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Belgique - België P.P. - P.B. 5000 - Namur 1 BC 4854 Dossier pédagogique des Equipes Populaires Bimestriel n°143 • Mars-Avril 2011 Interview : Marco Van Hees pg 10 Réduire les inégalités de revenus c’est possible ! Bureau de dépôt : 5000 Namur mail. N° d’agréation : P 204078.

Réduire les inégalités de revenus - Les Équipes Populaires · 2017. 6. 17. · Les Etats, auparavant moteurs d’une économie au service du bien-être de l’ensemble de la population,

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Belgique - BelgiëP.P. - P.B.

5000 - Namur 1BC 4854

Dossier pédagogique des Equipes PopulairesBimestriel n°143 • Mars-Avril 2011

Interview : Marco Van Hees pg 10

Réduire lesinégalités de revenusc’est possible !

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ême s’il est parfois difficile de s’y retrouver dans les instruments de mesure des inégalités, de multiples indices tendent àmontrer que les inégalités de revenus augmentent.Début janvier, 2 chiffres de la BNB sortent dans la presse la même semaine et s’entrechoquent; celui du chiffre record du

patrimoine financier des Belges (909 milliards €) et celui du nombre record de personnes en défaut de paiement de leurs crédits(365.000 personnes). Deux chiffres parmi d’autres qui montrent que l’idéal de progrès social d’après-guerre est mis à mal par lafinanciarisation de l’économie, dont les performances bénéficient de moins en moins aux travailleurs et de plus en plus aux action-naires et aux spéculateurs.

Les Etats, auparavant moteurs d’une économie au service du bien-être de l’ensemble de la population, deviennent à la fois auteurset victimes d’un système qui les prive de ressources financières indispensables pour assurer le bien-être collectif et la correction desinégalités de revenus.L’Etat doit donc reprendre son rôle d’acteur-clé dans la redistribution des richesses, en agissant par priorité sur les recettes néces-saires pour financer les dépenses sociales.

Dans ce dossier, nous montrerons comment la Belgique a glissé progressivement d’une économie à finalité sociale (grâce au Pactesocial d’après-guerre) à une économie qui considère le volet social comme un frein à la croissance.Nous aborderons la question des écarts de revenus par le biais de l’analyse des principaux indicateurs qui nous permettent demesurer leur évolution.L’impôt est-il correcteur d’inégalités ? Très peu, comme le montre les différentes formes de revenus (travail, capital, immobilier).Le dernier article présente différentes mesures qui permettraient de réduire les inégalités de revenus, notamment en matière d’ac-cès aux soins de santé, d’allocations sociales, de salaire minimum, de logement.Enfin, nous vous invitons à lire l’interview croustillante mais interpellante de Marco Van Hees à propos des gros patrimoines. Bonne lecture !

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Illusration : http://lesdernieresnouvellesdumonde.blogspot.com/2010/12/116-millions-de-pauvres-en-europe.html

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Contrastes Inégalités de revenus Mars - AVril 2011

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La façon dont un Etat organise (ou pas) la lutte contreles inégalités montre comment une société considèreles inégalités qui existent entre les être humains.Différentes conceptions du vivre ensemble sont endébat. Celle qui a prédominé après la 2e guerre mon-diale n’est pas la même que celle d’aujourd’hui. Car lasociété a changé, tout comme les rapports sociauxentre hommes et femmes, entre parents et enfants, …Nous vivons plus longtemps, la société s’est enrichie,les services se développent, la mobilité devient unproblème important… Bref, même si des constantesperdurent, la société s’est profondément transforméeet le regard que l’on porte sur elle également. Quellesévolutions ces changements ont-ils amené dans lafaçon dont le système politique comprend et met enoeuvre la question des inégalités ? C’est ce que nousallons tenter de comprendre, avec l’analyse de PierreReman, économiste et directeur de la FOPES (Facultésouvertes de politique économique et sociale)

Le Pacte social : l’économie a un but social

Londres, 1944. La guerre contre un ennemi redouta-ble va bientôt s’achever. Le monde aspire à la paix, àla cohésion sociale. En moins de trente ans, il a subideux guerres mondiales épouvantables, en grande

partie causées par la misère issue de crises écono-miques cycliques. Dans la clandestinité, patrons etsyndicats, sous l’égide du gouvernement, signent unprojet d’accord inédit qui fondera la référence du sys-tème politique belge. C’est le Pacte social.

Par ce texte, les signataires reconnaissent qu’il fautlutter contre les inégalités en organisant le partage dela plus-value, c’est-à-dire des gains de productivité (ouencore des fruits de la croissance économique). Pourréaliser cette redistribution des revenus, ils s’inspirentdu modèle “bismarckien” (1), basé sur une logiqued’assurance sociale : c’est notre système de Sécuritésociale. Et le fonctionnement de ce système seraassuré non pas par la seule action d’un gouverne-ment, mais par une formule paritaire : ce sont lesinterlocuteurs sociaux (patrons et syndicats) qui joue-ront désormais un rôle essentiel dans le partage de larichesse, entre les salaires des travailleurs d’une partet les dividendes des actionnaires de l’autre. Cela seconcrétise par les débats et les décisions des Accordsinterprofessionnels (AIP).

Un Arrêté-Loi concrétise ce projet d’accord en organi-sant la Sécurité sociale. Celle-ci n’est pas inventée detoutes pièces : les systèmes qui composent la Sécuexistent déjà en grande partie. Mais ils sont à ce

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Trois regards sur les inégalités

Les inégalités sont-elles justes ou injustes ?En 1944, le monde s’accorde pour dire qu’ilfaut redistribuer les richesses produites pourlutter contre la misère. Mais dans les années’80, on préfère penser que l’individu est res-ponsable de ce qui lui arrive. Dix ans plustard, c’est la “valeur travail” qui prédomine…

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M. Van Dieren

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moment-là systématisés et consolidés. L’Arrêté-Loiaffirme qu’il importe de “Soustraire de la crainte dela misère les hommes et les femmes laborieux”. Ils’agit donc bien de s’organiser collectivement pourassurer aux travailleurs une sécurité d’existence, ycompris en cas de maladie, d’accident, de vieil-lesse…

L’être humain n’est pas unemarchandise

Les valeurs de fond portées par les négociateurs duPacte social sont la solidarité, la cohésion sociale ouencore la dignité (l’homme n’est pas une marchan-dise). Cette valeur de dignité implique que des sec-teurs d’activité aussi essentiels que la santé, l’édu-cation ou la justice sociale ne peuvent être livrés à laloi du marché. On reconnaît donc la nécessité d’uneéconomie mixte qui implique l’action publique.

Le Pacte social entérine une conception de lamanière dont doivent s’organiser les relations entreemployeurs et travailleurs, et notamment la respon-sabilité collective quant au partage de la richesse :“La bonne marche des entreprises, à laquelle est liéela prospérité du pays exige la collaborationloyale [des employeurs et des travailleurs]”. Il recon-naît explicitement le droit des travailleurs d’avoir unereprésentation syndicale : “[Les employeurs] s’enga-gent à ne porter aucune entrave à leur liberté d’asso-ciation ni au développement de leurs organisations”.

Plus fondamentalement encore, le texte détermineque l’économie a une finalité sociale, puisqu’il pré-cise que l’accord doit “ouvrir la voie à un courantrenouvelé de progrès social découlant à la fois del’essor économique d’un monde pacifié et d’uneéquitable répartition du revenu d’une productioncroissante…” Et plus loin : “Le but de l’activité écono-mique est d’améliorer sans cesse les conditionsd’existence de la population”.

Cette visée n’a pas complètement disparu, nous ditPierre Reman qui a repéré cette phrase dans le rap-port du Conseil central de l’Economie de 2010 : “Lafaçon dont la richesse est partagée dans une écono-mie affecte à la fois l’équité et l’efficacité, influen-

çant ainsi la cohésion sociale et la croissance écono-mique”. Ce rapport a été exploité dans le cadre durécent Accord interprofessionnel. On y réaffirme doncque la manière dont la richesse est partagéeinfluence l’équité ET l’efficacité de l’activité écono-mique. Ceci est fondamental. Car d’autres concep-tions se sont développées entre-temps, comme nousallons le voir.

Très concrètement, les années qui suivent le Pactesocial belge vont voir les prestations sociales aug-menter de manière significative, comme le montre letableau ci-dessous :

Durant la période dite des Golden sixties, ces presta-tions vont correspondre à 13 % de l’ensemble de larichesse produite par an. La période suivante voit unediminution de la croissance économique (les difficul-tés liées à la crise pétrolière se font sentir) mais lesprestations atteignent presque 21% de cetterichesse. On peut dire qu’à la suite du Pacte social, lasociété a connu une transformation profonde endevenant fortement redistributive.

L’ère néolibérale : le social freine la croissance

Mais ce modèle sera mis à mal début des années’80 par le courant néolibéral qui engrange des suc-cès politiques et culturels. Culturels, puisque lespopulations ont voté pour les gouvernementsThatcher (GB – 1980) et Reagan (USA – 1981) enétant convaincues par les idées qu’ils défendaient.

Le contexte est celui d’une crise à la fois économique(2e choc pétrolier) et idéologique. L’action de l’Etatsocial (appelé alors Etat “providence”) est remise en

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La Déclaration dePhiladelphieLe Pacte social belge n’est pas un fait isolé. Ilrésulte d’un consensus mondial qui s’est exprimélors de la Conférence de Philadelphie, en 1944.Cette assemblée aboutit à une feuille de route quia donné naissance à des pactes sociaux dans denombreux pays. On y trouve les principes fonda-mentaux sur lesquels est fondée l’Organisationinternationale du travail :a) le travail n’est pas une marchandise;b) la liberté d’expression et d’association est une

condition indispensable d’un progrès soutenu;c) la pauvreté, où qu’elle existe, constitue un

danger pour la prospérité de tous;d) la lutte contre le besoin doit être menée avec

une inlassable énergie au sein de chaquenation et par un effort international continu etconcerté dans lequel les représentants destravailleurs et des employeurs, coopérant surun pied d’égalité avec ceux des gouverne-ments, participent à de libres discussions et àdes décisions de caractère démocratique envue de promouvoir le bien commun.

