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RAPPORT SUR L’ECONOMIE NUMERIQUE de l’Association Française de l’Etude de la Concurrence 1 1 VERSION DU 10 FÉVRIER 2016 Siège social et secrétariat : 76, avenue de Wagram - 750017 PARIS - Tél. 01 55 65 16 65 eMail. [email protected] - Site Internet. www.afec.asso.fr MEMBRE DE LA LIGUE INTERNATIONALE DU DROIT DE LA CONCURRENCE

RAPPORT SUR L’ECONOMIE NUMERIQUE de … · A- Les avantages et les inconvénients de la gratuité sur les marchés ... plateformes, l’utilisation de l’économie numérique ont

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RAPPORT SUR L’ECONOMIE NUMERIQUE

de l’Association Française de l’Etude de la Concurrence1

1 VERSION DU 10 FÉVRIER 2016

Siège social et secrétariat : 76, avenue de Wagram - 750017 PARIS - Tél. 01 55 65 16 65 eMail. [email protected] - Site Internet. www.afec.asso.fr

MEMBRE DE LA LIGUE INTERNATIONALE DU DROIT DE LA CONCURRENCE

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PLAN

1- Economie numérique et réseaux de distribution 6

1-1 Rappel du droit positif 6 1-1-1 Distribution exclusive et blocage géographique 6

A- La distribution exclusive 6

B- Le blocage géographique 8

1-1-2 Distribution sélective 9 1-1-3 La Franchise 13

1-2 Propositions d’évolution du droit positif et questions en suspens 14

1-2-1 Distribution exclusive, 14 1-2-2 Blocage géographique, 14

1-2-3 Distribution Sélective, 16 1-2-4 Franchise, 20

2- Economie numérique, données et plateformes, 23

2-1 Rappel de la notion de plateformes : hétérogénéité des plateformes, 23

2-1-1 Plateformes de commerce en ligne B / C, 24 2-1-2 Plateformes d'économie collaborative , 25 2-1-3 Définition de la plateforme numérique, 32

2-2 Propositions et analyse concurrentielles, 35

2-2-1 Appréhension de l’activité des plateformes par le droit de la concurrence, 35

A- L’applicabilité du droit de la concurrence entre les plateformes et les professionnels, 35 B Difficulté d’applicabilité du droit de la concurrence pour les « prosommateurs », 36

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C- La notion de professionnel au soutien de la notion d’entreprise 37

D- Préconisations sur l’opportunité de réguler les plateformes numériques collaboratives, 39

2-2-2 Délimitation du ou des marchés pertinents, 39 2-2-3 Analyse concurrentielle de la détention de bases de données (indépendamment de la question de leur détention par une plateforme), 42

A – Infrastructures essentielles, 42 B- Abus de position dominante et discrimination dans l’accès aux

données, 45 C -Les effets de réseau directs et indirects

2-2-4 Analyse de la position concurrentielle des parties : position dominante et entreprise cruciale?, 46 2-2-5 Analyse concurrentielle des écosystèmes, 47 2-2-6 Analyse concurrentielle de la tarification : GRATUITE ET CONCURRENCE, 47

A- Les avantages et les inconvénients de la gratuité sur les marchés bifaces, 48

a) Le modèle de gratuité dans les marchés bifaces, 48

b) Marchés bifaces et prix prédateurs, 49

1. Les critères classiques de la prédation, 50 2. Application des tests de prédation aux pratiques relatives à la

gratuité, 51

1/ Quel test de coûts retenir ? 2/ Quels coûts ? 3/ A qui revient la charge de la preuve ? 4/ La démonstration de l’intention

2-2-7 Les pratiques discriminatoires et de prix excessifs, 54 2-2-8 Autres pratiques tarifaires, 55 2-2-9 Analyse concurrentielle des modalités de fonctionnement des plateformes, 56

A. Référencement et déréférencement, 56

a) L’appréciation des pratiques de référencement /déréférencement

sous l’angle des pratiques anticoncurrentielles, b) L’appréciation des pratiques de référencement /déréférencement

sous l’angle des pratiques restrictives de concurrence

B. Accords de parité, 59 C. La problématique des algorithmes, 62

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a) Les algorithmes PageRank et AdWords de Google, 62

b) Les algorithmes de publicité ciblée, 65

d) Vers un principe général de loyauté?, 66 e) Une obligation de contrôle imposée à l'exploitant d'algorithmes,

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2-2-10 Application de la concurrence déloyale : possibilités et

limites, 70 Sur les transports, 71 Sur le logement, 73

2-2-11 Analyse en matière de contrôle des concentrations : Effets de réseaux directs et indirects concernant les données et les plateformes, 76

A- Définition,76 B- Etat de la pratique décisionnelle quant aux données, 76 C- Pratique décisionnelle en matière d’effet de réseaux liés aux

plateformes, 77

Autorisation de la concentration Apple/Beats par la

Commission européenne, 77 Ouverture ultérieure d’enquêtes par les autorités américaines et

européennes, 78

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L’AFEC est une association indépendante créée en 1952 regroupant des spécialistes du droit de la concurrence provenant de toutes les professions de ce secteur, professeurs de droit et d’économie, magistrats, membres de l’administration (DGCCRF), membres de l’Autorité de la concurrence, avocats, juristes d’entreprises, représentants de syndicats professionnels, étudiants. Dans le cadre de son objet l’AFEC formule, grâce à la diversité de ses représentants, des observations techniques sur les projets de loi et projets de textes de toute nature qui sont susceptibles d’avoir un impact sur le droit de la concurrence conformément à son objectif de défense, dans l’exercice des activités économiques, commerciales, industrielles et artisanales du principe de la libre concurrence nationale et internationale contre la concurrence déloyale, abusive ou illicite. Un groupe de travail, composé de membres de l’AFEC, s’est constitué pour présenter les observations ci-dessous2 pour répondre aux différentes initiatives notamment de la Commission Européenne et de l’Autorité de la concurrence sur l’économie numérique ou digitale. Ces observations sont celles de l’AFEC sans préjuger des observations individuelles des structures ou membres individuels ayant participé à ces travaux. En premier lieu, l’AFEC se félicite de ces différentes initiatives de la Commission européenne et de l’Autorité de la concurrence pour un sujet d’une grande actualité et en constante évolution3. Le droit de la concurrence ne pouvait ignorer cette évolution et il est sans doute important de tenter de mieux comprendre ces phénomènes de société pour tenter de dégager certaines solutions destinées à permettre de mieux les appréhender. Le sujet est très vaste et l’AFEC n’a pas la prétention à travers ce rapport d’en appréhender toute la globalité. Il lui a semblé que deux axes majeurs devaient être retenus.

2Le groupe de travail était présidé par Madame le Professeur Muriel CHAGNY, Monsieur F. ROSATI et Monsieur Michel PONSARD et il était constitué de Michel PONSARD, Alexandre LACRESSE, Emily XUEREF-POVIAC , Régis PIHERY, Liliana ESKENAZI, Francesco ROSATI, Mélanie RAVOISIER, Jacqueline RIFFAULT-SILK, Muriel CHAGNY, Juliette GOYER, Elise DURAND, Jean-Louis FOURGOUX pour la partie sur les réseaux de distribution, de Francesco ROSATI, Fayrouze MASMI-DAZI, Linda ARCELIN, Florence DE BAKKER, Mathilde BOUDOU, Alexandre GLATZ, Irene LUC, Maurice LESAGE, Emily XUEREF-POVIAC, Liliane ESKENAZI, Marine KEROMNES , Juliette GOYER, Maurice NUSSENBAUM, jean louis FOURGOUX, Thibaut MARCEROU, Cécile CRICHTON, Romain DENIJS pour la partie plateformes et de Estelle LECLERC, Camille PAULHAC et Michel PONSARD pour la partie donnée 3 Rappelons notamment que la Commission européenne a dévoilé le 6 mai 2015, ses projets détaillés pour la création d’un marché unique numérique, et a émis le 6 mai 2015, seize propositions donnant ainsi corps à l’une de ses grandes priorités.

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Le premier axe concerne l’influence de la prise en compte d’internet et de ses moyens de diffusion dans l’organisation des réseaux de distribution et dans les questions de géo-blocages territoriaux. En effet internet, l’utilisation de plateformes, l’utilisation de l’économie numérique ont bouleversé les approches traditionnelles de la distribution. Ce rapport tente d’en prendre la mesure et de proposer des pistes d’évolutions. Le second axe concerne la prise en compte du phénomène des plateformes dans le droit de la concurrence. L’importance du rôle de celles-ci, les analyses économiques spécifiques qu’elles induisent et l’apparition de l’économie solidaire sont autant de facteurs dont il convient de prendre la mesure pour tenter de proposer des pistes d’évolution. Cette partie s’intéressera aussi à l’importance prise par la question des bases de données dans le droit de la concurrence actuel, qu’elles soient détenues par des plateformes ou par des entreprises. La détention de données apparaît aujourd’hui comme un vecteur essentiel de la concurrence qui peut de ce fait entraîner des pratiques paralysantes pour les marchés sur lesquels cette détention intervient. L’AFEC se propose par conséquent d’analyser les conséquences éventuelles de celles-ci.

1. Economie numérique et réseaux de distribution L’économie numérique est venue bouleverser les modèles traditionnels de distribution faisant l’objet notamment dans les lignes directrices sur les restrictions verticales4 de paragraphes spécifiques sur l’utilisation d’internet par un distributeur. Il apparaît aujourd’hui nécessaire d’aller plus loin. Ce rapport rappellera, dans un premier temps, le droit positif applicable à l’utilisation d‘internet dans les réseaux de distribution (1-1), avant de proposer des pistes d’évolution (1-2) 1.1 Rappel du droit positif L’impact de l’économie numérique sur l’organisation des différents types de réseaux de distribution sera analysé spécifiquement sur la distribution exclusive et en, particulier sur la question du blocage géographique (1-1-1), puis sur la distribution sélective (1-1-2) et enfin une étude particulière sera dédiée à la franchise en raison de ses spécificités (1-1-3). 1.1.1. Distribution exclusive et blocage géographique

A. La distribution exclusive 4 JOUE n° C 130, 19 mai 2010, p. 1.

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Dans ce type de distribution, le fournisseur accepte de ne vendre ses produits qu’à un seul distributeur en vue de leur revente sur un territoire déterminé. (§ 151 des LD), les ventes passives auprès de clients situés dans d’autres territoires que le territoire exclusif non sollicités activement ne peuvent être interdites, c’est-à-dire des formes de promotions générales pour lesquelles le distributeur cherche raisonnablement à atteindre des clients situés sur son territoire grâce à des investissements justifiés par la nécessité de les atteindre. La vente par le distributeur exclusif de produits ou services par internet, même hors de son territoire exclusif, est considérée comme une vente passive en principe, qui ne peut être interdite5. Ainsi constituent des pratiques prohibées car elles équivalent à des pratiques d’interdiction des ventes passives :

(i) l’obligation pour le distributeur d’empêcher les clients situés sur un autre

territoire que le sien de consulter son site ou de le renvoyer automatiquement sur les sites des distributeurs situés sur le même territoire ou sur le site du fabriquant,

(ii) l’obligation pour le distributeur de mettre un terme à une opération de vente quand les données de la carte bancaire du client montrent qu’il n’est pas établi sur son territoire,

(iii) obliger le distributeur à limiter la part de ses ventes sur internet, (iv) convenir que le distributeur paie un prix plus élevé pour des

produits destinés à être revendus sur internet que pour des produits destinés à être revendus autrement. (§52 des LD).

L’utilisation d’internet par un distributeur peut cependant être limitée si elle constitue une forme de vente active vers un territoire extérieur à l’accord de distribution exclusive. Ce sera le cas de la publicité en ligne adressée spécifiquement à certains clients situés en dehors du territoire (ex bandeaux visant un territoire particulier situés sur les sites des tiers ou payer un moteur de recherche particulier pour cibler des clients hors territoire (§ 53 des LD). De plus le fournisseur peut poser certaines exigences (normes de qualité) pour l’utilisation du site internet. Ces règles ont pour vocation d’éviter que la tête de réseau, le fournisseur, ne crée des territoires exclusifs, étanches les uns par rapport aux autres, entre lesquels aucune concurrence ne pourrait subsister. Une concurrence entre les

5 « En principe, tout distributeur doit être autorisé à utiliser internet pour vendre ses produits. En règle générale, l’utilisation par un distributeur d’un site internet pour vendre des produits est considérée comme une forme de vente passive, car c’est un moyen raisonnable de permettre aux consommateurs d’atteindre le distributeur » (Point 52 des lignes directrices).

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distributeurs exclusifs, intra-marques, doit subsister en effet pour permettre aux clients de ceux-ci de s’approvisionner auprès d’un distributeur exclusif situé sur un autre territoire que celui de son lieu d’établissement si les conditions offertes par ce dernier apparaissent plus avantageuses. Il faut donc éviter une situation de blocage géographique de nature à faire perdre cette liberté aux clients en les obligeant à n’acheter qu’auprès du distributeur exclusif situé sur leur territoire.

B. Le blocage géographique Les mesures dites de « blocage géographique » relèvent de « pratiques commerciales qui empêchent les clients d’accéder en ligne à un produit ou un service et de les acheter à partir d’un site web établi dans un autre Etat membre, ou qui redirigent les clients automatiquement vers un site local du vendeur, qui ne propose pas des produits ou services identiques ou propose des prix différents. De ce fait, grâce à des outils de géolocalisation, les consommateurs peuvent se voir facturer davantage pour des produits ou des services achetés en ligne sur la base de leur adresse IP, de leur adresse postale ou du pays de délivrance de leur carte de paiement »6. Parmi les propositions de la Commission européenne figure la suppression du blocage géographique, celui-ci étant qualifié par la Commission de « pratique discriminatoire injustifiée utilisée pour des raisons commerciales, qui permet à des vendeurs en ligne d’empêcher les consommateurs d’accéder à un site internet sur la base de leur localisation, ou de les rediriger vers un site de vente en ligne de leur pays qui affiche des prix différents »7.

6 Conseil de l’Europe, « La territorialité et son impact sur le financement des œuvres audiovisuelles », 2015-2. Dans la Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité Economique et Social européen et au comité des Régions, intitulée « Stratégie pour un marché unique numérique en Europe » (SWD (2015) 100 final), la Commission précise les points suivants sur les blocages géographiques injustifiés « 1/certains vendeurs en ligne ont recours, pour des raisons commerciales, à des pratiques dites de blocage géographique qui ont pour effet d’empêcher l’accès à des sites web situés dans d’autres États membres. Parfois, les consommateurs peuvent accéder au site web mais ne peuvent pas acheter de produits ou de services sur ce site. Il arrive aussi que le consommateur soit redirigé vers le site web local du vendeur, qui ne propose pas les mêmes produits ou services ou pratique des prix différents. Dans d’autres cas, sans qu’il y ait refus de vente, des outils de géolocalisation permettent d’adapter automatiquement les prix à la localisation géographique. 2/ Le blocage géographique est un des nombreux outils utilisés par les entreprises pour segmenter les marchés en fonction des frontières nationales (restrictions territoriales). 3/Les pratiques de blocage géographique peuvent résulter d’une décision unilatérale des acteurs du marché, d’accords de partage du marché entre concurrents ou d’accords verticaux (pour les droits de distribution sur un territoire donné). 4/Parfois, ces restrictions sur l’offre, et la différenciation tarifaire qui en découle, peuvent être justifiées, par exemple lorsque le vendeur doit se conformer à certaines obligations légales. Toutefois, dans de nombreux cas, le blocage géographique en ligne n’est pas justifié. Ces pratiques injustifiées devraient être expressément interdites afin que les consommateurs et les entreprises de l’UE puissent profiter de tous les avantages qu’offre le marché unique en termes de choix et de prix plus abordables. » 7 Données chiffrées avancées par la Commission européenne: sur l’ensemble des tentatives de commandes transfrontières, 1/52 % n’aboutissent pas parce que le vendeur ne dessert pas le pays de localisation du consommateur. 2/74 % des plaintes relatives aux différences de prix ou à d’autres formes de discrimination géographique traitées par les centres européens de consommateurs concernent les achats en ligne transfrontières(Commission européenne - Communiqué de presse - Un marché unique numérique pour l’Europe: la Commission définit 16 initiatives pour en faire une réalité, 6 mai 2015) .

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La Commission entend ainsi lever dans toute l’Union Européenne les obstacles au commerce électronique, et en particulier le blocage géographique : elle considère que toute pratique de blocage géographique « injustifiée » constitue un obstacle au commerce électronique transfrontière au sein de l’Union et devrait être interdite. Cela doit être considéré en parallèle de la volonté politique également formulée par la Commission européenne de faciliter l’accès aux œuvres audiovisuelles y compris au niveau transfrontière. En effet, le blocage géographique peut également restreindre l’accès des clients aux services en ligne achetés dans leur pays d’origine, tels que des chaînes de télévision sur Internet, lorsqu’ils se trouvent à l’étranger. La Commission considérera-t-elle que les pratiques de blocages géographiques dans le secteur audiovisuel sont également injustifiées et qu’il conviendra d’y mettre fin ? 1.1.2. Distribution sélective Un système de distribution sélective est celui par lequel le fournisseur s’engage à ne vendre les biens ou services contractuels, directement ou indirectement, uniquement à des distributeurs sélectionnés sur la base des critères définis, et dans lequel ces distributeurs s’engagent à ne pas vendre ces biens ou ces services à des distributeurs non agréés dans le territoire réservé par le fournisseur pour l’opération de ce système (article 1.1.e du Règlement n°330/2010). Dans l’arrêt Metro I, la Cour a jugé que la nature et l’intensité de la concurrence peuvent varier en fonction, en particulier, des produits ou des services en cause. Un fabricant peut, par conséquent, adapter son mode de distribution pour satisfaire les exigences de ses clients et les systèmes de distribution sélective peuvent constituer un aspect de la concurrence compatible avec l’article 101 (1) TFUE, à condition que le choix des revendeurs s’opère en fonction de critères objectifs de caractère qualitatif, relatifs à la qualification professionnelle du revendeur, de son personnel et de ses installations, que ces conditions soient fixées d’une manière uniforme à l’égard de tous les revendeurs potentiels et appliquées de façon non discriminatoire (CJCE, 25 octobre 1977, Metro, 26/76). À l’inverse, un réseau de distribution sélective, dont l’accès est subordonné à des conditions allant au-delà d’une simple sélection objective de caractère qualitatif, tombe, en principe, sous l’interdiction de l’article 101 (1) TFUE, en particulier quand il est fondé sur des critères de sélection quantitatifs (CJCE, 10 juill. 1980, Lancôme c/ Etos , 99/79). En vertu du § 175 des Lignes directrices sur les restrictions verticales de 2010, les critères de sélection pour la distribution sélective qualitative sont (i) la nature du produit doit être telle qu’un système de distribution sélective ait une exigence

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légitime afin d’en préserver la qualité et d’en assurer le bon usage, (ii) les revendeurs doivent être choisis sur la base de critères objectifs de nature qualitative qui sont fixés de manière uniforme pour tous, portés à la connaissance de tous les revendeurs potentiels et appliqués de façon non discriminatoire (les critères ne doivent pas avoir pour objet ou pour effet d’exclure par nature une ou des formes déterminées de commerce qui seraient aptes à cette distribution, TPICE, 12 décembre 1996, Leclerc/Commission, T-19/92), et (iii) les critères définis ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire. En matière de distribution sélective quantitative, l’arrêt Auto 24 c/ Jaguar Land Rover France SAS de la Cour de Justice du 14 juin 2012 (affaire C-158/11) pose que les critères de sélection quantitatifs n’ont pas en revanche à être objectivement justifiés ni appliqués de manière indifférenciée et non discriminatoire mais simplement à être prédéfinis. L’utilisation d’internet par un distributeur est en principe libre. « En principe, tout distributeur doit être autorisé à utiliser internet pour vendre ses produits. En règle générale, l’utilisation par un distributeur d’un site internet pour vendre des produits est considérée comme une forme de vente passive, car c’est un moyen raisonnable de permettre aux consommateurs d’atteindre le distributeur » (Point 52 des lignes directrices). L’Autorité de la concurrence et la Commission Européenne ont posé ce principe par les décisions 06-D-28 du 5 octobre 2006 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution sélective de matériel Hi-fi et Home cinéma8 et n° 07-D-07 du 8 mars 2007 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution des produits cosmétiques et d’hygiène corporelle9 et par les lettres de confort envoyées par la Commission à Yves Saint Laurent10 et B&W Loudspeakers11, dans le cadre du système de l’autorisation préalable. Néanmoins, aucune de ces affaires n’a conduit à une décision de sanction ni d’interdiction, les entreprises ayant toutes modifié leurs contrats de distribution de manière à autoriser la vente en ligne par les distributeurs agréés. L’affaire Pierre Fabre a conduit à affirmer clairement le principe12, que l’interdiction absolue imposée par Pierre Fabre à ses distributeurs agréés de

8 Pts. 15 de la décision 9 Pts. 41 à 41 de la décision 10Aff. COMP/36533 - Yves Saint Laurent [2001] 11Aff. COMP/37709 - B&W Loudspeakers [2002] 12 D’abord par la décision de l’autorité Décision n° 08-D-25 du 29 octobre 2008 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution de produits cosmétiques et d’hygiène corporelle vendus sur conseils pharmaceutiques, mais c’est surtout l’arrêt de la Cour Aff. C-439/09 Pierre Fabre Dermo-Cosmétique SAS contre Président de l’Autorité de la concurrence et Ministre de l’Économie, de l’Industrie et de l’Emploi [2011], rendu sur question préjudicielle de la Cour d’appel de Paris dans le cadre de l’appel de la décision de l’autorité, qui pose définitivement le principe en affirmant : « une clause contractuelle, dans le cadre d’un système de distribution sélective, exigeant que les ventes de produits cosmétiques et d’hygiène corporelle soient effectuées dans un espace physique en présence obligatoire d’un pharmacien diplômé, ayant pour conséquence

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vendre sur internet constitue une restriction de concurrence par l’objet au sens du règlement 2790/1999 (applicable à l’époque) d’exemption par catégorie pour les accords verticaux. L’utilisation d’internet, si elle est libre, peut cependant être subordonnée au respect de certaines obligations :

- l’exploitation d’un ou plusieurs points de vente physiques a minima, la satisfaction de critères quantitatifs, notamment la vente d’une certaine quantité hors ligne selon certaines conditions (Point 52 des lignes directrices) ; Le Point 54 des lignes directrices de la Commission sur les restrictions verticales [2010] rappelle que « l’exemption par catégorie permet au fournisseur, par exemple, d’exiger de ses distributeurs qu’ils disposent d’un ou de plusieurs points de vente physiques, comme condition pour pouvoir devenir membres de son système de distribution ». La possibilité pour les fournisseurs à la tête d’un réseau de distribution sélective de ne réserver la vente en ligne qu’aux distributeurs agréés disposant d’un ou plusieurs points de ventes physique. La solution a été appliquée notamment dans les affaires Parfums Yves Saint Laurent et B&W Loudspeakers devant la Commission ou un minimum de ventes hors internet, ce qui peut exclure les pure players13. Les justifications avancées

l’interdiction de l’utilisation d’Internet pour ces ventes, constitue une restriction par objet au sens de cette disposition si, à la suite d’un examen individuel et concret de la teneur et de l’objectif de cette clause contractuelle et du contexte juridique et économique dans lequel elle s’inscrit, il apparaît que, eu égard aux propriétés des produits en cause, cette clause n’est pas objectivement justifiée » 13 D’abord l’autorité de la concurrence et la Commission ont amorcé de poser le principe par les décision 06-D-28 du 5 octobre 2006 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution sélective de matériel Hi-fi et Home cinéma13 et décision n° 07-D-07 du 8 mars 2007 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution des produits cosmétiques et d'hygiène corporelle13 et par les lettres de confort envoyées par la Commission à Yves Saint Laurent13 et B&W Loudspeakers13, dans le cadre du système de l’autorisation préalable. Néanmoins, aucune de ces affaires n’a conduit à une décision d’interdiction, les entreprises ayant toutes modifié leurs contrats de distribution de manière à autoriser la vente en ligne par les distributeurs agréés. Puis l’affaire Pierre Fabre : pose clairement le principe, d’abord par la décision de l’autorité Décision n° 08-D-25 du 29 octobre 2008 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution de produits cosmétiques et d’hygiène corporelle vendus sur conseils pharmaceutiques qui décide que l’interdiction absolue imposée par Pierre Fabre à ses distributeurs agréés de vendre sur internet constitue une restriction caractérisée au sens (à l’époque) du règlement 2790/1999 d’exemption par catégorie pour les accords verticaux. Mais c’est surtout l’arrêt de la Cour Aff. C-439/09 Pierre Fabre Dermo-Cosmétique SAS contre Président de l’Autorité de la concurrence et Ministre de l’Économie, de l’Industrie et de l’Emploi [2011], rendu sur question préjudicielle de la Cour d’appel de Paris dans le cadre de l’appel de la décision de l’autorité, qui pose définitivement le principe en affirmant : « une clause contractuelle, dans le cadre d’un système de distribution sélective, exigeant que les ventes de produits cosmétiques et d’hygiène corporelle soient effectuées dans un espace physique en présence obligatoire d’un pharmacien diplômé, ayant pour conséquence l’interdiction de l’utilisation d’Internet pour ces ventes, constitue une restriction par objet au sens de cette disposition si, à la suite d’un examen individuel et concret de la teneur et de l’objectif de cette clause contractuelle et du contexte juridique et économique dans lequel elle s’inscrit, il apparaît que, eu égard aux propriétés des produits en cause, cette clause n’est pas objectivement justifiée » ;

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sont les suivantes14 : 1/nécessité pour les consommateurs de pouvoir tester les produits et bénéficier d’un conseil personnalisé (notamment pour les parfums, cosmétiques et produits de luxe), 2/nécessité de pouvoir effectuer une démonstration des produits et apporter un accompagnement au consommateur avant et après la vente (installation à domicile par du personnel qualifié, SAV etc.) 3/éviter les risques de parasitisme, à savoir que les distributeurs uniquement actifs sur internet ne profitent des investissements réalisés par les distributeurs disposant d’un point de vente physique sans en supporter les frais,

- la satisfaction de critères qualitatifs pour la commercialisation en ligne, tels que la charte graphique, la désignation du site, la référence à d’autres sites (Point 54 des lignes directrices)

- le respect de certaines modalités de commercialisation et

l’exécution d’obligations de SAV, de traitement du retour des produits (Point 56 des lignes directrices) ;

- le paiement d’une redevance fixe pour soutenir les efforts de

vente hors ligne sous certaines conditions (Point 64 des lignes directrices).

