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1 REFLEXIONS AUTOUR D’UNE TRANSFORMATION UNE FABRIQUE DE PIANOS A BIENNE CAHIER 1, ÉLÉMENTS D’ANALYSE Enoncé théorique de diplôme, David Begert, Claudio Dini Directeur pédagogique, Professeur Martin Steinmann Professeur d’institut, Professeur Claude Morel Maître EPFL, Professeur invité Philippe Gueissaz Expert, Stéphane de Montmollin, architecte EPF SIA FAS ENAC - Architecture, décembre 03

reflexions autour d'une transformation

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REFLEXIONS AUTOUR D’UNE TRANSFORMATIONUNE FABRIQUE DE PIANOS A BIENNE

CAHIER 1, ÉLÉMENTS D’ANALYSE

Enoncé théorique de diplôme, David Begert, Claudio DiniDirecteur pédagogique, Professeur Martin Steinmann

Professeur d’institut, Professeur Claude MorelMaître EPFL, Professeur invité Philippe Gueissaz

Expert, Stéphane de Montmollin, architecte EPF SIA FAS

ENAC - Architecture, décembre 03

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CAHIER 1 - ELEMENTS D’ANALYSE

0 Introduction 4

1 Réfl exions autour de la transformation

La transformation, quelques repères théoriques

histoire de la construction, histoire des transformations 8

un nouvel état d’esprit 13

discussions actuelles autour de la transformation 17

Etudes de cas

usines Thorens, Philippe Gueissaz 29

fi lature Buag, Michaël Alder et Moos Giuliani Hermann 33

brasserie Warteck, Suter + Suter et Diener & Diener 37

blanchisserie, Angélil, Graham, Pfenninger et Scholl 41

Un outil pour transformer

Entre forme et fonction 46

2 Une fabrique de pianos à Bienne

Historique de la ville de Bienne 68

Historique de la fabrique 79

Eléments d’analyse urbaine 82

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CAHIER 2 - PROJET

3 Un projet

Analyse de la fabrique 98

Réfl exions sur le projet 109

4 Annexes

Terminologie 117

Bibliographie 120

Remerciements 124

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INTRODUCTION

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Travailler avec des bâtiments existants a cessé, depuis quelques années, d’être uniquement une question de préservation de l’image de la ville et des édifi ces historiques. Aujourd’hui, ce thème traite d’impératifs économiques et écologiques. Les problèmes de pollution et d’épuisement des ressources naturelles couplés à la décroissance démographique des pays industrialisés mettent au cœur des débats le travail avec l’environnement construit, sa restauration, sa réparation pour de nouvelles utilisations. La transformation et l’amélioration des constructions existantes, qui concerne à ce jour près d’un ouvrage sur deux, continuera encore à prendre de l’importance dans un proche futur.

Désormais, la transformation n’implique pas seulement un travail sur des édifi ces avec une valeur historique, mais s’étend également aux bâtiments ordinaires – habitations, industries, bureaux. Les possibilités d’intervention ne cessent alors de croître et de s’élargir. D’une simple réparation pratique ou esthétique à la restauration originelle d’un édifi ce jusqu’à la transformation complète de l’existant, la tâche de l’architecte devient à la fois plus complexe mais aussi plus créative et stimulante. Dorénavant, il doit adapter sa réfl exion autour de la transformation, de la récupération et du bricolage et perdre les habitudes conceptuelles propres aux constructions neuves.

A travers des réalisations emblématiques – la Tate Gallery, le Reichstag ou l’opéra de Lyon – la transformation démontre de plus en plus son potentiel créatif et intéresse un nombre grandissant d’architectes. Ils perçoivent alors l’intérêt et le défi que leur propose un travail avec les bâtiments existants, à la fois conceptuel et esthétique, et considèrent ainsi cette discipline avec estime.

Notre travail à Bienne, ancienne ville industrielle, s’inscrit dans cette nouvelle pensée. Le site de la fabrique de pianos Burger & Jacobi propose une réfl exion complète sur le thème de la réhabilitation. Ce bâtiment désaffecté, proche du centre-ville, soulève des questions autant architecturales qu’historiques et économiques.

Notre travail cherche d’abord à clarifi er le débat actuel autour de ce thème, à étudier certaines réalisations contemporaines et nous permettre ensuite de développer notre propre réfl exion. A travers une recherche systématique sur les différents domaines qui touchent la transformation, nous proposerons une méthode, un outil de travail, pour nous diriger dans notre projet.

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REFLEXIONS AUTOUR DE LA TRANSFORMATION

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« Nous n’avons pas à vivre dans la nouveauté d’un avenir radieux, pas plus que nous ne devons nous cacher derrière de rassurants pastiches du passé. Nous devons habiter un présent en perpétuelle évolution, motivés par les possibilités du changement, avec le bagage du passé et de l’expérience comme garde-fou.»

David Chipperfi eld

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la transformation, quelques repères théoriques

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HISTOIRE DE LA CONSTRUCTION, HISTOIRE DES TRANSFORMATIONS

Le débat autour de la transformation a pris de l’ampleur ces trente dernières années. Il s’est à la fois enrichi par de nouvelles possibilités d’interventions et complexifi é par les nombreux domaines dont il traite désormais. Mais cette problématique n’est évidemment pas un phénomène nouveau, une découverte contemporaine. Les bâtiments édifi és par l’homme, depuis des milliers d’années, ont constamment fait l’objet de modifi cations au cours de leur histoire. Les régimes politiques, religieux et économiques naissent et meurent; les bâtiments, très souvent, survivent aux civilisations qui les ont construits. Les temples grecs et romains de l’Antiquité sont devenus des églises chrétiennes. Les monastères du moyen-âge se sont changés en maisons de campagne, les châteaux-forts en palais. Le réemploi de ces bâtiments a été avant tout une question de bon sens économique et il s’est souvent fait sans tenir compte du passé ou du caractère des constructions. Les exemples sont nombreux. Ainsi la mosquée de Tolède construite par les arabes est devenue une cathédrale; les amphithéâtres de Nîmes, d’Arles et de Lucca se sont comblés par des habitations à l’époque médiévale. A Lucca, en Italie, le tissu urbain a tout simplement englouti l’édifi ce, avec des maisons appuyées dans les angles de ses structures et construites dans le vide central.

Démarré par une impulsion fonctionnelle, le moteur de ces récupérations est donc essentiellement économique: la construction au Moyen-Age est une activité relativement coûteuse et malaisée. Le transport des matériaux et la qualifi cation de la main d’œuvre limitent encore une capacité de production déjà faible. Plutôt que de reconstruire à grands frais, nos ancêtres sont passés maîtres dans l’art de modifi er. La substance existante est parcimonieusement réutilisée: murs, fondations, matériaux et la moindre occasion de bâtir à partir d’objets existants est saisie. Il faut récupérer ce qui est réutilisable, réparer ce qui n’est pas trop endommagé, remplacer ce qui est défi citaire. Ainsi, les murs de l’ancien palais de Dioclétien à Split se sont transformés petit à petit pour devenir une ville médiévale.

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fi g. 1, Lucca, l’amphithéâtre romainprojet pour lui redonner sa première forme et ouvrir la place (1838)

fi g. 2, Split, le palais de Dioclétienle palais d’origine à gauche et la ville médiévale à droite

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Les transformations de l’Antiquité et du Moyen-âge n’hésitent pas à trancher parfois violemment dans les bâtiments existants. Jamais cependant elles ne sont gratuites et dans leur ensemble elles ne nécessitent pas de gros moyens. Cette mentalité évolue durant la Renaissance. Les grandes villes italiennes croissantes, bâties sur les ruines d’un passé glorieux, se confrontent alors au problème de la pérennité d’un tel héritage. Les architectes de cette période, se revendiquant justement de l’Antiquité, commencent à associer la notion de patrimoine à la transformation, notions qui restent aujourd’hui indissociables. Si Alberti assimile restauration et consolidation dans son livre X De architectura, Serlio reste plus pragmatique sur la question de la «restauration des vieilles choses», sujet principal de son livre VII. Tandis que Michel-Ange, tout comme Palladio à Venise, passe directement à la pratique. Son œuvre s’inscrit dans un vaste programme de rénovations et de transformations. Il est amené à compléter, aménager ou changer les structures et les formes de construction de bâtiments qu’il réhabilite, améliore ou termine. De la chapelle Médicis à la coupole Saint-Pierre en passant par le palais du Capitole, il intervient souvent à partir d’édifi ces déjà construits. Mais son chef-d’œuvre en matière de réhabilitation reste la conversion des thermes de Dioclétien à Rome en lieu de culte, l’église de Sainte-Marie-des-Anges. Michel-Ange, selon sa sensibilité néo-platonicienne sur le temps et la symbolique de la ruine, réduit son apport au strict minimum. Un siècle plus tard, dans une période de grandes transformations urbaines, des architectes comme Borromini ou Piranèse poursuivent cette réfl exion et rapprochent l’archéologie de l’architecture dans le dessein de restituer l’Antiquité.

Cette notion de patrimoine se cristallise en France juste après la Révolution. A l’heure où l’Europe (re)découvere les monuments gothiques, le nouvel Etat français hérite d’un parc immobilier dont il ne sait que faire. Il décide alors la création d’une commission des monuments historiques en 1837 qui se penche principalement sur la conservation des objets de l’Antiquité, des édifi ces religieux ou des châteaux. La fi gure emblématique du nouvel organe étatique est Viollet-le-Duc. A travers son dictionnaire raisonné de l’architecture notamment, il milite pour un interventionnisme sur le bâti: «Restaurer un édifi ce, c’est le rétablir dans un état complet qui peut ne jamais avoir existé à un moment donné.» Cette conception du monument idéal, en particulier des cathédrales, le pousse vers une restauration complète et même jusqu’à l’ajout de parties n’ayant qu’un rapport arbitraire avec la substance historique ou architecturale de l’objet. Pour Viollet-le-Duc, un édifi ce historique appartient à la fois à un présent immédiat et à un passé lointain, justifi ant ainsi certaines interventions brutales.

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fi g. 3, l’église Sainte-Marie-des-Anges, Michel-Angeen haut les anciennes thermes, en bas le projet de Michel-Ange

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En Angleterre cette théorie est en complète opposition avec les idées de Morris et de Ruskin. Ces hommes mettent l’accent sur la capacité commémorative de l’architecture. Pour Ruskin, « la plus grande gloire d’un bâtiment ne réside pas dans ses pierres et dans son or. Sa gloire, c’est son âge… ». Il énonce l’idée que l’architecture est une des pierres angulaires de l’histoire, et, qu’en tant que telle, on ne doit pas y toucher, et encore moins la falsifi er. Les monuments historiques doivent être authentiques et donc rester à l’état de ruine ou subir une dégradation progressive pour que les marques du temps soient lisibles. A travers leurs textes, ces théoriciens valorisent la créativité plutôt que l’imitation et suggérent que chaque génération doit construire selon ses besoins et son style. Paradoxalement une intervention de consolidation ou d’entretien leur paraît envisageable, pour autant que celle-ci soit invisible.

Ces deux mouvements défenseurs du patrimoine affrontent la Révolution industrielle. Le fabuleux progrès technique et scientifi que de cette période change la mentalité des hommes face au bâti existant. Une industrialisation des méthodes de construction et une capacité productive décuplée par les machines permettent la croissance rapide des grands centres urbains d’Europe. L’acheminement en grande quantité des matériaux est facilité par le développement de nouveaux moyens de transports. Construire comme démolir devient beaucoup plus facile. Dans la perspective d’expansion urbaine quasi sans limite qui caractérise cette période, la nouveauté est synonyme de progrès et de prospérité. Ce phénomène va de paire avec une certaine réticence pour l’ancien, le vieux. Dans le contexte spéculatif du développement urbain industriel et commercial, cette attitude se traduit par la destruction de nombreux bâtiments du centre-ville faisant place à de nouveaux immeubles de commerce et de bureaux, propageant ainsi une image moderne des milieux urbains. Bien que la planifi cation des ces villes est une affaire de pouvoirs publiques, la réhabilitation se résume souvent en une démolition – reconstruction des tissus existants. Les monuments classiques tels que les châteaux, églises ou forts restent alors les seuls édifi ces anciens appréciés.

Ce mépris pour les bâtiments anciens n’a pas changé après la première guerre mondiale. Au contraire, il trouve un écho sans précédent grâce au mouvement moderne. Ces architectes, occupés par la problématique de la production de logements ouvriers bon marchés à grande échelle, se fi gent sur cette valeur de progrès que représente le nouveau. La standardisation des éléments de construction, l’optimisation des surfaces construites et l’ampleur des projets «machinistes» ne font pas bon ménage avec la ville ancienne insalubre, sombre et peu rationnelle. Celle-ci est reniée, délaissée dans le meilleur des cas. Elle représente les défauts que le fonctionnalisme cherche justement à combattre. Une seule attitude paraît possible si

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l’on veut progresser: détruire et refaire. Le Corbusier propose en 1925 le plan Voisin qui exige la destruction d’une bonne partie du centre historique de Paris pour faire place à une ville moderne emblématique, projet qui reste évidemment au stade de simple vision utopique. Malgré ce mépris envers les vieux bâtiments, le concept de patrimoine historique des villes est mentionné dans la chartes d’Athènes, document manifeste des C.I.A.M. : «La mort qui n’épargne aucun être vivant frappe aussi les œuvres des hommes. Il faut savoir, dans les témoignages du passé, reconnaître et discriminer ceux qui sont encore bien vivants. Tout ce qui est passé n’a pas, par défi nition, droit à la pérennité: il convient de choisir avec sagesse ce qui doit être respecté.» Six articles expliquent les conditions ainsi que les limites d’application de la conservation urbaine. Ils traitent du sujet en évitant pour autant de plonger la ville dans une léthargie conservatrice. L’après-guerre donne alors l’occasion de conduire une reconstruction selon les principes de la ville fonctionnelle. L’esprit moderne dirige non seulement cette reconstruction mais également l’expansion démesurée des villes jusqu’aux années 70. Il donne naissance aux grands ensembles résidentiels, aux quartiers d’HLM ainsi qu’aux grands centres d’affaires.

Cependant cet élan modenre produit un contrecoup; l’échec de nombreux projets d’habitat social d’après-guerre symbolise l’effondrement d’un rêve moderniste. La désillusion qui suit la démarche destructrice des urbanistes de l’époque se traduit par un rejet populaire et la recherche d’une nouvelle approche. La crise post-moderne emmenée par des théoriciens comme Aldo Rossi, Robert Venturi ou encore Colin Rowe propose en réaction un nouvel état d’esprit, une nouvelle vision des centres urbains. Ces nouvelles théories admettent fondamentalement l’existence d’un tissu urbain historique et lui reconnaissent des valeurs propres. Colin Rowe et Fred Koetter rédigent «Collage City», manifeste d’une pensée qui défi nit la ville comme un ensemble de tissus de formes et d’époques différentes. Les fragments historiques, le bricolage formel et le mélange qui en découle sont désormais perçus comme autant de qualités. Certains architectes se mobilisent alors pour la sauvegarde d’anciens bâtiments: ainsi Peter et Alison Smithson tentent de sauver Euston Arch à Londres, Philip Johnson essaye de conserver la gare de Pennsylvanie à New-York et Renzo Piano et Richard Rogers s’élèvent contre la démolition des Halles à Paris. Sur la base d’une telle pensée, la réutilisation et la transformation de vieux bâtiments redevient possible et les premiers «lofts» font leur apparition dans les années 70. Stigmatisée par la crise du pétrole à la même période, la consommation à grande échelle laisse petit à petit apparaître la notion d’écologie aux côtés de la réhabilitation. La démolition apparaît alors de nouveau comme un gaspillage et l’abandon de grands sites industriels pollués comme un crime.

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fi g. 4, le plan Voisin, le Corbusier, 1925plan et maquette

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Les années 80 et 90 voient cette tendance se confi rmer. La démographie décroissante des grandes villes industrialisées ralentit l’expansion urbaine. L’intervention sur le tissu existant et l’amélioration des conditions de vie citadine paraît de plus en plus comme une nécessité pour le développement futur des cités. Bientôt une grande majorité des mandats proposés aux architectes portent sur des constructions existantes: réparations, rénovations ou transformations. La variété des objets sur lesquels ils interviennent est sans cesse grandissante et parallèlement la notion de patrimoine s’élargit à d’autres horizons tels que les sites industriels ou même les ensembles de logements.

Aujourd’hui, la légitimité d’une intervention sur l’existant ne semble plus à démontrer. La modifi cation de la substance bâtie fait partie intégrante de la stratégie de développement des villes. Le potentiel de certaines zones oubliées, de friches industrielles à l’abandon (aujourd’hui agglomérées dans le tissu urbain) ou le potentiel touristique de centres historiques démontrent les multiples facettes et les enjeux de la transformation actuelle, à la fois économique, sociale, historique et écologique. De plus cette tendance à la réutilisation semble renforcée par une réduction de la durée des cycles d’exploitation des bâtiments (industriels, commerciaux et résidentiels), rendant obsolète des structures urbaines dans des laps de temps de plus en plus courts. Autrement dit, si jusqu’ici la construction survivait à l’homme, aujourd’hui l’homme survit à la construction, à sa fonction. Nous pouvons alors imaginer que dans le futur le vieillissement de la population transformera peut-être les jardins d’enfants en maisons de retraite, ou que de nouvelles habitudes familiales rendront les logements inadaptés, ou enfi n que l’informatisation et la rationalisation transformeront peut-être les tours de bureaux en friches commerciales.

Références, citations

Ruskin, les sept lampes de l’architectureViollet-le-Duc, dictionnaire raisonné de l’architectureColin Rowe et Fred Koetter, collage citySebastiano Serlio, traité d’architecture, livre VIILeon Baptiste Alberti, de architectura, livre XLe Corbusier, chartes d’Athènes, CIAM 1931 et 1939, point no 66

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UN NOUVEL ÉTAT D’ESPRIT

l’héritage moderne

William Morris affi rma en 1881 que «l’architecture est l’ensemble des modifi cations et des variations introduites sur la surface terrestre pour répondre aux nécessités humaines». Il est surprenant de constater qu’une telle défi nition, énoncée à une période charnière de la réfl exion architecturale, conduisit au travers de la révolution industrielle à l’avènement du mouvement moderne. Le projet moderne signifi ait alors une tâche bien précise, liée directement au développement de la société industrielle. Selon les meilleures intentions, les projets modernes voulaient à la fois donner un sens et une forme au processus de forte croissance des moyens productifs à l’ère du charbon, du métal et de la machine à vapeur. La notion de quantité, conséquence de l’exode rural fut pour la première fois introduite dans le débat architectural: quantité des logements ouvriers à produire, quantité des matériaux à employer, quantité des équipements et des services nécessaires, quantité du terrain à utiliser. La quantité et la croissance sont deux notions qui ont fortement caractérisé le cycle de l’époque moderne. La foi en un développement infi ni, la conviction optimiste que l’exploitation des ressources naturelles représentait une source pratiquement inépuisable, la croyance aveugle dans les bienfaits du progrès technologique furent les préceptes d’une architecture et d’une société pendant près d’un siècle. Alors, des pionniers comme Walter Gropius ou Hannes Meyer, pour qui toute nouvelle architecture était pensée comme une pure création de l’esprit selon la formule du Corbusier, posèrent les bases d’une architecture de masse. La logique adoptée fut celle de la table rase, en lien étroit avec l’idée que la nouvelle architecture serait capable, en apportant avec elle le progrès, de résoudre les nombreux défauts de la ville industrielle et par amalgame ceux de la ville médiévale. Le nouveau présupposait la destruction de l’ancien et mieux encore le nouveau était pensé comme la substitution de ce qui était préexistant. Le nouveau radicalement différent de l’ancien, notamment en s’affi rmant par une unité de style, par un principe hygiénique fait d’air et de lumière, devait permettre de résoudre la noire misère des villes industrielles. Cette mentalité architecturale et urbaine, cette conception du monde ont eu bien sûr des répercussions dont les traces restent encore aujourd’hui perceptibles.

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La crise contemporaine de notre société industrialisée se fonde sur le fait qu’il existe justement des limites à la croissance, limites liées à l’épuisement des ressources naturelles, des matériaux et des sources d’énergie, limites matérielles à l’intérieur desquelles nous sommes aujourd’hui conscients de devoir agir. Au travers d’une redécouverte des centre-villes menée par des explorateurs comme Aldo Rossi, Colin Rowe ou même Rem Koolhaas et son Delirious New-York, l’apparent désordre complexe condamné par les modernes se décline désormais comme autant de qualités. Les différences historiques des tissus urbains, la multiplicité de leurs formes, les différentes couches sociales impliquées deviennent alors synonyme de richesse. Ainsi cette notion de richesse jusqu’alors associée à la quantité se lie désormais à la notion de qualité. Cette nouvelle condition crée par conséquent la demande d’une architecture plus sensible, plus sociale. Au lieu de destruction, les théoriciens parlent de sauvegarde de la ville, il faut construire avec le temps et non pas contre le temps. Dans cette optique, la rénovation d’Alvaro Siza pour l’église de Salemi, en Sicile, est un exemple pertinent. Ce nouvel esprit architectural se manifeste avec subtilité et invention dans cette transformation. L’église écroulée lors d’un tremblement de terre révéla une beauté imprévue. De façon minimaliste, Siza propose de simples découpes géométriques pour régulariser le profi l casuel des murs écroulés, et de légers renforts structurels pour consolider l’image de la nef comme salle à ciel ouvert, ne laissant couverte que l’abside comme chapelle principale.

De nouveaux territoires de référence doivent dès lors être employés pour légitimer une intervention architecturale: au lieu de parler de croissance et de production de masse, l’on préfère parler de requalifi cation de l’existant, de reconversion de bâtiments ou de réparation des tissus urbains et périphériques. De nouveaux défi s sont alors proposés aux architectes et aux urbanistes: reconversion de sites industriels, rénovation des quartiers défavorisés, transformation des infrastructures de communications, restauration des centres historiques. Ces thèmes, spécifi ques à notre époque, intègrent des notions nouvelles comme l’écologie ou le patrimoine. Les architectes contemporains doivent nécessairement leur accorder la priorité pour deux raisons principales. D’une part, ils doivent s’adapter empiriquement à la transformation du marché et à l’économie du bâtiment qui voit fortement augmenter la proportion des interventions en faveur de modifi cations de l’existant au détriment d’une production de nouveaux objets. D’autre part, les architectes agissent de plus en plus avec la conscience culturelle que le patrimoine existe et possède une valeur spécifi que. L’existant peut être ainsi utilisé comme un véritable matériau du projet. Cependant, les architectes semblent répondre à cette nouvelle situation de façon anachronique: au lieu de développer des instruments de pensée spécifi ques aux problèmes contemporains, la majorité se contente de recycler simplement les vieux instruments conceptuels hérités des traditions de la discipline.

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fi g. 5, l’église de Salemi, Alvaro Siza, 1982la situation après le tremblement de terre en haut, le projet de Siza en bas

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les nouveaux outils de la transformation

La conception d’un projet d’architecture doit désormais tenir compte d’un paramètre incontournable: le tissu existant. La transformation, la modifi cation signifi e pour l’architecte un travail différent d’une construction nouvelle. Avant tout, il s’agit de trouver une approche inventive quant à la substance existante. Les contraintes d’une forme imposée deviennent les stimuli d’un travail créatif. L’idée de former un tout doit évoluer en regard de ce qui existe déjà. Il est simplement impossible de créer un nouvel objet fait d’un seul moule. Dans ce sens, un bâtiment transformé est toujours caractérisé par une complexité et une ambiguïté apparente en termes de matériaux, d’époque et de contenu. Beaucoup d’éléments sont déjà en place et doivent simplement être intégrés ou absorbés. L’architecte ne doit plus inventer, mais réinterpréter. Il ne crée plus de nouvelles pièces, mais il doit bricoler avec elles. Cette conception mène à une nouvelle approche de l’objet architectural: les transformations sont des hybrides et portent ces contradictions en elles-mêmes. Elles sont en désaccord avec l’idée que concevoir est un acte créatif personnel qui mène à la réalisation d’un objet neuf, homogène et autonome. Un tel travail doit se développer dans une tension entre existant et nouveau, ce qui ne s’apparente pas à une œuvre personnelle au sens traditionnel: la transformation présente irrévocablement la signature de plusieurs auteurs. En dépit d’interactions évidentes, le programme et la conception sont traités comme des processus consécutifs. Que le programme désiré puisse être implémenté ou qu’il nécessite quelques vérifi cations, cette problématique est souvent révélé alors que le projet est déjà en cours. La défi nition d’un nouvel usage est directement mêlée avec des questions de conception. Le projet de transformation requiert une capacité de «désorganisation» lorsque des situations existantes clairement défi nies doivent être réinterprétées. Cette relecture doit souvent être en contraste direct avec la perception actuelle ou originelle de la forme et de sa disposition, pour lui assurer une existence future. Il est alors question de trouver une multitude de qualités (peut-être même de défauts) dans un produit déjà fi ni au-delà d’un ordre apparemment inscrit et de les exprimer sous une nouvelle forme à travers le projet. Cet art de l’observation révèle l’ambiguïté et les lectures variées d’une substance apparemment fi gée et met en valeur la capacité d’une possible recréation. Ce changement va évidemment rendre plus fl oues les origines de l’objet. Le bâtiment est constamment réinventé et ne raconte pas une mais plusieurs histoires. La transformation est une combinaison de paramètres économiques, de qualités spatiales existantes et de choix conceptuels qui requièrent les compétences d’un architecte.