PériodeCroissance des

prestationssociales

Croissance du PIBPart des presta-

tions socialesdans le PIB

1954-1961 6,5 % 3,5 %

1962-1971 9,0 % 4,6 %

1972-1981 7,0 % 2,8 %

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cause. Le rôle des interlocuteurs sociaux est décrié.Cette critique est mûrie au sein de cercles (les fameuxThink tank – boîtes à penser) qui soutiendront lespolitiques néolibérales. Celles-ci reflètent un nouveauconsensus et concrétisent une nouvelle feuille deroute. C’est le “consensus de Washington”.

Pour les néolibéraux, le marché est le meilleur régula-teur. L’Etat ferait pire que bien en intervenant. Il fautdéréguler. D’autant que, selon eux, l’intérêt généraln’existe pas (théorie du public choice) : seuls les inté-rêts particuliers dominent. C’est vrai aussi pour lesresponsables politiques et syndicaux, qui aspirentdavantage à être réélus qu’à représenter ceux qui leschoisissent. On retrouve ici la théorie de la main invisi-ble du marché décrite par l’économiste Adam Smith :l’intérêt général résulte de la somme des égoïsmes.L’individu est compris comme un homo economicus,un être qui calcule rationnellement son intérêt danstous ses actes.

Cette théorie, on le voit bien, jette le discrédit sur lesinterlocuteurs sociaux et la classe politique.Elle apporte aussi une autre conception desinégalités : celles-ci peuvent être justes lorsqu’ellessont liées à un comportement, à un choix. Seules lesinégalités liées au hasard (comme naître avec un han-dicap) nécessite une compassion et une assistance.Cette conception des inégalités suppose d’introduirele contrôle et la sanction dans le système de solida-rité. C’est ce que l’on observe dans le débat actuelsur le chômage, où la responsabilité des chômeursest mise en évidence.

Les idées néolibérales expriment en conséquence uneautre conception de la finalité économique : le socialn’est plus compris comme le but de l’économie, maiscomme son fardeau, une charge qui freine la crois-sance : “on ne peut pas surcharger un cheval aveclequel on veut gagner le grand prix !». Au nom de lacompétitivité des entreprises, il devient légitime deréduire les contributions patronales à la Sécu et àl’impôt tout en “dégraissant” autant que possible.

Voici donc deux conceptions opposées : l’une, pro-gressiste, considère que la redistribution desrichesses est un gage d’équité et d’efficacité de l’éco-nomie. L’autre, libérale, affirme que le social est unfrein à la croissance. On voit bien que cette dernière ale vent en poupe. “Et pourtant, observe Pierre Reman,nous avons sous les yeux l’exemple des pays nor-diques, comme la Norvège, qui prouve que la concep-tion progressiste est valide : ces pays sont en effetsles plus égalitaires ; les indicateurs de bien-être ysont aussi les plus élevés ET ils sont également entête de classement sur le plan économique”.

L’Etat social actif : travailler pour être inclus

Les conceptions néolibérales font, elles aussi, l’objetd’une critique qui débouchera, dans les années ’90,sur une sorte de “troisième voie” qu’on a appeléel’Etat social actif. Une nouvelle feuille de route appa-raît, la Déclaration de la Nouvelle-Orléans. “Cette nou-velle feuille de route nous vient des socio-démocratesaméricains (Clinton), anglais (Blair), et en partie alle-mands (Schröeder). Elle reprend des éléments dansles deux consensus précédents” résume PierreReman.

On trouve ainsi, dans la conception de l’Etat socialactif (ESA), le principe de l’égalité des chances plutôtque des résultats, associé à la responsabilité des indi-vidus. Les valeurs qui prédominent sont la liberté etles droits de l’homme, mais aussi la justice sociale.Mais dans quel sens ? L’ESA privilégie les politiquesd’inclusion, essentiellement via la participation desindividus au marché du travail. Il s’agit d’une nouvellemanière de comprendre la question sociale en laréduisant au problème de l’exclusion de certains.Autrement dit, explique Pierre Reman, “les tenants dela troisième voie ne pensent plus la société en termesd’exploitation d’une classe sociale par une autre, maispartent du principe que l’exclusion frappe certainsgroupes plus que d’autres (les femmes, les immigrés)”.

Pour les tenants de l’ESA, la combinaison Sécuritésociale/impôt ne permet plus d’assurer un patrimoinesocial suffisant aujourd’hui et les prélèvementssociaux pèsent sur la compétitivité. Ils estiment aussique la formule paritaire (le rôle des interlocuteurssociaux) s’épuise. En revanche, on connaît beaucoupmieux les facteurs de risque (2). L’Etat social actif semontre donc plutôt favorable au recours à l’assuranceprivée (ex. pension privée) tout en considérant lesdroits sociaux liés à la protection sociale comme desdroits de créance permettant de garantir un minimumde ressources. “De ce fait, les chômeurs sont traitéscomme des handicapés” note Pierre Reman. L’ESAentend garantir le droit au travail (accumuler desheures) et non plus le droit à l’emploi (bénéficier d’uncontrat d’emploi solide). C’est ainsi qu’aujourd’hui, lavaleur travail est devenue centrale dans le discourspolitique, en tant que critère essentiel de la participa-tion à la société et au détriment des valeurs qui ontconstruit le pacte social.

Christine Steinbach

(1) Du nom du Chancelier allemand Bismarck(2) Ceci peut faire sourire (si l’on ose dire) en pensant à la crisefinancière que personne n’a vu venir mais on pense ici, parexemple, à l’impact de l’activité humaine sur l’environnement, trèsméconnu à l’époque du Pacte social, axé sur la productivité

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Ce n’est plus vraiment une nouvelle. On en a beau-coup parlé déjà. Mais cela n’enlève rien à la gravitéde la situation. Une personne sur sept vivant enBelgique est en dessous du seuil de pauvreté.Qu’entend-on par là ? On considère que ce seuil sesitue à 60% du revenu médian (ou moyen). End’autres termes, vous prenez le revenu qui se situejuste au centre de l’ensemble des revenus perçus parune population. C’est le revenu médian. Vous enprenez 60 % et vous obtenez le revenu considérécomme seuil de pauvreté. En 2009, le revenu médianétait de 19.313€. 60% de ce revenu médian équiva-lent à 966€ par mois pour un isolé et 2.029€ pour uncouple avec 2 enfants.

Besoin de nuances

C’est simple. Trop simple. Cela permet évidemment dejeter un regard global sur une population. Mais pasd’appréhender la complexité des mécanismes de pau-vreté, ni la diversité des situations. Et puis surtout, il ya un côté arbitraire à ces 60%. La Belgique utilise ceseuil depuis 2000. C’est l’Union européenne qui l’a

fixé arbitrairement pour opérationnaliser sonapproche de la pauvreté. Mais selon les critères quel’on souhaite utiliser, on pourrait aussi n’en considérerque 50% ou au contraire placer le curseur plus haut !L’Union européenne procède d’ailleurs à des compara-isons des situations à 40, 50 ou 60% du revenu médi-an. Cela ne modifie guère les situations des différentspays entre eux.

Nous sommes donc là avec une vision très imparfaitede la mesure réelle de la pauvreté. Même si elle a unintérêt communicationnel certain et un potentiel desensibilisation non négligeable !

Il nous faut donc affiner la recherche. La Courbe deLorenz (voir graphique en page 9) présente un intérêtpour voir comment se répartissent les revenus dansune population divisée en 10 tranches. On place côteà côte la part des revenus des 10% des personnesdont les revenus sont les plus bas, puis des 10% suiv-ants, et ainsi de suite. En 2008, en Belgique, le pre-mier décile recevait 3.5% des revenus totaux de lapopulation. Le deuxième, 5,4%. Le dixième - le plus

Mesurer les écarts de revenus :

Pas une sinécure !

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15% des Belges vivent sous le seuil de pauvreté. C’est laBanque Nationale qui le dit. Qui le mesure même. Un chiffreauquel vient se greffer une augmentation des écarts derevenus entre “riches” et “pauvres”. Comment mesure-t-oncette réalité ? On dispose d’une série d’indicateurs pour l’étu-dier. Petit tour critique du propriétaire en la matière…

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Plus coefficient de Gini serapproche de 0, plus ontend vers une égalité par-faite des revenus. Plus ilse rapproche de 1, plus ontend vers une inégalitétotale des revenus.Source : service de luttecontre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale http://www.luttepauvrete.be/chiffres_inegalite_riches_pauvres.htm

riche - 22,3% ! Ceci nous donne une idée relativementprécise des écarts de revenus : le décile le plus hautest 6,4 fois plus élevé que le plus faible ! Et les plusriches connaissent eux-aussi de grandes différencesentre eux : le pourcentage le plus élevé (le “percentile”100) se chiffrait en 2006 à 126.700€ de revenu moyenalors que le percentile 91 était de 36.700 € ! (1)

Le coefficient de Gini est un autre indicateur intéres-sant. Il permet d’appréhender le niveau d’inégalités derevenus d’une population donnée. Le pavé ci-dessous en explique l’intérêt mais aussi leslimites que peuvent y introduire les statistiques prisesen compte pour l’établir.

La sécu réduit de moitié le risque depauvreté

En matière de mesure de l’impact et de l’efficacité denotre système de sécurité sociale, le taux de risque depauvreté est utilisé pour mesurer les différences avantet après transferts sociaux. Le SPF Sécurité sociale a

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Gare aux méthodes d’analysesstatistiques. Elles peuvent con-tenir des biais qui faussent lalecture des réalités. La preuveavec l’étude de l’INS sur les iné-galités de revenus.

