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Jacques SOPPELSA. Réflexion sur les divergences des intérêts des Etats francophones. I) Si l’on fait référence à la « francophonie” avec un f minuscule ( « concept qui renvoie à la société civile et aux institutions non gouvernementales qui oeuvrent directement ou indirectement à promouvoir le français comme langue de travail et de culture »), l’évocation des disparités susceptibles d’exister entre les différents Etats concernés par ladite promotion, et celle de leur degré d’implication au sein des multiples structures non gouvernementales soulignées supra sont éloquentes : la diversité prime indéniablement quant à la place effectivement tenue par la lingua franca chez ces derniers. Plusieurs situations cohabitent formellement au chapitre de la francophonie : -Etats monolingues, où le français est par essence langue maternelle et seule langue officielle, comme la France ou Monaco. -Etats bilingues ou multilingues où, à des degrés divers, le français est langue officielle, « co-officielle », nationale, maternelle, de travail…De facto, comme le rappelait non sans pertinence Roland Breton, dans sa « Géographie des langues », deux grands types de structures peuvent être, ici, recensées, même si en règle générale « les Etats ont tout naturellement tendance à devenir unilingues, qu’ils soient mono ethniques ou pluri ethniques » a) le bilinguisme par juxtaposition, illustré notamment, dans la sphère francophone, par la Belgique, le Canada ou la Confédération helvétique. -En Belgique, (l’un des participants de la Convention de Niamey de 1970,fondatrice de l’Agence Intergouvernementale de la Francophonie), après un siècle de tensions ,les réformes constitutionnelles de 1967 à 1989 reconnaissent explicitement trois types d’identités : 3 Régions (flamande, wallonne et bruxelloise) ;3 « Communautés culturelles » (néerlandaise, française et allemande) et 5 Conseils (2 Conseils d e Communautés, française et germanophone ; 2 Conseils de Régions ,wallon et bruxellois, et un mixte, le flamand ! Situation complexe, résultant de la recherche d’un équilibre o combien précaire et sérieusement remis en question au cours de ces dernières années de fait, cette construction juxtapose des ensembles territoriaux unilingues séparés par de véritables frontières linguistiques et où seuls les liserés frontaliers sont véritablement bilingues, fiefs « privilégiés » désormais des plus sévères tensions, illustration d’une géopolitique interne passablement délicate. -La Confédération Helvétique, depuis la Constitution de …1848, se caractérise par la reconnaissance de trois langues officielles, l’allemand, le français et l’italien, complétée depuis 1938 par l’émergence d’une quatrième langue nationale, le romanche du Canton des Grisons. La Confédération est ainsi composée d’aires linguistiques homogènes, dont les frontières ne correspondent pas toujours à celle des cantons.

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Jacques SOPPELSA.

Réflexion sur les divergences des intérêts des Etats francophones.

I) Si l’on fait référence à la « francophonie” avec un f minuscule ( « concept qui renvoie à la société civile et aux institutions non gouvernementales qui oeuvrent directement ou indirectement à promouvoir le français comme langue de travail et de culture »), l’évocation des disparités susceptibles d’exister entre les différents Etats concernés par ladite promotion, et celle de leur degré d’implication au sein des multiples structures non gouvernementales soulignées supra sont éloquentes : la diversité prime indéniablement quant à la place effectivement tenue par la lingua franca chez ces derniers.Plusieurs situations cohabitent formellement au chapitre de la francophonie : -Etats monolingues, où le français est par essence langue maternelle et seule langue officielle, comme la France ou Monaco.-Etats bilingues ou multilingues où, à des degrés divers, le français est langue officielle, « co-officielle », nationale, maternelle, de travail…De facto, comme le rappelait non sans pertinence Roland Breton, dans sa « Géographie des langues », deux grands types de structures peuvent être, ici, recensées, même si en règle générale « les Etats ont tout naturellement tendance à devenir unilingues, qu’ils soient mono ethniques ou pluri ethniques » a) le bilinguisme par juxtaposition, illustré notamment, dans la sphère francophone, par la Belgique, le Canada ou la Confédération helvétique.

-En Belgique, (l’un des participants de la Convention de Niamey de 1970,fondatrice de l’Agence Intergouvernementale de la Francophonie), après un siècle de tensions ,les réformes constitutionnelles de 1967 à 1989 reconnaissent explicitement trois types d’identités : 3 Régions (flamande, wallonne et bruxelloise) ;3 « Communautés culturelles » (néerlandaise, française et allemande) et 5 Conseils (2 Conseils d e Communautés, française et germanophone ; 2 Conseils de Régions ,wallon et bruxellois, et un mixte, le flamand ! Situation complexe, résultant de la recherche d’un équilibre o combien précaire et sérieusement remis en question au cours de ces dernières années de fait, cette construction juxtapose des ensembles territoriaux unilingues séparés par de véritables frontières linguistiques et où seuls les liserés frontaliers sont véritablement bilingues, fiefs « privilégiés » désormais des plus sévères tensions, illustration d’une géopolitique interne passablement délicate.

-La Confédération Helvétique, depuis la Constitution de …1848, se caractérise par la reconnaissance de trois langues officielles, l’allemand, le français et l’italien, complétée depuis 1938 par l’émergence d’une quatrième langue nationale, le romanche du Canton des Grisons. La Confédération est ainsi composée d’aires linguistiques homogènes, dont les frontières ne correspondent pas toujours à celle des cantons.

