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APPROCHER LA COCAGNE 13 et 14 octobre 2012 ------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- ------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Page 1 Jean-Pierre Lazarus Pour la deuxième fois, je participe au voyage organisé sur deux jours par le Comité du Monteil. L'an passé, j'avais découvert en Espagne le superbe musée des marionnettes de Tolosa et revu, quatre décennies après une première visite, la Concha de Saint -Sébastien. Ce matin, alors que Jupiter domine encore cette nuit automnale et que Vénus se lève, éblouissante malgré le voile de nuages qui jouent avec nos dieux, je m'apprête à repartir à la découverte de deux villes jadis visitées mais dont les souvenirs s'estom- pent dans la brume de la mémoire. En vérité, je m'aperce- vrai, au retour, n'avoir rien reconnu, ce qui justifiait ce voyage. Départ de fort bonne heure : le ciel de Cordes est loin ! Poursuivre une nuit écourtée au rythme régulier du bus sur l'autoroute… À sept heures, réveil à la Porte d'Aquitaine. Dans une aurore lente à venir, Vénus resplendissante tire la barque lunaire lourdement chargée de lumière cendrée. C'est l'heure d'un déjeuner pendant lequel le jour triom- phe de la nuit. Plus au sud, du brouillard garonnais naît le disque solaire annonciateur d'une belle journée d'automne. Déjà quelques feuillus prennent des couleurs pourpres ou dorées. Un panneau annonce la modernisation de la gare de péage de Montauban Nord. Par modernisation, il faut entendre la suppression du personnel humain et son rem- placement par des automates : le monde des machines est déjà sous nos yeux. Quant au mot gare, je ne sais pas quel sens lui donner… Nous quittons bientôt l'autoroute pour les routes plus modestes mais aussi pour les maisons en pierres blanches qui se substituent peu à peu aux constructions de briques de la région toulousaine. Après la traversée de l'Aveyron, le brouillard nous accompagne par intermittence, parfois épais, parfois futile ; des terres labourées s'élèvent la brume fertile au travers de laquelle bientôt, émerge l'op- pidum de Cordes. Nous sommes arrivés à notre première étape. CORDES-SUR -CIEL Lorsque la moyenne d'âge des visiteurs s'accuse, le petit train touristique est un excel- lent moyen pour se déplacer. À Cordes, il est indispensable car il n'est pas question que le bus nous dépose à l'une des portes de la bas- tide : les rues n'ont pas été conçues pour lui, à peine pour les voitures qui pourtant encom- brent les ruelles et gâchent le décor. La ville serait plus agréa- ble si les véhicules étaient bannis des rues… Le tracteur tire ses trois wagons sur cette rue étroite qui nous monte au ciel. Commentaires rapides au cours de la montée… Des écharpes de brouillard stagnent encore dans les vallées qui cernent l'oppidum lorsque nous arrivons au- dessus des remparts ; cette originalité climatique fait la réputation de la cité. Nombre d'images sont prises de Cordes suspendues entre ciel et brouillard ; on nous ra- contera bientôt que "sur ciel" fut ajouté en 1993 pour jus- tement illustrer ce phénomène climatique et esthétique. Comme il m'est impossible de faire LA photo, je me con- tente de photographier la brume depuis les remparts de Cordes, ce qui est moins pittoresque… Après quelques minutes à attendre dans l'ombre fraî- che des remparts, le groupe est scindé en deux parties et chacune, suivant un guide, s'en va à la rencontre de l'his- toire et de l'architecture de Cordes. Bastide. Le mot est donné à l'assistance car la cité, fondée en 1222 par Raymond VII de Toulouse est une bas- tide dont le plan est déformé par les contraintes géogra- phiques : le rocher sur lequel la ville touche au ciel. Le plan en damier n'existe ici que dans l'imagination des guides qui nous vantent les deux rues parallèles qui constituent l'ossature de la ville et son principal attrait ainsi que la place centrale sur laquelle une halle a été édifiée. Les au- tres rues perpendiculaires se comptent sur les doigts d'une main, et encore sont -elles particulièrement courtes vu l'étroitesse du puech. Je découvre ainsi que toutes les bas- tides ne sont pas bâties sur le plan très élaboré de celle de Créon ou Monpazier. Cependant, Cordes est considérée comme la première bastide à avoir été édifiée dans le sud- ouest de la France. Sommes-nous donc ici aux racines d'une histoire particulièrement riche : je n'ai pas l'impres- sion que la guide ait su nous le faire partager… La bastide est fondée suite à la première Croisade des Albigeois qui a ravagé, pillé et détruit des villages environ- nants. Pour reloger les habitants, Raymond VII décide la construction d'une ville nouvelle dont le nom rappellera la célèbre Cordoue à cause des nombreuses tanneries instal- lées le long du Cérou, la rivière locale. En sept ans, la pre- mière étape de la construction est achevée. Entre brume et ciel Image www

Récit du voyage à Albi

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Récit documenté du voyage d'Albi et Cordes Oct 2012

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Page 1: Récit du voyage à Albi

APPROCHER LA COCAGNE 13 et 14 octobre 2012-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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Pour la deuxième fois, je participe au voyage organisé sur deux jours par le Comité du Monteil. L'an passé, j'avais découvert en Espagne le superbe musée des marionnettes de Tolosa et revu, quatre décennies après une première visite, la Concha de Saint-Sébastien. Ce matin, alors que Jupiter domine encore cette nuit automnale et que Vénus se lève, éblouissante malgré le voile de nuages qui jouent avec nos dieux, je m'apprête à repartir à la découverte de deux villes jadis visitées mais dont les souvenirs s'estom-pent dans la brume de la mémoire. En vérité, je m'aperce-vrai, au retour, n'avoir rien reconnu, ce qui justifiait ce voyage.