L’une des façons les plus reconnues demesurer l’évolution des inégalités derevenus - et donc en corollaire, l’augmen-tation de la pauvreté – c’est d’utiliser le“coefficient de Gini”. Ce coefficient donneune valeur mathématique aux inégalités.Ainsi, imaginons une société où l’égalitéest parfaite : tous les ménages ont lemême revenu et le coefficient de Gini estégal à “0”. A l’inverse, dans une situationd’inégalité parfaite, le coefficient seraitégal à “1”. Autant dire qu’aucune desdeux situations n’existe bien sûr…

En Belgique, l’Institut National desStatistiques a conclu dans une étudedatant de mars 2010 à “une inégalité deplus en plus forte des revenus”. Gini seraitpassé de 0.33 à 0.38 entre 1997 et 2007

(soit 16% d’augmentation), lorsqu’on con-sidère les revenus avant impôt. Aprèsimpôt, les inégalités sont logiquementmoins importantes : le coefficient passede 0.25 en 97 à 0.31 en 2007, ce quireprésente 22% d’augmentation ! Ce quisignifierait aussi que la fiscalité seraitmoins réductrice d’inégalités en 2007qu’en 1997. Réforme fiscale oblige ?

Interpellant, évidemment ! Voire mêmealarmant ! Mais les spécialistes s’éton-nent de ces chiffres que les autres paysoccidentaux (même aux Etats-Unis !)n’observent pas chez eux…Philippe Defeyt s’est fortement intéresséà la question. Il considère qu’une impor-tante erreur de méthode s’est produite ;un biais s’est introduit dans le calcul parle fait que l’administration fiscale a pro-gressivement modifié depuis 2002 (maissurtout en 2005) la prise en compte desrevenus les plus faibles dans ses statis-tiques. Ce qui fausse tout, estime lechercheur de l’IDD.

Effectivement, l’enrôlement des basrevenus (même de ceux qui ne paient pas

d’impôt) a commencé à augmenter à par-tir de 1995 et a connu une accélérationen 2005. Et forcément, plus il y a de basrevenus intégrés dans les statistiques,plus le coefficient de Gini est influencé.

De même, Philippe Defeyt incrimine uneautre évolution : celle de la fragmenta-tion des ménages. De plus en plus dedéclarations fiscales sont le fait de per-sonnes isolées (avec ou sans personne-sà charge) au détriment de déclarationscommunes. Cette situation influe sur undes éléments du calcul (les “unités deconsommation”, pour être précis) et faitaussi augmenter le coefficient.

Ne comparons donc pas des pommes etdes poires, pour en conclure trop vite àune forte augmentation des inégalités,c’est la leçon à retenir. S’il vaut doncmieux de ne pas se fier à l’étude enquestion pour étudier la progression desinégalités de revenus actuelles enBelgique, il n’en demeure pas moinsqu’un phénomène comme la fragmenta-tion des ménages a par ailleurs une influ-ence reconnue sur leur précarisation…

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Quand “Gini” fait voir trouble...

Evolution de l’inégalité de revenuavant et après impôts, d’après le

coefficient de Gini, la Belgique et les Régions,

1990-2005

BELGIQUE Avant Après

1990 0,362 0,297

1995 0,365 0,297

1996 0,370 0,301

1997 0,373 0,304

1998 0,376 0,308

1999 0,383 0,312

2000 0,381 309

2001 0,392 0,319

2002 0,399 0,329

2003 0,407 0,340

2004 0,426 0,362

2005 0,427 0,364

Contrastes Inégalités de revenus Mars - AVril 2011

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mesuré le nombre de personnes qui se situeraientsous ce seuil si les allocations sociales qu’ilsperçoivent leur étaient retirées. En 2007, Alors que15% sont aujourd’hui concernés ils auraient été 28%sans les transferts sociaux et sans prendre en con-sidération les pensions de retraite! Toute l’efficacitéde notre protection sociale est dans ces deuxchiffres. La sécurité sociale réduit de moitié oupresque le risque de pauvreté… !

L’emploi est évidemment aussi un facteur essentieldans le risque de pauvreté. Le SPF Sécurité sociale amis en évidence que 25% des personnes et ménagessans emploi se situent sous le seuil, alors que 4%seulement de ceux qui occupent un emploi le sont.

Le grand reproche que l’on peut faire à l’ensemble desindicateurs analysés ci-avant, c’est de ne prendre encompte que les revenus qui font l’objet d’une déclara-tion fiscale. Les inégalités et la pauvreté y sont ducoup analysées sur ce que l’on appelle “l’indicateurmonétaire”. Autrement dit, les revenus en nature nesont pas intégrés, les avantages liés à la propriété nonplus : peut-on mettre sur le même pied deux ménagesau revenu salarial identique si l’un est propriétaire d’unlogement payé et l’autre locataire ? Si une personnebénéficie de revenus non déclarés au fisc? Bref, l’indi-cateur monétaire montre ses limites. Ni les revenuslocatifs réels, ni le patrimoine ne sont réellement prisen considération pour la mesure des inégalités.Forcément, puisqu’ils ne sont pas ou peu connus.

Etes-vous “déprivé” ?

Un autre indicateur pour mesurer les écarts derevenus, c’est ce que l’on appelle les “indicateurs dedéprivation”. Lorsqu’on évoque des indicateurs dedéprivation, on cible en fait toute une série de biens,de services, d’activités auxquels on ne peut pas d’ac-céder alors que la société dans laquelle on vit lesconsidère comme ordinaires voirenécessaires.

C’est une approche assez intéres-sante. Les chercheurs ont tenté dela rendre objective en définissant9 items, 9 situations délicates. Letaux de déprivation se mesurealors au nombre de personnes quine peuvent se permettre au moins3 des 9 items définis.

A la lumière de ces nouveaux indi-cateurs, l’analyse fait apparaîtrede nombreuses nuances et dif-férences par rapport aux résultats

que donnent les indicateurs monétaires.Par exemple, des personnes qui semblaient échapperà la pauvreté du strict point de vue des revenus peu-vent faire face à des problèmes de déprivationmatérielle importants.Autre exemple, certaines catégories plus à risqued’un point de vue monétaire, comme les petitsindépendants ou les personnes âgées, souffrentmoins de problèmes de déprivation matérielle.

A partir de ces deux notions de pauvreté monétaire etde déprivation, on peut donc identifier des personnes“pauvres” ou “déprivées” ou les deux… L’IWEPS(Institut Wallon de l’Evaluation, de la Prospective et dela Statistique) a mené des travaux qui ont permis dedéterminer quatre catégories de personnes : celles quisont pauvres ; celles qui sont pauvres et déprivées ;celles qui sont déprivées uniquement ; et enfin, cellesqui ne sont ni pauvres ni déprivées. (Voir tableau)

On remarque à la lecture du tableau que la Wallonieconnaît un taux de pauvreté (19%) et un taux dedéprivation (18%) très proches. Alors qu’en Flandre,le taux de déprivation (6%) est nettement inférieur autaux de pauvreté monétaire (11%). Ceci tendrait àmontrer que la pauvreté monétaire se traduit par desdifficultés quotidiennes plus importantes en Walloniequ’en Flandre.

L’immatériel aussi !

Si l’on veut pousser l’analyse plus avant encore, il y alieu de prendre en compte également la notion dedéprivation immatérielle, que l’on peut résumer sousle générique “d’inégalités socio-culturelles”.

On est ici dans la prise en considération d’élémentsde participation sociale ou citoyenne, dans le fait debénéficier ou non de réseau de proches, dans desévaluations de santé, dans l’accès à l’enseignement

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Les 9 “items” de la déprivation matérielle

Le ménage n’a pas la capacité financière de :1. Faire face à des dépenses imprévues2. Manger tous les deux jours un repas comprenant des protéines3. Chauffer correctement son logement4. Partir une semaine en vacances par an5. Eviter les arriérés de crédit, de loyer et de paiement6. Disposer (si désiré) d’une voiture7. Disposer (si désiré) d’une télévision8. Disposer (si désiré) d’un téléphone9. Disposer (si désiré) d’une machine à laver

Source : IWEPS

Pauvresuniquement

Pauvres etdéprivées

Déprivéesuniquement

Ni pauvres, ni déprivées Total Taux de

pauvreté

Belgique 9 6 6 79 100 15

Wallonie 10 9 9 72 100 19

Flandre 8 3 3 86 100 11

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supérieur ou à la culture… Philippe Defeyt (2) présentedes chiffres sur des indicateurs d’inégalités socio-cul-turelles entre bas et haut de l’échelle des revenus.

On y remarque par exemple que le pourcentage de per-sonnes qui ne participent pas à des activités sportivesou récréatives est de 71% chez les plus pauvres et de46% chez les plus riches. Les revenus les plus bas seconsidèrent en mauvaise santé bien davantage queles plus élevés : 17% contre 3%. 18% de la populationla plus pauvre est qualifiée de dépressive, pour moinsde 5% des plus riches… Ces données sont criantes.Elles témoignent d’inégalités socio-culturelles énormeset “scandaleusement peu travaillées en Belgique”, s’in-surge le chercheur namurois.

Ce petit tour des indicateurs de pauvreté et d’inégal-ités se termine. Il démontre que l’on est encore trèséloigné en Belgique d’une connaissance réelle etnuancée des phénomènes de pauvreté. Parce que lesindicateurs sont encore insuffisants. L’enjeu principaln’est pas celui de la recherche, mais bien celui de laconnaissance qui permet la mise en œuvre de poli-tiques adéquates. En matière de réduction des inégal-ités, en matière de réduction des écarts de richesses.

Les données dont on dispose permettent d’identifierqu’un “noyau dur” d’une dizaine de pourcents de la pop-ulation cumule faibles revenus, difficultés matérielles,faible implication sociale, durée dans la pauvreté, accèslimité à la culture… Il paraît évident qu’il est nécessaire

d’améliorer la répartition des revenus. Mais il faut aussisoutenir l’accès au logement, par exemple. Et ceci nepermettra pas encore de réduire les inégalités cul-turelles : qui peut prétendre qu’une améliorationmatérielle de la situation d’un ménage va automatique-ment l’inciter à mieux se soigner les dents ou à aug-menter la réussite scolaire de ses enfants ?