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-Le Canada, seul exemple de bilinguisme par juxtaposition en Amérique, avec ses deux tiers d’anglophones, son quart de francophones et ses 10% de « néo- canadiens » Depuis la « révolution tranquille » des années soixante au Québec, le français est seule langue officielle au sein de la Belle Province…et le bilinguisme instauré au sein des services fédéraux à Otawa. Mais, « depuis une vingtaine d’années, ce bilinguisme officiel, faute de véritable consensus de la part des anglophones, est comme noyé dans une politique fédérale de promotion d’un multiculturalisme théoriquement chargé de faire aussi place à l’expression des autres groupes, néo canadiens et autochtones ».Au cours des dernières décennies, ces deux exemples concrets soulignent clairement la primauté éclatante des strictes questions de géopolitique interne face à l’objectif affiché par la Convention de Niamey quant à la promotion du français et de sa culture.

En Belgique, par exemple, au-delà de la bonne volonté potentielle manifestée par Bruxelles à l’égard de cette dernière, depuis la crise des Foulons, le moins que l’on puisse écrire est que le contentieux linguistique franco-néerlandais et le conflit latent entre provinces flamande et wallonne la relèguent à l’arrière plan. Mieux, ou pire, aujourd’hui, tout activisme international manifesté par les autorités belges en matière de promotion de la langue de Molière et de la culture française, dans la droite ligne de l’esprit et des engagements de Niamey serait immédiatement interprété comme une tentative de valorisation des intérêts wallons au détriment des locuteurs flamingants !Avec les conséquences que l‘on imagine !

Quant au Québec, la question est peut être plus complexe encore : au delà du bilinguisme de juxtaposition constaté au Canada, et au delà des velléités d’indépendance manifestées avec plus ou moins de vigueur par certains partis, comment ignorer le dynamisme, à tous égards, du puissant voisin étatsunien, héraut des vertus de la culture anglo saxonne ? Comme l’écrivait naguère Simon Valaskakis, « le vrai problème qui domine dans toute l’histoire du Canada est : comment développer une relation consciente et réaliste avec les Etats Unis sans se faire absorber par eux ? » La majorité des observateurs extérieurs, en termes de géopolitique interne, mesurés à l’aune de la place du français et de l’utilisation de la francophonie par les mouvances indépendantistes, se regroupent en deux sensibilités : certains évoquent le scenario du « renouveau de l’unité canadienne » reposant inéluctablement sur des réformes en profondeur du fédéralisme et un rééquilibrage de la donne linguistique. Et, dans cette hypothèse, le Canada pourra contribuer de manière appréciable et sans réserves à la promotion des objectifs de Niamey ; d’autres penchent vers la version « sacrifice de ladite unité. avec un Québec francophone et souverain Un Québec souverain susceptible de jouer pour le Nouveau Monde, le rôle dévolu à la Suisse au sein de l’Europe Occidentale, avec toute une gamme de corollaires contrastés, positifs (redynamisme des valeurs francophones..) ou négatives (quid des difficultés intrinsèques rencontrées par les minorités francophones des

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provinces anglophones ? La souveraineté du Québec contribuerait t-elle à la restauration de l’unité des autres provinces ou bien accélèrerait elle le processus de leur intégration…aux Etats Unis ?

b) Le bilinguisme par superposition : (superposition par « vagues » historiques dans une même aire) On peut évoquer ici, eu égard à l’adhésion récente à l’OIF de l’Albanie, de la Croatie, de la Macédoine ou de la Serbie,( nous y reviendrons infra) l’exemple éloquent sur bien des plans, de l’ex-Yougoslavie, mosaïque d’entités linguistiques, culturelles, ethniques, religieuses…une mosaïque directement héritée d’une évolution régionale particulièrement complexe, intimement liée à deux tendances lourdes chères aux géopoliticiens, la géographie (la situation de triple carrefour de la péninsule balkanique) et l’histoire.Il est surtout illustré à l’échelle du continent africain.

-au Maghreb, avec l’indépendance du Maroc, de la Tunisie et de l’Algérie (qui, on le sait, pour des raisons extra linguistiques, n’appartient pas à la sphère officielle de la Francophonie) l’arabe est la seule langue officielle..mais le français reste largement prédominant.

-Quant à l’Afrique subsaharienne,, tous les Etats anciennement colonisés ont , sans exception, conservé comme langue officielle celle qui fut importée par la puissance . Et ce qui est vrai pour l’anglais, le portugais ou l’espagnol l’est tout autant pour le français, ne serait ce que parce que les langages vernaculaires ou véhiculaires y sont trop nombreux, spatialement restreints ou expression d’antagonismes ethniques ancestraux et réactualisés avec le processus de décolonisation pour pouvoir réellement jouer le rôle de langue nationale .( Preuve a contrario, indirecte, l’OUA puis son avatar récent, ont reconnu quatre langues officielles, l’arabe, en constants progrès au cours des trois dernières décennies, l’anglais, le français et le portugais).Ce qui ne veut pas dire, tant s’en faut (cf.infra) que la prédominance de l’usage dans tel ou tel pays, y compris parmi les signataires historiques de la Convention de Niamey, tout en contribuant de manière plus ou moins significative, spontanée ou calculée, à la promotion de la culture francophone via ou au sein de maintes instances internationales non gouvernementales, garantit à ces nations l’absence ou l’éradication de contentieux ou de conflits intra étatiques, a fortiori interétatiques…

