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MINISTÈRE DE L’ÉCONOMIE ET DES FINANCES MINISTÈRE DU REDRESSEMENT PRODUCTIF TÉLÉDOC 792 120, RUE DE BERCY 75572 PARIS CEDEX 12 N° 2012/24/CGEIET/SG RAPPORT Les besoins en bande passante et leur évolution Etabli par Emmanuel SARTORIUS, Ingénieur général des Mines Dominique VARENNE, Contrôleur général économique et financier Maurice SPORTICHE, Administrateur civil hors classe, chargé de mission Décembre 2012

RAPPORT Les besoins en bande passante et leur évolution · - Pour le mobile, évolution de 60% par an. ... Contrairement à ce qui se passait historiquement dans le réseau téléphonique,

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MINISTÈRE DE L’ÉCONOMIE

ET DES FINANCES

MINISTÈRE DU REDRESSEMENT

PRODUCTIF

TÉLÉDOC 792 120, RUE DE BERCY 75572 PARIS CEDEX 12

N° 2012/24/CGEIET/SG

RAPPORT

Les besoins en bande passante et leur évolution

Etabli par

Emmanuel SARTORIUS, Ingénieur général des Mines

Dominique VARENNE, Contrôleur général économique et financier

Maurice SPORTICHE, Administrateur civil hors classe, chargé de mission

Décembre 2012

SYNTHÈSE

L’évolution du trafic Internet a été très importante depuis les années 2000 et son essor ne fait que s’accroître, tant sur les réseaux fixes que sur les réseaux mobiles.

L’évolution de ce trafic présente de nombreuses caractéristiques :

- Une asymétrie du trafic montant et descendant de l’ordre de 1 à 3 aux débuts d’internet et désormais de 1 à 7 ou 9.

- Un usage du grand public comme moteur du développement, les entreprises ne représentant que 10% du trafic.

- Des besoins du public qui évoluent des réseaux fixes vers les réseaux mobiles.

- Des normes techniques qui ne permettent pas une utilisation optimale de la bande passante par tous les acteurs.

- Des modèles de tarification qui ne dépendent pas entièrement des flux réellement utilisés et donc une difficulté à valoriser le trafic

Le trafic total à l’heure chargée des opérateurs de réseaux est de l’ordre de 4 térabits/s pour les réseaux fixes et de l'ordre de 40 gigabits/s pour les réseaux mobiles, soit 1 % du total seulement, cette proportion pouvant toutefois aller jusqu’à 5% du trafic pour certains opérateurs,

Par ailleurs le trafic internet est très concentré :

- Sur quelques fournisseurs de contenus : 25 de ceux-ci concentrent 80% du trafic.

- Sur une minorité d’utilisateurs : 20% des abonnés représentent 90% du trafic.

Les prévisions en matière de trafic prévoient une augmentation considérable dans les prochaines années :

- Pour le fixe, augmentation de 30 à 35% par an ;

- Pour le mobile, évolution de 60% par an.

Le total du trafic pourrait aller jusqu’à 9 térabits/s à l’heure chargée d’ici à 2015 et l’asymétrie se creuserait jusqu’à un ratio de 1 à 30.

Si l’accroissement de ce trafic ne semble pas poser.de difficultés techniques particulières, il nécessite des investissements complémentaires qui pourraient se révéler difficiles à soutenir pour certains acteurs compte tenu de la conjoncture.

Dans ces conditions, pour s’assurer que tous les acteurs puissent affronter l’accroissement du trafic dans des conditions équitables, le paiement par les abonnés d’une part du volume de données qu'il échange réellement, ainsi que l’encadrement du peering payant apparaissent comme des pistes à explorer.

SOMMAIRE

1 - Le constat ..................................... ............................................................................1

1.1 - Quelques caractéristiques de l’évolution........... ...................................................... 2 1.1.1 - Vers une asymétrie toujours plus importante du trafic ......................................... ..............2 1.1.2 - Un usage du grand public, moteur du dévelop pement du trafic ................................... .....3 1.1.3 - Des besoins qui évoluent des réseaux fixes vers les réseaux mobiles ............................3 1.1.4 - Des normes techniques encadrées vers une multitude de standards...............................4 1.1.5 - Des modalités de tarification qui bouleversent la d onne économique..............................5 1.1.6 - Les paradoxes de la neutralité d’Internet.......... ....................................................................6

1.2 - Les éléments chiffrés .............................. .................................................................. 7 1.2.1 - La mesure du trafic à l’heure chargée .............. .....................................................................7 1.2.2 - Un trafic concentré sur quelques fournisseurs de co ntenus ............................................. 7 1.2.3 - Des trafics concentrés sur une minorité d’utilisate urs ................................................ .......8 1.2.4 - Une multitude de moyens d’accès qui accroît le traf ic consommé....................................8 1.2.5 - Un débit fourni à l’abonné en augmentation constant e ......................................................9 1.2.6 - Des équipements toujours plus puissants pour un pri x moins élevé ...............................9

2 - Les prévisions ................................. .......................................................................10

2.1 - Les prévisions des opérateurs de communications éle ctroniques ..................... 10

2.2 - Les prévisions des équipementiers (CISCO) .......... ............................................... 11

3 - Les impacts.................................... .........................................................................13

3.1 - Une évolution technique soutenable................. ..................................................... 13

3.2 - Un effort d’investissement important............... ...................................................... 14

3.3 - Un environnement peu propice à cet effort supplémen taire ................................ 15

4 - Les scenarios possibles ........................ ................................................................16

4.1 - L’augmentation de l’ARPU peut permettre de fa ire face aux besoins d’investissement dans la capacité des réseaux ...... .............................................. 17

4.2 - L’officialisation d’un peering payant .............. ........................................................ 17

1

Le présent rapport a pour objet d’apporter un éclairage sur la problématique du besoin en bande passante des réseaux de communications électroniques.

En accord avec l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), l’étude vise, d’une part, à analyser le besoin passé et actuel en bande passante, ainsi que les évolutions nécessaires prévisibles pour répondre à l'évolution des usages des services de communications électroniques, d’autre part, à analyser l’impact de ce besoin en bande passante tant sur le plan technique que sur le plan économique.

Les évolutions étudiées portent sur l’ensemble des réseaux existant des opérateurs à l’exception du réseau de desserte fixe. L’option prise pour ce dernier est de considérer que le réseau de cuivre reste pertinent et ne soulève pas de problèmes particuliers autres que ceux déjà existants pour les zones mal desservies. Les problématiques liées à la desserte du territoire en fibre optique ou au développement de la 4G relèvent d’autres analyses.

Par ailleurs, les analyses ci-dessous portent essentiellement sur le trafic internet proprement dit, moteur du besoin en bande passante du fait de ses caractéristiques et de son essor. En effet, même si tout le trafic tend à devenir IP, il convient de distinguer les trafics données des trafics voix. Ces derniers sont stables, voire en décroissance concernant le fixe national, ou en augmentation raisonnable concernant le trafic international et n’engendrent pas de besoin spécifique en bande passante, autre que les évolutions naturelles dans le monde des communications électroniques. En revanche le trafic internet subit des modifications considérables et peut nécessiter des évolutions importantes des réseaux, au-delà des évolutions ordinaires. Dans ces conditions, les rapporteurs ont ciblé les analyses sur le trafic internet proprement dit, rejoignant en cela les préoccupations des acteurs interrogés.

Pour mener à bien cette étude les rapporteurs ont pris contact avec les principaux opérateurs de réseaux en France, qui leur ont fourni des informations utilisées dans ce rapport sous une forme agrégée. Ils ont également tenté de prendre contact avec les fournisseurs de contenus, par l’intermédiaire de l’ASIC, sans succès, de même qu’avec des hébergeurs importants. Par ailleurs ils ont également contacté une association de consommateurs.

Enfin les rapporteurs ont rencontré un constructeur, CISCO, en raison de la notoriété de ses prévisions de trafic.

