29
RECHERCHES SUR L'ORIGINE ET LA SITUATION DU GRAND PONT DE PARIS, DU PONT AUX CHANGEURS, DU PONT AUX MEUNIERS, ET DE CELUI DE CHARLES LE CHAUVE Author(s): Adolphe Berty Source: Revue Archéologique, 12e Année, No. 1 (AVRIL A SEPTEMBRE 1855), pp. 193-220 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/41742227 . Accessed: 22/05/2014 16:28 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Revue Archéologique. http://www.jstor.org This content downloaded from 195.78.108.157 on Thu, 22 May 2014 16:28:30 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

RECHERCHES SUR L'ORIGINE ET LA SITUATION DU GRAND PONT DE PARIS, DU PONT AUX CHANGEURS, DU PONT AUX MEUNIERS, ET DE CELUI DE CHARLES LE CHAUVE

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: RECHERCHES SUR L'ORIGINE ET LA SITUATION DU GRAND PONT DE PARIS, DU PONT AUX CHANGEURS, DU PONT AUX MEUNIERS, ET DE CELUI DE CHARLES LE CHAUVE

RECHERCHES SUR L'ORIGINE ET LA SITUATION DU GRAND PONT DE PARIS, DU PONT AUXCHANGEURS, DU PONT AUX MEUNIERS, ET DE CELUI DE CHARLES LE CHAUVEAuthor(s): Adolphe BertySource: Revue Archéologique, 12e Année, No. 1 (AVRIL A SEPTEMBRE 1855), pp. 193-220Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/41742227 .

Accessed: 22/05/2014 16:28

Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at .http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp

.JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range ofcontent in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new formsof scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected].

.

Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to RevueArchéologique.

http://www.jstor.org

This content downloaded from 195.78.108.157 on Thu, 22 May 2014 16:28:30 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 2: RECHERCHES SUR L'ORIGINE ET LA SITUATION DU GRAND PONT DE PARIS, DU PONT AUX CHANGEURS, DU PONT AUX MEUNIERS, ET DE CELUI DE CHARLES LE CHAUVE

RECHERCHES

SUR L'ORIGINE et la situation

DU GRAND PONT DE PARIS, DU PONT AUX CHANGEURS,

DU PONT AUX MEUNIERS, ET DE CELUI DE CHARLES LE CHAUVE.

La topographie historique du vieux Paris n'est pas, comme bien des gens se plaisent à l'imaginer, un de ces sujets commodes, dont tous les détails sont connus , et que chacun peut posséder à fond après avoir pris la peine d'étudier, avec quelque soin, un certain nombre de volumes ; c'est, loin de là, une matière des plus ardues, dont la connaissance sérieuse implique des investigations considé- rables, et que, pour ces raisons et pour d'autres encore, tout le monde n'est pas apte à traiter convenablement. Sans doule, et on l'a peut-être trop vu , chacun est plus ou moins capable de faire un résumé de ce qui se trouve dans les livres , relativement à telle rue ou tel édifice ; mais de semblables résumés constituent un travail sans portée, qui propage tout autant et plus souvent même les faits faux que les faits vrais, laisse dans l'obscurité les questions qui y sont plongées, et n'ajoute rien au faisceau des documents acquis. Réfuter, au contraire, et au moyen de preuves authentiques , cette multitude d'erreurs acceptées comme des vérités , élucider les points controversés et diminuer la masse des desiderata, comme il est temps de le faire enfin, c'est, nous ne craignons pas de le dire, une tâche excessivement laborieuse. Pour la remplir consciencieuse- ment, en effet , surgissent des difficultés de toutes sortes, dont une des principales est le temps énorme qu'elle réclame ; ainsi, la seule exploration des archives des divers fiefs entre lesquels se divisait le sol de la Ville, ne peut avoir lieu en moins de dix ans, et il y a bien d'autres dépouillements à faire : les registres du Trésor des chartes, du Parlement, de l'Hôtel de ville, des paroisses, etc., sont une mine abondante, mais immense, dont il est fort long de dégager les richesses, et presque aussi long et surtout plus malaisé d'utiliser d'une manière satisfaisante les précieux produits. Et pourtant, c'est

XU. 13

This content downloaded from 195.78.108.157 on Thu, 22 May 2014 16:28:30 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 3: RECHERCHES SUR L'ORIGINE ET LA SITUATION DU GRAND PONT DE PARIS, DU PONT AUX CHANGEURS, DU PONT AUX MEUNIERS, ET DE CELUI DE CHARLES LE CHAUVE

194 REVÜE ARCHÉOLOGIQUE.

uniquement en épuisant toutes ces sources, et non en ressassant pour la millième fois des lieux communs, qu'il est permis de son- ger à créer une œuvre qui ait une valeur réelle, et soit à la bailleur que la science a acquise à notre époque.

Aussi bien n'est-il probablement personne qui , sans avoir fait un apprentissage spécial, puisse se dire prêt tout d'abord à obtenir des résultats irréprochables ; ce n'est pas, certes, qu'il manque de paléographes infiniment érudits et intelligents ; ce n'est pas davan- tage que les architectes habiles et instruits fassent défaut; mais chez les premiers, le sentiment topographique, s'il est permis de s'exprimer ainsi, n'existe pas, ou du moins n'a pas été développé. Pour eux, un fragment de maçonnerie, l'épaisseur d'un mur, la flexion d'un alignement, un agencement spécial de corps d'hôtel, sont des indices muets qui restent inobservés; par contre, si ces indices sont féconds en renseignements pour l'homme de l'art, que la pratique a rendu familier avec ces lois latentes, mais presque infaillibles, d'après lesquelles les habitations se groupent et les rues se dirigent; qui d'un coup d'oeil sait déterminer à quelle épo- que il faut reporter la date de la construction; pour lui les cueil- lerets , les cariulaires, les chartes de toute espèce , sont des textes inutiles, car il ne les lit que d'une manière beaucoup trop incom- plète pour en faire son profit. Nous en avons fait l'expérience, pour jeter un jour nouveau sur l'histoire monumentale de Paris, il faut travailler désormais avec le compas d'une main, et le Glossaire de du Cange de l'autre.

Nous venons de faire allusion aux aberrations et aux obscurités dont fourmillent les ouvrages publiés sur Paris ; elles sont en nom- bre beaucoup plus grand qu'on ne le pense généralement, et nous allons en donner la preuve, en étudiant ici l'un des points les plus importants de la topographie ancienne de cette ville , et l'un de ceux qu'on pourrait croire le mieux connus : l'origine et l'empla- cement du Grand Pont, du pont aux Changeurs et du pont aux Meuniers. Tous les auteurs ont fait un chapitre sur ce sujet, mais il a été pour eux l'occasion d'une foule d'erreurs et de contradictions, etil est aisé de constater que, non-seulement ils ont tout à fait ignoré par suite de quelles circonstances avaient été bâtis ces trois ponts, mais ils n'ont pas même su quelle en était la situation réelle, et quelle distinction il fallait établir entre eux. Disons que ces questions étaient peu faciles à résoudre, parce que les documents qui y ont rapport sont très-complexes, très-confus, et présentent des indications offrant les meilleures conditions pour égarer : nous en citerons un

This content downloaded from 195.78.108.157 on Thu, 22 May 2014 16:28:30 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 4: RECHERCHES SUR L'ORIGINE ET LA SITUATION DU GRAND PONT DE PARIS, DU PONT AUX CHANGEURS, DU PONT AUX MEUNIERS, ET DE CELUI DE CHARLES LE CHAUVE

RECHERCHES SDR LES ANCIENS PONTS DE PARIS. 19$

exemple remarquable plus loin , en parlant du pont de la Mar- chandise.

Pas plus que nos devanciers, nous ne fussions parvenu à nous reconnaître en ce dédale, si , pour un travail spécial, nous n'avions été dans la nécessité de traduire en figures, sur le papier, ce que nous avions recueilli de notes et d'observations ; mais, obligé de donner une forme matérielle à notre pensée, nous n'avons pu lui laisser cette indécision dont se sont contentés ceux qui nous ont précédé. Nous avons donc été dans la nécessité de nous rendre un compte exact de l'agencement réel des monuments qui nous préoc- cupaient , et par suite de la manière dont ils avaient pris naissance. Nous n'y avons réussi qu'en compulsant, avec beaucoup de soin, un nombre considérable de titres originaux qui nous ont été fournis par les archives de divers fonds, particulièrement par celles du Chapitre Notre-Dame, de l'abbaye Saint-Magloire, et du Par- loir aux bourgeois. Nous avons, du reste, pu nous aider de docu- ments graphiques inédits, que d'autres recherches nous avaient fait connaître, et qui nous ont permis de donner à nos restitutions une exactitude beaucoup plus grande que nous ne pouvions l'es- pérer tout d'abord. Les deux plus curieux de ces documents sont : le premier, un plan manuscrit de la mouvance de Saint-Germain l'Auxerrois, exécuté dans la seconde moitié du XVI* siècle ; il n'a point été levé géométriquement, mais il reproduit, suivant toutes les apparences, avec fidélité, l'état ancien des régions qu'il ren- ferme, et particulièrement des environs du Châtelet ; l'autre est un petit plan géométrique du pont Marchand et de l'ancien pont au Change, dressé avant leur destruction; il est malheureusement dépourvu d'échelle, et nous n'avons pu y suppléer que d'une ma- nière très -imparfaite, en en construisant une au moyen du contour de la tour de l'Horloge, qui y est tracé.

DE L'EMPLACEMENT DU GRAND PONT , DC PONT AUX MEUNIERS ST DD PONT AUX CHANGEURS.

Afin de rendre plus facile l'intelligence des faits concernant les trois ponts qui font l'objet de ce mémoire, nous déterminerons préalablement l'emplacement réel du pont aux Meuniers et celui du pont aux Changeurs, ce qui nous mettra à même d'établir avec certitude la situation de l'ancien Grand Pont, qu'ils ont remplacé.

