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Accueil   › Écrans   › Nous sommes un journal

Recréer de la délibérationETIENNE BALIBAR PHILOSOPHE 18 FÉVRIER 2014 À 21:26

Etienne Balibar en décembre 2011. (Photo Tomislav Medak, CC BY (Wikimédia Commons))

TRIBUNE Qu’est-ce qu’un journal ? Certaines réponses doivent être excluescomme insuffisantes ou indignes, mais il n’en ressort pas pour autant unenotion simple, positive, qu’on puisse aussitôt convertir en stratégieéditoriale.

«Nous sommes un journal !» disait la une qui sert maintenant de surtitre pour l’abondant

courrier suscité par le conflit ouvert entre Libération et ses propriétaires. Mais qu’est-ce qu’un

 journal ? Il est clair que certaines réponses doivent être exclues comme insuffisantes ou indignes,

ÉCRANS

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 bien qu’elles correspondent à des projets et à des tendances (un journal n’est pas un grand tweet,

ce n’est pas le relevé des évaluations des agences de notation, ce n’est pas le dépotoir des

insinuations sur la vie privée des «people», ce n’est pas un logo «monétisable» pour organiser

des rencontres et les répercuter sur les réseaux sociaux…), mais il n’en ressort pas pour autant

une notion simple, positive, qu’on puisse aussitôt convertir en stratégie éditoriale.

En tant que lecteur assidu, je livre trois éléments de réflexion (dont je n’ai pas l’exclusivité).

D’abord un journal est un rythme cognitif , ou c’est un instrument permettant de rythmer

l’information, donc de lui conférer cette intelligibilité et cette historicité quotidiennes qui

conditionnent le jugement. Moquons-nous, bien sûr, de la déclaration attribuée à Hegel : «La

lecture du journal est la prière du matin du philosophe», citation éculée, élitiste autant que

désuète. Mais ne rejetons pas le grain de vérité qu’elle contient. La lecture du journal peut n’être

qu’un rituel comme le café au lait, mais c’est aussi la façon la plus simple, régulière et fréquente,

d’articuler nos activités particulières avec l’état du monde. Et les journalistes, soumis à la

contrainte du fameux bouclage, sont les artisans de cette fabrication de sens. En courant avec

eux de continuités en imprévus, de news en enquêtes, nous ouvrons un «temps pour

comprendre» ce que nous sommes et devenons maintenant - ce qu’aucun réseau social, si vivant

soit-il, ne donnera jamais.

Ensuite - comme le pensait Gramsci -, un journal fabrique en grand nombre des «intellectuels»

dans le sens démocratique, c’est-à-dire des citoyens qui pensent et qui réagissent à la pensée des

autres. D’où l’importance du «courrier des lecteurs» - une institution que Libération pourrait

peut-être développer. Je remarque à cet égard une grande différence entre un courrier sur

papier et celui du journal électronique, mais il n’est pas facile de dire lequel doit l’emporter, carl’un comporte moins de liberté et l’autre charrie beaucoup de sottises, mais c’est la règle du jeu

et le lecteur jugera. D’où surtout l’importance de la combinaison, proprement «journalistique»

(depuis les origines de la presse moderne) mais profondément réinventée par Libération, entre

la politique et la culture, selon diverses proportions. Il  faut les deux  pour fabriquer de

l’intellectualité. C’est là que se trahit le caractère «de classe» d’un journal, parfois élitiste ou

narcissique. Mais l’art du journaliste de métier ou d’occasion (dans les pages Rebonds), qui n’est

ni pédagogue ni «communicant», est justement d’ élargir son public au-delà des experts et des

initiés.

Enfin, je pense qu’un journal remplit (ou peut remplir) une fonction critique dans le champ de la

politique elle-même, qui complète celle d’autres instruments de représentation et de

participation, et les corrige. Il faut sur ce point donner raison à des libéraux comme Habermas

(avec sa généalogie de la «sphère publique») plutôt qu’à des révolutionnaires professionnels

comme Lénine (avec son idée d’un «organisateur collectif» des luttes sociales). Ce n’est pas un

hasard sans doute, si pour des raisons technologiques, économiques et culturelles, le régime de la

presse aujourd’hui dépérit en même temps que la forme parti. Les deux phénomènes

contribuent à une certaine dé-démocratisation pour laquelle il nous faut inventer des recours.