1 - Le constat

Le besoin en bande passante des réseaux de communications électroniques est étroitement lié à l’évolution de l’offre de services, qui repose elle-même sur l’usage qui est fait de ces services. Alors que, jusque dans les années 2000, le téléphone restait le principal service qui empruntait les réseaux de communications électroniques, on assiste depuis, avec l’éclosion puis le développement d’Internet et de la télévision par ADSL à une croissance du besoin en bande passante par utilisateur sans commune mesure avec ce qu'elle a été dans le passé. Les nouvelles pratiques professionnelles comme le cloud computing participent également de cette évolution.

Les évolutions du trafic Internet sont caractérisées par plusieurs éléments parfois indépendants les uns des autres, mais qui concourent tous à une augmentation des besoins en capacité.

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1.1 - Quelques caractéristiques de l’évolution

L’explosion de l’usage d'Internet, depuis le début des années 2000 et l’introduction du haut débit a non seulement accru le besoin en bande passante des réseaux de communications électroniques, mais également modifié en profondeur les caractéristiques et les segmentations observées jusqu’alors ainsi que le comportement des utilisateurs.

1.1.1 - Vers une asymétrie toujours plus importante du tr afic

L’asymétrie du trafic Internet est intrinsèque aux fonctionnalités principales du web.

Lorsqu'on examine les flux de messagerie entre deux personnes, flux qui peuvent se comparer à un échange téléphonique, ceux-ci sont sensiblement symétriques, comme pour le service téléphonique. Cependant le poids considérable des spams dans le trafic total (90 %) détruit toute symétrie dans l’échange.

La consultation de sites sur le web est également asymétrique par nature, car la requête ne représente qu'un volume de données très faible en regard de celui reçu en retour.

Jusqu'en 2008 on a pu considérer que cette asymétrie originelle, et inhérente au trafic Internet, se situait dans un rapport de 1 à 3.

Depuis lors, la généralisation des échanges d'images animées (vidéos), qui constituent de très loin le gros des volumes échangés

1, ne fait qu'accentuer encore plus cette asymétrie :

pour une petite requête (le titre d'un film sur un site comme YouTube ou Daily motion) de quelques kilooctets au maximum, l'internaute reçoit plusieurs gigaoctets de données. Ces images animées se retrouvent désormais partout et vont de quelques dizaines de secondes, dans les spots publicitaires qui envahissent de plus en plus tous les sites commerciaux à une heure ou plus (films, concerts, ...). Même si l’envoi d’images et de vidéos progresse également dans les échanges entre particuliers, l’essentiel de la forte augmentation provient des flux toujours croissants de téléchargement ou de streaming, que ceux-ci soient légaux ou non.

On peut considérer que le déséquilibre entre les trafics montants et descendants varie aujourd’hui, selon les opérateurs, dans un rapport de 1 à 5, voire de 1 à 7, et que la prévision d’évolution conduit à un accroissement de cette asymétrie, du fait du développement extrêmement rapide du trafic vidéo.

Une telle asymétrie n’est pas en soi problématique, mais les conditions financières de l’échange de données entre opérateurs deviennent essentielles, compte tenu de la nécessité d'installer des capacités toujours plus importantes pour écouler ce trafic. Or les échanges sur Internet ne se font pas de façon répartie entre plusieurs opérateurs de communications électroniques sur le territoire national, accueillant à la fois des fournisseurs de services et des utilisateurs, ce qui permettrait de rétablir un équilibre global des flux. Ils sont au contraire échangés entre des utilisateurs nombreux, répartis entre plusieurs opérateurs, et des fournisseurs de services ou de contenus extrêmement puissants (Google, Facebook, Yahoo, ...) et, dans de nombreux cas, implantés à l’étranger. L’accentuation de cette asymétrie des trafics et les caractéristiques de celle-ci sont à l’origine des difficultés qui se font jour entre les opérateurs de communications électroniques et les fournisseurs de contenus.

1 Plus de 50 % du trafic Internet, selon CISCO (Entering the Zettabyte era, http://www.cisco.com/en/US/solutions/collateral/ns341/ns525/ns537/ns705/ns827/VNI_Hyperconnectivity_WP.html).

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1.1.2 - Un usage du grand public, moteur du développement du trafic

Contrairement à ce qui se passait historiquement dans le réseau téléphonique, l’évolution d’Internet et son essor résultent beaucoup plus largement de l'usage qui en est fait par les particuliers que de celui qui en est fait les entreprises.

Le taux d’équipement des ménages en connexion Internet à domicile est en 2012 de 78 %2

et le temps passé sur Internet par les usagers croît constamment. Alors qu'il était déjà de 15 heures par semaine en 2010, il atteint désormais 16 heures par semaine. L’apparition puis le développement de l’accès à Internet à partir des mobiles, notamment des smartphones, ont accéléré considérablement cette utilisation par le grand public.

Un autre phénomène doit être pris en compte, celui du multi-équipement des ménages qui commence à peser significativement en termes de trafic. En effet, on est passé d’abord de l’ordinateur familial à l’ordinateur personnel avec l’ordinateur portable. Ensuite le développement des tablettes et des smartphones, qui s'ajoutent en général à un équipement préexistant et encore utilisé, accroît lui aussi l’utilisation d’Internet au sein d'un même foyer.

L’ensemble de ces évolutions conduit ainsi à un développement important du trafic entre les particuliers et Internet.

En revanche les entreprises présentent un profil de consommation différent. Tout d’abord les grandes entreprises disposent le plus souvent d’Intranets fixes qui limitent le recours aux moyens publics proprement dits. Les techniques de raccordement utilisées ne sont également pas les mêmes, xDSL ou VDSL versus ADSL, et les usages sont également différents. Même si le trafic vers des sites de téléchargement n’est pas nul dans le monde de l’entreprise, il ne constitue pas l’essentiel du trafic professionnel. La messagerie, la consultation de sites professionnels, voire les échanges de fichiers entre entreprises, sont largement dominants et nécessitent beaucoup moins de bande passante que les usages constatés dans le grand public. On peut certainement mettre quelques professions à part, comme celles qui travaillent directement sur Internet ou les architectes ou bureaux d’études qui peuvent échanger des volumes importants de données, mais, en moyenne, l’utilisation des entreprises reste beaucoup plus modérée que celle des particuliers.

La part des entreprises dans le trafic Internet public (hors réseaux privés d’entreprises) est estimée au maximum à 10 % du total, voire beaucoup moins selon les opérateurs présents sur ce segment de marché. Selon une étude de CISCO

3, pour la France en 2011, le rapport

était presque de 1 à 10 entre le trafic d'affaires (196 pétaoctets/mois) et le trafic des particuliers (1,5 exaoctet/mois). En outre, le trafic des entreprises ne présente pas le même profil que celui du grand public. Il est beaucoup moins asymétrique que le trafic des particuliers, voire pratiquement symétrique. Par ailleurs, il ne pose pas les mêmes problèmes financiers que le trafic grand public puisque les tarifs sont plus facilement liés à la capacité réservée ou utilisée.

1.1.3 - Des besoins qui évoluent des réseaux fixes vers l es réseaux mobiles

Malgré cet accroissement général du trafic, la part du trafic Internet issue du mobile reste encore très faible par rapport à celle issue du fixe.

2 Source étude CREDOC. 3 http://www.cisco.com/web/solutions/sp/vni/vni_forecast_highlights/index.html.

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Alors que l’essor d’Internet a véritablement décollé avec le développement de l’ADSL à partir des années 2000, l’accès à Internet depuis les mobiles a mis plus de temps à se concrétiser. Les premières expériences comme le WAPP ont été un échec et il a fallu attendre le développement de la 3G permettant un débit plus rapide (2008-2009) et des terminaux mieux adaptés (à partir de 2010) pour que le trafic Internet vers les mobiles décolle véritablement.

Les clés 3G ont permis un premier décollage du trafic. Elles représentent encore plus de 10 % du trafic Internet à partir des mobiles. Mais le développement extrêmement important auquel on assiste actuellement provient essentiellement de l’engouement pour les smartphones. Alors qu'ils ne représentaient encore que 10 % des ventes de téléphones mobiles en 2010, ils en représentent désormais environ 50 %, voire plus.

C’est ainsi qu'en France, le trafic mobile de données ne représentait en 2011 que 1 % du trafic total (23 pétaoctets par mois). En revanche, il croît extrêmement vite : il devrait être multiplié par un facteur 21 entre 2011 et 2016, contre un facteur 3 pour le trafic global.