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Bien sûr, l’architecture n’est pas le seul domaine qui doit évoluer dans l’esprit de la transformation et développer de nouveaux moyens pour l’appréhender. Economiquement, il existe déjà quelques outils qui permettent d’évaluer approximativement les coûts d’une transformation. Ils fonctionnent généralement par rapprochement avec des éléments connus comme la valeur des constructions neuves (dont on déduit qualitativement un certain montant) ou alors par une comparaison avec d’autres transformations déjà réalisées (Metron, EPIQR). Ces techniques d’évaluation souffrent encore d’un certain manque de fi abilité bien compréhensible au vu des nombreuses surprises que peuvent réserver des travaux de transformation. La recherche d’une meilleure fi abilité va donc de pair avec la recherche d’instruments qui permettent d’évaluer l’état d’un bâtiment, de diagnostiquer les conditions physiques des constructions. De plus, il faut laisser du temps pour que ces méthodes acquièrent une nécessaire expérience. Politiquement, si la volonté de travailler en améliorant l’existant est perceptible, les outils juridiques, eux, sont totalement teintés d’une conception moderne de la ville. Les paragraphes des différents règlements s’enchaînent sur les caractéristiques et les propriétés que doivent présenter les nouvelles constructions. Les spécifi cités que requièrent la transformation sont uniquement mentionnées sous forme de dérogations par rapport aux standards qu’imposent les bâtiments neufs. Jamais un règlement ne part du principe fondamental que la transformation exige des normes et des conditions à part. Enfi n la transformation implique l’apparition de techniques et de matériaux qui puissent s’adapter aux constructions existantes. Qu’il s’agisse de renforcer des structures, d’améliorer l’enveloppe ou de démolir certaines parties, les moyens et les machines actuelles doivent devenir suffi samment fl exibles pour répondre à toutes sortes de situations délicates. Mais nous parlons là de problèmes de jeunesse.

Références, citations

William Morris, the prospects of architecture and civilizationColin Rowe et Fred Koetter, collage cityAldo Rossi, architecture de la villeRem Koolhaas, delirious New-York

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DISCUSSIONS ACTUELLES AUTOUR DE LA TRANSFORMATION

forme-fonction, vers une nouvelle normalité?

La naissance d’une philosophie sur la transformation n’est possible qu’à partir du moment où les architectes et urbanistes ont oublié la pratique de la table rase. La nouvelle conception de sauvegarde des villes établie par les architectes post-moderne est devenue une base suffi samment solide sur laquelle peut reposer la transformation. Cette notion n’a dès lors cessé d’évoluer. D’abord cantonnée aux objets possédant une valeur historique indiscutable, elle s’est par la suite étendue à d’autres bâtiments au fur et à mesure que la notion de patrimoine s’élargissait (usines, logements ou même commerces). De plus en plus de bâtiments transformés n’affi chent même plus de valeur historique et aujourd’hui aucun bâtiment, aucun site ne semble inapte à recevoir une nouvelle fonction. Bien que de nouveaux impératifs écologiques soient apparus, les motivations d’un changement d’affectation restent essentiellement économiques et politiques. A petite échelle la récupération de structures saines, offrant de généreux espaces donne l’opportunité de reconstruire à moindre coût. A l’échelle urbaine ce potentiel se révèle à travers la récupération de friches industrielles avantageusement situées ou à travers une réanimation de quartiers abandonnés.

Comment alors choisir une nouvelle fonction, comment l’associer à l’ancienne forme? La transformation résulte d’un changement dans la relation classique entre un objet et son utilité. Alors qu’une enveloppe est généralement conçue pour un programme donné dans le cadre d’un bâtiment neuf, celle-ci existe déjà dans les constructions pour lesquels un nouvel usage doit être développé. Pour les urbanistes, les architectes et leurs clients, le défi et le potentiel de cette tâche réside donc dans le renversement d’une défi nition traditionnelle entre forme et fonction. Qu’il s’agisse de bâtiments insignifi ants ou de monuments classés, la question d’un nouveau programme adéquat reste au cœur de la transformation. En dehors des qualités intrinsèques des édifi ces existants (structurelles, spatiales ou de lumière), qui bien souvent suggèrent à elles seules les caractéristiques de la future utilisation, il est possible de distinguer trois différents types d’approches quant au choix d’une

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nouvelle affectation. Ces tendances, étroitement liées à la notion de patrimoine, ne doivent pas se présenter comme un système de classement complet mais plutôt comme le refl et d’une évolution de la pensée de la transformation au cours de ces trente dernières années.

Métamorphose des monuments – lieux d’expositions

La première attitude prend le parti de la pérennité de la fonction cherchant à s’adapter aux besoins contemporains. De fait, la transformation semble être la meilleure méthode pour préserver les bâtiments ou les monuments classiques. Le nouvelle fonction, généralement à vocation culturelle, découle de l’ancienne de façon évidente: les châteaux deviennent des musées d’histoire, les casernes des musées militaires, les maisons communales se changent en musées de la ville. Cette notion peut ensuite s’étendre plus généralement aux fonctions publiques. Les reconversions des églises en centres communautaires, d’anciens greniers en salle d’exposition ou même de monastères en bibliothèques, toutes concernent des bâtiment représentant un héritage culturel et historique dans lesquelles l’ancienne vocation publique ou communautaire cherche à perdurer. Il s’agit souvent de projets de prestige qui jouent un rôle important pour l’identité culturelle et historique d’une ville. Cette approche de la transformation reste populaire, car elle représente une preuve de l’intérêt des autorités pour la population. Aujourd’hui ces projets exhortent une identité locale propre et peuvent participer économiquement au développement d’une région en devenant, pour quelques unes, une attraction touristique.

Appropriation d’espaces individuels - niches pour pionniers

La deuxième approche se trouve quasiment à l’opposé de la première dans le spectre des possibilités de réaffectation. Elle se tourne vers un renversement radical de la fonction, vers une nouvelle appropriation individuelle de l’ancienne forme. Elle concerne en premier lieu des bâtiments vides avec peu ou pas de valeur commerciale et qui ne présentent à priori pas non plus de valeur historique importante tels que d’anciennes usines ou d’anciennes manufactures. Ces constructions offrent des opportunités qui ne sont pas disponibles ailleurs: de grands volumes bâtis et des loyers quasi nuls permettent de nouvelles idées d’utilisation, à travers une appropriation personnelle de l’espace et des expériences spatiales inhabituelles. Les artistes furent certainement les premiers à découvrir que les anciens dépôts ou les anciennes fabriques pouvaient proposer des studios et des ateliers à la fois spacieux et bon marché. Mais d’autres initiatives, généralement d’ordre culturel, se fi rent pionnières d’une occupation des vieux bâtiments dépréciés. Les anciennes usines étaient parmi les choix les plus populaires pour expérimenter de nouvelles

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fi g. 6, centre culturel de Tolède, Ingnacio Mendaro Corsinil’ancienne église devient un centre d’archives et de séminaires

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formes d’habitation et de vie en communauté. Certains jeunes entrepreneurs ont quelques fois saisi l’opportunité de réutiliser de tels bâtiments pour commencer à travailler en indépendant, rapidement et à moindre frais. Ce genre d’appropriation et d’occupation peut aussi se traduire de manière temporaire et informelle, par exemple lorsque des skateurs ou des ravers détournent ces espaces de leurs fonctions premières pour installer, avec un minimum de moyens, des rampes ou des scènes. Les questions de design ou d’architecture jouent alors un rôle secondaire, l’intérêt étant focalisé sur l’espace, un vide prêt à se remplir d’idées personnelles. Plus récemment, le phénomène des squats s’est étendu des zones industrielles aux bâtiments vacants du secteur tertiaire.

Attrait pour l’ancien - récupération commerciale

Une dernière attitude plus récente, consiste en une récupération marketing d’anciens bâtiments pour les transformer. La nouvelle fonction est choisie par rapport à des valeurs qu’elle représente associée à l’ancienne forme. Autrement dit, il s’agit d’une tendance qui cherche à bénéfi cier de certaines qualités propres aux vieux bâtiments. La transformation revêt ainsi une valeur marchande, profi tant des sentiments que produisent les anciennes constructions et des styles de vie qui lui sont associés. Des ateliers accueillent le centre administratif d’une compagnie, des casernes se modifi ent en hôtels ou des silos se changent en maisons de retraite, d’anciens dépôts deviennent des magasins, de vieux logements sont investis par des boîtes de nuit. De nouvelles formes d’habitation, apparues tout d’abord comme une mode marginale, tels que les lofts ont depuis longtemps été assimilés comme un type d’appartement profi table et sont présentés dans un nombre incalculable de catalogues. Dans les grandes villes, la transformation d’usines en un ensemble de logements de luxe est devenue une opération immobilière des plus intéressantes. La transformation est autant devenue une alternative rentable pour l’établissement de bureaux ou de commerces nécessitant de grandes surfaces, jusqu’alors construites à neuf. En plus de certains bénéfi ces matériels, comme des coûts de développement réduits, une situation avantageuse ou des espaces plus généreux, des bénéfi ces «immatériels» jouent un rôle clef dans le processus de décision d’une transformation: «l’histoire» du bâtiment revêt une couleur locale, favorise une intégration. Qui plus est, le prestige de tout ce qui est jugé vieux ou historique, l’aura de l’authenticité entre dans une tension entre ancien et nouveau et exprime des valeurs d’innovation, d’imagination, d’ouverture et de fl exibilité. Les désavantages potentiels d’une transformation comme des compromis programmatiques ou une qualité de fi nitions moindres sont acceptés en retour. Même certains risques évidents, comme la diffi culté d’évaluer entièrement un budget ou un planning, ou comme la réduction d’espaces disponibles, conséquence d’un impératif de préservation, ne sont plus

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fi g. 7, skate-park improvisé, Eindhovenappropriation d’anciens hangars pour avions

fi g. 8, entrée d’un magasin à New-York, Future Systemsun magasin de mode dans un quartier branché

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forcément des éléments prépondérants. Il est paradoxal qu’il puisse se créer une valeur d’innovation lorsque l’on transforme, lorsque l’on mélange l’ancien et le nouveau. La «nouveauté nouvelle» devient une «ancienne nouveauté» ou plutôt une «nouvelle ancienneté». Pourtant ce paradoxe d’innovation semble se concrétiser lorsque à l’inverse certains concepteurs construisent des lofts dans un bâtiment neuf. Leur fl exibilité, les nombreuses façons de se les approprier sont des qualités prisées autant par les locataires que par les propriétaires, spécialement à une époque où les styles de vie sont de plus en plus variés. Ou encore que la sensation qu’un grand hall d’usine accueille à merveille un musée suggère que les nouveaux projets de musées devront comprendre un tel espace permettant fl exibilité, adaptations voire modifi cations pour exposer.

Ces quelques aspects de la transformation ne doivent surtout pas donner l’impression qu’il existe des concepts fonctionnels prédéfi nis ou tout fait pour les bâtiments reconvertis. Certains cas sont parfois si contraignants qu’une nouvelle utilisation convenable semble virtuellement impossible à déterminer et leur reconversion impliquerait une démolition à grands frais (comme les bunkers ou tout autre projet dont la fonction première nécessitait la création d’une identité forte et un contexte spatial très particulier devant ainsi être préservés tels que des gazomètres ou d’ancien sites miniers). Dans ces cas, il est nécessaire de tailler une nouvelle utilisation sur mesure pour le site ou le bâtiment afi n d’établir un lien entre forme et fonction. La transformation des gazomètres Simmering de Vienne en logements et commerces ou la reconversion de sites miniers dans la Ruhr, en Belgique et dans le nord de la France en parcs de divertissements sont des exemples de ce type de reconversion. La recherche de concepts qui puissent être applicables dans de telles constructions, aussi grandes que massives, résulte souvent dans une utilisation hybride, d’une combinaison particulière de fonctions. Cette question d’un juste programme, d’une utilisation adéquate, soulève également un autre problème. En regard à l’énorme quantité d’objets architecturaux disponibles, la transformation par des choix programmatique peu ou mal adaptés notamment, pourrait favoriser la création d’un ensemble d’objets à caractère exceptionnel, mais les bâtiments doivent rester des produits de masse et à ce titre doivent se revendiquer d’une certaine banalité.

Il n’existe donc pas de règles, de principes généraux dans le choix d’une nouvelle fonction pour une forme donnée. Les notions de «form follows function» de Sullivan ou «function follows form» de Kahn sont mises sens dessus-dessous et la norme consiste en un hybride entre les deux. Il existe quasiment autant de solutions qu’il y a d’architectes. Qui plus est la vaste quantité d’objets disponibles et autant de nouvelles fonctions à leur associer rendent pratiquement impossible une classifi cation stricte

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fi g. 9, un parc paysager à Duisberg, Latz + Partnerverdure parmi les hauts fourneaux de Thyssen-Meiderich

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ou complète, même selon des critères de formes ou de fonctions semblables. Nous pouvons, malgré tout, discerner quelques tendances, quelques traits communs dans une approche de ce thème.

le dialogue ancien-nouveau, base d’une nouvelle esthétique

Depuis près d’un demi siècle, la reconversion du Castelvecchio à Vérone par Carlo Scarpa (1956-1964) est considérée comme une référence incontournable dans le domaine de la transformation. Le principe développé par Scarpa pour ce projet – une séparation distincte et subtile entre la nouvelle intervention et la substance existante à travers un choix de matériaux contrasté – n’a rien perdu de sa pertinence aujourd’hui et continue à être employée dans le traitement de monuments historiques. Toutefois, une nouvelle philosophie est apparue qui propose un style où le lien entre l’ancien bâtiment et la nouvelle intervention devient plus raffi né et plus subtile par l’introduction de nouveaux éléments soumis à un cadre esthétique d’ensemble. Mais cette philosophie de «design» propose tout autant un style où le lien ancien-nouveau devient plus fl ou, dans lequel les architectes réinterprètent l’ancienne construction et poursuivent ainsi son développement. La transformation de l’opéra de Lyon de Jean Nouvel ou de la nouvelle Tate Gallery par Herzog & de Meuron, sont à ce titre des exemples représentatifs. A Londres, les volumes de la vieille usine électrique sont réinterprétés dans un dialogue entre l’ancienne tour, dégagée et mise en valeur, affi rmant une verticalité, une masse et une nouvelle boîte de verre exprimant à l’inverse une horizontale fragile.

Au fur et à mesure que le champ de la transformation se redéfi nit et s’élargit, et parce que l’association d’une ancienne forme et d’une nouvelle fonction induit à priori une dissonance, les principes esthétiques classiques sont constamment remis en question. Les relations traditionnelles de formes-fonctions sont chamboulées: le nouvel usage ne s’impose plus, il doit se soumettre au génie du lieu. Et même le principe du contraste de Scarpa a un peu perdu de son sens dogmatique, face à un travail qui demande avant tout de se focaliser sur l’objet lui-même. La combinaison d’une ancienne structure et d’une nouvelle utilisation demande effectivement une solution spécifi que dépendante du bâtiment en question et de la tâche demandée. En d’autres mots, il faut revigorer le «genius loci» à travers la transformation. Les architectes se raccrochent alors à l’histoire et la réinterprètent. Le fait est qu’un nombre de plus en plus grand d’entre eux perçoivent la transformation comme un vrai travail de style et un véritable défi esthétique, ce qui était loin d’être une évidence.

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fi g. 10, la Tate Gallery de Londres, Herzog & de Meurondialogue formel entre l’ancienne tour et la gallerie de verre

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Il a fallu d’abord abandonner l’idée d’une unité de style telle que les modernes et la politique de la table rase le prônaient et admettre une multiplicité d’auteurs sur un même projet. Bien sûr, la construction à neuf reste toujours considérée comme une discipline plus gratifi ante, car elle permet une plus grande liberté d’expression. Néanmoins, au fur et à mesure que de nouvelles expériences, de nouveaux projets de transformation se réalisent, un nombre croissant de protagonistes perçoivent les constructions existantes comme une source profi table de travail pour une démarche à la fois créative et dialectique.

Le spectre des différentes approches de la transformation se conçoit depuis une reconstruction de l’ancien bâtiment à l’identique, en dépit d’une nouvelle utilisation, en passant par une intervention qui entrelace en toute liberté l’ancien et le nouveau, jusqu’à une vaste démolition-reconstruction de nouvelles extensions. Le style cherché peut alors se traduire par la simple restitution d’une image détruite, ou par la conservation attentive de l’existant, ou encore en passant par un travail sur le contraste ancien-nouveau, ou enfi n jusqu’au redessin complet du bâtiment. Une transformation contient toujours des éléments anciens et des parties nouvelles. Le statut donné à l’ancien et le sens donné au nouveau dépendent bien sûr d’une tâche constructive donnée et d’une situation précise, mais par dessus tout ils dépendent des valeurs accordées par l’architecte au bâtiment en question, au-delà des impératifs de conservation. Ce qui rend la conception d’une transformation intéressante d’un point de vue stylistique, c’est l’intégration de différentes couches historiques. Les éléments nouveaux ne doivent pas établir un rapport autonome entre eux, mais doivent dialoguer avec les anciennes parties de l’édifi ce. Depuis le temps qu’une pratique architecturale de la transformation (re-)existe et parce que la palette des nouvelles fonctions possibles est extrêmement variée, il serait à la fois présomptueux et incorrect de défi nir des principes esthétiques défi nitifs. Il serait tout aussi faux d’établir un rapport entre un certain style et un certain type de bâtiment. Les principes esthétiques sont à comprendre comme la recherche d’une combinaison de deux éléments de base - l’ancien et le nouveau - et comme une production de formes hybrides. Bien qu’un projet soit à associer à de nombreuses contraintes issues du bâtiment existant en question, des intentions du client et surtout du style propre de l’architecte, il est possible de distinguer différentes approches esthétiques, trois attitudes radicales, trois styles contrastés pour se repérer dans le vaste horizon de la transformation.

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préserver l’Ancien en un tout, chercher l’inspiration à la source

Le désir de conservation et de protection des bâtiments est bien souvent le point de départ principal de beaucoup de transformations. Esthétiquement, la référence visuelle à une image historique, sorte d’idéal, joue un rôle décisif. Cette approche, traditionnellement associée à une notion de patrimoine cherche d’abord et avant tout un nouvel usage qui supporte le rapprochement aux structures et aux usages existants. Une démarche standard consiste alors à recourir à une fonction culturelle. Cette pratique permet de maintenir les éléments existants en place et ainsi de les présenter au public. La conservation de l’authenticité des monuments est le but de beaucoup de musées historiques ou d’écomusée où les bâtiments eux-mêmes deviennent des objets d’exposition. Dans de tels cas, l’image historique de l’édifi ce est perçue comme une icône culturelle presque intouchable, bien que ce dernier subisse tout de même quelques changements. Toute intervention sur la forme existante est soumise à une volonté de modifi cations minimales, précepte qui devient la plus grande contrainte pratique. Dans les transformations entreprises dans un esprit de conservation, le concept idéal se focalise sur l’authenticité et la préservation formelle de l’Ancien en entier. Le style cherché, sans être une simple imitation, s’inspire largement de l’original. Toutefois l’idée de préserver l’ancienne substance comme un tout peut devenir un point de départ pour une vision conceptuelle et esthétique proche d’une restauration qui donne la priorité à une «ambiance historique» plutôt qu’à une pure ambition d’authenticité. Le travail s’effectue à travers des images et des reconstitutions historiques, où l’apparence joue un plus grand rôle que la légitimité. Le résultat est généralement que le bâtiment se complète, se perfectionne et qu’il apparaisse plus vrai que l’original.

A l’opposé de cet idéal d’authenticité, il existe une stratégie de vieillissement contrôlée des édifi ces ou des monuments. Dans ce cas l’attention esthétique se focalise sur l’original ou ce qui reste de l’original. Cette attitude est employée quand les chances de maintenir les bâtiments à long terme sont faibles. Ainsi, des sites comme le Volklinger Hütte, un ancien site minier allemand de fer et d’acier, classé patrimoine mondial par l’UNESCO, a volontairement été exposée pendant quelques années à un lent processus d’érosion et d’oxydation. La dégradation continue de cet échafaudage d’une disparition annoncée donne le sentiment d’honnêteté radicale. Les concepts esthétiques développés en référence à une idée d’authenticité, à l’objet originel sont variés et contradictoires. Ils varient entre des interventions qui cherchent une conservation stricte et conforme jusqu’à l’interprétation d’une apparence historique. Toutefois, ils partagent tous l’idée d’une beauté issue de l’image originale qui détermine ensuite une expression formelle de la transformation et manifeste l’ancienne substance dans son entier.

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fi g. 11, les cheminées de la Volklinger Hütte, Saarbrückla poésie d’un ancien site minier

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Couches et fragments: une idée de différence

La deuxième approche esthétique prend comme base fondamentale l’idée que l’ancien et le nouveau découvrent leur nouvelle expression côte à côte dans un bâtiment transformé, où la différence historique des couches sont mises en relation les unes avec les autres. L’idée d’un tout homogène est remplacée par un modèle formé de deux ou plusieurs «strates historiques», dans lequel l’espace est composé de fragments qui forment un tout uniquement par le résultat de leurs interactions, de leur dialogue. Les nouveaux éléments sont des additions évidentes, clairement lisibles dans l’image et fondamentalement différents de la substance existante. Une distance est crée, exprimant plutôt une différence qu’une dissonance. Une tension spatiale se crée entre les diverses couches historiques. Ce dialogue se développe comme un véritable thème architectural. Le génie de l’architecte se manifeste dans la qualité de l’expression des différences et dans la qualité de l’insertion de la nouvelle couche dans le bâtiment. L’ancien et le nouveau sont généralement traité de manière équitable et subisse le même travail acharné. L’édifi ce existant est disséqué en plusieurs strates temporelles pendant le processus de réfl exion. Le travail de Scarpa reste le modèle stylistique pour un tel type d’architecture. Le Castelvecchio de Vérone est une des meilleures illustration de ces dernières années. La transformation du Castelgrande de Bellinzone par Aurélio Galfetti est un exemple d’une réalisation qui marche dans les pas de l’esthétique tracée par Scarpa.

Ce type d’approche qui joue sur une accentuation des différences ne recherche pas une révision complète de l’objet existant. Au contraire, la structure historique est perçue comme une opportunité de réinterprétation. Cette attitude travaille sur le principe du collage, des différentes pièces contrastées, de morceaux distincts qui apparaissent dans un contexte commun. Le choix des matériaux souligne cette différenciation: l’acier, le verre et le béton symbolisent le nouveau en contraste avec la maçonnerie, la pierre naturelle ou le simple plâtre. Des détails travaillés prennent une importance primordiale dans ce traitement différencié d’éléments individuels.

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fi g. 12, le Castelgrande de Bellinzone, Aurélio Galfettidialogue entre le nouveau et l’ancien, entre le béton et la pierre

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Le bâtiment existant comme matériau pour une nouvelle entité

La constante réévaluation des bâtiments existants révèle des perspectives toujours nouvelles d’usages pour des constructions apparemment triviales ou dépréciées. Ces dernières années, ce contexte a évolué de paire avec une sorte de nouvelle mode de conservation de bâtiments ordinaires, qui sinon auraient fi ni à la démolition sans autre forme de procès. Il s’agit de constructions fonctionnelles et simples sans caractère représentatif particulier ou de valeur symbolique. La décision de préserver ces tissus pour de nouveau projets est principalement dirigée par des raisons pragmatiques tels que des impératifs économiques ou des restrictions légales.