A titre exceptionnel, l’interdiction d’utiliser internet peut être admise si elle est objectivement justifiée (pt 60 des lignes directrices). On peut imaginer simplement des limites exceptionnelles liées à la santé ou à la sécurité ou encore la vente d’un nouveau produit pendant sa période de lancement. Lorsque le distributeur doit réaliser des investissements importants pour créer et/ou développer un nouveau marché, les restrictions imposées aux ventes passives d'autres distributeurs sur le territoire concerné ou à la clientèle visée qui sont nécessaires pour que le distributeur récupère ces investissements ne relèvent généralement pas de l'article 101, paragraphe 1, pendant les deux premières années au cours desquelles le distributeur vend les biens ou services contractuels sur ce territoire ou à cette clientèle (pt 61 des lignes directrices). Parfois, le lancement d’un nouveau produit sur le marché peut conduire à ce que le fournisseur puisse, dans un accord, obliger les distributeurs désignés pour vendre le nouveau produit sur le marché testé ou participer aux premières étapes de l'introduction échelonnée, à limiter leurs ventes actives en dehors du marché testé ou du ou des marchés où le produit est d'abord introduit (pt 62 des lignes directrices). Ce qui peut nécessiter une limitation de l’utilisation d’internet.

14 Avis n°12-A-20 du 18 septembre 2012 de l’autorité de la concurrence, relatif au fonctionnement

concurrentiel du commerce électronique (Pts. 280-286 de l’avis)

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Enfin selon le § 54 des LD un fournisseur peut exiger que ses distributeurs ne recourent à des plateformes tierces pour distribuer les produits contractuels que dans le respect des normes et des conditions qu’il a convenues avec eux pour l’utilisation d’internet par les distributeurs. Par exemple le fournisseur peut exiger que les clients n’accèdent pas au site du distributeur via un site qui porte le nom ou le logo de la plateforme tierce.15 L’Autorité de la concurrence de son côté a justifié cette position en considérant que ces plateformes pouvaient ne pas donner suffisamment de garanties concernant la qualité et l’identité des vendeurs16. 1.1.3. La Franchise C’est un contrat par lequel un franchiseur, qui réussit dans une activité, met à la disposition de son franchisé, moyennant rémunération, un savoir-faire commercial pour la revente de produits et/ou services, et des signes distinctifs notoires, afin de permettre au franchisé de réitérer la réussite commerciale du franchiseur. Dans l’arrêt du 28 janv. 1986, aff. 161/84, Pronuptia de Paris GmbH, la Cour de Justice des Communautés Européennes a posé le principe que : « Les clauses qui sont indispensables pour empêcher que le savoir-faire transmis et l’assistance apportée par le franchiseur profitent à des concurrents ne constituent pas des restrictions de la concurrence au sens de l’article [101 paragraphe 1] » (pt. 27) ; « Les clauses qui organisent le contrôle indispensable à la préservation de l’identité et de la réputation du réseau qui est symbolisé par l’enseigne ne constituent pas non plus des restrictions de la concurrence au sens de l’article [101 paragraphe 1] » (pt. 27). A notre connaissance, il n’existe pas de jurisprudence ou de pratique décisionnelle en la matière, notamment sur la question de la possibilité pour le franchiseur d’encadrer, voire d’interdire, la création et l’exploitation par les franchisés de leur propre site internet. Toutefois, il est probable que les autorités de concurrence appliquent au contrat de franchise les mêmes solutions que celles rendues dans le cadre des contrats de distribution sélective, de concession commerciale ou d’approvisionnement exclusif, eu égard notamment à l’assimilation du contrat de franchise à ces derniers contrats (Cf. développements ci-dessus)

15 Dans le même sens Décision 07-D-07 du 8 mars 2007, Avis de l’Autorité de la Concurrence 12-A-20 du 18 septembre 2012 16 Décision n° 07-D-07 du 8 mars 2007 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution des produits cosmétiques et d'hygiène corporelle : « s’agissant de la problématique des plates-formes, le Conseil note que ce canal de distribution pose encore des problèmes sérieux […] Ces plates-formes se présentent en effet comme des intermédiaires entre l'acheteur et le vendeur et il est fréquent que le vendeur "professionnel", qu'il convient de distinguer du vendeur "particulier" qui vend des produits d’occasion ou de seconde main, ne respecte pas son obligation d'identification, telle que prévue par la loi. […] Pour ces raisons, le Conseil estime que les craintes des fabricants de produits dermo-cosmétiques suscitées par ces pratiques illégales peuvent légitimer l’interdiction de ce canal de vente, tant que les plates-formes n’apportent pas de garanties supplémentaires sur la qualité et l’identité des vendeurs »16.

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1.2. Propositions d’évolution du droit positif et questions en suspens Les propositions d’évolution du droit positif du groupe de travail pourraient se traduire par une évolution de la partie des lignes directrices qui traite spécifiquement d’internet (§ 52 et suivants des lignes directrices (2010/C 130/01 du 19 mai 2010). 1.2.1. Distribution exclusive

Il faut faciliter l’utilisation d’internet dans la distribution. 1. Le groupe se demande s’il ne faudrait pas aligner désormais le régime des

ventes actives aux seuls efforts du distributeur visant à atteindre spécifiquement un territoire ou une clientèle particuliers en matière de ventes en ligne pour les réseaux de distribution exclusive.

2. Il conviendrait de faciliter l’utilisation des plateformes par les distributeurs

sous réserve qu’elles respectent des conditions de présentation des produits et des services cohérentes avec la nature de ceux-ci. Dans cette perspective, pourrait être envisagée une inversion de la charge de la preuve en vertu de laquelle il appartiendrait au fournisseur de montrer que les conditions de recours à une plateforme ne sont pas satisfaisantes. Le principe serait donc celui du droit pour le distributeur de recourir à l’intermédiation d’une plateforme.

1.2.2. Blocage géographique

1- Le principe de l’interdiction de tout blocage géographique devrait être posé car les consommateurs localisés dans un Etat membre se trouvent empêchés d’accéder à des produits ou services offerts dans un autre Etat membre. Du même coup, l’opérateur qui offre lesdits produits ou services se trouve privé de la possibilité de réaliser des ventes passives à ces consommateurs.

2- Toutefois certaines dérogations devraient être admises quand elles

sont réellement motivées17 :

17 La question pourrait se poser sur la différenciation tarifaire. Selon la théorie économique la différenciation tarifaire n’est pas généralement nuisible au consommateur lorsqu’elle est mise en œuvre par des entreprises qui ne possèdent pas de pouvoir de marché significatif. Au contraire, elle engendre le plus souvent des gains d’efficacité, en permettant aux entreprises de vendre à un certain nombre de consommateurs qui préféreraient ne pas acheter de produit si un prix unique devait être appliqué. Par ailleurs, la différenciation tarifaire peut faciliter l’entrée de nouveaux acteurs en permettant à une entreprise de pratiquer des prix de lancement dans un marché dans lequel ses produits ne sont pas encore très connus

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i. L’obligation du vendeur de se conformer à certaines obligations juridiques ou règlementaires spécifiques au pays de localisation du consommateur;

ii. Les caractéristiques du produit (exemple voltage différent dans le pays de localisation du consommateur)

iii. L’absence de service après-vente dans le pays de localisation du consommateur

iv. La portabilité transfrontière des contenus dans le secteur audiovisuel18 :

1. selon les producteurs et distributeurs de films, une portabilité accrue des contenus ne résoudra pas la question de la circulation transfrontière des œuvres audiovisuelles, puisque cette question ne concerne qu’une proportion très limitée de la population de l’UE (selon Eurostat, moins de 3 % de la population de l’UE résident dans un Etat membre autre que leur pays d’origine)

2. selon les ayants droit, l’octroi de licences territoriales avec des distributeurs exclusifs sur chaque territoire les aide à garantir un financement adéquat au stade de la pré-production et leur offre la possibilité d’un retour sur investissement (la suppression de la territorialité ne profiterait qu’aux grands acteurs mondiaux, qui s’appuient sur leur position de force sur le marché pour conclure des accords de licences paneuropéennes sur la base de sommes forfaitaires, plutôt que d’acquérir des licences territoire par territoire). En effet, de nombreuses études économiques suggèrent que la vente de droits de distributions exclusifs permet de maximiser la rémunération du détenteur des droits. La théorie économique montre par ailleurs que dans les marchés où la concurrence « inter-marques » (à savoir, entre producteurs / détenteurs de droits) est vive, la vente en

18 La portabilité transfrontière correspond à la capacité, pour les utilisateurs de services par abonnement, d’accéder à ces services y compris lorsqu’ils se trouvent physiquement dans un Etat membre autre que celui dans lequel ils ont souscrit l’abonnement. Il existe une volonté marqué des représentants du secteur audiovisuel de favoriser le développement de la portabilité transfrontière des contenus audiovisuels acquis légalement, grâce à des services adaptés aux voyages à l’étranger avec la signature d’une déclaration commune en 2013 en inscrivant leur volonté de « continuer à œuvrer pour son renforcement là où des solutions économiquement pérennes sont possibles, à condition que les contenus puissent être sécurisés et en tenant compte de la diversité culturelle »18 Le réseau des plateformes de vidéo à la demande indépendantes, a également publié une déclaration afin de manifester son intérêt pour l’élaboration et la mise en œuvre de solutions concernant l’accès transfrontière aux offres de « vidéo à la demande » par abonnement, ainsi que la mise à disposition de plusieurs versions linguistiques, correspondant aux droits octroyés18.

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exclusivité ne soulève généralement pas de préoccupations de concurrence.

3. il est à noter qu’il n’existe pas d’obstacle juridique à l’octroi de licences multi-territoriales - si ce type de licence est rarement octroyé, c’est le fait d’un choix opéré par les différents acteurs du marché. Dans la mesure où la concurrence sur ces marchés n’est pas entravée par des positions dominantes ou des pratiques anticoncurrentielles, le choix de licences nationales semble donc relever de l’efficacité économique.

4. même sur Internet, il n’est pas possible d’accéder depuis un pays de l’UE aux chaînes d’un autre pays européen du fait de l’existence des droits d’auteur - ceux-ci sont cédés uniquement sur des bases nationales, et ce principe dit de territorialité est à la base du financement de la chaîne de création

1.2.3. Distribution sélective

1- Le groupe s’est interrogé sur la possibilité de remettre en cause ou de relativiser l’obligation faite aux distributeurs dedisposer d’un point de vente physique en fonction de la nature des produits ?

L’Autorité de la concurrence française19 souligne que cette exception n’est pas absolue et que si elle apparait injustifiée au regard de la nature

19 Aux points 333 à 347 de son Avis n°12-A-20 du 18 septembre 2012 de l’autorité de la concurrence, relatif au fonctionnement concurrentiel du commerce électronique, l’autorité insiste sur le fait que cette exception n’est pas absolue et que s’il apparait que cette exigence est injustifiée au regard de la nature des produits en cause et restreint la concurrence, elle pourra être remise en cause. Elle affirme, en listant un certain nombre de critères, que si au terme d’une analyse individuelle, il apparait que l’exigence de détenir un point de vente physique n’est pas justifiée, le bénéfice de l’exemption pourra être retiré. Si par son objet cette condition de l’existence d’un point de vente physique n’est pas restrictive de concurrence, il semble que l’autorité considère que tel peut être le cas dans ses effets. Néanmoins, l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 13 mars 2014 rendu sur recours de Bang & Olufsen contre la décision n° 12-D-23 du 12 décembre 2012 relative à des pratiques mises en œuvre par la société Bang & Olufsen dans le secteur de la distribution sélective de matériels hi-fi et home cinéma semble au contraire proposer une position extrêmement nuancée quant à la possibilité d’interdire totalement la vente en ligne au sein d’un réseau de distribution. Même s’il confirme la décision de l’autorité, d’abord il réduit de 90% le montant de l’amende imposée en considérant que la jurisprudence relative à l’interdiction d’interdire la vente en ligne n’avait pas été clairement posée au moment de l’ouverture de l’enquête (alors même que depuis 2006 tant au niveau national qu’européen les décisions des autorités allaient toutes dans ce sens), ensuite il confirme la décision de façon très nuancée : « Considérant qu’elles ne démontrent pas en quoi certaines alternatives envisageables, moins restrictives que l’interdiction totale et absolue de vendre sur internet entraineraient le risque de parasitisme allégué ; qu’en l’espèce, certains produits moins élaborés et moins chers de la gamme Bang & Olufsen tels que les écouteurs, les casques audio et les accessoires peuvent particulièrement se prêter à la vente sur internet en ce que à la différence de produits complexes de la gamme, d’une part, ils ne nécessitent pas dans tous les cas de

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des produits en cause et restreint la concurrence, elle pourra être remise en cause. Ainsi la tête de réseau devrait démontrer en quoi certaines alternatives envisageables, moins restrictives que l’interdiction totale et absolue de vendre sur internet, entraineraient le risque de parasitisme allégué notamment pour les produits qui ne nécessitent pas de démonstration en magasin et qui n’engendrent pas de coûts de stockage ou de distribution importants diminuant l’investissement à réaliser par les distributeurs20. Certains membres de l’AFEC considèrent cependant que cette remise en cause serait très dangereuse à l’égard d’un mode de distribution qui justement laisse pleinement subsister la concurrence sur le lieu de vente et pour lequel le conseil donné au client est essentiel.

2- Les justifications avancées pour interdire l’entrée des pure players dans

les réseaux de distribution sont-elles réellement valables (nécessité de pouvoir effectuer une démonstration des produits et apporter un accompagnement au consommateur avant et après la vente (installation à domicile par du personnel qualifié, SAV etc.21) ou n’existe-t-il pas d’alternatives moins restrictives de concurrence ?

démonstration en magasin, réduisant ainsi le risque de parasitisme allégué et, d’autre part ils n’engendrent pas de coûts de stockage ou de distribution importants, diminuant l’investissement à réaliser par les distributeurs pour la création d’un site internet »19. 20 arrêt de la Cour d’appel de Paris du 13 mars 2014 rendu sur recours de Bang & Olufsen contre la décision n° 12-D-23 du 12 décembre 2012 relative à des pratiques mises en œuvre par la société Bang & Olufsen dans le secteur de la distribution sélective de matériels hi-fi et home cinéma semble au contraire proposer une position extrêmement nuancée quant à la possibilité d’interdire totalement la vente en ligne au sein d’un réseau de distribution. Même s’il confirme la décision de l’autorité, d’abord il réduit de 90% le montant de l’amende imposée en considérant que la jurisprudence relative à l’interdiction d’interdire la vente en ligne n’avait pas été clairement posée au moment de l’ouverture de l’enquête (alors même que depuis 2006 tant au niveau national qu’européen les décisions des autorités allaient toutes dans ce sens), ensuite il confirme la décision de façon très nuancée :« Considérant qu’elles ne démontrent pas en quoi certaines alternatives envisageables, moins restrictives que l’interdiction totale et absolue de vendre sur internet entraineraient le risque de parasitisme allégué ; qu’en l’espèce, certains produits moins élaborés et moins chers de la gamme Bang & Olufsen tels que les écouteurs, les casques audio et les accessoires peuvent particulièrement se prêter à la vente sur internet en ce que à la différence de produits complexes de la gamme, d’une part, ils ne nécessitent pas dans tous les cas de démonstration en magasin, réduisant ainsi le risque de parasitisme allégué et, d’autre part ils n’engendrent pas de coûts de stockage ou de distribution importants, diminuant l’investissement à réaliser par les distributeurs pour la création d’un site internet ». 21 Ensuite comme le relève l’autorité dans sa contribution à la table ronde de l’OCDE sur les restrictions verticales dans la vente sur internet, cet argument doit être relativisé. En effet, « les données globales recueillies montrent que si certains consommateurs prennent conseil dans des magasins physiques avant d’acheter en ligne, le phénomène inverse existe, dans lequel les consommateurs s’informent sur Internet avant d’acheter dans un magasin physique. Plus précisément, selon le baromètre FEVAD – Médiamétrie/NetRatings sur les comportements d’achats des internautes, publié en mai 2010, 53 % des internautes ont préparé leur achat sur Internet avant d’acheter en magasin, et inversement 31 % des internautes ont préparé leur achat en magasin avant d’aller acheter sur Internet ». D’autre part, comme le relève l’autorité, les pures players supportent des coûts importants, qui ne sont pas supportés par les brick & mortars. Notamment les coûts de référencement sur les moteurs de recherche. Ainsi l’autorité constate que « les prix sur Internet étaient globalement plus faibles que les prix hors ligne. Ce constat peut être attribué à l’intensité concurrentielle sur Internet (renforcée par l’existence d’outils de comparaisons de prix, la facilité d’accès à des vendeurs différents, l’existence d’éventuels nouveaux acteurs apparus avec Internet, etc.), ainsi qu’au fait que les vendeurs Internet

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S’il apparaît que cette exigence est inadaptée au regard de la nature des produits, l’exigence de démonstration physique du fonctionnement des produits devrait être écartée22. Il pourrait par exemple être envisageable de mettre en ligne sur les sites internet des vidéos dans lesquelles serait réalisée cette démonstration. Quant à l’accompagnement du consommateur, les pure players ont aujourd’hui largement développés des services de hotlines performants, et une installation à domicile par un professionnel qualifié serait tout à fait envisageable sans qu’un point de vente physique soit nécessaire23.

De plus, il faut noter qu’une solution à ce problème est déjà envisagée. Aux termes du considérant 52 d) des lignes directrices de la Commission sur les restrictions verticales [2010], il est possible « que le fournisseur s'entende avec l'acheteur sur une redevance fixe (c'est-à-dire une redevance qui ne varie pas en fonction du chiffre d'affaires réalisé hors ligne, ce qui équivaudrait indirectement à un système de double prix) pour soutenir ses efforts de vente hors ligne ou en ligne ».

3- Les plateformes devraient-elles continuer à pouvoir être exclues des

réseaux de distribution sélective aussi aisément ?

Il semble que les positions de l’Autorité de la concurrence et encore plus nettement du Bundeskartellamt évoluent dans ce sens : Dans son avis n°12-A-20 du 18 septembre 2012 relatif au fonctionnement concurrentiel du commerce électronique, l’Autorité de la concurrence souligne qu’elle n’a pas arrêté de position définitive concernant l’inclusion des plateformes dans les réseaux de distribution sélective, et leur habilité à remplir les conditions qualitatives requises

font face à des coûts de distribution relativement réduits par rapport aux distributeurs physiques. Ce dernier facteur ne doit cependant pas être considéré comme un fait immuable : en effet, l’avis a constaté que certains frais spécifiques aux sites Internet, tels les coûts de référencement (référencement payant et/ou optimisation du référencement naturel), pouvaient connaître des augmentations importantes »21. 22 D’ailleurs, ces besoins ont été avancés spécifiquement par les fabricants d’appareils électrodomestiques en pure perte car comme le relève l’autorité dans son avis n°12-A-20 du 18 septembre 2012 relatif au fonctionnement concurrentiel du commerce électronique :« Dans le secteur des produits électrodomestiques, une partie des fabricants ayant choisi le mode de distribution sélectif n’exige pas non plus des distributeurs qu’ils détiennent un point de vente physique, et se réserve donc le droit d’agréer des distributeurs pure players, en particulier pour des produits pour lesquels ils estiment qu’une démonstration n’est pas nécessaire »22.Eviter les risques de parasitisme, à savoir que les distributeurs uniquement actifs sur internet ne profitent des investissements réalisés par les distributeurs disposant d’un point de vente physique sans en supporter les frais. 23 Certains membres de l'AFEC considèrent cependant que cette remise en cause serait très dangereuse à l'égard d'un mode de distribution qui justement laisse pleinement subsister la concurrence sur le lieu de vente et pour lequel le conseil donné au client est essentiel.

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par les réseaux de distribution sélective24. En outre, dans une affaire récente concernant les produits bruns, elle a décidé de poursuivre l’instruction au fond en ce qui concerne une clause d’interdiction générale de vente sur les market places25. L’AFEC pense que là encore tout dépend de la nature des produits et de la plateforme utilisée. Elle propose néanmoins de placer la tête de réseau en situation d e devoir démontrer en quoi l’intervention de la plateforme nuirait au réseau. En juin 2014, le Bundeskartellamt a accepté des engagements de la part d’Adidas selon lesquels ce dernier autorisera désormais les places de marchés au sein de son réseau de distribution. En effet le BKA avait considéré l’interdiction générale des market places par Adidas comme constitutive d’une restriction de concurrence, insusceptible de bénéficier d’une exemption individuelle au titre de l’article 101§3 TFEU. Cette position a récemment été rejointe par l’Autorité de la concurrence qui a décidé de clore son enquête à la suite de l’engagement pris par Adidas de permettre à ses distributeurs sélectifs de vendre ses produits sur des places de marché sous réserve qu'elles respectent certains critères qualitatifs qui leur permettront alors d'être agréées par le fabricant26. Dans une décision plus récente (2015) le BKA, bien qu’il n’ait pas formellement tranché la question, a émis des préoccupations quant à l’interdiction imposée par Asics à ses distributeurs agréés d’utiliser les places de marchés pour distribuer les produits. En 2013, dans un cas d’espèce plus particulier, le BKA a considéré que Sennheiser ne pouvait interdire à ses distributeurs agréés de vendre les produits sur la plateforme Amazon marketplace, alors même qu’Amazon était un distributeur agréé. Tout récemment dans une affaire Caudalie, la Cour d’appel de Paris saisie en référé a considéré qu’un faisceau d’indices sérieux et concordants tendant à établir avec l’évidence requise en matière de référé que l’interdiction de principe du recours pour les distributeurs des produits Caudalie, pour l’essentiel pharmaciens d’officine, à une plate-forme en ligne quelles qu’en soient les caractéristiques est susceptible de constituer, sauf justification

24 Pt. 354 de l’avis. L’autorité a réitéré cette faveur envers les « places de marchés » dans sa contribution à la table ronde de l’OCDE sur les restrictions verticales en matière de distribution en matière de vente en ligne24. Pt. 184 de la décision 25 Dans sa décision n° 14-D-07 du 23 juillet 2014, bien qu’elle n’ait pas rendu de décision au fond, l’Autorité a rappelé que « Le Conseil puis l’Autorité de la concurrence ont […]considéré que les sites de places de marché avaient la capacité de satisfaire aux critères qualitatifs des produits, par exemple par la création de boutiques virtuelles réservées aux vendeurs agréés, certains fabricants ayant déjà accepté le principe d’une vente de leurs produits sur ce type de sites dès lors que les critères qualitatifs conditionnant la vente sur Internet de leurs produits étaient respectés » (para 176) et qu’« en conséquence, il n’est pas exclu que (les contrats de distribution de Samsung qui contiennent une clause d’interdiction générale de vente sur les market places) […], puissent révéler des indices de restrictions verticales sur les ventes actives et passives des détaillants actifs sur le marché pertinent »25. 26 ADLC, communiqué de presse du 18 novembre 2015, « vente en ligne »

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objective, une restriction de concurrence caractérisée exclue du bénéfice de l’exemption communautaire individuelle27.

1.2.4. Franchise Ces propositions s’appuient sur la prise en compte d’un savoir spécifique à la distribution sur internet en tant que telle.

1- Le groupe de travail est favorable à ce que l’utilisation d’un site internet par un distributeur soit libre et même favorisée, conformément aux propositions faites ci-dessus, mais en admettant certaines dérogations. Celles-ci sont notamment destinées à permettre au franchiseur, a minima pour la période pendant laquelle il devra expérimenter lui-même son savoir-faire sur internet, de vérifier son efficacité dans le cadre de ce canal de distribution. En effet pour rappel, le franchiseur a l’obligation de mettre à la disposition de ses franchisés un savoir-faire expérimenté, sous peine d’engager sa responsabilité à leur égard ou d’encourir la nullité des contrats de franchise. Toutefois certains membres considèrent qu’un éventuel échec du franchiseur dans le e-commerce pourrait donc résulter, non pas de l'inadéquation de cette technique, mais plutôt de son manque de compétences propres en la matière. Lui permettre de prohiber le recours à cet autre mode de distribution ne se justifierait donc pas selon eux.

2- Dans l’hypothèse où le franchiseur constate que son savoir-faire

n’est pas efficace sur internet, ne peut-il pas interdire purement et simplement aux franchisés de créer et d’exploiter leur propre site internet ? Pour rappel, l’objet du contrat de franchise est la réitération par les franchisés de la réussite connue par le franchiseur ; à défaut d’une telle réussite ou de sa réitération par les franchisés, le franchiseur engage potentiellement sa responsabilité à leur égard ou encourt la nullité des contrats de franchise. Dans l’hypothèse où le franchiseur développe un savoir-faire spécifique pour internet, ne peut-il pas créer deux réseaux de franchise, l’un sur internet, l’autre en magasins physiques28 ?