Il faut noter qu’aujourd’hui le trafic voix sur les mobiles est encore plus important que le trafic Internet, même si la tendance est en train de s’inverser.

1.1.4 - Des normes techniques encadrées vers une multitud e de standards

Historiquement, le monde des télécommunications a été régi par des normes internationales, établies principalement par l'Union internationale des télécommunications (UIT). Elles s’imposaient de fait à tous les opérateurs et permettaient, d’une part, l’interopérabilité des réseaux, mais, d’autre part, de tendre vers la norme la plus efficace.

Avec Internet le cadre normatif a largement évolué et les quelques règles existantes n’ont pas toujours d'aspect contraignant.

Si les opérateurs qui doivent assurer le routage des communications utilisent tous des protocoles qui permettent effectivement le fonctionnement global du système (BGP notamment), les fournisseurs de service quant à eux utilisent sur leurs réseaux des formats disparates et souvent propriétaires, notamment en matière de compression d'images.

Cette situation pose un certain nombre de problèmes aux sites Internet, d’une part, mais elle a également un impact pour les fournisseurs d’accès à Internet, d'autre part. En effet, notamment en matière d'images animées, le choix du format initial détermine directement la taille du fichier et donc la bande passante nécessaire pour son routage dans le réseau.

Les opérateurs se plaignent de ce manque de règles contraignantes qui n'oblige pas les fournisseurs de contenus à optimiser l’utilisation de la bande passante. En l’absence de toute contrainte, normative ou financière, les fournisseurs de contenus n’ont aucune raison d'utiliser des formats économes en bande passante, comme ceux que les opérateurs utilisent pour leurs propres services vidéo.

Les rapporteurs ont eu connaissance d'exemples de flux vidéo encodés de telle façon qu'ils occupent 4 fois plus de bande passante que ne le ferait un signal encodé de façon optimale.

La différence de consommation entre les flux unicast et multicast doit également être notée puisque, rapporté au nombre d'abonnés servis, un flux unicast, destiné à un seul abonné, consomme proportionnellement beaucoup plus de bande passante qu’un flux multicast, destiné à un sous-ensemble des abonnés d’un opérateur. Cette situation peut devenir lourde

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de conséquences avec le développement de la TV connectée, ou de la TV directement sur Internet.

1.1.5 - Des modalités de tarification qui bouleversent la donne économique

Alors que le service téléphonique, mais également l’Internet bas débit, reposaient sur une facturation fondée sur l'utilisation, l’introduction des tarifs forfaitaires illimités pour la consommation Internet a rompu avec les ressorts antérieurs du financement des réseaux.

Dans le monde de la téléphonie classique, l’utilisation croissante ne constituait pas un problème financier, puisque le surplus de recettes dégagé par l'accroissement même de la consommation assurait le financement des investissements dans le réseau rendus nécessaires par cet accroissement.

De la même façon, le système des quotes-parts internationales, que se répartissaient les opérateurs (opérateur de départ, opérateur de transit éventuellement et opérateur d'arrivée) dans le cas d'une communication internationale permettait de faire face sans difficulté à un accroissement des communications internationales, puisque les recettes croissaient en proportion.

Pour la tarification de détail, l’introduction des forfaits illimités, notamment pour l’accès à l'Internet fixe, a rompu cet équilibre. Le supplément de consommation n’engendre, pour l'opérateur, aucune recette supplémentaire de façon automatique.

Par ailleurs alors que dans les années 2000 la hausse très forte du nombre d’abonnés à Internet était garante de la croissance du chiffre d’affaires des opérateurs, on se trouve aujourd’hui devant un marché mature, avec un nombre d’abonnés relativement stable, mais dont la consommation unitaire continue à augmenter. En effet pour Internet fixe haut débit après un bond de plus de 100 % entre 2000 et 2005, le taux de croissance du parc d’abonnés n'a cessé de faiblir passant de 17 % entre 2005 et 2009 à 15 % entre 2009 et 2012. Enfin les changements fréquents d’opérateurs par les utilisateurs rendent encore plus complexe l’équation économique de chaque opérateur. Il est à noter que le nombre de numéros mobiles portés est passé de 426 000 en 2009 à environ 1 400 000 au 3ème trimestre 2012.

Cette situation doit toutefois être modulée par les services supplémentaires que les opérateurs s’efforcent de faire payer, (video on demand ou VOD, par exemple), et qui permet au revenu moyen par abonné (ARPU) d’être un peu supérieur, de l’ordre de 17 % environ, au simple tarif de l’abonnement illimité. Le surplus, qui provient du service téléphonique inclus dans les offres triple play, s’élève à environ 5 % du total en 2012, en décroissance depuis 2010 (8 %) et celui qui provient des services Internet proprement dits s’élève à 12 % en 2012, en croissance par rapport à 2010

4 (9 %).

Dans le même ordre d’idée il faut également noter que jusqu’à présent la baisse du coût unitaire des investissements a été extrêmement importante et a permis de faire face à l’augmentation de trafic avec des recettes quasiment stables.

En ce qui concerne l'Internet mobile, la situation est un peu différente, puisque l’essor de l’accès à Internet à partir des mobile est plus récent et encore en phase de forte croissance. Par ailleurs la consommation Internet n’est pas systématiquement illimitée et les opérateurs s'assurent des revenus supplémentaires en cas de consommation hors forfait ou ne délivrent

4 Source observatoire de l’ARCEP.

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plus le même service. En tout état de cause les revenus tirés de l’accès à Internet sont en augmentation régulière en valeur absolue. De 13 % du revenu total de l’activité mobile au second trimestre 2010, ils s’élèvent désormais à 15 %, sur un montant total en baisse, il est vrai.

Par ailleurs, sur le plan des relations entre opérateurs, l’utilisation des accords de peering, le plus souvent gratuit, pour l'échange de trafic entre eux, au lieu des accords classiques d’interconnexion, affaiblit également les recettes qui peuvent être attendues du routage des communications. Les difficultés entre les grands acteurs d’Internet (transitaires, tier one, fournisseurs de contenus) et les fournisseurs d'accès à Internet (FAI), naissent de cette absence d’interconnexion organisée permettant d’équilibrer le système.

Enfin il faut noter que le trafic de transit, encore très important jusqu'à la fin des années 2000 est en baisse constante depuis, de l'ordre de 25 à 30 % par an au profit de flux plus directs, les fournisseurs de contenus comme Google par exemple n’hésitant pas à investir eux-mêmes dans l’infrastructure.

1.1.6 - Les paradoxes de la neutralité d’Internet

Cette difficulté à valoriser le trafic de données échangé sur les réseaux engendre des comportements qui peuvent aller à l’encontre du principe de la neutralité d’Internet.

Pour les mobiles, notamment, la réduction volontaire par les opérateurs des débits au-delà d’une certaine consommation, voire la baisse volontaire des débits pour certaines applications, sont contraires à l’esprit de la neutralité d’Internet qui implique que les flux ne soient pas traités différemment selon leur contenu.

Par ailleurs les difficultés de plusieurs opérateurs avec des transitaires (affaire Cogent/France Telecom) ou des sites Internet (Free/YouTube) illustrent les difficultés actuelles à trouver un modèle économique stable.

Cependant, il semble que certains fournisseurs de services, en assimilant neutralité et gratuité, aillent au-delà du principe de la neutralité d’Internet. La liberté d’information ou l’obligation de router les communications sans discrimination ne peuvent pas aller jusqu’à signifier que cela doive se faire gratuitement.

La neutralité vise à s’assurer que chaque internaute puisse avoir accès au service de son choix, dès lors qu’il est abonné à Internet et, à l’autre bout de la chaîne, que tout fournisseur de service qui souhaite se connecter puisse le faire, quel que soit le contenu, licite, de son service. Aller au-delà risquerait de mettre en péril l’économie globale du système.

En revanche, si les internautes souhaitent disposer de plus en plus de bande passante, ils ne semblent pas véritablement prêts à payer celle-ci en fonction de leur consommation. Et si les fournisseurs, de leur côté, veulent bien envoyer de plus en plus d’informations, ils ne sont pas non plus prêts à en assumer le coût de transport sur les réseaux. On se trouve donc dans une sorte d’impasse, face à laquelle on invoque de part et d’autre, comme prétexte, le principe de la neutralité d’Internet.