Les possibilités offertes par un travail qui traite d’une architecture produite en masse - qui par conséquent ne tombe pas sous le coup d’une protection du patrimoine ou d’un quelconque valeur architecturale – a donné naissance à un troisième courant quant à une esthétique de la transformation: regarder le bâtiment existant comme un «matériau de construction» librement disponible et modulable et de l’utiliser directement pour façonner une nouvelle entité. La jonction entre le tissu existant et les nouvelles additions est sans coutures; le seuil entre ancien-nouveau devient fl uide – il n’y a pas de joints. La substance existante peut être manipulée, modelée et interprétée à volonté. Il n’existe pas de fi l conducteur historique ou de règles contraignantes, pas de demande d’authenticité. Bien que l’identité originelle reste reconnaissable, l’objet produit est complètement transformé. L’accent n’est pas mis sur l’ancienne substance pour contraster avec le nouveau, mais plutôt sur la recherche d’une fusion comme thème architectural. Ce type d’assemblage ne produit pas à proprement parler quelque chose de distinctement nouveau ou de totalement ancien. Il propose à la place quelque chose qui entoure les deux sans rendre particulièrement lisible des couches ou des fragments. Le bâtiment transformé se présente comme un tout homogène. Le résultat de ce type d’approche stylistique est souvent lui-même original précisément parce qu’il ne recherche pas l’authenticité. Il est de plus en plus courant d’employer de telles approches esthétiques, qui opèrent sur la base d’un démantèlement quasi complet de l’enveloppe: les bâtiments sont mis à nus jusqu’à la structure portante, complétés là où c’est nécessaire et simplement rhabillés par une nouvelle peau interne et externe. Ces transformations sont rarement identifi ables comme telles, elles prennent l’apparence de nouvelles constructions.

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Telle fut l’attitude adoptée par les architectes Baumschlager & Eberle pour la transformation d’un immeuble d’assurance à Munich. L’ancien bâtiment ne répondait plus aux conditions modernes d’éclairage, d’espace et de confort thermique. La décision de maintenir n’était pourtant pas uniquement économique, l’édifi ce avait une certaine valeur historique. La nouvelle forme varie beaucoup de l’originale par un savant découpage-collage des dalles permettant de créer une série de creux et de redents laissant bien la lumière pénétrer à l’intérieur. La nouvelle peau, entièrement en verre, ne permet pas d’identifi er cet immeuble comme une transformation.

Dans la perspective d’un nombre grandissant de bâtiments ordinaires, candidats potentiels pour de telles mesures, une gamme de différents points de vue architecturaux se dessine. Certains architectes affi rment que l’esthétique de différenciation a perdu son aura dogmatique, et qu’elle ne reste rien de plus qu’un style parmi d’autres. La recherche d’une «nouvelle entité» induit une approche qui non seulement répond aux qualités et aux propriétés uniques de la substance existante mais aussi à la nature spécifi que que requiert le nouvel usage. L’ancien n’est plus traité comme un élément qui révèle le nouveau. Le but est la recherche d’un style cohérent au-delà de la problématique ancien-nouveau. Evidemment, le choix de telle attitude ou de tel style reste encore et toujours lié à une pratique au cas par cas. La forme donnée, la fonction désirée et la sensibilité de l’architecte restent les paramètres premiers d’une esthétique de transformation.

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fi g. 13, bâtiment d’assurances à Munich, Baumschlager & Eberlel’ancienne façade (en haut) est méconnaissable

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étude de cas

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QUATRE TRANSFORMATIONS

Au travers de quatre exemples de transformations contemporaines, nous allons tenter d’illustrer les propos tenus jusqu’ici. Le choix de ces exemples n’est bien sûr pas anodin. Il s’agit de quatre reconversions de sites industriels dont la taille et le nouveau programme refl ètent quelque peu nos intentions de projet à Bienne. Dans chaque sujet nous allons tenter d’éclairer les choix des architectes dans leurs rapports sensibles aux bâtiments existants et essayer de dégager la prise de position adoptée. Comment ont-ils géré le nouveau programme? Quelles modifi cations a subi le tissu existant? Quelle qualités ont-ils su faire ressortir? Quels sensations provoque la nouvelle composition architecturale?

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fi g. 14, les locaux de la Volklinger Hütte

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USINES THORENS, LES ALPES, SAINTE-CROIX

architecte Philippe Gueissaz

Sainte-Croix est un petit village industriel du Jura qui devait autrefois sa vitalité à une production fl orissante de boîtes à musique. Avec la récession de cette activité, le village perdit beaucoup de sa vitalité. Depuis les années 80, les fabriques se vident, les familles de travailleurs partent. Pourtant Sainte-Croix reste un endroit agréable à vivre, c’est pourquoi la mutation du village commence; d’un côté de nouveaux besoins en logements et de l’autre les usines vides. L’un de ces sites industriels, appartenant autrefois à l’entreprise Thorens, fut alors l’objet d’une transformation. Ce site se situe le long de l’avenue des Alpes, à l’entrée du village. Il se présente sous la forme d’un plateau sur lequel s’élèvent six bâtiments serrés les uns contre les autres, construits entre 1895 et 1950. Leur implantation est faite selon une logique de besoins industriels qui s’est traduite par une constante mutation du lieu pendant un demi siècle. Lors de la mise en vente de cette usine, le centre de soins et de santé communautaire décide d’acheter une partie des bâtiments. Le projet d’un lieu de vie comportant plusieurs activités collectives et individuelles dans un concept global de soins est entrepris. Le programme contient des logements protégés, une unité de soins et un café-restaurant. Le concours, lancé à la suite de cette intention, propose en outre d’inclure des logements en marché libre et des logements pour étudiants dans une réfl exion complète sur le site. Ce concours est remporté par Philippe Gueissaz.

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fi g. 15, les usines Thorens vers 1950

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fi g. 16, plans et coupes du concours

fi g. 17, la cour avant et après la transformation

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La pensée de l’architecte se développe au travers d’une sensibilité particulière aux lieux et aux espaces existants. En même temps, l’approche du nouvel usage reste très pragmatique. Le travail de Gueissaz consiste en une recherche patiente pour faire coïncider ces deux principes. Le projet s’oriente alors pour que les deux structures, l’ancienne forme et le nouvel usage, se superposent et s’enrichissent l’une de l’autre. Il ne s’agit donc pas de créer des icônes remettant en cause l’identité des espaces, mais plutôt de développer à l’intérieur des usines existantes un programme nouveau qui ne dénature pas les qualités spatiales d’origine. La sensibilité de l’architecte vient de cette capacité à comprendre le bâtiment pour qu’il puisse vivre de son nouvel usage. Son pragmatisme s’exprime par une mise en place logique du programme par la recherche d’un compromis entre projet et réalisation. Gueissaz cherche une évidence dans les moyens qu’il se donne pour réaliser son intervention. Les conditions économiques et sociales deviennent alors des thèmes qui dirigent le développement de l’idée.

Le projet des Alpes cherche alors à conserver voire renforcer le caractère industriel du site. Il décide de donner une autonomie aux six bâtiments en les épurant des quais, des annexes et des passerelles qui les reliaient. De cette clarifi cation résulte une nouvelle forme urbaine, une nouvelle situation spatiale qui n’a jamais existé au cours du développement de l’usine. Gueissaz renforce ainsi le caractère de plots posés sur un même plateau. Cette composition s’unifi e par un élément commun: le sol en goudron. Les volumes se rencontrent et se mettent en tension les uns avec les autres. La position des bâtiments semble donner une profondeur à la place, comme une succession de plans qui nous renvoient sans cesse vers un nouvel espace, une nouvelle lumière que l’on découvre. Notre regard peut alors se retourner pour découvrir un autre espace là-bas, derrière le coin. Le concept de couleurs ajoute encore à cet effet. Tous les bâtiments sont peints dans une déclinaison du jaune d’origine. Les différents tons renforcent cet effet de profondeur par couches successives. Les dimensions des cadres de fenêtres, parfois volontairement exagérées, viennent compléter cette sensation.

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fi g. 18, jeu de lumières et d’espaces entre les plots

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Comme à l’origine, les plots dialoguent autour d’une cour centrale sur laquelle donnent les entrées. L’idée consiste à créer un rapport de vues qui lie le système. Ces entrées deviennent des espaces publics où l’on peut s’asseoir, se rencontrer et ainsi garder un contact avec les autres maisons et avec la vie se développant dans la cour. Ce dispositif subtil rapproche les personnes d’un lieu de contact, d’un centre d’activité. Le programme se répartit dans une logique par bâtiment. Deux d’entre eux abritent les logements protégés, ainsi qu’un petit magasin. Un troisième accueille des bureaux et le restaurant. Ils sont au cœur du système et profi tent au mieux de l’animation de la place. Les autres logements se répartissent selon leur destination: appartements familiaux, maison d’étudiants. Les typologies des logements, inscrites dans le respect des structures porteuses existantes, cherchent à densifi er leur relation et leur liaison à l’ensemble en installant une gradation du plus public au plus privé: de la place on passe aux cages d’escaliers, où l’on a rajouté un ascenseur et où l’on peut se rencontrer, placer un fauteuil et apercevoir la maison d’en face. Ensuite, dans l’appartement, les cuisines et les séjours se retournent et profi tent d’un dernier contact avec la cour et les bâtiments proches. Enfi n les chambres, tournées vers l’extérieur, le soleil et les arbres offrent des vues portant le regard au-delà du site. Chaque appartement joue donc ainsi avec une vue lointaine et une vue plus dense sur l’intérieur du système.

La transformation de cette usine offre une réponse sensible et rationnelle à la structure existante. La recherche d’une adéquation parfaite entre l’ancienne forme et la nouvelle fonction se traduit par une intervention à la fois simple et enrichissante pour ces deux entités. L’adaptation ne revêt aucune brutalité dans les moyens utilisés. Nous sommes pourtant en présence de bâtiments neufs et peu d’éléments rappellent le passé industriel de ces espaces, cependant une certaine mémoire du lieu parvient à être préservée.

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fi g. 19, jeu de couleur et de profondeur

fi g. 20, les espaces de distribution et le nouvel ascenseur

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FILATURE BUAG, IM LOT, USTER

architectes Michael Alder et Moos Giuliani Hermann

La Baumwollspinnerei Uster AG (BUAG) est fondée en 1862 par deux entrepreneurs: Bünzli et Bachmann. Ils s’installent le long de l’Aabach, la rivière qui traverse Uster, pour profi ter de cette force hydraulique. L’usine se présente sous la forme de plusieurs bâtiments: la fi lature, des ateliers, un logement ouvrier (Kosthaus) rejoints plus tard par le bâtiment du batteur. Il s’agit de la dernière fabrique à s’implanter sur ce cours d’eau à Uster. D’autres grandes manufactures sont déjà présentes, comme Hesta, la première fi lature industrielle d’Henri Kunz qui deviendra le point de départ d’un des plus grands empire de fi lature du continent. Malheureusement pour les deux entrepreneurs, leur arrivée un peu tardive dans le sursaut industriel du 19e siècle et un peu de malchance ne leur permettront pas de connaître un tel succès. La fabrique changea plusieurs fois de main jusqu’en 1950, date à laquelle Eduard Trümpler la racheta. Il la garda jusqu’à l’arrêt de la production en 1992. La BUAG avait alors déjà envisagé le futur de son usine. Grâce notamment à la nouvelle politique de la ville d’Uster et à l’infl uence des héritiers de la fi lature, les bâtiment furent sauvés. Les patrons de la BUAG comprirent alors que ce témoignage du passé offrait la possibilité d’une réutilisation. En collaboration avec la protection du patrimoine, les autorités et les nouveaux maîtres d’ouvrage mirent en place un plan d’organisation pour le maintien des anciens bâtiments. Des appartements en propriété et en location, des ateliers et des lofts doivent permettre à l’ancienne fi lature d’accueillir des personnes de différentes couches sociales et de différentes tranches d’âge. L’idée du plan directeur n’était pas seulement de construire de simples appartements mais de poser les fondations d’une véritable petite cité. Les maîtres d’ouvrage décident donc d’inclure dans leur programme de nouveaux bâtiments, des espaces collectifs, une salle communautaire, un poste incendie, une piscine en plein air et une cour centrale. Ce plan directeur devient la base d’un concours entre cinq architectes qui fut remporté par le bureau bâlois de Michael Alder. Depuis la mort de ce dernier survenue en juin 2000, ses partenaires Hanspeter Müller et Roland Naeglin reprirent le bureau.

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fi g. 21, la fi lature vers 1900

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fi g. 22, en haut, vue de la cour depuis la Kosthausen bas, le quartier vu depuis le parc

fi g. 23, plan du site après transformation

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Le bureau de Michael Alder peut compter sur sa grande expérience dans la conception de bâtiments d’habitation, des logements familiaux jusqu’au grands ensembles locatifs. La plupart de ces réalisations, situées dans la région bâloise, démontrent ce savoir-faire. Le travail de Michael Alder se développe sur sa conviction qu’une qualité architectonique ne peut naître que lorsque l’architecture offre également des qualités de vie. Cette sensibilité se perçoit au travers d’une attention particulière aux espaces d’usage quotidien et aux espaces de vie commune. Son projet pour le nouveau site «Im Lot» s’inscrit dans cette réfl exion. Le bureau Alder est associé au jeune bureau zurichois Moos, Giuliani, Hermann. Ces derniers s’occupant de transformer les bâtiments existants, laissant les nouvelles constructions au bureau bâlois.

Le canal de la fabrique était la veine vitale de l’ancienne fi lature et l’eau reste aujourd’hui un thème important du nouveau projet. Deux nouveaux bâtiments de logement, comprenant respectivement une vingtaine et une soixantaine d’appartements, viennent redéfi nir le site industriel, lui conférant une nouvelle spatialité. Une première barre, la plus petite, construite le long du canal à la suite de l’usine vient terminer l’enchaînement des anciens bâtiments le long du canal. Une deuxième barre, sorte de boomerang, située en arrière de la fi lature requalifi e la disposition spatiale de l’ensemble. Elle crée avec le bâtiment de la fi lature et le bâtiment du batteur un nouvel espace, une cour de référence pour le nouvel ensemble. L’ancienne fi lature se retrouve ainsi au cœur de la petite cité. Les deux constructions d’Alder redonnent donc un nouveau sens aux anciens éléments. Le programme des espaces communs, salle communautaire et garderie se place alors logiquement autour de cette nouvelle cour marquée par la présence de la cheminée, signe caractéristique d’un passé industriel. L’ancienne halle des turbines, partiellement transformée en salle de quartier, continue de produire du courant pour une trentaine de logement répondant ainsi en partie à des critères écologiques que demandait le plan directeur. La piscine plein air, un astucieux agrandissement du canal de l’usine, se situe juste à la sortie des turbines renforçant encore une certaine activité au centre de l’ensemble pendant l’été. Un nouveau pont permet de relier l’autre rive à cet endroit faisant de la cour un nœud de cheminements piétons à l’intérieur du site. Les anciens bâtiments, quant à eux, sont transformés en appartements et en lofts.

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fi g. 24, en haut, le nouveau bâtiment le long de l’eauen bas, la jonction du canal et de la rivière

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Les appartements des nouveaux volumes, grâce à un système structurel souple, permettent une certaine fl exibilité dans la disposition des pièces, reprenant là une qualité généralement attribuée à la transformation. Les liens qu’entretiennent les deux constructions nouvelles avec l’usine ne sont pas évidents. Elles jouent plutôt sur une différenciation marquée du langage architectural et des couleurs. Certains détails cependant rappellent le caractère industriel du lieu, comme la façade nord de la grande barre avec ses percements réguliers. Les anciens bâtiments, objets de la transformation, ont eux gardé tout leur caractère selon l’intention des jeunes architectes. Moos, Giuliani et Hermann ont réduit au minimum la destruction de la substance existante. Dans le bâtiment de la fi lature, ils ont divisé l’étage en deux lofts dont la perception rappelle quelque peu les grands espaces des anciennes salles de travail. Les traces du temps sont restées visibles, leur intervention cherchant à distinguer l’ancien du nouveau. Des petites terrasses en béton lisse et en métal, par contraste au crépis, viennent se coller aux bâtiments donnant ainsi le signe de la nouvelle fonction. Sur les traces d’un ancien bâtiment délabré, un nouveau petit volume en béton lavé noir, composé de 3 ateliers, vient également compléter les nouveaux appartements du Kosthaus. Le discours entre les différentes couches historiques semble se réduire à deux entités, les anciens bâtiments unifi és par un rafraîchissement du blanc d’origine des façades et par de nouvelles toitures en tuiles face aux nouvelles adjonctions à toit plat et construites en contraste avec ces matériaux.

La transformation de la BUAG est à comprendre à deux niveaux différents. A l’échelle du site, la construction de deux nouveaux volumes imposants redonne clairement un nouveau sens à l’organisation spatiale des éléments. Ils parviennent à structurer des espaces qui n’ont jamais existé comme tels et par là donner une nouvelle lecture de l’ensemble et particulièrement des anciennes constructions. A l’échelle des bâtiments de l’usine, la transformation s’exprime avec un respect important des structures du passé. Le nouveau et l’ancien se mêlent ça et là dans un dialogue entre deux couches historiques.

batteur: machine servant à enlever les impuretés du coton brut en le passant à travers des cylindres. le coton ressort en nappes régulières. Il entre ensuite dans la carde qui en fait un ruban aux fi bres parallèles.

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fi g. 25, les adjonctions en béton et en métal

fi g. 26, la cuisine d’un loft dans l’ancien bâtiment de fi lature

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BRASSERIE WARTECK, WARTECKHOF, BÂLE

architectes Suter+Suter, Diener & Diener

Le quartier de Wettstein se situe sur la rive nord du Rhin. Il se développe dès le XIXe siècle sous forme d’îlots sur lesquels s’implantent des immeubles d’habitation ouvrière, mais également des entreprises chimiques situées, pour la plupart, sur les abords du fl euve. Ces îlots se sont développés individuellement dès les années trente, donnant au quartier un aspect très hétérogène. On y trouve aujourd’hui des affectations aussi diverses que du logement, un hôpital pour enfants, des écoles, des bâtiments de bureau, des commerces. L’ancienne brasserie Warteck a été fondée en 1856. Elle était formée d’une série de bâtiments construits entre 1890 et 1935. Il s’agissait d’un plateau sur lequel s’agençaient des volumes. Lors de la fermeture de l’usine, il a fallu reconsidérer ce site et sa réutilisation dans un avenir proche. L’idée de réaffecter cet îlot date de la fi n des années 80 et sera réalisée en 1994.

Ce projet a connu deux étapes importantes. Un premier projet, conforme à la zone et aux règlements mais ne satisfaisant pas vraiment les différentes parties est développé par le bureau Suter+Suter. Cette variante propose la destruction de toutes les installations industrielles et la construction d’un îlot occupant l’entier de la parcelle. En réaction à cela, la ville propose de répertorier ces constructions dans le registre de protection des monuments historiques. De plus, elle suggère l’intervention d’un autre bureau d’architecture. La deuxième étape débute lorsque le bureau Diener & Diener s’associe à l’élaboration du projet. Celui-ci prévoit désormais le maintien du bâtiment principal de la brasserie, qui sera réaffecté à une activité non lucrative à caractère culturel, ainsi que le maintien de l’ancien immeuble de décoction avec son château d’eau, qui accueillera un bar-restaurant. Le restant de la parcelle sera bâti en adoptant un coeffi cient d’utilisation du sol supérieur à celui en vigueur dans le quartier, afi n de compenser la surface non rentabilisable occupée par les anciennes constructions qui ont été conservées. Deux nouveaux bâtiments sont implantés. Il s’agit d’un immeuble de logements avec ateliers au rez-de-chaussée et d’un immeuble de bureaux avec magasins.

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fi g. 27, l’ancien complexe de la brasserie

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fi g. 28, maquette du projet

fi g. 29, plans, coupes et élévations du projet

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Les deux nouveaux bâtiments réalisés par Diener & Diener, pris chacun individuellement, semblent à première vue former un îlot. Toutefois, l’absence de rues sur leurs quatre côtés ainsi que l’alignement en retrait affi rme le contraire. Il s’agit bien de deux nouveaux bâtiments posés sur un site uniforme dont la texture unique couvre toute la surface. Les architectes ne réagissent pas seulement à l’entourage par la mise en place de ces bâtiments, mais ils se servent aussi du langage architectural traditionnel du quartier. Dans les deux nouveaux immeubles, on trouve des thèmes historiques en rapport à la typologie, aux volumes, à la construction et à l’architecture de l’ancienne brasserie. Toutefois, ceux-ci ne sont jamais utilisés littéralement. Ils sont réinterprétés afi n d’établir un nouveau dialogue et ainsi proposer de nouvelles relations. En observant la typologie des appartements, on comprend qu’il ne s’agit pas d’un immeuble à cour mais plutôt de six blocs d’habitation autonomes, disposés de manière à former une cour. Les entrées ne sont d’ailleurs pas hiérarchisées autour de la cour. La brique rouge, choisie pour le revêtement de façade, établit un lien avec l’ancienne brasserie également construite en brique rouge. Le bâtiment de bureau réagit à ce qui l’entoure par sa volumétrie. Il s’abaisse d’un niveau vers l’intérieur de l’îlot, comme s’il cherchait à retrouver les gabarits de ces voisins.

La densité élevée introduite par les nouvelles constructions ainsi que leur imposante présence physique permettent d’intégrer les anciens bâtiments dans un ensemble. Les dimensions importantes de ces vieilles bâtisses nécessitaient un contre-poids important, pour éviter qu’elles ne soient perçues comme des éléments solitaires. Toutefois, le projet ne se contente pas de créer un îlot traditionnel. Le nouvel ensemble de vieux et de nouveaux bâtiments crée un espace intermédiaire fl uide, qui est à considérer comme une alternative à la rue et à la place traditionnelles. Cet îlot est en effet composé par un assemblage de volumes équivalents, plus ou moins autonomes, qui établissent des relations entre eux et forment un tout unitaire. Ce système permet d’intégrer une importante diversité programmatique tout en gardant la cohérence de l’ensemble. De plus, l’absence d’ordre total rend possible une évolution de cette structure, en fonction des besoins du moment. Ainsi, l’adjonction future d’un nouveau volume est envisageable, mais impliquerait une réinterprétation de l’ensemble.

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fi g. 30, le nouveau bâtiment de bureaux

fi g. 31, l’immeuble d’habitation et l’ancienne partie de la brasserie au fond

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Dimensions importantes, densité, tout unitaire plus ou moins autonome, diversité programmatique, assemblage de volumes différents mais équivalents, évolution de l’ensemble. C’est à l’aide de ces termes que nous avons analysé le projet pour le Warteckhof. Or, ces mêmes termes pourraient être repris pour caractériser la plupart des complexes industriels. Cela nous démontre que l’attitude adoptée par le bureau Diener & Diener se résume à une recherche sensible des qualités spatiales du site. Comme à l’origine, les différentes volumétries se répondent sur ce plateau. Ce projet est le résultat d’une recherche patiente de l’identité des espaces originaux, afi n que ceux-ci retrouvent une nouvelle signifi cation par rapport à la nouvelle fonction. Les nouveaux bâtiments redonnent au site ses limites et redéfi nissent des espaces intérieurs clairs. Les deux édifi ces de l’ancienne brasserie ne jouent pas seulement le jeu de mémoire du lieu, mais participent activement à la complexité et à l’unité de cet îlot.

Dans ce projet pour le Warteckhof, la nouvelle affectation et la substance existante sont des éléments avec une importance similaire. L’inadéquation totale entre l’ancienne brasserie et le nouveau programme à insérer, notamment le logement, a imposé une part importante de démolition. Malgré cela, le projet de Diener & Diener a su rechercher et réinterpréter les qualités spatiales intrinsèques du lieu. La nouvelle fonction a nécessité une destruction partielle de l’ancien ; l’ancien suggère ensuite au nouveau un type de relations spatiales capables d’évoquer le caractère industriel en créant un dialogue vivant entre ancien et nouveau. Ainsi, le passé reprend vie au travers du présent.

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fi g. 32, l’immeuble d’habitation vu depuis la place devant l’ancienne brasserie

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BLANCHISSERIE , WOLLISHOFEN, ZÜRICH

architectes Angélil / Graham / Pfenninger / Scholl

Lors d’un voyage à Paris entreprit au milieu du XIXe siècle, l’entrepreneur zurichois Heinrich Treichler découvrit sur la Seine les premières barques servant de blanchisserie. Dès son retour en Suisse, il va demander à Gottfried Semper de projeter une blanchisserie fl ottante pour la ville de Zürich. Le vif succès rencontré par cette entreprise fl ottante obligea bien vite Treichler à envisager une installation fi xe sur la terre ferme. Des halles, une installation de fi ltrage et une centrale de chauffage furent alors construites sur la rive gauche du lac, à Wollishofen, qui était à l’époque un faubourg de Zürich. Par la suite, le bateau de Semper fut amarré à la rive et, petit à petit, il fut entouré de constructions le fi xant défi nitivement à terre. Le site continua à se développer jusqu’en 1959, date à laquelle une élégante et moderne structure métallique constitua le dernier bâtiment important.

