante payer un euro de moins ou avoir un burger supplmentaire pour le mme prix (offre qui connat un grand succs auprs des garons). On a une sorte de paradoxe : les tudiants trouvent les HR assez chers mais pas pour eux, juste pour ceux qui paieraient le max ! Les lycens qui considrent la frquentation du HR comme festive ne trouvent pas ncessairement le prix lev, surtout que tu peux regagner un peu avec la place de cinma.

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Daucuns se contentent, lorsque largent de poche est rare, de boire un coup avec les autres, de partager des portions de frites (plutt les garons), une salade ou un dessert (plutt les filles). Les 18-25 ans qui sont salaris ngocient des tickets restaurant. Ils peuvent utiliser le drivein, se rendre au HR avec des collgues en restauration mridienne cela se passe 1 2 fois par semaine. Ils alternent avec des formules plus simplifies (street-food, snacking ou prparation apporte du domicile) qui permettent des conomies et le weekend ou certains soirs de sortie, ils frquentent dune autre faon, en dpensant davantage le HR. Nous avons eu un dbat intressant dans un focus groupe o se comparait le prix des HR et celui des street-food. Il ressortait que les boissons taient, pour ces tudiants, les responsables du prix assez lev des HR. Boissons qui ne sont pas obligatoires comme dans le menu lorsque tu achtes un camion ou une boulangerie. Si tu prends lquivalent dun menu Quick, ce serait plus cher, mais tu nes pas oblig Finalement ton manque dargent te permet de respecter les conseils style buvez pas trop sucr

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6. Nouvelles formes de sociabilitLtude que nous avons mene auprs des adolescents ou de jeunes entrant dans la vie, gs de 13 25 ans, donnera lieu dans les mois qui viennent plusieurs communications dans des colloques scientifiques et une grande partie de ces communications apprhendera linvention des nouvelles formes de sociabilit qui se construisent lintrieur ou depuis les Hamburger-Restaurants. Nous nous contenterons ici de prciser quelques pistes (par ailleurs largement suggres au fil des analyses prcdentes).

A. Lancrage et le rseau.La premire constatation concernant les nouvelles formes de sociabilit qui sinventent aujourdhui est le mtissage qui sopre entre un dsir de sdentarisation et la possibilit de le concilier avec un nomadisme, des formes de dambulations, nous dirions des dtours puisqu la fin de litinraire on revient au point de dpart. Lespace du Hamburger-Restaurant est propice au dveloppement de ce mtissage chez les 13-18 ans. On y vient en groupe nous alli