Les conséquences géopolitiques du bilinguisme, qu’il soit de juxtaposition ou de surimposition, contribuent à pérenniser la complexité de nombreuses situations zonales » ou régionales. Source d’enrichissement au plan des échanges et de dynamisme en matière d’initiatives géoculturelles ? Instrument relativement médiocre quant à l’éradication de facto des contentieux et des conflits potentiels ? Plus sûrement si, à la lueur des faits, au cours de ces dernières

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décennies, on croît pouvoir constater que la realpolitik chère, naguère, à un Théodore Roosevelt, prime en règle générale sur le romantisme à la Briand

II) La problématique « divergence des intérêts des Etas francophones » repose sur des fondements, au moins apparemment, beaucoup plus clairs, sinon solides, en termes de Francophonie, avec un F majuscule.

Le critère le plus évident quant à ladite divergence correspond sans doute, tout simplement, à la date d’adhésion des Etats concernés à l’organisation institutionnelle de la Francophonie, l’ACCT (« Agence de la Coopération Cuturelle et Technique), devenue OIF en 2005. On peut, grosso mode, distinguer trois vagues d’adhésions, à savoir :-les fondateurs (en 1970) quasi exclusivement préoccupés de considérations géoculturelles, même si, indéniablement, certains objectifs « dérivés », économiques ou politiques, ne sont pas totalement absents,Ces fondateurs sont au nombre de 21 : la Belgique, le Canada, la France, le Luxembourg, Monaco (cinq nations francophones, à des degrés divers (cf. supra) de l’hémisphère Nord ; un état de la péninsule indochinoise, le VietNam…, un pays du Golfe du Mexique, Haiti, un du Maghreb, la Tunisie ,deux de l‘Océan Indien, Maurice et Madagascar (aujourd’hui exclu pour des raisons strictement géopolitiques) et 11 Etats d’Afrique subsaharienne tous issus du processus de décolonisation, qu’il concerne l’Empire colonial belge (Burundi, Rwanda) ou les corollaires du rérérendum décidé par de Gaulle en matière d’autodétermination : le Bénin, la Cote d‘Ivoire, le Gabon, le Mali, le Niger, le Sénégal, le Tchad, le Togo.

- une seconde vague d’adhésions va déferler au cours des deux décennies suivantes, pour de motivations quasi constantes, toujours majoritairement liées aux objectifs de promotion de la culture francophone et à la confection de liens interétatiques ou supra étatiques culturels, y compris via des outils ou des organisations sœurs comme l’AUPELF- UREF, aujourd’hui A U F., Cette seconde vague est nettement plus hétérogène encore que celle des fondateurs, sur le plan de la distribution spatiale puisque l‘on y recense :un état de l’ancienne Indochine, le Laos,(1972) ; un du Proche Orient, le Liban (1973), trois nations de l’Océan Indien, les Comores (1975) et Djibouti (1977) et les Seychelles (1976) ; un Etat du Pacifique Sud ,le Vanuatu (1979), deux du Golfe du Mexique , la Dominique (1977) et Ste Lucie(1979) ;trois du Maghreb-Machrek, le Maroc,(1981),la Mauritanie (1980)et l’Egypte (1983) parallèlement à une nouvelle salve d’adhésions venue d’Afrique subsaharienne : la République Centre africaine(1973), le Cameroun (1975), le Congo RD (1977) , le Congo Brazza (1981), la Guinée (1981), la Guinée Bissau(1979) La place des Etats pudiquement (ou cyniquement) baptisés « pays en voie de développement », suite aux mécanismes déjà évoqués de décolonisation y reste donc prépondérante, et l‘on imagine sans mal qu’au delà des strictes velléités de

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concrétiser des objectifs linguistiques et culturels, les préoccupations strictement géoéconomiques sont patentes dans de nombreux cas.

-la troisième vague d’adhésions, faisant passer l’OIF, aujourd’hui, à quelques 70 membres (dont 14 ayant statut d’observateurs) est plus édifiante encore : elle correspond explicitement, au cours des deux dernières décennies, à la conjonction de trois facteurs complémentaires : la disparition du système bipolaire, avec l’implosion du Bloc de l’Est ; le processus de mondialisation.et les mutations internes des objectifs et de s missions initiales d e l’OIF

-disparition du système bipolaire : vont adhérer successivement à l’Organisation des pays comme la Roumanie (1991)la Bulgarie(1991) la Pologne(1996),la République Tchèque (1997) la Moldavie (1996) la Lituanie (1999), l’Albanie(1999), la Slovénie (1999) la Slovaquie (2002) la Macédoine (2000)la Serbie(2006),la Hongrie (2004)la Croatie (2006) la Géorgie (2004)l’Ukraine (2006) l’Arménie (2008) ou la Lettonie (2008)..

Un flux d’adhésions qui, même si certains des Etats nouveaux adhérents n’adoptent que le simple statut d’observateur, souligne le souci des anciens membres du Bloc de l’Est, après la disparition de l’Union Soviétique, d’intégrer des structures supra étatiques susceptibles de leur éviter l’isolement géopolitique synonyme de marginalisation et qui explique aussi… l’inexplicable, à savoir l’arrivée au sein de l’OIF d’Etats où le français n’est ni langue officielle, ni langue nationale et même ; « à la marge », tout juste langue « d’étude ou de travail » !