Jean-Michel Charlier

(1) Syndicats FGTB 12/11/2010(2) Defeyt Philippe et Guio Anne-Catherine, IDD, Pauvreté : unedéfinition limitée, une politique à revoir, 2010

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Riches sans le savoir !Eurostat annonce que les Belges sont les plus riches de la zone euro ! Leur patrimoine financier total atteint 909 milliards, soit 2,1fois le PIB. Et la Banque nationale précise que, dans ce patrimoine, les comptes d’épargne ordinaires atteignent un recordhistorique : 403 milliards d’euros.909 milliards, cela représente une moyenne de 200.000 € par ménage…

Quand on additionne les patrimoines financier et immobilier des Belges, et que l’on en déduit les dettes des ménages, on obtientune richesse totale de 1.792 milliards d’euros. Le pourcentage le plus riche en détient à lui seul 341 milliards ! C’est plus que les60% de ménages les moins riches qui en possèdent ensemble 331 milliards.Patrimoine moyen des 60% les moins riches : 120.000 €. Patrimoine moyen du 1% le plus riche : 7.471.000… ! Gloup !Source : www.frerealbert.be

Le patrimoine des Belges début 2010 + 909 milliards € de patrimoine financiers (épargne,…)+ 1.075 milliards € de patrimoine immobilier- 192 milliards € d'endettement (crédits)

----------------------------------------------------= 1.792 milliards €

Source : Revue économique juin 2010 - Banque Nationale de Belgique

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n Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresserparticulièrement aux grosses fortunes ?

o Ce n’est pas évident de se souvenir…Un jour je suisallé soutenir les grévistes de l’usine Boël de laLouvière, industrie phare de la ville détenue par uneriche famille. Une affiche du PTB soutenant les gré-

vistes représentait Jacques Boël avec l’inscriptionsuivante : “Moi Jacques Boël, je défends

ma famille et vous !” A l’époque, on nesavait pas encore que sa fille,

Delphine Boël était en fait la fillecachée du roi ! (rire) En creu-

sant un peu sur cette famille,on découvre des choses inter-pellantes. C’est ma premièreapproche avec les grossesfortunes. De plus, je travailleà l’administration fiscaledepuis 30 ans…

n Qui sont les gros salaires(revenus) et les gros patri-

moines (fortunes) en Belgique ?

o Les gros salaires s’évaluent en millions d’euros. Lecas le plus représentatif : Jean-Paul Votron, l’ancienadministrateur délégué de Fortis qui détenait en2007, 4 millions d’euros (1/1000ème du bénéfice deFortis en 2007). Il avait à l’époque justifié son salaireen se comparant à Justine Henin : “Quand on a untalent exceptionnel, on a droit à une rémunérationexceptionnelle”. C’était juste avant le crash financierde septembre 2008…

Il y a certaines spécialités de médecins qui gagnentaussi beaucoup d’argent, comme les radiologues.Je n’aurais jamais imaginé cela avant de faire uncontrôle fiscal pour cette profession ! Mais on est loindes 4 millions d’euros ! Si on part du principe qui ditque la richesse est le produit du travail, pour quequelqu’un soit très riche, il faut qu’il puisse se basersur le travail des autres. Le radiologue n’aura jamaisle salaire d’un patron qui a des milliers de personnessous ses ordres.

Les grosses fortunes sont les riches familles commede Spoelberch (Inbev), famille aristocrate trèsancienne ; les Vandamme ; les de Mevius. Elles comp-tabilisent à elles trois 17 milliards d’euros de patri-

Le regard malicieux, le sourire auxlèvres. C’est avec une grande sim-plicité que Marco Van Hees nousaccueille chez lui, à Carnières.

Ce contrôleur du fisc n’a pas salangue en poche quand il s’agit dedénoncer les incohérences dusystème.

Rencontre avec un homme qui nemanque pas de piquant et qui n’apas peur de la polémique.

Marco Van Hees,

l’hommequi murmure à l’oreille des pauvres (1)

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(1)Marco Van Hees

est l’auteur de plusieurslivres, dont “Didier Reynders,

l’homme qui murmure à l’oreilledes riches”, “Banques qui pillent,

banques qui pleurent”.

Voir également son site internetwww.frerealbert.be, ainsi que le filmvidéo (15 min) : “Les chasseurs de

fortunes” (“De fortuinjagers”) surwww.lesgrossesfortunes.be

C. Benedetto

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moine. Ensuite, vient la famille Colruyt (2,8 milliards),Albert Frère, les Boël… Ces chiffres ne sont pascontestés par ces familles. Le calcul est aisé : il suffitde connaitre le nombre d’actions qu’ils détiennent etleur valeur. Leurs fortunes sont liées à l’entreprisequ’ils possèdent.

n Ce sont donc des fortunes qui font vivre l’éco-nomie ?!

o C’est une façon de voir les choses (rire). Celadépend du point de vue idéologique : Est-ce que cesont les patrons qui font vivre les ouvriers oul’inverse ? Pour moi, c’est grâce au travail de sessalariés que l’actionnaire de l’entreprise peut vivre etpeut avoir une telle fortune. Et plus le groupe estimportant, plus il y a un potentiel de richesse. Lepatron d’une PME de dix travailleurs n’aura jamais lafortune de la famille Spoelberch ! Ce qui prouve quece n’est pas le génie d’une personne ni son travailqui peut expliquer de telles fortunes. Ils ont aussi unefortune immobilière mais elle représente une petitepart par rapport à la valeur de leurs entreprises.

n Que font-ils de ces grosses fortunes ?

o Il y a souvent un membre de la famille qui gèrel’entreprise, bien que cela se perd. Les autres, ils selaissent vivre ! Ils rénovent leur château ou ils repren-nent une société comme par exemple un membre dela famille de Mevius qui a fait “joujou” avec l’entre-prise Royal Boch. Mais ça n’a pas fonctionné.

n De tous les peuples de la zone euro, le Belgeest le plus riche ! Pourtant, très peu de per-sonnes ont l’impression de l’être. Cherchez l’er-reur… où est-elle ?

o C’est la répartition inégale de la richesse quiexplique cela. 10% de la population possède la moitié

de la richesse. 1% les plus riches possèdent 20%de la richesse. Les 60 % les moins riches

possèdent la même chose que les 1% lesplus riches !

n La fraude fiscale est estimée de20 à 30 milliards par an enBelgique. Comment expliquer quela fraude est si importante dansnotre pays ?

o La Belgique est un pays où le niveaude fraude par rapport au PIB2 est dans les

plus importants. Cela signifie que c’est un paysqui favorise la fraude parce que tout simplement, on

ne la combat pas ! Il y a deux écoles : soit onexplique cela par le fait qu’on est trop laxiste, soit parle fait qu’il y a trop de taxes et que cela encourage lafraude. Or, les pays nordiques par exemple, ont unniveau de taxation très élevé mais le niveau defraude y est très bas !

Je ne pense pas que la fraude soit davantage pré-sente dans les gènes des Belges (rires). Il y a toutsimplement moins de mécanismes de contrôle. EnFrance, par exemple, il n’y a pas de secret bancaire,les moyens d’investigations sont plus importants.

Il y a des fraudeurs à tous les niveaux. Cependant,une étude du professeur Max Frank démontre que les10 % les plus riches sont responsables de plus de lamoitié de la fraude. Il y a une inégalité à plusieursétages : à une inégalité de revenu de base s’ajoutentune inégalité fiscale et une fraude fiscale !

n Albert Frère semble vous fasciner au point quevous lui dédiez votre site internet… Pourquoi lui ?

o Je crois beaucoup à la valeur de l’exemple. Il esttrès représentatif : c’est le capitaliste emblématiquede la Belgique et de la France. L’origine de sa fortunetient dans la sidérurgie mais avec une aide considé-rable de l’Etat ! Il a joué à fond avec le principe de“privatisation des profits et de socialisation despertes”. Quand une activité est déficitaire, on faitappel à l’Etat pour éponger les pertes ; par contrequand ça rapporte, le privé est candidat repreneur.Albert Frère a joué là-dessus lorsque la sidérurgieavait des problèmes importants. Il a revendu sasociété à l’Etat à un prix que certains dénoncent.L’origine de sa fortune est douteuse. Quand on ditque c’est grâce au génie qu’on s’enrichit, c’est plutôtici le génie de rouler l’Etat ! A l’époque, le ministreWilly Claes arbitrait les parties de tennis d’AlbertFrère au moment où il négociait avec lui ! Autre exem-ple, lors de la négociation de la vente de Fortis à BNPParibas, Reynders et Leterme sont conseillés parAlbert Frère. Il leur dit qu’il faut vendre sinon ça valeur “sauter à la figure”. Cependant, Albert Frère etBNP Paribas défendent les mêmes intérêts puisqu’ilssont des partenaires financiers ! Ceci illustre les liensquelquefois douteux qui peuvent exister entre le poli-tique qui est censé défendre l’intérêt général et lesgrands actionnaires qui eux, défendent leurs intérêtsprivés.

n A ce propos, vous avez écrit un livre sur DidierReynders et son entourage. Pourquoi dites-vousqu’il parle à l’oreille des riches ?

o C’est un livre qui dénonce les inégalités fiscalesen Belgique mais partant quand même de l’idée queDidier Reynders est un champion dans le domaine !Même si on ne peut pas tout mettre sur son dos, ilpoursuit la lignée tracée avant lui.C’est aussi une manière de rendre le sujet plusattractif : par la valeur de l’exemple, permettre au lec-teur d’entrer dans la matière. Mais, il y a quandmême des réalités : une série de mécanismes ontrenforcé les inégalités en Belgique. Avant d’êtreministre des Finances, il a été l’administrateur d’unCentre de coordination du groupe Carmeuse repré-senté par la riche famille Collinet. Quand il estdevenu ministre des Finances, il s’est battu pour g

“1% les plusriches possèdent

20% de la richesse.60% les moins richespossèdent la même

chose que les 1% lesplus riches !”

