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65 Annales de lUniversité Marien NGOUABI, 2011-2012 ; 12-13 (3) : 65-91 Sciences Juridiques et Politiques ISSN : 1815 4433 www.annales-umng.org REFLEXIONS SUR LE CONTROLE DES ACTES REGLEMENTAIRES PAR LE JUGE CONSTITUTIONNEL AFRICAIN : CAS DU BENIN ET DU GABON P. MOUDOUDOU Faculté de Droit Université Marien Ngouabi B.P. 69, Brazzaville, Congo INTRODUCTION Une « aventure ambigüe » 1 ; voilà comment on pourrait qualifier le contrôle des dans celle du 26 mars 1991 4 . Celle-ci doit être entendue non pas « comme (lunité) dun objet de connaissance scientifique et corrélativement 5 actes règlementaires par le juge constitutionnel de lactivité qui sy rapporte » ou encore africain francophone. A la « recherche dun « comme celle dun appareil conceptuel 6 modèle » 2 , l’Afrique noire francophone opératoire » mais « comme celle dun 7 semble en effet avoir trouvé cette voie dans « l’unité du droit » 3 , notamment celle du droit constitutionnel et du droit administratif à travers la justice constitutionnelle, comme ensemble normatif » . Une telle unité du droit faisant irrésistiblement penser à « la chauve- souris » 8 . l’ont voulu les constituants béninois dans la constitution du 11 décembre 1990 et gabonais 1 Titre du roman de lécrivain et homme politique sénégalais Cheik Hamidou Kane, publié en 1961 aux éditions 10/18, Coll. « Domaine étranger ». Dans ce roman, le personnage principal avait reçu à la fois la culture africaine et lenseignement occidental. 2 Diallo (I.), « A la recherche dun modèle africain de justice constitutionnelle », Annuaire international de justice constitutionnelle, 2004, Vol.20, p.93-120 ; Quantin (P.), « La démocratie en Afrique à la recherche d’un modèle », Pouvoirs, 2009, n°129, La démocratie en Afrique, p.65. 3 Pour reprendre le titre des Mélanges en l’honneur de Roland Drago, L’unité du droit, Paris, Economica, 1996. 4 Plusieurs fois modifiée. 5 Vedel (G.), « Aspects généraux et théoriques », in Mélanges en l’honneur de Roland Drago, L’unité du droit, Paris, Economica, 1996, p.2. Selon lauteur, « ma réponse négative (…) procède de l’humiliante copie blanche que jai remettre toutes les fois qu’un interlocuteur ma pressé de lui donner une définition du droit. Fournir du droit une description convenable est possible. Mais une définition (et de surcroit scientifique) relève dautres exigences que celles d’un album de photographies mêmes fidèles ». 6 Le doyen Vedel précise que cette définition « doit être entendue dans un sens relativiste dont il faut faire un usage modéré » (Ibid., p.2). 7 Définition que le doyen « tient pour évidente » (Ibid., p.2). 8 Le Divellec (A.), « La chauve-souris, quelques aspects du parlementarisme sous la Vème République », in Mélanges en l’honneur de Pierre Avril, La République, Paris, Montchrestien, 2001,

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P. MOUDOUDOU Ann. Univ. M. NGOUABI, 2011-2012 ; 12-13 (3)

Annales de l’Université Marien NGOUABI, 2011-2012 ; 12-13 (3) : 65-91Sciences Juridiques et Politiques

ISSN : 1815 – 4433www.annales-umng.org

REFLEXIONS SUR LE CONTROLE DES ACTESREGLEMENTAIRES PAR LE JUGE CONSTITUTIONNEL

AFRICAIN : CAS DU BENIN ET DU GABON

P. MOUDOUDOUFaculté de Droit

Université Marien NgouabiB.P. 69, Brazzaville, Congo

INTRODUCTION

Une « aventure ambigüe »1 ; voilàcomment on pourrait qualifier le contrôle des

dans celle du 26 mars 19914. Celle-ci doit êtreentendue non pas « comme (l’unité) d’un objetde connaissance scientifique et corrélativement

5

actes règlementaires par le juge constitutionnelde l’activité qui s’y rapporte » ou encore

africain francophone. A la « recherche d’un« comme celle d’un appareil conceptuel

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modèle »2, l’Afrique noire francophoneopératoire » mais « comme celle d’un

7

semble en effet avoir trouvé cette voie dans« l’unité du droit »3, notamment celle du droitconstitutionnel et du droit administratif àtravers la justice constitutionnelle, comme

ensemble normatif » . Une telle unité du droitfaisant irrésistiblement penser à « la chauve-souris »8.

l’ont voulu les constituants béninois dans laconstitution du 11 décembre 1990 et gabonais

1 Titre du roman de l’écrivain et homme politiquesénégalais Cheik Hamidou Kane, publié en 1961aux éditions 10/18, Coll. « Domaine étranger ».Dans ce roman, le personnage principal avait reçu àla fois la culture africaine et l’enseignementoccidental.2 Diallo (I.), « A la recherche d’un modèle africainde justice constitutionnelle », Annuaireinternational de justice constitutionnelle, 2004,Vol.20, p.93-120 ; Quantin (P.), « La démocratie enAfrique à la recherche d’un modèle », Pouvoirs,2009, n°129, La démocratie en Afrique, p.65.3 Pour reprendre le titre des Mélanges en l’honneurde Roland Drago, L’unité du droit, Paris,Economica, 1996.

4 Plusieurs fois modifiée.5 Vedel (G.), « Aspects généraux et théoriques », inMélanges en l’honneur de Roland Drago, L’unitédu droit, Paris, Economica, 1996, p.2. Selonl’auteur, « ma réponse négative (…) procède del’humiliante copie blanche que j’ai dû remettretoutes les fois qu’un interlocuteur m’a pressé de luidonner une définition du droit. Fournir du droit unedescription convenable est possible. Mais unedéfinition (et de surcroit scientifique) relèved’autres exigences que celles d’un album dephotographies mêmes fidèles ».6 Le doyen Vedel précise que cette définition « doitêtre entendue dans un sens relativiste dont il fautfaire un usage modéré » (Ibid., p.2).7 Définition que le doyen « tient pour évidente »(Ibid., p.2).8 Le Divellec (A.), « La chauve-souris, quelquesaspects du parlementarisme sous la VèmeRépublique », in Mélanges en l’honneur de PierreAvril, La République, Paris, Montchrestien, 2001,

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En effet, l’article 3 de la constitutiondu bénin prévoit que « tout citoyen a le droit dese pourvoir devant la Cour constitutionnellecontre les lois9, textes et actes présumésinconstitutionnels ». L’article 117 alinéa 3 dumême texte ajoute que la Courconstitutionnelle statue obligatoirement sur« la constitutionnalité (…) des actesrèglementaires censés portés atteinte aux droitsfondamentaux de la personne humaine et auxlibertés publiques et, en général, sur laviolation des droits de la personne humaine ».L’article 121 alinéa 2 précise qu’ « elle seprononce d’office sur la constitutionnalité (…)de tout texte règlementaire censé porté atteinteaux droits fondamentaux de la personnehumaine et aux libertés publiques. Elle statueplus généralement sur les violations des droitsde la personne humaine et sa décision doitintervenir dans un délai de 8 jours ». Onretrouve les mêmes règles aux articles 84, 85 et86 de la constitution gabonaise qui disposentrespectivement que « La Courconstitutionnelle statue obligatoirement sur laconstitutionnalité (…) des actes règlementairescensés porter atteinte aux droits fondamentauxde la personne humaine et aux libertéspubliques » ; « Les actes règlementairespeuvent être déférés à la Cour constitutionnelle(…) par tout citoyen ou par toute personnelésée par (…) l’acte querellé » ; « toutjusticiable peut, à l’occasion d’un procèsdevant un tribunal ordinaire, soulever uneexception d’inconstitutionnalité à l’encontre(…) d’un acte qui méconnaîtrait ses droitsfondamentaux… ».

On constate donc que si c’est enqualité de juges de la régulation dufonctionnement des organes de l’Etat et dejuges du contentieux électoral que les coursconstitutionnelles10 du Bénin et du Gabon se

p.349 ; Avril (P.), Les français et leur parlement,Paris, Castermann, 1972, p.96.9 Le contrôle de constitutionnalité des lois ne serapas étudié dans le cadre de cette étude, sauf pourétayer une analyse.10 Le modèle européen de justice constitutionnellerepose sur la notion de cour constitutionnelle qui, àla différence de la cour suprême de type américain,est « une juridiction prévue par la constitution,située hors de l’appareil juridictionnel ordinaire etindépendante de celui-ci comme des pouvoirspublics et créée pour connaître spécialement etexclusivement du contentieux constitutionnel »

sont faites remarquées11, leurs activités enmatière de contrôle du respect des droitsfondamentaux par l’administration ont été toutaussi importantes. Le regain d’intérêt pour laprotection constitutionnelle des droits etlibertés est né de l’aspiration des peuplesafricains en général à un véritable systèmelibéral, exprimée essentiellement à travers desréformes politiques et institutionnelles initiéessur le continent dès le début des années 1990.Dans l’exercice de sa mission, le jugeconstitutionnel, d’ailleurs fort sollicité, sembleprendre en compte cette volonté populaire dene plus laisser les gouvernants « ramer àcontre-courant de ce vent de liberté qui soufflepartout aujourd’hui, faisant parfois preuved’une grande audace »12. Même si l’accent missur le contrôle « rénové et osé »13 de laconstitutionnalité des lois en Afrique estsouvent teinté de préoccupations politiques.

On sait aussi que la justiceconstitutionnelle est consubstantielle auconstitutionnalisme triomphant à nouveau surle continent africain depuis l’effondrementdans la dernière décennie du XXème siècle desdifférents régimes autoritaires qui avaientfleuri au lendemain de la décolonisation14. Leconstitutionnalisme étant historiquement unmouvement issu du siècle des Lumières quivisait, en réaction contre le despotisme etl’absolutisme royal d’alors, à doter les Etatsd’une constitution écrite pour, d’une part,encadrer, voire limiter, le pouvoir desgouvernants, d’autre part, garantir les droits etlibertés des gouvernés. Il fallait une juridiction

(Favoreu (L.), Les cours constitutionnelles, Paris,1986, PUF, Coll. « Que-sais-je ? », p.3).11 Voir par exemple : Aivo (F.J.), Le jugeconstitutionnel et l’Etat de droit en Afrique.L’exemple du modèle béninois, Paris, L’Harmattan,2006.12 Vignon (Y.B.), « La protection des droitsfondamentaux dans les nouvelles constitutionsafricaines », Rev. Nigérienne de Droit, n°3,septembre 2000, p.77-135.13 Holo (T.), « Démocratie revitalisée oudémocratie émasculée ? Les constitutions durenouveau démocratique dans l’espace francophoneafricain : régimes juridiques et systèmespolitiques », Rev. Béninoise des Sciences Juridiqueset Administratives, 2006,n°16,p.25.14 Holo (T.), « Emergence de la justiceconstitutionnelle », Pouvoirs, n°129, 2009, Ladémocratie en Afrique, p.101.

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pour assurer le respect de la normefondamentale. Ainsi, la justiceconstitutionnelle s’entend de toute fonctionjuridictionnelle ayant pour but d’assurer lasuprématie et le respect des règlesconstitutionnelles essentiellement, mais nonexclusivement, par les pouvoirs publics.Comme le souligne André Hauriou,constitutionaliser le pouvoir, c’est le soumettreà des règles précises, et plus particulièrementmettre au point des mécanismes dereprésentation politique, établir auprès desgouvernements des censeurs qui serontqualifiés pour dialoguer avec ceux-là15.

Cette idée était déjà présente dans lespremières constitutions octroyées aux Etatsfrancophones d’Afrique noire au moment deleur indépendance. En effet, la plupart de cesconstitutions avaient prévu au sein des courssuprêmes, attributaires de la fonctionjuridictionnelle, une chambreconstitutionnelle16. Cet embryon de justiceconstitutionnelle, fruit de la doctrine libéralefrançaise, sera prématurément étouffé par lapandémie du présidentialisme négro-africainqui sévit sur le continent africain de 1965 à1990 faisant du président de la République lasource exclusive du pouvoir et du droit dansl’Etat17. Dès lors, le contrôle de la loi et laprotection des libertés apparaissent aujourd’huicomme des missions majeures du jugeconstitutionnel.

Il faut rappeler toutefois qu’il y atoujours eu, au cours de l’histoire du droitadministratif, notamment français, dont les

15 Hauriou (A.), Droit constitutionnel et Institutionspolitiques, Paris, Montchrestien, 1970, 4ème éd.,p.73.16 Voir par exemple : Gonidec (P.-F.),« Constitutionnalismes africains », RJPIC 1996,n°1,p.23-50 ; Moderne (F.), « Les juridictionsconstitutionnelles en Afrique », in Conac (G.), dir.,Les cours suprêmes en Afrique, T.II, Paris,Economica, 1989,p.3 ; Coulibaly (A.A.), « Larénovation de la justice constitutionnelle enAfrique : le rôle du juge dans la construction del’Etat de droit », RJPIC 1999, n°1,p.57 et s.17 Conac (G.), « Portrait d’un chef d’Etat »,Pouvoirs, 1983, n°25, p.121 et s. ; De Gaudusson(J. du B.), « Quel statut constitutionnel pour le chefd’Etat en Afrique ? », in Mélanges en l’honneur deGérard Conac, Le nouveau constitutionnalisme,Paris, Economica, 1996,p.329 et s.

Etats africains s’inspirent fortement18, unedistance voire un vide entre ce droit et le droitconstitutionnel. Le premier s’est ainsidéveloppé avec une continuité que le secondn’a pas connue19. En France, tout au long de laIIIème République20, il fut exclu que le jugeadministratif puisse se référer, en vue d’ysoumettre l’action administrative, à des normesconstitutionnelles21. C’est donc trèsnormalement que le Conseil d’Etat a étéconduit à déterminer et à consacrer lui-mêmeles principes devant régir l’administration ; cequ’il fait très remarquablement en s’inspirantnotamment de la Déclaration des droits del’homme et du citoyen de 1789 qui a été ainsiune « source matérielle » de sa jurisprudence22.Cette séparation, purement formelle, a pris fin,après quelques signes annonciateurs23, dans lesannées 199024 ; le juge administratif statuant

18 Voir entre autres: Ondoa (M.), « Le droitadministratif français en Afrique francophone :contribution à l’étude de la réception des droitsétrangers en droit interne », RJP, n°3, Septembre-Décembre, 2002, p.287 ; Lath (Y.S.), « Lescaractères du droit administratif des Etats africainsde succession française. Vers un droit administratifafricain francophone ? », RDP 2011, n°5, p.1255 ;Gonidec (P.F.), Les droits africains. Evolution etSources, Paris, 1976, LGDJ, Coll. « Bibliothèqueafricaine et malgache », 2ème éd.19 Vedel (G.), « Discontinuité du droitconstitutionnel et continuité du droit administratif :le rôle du juge », in Mélanges Marcel Waline, Paris,LGDJ, 1974, p.777.20 Période des plus importantes pour la formationdu droit administratif.21 Les lois constitutionnelles de 1875 étaientconsidérées comme de simples « lois deprocédure ».22 Voir « L’évolution de la production du droitadministratif », in Le droit administratif enmutation, Paris, PUF, CURRAP, 1993, p.175 et s.(6 études).23 C.E., Ass., 8 avril 1987, Peltier, Rec.128, concl.J. Massot ; RFDA 1987, p.608, note Pacteau ; C.E.,16 octobre 1987, Genessiaux, RFDA 1989, p.154,note Favoreu.24 C.E., 29 mai 1992, Association amicale desprofesseurs du Muséum national d’histoirenaturelle, Rec.855 ; C.E., Ass., 10 septembre 1992,Galland, Rec.342. Voir Favoreu (L.), « Dualité ouunité d’ordre juridique : Conseil constitutionnel etConseil d’Etat participent-ils de deux ordresjuridiques différents ? », in Conseil constitutionnelet Conseil d’Etat, Colloque de l’université Paris II,LGDJ, Montchrestien, 1998, p.145.