L’ensemble des ces constats peut être appuyé par des éléments chiffrés.

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1.2 - Les éléments chiffrés

Il faut tout d’abord noter que les séries de données disponibles ne sont pas très longues pour deux raisons : d’une part, l’essor d’Internet, notamment sur les mobiles, est récent, et, d’autre part, certains opérateurs sont très récents sur certains segments de marché.

Cependant les évolutions sont extrêmement rapides et spectaculaires et permettent de bien décrire la problématique de l’évolution de la bande passante nécessaire au bon fonctionnement d’Internet.

1.2.1 - La mesure du trafic à l’heure chargée

Pour évaluer la bande passante nécessaire pour écouler le trafic Internet, la mesure généralement utilisée par la profession est celle du trafic à l’heure chargée qui détermine le dimensionnement des réseaux pour que ceux-ci puissent écouler les pointes de trafic.

Pour Internet fixe grand public on peut considérer que le trafic total à l’heure chargée des 4 principaux opérateurs français proposant des offres sur ce segment se situe actuellement aux environs de 4 térabits/s, en croissance d'environ 30 % par an depuis plusieurs années. Ceci ne signifie pas que les cœurs de réseaux des opérateurs ne soient pas capables de traiter plus de trafic. Cela signifie simplement que le trafic observé à l’heure chargée (midi et surtout 21 heures) atteint ce niveau. En effet, les opérateurs anticipent les besoins futurs, pour tenir compte de la croissance rapide du trafic, d’une part, mais aussi des évolutions liées aux matériels, aux équipements et aux usages, d’autre part.

Il faut noter que le trafic annoncé par les principaux opérateurs ne reflète pas nécessairement leur part de marché, mais dépend fortement du profil de leur clientèle, plus ou moins jeune, plus ou moins intéressée par les technologies numériques (geek), etc.

En ce qui concerne le trafic à partir des mobiles, les chiffres sont sans commune mesure. Tout d’abord les terminaux mobiles permettant d’accéder à Internet sont relativement récents et ne constituent qu'ne petite fraction du parc total, même s’ils connaissent une progression rapide. Par ailleurs les limitations de la technologie 3G actuelle ne répondent qu’imparfaitement aux besoins des utilisateurs.

On peut ainsi estimer le trafic Internet des mobiles à environ 40 gigabits/s à l’heure chargée (1 % du trafic total) pour l’ensemble de la France en 2012. La part de l'Internet mobile dans le trafic total varie beaucoup d’un opérateur à l’autre, mais ne représente, même pour les plus importants, que quelques pour cents du trafic total (de l’ordre de 5 %).

Cependant l’évolution depuis 2009, qui marque réellement le début de ce type de trafic, a été très rapide, les opérateurs estimant que le trafic a été multiplié par 15 ou 20 sur la période.

1.2.2 - Un trafic concentré sur quelques fournisseurs de contenus

Cette évolution rapide du trafic Internet est extrêmement concentrée sur quelques sites, essentiellement diffuseurs de vidéos, qu’il s’agisse du trafic mobile ou du trafic fixe.

Environ 80 % du trafic se concentre sur 25 grands fournisseurs de contenus, pour la plupart américains (Google, YouTube, Facebook, Yahoo, ...), même si quelques acteurs français du domaine de l’audiovisuel sont également dans le peloton de tête comme TF1, M6 ou Canal+. Un hébergeur important comme OVH, qui accueille de nombreux fournisseurs de contenu et agrège leur trafic constitue également un type d’acteur significatif. Un seul acteur, Google,

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peut représenter à lui seul jusqu’à plus de 20 % du trafic entrant sur un réseau, essentiellement par le biais de sa filiale YouTube, spécialisée dans la mise en ligne de vidéos.

L'asymétrie entre trafic entrant et trafic sortant peut atteindre un rapport allant jusqu’à 1 à 20 pour des sites de vidéo et plusieurs fournisseurs de contenus ont des écarts supérieurs à 10 (Google, Akamaï, etc.).

A cet égard il est frappant d’observer que les courbes de trafic des opérateurs ont toutes accusé une baisse sensible, pouvant aller jusqu’à plus de 10 % du trafic, lors de la fermeture par les autorités américaines du site Megaupload, spécialisé dans la vidéo, le trafic reprenant ensuite lentement, au fur et à mesure que les internautes ont trouvé des solutions de substitution.

Il faut noter qu’aux Etats-Unis un site comme Netflix, qui diffuse des vidéos, peut représenter jusqu’à 20 % du trafic à l’heure chargée. Son arrivée commerciale en France, ou celle d’un acteur similaire, pourrait donc avoir un impact significatif sur le besoin en bande passante.

1.2.3 - Des trafics concentrés sur une minorité d’utilisa teurs

Tout comme les flux sont concentrés sur quelques grands acteurs, ils sont également concentrés sur une minorité d’utilisateurs. Un opérateur rencontré par la mission estime que 20 % de ses clients représentent 90 % de son trafic, les estimations des autres opérateurs n’étant pas très différentes.

Compte tenu de la capacité nécessaire pour le transport d'images animées dans les réseaux, les amateurs de vidéos sont à l'origine de la plus grande partie du trafic. En effet le trafic vidéo compte pour plus du tiers dans les réseaux fixes et environ 40 % dans les réseaux mobiles. Pour les mobiles, on peut constater, par exemple, que si les clients équipés de terminaux Apple (I Phone, I Pad) ne comptent que pour 10 % des abonnés mobiles ils consomment 50 % du trafic et que les 10 % de clients équipés de mobiles fonctionnant sous Androïd consomment 25 % du trafic (chiffres mi-2012). D’autres éléments laissent à penser que les seuls abonnés disposant d’un smartphone engendrent plus que la moitié du trafic mobile vers Internet, de 50 % à 80 % selon les opérateurs.

Un autre mode d’évaluation proposé par un opérateur induit les résultats suivants : en moyenne les abonnés consomment sur le fixe environ 15 gigaoctets par mois mais cette consommation peut aller jusqu’à 200 gigaoctets par mois pour les consommateurs importants, soit plus de 30 fois plus.

1.2.4 - Une multitude de moyens d’accès qui accroît le tr afic consommé

Les évolutions rapides constatées dans les usages d’Internet sont liées à plusieurs phénomènes, essor de la vidéo et des smartphones, d’une part, mais également accroissement du multi-équipement des ménages. Après l'ordinateur personnel (PC) et le téléphone mobile, voire la console de jeux, les usagers se sont peu à peu dotés d'autres équipements, tous potentiellement raccordables à Internet (téléviseur, liseuses, ...). L’usage d’Internet n’est pas familial, comme a pu l’être la télévision. Il est, au contraire, un moyen individuel de loisir et d’information. Par ailleurs de façon à pouvoir atteindre Internet en toutes circonstances de lieu ou de temps, les abonnés se sont équipés de plusieurs types d’appareils : smartphone, PC, tablettes et TV connectées, en attendant l'Internet des objets.

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Ce multi-équipement engendre une consommation plus forte d’Internet, notamment de vidéo et devient sensible pour les opérateurs. En outre tout le trafic d'un foyer multi-équipé passe sur une seule ligne, généralement une paire de cuivre en ADSL, ce qui peut engendrer des problèmes de débit, d’autant que les tablettes, quoique potentiellement mobiles, sont de facto presque toujours utilisées en WiFi et passent donc sur les réseaux fixes.

1.2.5 - Un débit fourni à l’abonné en augmentation consta nte

Compte tenu de la part croissante de la vidéo dans la consommation d’Internet et du phénomène du multi-équipement, le maintien d'une qualité de service acceptable contraint les opérateurs à augmenter le débit offert à chaque abonné.

Les techniques utilisées successivement ont d’ores et déjà permis d’afficher des débits offerts en constante augmentation sur les réseau fixes : ADSL (10 mégabits/s) puis ADSL2 (100 mégabits/s) et sur les réseaux mobiles : 2G (9,6 kilobits/s) puis 3G (144 mégabits/s).