Le pont aux Meuniers aboutissait, vers le nord, à l'entrée de la

This content downloaded from 195.78.108.157 on Thu, 22 May 2014 16:28:30 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 5: RECHERCHES SUR L'ORIGINE ET LA SITUATION DU GRAND PONT DE PARIS, DU PONT AUX CHANGEURS, DU PONT AUX MEUNIERS, ET DE CELUI DE CHARLES LE CHAUVE

196 RBVUE ARCHÉOLOGIQUE. rue Saint-Leufroy, qui menait droit à la porte du Châtelet , et vers le sud à la tour de l'Horloge. On y accédait, de ce dernier côté, par une petite ruelle fort courte qui débouchait à l'extrémité de la rue Saint-Barthélemy. Le pont aux Changeurs aboutissait, vers le nord, à l'entrée de la rue dela Vieille-Joaillerie, et vers le sud, il conduisait également à l'extrémité de la rue Saint-Barthélemy (1), en formant avec le pont aux Meuniers un angle aigu, dont le sommet était un massif de maisons communes aux deux ponts à la fois. Il nous faut démontrer ces propositions, qui sont en opposition avec presque tout ce que les historiens ont écrit à ce sujet. Nous le ferons en nous efforçant d'être clair, tout en condensant dans les limites les plus étroites possibles les arguments réclamant quelque peu d'at- tention, auxquels nous sommes contraint d'avoir recours.

On voit, par divers titres des archives du chapitre Notre-Dame, que, vers le commencement du XVI* siècle, il y avait à la vallée de Misère, et faisant le coin occidental de la voie du pont aux Meu- niers , une grande maison nommée la Maison du Soleil royal , en 1536 ; que celte maison contenant d'abord plusieurs corps d'hôlel, fut dans la suite divisée en deux autres, dont l'une, celle du coin , s'appelait la maison des Balances, dès 1575, et l'autre, la maison du Soleil royal ou du Barillet, en 1585; on voit enfin qu'en 1672, sur l'emplacement de la maison unique de 1536, il s'en trouvait quatre chargées solidairement d'un cens commun de 8* 4 sols pa- risis, et distinguées par les enseignes du Soleil royal, du Soleil d'or, du Barillet et des Balances, cette dernière faisant alors le coin des maisons du pont au Change moderne. Il est ainsi évident que ce coin des maisons du pont au Change était, à très-peu de chose près, situé au même endroit que celui du pont aux Meuniers, puisque la seule différence qui pût exister devait n'avoir d'autre cause que le retranchement peu considérable résultant de l'alignement biais des maisons élevées sur la culée du pont. Nous avons en effet remarqué sur un plan original de la répartition première des pro- priétés du pont au Change, que la maison du coin se composait de deux corps d'hôtel, dont l'un, formant hache autour de l'autre, était si étroit vers une de ses extrémités, qu'on ne peut douter, en voyant l'étrangeté de sa disposition, qu'il n'eût subi le remanie- ment dont nous venons de parler. Or, l'encoignure du pont au Change était au droit de la rue Saint-Leufroy. Conséquemment il en était de même de celle du pont aux Meuniers, comme cela est

(1) Aujourd'hui confondue avec la rue de la Barillerie.

This content downloaded from 195.78.108.157 on Thu, 22 May 2014 16:28:30 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 6: RECHERCHES SUR L'ORIGINE ET LA SITUATION DU GRAND PONT DE PARIS, DU PONT AUX CHANGEURS, DU PONT AUX MEUNIERS, ET DE CELUI DE CHARLES LE CHAUVE

RECHERCHES SDR LES ANCIENS PONTS DE PARIS. 197

indiqué dans une sentence de 1323, où on lit « que l'entrée du pont « que l'en appelloit le pont des Moulins, estoit assis par devers « Saint-Leffroy (1). » Nous en avons d'ailleurs obtenu une preuve mathématique, en plaçant les uns près des autres les plans des maisons du Soleil d'or et du Soleil royal que nous avons retrouvés

A. Pont aux Musniers. - B. Pont aux Changes. - C. Le Grand Châtelet. - D. Teste noire (2). - E. Boucherie de Paris. - F. L'Apport de Paris. - G. La Vallée de misère. - H. L'Escorcherie. - I. Rue Vieille-Joaillerie. - K. Saint- Leufroy.

annexés aux actes de vente de ces maisons , qui furent achetées par la Ville, il y a un peu plus d'un siècle, lors de l'élargissement du quai de la Mégisserie. La situation que nous donnons h l'extré- mité septentrionale du pont aux Meuniers est, de plus, confirmée

(1) Arch, du chap. N. D. (2) La maison de la Teste noire, qui faisait partie du fief de Saint-Germain

l'Auxerrois, était située au nord de l'église Saint-Leufroy, et en était séparée par une ruelle de trois pieds de large, conduisant rue de la Vieille Joaillerie.

This content downloaded from 195.78.108.157 on Thu, 22 May 2014 16:28:30 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 7: RECHERCHES SUR L'ORIGINE ET LA SITUATION DU GRAND PONT DE PARIS, DU PONT AUX CHANGEURS, DU PONT AUX MEUNIERS, ET DE CELUI DE CHARLES LE CHAUVE

198 MTVtJB AHCBÍOLOCICCT.

par le plan contemporain de la mouvance de Saint - Germain l'Auxerrois, dont nous avons fait mention plus baut et dont nous reproduisons ici un fragment. 11 est donc parfaitement faux que ce pont débouchât vers la rue de la Saunerie, comme on l'a généra- lement cru.

Il n'est pas plus exact que le pont aux Meuniers ait abouti au sud, entre la tour du Palais , dite de César, et celle dite de l'Horloge , ce qu'on a non moins généralement admis, car c'est directement vers cette dernière qu'il se dirigeait, ainsi que nous l'avons affirmé. Pour prouver notre assertion, nous citerons : Io le plan de la tapisserie, très-clair à ce sujet; 2° la vue, encore plus concluante, publiée par Mauperch (1), d'après un ancien dessin de la Bibliothèque impé- riale ; 3° les Lettres patentes relatives à la construction du pont Marchand, qu'on y nomme « un pont Neuf au lieu où souloit estre « le pont aux Meuniers, » et qui y est dit devoir être construit « à « l'alignement de la grande rue Saint-Denys et arche du Grand « Châtelet, tirant droit au-devant de la tour de l'Horloge du Pa- « lais ; » 4° le plan de ce même pont Marchand , qui justifie les ex- pressions des Lettres patentes; 5° les passages suivants, qu'il nous eût été aisé de donner plus nombreux , de titres relatifs à la pre- mière maison du pont aux Meuniers : « Maison entre la tour et le « pont aux Musniers, tenant d'une part à la tour, d'autre part « au moulin des Bonshommes (1559). » - « Maison tenant d'une « partàlorloge du Palais.... d'autre part à P. Hotman» (1578). Ce Hotman avait acheté le moulin des Bonshommes, - « Maison.... « au bout du pont aux Musniers, tenant d'une part la totallité de la « dicte maison à la grosse tour dudict horloge, d'autre à une mai- « son. .. . au lieu de laquelle maison souloit avoir ung moulin à eaue, « qui appartenoit aux religieux des Bonshommes du boys de Yin- « cennes, aboutissant par devant à la ruelle tendant sur ledict pont, « et par derrière sur la rivière do Seine, du costé d'aval leaue « (1575). »

Pour ce qui est de la position du pont aux Changeurs, on peut la déterminer exclusivement par des documents graphiques d'une authenticité incontestable. Le plan gravé de Mathieu Mérian, et ce- lui, manuscrit, de Saint-Germain l'Auxerrois, le font aboutir à la rue de la Vieille-Joaillerie ; le petit plan du pont Marchand, dont voici un fac-similé , confirme celte situation en donnant l'angle que formait l'ancien pont au Change avec le pont Marchand, dont la

(I ) Paris ancien. Paris moderne, in-4. Paris, 1814.

This content downloaded from 195.78.108.157 on Thu, 22 May 2014 16:28:30 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 8: RECHERCHES SUR L'ORIGINE ET LA SITUATION DU GRAND PONT DE PARIS, DU PONT AUX CHANGEURS, DU PONT AUX MEUNIERS, ET DE CELUI DE CHARLES LE CHAUVE

RECHERCHES SDR LBS ANCIENS PONTS DE PARIS. 199

situation est connue. Ce dernier plan détermine aussi de la manière la plus claire la disposition cunéiforme du pâté de maisons situé à l'endroit où les deux ponts venaient se réunîr à la rue Saint-Bar- thélémy. Il suffirait, au reste, des passages suivants, extraits de di-

A. Pont Marchand. - B. Ancien pont au Change. - G. Tour de l'Horloge» - D. Rue Saint-Barihélemy. - Ë. Espace entre les deux ponts. - Au revers du dessin original on lit : < Plans des encins {sic) pont au Change et Marchants dresses et escrit de la main de mon père. »

verses pièces, pour qu'on s'en rendît compte : « Maison assise au « bout du pont aux Changes, du costé devers le Palais.... aboutis- « sant par derrière au bout du pont aus Meusnyers, et par devant « sur ledict pont aux Changes (1537). - Maison au bout du pont « aux Musniers, près lorloge du Palais, et.... troys ouvrouers tenant « l'un à l'autre, et faisant la pointe de l'entre-deux des pons aux « Changeurs et des Musniers, devers ledict orloge, estans devant « ladicte maison (1516). » - « Ung ouvrouer assis au bout du pont « aux Changes, du costé de lorloge du Palais, et faisant la pointe du- « dit pont aux Changes et du pont aux Musniers, avecques une en- « clave.... tenant d'une part lesdicts lieux sur la voye du pont aux « Changes, et ďaultre part sur la voye dudict pont aux Musniers, « aboutissant d'un bout audict Jehan Denis, et d'autre bout sur la- « dicte pointe (1540). » - « Maison sur le pont aux Changes, abou- « tissant h une alée par où on va aux moulins (1476). >> Nous aurons, plus loin, l'occasion de faire voir que le pont aux Changeurs ne peut avoir occupé d'autre emplacement que celui que nous lui assignons.

Et maintenant que nous avons précisé rigoureusement la situa- tion des ponts aux Changeurs et aux Meuniers, il nous devient pos-

This content downloaded from 195.78.108.157 on Thu, 22 May 2014 16:28:30 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 9: RECHERCHES SUR L'ORIGINE ET LA SITUATION DU GRAND PONT DE PARIS, DU PONT AUX CHANGEURS, DU PONT AUX MEUNIERS, ET DE CELUI DE CHARLES LE CHAUVE

200 REVUE ARCHÉOLOGIQUE .

sible de fixer celle de l'ancien Grand-Pont. Nous avons effective- ment lu dans diverses pièces provenant de l'abbaye Saint-Magloire, et relatives aux droits que ce monastère possédait sur une partie de la rivière, que la portion de la Seine faisant partie de son fief s'étendait « jusques au grand pont de pierre entre le pont aus « Changeurs et le pont aus Musniers (1492). » - «Jusques au pont « anciennement appellé le pont du Roy, duquels les pilliers sont « encores apparents entre le pont aux Meuniers et le Grand Pont » (ici pont aux Changeurs) (1506). - « Depuys le Viel Pont ancien- « nement appellé le Grand Pont, qui est assis entre le pont aux « Musniers et le pont au Change (1537). » Et nous avons retrouvé les mêmes formulesen 1488, 1540, 1547, etc. Or, puisque le Grand Pont se trouvait entre l'emplacement du pont aux Meuniers et celui du pont aux Changeurs, il fallait que, partant de l'extrémité de la rue Saint-Barthélemy, il se dirigeât vers la porte du Châtelet. C'est, en réalité, ce qui avait lieu, et nous espérons que la suite de cette notice achèvera de rendre le fait d'une évidence palpable.