L’ancienne blanchisserie et teinturerie de Wollishofen est le symbole d’une époque de la ville de Zürich. Diverses fi liales servant d’intermédiaire entre la blanchisserie et les habitants étaient présentes dans plusieurs quartiers de la ville. Les vêtements étaient transportés dans des camionnettes sur lesquelles le logo avec le fameux coq était imprimé. L’importante renommée de cette entreprise est due en majeure partie à son image véhiculée par ces différents signes que par la présence physique des bâtiments de la blanchisserie. L’histoire de ce site reste alors importante pour la ville de Zürich, bien que ces édifi ces ne soient pas considérés comme des bâtiments dignes d’intérêt. Le site de l’ancienne blanchisserie a été racheté en 1997 par la banque privée zurichoise Lienhardt & Partner, qui prévoit une réaffectation de ces bâtiments. Ce terrain représentait une rare possibilité de construire au bord du lac de Zürich, ce qui augmentait encore la valeur de ce site. L’implantation d’appartements était souhaitée par le propriétaire, notamment pour l’intérêt économique représenté par la mise en place de ce programme sur un tel site. L’administration zurichoise, de son côté, désirait que la réhabilitation de ce lieu soit réalisée par un programme mixte, afi n de conserver l’accès public sur les rives du lac.

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fi g. 33, l’ancienne blanchisserie de Treichler

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Le concours organisé par la banque a primé l’équipe d’architectes Angélil, Graham, Pfenninger, Scholl. Leur intervention a impliqué une importante partie de démolitions et reconstructions à neuf. Les seules éléments conservés sont la cheminée, le bâtiment revêtu de briques à l’angle de l’îlot et, fi nalement, la structure métallique du bâtiment longeant le lac, construite en 1959.

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fi g. 34, destruction des bâtiments

fi g. 35, le projet terminé

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Le projet propose une affectation mixte, constituée de vingt logements de luxe et un restaurant installés dans un premier volume longeant le lac, et d’une deuxième partie, située le long de la Seestrasse, composée de bureaux, de magasins et de studios. Le bâtiment de logements a été édifi é en conservant la structure métallique de l’ancienne construction. Les partitions spatiales entre les appartements sont placées à distance irrégulière, afi n d’obtenir une variation de la taille des appartements. La trame des anciens porteurs métalliques étant régulière, ces derniers deviennent ainsi des éléments libres dans l’espace. A l’intérieur, il n’y aucune volonté d’exprimer cette nouvelle association entre ancien et nouveau. L’ancienne structure est considérée comme un matériau de construction modulable à souhait, selon les besoins de la nouvelle fonction. La destruction du bateau de Semper prouve que la notion de respect historique est subordonnée aux besoins du nouveau programme. Le tout prend ainsi l’apparence d’une nouvelle construction.

La façade de ce bâtiment s’affi chant sur le lac est marquée par une forte ressemblance entre l’ancien édifi ce détruit et le nouveau. Les thèmes des fenêtres en longueur ainsi que la tourelle asymétrique ont été introduits dans le nouveau bâtiment. Le caractère emblématique de l’ancienne façade et son pouvoir évocateur ont été jugés assez importants pour justifi er la réutilisation de son image. L’ancienne forme, presque entièrement détruite, est alors recomposée. Cette volonté d’obtenir une image similaire à l’ancien bâtiment se réalise au détriment de la nouvelle fonction. Ce phénomène est perceptible en observant les deux appartements qui profi tent du prolongement en direction du lac offert par la tourelle. Ce sont exactement les mêmes appartements, mise à part le fait que l’un d’eux ne bénéfi cie que d’une moitié du prolongement, car les dimensions de l’ancienne construction ont été exactement respectées. Dans ce cas, la qualité de cet appartement a été sacrifi ée au nom de l’image extérieure de cette façade. La totalité des appartements de ce bâtiment sont situés précisément sur les traces de l’ancien édifi ce, ce qui veut dire que le restaurant constituant la tête de cette construction se trouve au-delà de l’ancienne surface bâtie. Ceci a provoqué la perte de l’asymétrie qui caractérisait l’ancienne façade côté lac. La volonté de reproposer cette tension à induit les architectes à placer en saillie une partie du volume rouge en attique et créer ainsi un déséquilibre. Une fois de plus, la recherche d’une certaine image se trouve à l’origine de la réfl exion et infl uence fortement les autres critères.

La situation géographique de la blanchisserie fi t que, à l’époque, ces bâtiments marquaient l’entrée dans la ville de Zürich. Cette étape était signifi ée par la couverture en dents de scie de la halle longeant la Seestrasse. Cette image était produite par les sheds de la construction actuellement détruite. Trois volumes rouges fl ottant sur une surface totalement vitrée ont aujourd’hui remplacé ce bâtiment en shed. Bien

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fi g. 36, l’ancienne et la nouvelle façade

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qu’il n’y ait aucune volonté de reproduire une forme similaire à l’ancien bâtiment, les architectes ont voulu proposer une fi gure assez caractéristique, capable de conserver une certaine capacité d’évocation. Le développement urbain de la ville de Zürich est telle que l’ancienne signifi cation « d’entrée dans la ville » n’a plus de raison d’être. L’objectif des architectes était dans ce cas la récupération du pouvoir évocateur de la fi gure, et ceci malgré la perte de la signifi cation initiale.

Le bâtiment en briques rouges est le seul édifi ce de l’ancienne entreprise à avoir été conservé. Le système porteur de cette construction est composé d’une structure en béton armé, le tout étant fl anqué d’un revêtement extérieur en brique. L’intervention a consisté dans la mise en place d’un plancher en béton armé. Les murs et plafonds ont ensuite été peint en blanc, afi n de rendre parfaitement homogène le nouveau et l’ancien. Il en résulte un intérieur possédant l’apparence d’une construction à neuf, se démarquant distinctement de la façade en brique. Celle-ci semble alors n’être qu’une enveloppe ayant été vidée de son contenu et enveloppant aujourd’hui un intérieur tout à fait nouveau. L’intérêt de l’ancienne façade en brique n’est certainement pas le contraste produit par son association avec un intérieur à l’apparence nouvelle. Il consiste plutôt à conserver une image de l’ancienne blanchisserie, signalant ainsi le passé historique du lieu. Il en est de même pour l’ancienne cheminée. Celle-ci constitue un symbole important signalant le passé industriel, visible aussi bien depuis le lac que depuis la rue. La ruelle qui sépare les deux volumes principaux répond au besoin fonctionnel de diviser les différentes fonctions, habitations et bureaux. Mais ce passage constitue surtout un moyen d’accentuer et, ainsi, de mettre en scène la verticalité de la cheminée, ce qui renforce le pouvoir évocateur de cette forme caractéristique.

La transformation de ces bâtiments a été réalisée en donnant la priorité à la nouvelle fonction à intégrer. Les logements trouvant diffi cilement leur place dans les anciennes halles de l’entreprise, une importante partie de démolition a été nécessaire. Malgré cela, certaines caractéristiques de l’ancienne blanchisserie sont encore présentes aujourd’hui. Le respect que les architectes ressentaient envers l’ancienne forme s’est traduit par une approche sensible de l’image des bâtiments. L’ancienne substance a été considérée comme un matériau de construction modelable à souhait, selon les besoins de la nouvelle fonction, et sans aucune crainte de modifi er radicalement ces constructions historiques. Certaines formes de la blanchisserie ont été reproposées en tant qu’évocation de l’image ancienne. On pourrait reprocher à cette attitude de n’être qu’un argument de marketing, d’exploiter l’image industrielle pour louer facilement les nouveaux espaces. Ceci correspond peut-être à la réalité, mais malgré cela, on ne peut nier que l’ancienne blanchisserie continue, d’une certaine manière, à être présente aujourd’hui.

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fi g. 37, vue d’un appartement (haut) et de l’ancien bâtiment conservé (bas)la structure originelle n’est pas exprimée

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un outil pour transformer

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ENTRE FORME ET FONCTION

Dans la transformation d’un bâtiment existant, deux éléments principaux se situent à la base de toute réfl exion : la forme du bâtiment existant et la nouvelle fonction à intégrer. Ils ne sont pas à considérer comme deux pôles fi gés, mais plutôt comme deux facteurs interdépendants qui, par leur dialogue, se modifi ent et s’enrichissent l’un et l’autre. La fonction tend à réagir sur la forme ancienne. A son tour, cette dernière infl uence la future destination du bâtiment. Le degré d’importance donné à chacun de ces critères va défi nir l’attitude adoptée par le concepteur : le nouveau programme s’adapte au bâtiment existant ; le bâtiment doit s’adapter à la nouvelle fonction; la nouvelle affectation et la substance existante sont des éléments avec la même importance. Il est évident que tous les degrés de nuances sont possibles entre ces points caractéristiques. Cette dualité forme-fonction permet de clarifi er et d’expliquer les différentes stratégies d’intervention et constitue donc le point de départ du présent outil de travail.

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Le nouveau programme s’adapte au bâtiment existant

« Seules les considérations d’usages et de rapport avec la vie de la cité permettent qu’un monument, témoignage du passé civil, ne devienne fatalement une effi gie méconnaissable ».

G.Grassi

Giorgio Grassi place l’ouvrage à reconvertir comme point de départ de la méthode d’intervention. Pour lui, le bâtiment existant prime sur la fonction à intégrer. Dans ce cas, le programme ne peut être défi ni clairement, car il s’adaptera en fonction des possibilités offertes par l’ancien édifi ce. Cette attitude ne cherche pas à atteindre des qualités standard que l’on pourrait exiger d’une construction à neuf. Souvent, les valeurs recherchées habituellement par les usagers ne peuvent être satisfaites. Par exemple, le degré de fi nition pourrait être réduit pour éviter d’intervenir trop lourdement sur l’existant. Les matériaux de construction ont été conçus pour un autre type d’usage et ne correspondent pas toujours aux caractéristiques habituelles de la nouvelle fonction. Il en est de même pour la disposition et la taille des pièces.Le projet de Siza illustre cette attitude. L’ancienne église, qui est en grande partie à l’état de ruine, impose sa forme à la nouvelle fonction, une place publique.

Cette attitude poussée à l’extrême correspond à un désintérêt total envers la nouvelle affectation et une conservation absolu du bâti existant. Ce point limite n’est plus à considérer comme une réhabilitation, car il ignore totalement un des deux critères fondamentaux énumérés précédemment. Il s’agit dans ce cas d’une muséifi cation plutôt que d’une transformation. Ce cas limite est théorique et nous sert uniquement à cadrer notre outil de travail.

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fi g. 38, place publique, Salemi, Alvaro Siza

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le bâtiment doit d’adapter à la nouvelle fonction

« La transformation s’aborde en termes pratiques, esthétiques et symboliques ».

J. Outram

Dans le cas de John Outram, repenser totalement le bâtiment d’après la nouvelle fonction est une nécessité. D’importantes modifi cations sont envisagées, afi n de répondre au mieux aux exigences de la nouvelle utilisation et de proposer une image innovante du bâtiment. Le programme à insérer est le point de départ du projet et il est considéré comme l’élément primordial. L’existant sera modifi é sans ménagements, et ceci jusqu’à ce que la fonction soit correctement intégrée. La maison Jaune de Valerio Olgiati en est un exemple. L’ancien bâtiment était une simple maison familiale comparable à tant d’autres. La nouvelle affectation est un programme public qui a engendré une destruction complète de l’intérieur du bâtiment. Olgiati a choisi de transformer l’expression du bâtiment et de donner un caractère public à cet édifi ce, en augmentant la profondeur des percements de la façade. Cette construction devient alors un élément central dans le village de Flims.

Une fois de plus, une pareille attitude appliquée de manière extrême engendre une situation sortant du cadre de la réhabilitation. Cela impliquerait un désintérêt complet pour la forme existante au profi t de la nouvelle fonction. Ce parti pris mène inévitablement à la table rase, c’est-à-dire à la démolition de l’ancien pour ensuite permettre une construction à neuf.

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fi g. 39, la maison jaune, Flims, Valério Olgiati

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la nouvelle affectation et la substance existante sont des éléments avec la même importance

« La clef de la solution réside dans une dialectique : l’adéquation entre la forme existante et la nouvelle fonction qu’elle accueillera. Meilleure est cette adéquation, meilleure sera la qualité de la réhabilitation, tant sur le plan purement architectural que celui de l’économie du projet ».

Philippe Robert

Selon Philippe Robert, une reconversion réussie est constituée de plusieurs points, dont la capacité à faire la part des choses est le principal. Il faut être à même de savoir quel bâtiment doit être conservé et quel autre non. Il s’agit de savoir identifi er les qualités du lieu et de percevoir son échelle. Pour lui, le programme proposé doit être bien en phase avec la morphologie. Cette phase de passage d’un état à un autre se traduit par une part de changement et une part de permanence. Des changements sont à envisager aussi bien pour la structure existante que le nouveau programme, afi n qu’il y ait imbrication entre ces deux éléments.

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fi g. 40, faculté d’agronomie, Gembloux, Samyn & Partners

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que garder, que détruire?

« Tout ce qui est passé n’a pas, par défi nition, droit à la pérennité : il convient de choisir avec sagesse ce qui doit être respecté. »

Luigi Snozzi

Rarissimes sont les véritables monuments, œuvres totales et abouties dont la collectivité peut se permettre et doit s’autoriser la sauvegarde, le sauvetage parfois, à tout prix et à tous les prix. Innombrables sont en revanche les constructions dont un aspect contribue par sa réalité physique à nous conter une page de l’histoire du bâti. Cette histoire dissout ses témoignages dans une constellation d’objets dont on sait déjà qu’il ne sera pas envisageable de les conserver tous. Et si l’on ne peut tout garder, alors que garder ? Dès lors apparaît la question incontournable du choix, du tri parmi cette masse construite. Cette problématique n’a cessé de prendre de l’importance durant les deux derniers siècles.

Les constructeurs du XIXe siècle ne possédaient ni machines permettant de « déconstruire » aisément, ni véhicules facilitant l’évacuation des matériaux, ce qui faisait de la démolition une opération très coûteuse. D’autre part, les temps de construction des nouveaux édifi ces étaient très longs, notamment à cause de la lenteur de la production, du transport et de la mise en œuvre de la matière première. Les notions de temps et de travail investis envers l’existant étaient d’une grande importance. Ainsi, les matériaux de construction continuaient à avoir une valeur considérable, même s’ils ne correspondaient plus tout à fait aux idées formelles de l’époque. La réutilisation de cette substance bâtie impliquait une diminution des dépenses et du temps d’exécution de la nouvelle affectation. Le critère économique était donc essentiel. Il avait assez de poids pour faire pencher la balance et suggérer une réutilisation importante de l’existant.

De nos jours, l’intérêt économique des transformations n’est plus si évident. Le développement industriel a donné à l’Homme les moyens techniques d’intervenir lourdement sur les édifi ces, même de les détruire et ensuite les reconstruire avec plus de facilité. Le standard de confort étant toujours plus élevé, les travaux à entreprendre pour réutiliser d’anciennes bâtisses ne cessent d’augmenter. De plus, le développement technologique de certains programmes impose une telle adéquation entre technique et structure du bâtiment qu’il devient diffi cile d’établir cette imbrication sans intervenir très lourdement sur l’existant. Les laboratoires, de chimie et autres, n’en sont qu’un exemple.

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Le critère économique étant malheureusement, de nos jours, le facteur de décision dominant, un grand nombre d’édifi ces sont voués à la démolition. Seule « la protection du patrimoine bâti » paraît être assez infl uente pour contrer l’hégémonie économique, et ceci uniquement dans un nombre restreint de situations. Ces bâtiments protégés constituent un patrimoine culturel important qu’il paraît juste de conserver. Pourtant, l’attitude d’intervention envers ces constructions s’apparente souvent à une sorte de muséifi cation, voir de momifi cation. Nous sommes dès lors confrontés à une bipolarisation avec, d’un côté, une alternative de conservation-muséifi cation et, de l’autre, une probable destruction, imposée par des considérations économiques. Si la première considère la forme existante comme étant le seul élément important, la seconde est son opposé et sacrifi e tout en faveur de la nouvelle fonction.

Nous pouvons aujourd’hui affi rmer que la très grande majorité des édifi ces anciens ont déjà été évalués, et ceci afi n d’établir s’ils entraient dans la catégorie des « bâtiments dignes de protection » ou « bâtiments dignes d’intérêt ». Il en résulte un grand nombre de constructions ne faisant pas partie de ces catégories, dont on ne sait que faire. Le présent travail s’intéresse à ce genre de constructions. L’attitude adoptée vise à rechercher une position intermédiaire entre la destruction et la muséifi cation, à rechercher cette capacité perdue, qui consiste à faire évoluer le capital architectural par des transformations successives, intelligentes et économes. Cette substance bâtie ne doit plus être considérée comme une matière inerte, incapable de répondre aux exigences actuelles, mais plutôt comme une matière vivante réussissant à entrer en tension avec les programmes d’aujourd’hui. Il faut aller au-delà de la seule problématique de patrimoine et ainsi mener une réfl exion plus large sur le passé et l’avenir de notre territoire, et plus particulièrement de nos villes.

« Ne faut-il pas conserver des constructions dont le caractère n’est pas noble, quand l’espace est de grande valeur ? »

Reichen et Robert

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attitude

Notre société a mis en place des systèmes économiques nécessitant une consommation de biens matériels toujours croissante. A ce jour, la construction n’a pas vraiment réussi à atteindre ce niveau de standardisation qui lui permettrait de réduire sensiblement les coûts et ainsi permettre à chacun de « consommer plus de bâtiments ». Pourtant, la villa-type nous prouve que des efforts sont entrepris de plus en plus fréquemment pour s’approcher encore de cet objectif et ainsi rendre la construction « industrielle plus qu’artisanale ».

Le travail avec l’existant demande un état d’esprit qui se trouve à l’opposé de cette volonté d’uniformité. L’attitude est celle du bricoleur plutôt que de l’industriel. D’un côté, l’état de l’existant n’est souvent que partiellement connu et conserve un certain degré d’imprécision: un chantier de réhabilitation est plus fréquemment soumis à l’imprévu qu’une construction à neuf, c’est pourquoi il devient parfois nécessaire d’envisager des solutions au cas par cas, ce qui demande une réadaptation constante de nos choix projectuels. De l’autre, les nouveaux programmes à intégrer ne peuvent pas être défi nis à l’avance de manière irrévocable.

critères d’évaluation

Avant toute chose, la réhabilitation d’un bâtiment existant présuppose un travail d’analyse de la substance bâtie afi n d’en saisir les caractéristiques essentielles. Ces différents paramètres sont trop souvent évalués indépendamment les uns des autres. Ceci provoque une superposition d’analyses extrêmement détaillées et précises, établies parfois par différents spécialistes, oeuvrant dans leur domaine sans considérations pour les autres disciplines. Nous obtiendrons ainsi, par exemple, une étude historique sous forme de texte, un diagnostic technique avec calculs et bilan thermique, et peut-être une série de photos exprimant la richesse des qualités spatiales. Il ne s’agit pas ici de remettre en question la qualité, l’intérêt, ou le besoin de cette matière, mais plutôt d’en dénoncer la trop grande sectorisation. Le travail de l’architecte consiste en une évaluation globale de l’objet, afi n de proposer la meilleure solution pour l’ensemble des critères et non pour chacun d’eux pris individuellement. Les échelles de valeurs données à chacune de ces analyses devrait alors parler la même langue et devenir ainsi comparable, afi n de permettre cette indispensable évaluation globale. Cette première vision générale se place en amont des différentes analyses détaillées, qui viendront par la suite indispensablement la compléter. C’est dans cette optique que nous avons tenté d’établir un tableau récapitulatif incluant les critères d’analyse principaux.

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Une analyse rationnelle permettra de donner une vision objective sur le bâti en question. Il s’agira dans notre situation d’utiliser une méthode rapide, capable de nous donner des informations générales sur l’état des édifi ces. Nous adopterons donc une approche qualitative et non quantitative. Il va sans dire que chacun des points que nous allons exposer pourrait être approfondi et faire l’objet à lui seul d’une étude complète. Ce choix a le désavantage d’un certain manque de précision, par contre il permet d’avoir rapidement une vision d’ensemble intégrant tous les critères importants. Toutefois, on ne peut se contenter de cette première catégorie objective.

Plusieurs exemples précédents nous montrent que d’autres facteurs entrent en ligne de compte lors d’une transformation. En visitant les lieux à réaffecter, nous ressentons quelque chose. Certains d’entre nous parlerons de sensation, d’autres d’ambiance, de caractère, d’image, d’esthétique ou d’émotion. Ces éléments n’ont pas la même infl uence sur chacun et sont souvent diffi ciles à exprimer. Toutefois, leur importance n’est plus à prouver, car un de ces critères subjectifs se trouve souvent à la base de l’idée de projet. C’est pourquoi, cette analyse sensible nous semble absolument indispensable à la connaissance de la substance bâtie. Cette approche sensible se place en contre-poids de l’analyse rationnelle.

Nous avons jusqu’ici présenté la réhabilitation comme étant une dialectique entre la forme existante et la fonction nouvelle. Les différentes attitudes de projet ont ensuite été placées de manière approximative entre ces deux pôles. Leur position est défi nie en fonction de divers critères, que nous avons réunis en trois familles : économique, historique et sociale, architecturale. Ces trois éléments et leur contenu composeront la grille récapitulative que nous proposons d’utiliser comme outil d’analyse de l’existant. Cette méthode étant qualitative, nous avons associé à chacun des critères une série d’adjectifs capables de graduer de manière simple et directe les résultats. Les adjectifs varient du positif au négatif, respectivement de gauche à droite du tableau. Toutefois, il est certain qu’une simple croix dans une case est une information trop réductrice pour qu’elle puisse être valide telle qu’elle. Un complément par des remarques et annotations est donc indispensable.

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Critères économiques

Comme nous l’avons souligné précédemment, ce critère de décision est extrêmement infl uent de nos jours. Lors de l’analyse d’un ancien édifi ce, les composants de cette famille représentent souvent les seuls critères de décision. L’avenir d’un bâtiment dépend dans ce cas uniquement des résultats du diagnostic physique, de la valeur du terrain ou encore du fait d’être ou ne pas être classé.

L’importance de cette analyse économique n’est pas à remettre en cause. Elle doit pourtant faire partie d’un ensemble prenant en compte également les critères historiques et sociaux et architecturaux, ceci afi n d’avoir une connaissance complète de l’objet à transformer.

État physique

La problématique de la réhabilitation se pose souvent pour des bâtiments d’un certain âge et ayant été conçus pour une fonction qui peut avoir des caractéristiques très différentes de la fonction nouvelle. Les exigences au niveau du confort ayant fortement augmenté ces dernières années, ces anciennes bâtisses ne peuvent atteindre le même standard qu’une construction à neuf sans que d’importantes transformations ne soient entreprises. Des concessions sont nécessaires, afi n d’éviter que ce critère ne devienne trop infl uent et rende ainsi inutiles les autres types d’approches.

Etat fi nancier

Un grand nombre de sites industriels qui s’étaient à l’origine implanté à l’extérieur des villes se retrouvent aujourd’hui englobés dans le tissu urbain. Ceux-ci se retrouvent ainsi à proximité des fonctions urbaines et leur potentiel d’accueil s’élargit à de nouvelles affectations. Il en résulte une augmentation de la valeur du terrain, ce qui implique une spéculation foncière qui tend à remettre en question les anciens bâtiments du site. Ces derniers ne possèdent que rarement la densité élevée des centres-villes. Pour éviter la démolition, il faut donc souvent réussir à proposer une certaine densifi cation du site, ce qui augmentera ses chances d’être économiquement acceptable.

