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Pratiques psychologiques 16 (2010) 1–2 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Éditorial Réflexion éthique et handicap Ethical reflexion and handicap Ce numéro regroupe les contributions d’auteurs qui sont intervenus lors du second séminaire interuniversitaire sur la clinique du handicap (Sichla) à l’université de Nanterre en octobre 2007, dont le thème était : « Questions éthiques dans la clinique du handicap ». Les contributions qui y sont rassemblées montrent que la réflexion éthique est au fondement même de la relation à l’autre et de la conception et du déroulement des rencontres avec lui et des pratiques à mettre en œuvre. Les articles traitent des fondements théoricocliniques du questionnement éthique, à partir de situations particulières de pathologies rencontrées dans la clinique du handicap : surdité (Nicole Farges) ; déficience intellectuelle (Amanda Blondeau et Jérôme Gallien) ; coma (Arnaud Mimouni) ; défiguration (Caroline De Meule) ; place des personnes vulnérables dans le monde du travail (Alain Blanc). Face à ces situations, les auteurs ont été, en quelque sorte, contraints de se confronter à des questions éthiques qui naissent et se déploient dans les spécificités des liens qui se nouent avec la personne en situation de vulnérabilité, parfois extrême. De fait, l’atteinte à l’intégrité psychique, physique, cognitive d’un humain soulève de manière inéluctable la question de l’origine de ce qui fait l’humain dans ses diversités. Ces situations obligent à construire des dispositifs qui soit respectueux de l’autonomie et de la position d’altérité des sujets « handicapés », tout en les pensant semblables à nous. En effet, l’histoire récente et plus ancienne du traitement sociétal de la vulnérabilité ontologique liée à la condition d’humanité montre la nécessité de mener une réflexion collégiale sur la manière dont les actes – qu’ils soient thérapeutiques, à visée diagnostique ou préventive – sont toujours sous-tendus par l’existence d’une valeur, attribuée à la fois individuellement et collectivement, à ces formes de vie marquées par une anomalie, certaines pouvant aller jusqu’à paraître ne pas valoir la peine d’être vécues. C’est ainsi que s’impose au praticien, qu’il soit chercheur ou clinicien, la question suivante : qu’est-ce donc qu’une vie digne d’être vécue ? Évidemment, la manière individuelle et groupale de faire travailler cette question est largement déterminée par des variables sociales, culturelles et historiques, comme le rappelle Alain Blanc, en particulier. Par ailleurs, la liberté de décider pour soi ou pour les membres de sa famille, de même que la liberté du professionnel d’accepter ou de refuser certaines fac ¸ons de faire et de penser sont tout à la fois inéluctables, mais parfois douloureusement contradictoires ou antagonistes. Les auteurs de ce numéro montrent que les questions éthiques se posent au quotidien de la pratique, dans les établissements médicosociaux (Amanda Blondeau, Jérôme Galien) à l’hôpital 1269-1763/$ – see front matter © 2010 Société franc ¸aise de psychologie. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.prps.2010.01.003

Réflexion éthique et handicap

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Pratiques psychologiques 16 (2010) 1–2

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

Éditorial

Réflexion éthique et handicapEthical reflexion and handicap

Ce numéro regroupe les contributions d’auteurs qui sont intervenus lors du second séminaireinteruniversitaire sur la clinique du handicap (Sichla) à l’université de Nanterre en octobre 2007,dont le thème était : « Questions éthiques dans la clinique du handicap ». Les contributions qui ysont rassemblées montrent que la réflexion éthique est au fondement même de la relation à l’autreet de la conception et du déroulement des rencontres avec lui et des pratiques à mettre en œuvre.

Les articles traitent des fondements théoricocliniques du questionnement éthique, à partirde situations particulières de pathologies rencontrées dans la clinique du handicap : surdité(Nicole Farges) ; déficience intellectuelle (Amanda Blondeau et Jérôme Gallien) ; coma (ArnaudMimouni) ; défiguration (Caroline De Meule) ; place des personnes vulnérables dans le monde dutravail (Alain Blanc). Face à ces situations, les auteurs ont été, en quelque sorte, contraints de seconfronter à des questions éthiques qui naissent et se déploient dans les spécificités des liens quise nouent avec la personne en situation de vulnérabilité, parfois extrême.

De fait, l’atteinte à l’intégrité psychique, physique, cognitive d’un humain soulève de manièreinéluctable la question de l’origine de ce qui fait l’humain dans ses diversités. Ces situationsobligent à construire des dispositifs qui soit respectueux de l’autonomie et de la position d’altéritédes sujets « handicapés », tout en les pensant semblables à nous. En effet, l’histoire récente etplus ancienne du traitement sociétal de la vulnérabilité ontologique liée à la condition d’humanitémontre la nécessité de mener une réflexion collégiale sur la manière dont les actes – qu’ils soientthérapeutiques, à visée diagnostique ou préventive – sont toujours sous-tendus par l’existenced’une valeur, attribuée à la fois individuellement et collectivement, à ces formes de vie marquéespar une anomalie, certaines pouvant aller jusqu’à paraître ne pas valoir la peine d’être vécues.