Nous croyons avoir élucidé la question topographique relative aux ponts qui nous occupent ; nous allons essayer d'éclaircir la question de leur origine, laquelle se présente déjà moins confuse. En la dégageant d'ailleurs de l'obscurité où elle est restée plongée jusqu'à ce jour, nous nous trouverons souvent en opposition avec les diverses opinions formulées dans les livres. Nous ne pen- sons pas néanmoins devoir assumer la tâche oiseuse d'en relever/ une à une les inexactitudes. Nous avons cette confiance que no- tre démonstration, sans cesse appuyée de preuves irréfragables, suppléera avec avantage à une suite de réfutations particulières , qui pourraient avoir pour résultat de fatiguer l'esprit du lecteur, en lui rendant plus difficile le souvenir de la vérité.

US PONT DB CHARLES LE CHAUVE ET LE GRAND PONT.

Le plus ancien auteur qui parle de Paris, César, nous apprend qu'on y parvenait par des ponts, et l'empereur Julien , dans son Misopogon , nous fait savoir que ces ponts étaient bâtis en bois, et

qu'il s'en trouvait sur chacun des bras de la rivière. Il en était de même dans la première moitié du IX* siècle , et les ponts , au nom- bre de deux seulement, occupaient alors le même emplacement que sous la domination romaine ; mais bientôt un événement im-

portant modifia l'ancien état de choses. En effet, l'an 861, Charles

This content downloaded from 195.78.108.157 on Thu, 22 May 2014 16:28:30 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 10: RECHERCHES SUR L'ORIGINE ET LA SITUATION DU GRAND PONT DE PARIS, DU PONT AUX CHANGEURS, DU PONT AUX MEUNIERS, ET DE CELUI DE CHARLES LE CHAUVE

RECHERCHES SUR LBS ANCIENS PONTS DE PARIS. 201

le Chauve voulant défendre Paris contre les ravages des Normands et les empêcher de remonter la haute Seine, fit construire un nouveau pont d'une extrême solidité, et le munit de forts à ses deux extrémités. Le fait est relaté en ces termes par un historien contemporain , Adon , archevêque de Vienne : Rex Carolus aliquot amos adversus Danos atque Northmannos variis eventibus dimicans, pontem mine firmitatis adversum impetum eorum, super Sequanam fieri constituit , positis in utrisque eapitibus castellis artificiosissime fundatis, in quibus ad custodiam regni prxsidia disposili t. Où était placé ce pont fortifié? La question a été vivement controversée et n'a jamais reçu de solution complètement satisfaisante. Suivant Dubreuil , le pont de Charles le Chauve serait le même que le pont au Change de son temps, ce qui est entièrement faux. Suivant Sauvai, que presque tous les auteurs ont ensuite copié, ce serait le même que le pont au Change actuel. Si l'on ne veut pas considérer cette assertion comme aussi fausse que celle de Dubreuil , il faut au moins admettre qu'elle offre bien peu de précision, car le pont au Change que nous voyons représente trois ponts détruits et fort distincts, le Grand-Pont, le pont aux Changeurs et le pont aux Meuniers, et la difficulté est de déterminer lequel est réellement dû à Charles le Chauve. Conséquemment , en disant que le pont de Charles le Chauve est le même que le pont au Change de nos jours, ce qui est devenu une phrase banale, on laisse le dilemme tout en- tier. On fait pis encore, on suggère deux idées fausses, au détri- ment de la vraie.

Bonamy, célèbre antiquaire de l'autre siècle, n'a pas cru, lui, que le pont de Charles le Chauve ait été situé sur l'emplacement du pont au Change. Dans un travail publié dans le XVIIe volume des Mémoires de l'Académie des inscriptions , il dit que le pont de Charles le Chauve devait partir des environs du For-l'Évêque, et, traversant toute la rivière , aboutir sur la rive gauche vers l'extré- mité de la rue Pavée-Saint-André. Il ne donne pas d'ailleurs de bien grands développements à cette thèse , qu'il appuie sur plu- sieurs faits certainement inexacts , tels que l'existence d'une en- ceinte se terminant au For-l'Évêque; et sur d'autres qui, s'ils ne sont pas faux, n'ont pas pour résultat les conséquences qu'il en tire. Ainsi, comme le fait observer de Mauperché, les pilotis dé- couverts en curant le lit de la Seine sont ceux du moulin de la Monnaie, auparavant dit de la Gourdaine, et ne prouvent rien par rapport au pont de Charles le Chauve. Cette circonstance que le pont au Change moderne n'était pas de la paroisse Saint-

This content downloaded from 195.78.108.157 on Thu, 22 May 2014 16:28:30 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 11: RECHERCHES SUR L'ORIGINE ET LA SITUATION DU GRAND PONT DE PARIS, DU PONT AUX CHANGEURS, DU PONT AUX MEUNIERS, ET DE CELUI DE CHARLES LE CHAUVE

302 REVUE AACBéOLOGIQUB .

Germain l'Auxerrois ne signifie rien non plus, puisque deux de ceux qu'il a remplacés étaient de cette même paroisse. Enfin, le passage d'Abbon :

Australis gestabat eum vertex , sed et arcem Quse tellure manet sancti fundata beati.

outre qu'il est douteux qu'on doive l'entendre comme l'a fait Bonamy, dans le cas même où sa version serait exacte, n'impli- querait pas que son système le fût aussi , car si la masse du fief de l'abbaye Saint-Germain des Prés se terminait à la place du pont Saint-Michel, il comprenait encore des portions du terrain ren- fermé entre la Seine et la rue de la Hucbette, et ces portions étaient assez vraisemblablement plus considérables avant la création des petites censives, telles que celles de Gloriette et de la grande Con- frérie, qui en ont fait partie plus tard , et peuvent en être des mor- cellements peu anciens. La rivière y était également incluse jus- qu'au Petit-Pont, comme le fait voir une contestation que l'abbaye eut avec le chapitre Notre-Dame, en 1192 (1).

Jaillot , incomparablement le meilleur auteur qui se soit occupé de la topographie ancienne de Paris, s'est rallié à l'opinion de Bonamy, mais en même temps qu'il déclare accepter son système , il le modifie assez pour en faire un nouveau, il faut le dire, bien plus inconséquent et prêtant encore davantage à la critique que celui de Bonamy. 11 suppose, en effet, que le pont de Charles le Chauve était double et que la première partie remplacée , dit-il , par le pont aux Meuniers, occupait la place qu'il attribue à tort à ce dernier, c'est-à-dire que commençant vis-à-vis le bout de la rue de la Sau- nerie, il se terminait entre la tour de l'Horloge et celle qui vient après. Pour la seconde partie , elle aurait été située vers l'emplace- ment du pont Saint-Michel. Les objections naissent en foule contre cette hypothèse; la principale c'est que dans ce cas, Charles Je Chauve n'eût pas fait construire un pont , comme tous les docu- ments le (iisent, mais bien deux ponts aussi distincts que possible , puisqu'ils auraient été séparés l'un de l'autre par toute l'île de la Cité qui, il est vrai, plus étroite alors qu'aujourd'hui, ne pouvait cependant pas avoir, à l'endroit indiqué , moins de cent soixante et quelques mètres de largeur. Nous ferons voir plus loin la fausseté des prétendues preuves au moyen desquelles il s'est efforcé d'éta- blir l'existence d'un pont carolingien sur le petit bras de la Seine.

(1) D. Bouillart. Hist, de l'Abb., p. 108.

This content downloaded from 195.78.108.157 on Thu, 22 May 2014 16:28:30 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 12: RECHERCHES SUR L'ORIGINE ET LA SITUATION DU GRAND PONT DE PARIS, DU PONT AUX CHANGEURS, DU PONT AUX MEUNIERS, ET DE CELUI DE CHARLES LE CHAUVE

RECHERCHES SÛR LBS ANCIENS PONTS DE PARIS. 203

Au reste, nous nous expliquons parfaitement comment l'esprit si lucide de Jaillot a pu être conduit aux erreurs qu'il a commises sur ce sujet : il cherchait à concilier sa conviction que le pont de Charles le Chauve était une construction nouvelle et non la réédiflcation d'une construction ancienne, et la corrélation que les titres lui enseignaient avoir existé entre ce pont et celui dit aux Meuniers.

On voit par ce qui précède, que les questions soulevées à propos du pont de Charles le Chauve n'ont été rien moins que résolues par les auteurs qui les ont traitées; plus heureux que ceux qui sont venus avant nous, nous avons réussi à recueillir des renseignements au moyen desquels il nous a été possible d'arriver à la vérité; du moins en avons-nous la persuasion et nous berçons-nous de l'es- poir de faire partager noire conviction au lecteur. Voici ce qui nous paraît avoir eu lieu.

Il n'y avait originairement à Paris que deux ponts, l'un jeté sur le bras méridional et situé au lieu même où se trouve encore le Petit-Pont ; l'autre jeté sur le bras septentrional et situé , non pas comme on l'a toujours cru, vers le lieu où se trouve aujourd'hui le pont au Change, mais au contraire, et ainsi qu'il le sera démontré plus tard (1), au lieu même où a été bâti le pont Notre-Dame, lequel, on le sait, a été précédé par un pont de bois, dit les

(1) Nous avons hâte de le dire, c'est à l'obligeance de M. Th. Vacquer que nous devons la connaissance de ce fait si capital et si nouveau. Plus d'une fois nous nous sommes étonné de cette étrange brisure de la grande voie antique, et nous avons compris qu'il y avait là une matière à étudier, une question à éclaircir ; mais notre attention était absorbée par d'autres sujets, et d'ailleurs les moyens de vérification nous auraient fait défaut. Ce ne sont point en effet les textes qui devaient donner le mot de l'énigme : pour l'obtenir, il fallait préalablement que des données nou- velles et d'une nature toute spéciale, surgissent sans rester inaperçues. Ces données, le sol remué parles travaux récents ena fourni, et M. Vacquer, avec un zèle et une perspicacité qu'on ne saurait trop louer, les a recueillies et en a su tirer les consé- quences. Puis, comme il arrive toujours en pareil cas , ayant résolu la question a priori , au moyen des preuves matérielles dont il disposait, il a vu que tous les ren- seignements historiques connus venaient confirmer son opinion. Les lecteurs de la Revue devant avoir bientôt sous les yeux un mémoire où M. Vacquer établit son système, nous n'avons pas à insister pour en démontrer l'excellence ; nous nous bornerons à dire que tout ce que nous savons de l'ancien Paris vient à l'appui, et qu'il n'est pas pour nous un fait de semblable nature , dont la vérité nous paraisse plus évidente, plus incontestable. Quand donc, de ses longues recherches sur le Paris gallo-romain et mérovingien, M. Vacquer n'aurait obtenu que la découverte mportante que nous venons de signaler, il faudrait vivement l'en féliciter, mais nous savons que bien d'autres succès ont récompensé ses efforts, et lui mériteront la reconnaissance de tous ceux qui s'intéressent à l'histoire de l'antique Lutèce.