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maintenir les Centres de coordination des multinatio-nales contre l’avis de l’Union européenne. Et quand ila vu que ce n’était plus possible, il a inventé le sys-tème des intérêts notionnels pour permettre auxgrandes entreprises de maintenir les avantages fis-caux qu’elles avaient via les centres de coordination.Pour maintenir un avantage aberrant pour une cen-taine de multinationales, on l’a étendu à toutes lessociétés du pays !Didier Reynders a des liens avec de nombreux capita-listes ou dirigeants d’entreprises, même si enBelgique, les ministres en exercice ne cumulent pasavec des fonctions dans le privé et ne siègent pasdans des conseils d’administration d’entreprises pri-vées. Une fois qu’ils ne sont plus ministres, c’estautre chose. Par exemple, Jean Luc Dehaene ne secache pas d’avoir été au sein de différents conseilsd’administration dans le milieu de la finance pour gar-der son niveau de vie (rires !).

n Le principe des privilèges aux personnes lesplus fortunées s’applique-t-il aussi aux entre-prises qui font les plus gros bénéfices? Alors quel’ISOC est officiellement de 34%, comment expli-quer qu’Electrabel n’en paie…que 0,04% ?

o Si on tient compte du pourcentage officiel de taxa-tion des sociétés (33,99%), l’Etat belge a fait cadeaude 64 milliards € aux 500 sociétés qui font le plus debénéfices. Elles auraient dû payer 66 milliards, ellesn’en ont payé que 2 ! Cela représente un taux moyen

d’imposition de…3,76%. Et parmi ces500 entreprises, les 50sociétés qui ont payé lemoins d’impôts ont ététaxées à 0,57%. Celareprésente un manqueà gagner de plus de 14milliards € rien quepour ces 50 sociétés.Certaines n’en paientmême pas du tout. Parexemple, Inbev (6 mil-liards € de bénéfices)ou le Groupe Bruxelles-Lambert (3 milliards)…0% d’impôt !

n Et comment expli-quer que l’Etat fait desi gros cadeaux auxsociétés qui font leplus de bénéfices ?

o Les mesures qui per-mettent cela sont multi-ples : les plus-valuessur actions exonérées,les intérêts notionnels,

les RDT (revenus définitivement taxés) ; quand unefiliale paie des dividendes à sa maison-mère, onconsidère qu’un bénéfice qui est déjà taxé au niveaude la filiale ne doit pas être taxé une seconde fois auniveau de la maison-mère. C’est défendable sauf qu’ily a plein de choses anormales qui se passent avec lesRDT : par exemple, une entreprise qui bénéficie desintérêts notionnels est considérée comme une entre-prise virtuellement taxée même si elle ne paie pasd’impôts! J’appelle ça les revenus définitivement nontaxés ! Mais de manière générale, les arguments qui justifientles cadeaux fiscaux aux entreprises sont ceux de laconcurrence, de la compétitivité par rapport aux autrespays de l’Union européenne. Les politiques croient vrai-ment en cet argument. Il est vrai qu’il y a une concur-rence, mais il faut se demander si les Etats répondentà une concurrence existante ou s’ils créent eux-mêmescette concurrence ! Par exemple, avec le système desintérêts notionnels, la Belgique est pointée du doigtcomme ayant volontairement créé une situation deconcurrence fiscale. Un économiste irlandais justifiaitle taux bas de l’impôt des sociétés en Irlande en citantune étude américaine qui explique que les taux d’im-position sur les sociétés en Belgique est négatif, etdonc beaucoup plus bas que ceux de l’Irlande ! Cesont des organismes patronaux qui imposent l’idéolo-gie économique. Par exemple, si on compare les rap-ports issus de la table ronde des industriels européenset les directives européennes qui sont appliquées, onobserve que le contenu est similaire !

n Que diriez-vous à Monsieur ou Madame Tout-le-monde qui a peur de la levée du secret bancaireet de l’impôt sur la fortune (ISF) ?

o Les gens croient qu’ils sont concernés par l’ISF. Ilsne se rendent pas compte de ce qu’est réellementune grosse fortune. Un impôt sur les grosses fortunestoucherait seulement 2% de la population ! (en sebasant sur une fortune de 1.000.000 € hors habita-tion). Il pourrait rapporter 8 milliards € à l’Etat.La peur de la levée du secret bancaire s’explique parle fait que les gens ont peur que ça serve à contrôlerles petits fraudeurs au lieu des grands fraudeurs.Mais la nouvelle loi ne représente pas une grandeavancée car le pouvoir d’investigation reste troplimité. Il y a tout de même un point positif : la créationd’un fichier central des comptes bancaires.

n Vous travaillez à l’administration fiscale commecontrôleur de l’impôt des sociétés. Quel est votreprincipal grief en termes d’organisation de l’admi-nistration ?

o Le manque de personnel. Des milliers d’emploisdisparaissent et ils ne sont pas remplacés. Lamoyenne d’âge est assez vieille. Dans mon service, sije compare avec la situation d’il y a 10 ou 15 ans, ona deux fois plus de dossiers avec un personnel réduit

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de moitié ! C’est pareil dans tous les services.Les dossiers à contrôler sont sélectionnés par un ordina-teur. Cette sélection n’est pas toujours cohérente. Mêmesi on sait qu’on ne trouvera rien dans le dossier sélec-tionné, on doit quand même faire le contrôle. Un rapportstipule clairement que le rendement est plus importantquand c’est le personnel de l’administration qui sélec-tionne les dossiers au lieu de l’ordinateur. Mais on aquand même décidé de continuer la sélection via l’ordi-nateur !

n Au-delà des mesures nécessaires pour rétablir lajustice fiscale, quelles autres mesures préconisez-vous pour corriger les inégalités sociales ?

o Cela peut paraître paradoxal, mais selon moi il faudraitaugmenter l’impôt que paie le salarié ! Si on augmente lesalaire brut, les gens payeront plus d’impôts ! La solutiondes libéraux par rapport au problème du pouvoir d’achatest d’augmenter le salaire net. Mais on ne dit pas com-ment on va compenser le manque à gagner pour lesrecettes fiscales.

Ces trente dernières années, la part des bénéfices dessociétés dans le revenu national a doublé. La répartitiondes richesses a évolué en faveur des détenteurs du capital.On compare les salaires entre pays, mais pas la répartitiontravail-capital au sein d’un même pays. Ce n’est pas cor-rect ! Même si on prend en compte la compétitivité, onpeut se demander pourquoi on la base sur une modérationdes revenus du travail et pas sur ceux du capital alors queles bénéfices des sociétés ont doublé en 30 ans. Si onmaintenait la proportion des revenus du capital et du tra-vail de 1981, on pourrait donner aux salariés du privé 932€ de salaire brut en plus par mois. De plus, cette mesurebénéficierait aux travailleurs mais aussi à l’Etat, qui dispo-serait de moyens financiers supplémentaires.

Interview réalisée par Claudia Benedetto et Monique Van Dieren

L’événement qui vous a marqué cesdernières semaines mais qui n’a pasfait la Une de l’actualité ?

Ce qui m’a choqué, c’est le triste sort dela société Royal Boch.Cette usine, à l’origine du développe-ment économique de La Louvière, a étélittéralement offerte à un repreneurprivé qui était intéressé non pas par lefait de remettre en route la production,mais de mettre la main sur les stocks demarchandises, sur la marque et sur l’im-mobilier : les usines se trouvent au cen-tre de la ville. Il y a un projet de réamé-nagement urbain, ces bâtiments valent

beaucoup aujourd’hui et il les a achetéspour presque rien ! Les acteurs publics ont un peu participéà la catastrophe. On retrouve encore icile concept de privatisation des profits etde socialisation des pertes et c’estencore une fois le personnel qui est ledindon de la farce !

En dehors de votre boulot et de votremilitance au PTB, avez-vous un projetou une passion ?

Avec quelques amis, on a constitué unpetit groupe de rock français. Je suis gui-tariste et ma compagne chante. On com-

mence à sortir de notre grenier ! On seranotamment à La Louvière pour le 1er

mai.J’aimerais aussi réaliser des clips vidéoavec ma compagne. L’utilisation del’image permettrait d’aborder des sujetsdifficiles de manière plus ludique.

Après le guide du Routard, je prépareaussi le Guide du Richard…A travers des photos, des visites, desexemples, c’est un guide qui montreraquel est le réel pouvoir de l’argent enBelgique, quelles sont les inégalités lesplus flagrantes et ce qu’il faudrait fairepour que ça change.

“Si on maintenait la répartition des revenus du capital et du travailde 1981, les salariés du privé gagneraient en moyenne 932 €

de salaire brut en plus par mois...”

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Il n’est pas besoin de rappeler le rôle primordial del’impôt pour financer les biens et services collectifs.L’impôt remplit une seconde fonction importante : ilcontribue à la redistribution des revenus, en taxantdavantage (en principe !) celui qui gagne plus, et enmettant la priorité sur des politiques économiques ousociales qui favorisent les bas revenus.Sa troisième fonction est celle d’inciter (ou découra-ger) certains comportements ou choix personnels(primes énergie, déductions fiscales pour des dons…)

En théorie donc, l’Etat a en mains un formidable ins-trument pour corriger les inégalités de revenus et pren-dre des mesures pour favoriser les politiques sociales.

L’indice de Gini, qui mesure les écarts de revenus, (voirarticle pages 8-9) montre effectivement que l’impôtjoue un rôle correcteur d’inégalités : le coefficientpasse de 0.38 avant impôt à 0.31 après impôt pourl’année 2007. Cependant, même s’il existe des biaisstatistiques à ce calcul, force est de constater que cerôle correcteur de l’impôt a tendance à s’amenuiserd’année en année. D’autant que cet indice ne tientcompte que des revenus déclarés, et pas des revenusnon déclarés de plus en plus importants, soit sur baselégale (non déclaration de revenus mobiliers), soit pro-venant de l’évasion fiscale, de la fraude fiscale ou dela spéculation financière…

Les pays européens qui ont les taux de taxation lesplus élevés sur l’ensemble des revenus connaissentgénéralement des taux de pauvreté les plus bas (pays

nordiques). En Belgique,le taux de taxation élevésur les revenus du travail n’empêche cependant

pas 15% de la population de vivre sous leseuil de pauvreté ni de connaître un accrois-sement des inégalités de revenus…

Un IPP peu progressif

“Les épaules les plus larges doivent davan-tage contribuer à porter la charge”. Cependant,

malgré la progressivité de l’impôt des personnesphysiques (IPP), celle-ci est faible et ne s’appliquequ’aux revenus du travail.