C’est ainsi que s’impose au praticien, qu’il soit chercheur ou clinicien, la question suivante :qu’est-ce donc qu’une vie digne d’être vécue ?

Évidemment, la manière individuelle et groupale de faire travailler cette question est largementdéterminée par des variables sociales, culturelles et historiques, comme le rappelle Alain Blanc,en particulier. Par ailleurs, la liberté de décider pour soi ou pour les membres de sa famille, demême que la liberté du professionnel d’accepter ou de refuser certaines facons de faire et de pensersont tout à la fois inéluctables, mais parfois douloureusement contradictoires ou antagonistes.

Les auteurs de ce numéro montrent que les questions éthiques se posent au quotidien de lapratique, dans les établissements médicosociaux (Amanda Blondeau, Jérôme Galien) à l’hôpital

1269-1763/$ – see front matter © 2010 Société francaise de psychologie. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.prps.2010.01.003

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(Caroline De Meule, Arnaud Mimouni, Nicole Farges), dans le cadre de décisions de prises encharge (Alain Blanc). En effet, c’est dans les actes posés au quotidien que le praticien et lechercheur sont sommés de réfléchir à leurs postures éthiques à construire, à fonder et à faireévoluer. Il n’y a pas pour le clinicien de « grands » et de « petits » problèmes éthiques, il y a lanécessité de toujours élaborer une position, une manière de dire, de faire, de regarder, de penser,de rencontrer l’autre qui soit le plus respectueuse possible de la dignité des protagonistes de larelation et qui tienne compte des spécificités des objectifs qui chacun se fixe dans cette rencontre.

Ces configurations cliniques soulèvent des réflexions qui dépassent le seul cadre de la pratiqueauprès des personnes vulnérables. En effet, les situations particulières évoquées dans ce numérone font que révéler et imposer à la réflexion des processus sociétaux et individuels de productiondes normes, des règles morales, des rapports complexes qui sont fantasmés, imaginés entre corpset psyché, entre pensée et langage. À travers ces interrogations, ce sont finalement les questions dumal, du bien, de l’absurde et du raisonnable, de l’ordinaire et de l’extraordinaire qui sont poséeset par-delà, celles des critères de l’appartenance à l’humain. . .

Les professionnels du handicap qui sont quotidiennement aux prises avec la constante interac-tion des facteurs éthiques et cliniques sont bien placés pour relever le défi que représente l’étudedes enjeux éthiques dans leurs dimensions psycho(patho)logiques, imaginaires et fantasmatiques,évidemment pour partie inconscients.

Les situations parfois extrêmes abordées par les auteurs imposent le déploiement d’uneréflexion éthique qui, par ses effets de transformation de la réalité par la pensée, s’avère êtreun bon outil pour aider à dépasser la sidération. Les auteurs de ce numéro montrent tout le béné-fice de ce travail de pensée qui a des effets de transformations au niveau de la conception despratiques et de la manière dont elles sont actées et évoluent.

Chacun à sa manière, les auteurs rendent compte de la facon dont ils élaborent leurposture éthique en élucidant ses fondements, le plus souvent dans le cadre d’échanges enéquipe. Ils soulignent combien les expériences de rencontres – source de plaisir, de souffrances,d’interrogations – les ont progressivement amenés à construire et à faire évoluer leurs positionne-ments éthiques. C’est dans le déploiement de la pensée autour de situations mises à l’épreuve del’autre – autres collègues, patients, institutions – que cette réflexion éthique révèle tout son intérêt.

Autrement dit, parler d’éthique suppose de penser le mouvement, l’entre-deux évolutif de laprise en compte de soi dans une réciprocité entre l’autre et soi. Dans cette dynamique réflexive,l’objectif n’est évidemment pas de parvenir à édicter des règles mais de souligner la nécessitéabsolue de ne jamais interrompre les questionnements dans un colloque singulier entre soi etl’autre. En effet, l’éthique ne peut se penser uniquement en terme de « je », mais doit y inclurel’autre, la temporalité et le contexte des rencontres.

S. Korff-Sausse 1

Université de Paris-7, 200, avenue de la République,92001 Nanterre cedex, France

R. Scelles 2,∗Département de psychologie, université de Rouen, rue Lavoisier,

76821 Mont-Saint-Aignan, France

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (R. Scelles)

1 MCF, (CEPP).2 Professeur, (Psy-NCA).