This content downloaded from 195.78.108.157 on Thu, 22 May 2014 16:28:30 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 13: RECHERCHES SUR L'ORIGINE ET LA SITUATION DU GRAND PONT DE PARIS, DU PONT AUX CHANGEURS, DU PONT AUX MEUNIERS, ET DE CELUI DE CHARLES LE CHAUVE

204 REVUE ARCHÉOLOGIQUE. Planches de Mibray, reste évident du pont primitif (1). Ce pont, le Grand Pont du temps, construit seulement pour communiquer de la ville au faubourg, et ďailleurs couvert de maisons (2), ne pouvait être utilisé pour défendre la ville. Charles le Chauve dut donc en édifier un autre plus solide et mieux placé , lorsqu'il con- çut le projet d'empêcher les Normands de remonter la Seine. Ce pont, c'est celui qu'au XIIe et au XIIIe siècle on appelait le Grand Pont. Bâti avec infiniment plus de soin que l'autre, il avait résisté pendant que ce dernier, tombé en ruine avec le temps , avait tout à fait perdu son importance et n'était plus qu'une sorte de passe- relle, un pont qu'on « passait à planche, » au dire de Raoul de Presles. De là la translation du nom de Grand Pont à celui du IXe siècle, dont la tête fortifiée est devenue le Grand-Châtelet. On va voir que notre version non-seulement concorde parfaitement avec toutes les données connues , mais qu'elle est la seule qui les explique, et contre laquelle ne s'élève pas d'objection sérieuse.

Dans la charte datée du 14 juillet 862, par laquelle Charles le Chauve fit don à l'évêque de Paris , Enée , du pont qu'il avait fait construire, ce monarque s'exprime ainsi: .... Pro totius utilitate regni nostri , ac defensione sánete Dei ecclesie atque Normannorum in - festatione.... Placuit nobis extra predictam urbem , de aerarli nostri sento , supra terram monasterii Sancti Germani suburbio commorantis , quod a priscis temporibus Autissiodorensis dicitur.... oportunum ma- jorem facere pontem. 11 résulte de ce texte que : Io Charles le Chauve ne fit pas rebâtir le pont du bras septentrional, qu'une circonstance quelconque aurait détruit, mais qu'il en fit construire un plus grand et dont le besoin se faisait sentir, par suite des ravages des Normands. Il n'y a effectivement pas dans la charte reedificare ma -

(1) Le passage où Raoul de Presles parle de ce pont semble impliquer qu'au XIV* siècle, on savait encore que, comme l'a constaté M. Vacquer, l'ancienne grande rue de la rive droite n'était pas la rue Saint-Denis, mais la rue Saint-Martin; on lit en effet dans le chapitre xxvi de livre V de la Cité de Dieu% ces paroles assez explicites. «Cette porte (l'archet Saint-Merry), aloit tout droit sans tourner à la ri- vière, au lieu que l'en dit les planches de My Bray, et là avoit ung pont de fust, et s'adressoit droit à Saint-Denis de la Chartre, et de là, tout droit parmy la Cité, sa- dressoit à lautre pont que l'en dit petit pont. Et estoit ce lieu dit, à proprement par- ler les planches de Mybras, car c'estoit la moitié du bras de Seine ; et qui auroit une corde et la men, ist de la porte Saint-Martin jusques à la rivière , à la Juyère (la rue de la Cité ou Juiverie) droit au petit pont de pierre abatu, et de là jusques à la porte Saint-Jacques, elle iroit droit comme une ligne sans tourner çà ne là. »

(2) Dans une vie de saint Lubin, publiée par Duchêne, il est question de ces maisons : Domos péndulas quxper pontem construct œ étant .

This content downloaded from 195.78.108.157 on Thu, 22 May 2014 16:28:30 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 14: RECHERCHES SUR L'ORIGINE ET LA SITUATION DU GRAND PONT DE PARIS, DU PONT AUX CHANGEURS, DU PONT AUX MEUNIERS, ET DE CELUI DE CHARLES LE CHAUVE

RECHERCHES SUR LES ANCIENS PONTS DE PARIS. 205

jorem pontem, comme cela devrait être, s'il avait seulement rétabli le pont qui existait déjà avant lui , mais il y a pro Normannorum infes- tât ione.... oporlunum majorem facete pontem.

2° Le nouveau pont était en dehors de la ville, extra urbem ; or il résulte du mémoire auquel nous avons fait allusion plus haut et de tous les documents que nous connaissons, que c'est seulement vers le XIIe siècle que les terrains à l'ouest de la rue Saint Denis ont com- mencé à se couvrir de maisons. Au XI' encore , cette artère deve- nue si importante plus tard, devait être hors de la ville et en longer les murailles ; c'est ce qui ressort de l'impossibilité de trouver au delà des jalons pour l'enceinte du faubourg septentrional , anté- rieure à celle de Philippe Auguste , et de ce que nous savons de l'époque où commença à se transformer le territoire en culture qu'on appelait Champeaux.

3° Le pont était situé supra terram monasterii Sancti Germani. Ce passage peut s'interpréter de deux façons différentes ; si l'on tra- duit supra terram , par sur la terre de Saint-Germain, il est à penser qu'il ne s'agit ici que de la circonscription paroissiale, et nous avons vu souvent que le pont aux Meuniers , édifié comme nous le dirons plus loin, sur les débris du grand Pont de Paris, et qui le représentait comme propriété, était de la paroisse Saint -Ger- main l'Auxerrois (1). D'un autre côlé, notre hypothèse est aussi confirmée si l'on traduit supra terram, par au-dessus de' la terre de Saint-Germain , ce qui peut être le sens, car la charte de 862 mon- tre que l'autorité de l'évêque devait s'étendre sur la rue Saint- Germain l'Auxerrois, que les titres postérieurs mentionnent comme étant en sa censive.

4° Le pont de Charles le Chauve ne peut pas avoir été situé au lieu qu'indique Bonamy, car dans ce cas il eût fait partie du fief de l'abbaye Saint-Germain des Prés qui possédait la rivière, sur la rive droite , jusqu'au Châtelet , ce dont les archives de ce monastère ne permettent pas de douter ; or, il ne se trouve pas une trace de ce fait , circonstance fort concluante pour quiconque se rappelle com- bien les moines de l'Abbaye étaient jaloux de ce qu'ils croyaient leur appartenir, et combien souvent ils ont manifesté même des prétentions sur des terres qui ne leur appartenaient pas. Puis il se- rait assez étrange qu'on ne rencontrât nulle part d'indication ni de l'existence du pont si solidement construit, ni de l'influence qu'il

(I) On lit dans un acte de 1583 : « Demeurant sur le pout aux Meuniers, paroisse Saint-Germain l'Auxerrois. » Arch. du cb. N. D.

This content downloaded from 195.78.108.157 on Thu, 22 May 2014 16:28:30 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 15: RECHERCHES SUR L'ORIGINE ET LA SITUATION DU GRAND PONT DE PARIS, DU PONT AUX CHANGEURS, DU PONT AUX MEUNIERS, ET DE CELUI DE CHARLES LE CHAUVE

206 BBVUB ARCHEOLOGIQUE. dut avoir comme grande artère de communication. On peut con- stater historiquement que les lieux où Bonamy fait aboutir son pont n'ont été habités que fort tard , et il est facile de vérifier qu'aucune voie de quelque importance n'a jamais existé qui y ait pu servir de débouché ; or il est bien sûr que le contraire eût eu lieu si réellement le pont de Charles le Chauve eût été situé où il le dit.

5° Les arguments spécieux fournis par Jaillot, pour démontrer l'existence d'un pont fort ancien vers l'emplacement du pont Saint- Michel , sont tous erronés. De ce qu'on lit dans un bail de 1253 (1) : Quandam archam sitam in aqua Secarne Parisiiis , a parte parvi pon- tis, in gravaste, prope muros domus Regis Francise.... pro molen- dino.... ponendo, il ne s'ensuit nullement que ce fût un débris du pont de Charles le Chauve. Jaillot, qui avait vu bien des titres, au- rait pu savoir que le mot arche, rapproché de celui de moulin, n'im- plique nullement l'existence d'une arche du pont, mais qu'il paraît s'appliquer seulement à la construction en pilotis destiné à soutenir la roue et la cage renfermant le mécanisme. Ainsi nous trouvons dans un acte de 1452 l'indication d'un « moulin près l'Escorcherie « avec une arche où autreffois souloit avoir moulin. » Est-ce qu'il y a eu aussi un ancien pont à la hauteur de la rue de la Vieille Tannerie? (2).