27 La demande était fondée sur l’article L 442-6 I 6° du code de commerce 28 Ne peut-il pas refuser aux « franchisés physiques » qui ne satisfont pas les critères liés à la commercialisation par internet d’utiliser ce canal, et inversement, de refuser aux « franchisés internet » qui ne satisfont pas les

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3- Eu égard à la spécificité de la franchise, le contrat de franchise ne

devrait-il pas être soumis à l’application du règlement UE n°316-2014 du 21 mars 2014 relatif aux accords de transfert de technologie plutôt qu’à l’application du règlement n°330-2010 relatif aux accords verticaux ? L’assimilation du contrat de franchise aux autres contrats de distribution est critiquable : il semble en effet que dans l’arrêt «Pronuptia », la Cour avait caractérisé la franchise par l’exploitation d’un ensemble de connaissances plutôt que par un mode de distribution29. La Cour avait ajouté que le règlement d’exemption n°67/67 du 22 mars 1967, alors en vigueur concernant l’application de l’article 85, paragraphe 3 du traité à des catégories d’accords d’exclusivité, n’était pas applicable à des accords de franchise de distribution, dès lors notamment que ces catégories d’accord étaient «définies par rapport à des engagements réciproques (ou non) de livraison d’achat, et non par rapport à des éléments tels que l’utilisation d’une même enseigne, l’application de méthodes commerciales uniformes et le paiement de redevances en contrepartie des avantages consentis qui sont caractéristiques des contrats de franchise de distribution» (Cf. § 33). Dans le prolongement de cet arrêt, le règlement d’exemption CE n° 4087-1988 du 30 novembre 1988, spécifique aux contrats de franchise, définissait ce contrat comme «un ensemble de droits de propriété industrielle ou intellectuelle concernant des marques, noms commerciaux, enseignes, dessins et modèles, droits d’auteur, savoir-faire ou brevets, destinés à être exploités pour la revente de produits ou la prestation de services à des utilisateurs finals » (Cf. art. 1er, 3, a). Le règlement UE n°316-2014 du 21 mars 2014 s’applique aux «accords de transfert de technologie» : Les «accords de transfert de technologie» sont entendus notamment comme des «accords de concession de licence de droits sur technologie conclu entre deux entreprises aux fins de la production de produits contractuels par le preneur de licence et/ou son ou ses sous-traitants» (Cf. règlement UE n°316-2014, art. 1er). Les « droits sur technologie »

critères liés à la commercialisation en magasins physiques d’utiliser ce canal ? Voire, ne peut-il pas considérer que les franchisés ne doivent pas pouvoir accéder à ces deux réseaux ? Pour rappel, au point 31 des lignes directrices sur les restrictions verticales, il est considéré que sont en principe exemptées, d’une part, « l'obligation pour le franchisé de ne pas exercer, directement ou indirectement, une activité commerciale similaire »; d’autre part, « l'obligation pour le franchisé de ne pas utiliser le savoir-faire concédé sous licence par le franchiseur à d'autres fins que l'exploitation de la franchise ». 29 « Plutôt que d’un mode de distribution, il s’agit d’une manière d’exploiter financièrement, sans engager de capitaux propres, un ensemble de connaissances », « Les contrats de franchise de distribution se différencient en cela des contrats de concession de vente ou de ceux liant des revendeurs agréés dans un système de distribution sélective qui ne comportent ni utilisation d’une même enseigne, ni application de méthodes commerciales uniformes, ni paiement de redevances en contrepartie des avantages consentis » (Cf. § 15).

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comprennent en particulier le «savoir-faire», défini comme «un ensemble d’informations pratiques, résultant de l’expérience et testées, qui est (i) secret, c’est-à-dire qu’il n’est pas généralement connu ou facilement accessible, (ii) substantiel, c’est-à-dire important et utile pour la production de produits contractuels, et (iii) identifié, c’est-à-dire décrit d’une façon suffisamment complète pour permettre de vérifier qu’il remplit les conditions de secret et de substantialité» (Cf. règlement UE n°316-2014, art. 1er).

L’application du règlement UE n°316-2014 du 21 mars 2014 relatif aux accords de transfert de technologie aux contrats de franchise devrait alors donner lieu à des solutions, concernant internet, différentes de celles rendues en matière de distribution sélective, de concession exclusive ou d’approvisionnement exclusif. Sur ce point cependant certains membres de l’AFEC sont très réservés considérant que les contrats de franchise en sont pas que des accords de partage de propriété intellectuelle mais des modes de distribution, ce que confirment les lignes directrices sur le transfert de technologies qui limitent le champ d’application du règlement sur les transferts de technologie aux seuls droit de propriété intellectuelle et non au mode de vente de produits ou services.

En résumé, l’AFEC propose : 1/ pour les contrats de distribution exclusive de faciliter l'utilisation d'internet en limitant le domaine de l'interdiction concernant les ventes actives aux seuls efforts du distributeur visant à atteindre spécifiquement un territoire ou une clientèle particuliers en matière de ventes en ligne, 2/ pour les contrats de distribution exclusive et sélective de faciliter l'utilisation des plateformes par les distributeurs, le cas échéant en prévoyant qu'elles respectent certains critères qualitatifs qui leur permettront alors d'être agréées par la tête de réseau, et de faciliter l'entrée dans le réseau des pure players en imposant à la tête de réseau de justifier la nécessité d'une exclusion au regard de la nature des produits, 3/ de prendre en compte la spécificité de la distribution sur internet dans les réseaux de franchise 4/ Certains avis divergents n'ont pas souhaité une remise en cause du système actuel, notamment pour les ventes actives, les modalités actuelles d'intervention des pure players et la prise en compte d'internet dans les réseaux de franchise, le considérant adapté aux évolutions

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§ § § §

2. Economie numérique, données et plateformes

Ce domaine ayant peu fait l’objet d’une réglementation européenne ou nationale et de jurisprudence, un rappel des notions concernées est apparu nécessaire (2-1) avant d’aborder les propositions qui prendront la forme d’analyse des enjeux concurrentiels (2-2). 2.1. Rappel de la notion de plateformes : hétérogénéité des

plateformes L’évolution des modes de sociabilité des individus a permis l’essor de plateformes numériques. En effet, la recherche par les internautes d’informations pertinentes, verticales (en provenance d’entreprises) comme horizontales (avis de consommateurs), en temps réel, a conduit au développement d’une fonction d’intermédiation allant des sites de comparaison de produits aux réseaux sociaux en passant par les plateformes d’échanges ou d’économie solidaire. Cette hétérogénéité des plateformes est consacrée à l’article L. 111-5-1 alinéa 1er du Code de la consommation, intégré par la loi du 6 août 2015 relative à la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, qui les définit comme « toute personne dont l’activité consiste à mettre en relation, par voie électronique, plusieurs parties en vue de la vente d’un bien, de la fourniture d’un service ou de l’échange ou du partage d’un bien ou d’un service »30. La définition est extrêmement large, mais elle ne couvre pas toutefois les fournisseurs d'accès Internet31. Malgré cette exclusion, la variété des plateformes empêche l’émergence d’une définition plus précise, du moins opérationnelle, en droit de la concurrence.

30 Le projet de loi Lemaire pour une république numérique, adopté par l'Assemblée Nationale en 1ère lecture, le

26 janvier 2016, propose de modifier l'article L. 111-5-1 C. consom en ce sens : ‘est qualifiée d’opérateur de

plateforme en ligne toute personne physique ou morale proposant, à titre professionnel, de manière rémunérée

ou non, un service de communication en ligne reposant sur :

« 1° Le classement ou le référencement, au moyen d’algorithmes informatiques, de contenus, de biens ou de

services proposés ou mis en ligne par des tiers ;

« 2° Ou la mise en relation de plusieurs parties en vue de la vente d’un bien, de la fourniture d’un service ou de

l’échange ou du partage d’un contenu, d’un bien ou d’un service. 31 Audition sur les Accords de Parité Inter-Plateformes - Note de la France - 27-28 octobre 2015, DAF/COMP/WD(2015)64, Direction Des Affaires Financières et des Entreprises - Comité de la Concurrence de l’OCDE.

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On peut recenser deux grandes catégories de plateformes selon la qualité des offreurs présents : soit les offreurs sont des professionnels ou entreprises soit ils sont des particuliers. Certaines plateformes brouillent cependant la distinction, l’offre émanant aussi bien de professionnels que de particuliers (Ebay, Leboncoin).

2.1.1 Plateformes de commerce en ligne B / C En laissant de côté, à ce stade, les plateformes d’économie collaborative, la définition retenue à l’article L. 111-5-1 du Code de la consommation permet d’englober l’ensemble des sites d’intermédiation de vente de produits ou services entre un professionnel d’une part, et un consommateur (B/C) ou un professionnel (B/B) d’autre part. Figure ci-dessous un tableau présentant quelques exemples de domaines dans lesquels exercent les plateformes numériques.

Plateformes Quelques acteurs

Place de marché Amazon, Price Minister, Kelkoo.fr, leguide.com, yelp.fr …

Réservation hôtelière et touristique

Booking.com, Hotels.com, Venere.com, tripadvisor…

Magasins d’applications mobiles

App. Store, Google Play, Amazon Appstore…

Livres numériques Amazon, iBooks Store… Plateformes audiovisuelles et musicales

Deezer, Spotify, Netflix, CanalPlay, Apple TV…

Plateforme de partage de vidéos

YouTube, Vevo, Dailymotion…

Systèmes de paiement Paypal, Apple Pay Réseaux sociaux Facebook, Instagram, Linkedin,

Twitter, Viadéo, Tuenti… La jurisprudence Kelkoo32 et Leguide.com33 a qualifié les plateformes de sites publicitaires soumis en cette qualité aux articles L. 120-1 et suivants du Code de la consommation. La qualification de courtage a en revanche été exclue pour ces

32 Cass. com., 29 novembre 2011 (n° 10-27402). 33 Cass. com., 4 déc. 2012, n° 11-27729 : Contrats, conc. consom. 2013, comm. n° 68, obs. G. Raymond ; CCE 2013, comm. n° 14, obs. G. Loiseau. Selon la Cour de cassation dans son arrêt de 2012, « moyennant rémunération, la société Leguide.com permet aux e-marchands bénéficiant du référencement prioritaire de voir leurs produits ou offres classés de façon prioritaire avant ceux des autres, (…) qu’il est nécessaire à l’internaute, pour être informé de la différence de classement entre e.commerçants “payants” ou non, de consulter les mots “en savoir plus sur les résultats” ou “en savoir plus” ou encore “espaces marchands ». Partant, « la société Leguide.com assurait de façon indirecte la promotion des produits ou services proposés par les e-marchands bénéficiant du référencement prioritaire et que, de ce fait, elle exerçait une activité de prestataire de service commercial et publicitaire ».

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sites. Le courtier est un commerçant qui réalise des actes de courtage à titre de profession habituelle. Il met en relation des personnes voulant traiter entre elles, mais sans conclure, sauf clause contraire, lui-même le contrat. L’activité de Kelkoo est étrangère à ce schéma. Pour la Cour d’appel, « la qualification de courtier ne peut être retenue alors que la rémunération des marchands lui est acquise à la visite du site marchand et non à l’achat réalisé, achat auquel elle n’intervient pas en qualité d’intermédiaire ». Effectivement, l’accord de référencement conclu entre les parties stipulait que la rémunération était « fonction du nombre de “clics” enregistrés sur les liens hypertextes de ces sites » et non pas en fonction des achats par son biais. L’une des conditions fixées par la jurisprudence selon laquelle la rémunération est acquise dès l’opération conclue34 faisait donc défaut.

2.1.2. Plateformes d'économie collaborative Le terme de « consommation collaborative » semble avoir été inventé par M. Felson et J.L. Spaeth en 197835. Il désignait originellement les événements dans lesquels une ou plusieurs personnes consomment des biens ou des services économiques dans un processus qui consiste à se livrer à des activités communes. Depuis 2010, cette notion a été reprise, notamment par les économistes R. Bostman et R. Rogers36, et adaptée à l’évolution des nouvelles technologies37. La consommation collaborative aujourd’hui peut se définir « comme la manière traditionnelle de partager, d'échanger, de prêter, de louer et d'offrir repensée à la faveur de la technologie moderne et des communautés »38. La consommation collaborative renvoie à ce que l’on appelle l’économie de fonctionnalité. Cette approche fonctionnelle vise à remplacer la vente de produits par la vente de l’usage, autrement dit « l’usage d’un produit est préféré à sa propriété »39. L’économie collaborative au sens large comprend également « l’économie de partage »40 dont l’objet est le partage d’un bien (ex : le covoiturage), voire dans

34 Cass. req., 16 juin 1902 : DP 1903, 1, p. 305, note L.G. – Cass. com., 17 et 23 oct. 1956 : D. 1956, p. 750. – 28 févr. 1984 : Gaz. Pal. 1984, 2, pan. jurispr. p. 230. – 29 oct. 2002, n° 00-21211. – CA Paris, 16 déc. 1982 : Juris-Data n°1982-028177. – CA Paris, 11 juill. 1985 : Juris-Data n° 1985-044907. – CA Montpellier, 19 mars 1987 : Juris-Data n° 1987-000739. – CA Paris, 7 juin 1990 : Juris-Data n° 1990-022513. 35 Community structure and collaborative consumption - A routine activity Approach, M. FELSON et J. L. SPAETH, The American Behavioral Scientist, 21, 4, p. 614. 36 What’s mine is yours. How collaborative consumption is changing the way we live, R. BOSTMAN et R. ROGERS, London éd Collins, 2011. 37 En effet, les pratiques « consumer to consumer » ne sont pas nouvelles, elles ont simplement été redynamisées par le développement d’internet et des nouvelles technologies, ce qui leur donne un rayonnement au-delà de la sphère familiale, Voir dans ce sens Avis du Comité économique et social européen, avis n°2014/C 177/01, 21 janvier 2014, sur le thème « La consommation collaborative ou participative : un modèle de développement durable pour le XXIème siècle », cf. §3.1. ; voir aussi Economie du partage : enjeux et opportunités pour la transition écologique, D. DEMAILLY et A.-S. NOVEL, Study n°3/14, juillet 2014, Nouvelle Prospérité. 38 Avis n°2014/C 177/01, précité. La Commission des finances du Sénat, dans un rapport38 récent, a retenu une approche similaire de la notion d’économie collaborative en estimant qu’il s’agit de « l’ensemble des échanges de biens ou services entre particuliers, réalisés par l’intermédiaire d’une plateforme Internet (Commission des Finances du Sénat, Rapport I, l’économie collaborative : proposition pour une fiscalité simple, juste et efficace, 17 septembre 2015) 39 La consommation collaborative ou participative – Consommation collaborative portant sur un produit, Etude (n°2) S. BERNHEIM-DESVAUX, Contrats Concurrence Consommation n°1, janvier 2015. 40 Ou « sharing economy », peut se définir en tant qu’ « elle repose sur le partage entre des particuliers de biens dont ils

disposent, moyennant paiement, pour fournir un service » - cf. A la rencontre des adeptes de l’économie du partage, La

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son acception la plus large, « l’économie de solidarité »41 qui désigne en général les activités économiques réalisées par des personnes privées mais poursuivant un intérêt collectif42. Les plateformes collaboratives mettent en relation des particuliers offreurs de biens ou services qui trouvent la un complément de revenu souvent modeste et occasionnel. Ces particuliers sont qualifiés de consommateurs au sens de l’article préliminaire du Code de la consommation, voire de « prosommateurs »43 lorsque ces particuliers retirent un revenu important et régulier sur les plateformes, pouvant ainsi parfois se retrouver en concurrence directe avec des professionnels44. Les contrats passés sur ces plateformes peuvent être très divers. Ils peuvent être conclus à titre gratuit (plateformes de dons, ex : partagetonfrigo.fr), ou à titre onéreux (plateformes de vente, ex : leboncoin.fr). Ils peuvent contenir une transaction qui s’effectue sous forme de contrepartie réelle (i.e. un troc, ex : vestiaire collective) ou avec une contrepartie monétaire (une vente). Les contrats peuvent être conclus à titre individuel ou à titre collectif (un collectif, représenté par un individu, peut se présenter face à un producteur, ex : laruchequiditoui.fr). Ils peuvent encore avoir pour objet le transfert de l’usage d’un bien (ex : drivy.com concernant la location de la voiture d’un particulier) ou sa propriété (ex : ebay.com). La mise à disposition du bien pourra ainsi être de façon définitive ou temporaire. Enfin, il peut aussi s’agir d’un contrat de prestation de service45 (ex : blablacar.com en matière de prestation de service de transport sous forme de covoiturage). Deux catégories d’acteurs économiques jouent un rôle d’intermédiaire entre les particuliers : d’une part, les acteurs conventionnels, et d’autre part les acteurs alternatifs. Les acteurs conventionnels sont généralement des grands groupes et distributeurs traditionnels qui ont fait évoluer leurs produits et services. Certains de ces acteurs conventionnels développent ainsi des plateformes (ex : SNCF ou La Poste). Les acteurs alternatifs sont les nouveaux entrants dans cette économie numérique, il s’agit fréquemment de « start-up » (telles que Airbnb ou Blablacar) ou d’associations. Tous les domaines de la vie quotidienne peuvent faire l’objet de

Croix, Rubrique économie, 29 novembre 2015 ; voir aussi Economie de partage, sociale ou collaborative : attention à la

confusion, C. KRETZSCHMAR (EELV), Les Echos, rubrique Le cercle, le 14 octobre 2015. 41 Cf. http://www.economie.gouv.fr/cedef/economie-sociale-et-solidaire. 42 L’économie solidaire : une manière nouvelle de penser l'économie, L’encyclopédie du développement durable, E. LASIDA, Ed. des Recollets n°63 – mars 2008. 43 Ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l'Énergie, Penser les modes de vie autrement en 2030, Cahier des

signaux faibles, décembre 2014, p.30 ; voir aussi http://antonin.moulart.org/l-avenement-du-prosommateur-et-le-declin-du-

consommateur. 44 La Commission des Finances du Sénat relève en matière de fiscalité que « le véritable enjeu se concentre sur une catégorie

intermédiaire, celle des « faux particuliers ». Il s’agit des personnes qui, sans avoir de statut légal d’entreprise ou même

d’autoentrepreneur, réalisent un revenu important et régulier sur des places de marché ou des sites de mise en relation,

parfois en concurrence directe avec des professionnels. » Rapport I, Commission des Finances, précité p.18. 45 La consommation collaborative ou participative – Consommation collaborative portant sur un service, Etude (n°3) S. BERNHEIM-DESVAUX, Contrats Concurrence Consommation n°2, février 2015.

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pratiques de consommation collaborative46. La Direction Générale des Entreprises47 a isolé neuf secteurs48 d’activité de l’économie collaborative49 :

Secteurs Quelques acteurs conventionnels

Quelques acteurs alternatifs

Se déplacer Mobivia

Blablacar / Drivy.com Zepass.com / Koolicar La Roue verte / Parkadom

Transporter / Stocker

La Poste PiggyBee / Cocourse Costockage / Jestocke

Se loger Gîtes de France Logeo

Couch Surfing / Airbnb Coab / Pap.fr / Guest to guest Habicoop

Se divertir Nomade Aventure Pierre et Vacances

Good Spot / Noma ders WWOOF / Click and Boat

Se nourrir AMAP Fédération Nationale des Marchés de France

Super marmite / Colunching La ruche qui dit oui / Partage ton frigo

S’équiper Castorama / Carrefour Emmaüs / Ikéa

Leboncoin / Paruvendu.fr Zilok / My Recycle Stuff

S’habiller Le Relais

L’armoire des petits / Vinted Vestiaire collective / A little market / Vide dressing

Se faire aider Helping Dog vacances /

46 Voir en ce sens l’article : La consommation collaborative ou participative – Consommation collaborative portant sur un produit, précité. 47 , en partenariat avec le Pôle interministériel de Prospective et d’Anticipation des Mutations économiques (Pipame) et le Pôle de compétitivité des Industries du Commerce (Picom), 48 Rapport final, « Enjeux et perspectives de la consommation collaborative », DGE, Pipame et Picom, juin 2015. 49 Des plateformes collaboratives sont présentes sur chacun de ces secteurs qui sont plus ou moins concentrés. Par exemple, selon ce même rapport, les secteurs « se financer », « se loger » et « se loger » sont les plus concurrentiels, alors que les secteurs « s’équiper » ou « se nourrir » ont tendance à être plus oligopolistiques. De même, les secteurs « se faire aider » et « s’habiller » sont assez atomisé, mais sont en phase de développement, tandis que « se divertir » et « se transporter/stocker des objets » sont encore en phase de démarrage.

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Pôle emploi Jemepropose L’acorderie / Animal futé Jobapic / Marésidence.fr

Se financer X Ange Private Equity KissKissBankbank / Weeleo Ulule / Wedogood

Ecosystèmes ouvert ou fermé Dans l’étude conjointe publiée en décembre 2014 par l’Autorité de la Concurrence (ADLC) et la Competition & Markets Authority (CMA), les écosystèmes ont été définis comme « un certain nombre d’entreprises – produisant des biens concurrents ou complémentaires – qui fonctionnent ensemble afin de créer un nouveau marché et de produire des biens et des services ayant une valeur pour les clients » 50. Les écosystèmes sont donc fondés sur des complémentarités, à la fois des produits et des acteurs – consommateurs, développeurs, producteurs… - qui utilisent une plateforme pour entrer en relation. Les effets de réseau, à la fois directs et indirects, sont également au cœur des écosystèmes puisqu’un nombre accru d’utilisateurs sur une face du marché va attirer les utilisateurs des autres faces de ce marché.51 Ils sont plus complexes que les systèmes dits « simples » (tels que les ensembles imprimantes plus cartouches, par exemple, englobant un produit primaire et un produit ou service secondaire). Dans le cadre de ces écosystèmes, il peut exister des coûts de transfert de diverses formes, limitant le passage des utilisateurs d’un système concurrent à un autre. L’ampleur de ces coûts de transferts, qu’ils soient naturels ou qu’ils résultent des comportements des entreprises, influe sur l’analyse économique des écosystèmes.52 Les «écosystèmes ouverts», qui se caractérisent par la compatibilité entre le système de l’interface et les services ou biens proposés par des entités autres que le propriétaire du système (par exemple Android), présentent les avantages de réduire les coûts de transfert, d’augmenter la concurrence entre les écosystèmes et de permettre au consommateur de passer facilement de l’un à l’autre. Les «écosystèmes fermés» sont, par opposition, ceux où le plus grand nombre de composants sont fournis par le propriétaire du système. Dans le domaine des

50 ADLC, CMA, 16 décembre 2014, « Analyse économique des systèmes ouverts et fermés », p. 7, point 2.2, par référence à la définition de Hazlett et al (2011) : ”a number of firms – competitors and complementors – that work together to create a new market and produce goods and services of value to customers”. (cf. http://www.autoritedelaconcurrence.fr/doc/analyse_eco_syst_ouvert_ferme.pdf) 51 Ibid., p. 4. 52 Voir à cet égard l’analyse des effets de réseau et des coûts de transfert, p. 9 et s. de l’étude conjointe ADLC/CMA, précitée.

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technologies numériques, par exemple, un système dans lequel le choix des contenus par le consommateur est contraint par celui de son terminal serait en principe un écosystème fermé53. D’un côté, les entreprises sont incitées à investir et à innover pour rester compétitives. D’un autre côté, dès lors qu’une plateforme constitue un « goulot d’étranglement » ou un « point de passage obligé », l’intégration verticale accroît les barrières à l’entrée et induit un risque de verrouillage durable des consommateurs. opérant sur marché biface / - marché multiface (intégration verticale des plateformes) Les plateformes évoluent traditionnellement sur un marché biface : Marché 1 entre la plateforme et l’internaute, Marché 2 entre la plateforme et l’entreprise cliente. Comme les économistes le relèvent, « le modèle économique est donc basé sur l’interaction entre consommateurs et annonceurs »54. L’évolution actuelle montre toutefois l’émergence d’un troisième marché vers les partenaires ou filiales de la plateforme. Marché biface :

Rémunération Services

Marketing/visibilité Transmission données Les deux faces du marché se caractérisent par de fortes extranéités. Du côté de l’internaute, la valeur qu’il retire du service de la plateforme augmente avec le nombre d’utilisateurs (ex : Facebook) mais aussi avec le nombre d’entreprises clientes présentes sur l’autre face55. Du côté de ces dernières, leur intérêt s’accroît

53 A noter toutefois que, comme le souligne l’étude conjointe ADLC/CMA, en pratique il existe un continuum de situations possibles entre des systèmes totalement fermés et des systèmes totalement ouverts ; ainsi, la plupart des systèmes sont « hybrides », certains de leurs composants étant ouverts et certains autres étant fermés. Ibid., p. 14, point 2.27. L’« économie Apple » représente un écosystème fermé type, avec contenus disponibles sur une plateforme, utilisables sur un support matériel compatible, et éventuellement avec exclusivité des services associés. 54 B. Julien, intervention lors du séminaire Philippe Nasse du 5 mai 2011, Le fonctionnement concurrentiel du marché de la publicité : RLC n° 28/2011, p. 140. 55 Lors d’une audition de 2011, l’Autorité de la concurrence a rapporté, au sujet de Google :« Un annonceur sera d‘autant plus intéressé par les espaces publicitaires liés aux recherches d‘un moteur que ce moteur attirera un trafic important. Inversement, les revenus tirés par les annonceurs permettent à Google de financer l‘amélioration permanente de son algorithme et l‘indexation permanente de nouveaux contenus, qui rendent son moteur de recherche toujours plus efficace et attractif pour les internautes. Il s‘agit là d‘une caractéristique de marché biface que possèdent toutes les plateformes mettant en relation des consommateurs de contenus et des annonceurs. Ce sont des effets de réseau indirects : le nombre d‘usagers sur une face du marché accroît l‘attractivité de l‘autre face de la plateforme et inversement ».