Si les offres font désormais état de débits allant jusqu’à 20 mégabits/s pour les abonnés fixes haut débit, cette valeur, qui n’est d’ailleurs pas réellement encadrée et encore moins vérifiable, ne correspond pas au débit moyen offert réellement par les opérateurs à chaque abonné. Le débit moyen, dimensionnant pour le réseau de l’opérateur, repose sur le pourcentage d’abonnés utilisant Internet à l’heure chargée.

Pour les réseaux fixes haut débit, le débit moyen réel par abonné varie de 100 à 150 kilobits/s selon les opérateurs. Cette valeur ne comprend pas les abonnés utilisant le très haut débit ou les réseaux câblés.

Cette valeur est néanmoins en forte augmentation puisqu’un opérateur fait état d’un débit moyen de 25 kilobits/s au tout début de l’ADSL.

Pour les mobiles la situation est différente puisque la technique contraint actuellement les débits. Il semblerait qu’un débit de 15 kilobits/s en moyenne par abonné soit la norme, mais cette valeur reste sujette à caution Seule la mise en place de la 4G permettra d’accroître ce débit de façon significative.

1.2.6 - Des équipements toujours plus puissants pour un p rix moins élevé

Parallèlement à l’évolution du trafic, on peut constater que les équipements nécessaires pour router le trafic Internet ont considérablement accru leur puissance et que les prix ont chuté de façon importante. Cette évolution a permis jusqu’à présent aux opérateurs de suivre la montée en débit nécessaire pour assurer la qualité de service.

C'est ainsi, par exemple, que les fibres optiques peuvent désormais acheminer 100 gigabits/s sur une seule une longueur d’onde.

Les routeurs voient leur capacité augmenter pour des prix orientés à la baisse et les DSLAM de nouvelle génération permettent une hausse des débits : ils sont passés d’une capacité de 100 mégabits/s à une capacité de 1 gigabits/s et peuvent atteindre 10 gigabits/s, débit qui tend à devenir la norme.

L’amélioration des DSLAM est particulièrement importante compte tenu du poids financier de ces équipements dans les réseaux des opérateurs, poids financier dû à leur nombre élevé, de quelques milliers à environ 40 000 selon les réseaux. Le développement des ports Ethernet qui permettent de collecter jusqu’à 100 gigabits/s permet de faire baisser les coûts.

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En conclusion, les opérateurs doivent faire face depuis déjà plusieurs années à une augmentation constante du trafic Internet, notamment du fait de la vidéo. Ils y ont fait face jusqu’à présent grâce, d’une part, aux progrès techniques, alliés à une baisse des coûts unitaires des matériels, et, d'autre part, à l’accroissement du nombre de clients. Cependant l’accroissement de la consommation est loin d’être terminée et les prévisions des différents acteurs font consensus et prévoient toutes une explosion du trafic dans les prochaines années.

2 - Les prévisions

L’explosion de la vidéo sur Internet est une constatation faite par tous les acteurs Elle peut cependant varier en fonction du statut de l’observateur. Les prévisions ci-dessous ont été examinées sous deux angles, celui des opérateurs de communications électroniques et celui des équipementiers.

2.1 - Les prévisions des opérateurs de communicatio ns électroniques

Les chiffres suivants résument les prévisions des opérateurs et sont à l'origine de leurs inquiétudes :

- Pour certains opérateurs le trafic vers Internet devrait continuer à croître à un rythme de 30 à 35 % par an pendant encore plusieurs années sur le fixe. Sur le mobile la tendance serait supérieure, soit un accroissement du trafic de l’ordre de 60 % par an.

- Pour d’autres opérateurs l’accroissement serait encore supérieur, et le trafic total pourrait être multiplié par 7 d’ici 2015.

- Plus modestement, CISCO prévoit pour la France une croissance de 22 % par an pour la période 2011-2015.

Selon les prévisions, le trafic total France, à l’heure chargée fixe et mobile, pourrait donc atteindre entre 7 et 9 térabits/s d’ici 2015.

L’imprécision des prévisions est accentuée par l’incertitude sur les parcs de clientèle, les récentes évolutions ayant montré que des changements importants peuvent se produire d’un opérateur à l’autre. En ce qui concerne les mobiles, l’évolution dépend fortement de la rapidité du déploiement de la 4G qui, en offrant des débits jusqu’à 100 mégabits/s, peut contribuer à accroître la demande d’Internet mobile dans les zones où elle aura été déployée.

- L'asymétrie du trafic pourrait passer d’un rapport de 1 à 7 actuellement à un rapport de 1 à 30. Cette asymétrie serait accentuée par le fait que l’accroissement du trafic prévu par les opérateurs est essentiellement du trafic vidéo, notamment pour les particuliers, ce type de trafic pouvant aller jusqu’à représenter 80 % du trafic total.

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- Le développement ou non de la TV connectée est également un facteur d’incertitude sur l’accroissement du trafic et l’asymétrie de celui-ci. Il faut noter qu’aujourd’hui si 20 % des TV vendues par an sont des TV connectables, seuls moins de la moitié des acheteurs de ces équipements se connectent réellement. Par ailleurs, à ce jour, des fournisseurs comme Google ne proposent pas de chaînes de TV spécifiques et n’offrent donc que des services plus ou moins déjà présents sur le web.

L’impact de la TV connectée et sa diffusion effective est donc loin d’être stabilisé et, selon les hypothèses prises, les évolutions sur le trafic peuvent être importantes.

- Pour les entreprises l’accroissement du trafic devrait être porté par le développement du cloud computing, mais cette évolution n’est pas mise en avant par les opérateurs compte tenu du faible impact du trafic entreprise au regard de celui généré par les particuliers. Le développement de l’internet des objets ne semble pas non plus avoir un impact de la même nature que celui du trafic de particuliers car si les objets peuvent être connecté par milliards les données échangées unitairement seraient très faibles.

2.2 - Les prévisions des équipementiers (CISCO)

Divers organismes établissent des prévisions de trafic, mais celle qui est le plus largement utilisée et reconnue est celle établie par CISCO

5, même s'il est généralement admis qu'elle

est optimiste6.

Les rapporteurs ont bien sûr cherché à rapprocher les chiffres des opérateurs de ceux de CISCO. Une première difficulté est que les premiers raisonnent en trafic crête, mesuré en gigabits/s ou en térabits/s, qui est effectivement l'élément dimensionnant pour leurs réseaux, alors que le second raisonne en volume de trafic mensuel, mesuré en pétaoctets/mois ou en exaoctets/mois7. La conversion de l'un à l'autre est théoriquement simple, sur la base de 8 bits par octets, de 86 400 secondes par jour, de 30 jours par mois et d'un facteur d'ajustement pour tenir compte du fait que le trafic n'est pas à son niveau crête toute la journée. Les opérateurs indiquent que ce facteur est compris entre 0,3 et 0,4. CISCO l'estime à 0,5.

Si on part du chiffre des opérateurs, 4 térabits/s, soit 0,5 téraoctet/s, on passe à 43,2 pétaoctets/jour ou 1,296 exaoctet/mois. L'application d'un facteur correctif de 0,3 ou de 0,4 ramène ce dernier chiffre à une valeur de l'ordre de 400 à 500 pétaoctets/mois.

De son côté, CISCO, qui dit bâtir son modèle sur la base de données publiques et d'études diverses et en avoir discuté les résultats avec des opérateurs français, sans remarque de leur part, indique que le trafic IP en France avait atteint 1,7 exaoctet/mois en 2011.

Le chiffre de CISCO est donc 3 à 4 fois supérieur au chiffre des opérateurs. Personne n'a su expliquer clairement aux rapporteurs l'origine d'un tel écart, qui, curieusement, semble ne jamais avoir donné lieu à débat entre les opérateurs, d'un côté, et CISCO, de l'autre, lors de

5 Voir par exemple J. Scott Marcus et Alessandro Monti, Network operators and content providers: Who bears

the cost ?, p. 26 : A number of firms now provide reasonably credible forecasts of the growth of Internet traffic in the coming years. While forecasts differ, Cisco Systems provides a forecast that is respected and widely cited. The Cisco VNI forecast is built on analysts projections and actual usage reports, and is verified after the fact using real network data (http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=1926768).