Départ de fort bonne heure : le ciel de Cordes est loin ! Poursuivre une nuit écourtée au rythme régulier du bus sur l'autoroute… À sept heures, réveil à la Porte d'Aquitaine. Dans une aurore lente à venir, Vénus resplendissante tire la barque lunaire lourdement chargée de lumière cendrée. C'est l'heure d'un déjeuner pendant lequel le jour triom-phe de la nuit. Plus au sud, du brouillard garonnais naît le disque solaire annonciateur d'une belle journée d'automne. Déjà quelques feuillus prennent des couleurs pourpres ou dorées. Un panneau annonce la modernisation de la gare de péage de Montauban Nord. Par modernisation, il faut entendre la suppression du personnel humain et son rem-placement par des automates : le monde des machines est déjà sous nos yeux. Quant au mot gare, je ne sais pas quel sens lui donner…

Nous quittons bientôt l'autoroute pour les routes plus modestes mais aussi pour les maisons en pierres blanches qui se substituent peu à peu aux constructions de briques de la région toulousaine. Après la traversée de l'Aveyron, le brouillard nous accompagne par intermittence, parfois épais, parfois futile ; des terres labourées s'élèvent la brume fertile au travers de laquelle bientôt, émerge l'op-pidum de Cordes. Nous sommes arrivés à notre première étape.

CORDES-SUR-CIEL

Lorsque la moyenne d'âge des visiteurs s'accuse, le petit train touristique est un excel-lent moyen pour se déplacer. À Cordes, il est indispensable car il n'est pas question que le bus nous dépose à l'une des portes de la bas-tide : les rues n'ont pas été conçues pour lui, à peine pour les voitures qui pourtant encom-

brent les ruelles et gâchent le décor. La ville serait plus agréa-ble si les véhicules étaient bannis des rues… Le tracteur tire ses trois wagons sur cette rue étroite qui nous monte au ciel. Commentaires rapides au cours de la montée…

Des écharpes de brouillard stagnent encore dans les vallées qui cernent l'oppidum lorsque nous arrivons au-dessus des remparts ; cette originalité climatique fait la réputation de la cité. Nombre d'images sont prises de Cordes suspendues entre ciel et brouillard ; on nous ra-contera bientôt que "sur ciel" fut ajouté en 1993 pour jus-tement illustrer ce phénomène climatique et esthétique. Comme il m'est impossible de faire LA photo, je me con-tente de photographier la brume depuis les remparts de Cordes, ce qui est moins pittoresque…

Après quelques minutes à attendre dans l'ombre fraî-che des remparts, le groupe est scindé en deux parties et chacune, suivant un guide, s'en va à la rencontre de l'his-toire et de l'architecture de Cordes.

Bastide. Le mot est donné à l'assistance car la cité, fondée en 1222 par Raymond VII de Toulouse est une bas-tide dont le plan est déformé par les contraintes géogra-phiques : le rocher sur lequel la ville touche au ciel. Le plan en damier n'existe ici que dans l'imagination des guides qui nous vantent les deux rues parallèles qui constituent l'ossature de la ville et son principal attrait ainsi que la place centrale sur laquelle une halle a été édifiée. Les au-tres rues perpendiculaires se comptent sur les doigts d'une main, et encore sont-elles particulièrement courtes vu l'étroitesse du puech. Je découvre ainsi que toutes les bas-tides ne sont pas bâties sur le plan très élaboré de celle de Créon ou Monpazier. Cependant, Cordes est considérée comme la première bastide à avoir été édifiée dans le sud-ouest de la France. Sommes-nous donc ici aux racines d'une histoire particulièrement riche : je n'ai pas l'impres-sion que la guide ait su nous le faire partager…

La bastide est fondée suite à la première Croisade des Albigeois qui a ravagé, pillé et détruit des villages environ-nants. Pour reloger les habitants, Raymond VII décide la construction d'une ville nouvelle dont le nom rappellera la célèbre Cordoue à cause des nombreuses tanneries instal-lées le long du Cérou, la rivière locale. En sept ans, la pre-mière étape de la construction est achevée.

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Très rapidement, la nouvelle ville prospère et bientôt, elle est entourée de deux enceintes protectrices car la po-pulation déborde le premier rempart. En quatre généra-tions, elle atteindra plus de cinq mille cinq cents habitants, ce qui est considérable pour l'époque. Avant la fin du XIII e siècle, une troisième enceinte est entreprise… La ville prospérant toujours, une quatrième ligne de défense est construite au XIV e siècle, une cinquième au XVI e.

occidentale de la cité. Nous voici maintenant devant la porte des Ormeaux enserrée entre deux puissantes tours semi-circulaires dont l'une serait pleine du rocher calcaire originel. Ses deux arcs en pierres de taille ouvrent la cité vers l'occident. Deux fenêtres géminées ornent sa façade austère. La guide nous raconte qu'une partie des maisons de la rue Chaude qui prolonge la semi-tour pleine sont en fait à demi-troglodytiques, creusées dans le rocher.

Vue sur les remparts nord et sur la porte des OrmeauxIm

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La porte de la Jane (XIII e siècle) présente ses deux demi-tours massives entre lesquelles une herse relevée té-moigne des temps anciens où les portes étaient fermées nuitamment. Les noms donnés aux monuments de Cordes ne datent que du XIX e siècle lorsque des restaurations importantes furent entreprises. Jeanne dont il est question devant cette porte était la fille unique de Raymond VII, comte de Toulouse, héritière du Comté. Par le Traité de Meaux (1129) 1, son mariage est décidé avec Alphonse II de Poitiers, frère du roi Louis IX ; il a lieu en 1241 et apporte le reste des terres de Toulouse au royaume de France, ce qui eut lieu à sa mort. Ainsi, sans guerre ni violence, le comté de Toulouse disparut dans les terres de France en 1271. Il faut cependant attendre encore un siècle pour que Cordes devienne française.