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Etat légal

« …conformément à la loi sur les constructions, des bâtiments existants, qui ne répondent pas à la réglementation, donc des bâtiments en infraction avec la législation, peuvent uniquement être maintenus en l’état ou éventuellement rénovés dans une juste mesure. Tout changement de destination est strictement interdit. De telles mesures auraient pour effet d’augmenter la longévité des bâtiments d’une « manière inadéquate » (…) ; il est en outre illogique d’espérer transformer des fabriques en habitations sans que la substance construite ne fasse l’objet d’interventions profondes »

Exposé des motifs de refus d’une demande de construire

L’aspect légal permet de mettre le doigt sur un sérieux problème de la transformation. Il est fréquent que les zones occupées par des bâtiments se trouvant à l’état d’abandon soient soumises à réfl exion au sein de l’administration. Or, les nouveaux plans élaborés par les autorités mettent parfois ces anciennes bâtisses dans une situation « non réglementaire ». Un bâtiment est « non réglementaire », dès qu’il ne correspond pas à la réglementation du plan de zones ou à la loi sur les constructions. Cette situation implique que leur durée de vie ne doit pas être prolongée « de manière inadéquate ». L’état actuel d’un bâtiment, son histoire, son aspect dans le cadre du quartier ou son utilisation potentielle n’entrent pas en ligne de compte. Seule la comparaison des distances aux limites, des hauteurs de bâtiments, des coeffi cients d’utilisation, etc. avec la législation en vigueur à un moment donné détermine l’utilisation future d’un bâtiment.

Il y a une totale inadéquation des règlements en ce qui concerne la transformation, car ceux-ci ont le pouvoir de décider du maintien ou de la destruction d’une structure en ne prenant en compte qu’un seul des critères d’évaluation. D’autre part, le fait d’être en présence d’un bâtiment évalué comme étant digne de protection a des répercussions importantes sur l’attitude à adopter lors de la transformation, ce que nous avons déjà explicité précédemment.

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état physique structure porteurs verticaux excellent moyen dégradé très dégradé

planchers excellent moyen dégradé très dégradé

charge statique forrte moyenne faible nulle

enveloppe façade excellent moyen dégradé très dégradé

toiture excellent moyen dégradé très dégradé

fenêtres excellent moyen dégradé très dégradé

second œuvre parois excellent moyen dégradé très dégradé

e escaliers excellent moyen dégradé très dégradé

i install. techn. chauffage excellent moyen dégradé très dégradé

m ventilation excellent moyen dégradé très dégradé

o sanitaire excellent moyen dégradé très dégradé

n électricité excellent moyen dégradé très dégradé

o état financier valeur terrain très élevé élevé moyen bas

c valeur bâtiment très élevé élevé moyen bas

e état légal respect des

règlements dist. aux limites oui en partie non

CUS oui en partie non

COS oui en partie non

hauteurs oui en partie non

volonté politique maintien indéci destruction

site classé oui en partie non

pollution nulle basse moyenne élevée

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Critères historiques et sociaux

L’importance toujours croissante acquise ces dernières années par l’histoire de la construction nous démontre que la société considère désormais les anciens bâtiments comme des éléments capables de véhiculer un certain nombre de valeurs. Ils sont le refl et des idéologies des cultures qui les ont formées et méritent parfois d’être conservés. La seule présence physique de ces lieux, ancrés dans le vécu des gens à travers le temps écoulé, en fait des éléments appartenant à la mémoire collective. L’utilisation variée de ces constructions et les traces de vie antérieure ayant subi des modifi cations font également parties de cette histoire.

Dans son livre « l’allégorie du patrimoine », Françoise Choay considère la reconversion comme un moyen de transmettre un savoir, de faire revivre une trace du passé. Dans ce cas, un changement d’affectation est à considérer comme une appropriation de l’histoire à travers les exigences du temps présent. Cette attitude n’est envisageable qu’en dépassant l’idée de rupture temporelle : le temps passé doit continuer à vivre dans le présent. Nous travaillons avec des éléments que nos ancêtres ont créés et qui sont destinés à être modifi és. Ceci assurera une croissance de nos villes, tout en respectant leurs histoires.

Renommée

Pour établir une classifi cation de l’importance des auteurs de telle ou telle construction, nous proposons arbitrairement de prendre comme référence de base le dictionnaire des architectes suisses. Ceux y fi gurant seraient à considérer comme des architectes de renommée nationale ou internationale, pour les autres, ils ne dépasseraient pas l’échelle locale.

Caractère novateur

Il ne s’agit pas ici de déterminer de façon certaine que nous nous trouvons en présence d’une solution innovante, mais plutôt d’en indiquer une éventuelle piste qui serait ensuite à vérifi er. Pour déterminer si une solution est réellement innovante, une excellente connaissance du contexte non seulement théorique, mais aussi matérielle et technique de la construction est nécessaire.

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Unicité

Ce critère ainsi que les deux précédents s’inscrivent dans une attitude purement historiciste. Ils cherchent à identifi er les éléments pouvant révéler la valeur historique d’une construction, afi n d’éviter la disparition d’un morceau de patrimoine culturel. De plus, par ce terme d’unicité, nous cherchons à évaluer la cohérence de l’ensemble bâti et d’en identifi er d’éventuelles constructions se démarquant du groupe.

Morphologie

Comme nous l’avons déjà dit, un grand nombre de sites industriels s’étant à l’origine implantés à l’extérieur des villes se retrouvent aujourd’hui englobés dans le tissu urbain. Ce nouveau tissu possède souvent des règles totalement différentes de l’objet ancien, pensé comme un objet isolé. Il est important de comprendre le comportement de ces constructions envers l’environnement proche, afi n de déterminer si elles nuisent ou, au contraire, si elles enrichissent le paysage urbain. En effet, le changement d’affectation consiste également à tenter de réaliser l’intégration d’un bâtiment ou d’un ensemble historique dans le quartier et de l’adapter à ses exigences culturelles et sociales.

Certains sites sont composés d’une agglomération de bâtiments. Dans certaines situations, il convient de les évaluer séparément, afi n d’identifi er les éléments structurant, ceci en vue d’une éventuelle destruction partielle des constructions.

Valeur symbolique

Ce critère cherche à saisir le pouvoir évocateur du site, pour la collectivité urbaine et le propriétaire, au niveau des bâtiments eux-mêmes, ou du signe commercial dans le cas d’une industrie.

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renommée architecte internationale nationale locale inconnu

bâtiment internationale nationale locale inconnu

e é caractère novateur innovation spatiale majeur intéressant mineur nulr t innovation typologique majeur intéressant mineur nul

i é innovation technique majeur intéressant mineur nul

o i unicité appartenance

t c à un ensemble très cohérent cohérent peu cohérent cahotique

s o impact social insertion urbaine él. structurant important sans intérêt dénature

i s insertion dans le site él. structurant important sans intérêt dénature

h valeur symbolique pour propriétaire forte moyenne faible nulle

pour collectivité forte moyenne faible nulle

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Critères architecturaux

« …l’atmosphère particulière qui règne dans les friches les rend particulièrement attrayantes… »,

« …le caractère unique de cette friche... »,

« …bâtiments éveillant la nostalgie …»,

« …sites qui ont pour la plupart une poétique très présente …»,

« …effet scénographique des friches industrielles…qui est principalement dû à une typologie particulière ainsi qu’aux dimensions hors normes. »,

« …chaque maison est assurément animée d’un esprit… »

« …la relation sensorielle et presque intime avec ces lieux… »

« …ces espaces abandonnés provoquent des émotions, au-delà de celles produites par la liberté d’imagination que nous offre la ruine. Des odeurs, des matières, la lumière dans l’espace, la dimension et la forme de celui-ci, des vis-à-vis, des contrastes, des espaces denses ou aérés, etc. constituent les qualités sensibles à relever. »

Ces quelques extraits font parties de textes qui s’intéressent aux réactions provoquées sur l’être humain par les espaces construits. L’importance de ces sensations n’est plus à prouver. Adolf Loos écrivait « l’architecture éveille des émotions dans l’homme. La tâche de l’architecte est alors de préciser ces émotions». Dans le cas de la transformation, le bâtiment existant suscite déjà en nous un certain nombre d’émotions. Il est important de les identifi er, afi n qu’elles puissent enrichir la nouvelle affectation.

La diversité des termes utilisés pour défi nir ces sensations nous démontre le côté subjectif et personnel de ces considérations. La visite d’un même édifi ce par plusieurs personnes différentes engendrerait probablement la découverte d’une grande diversité de qualités sensibles. Ceci s’explique par le fait que la perception humaine dépend non seulement de l’endroit dans lequel on se trouve, mais également des expériences propres à chacun. Les éléments présents devant nos yeux entrent en résonance avec les expériences que nous avons vécues antérieurement: présent et passé entrent alors en dialogue.

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De la même manière, la relation entre forme ancienne et nouvelle fonction pourrait être interprétée comme la rencontre de deux éléments possédant chacun leurs qualités sensibles particulières. Le fait de les rapprocher produit quelque chose de nouveau, qui va au-delà de la simple addition des qualités de chacun pris séparément. Ces qualités propres sont même transformées et acquièrent d’autres valeurs n’appartenant ni à l’ancien ou au nouveau, mais à l’ensemble ancien-nouveau. Comme écrit précédemment, l’ancienne forme peut être considérée, de ce fait, comme une matière vivante, capable de se transformer et d’entrer en tension avec la fonction à intégrer, ceci afi n d’acquérir un sens nouveau.

« Le nouveau découle de l’ancien, mais l’ancien ne cesse de se transformer à la lumière du nouveau ».

Arnold Hauser

L’évolution du loft illustre bien les nouvelles qualités pouvant être acquises par la mise en relation de deux éléments différents. Dans le passé, les espaces industriels évoquaient la diffi culté du travail, le bruit, la saleté. Ils ont été habités par des artistes et des étudiants, essentiellement pour des raisons d’argent et de place disponible. Les nouvelles qualités sensibles issues de cette relation novatrice entre l’espace industriel et le logement ont rapidement provoqué un changement de perception de ces lieux. Les espaces unitaires baignés de lumière appartenant à l’industrie associés au besoin d’individualisation, d’appropriation propre au logement ont donné à l’ensemble des qualités nouvelles, notamment le principe de jouir de la liberté d’organiser son domicile à sa guise. En quelques années, les bâtiments industriels ont ainsi perdu leur image triste et anonyme et possèdent maintenant l’aura de mondes prometteurs, générateurs de non-conventionnel et d’avenir.

Les qualités sensibles sont les notions les plus intuitives des divers critères présents dans le tableau d’évaluation. Elles sont ressenties par chaque être humain. Lors de la première visite d’un bâtiment, nous allons plutôt être marqués par la richesse des relations spatiales, plutôt que par la capacité porteuse de la structure. Ces réactions intérieures ne nécessitent aucune connaissance technique. Ce sont elles qui vont être perçues quotidiennement par les futurs usagers. C’est pourquoi, ce point constitue une partie essentielle de l’analyse. Il doit acquérir un poids suffi sant, afi n d’éviter que l’évaluation d’un bâtiment en quête de nouvel usage ne se fasse uniquement sous l’aspect économique et historique.

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Le système d’évaluation des différents critères étant qualitatif, une certaine subjectivité est inévitable, ceci également en effectuant l’analyse des critères objectifs. L’analyse subjective et la prise en compte des qualités sensibles qu’elle implique est encore plus diffi cile à évaluer. Ces points nécessitent un certain nombre de remarques et de descriptions plus détaillées, afi n de compléter les informations. Les échelles de valeurs que nous avons donné à ces critères peuvent paraître trop imprécises. Toutefois, la volonté d’obtenir une certaine homogénéité du système nous a poussé à conserver un même type d’évaluation.

Typologie

Dans les critères architecturaux, l’examen des propriétés spatiales est le seul à pouvoir être établi de façon objective. Certaines de ces valeurs, la portée de la structure par exemple, pourraient être mesurées même si, comme nous venons de le mentionner, la volonté d’homogénéité des évaluations nous a incité à maintenir l’approche qualitative.

Image

Ce point cherche à relever la capacité évocatrice du site et de ses bâtiments et, par la suite, de l’identifi er. Comme nous l’avons explicité précédemment, cette approche sensible implique que les éléments résultant de ce critère ne peuvent pas être considérés comme des caractéristiques appartenant exclusivement au bâtiment. Ils sont l’interprétation de la forme existante établie par un être humain. Qu’il s’agisse du dessin d’une façade, d’un type de fenêtre, d’une texture ou d’objet signifi catifs, cheminée ou sheds, ces quelques éléments provoquent des sensations différentes pour chaque individu. Il est dès lors impossible de proposer une liste exhaustive d’éléments capables de susciter de telles réactions. Pour cette raison, nous avons délibérément laissé des parties du tableau vacantes, afi n qu’elles soient complétées au cas par cas.

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Qualités spatiales

Le complexe bâti des sites industriels est souvent le résultat d’une succession de constructions érigées au cas par cas, en fonction de la situation économique et des besoins de la production. Ce phénomène a créé des situations parfois chaotiques, mais en contrepartie, cela a souvent permis d’obtenir des relations spatiales très riches et variées. Toute une série de règlements n’autorisent parfois plus la construction de ce type de rapports spatiaux, ce qui rend d’autant plus pertinente la question d’une éventuelle réutilisation.

Potentiel forme-fonction

Dans ce travail, nous avons à plusieurs reprises tenté d’expliciter l’enrichissement émotionnel provoqué par la mise en relation d’une ancienne forme et d’une nouvelle fonction. Toutefois, la nouvelle fonction n’avait pas encore trouvé sa place dans le tableau récapitulatif que nous proposons. Bien que les autres critères précédemment évalués ne puissent être totalement traités sans avoir en tête une future affectation, le potentiel forme-fonction permet pour la première fois de tester la forme ancienne avec différentes propositions de fonctions nouvelles. La listes de ces nouvelles affectations possibles est donc à établir au cas par cas, par rapport aux besoins programmatiques ou en fonction des résultats des analyses précédentes.

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typologie portée, dimensions très grande grande moyenne petite

partitions spatiales espace unique peu découpé moyen. découpé très découpé

flexibilité grande moyenne petite nulle

image, pouvoir

e évocateur caractère, ambiance très riche riche moyen pauvre

r très riche riche moyen pauvre

u très riche riche moyen pauvre

t qualités spatiales extérieur disposition volumes très riche riche moyen pauvre

c intérieur relations spatiales très riche riche moyen pauvre

e dimensions très riche riche moyen pauvre

t lumière très riche riche moyen pauvre

i potentiel

h forme-fonction fonctions proposées logements très élevé élevé moyen bas

c bureaux très élevé élevé moyen bas

r ateliers très élevé élevé moyen bas

a commerces très élevé élevé moyen bas

salle d'exposition très élevé élevé moyen bas

théâtre très élevé élevé moyen bas

discothèque très élevé élevé moyen bas

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UNE FABRIQUE DE PIANOS A BIENNE

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«Cette maison est la mienne et pourtant pas tout à fait la mienne. Elle n’était pas non plus à celui qui m’a précédé. Il l’a quittée, je m’y suis installé, à ma mort il en sera de même pour les suivants.»

Inscription sur la façade d’une maison de la vieille ville de Bienne

Bienne est une ville industrielle. La simple vue de certaines façades, de halles ou même de quartiers suffi t pour évoquer au passant l’essor, la richesse mais aussi l’activité et le chaos qu’à traversé cette ville au cours de son histoire. Aujourd’hui, Bienne panse ses plaies et la tâche à accomplir est d’envergure: réparer les tissus, combler les vides, réhabiliter des zones, modifi er les tracés… Ce travail ne doit pas être aveugle et destructeur. Il doit permettre de mettre en valeur les meilleures facettes de son passé industriel, d’un héritage social et architectural. Pourtant le nombre d’objets susceptibles d’être gardé est énorme et tous ne doivent pas survivre. Dans ceux qui seront gardés, tous ne doivent pas non plus être traité également, certains restent intacts, d’autres peuvent être transformés.

La fabrique de pianos Burger & Jacobi se trouve dans le quartier de Madretsch, une ancienne commune devenue un quartier périphérique de la ville. Cette fabrique est un de ces bâtiments au passé industriel intéressant, en témoigne par exemple le nom donné aux rues et places proches: Pianostrasse, Pianoplatz, Pianoareal. Mais il suffi t d’un petit tour sur le site pour se rendre compte que cette fabrique ne peut et ne doit pas devenir un musée: le peu d’entretien qu’elle a reçu l’a d’ailleurs exclue de l’inventaire. Pourtant son importance historique indéniable pour la ville et le quartier, ses qualités spatiales, son caractère particulier mérite que l’on s’arrête et que l’on réfl échisse au-delà de la destruction. Que garder alors?

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historique de la ville de Bienne

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étapes importantes

1850Ouverture de la ville aux immigrés qui s’amassent dans la cité médiévale. Première destruction des fortifi cations.

1850-1870Apparition du chemin de fer qui amplifi e le mouvement de concentration urbaine et déclenche, avec la saturation du noyau urbain, une première extension linéaire le long des routes de sortie de la ville.

1870-1890Eclatement de la ville dans la plaine de la Suze sous la forme d’une urbanisation en surfaces très fragmentées.

1890-1913Grande vague d’urbanisation du tournant du siècle, pendant laquelle le centre de la ville acquiert sa physionomie actuelle.

1913-1930Aménagement du tracé actuel des voies ferrées et fusion des communes limitrophes avec Bienne. La commune de Madretsch en particulier est absorbée en 1920. Développement de la cité-jardin sur le pourtour urbain.

1930-1944Edifi cation du quartier de l’actuelle gare et comblement des lacunes dans les quartiers centraux et périphériques, notamment Madretsch.

1945-1960Grande vague d’urbanisation d’après-guerre sur les espaces à bâtir de la périphérie communale.

1960-1980Apparition des maisons-tours dans le paysage biennois.

1980-2000Recul de la démographie. Bienne est durement touchée par la récession des années 90.

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Bienne est fondée au 13e siècle en tant qu’avant-poste de l’Evêché de Bâle, sur une colline au pied du Jura. La ville reprend les traces d’une ancienne place forte romaine. Cette situation stratégique consolide le système défensif bâlois au regard du poste bernois concurrent à Nidau. Cette position est importante pour le contrôle du transport lacustre, alors que le fl ux de transport routier n’est pas encore très développé et pour la fonction marchande de la ville de Bienne. Dès le 15e siècle, la bourgeoisie locale se renforce et prend part aux campagnes militaires des Confédérés; la ville devient “zugewandter Ort”, alliée des cantons en 1478. Jusqu’à son annexion par la France en 1798, Bienne tente de renforcer son indépendance tant à l’égard du Prince-Evêque de Bâle qu’à celui de son allié bernois. Le Congrès de Vienne attribue fi nalement la ville à l’Etat de Berne alors qu’elle espère devenir un canton indépendant.

Sur le plan économique, la ville médiévale, créée selon des considérations stratégiques et éloignée des voies de communication, parvient diffi cilement à faire sa place, ses principaux revenus dépendant d’un artisanat restreint, du commerce et des vignes.

Bienne au début de l’industrialisation

L’industrialisation du début du 19e siècle est la cause de profonds changements au sein des villes helvétiques. Les ouvriers qui travaillaient jadis à domicile deviennent ouvriers d’usine. La décentralisation de l’industrie est caractéristique en Suisse; les fabriques s’implantent sur tout le territoire notamment à proximité des cours d’eau et des grands axes de communication. Bienne, en raison de sa situation stratégique au pied du Jura, est devenu un point de croisement important pour les transports routiers et ferroviaires.

Au début du 19e siècle, la morphologie de la ville est celle de la ville marchande du Moyen-Age: elle apparaît comme un ensemble de constructions contiguë contenues à l’intérieur des fortifi cations. Des maisons d’artisans bordent les routes secondaires. Leur plan refl ète la structure hiérarchisée de la ville: au rez-de-chaussée se trouvent les ateliers, au premier étage le logement des patrons et au deuxième étage les chambres des compagnons. Les seuls bâtiment qui se trouvent à cette époque en dehors des fortifi cations sont des établissements industriels, fabriques et maisons de propriétaires qui colonisent petit à petit le territoire le long des voies d’eau et des campagnes. En 1744, une fabrique d’indiennes est implantée dans les prés à l’est de la ville médiévale; elle disparaîtra en 1842 après avoir compté plus de 1000 employés.

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fi g. 41, Bienne, vers 1800

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La ville compte également l’installation d’une industrie du tabac et de la fi lature de coton entre 1825 et 1880. Mais c’est surtout l’industrie horlogère, encouragée par une décision du Conseil municipal de 1845 favorisant des allégements fi scaux pour ces entreprises, qui s’implante à Bienne. Cette industrie, importée du Jura, sera un facteur déterminant pour l’expansion de la ville.

La cité ne s’étend guère hors des limites historiques entre 1800 et 1850. Elle conserve sa dimension médiévale. De fait, l’extension urbaine en direction de la plaine dépend surtout de la canalisation de la Suze qui serpente et inonde les champs avant de se jeter dans le lac. Ces travaux (1825-1829) seront suivis par la démolition des fortifi cations vers 1850 qui entravent le trafi c et la transformation de la ville. En 1857, la ville se connecte au chemin de fer de la Suisse centrale favorisant encore ainsi le développement de l’industrie. Situé à l’écart des axes routiers importants le noyau rural de Madretsch se développe peu. Le village apparaît comme une construction en ligne situé sur des croisées de routes secondaires. D’environ 200 habitants en 1800, le village reste à 350 un demi siècle plus tard.

Bienne à travers la Révolution industrielle

1857-1870

Cette période correspond à une première vague d’extension extra-muros, au cours de laquelle la ville explose littéralement avec l’arrivée massive de la main d’œuvre. La cité vit l’époque d’un premier essor de l’horlogerie et de la pénurie de logement. La première gare provisoire est construite sur la rive sud de la Suze, non loin de l’actuelle place Centrale, puis la deuxième gare «défi nitive» est inaugurée à l’emplacement actuel de l’hôtel Elite en 1864 au sud-ouest de la ville. Les vastes espaces libres le long des voies ferrées incitent certaines entreprises à s’implanter près de la gare. Sur ces terrains s’implante notamment l’usine à gaz en 1862 et une fonderie. A proximité de l’usine à gaz, dans une zone alors mal situées, on construit la Cité-Marie, un ensemble de logement ouvrier en réponse à la pénurie. Des entrepreneurs de la région fondent, en 1857, la Baugesellschaft von Biel qui a pour objectif de construire un nouveau quartier résidentiel: le Quartier Neuf, sur les prés occupés par l’ancienne fabrique d’indiennes à l’ouest de la ville qui utilisaient de grandes surfaces nécessaires pour étendre et faire sécher les étoffes.

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fi g. 42, Bienne, 1870

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L’urbanisation de la plaine au sud se développe selon une trame de rues à la fois perpendiculaire au canal de la Suze et à la rue Centrale. C’est selon cette extension qu’est déterminé, en 1853, le premier plan d’alignement et de constructions, suivi d’un second plan approuvé quinze ans plus tard. La trame rectangulaire est ponctuée d’éléments plus anciens, comme la route prolongeant la rue de Nidau (rue de Morat) qui forme un grand biais à travers cet ordre orthogonal. La rue centrale, ouverte au trafi c en 1864, complète la liaison Lyss-Brügg prolongée jusqu’à Madretsch. Ce nouveau raccourci entre Bienne et Berne marque pour le petit village rural la fi n de son isolement. De même, le coût de la vie et le manque d’appartement incitent certains immigrants à s’établir à l’extérieur, dans les villages de Boujean et de Madretsch dès 1860. C’est également dans le faubourg artisanal de ce village que s’installe défi nitivement la savonnerie Schnyder en 1868.

1870-1889

L’urbanisation est en plein essor du pied du Jura à la Suze de Madretsch, ainsi que le long des routes de sorties de la ville. Les villages alentours connaissent leurs premières forte croissance, Madretsch notamment subit un grand affl ux d’ouvriers en 1880. Les premières traces d’une urbanisation compacte et dense commencent à apparaître à proximité de la rue Centrale et de la rue de la Gare. L’augmentation importante de la population se traduit par une série de nouvelles constructions publiques : écoles, hôpital, église catholique, synagogue, usine à gaz.

En 1878, Bienne approuve le troisième plan d’alignement. Il prévoit le quadrillage systématique du plan précédent par des rues secondaires et de nouvelles artères délimitant des blocs de construction. Une dizaine d’années après la création du Quartier Neuf est créé le Quartier du Marché Neuf, au sud-est de la ville médiévale. Cette portion de ville est représentative d’un quartier d’industrie horlogère. Il montre bien le mélange des fonctions et le développement de typologies propres à cette activité: les maisons familiales de trois étages appartiennent à des gens aisés (fabricants, directeurs, médecins) alors que les maisons de quatre étages logent des travailleurs et des petits entrepreneurs, l’étage mansardé étant assez grand pour accueillir un atelier d’horlogerie. L’agrandissement de ces ateliers est assuré par la construction d’un bâtiment à l’arrière du jardin souvent directement lié avec les combles de la maison sur rue.