Plateforme annonceurs Consommateurs

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en fonction du nombre d’internautes qui est donc en partie dépendant du volume des entreprises clientes. Les deux faces sont interdépendantes comme ont pu le relever des travaux à l’OCDE. Les plateformes deviennent un passage obligé pour atteindre les cyberconsommateurs. Les entreprises ont en effet besoin de visibilité sur internet, ce que leur offre la plateforme. Plus la plateforme sera attractive et captive, plus elle pourra proposer des solutions performantes pour les annonceurs et monnayer les services de marketing et de publicité. Par ailleurs, son succès auprès du Marché 1 lui permet d’accéder à des ressources rares mais essentielles pour les acteurs du Marché 2 : les données personnelles des internautes. De cette façon, elle peut offrir aux annonceurs une publicité plus ciblée, touchant davantage d’internautes et donc plus pertinente. Cette pertinence est appréciée des deux côtés :

- du côté du consommateur qui, dans un environnement aujourd’hui parfois hostile à la publicité intrusive et inopportune (Cf. Logiciels de blocage de publicité, Adblock Plus…), est plus disposé à admettre, voire demandeur de messages ciblés qui répondent à une attente concrète.

- Du côté de l’annonceur, l’utilisation des données personnelles dispatchées

par l’internaute permet de mieux cibler sa publicité et de rationnaliser financièrement des campagnes de publicité en évitant de payer des messages qui n’atteignent pas leur cible. Par ailleurs, « au ciblage qui serait plus fin et à l’interactivité plus grande qu’offre ce média, s’ajoutent un coût d’entrée plus faible et l’existence d’outils de « tracking » et de « reporting », c’est-à-dire de suivi des campagnes, qui permettent une maîtrise plus grande du retour sur investissement »56.

La puissance de la plateforme rend donc la publicité efficace et le succès de celle-ci assoie corrélativement la puissance de la plateforme57. Ces extranéités ont des répercussions sur la fixation des prix. La théorie économique explique que dans les marchés biface, il est fréquent que le coût d’accès à la plateforme soit faible ou zéro (voir même négatif) pour les acteurs sur un côté du marché et plus élevé pour les acteurs situés de l’autre côté. Par exemple, « si les deux faces exercent l’une sur l’autre des externalités positives, attirer un client sur une face du marché permet de monter le prix sur l’autre face : la plateforme peut donc sacrifier du profit d’un côté pour augmenter son profit sur l’autre et il y a une subvention croisée implicite entre les deux faces »58. Ce fait en 56 ADLC, Avis n° 1O-A-29, pt. 124. 57 Ce pouvoir s’apprécie au plan national, le marché de la publicité dépendant de la langue, des habitudes et comportements de consommateurs qui peuvent être différents selon les Etats V. en ce sens, ADLC, Avis n° 10-A-29, pt. 221 et 222. – Déc. n° 15-D-13, pt. 53. 58 B. Julien, intervention lors du séminaire Philippe Nasse du 5 mai 2011, Le fonctionnement concurrentiel du marché de la publicité : RLC n° 28/2011, p. 140.

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soit ne soulève pas de préoccupations de concurrence, mais il doit être pris en compte dans l’analyse concurrentielle. Les effets de réseau peuvent en effet renforcer une position dominante (winner takes all). Cependant l’innovation peut aussi détruire rapidement des positions fortes sur le marché, notamment dans les nouveaux secteurs. Marché multifaces : La position des plateformes sur Internet les a parfois conduites à développer une activité sur une troisième face du marché. Comme le relève le rapport du Conseil national du numérique sur la neutralité des plateformes de mai 201459: « la plateforme use du poids que représente son trafic dans les ventes pour renégocier le taux de rétrocession dont elle bénéficie, au-delà des services qu’elle peut déjà facturer en sus. Elle vise une clé de répartition qui lui donne une marge supérieure à celle classiquement réservée aux « distributeurs »…. l’effet du détournement de trafic que peut occasionner un déréférencement sur un moteur de recherche est immédiat et massif. Avant que l’opérateur concerné puisse réagir, les premiers dégâts se manifestent déjà »60. Mais la pratique peut aller plus loin encore lorsque la plateforme « passe des accords de « quasi-exclusivité technique » avec certains de ses fournisseurs qui deviennent des partenaires ; voir elle devient elle-même un opérateur venant concurrencer directement les entreprises qui étaient auparavant ses clientes »61.

59 Avis n° 2014-2. 60 P. 83. 61 Ex. Google shopping.

Plateforme annonceurs Consommateurs

Filiale ou

partenaire

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Google shopping est un exemple caractéristique de ce marché multifaces.

2.1.3. Définition de la plateforme numérique Le 13 juin 2014, le Conseil National du Numérique a remis son rapport portant sur la neutralité des plateformes au ministre de l’Économie, du Redressement productif et du Numérique et à la secrétaire d’État chargée du Numérique62 dans lequel il donne la définition suivante de la plateforme numérique : « stricto sensu, les plateformes sont des espaces numériques de mise en contact entre offre et demande sur un marché spécifique. De manière plus large, la plateforme peut désigner un écosystème complet de services d’accès intégrés pour les utilisateurs regroupant à la fois un moteur de recherche, un store ou une place d’API (« Application Programming Interface ») elle-même parfois qualifiée de plateforme, ainsi que l’accès à des réseaux sociaux. » Par ailleurs l’article 134 de la loi Macron du 6 août 2015 a créé l’article L.111-5-1 du Code de la consommation qui définit la plateforme numérique comme « toute personne dont l'activité consiste à mettre en relation, par voie électronique, plusieurs parties en vue de la vente d'un bien, de la fourniture d'un service ou de l'échange ou du partage d'un bien ou d'un service63 ». L’AFEC propose de retenir la définition suivante de la plateforme numérique : « Toute entreprise qui met en relation des offreurs et des demandeurs de façon dématérialisée ». Spécificités inhérentes aux plateformes numériques collaboratives La spécificité de la plateforme numérique collaborative tient au fait que les acteurs qui interviennent sur cette plateforme doivent être des particuliers, l’activité relevant donc du CtoC. Au regard de l’explosion relativement récente de

62 Rapport sur la neutralité des plateformes, Conseil National du Numérique, 13 juin 2014. Dans son rapport, le Conseil insiste notamment sur la nécessité de s’assurer que les plateformes restent durablement au service de l’innovation et du respect des libertés, afin que leur développement ne tarisse pas les dynamiques de création, d’expression et d’échange sur Internet. Il ajoute par ailleurs que les plateformes numériques sont devenues de nouvelles portes d’entrée de la société numérique. Le Conseil précise ensuite d’une part que « la plateforme du domaine numérique est devenue cette expression pratique désignant tout lieu d'échanges où se rencontrent l'offre et la demande de façon dématérialisée. 63 Loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, dite « loi Macron ». L’article 19 du projet de loi Lemaire propose une définition légèrement amendée de la notion de plateforme63 :« L’article L. 111-5-1 du code de la consommation est ainsi modifié :1°. Le premier alinéa est remplacé par les dispositions suivantes : « Sans préjudice des obligations prévues la loi n° 2004575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique : 1° Sont qualifiées de plateformes en ligne, au sens du présent article, les activités consistant à classer ou référencer des contenus, biens ou services proposés ou mis en ligne par des tiers, ou de mettre en relation, par voie électronique, plusieurs parties en vue de la vente d’un bien, de la fourniture d’un service, y compris à titre non rémunéré, ou de l’échange ou du partage d’un bien ou d’un service. Sont qualifiées de plateformes en ligne les personnes exerçant cette activité à titre

professionnel. […]» le projet de loi Lemaire pour une république numérique, adopté par l'Assemblée Nationale en

1ère lecture, le 26 janvier 2016 modfie cette définition cf.note 29 ci-dessus,

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l’économie collaborative, plusieurs définitions ont été données, permettant d’englober plus ou moins l’ensemble des activités proposées sur ces plateformes. On pourra citer, tout d’abord, la position de la DGE qui ne définit pas précisément l’économie collaborative mais qui propose 3 filtres de sélection permettant de déterminer si une activité entre ou non dans le cadre de la consommation collaborative.

Existence d’un acte de consommation (immédiat ou différé). L’acte de consommation peut consister en un don, prêt, partage, troc, échange, location ou achat/vente. Les outils de communication et d’information tels que les réseaux sociaux (ex : Facebook), les plateformes de partage de données (ex : Drop Box, Cloud), les supports collaboratifs (ex : Google docs), ou les outils de planification en ligne (ex : Doodle) ne sont pas pris en compte parce qu’ils n’ont pas pour objet de créer un acte de consommation.

Existence d’une communauté de consommateurs. Les consommateurs

qui utilisent les plateformes collaboratives doivent avoir conscience de s’adresser à d’autres consommateurs au sein de la communauté. La mise en relation se fait par l’intermédiaire de la plateforme.

Activités entre particuliers. Les actes d’échange et de transaction de

biens ou de services doivent s’effectuer entre particuliers, sans que cela ne représente une activité professionnelle64.

Certaines autorités de concurrence, notamment les autorités américaines et australiennes se sont intéressées aux conséquences de cette nouvelle économie sur le droit de la concurrence et ont à cette occasion tenté d’apporter une définition. A la suite d’une consultation publique qui s’est clôturée le 4 aout 2015, la Federal Trade Commission a rendu un document de travail le 2 octobre 2015. Dans ce document, il est indiqué que le terme de « sharing economy » est utilisé pour désigner les plateformes numériques qui servent, en tant que places de marché, d’intermédiation permettant aux petits acheteurs et vendeurs de biens et de produits d’identifier des partenaires commerciaux. Ces plateformes sont 64 Par ailleurs, le Conseil Economique et Social Européen (ci-après CESE) a adopté le 21 janvier 2014 un avis sur le thème de l’économie collaborative. Dans ses conclusions, le CESE a retenu que « l’on définit communément la consommation collaborative ou participative comme la manière traditionnelle de partager, d’échanger, de prêter, de louer et d’offrir repensée à la faveur de la technologie moderne et des communautés.64 » Le CESE ajoute par ailleurs que « la consommation collaborative ou participative représente une troisième vague de l’Internet, à savoir un processus où les gens se rencontrent sur Internet pour ensuite partager les ressources hors ligne. On la décrit également, de manière judicieuse, comme le fait de mettre en circulation tout ce qui existe. » Enfin, la Commission des finances du Sénat a retenu une définition large touchant uniquement Internet en caractérisant l’économie collaborative comme « l’ensemble des échanges de biens ou de services entre particuliers [ou « C2C »], réalisés par l’intermédiaire d’une plateforme Internet64 ».

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différentes des autres plateformes traditionnelles au travers desquelles un seul fournisseur offre des biens ou des services à des acheteurs potentiels65. L’ Australian Competition and Consumer Commission retient quant à elle comme caractéristique principale de la « sharing economy », l’existence d’une plateforme reliant les acheteurs et les vendeurs sur un marché en réduisant les coûts de transaction, sur laquelle les acheteurs et les vendeurs sont des particuliers ou des petites entreprises. Essentiellement, la « sharing economy » a émergé en raison des développements dans les nouvelles technologies d’information et de communication qui ont considérablement réduit les coûts de transaction66. Il existe donc une différence d’appréciation de la notion d’économie collaborative entre le France et les pays anglo-saxons qui incluent la notion de commercialité et de petites entreprises. Afin d’éviter certaines dérives de professionnalisation de l’économie collaborative, il semblerait opportun d’écarter dans la définition la référence à l’activité professionnelle pour consacrer uniquement cette nouvelle économie aux activités CtoC. L’AFEC propose de retenir la définition suivante de la plateforme numérique collaborative : « Toute entreprise qui met en relation, par voie dématérialisée, des offreurs et des demandeurs n’exerçant pas une activité professionnelle ». En résumé l’AFEC propose de retenir les définitions suivantes de la notion de plateforme numérique et de plateforme collaborative : On entend par plateforme numérique : « Toute entreprise qui met en relation des offreurs et des demandeurs de façon dématérialisée ». On entend par plateforme numérique collaborative : « Toute entreprise qui met en relation, par voie dématérialisée, des offreurs et des demandeurs n’exerçant pas une activité professionnelle ».

§ § § § 65 The « sharing economy » : Issues Facing Platforms, Participants, and Regulators, Federal Trade Commission Workshop 2015; Keynote remarks of FTC Chairwoman Edith Ramirez, 42nd Annual Conference on International Law and Policy, 2 octobre 2015 66 The sharing economy and the Competition and Consumer Act,, Deloitte Access Economics, 2015

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2.2. Propositions et analyse concurrentielles

2.2.1. Appréhension de l’activité des plateformes par le droit de la concurrence

Certaines plateformes en ligne sont désormais devenues des acteurs économiques à part entière dans de nombreux secteurs de l’économie. La puissance acquise par certaines d’entre elles sur le marché, la manière dont elles l’utilisent, mais aussi plus largement les comportements mis en œuvre à l’égard de concurrents et d’utilisateurs cocontractants soulève la question de savoir comment leur activité est appréhendée à l’heure actuelle par le droit de la concurrence et quelles évolutions sont souhaitables, au sein du droit de la concurrence, voire au-delà (législations spécifiques, régulation sectorielle). Comme nous l’avons évoqué ci-dessus, trois acteurs interviennent sur la plateforme numérique dans son sens large exerçant sur un marché biface :

- l’Offreur : professionnel, consommateur ou « prosommateur » ; - l’Intermédiaire : la plateforme numérique ; - le Demandeur : professionnel ou consommateur.

Cependant, se pose la question de savoir si les règles du droit de la concurrence s’appliquent à l’ensemble de ces acteurs. Rappelons que la Cour de Justice considère que « la notion d’entreprise comprend toute entité exerçant une activité économique indépendamment du statut juridique de cette activité et de son mode de financement67 ». En outre la Cour a définit la notion d’activité économique comme « toute activité consistant à offrir des biens et des services sur un marché donné68 ».

A. L’applicabilité du droit de la concurrence entre les plateformes et les professionnels

En premier lieu, du côté de la plateforme, celle-ci doit être considérée comme une entreprise au sens du droit de la concurrence puisqu’elle exerce son activité économique à titre professionnel. En effet, les plateformes adoptent les modes de rémunération suivants :

- commissions sur les transactions réalisées ; - options premium payantes ; - espaces publicitaires sur les pages d’accueil et de recherches ; - paiement d’une souscription ou d’un abonnement.

67 CJCE, 23 avril 1991, Höfner, C-41/90 68 CJCE, 16 juin 1987, Commission c/ Italie, C-118/85

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Dans l’hypothèse où une plateforme est susceptible d’offrir des biens ou des services sur le marché en concurrence avec d’autres opérateurs, cette entité doit être considérée comme une entreprise. Le même raisonnement doit s’appliquer pour les plateformes qui exercent leurs activités sans but lucratif dès lors qu’elles se trouvent en concurrence avec d’autres d’opérateurs. En deuxième lieu, concernant les relations entre la plateforme et un professionnel (offreur et/ou demandeur), le droit de la concurrence doit également s’appliquer puisqu’il s’agit bel et bien d’activités économiques. Enfin et en troisième lieu, lorsque la plateforme a pour objet de mettre en relation deux particuliers, notamment dans le cadre des plateformes collaboratives, le droit de la concurrence n’a pas vocation à s’appliquer. De même, le droit de la consommation ne s’appliquera pas entre particuliers69.

B. Difficulté d’applicabilité du droit de la concurrence pour les « prosommateurs »

Il existe toutefois un vide juridique concernant les « prosommateurs », c’est-à-dire les particuliers qui réalisent un revenu important et régulier sur les plateformes. Cette catégorie d’offreurs se retrouve essentiellement dans les plateformes numériques collaboratives. La DGE a considéré que « pour pouvoir être répertoriés comme faisant partie de la consommation collaborative, les actes d’échange et de transaction de biens et services doivent s’effectuer entre particuliers, sans que cela ne représente une activité professionnelle70 » Cependant, même si un particulier n’exerce pas une activité professionnelle, il exerce une activité consistant à offrir des biens ou des services sur un marché. Par exemple, la plateforme « Blablacar »propose une prestation de covoiturage en échange du partage des coûts de l’usage de la voiture, l’essence, le péage… Ainsi, ce particulier pourrait entrer dans la définition d’entreprise. Toutefois, si l’activité est réalisée une seule fois, il est alors difficile de considérer cette activité comme étant économique et pouvant être sanctionnée par le droit de la concurrence. Il existe par ailleurs des particuliers qui exercent une activité économique pouvant être en concurrence directe avec les autres professionnels du secteur dans les hypothèses où les actes sont répétés et permettent de dégager un revenu. De ce fait, un contrôle de cette activité au regard de la réglementation existante ou du droit de la concurrence permettrait de la réguler et d’éviter d’éventuels abus.

69 Tribunal d’Instance de Dieppe, 7 avril 2011, Igor D. c/ Priceminister, Revue Comm. com. éléctr. 2011, comm. 37, note A. Debet 70 Rapport de la DGE précité, p. 306

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L’enjeu est donc de pouvoir distinguer lorsqu’un particulier devient une « entreprise » mais cette dernière notion d’entreprise ne semble pas être bien adaptée à ce type d’activité. En revanche la notion de professionnel pourrait s’y prêter davantage.

C. La notion de professionnel au soutien de la notion d’entreprise ? La directive n° 2011/83/UE du 25 octobre 2011 relative aux droits des consommateurs définit le professionnel comme « toute personne physique ou morale, qu’elle soit publique ou privée, qui agit, y compris par l’intermédiaire d’une autre personne agissant en son nom ou pour son compte, aux fins qui entrent dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale en ce qui concerne des contrats relevant de la présente directive71. » Dans l’affaire BKK Mobil, l’Avocat Général BOT apporte quelques précisions en considérant que la notion de professionnel doit donc être entendue au sens de la directive 85/77/CEE, « comme visant une personne physique ou une personne morale, qui, dans le contexte en cause et indépendamment de sa nature publique ou privée, agit dans le cadre d’une activité de commerce. Il est également utile d’indiquer que, dans la version en langue anglaise de la directive, la notion de professionnel est traduite par le terme de «trader» et celle d’entreprise par celui de «business». La notion de «business» n’a aucun équivalent en langue française. Néanmoins, lorsqu’elle vise l’activité d’une personne, elle est traduite indifféremment par l’expression «activité professionnelle ou commerciale» ou bien encore par le terme «commerce». Lorsqu’elle vise celui qui exerce cette activité, elle est traduite par les notions de professionnel ou de commerçant72 ». En l’état de la notion de professionnel, il est patent de constater que son application aux « prosommateurs » n’est pas chose aisée dans la mesure où l’activité réalisée par cette catégorie hybride correspond dans la majorité des cas à un complément de revenu. En effet, une étude réalisée par le cabinet de Conseil OC&C et publié sur le site de la LSA relève « qu’environ 110 euros sont échangés sur [les plateformes collaboratives] par mois et par utilisateur. Dans le détail, 107 euros sont dépensés (dans le transport et l’immobilier principalement) et 116 euros sont gagnés par les particuliers mettant à disposition leur bien73 ». Dans le rapport de la Commission des finances, il est indiqué à titre d’exemple que « le revenu moyen d’un hôte français qui met son logement à disposition sur le site Aibnb est d’environ 3 600 euros par an. Celui d’un chauffeur UberPop, avant la suspension du service le 3 juillet 2015, était de 8200 euros par an.74 » 71 Définition reprise dans la directive n° 2013/11/UE du 21 mai 2013 relative au règlement extrajudiciaire des litiges de consommation et dans le Règlement n° 524/2013 du 21 mai 2013 relatif au règlement en ligne des litiges de consommation 72 Conclusions de l’Avocat Général BOT, 4 juillet 2013, aff. BKK Mobil C-59/12 73 Etude OC&C Strategy Consultants: « Economie du partage et consommation collaborative: épiphénomène ou lame de fond », 10 décembre 2014. Etude réalisée en juin 2014 auprès de 2 344 répondants de 18 à 65 ans ; LSA, « consommation collaborative : c’est 11O euros par mois et par utilisateur. 74 Rapport de la Commission des finances du Sénat, précité, p.7

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Une clarification des activités réalisées sur les plateformes serait la bienvenue afin de savoir à partir de quel moment la transformation s’opère entre le consommateur et le professionnel. A ce titre, et dès 2005, le Forum des droits sur Internet avait préconisé dans le cadre du commerce entre particulier sur Internet de distinguer le vendeur particulier du vendeur professionnel selon les critères suivants : régularité, caractère lucratif de l’activité, l’intention d’avoir une activité professionnelle, matérialisée par la réalisation d’actes de commerce et l’existence d’un système organisé de ventes à distance75. Cependant, force est de constater que la distinction s’opère au cas par cas dans le cadre de contentieux. Nous pouvons citer, par exemple, une décision de 2006 dans laquelle le Tribunal de Grande Instance de Mulhouse a retenu que se comportait en professionnel, celui qui avait vendu 470 objets par internet en moins de deux ans76. Par ailleurs, dans une décision du 14 septembre 2015, le Tribunal d’Instance de 2ème arrondissement de Paris s’est déclaré incompétent au profit du Tribunal de commerce en considérant que les actes réalisés par un particulier sur la plateforme Priceminister devaient « être considérés comme des actes de commerce »77. En l’espèce, le Tribunal a relevé que le particulier avait, entre 2009 et 2012, vendu par l’intermédiaire de la plateforme, 80 produits « high tech » pour un revenu mensuel d’environ 222 €, somme qui caractérisait bien l’existence d’un profit pécuniaire. Au regard de ce qui vient d’être exposé, les notions d’ « entreprise » ou de « professionnel » ne semblent pas adaptées pour affirmer que le droit de la concurrence s’applique dans les relations entre les « prosommateurs » et la plateforme avant toute analyse in concreto. Aussi, en matière de plateforme collaborative, le fait qu’un particulier offreur devienne un professionnel ne serait pas en adéquation avec la philosophie de ce type de plateforme et sa définition. En tout état de cause, la notion de professionnel pourrait venir pallier les difficultés d’application de la notion d’entreprise au cas particulier des « prosommateurs ». Dès lors, en cas de requalification en professionnel et donc d’entreprise, cette entité pourrait se voir appliquer les règles de concurrence.

75 Recommandation du Forum des droits sur l’internet sur le « Commerce entre particuliers sur l’internet : quelles obligations pour les vendeurs et les plates-formes de mise en relation ? », 8 novembre 2005 », P.170; Sabine Bernheim-Desvaux, « la consommation collaborative ou participative portant sur un produit », CCC n°1, Janvier 2015 76 TGI Mulhouse, correctionnel, 12 janvier 2006, Comm. Com. Electr. 2006, commentaire 112, note de L Grynbaum 77 Tribunal d’Instance de Paris, 2ème arrondissement, 7 septembre 2015, M. K c/Priceminister, legalis.net, 14 septembre 2015

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D. Préconisations sur l’opportunité de réguler les plateformes numériques collaboratives

Au cours du mois d’octobre 2015, le Conseil d’Analyse économique rattaché au Premier ministre a publié une note sur l’économie numérique en apportant également quelques recommandations. Sur la question de concurrence dans l’économie numérique, le Conseil, outre le fait de surveiller les écosystèmes fermés et réguler les effets de réseau indirects, recommande d’éviter de créer un « secteur du numérique », quels qu’en soient les contours, auquel s’appliqueraient des régimes particuliers. Par ailleurs, les particuliers qui ont pour habitude d’offrir leurs biens et leurs services par l’intermédiaire d’une plateforme collaborative pourraient être requalifiés de professionnels. Dans ce cas, les règles du droit de la concurrence et les autres réglementations qui en découlent devraient s’appliquer (déclaration d’activité, imposition sur les revenus, application du droit de la consommation, droit des assurances ou droit du travail…). De plus, ces activités pourraient également être sanctionnées sur le terrain de la concurrence déloyale en cas de non-respect des réglementations. L’AFEC recommande d’inclure dans la définition de professionnel la référence à un chiffre d’affaires régulier et conséquent et d’imposer aux plateformes collaboratives d’alerter les « prosommateurs » qui réaliseraient un tel chiffre d’affaires sur les conséquences en découlant (déclaration d’activité, imposition sur les revenus, application du droit de la consommation, droit des assurances ou droit du travail…). § § § §

2.2.2. Délimitation du ou des marchés pertinents La difficulté de définir le(s) marché(s) pertinent(s) est liée à la nature et au caractère mouvant des technologies et des services proposés (.ex. : pour les plateformes de streaming : distinction avec le téléchargement ?78) et de la

78 Comp/M.6459 - Sony/ Mubadala Development/ Emi Music Publishing, 19 avril 2012 http://ec.europa.eu/competition/mergers/cases/decisions/m6459_20120419_20212_2499936_EN.pdf COMP/M.7290 - Apple/ Beats, 25 juillet /2014 http://ec.europa.eu/competition/mergers/cases/decisions/m7290_20140725_20310_3804651_EN.pdf

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nécessité de tenir compte des problématiques multiples des marchés verticalement liés ou des marchés connexes. Les plateformes détiennent des données, certaines les commercialisent (Twitter octroie des licences), d'autres non (Facebook). La donnée peut être essentielle pour innover (amélioration des produits et services, personnalisation). La détention et/ou l'utilisation de donnée peut-elle être par exemple être appréhendée comme un marché pertinent au sens du droit de la concurrence ? Au sens économique, la détention d’un bien n’est pas un marché ; seul l’échange d’un bien en constitue un. Si la donnée a une valeur et est utilisée pour « payer » certains services, on doit pouvoir préserver la concurrence par les données : le fournisseur qui demande le moins de données, ou les données les moins intrusives, attire plus de clients. Cependant pour que cette dynamique concurrentielle puisse se mettre en œuvre, il est indispensable que le type de données fournies soit facilement visible par l’utilisateur (on ne peut pas avoir de concurrence par les prix si les clients ne peuvent pas observer les prix …)(voir ci-après). Avec l’économie collaborative selon les indices Etude DGE79 les deux marchés observés sont :

- Le marché alternatif : où l’objectif du consommateur est de trouver des biens ou des services au sein de la communauté ;

- Le marché conventionnel : où l’objectif du consommateur est de s’appuyer sur la communauté pour accéder à des biens ou services proposés par des acteurs économiques.