6 D'après CISCO, sa marge d'optimisme serait de l'ordre de 10 % au niveau mondial et dans le sens d'une sous-estimation : trafic réel de 31 exaoctets/mois en 2011, pour un trafic 2011 prévu en 2007 de 28 exaoctets/mois seulement.

7 Un pétaoctet = 1015 octets. Un exaoctet = 1018 octets.

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leurs rencontres régulières sur ce sujet. Différents éléments peuvent jouer dans des sens opposés. Un premier élément tient au décalage dans le temps. Il tendrait à revoir à la hausse l'évaluation de CISCO, dont les chiffres sont des chiffres 2011, alors que ceux des opérateurs sont du printemps ou de l'été 2012. A un taux de croissance annuel de 22 % (CISCO) ou de 30 % (opérateurs), l'écart, n'est pas négligeable. Il y a, par ailleurs, vraisemblablement un problème de périmètre : les opérateurs, Orange notamment, raisonnent en trafic dans leur cœur de réseau (backbone), alors que CISCO raisonne en trafic en bord de réseau (edge traffic), donc chez l'usager. Un procédé comme le multicast, utilisé par les opérateurs français pour diffuser la télévision, peut alors perturber les calculs. Il est en effet possible que là où les opérateurs comptent le trafic pour un (le signal transporté dans leur backbone), CISCO le compte pour n (les n abonnés qui le reçoivent simultanément). Selon CISCO, cette différence d'approche pourrait conduire à un facteur 1,5. Enfin CISCO a indiqué aux rapporteurs que sa méthode de calcul se fondait sur un échantillonnage (sampling) qui n'était peut-être pas bien adapté au cas de la France et qu'il creuserait la question à l'occasion de l'élaboration de ses prévisions 2013. On retiendra néanmoins l'idée que le trafic IP français actuel est de l'ordre de l'exaoctet par mois. Les prévisions d'évolution de trafic, de CISCO prévoient une augmentation annuelle de 22 % du trafic IP global, soit un facteur 3, d'ici à 2016. Ce chiffre global masque des situations très différentes.

Le trafic mobile connaîtra la croissance la plus forte (84 % par an, soit un facteur 21), mais comme il part de très bas, il ne représentera encore en 2016 que 10 % du trafic total et n'influera pas significativement sur le besoin en bande passante.

L'essentiel du trafic (90 %) viendra donc toujours du fixe. Il restera largement le fait des particuliers, qui représentent 90 % du trafic total, et de la consommation qu'ils font de la vidéo (60 % de leur consommation totale).

La croissance du trafic sera essentiellement tirée par l'évolution des usages. Les vidéos regardées seront de plus en plus longues (format film plutôt que format clip) et par une amélioration de leur qualité.

Le nombre de terminaux connectés jouera aussi un rôle, passant de 200 millions d'objets en 2011 à plus de 400 millions en 2016. La taille des écrans des terminaux mobiles (smartphones, tablettes), qui ira en grandissant, jouera aussi un rôle dans la mesure où elle exigera une meilleure définition d'image.

L'Internet des objets (compteurs électriques intelligents, RFID, ...) verra une augmentation forte du nombre d'objets connectés, mais ceux-ci seront relativement peu gourmands en bande passante puisqu'ils ne génèrent que des données.

L’ensemble de ces prévisions montre que, quel que soit le point de vue, les évolutions du trafic données vont être très importantes et rapides. Une telle croissance va nécessairement avoir des impacts sur le dimensionnement des réseaux et nécessiter des investissements importants.

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3 - Les impacts

Face à une telle évolution des flux échangés, la montée en capacité des réseaux des opérateurs va devoir être rapide et se situer à tous les échelons, si l’on veut conserver une qualité de service acceptable. Les opérateurs estiment tous que des investissements vont être nécessaires et seront importants, ceci à tous les échelons du réseau.

L’augmentation nécessaire de capacité est logique puisque les réseaux sont dimensionnés et optimisés pour acheminer un volume de trafic donné. Or l’accroissement du trafic est tel que l’ensemble de la chaîne va devoir être réévaluée.

3.1 - Une évolution technique soutenable

Cet accroissement, même s’il est massif ne semble poser de problème technique particulier à aucun opérateur. Les directions réseaux de ceux-ci semblent aborder la question sans inquiétude majeure sur le plan technique. La hausse de capacité fait partie de la vie ordinaire des télécommunications et ne présente pas de défi technique particulier.

Les opérateurs misent beaucoup sur l’amélioration des performances des matériels pour faire face sans trop de difficultés à cette augmentation de trafic. Cette évolution, sensible depuis plusieurs années, devrait se poursuivre. Les opérateurs évoquent les éléments suivants :

• Pour les câbles sous-marins, les opérateurs ne semblent pas redouter de difficultés. Pour les opérateurs disposant de leurs propres câbles ou de droits d'usage irrévocables (IRU) sur des câbles existants, l’accroissement de trafic devrait pouvoir se réaliser en upgradant les fibres optiques en place.

Les seuls goulets d’étranglement possibles sembleraient se situer, soit sur des destinations particulières, comme les DOM notamment, ou sur certaines destinations de l’hémisphère sud, soit pour les opérateurs qui utiliseraient des offres activées avec des capacités prédéfinies. Les relations dans l’hémisphère nord, qui sont les plus importantes, mais également les mieux desservies, ne semblent pas susciter d’inquiétude particulière.

• Les cœurs de réseau seront impactés par l’évolution considérable du trafic. Certains opérateurs estiment qu’il s’agit simplement de changer quelques équipements comme ils le font tous les trois ans. D’autres opérateurs estiment que des routeurs de plus grande capacité vont être mis sur le marché avec des prix unitaires orientés à la baisse, ce qui devrait permettre de mettre à niveau les réseaux sans difficulté.

• Les questions relatives aux réseaux de collecte inquiètent plus les opérateurs car les évolutions sont plus lourdes à gérer dans la mesure où on pénètre plus avant dans la capillarité des réseaux.

Compte tenu du nombre important de DSLAM, de quelques milliers à près de 40 000 selon les opérateurs, les évolutions sont plus délicates à réaliser dans la mesure où l’accroissement de trafic nécessitera d’installer de nouveaux équipements dans chaque DSLAM. Ces nouveaux équipements utiliseront la technologie Ethernet qui permet de passer de débits de 100 mégabits/s actuels à 1, voire à 10 gigabits/s.

Pour les mobiles, le cœur de réseau peut être assimilé au cœur de réseau fixe mais la question la plus délicate se pose pour la terminaison hertzienne qui a ses limitations techniques propres.

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A terme l’augmentation de la capacité sur les réseaux mobiles pour les utilisateurs finaux est étroitement liée au déploiement de la 4G puisque celle-ci permettra des débits de 100 mégabits/s. Pour un des opérateurs rencontré par la mission, le back haul des opérateurs mobiles, c'est-à-dire leur réseau de collecte, pourrait être transféré sur le réseau Ethernet fixe pour bénéficier à moindre coût de ses débits.

Néanmoins, tant que la 4G ne sera pas largement déployée sur le territoire, les capacités techniques actuelles devront assurer la montée en charge et les techniques de gestion de trafic devront permettre d’assurer cette augmentation du débit. Le déploiement de la 3G plus participera à cette montée en débit.

En conclusion la montée en débit est un chantier assez lourd qui touche l’ensemble des éléments de réseaux et qui nécessite, pour le fixe notamment de changer les DSLAM, opération la plus lourde compte tenu de leur nombre important, mais qui ne pose pas un défi technique insurmontable. La question du mobile est plus délicate mais, même si la croissance est très rapide, de mesures de gestion de trafic devraient permettre d’attendre le développement de la 4G.

La principale difficulté se situe en fait sur un autre plan, celui du coût des investissements nécessaires.

3.2 - Un effort d’investissement important

Les difficultés pour assurer l’augmentation de la capacité disponible nécessaire pour satisfaire la demande peuvent provenir de l’incapacité des opérateurs à financer les investissements supplémentaires.