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fi g. 43, la deuxième gare de Bienne (état en 1920)

fi g. 44, Madretsch vers la fi n du 19e siècle

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1890-1913

Après la crise de 1880, de nouveaux marchés s’ouvrent avec l’avènement de l’industrie de la machine-outil et de la métallurgie entre autres. La consommation augmente et l’économie prospère jusqu’à la première guerre mondiale. En dépit de courtes crises cycliques, Bienne subit son expansion la plus fantastique. Vers 1900, près de 5000 ouvriers horlogers travaillent dans les 1000 entreprises de la ville. L’immigration de population est plus forte que jamais et le développement industriel est considérable. Il n’existe pas de grande zones industrielles horlogère à proprement parler. Jusqu’à la fi n du 19e siècle, les ateliers d’horlogerie se situent généralement dans les mansardes des maisons.

Le processus de concentration des grands centres s’amplifi e. Le front urbain commence à déborder sur les communes avoisinantes. Le bas du vignoble surplombant la ville est de plus en plus occupé par des édifi ces publics, comme le Technicum suisse romand (1897- 1900), qui déterminent l’image de la ville. Au centre de Bienne, de grands immeubles mixtes d’habitation locative et d’activités secondaires et tertiaire de 4 à 6 étages sont construits. Des villas et des petites maisons locatives sont bâties en banlieue ainsi qu’au Pasquart et dans le Vignoble. L’urbanisation se prolonge à l’est de la ville et franchit le cours de la Suze par le prolongement de la rue Dufour, partiellement urbanisé. La ville aménage le bord du lac avec un nouveau quai. Les premiers quartiers d’habitation subissent une forte densifi cation et donne naissance à un véritable centre-ville sur un axe Gare - rue Centrale - vieille ville, bordé d’immeubles locatifs et commerciaux de 4 à 5 étages. La richesse des façades, souvent fl anquées de tourelles d’angle en encorbellement témoigne de l’épanouissement de la ville.

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fi g. 45, Bienne, 1913

Page 74: reflexions autour d'une transformation

74fi g. 46, le développement de Bienne et de Madretsch pendant la Révolution industrielle

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Bienne vers 1925, le quartier de la gare

Les autorités de la ville se préoccupent dès 1890 du problème de la gare, suite à la volonté des CFF de planifi er un troisième déplacement de la gare afi n de desserrer «l’étau ferroviaire». Un nouveau site est accepté à 200 mètres au sud-ouest de l’ancienne gare. La ville récupère ainsi l’ancien périmètre, qui devient le Quartier de la Gare. En 1918, l’aménagement de ce quartier est l’objet d’un concours d’idées qui doit permettre l’extension de Bienne et de sa banlieue. Les autorités songent en effet à incorporer les communes voisines de Vigneules, Boujean, Mâche et Madretsch. Ce village compte plus de 4000 habitants lorsqu’il fusionne en 1920. Sur la base du plan d’alignement élaboré à partir des propositions du concours et approuvé en avril 1925, un nouveau concours est organisé. On demande alors aux architectes biennois et à cinq architectes invités de proposer un plan d’édifi cation du quartier ainsi qu’un aménagement des façades.

Le premier prix ex-æquo est décerné à Maurice Braillard et Alphonse Laverrière. Leurs projets servent alors de base au Règlement du Quartier de la Gare. Ce dernier fi xe la hauteur des immeubles, le genre et l’usages des superstructures, l’obligation du toit plat, le type d’installation de cour, l’aménagement des façades (qui souligne les horizontales) et les enseignes. Le plan fait communiquer six pâtés d’immeubles, de tailles et de formes différentes, reliés entre eux par des rues rectilignes bordées de trottoirs larges. Les îlots sont édifi és autour de squares qui devaient, à l’origine, être des «Grünhöfe», des espaces verts, suite à un postulat de l’urbanisme exigeant la réintroduction des cours semblables à celles des couvents et des monastères médiévaux.

Les travaux du quartier de la gare ont débuté vers la fi n de 1929 simultanément en différents endroits et se sont achevés vers 1945 par des ouvrages qualifi és d’épigones. Les deux îlots supplémentaires où sont implantés le cinéma «Palace» et «Le Palais des Congrès», non-bâtis à l’époque, devaient être réservés à des affectation spéciales comme des espaces de verdure ou des immeubles de bureaux. En 1957 et en 1960, une modifi cation du plan de zone a permis la construction d’un «ensemble-tour» provoquant une rupture de typologie avec les îlots voisins.

Le Quartier de la Gare constitue l’un des éléments marquants des idées politiques de la «Bienne rouge» et du mouvement «Neues Bauen». Parmi les architectes ayant contribué à son développement, il faut citer Eduard Lanz, auteur de la «Maison du Peuple», réalisée en 1932. D’une architecture inspirée par les clubs ouvriers soviétiques, ce bâtiment échappe complètement aux normes en vigueur dans le quartier. Contrairement aux architectes Saager et Frey qui ont construit l’Hôtel Elite,

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fi g. 47, les usines de General Motors, 1935

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qui jouent le jeu de l’harmonie et de l’homogénéité du lieu, Lanz aborde le problème en proposant un immeuble dont la forme rappelle celle d’un phare. La couleur de l’objet renforce cette volonté de se détacher des autres constructions afi n d’affi rmer son indépendance.

De l’autre côté des lignes de chemin de fer, les halles de montage de la General Motors, réalisées par Hubacher et Steiger en 1935, constituent également un élément important du développement du Quartier de la Gare. D’abord parce qu’il s’agit du premier bâtiment de la future zone industrielle, et ensuite, parce que l’arrivée providentielle de capitaux durant la crise économique des années 30, (en particulier ceux de General Motors Suisse S.A., fi liale de General Motors Corporation de Détroit), a contribué à réduire le chômage en ville.

la Bienne moderne et les logements coopératifs au 20e siècle

Le site de la gare n’a pas été le seul pôle de développement au début du 20e siècle. La croissance urbaine augmente toujours, surtout grâce à l’industrie horlogère puis plus tard grâce à une diversifi cation des activités notamment vers une tertiarisation. Cet affl ux de personnes dure jusque dans les années 70. L’urbanisation et en particulier les logements se répandent de plus en plus sur le territoire biennois et particulièrement dans les quartiers suburbains.

Dès 1911, des coopératives d’habitation se construisent suivant le modèle des cités-jardins depuis l’ancien Vignoble jusqu’aux collines de Madretsch. Une première colonie s’implante à la «Hofmattenstrasse» à Nidau. La construction d’autres ensembles, comme celui de «Rennweg», à Mâche (1925), de la deuxième étape de Nidau (1929) ou de ceux des employés communaux à Falbringen (1926) et à Champagne (1928), va s’échelonner sur une vingtaine d’années. Eduard Lanz est l’unique auteur de ces cités, celle de la «Hofmattenstrasse» mise à part, ce qui lui a permis de concrétiser à la fois ses idées architecturales et ses ambitions sociales. Il s’agit de créer des logements simples et bon-marché dans un environnement sain et calme, en périphérie de l’agitation urbaine.

La Bienne moderne des années 20 et 30 n’est pas un laboratoire d’architectes avant-gardistes. L’architecture moderne trouve ici sa raison dans l’édifi cation d’une société nouvelle exprimant ses ambitions sociales et démocratiques, représentées par des hommes comme Guido Müller, maire de la ville de 1921 à 1947, ou Jean-Félix Villars, géomètre de la ville de 1908 à 1948 (principal initiateur du concours pour le plan d’aménagement de 1918, et auteur du plan de zones de 1937). Otto Schaub,

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fi g. 48, Bienne, 1938

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architecte de la ville de 1925 à 1947, est, lui aussi, un personnage important du mouvement Moderne.

L’ouverture d’esprit propre à la population des années 20 contribuera à désigner Bienne «la ville de l’avenir». Cette attitude, qui préfère un nouveau départ plutôt que la continuité, se retrouve dans les idées politiques de la «Bienne rouge» mais également et dans le peuple biennois qui prend une part décisive dans l’édifi cation de la Bienne moderne. L’architecture des années 20 et 30 est qualifi ée de «home-made». Les architectes extérieurs ayant participé aux différents concours ont, en effet, joué le rôle d’arbitres ou d’experts, alors que les réalisations sont confi ées à des architectes locaux.

Les années 30 constituent donc une sorte d’apogée du mouvement moderne à Bienne. Vers 1933, une résistance au «Neues Bauen» ainsi qu’une période économiquement diffi cile viennent freiner le développement de certains quartiers, notamment celui de la Gare. Toutefois, il convient de mentionner que cette volte-face ne se limite pas à la seule ville de Bienne. En effet, l’opuscule «Neues Bauen verboten» de 1934 faisait référence à tout le canton de Berne.

Dans les années 50, une nouvelle conception de la ville moderne vient remplacer les idées lancées vingt ans plus tôt. Elle se matérialise par l’abandon des rues corridors, des îlots à cour, et par la construction d’immeubles à grande hauteur. La construction de maisons en rangées de deux étages qui étaient édifi ées en périphérie sont abandonnées pour des raisons économiques (coût du terrain), cédant la place à des ensembles plus grands, des logements collectifs par étage; comme la cité «Scheurenweg» à Mâche. Il semble dès lors que le «Neues Bauen» a défi nitivement marqué le pas.

Ce n’est que vers les années 70, suite à un renouveau de l’administration, que se produit un regain d’intérêt pour les bâtiments ayant marqué l’époque moderne. Des plans de sauvegarde des monuments importants, comme celui du rachat et de l’assainissement de la Maison du Peuple, sont élaborés. La ville entreprend alors de soutenir divers projets visant à l’implantation de nouvelles industries et encourage la construction de l’Ecole Fédérale de Gymnastique et de Sport de Macolin.

Toutefois la période des grandes planifi cations semble révolue. Le centre ville n’a pas subi de grandes transformations urbaines depuis la fi n des années 50. L’extension s’est faite en direction des communes telles que Nidau et Brügg, ou des quartiers périphériques de Boujean et de Mâche.

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fi g. 49, Bienne, 1965

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Bienne et ses enjeux actuels

Comme la plupart des villes industrielles, Bienne subit un contrecoup démographique amorcé à la fi n des années 60 et poursuivi durant les décennies suivantes. De près de 70’000 habitants en 1970, Bienne passe à environ 50’000 trente ans plus tard. L’industrie se diversifi e encore et l’horlogerie ne semble plus aussi forte qu’avant. Le secteur tertiaire prend alors une véritable importance au détriment de quelques grandes usines, notamment General Motors au milieu des années 70.

Dans les années 90, la crise économique touche particulièrement la ville de Bienne. La conséquence d’un taux de chômage élevé se répercute sur un net recul démographique. Le trésor public affaibli ne permet plus aucun investissement important dans le développement de la ville. Mais la conjoncture économique s’améliore au tournant du siècle : la ville, les entreprises et les particuliers investissent à nouveau dans leur secteur respectif. Les pouvoirs publics prennent conscience des diverses priorités de développement.

Un premier aspect de ce développement, d’ordre économique et politique, touche à la création d’emplois. Afi n d’y parvenir, Bienne cherche à se profi ler en tant que ville de la technologie et de la communication. L’implantation de grandes fi rmes de télécommunication comme Swisscom, Sunrise et Orange ainsi que sa nomination en tant que ville des médias lors de l’Expo.02 confèrent à Bienne sa nouvelle image et simultanément sa qualité de centre régional. Bienne n’oublie pas pour autant son passé, elle désire préserver son image de ville horlogère grâce entre autres à la présence active du groupe Swatch et au développement d’expositions (musée Neuhaus, par exemple) qui retracent son évolution industrielle.

L’attractivité de la ville de Bienne ne peut se résumer qu’en termes économiques. Les services publics mettent en évidence deux enjeux principaux. D’une part, la revalorisation de l’espace urbain : création d’espaces verts et d’une nouvelle place urbaine en face du Palais des Congrès, requalifi cation de la Gaswerk areal, accessibilité des rives du lac au public. L’autre objectif, c’est l’amélioration du parc de logement. Les appartements sont en grande partie dégradés et trop petits par rapport à la demande. La volonté de la ville est donc de construire de nouveaux logements de 4 à 5 pièces disposant de la fl exibilité que demande les nouveaux modes de vie.

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fi g. 50, Bienne, 1992

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historique de la fabrique

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En 1872, une nouvelle marque de pianos apparut en Suisse : « C. Burger, Burgdorf ». Son jeune fabricant, issu d’une formation de menuisier, a su amener certaines innovations dans la construction de pianos qui feront sa fortune. La ville de Bienne semblait posséder, aux yeux du jeune Burger, un assez grand potentiel de développement pour y installer son domicile et sa petite fabrique, ce qu’il fi t en 1876. La production se faisait alors dans le domaine du Pasquart, dans l’ancien bâtiment de la fabrique d’indienne. Bien que les pianos produits trouvaient assez rapidement un acquéreur, le besoin d’un spécialiste dans la fabrication se fi t ressentir. C’est alors qu’apparut, en 1879, Hermann Jacobi. Celui-ci venait d’une famille dans laquelle la fabrication de pianos était une tradition. Après avoir été formé par son père, il continua sa formation à Bâle, Zürich et Paris pour enfi n s’installer à Bienne. En 1882, la production avait assez augmenté pour rendre les locaux du Pasquart trop petits. C’est à ce moment là que l’entreprise de pianos se déplaça sur son site actuel de Madretsch. Ce village n’était à l’époque qu’une zone agricole, très peu construite. De ce fait, le prix des terrains y était beaucoup moins cher qu’en ville de Bienne. Aucun plan de cet état d’origine n’a été conservé. Toutefois, quelques anciennes images disponibles nous ont permis de reconstituer les étapes importantes du développement du bâti.

La construction la plus ancienne est certainement le bâtiment 2. Cette bâtisse en pierre a été agrandie par un édifi ce situé sur l’emplacement actuel du bâtiment 5. Ce dernier a subi de nombreuses transformations et ne comprend certainement plus aucune partie de la construction d’origine. Le troisième bâtiment composant l’implantation originelle est la construction 6. Cette dernière contenait à l’époque la chaudière centrale. Elle était marquée par la cheminée qui émergeait de la toiture. Malgré le déplacement de la cheminée, cet édifi ce est encore présent sur le site. L’ensemble était disposé en forme de U, de manière à former une cour intérieure. Une construction d’un seul étage, située sur l’emplacement de l’actuel bâtiment 3, fermait partiellement l’espace central. La photo nous montre cet état d’origine, ainsi que la maison de maître, sur la gauche, appartenant à la famille Burger. Cette villa est aujourd’hui séparée de la fabrique par la rue des pianos. Une représentation de l’usine accompagnant un certifi cat de 1915 propose une image ne correspondant pas à l’état réel des bâtiments. Celle-ci a certainement été idéalisée, afi n d’augmenter l’impression d’ordre et d’importance économique évoqué par la fabrique. Le bâtiment 1 fut bâti en 1906. Celui-ci contenait vraisemblablement différents bureaux et ateliers de dessin, ainsi qu’un appartement au 2e étage. La production de la fi rme Burger & Jacobi a progressivement augmenté jusqu’à l’entre-deux-guerres, augmentant ainsi le besoin d’espace. Ce bien-être productif et économique se concrétisa par la construction d’un nouveau volume important, ainsi que la transformation d’une partie de l’usine. Le bâtiment 4, construit en béton

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fi g. 51, la fabrique vers 1895

fi g. 52, les différentes étapes de la fabrique

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armé, fut érigé en 1924. Celui-ci accueillit les ateliers de production, nécessitant beaucoup d’espace, pour le découpage, le pliage et le séchage du bois. Au même moment, le système de chauffage fut déplacé depuis le bâtiment 6 vers l’annexe 9, ce qui correspond à la construction de la cheminée actuelle. En 1929, une dernière extension fut bâtie. Le bâtiment 8 accueillit les ateliers de collage, ce qui libéra de cette fonction le bâtiment 5. En 1948, la production de pianos avait atteint les 30’500 pièces. Les derniers travaux sur ce site furent entrepris en 1974, correspondant à une reconstruction à neuf du 1er étage de l’édifi ce 5. Cette date correspond également à une grève générale entreprise par les ouvriers de la fabrique de pianos, en raison du refus de la direction de payer aux menuisiers le 13e salaire, fi xé par la convention collective. Les manifestations répétées des grévistes en ville de Bienne ne passèrent pas inaperçues, d’autant plus qu’à cette époque, Bienne était encore une ville fortement ouvrière. En 1975, un fi lm documentaire fut même réalisé sur cette grève, par le réalisateur Hans Stürm.

Ces revendications ne furent que le premier acte d’un lent déclin, qui s’acheva en 1985, par la fermeture de la fabrique de pianos pour des raisons économiques. Le site de l’usine fut acheté, lors d’une vente aux enchères, par la banque cantonale bernoise, qui le revendit par la suite aux propriétaires actuels, c’est-à-dire à la ville de Bienne et un propriétaire privé. En 1989, cette « aire de la rue des pianos » a été soumise à un nouveau plan de quartier. Ce dernier prévoyait, sous prétexte d’une inadéquation des locaux à un programme d’habitations, la démolition de tous les bâtiments du site et la construction de deux volumes longeant la rue du Breuil et la rue des Pianos. Malgré cela, rien n’a encore été entrepris à ce jour. Depuis la fermeture, les locaux de cette fabrique n’ont été occupés que partiellement, notamment par le milieu alternatif. Ils sont aujourd’hui en partie loués à un architecte et deux artistes.

Le site actuel de l’usine n’est pas de dimension très importante. Toutefois, les différents prix reçus par la fi rme témoignent de l’importante renommée des pianos Burger & Jacobi. Cette réussite lui a assuré une place honorable dans l’histoire économique de la ville de Bienne.

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fi g. 53, gravure représentant la fabriquecet état «idéal» n’a vraisemblalement jamais existé

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éléments d’analyse urbaine

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la Pianoareal

Ce secteur se trouve dans la partie nord du quartier de Madretsch. Il est relativement proche du centre-ville. D’une manière générale il est caractérisé par une grande diversité de bâtiments possédant des formes et des densités très diverses. Des plots de villas côtoient les petits immeubles de rapport qui eux-même s’accrochent à des tours. Le tout témoigne d’une rencontre plus ou moins problématique entre plusieurs époques. La Pianoareal est le résultat d’un développement relativement mal contrôlé. La fabrique de pianos est un des bâtiments qui souligne le confl it qui existe entre les différents gestes urbains entrepris pour cette zone au cours du dernier siècle. Les différentes ailes de l’usine dialogue tantôt avec une petite maison tantôt avec une tour d’habitation d’une dizaine d’étages. Le nouveau plan de quartier propose d’écarter ces problèmes au bulldozer et poursuivre la logique d’un îlot à la place. Ce geste clair redonne une lecture simple et précise de la nouvelle forme et de la nouvelle densité. Il perd néanmoins le potentiel des espaces extérieurs que ce remarquable témoin du passé propose.

Notre analyse propose alors une approche morphologique, un regard formel sur ce quartier. Elle cherche à déterminer les confi gurations urbaines et les densités présentes dans le secteur afi n, si possible, d’en découvrir la logique. Le maintien, même partiel, de l’usine nécessite en effet de trouver une réponse aux différentes formes, aux différents types d’implantations – plots, barres, îlots – présents depuis plus d’un siècle dans cette zone. Cette lecture va s’organiser selon deux échelles: premièrement à travers un regard sur la ville pour saisir les grandes lignes directrices qui infl uent sur la Pianoareal et deuxièmement à l’échelle du secteur pour comprendre la morphologie du lieu à travers l’étude des différents éléments qui le composent. Nous nous intéresserons également aux différentes activités pratiquées. Cette démarche consiste à “produire du sens” à partir des différents éléments observés et à conduire à une imprégnation des traits caractéristiques du quartier, dans le but d’anticiper le projet architectural futur, formel et programmatique.

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fi g. 54, ville de Bienne, repères

1 vieille ville2 place Centrale3 palais des Congrès4 Gaswerk Areal5 Pianoareal

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Le lien Bienne-Madretsch

A travers les trois montages suivants, nous cherchons à comprendre les éléments qui structurent notre site. La Madretschstrasse, l’ancienne colonne vertébrale du village rural reste encore aujourd’hui un des principaux axes du quartier. Elle croise au nord, sur la place du Breuil, l’ancien chemin qui menait à Bienne. Ce tracé est aujourd’hui incomplet. L’implantation d’îlots selon les axes du plan d’alignement de 1868 a en partie recouvert cette route. L’aire de l’usine à gaz, vide persistant, marque une frontière importante sur le trajet Place Centrale - Madretsch via la Brühlstrasse. L’implantation prévue pour cette zone reprend les perpendiculaires du centre-ville, effaçant encore un tronçon de l’ancienne diagonale. Au sud, la Madretschstrasse croise la Rue Centrale. Cette rue a permis le développement du quartier depuis la jonction en 1864. Contrairement à la diagonale de la Brühlstrasse, cette route n’a pas été modifi ée depuis et reste un vecteur de trafi c très important.

Les deux places du Breuil et de la Croix (Brühlplatz et Kreuzplatz) sont les deux pôles qui formaient jadis les deux parties du village rural: l’Ober- et l’Unterdorf de Madretsch à la croisée de routes secondaires. Ces lieux sont aujourd’hui marqués par deux tours, signe d’une densité qui a évolué au cours des deux derniers siècles. Cette densité commence également à se dessiner le long des axes qui relient ces places, notamment sur la Brühlstrasse, situation qui intéresse notre site.

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fi g. 55, la fabrique de pianos

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Photo 1: Repères urbains

1 Vieille ville

2 Place Centrale

3 Kreuzplatz

4 Brühlplatz

5 Gaswerk Areal

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Photo 2: Les grands axes urbains

En foncé, les tracés régulateurs de la ville industrielle:

la Rue Centrale et le canal de la Suze

En clair, les anciens tracés de l’époque médiévale:

la rue de Morat, en diagonal à gauche

la Brühlstrasse, en diagonal à droite la Madretschstrasse, l’ancienne rue du village, parallèle à la Suze.

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Photo 3: Les signes de la densité

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Madretsch, quartier periphérique

Carte 1: Quelques repères

Carte 2: Espaces de circulation

Le quartier de Madretsch est pris entre la gare marchandise (Güterbahnhof) et la Gaswerk au nord-ouest et par les voies de chemins de fer au sud-est. Ces éléments constituent une sépartion assez forte avec le reste de la ville. Les routes de ce quartier sont marquées à la fois par la trame orthogonale de la ville et par la diagonale de la Brühlstrasse.

La Pianoareal se trouve entre deux nœuds de communications importants à l’échelle urbaine. Premièrement, la Brühlplatz carrefour entre la route qui vient de Soleure (prolongée par la Madretschstrasse), la Brühlstrasse venant du centre-ville et d’autres routes secondaires. La présence d’un arrêt de bus élégant et un intarissable fl ux de véhicule souligne la valeur de ce croisement dans le réseau biennois. Deuxièmement, la Pianoplatz, qui bien qu’elle n’aie pas l’importance de sa voisine, reste tout de même une intersection dotée un fort débit. Elle relie la rue des Prés, la Mattenstrasse et la Brühlstrasse. Elle draine le trafi c venant du centre-ville via la Gaswerk.

Les autres axes sont des chemins de desserte, notamment la Pianostrasse qui mène à l’ancienne entrée de la fabrique. Ces routes, pas toujours fl anquées d’un trottoir, se ramifi ent encore par quelques petits cheminements piétons. Un de ceux-ci borde le sud-est de notre usine et permet l’accès à d’autres petits bâtiments. Vélos, écoliers, piétons fréquentent ces rues plutôt calmes.

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fi g. 56, la Brühlplatz

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Brühlplatz

Madretschstrasse

Pianoplatz

Brühlstrasse

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Mattenstrasse

Rue des Prés

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Crêt-du-Bois

Güterbahnhof

ECOLE

BRUHLHOF

PIANOAREAL

GARE DES MARCHANDISES

GASWERK

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Carte 1: principaux repères du quartier

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CHEMINS

PIETONS

VOIES

FERRREES

ROUTES

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Carte 2: espaces de circulation

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Carte 3: Espace bâti

A première vue le secteur nord de Madretsch semble peu cohérent. La régularité des îlots du centre-ville fait ici place à des formes d’implantation moins rigoureuses, moins compactes. L’espace bâti se décline de toutes les façons depuis l’ordre contigu jusqu’aux terrains vides. Nous pouvons tout de même repérer la trace de quelques modèles d’implantation.