Note n° 1 : Le Traité de Meaux appelé aussi de Paris met un terme à la Croisade des Albigeois. Raymond VII est obligé d'abandonner à la France et à l'Église ses terres orientales (Languedoc, Provence…). Il doit livrer aux armées du roi ses propres troupes pour combattre les derniers Cathares qu'il avait jusqu'alors protégés. Ceux-ci devront se réfugier dans les contreforts pyrénéens. Il accepte aussi le mariage de sa fille avec le frère de Louis IX. Ce traité signe donc la fin du Comté de Toulouse.

La courtine de la porte des Ormeaux

Terre cathare, le sud de la France devint, à la Re-naissance, terre huguenote. Après avoir résisté à l'In-quisition, Cordes doit alors lutter contre les Protestants qui prennent la cité en 1568 sans y causer de grands dommages.

Enfermée entre deux lignes de fortifications, une rue pentue atteint l'entrée Im

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Deux architectures différentes : le grès et la brique

Par la rue Saint-Michel, nous entrons dans la ville et montons vers l'église. La surprise est d'y trouver une porte d'entrée à deux mètres du sol… L'autre est de découvrir une architecture gothique insoupçonnée qui a donné à Cordes un autre de ses surnoms : la ville aux portes ogiva-les. Sur la place Charles Portal, les vieux murs sont recou-verts de vignes vierges.

Faisant face à l'église, nous découvrons la haute façade de la maison du Grand Veneur, l'une des plus belles de-meures de la bastide de Cordes. Elle date du XIV e siècle, l'âge d'or de cette cité tournée vers le commerce des cuirs et des draps et non, comme je m'y attendais, du pastel, l'or bleu du Pays de Cocagne. Longtemps, la guide raconte la façade, ses deux rangées de fenêtres ogivales soulignées d'un long bandeau, ses six portes ogivales s'ouvrant sur la

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rue, autrefois échoppes où s'amoncelait la richesse des commerçants qui surent se hisser tout en haut du pouvoir politi-que de la cité jusqu'à devenir consuls.

Elle s'attache tout particulièrement à nous déchiffrer les nombreuses et étranges sculptures qui décorent la mai-son. Toute une série de personnages et animaux semblent représenter une par-tie de chasse, d'où le nom donné à cette maison au XIX e siècle ; or, d'après la guide, cette lecture simpliste est erro-

née, destinée à tromper la population et plus particulière-ment l'Inquisition. Cette maison aurait été bâtie sinon par un Cathare, au moins par un sympathisant de cette reli-gion car cette allégorie sculpturale serait en réalité un cri contre le catholicisme qui éradiqua le catharisme des ter-res occitanes. L'explication méritait davantage de temps et faisait appel à des notions pour la plupart inconnues.

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symboles ! Le sanglier représente le spirituel, celui qui se nourrit des fruits de l'arbre. Comme le lièvre, c'est un animal nocturne – les Cathares persécutés ne se dépla-çaient que la nuit –. Au passage du chien, c'est à dire des Dominicains ou des inquisiteurs, l'arbre de la Connais-sance s'est refermé. Cet arbre sec est visible depuis la porte de l'église… S'il est possible que le chien rattrape le lièvre ou le sanglier (il est sculpté au même niveau qu'eux,

Il faut lire cette façade non seulement pour elle-même mais aussi dans son intégration urbaine : elle se situe en face de l'église dont elle est séparée par une placette qui relie les deux rues principales de la cité. Il semble que cet espace vide entre l'église et la maison du Grand Veneur soit d'importance car la lecture du décor doit aussi se faire depuis l'église : il diffère alors complètement d'une lecture uniquement consacrée à la façade comme nous l'avons en-

il ne pourra jamais rattraper le cerf (il n'est pas sculpté au même niveau que lui) et donc l'Inquisition ne pourra ja-mais atteindre l'esprit du Christ. Les hommes pourront bien être brûlés, leur esprit et celui de leur foi survivront.

Un homme marche sur la façade, escaladant la pente d'une fenêtre ogivale et sonnant de la trompe. C'est un Parfait qui sonne le rassemblement et tient un gros bâton. Les prêtres cathares n'allaient jamais sans leur bâton de marche à forte section. Sans plus s'occuper du chien fé-roce qui le suit mais ne peut le rejoindre, il monte vers l'ai-gle accroché au faîte de la fenêtre, l'oiseau représentant Jean, honoré par les Cathares. Plus loin, un archer lance sa flèche, symbole de sa volonté et de sa Connaissance, proje-tée par-dessus le chien, au-delà de la scène de chasse et sans doute jusque vers la maison du Grand Écuyer, édifiée un peu plus bas dans la rue et sur la façade de laquelle une femme croque une pomme… Nombreuses sont les sculp-tures isolées qui complètent cette fresque au sens ésotéri-que ; suspendue à cette façade, elles semblent effrayées par ce qu'elles voient dans la rue 2.

Cette explication donnée, nous remontons la rue Raymond VII, passons sans nous attarder devant la belle façade de grès de la maison Fonpeyrousse (portes ogivales du XIV e siècle) jusqu'à la place sur laquelle a été édifiée, au XIII e siècle une halle assez grande, de plan rectangu-laire. La charpente en bois (elle abritait autrefois les réser-ves de grains) est supportée par vingt-quatre colonnes oc-togonales en pierre. La guide explique que l'une de ces co-lonnes est creuse et qu'elle est percée, à sa base, d'un con-

tendue. La plupart des sculptures se situent au-dessus des fenêtres du deuxième étage et courent sur la longueur de la façade. Un œil non averti y distingue un cavalier, un san-glier poursuivi par un chien, un cerf poursuivi par un autre chien, deux arbres isolés, un personnage qui marche, un archer… Diverses statues suspendues sur le mur complètent cette longue frise énigmatique : une femme protégeant ses deux enfants d'un mal invisible, un enfant effrayé accroché à la tête de sa mère, un vieil homme qui regarde la rue, impas-sible, deux têtes, l'une parlant, l'autre muette…

