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Réforme du droit des contrats : "Le juge devient une ... · Vogel & Vogel, dénonce l'affaiblissement de la force obligatoire du contrat issue de la réforme du droit des contrats

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Réforme du droit des contrats : "Le juge devient unetroisième partie au contrat", pour Joseph Vogel18/02/2016

Joseph Vogel, avocat spécialiste du droit de la concurrence et de la distribution, co-fondateur du cabinet

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Vogel & Vogel, dénonce l'affaiblissement de la force obligatoire du contrat issue de la réforme du droitdes contrats.

Nouveaux pouvoirs du juge, difficile articulation entre droit commun et droits spéciaux, s'agissant desclauses abusives notamment, reconnaissance de l'abus de dépendance comme vice du consentement ; laréforme du 10 février dernier bousculerait le droit commun des contrats.

Cet article fait partie d'une série que nous dédions cette semaine à la réforme du droit des obligations.

Les clauses abusives font leur entrée dans le code civil. Quelles en sont les conséquences ?

La généralisation de la sanction des clauses abusives en droit commun des contrats constitue, sans nuldoute, l’une des innovations les plus contestables de la réforme, qui soulève deux difficultés. La premièreest le risque de remise en cause des contrats d’adhésion sous prétexte d’un déséquilibre significatif entreles droits et obligations des parties. Cela fragilise énormement les contrats et crée un risque decontentieux important. Cette généralisation risque de propager dans le droit commun des problèmes quisont déjà apparus dans des droits spéciaux (droit de la consommation, droit des pratiques restrictives deconcurrence), et de fragiliser l’ensemble des contrats d’adhésion.

Toute personne qui risque d’être sujette à ces dispositions en tant qu’offreur de biens ou de services doitdonc revisiter ses conditions contractuelles, en sachant que cette précaution minimale n’empêcherajamais un cocontractant de remettre en cause des clauses qu’il estime déséquilibrées.

Le second problème réside dans l’articulation peu claire entre le droit commun et les droits spéciaux,s’agissant de l’article L. 442-6 du code de commerce en particulier. En effet, cet article ne déroge pas defaçon évidente au droit commun. La disposition introduite dans le code civil s’appliquerait aux contratsd’adhésion, tandis que l’article L. 442-6 du code de commerce s’applique aux relations dans lesquelles il ya eu soumission ou tentative de soumission du partenaire commercial à des droits et obligationsdéséquilibrés. Ces deux concepts ne se confondent pas, mais ne s’excluent pas non plus. Il est, dès lors,envisageable que ces deux dispositions se cumulent. D’autant plus qu’il existe un intérêt au cumul pourcertains contractants : selon que soit invoqué le code civil ou l’article L. 442-6 du code de commerce, lerégime juridique diffère. En particulier s’agissant du contrôle des clauses relatives au prix (exclu en droitcommun) et des sanctions applicables (la clause abusive est réputée non écrite en droit commun, laresponsabilité du partenaire commercial peut être mise en cause en droit des pratiques restrictives deconcurrence).

Ces clauses abusives de droit commun vont-elles avoir un impact concret sur les entreprises ?

De façon générale, l’introduction dans le code civil d’un dispositif de contrôle des clauses abusivesentraîne un affaiblissement de la force obligatoire du contrat, au détriment de l’attractivité du droitfrançais et de la compétitivité des entreprises françaises. Tous les pays n’ont pas un droit des clausesabusives aussi développé que le notre. Les contractants souhaitent que le contrat reflète la volonté desparties, et non qu’il puisse être remis en cause par le juge a posteriori. Les parties auront donc tendance àpréférer soumettre leurs contrats à un droit étranger, plus protecteur de leur volonté.

Le législateur ne se rend malheureusement pas compte qu’une entreprise étrangère qui traite avec uncocontractant français pourra échapper au droit français, en stipulant une clause attributive decompétence à un juge et à un droit étranger. En revanche, une entreprise française traitant avec despartenaires français ne pourra pas échapper à ce droit très contraignant, et s’en trouvera dépositionnée.

Quel est votre point de vue sur l’apparition de la violence économique comme nouveau vice duconsentement ?

Une jurisprudence peu fournie permet actuellement d’annuler un contrat en cas d’abus de la dépendanceéconomique de son cocontractant, sur le fondement du vice de violence. Malheureusement, comme pour

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beaucoup d’autres propositions, l’ordonnance va beaucoup plus loin que cette jurisprudence, en étendantla violence à l’abus de dépendance tout court, et non plus au seul abus de dépendance « économique ».

Si le législateur ne prévoit pas de garde-fou, nous allons assister à une remise en cause croissante descontrats pour abus de dépendance, comme dans la rupture brutale de relations commerciales établies qui,depuis son inscription dans le code de commerce, génère des centaines de contentieux par an et a conduità une rigidification des relations commerciales, alors que l’on faisait état de quelques cas auparavant.L’abus d’un état de dépendance risque, en effet, d’être très facile à démontrer.

A force de vouloir fairel’équilibre du contrat,nous aboutissons, enréalité, au déséquilibre,à l’insécurité juridiqueet à la fragilisation de larelation contractuelle

Avec cette extension du vice de violence, la sécurité de soncontrat attendue par une partie est affaiblie. A force de vouloirfaire l’équilibre du contrat, nous aboutissons, en réalité, audéséquilibre, à l’insécurité juridique et à la fragilisation de larelation contractuelle. Le contrat est la chose des parties : si, àtout moment, la volonté initiale des parties peut être remise encause par l’une d’elles, pour toutes sortes de raisons (valables ounon), la relation contractuelle est fragilisée.

Le cocontractant qui souhaitait s’engager va désormais y réfléchirà deux fois. Les entreprises préféreront contracter avec lesentreprises les plus solides, et pourront demander lacommunication des bilans et comptes de résultats avant des’engager. Les entreprises en difficultés, ou tout simplement plusfaibles financièrement, auront davantage de mal à trouver descocontractants.

La place du juge est-elle plus importante qu’auparavant ?

Oui, car le cocontractant se voit doté de moyens de contestation supplémentaires qui donnent une marged’appréciation importante au juge. Nous avons l’impression que le juge devient une troisième partie aucontrat. Il a toute une série de nouveaux pouvoirs : il peut vérifier si le contrat a été formé de bonne foi, siles nouvelles obligations d’informations ont été respectées. Il va, aussi, pouvoir contrôler l’erreur de droit,l’abus de dépendance, l’équilibre des clauses, réviser le contrat en cas d’imprévision, le prix fixéunilatéralement dans les contrats cadre, etc.

En concluant un contrat, chaque cocontractant doit savoir ce à quoi il peut s’attendre, et il vaut mieux quetout soit prévu dans le contrat. S'il est laissé au juge la possibilité de remettre en cause toutes sortes deparamètres, la force obligatoire du contrat s’en trouve affaiblie.

Au vu de ces constats, que conseillez-vous aux entreprises ?

Pour les contrats importants, il est sans doute préférable de contracter avant l’entrée en vigueur de laréforme, afin de bénéficier du droit en vigueur, plus protecteur de la volonté des parties. Ensuite, dans lescontrats internationaux, il faut parfois préférer opter pour un droit étranger et pour la compétence d’unjuge ou d’un arbitre d'une autre place de droit.

Si on ne peut pas échapper à ce nouveau régime du droit des contrats, il faut essayer de s’y préparer aumieux : informer de façon plus complète son cocontractant et se ménager la preuve, veiller à inscrire dansle contrat les avantages qu’en tire chaque partie, bilatéraliser les clauses, etc.

Il convient, également, d'écarter les dispositions supplétives du nouveau droit si l’on y a intérêt. Enfin, ilfaut bien choisir ses cocontractants, des partenaires qui ne sont pas trop procéduriers et en qui l’on aconfiance.

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Propos recueillis par Delphine Iweins

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