La zone industrielle au nord du quartier collé entre la Mattenstrasse et la gare de marchandises se caractérise par de grandes surfaces bâties selon une logique d’étalement maximal dans les limites de la parcelle. Ces grandes halles et ateliers se regroupent logiquement autour de la gare marchandise. D’autres industries sont cependant disséminées ça et là dans le reste du secteur en particulier le long de la rue des Prés. Ces usines sont facilement repérables par leurs formes à la fois étalées et tentaculaires. Citons par exemple notre fabrique de pianos ou encore plus à l’ouest une ancienne fabrique de meubles.

L’îlot est le deuxième modèle repérable dans ce secteur. La forme idéale de l’îlot se caractérise par des constructions contiguës placées en bordure de route, créant ainsi un front et libérant le centre pour des espaces verts collectifs. Dans les alentours de la Pianoareal, il s’agit plutôt d’îlots ouverts: une partie des édifi ces rompt la continuité des constructions. L’espace central reste défi ni mais «s’écoule» à travers les interstices laissées entre les bâtiments. La zone comprise entre la Brühl-, la Matten- et la Madretschstrasse est bâtie suivant ce principe. Les espaces intérieurs sont remplis avec de petites villas. L’îlot du Brühlhof à l’ouest de la Pianoplatz est le deuxième exemple remarquable sur le plan. L’amorce crée par les immeubles regardant la place se complète par un volume plus large enfermant plus ou moins un espace de cour. Sans être véritablement des îlots, nous pouvons repérer le long de la Madretschstrasse un front de rue compact et dense. Il se transperce pour laisser passer les chemins d’accès au bâtiments situés juste derrière.

Le reste des constructions est plus ou moins du type plot: un volume libre de chaque côté posé au centre de la parcelle. Ce volume peut être plus ou moins allongé sans devenir toutefois une barre. L’ancienne cité ouvrière à l’est de la voie de chemin de fer est construite selon ce principe. De manière un peu moins précise, la zone au sud-ouest de la fabrique de pianos est également marquée par des plots. Le secteur de la fabrique de pianos se trouve à la rencontre de ces plots et des îlots de la Brühlstrasse. Le front continu commencé au nord de la parcelle et le petites constructions au sud se mesurent avec la fabrique.

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fi g. 57, rencontre de plusieurs types de bâtiments

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Carte 3: espace bâti

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Carte 4: Densité, coeffi cient d’utilisation du sol

Carte 5: Densité, hauteur des bâtiments

Le caractère hétérogène du tissu urbain se refl ète dans la carte des coeffcients d’utilisation du sol. A l’instar du plan des hauteurs des bâtiments, cette carte présente un certain désordre. Cependant, comme pour l’analyse de l’espace bâti, il est possible de repérer quelques principes qui constituent ce quartier.

De manière générale, la densité s’affi rme le long des principaux axes routiers du quartier par un front dense et plus ou moins continu. Les routes principales sont bordées par les plus hautes constructions du secteur. La densité se concentre particulièrement sur les carrefours de la Brühlplatz et de la Pianoplatz. Ces deux croisement chacun à leur échelle sont marqués par des tours d’habitation de 8 à 15 étages. Ces repères urbains, ces lieux de forte densité contrastent fortement avec le reste du secteur qui voit plutôt s’affi rmer des petites constructions disparates en retrait des routes. Le coeffi cient d’utilisation du sol s’apparente alors à des villas d’habitation. Malgré la présence d’importants bâtiments comme l’école, ces zones présentent une densité plutôt homogène. A l’autre extrêmité du spectre des densités du secteur, nous pouvons remarquer beaucoup de terrains sans constructions. Des terrains vagues, des parcelles vides ponctuent le quartier. Elles sont regroupées en trois pôles. Le premier se situe au sud-ouest de l’école. Il est constitué, outre le terrain de sport de l’école, de parcelles vides résultants de l’ancien tracé ferroviaire de la première gare de Bienne. Ces terrains sont aujourd’hui en travaux avec la construction de deux barres d’habitation. Le deuxième pôle se situe à l’ouest de la Pianoplatz. Ces quelques parcelles en bout de la Schwanengasse, la rue qui mène à la gare de marchandises, semblent ne pas devoir se développer prochainement. Enfi n le dernier vide tout à l’ouest du plan marque la fi n de la Gaswerk areal. Selon les intentions de la ville, cette portion de ville va connaître ces prochaines années la construction de nouveaux immeubles de logements et de bureaux.

Notre site, la Pianoareal, marque la jonction de deux types de densité. La tour de la Pianoplatz commence à se prolonger le long de la route du Breuil (Brühlstrasse) et s’interrompt sur notre parcelle. Le vide qui en résulte semble chercher une réponse. Le plan de quartier du secteur propose justement de poursuivre cette densité du côté de la fabrique de pianos et fermer ainsi la rue. L’autre densité, à l’ouest et au sud, est celle de petites maisons, d’anciens petits ateliers qui se rencontrent le long de la Pianostrasse. Notre projet devra trouver une forme, une implantation qui sera capable de dialoguer avec ces difféntes densités.

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fi g. 58, la tour de la Brühlplatz

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0.01 - 0.49

0.50 - 0.99

1.00 - 1.49

1.50 - 1.99

2.00 - 2.49

2.50 - 2.99

3.00 - 3.49

3.50 - 3.99

4.00 et plus

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Carte 4: parcelles, surfaces et coeffi cientes d’utilisation du sol

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1 ETAGE

2 ETAGES

3 ETAGES

4 ETAGES

5 ETAGES

6 ETAGES

7 ETAGES

8 ETAGES

9+ ETAGES

Brühlplatz

Madretschstra

Pianoplatz

Brühlstrasse

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Carte 5: hauteur des bâtiments

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Carte 6: Activités

Si le travail industriel reste présent encore aujourd’hui, notamment à côté de la gare marchandise mais aussi le long de la rue des Prés, l’ensemble du quartier se défi nit comme un grand mélange d’activités. La diversité des commerces, bureaux, restaurants est perçue comme une qualité indéniable qui assure une certaine vie au secteur. La gamme des activités s’étend de la culture (quelques serres existent le long des voies ferrées, à côté de la tour de la Brühlplatz) en passant par l’artisanat et par le commerce jusqu’à la production de pièces industrielles. La proportion entre activités et logements soulève la question de l’équilibre entre ces deux. Actuellement, ce secteur semble pouvoir accueillir une plus forte part d’habitation. Dans les principaux pôles d’activité, il faut relever la présence de l’école qui rythme les journées par le passage des écoliers un peu partout sur les trottoirs. La Madretschstrasse est le lieu où se situe la plupart des bistrots et commerces du quartier. Les activités artisanales se trouvent plutôt en retrait des grands axes routiers dans de petites maisons ou d’ancien bâtiments industriels.

La Pianoareal jouit également de cette diversité des fonctions. La rue du Breuil est animée par plusieurs commerces dont un restaurant et un magasin de pianos. Le sud-est de la zone est marqué par la présence de petits ateliers et artisanats dans d’anciennes infrastructures. Notons l’existence d’une galerie d’art, d’un artisan cadreur et d’un atelier d’artiste. La fabrique elle-même est l’objet d’une occupation plus ou moins légale. Elle accueille actuellement un bureau d’architecte, un atelier d’artiste et quelques logements improvisés. Toutes ces activités nous semblent être un des points fort de ce secteur et nous encouragent à les préserver dans notre projet.

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fi g. 59, la gallerie d’art de la Pianostrasse

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Brühlplatz

Madretschstrasse

Pianoplatz

Brühlstrasse

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Mattenstrasse

Rue des Prés

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Schwanengasse

Gaswerk Areal

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Crêt-du-Bois

Güterbahnhof

LOGEMENTS

CULTUREL,

PUBLIC

ARTISANAT

RESTAURANTS,

HOTELS

COMMERCES,

BUREAUX

INDUSTRIE

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Carte 6: activités du quartier

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REFLEXIONS AUTOUR D’UNE TRANSFORMATIONUNE FABRIQUE DE PIANOS A BIENNE

CAHIER 2, PROJET

Enoncé théorique de diplôme, David Begert, Claudio DiniDirecteur pédagogique, Professeur Martin Steinmann

Professeur d’institut, Professeur Claude MorelMaître EPFL, Professeur invité Philippe Gueissaz

Expert, Stéphane de Montmollin, architecte EPF SIA FAS

ENAC - Architecture, avril 04

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UN PROJET

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analyse de la fabrique

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Pour réaliser cette analyse, nous avons utilisé l’outil tel que nous l’avons mis au point dans la partie théorique de ce dossier. Dans un premier temps, nous avons appliqué la grille d’analyse en isolant les différents bâtiments. L’uniformité des évaluations entre ces constructions nous a ensuite amené à considérer tous les édifi ces de ce site de manière globale, à l’exception de l’état physique. La fabrique étant composée de parties datant d’époques différentes, leur état physique est très variable.

Critères économiques

(Etat physique)

La zone 1 est la seule fraction de l’usine qui est encore exploitée actuellement. Elle accueille un atelier au rez-de-chaussée, un bureau d’architecte au 1er étage ainsi qu’un logement d’artistes au 2e étage. Le fait que ces locaux soient chauffés a certainement favorisé leur maintien dans des conditions acceptables. Cette construction est réalisée en briques crépies. Les murs extérieurs ainsi qu’une série de poutres métalliques centrales constituent le système porteur et semblent être en bon état. Les planchers sont réalisés en bois et ne présentent pas de problèmes structurels. La réutilisation de ces locaux ne demanderait probablement pas de travaux importants au niveau de la structure.

En ce qui concerne l’enveloppe, de plus gros dégâts sont à constater. D’une part, le crépi de la façade ouest, en direction de la rue des pianos, est en grande partie craquelé et même complètement arraché par endroits. Par contre, la façade est a probablement été repeinte récemment et ne présente aucun signe de vieillissement. Des infi ltrations d’eau sont clairement apparentes sur les plafonds des pièces du 2e étage. Celles-ci se situent sous le toit plat. Des travaux importants seraient ici à effectuer. Les fenêtres, actuellement en bois, ont déjà été partiellement remplacées. Celles d’origine sont des doubles fenêtres avec chacune un simple vitrage et sont en relativement mauvais état. Leur remplacement paraît indispensable.

L’état des partitions spatiales intérieures est assez variable. Toutefois, elles ont été construites au coup par coup en fonction des besoins du moment, avec des matériaux légers et sans aucune uniformité. Leur éventuelle destruction afi n de reproposer les espaces unitaires d’origine est tout à fait envisageable. L’escalier en pierre situé au nord de cet édifi ce est en excellent état.

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fi g. 60, les infi ltrations d’eau sous le toit plat

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Le bâtiment 2 est le plus ancien édifi ce de cet ensemble. Ses murs porteurs extérieurs se composent d’une ancienne partie en pierre, suivie d’un rehaussement en brique. Ceux-ci ont probablement subis quelques altérations, car le crépi de revêtement a laissé, par endroits, la structure complètement à nu. Ces endroits se situent aux points de rencontre entre mur et gouttière. Ce problème est récurrent dans tous les édifi ces. Le système structurel est complété par des porteurs métalliques ponctuels situés au milieu du plan, le divisant ainsi en deux parties.

Comme illustré précédemment, les façades demandent des travaux importants. Les fenêtres sont également à remplacer. Finalement, la toiture est une en assez bon état mais ne possède aucun type d’étanchéité, ni d’isolation. Tout le second œuvre de ce bâtiment est en mauvais état. Le plafond, le revêtement intérieur des murs et les escaliers en bois présentent de sérieuses altérations dues au mauvais entretien et à quelques infi ltrations d’eau.

Le système porteur du bâtiment 3 est formé de murs extérieurs en brique et d’un poteau métallique central. Le plancher est une fois encore en bois. Cette structure est en bon état. Toutefois, les poutres du plancher du 1er étage étant apparente à l’extérieur, celles-ci doivent certainement présenter des problèmes de moisissures.

La façade présente les habituelles problèmes de craquellements, à l’exception de la façade est, où la gouttière a provoqué une mise à nu de la structure en brique. Lorsque les fenêtres sont encore présentes, elles sont en assez mauvais état pour imposer leur remplacement. L’état intérieur ne présente pas de problèmes majeurs relevants mais illustre encore une fois le manque d’entretien.

Le 4e édifi ce se distingue clairement des autres bâtiments. Il est composé d’une structure porteuse en béton armé, permettant ainsi de créer des ouvertures majeures. La façade est ensuite revêtue d’un crépi foncé, à grosse granulométrie. L’état physique de se bâtiment est bon sous tous les aspects, si ce n’est l’habituelle vétusté des fenêtres.

L’espace intérieur est divisé en son centre par trois couples de piliers en béton armé, créant ainsi une sorte de couloir central. Le grand monte-charge situé au fond de ce bâtiment indique que cette partie était utilisée, lors de l’exploitation par l’usine de pianos, pour la fabrication des pièces les plus encombrantes et les plus lourdes. Cette construction peut sans doute accueillir aujourd’hui des affectations nécessitant une forte résistance structurelle.

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fi g. 61, le mur du bâtiment 2 mis à nu

fi g. 62, intérieur du bâtiment 3

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état physique excellent

état physique dégradé

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Le bâtiment 5 est composé d’un rez-de-chaussée ancien, probablement en briques, et d’un 1er étage reconstruit à neuf récemment. Ce dernier possède une structure porteuse en béton armé, sans porteurs intermédiaires entre les murs extérieurs. Le tout est recouvert de crépi. Comme le bâtiment précédent, cette construction est en bon état sous tous les points de vue. A l’exception des fenêtres, qui sont encore une fois en mauvaises conditions.

Les installations techniques de tous ces édifi ces sont en grande partie hors d’usage. La production de chauffage se trouvait à l’origine dans la partie 9 et alimentait toute la fabrique. Cette installation date approximativement des années 20 et ne peut donc pas être réutilisée. La distribution de chauffage se faisait par un système de tuyauteries apparentes, disposées la plupart du temps au milieu des pièces. Le tableau électrique principale se trouve entre les bâtiments 2 et 4. L’alimentation vers les autres édifi ces se fait par des câbles extérieurs, afi n d’atteindre l’extrémité nord du bâtiment 1. Tout le système est apparent et vétuste. Les colonnes de chutes sont probablement les seules éléments de l’installation technique pouvant être réutilisés.

Les constructions dont nous avons traité jusqu’à présent font partie d’un ensemble de bâtiments juxtaposés. Il est donc possible de s’y déplacer sans jamais devoir sortir des édifi ces. Les bâtiments restants (6, 7, 8, 9) ne permettent cette liaison qu’en passant par les locaux du rez-de-chaussée, qui était jadis l’équivalent d’entrepôts ou de locaux techniques. De plus, leur hauteur réduite par rapport au complexe principal en désigne clairement leur caractère secondaire. Il ne nous a pas été possible d’accéder à l’intérieur de ces locaux. Toutefois, une rapide analyse extérieure nous a révélé que d’une part, l’état de délabrement était élevé et que, d’autre part, ces adjonctions constituaient une succession de petits locaux, construits au coup par coup et sans souci d’unité. Le bâtiment 6 en est une exception, car celui-ci a été construit au début de l’exploitation de l’usine et contenait alors les installations techniques.

Ces informations nous ont permis d’établir un schéma des bâtiments existants. Il résume l’état de dégradation des édifi ces présents sur l’ensemble du site. La comparaison avec le schéma illustrant les dates de construction de chaque partie nous montre que le degré de dégradation augmente bien en correspondance avec l’âge des bâtiments.

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fi g. 63, intérieur du bâtiment 5

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(Etat fi nancier)

L’ancienne usine de piano Burger & Jacobi est fermée depuis une vingtaine d’années. Depuis, elle est en grande partie abandonnée. Les dégâts provoqués par le non entretien ont dévalorisé en partie cet ensemble de bâtiments.

Le développement de la ville de Bienne ayant englobé l’ancienne fabrique, la valeur du terrain a sensiblement augmenté. En effet, le quartier de Madretsch offre une palette de services assez complète. De plus, le service d’urbanisme de la ville prévoit, pour la parcelle occupée par l’usine, une augmentation de la densité, pour que celle-ci s’approche de la densité du centre-ville.

(Etat légal)

En 1989, l’offi ce d’urbanisme a établi un plan de quartier pour l’ « aire de la rue des pianos ». Sous prétexte d’une inadéquation des locaux actuels à accueillir un programme de logements souhaités, les autorités ont prévu la destruction complète des bâtiments.

« La fabrique de pianos et les logements et ateliers attenants ainsi que les espaces intermédiaires fi gurent dans l’inventaire des sites construits à protéger en Suisse. La fabrique y est décrite comme élément dominant, avec sa façade caractéristique et symétrique, mais n’est pas cataloguée comme élément digne de protection ». Cette citation extraite du rapport établi en 1989 dénote un intérêt évident pour l’ensemble des bâtiments de l’usine. Entre temps, l’état d’abandon ayant favorisé une certaine dégradation de la fabrique, ce site n’a plus été retenu comme étant un élément digne de protection par le recensement établit l’année dernière par le canton de Berne. Le plan de quartier prévoit la construction d’un front de rue le long de la rue du Breuil et une construction en retrait bordant la rue des pianos. Ce retrait ainsi que la hauteur maximale limitée à 10 mètres rend les bâtiments existants de l’ancienne fabrique « non réglementaires ». Depuis l’élaboration de ce plan de quartier, divers projets ont été élaborés sans jamais aboutir.

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Critères historiques et sociaux

Les édifi ces de l’usine constituent un ensemble bâti assez cohérent. Le dessin des façades étant similaire, l’agglomération des volumes est tout de même perçue comme une unité. L’image ainsi créée est certainement déterminante pour expliquer la valeur symbolique importante pour la collectivité de cette fabrique. Le fait que l’ancienne fonction de cette usine ait donné son nom à la rue attenante ainsi qu’à une place en dit long sur son importance sociale. A l’époque de son activité, la renommée de cette marque de pianos était internationale.

La morphologie établie par les anciens bâtiments Burger & Jacobi est un élément structurant du quartier. L’implantation d’origine a été réalisée alors que n’existait uniquement la rue du Breuil. Le bâtiment principal longeant l’actuelle rue des pianos a donc défi ni ce nouvel axe routier.

Critères architecturaux

La disposition volumétrique des différents bâtiments de l’usine forment une sorte d’hélice. A partir d’un noyau de base, une série d’embranchements se développent de tous les côtés. Ceci permet à chacun des volumes d’entrer en relation simultanément avec plusieurs bâtiments différents, délimitant ainsi des espaces de caractère très varié. Ainsi, le bâtiment 2, par exemple, délimite un petit espace qui possède une densité élevée, signifi cative de son ancienne utilité de cour de travail. Les rapports de vis-à-vis sont intenses, ce qui accentue les vues entre ces diverses constructions. En même temps, cet édifi ce entre en relation avec les bâtiments 1 et 4. Ceux-ci défi nissent une grande cour ouverte sur un côté, ce qui révèle son caractère public. Celle-ci était anciennement utilisée comme cour d’accueil par la fabrique de pianos.

Ces espaces extérieurs sont délimités précisément par deux ou trois de leurs côtés. La partie laissée libre permet à chacun d’être dirigé vers d’autres espaces, ce qui confère au tout un certain dynamisme.

Cette diversité d’espaces n’est pas uniquement perceptible en se baladant dans les alentours de ce complexe. La qualité principale de ces ambiances variées est le fait qu’elles soient perceptibles simultanément depuis l’intérieur d’un bâtiment, voire

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fi g. 64, l’ancienne cour de travail

fi g. 65, la grande cour

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qualités architecturales intéressantes

peu d'intérêt

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d’une même pièce. Cette richesse est encore accentué par l’étroitesse des volumes bâtis. Les pièces deviennent alors traversantes et s’enrichissent de la diversité d’ambiance, propre à chacune des façades.

A l’inverse certains espaces permettent de vivre l’usine en longueur à travers un parcours le long d’une façade. Les ouvertures fréquentes et systématiques rythment notre mouvement et dévoilent au fur et à mesure une cour, une rue, un horizon…

Cette notion de mouvement est présente également lorsque la promenade nous mène à l’extrémité des bras de ces constructions. En effet, ces espaces proposent une continuité des ouvertures, également sur leurs façades constituant la tête du bâtiment. La défi nition de ces pièces par trois murs ouverts crée une ambiance totalement différente, comparable à la sensation provoquée en siégeant dans une tour de contrôle.

Ces trois types d’espaces se combinent et s’enrichissent, de manière différente dans chaque partie de l’usine. Ainsi le bâtiment 2 propose à la fois une promenade longeant une façade, un grand espace traversant reliant la cour de travail et celle des logements et un espace de tête se retournant sur la rue. Ces qualités spatiales sont autant d’éléments qui commence à structurer l’organisation des futurs appartements ou ateliers que comportera le projet.

Le fait que la plupart des volumes soient communicants, associé à leur disposition en forme d’hélice, permet d’obtenir une multiplicité de parcours, à l’image d’un ancien bourg médiéval. Ces parcours sont sans arrêts suggérés par des relations spatiales intenses entre les différentes pièces : ces rapports nous permettent seulement d’entrevoir ce qui se passe derrière l’angle, nous incitant ainsi à continuer à nous déplacer. Grâce à cette multitude de parcours, les espaces extérieurs ainsi que les bâtiments apparaissent à chaque fois sous un angle différent.

A travers la recherche de ces qualités, nous avons établi un schéma des espaces les plus intéressants de l’usine. Cet exercice constitue un point de départ important dans nos choix de démolition-conservation.

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fi g. 66, des ambiances changeantes

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Le pouvoir évocateur de ce site peut être provoqué par certains objets en particulier. Nous en avons retenu quelques uns. La façade ouest de la fabrique de pianos, avec ses percements réguliers, ses petites tourelles, son ancien logo et son importante longueur, en constitue certainement un premier élément. Ce bâtiment est immédiatement identifi é comme un corps différent de tout ce qui l’entoure. La façade est du bâtiment 4 construit en béton armé, visible depuis la rue du Breuil, possède également un fort potentiel évocateur, notamment grâce la découpe de ses vitrages ou à sa toiture décorée avec les anciens signes de la fabrique de pianos.

La cheminée en brique est un signe très marquant de l’activité industrielle. Celle-ci est reconnaissable au loin et constitue un point de repère à l’échelle du quartier. L’îlot étant composé d’une certaine quantité de petites constructions, le choc d’échelle est encore plus marquant. De plus, la base de cette cheminée se trouve dans la petite cour de l’usine. La masse de cet élément vertical est mise en tension par l’échelle domestique des fenêtres.

Les caractéristiques spatiales de ces espaces semblent aptes à recevoir un certain nombre de fonctions. Les programmes de logements, bureaux et ateliers nous sont apparus comme étant les affectations les plus adaptées. Les qualités spatiales énoncées précédemment pourraient sans doute être intégrées aux valeurs habituelles appartenant à ces programmes et en enrichir ainsi les caractéristiques. Etant donnée la typologie étroite de la plupart de ces bâtiments, des programmes trop gourmands d’espace sont diffi cilement envisageables.

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fi g. 67, la façade de la rue des pianos

fi g. 68, la façade du bâtiment 4

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structure

enveloppe

second oeuvre

install. techn.

régle

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site

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llectivité

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innov. techniqueinnov. typologique

innov. spatiale

potentiel fonctions

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état financier

état égal

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renovate

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unic

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valeur

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typologie

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ités

spat

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HISTOIRE - SOCIETE

ARCHITECTURE

ECONOMIE

extérieur

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renomm

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Afi n de rendre plus intuitif les résultats de notre analyse, nous avons établi un schéma récapitulatif sous forme graphique. L’état physique ayant été diagnostiqué séparément pour chaque bâtiment, nous avons fait une moyenne des valeurs, représentant ainsi l’état physique général de l’ensemble des constructions.

Le critère architectural est, à nos yeux, l’élément présentant le plus de qualités. La particularité de l’implantation et la richesse des espaces, intérieurs et extérieurs, ainsi créés nous semble du plus grand intérêt. Un certain nombre de nouvelles fonctions pourraient sans autres trouver leur place à l’intérieur de ces bâtiments et ainsi être enrichies par les caractéristiques de ce site. Les qualités architecturales contrebalancent les résultats, assez moyens, obtenus concernant l’état physique des bâtiments. L’abandon de la fabrique pendant une vingtaine d’années à altéré les revêtements et le second œuvre. Toutefois, la structure porteuse est en bonne condition, sauf peut-être pour le bâtiment 2. Celui-ci nécessiterait une analyse plus détaillée, afi n d’évaluer les conséquences économiques de son maintien. L’attention particulière portée à ce bâtiment se justifi e, d’un côté, par le fait qu’il soit le plus ancien édifi ce de la fabrique et, d’un autre côté, par la position centrale que celui-ci occupe à l’intérieur du complexe. Son éventuelle démolition provoquerait un grand changement dans l’implantation générale.