La lecture doit commencer par la sculpture du chien poursuivant le cerf. Le chien est représenté au-dessus du cerf, il le domine, ce qui se lit "dominicain" pour "domini canes, chien dominant" (canes / cain : le jeu de mots est clair). Les Dominicains étaient ceux qui instruisaient l'In-quisition contre les Cathares. Le cerf représente l'éléva-tion spirituelle, le salut chrétien ; le chien ne peut rattra-per le cerf, il s'essouffle car l'esprit du Christ ne saurait être rattrapé par l'Inquisition. Il continuera, inattaquable…

À droite de la façade, le chien poursuit un lièvre et le pousse vers un arbre : trois objets, trois symboles ! Le chien représente toujours les Dominicains, le lièvre est la rapidité, la fécondité, l'arbre est un pommier, l'arbre de la Connaissance. Il faut donc lire dans cette saynète que les Dominicains poursuivent les Cathares pour les empêcher d'atteindre la Connaissance. Il aurait fallu nous faire re-marquer que depuis la porte de l'église, cet arbre de la Connaissance n'est pas visible car la religion catholique n'est pas apte à en cueillir les fruits… Celui qui est visible est l'autre pommier dont les feuilles sont flétries et les fruits absents.

En effet, dans cette saynète, le chien qui est passé de-vant le pommier course un sanglier. Trois objets, trois

Le chien chasse le sanglier de l’arbre Le chien s’essouffle derrière le cerf Double tête Le parfait marche vers l’aigleIm

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Note n° 2 : Une grande partie de ces paragraphes a été écrite non seule-ment d'après les notes prises pendant les explications de la guide mais aussi d'après le site :

www.equerre-compas.com/visites/cordes/cordes.htm

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duit qui permettait d'évacuer les grains stockés dans le grenier. Sans doute pouvait-on ainsi directement en mesu-rer la quantité… Malheureusement, une restauration irres-pectueuse du monument a rehaussé le niveau du sol, con-damné cette ouverture particulière de la colonne et déna-turé l'architecture puisque les bases de toutes ces colonnes sont dorénavant ensevelies dans ce nouveau sol. On nous montre le puits du XIII e siècle qui est profond de 113,47 m ; il serait l'un des plus profonds de France mais n'atteignait pas l'eau : plutôt une citerne qu'un puits (l'eau de la ville s'écoulait d'une résurgence située près de la porte des Or-meaux). La place est l'un des éléments habituels des basti-des ; celle-ci n'est pas à proximité de l'église comme cela se constate dans certaines bastides de Dordogne. Elle est cependant entourée de hautes maisons en pierre ou en colombages sans arcades ou passage couvert. Naguère, cette halle vibrait des activités des marchés qui se tenaient ente ses hauts piliers de pierre. La richesse de Cordes te-nait dans son commerce des cuirs et des toiles. Les teintu-res étaient bien sûr naturelles, la plus célèbre étant le pas-tel qui fit la fortune du pays de Cocagne mais pas de Cor-des. Ce commerce occupait aussi les échoppes aménagées derrière les portes ogivales des belles maisons que les commerçants enrichis se faisaient construire.

Le déclin de la bastide fut causé par les guerres de re-ligion et la peste puis, bien plus tard, par la construction du canal du Midi qui éloigna le trafic commercial du ro-cher de Cordes. Pendant une courte durée, la broderie s'y développa ; aujourd'hui, c'est le tourisme qui fait vivre les artisans, les artistes et les commerçants de la cité.

Dans l'un des angles de cette place, s'ouvre l'esplanade de la Bride, point culminant de la cité, d'où le panorama embrasse les collines fertiles qui entourent la ville et à pré-sent libérées de la brume qui les recouvrait vers dix heures.

En face de l'esplanade ombragée par les marronniers malades, trois façades racontent à leur manière une partie de l'histoire de la cité : celles de son enrichissement. Ces trois maisons – Carrié-Boyer, Prunet et Grand Fauconnier – ont été construites l'une après l'autre en un siècle. La guide nous apprend à lire les détails architecturaux qui témoignent de l'évolution du gothique entre les XIII e et XIV e siècles. Arcs de plus en plus brisés entre le gothique primitif et le gothique rayonnant, colonnes et chapiteaux

davantage travaillés, occuli de plus en plus complexes, pas-sant d'un simple losange à une petite rosace. Des lignes horizontales relient les ouvertures et partagent les façades en divers registres. Des trois façades juxtaposées, seules celle du Grand Fauconnier a gardé son originalité ainsi que les sculptures animales qui lui ont valu son nom : c'est aus-si la façade gothique la plus récente de Cordes. Il est dommage que la première façade de cet ensemble archi-tectural soit sérieusement dénaturée par des transforma-tions enlaidissantes. Faut-il imaginer, entre les six arcades brisées du rez-de-chaussée, les commerçants vantant aux chalands la qualité de leurs cuirs et la solidité de leurs draps ?

Dans la petite cour très minérale de la maison du Grand Fauconnier, devenue hôtel de ville et musée, un es-calier à vis est dissimulé par une belle tour agrémentée de fenêtres Renaissance. L'escalier reliaient les étages par des coursives. La guide nous fait remarquer la rampe de l'esca-lier, sculptée dans la pierre calcaire.

Dernière visite : l'église Saint-Michel, édifiée quelques années après la construction de la bastide. De l'édifice ori-ginel daté de 1269, il ne reste cependant pas grand-chose car la plus grande partie de l'église est de style gothique. L'église n'a qu'une seule nef, sans transept ; cinq chapelles de chaque côté agrandissent l'espace. La rosace flam-boyante, tardive, n'a pu être centrée sur le mur occidental à cause du clocher et de la tour de guet qui lui est accolée.