-processus de mondialisation : qui achève de faire de l’OIF une organisation fermement ancrée sur les cinq continents : Cambodge (1991), Cap vert (1992), Sao Tomé et p Principe (1999), Andorre (2004), Autriche (2004), Chypre (2006), Grèce (2004),Ghana (2006) ,Mozambique (2006) ou Thailande (2006)..participent sans nul doute à cette évolution;

-modifications progressives des missions de l’OIF, concrétisées notamment par les déclarations, désormais historiques, de Bamako et de St Boniface ,d’une part, celle d’Ouagadougou, d’autre part.-quant aux premières ; elles soulignent clairement la volonté de l’OIF de « contribuer à la prévention des conflits», et dans l’espace francophone, de favoriser la consolidation de l’état de droit et de la démocratie et d’agir pour la promotion et l’effectivité des Droits de l’Homme ».Prévention des conflits, promotion de la démocratie et des Droits de l‘Homme ? Vaste programme… Nous y reviendrons.Quant à la déclaration d’Ouagadougou, elle a mis en avant dans le domaine économique pique et social les principes majeurs de la coopération et du développement durable et solidaire

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Notons déjà, ceci étant, (ce qui constitue a priori, une difficulté de taille) une incompatibilité au moins apparente, entre ce double affichage (notamment en matière de promotion de l’état de droit) et le fait que l’OIF a aussi adopté sans réserve le sacro saint principe ,réaffirmé à moultes reprises par l’ACCT ,de le non ingérence dans les affaires intérieures des Etats concernés !

- Notons enfin l’apparente contradiction qui surgit dan le fait que, dans sa jeunesse, l’organisation brandissait haut et fort l’étendard de l’identité culturelle francophone et qu’aujourd‘hui, le mot d’ordre clairement énoncé serait plutôt à rechercher du côté de la reconnaissance et de valorisation de la «diversité culturelle » !

- Au delà de ces considérations générales, deux processus majeurs, et complémentaires, demeurent, deux processus susceptibles, nonens volens, ,d’être mesurés à l’aune de l’expérience vécue, certes dans un autre contexte, par… l’Union Européenne : :l’approfondissement (des structures, des missions, des objectifs, et l’élargissement géographique, avec la multiplication, (un tantinet spectaculaire) des adhésions.

- Parmi les exemples les plus édifiants, on peut citer celui de la Guinée Equatoriale !

Un exemple significatif : la Guinée Equatoriale.

Au lendemain de son accession à l’indépendance, la Guinée Equatoriale ne reconnaissait qu’une seule langue officielle, l’espagnol (en dépit, par ailleurs, du fait que la majorité de ses habitants ne parlait que fang !)Du fait de sa situation géographique, son secteur continental étant frontalier de deux pays francophones, le Gabon et le Cameroun, le régime de Malabo a décidé d’adopter en 1998 une Loi constitutionnelle établissant « que les langues officielles de la République de Guinée Equatoriale sont l’espagnol et le français ». Dans ce contexte volontariste, le français est devenu « langue obligatoire dans le second degré » (ce dernier n’étant par ailleurs accessible qu’à 10 % de la population)Deux petits « bémols »quant au dynamisme »officiel » de la francophonie en Guinée Equatoriale : 95% de la population ne pratique pas, pour l‘instant, la langue française !! Quant à l’état de droit et la promotion des vertus démocratiques « à la française » héritées des Philosophes du siècle des

Lumières, rappelons seulement que le chef historique de l’indépendance guinéenne, Teodoro Obiang Nguema, est arrivé au pouvoir, via un coup d ‘état, en Aout 1979, et qu’il fut régulièrement avec des scores plus que sympathiques : 99,99% des voix en 1989 (il est vrai qu’il était candidat unique), 97 ,6% en 1996 et 97,1% en 2003.

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En Juillet 2007, le Président Obiang Nguma faisait adopter le portugais comme troisième langue du pays et adhérait à la Communauté des Pays de langue portugaise (CPLP)!sans cacher que l’officialisation des langues française et lusitanienne était clairement destinée à favoriser la candidature de Malabo aux aides économiques offertes par la Francophonie et la CPLP !

Au plan strictement géopolitique, l’élargissement progressif de l’OIF à un nombre croissant de membres et d‘observateurs peut ainsi être mis en parallèle avec les faits, et souligner les défis majeurs qui se dressent face aux objectifs affichés par cette dernière..

A l’échelle de l’Europe, les nouveaux venus confortent sans équivoque l’actualité et la pérennité des contentieux potentiels caractérisant la péninsule balkanique. La Croatie catholique, la Serbie orthodoxe, l’Albanie musulmane, par exemple, sont désormais toutes trois membres de l’OIF ; Cela suffira t il à éradiquer les problèmes interétatiques, voire intra étiques qui surgissent régulièrement les territoires de l’ex-Yougoslavie ?

Au delà des Balkans, la présence de la Moldavie, de l’Ukraine, de l’Arménie et de la Géorgie au sein de l’instance « francophone » rappellent aussi directement l’acuité des questions géopolitiques qui ont agité et qui agitent encore les marges orientales de l’Europe, l’ensemble caucasien largo sensu et tout particulièrement le Sud Caucase et la vitalité de ses « conflits gelés »

Dans l’Asie du Sud Est, la présence du Laos , du Cambodge et de la Thaïlande, contribuent à s’interroger sur le proche avenir, la fragilité des équilibres régionaux et sur le rôle effectif que pourra jouer l’OIF dans la promotion des valeurs démocratiques et du respect des Droits de l’Homme

Au plan, des relations strictement bilatérales, les exemples foisonnent aussi en matière d‘ambiguïté et, vraisemblablement, de« faux semblants » !

La cohabitation de la Hongrie et de la Roumanie, ou de cette dernière avec la Bulgarie ou la Moldavie, masquent mal les contestations récurrentes liées (et pas seulement dans la mémoire collective) aux modifications historiques des frontières ; en particulier celles qui sont directement héritées des Traités mettant fin à la Première Guerre Mondiale et régulièrement réactualisées par l’épineuse question des minorités .Témoin l’œuvre concrète d’un francophone, Emmanuel de Martonne, le « père » de la Grande Roumanie, lui même inspiré d’Onésime Reclus Un Emmanuel de Martonne dont la mémoire est quasiment adulée à Bucarest et cordialement détestée du côté de Sofia ou de Budapest !

Sur le continent africain, le constat est tout aussi révélateur :depuis l’adoption de la convention de Niamey et la création de l’ACCT, ledit continent s’avère l’archétype même du milieu « nanti » en matière de prolifération des tensions et des conflits ouverts, qu’ils soient inter étatiques, post coloniaux ou intra étatiques. On connaît à ce sujet la typologie suggérée (et désormais généralisée) par le fondateur de la Polémologie, Gaston Bouthoul : depuis 1945, l’Afrique subsaharienne partage avec l’arc de crise moyen oriental le triste privilège de

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vivre en direct la majorité de ces conflits ouverts, quelle qu’en soit l’échelle spatiale. Et les Etats francophones sont loin d’être absents du palmarès : de guerre entre le Mali et le Burkina Faso aux évènements dramatiques du Rwanda, des crises intestines égrenant l’histoire contemporaine de l’ex Zaire ou du Congo Brazza à l’hypothèque de la Casamance au coeur du Sénégal ou, plus éloquente, aux relations complexes entre le Maroc et la Mauritanie à propos du Sahara Occidental, la « question Sahraoui ».

La « question Sahraoui »Jusqu’à la décolonisation, les tribus nomades Sahraoui, islamisées depuis le VIIeme siècle, et qui se déplaçaient sur les immensités qui séparent le Sud marocain et le Sénégal. ignoraient les frontières, y compris celles de Mauritanie, état créé par la France au XIXeme siècle et celles du Sahara espagnol, utilisé par Madrid pour ses bases navales et la traite des Noirs ; un Sahara récupéré en partie par le Maroc en 1958.

Au cours des années soixante, des mouvements indépendantistes émergent et, en 1973,le Front Polisario est créé pour la libération du Rio de Oro. Parallèlement, Rabat aide à la création d’un « Front de libération de l’Unité, promarocaine (la « marche verte », conclue provisoirement par les Accords de Madrid, signés par l’Espagne, le Maroc et la Mauritanie.L’Espagne se retire totalement du Sahara Occidental dont l’administration est confiée conjointement au Maroc et à la Mauritanie.Mais cette dernière reconnait dès 1981 la « République arabe sarhaoui démocratique, fondée en 1976 et depuis cette date, Maroc et Sarhaoui s’opposent sur le terrain, d’autant plus âprement que le sol de la région est riche en minerais et en phosphates ! On connaît la suite, le rôle indirect de la France, des Etats Unis, du voisin…algérien, des instances onusiennes..Une situation particulièrement complexe ! Et force est de constater que l’adhésion presque simultanée du Maroc et de la Mauritanie à l’OIF, il ya trente ans, n’a manifestement guère pesé dans la résolution du contentieux

Quant à l’Océan Indien,( X… états de la zone sont désormais adhérents de l’OIF),on rappellera que si cette région ,comprise entre Madagascar (la « Grande Ile ») et un chapelet d’archipels, les conflits frontaliers y sont, par nature, quasiment inexistants.

En revanche, leur intérêt stratégique est exceptionnel (Canal du Mozambique, route du pétrole) Les enjeux qu’elle représente au plan géoéconomique y sont considérables, d’autant qu’elle jouxte la côte orientale du continent africain, milieu à hauts risques. Et la France, sinon la Francophonie, s’y montre particulièrement active en y jouant un rôle de tout premier plan.-la France exerce d’abord sa souveraineté sur les « îles éparses » dispersées du C Canal de Basna de India aux Glorieuses, ce qui lui permet d’augmenter sensiblement sa ZEE, déjà importante grâce à la Réunion

-Depuis 1974, si trois des iles de l’archipel des Comores ont accédé à l’indépendance (et adhéré à l’OIF) Mayotte est restée française et vient

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d’acquérir le statut de département Au delà d’épineux problèmes intra étatiques ( question de l’immigration clandestine) l’essor économique de Mayotte contraste cruellement avec la situation très délabrée des Comores, régulièrement affectées, en outre, par des Coups d’état.

Cette évocation nous autorise sans soute à rappeler aussi le rôle majeur, et parfois complémentaire, d’au moins six domaines de disparités. -disparités, voire divergences, liées à la place proprement dite tenue par le français dans le pays concerné (cf supra), mais aussi :-disparités économiques et socio économiques ;-disparités quant aux valeurs et à la place de la démocratie ; -divergences religieuses ;-divergences « historiques» particulièrement bien illustrées par l’exemple de l’Afrique subsaharienne et ses « frontières imposées » -disparités de fait à l’égard des grandes puissances et des organisations supra étatiques.

1)-diversité économique et inégal développement

La palette des membres actuels de l’OIF est, en ce domaine, hautement significative et souligne avec acuité les profondes disparités desdits membres quant à la spécificité de leur croissance économique et, a fortiori, de leur stade de développement. L’analyse de leur place dans la hiérarchie des nations établie par l’Organisation des Nations Unies via le paramètre, désormais appliqué à l’échelle du globe de l’Indice du Développement Humain (IDH) est particuliè-rement révélatrice.

L’Indice de Développement Humain est un indicateur construit à partir de trois critères pondérés de façon inégale : la longévité, mesurée par l’espérance de vie à la naissance, reflet de l’état de santé et de nutrition de la population ;le savoir, mesuré par le niveau d‘instruction, paramètre qui combine deux critères, le taux d’alphabétisation des adultes et la moyenne des années d’études ; et le niveau de vie mesuré par le PNB/habitant ».

Si l’on se réfère aux chiffres officiels publiés par l’ONU pour 2008, on constate que les 70 Etats membres ou observateurs de l’OIF se répartissent de manière très hétérogène sur l’échiquier de l’IDH

-11 d’entre eux émargent à la catégorie « IDH très élevé » (c'est-à-dire supérieure à 0.9) à savoir le Canada (au 4em rang), la France, la Suisse, le Luxembourg, l’Autriche, la Belgique, la Grèce, la Slovénie ,Chypre, la Ré publique tchèque et Andorre

-15 ont un « IDH élevé » (dixit l’ONU) ,gravitant du 41eme au 83em rang Pologne,Slovaquie,Hongrie,Croatie,Lituanie,Lettonie,Bulgarie,Seychelles,Roum

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anie,Serbie,Albanie,Macdéoine,Maurice..Bref,une écrasante présence des anciennes Démocraties Populaires et de quelques satellites de l’ex.URSS .A l’exception des deux états insulaires des Seychelles et de la Dominique, aucun état de l’hémisphère Sud n’apparait au sein de ces deux premières catégories, celle des nations privilégiées tant au plan économique que sur celui des données sociétales .-11 ont un IDH « moyen » à partir du 84e rang du classement onusien évoqué supra (IDH compris entre 0.7 et 0.8 :l’Arménie, l’Ukraine, la Géorgie, l’Egypte, leVanuatu, la Tunisie, le Gabon, le Viet Nam, la Moldavie, la Guinée Equatoriale, le Cap Vert… Un ensemble très hétérogène à tous points de vue, mais où un facteur spécifique (par exemple la présence de ressources énergétiques ou minérales) ) peut « tirer » vers le haut (tout est relatif !) certaines nations du Tiers Monde-5 ont un IDH « faible » (entre 0.6 et 0.7) : Saoomé, le Maroc, le Laos, le Congo Brazza , le Cambodge.Et près du tiers des Etats membres de l’OIF son recensés dans les deux catégories les plus défavorisées :-IDH « très faible » (0.5/0.6) : six nations de l’hémisphère Sud, Madagascar, Haïti, le Ghana, le Cameroun , la Mauritanie et Djibouti

-ou dotés d’un IDH catastrophique (inférieur à 0.5) : 15 états , tous localisés en Afrique subsaharienne : le Togo, le Bénin, la Cote d’Ivoire, le Sénégal, le Rwanda, la Guinée, le Mozambique, la Guinée Bissau, le Burundi, le Tchad, la République Démocratique du Congo, le Burkina Faso, le Mali, la République Centrafricaine et le Niger. Une liste qui se passe malheureusement de commentaires ! Les disparités de situations sont reflétées de manière édifiante, par l’utilisation de semblable paramètre, un paramètre qui a aussi le mérite par rapport aux critères utilisés antérieurement, de s’évader des seules références strictement économiques.

2) Diversité face aux valeurs démocratiques : au delà de l’exemple évoqué supra de la Guinée Equatoriale, ici aussi, la palette des régimes politiques .est particulièrement variée, des grandes démocraties libérales occidentales aux régimes autoritaires en passant par les « semi présidentiels » ou ,pour reprendre le superbe néologisme popularisé par Ernesto Sabato, les « démocratures ». Diversité des régimes ;diversité des constitutions ;diversité de l’application et du respect ou non des valeurs démocratiques…Au delà, à nouveau, des pures gesticulations diplomatiques, il est effectivement aujourd’hui difficile de prêter foi aux déclarations de principes de certains Etats membres quant aux efforts de leurs responsables pour assurer la promotion effective des Droits de l’Homme, de la parité, du pluralisme, et de ne pas assimiler, ici ou là, ces déclarations à de vulgaires faux semblants.…

3) Diversité face à l’une des tendances lourdes les plus omniprésentes sur l’échiquier géopolitique contemporain : le facteur religieux.

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Rappelons que, officiellement, seuls la Turquie ,le Costa Rica (non membres de l’OIF) et..la France, ont intégré t le concept de laïcité dans leur constitution.

La diversité des membres de l’Organisation francophone face au facteur religieux est également notoire.

Si la quasi totalité des Etats membres localisés dans l’hémisphère Nord baignent dans la sphère judéo chrétienne et ses héritages, et au delà des antagonismes de naguère qui ont pu, au Canada notamment, conforter l’opposition linguistique entre anglophones, relevant très majoritairement des Eglises protestantes, et Francophones à majorité catholiques (en particulier dans les campagnes québécoises ou dans les ilôts francophones des provinces de la Prairie et des horizons extréme-orientaux du pays) les contrées du Sud en général et le continent africain en particulier sont plus que jamais caractérisés par une expansion structurelle et spatiale très poussées de l’Islam.L’exemple de l’Islam.Son expansion contemporaine, en matière de pratiques, tend à reléguer les religions importées naguère par les puissances coloniales au second plan, tout en cohabitant avec les religions animistes qui renaissent.ici ou là.

Ce phénomène peut contribuer, y compris au sein des milieux francophones, à consolider ou à faire resurgir d’indéniables tensions.Un référence concrète, en ce domaine, peut être exploitée : l’appartenance ou non des Etats francophones de la zone à une institution internationale comme la « Conférence Islamique ».

Sur les 29 Etats membres de l’OIF relevant du continent africain, 18 ont aussi adhéré à ladite Conférence,à savoir :-9 qui appartiennent au cercle des membres fondateurs : L’Egypte, la Guinée, le Mali, la Mauritanie, le Maroc, le Niger, le Sénégal, le Tchad et la Tunisie ;-9 ont rejoint la Conférence Islamique entre 1975 et 2000 : le Gabon, la Guinée Bissau, le Burkina Faso, le Cameroun, les Comores, Djibouti, le Bénin, le Mozambique et la Côte d’Ivoire Liste révélatrice aussi, au plan spatial, de l’expansion récente de l’Islam en direction des horizons du Sud.

Les Etats africains membres de l’OIF et n’ayant pas adhéré à la Conférence Islamique se situent en revanche, dans leur très forte majorité, à l’exception du Cap Vert et de la Guinée Equatoriale, déjà évoquée, aux marges de cet ensemble progressivement islamisé, comme les deux Congos, le Burundi, le Rwanda, la Centre Afrique, Maurice, Madagascar ou les Seychelles

L’Organisation de la Conférence Islamique, née en 1970 (et donc contemporaine de la Convention de Niamey !), dans le climat de crise qui opposait le Roi Fayçal d’Arabie Saoudite au Colonel Nasser, est devenue une institution incontournable à l’échelle de l’ensemble du monde musulman ; une institution qui, à l’image de l’OIF, cherche elle aussi à s’adapter aux exigences de la vie politique, économique et culturelle, mais dont l’activité n’est pas

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forcément compatible, ici ou là, avec les objectifs et les missions proposés par l’OIF.

Certains des buts de la Conférence Islamique, tels qu’ils sont définis par la Charte élaborée à Djeddah il y a donc quelques quarante ans, sont parfaitement compatibles avec ceux de la Francophonie : « combattre les discriminations raciales », par exemple ; ou « prendre des mesures nécessaires pour la consolidation de la paix et de la sécurité mondiale fondées sur la justice »

En revanche, certains des objectifs spécifiques clairement affichés par la Conférence peuvent indéniablement contribuer à renforcer les divergences d’intérêts au sein de l’OIF, entre Etats membres et non membres de cette dernière elle même. : « consolider la solidarité islamique entre les Etats membres » ; consolider la lutte de tous les peuples musulmans pour la sauvegarde de leur dignité, de leur indépendance et de leurs droits nationaux « renforcer la coopération entre les Etas membres dans les domaines économiques , culturels, scientifiques…peuvent être interprétés, dans les faits, comme des initiatives assez éloignées d’une des missions de l’OIF : « prôner la diversité culturelle ». A fortiori quand on lit dans la Charte de Djedah le souci de « coordonner les actions destinées à sauvegarder les Lieux Saints « ou « soutenir la lutte du peuple palestinien et l’aider à retrouver ses droits et à libérer ses territoires…Des objectifs difficilement compatibles avec celui de la Francophonie de s’interdire toute ingérence dans la géopolitique interne des Etats.

4) spécificité des frontières imposées, dans la plupart des anciennes colonies. Une spécificité souvent en contradiction flagrante avec l’ancestrale répartition spatiale des ethnies

Autant les frontières sont anciennes et considérées, dans la plupart des nations francophones du monde occidental, comme intangibles ,(encore que les problèmes intérieurs au Royaume de Belgique ne sont pas totalement déconnectés de quelques contentieux spatiaux certes ,pour le moment, strictement localisés, comme dans le cas édifiant des Foulons), autant leur place est fréquemment incontournable ,voire prépondérante, lorsque l’on tente d’esquisser une esquisse typologique, sur ce plan, des nations du monde francophone dites « en voie de développement ».L’exemple du contrôle du Temple, o combien contesté, eu égard par ailleurs à sa valeur symbolique, figure dans tous les ouvrages abordant le thème de la contestation des frontières « imposées ». Comme celui du quasi no man’s land du Sahara Occidental, déjà souligné...Mais l’Afrique subsaharienne, en la circonstance, fait figure éloquente quant aux archétypes des conséquences (particulièrement variées) du caractère « artificiel de ce critère, élément fondamental, depuis des lustres, de la géopolitique externe du sous continent.Un simple coup d’oeil sur une carte politique de l’Afrique est révélateur : « Contemplez la mappemonde :avec ses frontières taillées au cordeau, l’Afrique

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des Etats semble être créée des divagations d’un Dieu géomètre devenu fou…La carte n’est pas le territoire ;elle rappelle seulement la page blanche sur laquelle, à la règle ou au compas, divers établissements européens se partagèrent, au XIXme sièlce, un continent.Les armées coloniales parties, les frontières sont restées » (André Glucksman)

Les grandes puissances, tout opinions et intérêts confondus, ont largement contribué, après les avoir créées, via notamment les décisions du Congrès de Berlin (où ne figuraient, rappelons le, aucun représentant de pays africains !) à figer lesdites frontières « dans une sorte d’éternité, en proclamant intangibles les frontières et imprescriptible le principe de non ingérence ».

Entendons nous …Quand nous parlons de « frontières artificielles », il faut quand même se souvenir, n’en déplaise à la mémoire du Cardinal de Richelieu, qu’à l’échelle du globe, plus de 80% des frontières ne sont absolument pas « naturelles », en dépit d’un mythe singulièrement solide !

La véritable originalité des frontières africaines réside en revanche, précisément, dans le fait qu’elles ont été imposées par des acteurs extérieurs au continent ! L’Europe a imposé la rigueur de la ligne (« boundary » diraient nos amis anglais) là où il y avait souvent un continuum et des espaces tampons (« frontier », diraient ces mêmes amis anglais) . 40% seulement des frontières africaines sont véritablement « bornées » au sens occidental du terme, et ce constat est tout aussi bien vérifié en Afrique francophone que dans les espaces régionaux extérieurs aux territoires de la francophonie A partir d’exemples fournis par le Sahara Occidental ou le conflit armé qui opposa en Décembre 1985 le Mali et le Burkina Faso dans le secteur de l’Agacher. on a beaucoup écrit sur le poids des « tendances lourdes » expliquant , au moins en partie, les contentieux impliquant :« les Etats tranches » hérités de la logique coloniale .Cette dernière visait à occuper ou à contrôler des espaces intérieurs à partir des littoraux en se surimposant à la trame ancestrale des royaumes et des ethnies.A l’échelle des espaces francophones, le Togo et le Bénin (ex Dahomey) sont particulièrement édifiants, édifiés, si l’on peut dire, à partir de directions strictement méridiennes, de la côte à l’intérieur, et recoupant ainsi les espaces biogéographique de la frange littorale, de la forêt sempervirente, de la savane, du sahel…Avec les potentialités de conflits que l’on imagine, tant intra qu’inter étatiques. Sans parler du Congo démocratique, aux frontières calquées sur le bassin du fleuve éponyme par Bruxelles au temps de Léopold, ou de l’ancienne Haute Volta, devenue aujourd’hui Burkina Faso ,et qui fut rattachée un temps à la Côte d’Ivoire, et regroupant, outre la majorité Mossi, toute une gamme de groupes ethniques étrangers au tracé des frontières, décidé arbitrairement, et où « la recherche d‘équilibres politiques entre les différentes composantes ethno régionales et plus que jamais nécessaire que pour éviter la confirmation hégémonique d’un groupe dominant » (Roland Pourtier)

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Une Côte d’Ivoire sérieusement affectée, depuis dix ans, par un conflit larvé interne et par l’hypothèse d’une sécession de facto de sa partie septentrionale, contrôlée aujourd’hui par une rébellion nourrie de flux migratoires non contrôlés durant des décennies.

5) disparités, enfin, quant à la position des Etats membres vis à vis des puissances étrangères, (les « grandes puissances ») et des organisations supra étatiques.

L’évocation de ces conflits (qui ne sont certes pas spécifiques au monde

francophone) nous permet enfin de toucher du doigt d’autres facteurs de disparités : les relations des Etats francophones avec, notamment dans l’hémisphère Sud, les initiatives géoéconomiques et donc géopolitiques de certaines puissances extérieures, voire (mais cela reste, en ce domaine, plus du domaine virtuel que de celui de la realpolitik) ou d’organisations supra étatiques à compétence régionale , zonale, ou continentale..Le Québec, nous l’avions rapidement souligné, peut potentiellement représenter une « difficulté » régionale quant à la consolidation de l’Alena, marché commun nord américain instauré en 1993…L’implosion éventuelle de la Belgique pourrait créer un foyer de difficultés pour l’Union Européenne (outre le fait, pied de nez à l’Histoire, que le centre décisionnel de cette dernière est implanté.à Bruxelles !) Sur le même plan, l’adhésion ou non de tel Etat des Balkans à l’OIF n’est pas forcément synonyme de règlement pacifique de contentieux bilatéraux ! Comme en Sud Caucase, en Europe Orientale, dans la péninsule indochinoise, a fortiori au cour de l’Afrique subsaharienne, surtout lorsque surgissent ou réapparaissent des considérations strictement économiques (exemple de la découverte et de la mise en valeur des hydrocarbures « off shore » du Golfe de Guinée) ..