Mais, si la politique doit survivre, le rôle de la presse demeurera spécifique, car un vrai journal

est à la fois le cadre pour l’expression d’une orientation (et  Libération en a une, avec son histoire,

même si elle n’est pas définissable par une simple étiquette), et le lieu dans lequel, en se

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soumettant à l’objectivité de l’information, cette orientation peut être problématisée, exposée

dans ses erreurs et ses faiblesses, ce qu’aucun parti n’est jamais capable de faire.

Ce ne sont là que des idées générales. Je les mets en circulation pour plusieurs raisons. Comme

d’autres, je pense que la politique en France et en Europe va mal et que la culture ne va pas très

 bien non plus. Le fric a remplacé la bourgeoisie. La désespérance a remplacé la conscience de

classe. La nation ne veut pas mourir, mais elle ne sait pas comment vivre. La république laïque

est devenue le masque des obsessions sécuritaires et identitaires. La capacité de gouverner a

déserté les institutions parlementaires. La France est donc l’un des principaux candidats en

Europe à un épisode autoritaire, pour lequel les ambitions sont déjà déclarées à droite et à

gauche, au gouvernement et dans les oppositions. Il faut donc une intense activité dans l’espace

public, un échange critique d’informations, d’imaginations et d’analyses. A quoi, si l’on pense dans

le cadre européen (celui où tout se jouera), s’ajoute la question du medium : support matériel,

sans doute, et circuits de commercialisation, mais aussi langue et traduction.

L’institution de la presse, comme l’ont montré les historiens, est étroitement associée à celle des

nations modernes. Comment la transnationaliser, en contrepoint de la mondialisation de

l’information ? Les tentatives de traduction simultanée ou de «couplage» entre journaux de

plusieurs pays n’ont encore jamais très bien fonctionné. Sachant que cela exige des moyens qui

risquent d’être inabordables pour un quotidien en pleine crise financière, je dirai cependant que

c’est l’un des principaux chantiers d’une dé-provincialisation de l’information. Elle fait partie des

recours dont nous avons besoin pour créer ou recréer de la délibération et du conflit, en un mot

du politique, à travers les frontières.

Etienne BALIBAR philosophe

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TAPEDUR 19 FÉVRIER 2014 À 8:19

Identifiez-vous pour commenter 

"un journal n’est pas un grand tweet, ce n’est pas le relevé des évaluations des agences de

notation, ce n’est pas le dépotoir des insinuations sur la vie privée des «people», ce n’est

pas un logo «monétisante»…" Bon d'accord sur l'analyse, mais alors maintenant qu'on

sait ce que ça ne doit pas être ; qu'est-ce que c'est qu'un journal ? 

 Le "trou de la lorgnette" dont l'orientation du regard est définie par la ligne éditorialiste,

ou les actionnaires, ne permet surement pas d'être un outil d'information grand public, parce que c'est tout de même le rôle d'un journal ou je me trompe ? 

7 COMMENTAIRES

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FAIRPLAY 19 FÉVRIER 2014 À 6:46

 Et puis "je remarque une grande différence entre un courrier sur papier et celui du journal

électronique … l’un comporte moins de liberté et l’autre charrie beaucoup de sottises …" Et

inversement suis-je tenté de d'ajouter.

Il n'est pas possible de passer par la moulinette de la ligne rédactionnelle toute

information. C'est le cas des journaux électroniques qui offrent un espace d'expression qui

n'a rien de pédagogique, et qui, pour s'en défendre se cachent derrière une charte de

 bonne convenance acceptée par eux seuls et imposée à tous suivant le bon vouloir desmédiateurs préférant parfois le doute et la censure.

Les lignes de commentaires dans "tous" les journaux, pour ne pas citer que le Huffington

Post ou le Progrès, qui pour moi (mais ça n'engage que moi) sont les pires. regorgent de

critiques allant dans ce sens. Donc pas moins de liberté sur le papier, je viens d'en faire la

preuve (du moins je l'espère) et pas plus de bêtises sur le net, seulement le support n'est

pas adapté.

Si je me risquais à proposer un modèle de journal électronique, je pense que j'abandonnerais cette acceptation de charte dont tout le monde se fiche et que personne

n'a jamais lue au profits d'une part d'une loi de la république qui définie les limites légales

et d'autre part de l'obligation de s'appuyer sur les sources et de les citer pour construire

son commentaire. Je verrais dans ce sens un vrai travail de journalistes pour vérifier les

commentaires et laisser application stricto-sensus de la loi permettant de limiter

l'expression à un modèle dont la république sait se référer et fait appliquer.

J'AIME RÉPONDRE

Quand le media doit dépasser l'immédiat.