Sur la petite place entre église et maison du Grand Veneur, la guide nous raconte l'épisode cathare qui déchira le sud de la France au cours du XIII e siècle. Initiée en 1198 par Innocent III pour tenter de convertir les Cathares par le prêche et la parole, la première croisade n'aboutit pas. Le prétexte de l'assassinat de Pierre de Castelnau, légat extraordinaire du pape chargé de la conversion des Catha-res, décida, en 1209, de la croisade dite des Albigeois. Elle dura jusqu'en 1218, date de la mort de Simon de Monfort et fut surtout une guerre de conquête pour assujettir et intégrer au royaume de France les terres occitanes du comte de Toulouse. Une seconde croisade, achevée en 1229, permettra l'annexion des terres par Louis IX mais il faudra davantage de temps pour venir à bout de l'hérésie cathare (bûcher de Monségur : 1244).

Les trois façades (XIII e et XIV e siècles) Maison Prunet Gothique rayonnant de la maison du Grand Fauconnier

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Il est midi passée lorsque les trois wagons nous redescendent au bas de la cité où le bus nous attend. Au fronton de la porte du restaurant "Hostellerie du Parc", un mot inconnu, chargé de mys-tère : "cuisinerie". Nous y dégusterons un plat rare, spécialité du chef, un lapin aux choux sorti du four. Un régal…

Il est alors temps de reprendre la route pour ne se ré-veiller qu'au centre d'Albi, notre prochaine étape…

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Place de la cathédrale : nous voici de-vant les très hauts murs de cette forteresse de la foi édifiée pendant la présence cathare dans cette région afin de montrer au peuple la puis-sance de la vraie religion : celle qui est catholi-que. Lise, la guide qui nous retrouve sur la place, nous raconte l'histoire de cet édifice exceptionnel, tout en briques orangées.

Sa construction, voulue en 1277 par Bernard de Casta-net, nouvel évêque d'Albi, a été réalisée à l'économie, rai-son pour laquelle fut choisie la brique et non la pierre. L'édifice se voulait simple et austère dans sa conception extérieure afin d'attirer et convertir les adeptes du catha-risme qui prônaient la pauvreté. Il n'y a donc qu'une nef, sans transept ni nefs latérales. D'extérieur, les murs s'élè-vent d'un seul jet vers le ciel sans le moindre arc boutant ; des contreforts discrets, arrondis et presque noyés dans les murs les remplacent. Cette cathédrale unique dans son plan et sa matière possède un point commun avec celle de Bordeaux : comme elle, elle fut construite contre un rem-part et, de ce fait, le portail d'entrée ne s'ouvre pas dans la façade occidentale mais sur les côtés, la plus belle entrée étant dans le mur sud. Notre guide nous fait remarquer l'obliquité de la base des murs qui empêchait, nous dit-elle,

Petits friands en apéritifCou de canard farciet oignons confitsLapin au chou vertet pommes de terre

croustillantesCroustade

à la glace vanilleCafé

Vin des côtes du Tarn

d'utiliser des échelles pour aller à leur conquête… Il y a aussi des meurtrières, témoignages de la crainte des Ca-thares contre lesquels l'Église croyait se défendre.

La cathédrale qui a failli être démolie au cours de la Ré-volution française fut l'objet de restaurations au XIX e siè-cle, menées par César Daly, élève de Viollet-le-Duc. Les murs furent rehaussés de sept mètres, agrémentés de faux mâchicoulis et d'arcades aveugles ogivales et surmontés de clochetons au sommet des contreforts. Notre guide ne manque pas de nous dire qu'à la mort de César Daly (1894), les Albigeois s'empressèrent de démolir ces clochetons qui ne leur plaisaient pas. Il n'en reste que trois ou quatre pour témoigner, dont un au-dessus du chœur. Il reste aussi de fausses gargouilles en pierre qui ne vomissent rien…

Nous entrons par la porte nord, fort discrète, contrai-rement au portail sud, dont le beau porche de pierre de style gothique flamboyant contraste avec les murs de bri-ques. Après avoir coiffé et essayé les casques, nous suivons Lucie dans le chœur et nous nous installons dans les stalles pour écouter sa narration et ses explications. Ce chœur est une cathédrale à l'intérieur de la cathédrale ; d'ailleurs, la cathèdre est posée sur une petite estrade, juste à l'entrée du chœur. Un magnifique travail de la pierre, très fine-ment sculptée, surmonte le fauteuil de l'évêque et montre à lui seul le luxe inouï qui fut déployé ici, en contradiction totale avec l'austérité voulue de l'extérieur du monument.

Avaient-ils peur du peuple ? Ne voulaient-ils pas se mêler à ces gens-là ? Quoi qu'il en soit, les chanoines s'en-fermaient dans leur magnifique enceinte pour célébrer la messe. Tant pis si les fidèles suivaient cette cérémonie sans rien voir. La guide nous raconte qu'un lecteur était chargé de transmettre les paroles des messes aux fidèles rassem-blés dans la nef en montant sur le jubé, cloison richement ornée qui coupe l'église en deux. D'ailleurs, dit-elle, ce mot jubé provient de la formule latine "jube, domine, benedicere" ("daigne, Seigneur, me bénir") qui était prononcé chaque ma-tin.

La cathédrale et sa place en 1913 Gothique flamboyant : le mur du chancel

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Au XV e siècle, l'évêque Louis I er d'Amboise remplace le chœur en bois par cette cloison de pierre de style flam-boyant, décorée de soixante-douze angelots et de multi-ples sculptures, le tout parsemé des couleurs rouge et or de la maison d'Amboise. Les stalles ne sont pas très ornées mais elles possèdent toutes cette miséricorde qui permet-tait aux chanoines de suivre sans trop se fatiguer les mes-ses interminables. Leur robe dissimulait cette tricherie : faire semblant d'être debout tout en étant assis ! Cette dentelle de pierre fut épargnée par la réforme du Concile de Trente qui préconisait la destruction de ces chancels et des jubés afin d'ouvrir les messes aux fidèles, ainsi que le pratiquaient les Protestants. À Albi, les chanoines résistè-rent et permirent aux fidèles de suivre les messes depuis les tribunes (la guide a dit "triforium") qui dominent la nef. Puis devant leur nombre important, il fut décidé d'inver-ser l'orientation de l'église au lieu de détruire le chœur et le jubé. Un autel fut installé devant le mur occidental, les sièges furent retournés et les messes purent être dites de-vant le regard des chrétiens.