En bas de l’échelle, les revenus imposables de moinsde 7.900 € (bruts par an) sont déjà taxés à 25%(6.690 € non imposables). Entre 6.690€ et 34.300 €,ils sont taxés entre 25% et 45%. Au-delà, ils sont taxésà 50%.En haut de l’échelle (plus de 34.300€), le taux maxi-mum d’imposition est donc de 50%. Or auparavant, ilexistait des tranches de 52,5% et 55% pour les hautsrevenus. Ces tranches d’imposition ont été suppriméeslors de la réforme fiscale Reynders en 2002 (1). De plus,de nombreuses déductions fiscales profitent davan-tage aux revenus supérieurs (frais de représentation,exonérations fiscales sur l’épargne-pension, primes àla construction…)

Une autre marche-arrière opérée dans les années 80,c’est la “dé-globalisation” des revenus. De quoi s’agit-il ?Auparavant, on totalisait tous les revenus déclarésdes personnes (du travail, du capital, de l’immobilier)et on appliquait un impôt progressif sur l’ensemble deces revenus.

En 1982, ce principe de globalisation a été supprimé,ce qui signifie que les revenus du travail, du capital etde l’immobilier sont taxés séparément, à des taux net-tement moins élevés pour les deux derniers, enéchappant ainsi au principe de progressivité de l’im-pôt.Ainsi, en moyenne, les revenus du travail sont taxés à45 %, ceux de l’immobilier à 45% (mais sur une basefictive inférieure aux revenus réels, sauf en cas delocation professionnelle), ceux du capital sous formede dividendes distribués par les entreprises à 25%,ceux du capital sous forme des intérêts distribués parles entreprises ou les banques à 15%, et ceux desplus-values à…0% !

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“Il ne peut être établi de privilèges

en matière d’impôts”

Article 172 de laConstitution belge.

L’impôt, correcteurd’inégalités ?

Les libéraux se plaisent à ledire, le niveau de taxation enBelgique est parmi les plusélevés d’Europe. Mais si notrepays pourrait être qualifiéd’enfer fiscal pour les salariés, ilest très certainement un paradisfiscal pour les grosses fortuneset les grandes entreprises…

Manifestation à Bruxelles le 24 mars : NON à l’Europe du capital ! Photo : Karim, www.socialisme.be/psl/archives/2011/03/24/europe.html

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Notons enfin la “subtilité” pratiquée par de nombreuxindépendants et professions libérales, qui s’installent“en société” pour bénéficier d’un taux d’impositionplus favorable et de nombreux avantages fiscaux,notamment la déduction importante de charges pri-vées que l’on fait passer pour des charges profession-nelles de l’entreprise…

La fraude fiscale est également une réalité qui joue endéfaveur de la progressivité de l’impôt.Presque tout le monde fraude, direz-vous ! Eh biennon, et en tout cas pas dans les mêmes proportions…En effet, le fisc dispose de toutes les informations surles salaires, les allocations sociales (pensions, chô-mage, maladie…) ainsi que sur le patrimoine immobi-lier (la possession d’immeubles). Le fisc connaît aussiles revenus locatifs du fait de l’enregistrement obliga-toire des baux, mais il n’utilise pas cette information.Par contre, il ne connait pas les revenus du capital,que ce soit les dividendes, les intérêts ou les plusvalues (2). En effet, les banques ne sont pas obligéesde fournir les informations au fisc, sauf en cas defraude avérée. Et il n’existe pas de cadastre du patri-moine financier des Belges, même si on possède deschiffres globaux (voir ci-contre). La suppression dusecret bancaire est donc un élément-clé dans la luttecontre la fraude fiscale. Pour un salarié ou un pen-sionné qui reçoit une fiche de paie tous les mois, diffi-cile de tricher. Mais pour les indépendants ou lesdétenteurs de capitaux, il est possible (fréquent) dene pas déclarer certains revenus, et d’échapper ainsià la taxation et au principe de progressivité de l’impôt.Rien qu’en Suisse, les avoirs belges représenteraient 15milliards € (total des avoirs de l’UE : 705 milliards €) (3).La fraude fiscale représente donc également unmanque à gagner important pour les recettes de l’Etat.

Certains souhaiteraient cependant qu’une nouvelleamnistie fiscale soit mise en place. L’intérêt pourl’Etat belge de voir rapatrier de l’argent volatilisé s’ac-compagne donc une nouvelle fois d’un cadeau à ceuxqui ont fait fructifier leur argent à l’étranger afin debénéficier d’une taxation moindre de leur capital…

On le voit, le principe de progressivité de l’impôt estenrayé par une multitude de mécanismes qui permet-tent aux plus hauts revenus de faire baisser leurniveau de taxation, parfois en toute légalité.

Une taxation incorrecte des revenus de l’immobilier 

Le patrimoine immobilier des Belges s’élève à 1.075milliards €. Il est donc plus important que le patri-moine financier.La taxation des revenus immobiliers n’est pas baséesur les revenus locatifs réellement perçus par les pro-priétaires mais sur base du revenu cadastral en prix de

1975 revalorisé de 40%  indexé depuis 1991 : en clairsur le  loyer de 1975  (revenu cadastral revalorisé de40%) indexé depuis 1991 : on perd donc l’indexationdepuis de 1975 à 1991 et on perd l’évolution réelle duloyer de 1975 à 2011 au dessus de l’index. Les biensdonnées en location professionnelle sont quant à euxtaxés sur base du loyer réel net de 4O% de charges.Deux mesures sont dès lors possibles et souhaita-bles : Adapter les revenus cadastraux à la valeurréelle, et mettre en place un mécanisme de taxationdes revenus immobiliers sur base des loyers réels,sans répercussion sur le locataire.

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Des taux d’imposition très variables... Taux de taxation sur les revenus : • Du travail : 45 % • De l’immobilier : 45% (mais sur une base fictive!) • Du capital : 15% ou 25% • Des plus-values : 0% !

- Le patrimoine mobilier (financier) net des belges s'élève à 2,1 fois le PIBde la Belgique selon Eurostat et les études d'ING; c'est la proportion laplus élevée d’Europe...Le patrimoine net total des belges s'élève à environ 5 fois le PIB annuelde la Belgique, c'est également une des proportions les plus élevéesd'Europe et du monde.

- Début 2010, le patrimoine mobilier des belges s'élevait à 909 milliardsd'euros; le patrimoine immobilier à 1075 milliards d'euros; les dettesliées au patrimoine à 192 milliards d'euros, soit un patrimoine net de1792 milliards d'euros.

- La répartition habituelle entre patrimoine immobilier et patrimoinemobilier, qui est habituellement de 40% pour l’immobilier et de 60%pour le mobilier, a été fortement bouleversée par la crise financière. Eneffet, celle-ci a entraîné de fortes moins-values en matière de patri-moine mobilier (actions...) tandis que la valeur du patrimoine immobilierse maintenait et augmentait; ce qui a modifié la répartition entre lesdeux catégories du patrimoine.

- Le taux de prélèvement réel sur les actifs détenus (tous prélèvementsconfondus) s'élève à 0,78% de la valeur de ces actifs. En pourcentagedu PIB, le taux de prélèvement annuel est de 4,1% du PIB (14 milliardspar an) soit le 4ème rang européen.

- Comparativement à d'autres pays de l'UE, le prélèvement belge s'ex-plique essentiellement par de forts prélèvements sur les actifs immo-biliers des particuliers ( précompte immobilier, droit d'enregistrementsur les transactions, partie des droits de succession sur le patrimoineimmobilier) alors que les revenus annuels du capital, la partie mobilièred'une succession ( le plus souvent non déclarée ou partiellementdéclarée, donc échappant aux droits en la matière) et l'absence d'impo-sition des plus-values affaiblissent, comparées à d'autres Etats, la partde l’imposition sur le patrimoine mobilier.

Source : Victor Serge, Observatoire de la fraude fiscale et de la lutte contre lafraude fiscale

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La TVA, un impôt injuste 

La TVA est un impôt prélevé sur base de produits ou deservices rendus, autrement dit sur la consommationdes ménages. Elle représente environ un quart desrecettes fiscales. Il n’y a aucun lien avec les revenus, etsont prélevés par pourcentage sur la valeur d’un pro-duit ou d’une prestation. La TVA n’est donc en rien cor-rectrice d’inégalité : le pain ou le paquet de cigarettescoûte le même prix pour tout le monde, mais son coûtsera proportionnellement plus élevé pour une per-sonne qui a de faibles revenus…

Pourtant, la TVA un instrument d’imposition en vogueparce qu’elle est prévisible et qu’elle peut exercer unefonction de réorientation. Il y a quelques années, on ainstauré la “fiscalité verte” pour décourager les compor-tements polluants. Dans la foulée de la crise financière,on a diminué la TVA dans la construction et l’HORECApour relancer l’activité économique. De manière géné-rale, la part que représente la TVA dans les recettes fis-cales a tendance à augmenter, malgré le fait qu’ellen’est pas correctrice d’inégalités de revenus.