Deux axes supplémentaires sont à prendre en compte dans la détermination du marché :

Le type de contrepartie utilisée pour réaliser les transactions. Il peut s’agir de transactions s’effectuant sans aucune contrepartie (ex : don), transactions s’effectuant avec une contrepartie réelle (ex : troc) ou transactions s’effectuant avec une contrepartie monétaire (ex : location).

79 Selon cette étude réalisée, chacun de ces secteurs sont plus ou moins concurrentiels/oligopolistiques. On pourra relever que :

- 3 secteurs d’activité : se financer (62 acteurs), se loger (40 acteurs) et se déplacer (35 acteurs), sont plus matures et sont des marchés à forte intensité concurrentielle ;

- 2 secteurs d’activité : « s’équiper » (30 acteurs) et « se nourrir » (27 acteurs), sont davantage oligopolistiques voire monopolistiques ;

- d’autres secteurs sont plus jeunes et atomisé, ils sont en cours de développement, c’est notamment le cas pour les secteurs « se faire aider » (34 acteurs) et « s’habiller » (23 acteurs) ;

- et enfin, 2 secteurs d’activité aux volumes d’affaires encore marginaux, les secteurs « se divertir » (17 acteurs) et « se transporter/stocker des objets » (huit acteurs).

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L’échéance de la transaction. Le bien ou service peut être mis à disposition de façon définitive (il y a donc un changement de propriétaire, tel est le cas pour le don, le troc et l’achat-vente) ou de façon temporaire (le propriétaire reste le même, au début et a la fin de la transaction, tel est le cas pour le prêt, le partage, l’échange, et la location).

Ainsi deux mouvements distincts se dessinent au sein de la consommation collaborative, soit des acteurs fonctionnant sur le principe d’une économie de marché (plateformes dont le modèle se rapproche fortement de start-up « classiques » du Web avec un développement rapide, une prise de participation et d’importantes levées de fonds, peu de coûts fixes, etc.), soit des acteurs qui se revendiquent plutôt d’une économie sociale et militante. Ces plateformes partagent de nombreux points communs avec les acteurs de l’ESS [Economie sociale et solidaire], ce qui laisse présager de possibles synergies et partenariats dans les années à venir ». On ne peut donc que faire le constat qu’une partie de l’activité relève de l’économie de marché80 et l’autre de l’économie sociale, solidaire ou de partage. Difficulté d’appréciation du marché géographique : Le marché géographique est le territoire sur lequel les entreprises concernées sont engagées dans l’offre de biens ou services, et sur lequel les conditions de concurrence sont suffisamment homogènes. Ce marché peut être distingué de zones géographiques voisines parce que, en particulier, les conditions de concurrence y diffèrent de manière appréciable ».

80 Rapport de la SORGEM : Analyses et données relatives à l’hôtellerie et à Airbnb en France et à Paris : substituabilité ? : « Le logement « type » Airbnb est un logement privé (env. 90% des offres) : la notion de « convivialité » apportée par Airbnb est très minoritaire, et la substituabilité par rapport à l’offre hôtelière est très forte (Airbnb propose essentiellement des logements comparables à des « appart’hôtels ») ».Rappel définition marché plateforme booking.com par analogie80 : (marché biface) : Marché amont : « les hôteliers transmettent des informations aux OTA (agences de voyages en ligne) sur le contenu, les tarifs et la disponibilité de leurs prestations et les OTA diffusent et traduisent en plusieurs langues ces contenus sur leur site Internet et sur des sites Internet partenaires. Ils offrent également aux hôteliers des services de publicité en ligne en rendant l’hôtel « visible » sur Internet et de réservation en ligne, procurant aux hôteliers l’accès à des consommateurs situés en France et dans divers pays du monde. Ces services sont facturés aux hôteliers à travers des commissions définies en pourcentage du prix de détail de la nuitée et exigées en cas de réservation. » Marché aval : « les OTA offrent gratuitement aux consommateurs des services de recherche, de comparaison et de réservations de nuitées d’hôtels. Comme indiqué supra (§27 et suivants), on distingue parmi les OTA les sites des plateformes de réservation d’hôtels (PRH) dédiés à la réservation de nuitées d’hébergement, des sites d’agences de voyage en ligne, généralistes ou spécialisées dans d’autres services de voyages, qui proposent également d’autres services de voyages. » L’ADLC a proposé de définir le marché pertinent comme étant le marché de l’offre de services de réservation de nuitées seules d’hôtels français sur des OTA (plateformes de réservation d’hôtels en ligne et agences de voyage en ligne), à l’exclusion du canal direct des hôtels et notamment de leur site Internet, des méta-moteurs de recherche et des moteurs de recherche.

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Cela pose la question de savoir si la plateforme aura un effet sur quel territoire ? Le territoire pourra être différent selon les services ou biens proposés sur la plateforme (régional, national, transfrontalier)

2.2.3. Analyse concurrentielle de la détention de bases de données (indépendamment de la question de leur détention par une plateforme)

Les bases de données sont définies à l’article L. 112-3 alinéa 2 du Code de la propriété intellectuelle comme : « un recueil d'œuvres, de données ou d'autres éléments indépendants, disposés de manière systématique ou méthodique, et individuellement accessibles par des moyens électroniques ou par tout autre moyen. ». Elles représentent un enjeu majeur dans l’évaluation de la puissance économique d’un acteur sur son marché et sont de nature à mettre en évidence de nouvelles formes de domination. Plusieurs décisions de l’Autorité de concurrence et de la Commission européenne soulèvent d’ores et déjà les problématiques relatives à l’appréhension d’une position dominante dans des affaires concernant l’accès à et l’exploitation des bases de données : (A) la qualification d’infrastructure essentielle ; (B) les pratiques discriminatoires; et (C) les effets de réseau directs et indirects.

A. Infrastructures essentielles Au plan européen, la Commission européenne définit les infrastructures essentielles comme « des installations ou des équipements sans l’utilisation desquels les concurrents ne peuvent servir leur clientèle ». La Cour de justice de l’Union européenne fait application de cette théorie appliquée au droit de propriété intellectuelle dans l'arrêt IMS Health81 concernant la demande de licence sur une base de données protégée par un droit d'auteur dont l’utilisation serait la seule possibilité pour proposer un produit concurrent. Les éléments qui participent, selon la Cour, à la qualification de moyen essentiel sont les suivants : le degré de participation des utilisateurs de la base de données à son développement et l'effort financier qui serait nécessaire pour que les utilisateurs passent à une base de données alternative. Elle précise ainsi que, pour déterminer si un produit ou un service est indispensable pour permettre à une entreprise d’exercer son activité sur un marché déterminé, « il convient de rechercher s’il existe des produits ou des services constituant des solutions alternatives, même si elles sont moins avantageuses, et s’il existe des obstacles techniques, réglementaires ou économiques de nature à rendre impossible, ou du moins déraisonnablement difficile, pour toute entreprise entendant opérer sur ledit marché de créer, éventuellement en collaboration avec d’autres opérateurs, des produits ou services alternatifs ». Pour pouvoir admettre l’existence d’obstacles de

81Arrêt C-418/01) du 29 avril 2004 sur une question préjudicielle concernant IMS Health GmbH & Co. OHG et NDC Health GmbH & Co. KG, § 28, se référant à l’arrêt C-7/97 du 26 novembre 199, Bronner , §43-44.

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nature économique, la Cour de justice précise enfin qu’ « il doit à tout le moins être établi que la création de ces produits ou services n’est pas économiquement rentable pour une production à une échelle comparable à celle de l’entreprise contrôlant le produit ou le service existant ». Au plan national, l’Autorité de la concurrence établit 5 conditions cumulatives82 pour qualifier une infrastructure d’ « essentielle »: (i) l’infrastructure est possédée par une entreprise qui détient un monopole (ou une position dominante), (ii) l’accès à l’infrastructure est strictement nécessaire (ou indispensable) pour exercer une activité concurrente sur un marché amont, aval ou complémentaire de celui sur lequel le détenteur de l’infrastructure détient un monopole (ou une position dominante), (iii) l’infrastructure ne peut être reproduite dans des conditions économiques raisonnables par les concurrents de l’entreprise qui la gère, (iv) l’accès à cette infrastructure est refusé ou autorisé dans des conditions restrictives injustifiées et (v) l’accès à l’infrastructure est possible. La Cour de cassation83 propose une application stricte des conditions d'application de la théorie des facilités essentielles, et notamment du principe de la non-substituabilité des infrastructures en rappelant qu'il ne suffit pas que la création d'une solution alternative soit défavorable ou coûteuse pour les concurrents, mais bien que celle-ci ne puisse se faire dans des conditions économiques raisonnables. Il ressort de la jurisprudence que :

(i) Une base de données peut ne pas constituer une facilité essentielle même quand elle n’est pas aisément réplicable à court terme dans la mesure où elle n’apparaît pas indispensable, certains clients disposant d’autres types de bases de données84.

(ii) La liste des abonnés au téléphone constituait une ressource essentielle pour les opérateurs intervenant sur le marché des fichiers de prospection dès lors que : (i) il existe une demande portant sur l'accès à la liste des abonnés au téléphone comme « fichier-source » et comme « instrument de mise à jour de fichiers existants » ; (ii) les fichiers commercialisés par France Télécom présentaient des caractéristiques d'exhaustivité et de mise à jour permanente qui les rendaient incomparables, (iii) qu'aucun autre fichier disponible sur le marché n'était aussi important en taille, et (iv) que France Télécom était la seule en mesure de fournir aux opérateurs la liste des abonnés au téléphone,

82 Voir par exemple la décision n°03-MC-04 du 22 décembre 2003. 83 Cass. com., 12 juill. 2005, no 04/12.388 84 Décision n° 14-D-06 du 8 juillet 2014 relative à des pratiques mises en œuvre par la société Cegedim dans le secteur des bases de données d’informations médicales

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tenue à jour et expurgée des noms des personnes figurant en liste orange ou safran85

(iii) La base de données du fichier des consommateurs français de gaz de GDF Suez, constitué de données relatives à aux clients acquis dans le cadre de son monopole et après l'ouverture des marchés à la concurrence constituait une facilité essentielle, aucune base de données exploitable alternative ne permettant d'identifier avec autant de précision (différences entre particulier et professionnel, pas de normalisation des données) et de manière exhaustive les mêmes clients et leur consommation de gaz. La base n’apparaît donc pas reproductible par les concurrents, à des conditions financières raisonnables (coût de prospection et d’achat de base de données) et dans des délais acceptables alors qu’elle est indispensable, l’autorité relevant (i) que les fichiers des clients comprennent des données portant également sur l’électricité, notamment la puissance souscrite ou le numéro du point de livraison de l’électricité, et des informations très utiles pour cibler la clientèle (le mode de chauffage, la surface des locaux, le nombre d’occupants) (ii) que la démarche commerciale de GDF s’appuie sur la base de données des clients en gaz pour proposer des offres libres d’électricité. Ces données ont donc un intérêt pour prospecter le marché de l’électricité86.

(iv) L’opérateur peut prouver que les données détenues ne sont pas issues de son ancien monopole ou qu’il a investi des moyens supplémentaires. Dans l’affaire concernant l’annuaire téléphonique de France Télécom87, la Cour constate que cette base de données n’est pas constituée seulement des renseignements fournis par les abonnés mais « ..est enrichie d’autres informations, dont plus de la moitié viennent de la société France Télécom, de façon à former un ensemble spécifique pour lequel celle-ci a conçu et défini les opérations utiles en leur affectant les moyens correspondants ». Ainsi, la Cour reconnait à la société France Télécom un droit sui generis non pas sur l’annuaire en cause, mais sur la base de données constituée à partir des informations résultant de l’annuaire et enrichies par elle. A l’inverse dans l’affaire GDF Suez, la Cour d’appel constate que le coût de la constitution de la base de données et ses mises à jour n’était pas à la charge de GDF Suez mais des utilisateurs88.

Il convient de réfléchir au rapprochement entre cette théorie des facilités essentielles et l’abus de position dominante consistant en un simple refus de 85 Cour de cassation, chambre commerciale, 4 décembre 2001, France Telecom, N° de pourvoi: 99-16642 86 Décision n° 14-MC-02 du 9 septembre 2014 relative à une demande de mesures conservatoires présentée par la société Direct Energie dans les secteurs du gaz et de l’électricité 87 Cass. com. 23 mars 2010, n° 08-20.427 et n° 08-21.768. 88 CA Paris, Pôle 5, Ch. 7, 31 octobre 2014, n° 2014/19335

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vente. Eu égard à la contribution très forte des bases de données à l’évolution technologique et à l’activation de la concurrence, on pourrait réfléchir à faciliter l’accès aux bases de données essentielles en instaurant une obligation de négociation de bonne foi pour l’accès à celles-ci. Se poserait toutefois alors(i) la question de l’étendue de l’accès, afin de ne donner accès qu’aux données strictement nécessaires pour le but recherché, (ii) la question des conditions d’accès qui auraient pour vocation de rémunérer l’investissement réalisé par le propriétaire de la base à sa juste valeur, et rémunérant dès lors son apport technologique (il ne faut pas supprimer toute incitation au producteur d’une base de données de continuer à la maintenir et à l’enrichir), et (ii) la question de l’accord des utilisateurs au transfert de leurs données. L'AFEC propose de faciliter l'accès aux bases de données détenues par une entreprise dont la position dominante sera avérée en obligeant cette dernière à justifier le refus d'accès par des raisons objectives. Toutefois certains membres considèrent que cette solution devrait être limitée aux cas où la base de données constitue une infrastructure essentielle.

B. Abus de position dominante et discrimination dans l’accès aux données M. Bruno Lasserre a récemment souligné que la caractérisation d’une infrastructure essentielle n’est pas un préalable nécessaire à une intervention efficace. Le droit de la concurrence serait applicable à des hypothèses d’actifs immatériels et permettrait d’appréhender des ressources-clefs qui ne sont pas des infrastructures essentielles89. En effet, même en l’absence de qualification de facilité essentielle, l’Autorité de la concurrence dispose d’outils pour qualifier le refus d’accès à une base de données d’atteinte au droit de la concurrence. En effet, dans certaines circonstances, sera considéré comme abusif « le fait, pour les propriétaires ou gestionnaires d’un équipement qui leur donne une position particulière en tant qu’offreur sur le marché, de refuser l’accès ou de donner un accès discriminatoire à l’équipement en cause, sans pour autant invoquer la théorie des facilités essentielles, ni les risques d’atteinte au droit de propriété »90 Toute entreprise en position dominante se doit de ne pas commettre de pratiques discriminatoires à l’égard de ses partenaires (clients ou fournisseurs) conformément à l’article L 420-2 du code de commerce et à l’article 102 du TFUE. Ainsi le refus de fournir l’accès à une base de données, à un opérateur précis peut constituer une pratique discriminatoire si elle n’est pas justifiée (le risque de violation d’un droit d’auteur ne constitue pas une justification suffisante). Dans

89 Rapport N°3119 précité, page 211 90 Décision n° 06-D-36 du 6 décembre 2006 relative à des pratiques mises en œuvre par la société civile de moyens Imagerie Médicale du Nivolet, § 153-154

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l’affaire Cegedim, bien que la base de données ne constitue pas une facilité essentielle, Cegedim a été condamnée pour pratique discriminatoire car elle traitait ses clients de manière discriminatoire selon qu’ils utilisaient ou non le logiciel de gestion de clientèle de la société Euris, son concurrent (CA Paris 24 septembre 2015, Pôle 5 ch5-7, CEGEDIM, qualifiant le refus de donner accès à la base de données de pratique discriminatoire). L’utilisation de prix d’accès différents selon le type de clients pourrait aussi s’avérer discriminatoire et correspondre à une pratique d’éviction. Dans la décision n° 15-D-20 du 17 décembre 2015 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des communications électroniques, l’Autorité de la concurrence a notamment sanctionné une pratique de discrimination mise en œuvre par Orange, qui détient en tant que gestionnaire de la boucle locale cuivre, des données techniques acquises du temps de son monopole historique, indispensables aux opérateurs tiers pour proposer des accès internet haut débit et très haut débit. En permettant à ses propres équipes d’accéder de manière plus complète et plus rapide aux données de cette base, Orange a désavantagé les opérateurs tiers.

2.2.4. Analyse de la position concurrentielle des parties : position dominante et entreprise cruciale ?

La notion d’entreprise en position dominante est-elle adaptée pour les plateformes ? La difficulté tenant à cette notion résulte notamment de la délimitation des marchés qui est souvent complexe (ex ventes privées). Faut-il mettre en avant la notion d’« entreprise cruciale » dans le contexte des écosystèmes ?91 La notion d’« entreprise cruciale » désigne une entreprise dont la disparition aurait des conséquences sociales et économiques très importantes n’est-elle pas plus appropriée pour prendre en compte la réalité des écosystèmes tels que Google, Facebook ? En fonction de leur type et de leur puissance sur le marché, certaines plateformes ont autorité sur l’accès aux marchés en ligne et peuvent exercer une influence significative sur le mode de rémunération des acteurs du marché. Cette situation suscite des inquiétudes face à la puissance grandissante de certaines plateformes sur le marché, parmi lesquelles un manque de transparence quant à la manière dont elles utilisent les informations qu’elles obtiennent, leur pouvoir de négociation par rapport à celui de leurs clients, qui peut se refléter dans les conditions qu'elles pratiquent (en particulier à l'égard des PME), la promotion de leurs propres services au détriment des concurrents et des politiques tarifaires non transparentes, ou des restrictions concernant la fixation des prix et les conditions de vente92. 91 Économies de plates-formes : Réguler un modèle dominant ? 23 octobre 2014, Revue Concurrences http://www.concurrences.com/Journal/Issues/No-2-2015/Doctrines-1728/Economies-de-plates-formes-Reguler 92 Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité Economique et Social européen et au comité des Régions, intitulée « Stratégie pour un marché unique numérique en Europe » (SWD(2015) 100 final),

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2.2.5. Analyse concurrentielle des écosystèmes La problématique des écosystèmes soulève plusieurs interrogations concurrentielles :

La possibilité pour une entreprise au cœur d’un écosystème fermé de se livrer à des pratiques potentiellement anticoncurrentielles sur un certain nombre de marchés liés. Les risques concurrentiels tiennent notamment au fait que l’entrée de nouveaux acteurs est, du fait du caractère fermé du système, rendue plus difficile. Cela a pour conséquence de contraindre le choix des consommateurs sur toute la chaine verticale. Une plateforme qui vend en ligne des contenus ou des applications particulièrement attractifs et qui n’est compatible qu’avec un seul type de matériel peut verrouiller l’entrée de nouveaux opérateurs sur toute la chaine verticale. Du point de vue consommateurs, ces pratiques restreindraient considérablement les choix des acheteurs qui, pour avoir accès à un contenu donné ou à un élément particulier d’une chaîne verticale seraient contraints d’acquérir nécessairement tous les biens, services ou contenus liés par des exclusivités.

La réponse que doivent apporter les autorités de régulation : l’intervention

des autorités doit-elle se situer en amont afin d’éviter qu’un système ne devienne dominant et ne verrouille un certain nombre de consommateurs ou alors ex post, lorsque l’entreprise a déjà atteint une position dominante et par le biais des outils classiques de contrôle des pratiques anticoncurrentielles ?

Les outils à disposition des autorités sont-ils adaptés ? Certaines

plateformes en ligne sont désormais devenues des acteurs économiques à part entière dans de nombreux secteurs de l’économie, et la manière dont elles utilisent leur puissance sur le marché pose un certain nombre de problèmes qui méritent une analyse dépassant la seule application du droit de la concurrence dans des cas spécifiques. Par exemple, la notion d’entreprise en position dominante est-elle adaptée pour les plateformes et ne faut-il pas plutôt mettre en avant la notion d’ « entreprise cruciale » (telle que définie au 2.2.4. ci-dessus)

2.2.6. Analyse concurrentielle de la tarification : GRATUITE ET CONCURRENCE

Après avoir rappelé les avantages et les inconvénients de la gratuité sur les marchés bifaces (A.), nous analyserons les problématiques qu’elle pose au regard du droit européen et national de concurrence (B.)

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A. Les avantages et les inconvénients de la gratuité sur les marchés bifaces

a) Le modèle de gratuité dans les marchés bifaces

Le modèle de la gratuité est très répandu sur les marchés électroniques notamment les plateformes. Dans les marchés bifaces, un service peut être fourni gratuitement sur l’une des faces dès lors qu’il est financé par l'autre face du marché. On peut citer à titre d’exemple le moteur de recherche Google qui est gratuit pour les internautes, mais qui est financé par la publicité des annonceurs via des services payants comme Google Adwords. De même, Booking.com fournit gratuitement ses services de location d'hôtels aux internautes mais est rémunéré par les hôtels adhérents. C’est encore le cas des modèles de tarification dits « Freemium » qui font également appel à la gratuité : un même service présente deux niveaux de qualité : un niveau basique gratuit et librement accessible et un niveau enrichi (premium) payant. Là encore, la gratuité de certaines prestations est financée par l’autre côté du marché biface. La question se pose alors de la fixation des prix sur les faces payantes. De manière générale, la fixation des prix sur un marché dépend de l’allocation des coûts et de la stratégie poursuivie par l’entreprise sur ces différents marchés. La gratuité sur les marchés bifaces rend plus complexe la problématique de l’allocation des coûts. La mise en œuvre de cette allocation des coûts suppose une ventilation entre les deux faces de la plateforme. L’allocation des coûts sur une seule partie de la plateforme est justifiée dans la mesure où elle permet de créer de la demande sur l’autre partie. Il s’agit d’une stratégie de maximisation du résultat global de la plateforme. Le bénéfice des clients de la face payante dépend du nombre d’agents présents sur l’autre face. Ainsi, la gratuité d’une des faces permet d’attirer un plus grand nombre de clients, ce qui constitue une base de clients plus importante pour l’autre face (cas pour la publicité, les journaux gratuits, les sites de rencontre). On comprend que la gratuité sur une des faces de la plateforme permet d’amplifier les effets de réseau qui profitent également aux clients de la face gratuite. L’objet même d’un marché biface est de générer des effets de réseaux, c’est-à-dire que la gratuité sur un côté de la plateforme permet d’augmenter la demande sur l’autre côté. Par ailleurs, comme le rappelle l’Autorité de la concurrence dans son avis n°14-A-18 (Bottin Cartographes vs Google), le fait pour un opérateur d’être présent sur un grand nombre de marchés et d’accéder à un nombre de clients plus important lui permet de rentabiliser les coûts associés au développement de ses produits plus facilement que sur un nombre restreint de marché. En particulier, lorsque les coûts évitables associés à la présence de cet opérateur sur chaque marché sont faibles, il peut alors pratiquer des coûts inférieurs à ceux de

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ses concurrents sans pour autant pratiquer des prix prédateurs. L’analyse de concurrence doit donc également prendre en compte le bénéfice tiré par les consommateurs sur la face gratuite. Le fonctionnement des marchés bifaces peut conduire (plus souvent que sur les marchés traditionnels) à des contrats d’exclusivité. Toutefois, le consommateur est toujours conscient et libre d’adhérer à la plateforme de manière exclusive. On peut donc faire l’hypothèse que l’exclusivité acceptée par les consommateurs est une action réfléchie qui témoigne des externalités dont peut bénéficier le client. Il faut donc admettre que la présence de contrats d’exclusivité sur un marché biface peut être positif et permettre un gain de part de marché sur un côté de la plateforme. Ces actions résultent d’une stratégie d’optimisation de la demande. Les politiques de régulation publique doivent prendre garde à ne pas empêcher le développement de plateformes qui améliorent le bien-être social sous prétexte de combattre des pratiques anti-concurrentielles. L’inconvénient de cette gratuité est qu’elle peut créer un déséquilibre concurrentiel entre les plateformes et les sociétés concurrentes présentes sur le même marché de la face payante et qui ne peuvent proposer le même service gratuitement, ce qui pourrait conduire dans certains cas à des stratégies d’éviction de concurrents. Les pratiques de gratuité dans les marchés bifaces peuvent ainsi aboutir à différents types de pratiques anti-concurrentielles :

Des pratiques de prix « prédateurs » sur le côté gratuit de la plateforme ; Des pratiques discriminatoires et de prix excessifs pour les opérateurs

intervenant sur l’autre face de la plateforme ; Ces pratiques peuvent conduire à l’éviction de concurrents. Les stratégies d’éviction sont orchestrées par certaines sociétés pour gagner des parts de marché et obtenir une position dominante. Ces stratégies peuvent être mises en place à l’aide de contrats d’exclusivité ou de ventes liées. Dans le cas des marchés biface, on doit s’interroger sur la conséquence des décisions concernant une face sur l’ensemble de la plateforme. En effet, évincer un concurrent sur un coté de la plateforme pourrait dans l’absolu engendrer des effets néfastes sur l’autre côté de la plateforme (comme décourager les clients de venir sur la plateforme). Ces stratégies peuvent évincer certains clients d’un côté de la plateforme mais permettent d’internaliser les externalités du réseau.

b) Marchés bifaces et prix prédateurs Dans la mesure où, à ce jour, les pratiques de gratuité dans les marchés bifaces n’ont jamais été étudiées ou sanctionnées au titre des prix « prédateurs » en droit

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européen, il importe de rappeler brièvement les critères classiques de la prédation (1.) avant d’en faire application aux pratiques relatives à la gratuité (2.) 1. Les critères classiques de la prédation Au regard de la méthodologie fixée par les instances européennes 93 et reprises en France94, il convient de commencer par un « test de coût » reposant sur la comparaison entre prix pratiqués et coûts exposés par l’entreprise pour fournir le produit ou le service vendu. La spécificité de certaines industries peut conduire l’Autorité à utiliser un test de coût différent, plus adapté à la nature des activités économiques en cause ou des structures de marché : le coût incrémental. C’est le cas des entreprises menant à la fois des activités protégées par un monopole légal – ou qui l’étaient dans un passé récent – et des activités en concurrence pour lesquelles les risques de subventions croisées sont plus importants. Dans ce cas le coût incrémental est le coût que l’entreprise ne supporterait pas si elle n’exerçait pas l’activité concurrentielle95 Si le test de coût conduit à constater que le prix pratiqué est inférieur au coût moyen variable (ou « évitable », c’est-à-dire pouvant être évité en ne fournissant pas l’unité supplémentaire du produit ou du service en cause), il est présumé, faute prima facie d’explication rationnelle, que l’entreprise dominante a fait ce sacrifice en vue d’évincer le ou les concurrents. Cette présomption peut, toutefois, être combattue par l’entreprise mise en cause, notamment en donnant une explication alternative à son comportement (impossibilité de récupérer les pertes, situation concrète de marché), qui doit être appuyée par des données vérifiables et non contredites par les observations factuelles de l’espèce ; mais il

93 CJUE, Akzo, 3 juillet 1991, 62/86, Tetra Pak , 14 novembre 1996, C-333/94, et France Télécom, 2 avril 2009, C-202/07. Comm. Deutsche Post AG ( 2001 ,COMP /35.41) et PostDanmark ( du 27 Mars 2012 ,C209/10), 94 S’agissant de la pratique décisionnelle nationale, le Conseil de la concurrence a sanctionné pour la première fois des pratiques de prédation mises en œuvre par une entreprise en position dominante, dans une décision 07-D-09, relative à des pratiques mises en œuvre par le laboratoire GlaxoSmithKline. Dans cette décision, le Conseil a défini la méthodologie qu’il convient de suivre afin de qualifier de telles pratiques sur le fondement de l’article L. 420-2 du Code de commerce. Les critères sont ceux de la jurisprudence Akzo. 95 Dans une décision n° 04-D-79 du 23 décembre 2004 relative à des pratiques mises en œuvre par la Régie départementale des passages d’eau de la Vendée (RDPEV), le Conseil de la concurrence a adopté les critères Deutsche Post : « s’agissant d’une entreprise chargée d’une mission de service public et offrant simultanément des prestations sur un marché sur lequel il existe une offre concurrente, la Commission européenne a considéré, dans une décision du 20 mars 2001 relative à des pratiques dans le secteur postal (COMP/35.141 – Deutsche Post AG), que le concept de coût pertinent à prendre en compte afin d’évaluer si le prix des prestations offertes en concurrence est abusif est celui du coût incrémental, c’est-à-dire le coût que l’entreprise ne supporterait pas si elle n’exerçait pas l’activité concurrentielle. En revanche, les coûts que l’entreprise est obligée d’engager pour assurer la mission de service public qui lui est confiée, et qu’elle serait obligée d’engager même si elle n’offrait pas de prestations en concurrence, n’ont pas à être pris en compte dans les coûts pertinents de l’activité concurrentielle et donc à être couverts par les recettes tirées de cet te activité. Il en est notamment ainsi des coûts fixes communs à la mission de service public et à l’activité concurrentielle ».