Jaillot cite aussi une donation de 1287, où se trouve, afûrme-t-il, la phrase suivante : Dornum, quamdam sitam Parisius, ultra primum pontem, in vico Sancti Germani, a parte fratrum minorum, et ces mots ultra primum pontem lui paraissent prouver qu'il y avait au XIII* siècle deux ponts sur le bras méridional de la Seine. Nous avons vainement cherché ce titre dans les archives des Cordeliers, où il devrait être, et nous regrettons beaucoup de n'y avoir pu le découvrir, parce que nous ne doutons pas le moins du monde qu'il y ait là une faute, sinon de lecture, au moins de copiste. Qu'est-ce qui motiverait l'emploi de cette locution : ultra primum pontem? Si l'on comprend qu'elle ait pu être employée en parlant d'une mai- son située sur le bord même de la rivière, comment s'expliquer qu'elle soit appliquée à une maison située rue Saint-André des Arts? (rue Saint-Germain.) Pourquoi le pont de Charles le Chauve,

(1) Arch. Saint-Germain des Prés. (2) Nous avons vu souvent des exemples du mot arche employé dans ce sens oh

mime comité synônyme de moulin construit sur pieux ; on lit ainsi dans une charte de 1323 : « Un moulin ou arche, assis audessus du pont des moulins l'Éves- que de Paris (moulins du Gord).... tenant d'une part au moulin Saint-Eloy de Paris, et d'autre part à une arche vuide. »

This content downloaded from 195.78.108.157 on Thu, 22 May 2014 16:28:30 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 16: RECHERCHES SUR L'ORIGINE ET LA SITUATION DU GRAND PONT DE PARIS, DU PONT AUX CHANGEURS, DU PONT AUX MEUNIERS, ET DE CELUI DE CHARLES LE CHAUVE

RECHERCHES SÛR LES ANCIENS PONTS DB PARIS. 207

situé plus loin du centre de la Cité et bâti plus tard que le Petit- Pont, aurait-il été, de préférence à ce dernier, appelé le Premier- Pont? Pourquoi enfin ne se voit-il nulle part ailleurs qu'on se soit servi d'une pareille désignation, et cela lorsque tant de chartes se rapportent à cette région? Ce n'est pas ultra primům pontem que l'on a dû écrire dans la donation de 1287, mais c'est ultra parvum pontem , formule si commune alors pour indiquer le quartier de la rive gauche, dit l'Université.

Jaillot indique encore une pièce de 1316, où il est question d'une maison « près le Petit-Pont, rue d'Hirondelle, louchant par « derrière à celle de l'évêque de Chartres, et celle du Maître et Gou- « verneur de l'hôpital Saint-Jaques du Haut-Pas, tenant vers le « Petit-Pont à la maison d'Henri de la Marche, d'une part; d'autre, « à la rue de la Boucherie , aboutissant par devant à la Grande-Rue « Saint-André-des-Ars. » Cette citation n'est pas heureuse; s'il y a à tirer une conclusion de ce texte embrouillé (1), elle ne corrobore pas, mais infirme au contraire l'opinion de Jaillot, car on ne voit en aucune façon qu'il soit fait allusion ici à un autre petit pont que celui qui porte encore ce nom. Et si, comme le fait observer Jaillot, et comme cela est vrai, on a quelquefois énoncé ce dernier Vieil Petit- Pont, c'est seulement après la construction du pont Saint- Michel et pour l'en distinguer. 11 est entièrement faux que cela ait eu lieu dès 1300. En somme il n'existe aucun fait affirmatif en fa- veur de l'hypothèse de Jaillot, et tout se réunit pour démontrer qu'elle est fausse.

6° L'identité du pont de Charles le Chauve et du Grand-Pont allant de la rue de la Barillerie au Châtelet, est démontrée par ce fait que le chapitre Notre-Dame a toujours été, depuis, en posses- sion de la seigneurie du Grand-Pont , et a constamment justifié cette possession par la donation faite en 862 à l'évêque Énée. Si le pont de Charles le Chauve était autre que le Grand-Pont , l'Évêque ou le Chapitre auraient conservé leurs droits féodaux sur le lieu où il

(1) Ce texte est peut-ilre fautif, car nous ne pouvons nous rendre compte de l'emplacement occupé par la maison dont il y est parlé, qu'en supposant que la rue de la Boucherie désigne ici la rue Gilles-Cœur. Or, celle-ci n'est jamais appelée ainsi et n'a guère eu motif de l'être , puisque la Boucherie Saint-Germain, située sur le quai des Augustins et aboutissant à la Seine, était tout proche, non de la rue Gilles- Cœur, mais du coin de la rue dite depuis Place du pont Saint-Michel. Et pourtant il n'est pas d'autre moyen de concilier les données fournies par l'acte, et qui éta- blissent que la maison en question élait entre les rues Saint-André et de l'Hiron- delle, derrière la demeure de l'évêque de Chartres située sur la rue Gilles-Cœur, entre la rue de l'Hirondelle et le quai.

This content downloaded from 195.78.108.157 on Thu, 22 May 2014 16:28:30 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 17: RECHERCHES SUR L'ORIGINE ET LA SITUATION DU GRAND PONT DE PARIS, DU PONT AUX CHANGEURS, DU PONT AUX MEUNIERS, ET DE CELUI DE CHARLES LE CHAUVE

208 REVUE ARCHÉOLOGIQUE. aurait été situé, et sans doute après sa destruction, ils auraient fait relever les moulins dont il était garni (1), comme ils firent re- lever ceux du Grand-Pont après qu'il fut ruiné ; or, le seul point du lit de la Seine où ils aient eu droit de censive , est précisément l'emplacement du Grand-Pont ou du pont aux Meuniers qui lui a succédé (2).

Le pont de Charles le Chauve, devenu le Grand-Pont de Paris, fut plusieurs fois fortement endommagé et même renversé en partie par les glaces et les inondations ; il exista néanmoins jusqu'en 1296; le 20 décembre de cette année, il tomba une dernière fois et pour ne plus se relever. Au reste , les débris en subsistèrent longtemps, et les textes que nous avons cités plus haut prouvent qu'on les aper- cevait encore au XVIe siècle ; mais dès 1465 déjà, on ne voyait plus que les fondations des piles et les culées, car dans une déclaration foncière de celte même année, on lit que le chapitre Notre-Dame avait droit de justice « depuis ledit poni au-dessus (pont aux Meu- « niers), jusques au pont des Changeurs (3), où soulloit ancienne- « ment estre le grant pont appellé Noslre-Dame (4), et encore ap- « parroissent les fondenicns des pilliers, et aux deux bouts les « grosses masses dudit pont. » Au reste, les fondations de l'ancien Grand-Pont ont été retrouvées lors de la construction du pont au Change moderne; Sauvai nous a conservé à ce sujet les curieux détails que voici ; ils indiquent la singulière étroitesse du pont dé-

fi) il est fait mention de ces moulins dans la charte du 14 septembre 909, par la- quelle Charles le Simple confirme a l'église de Paris la propriété du pont qu'elle devait à la générosité de son aïeul.

(2) Dans un arrêt du Parlement du 11 août 1550 (Arch. imp. rég.X. 4942, f° 254 v°) rendu à propos de la justice prétendue par le Chapitre N. D. sur certaines maisons au bout septentrional du pont aux Meuniers, on voit que cette communauté repré- senta que « le pont aux Musniers... anciennement estoit appellé le Granl-Pont » et « que le roy Charles le Chaulve qui l'avoit faict bastir pour résister aux molestes que les Normands luy faisoient.... donna icelluy pont a ung evesque de Paris qui estoit de son temps nommé iEneas, avec le fond , la voye qui conduit jusques à Sainct-Ger- main de l'Auxerrois, pour en jouir à tousjours. Apres y eut quelque traicté faict entre l'Évesque de Paris et le Chappilre par lequel traicté fut baillé par l'Évesque au Chappilre, le pont. » On fit observer de plus que le Chapitre en avait toujours joui, et que dès 1245 on en trouvait des preuves dans ses archives. Personne ne contesta ces faits qui étaient de notoriété publique alors. (3) Celte phrase est mal formulée, mais elle ne saurait être faussement interprétée

après les citations qui la précèdent ; il est clair que le pont aux Changeurs ne pouvait occuper l'emplacement du Grand-Pont , puisqu'il laissait voir le reste des piles et des culées de celui-ci. (4) Nous ne connaissons pas d'autre exemple de cette désignation appliquée au

Grand-Pont.

This content downloaded from 195.78.108.157 on Thu, 22 May 2014 16:28:30 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 18: RECHERCHES SUR L'ORIGINE ET LA SITUATION DU GRAND PONT DE PARIS, DU PONT AUX CHANGEURS, DU PONT AUX MEUNIERS, ET DE CELUI DE CHARLES LE CHAUVE

RECHERCHES SUR LES ANCIENS PONTS DE PARIS. 209

trait en 1296, et justifient d'ailleurs les mots mirx firmitatis de la chronique d'Àdon. « Dans un des batardeaux qu'il fallut faire, il se « rencontra une partie de pile bâtie d'une manière toute différente « de celle qui présentement est en usage; je la veux décrire confor- « mément à un devis qui me fut communiqué en 1641 par un des « entrepreneurs qui l'examina soigneusement, et qui croyait aussi « bien que ses associés, et sans doute avec raison, que les autres « piles et le pont tout entier étoient de la même fabrique.

« Il y restoit six assises de pierre de liais ; d'un bout elles finis- « soient en avant-bec ou en pointe; de l'autre, en carré ou en « équierre ; sans compter l'un et l'autre, elle avoit quinze pieds de « long, sur huit ou neuf de large ou d'épaisseur; de ces pierres, « quelques-unes faisoient le parpain ou la face et le parement des « deux côtés , les autres le dedans ou le remplage du milieu.

« Celles-ci avoient dix pouces de haut, celles du parpain douze; « pour ce qui est de la longueur, les unes étoient de quatre à cinq « pieds, les autres de six et sept; aucune n'étoit taillée en cintre, mais « à la façon d'un pont plat de bois, porté sur des piles de pierre.

« Toutes étoient aussi entières et saines qu'au sortir de la carrière, et même aussi polies que si Ion eut fait que de les mettre en œuvre.

« Enfin, elles étoient enclavées et taillées de tous côtés en queue « d'aronde, comme parlent les maçons, outre cela jointes avec du « ciment rempli d'abreuvoirs , pour user encore de leurs termes, « mais toutes attachées avec des crampons , scellés en plomb , que « pour en arracher une seulement, il falloit arracher une assise « toute entière.

« On trouva dessous, des morceaux de bois de chêne, longs de « sept à huit pieds , larges de dix pouces , épais de six ou environ, « qui ne ressembloient aucunement à une platteforme ; par dehors « ils étoient noirs comme de l'ébène, et par dedans, de la couleur « qu'ils devroient avoir, si on les eut taillés tout nouvellement (1).»

Au Grand-Pont de Paris en succédèrent deux autres , l'un occu- pant une portion de son emplacement, le pont aux Meuniers ; l'autre entièrement nouveau , le pont aux Changeurs.

LE PONT AUX MBUNIERS.