La voûte de la cathédrale, représentation de la Jérusa-lem céleste, mélange savamment les scènes bibliques, les arabesques et les rinceaux. Anges et personnages habitent entre les arcs ogivaux dorés dans un espace bleu qui n'a jamais été restauré et qui est sans doute aussi beau que lors de sa création au tout début du XVI e siècle : cette œuvre est la plus ancienne voûte peinte d'une église française. Juste au-dessus du chœur, nous pouvons admirer un christ peint dans sa mandorle entouré des tétramorphes : l'aigle, le lion, l'ange et le taureau, symbolisant les quatre évangé-listes. Adam et Ève se tiennent entre les colonnes, sur ce fond lapis lazuli réalisé par des peintres italiens. Nous res-tons encore quelques instants pour savourer la finesse et la

Les artistes bourguignons qui ont réalisé toutes ces statues les ont habillées des vêtements du XV e siècle, leur époque.

Poursuivant le tour du déambulatoire, nous nous arrê-tons un instant devant le triste visage de Jérémy qui sans cesse se plaignait auprès du peuple, puis découvrons sur certains murs des chapelles ou des colonnes des visages cachés par les peintres italiens qui laissèrent à Albi la plus grande surface peinte au XV e siècle. Devant la chapelle de Sainte Cécile (XVIII e siècle), nouvelle admiration sur la Vierge en gloire faisant face à la statue de Siméon, premier disciple à avoir reconnu l'enfant Jésus, si j'en crois Lucie.

Nous voici à présent dans la partie qui se trouve à l'ouest du jubé et qui est devenue la partie "utile" de l'édi-fice. Une partie du mur occidental a été ôtée au XVII e siècle pour accéder à une chapelle aménagée entre les qua-tre tours rondes qui forment l'ossature du clocher. Cette transformation a laissé un espace ouvert dans la peinture du Jugement dernier, immense œuvre de trois cents mè-tres carrés, la plus grande représentation de ce sujet en France. Nous suivons notre guide dans un voyage à travers les trois registres de cette peinture, qui n'est pas une fres-que mais une détrempe, soi-disant plus facile à réaliser car l'artiste peut prendre tout son temps. En effet, au lieu de peindre sur une surface humide, il applique les couleurs sur un mur sec en ajoutant au colorant une colle à base de ré-sine et d'œuf.

Nous voici donc partis, malheureusement sans jumel-les, pour une longue traversée d'une fin du monde atten-due depuis deux mille ans. Nous y entrons par le registre supérieur, situé juste sous la tribune portant le grand or-

Plafond de la cathédrale et timbre émis en 2010

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richesse du décor de ce chœur splendide avant de suivre notre guide dans le déambulatoire jalonné de nombreuses statues polychromes en pierre, toutes différentes, dont celle de Judith. Lise nous en révèle les secrets : son ventre arrondi (il fallait que les femmes de la cour suivent les courbes de la reine en portant un cousin sous leur robe lorsqu'elle était enceinte) ; son front bombé et largement dégarni, signe de grande beauté et d'intelligence ; son dé-hanché, caractéristique des sculptures dite serpentines.

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Plan de la cathédrale et détail du portail sud

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gue. C'est le registre du ciel habité par les anges et autres créatures célestes. Le registre immédiatement inférieur est celui de la terre. Les apôtres, auréolés d'or, y sont repré-sentés à gauche au-dessus des évêques, des cardinaux et les ordres mendiants assis autour du roi de France, Louis IX, vêtu de bleu.

Le registre suivant est consacré au peuple nu ; il est debout et serein sur la partie gauche, assis et effrayé sur celle de droite. Tous portent au cou le livre de leurs actions bonnes ou mauvaises par lesquelles chacun sera jugé. Saint Michel tenant la balance qui pèse les âmes a disparu lors

L'étape suivante nous amène à l'envie et à la jalousie dont la sentence est un bain dans l'eau glaciale dont le car-touche explicatif contient la phrase suivante, écrite en vieux français :

"Les orgueilleux et les orgueilleuses sont pendus et attachés sur des roues situées en une montagne, tournant continuellement avec une grande impétuosité à la manière des moulins."

"Les envieus et envieuses sont en ung fleuve congelé plongés jusques au nombril et par-dessus les frappe ung vent moult froid et quant veulent icelluy vent éviter se plongent dedans ladite glace".

Vue générale du Jugement dernier

de l'ouverture du mur ainsi que le Christ tendant sa main à ceux qui ont obtenu le droit de le suivre. Face à ceux qui l'ont tant attendue, des anges sonnent pour les humains l'annonce de la résurrection et du jugement.

C'est dans le registre inférieur que notre voyage se complique car il nous introduit aux enfers extraordinaire-ment mis en valeur à Sainte-Cécile d'Albi ; ils y prennent une importance démesurée : nous allons y rencontrer une étonnante collection de tortures abominables mais aussi le désordre, le chaos, le grouillement, la promiscuité, le tohu-bohu, les odeurs fétides et nauséabondes, le vacarme. Les monstres y prolifèrent, démons hideux, pourvus de pattes griffues et de chairs molles qui suscitent la répulsion et l’effroi. L’enfer est d’abord une fournaise : des zébrures de couleur montrent l’omniprésence du feu, qui brûle les damnés sans les consumer ; d’autres châtiments transpo-sent ceux d’ici bas : la roue, l’immersion dans l’eau, le pal, l’ingestion forcée, la cuisson dans des marmites géantes.