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lui incombe alors de supporter la charge de la preuve de cette explication alternative. Lorsque le test de coût conduit à constater que le prix pratiqué est compris entre le coût variable et le coût moyen complet, il incombe à l’autorité de concurrence de démontrer que la politique de prix de l’entreprise s’inscrit dans une stratégie d’éviction, c’est-à-dire un plan destiné à éliminer, discipliner ou décourager un concurrent. A cet égard, dans un arrêt du 27 mars 2012 (C-209/10), Post Danmark, la Cour dit pour droit qu’une entreprise en position dominante qui propose des prix situés entre coûts variables moyens et coûts moyens totaux aux clients de ses concurrents commet une pratique abusive si l’effet d’éviction est avéré. Il est permis d’en déduire que la preuve d’une stratégie de prédation peut résulter de l’éviction effective du concurrent au moins aussi efficace96, à l’instar du raisonnement suivi par la cour d’appel de Paris dans un arrêt du 20 décembre 2012 (vedettes vendéennes). 2. Application des tests de prédation aux pratiques relatives à la gratuité L'analyse de la prédation suppose le choix d'un test de coûts, puis la recherche concrète des coûts, de leur nature et de leur allocation à telle ou telle activité. Pour apprécier les pratiques relatives à la gratuité des plateformes, plusieurs questions se posent : 1/ Quel test de coûts retenir ? Le test de coûts applicables aux entreprises multi-produits ou aux entreprises investies de missions de service public et intervenant sur des marchés concurrentiels (coûts incrémentaux) est-il pertinent s'agissant d'un marché biface ? Le test de coût classique appliqué à un marché biface consisterait à comparer les prix pratiqués et les coûts exposés par l’entreprise. Cette analyse de la relation prix-coûts sur chaque côté de la plateforme pris séparément conduirait nécessairement à des prix prédateurs sur la face gratuite. Le respect de la concurrence sur une plateforme doit donc se vérifier en prenant en compte

96 : « L’article 82 CE doit être interprété en ce sens qu’une politique de prix bas appliqués à l’égard de certains anciens clients importants d’un concurrent par une entreprise occupant une position dominante ne peut être considérée comme constitutive d’une pratique d’éviction abusive au seul motif que le prix appliqué par cette entreprise à l’un de ces clients se situe à un niveau inférieur aux coûts totaux moyens imputés à l’activité concernée, mais supérieur aux coûts incrémentaux moyens afférents à celle-ci, tels qu’évalués dans la procédure à l’origine de l’affaire au principal. Afin d’apprécier l’existence d’effets anticoncurrentiels dans des circonstances telles que celles de ladite affaire, il y a lieu d’examiner si cette politique de prix, sans justification objective, a pour résultat l’éviction effective ou probable de ce concurrent, au détriment du jeu de la concurrence et, de ce fait, des intérêts des consommateurs ».

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simultanément les deux côtés de la plateforme. Plus concrètement, dans le cas des marchés bifaces, la comparaison doit porter sur la somme des prix proposés sur les deux côtés de la plateforme et les coûts cumulés supportés. Comme le montre le cas eBay (cf. infra), aux Etats-Unis, la démonstration de la pratique anti-concurrentielle est plus lourde dans la mesure où elle doit se démontrer par deux moyens97 :

- Les prix sont-ils en dessous des coûts ? - Est-ce que l’entreprise a la possibilité de récupérer ses pertes ?

Le deuxième critère n’a pas à être démontré par les autorités de concurrence en droit de l’Union européenne. 2/ Quels coûts ? L'allocation des coûts : c'est la détermination des coûts communs qui est fondamentale. Plus grands sont ces coûts communs, plus faibles sont les coûts incrémentaux et aucun prix ne sera jamais prédateur... Ne faut-il pas affecter une partie de ces coûts communs à l'activité suspectée d'être prédatrice98 ? En définitive, on constatera le plus souvent que les tests de coûts ne permettent pas d’identifier une situation de prédation. En effet, dans la plupart des cas, les coûts, quels qu’ils soient, seront couverts par les prix de la face payante. Ainsi, par

97 Application du test de Brooke (Brooke Group Ltd v. Browns & Williams vs Tabacco 509 US 209, 222-24.1993) 98 L’avis 14-A-18 de l’Autorité de la concurrence (Bottin Cartographes vs Google) et qui a été confirmé par arrêt de la Cour d’Appel de Paris du 25 novembre 2015 est particulièrement intéressant. En effet, l’Autorité de la concurrence a relevé s’agissant des résultats des tests de coûts « 70. Quels que soient le périmètre géographique considéré, l’année retenue ou la clef de répartition choisie pour l’allocation des coûts d’infrastructure, aucun des vingt tests présentés ne conduit au fait que Google se trouve dans la « zone noire » dans laquelle les prix seraient inférieurs aux coûts évitables moyens. 71. Dix-huit d’entre eux indiquent au contraire que Google se trouve dans la « zone blanche », à savoir que les revenus du produit Google Maps API – qui incluent non seulement ceux de la version payante, mais également ceux de la version gratuite (issus de l’insertion de publicités et de la facturation des cartes vues au-delà de la limite d’usage) – couvrent l’ensemble des coûts moyens incrémentaux de long terme y afférents. L’Autorité note en particulier que les tests de sacrifice présentés par Google font état de marges sur coût incrémental de long terme très substantielles (plus de […]%) à compter de 2012. En 2011, elles s’élèvent entre […] et […]% selon la méthodologie et l’échelle géographique retenue (mondiale, européenne ou nationale). 72. Seuls deux tests, pour 2010 et pour la France uniquement, placent Google dans la zone « grise » dans laquelle les revenus du produit Google Maps API sont inférieurs aux coûts moyens incrémentaux de long terme, mais restent supérieurs aux coûts évitables moyens. Même si les marges sur le coût évitable moyen ne sont pas précisées, il est très probable qu’elles soient positives. 73. En effet, parmi les coûts ayant servi au test effectué par le cabinet CRA, seuls les coûts d’acquisition de contenu semblent pouvoir entrer dans la catégorie des coûts évitables. Les autres coûts – infrastructure, ingénierie/gestion de projet et ventes et marketing – correspondent plus à des coûts fixes ou semi-variables. Or, les marges sur coûts d’acquisition de contenu sont très largement positives ([…]%) en 2010 à l’échelle de la France. Par conséquent, les revenus devraient être supérieurs aux coûts évitables moyens. 74. Il est donc probable que Google se situe dans une zone de prix où la démonstration de la prédation requiert que ces prix aient été fixés dans le cadre d’un plan ayant pour but d’éliminer les concurrents. Mais, ainsi qu’il est examiné ci-après, aucun élément en ce sens n’apparaît dans le dossier. »

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l’intermédiaire des tests de coûts, on peut dire que l’existence de la gratuité sur un côté de la plateforme ne traduit pas en elle-même une situation de prix prédateurs mais relève d’une stratégie de maximisation de la demande sur l’ensemble de la plateforme. 3/ A qui revient la charge de la preuve ? A la lumière de la jurisprudence, la preuve de la prédation par la victime s’avère difficile à établir, voire impossible, comme le montre le cas sur les Vedettes Vendéennes en France. Si l'entreprise refuse de communiquer ses coûts, en prétendant qu'ils sont couverts par le secret des affaires, faut-il alors prendre les coûts de ses concurrents pour réaliser le test de prédation ? Dans ce cas, l’Autorité de la concurrence a la faculté de se fonder sur d’autres données pertinentes. Une autre piste de recommandation, qui n’a pas emporté l’unanimité du groupe de travail, serait d’inverser la charge de la preuve. Ce serait à l'entreprise mise en cause de démontrer l'absence de prédation et non à la victime. Une partie du groupe de travail de l’AFEC recommande d’inverser la charge de la preuve. Ce serait alors à l'entreprise mise en cause de démontrer l'absence de prédation et non à la victime. Cependant, cette solution n’emporte pas l’unanimité. 4/ La démonstration de l’intention L’intention de la plateforme s’avère souvent difficile à démontrer. Certains auteurs ont proposé d’adapter le test AKZO en remplaçant, en tant que benchmark, les coûts variables (ou évitables) par les coûts d’opportunité. Il faudrait alors s’assurer que les revenus incrémentaux de la face payante résultent bien des prix appliqués (supposés bas) et ne constituent pas uniquement un moyen d’accroitre, via l’exclusion des concurrents, des gains monopolistiques. L’arrêt de la Cour d’Appel de Paris du 25 novembre 2015 (Bottin Cartographes vs Google) indique cependant à cet égard que « (…) la méthode d’élaboration des tests de coûts pour l’établissement d’une pratique de prix prédateurs ne prévoit pas

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d’intégrer des coûts « d’opportunité » qui seraient les coûts de renoncement aux revenus tirés d’une version payante. » On peut également citer d’autres tests comme dans la décision Française des jeux (Décision n° 00-D-50 ) du 5 mars 2001 relative à des pratiques mises en œuvre par la société Française des Jeux dans les secteurs de la maintenance informatique et du mobilier de comptoir : « Considérant, en second lieu, qu’ainsi qu’il a été rappelé ci-dessus, une pratique de prix bas non prédatrice, de la part d’une filiale d’une entreprise disposant d’un monopole public, peut être anticoncurrentielle à la double condition qu’elle n’ait été rendue possible que par des subventions tirées de la rente dégagée dans l’activité monopolistique et qu’elle ait entraîné une perturbation durable du marché qui n’aurait pas eu lieu sans elle ».Il s'agirait d'étendre le test en dehors des monopoles publics aux entreprises disposant d'une position largement dominante. On peut aussi s’inspirer de la décision de la Cour d’appel de Paris (20/12/12) dans l’affaire des vedettes vendéennes (Amporelle) qui consacre une approche par les effets (et non seulement les intentions) et l’admission des coûts incrémentaux comme seuil des coûts pertinents pour analyser le caractère pertinent des prix dans le cas d’une entreprise multi produit. L’analyse par les effets dans le cadre d’une plateforme doit impliquer de s’interroger sur la politique de prix et ses effets d’éviction effective ou probable au détriment de la concurrence et ce nonobstant l’intention d’éviction.

2.2.7. Les pratiques discriminatoires et de prix excessifs En théorie, l’acquisition d’une position dominante sur un marché biface a plutôt pour effet d’augmenter les prix sur la face payante que de les baisser et cela selon des modalités qui peuvent devenir constitutives d’abus. Dans le cas d’eBay, des vendeurs aux Etats-Unis s’étaient regroupés pour dénoncer des prix qu’ils jugeaient excessifs et considéraient constitutifs d’un abus de position dominante99. Le regroupement de vendeurs qui avait assigné e-bay a 99 En 2010, un regroupement de vendeurs a attaqué en justice la plateforme pour abus de position dominante. Les plaignants jugeaient excessive la commission prise par eBay sur les transactions. Pour prouver une pratique anticoncurrentielle sous la section 2 du Sherman Act, il faut démontrer :

L’abus de position dominante sur le marché pertinent (et donc déterminer le marché pertinent au préalable) ;

Des pratiques intentionnelles pour maintenir ce monopole ;

L’existence d’un préjudice résultant de la pratique anticoncurrentielle. L’accusation d’intention de pratiques anticoncurrentielles doit être démontrée par quatre éléments :

L’intention de contrôler les prix ou de mettre à mal la concurrence ;

La preuve d’un comportement prédateur ou anti-concurrentiel ;

Une forte probabilité de parvenir à ces fins ;

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échoué dans la démonstration du préjudice et dans son calcul. Les juges ont retenu que :

Les plaignants n’avaient pas défini correctement le marché pertinent ; Ils n’avaient pas non plus montré qu’eBay détenait un monopole sur le

marché défini ; Ils ont de plus échoué dans la démonstration du préjudice.

Les demandeurs ont utilisé comme méthode de calcul du préjudice la méthode des surprix (overcharges) c’est-à-dire la « différence entre le prix payé pour les biens achetés et le prix qui aurait été payé en l’absence du comportement abusif d’eBay ». Ils précisent d’ailleurs, qu’il s’agit de la méthode standard dans les situations de prix prédateurs et non celle de gains manqués (lost profits). eBay a dénoncé cette méthode et argumenté sur la nature même du marché. En effet, dans le cas de marché biface, la structure des coûts peut être asymétrique. Il faut prendre en compte l’ensemble des effets de réseaux dont bénéficient les clients : « rapidité de la vente, vitrine du produit, prix ». En résumé, les demandeurs n’auraient pas pris en compte la structure du marché biface et l’ensemble des externalités dont ils bénéficient. En outre, les demandeurs ne sont pas parvenus à évaluer le préjudice avec leur méthode ce qui souligne la difficulté que rencontrent les victimes pour établir le préjudice subi dans une situation où la situation contrefactuelle n’existe pas.

2.2.8. Autres pratiques tarifaires Force est de constater que certaines plateformes d’intermédiation proposent, dans certaines activités, des produits ou des prestations de services à des tarifications très basses, voire symboliques (ex. 1euro), qui de surcroît peuvent être uniformes alors même que les offres mises en ligne sur la plateforme émanent d’offreurs différents se trouvant en situation de concurrence sur le marché. La pratique de prix trop bas peut relever, selon qu’elle se rattache à la revente de produits en l’état ou à la commercialisation de produits fabriqués ou transformés ainsi que de prestations de services, de l’interdiction de la revente à perte édictée à l’article L. 442-2 du code de commerce ou de l’interdiction des prix abusivement bas énoncée à l’article L. 420-5 du code de commerce. S’agissant de cette dernière règle, l’Autorité de la concurrence a assimilé dès ses premières décisions la pratique de prix abusivement bas à celle de prix prédateurs, de sorte que les difficultés et enseignements contenus dans les développements ci-dessus ont vocation à s’appliquer, même s’il ne s’agit pas de gratuité mais d’une tarification symbolique.

L’existence d’un préjudice résultant de la pratique anticoncurrentielle ;

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Par ailleurs, l’uniformité des offres présentées sur une plateforme par plusieurs offreurs peut soulever des interrogations sur sa licéité en tant qu’elle peut être considérée comme une pratique de fixation concertée des prix contraire à l’interdiction des ententes, voire à l’interdiction des abus de position dominante et/ou une imposition d’un prix minima de revente visée à l’article L. 442-5 du code de commerce.

2.2.9. Analyse concurrentielle des modalités de fonctionnement des plateformes

A. Référencement et déréférencement Les plateformes constituent un moyen d’accès aux utilisateurs-acheteurs que les entreprises, offreuses de biens ou de services, ne peuvent plus ignorer. Etre référencé par ces plateformes constitue donc pour les entreprises un enjeu économique important voire vital. Il est par conséquent nécessaire de s’interroger sur le point de savoir si le droit de la concurrence est apte à appréhender efficacement les différentes pratiques que les plateformes peuvent mettre en œuvre s’agissant du référencement/déréférencement des opérateurs.

a) L’appréciation des pratiques de référencement/déréférencement sous l’angle des pratiques anticoncurrentielles

Dans son avis sur 15-A-06 du 31 mars 2015 sur le rapprochement des centrales d’achat et de référencement dans le secteur de la grande distribution, l’Autorité rappelle qu’« en vertu du principe de libre choix de l’acheteur, la négociation des accords de référencement et des conditions commerciales dont ils sont assorties, ou au contraire le refus de référencer ou le déréférencement, ne constituent pas, en eux-mêmes, des pratiques anticoncurrentielles ». En tout état de cause, les pratiques de référencement des plateformes devraient par essence être considérées comme des décisions unilatérales et ainsi être appréhendées sur le fondement de l’article L.420-2 du Code de commerce ou de l’article 102 TFUE. Cela suppose donc que ces pratiques puissent être qualifiées soit d’abus de position dominante soit d’abus de dépendance économique. Dans le référencement/déréférencement, il faut aussi intégrer le déréférencement des moteurs de recherche tels que Google : si les actions des opérateurs s’estimant victimes de pratiques de déréférencement ont parfois donné lieu au prononcé de mesures conservatoires, puis à la souscription

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d’engagements100, elles ont d’autres fois et plus fréquemment échoué, devant le juge judiciaire101 comme devant l’Autorité de la concurrence102, au point de s’interroger sur le point de savoir quel serait l’instrument idoine pour appréhender de telles pratiques : il est permis de penser à l’interdiction des ruptures brutales des relations commerciales établies (voir sur cet aspect la sous-section suivante), mais aussi à la prohibition des abus de dépendance économique, dans l’hypothèse où cette règle serait réinterprétée ou modifiée dans sa formulation afin d’en permettre une mise en œuvre plus efficiente. Pour qu’une pratique puisse être qualifiée d’abus de position dominante, cela suppose tout d’abord que l’entreprise qui la met en œuvre soit en position dominante sur un marché pertinent. Or, comme indiqué précédemment, l’une des difficultés auxquelles doivent faire face les autorités de concurrence réside précisément dans la définition du marché pertinent applicable à ces plateformes. En outre l’évolution très rapide des technologies et des services proposés implique que la délimitation des marchés et les positions des entreprises puissent être rapidement remises en cause. L’Autorité de la concurrence a ainsi considéré qu’elle était dans l’impossibilité en septembre 2014 de se prononcer sur l’existence d’un marché de la vente évènementielle en ligne sur la période 2005-2011 dans sa décision Vente-privée.com103. A supposer même que cette difficulté soit résolue, les autorités de concurrence doivent encore démontrer que les pratiques visées par l’article 102 TFEU et L.420-2 §1 constituent un abus. Or, pour être appréhendé en tant que pratique anticoncurrentielle, l’abus suppose d’une part qu’il ne puisse être justifié par des conditions objectives et d’autre part qu’il ait un impact sur la concurrence, à savoir une éviction du marché ou par un obstacle à accéder au marché. Le fondement de la dépendance économique pourrait également permettre de sanctionner certains comportements des plateformes. Toutefois, il est d’un maniement encore plus malaisé que l’abus de position dominante. En effet, comme pour l’abus de position dominante, ce fondement suppose un raisonnement en deux étapes : d’abord démontrer la situation de dépendance économique d’une entreprise face à une autre et dans un second temps l’abus commis par cette dernière et son impact sur le fonctionnement de la concurrence. Pour caractériser une situation de dépendance économique il faut tenir compte « de la notoriété de la marque du fournisseur, de l’importance de la part de marché

100 Aut. conc., déc. n° 10-MC-01, 30 juin 2010, relative à la demande de mesures conservatoires présentée par la société Navx. - Aut. conc., déc. n° 10-D-30, 28 oct. 2010, relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la publicité sur Internet. 101 Cass. com., 16 avr. 2013, n° 12-12.900, inédit. 102 Aut. conc., déc. n° 13-D-07, 28 févr. 2013, relative à une saisine de la société e-Kanopi. - CA Paris, pôle 5, ch. 7, 24 juin 2014, n° 2013/06758 : JurisData n° 2014-016672. 103 Décision n° 14-D-18 du 28 novembre 2014 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la vente événementielle en ligne

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du fournisseur, de l’importance de la part du fournisseur dans le chiffre d’affaires du revendeur et enfin de la difficulté pour le distributeur d’obtenir d’autres fournisseurs des produits équivalents »104. Appliqué aux plateformes, cela impliquerait de pouvoir démontrer (i) la notoriété de la plateforme, (ii) la part de marché réalisée par la plateforme, (iii) l’importance du chiffre d’affaires réalisée avec la plateforme par rapport au chiffre d’affaires total du fournisseur et (iv) l’impossibilité pour le fournisseur de trouver une solution alternative viable dans un délai raisonnable, à savoir le report vers de nouveaux débouchés. Les conditions pour démontrer une situation de dépendance économique sont donc tellement restrictives qu’en pratique il n’existe pas de cas où cette situation a été retenue par l’Autorité de la concurrence105. S’agissant des plateformes, la condition de l’absence de solution de remplacement ainsi semble toujours difficilement pouvoir être remplie. En effet, il est peu probable qu’il soit considéré comme raisonnablement impossible pour tout fournisseur de pouvoir créer un site internet de vente en ligne ou à tout le moins de faire appel à une autre plateforme pour la distribution de ses produits. Cependant, les effets de réseau générés par les plateformes entrainent une pratique de « the winner takes it all ». Plus une plateforme devient importante, plus elle attire d’opérateurs, et plus il est nécessaire d’y être référencé. Ainsi, ce n’est pas tant l’impossibilité d’une solution alternative que le fait que la plateforme devienne un acteur incontournable (notion qui devrait être précisée) sur le marché qui caractérise une certaine « dépendance » des opérateurs, sans que l’on puisse parler de « dépendance économique » à proprement parler. Or, cette situation où le fournisseur ne peut se passer d’un autre opérateur sans lui être économiquement dépendant peut conférer une dissymétrie dans les rapports de force et un déséquilibre dans les négociations. Tout abus de cette situation semble plus facilement appréhendable sous l’angle des pratiques restrictives de concurrence.

b) L’appréciation des pratiques de référencement/déréférencement sous l’angle des pratiques restrictives de concurrence

104 V. par exemple, Paris Pôle 5, chambre 4, 15 Janvier 2014, n° 11/19418 . 105 C’est le constat que fait d’ailleurs l’Autorité dans son avis sur les rapprochements de centrales dans la grande distribution du 31 mars 2015 où elle a préconisé que la qualification de la situation de dépendance économique soit assouplie. Elle proposait ainsi la définition suivante : « Une situation de dépendance économique est caractérisée, au sens de l’alinéa précédent, dès lors que d’une part, la rupture des relations commerciales entre le fournisseur et le distributeur risquerait de compromettre le maintien de son activité, d’autre part, le fournisseur ne dispose pas d’une solution de remplacement auxdites relations commerciales, susceptible d’être mises en œuvre dans un délai raisonnable ».

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L’Autorité de la concurrence l’indique elle-même dans son avis 15-A-06 en considérant que « la plupart des pratiques susceptibles d’être qualifiées d’abus de dépendance économique sont également susceptibles d’entrer dans le champ des interdictions de l’article L. 442-6 du code de commerce (c’est le cas en particulier des pratiques de déréférencement ou d’octroi d’avantages sans contrepartie) » (pt 303). En effet, cet article permet de sanctionner les pratiques de déséquilibre significatif et les pratiques de rupture brutale des relations commerciales, qu’elles soient partielles par la modification unilatérale et sans respect d’un préavis suffisant des conditions de référencement par exemple, ou totales dans le cas d’un déréférencement. Or, sur ces fondements il n’est pas nécessaire de démontrer une quelconque position de marché. Il s’agit uniquement d’analyser des relations bilatérales entre deux cocontractants.