Pour indiquer la position des moulins par rapport au Grand-Pont, il est ordinairement fait usage, dans les chartes, des expressions sub,

(1) Sauval, 1. 1, p. 225. XII. 14

This content downloaded from 195.78.108.157 on Thu, 22 May 2014 16:28:30 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 19: RECHERCHES SUR L'ORIGINE ET LA SITUATION DU GRAND PONT DE PARIS, DU PONT AUX CHANGEURS, DU PONT AUX MEUNIERS, ET DE CELUI DE CHARLES LE CHAUVE

SIO REVUE ARCHÉOLOGIQUE .

subter , sublus ; cela signifie sans doute que ces moulins étaient en aval du pont, et s'y appuyaient seulement par leur partie antérieure, comme cela a généralement lieu dans les constructions analogues. Or, lorsque après l'inondation de 1296, on conçut le projet de réédi- fier les moulins, ce qui ne put tarder à cause de leur utilité pour les habitants de la ville, et à cause des bénéfices qu'ils rapportaient à leurs propriétaires, il n'y avait aucun motif de les déplacer, et il y en avait, bien loin de là, plusieurs de les relever au même lieu ; on pouvait ainsi , par exemple, utiliser les débris qui avaient survécu au débordement. Une charte du mois de septembre 1298 montre que cela eut lieu effectivement. C'est un accensement fait par le Chapitre Notre-Dame, à Guillaume de Petit-Pont et sa femme, d'une arche du Grand-Pont, à la charge d'y construire un moulin ; l'acte contient cette clause : « Quod si contigerit magnum pontem parisiensem lapideum. super destructum, reßci seu reedifßcari , et per edifieium seu refectionem ejusmodi dictum molendinum impedir i.... ad solvendum eensum dicti cônjuges minime teneantur (1). » Les restes des arches ne furent pas seuls mis à profit; il est évident que les maisons de la pointe entre les ponts aux Meuniers et aux Chan- geurs furent bâties sur la culée méridionale du Grand-Pont.

Le pont aux Meuniers doit son origine à cette reconstruction des moulins du Grand-Pont, reconstruction qui ne fut pas spontanée , mais successive , et finit par former une chaîne de bâtiments tra- versant la rivière, et reliés entre eux par une voie que les besoins des propriétaires leur rendirent commune. Ces faits sont consignés dans une sentence du Prévôt de Paris , rendue en 1323. On y lit : « Que ledit pont que len dit le pont des Moulins , feust tout con- « joint ensamble ; toutes voies avoit-il esté fait par plusieurs fois , « et par les personniers, chascun en droit soy, à qui lesdiz « moulins estoient, et que celui qui avoit le premier moulin « assis audit lieu, avoit et devoit avoir fait le premier pont et l'en - « trée d'icelui en droit soi , et touttes les autres personnes qui « avoient moulin audit lieu , avoient ainsi fait chascun en droit soi, « pont, pour la suitte de leurs moulins qu'ils avoient auxdits lieux, « et chascun a leurs propres cous. Et que du premier pont tous les « avoient (sic) moulins après, chascun en droit soi, avoient et pre- « noient assiente pour aler a leursdits moulins. (2) »

Nous avons vu aussi dans les archives du Chapitre Notre-Dame

(1) Archives du Chap. N. D. (3) Cart, de Salnt-Magloire, f> 273.

This content downloaded from 195.78.108.157 on Thu, 22 May 2014 16:28:30 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 20: RECHERCHES SUR L'ORIGINE ET LA SITUATION DU GRAND PONT DE PARIS, DU PONT AUX CHANGEURS, DU PONT AUX MEUNIERS, ET DE CELUI DE CHARLES LE CHAUVE

RECHERCHES SUR LES ANCIENS PONTS DE PARIS. 211

l'acte de vente, tiaté de 1316, d'un moulin qui est désigné comme « assiz delez Grant Pont, et assiz jadis sous la meson qui fut Jehan « de Laigny. » Une autre charte de la même année mentionne « un « moulin à yeaue séant seur Grant-Pont en Seine. » Ces locutions répétées dans des titres de 1317, 1318, 1328 et autres, prouvent la vérité de notre opinion sur l'origine du pont aux Meuniers , que démontre de plus ce passage d'un acte de 1533 : « Jusques au Grant- « Pont de pierre estant de présent en ruyne, assis et qui souloit « estre joignant le pont aux Musniers. » Enfin, on observe encore que les moulins du pont aux Meuniers étaient placés exactement dans le même ordre et avaient exactement les mêmes propriétaires que ceux du Grand-Pont. De ce qui précède, il résulte nécessaire- ment que le Grand- Pont doit avoir donné l'alignement du pont aux Meuniers; or, comme nous connaissons la direction de celui-ci, nous constatons que la direction du premier est bien celle que nous avons indiquée. Par contre, l'exactitude de notre affirmation rela- tivement à l'emplacement du pont aux Meuniers est confirmée une fois de plus.

Jaillot parlant d'une sentence arbitrale de 1296, en donne comme extraite la phrase suivante: «Jusqu'au viez Grant-Pont de pierre, « lequel souloit estre où le pont des Molins est à présent ; » laquelle impliquerait que le pont aux Meuniers existait déjà à cette époque. 11 n'en est rien, parce que la phrase en question ne se trouve pas dans le texte de la sentence; c'est simplement une note, un som- maire placé en tête, et qui a été rédigé en l'année où le Cartulaire a été écrit, c'est-à-dire en 1330.

Il résulte des textes que nous venons de transcrire, qu'au com- mencement du XIV* siècle, on ne donnait encore aucun nouveau nom à la réunion des moulins reconstruits après l'inondation de 1296. Mais dès 1323 on disait déjà : « Le pont aus Muniers delez « Grand-Pont » et « le pont des Molins. » Cette dernière appellation a été très-vite abandonnée, et la première a toujours été d'un usage général; elle est seulement quelquefois modifiée en celle de « Grand-Pont aus Musniers , » ce qui était fait sans doute avec l'in- tention de rappeler que le pont aux Meuniers avait succédé au Grand-Pont placé en la seigneurie du chapitre Notre-Dame. Tous les auteurs disent que le pont aux Meuniers s'est nommé aussi pont des Coulons. Nous doutons que le fait soit exact, car nous n'en avons jamais rencontré de preuves positives, et nous sommes cer- tain, au contraire , que le nom de pont aux Coulons a été appliqué au pont aux Changeurs, comme nous le dirons plus bas.

This content downloaded from 195.78.108.157 on Thu, 22 May 2014 16:28:30 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 21: RECHERCHES SUR L'ORIGINE ET LA SITUATION DU GRAND PONT DE PARIS, DU PONT AUX CHANGEURS, DU PONT AUX MEUNIERS, ET DE CELUI DE CHARLES LE CHAUVE

212 REVUE ARCHÉOLOGIQUE. Le pont aux Meuniers « n'est voie publicque » disent une pièce de

procédure du XVIe siècle (1), et deux déclarations de 1549 et 1586 ; il servait exclusivement à la commodité de ses habitants. En 1514 , l'un d'eux, un nommé Haultement qui possédait une maison située à l'extrémité, du côté du palais, s'imagina de le fermer, sous pré- texte que le libre passage était préjudiciable à sa maison. De là un procès entre lui et les autres propriétaires ; il fut terminé le 5 jan- vier par un accord, où il est stipulé que les parties « consentent que « ledict passage soit ouvert et desclos à toujours, de la largeur du- « diet pont aus Musniers, pour passer et rapasser les chevaulx « chargez de blez et farines moulans et qui se mouldront esdicls « moulins, et autres choses qui seront nécessaires aus musniers et « habitans dudict pont qui sont à present et seront cy après, fors et « excepté les meulles , gros bois et autres choses qu'il conviendra « pour la reparación desdicts moulins et maisons estans sur ledict « pont , qui se meueront par la rivière (2). »

Le 22 décembre 1596, à sept heures du soir, juste trois cents ans après la chute du Grand-Pont, le pont aux Meuniers s'écroula dans sa plus grande partie, car il n'y resta qu'un moulin au sud et trois au nord. En 1596, Charles Marchand, capitaine des trois cents arquebusiers de la ville, proposa de le faire reconstruire à ses dé- pens, à la charge qu'il porterait son nom. En janvier 1598, il obtint à ce sujet des Lettres patentes où il est dit que le pont serait nommé pont des Marchands. Ces lettres ne furent enregistrées qu'en 1608 et le pont achevé en 1609. Au milieu du pont était une rue de trois toises de large, de chaque côté de laquelle s'élevaient des maisons à deux étages, d'architecture symétrique, et ayant chacune pour en- seigne un oiseau, ce qui fit que le vulgaire appela le nouveau pont pont des Oiseaux (3). 11 a été entièrement détruit par un incendie en 1621.

Voici la liste des moulins et maisons dont la réunion formait le pont aux Meuniers.

(1) Il y a cependant apparence qu'il le devint à la fin du XVIa siècle, car dans un bail de 1578 il est parlé de certaines échoppes qu'il ne serait pas permis de clore « afin que le cbemyn et passage dudict pont aux Musniers et que le publicq ne soit incommodé ny empesché de passer et le jour y soit conserré. » (Arch. Saint- Magloire.) (2) Archives de Saint-Magloire. (3) Et sans doute aussi pont aux Coulons, car c'est probablement au pont Mar-

chand que s'appliquent les passages suivants du censier de Saint-Magloire , année 1613: t En lautre bout du pont aux Changeurs audessoubz du pont aux Coulons - le pont aux Coulons qui est contre et joignant le pont aux changeurs. »

This content downloaded from 195.78.108.157 on Thu, 22 May 2014 16:28:30 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 22: RECHERCHES SUR L'ORIGINE ET LA SITUATION DU GRAND PONT DE PARIS, DU PONT AUX CHANGEURS, DU PONT AUX MEUNIERS, ET DE CELUI DE CHARLES LE CHAUVE

RECHERCHES SDR LES ANCIENS PONTS DE PARIS. 213 1° Le moulin de Chanteraine, de Cantu rane , mentionné dès 1248;

il était contigli à la tour de l'Horloge; en 1465, il n'existait plus; line maison s'élevait à sa place.

2° Le moulin des Bons-Hommes, dit aussi moulin de Lorloge en 1539, parce que , à celte époque, il était le moulin le plus voisin de la tour de l'Horloge. Il fut vendu en 1276 par l'abbaye de Saint-Cyr, aux religieux nommés les Bons-Hommes du bois de Yincennes, et ceux-ci le vendirent en 1569 & un nommé P. Hotman. En 1575, il était remplacé par une maison.

3° Le premier moulin du Temple. Il a subsisté jusqu'à la chute du pont, mais alors il n'appartenait plus au Grand Prieuré. Les frères du Temple avaient un moulin sur le Grand-Pont dès 1172.

Entre ce moulin et celui qui suit se trouvait , dès le XIII* siècle , la grande arche par laquelle passaient les bateaux.