Les entreprises choyées par les cadeaux fiscaux

En 2002, l’impôt des sociétés (Isoc) a été réformé en pro-fondeur. Il est passé de façon drastique de 40.2 à 33.99% aujourd’hui. Ce taux a encore été revu à la baisse en2005 par le biais des fameux intérêts notionnelsDe quoi s’agit-il ? C’est un système de déduction fis-cale dont bénéficie une entreprise lorsqu’elle réalisedes investissements avec son capital propre au lieud’emprunter de l’argent. Chaque année, l’entreprisepeut déduire de sa base imposable un coût fictif. On estime que les intérêts notionnels ont fait un cadeaufiscal de 5,8 milliards € en 2008 aux entreprises - et enparticulier aux plus grandes d’entre elles -, sous prétextede stimuler l’emploi. Cet argument est par ailleurs trèsdiscutable puisque les 50 sociétés qui ont bénéficié desplus gros cadeaux fiscaux en 2009 ont…supprimé 2.500emplois cette même année.

En réalité, le taux d’imposition est estimé à 22% enmoyenne, grâce au mécanisme des intérêts notionnelsnotamment, mais aussi à de multiples autres avantages

fiscaux dont bénéficient les entreprises, ainsi qu’àl’existence de filiales dans les paradis fis-

caux.Une récente étude publiée par

Marco Van Hees(4) a démontréque de manière générale,

les grosses entreprisessont aussi celles quipaient le moins d’impôts.

Au nom de la concur-rence fiscale, onobserve une baisseconstante du taux d’im-

pôt des sociétés dansl’ensemble des pays

industrialisés. A l’échellemondiale, on estime que la

part du commerce mondial quitransite par les paradis fiscaux

dépasse les 50 %. Autrement dit, plus de la moitié desbénéfices des principales entreprises mondialeséchappe à l’impôt ou est soumise à une fiscalité trèsavantageuse. Et il est de plus en plus évident que le fai-ble taux de taxation des sociétés profite avant tout auxactionnaires de ces sociétés et pas à l’emploi ni auxrevenus des travailleurs, ce qui accentue les inégalitésde revenus…

Les Etats sont à la fois complices et victimes de cetteconcurrence fiscale effrénée. Complices parce quetous les pays jouent le jeu de la concurrence enessayant de “faire mieux” que leur voisin pour attirerles investisseurs. Et victimes parce qu’ils se priventainsi de recettes importantes qui ne peuvent pas êtreutilisés pour des politiques sociales, pour stimuler l’em-ploi ou pour corriger les inégalités de revenus (par ex.pour relever le montant du salaire minimum ou desallocations sociales).

Refaire de l’impôt un instrument de justice sociale

Comme on le voit, de multiples mesures devraient êtreprises pour que l’impôt soit un réel instrument deredistribution des richesses.Rétablir les tranches supérieures d’imposition, re-globa-liser tous les types de revenus pour le calcul de l’impôt,instaurer une taxation plus juste des revenus mobiliers(plus-values, dividendes, intérêts), instaurer un impôtsur les grosses fortunes, renforcer la lutte contre lafraude fiscale, mieux cibler les intérêts notionnels,revoir le système de taxation des revenus immobiliers,simplifier voire supprimer certaines déductions fiscalesqui ne profitent qu’à une partie la plus favorisée de lapopulation ; autant de cartes dans les mains des pou-voirs publics pour augmenter ses recettes tout encontribuant à rétablir la justice fiscale.“Ne laissez pas échapper les grosses fortunes”, tel estle thème de la campagne menée par le Réseau pour laJustice Fiscale (RJF) lancée en février dernier poursoutenir ces revendications. (5)

Un défi ambitieux dans un contexte idéologique euro-péen plutôt enclin à mettre en place des mesuresd’austérité (qui affectent les revenus des travailleurs etallocataires sociaux) plutôt qu’à prendre des mesuresqui fâcheraient ceux qui ont déjà toutes les ficellespour payer le moins d’impôts possibles…

Monique Van Dieren

(1) Elles ont même été jusqu’à 62,5´% avant le gouvernementMartens-Gol des années 80 !

(2) Il ne connaît pas ces revenus car la communication de l’identitédu bénéficiaire et des montants perçus n’est pas requise, saufpour ce qui concerne les intérêts perçus par des étrangers dansle cadre de la directive européenne sur l’épargne :seule importequand ces revenus sont perçus par un bénéficiaire belge audépart d’un débiteur belge que le précompte mobilier soit retenuet versé si cela doit être le cas soit uniquement s’il s’agit d’inté-rêts ou de dividendes, les plus values n’étant pas taxées;

(3) KPMG, magasine Eco/TV 08/02/2010(4) Fonctionnaire au Ministère des Finances, auteur de plusieurs

livres, membre du PTB. Voir son interview en page 10.Etudedisponible sur www.frerealbert.be

(5) Pour tout savoir sur cette campagne, consultez le site www.lesgrossesfortunes.be

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“Lesbénéfices de la mon-

dialisation et de la producti-vité sont d’abord allés en direction

du capital et ont érodé la part du travaildans les pays industrialisés” (Guscina,

FMI, 2006).

En d’autres mots, cela signifie qu’enBelgique comme dans la plupart des paysindustrialisés, la part des revenus acquis

par le travail (les salariés, indépen-dants) diminuent au profit des

détenteurs de capitaux(actionnaires).

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SC

ALI

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Si les différents chemins de vie empruntés par tout unchacun (dépression, dette de jeu, mauvaise gestion deson budget, alcoolisme…) peuvent conditionner le phéno-mène de pauvreté, ils ne l’expliquent pas totalement.L’insuffisance des revenus est le premier facteur.L’augmentation de certains frais aussi. Les facturesd’énergie, des soins de santé par exemple, sont de plus

en plus importantes et obligent certaines personnes àdevoir choisir entre manger et se soigner, entre mangeret se chauffer…

La pauvreté n’est pourtant pas une fatalité. Il existe desmécanismes qui, s’ils étaient appliqués, permettraient deréduire les inégalités de revenus. Pour comprendre ces

mécanismes, il faut d’abord comprendre comment fonc-tionne notre système de solidarité. La Belgique possèdeun système de redistribution fondé sur la logique de lasolidarité : chaque citoyen contribue au financement deservices collectifs par l’impôt En théorie, les personnesles plus riches contribuent davantage au pot communque les plus pauvres. En pratique, c’est beaucoup plusflou, puisque de nombreux revenus sont peu voire pastaxés (voir article précédent).

Des mesures pour un impôt plus juste

L’impôt sur les grosses fortunes est un moyen qui per-mettrait de rétablir une certaine équité entre lescitoyens. Actuellement, les revenus supérieurs ne contri-buent pas de la même façon que les autres à la solida-rité. Cette injustice pourrait être atténuée en instaurantun impôt progressif de 0.5% à 2% sur les revenus deplus d’1 million € (sans tenir compte de la valeur de l’ha-bitation personnelle). Cela nécessite d’abord l’instaura-tion d’un cadastre des fortunes, autrement dit un inven-taire des patrimoines financiers.

Selon ses détracteurs, la mise en place de ce cadastreaurait pour conséquence l’évasion fiscale, l’exil des per-sonnes fortunées ou des entreprises, l’augmentation duniveau de fraude. Les entreprises seraient déjà troptaxées. De plus, il constituerait une atteinte à la vie privée.

En Belgique, la fraude fiscale est estimée à minimum 20milliards €. Pour lutter efficacement contre la fraude etl’évasion, la Belgique vient de faire un premier pas avec lalevée du secret bancaire qui entrera en vigueur le 1er juilletprochain. Le contrôleur du fisc pourra demander au contri-buable les informations relatives à ses comptes bancaires.Dans le cas ou l’information est incomplète ou non trans-mise, l’agent pourra s’adresser à la banque de l’intéressésous trois conditions : dans le cas d’un indice de fraude,d’une taxation indiciaire (1) ou d’une demande d’assistancede l’étranger. De plus, le contrôleur disposera désormais

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S Des mesures poursortir de la pauvretéLa pauvreté n’est pas une fatalité, il existede nombreuses mesures qui permettraientde réduire les inégalités de revenus. Envoici quelques-unes qui sont défenduespar les Equipes Populaires. Elles concer-nent l’impôt, les prestations sociales, lesservices collectifs et l’emploi.

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Ne laissez pas échapper les grosses fortunes !

Vive l’impôt… juste.

Les EP mènent campagne en 2011 sur le thème des inégalités de revenus. L’objectif ? Dénoncer les inégalités croissantes, et soutenir les mesures

qui permettent de les corriger, en particulier la fiscalité. Les EP soutiennent la campagne du Réseau pour la Justice Fiscale (RJF)

“Ne laissez pas échapper les grosses fortunes”.Signez la pétition sur www.lesgrossesfortunes.be

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Sd’un fichier central des comptes bancaires. On lui oppose comme principal argument, la mise enpéril du respect de la propriété et de la vie privée desindividus. A contrario, lever le secret bancaire permet-trait d’établir des listes nominatives des bénéficiairesde revenus financiers et de fournir des informationssur les ouvertures et fermetures de comptes bancairesdans le but d’établir un répertoire national descomptes bancaires. Bref, il y aura un peu plus detransparence dans les transactions financières.

Il est logique de penser que c’est celui qui gagne leplus qui paye le plus. Cependant, dans la pratique, laréalité est toute autre : l’impôt des personnes phy-siques est un impôt progressif mais certains ont des“trucs” pour échapper à la progressivité de l’impôt. Deplus, les taux d’imposition les plus élevés ont été sup-primés et les déductions fiscales profitent surtout auxrevenus supérieurs. Une solution serait d’éxonérerdavantage les bas revenus et de restaurer les tauxd’imposition supérieurs de 52,5% et de 55%.