Compte tenu de la nécessité d’agir dans tous les éléments du réseau, les efforts à consentir peuvent se décomposer comme suit :

Pour les réseaux fixes, les investissements liés à l’augmentation de capacité devraient être relativement élevés mais sous contrôle, dès lors que l’on ne prend pas en compte le déploiement de la fibre optique sur le territoire.

Selon les réseaux le prix incrémental du mégabit/s supplémentaire est variable, notamment en fonction du nombre et de l’état des DSLAM sur lesquels intervenir.

On peut néanmoins le situer dans une fourchette comprise entre 40 et 70 € par mégabit/s supplémentaire installé. A ces sommes il faut ajouter les OPEX incrémentaux qui augmentent les frais d’exploitation et de maintenance des réseaux dans des proportions importantes. L’exploitation-maintenance peut passer de 10 % environ des investissements à 25 % de ceux-ci.

Au total, pour les réseaux fixes et pour l'ensemble des opérateurs français de réseaux, l’investissement pur lié à la hausse de capacité devrait être de l’ordre de 250 à 300 M€ sur 4 ans. Cette estimation ne prétend pas être très précise. Elle vise seulement à fixer un ordre de grandeur qui en tout état de cause se situe largement en dessous du milliard d’euros.

S’agissant des mobiles, les coûts au mégabit/s sont beaucoup plus élevés, de l’ordre de 100 fois, mais il faut noter que les comparaisons qui font état de cette différence ne sont pas homogènes dans la mesure où les coûts énoncés pour les mobiles comprennent la boucle locale radio alors que les prix du fixe fait abstraction de cette boucle locale.

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Par ailleurs alors que les projections des opérateurs concernant le fixe sont cohérentes et donc crédibles, celles concernant les mobiles manquent de cohérence d’un opérateur à l’autre. Pour certains d’entre eux les investissements purement capacitaires ne semblent pas devoir être pris en compte de façon spécifique alors que pour d’autres ils sont supérieurs d’un facteur 10 aux investissements dans le fixe. A ce stade les rapporteurs ne peuvent que constater cette différence qui s’explique sans doute par l’état technique actuel des réseaux (pourcentage de BLR fibrées par exemple).

Ces chiffres doivent cependant être mis en perspective. Il faut ajouter à cette somme les frais de maintenance complémentaires qui sont loin d’être négligeables et qui sont récurrents, la quasi-stagnation des recettes, voire leur baisse, et les besoins en investissement nécessaires pour d’autres projets comme le déploiement de la fibre optique ou de la 4G.

On peut comparer ce montant complémentaire d’investissement au montant actuel des investissements des quatre grands opérateurs.

En 2011 les investissements en France des quatre grands opérateurs (Orange, SFR, Bouygues Télécom, Free) se sont élevés à un peu moins de 5 milliards d'euros. Ajouter environ 100 millions d'euros par an à ce montant équivaut à une hausse de 2 % des investissements annuels, rien que pour la montée en débit, alors que, globalement, les investissements de ces quatre opérateurs représentaient déjà plus de 12 % de leur CA en moyenne. Cet effort supplémentaire peut ne pas paraître très important. Toutefois, compte tenu des investissements déjà demandés pour l’achat des licences, le déploiement de la fibre optique et de la 4G, ces quelques pour cent supplémentaires, dans un contexte économique peu encourageant, risquent d’être difficiles à trouver pour les opérateurs, toutes choses égales par ailleurs.

3.3 - Un environnement peu propice à cet effort sup plémentaire

L’un des obstacles majeurs à l’investissement dans l'augmentation de capacité des réseaux est la difficulté à le faire compenser par une augmentation équivalente du chiffre d’affaires des opérateurs.

Sur le marché grand public, les modèles tarifaires adoptés par les opérateurs pour les réseaux fixes ne permettent pas en l’état d’augmenter le revenu moyen par usager (ARPU) en investissant dans les débits, sauf à la marge. En effet, le modèle illimité permet aux utilisateurs de consommer de plus en plus de débit sans être obligés de débourser un euro de plus. Les évolutions positives de l’ARPU sont essentiellement liées à l’offre de services nouveaux comme la video on demand (VOD) qui emprunte le canal TV et non l’accès à Internet proprement dit.

Ce modèle est quasiment unique pour le fixe et fragilise les opérateurs, mais en tout état de cause, les consommateurs semblent attachés à un tel modèle du tout compris et répugnent à dépenser plus. Par ailleurs la situation économique générale pèse également sur le comportement des consommateurs.

Dans ces conditions on peut comprendre les difficultés des opérateurs à investir pour faire passer des débits de plus en plus élevés pour un retour financier bien aléatoire.

En ce qui concerne le mobile, la concurrence accrue a fait baisser sévèrement l’ARPU mobile cette année et rendu plus fragiles les opérateurs installés, rendant ainsi tout effort d’investissement supplémentaire difficile. Cependant, le modèle tarifaire adopté pour l’accès à Internet devrait plus facilement permettre d’adapter la capacité du réseau à la consommation des clients grands publics dans la mesure où les forfaits illimités ne sont pas

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la règle. En effet la plupart des forfaits mobiles fixent un plafond d’octets à ne pas dépasser, l’accès à Internet étant soit coupé soit fortement ralenti au-delà de cette consommation. Dans ces conditions la montée en débit pourrait plus facilement être valorisée par les opérateurs mobiles mais il reste une inconnue, la propension des clients à payer dans un contexte économique déprimé.

Sur le marché professionnel, l’accroissement de la capacité nécessaire aux entreprises devrait pouvoir être valorisé par les opérateurs dans la mesure où les modèles tarifaires adoptés sont plus près de la consommation réelle des clients et in fine les besoins en bande passante sont moindres que pour le grand public.

La situation économique des opérateurs s’est détériorée cette année et les résultats 2011 qui faisaient apparaître des capacités d’investissements confortables ont été ainsi revues à la baisse en 2012, parfois de façon drastique. En effet l’arrivée d’un quatrième opérateur sur le marché a modifié en profondeur la situation des opérateurs mobiles en place. Outre la perte de clients, la nécessité de mettre sur le marché des offres à des tarifs plus bas a conduit à une baisse de chiffre d’affaires. Pour Bouygues Telecom ou SFR la baisse de chiffre d’affaires a atteint voire dépassé 8 % au premier semestre 2012. La situation a contraint ces deux opérateurs à annoncer des plans d’économie de plusieurs centaines de M€ ce qui aura certainement une incidence sur leur capacité d’investissement.

Dans la conjoncture actuelle, la capacité, au moins pour certains opérateurs, de supporter seuls et sans modifications de leur environnement les investissements nécessaires à la montée en débit, en complément des efforts d’investissement sur le déploiement de la fibre ou de la 4G n’est donc pas assurée. La rapidité et le caractère assez massif des investissements nécessaires peuvent également être sources de difficulté majeure car la montée en débit est très rapide et la nécessité, dans un contexte concurrentiel, d’offrir un réseau de qualité ne permet pas un étalement dans le temps.

Dans ces conditions les rapporteurs essaient de suggérer des pistes d’évolution qui pourraient permettre de répartir les efforts nécessaires à la mise à niveau des réseaux.

4 - Les scénarios possibles

Si certains opérateurs sont suffisamment puissants pour absorber sans difficulté majeure les investissements complémentaires nécessaires pour faire face à la montée en débit, d’autres, plus fragiles, peuvent avoir plus de difficultés et la non-qualité qui en résulterait accroîtrait à son tour leur fragilité

Les pistes de réflexion ci-dessous permettent donc de s’assurer que les investissements à réaliser pourront être faits dans les meilleures conditions possibles pour l’ensemble des opérateurs et dans le respect de la neutralité d’Internet.

Pour faire face au besoin d'augmentation de la capacité de leur réseau, les opérateurs peuvent agir sur deux leviers : le prix payé par les utilisateurs et le prix payé par les fournisseurs de contenus (théorie des marchés bifaces).

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4.1 - L’augmentation de l’ARPU peut permettre de fa ire face aux besoins d’investissement dans la capacité des résea ux

Il faut noter en préalable que, pour le fixe, les tarifs français sont parmi le plus bas d’Europe et que l’augmentation continue de la capacité ou des services offerts pour une même somme, malgré les baisses de coûts unitaires des équipements, peut finir par devenir impossible à supporter, sauf à engendrer une baisse importante de qualité de service.