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désormais quand il y a lieu, sur le fondementmême des principes constitutionnels25.

Mais la justice constitutionnelle n’estpas, par principe, chargée de contrôler laconstitutionnalité des actes administratifs.Comme le mentionne la doctrine, certes lescontentieux dont elle est chargée apparaissent,à l’étude des divers systèmes, nombreux etvariés, à tel point que l’on serait enclin àconsidérer que certains d’entre eux neconcernent pas la justice constitutionnelle ;« mais ce serait se faire une fausse idée decelle-ci, car il y a cohérence entre les (quatre)contentieux (que sont) : veiller à l’authenticitédes manifestations de volonté du peuplesouverain ; vérifier le respect des perceptionsconstitutionnelles relatives aux répartitionshorizontale et verticale des pouvoirs ; enfinassurer la protection des droitsfondamentaux »26. En reconnaissant au jugeconstitutionnel la compétence de contrôler lerespect des droits fondamentauxconstitutionnels par l’administration, lesconstituants béninois et gabonais ont procédé àune « innovation singulière en Afrique »27,s’inspirant ainsi de leurs homologuesallemand28, autrichien29, espagnol30 et, dansune certaine mesure du constituant belge qui a

25 C.E., Ass., 30 octobre 1998, Sarran, Levacher etautres, GAJA, 15ème éd., n°106.26 Favoreu (L.), Gaïa (P.), et al., Droitconstitutionnel, Paris, Dalloz, 1998,p.245.27 Keutcha Tchapnga, « Le juge constitutionnel,juge administratif au Bénin et au Gabon ? », RFDC,2008, n°3, p.553.28 Voir Dittmann (A.), « Le recours constitutionnelen droit allemand », Les Cahiers du Conseilconstitutionnel, n°10.29 Voir Kucsko-Stadimayer, « Les recoursindividuels devant la Cour constitutionnel en droitconstitutionnel autrichien », Les Cahiers du Conseilconstitutionnel, n°10.30 Le tribunal constitutionnel espagnol protège lesdroits fondamentaux, non seulement par le biais ducontrôle des normes, mais sur un recours direct descitoyens lésés, à l’imitation du « recoursd’amparo » né dans le royaume d’Aragon etdéveloppé en Amérique latine. En effet, l’article 53-2 de la constitution de 1978 dispose que « Toutcitoyen pourra invoquer la protection des libertés etdroits reconnus devant les tribunaux ordinaires… età travers le recours d’amparo devant le tribunalconstitutionnel ». Le recours est ouvert contre lesactes des organes législatifs, administratifs etjudiciaires.

consacré, depuis la réforme de 1988-198931 ledroit de « toute personne physique ou moralejustifiant d’un intérêt » de saisir la Courd’arbitrage dans le cadre du contrôle abstrait32.

On peut néanmoins s’étonner del’utilisation par les constituants béninois etgabonais de concepts aussi divers que lesdroits fondamentaux33, les libertés publiques34

31 Rusen Ergec, « Un Etat fédéral en gestation : lesréformes institutionnelles belges de 1988-1989 »,RDP 1991, p.1593-1615.32 Voir Lewalle (P.), « La Cour constitutionnelle,juge de l’administration », in Mélanges enl’honneur de Francis Délpérée, Bruxelles,Bruylant, 2007.33 Expression d’origine allemande (art. 1 à 20 de laloi fondamentale de 1949) et acclimatée entre autresen France pour désigner l’ensemble des droits oulibertés proclamés aux niveaux constitutionnel ouinternational et garantis par des mécanismesjuridictionnels appropriés. L’approche est donc plusrestreinte que celle en termes de libertés publiques,qui sollicite largement le droit administratif ; plusque « fondamentale », elle est d’ailleurs« sommitale » en ce sens que les pouvoirsconstituants ou les Etats contractants ont entenduplacer certaines règles protectrices des libertés ausommet de la hiérarchie des normes et les mettreainsi à l’abri des contingences politiques (Debard(T.), Dictionnaire de droit constitutionnel, Paris,ellipses, coll. « Dictionnaires de droit », 2ème

éd.,p.158).34 Expression désignant l’ensemble des régimesjuridiques institués pour assurer la protection desdifférents aspects de la liberté. Sur le plan matériel,la notion de libertés publiques est assez difficile àcirconscrire, notamment parce que son contenu n’acessé de s’enrichir depuis le XVIII ème siècle. On yinclut sans conteste les libertés élémentaires de lapersonne : dignité de la personne humaine, libertéd’aller et venir, droit au respect de la vie privée,liberté d’opinion, droit de propriété, participation àla vie politique, économique ou sociale selon lesformes collectives (liberté syndicale,d’entreprendre, de faire la grève, demanifester,…),etc. Du point de vue des mécanismesde protection, pendant longtemps, en France parexemple, l’énoncé de la liberté s’est fait au niveaulégislatif ; sa garantie juridictionnelle émanaitprincipalement du Conseil d’Etat appelé le caséchéant à censurer les actes administratifscontraires à la loi. La juridiction judiciaire pouvaitquant à elle intervenir en tant que gardienne de laliberté individuelle. Depuis la constitution de 1958,la liberté est largement énoncée au niveau de laconstitution et sa garantie est donc assurée d’abordcontre le législateur par le juge constitutionnel.

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et les droits de l’homme35 pour désigner enréalité les droits fondamentaux contenus dansla constitution. Et, par « actes règlementaires »,il faut entendre toute décision générale etimpersonnelle de l’exécutif, des collectivitéslocales, des établissements publics ou de touteautre personne publique36, ainsi que desorganismes privés gérant un service public37 àl’instar des ordres professionnels et desfédérations sportives 38 ; ce qui exclut le actesnon règlementaires qui désigne, selon laterminologie du Conseil d’Etat39, une décisionqui n’édicte pas de règles, mais ne régit pasnon plus des situations individuelles40. Ilspeuvent prendre la forme de décret simple oudélibérés en conseil des ministres41, d’arrêté,

35 Expression affectée d’une juridicité variable, lesdroits de l’homme sont d’abord des principesphilosophiques proclamés dans les célèbresdéclarations de la fin du XVIIIème siècle (Voir Art.2 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789).A partir du moment où de tels droits sont énoncésdans de textes de valeur juridique indiscutable, ilsprennent toute leur portée juridique (constitution,convention, etc).36 Comme les groupements d’intérêt public (T.C.,14 février 2000, Mme Verdier, GAJA n°106).37 Ould Bouboutt (A.S.), « Les actes administratifsunilatéraux des organismes privés gérant un servicepublic administratif. Encore des propos sur l’arrêtHechter ! », in Mélanges en l’honneur de J.F.Lachaume, Le droit administratif : permanences etconvergences, Paris, Dalloz, 2007,p.793.38 C.E. Ass. 31 juillet 1942, Monpeurt, Rec.239 ;GAJA n° 53 ; C.E., Ass.,2 avril 1943, Bouguen,Rec.86 ; GAJA n° 54 ; C.E., 13 janvier 1961,Magnier, Rec.33 ; C.E., 22 novembre 1974,Fédération des industries françaises d’articles desport, Rec.576, concl.J. Théry ; D.1975, p.739, noteLachaume ; C.E., 7 décembre 1984, Centred’études marines avancées, RFDA 1985, p.381,Concl. O. Dutheillet de Lamothe, note Moderne.Voir :39 C.E., 10 mai 1968, Commune de Broves,Rec.297, Concl. O. Dutheillet de Lamothe ; C.E., 8janvier 1971, Urssaf des Alpes-Maritimes, Rec.11 ;C.E., 30 novembre 1990, Association Les Verts,RFDA 1991, p.571, Concl. Pochard.40 C’est la « décision particulière », synonyme de« décision d’espèce » (Chapus), comme ladéclaration d’utilité publique. Ni règlementaire, niindividuelle, cette décision s’applique à unesituation ou une opération particulière, mais peutatteindre un ensemble indéterminé de personnes(Voir : Poirot-Mazères (I.), « Les décisionsd’espèces », RDP 1992, p.443).41 Massot (J.), « Les catégories de décretsrèglementaires : critère matériel et critère formel »,

de circulaire impérative42, de directive43,d’ordonnance44 ou toute autre forme commepar exemple un acte du président d’unechambre parlementaire45, puisque les textesconstitutionnels considérés visent les« actes »46 présumés inconstitutionnels.

Dans ces conditions, de quelle manièreles juges constitutionnels béninois et gabonaisexercent-ils leur mission de gardien de laconstitutionnalité des actes règlementairesattentatoires aux droits fondamentauxconstitutionnels ? En confiant ainsi au jugeconstitutionnel une telle mission, n’aboutit-onpas à la dénaturation des droits des contentieuxconstitutionnel et administratif ? Peut-onparvenir à une efficacité du jugeconstitutionnel dans la mise en œuvre d’uncontentieux qui lui est traditionnellementétranger ? Quels types de rapports les jugesconstitutionnel et administratif entretiennent-ils dans ces deux Etats ? Sont-ils hiérarchiques,concurrentiels ou complémentaires ? Il s’agiten somme d’analyser le droit du contentieuxadministratif de ces Etats au prisme du juge

in Mélanges en l’honneur de Pierre Avril, LaRépublique, Paris, Montchrestien, 2001, p.363.42 C.E., 18 décembre 2002, Mme Duvignères,Rec.463 ; GAJA n° 112. En l’espèce le juge aconsidéré que « les dispositions impératives àcaractère général d’une circulaire ou d’uneinstruction doivent être regardées comme faisantgrief ». Le Commissaire du gouvernement Tricot,dans ses conclusions dans l’arrêt Institution Notre-Dame du Kreisker, disait que « la circulaire est unpavillon qui peut recouvrir toutes sortes demarchandises : ordres du jour, conseil,recommandations, directives d’organisation et defonctionnement, règles de droit… » (C.E., 29janvier 1954, RDP 1955, p.175, note Waline).43 C.E., 11 décembre 1970, Crédit foncier deFrance, Rec.750 ; GAJA n°85. En l’espèce, leConseil d’Etat avait admis que la commissionnationale d’amélioration de l’habitat avait pu pardes « directives », défnir les normes au regarddesquelles seraient prises les décisions du Fondsnational d’amélioration de l’habitat.44 Portelli (H.), « Les ordonnances : les raisonsd’une dérive », Droits, 2007, n°44.45 Voir II-B, 1.46 Du latin actus (action, mouvement) le mot acte aplusieurs sens mais on peut retenir qu’ « est un actejuridique toute manifestation ou opération de lavolonté destinée à produire des conséquencesjuridiques » (Cornu (G), Vocabulaire juridique,Paris, PUF, 2007).

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constitutionnel. Du point de vue théorique, aumoment où l’on critique la trop grande parentéformelle du droit des Etats africainsfrancophones au droit français47, il estintéressant d’étudier une réformeconstitutionnelle africaine qui trouve sessources intellectuelles en dehors de l’espacefrancophone. Pratiquement, cette analyse tendà conclure, malgré quelques difficultés, àl’unité du droit.

Il apparaît qu’après avoireffectivement contribuer à abolir la puissancesouveraine et infaillible de la loi, le jugeconstitutionnel empêche désormaisquotidiennement que le pouvoir règlementaire,en raison de l’inefficacité de la justiceadministrative, « devienne à son tour le vecteurd’un nouvel absolutisme de l’exécutif au Béninet au Gabon. Un tel progrès du droit étaitinvraisemblable dans les deux pays il y a (deuxdécennies)»48. On constate aussi, dans les deuxpays, une volonté marquée du jugeconstitutionnel d’être en phase avec lespréoccupations de la société et un soucimanifeste de rendre ses activités plus visibles,notamment grâce à une large couverturemédiatique qui est constamment faites de sesdécisions49 ; ce qui donne une image négativedu juge administratif qui, curieusement semble

47 Voir par exemple : Lath (Y.S.), « Les caractèresdu droit administratif des Etats africains desuccession française. Vers un droit administratifafricain francophone ? », RDP 2011, précité ;Koubi (G.), Kodjo-Grundvaux (S.), Droit etcolonisation, Bruxelles, Bruylant, 2005 ; Kanté(B.), Unité de juridiction et droit administratif :l’exemple du Sénégal, Thèse, Orléans, 1983 ;Kamto (M.), Droit administratif processuel duCameroun, P.U.C., 1990 ; Gaudemet (Y.),« L’exportation du droit administratif français.Brèves remarques en forme de paradoxe » inMélanges en l’honneur de Philippe Ardant, Paris,LGDJ, 1999, p.432 ; Darbon (D.), « A qui profitele mime ? Le mimétisme institutionnel confronté àses représentations en Afrique », in Meny (Y.), dir.,Les politiques du mimétisme institutionnel. Lagreffe et le rejet, Paris, L’Harmattan, 1993, p.13.48 48 Keutcha Tchapnga, « Le juge constitutionnel,juge administratif au Bénin et au Gabon ? », précité,p.553.49 La plupart des décisions des jugesconstitutionnels béninois et gabonais sontrégulièrement publiés soit dans des recueils soit surinternet (voir par exemple le site de l’ACCPUF :www.accpuf.org).

s’y complaire. Cette place primordialedésormais occupée par le juge constitutionnelest aisément compréhensible : sa«jurisprudence produit un effetd’accroissement de visibilité des droitsfondamentaux en leur donnant véritablementcorps et l’interprétation qu’il dégage anaturellement vocation à imprégner l’ensembledes raisonnements des diverses juridictions, enraison de l’autorité attachée à ses décisions »50.

Mais les deux juridictionsconstitutionnelles considérées n’ont pas lamême attitude dans ce type de contentieux (I) ;et, le contrôle des actes règlementaires par unjuge constitutionnel ne peut qu’entraîner desconséquences logiques (II).

I. - DEUX ATTITUDES CONTRASTEES

Les deux attitudes sont à la foissaisissantes et opposées : alors que la courconstitutionnelle gabonaise statueeffectivement comme juge administratif, celledu Bénin fait preuve de frilosité en ne cessantde rappeler, sans convaincre, qu’elle est « jugede la constitutionnalité et non de la légalité desactes règlementaires ». Ainsi, dans lerèglement du contentieux des actesrèglementaires par un juge constitutionnel,l’ « hardiesse occasionnelle»51 ne vient pas duBénin comme on pourrait, a priori, le penser ;le juge constitutionnel gabonais lui a volé lavedette en faisant preuve d’audace.

A) La paradoxale frilosité du jugeconstitutionnel béninois

On sait que les textes, constitutionnelset organiques, mais aussi la jurisprudence,définissent et complètent sans cesse les

50 Morales, « La protection juridictionnelle desdroits fondamentaux : révélation d’une ententeconceptuelle », Communication au VIème Congrèsfrançais de droit constitutionnel, Montpellier, 9, 10,et 11 juin 2005, Atelier n°2 : Le renouveau du droitconstitutionnel par les droits fondamentaux, p.8.51 Kamto (M.), « Charte africaine, instrumentsinternationaux de protection des droits de l’homme,constitutions nationales : articulationsrespectives »,in Flauss(J.-F), Lambert-Abdelgawad(E.), dir., L’application nationale de la Charteafricaine des droits de l’homme et des peuples,Bruxelles, Bruylant, 2004,p.41.

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principes du contentieux constitutionnelrelatifs aux instruments du contrôle de laconstitutionalité des lois et à son domaine.Mais le droit constitutionnel devientessentiellement jurisprudentiel52 ; ce quisignifie que le juge constitutionnel, au gré desaffaires dont il est saisi, « dit » le droit, sansprétention de répondre à une théorie, ou d’enconstruire une par ces décisions. Sa« jurisprudence est avant tout pragmatique »53.Dans ces conditions, il est difficile de parler del’existence d’une « grande politiquejurisprudentielle constitutionnelle »54

constituée, selon la définition de Léo Hamon,de l’activité « par laquelle le juge use de sonpouvoir d’appréciation et de rédaction desmotifs de sa décision afin de voir assumercertaines positions, voire certains rôles àl’instance à laquelle il appartient »55.