Garantir un revenu de remplacement décent

Une autre manière de rétablir l’équilibre serait de rele-ver les allocations sociales (chômage, invalidité, pen-sion, revenu d’intégration sociale (2)...) au-dessus duseuil de pauvreté (899 €). Environ 1.600.000 Belgesn’atteignent pas ce seuil et les personnes les plus fra-giles sont celles qui dépendent d’allocations sociales.De plus, les chômeurs qui vivent en couple voient leursallocations diminuées (statut cohabitant). Pour échap-per au statut de cohabitant, des couples se séparentadministrativement pour conserver leur revenu ; desjeunes quittent anticipativement le foyer familial dansle même but ; dans d’autres cas, on hésitera à garderun vieux parent, à héberger un proche en difficulté…

Ecolo a déposé en 2008 une proposition de loi qui pré-voit de relever les allocations sociales au-dessus duseuil de pauvreté et d’aligner le statut de cohabitant àcelui d’isolé. Selon la Cour des comptes, relever les allo-cations sociales au-dessus du seuil de pauvreté coûte-rait 1,25 milliards d’euros. Il était prévu d’échelonnersur 4 ans les dépenses soit 300 millions d’euros par an.A l’époque, la députée Ecolo Zoé Genot soulignait que legouvernement n’avait eu aucun mal à trouver 2,4 mil-liards d’euros pour financer les intérêts notionnels. Leprojet de loi suit son cours. Cependant, selon un avis dela Commission des affaires sociales, si on appliquaitcette mesure, les conséquences seraient importantessur la sécurité sociale et le sur le salaire minimum. Plus récemment, le gouvernement a validé l’accord inter-professionnel 2011-2012. Il prévoit d’augmenter de 2%les allocations les plus basses et les autres de 0.7 %.

Faciliter l’octroi du statut Omnio

Les factures de soins de santé deviennent de moins enmoins soutenables pour les petits revenus. En Belgique,les soins sont remboursés en partie via les mutuelles ouassurances maladies. Cependant, malgré, cette aide,beaucoup de personnes ne parviennent pas à joindre lesdeux bouts. Ainsi, l’Etat a mis en place toute une série de

mesures pour élargir la couverture sociale à certainescatégories de personnes : le statut Omnio. Celui-ci estdestiné aux personnes à faibles revenus notamment, leschômeurs de longue durée de moins de 50 ainsi que lesfamilles monoparentales. Mais les personnes sont rare-ment au courant qu’elles peuvent prétendre à ce statut :il n’est pas automatique, les personnes doivent elles-mêmes en faire la demande. Une autre piste pourréduire les inégalités serait d’automatiser ce statut.

Alléger la somme “loyer + facture d’énergie”

D’autres factures sont de plus en plus difficiles à hono-rer dont celles liées aux loyers et à l’énergie. Le marchéimmobilier est de moins en moins accessible à unepart croissante des ménages. Les prix de ventes s’envo-lent, les logements sociaux sont trop peu nombreux etles loyers des biens privés sont fixés quasi librementpar les propriétaires. En effet, contrairement aux paysvoisins (France, Allemagne, Angleterre, Pays-Bas…) laBelgique n’a mis en place aucune mesure pour régulerles loyers et protéger les locataires de hausses de prixexagérées. Il serait pourtant possible d’encadrer lesloyers en tenant compte de critères objectifs (taille dulogement, équipements disponibles, qualité du bâti,caractéristiques du quartier, etc.) pour fixer des prix deréférence.selon les types de logements.

Les opposants à un encadrement des loyers lui repro-chent de porter atteinte au droit de propriété et de nepas tenir compte de l’offre : le propriétaire n’auraitplus le bénéfice attendu et pourrait alors se découra-ger d’investir dans son bien pour le mettre en location.Mais l’expérience de nos voisins montre qu’il n’est pasimpossible de protéger le locataire tout s’inscrivantdans une logique qui favorise une offre de logementssuffisante et de qualité. Par exemple en octroyant desincitants fiscaux aux bailleurs qui respectent des prixde référence et en privilégiant la concertation entre lesacteurs concernés.

La part des revenus réservée à l’énergie est aussiimportante pour les revenus modestes. Actuellement,les petits consommateurs paient proportionnellementleur kWh plus cher que les gros consommateurs. Il fau-drait inverser cette logique en instaurant une tarifica-tion, non pas dégressive, mais bien progressive, pour lafacture d’électricité. Le principe consiste à appliquer destarifs différents pour des tranches de consommation, en

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M. Van Dieren

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commençant par une première tranche (ex. 500 - 2.500kWh ) très bon marché pour assurer à tous la satisfac-tion des besoins de base en énergie. La tranche sui-vante serait un peu plus chère au kWh et ainsi de suite,jusqu’à la dernière tranche, dont le prix serait dissuasif.La proposition est à réfléchir en tenant compte de l’im-pact sur les ménages mal équipés (chauffage élec-trique, par exemple) mais elle a le mérite d’assurer plusde justice sociale dans l’accès à l’énergie et d’encoura-ger un usage plus rationnel de celle-ci.

Des transports publics plus accessibles

Une autre mesure à mettre en débat concerne l’accèsaux transports publics. Notre société est de plus enplus décentralisée. Il est loin le temps des épiceries dequartier, des emplois proches de la maison… La part dubudget consacrée aux déplacements est de 13 %3 pourl’année 2008. Encore une fois, c’est pour les petitesbourses que le poids à supporter est le plus lourd, orles réductions accordées par les sociétés de transporttiennent compte de critères comme l’âge ou le statutmais pas des revenus. L’aspect environnemental justifieaussi d’améliorer l’accès aux transports publics. Cettemesure contribuerait à changer les mentalités par rap-port à l’usage de la reine-voiture. Elle a certes sesdétracteurs et les contre-arguments sont nombreux, àcommencer par l’impact pour les finances des sociétésde transport et pour l’Etat, alors même qu’il faudraitinvestir massivement dans le développement de l’offre.

Augmenter les bas salaires

Dernièrement, un débat a largement été relayé dansles médias. Celui de la négociation de l’AccordInterprofessionnel et de l’augmentation des revenusdont ceux des bas salaires. Il faudrait aller plus loinque ce que prévoit l’AIP en relevant le salaire minimumbrut (1187€) qui se situe un peu au - dessus du seuilde pauvreté.Aujourd’hui, 4 % des adultes pauvres sont des travail-leurs. Ce qui va à l’encontre des clichés trop souventpartagés d’un pauvre SDF qui rejette le système ou duchômeur fainéant qui, lui, profite du système.

Supprimer la discrimination des travailleuses

Ce qui explique ce paradoxe du travailleur pauvre, cesont les bas niveaux de salaires, la nature des contratsde travail qui sont de plus en plus précaires : le travailà mi temps, les contrats à la semaine… Les femmessouffrent particulièrement de la précarité croissantedans l’emploi : une large proportion travaille à tempspartiel. Par ailleurs, les métiers dits féminins sontmoins valorisés. On constate aussi que les femmesrestent minoritaires dans les fonctions de dirigeants.Le système de classification des fonctions joue égale-ment un rôle. Pendant des décennies, la tendance a

même été de créer des “sous-barèmes” qui justifierontqu’à travail égal, les femmes soient moins payées queles hommes. Une première mesure indispensableserait de supprimer cette discrimination en “nettoyant”les classifications de fonctions par secteurs.

Quelles avancées dans un contexte d’austérité ?

Parmi l’ensemble des mesures passées en revue, cer-taines font leur chemin et il faut s’en réjouir. Citonsnotamment la levée partielle du secret bancaire auniveau fédéral ; des travaux préparatoires sur l’enca-drement des loyers dans les Régions. Appuyés parl’Union européenne, les syndicats ont pu, de leur côté,faire avancer le travail sur une révision de classifica-tions des fonctions dans plusieurs secteurs.

Mais ces quelques avancées risquent de peser bienpeu alors qu’en Union européenne souffle le vent del’austérité dans un contexte d’austérité Une nouvellefois, le citoyen risque de payer les frais d’une crise éco-nomique dont il n’est pas à l’origine. La Belgique n’estpas à l’abri. Le pacte de compétitivité européendéfendu par Sarkozy et Merkel marque les prémicesd’une ère morose. Il prévoit entre autres de supprimerl’indexation des salaires et le salaire minimum, d’allon-ger l’âge effectif de la pension. Au nom de la compétiti-vité entre les pays européens, l’UE se permet de tou-cher aux acquis sociaux. Si le nouveau pacte de com-pétitivité est pris en compte, il pourrait bien réduire àpeu de choses les acquis du Pacte social, une régres-sion sans précédent dans les droits des salariés.

Claudia Benedetto

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(1) Taxation reposant sur des indices de revenus non déclarés quand le train de vieapparent est largement supérieur aux revenus déclarés.

(2) Depuis 2002, ce terme remplace l’appellation “minimex” (minimum des moyensd’existence).

(3) http://statbel.fgov.be/fr/statistiques/chiffres/travailvie/revenus/ventilation/index.jsp

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Equipe de rédaction : Claudia Benedetto,

Jean-Michel Charlier, Christine Steinbach,Monique Van Dieren

Rédactrice en chef : Monique Van DierenMise en page : Hassan Govahian

Editeur responsable : Christine Steinbach, 48 rue de Gembloux, 5002 - Namur

Tél : 081/73.40.86 - Fax : 081/74.28.33Courriel : [email protected]

Prix au n° : 1 € 50

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epepEquipes Populaires

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Contact :Equipes Populaires, 48 rue de Gembloux, 5002 - Namur 081/[email protected]

3 TROIS REGARDS SUR LES INÉGALITÉSLa Belgique a glissé progressivement d’une économie à finalité sociale (grâce au Pacte sociald’après-guerre) à une économie qui considère le volet social comme un frein à la croissance.

6 MESURER LES ÉCARTS DE REVENUS : PAS UNE SINÉCURE !Analyse des écarts de revenus et des principaux indicateurs qui permettent de mesurer leurévolution.

10 INTERVIEW : MARCO VAN HEES, l’homme qui murmure à l’oreille des pauvres

14 L’IMPÔT, CORRECTEUR D’INÉGALITÉS ?Si notre pays pourrait être qualifié d’enfer fiscal pour les salariés, il est très certainement unparadis fiscal pour les grosses fortunes et les grandes entreprises…

17 DES MESURES POUR SORTIR DE LA PAUVRETÉPrésentation de différentes mesures qui permettraient de réduire les inégalités de revenus,notamment en matière de fiscalité, d’accès aux soins de santé, d’allocations sociales, desalaire minimum, de logement.

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Contrastes... Notre revue n’a jamais aussi bien porté son nom.

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