Ce paysage pictural est partagé en sept cases sous les-quelles un cartouche en explique le sens dans un français vieilli mais néanmoins lisible. La guide nous fait constater l'usage de cette langue et non celle du latin, souvent privi-légié par le catholicisme. Sept cases pour sept pêchés capi-taux : l'orgueil, l'envie, la colère, l'avarice, la gloutonnerie, la luxure et la paresse, ce dernier tableau ayant disparu au XVII e siècle lors de l'ouverture du mur. De la gauche vers la droite, notre regard rencontre d'abord le pêché d'orgueil dont le supplice est la roue sur laquelle les pécheurs sont attachés pour l'éternité. Dans le cartouche, nous pourrions lire l'explication suivante, ici retranscrite en français d'au-jourd'hui :

Le compartiment suivant est celui de la colère, puni par l'empalement éternel. Il faut imaginer la représenta-tion du péché de paresse avant de pénétrer sur la partie droite de cette œuvre immense dont on devine la trace des briques sous les peintures. On entre alors dans le compar-timent de l'avarice : les pécheurs y sont cuits dans de grands chaudrons emplis de métal fondu ; c'est sans doute cela l'enfer ! Bonne nouvelle cependant offerte gratuite-ment à son groupe de touristes en découvrant le paysage suivant, celui de la gloutonnerie. En effet, nous ressorti-rons tous de Sainte-Cécile soulagés en ayant appris que ce n'est pas la gourmandise qui un péché mais la gloutonne-rie. Car malheurs aux gloutons qui sont nourris de cra-pauds vifs et abreuvés d'eau puante.

Détails du péché d’orgueilLa punition des envieux

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Détail des damnés

"Les glotons et glotes sont en une valee ou a ung fleuve ort et puant au rivage du quielz a tables garnies de toualles tres ordres et deshonnestes ou les glotons et glotes sont repeuz de crapauls et abreves de leau puante du dit fleuve."

Traduction : les gloutons et les gloutonnes sont dans une vallée où il y a un fleuve malpropre et puant, sur la rive duquel sont des tables garnies de nappes souillées et mal-propres où les gloutons et les gloutonnes sont repus de crapauds et abreuvés de l'eau puante du dit fleuve.

Dernier étape de cette traversée éprouvante, la luxure et l'adultère dont les pécheurs sont plongés dans de pro-fonds trous pleins de feux et de soufre. Ce soufre leur pu-rifie-t-il la peau ? Fin du voyage à travers cette œuvre d'inspiration flamande sous laquelle ont été peintes des bandes or et rouges en l'honneur du commanditaire, Louis I er d'Amboise.

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Retour au bus et hôtel dans un quartier industriel dé-pourvu de tout charme : inutile d'espérer déambuler dans Albi endormie, en quête des façades illuminées qui ne doi-vent point manquer depuis qu'en 2010, une partie de la ville fut classée au patrimoine mondial de l'UNESCO.

En ce dimanche matin, le grand soleil qui illumine la façade orientale de la cathédrale n'est qu'une illusion passa-gère : déjà les nuages s'accumulent au nord et ne tarderont pas à gâcher cette seconde journée dans le Tarn. Vers dix heures, deux guides viennent nous chercher sur l'esplanade pour une visite du musée Toulouse-Lautrec, aménagé dans le palais de la Berbie, ancien palais des évêques d'Albi, qui jouxte la cathédrale. Le haut donjon en brique, contempo-rain de la cathédrale ( XIII e - XIV e siècles) symbolise le pouvoir des évêques à l'époque de la lutte contre le catha-risme. La visite du musée est aussi l'occasion de découvrir les salles de cet édifice régulièrement agrandi et remanié jusqu'à une très récente rénovation qui en fait un écrin ma-gnifique pour les œuvres de Toulouse-Lautrec.

Descendant par son père des comtes de Tou-louse, Henri de Toulouse-Lautrec naît à Albi en 1864 ; sa mère est une cousine de son père, ce qui explique peut-être les problèmes de santé et de croissance dont il eut à souf-frir au cours de sa vie (dystrophie épiphysaire

ou pycnodysostose), aggravés par le fait qu'il se soit cassé les deux jambes entre 14 et 15 ans. Véritable génie de la peinture, Toulouse-Lautrec créa plus de cinq mille œuvres au cours de sa courte vie (il décède à Paris en 1901), œuvres dont personne ne voulait à la fin de sa vie et dont un mil-lier furent donnés à la ville d'Albi.

De Toulouse-Lautrec, je connaissais quelques tableaux et lithographies parmi les plus célèbres mais en aucun cas les chevaux qu'il peignit magnifiquement entre quinze et dix-sept ans, avant de "monter" à Paris. Cet intérêt pour les chevaux vient de son amitié avec René Princeteau, cé-lèbre peintre animalier. Dès cette époque, si l'objet princi-pal de son étude est soigneusement réalisé, les décors sont négligés, quasi-inexistants, bien souvent ou rapidement esquissés. Le guide nous attarde devant un tableau repré-sentant son père en cavalier portant un faucon, alors que le jeune Henri, déjà handicapé, sait qu'il ne montera plus sur ces superbes animaux.

Avant de nous laisser à notre libre admiration du lieu, quelques détails encore nous sont livrés par Lucie, en par-ticulier ces trous percés dans la voûte, très peu visibles, par lesquelles passaient les cordes qui soutenaient les nacelles nécessaires pour peindre la voûte. Les artistes n'avaient, semble-t-il, pas d'autres moyens que de peindre couchés les milliers de mètres carrés de plafond transformé, par leur génie, en Jérusalem céleste. On imagine les roues à écureuils installées au-dessus des voûtes… Il fallut trois ans de travail pour peindre la totalité des ogives. Notons que la nef mesure 135 m de longueur. La guide explique la proba-ble raison de cette conservation parfaite : la chaleur in-terne de l'édifice essentiellement due aux murs en briques qui feraient office de radiateurs… Il n'y a pas d'humidité dans cette église.