La question à se poser ne serait-elle pas : "qu'apporte / que doit apporter un journal, à

l'heure du temps réel ?".

L'auteur donne l'exemple de la lecture du journal le matin avec le café au lait.

Il ne faudrait pas oublier que désormais le potentiel lecteur a accès à tout moment àdes informations constamment remises à jour, pas seulement pendant son café au lait,

mais pendant ses trajets, à son travail, en se promenant, en faisant ses courses... Est-ce un

 bien ? Là n'est pas la question : aujourd'hui l'information se diffuse avec immédiateté.

Il me semble que résoudre le problème de la presse papier (et ici en particulier de

Libération) revient à déterminer quelle valeur ajoutée le journal papier peut apporter.

De mon humble point de vue, les réponses existent : de l'analyse, de la critique, de la

corrélation de points de vue, des perspectives... Le tout avec évidemment une ligne

éditoriale définie, s'appuyant des valeurs et créant par là-même une adhésion. En ne

négligeant pas le côté participatif.

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LEDEBUTDELASAGESSE 19 FÉVRIER 2014 À 6:34

JEAN_BONNEAU 19 FÉVRIER 2014 À 6:10

LAURENCE24 19 FÉVRIER 2014 À 6:2

Si le lecteur se reconnaît, et se rend compte qu'il apprend, qu'on l'aide à comprendre le

monde, et qu'on ne lui rappelle pas des faits dont il a déjà eu connaissance la veille sur sa

tablette / son smartphone / voire tout simplement à la radio, il répondra présent.

J'AIME RÉPONDRE

J'avais fait un rêve ...

J'avais publié un commentaire intitulé "J'ai fait un rêve...".

J'avais rêvé d'un "Libé" affranchi des donneurs de leçons et des biens pensant: les voilà de

retour sous la plume d'un "Professeur émérite de Philosophie" !!!

Bon sang, libérez vous de toute cette engeance !

La bonne longueur des jambes, c'est quand les deux pieds touchent par terre (Coluche) !

1 J'AIME RÉPONDRE

Pour l'instant, Libération a plus besoin de fric que de philosophe.

Et pui, un philosophe qui cite Gramsci et Lénine, moi ça me rend méfiant.

1 J'AIME RÉPONDRE

La crise de Libération reflète la crise de la gauche en France. En effet, depuis la chute du

communisme dans le monde, elle n'a plus d'idéologie propre à défendre, plus de vision,

plus de programme. Il est d'ailleurs frappant de voir que, plus le temps passe, plus

hollande au pouvoir fait du Sarkozy - en moins bien.

Jusque là, il restait à la gauche le terrain de la posture morale, mais depuis les affairesDSK et Cahuzac, entre autres, cela ne peut plus représenter une valeur refuge. Que leur

reste-t-il donc ? Démolir les personnes, s'attaquer à leur caractère, à leur psychologie et à

leur physique ! Et ils ne s'en privent pas...

On voit bien d'ailleurs que c'est uniquement là-dessus que porte aujourd'hui la bataille

contre NKM à Paris : instiller dans l'opinion l'idée qu'elle serait "arrogante" et

"prétentieuse", tout en alignant insensiblement le programme de la candidate PS sur celui

de NKM ....

 Aujourd'hui, en France et dans le monde, ce sont les idées de centre-droit qui dominent etpermettent de gérer au mieux les affaires de le cité. Tous les autres partis en sont réduits à

des postures.

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LOULOU_LA_LOUVE 19 FÉVRIER 2014 À 5:5 8

REMY2 19 FÉVRIER 2014 À 5:41

J'AIME RÉPONDRE

"La désespérance a remplacé la conscience de classe." , comme vous avez , hélas , mille fois

hélas raison ...

et je souscrit hélas aussi à votre analyse "La France est donc l’un des principaux candidatsen Europe à un épisode autoritaire" ...

C'est pourquoi il nous faut un journal , des journaux, ..; un journal, libé ! reviens !

J'AIME RÉPONDRE

Les lecteurs français disent à Libération "vous êtes trop parisiens", et Balibar répond

"Libération doit devenir international". Expliquez-moi comment un journal qui n'arrive

pas à s'occuper correctement de la province française va arriver à s'occuper correctement

du monde entier...

Les lecteurs disent à Libération "cessez d'être un organe du Parti Socialiste" et Balibar

répond que Libération doit cultiver son orientation politique, qu'il trouve indéfinissable.

C'est beau de vivre dans les nuages.

1 J'AIME RÉPONDRE