B. Accords de parité Ces dispositions contractuelles dites « Accords de Parité Inter-Plateformes » (en anglais « Across Platform Parity Agreements » ou « APPA ») conclues entre un vendeur et une plateforme de commerce électronique prévoient que le vendeur s’engage à pratiquer sur ladite plateforme un prix qui n’est pas supérieur à celui appliqué sur d’autres plateformes, y compris par les nouveaux entrants106. Les syndicats hôteliers et le groupe Accor reprochaient aux plateformes de réservation hôtelières en ligne et à Booking.com en particulier, de soumettre les hôteliers au respect de clauses « de parité ». En vertu de ces clauses, les plateformes en ligne exigeaient des hôteliers de bénéficier d'un tarif, d'un nombre de nuitées et de conditions d'offre (conditions de réservation, inclusion ou non du petit-déjeuner, etc.) au moins aussi favorables que celles proposées sur les plateformes concurrentes ainsi que sur l'ensemble des autres canaux de distribution (en ligne et hors ligne), dont les réseaux de distribution propres à l'hôtel (site internet, téléphone, e-mail, comptoir de l'hôtel, etc.). Selon les syndicats, les hôteliers se trouvaient ainsi empêchés de mettre les plateformes de réservation en concurrence. Ces clauses étant mises en œuvre par l'ensemble des plateformes, les hôteliers se trouvent donc contraints de leur consentir des tarifs de nuitées, des disponibilités et des conditions d'offres des nuitées identiques. De manière générale on notera les effets anticoncurrentiels de ces accords :

106 Ce type d’accord est considéré comme l’une des formes que peut prendre la clause de la nation la plus favorisée (« NPF », en anglais « Most Favored Nation » ou « MFN »). A la différence d’autres formes de clauses MFN, les parties à un APPA s’accordent sur une obligation tarifaire qui ne concerne pas leurs transactions mais plutôt celles que l’une d’entre elles (le vendeur) conclura avec un tiers qui n’est pas partie à l’accord (l’acheteur).

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S’agissant de la concurrence intra-marque, les APPA (i) sont susceptibles d’atténuer la pression concurrentielle s’exerçant entre plateformes puisque les prix ne varient pas d’une plateforme à une autre ; et (ii) peuvent produire des effets d’éviction sur les petites plateformes et les plateformes nouvelles entrantes qui ne disposent pas de l’instrument du prix et qui ne peuvent se distinguer qu’en terme de notoriété et qualité de service offert au consommateur ; reste que les plateformes en place bénéficient d’un avantage significatif en la matière107.

S’agissant de la concurrence inter-marque, les APPA sont susceptibles, (i) dans certaines configurations de marché, d’atténuer la concurrence entre fournisseurs en empêchant les promotions ciblées à certains clients et (ii) de favoriser une collusion entre fournisseurs en permettant une grande transparence des prix pratiqués envers les consommateurs.

L’on notera également la distinction qui a été faite entre les clauses de parité « étendues » (ou « wide MFN ») et des clauses de parité « restreintes » (ou « narrow MFN ») :

En application des clauses de parité « étendues » (ou « wide MFN ») le fournisseur s’engageait à ce que les produits vendus sur la plateforme ne soient pas vendus à un prix inférieur à ceux pratiqués sur tout autre canal de distribution) ;

Les clauses de parité « restreintes » (ou « narrow MFN »), en application desquelles le fournisseur s’engageait à ce que les produits vendus sur la plateforme ne soient pas vendus à un prix inférieur à ceux pratiqués sur son propre site Internet (mais était libre de les vendre à un prix inférieur sur d’autres canaux de distributions dont les autres plateformes), compensaient la réduction de la concurrence intra-marque qui en découlait.

107 L’Autorité de la concurrence dans sa décision n°15-D-06 du 21 avril 2015 précitée (page 47) sur les pratiques mises en œuvre par les sociétés Booking.com a rappelé les effets anticoncurrentiels des clauses de parité tarifaire, à savoir le risque de réduction de la concurrence entre les différentes plateformes concurrentes et le risque d’éviction. L’Autorité a alors considéré que la mise en œuvre de clauses de parité était de nature à réduire la concurrence entre Booking.com et les plateformes concurrentes. En effet, quel que soit le niveau des taux de commission pratiqués par Booking.com, les hôteliers sont dans l'obligation de lui octroyer des tarifs de nuitées, un nombre de nuitées disponibles à la réservation et des conditions de vente aussi favorables que ceux proposés sur les plateformes concurrentes. En outre, les clauses de parité pouvaient conduire à évincer les plateformes plus petites ou qui entrent sur le marché de la réservation en ligne. En effet, même en pratiquant des taux de commission plus bas et plus intéressants pour les hôteliers, ces plateformes ne pouvaient pas se différencier en prix et proposer des nuitées moins chères aux clients. L’Autorité a considéré que les APPA instaurées s’agissant des clauses tarifaires et de clauses exigeant une parité de disponibilités dans les nuitées allouées aux différents canaux de distribution privaient les hôtels de l’utilisation des deux leviers que constituent le niveau de prix de détail et le nombre de nuitées allouées pour réagir aux taux de commission pratiqués par Booking.com. Booking.com s’est alors engagé à modifier la clause de parité tarifaire et à supprimer toute clause imposant des obligations de parité en termes de disponibilités de chambres ou de conditions commerciales non seulement à l'égard des plateformes concurrentes mais également des canaux directs hors ligne des hôtels et d'une partie de leurs canaux en ligne.

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Les pratiques de parité tarifaire ont également été appréhendées sous l’angle des pratiques restrictives - et de façon légèrement différente des conclusions dressées par l’Autorité de la concurrence. En effet, la décision de l’Autorité de la concurrence est à mettre en parallèle avec les jugements du tribunal de commerce de Paris saisi de questions portant sur les clauses de parité mise en œuvre par Booking et par Expedia108. En effet, le Tribunal de commerce de Paris, saisi par le Ministre de l’économie et plusieurs syndicats d’hôteliers, a considéré par jugements en date des 24 mars 2015 (Booking) et 7 mai 2015 (Expedia)109, que la clause de parité tarifaire figurant dans les contrats conclus entre Booking d’une part et Expédia d’autre part avec les hôteliers français était constitutive d’un déséquilibre significatif au sens de l’article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce110 et en a ainsi prononcé sa nullité :

La clause de parité tarifaire assurait à Expedia un alignement automatique des meilleures conditions tarifaires et promotionnelles octroyées par l’hôtelier aux autres canaux de distribution ou pratiquées par l’hôtelier lui-même.

Le Tribunal de commerce a considéré que le fait générateur du déséquilibre significatif était l’absence de contrepartie suffisante à cette obligation de parité tarifaire dans la mesure où Expédia ne prenait aucun risque ni aucun engagement d’achat minimum justifiant un tel avantage ;

Cette décision reprend ainsi les critères classiques du déséquilibre significatif dégagée par la jurisprudence dans le secteur de la grande distribution pour l’appliquer à un nouveau secteur d’activité : soumission d’un opérateur établie du fait des rapports de force existants, absence de contrepartie suffisante, obligation en conséquence injustifiée et absence de rétablissement de l’équilibre par d’autres stipulations contractuelles.

Le Tribunal a ainsi utilisé la notion du déséquilibre significatif comme un instrument de rééquilibrage des relations commerciales entre opérateurs d’inégales puissances.

Il est à noter que la Commission d’examen des pratiques commerciales avait déjà ouvert la voie par un avis n° 13-10 du 16 septembre 2013 dans lequel elle avait notamment considéré que les clauses de parité tarifaire contenues dans les contrats conclus entre les hôteliers et les plateformes de réservation en ligne 108 Les jugements du Tribunal de commerce tranchent avec la décision prise par l’Autorité de la concurrence dans la décision n° 15-D-06 : l’Autorité de la concurrence n’a pas totalement supprimé le principe même de la clause de parité ; en revanche, le Tribunal de commerce a prononcé la nullité de toutes les clauses de parité tarifaire mises en œuvre, sans distinguer selon le canal de commercialisation. 109T.com. Paris, 1re ch., 24 mars 2015, Booking, n° RG : 2014027403 ; T. com. Paris, 7e chambre, 7 mai 2015, Expedia, n° RG : j2015000040 110Article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce « I.-Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : 2° De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties »

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étaient nulles sur le fondement de l’article L. 442-6 I 2° et II, d) du Code de commerce. En conclusion, dans le secteur de la réservation hôtelière en ligne, l’Autorité de la concurrence n’a pas retenu que les APPA avaient eu pour effet de réduire la concurrence inter-marques entre hôtels. Il est apparu que dans la mesure où l’offre d’hôtels est atomisée en France, les hôtels peuvent modifier les prix de détail plusieurs fois par jour ; dès lors les APPA n’interdisent pas les promotions ponctuelles, bien que plus coûteuses puisque ces promotions doivent être réalisées sur l’ensemble des canaux de distribution pour l’ensemble des consommateurs. Par ailleurs, il est apparu que les APPA rencontraient une forte réticence de la part des hôteliers, écartant l’idée selon laquelle que ces clauses étaient susceptibles de réduire la concurrence entre hôteliers. Ces circonstances ne préjugent pas cependant de la possibilité que les APPA aient pour effet d’atténuer la concurrence inter-marques dans d’autres secteurs. Une analyse au cas par cas devrait être menée. D’autant que des gains d’efficiences peuvent également être associés aux APPA. En effet, ils protègeraient les investissements effectués par les plateformes du parasitisme d’autres opérateurs : comme la plateforme ne se rémunère que par la perception d’une commission au moment de la réservation, au travers d’une commission versée par l’hôtelier, les clients peuvent donc, sans coût supplémentaire, comparer les hôtels grâce aux services fournis par une plateforme mais réserver leur nuitée directement auprès de l’hôtel ou sur une autre plateforme concurrente. Par ailleurs, ces accords réduiraient les coûts de recherche des clients et renforceraient ainsi la concurrence inter-marques, i.e., entre les fournisseurs référencés sur les plateformes. Reste que la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques est venue poser le principe de l’interdiction de toute clause de parité tarifaire (l’article 133 relatif aux rapports entre hôteliers et plateformes de réservation en ligne, impose le contrat de mandat comme modèle contractuel unique et interdit les clauses venant limiter la liberté tarifaire de l’hôtelier (« l’hôtelier conserve la liberté de consentir au client tout rabais ou avantage tarifaire, de quelque nature que ce soit, toute clause contraire étant réputée non écrite »). Cette disposition s’applique à toutes les plateformes de réservation hôtelière en ligne.)

C. La problématique des algorithmes L’application des algorithmes peut être constitutive d’abus et de discrimination. En particulier, l’intégration verticale des plateformes peut les conduire à privilégier leurs propres services en les faisant notamment apparaître en bonne place dans les recherches.

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L’affaire Google, en cours d’instruction à la Commission européenne, illustre cette problématique. La Commission européenne a notifié à Google une communication de griefs le 15 avril 2015 sur le fondement d’un abus de position dominante (art. 102 TFUE), et lui reproche d’avoir, depuis 2008, privilégié Google Product Search, puis son successeur à partir de 2012 Google Shopping, « sans tenir compte de son niveau de performance ». Il lui est encore fait grief de ne pas appliquer à son comparateur les pénalités qu’il applique à ses concurrents, pour dégrader leur note et leur classement dans les pages du moteur de recherches. En France, l’Autorité de la concurrence a été saisie d’une question assez proche concernant d’autres services proposés par Google. La société Gibmédia exploite des sites d’informations météorologiques, d’annuaires téléphoniques et d’informations légales et financières sur les entreprises. Estimant que son déréférencement de système de AdWords de Google était abusif, elle a sollicité de l’Autorité française le prononcé de mesures conservatoires. Dans sa décision n° 15-MC-13 du 9 septembre 2015 relative à une demande de mesures conservatoires de la société Gibmédia, l’Autorité de la concurrence a rejeté la demande, mais décidé de poursuivre l’instruction au fond. Celle-ci devra en particulier rechercher si Google n’apporte pas un traitement plus favorable à ses services en mettant en œuvre des pratiques discriminatoires111. L’instruction s’attachera alors à vérifier si les faits reprochés révèlent d’éventuelles pratiques discriminatoires vis-a-vis de services de Google qui seraient susceptibles d’apparaître concurrents des sites de Gibmedia. Les algorithmes, jusqu'alors peu appréhendés par le droit en raison de leur opacité et de leur automaticité, n'ont paradoxalement jamais été aussi majeurs au cœur d'un marché exploitant des bases de données de plus en plus conséquentes et des outils capables d'une puissance de calcul phénoménale. Ceux-ci sont constitués en une suite d'instructions déterminées dans leur nombre et à exécuter dans un ordre précis, afin d'obtenir un résultat voulu. Ces instructions sont données par le biais d'un langage de programmation, appelé aussi « code source » (C++ ou Java, par exemple), lui-même traduit par ce qu'on appelle un « compilateur » afin que l'ordinateur comprenne la tâche demandée.

111 Les points 173 à 175 de la décision relèvent en effet que : 173. « Gibmedia soutient que Google « coupe les sites internet de Gibmedia précisément au moment ou elle commence à intervenir directement sur les marchés de Gibmedia : la météo et l’annuaire ». 173. Google ne fournit pas directement de services payants d’information météorologique, mais perçoit, dans le cadre de l’exploitation du magasin d’application Google Play, des commissions sur la vente de chaque application payante de météorologie. Google a indiqué à l’Autorité qu’elle distribuait environ mille applications payantes de météorologie en France. Par ailleurs, si Google et Gibmedia ne sont pas en situation de concurrence sur un marché de détail, elles sont toutes les deux des demandeurs sur un marché de gros de l’achat d’information météorologique. Google a en effet déclaré qu’elle procédait à l’acquisition, contre rémunération, d’informations auprès de la société Weather Channel. 174. S’agissant des services d’annuaires, l’offre de Google dans les Knowledge Panels affichés sur les pages de résultats de son moteur de recherche ne concerne que les numéros de téléphone de personnes morales ».

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Seuls seront étudiés dans le cadre de cette étude les algorithmes de traitement automatisé des données utilisés par les plateformes, et leur appréhension par le droit de la concurrence. Les gains d'efficience accordés par les algorithmes, où il suffit de quelques programmeurs, d'une base de donnée actualisée et des bonnes instructions pour créer un outil capable d'exécuter seul une tâche de manière tout aussi véloce que répétitive, leur ont octroyé une certaine omniprésence au sein des plateformes qui n'est plus à démontrer, tandis que leur encadrement s'est effectivement montré timide. Afin d'évaluer si le droit de la concurrence est réellement adapté à ces techniques, il conviendra de s'interroger sur quelques précédents.

A) Les algorithmes PageRank et AdWords de Google Le célèbre algorithme PageRank permet de classer automatiquement les sites internet référencés sur le moteur de recherche de la société Google en fonction, notamment, de leur pertinence et du nombre de visites. Bien que la plupart des questions recouvrent l'atteinte à la vie privée des utilisateurs, le caractère opaque de cet algorithme pourrait inciter à quelques questionnements concurrentiels Parallèlement au PageRank, Google a développé AdWords, pratique consistant à vendre de manière automatique aux enchères des mots clefs au pay per click (coût par clic). Dans l'hypothèse de deux opérateurs concurrents A et B qui possèdent tous deux un site de réservation de chambres d'hôtel en ligne, l'opérateur A achète à Google les mot-clés « hôtel » et « réserver » afin de s'assurer d'être affiché en première position dans les résultats du moteur de recherche. Souhaitant lui-aussi être affiché en première position, l'opérateur B propose un prix supérieur à son concurrent. L'opérateur B passe donc en première place tandis que l'opérateur A passe en seconde. Par conséquent, l'opérateur A propose une nouvelle enchère, et cetera, et ce, étant précisé que ce classement par AdWords est généré automatiquement sans avoir à requérir de main d’œuvre, et donc, sans avoir à vérifier qui achète quel mot clé. C'est cette absence de main d’œuvre qui a conduit les juges à s'interroger sur une éventuelle atteinte à la concurrence dans l'affaire Louis Vuitton. En l'espèce, en utilisant des mots clés afférant à la marque, les premiers sites proposés sur le moteur de recherche de Google proposaient des produits contrefaits. Louis Vuitton a alors engagé la responsabilité de Google auprès du juge français, qui dans la lignée d’un arrêt préjudiciel (aff. C-558/08), a estimé le 13 juillet 2010 :

d'une part, que Google bénéficiait du régime dérogatoire de la responsabilité des prestataires intermédiaires au sens de l'article 14 de la directive du 8 juin 2000 « sur le commerce électronique » en raison du fait qu'il ne joue pas de rôle actif sur son service de référencement, ce qui ne lui permettait pas d'avoir un contrôle des données stockées, et

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d'autre part, que « le prestataire d'un service de référencement sur Internet qui stocke en tant que mot clé un signe identique à une marque et organise l'affichage d'annonces à partir de celui-ci, ne fait pas un usage de ce signe », ne constituant pas un acte de contrefaçon.

Les deux entreprises ont par la suite annoncé leur coopération afin de lutter contre la contrefaçon112. Ce raisonnement a par ailleurs été réitéré par un arrêt rendu le même jour par la Chambre commerciale et selon lequel les concurrents ayant utilisé des mots-clés contrefaisants ont été condamnés tandis que la responsabilité de Google est écartée.

B) Les algorithmes de publicité ciblée Une grande majorité des sites de distribution en ligne utilise des algorithmes qui permettent de diriger l'utilisateur vers un produit. En général, l'algorithme se contente de déterminer un profil d'utilisateur selon les produits ou services achetés, et de diriger un nouveau consommateur vers des produits ou services susceptibles de l'intéresser en fonction de ses achats ou de ceux de ses prédécesseurs. Cette technique de suggestions ciblées s'emploie également par les plateformes de partage de contenu musical ou cinématographique. La publicité ciblée fonctionne selon ce même type d'algorithme et peut se subdiviser en trois grandes catégories, d’abord le ciblage contextuel, dans lequel une publicité sera en lien avec le secteur du site internet, ensuite le ciblage comportemental, en fonction des sites visités au préalable, enfin le ciblage personnalisé, en fonction des informations renseignées volontairement par l’internaute. Les règles relatives à la publicité en ligne tendent à se développer rapidement dans un impératif de protection du consommateur. En revanche, une certaine opacité plane autour de la pratique du retargeting, ou reciblage publicitaire, qui n'est pas régi par ces règles. L'Autorité de la concurrence définit la pratique de la manière suivante :« Le ciblage comportemental peut aller jusqu'à permettre de supposer une intention d'achat quand, par des techniques de traçage (« tracking »), un commerçant en ligne sait qu'un internaute a navigué sur son site et s'est intéressé à certains produits sans toutefois acheter. Une publicité dite de « retargeting » pourra alors proposer de nouveau le même produit à l'internaute alors qu'il navigue sur d'autres pages sur internet. » Contrairement à la collecte de données classique, le retargeting ne se place donc plus dans une logique de rencontre de l'offre vers la demande, mais de la demande directement vers l'offre.

112 http://www.lvmh.fr/actualites-documents/communiques/lvmh-google-unissent-leurs-forces-lutter-contre-contrefacon-sengagent-innover-meilleure-experience-en-ligne/

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En pratique, l'éditeur d'un site internet ne maîtrise que partiellement les publicités qu'il diffuse en désignant une « régie publicitaire » qui se chargera de sélectionner les publicités et ce, dans la plupart des cas, de manière aléatoire. Hormis quelques règles déontologiques à respecter, l'algorithme décide seul de la publicité qui sera diffusée. Il est tout à fait possible qu'un annonceur utilise le retargeting à des fins de parasitisme ou de détournement de clientèle. Cette pratique amène à se demander si la régie publicitaire pourrait être tenue solidairement avec l'annonceur de la réparation du préjudice d'un opérateur. En pratique et par application de la directive du 8 juin 2000 sur le commerce électronique, la régie publicitaire ne sera considérée que comme un prestataire intermédiaire n'ayant pas joué de rôle actif à la pratique et profitera d'une exonération de responsabilité. Possible application du droit de la concurrence : Il est permis de supposer que des ententes entre les annonceurs et les régies publicitaires pourraient avoir lieu. Une majorité de sites utilisant la publicité contextuelle, l'annonceur pourrait conclure un accord avec la régie publicitaire dans lequel cette dernière assurera une visibilité totale sur les sites de ses concurrents. Or, se présentent à cet égard des difficultés d’ordre probatoire puisque la régie publicitaire pourra arguer du caractère automatique de ses algorithmes. Les algorithmes développent également le bien être du consommateur en synchronisant l'offre et la demande. Par la collecte de données et une analyse suffisamment pertinente, un opérateur sait, parfois à l'avance, ce que désirent ses potentiels clients. En outre, un consommateur de bonne foi admettra tout à fait qu'il privilégie un affichage de publicités selon ses propres intérêts. Leur utilisation demeure donc essentielle à l'ère du numérique. Au vu des illustrations précédentes, des dérives sont toutefois possibles : barrières à l'entrée, prédation, détournement de clientèle, éviction de concurrents, qui s'opposent à une déresponsabilisation totale des utilisateurs d'algorithmes notamment en raison d'absence d'intervention humaine. L'impératif de protection du marché dont le droit de la concurrence s'est porté garant nécessite donc la création de principes généraux applicables aux algorithmes, qui, ce faisant, permettrait de responsabiliser leurs utilisateurs et de prévenir le contentieux.

C) Vers un principe général de loyauté ? Il résulte de l'article 6 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, faisant de l’exigence de loyauté une condition de licéité des traitements de données à caractère personnel que

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l'algorithme ne peut porter que sur des données « collectées et traitées de manière loyale et licite ». Ce principe, n'ayant trait qu'à la relation entre l'entreprise utilisant l'algorithme et la personne dont les données sont exploitées, pourrait être transposé en droit de la concurrence en vue de remédier aux difficultés concurrentielles liées à l'opacité des algorithmes. Ainsi l'Autorité de la concurrence a-t-elle imposé à Google une plus grande transparence dans le fonctionnement de son algorithme AdWords. Une partie du groupe de travail considère qu’il serait judicieux d’imposer a minima la divulgation du fonctionnement, voir uniquement de l’objectif recherché, de l’algorithme. D’ores et déjà, la loi « Macron » a introduit l'article L.111-5-1 du Code de la consommation imposant aux plateformes chargées de mettre en relation plusieurs parties de leur délivrer une « information loyale, claire et transparente », s'agissant notamment des « conditions générales d'utilisation du service d'intermédiation et sur les modalités de référencement, de classement et de déréférencement des offres mises en ligne ». Ce principe pourrait être opportunément étendu aux relations entre les plateformes et les professionnels y ayant recours. Par ailleurs le groupe de travail souhaite souligner la délicate question de l’accès aux algorithmes publics ou quasi publics évoquée dans la décision n° 14-D-12 du 10 octobre 2014 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la fourniture de données de santé par la Caisse Nationale d'Assurance Maladie des Travailleurs Salariés et le GIE SESAM-Vitale. Evoquant l'open data, des opérateurs économiques demandent de plus en plus souvent l'accès aux données publiques (données de la sécurité sociale) pour proposer des services enrichis sur un marché concurrentiel. Ils le demandent devant la CADA, car celle-ci a estimé qu'un algorithme constituait un document communicable au sens de la loi de 1978. Mais les occultations imposées par la CADA, tirées de la protection de la vie privée, et du secret industriel et commercial sont telles que la communication est souvent inutile. Si cette demande est présentée à l'Autorité de la concurrence, elle se déclare incompétente. Il conviendrait à notre sens que l’Autorité de la concurrence puisse être consultée par la CADA pour parvenir à un niveau d’accès à ces données qui permettent de faire jouer pleinement la concurrence.

D) Une obligation de contrôle imposée à l'exploitant d'algorithmes Les illustrations précédentes, de prime abord hétérogènes, mettent toutefois en exergue une problématique identique incarnée dans la déresponsabilisation des utilisateurs d'algorithmes, principalement en raison de l'absence d'intervention

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humaine. Il est donc indispensable d'adopter des mesures imposant aux opérateurs de répondre de leurs actes. En cela, des inspirations tirées de la directive du 24 octobre 1995 « sur la protection des données à caractère personnel » s'avèrent pertinentes dans la mesure où elle permet d'engager la responsabilité d'un opérateur utilisant des algorithmes. L'article 2, b), de la directive définit effectivement le « traitement de données à caractère personnel », comme : « toute opération ou ensemble d'opérations effectuées ou non à l'aide de procédés automatisés et appliquées à des données à caractère personnel, telles que la collecte, l'enregistrement, l'organisation, la conservation, l'adaptation ou la modification, l'extraction, la consultation, l'utilisation, la communication par transmission, diffusion ou toute autre forme de mise à disposition, le rapprochement ou l'interconnexion, ainsi que le verrouillage, l'effacement ou la destruction », les algorithmes étant les opérations effectuées à l'aide de procédés automatisés. De la même manière, l'article 2, d), définit le responsable du traitement comme : « la personne physique ou morale, l'autorité publique, le service ou tout autre organisme qui, seul ou conjointement avec d'autres, détermine les finalités et les moyens du traitement de données à caractère personnel » À l'occasion d'une affaire opposant, entre autres, la société Google et une personne souhaitant que certains liens issus de sites d'information soient déréférencés du moteur de recherche lorsque son nom était saisi, la juridiction espagnole a saisi la Cour de Justice de l'Union Européenne d'une question préjudicielle. Rendue le 13 mai 2014, la décision de la Cour présente un intérêt en ce qu'elle adopte une conception extensive de la directive. Tout d'abord, elle rappelle que le traitement des données se conçoit largement, même en présence de données déjà publiées par les médias, et qu'ainsi, une dérogation à ce principe viderait la directive de son sens. La Cour estime ensuite que l'exploitant du moteur de recherche est « responsable » du traitement automatisé des données au sens de la directive puisqu'il « détermine les finalités et les moyens de cette activité et ainsi du traitement de données à caractère personnel qu’il effectue ». L'appréciation large de cette notion s'explique, selon la Cour, par l'objectif même de la directive qui consiste à assurer une protection efficace des personnes concernées. Enfin, la Cour explique qu'en pratique, la personne doit d'abord effectuer sa demande de déréférencement auprès du moteur de recherche, et ce n'est qu'en cas de refus infondé ou d'absence de réponse qu'elle pourra saisir l'autorité de contrôle ou l'autorité judiciaire. Il convient de souligner le fait qu'à nouveau, le droit positif ne s'intéresse qu'à l'éventuelle atteinte à la vie privée d'une personne. Cela étant, le régime de la directive, interprété à la lumière de la Cour, pourrait parfaitement s'adapter aux relations business to business par l'institution d'une obligation générale d'autocontrôle pesant sur l'exploitant de l'algorithme.