Finalement, l’importance historique et sociale de la fabrique Burger & Jacobi se mesure autant par la vaste renommée de cette marque de pianos que par son importance morphologique au niveau de la formation de ce quartier biennois. Toutefois, la spéculation foncière provoquée par la décision politique d’augmenter la densité de ce site impose une réfl exion sur la densifi cation du bâti sur cette parcelle. Le maintien des constructions actuelles peut être concrètement envisageable, uniquement en augmentant la densité du site, probablement par de nouvelles constructions.

Cette analyse nous a été utile pour connaître les caractéristiques de cette usine et ainsi défi nir les objectifs et les priorités à atteindre par le projet. A ce stade, ces premiers éléments permettent une rapide vision d’ensemble de l’édifi ce, ils nous donnent les premières bases d’une réfl exion pour déterminer quels éléments vont être ou non réhabilités.

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réfl exions sur le projet

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Réfl exion urbaine - Morphologie

Les cartes d’analyse du quartier ont mis en relief la grande hétérogénéité du site. La diversité des types d’implantation présents dans les environs de la fabrique de pianos demande au projet de chercher des réponses hybrides, capables de dialoguer avec des dispositions spatiales aussi diverses que l’îlot, la barre ou encore le plot, afi n de s’intégrer au mieux dans le tissu bâti. De la même manière, les gabarits des constructions environnantes varient entre des hauteurs de 2 jusqu’à 8 étages. Le projet doit tirer parti de cette diversité en proposant une spatialité qui se ressente non seulement en plan mais aussi en coupe.

La forme triangulaire de la parcelle révèle l’origine différente des deux rues principales qui la délimite. La rue du Breuil était, historiquement, une des deux seules voies qui reliait la vieille ville de Bienne à l’ancien village agricole de Madretsch. Quant à la rue des pianos, elle est issue du plan directeur établit au XIXe siècle, afi n de réglementer le développement futur de la ville. La parcelle de la fabrique Burger & Jacobi se trouve ainsi entre une voie - la rue des pianos - suivant la morphologie orthogonale défi nie par le canal de la Suze, et une deuxième voie - la rue du Breuil - suivant une autre géométrie, tracée de manière aléatoire afi n de desservir au mieux les anciens terrains agricoles. Le projet doit donc prendre parti entre ces deux solutions d’implantation.

Enfi n, le nouveau plan de quartier établit par l’offi ce d’urbanisme prévoit la création d’un front bâti le long de la rue du Breuil. Ceci révèle une volonté d’atteindre une densité s’approchant de la densité présente au centre-ville. Ainsi, un coeffi cient d’utilisation du sol (CUS) maximal de 1.46 a été établit. La situation actuelle de la parcelle atteint un CUS approximatif de 0.75. La réhabilitation de la fabrique existante ne permettra certainement pas d’atteindre le CUS maximal. Toutefois, une densifi cation de la parcelle est nécessaire afi n de s’en approcher. La construction de nouveaux volumes paraît alors nécessaire.

Au niveau urbain, notre projet prend le parti de considérer la rue du Breuil comme un axe important demandant une densité capable de la défi nir comme une rue corridor. Cette densité paraît se justifi er sur plusieurs points. Déjà, il s’agit de l’axe principal venant du centre-ville, d’où une circulation importante qui génère des nuisances. De nouvelles constructions le long de la route permettent de défi nir un côté rue, un côté cour: une limite intéressante pour défi nir non seulement l’aire des pianos, mais également tout l’îlot. Ensuite, augmenter la densité permet également de répondre à l’importante amorce -la tour et l’immeuble- construite au nord ouest de notre parcelle

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fi g. 69, maquette du nouveau plan de quartier

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et qui s’interrompt brusquement. Pour toutes ces raisons, notre projet prévoit la construction de nouveaux immeubles le long de la rue du Breuil et adopte ainsi la géométrie en diagonale.

Cependant l’implantation d’une simple barre le long de cette rue ne permet pas de réagir par rapport à la spatialité proposée par l’aire des pianos, plutôt formée par des plots. En outre, une barre transforme la rue du Breuil en un corridor semblable à ceux du centre-ville, une densité trop forte pour un site suburbain. Enfi n la barre supprimerai toute vue et tout ensoleillement aux bâtiments situés de l’autre côté. Notre solution propose alors une sorte de barre cassée ou plutôt d’une série de plots alignés. Un tel choix permet à la fois de défi nir la spatialité de la rue tout en préservant des espaces entre deux permettant de découvrir le site par des percées, des vues, notamment sur la tête de l’ancienne usine. Ce choix permet également de garder un certain ensoleillement dans la rue et sur les bâtiments de l’autre côté. Contrairement aux autres immeubles de la rue et pour poursuivre dans cette logique de plots, les immeubles sont conçus comme rayonnants. Ils ne possèdent certes pas quatre côté égaux mais proposent différentes vues, sur l’usine, sur le jura, sur la rue, sur de plus petits espaces.

Au niveau du site de l’usine, la logique poursuivie dans notre projet est celle de renforcer les qualités déjà perçues dans notre analyse: multiplicité d’espaces et d’ambiances. Le projet propose la construction de trois nouveaux plots à l’intérieur de l’aire des pianos afi n de (re-)diviser et redéfi nir les espaces existants. Cette nouvelle partition se combine à une intention programmatique: réunir certaines fonctions ensemble pour créer des cours plus publiques, commerciales, de travail, privées. Notre projet prévoit ainsi la création de petites cours avec leur caractère et ambiance propre.

Les nouveaux plots divisent au sol la surface en une multitude d’espaces et de sous-espaces. Mais leur relative petite taille permet, dans les étages de l’usine, une fois que le regard passe par-dessus, de percevoir à nouveau de grand espaces. Ces plots fonctionnent aussi en coupe en divisant les espaces dans la hauteur.

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fi g. 70, maquette du projet

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Réfl exions programmatiques - mixité

La richesse des activités présentes dans ce quartier périphérique de Bienne a créé une grande vitalité dans ce site. Cette qualité de vie doit être considérée comme une caractéristique à conserver et à étendre. La proposition d’un programme mixte nous semble le meilleur moyen d’y parvenir.

La disposition spatiale des bâtiments de l’ancienne fabrique de pianos crée de nombreux espaces extérieurs, possédant chacun une ambiance très riche et variée. De plus, une séparation des fonctions, parfois nécessaire pour des raisons d’usage, est tout à fait envisageable sans perdre les rapports intenses entre ces différents éléments. Ainsi, à l’image de la cour de travail formée par l’usine originelle de 1882, notre projet propose une nouvelle cour d’activités, dense, formée par le regroupement d’ateliers, en tant que réinterprétation de la forme présente. Celle-ci s’enrichit par les qualités sensibles suscitées par la cohabitation de fonctions aux valeurs différentes et prend ainsi un nouveau sens.

Pour ces raisons, les espaces de la fabrique nous ont semblé adéquat à accueillir un programme mixte. Le choix du programme que nous proposons à travers notre projet a été établit en essayant de saisir les affectations que nous suggérait la forme. En effet, la provocation que pourrait constituer une confrontation entre un programme extraordinaire ne s’adaptant que très diffi cilement aux bâtiments existants ne nous intéresse pas. L’objectif était plutôt celui de chercher, à partir de l’existant, les différentes affectations capables de s’intégrer au mieux dans les constructions actuelles et qui pourrait ainsi être enrichies par les qualités sensibles du lieu. Par la suite, le va-et-vient permanent entre les besoins de la nouvelle fonction et les contraintes de l’existant nous a permis d’apporter une réponse fondée et précise sur les éléments à maintenir ou à détruire.

Logements

Le parc immobilier de la ville de Bienne comprend une grande quantité d’appartements de 2 à 3 pièces. La demande actuelle se dirige plutôt vers des appartements de 4 à 5 pièces. Depuis quelques années, une certaine offre répondant à ce besoin majeur d’espace s’est développée. Toutefois, ces nouveaux logements sont conçus de telle manière à atteindre des standards assez luxueux et ainsi devenir trop onéreux pour la demande biennoise. Le besoin actuel de grands logements de 4 à 5 pièces à un prix moyen est le plus pressant. Le site Burger & Jacobi possède selon nous les caractéristiques lui permettant de répondre à cette demande. D’une part, les espaces non cloisonnés permettent d’offrir des appartements d’une certaine taille et, d’autre

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part, le caractère du site, fondé sur un mélange de petits commerces artisanaux et d’anciennes habitations ouvrière cadre bien avec la catégorie d’appartements recherchée.

Ateliers

La présence de différents ateliers dans le quartier ainsi que les artistes louant les locaux actuels de la fabrique révèle le caractère particulier de l’endroit et son besoin de tels espaces. La qualité de l’éclairage naturel de ces anciens locaux industriels est exploitée pour créer des petits ateliers pour artistes.

Bureaux

L’intérêt de proposer un programme mixte cherche non seulement à faire cohabiter diverses fonctions, mais également à rendre le site vivant tout au long de la journée. Les bureaux qui sont proposés sur ce site sont de taille assez réduite, afi n de pouvoir recevoir des activités libérales ou à infastructure légère par exemple.

Commerces

Notre volonté de créer un front bâti sur la rue du Breuil, implique la formation d’un rez-de-chaussée commerçant, afi n de créer une logique de rue et une logique avec ce qui se passe de l’autre côté de celle-ci. Ces activités sont de petits commerces qui nous semblent bien pouvoir s’intégrer dans le quartier et respecter son caractère actuel.

Salles communes

Ces locaux sont à considérer comme des espaces fl exibles pouvant répondre à plusieurs types de nécessités. Ils peuvent être utilisés comme des salles de quartier que l’on peut louer seulement pour quelques heures. Les divers artistes peuvent utiliser ces locaux afi n d’exposer leurs œuvres durant un certain temps ou encore, ceux-ci peuvent être utilisés comme salle de répétition d’un petit groupe de musique local. Les qualités de ce type d’espace sont de pouvoir recevoir un certain nombre d’activités différentes et d’offrir une surface se situant entre l’appartement et la salle municipale.

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Travail et habitat

Rapidement, notre recherche sur la possibilité de combiner l’une ou l’autre de ces activités avec l’habitation nous a parue possible et intéressante. L’idée de proposer une pièce indépendante en relation avec l’appartement ou même de coupler deux appartements -un pour travailler, un pour vivre - a évolué dans une idée de fl exibilité encore plus grande. Plutot que de développer une typologie d’appartement, une typologie de bureau ou d’atelier qui à quelques parois près se ressemblent plus ou moins, nous avons préféré opter pour une réponse qui puisse accueillir indépendemment un bureau, un atelier, un logement, une pièce de travail... Notre recherche a alors consisté à regrouper et à condenser les pièces d’eau (cuisine, salle de bains, WC) autour d’une gaine et de déterminer l’emplacement de celle-ci. Le reste de l’espace disponible reste alors libre pour acceuillr ces différentes affectations. L’analogie au loft est évidente.

L’enjeu d’une telle démarche consite à trouver le juste équilibre entre les fonctions que nous défi nissons, comme l’emplacement de certains ateliers, commerces ou logements afi n de «tinter» un bâtiment, une cour, de défi nir certains espaces et de laisser une certaine partie du programme entièrement adaptable selon les besoins du moment. Les fonctions se mélangent, se combinent et l’ensemble du site revêt alors une ambiance presque de fourmillière ou chaque coin, chaque espace est animé par une activité différente.

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longueur traversant

manivelle zigzag

loft / atelierexistant Approche sensible

La conception des espaces intérieurs est basée sur la perception sensible des anciens espaces de l’usine. Les différentes qualités relevées dans notre analyse de l’usine sont le point de départ pour l’organisation de nos «loft». Ces qualités sont également à la base de certaines petites modifi cations dans l’usine, afi n de les mettre plus en valeur, comme la destruction de petits bouts de murs, le comblement d’un escalier ou le regroupement de certaines entrées.

Notre travail à l’intérieur de l’usine consiste à combiner les espaces traversants, en long ou de tête pour créer de nouvelle spatialités capables de s’adapter à telle fonction ou telle envie. Les boîtes contenant les pièces d’eau sont alors placées de manière à articuler ces sous-espaces, accentuant, divisant les différentes lumières et ambiances au sein d’un même espace.

Ainsi le simple apport d’une cloison peut alors transformer complètement la perception de l’espace. Plus concrètement selon les désirs et les besoins, un loft peut avoir un séjour orienté à l’est sur une cour, à l’ouest sur la verdure, être ouvert, fermé, proposer une pièce indépendante, une family-room. Ses espaces s’enchaînent de manière différentes selon les cloisons construites, rendant chaque appartement unique par ses qualités de lumière et d’ambiances différentes. Bien sûr ce principe s’applique également pour réaliser un atelier, des bureaux.

Notre projet laisse l’usine pratiquement intacte. Elle garde ses qualités intrinsèques, son caractère. Notre travail consiste à mettre en valeur ces qualités pour accueillir la nouvelle fonction, la recherche d’une adéquation entre l’ancienne forme et de nouvelles fonctions. Cette attitude est à rapprocher de notre étude de cas sur le site des Alpes à Sainte-Croix.

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fi g. 71, variations sur un appartement

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ANNEXES

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TERMINOLOGIE

ConservationDans le domaine de l’architecture, la notion de conservation désigne le recours à des techniques et procédés matériels, servant à maintenir les édifi ces dans leur intégrité physique. La conservation vise à préserver l’objet architectural de l’altération et de la destruction afi n d’en garantir la transmission. Elle exclut toute intervention qui amènerait des modifi cations et, de manière plus générale, toute atteinte à l’édifi ce.

PatrimoineDu latin patrimonium, «bien d’héritage qui descend, suivant la loi, des pères et des mères à leurs enfants» (Littré). «Bien qu’on obtient par héritage de ses ascendants, ce qui est transmis par les ancêtres et est considéré comme héritage commun d’un groupe» (Grand Larousse). D’après Françoise Choay, le terme désigne par extension les biens de l’Eglise, les biens de la couronne puis, au XVIIIe siècle, les biens de signifi cation et de valeur nationale d’une part, universelle de l’autre (patrimoine scientifi que, patrimoine végétal et zoologique). L’extension du champ de la conservation à des nouvelles catégories de constructions a rendu obsolète la désignation de monument historique à laquelle on préfère désormais les notions de patrimoine architectural (urbain ou rural). Toutefois la défi nition donnée par la Charte de Venise conserve toute sa validité: « La notion de monument historique comprend la création architecturale isolée aussi bien que le site urbain ou rural qui porte témoignage d’une civilisation particulière, d’une évolution signifi cative ou d’un événement historique. Elle s’étend non seulement aux grandes créations mais aussi aux oeuvres modestes qui ont acquis avec le temps une signifi cation culturelle. »

Reconstitution«Action de reconstituer et de reproduire dans sa forme ou son état originel quelque chose qui a cessé d’être en tant qu’ensemble cohérent, dont il n’existe plus que des éléments ou qui a disparu» (Grand Larousse). Théo-Antoine Hermanès et Claude Jaccottet précisent que reconstituer s’emploie en matière de textes ou pour la reproduction sur papier ou en maquette d’une chose disparue. Pour Françoise Choay, la reconstitution sur la base de documents écrits et/ou iconographiques peut aussi porter sur des édifi ces ou un ensemble d’édifi ces disparus ou très endommagés. Elle précise que ce type d’opération était pratiqué surtout dans le cadre de l’archéologie classique du XIX e siècle et jusqu’au milieu du XX e siècle (Palais de Cnossos, Stoa d’Attale, Temple d’Hatshepsout). Eugène Viollet-le-Duc, comme d’autres restaurateurs, a largement utilisé la reconstitution pour des monuments (Pierrefonds) et ensembles (Carcassonne) du Moyen Age.

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Dès 1931, lors du Ier Congrès International des Architectes et des Techniciens des Monuments Historiques (Athènes), les reconstitutions ou restitutions générales ont été rejetées sur la base d’arguments scientifi ques et techniques au profi t de conservations scrupuleuses et d’un entretien régulier. Aujourd’hui, les archéologues ne tolèrent plus que l’anastylose (recomposition de parties existantes, mais démembrées).

RéhabilitationDans son acception première, action de rétablir quelqu’un en son premier état, dans ses droits, dans ses prérogatives (Grand Larousse). Françoise Choay précise que ce terme de jurisprudence désigne au fi guré, l’action de faire recouvrer l’estime ou la considération. Par extension, le terme qualifi e les procédures qui visent la restauration d’immeubles, d’îlots ou de quartiers anciens s’accompagnant de la modernisation des équipements. Il est fréquent qu’enjeux patrimoniaux, économiques, sociaux et architecturaux soient imbriqués dans les opérations de réhabilitation. Moins coûteuses et plus économes en ressources que les démolitions-reconstructions, les réhabilitations d’immeubles d’habitation et de locaux industriels ou artisanaux se sont multipliées depuis deux décennies. Les intérêts patrimoniaux, urbanistiques et sociaux expliquent la faveur dont bénéfi cie ce type d’opérations qui présente l’avantage de pérenniser une substance bâtie qualitative sur le plan des usages et économique du point de vue des loyers.

RénovationDu latin renovatio. «Action de remettre à neuf par de profondes transformations qui aboutissent à un meilleur état, rajeunissement ou modernisation» (Grand Larousse). Le terme de rénovation est souvent employé de manière impropre. Dans l’usage courant, rénovation et réhabilitation sont ainsi fréquemment confondus. En urbanisme, le terme désigne des opérations de démolitions-reconstructions. La rénovation, à la différence de la restauration, est synonyme de perte de substance historique. Elle va, dans certains cas, de pair avec une réaffectation. Elle désigne des opérations tendant à améliorer une construction par des interventions parfois profondes, dites lourdes, pour prolonger leur durée de vie ou en modifi er l’utilisation et en accroître la valeur vénale. La restauration et la rénovation sont à différencier. Dans le premier cas, ce sont les objectifs de conservation de la substance historique qui déterminent la démarche. Dans le second, priment au contraire des préoccupations d’usages et de renouvellement de l’image de l’objet architectural ou de l’ensemble urbain. Les opérations de rénovation ne respectent pas la déontologie de la sauvegarde (conservation maximale de la substance ancienne, lisibilité et réversibilité des interventions...) gage de la conservation du legs historique.

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RestaurationRemise en état de choses abîmées ou vétustes (Grand Larousse). L’apparition du concept de restauration est corrélatif au concept de monument historique, d’art et d’archéologie. Il apparaît au XVe siècle et concerne alors exclusivement les monuments de l’Antiquité (sculptures, édifi ces). Le terme de restauration désignait également la reconstitution dessinée (plan, élévation, perspective) des oeuvres détruites de l’Antiquité. Ce type de reconstitution par l’image, dans laquelle l’imagination intervient pour une bonne part, prévaut chez les architectes et les antiquaires dans leurs représentations des restes monumentaux gréco-romains jusqu’au milieu du XVIII e siècle. A partir des années 1850, selon la défi nition qu’en donne Eugène Viollet-le-Duc, la restauration revient à rétablir le monument «dans un état complet qui peut n’avoir jamais existé».L’acception moderne du terme de restauration, défi ni comme recon-naissance de l’oeuvre d’art, dans sa consistance physique et dans la perspective de sa transmission à la postérité sera, en ce qui la concerne, largement diffusée par la Charte de Venise (1964). Elle désigne l’ensemble des actions visant à interrompre le processus de dégradation d’une architecture. Comme la conservation, la restauration représente une opération d’entretien destinée à pérenniser l’œuvre du passé telle qu’elle nous est parvenue en la préservant de l’altération et de la destruction. Elle demande en outre l’acceptation du vieillissement et de ses traces.

SauvegardeLa recommandation de Varsovie-Nairobi (Unesco, 1976) défi nit la sauvegarde comme identifi cation, protection, conservation, réhabilitation, entretien et revitalisation des ensembles historiques ou traditionnels et de leur environnement.Dans le domaine du patrimoine bâti, l’acception de sauvegarde est plus large que celle de conservation. D’un usage récent, elle est davantage liée au concept d’ensemble et à leur intégration dans la vie de la société contemporaine.

Transformation «Action de transformer ou fait de se transformer, passage d’une forme à une autre» (Grand Larousse).Les transformations désignent en architecture, des travaux qui visent à adapter un bâtiment existant aux besoins contemporains en le modifi ant.

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BIBLIOGRAPHIE

La transformation

ouvrages

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Croset P.-A., L’architecture comme modifi cation, EPFL, Lausanne, 1990

FAS Section romande, Vienne, 2001

Gérôme Noëlle, Archives sensibles, images et objets du monde industriel et ouvrier, éd. de L’Ens-Cachan, Cachan Cedex, 1995

Leniaud Jean-Michel, Viollet-le-Duc ou les délires du système, éd. Mengès, Paris, 1994

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Steinmann Martin, Forme forte, Birkhäuser, Basel, 2003

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revues

A+, no 183, Friches, 2003

Archithèse, no 2, histoire de la construction :une histoire des transformations, 1998

Archithèse, no 4, Détournement d’affectation, 1982

Archithèse, no 4, Archéologie industrielle, 1980

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Faces, no 26, Du neuf avec du vieux ? Les usines de l’art contemporain, 1992-1993

Faces, no 25, Aires industrielles désaffectées, stratégie de croissance pour les villes, 1992

Werk, Bauen und Wohnen, no 4, Ni ‚ilot ni barre: à propos de deux friches industrielles actuellement en cours de restructuration à Bienne et à Vienne, 1994

Werk, Bauen und Wohnen, no 1, Mise au rebut, le traitement des mouvements et des paysages de la culture industrielle, 1991

Sites internet

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www.isos.ch

www.patrimoineindustriel.ch

www.ville-ge.ch/geneve/amenagement/patrimoine

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Etudes de cas

Usines Thorens

Visite guidée Philippe Gueissaz

Begert David, Gross Nicolas, La transformation, De Gueissaz à Diener & Diener, EPFL, Lausanne, 2001

Steinmann Martin, Zurbuchen Bernard, in Werk, Bauen und Wohnen, no 5, 1450 Ste-Croix, 2000

Filature BUAG

Visite guidée, MoosHochparterre, no 1-2, Huber Werner, Das späte Glück der Fabrikherren, 2002Werk, Bauen und Wohnen, no 6, Das Haus als meine Welt, 2001

Brasserie Warteck

Archithèse, no 4, Neue Wohnräume, neue Stadträume, 1996

Centre culturel suisse, Matière d’art, Architecture contemporaine en Suisse, Birkhäuser, Basel, 2001

Deutsche Bauzeitung, no7, Ein Steinhaus in Bewegung, 1996

Faces, no 41, Diener & Diener, 1997

Werk, Bauen und Wohnen, no 9, Ein Bild von Stadt, 1996

Werk, Bauen und Wohnen, no 3, Brauereiareal Warteck, 1993

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Blanchisserie

Visite guidée, Graham

Angélil, Graham, Pfenninger, Scholl, Waschanstalt Zürich-Wollishofen, Umnutzung und Neubau, Verlag Niggli AG, Zürich, 2001

Histoire de Bienne

Annales biennoises, 1982

Nouvelles Annales biennoises, 1978

Biel Stadtgeschichtliches Lexikon, éd. Büro Cortesi, Biel 1999

INSA, 1850-1920, no3

Raymond Bruckert, Bienne, son agglomération, sa région, Genodruck, Bienne, 1970

Raymond Bruckert, Géographie 5e année, librairie de l’Etat de Berne, 1986

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REMERCIEMENTS

Nous tenons à remercier

notre Directeur pédagogique, Professeur Martin Steinmann,notre Professeur d’institut, Professeur Claude Morel,notre Maître du Département d’Architecture, Philippe Gueissaz,notre Expert, Stéphane de Montmollin

ainsi que les personnes suivantes :

Administration de la Ville de Bienne

M. Chatelin, M. MeyerM Rawyler, Mme DübiM. Simonet, M. Pfi sterM. Comtesse, Mme Schmitz

pour leur disponibilité et leur aide.

Un grand merci à

M Scandola, M. Studer, M. Grossenbacher, M Vecchi, M. Zingg, Mme Jacobi, Mme Vuille, rédactions du Journal du Jura, Biel Bienne, Bieler Tagblatt

pour les précieux renseignements et documents qu’il nous ont offert.

Enfi n nous tenons à remercier les personnes suivantes pour leur soutien

nos parents ainsi qu’Hélène Zipper, Pauline Chauvin et Thamani Dahoun

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