Quartier libre d'une heure dans Albi, au sortir de Sainte-Cécile. Je dirige mes pas vers le quartier de Castel-Vieil qui se situe entre la cathédrale et la rivière, sur le re-bord du plateau à l'origine de la ville. Ce quartier de ruelles et d'impasses, considéré comme le berceau d'Albi, était naguère isolé de la ville par une muraille abattue à la Révo-lution française. Attiré par la musique des flûtes, je pénètre sur la place Savène, impasse utilisée par certaines familles comme pièce supplémentaire à leur vieilles demeures joli-ment restaurées : murs de briques et colombages souvent cachés par un crépis coloré. Le clocher de la cathédrale émerge des toits de tuiles. Au carrefour des rues Paradis et Catalane, la façade aveugle d'une maison est recouverte d'une fort jolie fresque célébrant le rattachement de Cas-telvieil à Albi.

La place de la Trébaille débouche sur un escalier qui descend vers le Tarn. Ornée d'un long plan d'eau et de trois arcades outrepassées, vestiges du cloître de l'ancienne cathédrale, elle fut ouverte au cœur de la cité épiscopale à l'emplacement d'un rempart détruit.

Façade peinte et Place Savène

Place Trébaille, clocher de Sainte-Cécile et vue vers l’autre rive

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Trois tableaux de chevaux dont celui avec son père, fauconnier

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12 h 15 : le tour de la ville est inachevé, les touristes préférant descendre du train alors que celui passe à côté du bus. Retour à l'hôtel, dans la zone commerciale puis, sous la pluie, nous reprenons la route vers Pessac. Un arrêt est improvisé au domaine de Gradille, l'un des vignobles de Gaillac. Sous la bruine, nous écoutons stoïquement les informations du propriétaire qui allie la production de vin à l'élevage des biches. Dans la petite salle de dégustation, très joliment dé-corée, nous goûtons quelques vins blancs et rouges aux noms soigneuse-ment choisis – Fascination, Astrolabe, Passion… – avant de nous précipiter dans la boutique pour emplir les sou-tes du bus. Finalement, c'est sous un ciel redevenu serein que nous arrivons à Pessac avant que les étoiles ne s'al-lument sur la voûte noircie.

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Devant un tableau représentant sa mère, nous appre-nons toute l'ambiguïté de cette relation, la mère étant presque toujours peinte les yeux fermés ou baissés, dans une attitude prostrée, la silhouette formant un triangle. Une seule fois, nous la verrons accueillante. C'est aussi pour nous l'occasion d'apprendre que le peintre ne man-qua jamais d'argent et put vivre la vie qu'il souhaitait, dans les lieux qui choisissait. Sous les voûtes de briques du pa-lais de la Berbie, théâtre des atrocités commises par les inquisiteurs, découvrons l'attrait du peintre pour les per-sonnes du peuple et tout particulièrement pour les fem-mes rousses dont les portraits se multiplient sur les surfa-ces immaculées où ils sont accrochés. Face à Mademoiselle Dihau jouant à son piano, découvrons le "japonisme", art de couper les objets en deux et apprenons que Toulouse-Lautrec est particulièrement apprécié au pays du soleil levant. D'ailleurs, un groupe de Japonais visite le musée en même temps que nous… Les tableaux choisis par le guide pour notre éducation nous révèlent l'originalité du peintre, qu'il peigne son modèle de dos (ce qui ne se faisait jamais auparavant), qu'il juxtapose des couleurs "criardes", qu'il choisisse le carton comme support de son travail, ce qui lui évitait de perdre son temps dans des fonds élaborés…

Les récents aménagements du musée permettent de découvrir la salle palatiale et son pavement du XIII e siè-cle, très bien conservé. Les tableaux étant exposés dans l'ordre chronologique de leur création, nous atteignons bientôt les salles qui nous plongent dans l'univers glauque des cabarets et des maisons closes que fréquentait assidu-ment le peintre. Nous faisons connaissance avec le peuple du tout Paris de la Belle Époque : Bruant, la Goulue, le Désossé, Yvette Guilbert, Suzanne Valadon, Mary Milton, Mademoiselle Églantine, Jane Avril, la modiste, l'Anglaise, Loïe Fuller… Ces portraits de femmes très respectueuse-ment dessinés côtoient les lithographies pour les specta-cles de Bruant ou de la Goulue. Au-delà du très joli couloir au plafond en accolades, nous découvrons quelques affi-ches publicitaires composées par l'artiste albigeois pour des chaînes de vélos Simpson, des cycles Mickaël… L'une de ces salles propose son dernier tableau "Un cousin à la faculté de Paris" particulièrement sombre, prémices d'une mort annoncée.

Avant de quitter le musée, nous admirons les jardins du palais de la Berbie qui domine le Tarn.

La pluie nous trouve à la sortie du musée : c'est donc dans un paysage très humide que le petit train nous pro-mène sur les deux rives du Tarn. Traversée de Castelvieil, tour de la cathédrale, franchissement de la rivière sur le vieux pont d'abord puis retour par le pont neuf d'où le pa-norama sur l'acropole du vieil Albi est enregistré par nom-bre d'appareils photos. Au cours de cette visite passive, nous apprenons le nom de quelques personnages impor-tants nés à Albi ou ayant adopté cette ville : La Pérouse dont les ancres de son navire se trouvent sur l'une des places de la ville, Rochegude, autre navigateur et illustre inconnu mais dont un parc de la ville porte le nom, Pompidou – un boulevard porte son nom – ; de Pierre Benoît, rien…

Quelques unes des œuvres exposées à Albi

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Panorama depuis le pont neuf vers la cité épiscopale

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