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Il paraît opportun d'obliger l'opérateur à contrôler lui-même son propre algorithme. Dans l'hypothèse où les autorités, voire le juge, contrôleraient eux-mêmes les pratiques résultant d'un traitement automatisé des données, des enquêtes longues et coûteuses risqueraient de ne pas aboutir du fait, notamment, de l'opacité des algorithmes. En outre, une enquête emploierait des moyens beaucoup trop élevés en comparaison à la protection qui en résulterait. Il convient de préciser également que cette obligation doit évidemment être assouplie en raison de l'impossibilité matérielle de contrôler de manière effective l'intégralité des travaux de l'algorithme qui progresse beaucoup plus vite qu'un travail humain. Une certaine injustice serait effectivement mise en place en présence d'une sanction systématique alors que l'exploitant ignore lui-même la pratique illicite mise en œuvre par son algorithme, ce qui freinerait l'activité économique. Un juste équilibre pourrait être trouvé par la généralisation de l'interprétation dégagée par la Cour de Justice de l'Union européenne le 13 mai 2014 : il consisterait à exiger d’un opérateur s’estimant victime du fonctionnement d’un algorithme à demander, pour commencer, à l'exploitant de se conformer aux exigences concurrentielles, et, en cas de refus infondé ou d'absence de réponse dans un délai raisonnable, l'opérateur pourrait ensuite saisir le juge ou l'autorité compétente. Dans ce dernier cas, l'engagement de la responsabilité de l'exploitant de l'algorithme sera mis en œuvre. Afin de privilégier les résolutions amiables, il conviendrait de sanctionner per se l'absence de réponse de l'exploitant de l'algorithme d'une amende civile. Par ailleurs, l'exploitant s’exposerait à être condamné à de dommages et intérêts et à faire l’objet d’une injonction de mettre son algorithme en conformité L’AFEC propose d’obliger l'exploitant à se conformer aux exigences concurrentielles en justifiant de l’« information loyale, claire et transparente », s'agissant notamment des « conditions générales d'utilisation du service d'intermédiation et sur les modalités de référencement, de classement et de déréférencement des offres mises en ligne et, en cas de refus infondé ou d'absence de réponse dans un délai raisonnable à un opérateur victime de l’algorithme, ce dernier pourrait en second lieu saisir le juge ou l'autorité compétente. Dans ce dernier cas, l'engagement de la responsabilité de l'exploitant de l'algorithme sera mis en œuvre faute de justification acceptable.

§ § § §

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2.2.10. Application de la concurrence déloyale : possibilités et

limites L’économie collaborative représente un enjeu majeur ; 31 millions de personnes auraient déjà acheté ou vendu sur un site mettant en relation des particuliers113. Face à cette montée en puissance, les acteurs traditionnels, qui appellent les pouvoirs publics à intervenir, dénoncent un phénomène de concurrence déloyale, qui se traduit par :

l’absence de statut juridique des participants (par exemple, un hôte Airbnb louant plusieurs logements est-il toujours un particulier ou devient-il par son activité un commerçant ?) ;

le non-paiement de cotisations sociales et d’imposition ; une concurrence faussée par l’absence de respect d’une réglementation

sectorielle (Taxi, Hôtel…) ; la dérégulation de l’économie.

La concurrence déloyale peut en effet apparaitre comme un moyen de régulation de l’économie collaborative, dès lors qu’elle se définit comme « tout comportement qui s'écarte de la conduite normale du professionnel avisé et qui, faussant l'équilibre dans les relations concurrentielles, rompt l'égalité des chances qui doit exister entre les concurrents dans un système d'économie libre »114. Ainsi, elle se caractérise selon le triptyque de la responsabilité civile – faute, préjudice et lien de causalité- et sanctionne tout comportement qui serait déloyal ou illicite, tel le non-respect de la règlementation applicable, et qui entrainerait un trouble commercial, une distorsion de concurrence. S’agissant plus particulièrement de la violation d’une règlementation, la jurisprudence distingue deux hypothèses :

B. Lorsqu’une règlementation s’applique à l’exercice d’une activité économique, et ainsi est applicable à tous les opérateurs de ce secteur, la violation peut être appréciée comme une faute génératrice d’un trouble commercial pour un acteur concurrent. Autrement dit, dans cette première hypothèse, une faute de concurrence déloyale peut être caractérisée par la simple violation de la norme s’il est prouvé que le non-respect de la règle entraîne des conséquences sur la concurrence115 ;

113 Commission des Finances du Sénat, Rapport I, l’économie collaborative : proposition pour une fiscalité simple, juste et efficace, 17

septembre 2015 114 JCL Domaine de l’action en concurrence déloyale 115 Cass. Com ., 19 octobre 1999, n° N° 97-18.490

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en revanche, lorsqu’une norme ne s’impose pas en droit à tous les opérateurs du marché, alors le seul fait de ne pas se conformer à celle-ci ne peut être constitutif de concurrence déloyale. A cet égard, la Cour de cassation a affirmé dans son Rapport annuel 2001116 qu’« il est en effet admis en jurisprudence que l’inobservation de la règlementation afférente à une activité commerciale est constitutive d’une faute de concurrence déloyale à l’égard du commerçant qui se soumet à cette même règlementation ». Dans le même sens, la Cour de cassation a considéré dans un arrêt rendu le 23 avril 2003 que le seul fait de ne pas se conformer à une norme, instaurée par les professionnels, mais qui ne s'impose pas en droit à tous les opérateurs du marché, ne peut être constitutif de concurrence déloyale117

Aussi, si certains acteurs traditionnels se fondent sur la violation d’une norme pour dénoncer des actes de concurrence déloyale (par exemple le non-respect d’un monopole légal), l’absence de régulation de l’économie collaborative ne permet pas toujours de se fonder sur la violation d’une règle - car aucune législation n’est applicable - pour caractériser une faute. Dans ce cas, la jurisprudence devrait être amenée à se fonder sur différents moyens, tels que la violation d’une règle déontologique118 ou le manquement à une obligation générale de conduite pour palier les carences législatives et sanctionner les comportements déloyaux. Il importe de souligner qu’à ce jour, l’intervention des juges et du législateur reste résiduelle et porte essentiellement sur les secteurs les plus développés de la consommation collaborative, et notamment le secteur des transports (i) et du logement (ii).

a. Sur les transports

La Cour de Cassation a eu l’occasion de se prononcer sur le caractère licite d’une activité de covoiturage. En l’espèce, deux sociétés avaient conclu un contrat cadre portant sur le transport des salariés de leur résidence en France à leur lieu de travail au Luxembourg. Ce transport s’effectuait à titre bénévole. Après avoir constaté la mise en place d’un système de covoiturage interne aux salariés, un transporteur a assigné la société et certains de ses membres pour concurrence déloyale. La Cour a rejeté le pourvoi formé par le demandeur à l’instance contre l’arrêt ayant retenu que la concurrence déloyale ne pouvait être caractérisée en l’hypothèse d’absence de démarche concurrentielle : en l’espèce, le transport était bénévole. Il a été jugé que « ne constitue pas un comportement déloyal à l’égard de la société qui

116 Cass., « Le principe de la liberté du commerce et de l’industrie et de la libre concurrence », Carole Champalaune, conseiller référendaire

à la cour de Cassation, Rapport 2001 117 Cass. Com. 23 avril 2003, pourvoi n° 01-10.623 118 Cass. com., 12 juill. 2011 : JurisData n° 2011-014474

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transporte des salariés vers leur lieu de travail, le covoiturage effectué à titre bénévole, même si les personnes transportées participent aux frais induits par l’utilisation des véhicules »119. De la même manière, la saga judicaire d’UberPop a permis aux juridictions de contribuer à la régularisation de l’économie collaborative. Pour exemple, dans l’arrêt du 7 décembre 2015, rendu par la cour d’appel de Paris120 c’est sur le terrain des pratiques commerciales trompeuses incriminées aux articles L.121-1 et suivants du Code de la consommation que les juges ont sanctionné le service « UBERPOP ». Le 5 février 2014, UberPop est lancé en France, sous le nom de « covoiturage urbain » et propose de mettre en relation des chauffeurs amateurs – avec leur véhicule personnel - et des clients suscitant de vives réactions des syndicats de taxi et des entreprises de Véhicules de Transport avec Chauffeur (VTC). Confirmant en partie le jugement de première instance, qui avait déclaré « coupable de pratiques commerciales trompeuses par personne morale, caractérisées par des communications commerciales incitant les consommateurs, conducteurs ou utilisateurs à participer au service UBERPOP, en donnant l’impression que ce service est licite alors qu’il ne l’est pas », la cour d’appel condamne la société Uber France au paiement d’une amende de 150.000 euros. Cette décision s’inscrit dans le sens de l’intervention du législateur. La loi n°2014-1104 du 1er octobre 2014, dite « Thévenoud », a créé l’article L. 3124-13 du code des Transports qui punit « de deux ans d'emprisonnement et de 300 000 € d'amende le fait d'organiser un système de mise en relation de clients avec des personnes qui se livrent aux activités mentionnées à l'article L. 3120-1 sans être ni des entreprises de transport routier pouvant effectuer les services occasionnels mentionnés au chapitre II du titre Ier du présent livre, ni des taxis, des véhicules motorisés à deux ou trois roues ou des voitures de transport avec chauffeur au sens du présent titre ». Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil Constitutionnel a confirmé la conformité constitutionnelle de l’article L.3124-13 du Code des transports (article 12 de la loi Thévenoud précité). On notera que si le Conseil Constitutionnel a refusé de donner raison à Uber, il tranche cependant la question de Blablacar en rappelant la définition du covoiturage : « gratuité du transport – sous réserve d’un partage des frais et déplacement que le conducteur effectue pour son propre compte121». Pour les sages,

119 JCP E&A, n°14, 1er avril 2013, 379 120 CA Paris, Pôle 4 – Chambre 10, 7 décembre 2015, RG n°14/08876 121 Contrat, Concurrence, Consommation, n°11, Novembre 2015, comm.254

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le modèle de Blablacar est conforme à toutes les conditions de cette définition ; l’absence de violation de la règlementation applicable exclue la caractérisation d’un acte de concurrence déloyale. Dorénavant c’est devant la Commission Européenne que la société américaine Uber défend « le droit d’entreprendre » au regard de la législation française, et plus particulièrement de la loi Thévenoud. L’essentiel de la difficulté de la question posée devant la Commission est lié à la qualification de l’opération : mise en relation de client par voie électronique ou contrat de transport122. Enfin, il importe de souligner que le secteur des transports, et plus particulièrement celui des services VTC entre particuliers, est un sous-segment du marché ayant fait l’objet d’une régulation active des pouvoirs publics. S’agissant de la loi Thevenoud, la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte est intervenue dans le domaine du covoiturage et a créé un nouvel article L.3132-1 du code des transports qui définit le covoiturage « comme l'utilisation en commun d'un véhicule terrestre à moteur par un conducteur et un ou plusieurs passagers, effectuée à titre non onéreux, excepté le partage des frais, dans le cadre d'un déplacement que le conducteur effectue pour son propre compte. Leur mise en relation, à cette fin, peut être effectuée à titre onéreux et n'entre pas dans le champ des professions [de transporteur et assimilés] définies à l'article L. 1411-1. ».

b. Sur le logement Une certaine régulation a également fait son apparition dans un autre secteur très développé de la consommation collaborative : le logement. Le 9 mai 2013, le Tribunal de New York a condamné un particulier pour avoir loué à travers le site Airbnb son logement à une touriste de passage pour une durée inférieure à 29 jours. Cette location a été considérée, sous le fondement de la loi de 2011 sur les hôtels illégaux, comme de la concurrence indue aux hôteliers. Paris n’est pas en reste, avec en 2014, pas moins de 24 condamnations123 pour des locations meublées Airbnb. En effet, si un propriétaire peut louer sa résidence principale quelques semaines par an sans demander une autorisation, cette dernière est nécessaire pour toute location de courte durée dans une résidence secondaire (loi ALUR). Et la sous-location par un locataire est formellement interdite (Tribunal d’instance de Paris, 13 février 2014).

122 Contrat, Concurrence, Consommation, n°11, Novembre 2015, comm.254 123 Metronews, 20 mai 2015

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Toujours dans une volonté de régulation, la loi ALUR (Aide au Logement et Urbanisme Rénové), adoptée en février 2014, oblige les propriétaires qui louent sur Airbnb à demander une autorisation à la mairie quand il ne s’agit pas de leur résidence principale. En effet, la location meublée de tourisme, si elle n’est pas faite dans un cadre sporadique, mais au contraire par des particuliers qui en font une véritable activité, ce qui la rend de fait commerciale, constitueraient un acte de concurrence déloyale envers les hôteliers, sur qui pèsent des charges, sociales et fiscales, importantes. L’objectif non dissimulé étant de « rétablir une certaine équité avec les hôteliers », la ville de Paris doit, à partir du 1er octobre 2015, collecter la taxe d’habitation de la ville de Paris à travers le site Airbnb pour toutes les locations de meublés aux touristes passant par cette plateforme. Enfin, toujours dans cette lignée de recherche d’équité et de lutter contre la « concurrence déloyale », « la loi des finances pour 2015 a rehaussé le plafond de la taxe pour les meublés de tourisme et prévoit également une adaptation du dispositif de collecte en vue d’améliorer l’équité entre les hébergeurs professionnels et les particuliers »124. En conclusion, la régulation jurisprudentielle de l’économie collaborative par la notion de concurrence déloyale se caractérise par une approche principalement sectorielle. De premières tentatives de définitions de notions souvent juridiquement floues commencent à apparaitre au gré des jugements, mais ne sauraient pour autant se passer d’une intervention législative. Cette dernière, dont l’approche reste également centrée sur des secteurs particuliers pour l’instant, doit apporter un cadre légal qui est nécessaire aux juges. La responsabilité En parallèle de la sanction du comportement déloyal se pose la question de la détermination de la responsabilité des acteurs de l’économie collaborative : la régulation de l’économie collaborative peut-elle se faire sous l’égide d’une double responsabilité : celle des plateformes et celle des utilisateurs ? S’agissant de la responsabilité des plateformes, la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) n°2004-575 du 21 juin 2004, qui en son article 6-I-2 limite, en dehors d’exceptions très spécifiques125, la responsabilité des hébergeurs en ne leur imposant pas d’obligation de surveillance de leurs contenus, pose un problème de qualification., Tandis que les éditeurs sont responsables, les hébergeurs ne le sont que s’ils avaient effectivement connaissance du caractère illicite des informations stockées ou si, dès le moment

124 Sophie Michelin-Mazéran, Opérations Immobilières, 01/07/15 125 La LCEN vise trois cas, la pédophilie, les crimes contre l’humanité et l’incitation à la haine raciste.

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où ils en ont eu connaissance, ils n’ont pas agi promptement pour retirer ses données ou en rendre l’accès impossible. Un grand nombre d’acteurs de l’économie collaborative (Youtube, Twitter, Telegram) utilisent cette limitation de responsabilité pour signaler dans leur charte d’utilisateurs qu’en tant qu’hébergeurs, ils ne sont pas responsables des contenus. Si les plateformes n’ont pas à être rendues responsables des contenus mis en ligne sur leur site, elles sont responsables du service de classement ou de référencement de ces contenus qu’elles proposent comme évoqué ci-avant. Cette responsabilité peut s’analyser comme une exigence de loyauté. A cet égard, Booking.com s’est engagé auprès de la Commission Européenne et de différentes autorités nationales à supprimer son mode de référencement reposant sur une clause de parité tarifaire126. De même, la Cour d’appel de Reims a jugé qu’eBay, dans un litige l’opposant pour contrefaçon à Hermès, par son rôle actif pour stimuler les ventes, devait être qualifié d’éditeur de services (contrairement au cas évoqué ci-avant dans lequel Google a été considéré comme un prestataire intermédiaire fournissant un traitement purement technique et automatique des données fournies par ses clients). A la suite de cette appréciation in concreto, la Cour en déduit une obligation de moyens de veiller à l’absence d’utilisation répréhensible du site, et par là le manquement d’eBay à cette obligation du fait de l’insuffisance d’informations délivrées aux utilisateurs127. Il conviendrait de s’interroger sur une possible extension de ce régime de surveillance à un nombre plus large d’exceptions. S’agissant de la responsabilité des utilisateurs, il convient de constater que si les juridictions commencent à s’intéresser à la responsabilité des plateformes, la responsabilité des utilisateurs est quant à elle délaissée. En effet, il n’existe pas de législation particulière sur ce point, et les juges n’ont pas encore eu à se prononcer. Néanmoins, on constate que malgré la grande diversité des services proposés, l’utilisation de modèles contractuels existants est possible128. De plus, la responsabilité des utilisateurs pourrait être recherchée sur le terrain du travail dissimulé. Le secteur collaboratif des services à la personne est souvent dénoncé comme un travail déguisé impliquant une concurrence déloyale vis-à-vis des entreprises conventionnelles129. 126 V. decision n°15-D-06 127 CA Reims, 20 juillet 2010, eBay c/ Hermès 128 Contrats, concurrence, consommation, n°2, Février 2015, étude 3 129 Enjeux et perspectives de l’économie collaborative, Rapport Final, Ministère de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique, Juin 2015, p.181

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2.2.11. Analyse en matière de contrôle des concentrations : Effets

de réseaux directs et indirects concernant les données et les plateformes

A. Définition

La pratique décisionnelle et les économistes distinguent généralement deux types d’effets de réseau. Les effets directs, lorsque l’utilité d’un bien ou d’un service dépend du nombre des autres utilisateurs. La valeur d’un réseau et donc l’incitation à en faire partie, augmente avec la taille du réseau (exemples: le réseau de téléphonie ; les plateformes de type Facebook, Linked-In, etc.). Les effets indirects sont perceptibles lorsque la hausse du nombre d’utilisateurs d’un groupe attire un autre groupe d’utilisateurs, ce qui rétroagit positivement sur l’utilité du bien ou service pour les utilisateurs du premier groupe (exemples : les cartes de paiement, où la hausse du nombre de détenteurs d’une carte attire davantage de commerçants, ce qui a pour effet d’augmenter l’utilité du service pour les détenteurs de carte).

B. Etat de la pratique décisionnelle quant aux données A ce jour, les analyses par la Commission et l’Autorité de la concurrence, des effets de réseaux qui pourraient résulter de l’accumulation de données sont peu nombreuses. A notre connaissance, la Commission a pour la première fois abordé le sujet dans une ancienne Google / Double click (COMP/M.4731) analysant les “données clients” (en anglais customer-provided-data) comme un actif à part entière. Les opposants à la fusion invoquaient les risques d’effets de réseaux créés par l’accumulation de données et l’impossibilité de dupliquer l’avantage obtenu. Cet argument a été rejeté par la Commission sur la base de dispositions contractuelles qui ne permettaient pas à Double Click d’utiliser les données collectées. Beaucoup plus récemment, dans le cadre du rachat par Facebook de Whatsapp (COMP/M.7217), la Commission a analysé les effets de réseau, sans toutefois les lier spécifiquement à la quantité ou à la qualité de données collectés et en rappelant de manière traditionnelle que les effets de réseau ne constituent pas en tant que tel un problème à moins qu’ils n’empêchent l’entrée de concurrence ou empêchent les concurrents existants d’étendre leur base d’utilisateurs (§130). Au niveau national, l’Autorité de la concurrence s’est prononcée sur le sujet dans la décision Cegedim (14-D-06), le plaignant estimait que la mise à jour quotidienne de la base de donnée One Key, « difficilement égalable, car reposant pour partie sur une mutualisation des informations nouvelles obtenues par les visiteurs médicaux utilisateurs de la base » avantageait Cegedim. Le point a été

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rejeté par l’autorité, dans les mesure où d’autres bases de données existaient et où « l’effet de réseau et la mutualisation des mises à jour de la base OneKey ne constituent pas un coût nécessaire pour toute base alternative et la production de bases de données à un coût raisonnable apparaît possible ». Dans la décision Direct Energie (14-MC-02), la base de donnée de l’opérateur historique qui regroupait l’ensemble des clients français a été considéré comme non-reproductible par l’Autorité. Dans son Analyse économique des systèmes ouverts et fermés conduite conjointement avec la CMA (12/2014), l’autorité de la concurrence a introduit un lien entre effets de réseau, et données des utilisateurs : « la taille d’un réseau peut augmenter sa qualité, ce qui peut encore renforcer les effets de réseau. Dans le secteur de l’économie numérique, par exemple, le nombre d’utilisateurs peut directement influer sur la qualité du produit ou du service, car les consommateurs sont une source précieuse de données des utilisateurs pour les entreprises ». Le concept d’effet de réseau spécifiquement lié à la concentration de données est

encore peu utilisé car la notion centrale d’effet de réseau reste le nombre d’utilisateurs

plus que la quantité de données. Il semble évident que plus la base d’utilisateurs est

importante plus la quantité de données collectées pourra être importante, mais cela ne

suffit pas pour autant à caractériser un effet de réseau. Ainsi, démontrer un effet de

réseau amplifié par la quantité et la qualité des données collectées risque de s’avérer

compliquer : outre l’existence de l’effet de réseau initial, il conviendrait de démontrer

que la taille du réseau permet de collecter de fortes quantités de données, et enfin

prouver que les données sont d’une telle qualité / ou d’une telle importance pour le

produit ou le service concerné qu’elles renforcent l’effet de réseau (à l’exclusion

d’autres considérations).

C. Pratique décisionnelle en matière d’effet de réseaux liés aux plateformes En raison de la présence d’effets de réseau croisés – valorisation du nombre d’utilisateurs sur l’autre face du marché - et de la présence d’économies d’échelle réalisées par ces plateformes, il existe de très fortes tendances à la concentration. C’est une tendance que l’on observe aujourd’hui dans l’économie numérique où de grandes entreprises se forment sur des segments d’activité particuliers. Par ailleurs, en présence d’effets de réseau au cœur de ces plateformes, les effets de la concurrence peuvent être très persistants : il s’agit des « feed back » et des risques de « lock in ». Cela signifie qu’une plateforme en position de dominance peut conserver cette position sur une longue période. Les risques concurrentiels liés aux modèles d'écosystèmes fermés sont accrus. Les autorités de concurrence doivent donc être particulièrement vigilantes. Cependant, face aux particularités du monde numérique, il est nécessaire que les autorités de régulation s’adaptent. L’exemple de la concentration entre Apple et Beats est un exemple clair des problématiques que peuvent soulever des

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concentrations impliquant une plateforme avec son univers de produits ou services.

Autorisation de la concentration Apple/Beats par la Commission européenne

Dans une décision en date du 25 juillet 2014130, la Commission européenne a autorisé la concentration entre Apple et Beats. A cette occasion, la Commission a examiné les éventuels problèmes de concurrence que pourrait soulever l’opération sur le marché de la distribution de la musique en ligne. Concernant le marché pertinent, la Commission a laissé ouverte la segmentation entre téléchargement et streaming, tout en définissant séparément les deux termes : « Beats Music primarily offers a music streaming service to its subscribers. Apple, by contrast, primarily offers a music downloading service via its iTunes application. Downloading involves the purchase and storage of a digital copy of a musical work on a computer or electronic device. With a streaming service, the user does not download music files and no permanent copy is stored on the user's computer or electronic device. Instead, the audio file is delivered in small data packets over the internet and playback commences as soon as the internet streaming is initiated.” Elle a également précisé que le marché géographique était national. Par ailleurs, elle a estimé que l’opération ne soulevait de problèmes de concurrence concernant ce marché puisque des concurrents présents sur le marché de la musique en streaming seront en mesure d’exercer une pression sur Apple : Spotify, Deezer notamment.

Ouverture ultérieure d’enquêtes par les autorités américaines et européennes

Or, en 2015, lorsqu’Apple a annoncé le lancement de sa plateforme de streaming, le DoJ, la FTC et la Commission européenne auraient ouvert des enquêtes afin de déterminer si Apple abusait de sa position dominante en poussant les labels à quitter ses concurrents afin d’obtenir l’exclusivité. Si, pour l’instant, les enquêtes ne semblent pas avoir abouti à des résultats concluants, cette affaire soulève notamment la question de la capacité des autorités à analyser les risques concurrentiels sur de tels marchés mouvants (cf. décision de la Commission qui date de 2014 affirmant que des concurrents sur le marché du streaming auraient assez d’influence pour contenir l’influence d’Apple (paragraphe 36) puis, en 2015, enquête de la Commission afin de déterminer si Apple abuse de sa position dominante. Dans ces conditions se pose la question, à la fois, de la capacité des autorités de concurrence à analyser, de manière

130 Case n° COMP/M.7290 – Apple/Beats 25 July 2014

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prospective, des marchés extrêmement mouvants et du niveau de sécurité juridique pour les entreprises.

* * * *

En conclusion, l’AFEC recommande dans le droit de la distribution une prise en compte et une facilitation plus importante des outils numériques, c’est-à-dire de l’utilisation de l’internet sans limitation trop forte liée aux frontières géographiques physiques, une facilitation du recours aux plateformes numériques par les distributeurs pour une augmentation des moyens de distribution grâce aux outils numériques. L’AFEC recommande une approche législative destinée à consolider l’architecture du numérique par des définitions plus simples et plus précises des acteurs et des moyens et la prise en compte du rôle joué par l’économie solidaire. L’AFEC recommande aussi de fluidifier de manière raisonnée le partage des données et méthodes en tenant compte des investissements des producteurs de ces bases de données et en posant un cadre destiné à éviter des pratiques susceptibles d’avoir des effets restrictifs de concurrence.