4° Le moulin de Sainte-Opportune. Il appartenait à cette église dès 1280.

5° Le moulin de Saint-Merrt, mentionné dès 1280. 6° Le moulin de Saint-Magloire. Ce moulin est un des deux qui

furent donnés au monastère de Saint-Magloire par Henri Ier. 11 avait pour enseigne l'image Saint-Magloire, en 1536.

7° Le moulin de Saint-Martin des Champs. Ce prieuré avait un moulin sous le Grand-Pont dès 1070. Louis VII lui en confirma la possession en 1137.

8° Le deuxième moulin du Temple (1327). Il avait pour enseigne Vymage Saint-Nicholas, en 1578.

9° Le moulin de Saint-Germain-l'Auxerrois (1323). 11 avait pour enseigne la Corne de Cerf, en 1545 et plus lard, les images Sainte- Geneviève et Saint-Vincent.

10° Le moulin db Saint-Ladre ou Saint-Lazare. Il fut donné à saint Lazare par Philippe Auguste, en 1 190. Ce moulin était, en 1583, séparé du suivant par une ruelle de quatre pieds et demi de large à son extrémité occidentale et seulement de deux pieds et demi à son extrémité orientale. Elle avait neuf toises trois pieds de lon- gueur, dimension qui indique sans doute la profondeur des moulins entre lesquels elle était placée.

1 1° Le premier moulin du chapitre Notre-Dame. Il avait pour en- seigne le Soleil d'or, en 1578 et était aussi séparé par une ruelle du suivant.

12° Deuxième moulin du chapitre Notre-Dame, dit le Grand-Moulin (1479). Il avait pour enseigne V image Notre-Dame , en 1523.

This content downloaded from 195.78.108.157 on Thu, 22 May 2014 16:28:30 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 23: RECHERCHES SUR L'ORIGINE ET LA SITUATION DU GRAND PONT DE PARIS, DU PONT AUX CHANGEURS, DU PONT AUX MEUNIERS, ET DE CELUI DE CHARLES LE CHAUVE

214 REVUE ARCHÉOLOGIQUE. 13° Li troisième moulin du chapitre Notre-Dame. Ce moulin était

le premier au nord. En 1501, il est énoncé comme faisant le coin de la vallée de Misère. C'est parce que la maison suivante était démolie alors.

14° Maison des Ballances (1575), faisant le coin occidental du quai de la Mégisserie. Une partie de cetle maison paraît avoir eu pour enseigne le Collet d'or, en 1588. Attenante à l'ouest , se trouvait la maison du Soleil royal (1536), puis du Barillet d'argent (1579). Au commencement du XVI" siècle, les maisons des Balances et du Soleil n'en formaient qu'une, laquelle paraît s'êlre appelée la maison du Heaulme, en 1482.

Tous les moulins et maisons qui précèdent étaient de la censive du chapitre Notre-Dame et en aval de la voie du pont. En amont , nous avons seulement trouvé l'indication d'une Maison du pavillon (1585). Elle parait avoir été construite vers 1580; elle faisait à l'est le coin du quai.

Le pont aux Changeurs.

Après la grande inondation de 1296, le roi fit établir trois bacs, dont les revenus devaient être consacrés à reconstruire les ponts détruits. L'un de ces bacs allait du Terrain à la rue de Bièvre, l'au- tre de la rue des Bernardins à l'ile Notre-Dame, et le troisième de l'île Notre-Dame au port Saint-Paul (1); ils ne devaient par consé- quent suppléer que fort imparfaitement au Grand-Pont; il est donc à croire que le nouveau pont destiné à le remplacer ne tarda pas à être construit; mais toutes nos recherches ont été inutiles pour trouver des renseignemenls à ce sujet. Ce que nous savons seule- ment, c'est qu'en 1304 il existait certainement, puisque Philippe le Bel ordonna que du côté de la Grève, entre la grande arche et Saint-Leufroy, s'y tiendrait le Change, établi en 1141 sur le Grand- Pont, et réuni au domaine le 23 février 1359. C'est exclusivement ce nouveau pont qu'on a nommé dans la suite ■pont au Change ou des Changeurs , circonstance capitale qui, n'ayant jamais été comprise, a produit des erreurs et des contradictions innombrables. Si elle a été ignorée des historiens de Paris, du reste, elle était encore présente aux esprits dans le XVIe siècle, car un Besponsif sans date, mais de cette époque, rédigé pour saint Magloire, à propos d'un

(1) Sauvai, t. II, p. 201.

This content downloaded from 195.78.108.157 on Thu, 22 May 2014 16:28:30 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 24: RECHERCHES SUR L'ORIGINE ET LA SITUATION DU GRAND PONT DE PARIS, DU PONT AUX CHANGEURS, DU PONT AUX MEUNIERS, ET DE CELUI DE CHARLES LE CHAUVE

RECHERCHES ßüR LES ANCIENS PONTS DE PARIS. 215

procès que cette abbaye eut avec un nommé Th. Bahuet , contient ce passage : « Les nouveaulx ponts qui ont esté érigéz sur la rivière « de Senne, c'est assavoir le pont Notre-Dame.... et aussi le pont « aux Changeurs qui auroit et a esté construid et édiffìé après la « chutte du Grand-Pontz, qui estoit entre ledit pont aux Changeurs « et le pont aux Musniers. »

Le nouveau pont n'eut de commun avec l'ancien que la destina- tion ; il en fut distinct par sa situation, par sa mouvance, par le nom de pont aux Changeurs qu'il a seul porté, et même par sa construction , car il était de bois et le Grand - Pont était en pierre (1).

Il fut distinct par la situation et la seigneurie, car, comme nous l'avons démontré, le pont aux Changeurs se dirigeait vers la rue de la Vieille-Joaillerie , alors rue du Chevet-Saint-Leufroy, et non point vers la porte du Châtelet, comme le Grand-Pont, et par suite, il ne fut plus de la censive du chapitre de Paris, mais de celle du roi (2), preuve des plus formelles qu'il était considéré comme complètement différent de celui qui l'avait précédé.

L'on ne saurait d'ailleurs supposer que, si le pont aux Changeurs occupait, dans les derniers temps de son existence, l'emplacement que les plans cités plus haut lui assignent de manière à ne laisser aucun doute, il en a pu être autrement à une époque plus an- cienne, car on ne lui conçoit pas d'autre situation. En effet, s'il n'aboutissait pas à la rue Saint-Barthélemy, il n'avait d'autre accès que quelque ruelle étroite de la rue de la Vieille-Pelleterie, ce qui , eu égard à son importance, ne saurait s'admettre un moment, tous les titres tendant d'ailleurs à établir le contraire; et s'il n'abou- tissait pas à la rue du Chevet-Saint-Leufroy, il ne pouvait le faire

(1) Bonamy dit que le pont de Charles le Chauve était en bois et que Abbon l'ap- pelle pons pielus. Le passage du poème auquel il fait allusion est ainsi conçu :

Tres armavit atrox cuneos , quibus obtulit arci Majorem, pieto ponti geminosque parone .

Dans la traduction de M. Guizot, pioto est considéré au contraire, et avec bien plus de raison, comme s'accordant avec parone i « et les deux autres (corps), que portent des barques peintes, il les dirige contre le pont. »Nous croyons que le pont de Charles le Chauve était construit d'après le système mixte, c'esl-à-dire que le plancher était en charpente et les piles en pierre. C'est ce qui semble ressortir des diverses données qu'on possède. Plus tard on aura relié les anciennes piles par des arches, car le pont paraît avoir été tout en pierre au XIIIe siècle. (2) Il est appelé pont du Roy dans un titre de 1506.

This content downloaded from 195.78.108.157 on Thu, 22 May 2014 16:28:30 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 25: RECHERCHES SUR L'ORIGINE ET LA SITUATION DU GRAND PONT DE PARIS, DU PONT AUX CHANGEURS, DU PONT AUX MEUNIERS, ET DE CELUI DE CHARLES LE CHAUVE

216 RBVCE ARCHÉOLOGIQUE.

qu'à la ruelle de la Vieille-Tannerie, ce dont on ne trouve pas la moindre indication , et ce qui est moralement impossible ; ou bien enfin il débouchait entre la rue du Chevet-Saint-Leufroy, et alors il n'eût point eu d'issue. On ne peut davantage penser que le pont aux Changeurs a d'abord été situé sur l'emplacement même de l'ancien Grand-Pont, puisque dans ce cas il eût été de la censive du chapitre Notre-Dame, qui n'a jamais revendiqué de droit que sur le pont aux Meuniers. Enfin, il est si vrai que le pont aux Changeurs aboutissait rue du Chevet-Saint-Leufroi, que sous le règne de Charles V, Hugues Aubriot, prévôt de Paris, fit pro- longer cette rue jusqu'à la Grande-Boucherie, pour faciliter la cir- culation entre la Porle Paris et la Cité.

Aux preuves que nous venons de citer, pour établir que le Grand-Pont ne fut jamais reconstruit sur son emplacement pri- mitif et qu'il dut être remplacé par un autre, nous ajouterons la suivante, qui, seule, pourrait suppléer aux autres, et démontre de

plus que le Grand-Pont aboutissait, vers le sud, au lieu même que nous avons dit.

En 1330, le roi Philippe VI fit don à Jehan Domont, d'une « place « vuide séant au bout du Grand-Pont, joignant aus hostieux » du Palais, dont ledit Domont était concierge; et dans la charte de concession , fut insérée la clause que voici : « Réservé à nous « (le roi) et à nos successeurs, que toutteffoiz que nous ou euls « vouldrons reff air e grand pont là où il souloit estre de pierre ancien • « nement, nous pourrons prandre ladite place, laqueie souloit estre « le chemin dudit pont de pierre, pour l'allée dicelui Grand -Pont, « senz en faire audit Concierge nulle restitution, ne des ediffices ou « bastimens qui faiz y seroient. » Or, si l'on vérifie ce qu'il advint de cette concession qui , vers la fin du XVe siècle, passa aux mains des chanoines de la Sainte-Chapelle, on observe qu'elle était repré- sentée, en 1367, par « une maison et place assise contre la tour du « bout du Grant-Pont(tour de l'Horloge), tenant d'une part à l'arche « de Chanterenne, devers les moulins dudit Grant-Pont, et d'au- « tre part aus ouvroirs des tassetiers. » En 1421, par « une maison « assise sur la première arche du viel pont. » En 1525, par des « ouvrouers loges et appartenances.... joignans et contre lorloge « du Palais et eslans soubz le cadran d'icelle. » En 1588, par « des « eschoppes et boutiques endossées contre la tour de l'Horloge du « Palais. » « Une place tenant à ladite tour du costé du pont aus .. Meuniers; » et « un apentis et edifice estant au devant de ladicte

«place. » Enfin, au XVII' siècle, par les loges ou boutiques

This content downloaded from 195.78.108.157 on Thu, 22 May 2014 16:28:30 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 26: RECHERCHES SUR L'ORIGINE ET LA SITUATION DU GRAND PONT DE PARIS, DU PONT AUX CHANGEURS, DU PONT AUX MEUNIERS, ET DE CELUI DE CHARLES LE CHAUVE

RECHERCHES SDR LES ANCIENS PONTS DE PARIS. 217

adossées à la tour de l'Horloge. Ainsi , la clause que nous venons d'indiquer n'eut jamais à être exécutée. Conséquemment , il est bien certain que, comme nous le soutenons, le pont aux Changeurs n'occupa jamais l'emplacement de l'ancien Grand-Pont , et que ce dernier formait une continuation directe à la rue Saint-Barthé- lemy.