1. Une frilosité constatée

En matière administrative, la Courconstitutionnelle béninoise a déjà annuléplusieurs actes administratifs. Ainsi, dans ladécision DCC 03-90 du 28 mai 2003, la Courconstitutionnelle a annulé le décret n° 94-9 du25 janvier 1994 portant destitution de graded’un officier des Forces Armées AériennesBéninoises. En l’espèce, par lettren° 196/93/FA/dpe du 10 mars 1993, lecommandant des Forces Aériennes acommuniqué au Chef d’Etat major des Arméesune liste de 4 personnes déclaréesindisponibles des Forces Armées pourdésertion et contre lesquelles « des projets dedécision de radiation ont été élaborés ». Lesdits projets de décision sont restés sans suite,sauf en ce qui concerne M. Olivier MahoudoFassinou matérialisé par le décret querellé.Devant la Cour, le requérant soutient que cedécret viole à la fois les articles 26 de laconstitution et 3 de la Charte Africaine des

droits de l’homme et des Peuples56, en créantune discrimination entre lui et certains de sescollègues. La Cour répond « qu’il est établique, s’agissant des mêmes fautes, absenceillégale du corps et résidence à l’étranger sansautorisation, imputées à une même catégoriede personnels militaires régis par la même loi,il a été fait au requérant un traitementdifférent ; qu’il y a lieude dire et juger que le décret n° 94-9 du 25janvier 1994 portant radiation du lieutenantOlivier Mahoudo Fassinou est contraire à laconstitution et à la Charte africaine des droitsde l’homme et des peuples » 57. Dans cetteoptique, elle a annulé un arrêté qui violait lemême principe d’égalité, en expliquant quecette égalité « s’analyse comme une règleselon laquelle les personnes relevant de lamême catégorie doivent être soumises aumême traitement sans discrimination »58.

Dans la décision du 18 avril 1994, laCour avait été saisie par M. Ahossi ComlanBasile de l’inconstitutionnalité de l’arrêtéinterministériel n° 93-068/MFPRA/MFC/DCdu 4 août 1993 portant fixation des modalitéset programmes du test de sélection despréposés des douanes. Pour rendre sa décision,elle constate d’abord le caractère règlementairede l’acte. La Cour constate en effet que« l’arrêté querellé, par ses dispositions à portéegénérale, est un acte règlementaire qui justifieson contrôle en constitutionnalité ». Elledécida par suite « qu’en limitant comme il l’afait, aux seuls agents en service dans leministère des finances, l’accès audit test,l’arrêté critiqué pose une mesurediscriminatoire non conforme à laconstitution ». Dans une autre, elle futdirectement saisie par MM. Gnahon Claude etAlimagnidokpo Léopold, élèves Agents desForces Armées de Sécurité Publique, contre lerefus du Directeur Général de la PoliceNationale d’exécuter les instructions duministre de l’Intérieur, de la Sécurité et de

52 Dominique Rousseau qualifie d’ailleurs laconstitution de « charte jurisprudentielle des droitset libertés », in Droit du contentieuxconstitutionnel, Paris, Montchrestien,Coll. « Domat Droit public », 1993, 3ème éd., p.327-355.53 Ibid., p.197.54 Ibid.55 Hamon (L.), Les juges de la loi, Paris, Fayard,1987, p.167.

56 « L’Etat assure à tous l’égalité devant la loi sansdistinction d’origine, de race, de sexe, de religion,d’opinion politique ou de position sociale » (art.26).« Toutes les personnes bénéficient d’une totaleégalité devant la loi » (article 3 de la Charte).57 Décision DCC 03-90 du 28 mai 2003, Recueildes décisions et avis de la Cour constitutionnelle,2004, p.369.58Décision DCC 96-025 du 2 mai 1996 ; DécisionDCC 96-026 du même jour.

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l’Administration du Territoire. La Cour, danssa décision DCC 96-02 des 26 février et 27mai 1996 décida que « le refus du DirecteurGénéral de la Police Nationale d’exécuter lesinstructions est contraire à l’article 35 de laconstitution »59.

La Cour constitutionnelle estconsciente toutefois qu’elle a une compétenced’attributions. Ainsi, elle ne cesse de répéter,sans d’ailleurs convaincre, qu’elle n’est pasjuge de la légalité des actes administratifs, aumême titre que le juge administratif ordinaire.La Cour fut saisie par le sieur Souza Sergepour faire reconnaître son droit de propriété surune parcelle de terrain illégalement occupé parM. Guedegue. Ce dernier avait « usé de sesrelations occultes pour obtenir un arrêtépréfectoral lui attribuant la même parcelle » ;or un jugement ayant acquis l’autorité de lachose jugée l’attribuait au sieur Souza Serge.La Cour juge « qu’il résulte de l’analyse desdifférents éléments du dossier que le requérantne fait état d’aucune expropriation pour caused’utilité publique, mais plutôt qu’un conflitdomanial entre privés ; qu’un tel litige relèvedu domaine de la légalité ; qu’il échet donc dedire et juger que la Cour constitutionnelle, jugede la constitutionnalité et non de la légalité estincompétente pour en connaître »60. Dans uneautre affaire, elle a considéré « que ladétermination de la nature et du niveau de laqualification requise pour un emploi de l’Etatrésulte de l’application des règles du StatutGénéral des Agents Permanents de l’Etat ;qu’il résulte de l’appréciation de la décision duMinistre de la fonction Publique et de laRéforme Administrative fixant les conditionsde participation au test de recrutement relèvedu contrôle de légalité ; que la Cour

59Article 35 : « Les citoyens chargés d’une fonctionpublique ou élus à une fonction politique ont ledevoir de l’accomplir avec conscience, compétence,probité, dévouement et loyauté dans l’intérêt et lerespect du bien commun ». Elle a aussi annulé unedécision du Président de la République refusant ladémission du médecin Lieutenant-colonel SouléDankoro qui souhaitait se présenter aux électionslégislatives (Décision DCC 95-047 du 28 mars1995).60Décision DCC 03-008 du février 2003, Rec.précité, p. 41. Voir également, Décision DCC 96-049 du 12 août 1996, à propos de la légalité d’unarrêté.

constitutionnelle, juge de la constitutionnaliténe saurait en connaître »61.

Dans l’affaire Ayato Ahoudjèzo, elle ajugé que « la requête d’un citoyen qui tend enréalité à faire contrôler par la Courconstitutionnelle la conformité à la loi del’enregistrement d’un parti politique relève ducontrôle de légalité dont la Courconstitutionnelle, juge de la constitutionnalité,ne saurait connaître »62. Cette attitude faitirrésistiblement penser à celle du Conseilconstitutionnel français qui ne cesse de répéter« que l’article 61 de la constitution ne confèrepas au conseil constitutionnel un pouvoirgénéral d’appréciation et de décision identiqueà celui du parlement, mais lui donne seulementcompétence pour se prononcer sur laconformité à la constitution des lois déférées àson examen »63. Mais un tel raisonnement nepeut être satisfaisant.

2. Une frilosité critiquable

Il est difficile de considérer quel’exercice assuré par le juge constitutionnelbéninois ne constitue pas un « contrôle delégalité ». Certes la loi fondamentale de 1990n’utilise pas cette expression, préférant celle de« contrôle de constitutionnalité » ; mais le« contrôle de légalité » ne s’analyse passeulement par rapport à la norme de référencequ’est la loi. On peut considérer quel’appréciation de la régularité d’un acteadministratif par rapport à la constitution estégalement un contrôle de légalité. En France,la Haute Assemblée elle-même n’hésite pas decontrôler la régularité d’un acte administratifpar rapport à la constitution ; ainsi dans l’arrêtKoné il a contrôlé la conformité d’un décretd’extradition à un principe fondamentalreconnu par les lois de la république selonlequel l’Etat doit refuser l’extradition d’unétranger lorsqu’elle est demandée dans un but

61 Décision DCC 03-13 du 19 février 2003, Rec.précité, p.63.62 Décision DCC 03-019 du 19 février 2003, Rec.précité, p.89 ; voir également Décision DCC 03-016 du même jour, RADJI-ALI O. Habib, Rec.Précité, p.77.63 Formule apparue pour la première fois dans ladécision n°74-54 DC du 15 janvier 1975, IVG,Rec.19 et reprise depuis lors.

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politique64. Les professeurs De Villiers et LeDivellec qualifient même ce type de contrôlede « contentieux constitutionnel » au sens oùcelui-ci « peut être ainsi défini commel’ensemble des litiges liés à l’application de laconstitution et donnant lieu à des prétentionsopposées »65. Ils précisent que ce n’est que par« habitudes » qu’on ne considère que comme« contentieux constitutionnel » l’ensemble desrègles d’organisation, de compétence et deprocédure de certaines institutions au caractèrejuridictionnel fortement marqué66.

Des doutes peuvent donc être émisquant à cette frilosité du juge constitutionnelbéninois. Tout d’abord, dans certaines affaires,on a l’impression qu’elle vise une dispositionconstitutionnelle juste pour donner uneapparence de contrôle de constitutionalité telque prévu par l’alinéa 2 de l’article 121 de laconstitution. Il en est ainsi, par exemple, dansl’affaire ADAGBE dans laquelle le requérantalléguait un cas de violation des droits del’homme : une discrimination par rapport à sescollègues de promotion de l’armée. Enl’espèce, le juge constitutionnel béninoisestime « qu’à l’appui (des) dires (du requérant)le Ministre a fourni une copie de la liste deséléments de la classe 95/1 par département, parordre de mérite et par bataillon » ; qu’il ressortdes éléments du dossier que le requérant n’estpas victime d’une mesure discriminatoirecomme il prétend ; qu’en conséquence, il n’y apas violation de l’article 26 de laconstitution »67. Le raisonnement du juge estcurieux : la décision n’indique pas le texte quiimpose le classement des éléments « pardépartement, par ordre de mérite et parbataillon » sur lequel le ministre s’est appuyé.Dans tous les cas cette règle ne figure pas dansla constitution.

Dans l’affaire BOSSOU Moïse, elle nepouvait analyser la légalité de l’arrêtén°260/MISAT/DDC/DAI/SAAP du 22novembre 1993 portant conditions et modalitésd’enregistrement des associations que par

rapport à la du 1er juillet 1901. Dans cet arrêté,le Ministre de l’Intérieur et de l’Administrationdu Territoire avait décidé « qu’il ne seraenregistrée qu’une seule association dedéveloppement par entité administrative »,« qu’une association régulièrement déclaréepeut obtenir son titre d’enregistrement aprèsenquête de moralité », que « les associationsauxquelles l’autorisation est refusée ou retiréedoivent cesser immédiatement leurs activitéset procéder à la liquidation de leurs biens dansle délai d’un mois à compter de la date denotification de la décision en se conformantaux dispositions de leurs statuts et à la loi du1er juillet 1901 ». La Cour constitutionnelle,après avoir visé les articles 25 et 98 et laCharte Africaine des Droits de l’Homme et desPeuples68, considère « que les conditions etmodalités d’exercice que le Ministre del’Intérieur et de l’Administration du Territoirepourrait décider dans le cadre del’enregistrement des associations doivent seconformer aux prescriptions de la loi ; qu’ils’ensuit que l’arrêté querellé viole laconstitution 69». Elle dit bien que l’arrêté « aempiété sur le domaine réservé à la loi » 70.

Cette frilosité du juge constitutionnelbéninois en matière administrative contrasteavec ses célèbres hardiesses occasionnelles 71

dans le contentieux relatif aux principesd’organisation institutionnelle de laRépublique et à celui lié au contrôle de ladistribution constitutionnelle des pouvoirs. Ilsuffit de rappeler qu’en 2006 elle avait faitéchec à un projet de révision constitutionnelleen se fondant sur la nécessité de respecter « leconsensus national » qui a prévalu lors de laconférence nationale de 1990. Elle l’a érigéeen principe à valeur constitutionnelle :« Considérant qu’au terme de l’article 80 de laconstitution du 11 décembre 1990, les députéssont élus au suffrage universel direct, la duréedu mandat est de 4 ans. Ils sont rééligibles.Chaque député est le représentant de la nationtout entière. Considérant que ce mandat de 4

64 C.E.,Ass., 3 juillet 1996, Rec.255 ; GAJA n°99 ;RFDA 1996,p.882, notes Favoreu, Gaïa, Labayle.65 Dictionnaire du droit constitutionnel, Paris,Sirey, 7ème éd., p.81.66 Ibid.67 Décision DCC 03-014 du 19 février 2003, Rec.précité, p.67.

68 Ces dispositions sont relatives au domaine de laloi.69 Décision DCC 16-94 du 27 mai 1994, Rec.précité, p.59.70 Considérant 3.71 Aivo (F.J.), Le juge constitutionnel et l’Etat dedroit en Afrique. L’exemple du modèle béninois,Paris, L’Harmattan, 2006.

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ans qui est une situation constitutionnellementétablie est le résultat du consensus nationaldégagé par la conférence des forces vives de lanation de février 1990 et consacré par laconstitution en son préambule qui réaffirmel’opposition fondamentale du Peuple béninoisà la confiscation du pouvoir ; que même si laconstitution a prévu les modalités de sa proprerévision, la détermination du Peuple béninois àcréer un Etat de droit et de démocratiepluraliste, la sauvegarde de la sécuritéjuridique et de la cohésion nationalecommandent que toute révision tienne comptedes idéaux qui ont présidé à l’adoption de laconstitution du 11 décembre 1990 et puis leconsensus national principe à valeurconstitutionnelle. Qu’en conséquence, lesarticles 1er et 2 de la loi portant révision de laconstitution n° 2006/13 adoptée parl’Assemblée nationale le 23 juin 2006 sansrespecter le principe constitutionnel à valeurrappelée sont contraires à la constitution»72.Selon M. Madior Fall , la Cour aurait joué lerôle de rempart dans un moment où le systèmedémocratique (béninois était) susceptible d’êtreen péril ; cette décision « restera gravée dansles annales de la jurisprudenceconstitutionnelle universelle »73.

Or comme on le sait, il est inhabituelqu’une juridiction constitutionnelle se déclarecompétente pour contrôler la constitutionnalitéd’une loi constitutionnelle74 ; ce qui a conduitM. Aivo à se demander « si elle n’en fait pastrop…ne va pas trop loin…n’abuse pas de sa

72 Décision n°06-74 du 13 juillet 2006.73 Fall (I.M.), Evolution constitutionnelle duSénégal. De la veille de l’indépendance auxélections de 2007, Université Cheikh Anta Diop,Dakar, coll. « CREDILA », 2007,p.159-160.74 Pactet (P.), « Le Conseil constitutionnel etl’œuvre constituante », in MélangesFavoreu,précité,,p.1373 ; Vedel (G.), Manuelélémentaire du droit constitutionnel, Paris, Sirey,1949,p117 ; Troper (M.), « La logique de lajustification du contrôle de constitutionnalité deslois», in Mélanges Pierre Pactet, Paris, Dalloz,2003,p.911 ; Kanté (B.), « Les méthodes ettechniques d’interprétation de la constitution :l’exemple des pays d’Afrique noire francophone »,in Mélin-Soucramanien (F.), dir., L’interprétationconstitutionnelle, Paris, Dalloz, 2005,p.165 ;Behrendt (C.), « Quelques réflexions sur l’activitédu juge constitutionnel comme législateur-cadre »,Rev. de la Faculté de droit de l’Université de Liège,2006, n°1-2,p.9.

position »75. La réponse est en tout cas positivepour le juge constitutionnel gabonais.

B) L’audace du juge constitutionnelgabonais

Le contrôle de constitutionnalité desactes règlementaires par la Courconstitutionnelle gabonaise ne se limite plus àceux censés porter atteinte aux droitsfondamentaux de la personne humaine et auxlibertés publiques reconnues par l’article 84 dela constitution. Sa jurisprudence fait apparaitreune volonté de contrôler tous les actesrèglementaires, y compris ceux n’ayant aucuncaractère de droits fondamentauxconstitutionnels76.

1. La fusion

Cette jurisprudence commence demanière implicite dans une décision du 28janvier 199377 : saisie pour vérifier laconformité à la constitution du décretn° 2056/PR/MDNSI du 27 novembre 1992fixant les modalités de délivrance et derenouvellement de la carte nationale d’identité,la Cour constitutionnelle gabonaise annule lesarticles 9, 10 et 11 de ce texte au motif qu’ilsviolent « le principe de la légalitérépublicaine ».

La Cour ne définit cependant pas cettenotion énoncée dans le préambule de laconstitution qui dispose que « le peuplegabonais…animé par la volonté… d’organiserla vie commune d’après les principes de lasouveraineté nationale, de la pluralitédémocratique, de la justice sociale et de lalégalité républicaine ». Il faut souligner qu’enFrance, le principe de la légalité républicainerenvoie à un Etat dans lequel les pouvoirspublics et les particuliers sont soumis aurespect du droit. Appliqué dans le cadre

75 Aivo (F.J.), Le juge constitutionnel et l’Etat dedroit en Afrique. L’exemple du modèle béninois,précité.76 Ondoua (J.Z.), « La répartition du contentieuxdes actes juridiques entre les juges constitutionnelet administratif au Gabon », Afrique Juridique etPolitique, La Revue du CRDIP, Vol.3, n°1 et 2,Janvier-Décembre 2008, p.93.77 Décision n°2/93/CC du 28 janvier 1993, Rec. desdécisions et avis, 1992-1995, p.93.

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constitutionnel gabonais, « la mission deveiller au respect de la légalité républicaine,c’est-à-dire à l’Etat de droit, n’est pas confiéeau seul juge constitutionnel. Cette mission estégalement, dans leur domaine de compétencerespectif, du ressort des juridictions des ordresjudiciaire, administratif et financier »78. Maiscette situation classe le droit gabonais, selon ledoyen Vedel, parmi « les droits primitifs ».Pour lui en effet, le fait pour un Etat de sepréoccuper du système de répartition descompétences témoigne que son « droitadministratif est à certains égards un droitencore primitif ». En effet, « l’importance et lacomplexité des questions de compétencejuridictionnelle rattachent le droit administratifaux droits insuffisamment évolués. C’est dansles droits primitifs que l’on centre l’attentionsur le point de savoir quel juge sera saisi etcomment. Un droit perfectionné attache plusd’importance au fond des litiges qu’auxcomplications de compétence »79.

La Cour constitutionnelle est plusexplicite dans une affaire de 1994 danslaquelle elle invalide l’article 35 de la loiorganique n° 10/94 du 17 septembre 1994 surla Cour administrative qui attribue à cettedernière les recours pour excès de pouvoirformés contre les actes règlementaires : elles’attribue, sans exclusive, « le contrôle de larégularité des actes règlementaires »80. Cettejurisprudence est confirmée deux ans après81

au point d’être consacrée82. Comme le constateM. Zeh Ondoua, « depuis cette orientationjurisprudentielle insolite, la Cour agit commesi le constituant lui avait attribué le contrôle dela régularité juridique de tous les actes

règlementaires, sans exception »83. On n’estpas loin de l’esprit de l’arrêt Dame Lamotte duConseil d’Etat français dans lequel le jugeadministratif a jugé que « le recours pour excèsde pouvoir (…) est ouvert même sans textecontre tout acte administratif, et qu’il a poureffet d’assurer (…) le respect de la légalité »84.Mais c’est surtout la confirmation de ce quedisait Guillaume Drago : « le champd’application du contrôle de conformité à laconstitution ne connaît pas d’autres bornes quecelles que le (juge constitutionnel) définit lui-même »85 ; confirmant par-là les propos dudoyen Vedel : le juge constitutionnel se sertnon seulement de la gomme mais également ducrayon.

La signification donnée à l’article 35de la loi organique sur la Courconstitutionnelle gabonaise participe, selon M.Zeh Ondoua, « également de la volonté decette dernière de s’octroyer le contrôle desactes règlementaires qui sont de la compétencedes juridictions administratives ». Le jugeconstitutionnel gabonais s’est même dégagé dela contrainte posée par cet article selon laquelleles actes règlementaires censés porter atteinteaux droits fondamentaux constitutionnels sontdéférés devant lui « dans le mois de leurpublication ». En d’autres termes, tout recoursqui serait dirigé hors ce délai serait en principeirrecevable. Mais la Cour a jugé qu’ « enl’absence de la publication dans les règles de(l’acte règlementaire litigieux), les délais derecours prescrits par la loi pour saisir la Courconstitutionnelle restent ouverts »86.

78 Ondoua (J.Z.), « La répartition du contentieuxdes actes juridiques entre les juges constitutionnelet administratif au Gabon », précité, p.93.79 Vedel (G.), Droit administratif, Paris, PUF,Coll. « Thémis », 1980,p.110.80 Décision n°6/94/CC du 15 septembre 1994, Rec.des décisions et avis, 1992-1995, p.217.81 Décision n°9/96/CC du 3 mai 1996, Rec. desdécisions et avis, 1996, p.33.82 Décision n°8/CC du 17 avril 2001, Herdoinformations, n°439 du 26 mai 2001,p.82 ; Décisionn°10/CC du 29 juin 2001, Herdo informations, n°14du 28 juillet 2001,p.116 ; Décision n°144/CC du 28octobre 2002, Herdo informations, n°464 du 28septembre 2002,p.225.

83 Ondoua (J.Z.), « La répartition du contentieuxdes actes juridiques entre les juges constitutionnelet administratif au Gabon », Afrique Juridique etPolitique, La Revue du CRDIP, précité, p.93.84 C.E., Ass. 17 février 1950, Ministre del’Agriculture c/ Dame Lamotte, Rec.110 ; RDP1951, p.478, concl. J. Delvolvé, note M. Waline ;GAJA, n° 62.85 « Le contentieux constitutionnel des lois,contentieux d’ordre public par nature », inMélanges Drogo, précité, p.10.86 Décision n°8/CC du 17 avril 2001, précité ;Décision n°10/CC du 29 juin 2001 ; Voir BadengaLendoye (R.), « Le défaut de publication d’un acterèglementaire devant la cour constitutionnelle »,Afrique Juridique et Politique, La Revue duCRDIP, vol.2, janvier-juin 2003,p.173-179.

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2. La confusion

Cette interprétation de cet article 35 dela loi organique la concernant « est d’autantplus déroutante qu’en matière de contentieuxde constitutionnalité et de légalité des actesrèglementaires, la forclusion n’est pasinsurmontable »87. Le requérant forclos, pourn’avoir pas saisi le juge constitutionnel dans lemois de publication d’un acte règlementaire,peut en effet, si cet acte lui est opposé àl’occasion d’un procès devant une juridictionordinaire, exciper de l’exceptiond’inconstitutionnalité. Il suffit de rappeler quel’article 86 de la constitution gabonaise disposeque « tout justiciable peut, à l’occasion d’unprocès devant un tribunal ordinaire, souleverl’exception d’inconstitutionnalité à l’encontred’une loi ou d’un acte règlementaire quiméconnaitrait ses droits fondamentaux. Le jugedu siège saisi la Cour constitutionnelle par voied’exception préjudicielle ». De même, devantle juge administratif, lorsqu’il existe un lien deconnexité entre un règlement de base et lamesure d’application de ce règlement, lerequérant peut, lors d’un recours enappréciation de la légalité de la seconde,soulever à l’encontre du premier l’exceptiond’illégalité alors que les délais de recours poursa contestation sont échus. En matière derecours pour excès de pouvoir en effet,l’exception tirée de l’illégalité d’un acterèglementaire non attaqué en temps utile estperpétuelle, c’est-à-dire qu’elle peut êtreévoquée à tout moment à l’occasion d’unrecours contre toute mesure ultérieureappliquant l’acte règlementaire considéré88.Affranchi de la répartition constitutionnelle ducontentieux des actes règlementaires telle quevoulue par le constituant, ainsi que desconditions de recevabilité des recours yafférents, le juge constitutionnel gabonais« reçoit désormais, sans exception et à toutmoment, les recours formés contre tous lesactes règlementaires »89 ; faisant ainsi penser

87 Ondoua (J.Z.), « La répartition du contentieuxdes actes juridiques entre les juges constitutionnelet administratif au Gabon », Afrique Juridique etPolitique, La Revue du CRDIP, précité, p.95.88 Chapus (R.), Droit administratif général, T.I.,précité, p.767.89 Ondoua (J.Z.), « La répartition du contentieuxdes actes juridiques entre les juges constitutionnelet administratif au Gabon », Afrique Juridique etPolitique, La Revue du CRDIP, précité, p.95.

aux « spectres du gouvernement des juges »90,notamment lorsqu’on sait que cette Cour avaitdécouvert des objectifs à valeurconstitutionnelle au nombre desquels figurent« l’applicabilité et la lisibilité de la loi » 91. Oron sait qu’il s’agit là d’ « une catégoriejuridique introuvable »92.

On sait aussi que dans la doctrineconstitutionnelle « le concept de gouvernementdes juges stricto sensu est employé à proposdes seuls juges constitutionnels, dès qu’ilsexercent le pouvoir législatif »93, comme celasemble être le cas au Gabon. Ainsi, EdouardLambert cite d’ailleurs la formule de l’évêqueHoadley, souvent invoquée par les réalistesaméricains : « quand quelqu’un a une autoritéabsolue pour interpréter des lois écrites ouorales, c’est lui qui est en réalité le législateur àtous égards et à toutes fins, et non pas lapersonne qui la première les a écrites ouprononcées »94. Charles Eisenmann ne dit pasautre chose : « Si le juge pouvait en faiténoncer lui-même les principes applicables, legouvernement des juges se substituerait au

90 Troper (M.), « Le bon usage des spectres dugouvernement des juges au gouvernement par lesjuges », in Mélanges en l’honneur de GérardConac, Le nouveau constitutionnalisme, Paris,Economica, 2001,p.49.L’expression « gouvernement des juges » vient desUSA (Voir Stone, Seidman, Sunstein, Tushnet,Constitutional Law, Boston, Toronto, Little, Brownand Company, 2ème éd., 1991). Elle a été introduiteen France par Edouard Lambert, qui la fait figurerdans le titre même de son ouvrage. Il qualifie ainsila Cour suprême des Etats-Unis (Lambert (E.), Legouvernement des juges et la lutte contre lalégislation sociale aux Etats-Unis ; l’expressionaméricaine du contrôle judiciaire de laconstitutionnalité des lois, Paris, Giard, 1921).91 Décision n°3/CC du 27 février 2004, AfriqueJuridique et Politique, La revue du CERDIP, vol.2,n°2, Juillet-décembre 2006, p.148, note EssonoOvono.92 Levade (A.), « Les objectifs à valeurconstitutionnelle, vingt ans après. Réflexions surune catégorie juridique introuvable », in Mélangesen l’honneur de Pierre Pactet, Paris, Dalloz, 2003,p.687.93 Troper (M.), « Le bon usage des spectres dugouvernement des juges au gouvernement par lesjuges », précité, p.53.94 Lambert (E.), Le gouvernement des juges et lalutte contre la législation sociale aux Etats-Unis ;l’expression américaine du contrôle judiciaire de laconstitutionnalité des lois, précité, p.58.

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gouvernement du législateur. Sous uneapparence usurpée de justice et de la règle dedroit, ce serait en réalité le subjectivisme leplus désordonné : le droit naturel auraitretrouvé son paradis »95 ; entrainantlogiquement certaines conséquences.

II. - DEUX CONSEQUENCESLOGIQUES

Le contrôle par le juge constitutionnelafricain des actes règlementaires induit deuxconséquences au moins : la première est qu’onne peut plus affirmer, comme à la fin du 18ème

siècle, que « juger l’administration c’est encoreadministrer »96 ; ce type d’actes del’administration étant désormais susceptiblesd’annulation par le juge constitutionnel qui,historiquement, n’a jamais été considérécomme un « administrateur ». La secondeconsiste à déduire que ces réformes africainescréent, du point de vue matériel, une nouvellecatégorie de « juge administratif », à côté deceux à compétence générale97 et à compétencespécialisé98.

A) Juger l’administration n’est pasnécessairement administrer

Pour mieux comprendre l’évolutioninstitutionnelle connue par les deux Etatsafricains, il est impérieux de revisiter etd’interroger l’histoire du droit administratif

95 Cité par Léo Hamon, Les juges de la loi.Naissance et rôle d’un contre-pouvoir : le conseilconstitutionnel, Paris, Fayard, 1987, p.281.96 L’ensemble des travaux contenus dans lesMélanges en l’honneur de Daniel Labetoulle, Jugerl’administration, administrer la justice (Paris,Dalloz, 2007) semble d’ailleurs confirmer cetteanalyse (voir notamment l’article de Yves Jegouzo,« A propos de la fonction consultative du Conseild’Etat », p.505 et s.).97 Il s’agit des juridictions chargées de connaitre ducontentieux administratif de droit commun, queRené Chapus qualifie de « médecins généralistes »(Droit du contentieux administratif, Paris,Montchrestien, Coll. « Domat droit public »,2006,12ème éd., p.98). En France ce sont : le conseild’Etat, les Cours administratives d’appel et lestribunaux administratifs.98 Ce sont en quelque sorte des « médecinsspécialistes » (Ibid., p.98) : juridictions ordinales,juridictions universitaires, Commission spécialiséede cassation des pensions, etc.

français ; car comme le rappelle PierreDelvolvé99, le droit administratif n’est pas nédu hasard. On ne peut rien y comprendre sil’on ne remonte à ses racines100. Il estessentiellement lié à la formation de l’Etat enFrance, bien avant que la Révolution aitcontribué à lui donner un essor.

1. Au commencement était le jugeadministratif

Définissant le droit administratif,Jacques Moreau le considérait comme « le fruitde l’incessant dialogue établi entrel’administration et le juge administratif »101.Une telle approche s’avère insuffisante car lejuge administratif applique parfois des règlesde droit privé102, et inversement, le jugejudiciaire peut être amené à utiliser, voire àcréer du droit administratif103. En outre, il estadmis que les sources du droit administratiftendent à se diversifier : la loi, mais aussi lajurisprudence constitutionnelle et le droitcommunautaire, se font plus présents104. Mais,« l’originalité du système français durèglement du contentieux administratif (…)tient d’abord au rôle de tout premier plan que

99 Delvolvé (P.), Le droit administratif, Paris, 1998,Dalloz, Coll. « Connaissance du droit », 2ème éd.,p.2.100 Voir Burdeau (F.), Histoire du droitadministratif, Paris, PUF, 1995 ; Mestre (J.L.),Introduction historique au droit administratiffrançais, Paris, PUF, 1995.101 Droit administratif, Paris, 1989.102 Le juge administratif fait courammentapplication de certaines dispositions du code civil,tout en les interprétant à sa façon. Estparticulièrement ancienne et constante l’applicationdes articles 1153 et s. relatifs aux intérêtsmoratoires (C.E., 12 juin 1987, Preyval, Rec.210 ;LPA 9 octobre 1987, p.4, note Moderne ; C.E., 28novembre 1975, Ville de Douai, Rec.603, concl.Aubin), de l’article 1326 relatif à la rédaction desengagements de payer une somme d’argent (C.E.,28 juin 1996, Krief, D.A. 1996, n°452).103 Voir par exemple : Cass. Civ. 23 novembre1956, Trésor public c/ Giry, Bull. civ., II, p.407 ;GAJA n°74 ; Cathala (T.), Le contrôle de la légalitéadministrative par les tribunaux judiciaires, Paris,LGDJ, 1966 ; Tercinet (J.), Les tribunauxjudiciaires, juges de l’action administrative, thèsedroit, Grenoble, 1972.104 Van Lang (A.), Gondouin (G.), Inserguet-Brisset(V.), Dictionnaire de droit administratif, Paris, A.Colin,2005, 4ème éd, p.128.

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joue la juridiction administrative »105.Le jugeadministratif est effectivement vu par ladoctrine dominante comme un garant del’existence du droit administratif. La liaison dela compétence contentieuse et du fond106

édifie, estime-t-elle, une structure si solidequ’elle devrait protéger longtemps encore ledroit administratif107. « Parce que le droitadministratif n’est pas codifié… parcequ’aucune loi n’a jamais déterminé ses notionsfondamentales et ses principes dominants, ilest revenu au juge administratif de se faire, àproprement parler, jurislateur (…) Le droitadministratif est devenu fondamentalementjurisprudentiel » dit Réné Chapus108.« L’application du code civil à l’administrationayant été expressément écartée109, il a falludéterminer le droit qui lui est applicable. C’estla juridiction administrative, et essentiellementle Conseil d’Etat, qui l’a élaboré », ajoute M.Delvolvé110. Il ya donc « un lien direct etréciproque entre l’application des règlesautonomes, exorbitantes du droit privé, et lacompétence de la juridictionadministrative »111.

Sans doute, ni les procéduresd’arbitrage, ni celles de conciliation ne sontexclues ; et ces dernières tendent même à se

105 Chapus (R.), Droit du contentieux administratif,Paris, Montchrestien, Coll. « Domat droit public »,2006,12ème éd., p.8.106 Lachaume (J.-F.), « La liaison entre lacompétence et le fond en droit administratif », inL’exorbitance du droit administratif en question (s),Etudes réunies par F. Melleray, Paris, LGDJ,2004,p.71.107 Pour un avis contraire, voir : Truchet (D.),« Avons-nous encore besoin du droitadministratif ? », in Mélanges en l’honneur deJean-François Lachaume, Le droit administratif :permanences et convergences, Paris, Dalloz, 2007,p.1039 ; du même auteur, « Plaidoyer pour unecause perdue : la fin du dualisme juridictionnel »,AJDA, 25 sept.2005, p.1767.108 Chapus (R.), Droit administratif général, T.I.,précité, p.78.109 C.E., 6 décembre 1855, Rotschild, Rec.707 ; etsurtout T.C., 8 février 1873, Blanco, Rec. 1er supplt,p.61, Concl. David ; GAJA n°1.110 Delvolvé (P.), Le droit administratif, précité,p.77.111 David, Concl. sur T.C., 8 février 1873, Blanco,D.1873,III,p.20 ; S.1873,III,p.153.

développer112 en vue d’accroître les chancesd’arrangement à l’amiable. Cependant lerèglement des litiges est et reste avant toutjuridictionnel. Cette originalité « procèdenotamment de ce que la juridictionadministrative française a d’unique et qui estspécifiquement français » formulé par la loides 16-24 août 1790 et du décret du 16fructidor An III113. Elle le doit à la réunion detrois caractères, qui sont pour elle autant defacteurs d’identité et d’efficacité : - saséparation absolue de l’ordre judiciaire, sourced’indépendance, d’égalité et d’autorité morale ;- une magistrature faite de juges qui ne sontpas comme les autres (sans les assujettir) àl’administration et qui sont telles qu’on peutles présenter comme des « juges-adminitrateurs » ; - une compétence deprincipe à l’égard du contentieux del’administration-puissance publique, ce qui(…) lui attribue le jugement, non seulementdes recours tendant à l’annulation des actesadministratifs illégaux, mais aussi ceux quitendent à des condamnations pécuniaires »114.

112 Voir par exemple, l’Acte Uniforme du 11 mars1999 relatif au droit de l’arbitrage de l’OHADA quidispose que : « Les Etats et les autres collectivitéspubliques territoriales ainsi que les établissementspublics peuvent être parties à un arbitrage, sanspouvoir invoquer leur propre droit pour contesterl’arbitrabilité d’un litige, leur capacité àcompromettre ou la validité de la conventiond’arbitrage » (Article 2 alinéa 2). Voir J.O.OHADA, 15 mai 1999,p. 2 ; voir commentaire del’Acte Uniforme par Pierre Meyer, in codeOHADA, Traité et Actes Uniformes commentés etannotés, Poitiers, éd. Juriscope, 2008, 3ème

éd.,p.119. Kamto (M.), « La participation despersonnes morales africaines de droit public àl’arbitrage OHADA, in L’OHADA et lesperspectives de l’arbitrage en Afrique », Travauxdu Centre René Jean Dupuy pour le droit et ledéveloppement, Bruylant, 2000, p.89 et s.113 Posant le principe de la séparation des fonctionsjudiciaires et des fonctions administratives, cestextes révolutionnaires interdisent aux juges de« troubler, de quelque manière que ce soit, lesopérations des corps administratifs, de citer lesadministrateurs pour raison de leurs fonctions, deconnaître des actes d’administration, de quelqueespèce qu’ils soient » (Voir Mestre (J.L.),Introduction historique au droit administratiffrançais, Paris, PUF, 1985).114 Chapus (R.), Droit du contentieux administratif,précité, p.9.

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L’auteur de cet extrait constate avecregret, semble-t-il, que rien de tel dans ceux denombreux pays étrangers qui sont égalementdotés d’une juridiction administrative, et alorsmême que le modèle français a contribué àdéterminer le statut de cette juridiction (quiparfois, n’est pas entièrement séparé de l’ordrejudiciaire, ou dont les juges ne se distinguentpas des magistrats judiciaires par rien d’autreque la spécialité de leur compétence, ou encoredont la compétence est en principe limitée àl’annulation des actes administratifsillégaux)115. On peut donc parler d’uneconception spécifiquement française de lajustice administrative à travers le célèbreprincipe « juger l’administration, c’est encoreadministrer ». Et, l’institution du Conseild’Etat et des Conseils de préfecture à la fin du18ème siècle en France procède de laconcrétisation de cette conception ; celle-ciprocède de la considération et de la convictionqu’un juge administratif doit être, non pas etsans plus un juge spécialisé en matièreadministrative, mais un juge ayant l’esprit del’administrateur, un juge conscient que sesdécisions doivent être un complément del’action administrative.

En d’autres termes, et pour utiliser uneformule qui sera maintes fois reprise au coursdu temps, cette conception, remarquablementanalysée par Pierre Sandevoir116, procède de laconsidération que, statuer en matière decontentieux administratif, « c’est encoreadministrer »117. « Ainsi, l’administration secompose de deux parties distinctes : l’unerèglementaire : c’est l’administrationproprement dite ; l’autre contentieuse : c’est cequ’on appelle le contentieuxadministratif » avait écrit Henrion de Panseydans les débuts du 19ème siècle118. « C’estencore et ce doit être encore administrer »martèle René Chapus119, car le service del’intérêt général ne peut vraiment être assuréque si la sensibilité aux besoins de l’action

115 Ibid.116 Sandevoir (P.), Etudes sur le recours de pleinejuridiction, Paris LGDJ, 1964.117 Hauriou, note sous C.E., 6 février 1903, Terrier,S. 1903, 3, p.25, Concl. Romieu.118 De l’autorité judiciaire en France, Paris, 1827,éd.Th. Barrois, 3ème éd., vol. II,p.331-332.119 Chapus (R.), Droit du contentieux administratif,précité, p.45.

administrative est pleinement conjointe à lapréoccupation de réparer les torts causés auxadministrés120. Bernard Pacteau ajoute que« juger l’administration, c’est bien aussi devoirnon pas seulement censurer et réparer, maisaussi faire, et à tout le moins dire précisémentquoi faire »121.

On peut croire que c’est cet objectifd’équilibre et de conciliation entre le souci detenir compte des besoins de l’administration etla volonté d’assurer le respect des droits etintérêts privés que Napoléon Bonapartedéfinissait en exprimant, en 1806, sa volontéque le Conseil d’Etat soit « un corps demi-administratif, demi-judiciaire »122, c’est-à-direun corps où se rencontrent et s’harmonisentl’esprit de l’administration et le sens de lajustice. En d’autres termes encore, le Conseild’Etat doit être une institution qui, tout à lafois, « donne aux citoyens toutes les garantiesd’un jugement réel » et « donne àl’administration la certitude que ses jugesseront pénétrés de son esprit et familiers de sesbesoins »123.

Ce principe explique aujourd’hui queles juridictions administratives françaisescumulent les attributions d’ordre administratifet des attributions proprementjuridictionnelles124. Il y a là, assurément,

120 Ibid.121 Pacteau (B.), « Vicissitudes (et vérification… ?)de l’adage « Juger l’administration, c’est encoreadministrer », in Mélanges en l’honneur de F.Moderne, Paris, Dalloz, 2004, p.325. Cet adage sevérifie aisément en matière de réserves d’intérêtgénéral qui souvent justifient certaines illégalités(voir Brenet (F.), « Les réserves d’intérêt général »,in Mélanges en l’honneur de J.-F. Lachaume, Ledroit administratif : permanences t convergences,Paris, Dalloz, 2007, p.139) ; faisant du jugeadministratif un protecteur des prérogatives del’administration (Mestre (A.), Le Conseil d’Etat,protecteur des prérogatives de l’administration.Etudes sur le recours pour excès de pouvoir, Paris,LGDJ, 1974 ; Pavageau (S.), « Le Conseil d’Etatest-il encore le protecteur des prérogatives del’administration ? », RRJ 2005, p.309-336).122 Voir : Pelet de la Lozère, Opinions de napoléon,éd. F. Didot, 1833, p.191.123 Vivien, Rapport sur le projet de loi relative auConseil d’Etat, S. 1849, L., p.8.124 Jegouzo (Y.), « A propos de la fonctionconsultative du Conseil d’Etat » in MélangesLabetoulle, Juger l’administration, administrer la

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un « mode de fonctionnement profondémentancré dans la tradition française », qui est« l’expression même de la conception françaisede la séparation des pouvoirs » et qui « donnedes résultats que, dans beaucoup de pays, oncherche à atteindre »125 . La Cour européennedes droits de l’homme a même énoncé que« la création et l’existence même de lajuridiction administrative peuvent être saluéescomme l’une des conquêtes les plus éminentsd’un Etat de droit »126.

Mais au sud de la méditerranée, onpeut juger l’administration sans administrer.

2. Juger l’administration africaine sansadministrer

Comme on le note, les exemplesbéninois et gabonais relativisent cetteconception : on peut juger l’administrationsans administrer, sans nécessairement avoirl’esprit « d’administrateur », en ayantexclusivement l’esprit de « juge »127 ou mêmeparfois d’ « organe politique ». En France,c’est un ancien vice-président du Conseild’Etat, ancien ministre du Général de Gaulle,et ancien membre du Conseil constitutionnel,Bernard Chenot, qui confessait, lors d’uncolloque tenu à Aix-en-Provence, le 2décembre 1977 que « je n’ai jamais pensé uneseconde que le Conseil constitutionnel fût unorgane juridictionnel ; c’est un corps politiquepar son recrutement et par les fonctions qu’il

justice, Paris, Dalloz, p.505 ; Robineau (Y.),Truchet (D.), Le Conseil d’Etat, Paris, PUF, 1994.125 Bonichot (J.-C.), Concl. sur C.E., 5 avril 1996,Syndicat des avocats de France, Rec.118 ; JCP1997, n°22817, note J.M. Breton ; LPA, octobre1996, n°119, note Sabete ; RFDA 1996, p.1195.126 CEDH, 7 juin 2001, Mme Kress c./ France(69ème point), AJDA 2001,p.675, note Rolin ; D.2001, p2619, note R. Drago ; RFDA 2001, p.991,note Genevois ; Gaz. Pal. 4-5 octobre 2002, noteCohen-Jonathan.127 Malgré le silence des textes, la doctrine, dans samajorité, croit pouvoir attribuer au jugeconstitutionnel une nature juridictionnelle (Voir :Marcel Waline, Préface aux grandes décisions duConseil constitutionnel, Favoreu (L.), Philip (L.),Paris, Sirey, 1986 ; Luchaire (F.), « Le conseilconstitutionnel est-il une juridiction ? RDP 1979,p.27 ; Rivero (J.), Libertés publiques, Paris, PUF,1981.

remplit »128. C’est également un professeur dedroit, futur membre du Conseil constitutionnel,Paul Coste-Floret, qui, dès 1958, lors desdébats du Comité consultatif constitutionnel,qualifie le Conseil « d’organe politico-juridique ayant une compétence pour statuer dupoint de vue juridique et du point de vue del’opportunité politique »129. DominiqueRousseau qualifie cette controverse de« stérile en séparant à tort le juridique dupolitique » ; il propose de qualifier le jugeconstitutionnel d’ « assemblée de légistes »constituée « des hommes de la loi et non desélus politiques qui participent à la confectiondes lois dans des conditions, des formes etavec des préoccupations différentes de cellesdes assemblées parlementaires ». C’est une« juridiction exerçant une fonctionpolitique »130.

L’analyse est d’autant plus pertinenteque les constituants gabonais et béninois ontfait le choix de la nomination politique desmembres de la juridiction constitutionnelle. AuGabon, les neuf membres de la Cour sontdésignés à raison de trois par le Président de laRépublique, trois par le Président del’Assemblée nationale et trois par le Présidentdu Sénat131. Au Bénin, sur les sept jugesconstitutionnels, trois sont choisis par le chefde l’Etat et quatre par le Bureau del’Assemblée nationale132.En effet l’attributionaux juges constitutionnels béninois et gabonaisdu contentieux des actes règlementaires censésporter atteinte aux droits fondamentauxconstitutionnels résulte d’autres considérationset notamment des faiblesses de la justiceadministrative en Afrique en général d’une partet de l’autoritarisme des régimes politiquesd’autre part, aux fins de mieux lutter contre lesmultiples et divers « aléas politiques »133.

128 Chenot (B.), Le domaine de la loi et durèglement, P.U.A.M., 1978, p.178 ; Le Conseilconstitutionnel, Académie des Sciences Morales etPolitiques, 9 décembre 1985.129 Paul Coste-Floret, Débats et Avis du C.C.C., LaDocumentation Française, 1960, p.57.130 Rousseau (D.), Droit du contentieuxconstitutionnel, Paris, Montchrestien, 1993, 3ème

éd., p.53-55.

131 Article 89 de la constitution de 1991.132 Article 115 de la constitution de 1990.133 Ahadzi-Nonou (K.), « Les nouvelles tendancesdu constitutionnalisme africain : le cas des Etats

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Ibrahim Salami qualifie le juge administratifbéninois d’ « un juge enfermé dont l’office estlimité »134.

S’agissant des classiques faiblesses dela justice administrative, au cours de sonévolution, malgré quelques progrèssignificatifs réalisés135, la justice administrativeen Afrique a fait l’objet de nombreux procèsqui ont concouru à justifier la désaffection desjusticiables potentiels136 : subordination parfoisexcessive au pouvoir politique, vénalité desjuges, juridisme excessif des règles deprocédure, éloignement de l’institution parrapport à la population, etc.137. « Au bénin(l’activité contentieuse de la Haute Juridictionen matière administrative) tend même àdécroître. Quelques chiffres permettent derendre compte de cette situation. Au Gabon, laChambre administrative a rendu de 1963 à1984 inclus, 247 arrêts…Au Bénin, ce sont333 arrêts qui ont été rendus de 1962 à1984 »138. De manière générale, la capacité dujuge administratif à satisfaire l’attente desjusticiables dans sa fonction contentieuse étaitconstamment mise en doute, si l’on en juge pardes critiques de plus en plus nombreuses qui

d’Afrique noire francophone », Afrique Juridique etPolitique, La Revue du CERDIP, Vol.1, n°2, Juillet-décembre 2002, p. 45.134 Salami (I.D.), « Le recours pour excès depouvoir : contribution à l’efficacité du procèsadministratif au Bénin », Rev. Béninoise dessciences juridiques et administratives, 2011, n°25,p.95-1139.135 De Gaudusson (J. du Bois), « Le statut de lajustice dans les Etats d’Afrique francophone »,Afrique contemporaine, n°156 (numéro spécial),1990, p.6.136 Keutcha Tchapnga, « Le juge constitutionnel,juge administratif au Bénin et au Gabon ? », précité,p.555.137 De Gaudusson (J. du Bois), « La jurisprudenceadministrative des cours suprêmes en Afrique », inConac (G.), J. du Bois de Gaudusson (dir.), LesCours suprêmes en Afrique, T.III, La jurisprudenceadministrative, Paris, Economica, 1988, p.7 ;Salami (I.D.), « Le recours pour excès de pouvoir :contribution à l’efficacité du procès administratif auBénin », Rev. Béninoise des sciences juridiques etadministratives, précité.138 De Gaudusson (J. du Bois), « La jurisprudenceadministrative des cours suprêmes en Afrique », inConac (G.), J. du Bois de Gaudusson (dir.), LesCours suprêmes en Afrique, T.III, La jurisprudenceadministrative, précité, p.7

mettaient l’accent sur son inefficacité, salenteur pour protéger correctement les droitsdes individus et la mauvaise exécution de sesdécisions. « Régulatrice de l’activitéadministrative, protectrice des droits desadministrés, la Chambre administrativebéninoise (n’est malheureusement) pas connuedes administrés. Même lorsque l’étape de laconnaissance est franchie par les administrés,peu d’entre eux croient en son efficacité »139.La situation est semblable au Gabon140.

Quant à l’autoritarisme des régimespolitiques, le regain d’intérêt pour la protectionconstitutionnelle des droits et libertés est né del’aspiration des peuples africains à un véritablesystème libéral comme indiqué. Lespopulations gabonaise et béninoise, à l’instardes autres populations africaines, vivaient sous« un régime fort » marqué par « le pouvoirpersonnel… qui domine simultanémentl’exécutif, le législatif… le judiciaire… et leparti »141. Afin de garantir l’exercice effectifdes droits, il est donc prévu des mécanismessophistiqués de protection parmi lesquels lesjuridictions constitutionnelles occupent uneplace spéciale142. Dans l’exercice de samission, le juge constitutionnel semble doncprendre en compte cette volonté populaire143.

139Holo (Th.), « Contribution à l’étude desChambres administratives : cas de la Chambreadministrative de la Cour populaire centrale duBénin », in Conac (G.), J. du Bois de Gaudusson(dir.), Les Cours suprêmes en Afrique, T.III, Lajurisprudence administrative, précité, p.30.140 Essimengane (S.), « Le contentieux administratifgabonais. Aperçu de la jurisprudence desjuridictions administratives de 1960 à 1985 », inConac (G.), J. du Bois de Gaudusson (dir.), LesCours suprêmes en Afrique, T.III, La jurisprudenceadministrative, précité, p.228.141 Duverger (M.), Institutions politiques et droitconstitutionnel, cité par Gonidec (P.F.), Lessystèmes politiques africains, Paris, LGDJ, 1978,p.123.142 Ahadzi-Nonou (K.), « Droits de l’homme etdéveloppement : théories et réalités », in Mélangesen l’honneur de Yves Madiot, Territoires etLibertés, Bruxelles, Bruylant, 2000, p.120-121.143 Vignon (Y.B.), « La protection des droitsfondamentaux dans les nouvelles constitutionsafricaines », Rev. Nigérienne de Droit, n°3,décembre 2000, p.91 ; Donfack Sokeng (L.),« L’Etat de droit en Afrique », Afrique Juridique et

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Ces réformes africaines viennentrappeler qu’historiquement, le principefrançais de séparation des autoritésadministratives et judiciaires144 ne visait qu’àcantonner les tribunaux « dans la solution desprocès », leur interdisant « de faire œuvred’administration »145 ; « le texte de 1790 a été…plus qu’un prétexte ; sa portée s’expliquepar un contexte »146, comme le démontreaujourd’hui l’évolution de la jurisprudence.Celle-ci permet désormais au juge judiciaire destatuer sur la légalité d’un acte administratif.En effet, le Tribunal des conflits a d’abordattribué compétence au juge judiciaire pourapprécier la conformité d’un acte administratifau droit communautaire147, remettant ainsilargement en cause la jurisprudence Septfondsselon laquelle le juge judiciaire a le pouvoird’interpréter un acte administratif de caractèrerèglementaire148. Il a ensuite jugé, enreprenant le principe énoncé dans l’arrêt SCEAdu Chéneau « que (les principes régissant larépartition des compétentes entre les deuxordres de juridiction)…, qui ne trouvent pas à,s’appliquer lorsque la contestation incidenteconcerne la conformité d’un acte administratifau droit de l’Union européenne, doivent enoutre être conciliés tant avec l’exigence debonne administration de la justice qu’avec lesprincipes généraux qui gouvernent lefonctionnement des juridictions, en vertudesquels tout justiciable a droit à ce que sademande soit jugée dans un délai raisonnable ;il suit de là que, si en cas de contestationsérieuse portant sur la légalité d’un acteadministratif, les tribunaux de l’ordre judicairestatuant en matière civile doivent surseoir àstatuer jusqu’à ce que la question préjudiciellede la légalité de cet acte soit tranchée par lajuridiction administrative, il en va autrementlorsqu’il apparaît clairement, au vu notammentd’une jurisprudence établie, que la contestation

Politique, La Revue du CERDIP, Vol.1, n°2, Juillet-décembre 2002, p.87.144 Posé par les lois des 16-2 août 1790 et 16fructidor an III, précitées.145 Delvolvé (P.), Le droit administratif, précité,p.81.146 Georges Vedel, cité par Pierre Delvolvé, Ledroit administratif, précité, p.81.147 T .C. 17 octobre 2011, SCEA du Chéneau, JCPA, 201, act.682 ; JCP A 2011, 2354.148 T.C., 16 juin 1923, Rec.498 ; S.1923, 3,49, noteHauriou ; D. 1924, 3, 41, concl. Matter ; GAJA,n°39.

peut être accueillie par le juge saisi auprincipal ».149 Ainsi que le commente HélènePauliat, « en retenant comme évidente lacompétence judiciaire, le Tribunal des conflitsparaît s’attaquer à ce qui fait le cœur même dela compétence du juge administratif… Lerisque est alors que, sous couvert de ne confierau juge judiciaire qu’un contrôle technique, leTribunal en vienne à reconnaître également àce dernier un certain contrôle des sources dontle juge administratif avait jusqu’ici lamaîtrise »150.

Il faut aussi rappeler que depuislongtemps le juge judiciaire non répressif peutapprécier la légalité d’un acte administratif encas de voie de fait151 ; quant au juge répressif,il dispose d’une plénitude de juridiction qui aconduit la jurisprudence à lui reconnaître lepourvoir non seulement d’interpréter les actesrèglementaires mais d’en apprécier lalégalité152 ; le nouveau code pénal français l’amême étendu aux actes individuels153. EnAfrique, au moment des indépendances, le faitde confier le contentieux administratif à desmagistrats en choisissant le monismejuridictionnel154, démontrait déjà à suffisanceque ce type de litiges peut être tranché par desautorités judiciaires n’ayant aucun espritd’ « administrateur »155.

B) La Cour constitutionnelle : jugeadministratif sui generis

Au regard des moyens de droit utiliséspar les cours constitutionnelles du Gabon et duBénin, peut-on qualifier ces institutions devéritables « juridictions administrativesspécialisées » ? Cette question ne trouve de

149 T.C., 12 décembre 2011, Société Green Yellowc/ EDF, La Semaine Juridique Administration etCollectivité territoriales, 20 février 2012, n°7,2061, note Pauliat ; Jurisdata n°2011-029400.150 Hélène Pauliat, note sous T.C., 12 décembre2011, Société Green Yellow c/ EDF, précité, p5-6.151 T.C. 8 avril 1935, Action française, Rec.1226,concl. Josse ; GAJA n°48.152 T.C., 5 juillet 1951, Avranches et Desmarets,Rec.638, S.1952, III, p.1, note Auby.153 Article 111-5.154 Kanté (B.), Unité de juridiction et droitadministratif : l’exemple du Sénégal, thèse droit,Orléans, 1983, 483 p.155 Lampue (P.), « La justice administrative dans lesEtats d’Afrique francophone », RJPIC 1965, p.18.

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réponse ni dans l’article de M. Keutcha156 nidans celui de M. Zeh Ondoua157. La réponseest à rechercher dans l’abondantejurisprudence du Conseil d’Etat français qui aconsacré un critère d’ordre matériel pourqualifier une juridiction158

d’ « administrative ».

1. Une qualification déterminée par lanature des litiges

On part du principe de l’acceptation dela nature juridictionnelle des deux coursconstitutionnelles comme précédemmentindiqué. Ainsi, selon la jurisprudenceadministrative française, pour qu’unejuridiction soit qualifiée d’ « administrative »,il faut considérer ce qu’est la « nature deslitiges »159 ou plus largement la « nature desaffaires »160 soumises à la juridiction. Dansl’affaire D’Ailières, la Haute Assemblée a jugé« qu’il résulte de l’ensemble des prescriptionslégislatives relatives au jury d’honneur etnotamment de celles qui concernent tant sacomposition et ses pouvoirs que les recours enrévision qui, par la nature des affaires surlesquelles elle se prononce, appartient à l’ordreadministratif et relève à ce titre du contrôle duConseil d’Etat statuant au contentieux »161. S’ils’agit donc de question de droit public ou plusprécisément de droit administratif comme c’estle cas au Bénin et au Gabon, la juridiction seraconsidérée comme administrative162. S’il s’agit

156 Keutcha Tchapnga, « Le juge constitutionnel,juge administratif au Bénin et au Gabon ? », RFDC,2008, n°3, précité.157 Ondoua (J.Z.), « La répartition du contentieuxdes actes juridiques entre les juges constitutionnelet administratif au Gabon », Afrique Juridique etPolitique, La Revue du CRDIP, précité.158 Chapus (R.), « Qu’est-ce qu’une juridiction ? Laréponse de la jurisprudence administrative », inMélanges Eisenmann, Paris, 1975, p.265.159 C.E., 7 janvier 1949, Adam, Rec.7 ; D. 1950, p.5,note J.160 De façon à tenir compte de l’hypothèse où il y adissociation entre contentieux et juridiction : C.E. 7février 1947, D’Aillières, RDP 1947, p.68, Concl.Odent, note M. Waline ; GAJA, n°60.161 C.E., Ass., 7 février 1947, Rec.50 ; GAJA, n°59.162 C.E. 21 janvier 1951, Union commerciale deBordeaux-Bassens, D.1951, Concl. J. Guionin(solution implicite).

de litiges de droit privé, la juridiction seraconsidérée comme judiciaire163.

Cette interprétation a, en France, été àl’origine de la reconnaissance de lacompétence du juge administratif sur certainsactes administratifs pris par le Président del’Assemblée nationale164 ; même si l’onreconnaît qu’ « il n’est pas facile pour le jugede pénétrer au Parlement »165. Pendantlongtemps en effet, la Haute Assemblée sefondait sur deux sortes de considération pourjustifier son incompétence : la première tient àla « souveraineté » du Parlement, qui seraitincompatible avec le contrôle de quelquejuridiction que ce soit166. La seconde vient dece que le juge administratif, compétent àl’égard des autorités administratives, ne peutl’être envers les autorités parlementaires, dontle statut et les fonctions relèvent dulégislatif167. L’arrêt Président de l’Assembléenationale apporte donc une innovation enjugeant, dans la juste lignée des arrêts DameLamotte168 et Johnston169, que les actesadministratifs170 de toutes autorités

163 C.E., 13 janvier 1954, Magevand, D.A. 1954,n°73.164 C.E. Ass., 5 mars 1999, Assemblée Nationale,GAJA n°103.165 Denoix de Saint marc (R.), « Le conseil d’Etat etles « aces parlementaires », in Mélanges enl’honneur de Daniel Labetoulle, Jugerl’administration, administrer la justice, Paris,Dalloz, 2007, p.273.166 C.E., 6 novembre 1936, Arrighi, Rec.966 ; D.1938, III, p.1, concl. Latournerie, note Eisenmann ;C.E., Ass., 20 octobre 1989, Roujansky, JCP 1989,II, 21371, concl. Frydman.167 C.E. 15 novembre 1872, Carrey de Bellemare,Rec.591 ; C.E. 15 décembre 1952, Compagnied’assurances générales, Rec.580.168 C.E., Ass., 17 février 1950, précité.169 C.J.C.E., 15 mai 1986, RFDA 1988, p.691, noteDubouis : reconnaissance d’un droit à un recoursjuridictionnel effectif en cas d’atteintes aux droits etlibertés.170 En l’espèce pour rénover le système audiovisuelde l’hémicycle et permettre à toutes les chaînes detélévision de diffuser ainsi les séances publiques,les services de l’Assemblée nationale ont lancé unappel d’offres restreint en vue de la passation demarchés relatifs l’un à l’installation, l’autre à lagestion d’équipements audiovisuels. Cet appelayant été déclaré infructueux, le président del’Assemblée nationale a procédé par voie de marchénégocié à la conclusion de chacun des deuxcontrats. La société qui exploitait précédemment les

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administratives peuvent faire l’objet d’uncontrôle juridictionnel ; même si la notiond’ « autorité administrative » perd un peu plusde son aspect organique. Certes une autoritéadministrative est un organe, mais soncaractère administratif tient, non pas à sonstatut, mais à son objet171 qu’est la « matièreadministrative », identifiée à travers les notionsde service public172 et de puissance publique173.

Le juge administratif gabonais sembled’ailleurs avoir tiré les conséquences de cetteanalyse. En Effet, la Cour administrative174,qui est devenue depuis la loi n°14/2000 du 11octobre 2000, Conseil d’Etat, a décliné sa

installations avait présenté une offre, qui fut rejetéecomme anormalement basse. Elle attaqua par lavoie du recours pour excès de pouvoir les actedétachables des contrats en vertu de lajurisprudence Martin (C.E. 4 août 1905, Rec.749,Concl. Romieu ; GAJA, n°15). Le Tribunaladministratif de Paris puis le Conseil d’Etat enappel se déclarent compétents pour contrôler desactes parlementaires. Cet arrêt constitue uneavancée dans le contrôle des actes parlementaires,analogues à celle qui a été réalisée par d’autresarrêts pour les actes de gouvernement (C.E., 19février 1875, Prince Napoléon, Rec.155, Concl.David ; GAJA n°3 ; C.E., 15 octobre 1993,Royaume6Uni de Grande Bretagne et Colonie deHong Kong, Rec.267, Concl. Vigouroux ; Gaz. Pal.1994,I, p.102, note Chabanol).171 Chevallier (J.), Les fondements idéologiques dudroit administratif français, PUF, CURAPP, vol.2,1979, p.3.172 De Laubadère (A.), « Revalorisations récentesde la notion de service public », AJDA 1961,p.591 ; Latournerie (R.), « Sur un Lazarejuridique », EDCE 1960, p.61 ; Truchet (D.),« Label de service public et statut de servicepublic », AJDA 1982, p.427 ; Braconnier, Droit desservices publics, Paris, PUF, Coll. « Thémis »,2003 ; Conseil d’Etat, Service public, servicespublics, EDCE, 1995.173 Venezia (J.C.), Puissance publique, puissanceprivée », in Mélanges Eisenmann, 1975, p.363 ;Ameselek (P.), « Le service public et la puissancepublique », AJDA 1968, p.492 ; Chapus (R.), « Leservice public et la puissance publique », RDP1968, p.235.174 Sur l’organisation et la compétence de cetteCour administrative avant la réforme du 11 octobre2000, voir : M. Akendengue, « L’organisation de lajustice administrative au Gabon », in « Lesjuridictions administratives dans le monde, France-Afrique », Rev. Administrative, 1999, n°6(spécial),p.43-48.

compétence le 23 juin 2000 dans l’affaireCOGAPNEU contre Etat gabonais175 au motifque la Cour constitutionnelle s’est reconnuecompétente pour connaître du « contrôle de larégularité juridique des actes règlementaires »dans sa décision n°006/94/CC du 15 septembre1994, respectant ainsi la chose jugée par laHaute juridiction constitutionnelle. Une telleposition ne pouvait qu’encourager le jugeconstitutionnel à poursuivre son œuvre« pervers du dessaisissement du jugeadministratif de sa compétence d’appréciationdes actes règlementaires »176. Dans sa décisionn°144/CC du 28 octobre 2002177, il invalidel’article 40 de la loi organique sur le Conseild’Etat à qui cette disposition attribuait lecontentieux de l’annulation, au motif qu’ « ilrésulte qu’à la différence de la constitutionfrançaise qui limite l’intervention de lajuridiction constitutionnelle, en matière decontrôle de constitutionnalité, aux seules loisorganiques et ordinaires (…) le constituantgabonais a confié la compétence du contrôle dela régularité des actes règlementaires à la seuleCour constitutionnelle ». C’est « uneconcurrence inattendue du jugeconstitutionnelle au juge administratif »178.Certes, en attribuant sans nuance au jugeadministratif ordinaire la compétence deconnaître des recours pour excès de pouvoirintentés contre tous les actes règlementaires, lelégislateur organique s’était écarté de l’article84 de la constitution gabonaise. Mais, enutilisant tout simplement la technique de laconformité sous réserve179, la Cour auraitrappelé que cet article exclut de la compétencedu juge administratif ordinaire l’appréciationdes actes règlementaires qui attenteraient auxdroits fondamentaux constitutionnels.

Cette compétence est bien clairementréaffirmée par la Cour constitutionnelle dans sa

175 Recueil, n°36.176 Ondoua (J.Z.), « La répartition du contentieuxdes actes juridiques entre les juges constitutionnelet administratif au Gabon », Afrique Juridique etPolitique, La Revue du CRDIP, précité, p.100.177 Voir Hebdo informations, n°464 du 28septembre 2002, p.225.178 Keutcha Tchapnga, « Le juge constitutionnel,juge administratif au Bénin et au Gabon ? », précité,p.576.179 Cayla (O.), Beaud (O), « Les nouvellesméthodes du conseil constitutionnel », RDP 1987,p.677.

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Montchrestien, Coll. « Domat droit privé », 1992, février 2004, J.O. é mars 2004, p.4227,p.73. consid.).

décision n°008/CC d 17 avril 2001, précitée :« considérant toutefois que les recours pourexcès de pouvoir demeurent à la compétenceexclusive des juridictions administratives, à lacondition qu’ils soient formés contre lesdécisions ou actes administratifs autres querèglementaires ». Une telle prise de position,qui aboutit à un résultat auquel le constituantn’avait pas songé, le dessaisissement du jugeadministratif de sa compétence d’appréciationdes actes règlementaires, appelle plusieursautres observations.

Tout d’abord, elle réduit la compétencedu juge administratif ordinaire au contrôle dela légalité des actes non règlementaires, c’est-à-dire des actes individuels ou collectifs ainsique des décisions d’espèce qui édictent desnormes ni individuelles, ni générales. Ensuite,la Cour constitutionnelle gabonaise s’arroge lepouvoir de contrôler la constitutionnalité et lalégalité des actes règlementaires qui, commeon le sait, servent de support aux actesindividuels. Par ailleurs, elle ne peut êtrequalifiée de « juridiction administrativespécialisée » car une telle qualificationsuppose l’existence d’un recours en cassationdevant une juridiction suprême à compétencegénérale180. Il s’agit donc, du point de vuematériel, d’un juge administratif sui generis ;créant ainsi une nouvelle catégorie de jugeadministratif aux côtés des juges administratifsà compétence générale et à compétencespécialisée qui, eux, sont soumis à la règle dudouble degré de juridiction. Comme on le sait,le principe du double degré de juridiction semanifeste concrètement par la facultéd’interjeter appel contre le jugement rendu parune juridiction du premier degré, en portantl’affaire devant la juridiction supérieure dusecond degré181. Ainsi que le note M. ZehOndoua, « l’intégration par le jugeconstitutionnel, dans son champ decompétence, des actes règlementaires quidevraient être du ressort des tribunauxadministratifs, présente ainsi l’inconvénientmajeur de priver le requérant de la possibilité

180 Massot (J.), Fouquet (O.), Stahl (J.-H.), LeConseil d’Etat, juge de cassation, Paris, Berger-Levrault, 1998.181 Perrot (R.), Institutions judiciaires, Paris,

de former un recours en appel et, au besoin, unpourvoi en cassation contre ces actes »182.

Celle-ci créée donc deux types decontentieux administratifs, avec le risqued’aggraver les divergences d’interprétationd’une même norme juridique par les différentsjuges ; confirmant ainsi les propos de PierreDélvolvé : « le droit administratif n’a pastoujours bonne réputation ; (Il) fait aujourd’huil’objet de reproches, voire d’un procès »183 :bref « du sacre on est passé au massacre »184.

2. Une qualification complexifiant le droitdu contentieux administratif185

Selon les principes de la procédureadministrative contentieuse, l’appel et lacassation participent à la mise en œuvre de larègle du double degré de juridiction commeindiqué, même s’il est généralement considéréque celle-ci n’a pas par elle-même une valeurconstitutionnelle186. Il s’agit d’une« préoccupation d’une bonne administration de

182 Ondoua (J.Z.), « La répartition du contentieuxdes actes juridiques entre les juges constitutionnelet administratif au Gabon », Afrique Juridique etPolitique, La Revue du CERDIP, précité, p.95.183 Delvolvé (P.), Le droit administratif, précité,p.2.184 Burdeau (F.), Histoire du droit administratif,Paris, PUF, 1995.185 Entendu comme le « régime juridique quidétermine comment la justice administrative estorganisée et comment elle est rendue » (Chapus(R.), Droit du contentieux administratif, précité,p.6).186 Le conseil constitutionnel français, en matièrepénale, après avoir éludé la question (C.C. 19 et 20janvier 1981, JCP 1981, n°19701, note C. Franck ;RDP 1981,p.651, note L. Philip), n’a pas jugécontraire à la constitution l’attribution en premier etdernier ressort à la Cour d’appel de Paris les recoursformés contre les décisions du Conseil de laconcurrence (C.C., 23 janvier 1987, AJDA1987,p.345, note J. Chevallier ; RFDA 1987,p.287,note Genevois ; GAJA n°91). Et à l’occasion del’institution de la compétence directe du Conseild’Etat à l’égard de divers contentieux intéressant laPolynésie française, il a explicitement énoncé que« le principe du double degré de juridiction n’a pas,en lui-même, valeur constitutionnelle » (C.C. 12

4ème

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la justice »187. En effet, en tant qu’il est destinéà permettre un nouvel examen des litiges,l’appel est intimement lié à la considération ouà la conviction qu’un litige doit pouvoir êtrejugé deux fois : « son jugement étant le fait, laseconde fois, de magistrats normalement plusexpérimentés et dont, de toute façon, on peutattendre qu’ils jugent mieux, parce quel’instruction devant les premiers juges adécanté et éclairé les données de l’affaire »188.L’office du juge d’appel consiste au« rejugement de ce qui est appelé (et au)contrôle de ce qui est critiqué »189.

Quant au recours en cassation, defaçon primordiale, sa fonction est d’assurer laconformité des jugements à la règle de droit et,par là même, « l’unité dans l’identification etl’interprétation des normes juridiques par lesdiverses juridictions »190. Dans la théorieclassique du recours en cassation, ce recoursn’est pas destiné à transférer le jugement delitiges à la juridiction qui en est saisie. Pourreprendre l’expressive formule de Laferrière,« le juge de cassation n’est pas appelé à jugerles procès, mais seulement à se prononcer surla légalité des décisions qui les jugent »191 : enbref sa mission est de juger, non les litiges,mais les jugements. Or, toutes les décisions desjuridictions constitutionnelles africainesconsidérées sont revêtues du caractère absolude la chose jugée ; aucun recours n’est doncpossible contre ces décisions192, y compris,bien entendu, celles rendues en matière decontrôle de constitutionnalité des actesrèglementaires.

D’autre part, ces réformes considéréescomme salutaires contribuent à complexifier lecontentieux administratif. En effet, les Cours

187 Robert (J.), « La bonne administration de lajustice », AJDA 1995 (n° spécial), p.117-132.188 Chapus (R.), Droit du contentieux administratif,précité, p.1169.189 Giltard (D.), « L’office du juge d’appel et ledouble degré de juridiction », in MélangesLabetoulle, Juger l’administration, administrer lajustice, Paris, Dalloz, p.426-427.190 Ibid., p.1235.191 Laferrière (E.), Traité de la juridictionadministrative et des recours contentieux, Paris,Berger-Levrault, 1887-1888,T.II, p.589.192 Voir par exemple : art.124 al.2 de la constitutionbéninoise ; 92 de la constitution du Gabon ; 150 dela constitution congolaise de 2002.

constitutionnelles gabonaise et béninoisepeuvent-elles, par exemple, connaitre ducontentieux d’un contrat administratifcontenant des dispositions règlementairescensées porter atteinte aux droits et libertésfondamentaux contenus dans la constitution ?Rappelons que le Conseil d’Etat français aadmis le recours pour excès de pouvoir contreles clauses règlementaires d’un contratadministratif : ces dispositions, s’imposant auxtiers, « présentent pour eux un caractèreunilatéral »193. La théorie de l’acte mixte194, quiremonte au 19ème siècle à propos de laconcession de service public, signifie qu’uncontrat produit des effets règlementaires195.Marcel Waline, dans une note, avaitlonguement souligné que « d’un point de vuestrictement juridique, rien ne (peut) justifierl’exclusion des contrats de la procédure durecours pour excès de pouvoir »196. En vérité,historiquement, le Conseil d’Etat avait vu dansl’exclusion du contrat dans ce type decontentieux un moyen de désencombrer sonrôle197. De ce point de vue, « on parvient mal àcomprendre pourquoi, selon des considérationsgénéralement inexprimées (…) le juge de la

193 C.E. 10 juillet 1996, Cayzeele, Rec.274 ; AJDA1996, p.732, chr. Chauvaux et Girardot ; CJEG1996, p.382, note Terneyre ; RFDA 1997, p.89, noteP. Delvolvé ; Mélanges Guilbal, p.345, Comm. J.L.Mestre.194 Madiot (Y.), Aux frontières du contrat et del’acte administratif unilatéral : recherches sur lanotion d’acte mixte en droit public français, Paris,LGDJ, 1971.195 La doctrine a rapidement développé l’idée quel’acte de concession, de même que son cahier decharges, présente une double nature (Hauriou,Duguit, Jèze), puis une nature mixte (Hauriou, deLaubadère, Vedel), parce que certaines de sesclauses sont règlementaires, tandis que d’autresrestent contractuelles. La jurisprudence n’a pastardé à marquer l’originalité de l’acte mixte (C.E.,21 décembre 1906, Syndicat des propriétaires etcontribuables du quartier Croix-de-Seguey-Tivoli,Rec.961, concl. Romieu, S., 1907, III, p.33, noteHauriou).196 Note sous CE, 10 novembre 1933, Compagniedes Iles Kerguelen, Saint-Paul et Amsterdam, Notesd’arrêts de Marcel waline, Paris, Dalloz, 2004, T.I,n°117.197 Gonidec (P.F.), « Contrat et recours pour excèsde pouvoir », RDP 1950, p.58 et s. ; Waline (J.),« Contrat et recours pour excès de pouvoir » inMélanges Labetoulle, Juger l’administration,administrer la justice, précité, p.859.

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et convergences, Paris Dalloz, 2007, p.807. droit comparé, Bruxelles, Bruylant, 1998, p.38.

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légalité ne doit pouvoir toucher aux contratsque d’une main tremblante, alors qu’il disposede sa liberté de mouvement à l’égard des actesunilatéraux »198.

De plus, on sait que la recevabilité durecours en annulation des actes administratifsde portée générale qui relèvent du contrôle dujuge administratif ordinaire (à compétencegénérale ou spéciale), doit remplir plusieursconditions dont les plus significatives sont lerecours administratif préalable et l’observationdes délais impartis. Concernant ceux-ci, leurétendue est variable en fonction des situationsstrictement déterminées par les textes199. Et,sous réserve pour le requérant de souleverl’exception d’illégalité200, les délais de recoursdevant le juge administratif classique sontfrappés par la prescription lorsqu’ils sontéchus. A la différence de la procédure civile, lerégime du contentieux administratifsubordonne en principe la recevabilité desrecours à leur exercice avant l’expiration d’undélai qui est généralement de deux mois201. Ledélai se caractérise immédiatement, sauf trèsrare exception, par sa brièveté, traduisant uneexigence qui tient à la considération qu’il estd’intérêt général que le sort des décisions de lapuissance publique soit fixé aussitôt quepossible.

Mais en substituant aux délais d’actionlimités un délai d’action illimité, la Courconstitutionnelle gabonaise ouvreperpétuellement son prétoire au requérant quiest fondé à contester un acte règlementaireplusieurs années après son adoption ; pouvantainsi remettre en cause la stabilité dessituations juridiques et la sécurité juridique202.Selon M. Keutcha Tchapnga, « en soumettant à

198 Chapus (R.), Droit du contentieux administratif,précité, n°240.199 Loi n°17/84 du 29 décembre 1984 portant Codedes juridictions administratives au Gabon (Voir :Remondo (M.), Le droit administratif gabonais,Paris, LGDJ, 1987, p.223).200 Voir Seiller (B.), L’exception d’illégalité desactes administratifs, Thèse droit, Paris II, 1995.201 Au Gabon : article 80 de la loi du 16 septembre1994 portant organisation de la justice ; en France :article R.421-1 du Code de justice administrative.202 Pacteau (B.), « La rétroactivité jurisprudentielleinsupportable ? », in Mélanges en l’honneur de J.-F. Lachaume, Le droit administratif : permanences

son contrôle tous les actes contenant des règlesgénérales et impersonnelles, sans doute le jugeconstitutionnel gabonais (est-il) conscient del’inefficacité du juge administratif, et a-t-ilvoulu manifester sa volonté et sa déterminationà venir au secours des victimes des décisionsde l’administration »203. Toutefois, ainsi fait etcomme le note Georges Vedel, des « traits ducontentieux administratif (…) se trouvent (…)pris à contre-pied »204.

Cette inquiétude apparaît égalementdans la jurisprudence constitutionnellebéninoise. En effet, la cour constitutionnelles’est arrogée la compétence de reconnaître laresponsabilité de l’administration ; semblantmême refuser ce pouvoir au juge administratifordinaire. Selon la Cour, ce dernier ne peutdésormais que réparer les préjudices éventuelscausés aux citoyens par l’exécutif, du fait de laviolation de la constitution. Sa jurisprudenceest constante en la matière : « les préjudicessubis par toute personne, du fait de la violationde ses droits fondamentaux, ouvrent droit àréparation »205 . On pourrait donc penser« qu’en matière de responsabilitéadministrative, le juge constitutionnel tientdésormais l’administratif en l’état…. (car) cen’est qu’après la consécration par le jugeconstitutionnel du principe de la réparationd’un préjudice causé par l’administration quele juge administratif ordinaire saisi par lavictime pourra, le cas échéant, lui allouer desdommages et intérêts »206. Par cettejurisprudence, la Cour succombemanifestement à une « tentation totalitaire »207,qui la conduit à s’impliquer souverainement

203 Keutcha Tchapnga, « Le juge constitutionnel,juge administratif au Bénin et au Gabon ? », précité,p.579.204 Préface à l’ouvrage de Dominique Rousseau,Droit du contentieux constitutionnel, Paris,Montchrestien, 1993, 3ème éd., p.11.205 Décision DCC 02-052 du 31 mai 2002 ;Décision DCC 02-58 du 04 juin 2002, note Mede,Revue électronique Afrilex, 2004, n°4, p.353 et s.206 Keutcha Tchapnga, « Le juge constitutionnel,juge administratif au Bénin et au Gabon ? », précité,p.562.207 Celle qui traduirait une « propension à donnerune interprétation extensive à la compétenceattribuée » (Martens (P.), « Le métier de jugeconstitutionnel » in Delperee (F.), Foucher (P.),dir., La saisine du juge constitutionnel : aspects de

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dans un contentieux qui n’est pastraditionnellement du ressort de la justiceconstitutionnelle. « Au-delà de l’efficacitéincertaine de la méthode pour la défense desdroits et libertés, on ne peut s’empêcher derelever son caractère perturbateur pour lacohérence du droit »208. On peut pousser laréflexion encore plus loin : quel sera le sort desactes de gouvernement que le président Odentdéfinit comme « un acte accompli par lepouvoir exécutif dans ses relations avec uneautorité échappant à tout contrôlejuridictionnel »209, éventuellement attentatoiresaux droits fondamentaux constitutionnels ? Ilsemble que cette théorie210 n’ait pas de placedans ce type de contrôle visant à tout prix àprotéger la personne humine ; il en est demême pour les mesures d’ordre intérieur211.

Par ailleurs, à l’instar des juridictionsadministratives générales et spécialisées, lescours constitutionnelles béninoise et gabonaisedevraient utiliser les quatre niveaux ducontrôle juridictionnel des actes administratifsunilatéraux que sont le contrôle normal212, lecontrôle restreint ou minimum213, le contrôleinfra-minimum pour lequel on retrouve leséléments précédents, moins l’erreur manifeste,dans les cas où l’administration décide en touteopportunité214 et enfin le contrôle maximum215.Une telle démarche serait logique puisse quec’est la qualité du litige qui détermine lespouvoirs et la nature du juge comme l’avaitexactement énoncé le juge constitutionnelfrançais qui avait jugé, par exemple, qu’il luiappartient en tant que juge électoral de ne pasfaire application d’une loi électorale qui serait

208 Mede (N.), note sous Décision DCC 02-58 du 04juin 2002, Afrilex, précité, p.371.209 Odent (R.), Contentieux administratif, Lescours de droit, p.397. Actes en nombre limité, lesactes de gouvernement sont insusceptibles de toutrecours contentieux. Il s’agit pour l’essentiel d’actesintéressant les rapports d’une part entre les pouvoirspublics constitutionnels, d’autre part de l’Etat avecles puissances étrangères ou concernant lesrelations internationales (Voir : Duez (P.), Les actesde gouvernement, Sirey, 1934, réed. Dalloz, 2006).210 Voir Duez (P.), Les actes de gouvernement,Paris, Sirey, 1934 ; Capitant (R.), « De la nature desactes de gouvernement », in Mélanges Julliot de laMorandière, Paris, Dalloz, 1964, p.99 ; Chapus(R.), « L’acte de gouvernement : monstre ouvictime », D.1958, chron.5.211 Appartiennent à cette catégorie, les circulairesinterprétatives et les directives qui n’ont pas decaractère décisoire, mais aussi de véritables actesadministratifs unilatéraux dont les effets juridiqueset pratiques sont extrêmement ténus. Intervenantdans la vie interne de l’administration, expressiondu pouvoir discrétionnaire du supérieurhiérarchique, elles servent à assurer la discipline ausein des services. On les retrouve particulièrementdans trois domaines, l’école, les prisons et l’armée,où elles se concrétisent surtout par des mesuresindividuelles, sanctions et punitions de toutessortes. Considérées comme ne faisant pas grief, lesmesures d’ordre intérieur bénéficient d’uneimmunité bénéficient d’une immunitéjuridictionnelle totale, selon l’adage De minimisnon curat praetor (Voir : Hecquard-Théron, « De lamesure d’ordre intérieur », AJDA 1981, p.235 ;C.E.,Ass., 17 février 1995, Hardouin et Marie,Rec.82 ; GAJA n°97).

212 Il porte sur tous les aspects de la légalité, externecomme interne, et comprend en particulierl’examen par le juge de la qualification juridiquedes faits. Il s’applique au cas de compétencenormalement liée (C.E., 14 avril, 1914, Gomel,Rec.488 ; GAJA n°28).213 Moins poussé que le précédent, il s’exerce surl’exactitude matérielle des faits, l’erreur de droit,l’erreur manifeste d’appréciation et le détournementde pouvoir. La vérification de l’erreur manifested’appréciation permet de préserver le pouvoirdiscrétionnaire de l’administration (Voir A. Bockel,« Contribution à l’étude du pouvoir discrétionnairede l’administration », AJDA 1978, p.355).214 L’opportunité est la liberté laissée àl’administration d’apprécier le bien fondé, lemoment et la teneur de son action. Elle constitue,par conséquent, la caractéristique essentielle dupouvoir discrétionnaire ; mais elle, en revanche, trèsréduite ou absente dans les hypothèses decompétence liée (Delvolvé (P.), « Existe-il uncontrôle de l’opportunité ? », in Conseilconstitutionnel et Conseil d’Etat, Paris, LGDJ,1988, p.26).215 Ce contrôle va au-delà du contrôle normal dansla mesure où l’opportunité de la décision constitueun élément de sa légalité. Le juge administratif estainsi amené à apprécier l’adaptation de la mesureaux circonstances de fait, que l’administration soitdans une situation de compétence liée ou depouvoir discrétionnaire. C’est un contrôle deproportionnalité (C.E., 19 février 1909, Abbéolivier, Rec.181 ; C.E., 5 mai 1976, SAFERd’Auvergne c/ Benette, Rec.232 ; C.E., 28 mai1971, Ville Nouvelle Est, GAJA n°86 ; Braibant(G.), « Le principe de proportionnalité », inMélanges waline, LGDJ, 1974, p.297 ; Fromont(M.), « Le principe de proportionnalité », AJDAn°Spécial, 1995, p.156)

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contraire à un traité216. Elle confirmerait leconstat fait par le doyen Vedel selon lequel lejuge constitutionnel « à retrouver nombre desinstruments d’analyse bien connus du jugeadministratif (les termes de référence, lesouvertures, les modes de censure, etc.…) »217.

CONCLUSION

La rénovation de la justiceconstitutionnelle en Afrique vient poser en determes nouveaux le problème des rapportscomplexes entre l’Administration, son juge,son action et la norme constitutionnelle218. Lesjuges administratifs ordinaires béninois etgabonais sont désormais insérés dans unespace juridictionnel concurrentiel. Hier ils sedevaient déjà de prendre en compte laconcurrence des juridictions judiciaires ens’efforçant de se montrer aussi efficacequ’elles dans la protection des libertéspubliques. Aujourd’hui il semble s’effacerdevant un juge constitutionnel omniprésent« qui est en train de le supplanter dans l’imagede pourfendeur valeureux des abus del’administration. Plus nettement encore que parle passé, ils éprouvent un sentiment dedépossession »219.

De cette rénovation résulte unemodernisation du droit, synonyme delibéralisation car les changements s’analysentcomme un progrès commandé par la logiquedes droits fondamentaux. S’agissant de laFrance, Nicolas Molfessis parle d’une« irrigation du droit par le conseilconstitutionnel » : « d’en haut, coulerait ainsiune jurisprudence constitutionnelle quiviendrait offrir au droit une forme de

216 En statuant ainsi, il signifie clairement que sespouvoirs ne sont pas les mêmes selon qu’il est jugeélectoral ou juge de la constitutionnalité des lois(C.C., 21 octobre 1988, Ass. Nat., 5ème

circonscription du Val d’Oise, RFDA 1988, p.908,note Genevois ; AJDA 1989, p.128, noteWaschsmann ; D.1989, p.285, note Luchaire).217 Préface de l’ouvrage de Dominique Rousseau,Droit du contentieux constitutionnel, précité, p.11.218 Bockel (A.), « Le juge et l’administration enAfrique noire », Annales Africaines, 1972, p.172 ;Breton (J.M.), Le contrôle de l’Etat en Afrique,Paris, LGDJ, 1978.219 Keutcha Tchapnga, « Le juge constitutionnel,juge administratif au Bénin et au Gabon ? », précité,p.555.

renaissance »220 favorable au renforcement del’Etat de droit, dont le régime est aujourd’huiessentiellement conçu dans l’intérêt desindividus. Mais cet optimisme mérite d’êtrenuancé en ce qui concerne le Gabon et surtoutle Bénin, contrairement à ce qu’écrit M.Keutcha. Ce dernier pense en effet que dansbeaucoup de leurs décisions, « les jugesconstitutionnels gabonais et surtout béninoisont fait preuve d’une belle hardiesse qui laisseenvisager avec optimisme leur rôle de garantdes droits et libertés fondamentaux desindividus contre les éventuels abus résultantdes actes administratifs »221.

On semble au contraire observer lasituation inverse, ainsi que nous l’avonsdémontré222 : cette analyse ne vaut que pour lejuge constitutionnel gabonais ; celui du Béninest timoré, contrairement à son attitude dans lecontentieux da la distribution constitutionnelledes pouvoirs. Dire également que « les jugesadministratifs gabonais et surtout béninois ontété, dans le domaine de la protection des droitset libertés, dépossédés de l’essentiel de leursprérogatives d’antan au profit du jugeconstitutionnel qui, du fait de la généralisationde la saisine, a développé une abondantejurisprudence administrative ayant desrépercutions importantes à plus d’un titre » 223

ne traduit pas exactement la réalité juridique ;cette réalité ne vaut surtout que pour le jugeconstitutionnel gabonais, c’est-à-dire du côtéoù l’on s’attendait le moins.

Une inquiétude est perceptible, deuxdécennies après la mise en œuvre de cesréformes au Gabon et au Bénin :l’encombrement des cours par le nombred’affaires. En effet, « lorsqu’on ouvre lerecours direct aux individus pour assurer laprotection de leurs droits fondamentaux, on estnécessairement conduit à instaurer, tôt ou tard,un filtrage sévère des plaintes, et donc en

220 Molfessis (N.), « L’irrigation du droit par leconseil constitutionnel », Pouvoirs, 2003, n°105,p.89.221 Keutcha Tchapnga, « Le juge constitutionnel,juge administratif au Bénin et au Gabon ? », précité,p.560.222 Voir I-B.223 Keutcha Tchapnga, « Le juge constitutionnel,juge administratif au Bénin et au Gabon ? », précité,p.563.

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définitive à autoriser le juge constitutionnel àchoisir les quelques cas à propos desquels ilveut rendre une décision de principe »224. Lasurcharge quantitative des cours, considéréenon sans quelques raisons comme le « prix àpayer pour l’effectivité de l’Etat de droit etpour contourner les lenteurs de la justicetraditionnelle »225, est de nature à produire àterme des effets négatifs, comme par exemplele prolongement de la durée des procédures.Certes, le problème ne se pose pas encore dansles faits. Mais il mérite d’être soulevé afind’envisager une solution au cas où il seprésenterait. On pourra imaginer alors instituerau sein des deux Cours constitutionnelles, aumoyen d’une révision constitutionnelle sipossible, une Chambre chargée de filtrer lesrequêtes manifestement infondées desjusticiables.

D’autre part, ce type de nouveaumécanisme sur le continent noir ne doit pasengendrer une société de droit dans laquellel’individu et la défense de ses droits prime surtoute autre considération : les droits de l’enfantcontre ceux des parents, les droits de la femmecontre ceux de l’homme, les droits del’employé contre ceux de l’employeur sansconsidération de l’entreprise, etc. 226. Ledanger n’est pas moins grand de la sociétécontentieuse, juridiciarisée, dans laquelle ledroit devient principalement ce que dit le jugeconstitutionnel227 ; son pouvoir d’interprétationne connaissant que les limites que posent lesdroits fondamentaux, puisqu’ils sontintrinsèquement susceptibles d’interprétationdans chacun des cas qui lui sont soumis228. Etcomme le dit si bien Guillaume Drago, il nes’agit plus seulement alors de défendre la

224 Favoreu (L.) et autres, Droit constitutionnel,précité, p.221.225 Kpodar (A.), « Réflexions sur la justiceconstitutionnelle à travers le contrôle deconstitutionnalité de la loi dans le nouveauconstitutionnalisme : les cas du bénin, du Mali, duSénégal et du Togo », Revue béninoise des sciencesjuridiques et administratives, 2006, n°16, p.117.226 Drago (G.), Contentieux constitutionnelfrançais, Paris, PUF, 1998, p.68-69.227 Cadiet (L.), « Le spectre de la sociétécontentieuse », in Mélanges Cornu, Paris, PUF,1994, p.29 et s.228 Terré (F.), « Etat de droit ou sociétécontentieuse ? », in Mélanges Cornu, précité, p.21et s.

constitution et sa suprématie sur les autresnormes ; « il s’agit de défendre une conceptionsociale, une vision du monde. Et le juge prendnécessairement parti car il a sa conception desdroits fondamentaux »229. Une telle inquiétudepousse, de nouveau, à se poser avec le DoyenVedel la question suivante : « et les gardiensqui les gardera ? ».

Enfin, pour que ces réformesgabonaise et béninoise soient plus efficaces, ilfaut que les administrés puissent aisémentsaisir la justice : ce qui pose le récurent etépineux problème d’accès à la justice enAfrique, qui est l’un des mécanismes essentielsde garantie des droits fondamentaux230.Considéré comme un droit fondamental del’homme231, il contribue à les rendreeffectifs232. En attribuant le contrôle des typesd’actes règlementaires considérés au jugeconstitutionnel installé respectivement àCotonou et à Libreville, les constituantsgabonais et béninois obligent tous lesrequérants domiciliés hors de cesagglomérations de s’y rendre, contribuant ainsià « l’aggravation des obstacles classiques » àl’accès à la justice en général que sont seslenteurs, son coût et son éloignement233.S’agissant de l’éloignement géographique parexemple, il est un facteur de premier ordre dela difficulté d’accès à la justice ; pour le

229 Drago (G.), Contentieux constitutionnelfrançais, précité, p.69.230 Sawadogo (F.M.), « L’accès à la justice enAfrique francophone : problèmes et perspectives.La cas du Burkina Faso », RJPIC 1995, p.167 et s. ;Rouard (P.), Traité élémentaire de droit judiciaireprivé, tome préliminaire, Vol.1, Bruxelles,Bruylant, 1979, n°2 .231 Degni-Segui (R.), « L’accès à la justice et sesobstacle », Communication au colloque de Mauricesur « L’effectivité des droits fondamentaux dans lacommunauté francophone, 29 sept-1er oct. 1993,Coll. « Prospectives », AUPELF-UREF, 1994,p.241.232 Morissette (Y.M.), « L’accès à la justice et lesdroits fondamentaux comme moyen et commefin », in Actes du colloque de Maurice, précité,p.263.233 Sawadogo (F.M.), « L’accès à la justice enAfrique francophone : problèmes et perspectives.La cas du Burkina Faso », précité, p.173-193. Leprofesseur Sawadogo qualifie par la suite laquestion de confiance et le besoin d’une autrejustice comme étant des « obstacles spécifiques »(p.194-211).

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justiciable éloigné, plusieurs déplacements, enfait de véritables voyages, sont nécessaire ausiège de la juridiction constitutionnelle avantque son affaire ne soit tranchée. On pourraitd’ailleurs imaginer que la Chambre chargée de

filtrer les requêtes ait des antennesdépartementales, afin que le recours pour excèsde pouvoir cesse de ressembler à « un véritablechemin de croix »234.

234 Marie (L.), « De l’avenir du recours pour excèsde pouvoir en matière administrative », RDP 1901,p.265 et s.