L’augmentation de l’ARPU est un objectif déjà recherché par les FAI au travers de la vente de services divers. Cette politique peut se heurter aux principes de la neutralité d’Internet si la qualité des services « premium », c'est-à-dire payés spécifiquement par les abonnés, se fait au détriment de la qualité de service des autres flux. Le débat en cours sur ce type de services montre que cette question est loin d’être tranchée. En revanche le fait de payer en fonction de sa consommation réelle respecte pleinement le principe de la neutralité d’Internet et peut être une piste à approfondir. Cette pratique est déjà mise en œuvre dans certains pays européens.

Compte tenu de profils d'usages très différents d'un utilisateur à l'autre, il pourrait être envisagé, au-delà d’un forfait de base, de faire payer à la consommation réelle et d'appliquer ainsi au service fixe des modalités tarifaires largement répandues dans le service mobile. Cette solution aurait le mérite de permettre de mieux réguler la consommation, sans faire payer à tous les excès de quelques-uns.

Une difficulté sérieuse doit cependant être relevée. S’il est légitime, et conforme à la pratique du monde des télécommunications, de faire payer à l’internaute les octets qu’il a sollicités auprès des fournisseurs de contenus, il est plus délicat de lui demander de payer pour tous les éléments qui lui sont envoyés sans qu’il y ait la moindre demande de sa part. C’est ainsi que les vidéos de publicité qui apparaissent de plus en plus sur les pages demandées ou les échanges de données entre le terminal et le fournisseur de contenus en dehors de toute utilisation active d’une application paraissent difficiles à facturer directement à l’internaute. Une telle facturation ne pourrait avoir lieu que si l’internaute disposait de moyens de maîtrise de sa consommation.

C’est pourquoi, même si la piste du paiement en fonction de la consommation ne doit pas être rejetée, surtout si un forfait de base est maintenu, elle peut sans doute difficilement être utilisée comme seul moyen de faire payer le trafic.

4.2 - L’officialisation d’un peering payant

Depuis plusieurs années les opérateurs demandent à ce que les fournisseurs de contenus participent au paiement du trafic qu’ils envoient aux clients des FAI.

Les fournisseurs de contenus sont très réticents à cette idée pour plusieurs raisons :

- Tout d’abord ils arguent qu’ils paient déjà leurs raccordements au réseau, voire, pour les plus grands, des infrastructures importantes, et que dans ces conditions ils ont payé effectivement pour l’utilisation du réseau.

- Les plus petits d’entre eux invoquent l’innovation et la nécessité de pouvoir se connecter au réseau pour devenir un acteur nouveau alors même que leurs recettes ne sont pas encore au rendez vous.

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- Eventuellement ils invoquent le fait que les informations qu’ils délivrent gratuitement sont demandées par les internautes et que ceux-ci paient déjà les opérateurs par les abonnements au réseau et par ailleurs que c’est grâce à la qualité de leurs services que les FAI ont des abonnés.

- Un autre argument peut aller dans leur sens, celui du paiement par le demandeur, traditionnel dans le monde des télécommunications. Or l’existence de deux communications distinctes montantes et descendantes relève certes d’une réalité physique mais peut aussi être considérée comme un artifice de raisonnement.

Ces arguments sont sérieux mais en tout état de cause ne permettent pas de résoudre les problèmes.

Les FAI ont donc eu recours à un autre type de demande : le peering repose sur un échange de trafic entre opérateurs de communications électroniques à titre gratuit. La gratuité se justifie par le fait qu’il s’agit d’un échange entre pairs et que celui-ci est équilibré ou symétrique. Or les asymétries de trafic en augmentation constante détruisent les termes de l’échange entre les opérateurs, d’où l’introduction de la notion de peering payant. Le procès de France Telecom avec Cogent a permis de reconnaître le bienfondé de la demande du FAI dans le cas où la dissymétrie de trafic serait supérieure à 2,5.

La piste du peering payant pourrait permettre de résoudre en grande partie la problématique de l’augmentation de capacité :

- En envoyant un signal tarifaire elle conduirait les fournisseurs de contenus à optimiser les formats utilisés pour réduire les volumes envoyés.

- Elle pourrait rapporter de l’ordre de 100 millions d'euros par an, d’après les opérateurs, avec un tarif avoisinant les 1 €/mégabit/s et par mois.

Cependant malgré la décision du Conseil de la concurrence concernant l'affaire Cogent/France Télécom, l’institution du peering payant est encore floue et pas toujours à la portée des opérateurs le plus petits qui ne peuvent rien imposer en la matière.

Par ailleurs la notion de peering demanderait à être précisée. A l’origine il s’agissait clairement de relations de pair à pair entre opérateurs de communications électroniques. Aujourd'hui la notion de peering paraît ne plus concerner uniquement des opérateurs de communications électroniques, mais recouvrir également des relations commerciales peu transparentes entre opérateurs de communications électroniques et fournisseurs de services.

L'opacité de ces relations ne permet plus de savoir exactement quels sont les acteurs concernés : le différend entre Cogent et France Télécom était clairement entre deux opérateurs. Le différend récent entre Free et YouTube concerne un opérateur et un fournisseur de services.

Une clarification souhaitable permettrait de réserver la notion de peering, stricto sensu, aux relations entre opérateurs de communications électroniques, au sens du CPCE. Les autres offres d’accès au réseau d’un opérateur de communications électroniques, faites directement à des fournisseurs de service, relèveraient d’une logique de rapports client/fournisseur, ce qui permettrait ainsi de ménager une place à part aux sites nouveaux et innovants en leur réservant des offres d’accès attrayantes, qui permettent à l'opérateur de recouvrer ses frais, sans mettre en danger leur avenir.

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Dans ces conditions, pour inciter l'ensemble des opérateurs à investir dans l'augmentation de capacité de leurs réseaux, et ceci de façon durable, tout en respectant le principe de la neutralité d’Internet, deux pistes de revenus complémentaires pour les FAI pourraient être étudiées simultanément :

- Le paiement par les utilisateurs de leur consommation réelle, au-delà d’un forfait de base. Cette mesure se justifie par le fait que seuls 10 ou 20 % des utilisateurs sont responsables de 80 à 90 % du trafic, d’une part, et par le fait que les tarifs d’accès au service fixe sont très bas en France, d'autre part.

Cependant les consommateurs ne doivent pas supporter l’ensemble du coût du trafic dans la mesure où ils n'ont pas la maîtrise complète de leur consommation. Une part non négligeable du trafic échangé entre un consommateur et un fournisseur de contenus résulte d'éléments que le premier ne maîtrise pas et qui relève de l'initiative du second. C'est le cas de la publicité, de plus en plus volumineuse dans la mesure où elle recourt de plus en plus souvent à des vidéos, mais aussi de tous les dispositifs commerciaux de suivi des centres d'intérêt du consommateurs, aujourd'hui bien plus élaborés que les cookies d'antan.

- La reconnaissance du principe de peering payant et son encadrement par l’autorité de régulation pour éviter que seule la puissance de marché permette d’en bénéficier ou d’en être privé. Typiquement l’encadrement pourrait porter sur le niveau acceptable d’asymétrie du trafic et son calcul, le montant maximum demandé, voire l’identification de plusieurs tarifs selon le lieu de peering, à la manière dont ce qui se pratique pour l’interconnexion.

- Des dispositions concernant les sites innovants pourraient être étudiées. Le raccordement direct des services innovants à un opérateur sur le territoire national pourrait permettre de ne pas répercuter le paiement du tarif du peering payant jusqu’à un certain volume de trafic. Cette disposition concerne toutefois les relations entre les opérateurs et leurs clients professionnels, qui relèvent aujourd’hui du domaine de la liberté du commerce. Une étude plus approfondie devrait permettre de dégager des pistes de solutions.

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� Annexe 1 : Lettre de mission

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23

� Annexe 2 : Liste des organismes rencontrés

- France Telecom – Orange

- SFR

- Bouygues Telecom

- Free

- Numéricâble

- Cisco

- UFC que Choisir