Le pont conduisant de la rue Saint-Barthélemy à celle de la Vieille-Joaillerie est le seul qui ait été appelé pont aux Changeurs, nom que les historiens, se copiant les uns aux autres, ont donné aussi au Grand-Pont, sans s'apercevoir de la confusion et des ab- surdités qui en sont la conséquence. Tous les faits antérieurs au XIV* siècle, que les auteurs disent s'être passés sur le pont au Change, sont, sans aucune exception, relatés dans les documents originaux, comme ayant eu lieu sur le Grand-Pont. Cette désigna- tion, en latin Magnus Pons et quelquefois Major Pons, est la seule qui ait été connue au XIII' siècle. C'est là un fait incontestable, facile à vérifier, et qui explique bien des obscurités et des mé- prises.

Le pont aux Changeurs ayant remplacé, comme voie de commu- nication , le Grand-Pont, il n'est pas surprenant qu'on lui ait donné le même nom, qu'il a exclusivement porté d'abord ; on le trouve ainsi énoncé, Grand-Pont, en 1307, 1317, 1404, 1429 et même en 1436 ; Grand-Pont de Paris en 1317, et simplement pont de Paris en 1313. Et de fait, quoi qu'on en ait dit, nous n'avons pu parvenir à trouver un titre antérieur au XVe siècle, où la dénomination de pont aux Changeurs ait été employée. Nous sommes loin d'affirmer néanmoins qu'elle fut inconnue plus anciennement , le change se tenant sur le pont dès son origine ; il est probable que ce fut pri- mitivement une appellation exclusivement h l'usage du vulgaire, et que le temps seul la fit accepter partout. On lit dans un titre de 1472 : « Grant-Pont de Paris que len dit de présent le pont aux « Changeurs. » Au XV4 siècle on a commencé à dire pont aux Changes, ce qui est seulement devenu commun au XVI« siècle. Quant âla désignation de pont au Change { au singulier), elle ne se voit guère qu'au XVII* siècle. 11 ne parait pas non plus qu'on ait fait usage de celle « pont à Billon , » qu'on trouve dans Villon ; mais il est sûr que le pont au Change a été nommé pont aux Cou- lons, car un titre de 1575 (1) énonce « le pont aux Changeurs, « aultrement appellé le pont aux Coulions. » Cette formule peu

(1) Arch, du chap. N. D.

This content downloaded from 195.78.108.157 on Thu, 22 May 2014 16:28:30 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 27: RECHERCHES SUR L'ORIGINE ET LA SITUATION DU GRAND PONT DE PARIS, DU PONT AUX CHANGEURS, DU PONT AUX MEUNIERS, ET DE CELUI DE CHARLES LE CHAUVE

218 REVOE ARCHÉOLOGIQUE.

usitée, et que nous n'avons pas vue avant 1529, dénote qu'on y vendait des pigeons; il est connu, en effet, que les marchands d'oiseaux qui y demeuraient étaient obligés d'en laisser envoler un certain nombre lors de l'entrée solennelle des rois. 11 y a eu aussi , dans le XVI* siècle, entre le pont aux Meuniers et le pont aux Changeurs, sur la vallée de Misère, un lieu dit la place ou marché aux Pigeons; c'est ce dont ne permettent pas de douter les extraits suivants de deux accensemenls, le premier de 1579, et 1« se- cond de 1588 : « Lappuye de charpenterie et gardefol estant le long « du pont aux Musniers, et du costé d'amont leaue.... qui est à len- « droict et place vague naguerre, prise à cens et rente par ledict « Courtois et de monsieur levesque de Paris et des relligieux et « couvent de Sainct-Magloire ; ladicte place faisant le coing du pont « aux Musniers.... du costé de la place aux Pigeons (1). » - « Place.... entre le marché aux Pigeons et la descente de labreuvoir « Popin (2). »

Une autre assertion des historiens de Paris, non moins universel- lement acceptée et non moins fausse que celles dont nous avons déjà fait justice, est que le pont au Change a été appelé pont de la Marchandise . 11 nous est aisé de prouver que les constructions dé- signées de cette sorte étaient toute autre chose qu'on ne l'a cru jusqu'ici.

En aval du pont aux Meuniers, en face de la vallée de Misère et aboutissant à la Seine, il y avait deux maisons : l'une ayant 15 pieds 9 pouces de largeur sur 32 pieds de profondeur, tenait vers l'est à la maison du Soleil royal , dont nous avons déterminé plus haut la position; l'autre, contigué à la précédente, mesurait, en 1511, 21 pieds de largeur par devant, 17 seulement par derrière , et 15 toises de profondeur (3) ; elle était isolée à l'ouest et formait le coin sur la grève. Ce n'est pas le pont aux Changeurs, mais ce sont ces maisons qui étaient qualifiées de « pont de la Marchan- dise. » Nous trouvons en effet la première, celle en amont, -énoncée pont de la Marchandise (1505), pont de la Marchandise au poisson

(1) Arch, du ch. N. D. (2) Arch, de la Ville. (3) En 1738 elle n'avait plu« que 3 toises de longueur sur 10 de profondeur ; elle

fut alors achetée par la ville pour élargir le quai. Nous en avons retrouvé le plan ainsi que celui des autres maisons voisines. - La maison de la Marchandise au sel est représentée sur la vue du pont aux Meuniers que de Mauperché a fait graver, d'après un ancien dessin , pour son livre intitulé : Paris ancien , Paris moderne.

This content downloaded from 195.78.108.157 on Thu, 22 May 2014 16:28:30 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 28: RECHERCHES SUR L'ORIGINE ET LA SITUATION DU GRAND PONT DE PARIS, DU PONT AUX CHANGEURS, DU PONT AUX MEUNIERS, ET DE CELUI DE CHARLES LE CHAUVE

RECHERCHES SCR LES ANCIENS PONTS DE PARIS. 219

deaue doulce (1532), et au6si maison des Bouticles (1579), et la se- conde, celle en aval, maison de la Marchandise (1495), et pont de la Marchandise au sel (1512). C'étaient des dépôts pour le poisson de rivière et pour le sel (1). Celte circonstance qu'elles étaient en partie construites « sur pieulx en la rivière, » pour faciliter le dé- chargement des bateaux, leur avait fait donner le nom de ponts , si singulier au premier abord. Voici quelques passages des diverses pièces qui nous ont mis à même de comprendre les faits que nous venons d'exposer : « Places vuides sur la rivière dje Seine, du costé « du Chastellet de Paris, près le pont de la Marchandise au sel et « des bouticles de Paris.... l'une dicelles.... tenant du long audict « pont de la Marchandise au sel, et daultre costé, du long, à ladicte « rivière de Seine, aboutissant d'ung bout, sur le devant, aux « maisons et edifices du pont de la Marchandise au poisson deaue «< doulce , et d'aultre bout à ladicte rivière , du costé de devers le « Palais (1511) (2). » - « Maison assise en la rivière de Saine, entre « le pont aux Musniers et le pont de la Marchandise au poisson « deaue doulce, près le Chastellet (1533). » - « Deux maisons en- « tretenantes au bout du pont aux Musniers , tant sur la rue par « laquelle on va dudict pont aux Musniers à la Megisserye que sur « ledict pont aus Musniers , en l'une desquels est pour enseigne le « Soleil royal , l'autre fait le coing dudict pont aus Musniers ; tenant « d'une part, tous lesdictz lieux au pont de la Marchandise, et d'aul- « tre part au chemyn ou rue dudict Pont-aux-Musniers (1536). >• - « Maison.... appellee la maison de la Marchandise, tenant d'un « costé, sur ladicte rivière, audict preneur (Simon Àgniton, qui avait « une place sur la rivière) , et d'autre part au Pont des marchands « de poisson deaue doulce, et à ladicte rivière (15..) » - « Deux « maisons (ce sont celles des Balances et du Soleil royal) tenant « d'une part à la rue par laquelle on va du Pont-aux -Changes à « la Mégisserie , d'autre part au pont aux Musniers ; d'un bout au « pont de la Marchandise; d'une autre part, du costé de leaue, au « premier molin dudict pont aux Musniers et partie de la rivière « de Seine (1525). » Nous pourrions de beaucoup multiplier ces ci- tations.

Le 24 octobre 1621, un incendie s'étant déclaré sur le pont Mar- chand, le feu se communiqua au pont au Change, qu'un très-petit

(I) Les rues de la Pierre à Poisson et de la Saunerie débouchaient sur celte place dite la vallée de Misère aujourd'hui en partie couverte par la maison n° 2 du quai de la Mégisserie. Voir le plan que nous donnons pins haut. (2) Arch, de l'abb. Saint-Germain des Prés.Cartul. des lies de la Seine, f° 88.

This content downloaded from 195.78.108.157 on Thu, 22 May 2014 16:28:30 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 29: RECHERCHES SUR L'ORIGINE ET LA SITUATION DU GRAND PONT DE PARIS, DU PONT AUX CHANGEURS, DU PONT AUX MEUNIERS, ET DE CELUI DE CHARLES LE CHAUVE

220 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.

espace en séparait du côté de la Cité. La conflagration fut alors si terrible, qu'en trois heures, dit-on, les deux ponts furent brûlés et s'écroulèrent dans la rivière. Le pont que nous voyons aujourd'hui a été commencé en 1639 et achevé en 1649. La largeur considérable qui le distingue lui a été donnée parce qu'il était destiné à suppléer aux deux ponts sur l'emplacement desquels il a été élevé.

Adolphe Berty.

This content downloaded from 195.78.108.157 on Thu, 22 May 2014 16:28:30 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions