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Réforme historique du droit des contrats. Quand le gouvernement oublie de consulter les praticiens. Comment articuler enjeux économiques, politiques et juridiques ? 1 Le projet de loi autorisant le gouvernement à procéder par ordonnance sur ce point vient d'être censuré par le Sénat et l'Assemblée nationale. Un bras de fer Exécutif / Parlement en vue. Les principaux professionnels du droit des affaires semblent avoir été oubliés de la consultation. Sont-ils les seuls ? Constat n°1 La qualité de rédaction du projet de loi est élevée, et de nombreuses réformes positives sont saluées par la plupart des observateurs. Constat n°2 Mais des choix pour le moins contestables et aux effets majeurs sont poussés par le gouvernement, conduisant à une place accrue du juge et reconsidérant la notion même d'autonomie des parties. Constat n°3 Contrairement à ce qui a été déclaré par le Garde des sceaux, les principales organisations des professionnels du droit des contrats n'ont pas été consultées. Quatre interviews pour éclairer ce sujet majeur de l'évolution du droit. La recommandation du Business & Legal Forum. Améliorer le processus de consultation en associant davantage, avant que le projet de loi n'arrive en Conseil des ministres, en incluant ceux qui seront confrontés à l'application des textes, par leur fonction : une voie de progrès concrète, qui fait sens. 26.02.2014 Philippe Coen, président de l’Ecla Hervé Delannoy , président de l’AFJE Stéphane Lefer , secrétaire général du Cercle Montesquieu Grégory Mouy , président de la commission droit des sociétés de l’ACE Prochaines rencontres : - 13 mars, 18h/20h - Say on pay : à l'heure de sa mise en place. Benchmark international. - 2 avril, 18h/20h – Compliance concurrence : ce qui coûte, ce qui marche, ce qui compte. Contact : Karol Van Horton – [email protected] - 01 75 43 90 80

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Réforme historique du droit des contrats. Quand le gouvernement oublie de consulter les praticiens. Comment articuler enjeux économiques, politiques et juridiques ?  

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Le projet de loi autorisant le gouvernement à procéder par ordonnance sur ce point vient d'être censuré par le Sénat et l'Assemblée nationale. Un bras de fer Exécutif / Parlement en vue. Les principaux professionnels du droit des affaires semblent avoir été oubliés de la consultation. Sont-ils les seuls ? Constat n°1 La qualité de rédaction du projet de loi est élevée, et de nombreuses réformes positives sont saluées par la plupart des observateurs. Constat n°2 Mais des choix pour le moins contestables et aux effets majeurs sont poussés par le gouvernement, conduisant à une place accrue du juge et reconsidérant la notion même d'autonomie des parties. Constat n°3 Contrairement à ce qui a été déclaré par le Garde des sceaux, les principales organisations des professionnels du droit des contrats n'ont pas été consultées.

Quatre interviews pour éclairer ce sujet majeur de l'évolution du droit.  

La recommandation du Business & Legal Forum. Améliorer le processus de consultation en associant davantage, avant que le projet de loi n'arrive en Conseil des ministres, en incluant ceux qui seront confrontés à l'application des textes, par leur fonction : une voie de progrès concrète, qui fait sens.  

26.02.2014

Philippe Coen, président de l’Ecla  

Hervé Delannoy, président de l’AFJE  

Stéphane Lefer, secrétaire général du Cercle Montesquieu  

Grégory Mouy, président de la commission droit des sociétés de l’ACE

 

Prochaines rencontres : -  13 mars, 18h/20h - Say on pay : à l'heure de sa mise en place. Benchmark international. -  2 avril, 18h/20h – Compliance concurrence : ce qui coûte, ce qui marche, ce qui compte. Contact : Karol Van Horton – [email protected] - 01 75 43 90 80

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Business & Legal Forum : La concertation et la consultation qui ont entouré la préparation du projet de loi débouchant sur une réforme du droit des obligations vous semblent-elles avoir été à la hauteur des changements pressentis ? Philippe Coen : En tant que représentant des 42 000 juristes de notre association, je ne peux que le déplorer mais nous n’avons pas été consultés. Or, quand on parle d’attractivité du droit français, que le gouvernement prenne l’avis de ceux qui nous regardent depuis l’étranger, qui sont juristes, cela fait sens. On ressent bien que la priorité absolue pour les e n t r e p r i s e s , c ’ e s t l a s é c u r i t é d e s investissements et l’attractivité d’un pays à l’autre, mais aussi l’harmonisation ou la cohérence entre les droits au sein de l’Union européenne. Or, plus on distingue la France de ses voisins par un droit qui s’éloigne de ces objectifs, plus on réduit son attractivité. Quid aussi de la soumission de ce projet à la Commission européenne également, en raison de son influence potentielle sur l’économie de l’Union. B&LF : Que pensez-vous de la volonté de procéder par ordonnance ? P.C. : C’est un bon moyen pour accélérer le mouvement alors qu’il faut surtout beaucoup réfléchir. Bien consulter en amont, en associant à ce travail ceux qui écrivent les contrats, les font évoluer, les voient vivre. Les 16 000 juristes d’entreprises de France ne demandent que cela.

B&LF : Quelles voies d'actions avec les parties prenantes seriez-vous tenté de suggérer au gouvernement afin d'assurer à son projet le plus haut niveau possible de qualité ? P.C. : Sur la place que l’on envisage de donner au juge, l’effet peut être négatif. En donnant l’impression que l’on veut atteindre l’autonomie contractuelle, le cadre juridique français serait plus anxiogène pour les investisseurs étrangers – et pour les entreprises françaises aussi d’ailleurs ! Cela va pousser à analyser les rapports de force entre les contractants. Or, ces rapports évoluent dans le temps et il sera bien difficile, pour ne pas dire impossible, d’avoir une grille précise permettant de savoir si, lors de la conclusion, l’équilibre atteint était en accord avec l’esprit de la loi poussée par le gouvernement. A trop défendre ceux qui se disent faibles contre ceux qui ont l’air fort, on risque de porter atteinte à la culture économique du contrat. Enfin, le texte fait référence au projet européen du droit de la vente. Ce texte repose sur une approche optionnelle ; il est par ailleurs truffé de problèmes de définitions, d’impasses… Citer ce texte, c’est s’inscrire dans une approche simplificatrice qui n’est pas au niveau des enjeux.

Interview de Philippe Coen président de European Company Lawyers Association

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Business & Legal Forum : La concertation et la consultation qui ont entouré la préparation du projet de loi débouchant sur une réforme du droit des obligations vous semblent-elles avoir été à la hauteur des changements pressentis ? Hervé Delannoy : Sauf erreur de ma part, je n’ai aucun souvenir d’une consultation du gouvernement sur la réforme du droit des contrats. Quand nous sommes sollicités, c’est très cadré avec l’envoi d’un projet, de questions précises et un calendrier. En outre, dans les deux rapports mis en avant par le gouvernement (ceux de François Terré et de Pierre Catala, ndlr), tout à fait intéressants par ai l leurs, i l est fa i t référence à des consultations de place qui ne nous évoquent rien. B&LF : Que pensez-vous de la volonté de procéder par ordonnance ? H. D. : Le droit des obligations est presque la grammaire de notre droit. Au premier réflexe je me dis que c’est donc du domaine privilégié du législateur. Et puis au regard des lois de plus en plus mal rédigées et du patchwork des amendements opportunistes je m’inquiète de ce qui pourrait en résulter pour cette partie essentielle du droit. Le projet se fonde sur les rapports faits collectivement par les meilleurs spécialistes universitaires, l’ordonnance est une faculté ouverte par la Constitution, peut-

être est-il préférable pour une refonte de cette importance de préserver ainsi une cohérence et une qualité indispensables à la matière. B&LF : Quelles voies d'actions avec les parties prenantes seriez-vous tenté de suggérer au gouvernement afin d'assurer à son projet le plus haut niveau possible de qualité ? H. D. : La voie de l’ordonnance n’exclue pas une consultation des praticiens. Les analyses des professeurs de droit doivent être conjuguées avec celles des magistrats ayant à connaître des contentieux dans ce domaine, des avocats concernés et des juristes d’entreprise. De nombreux points du projet sont positifs. Mais certains soulèvent de très délicates questions et risquent de changer des équilibres de fond d’un point de vue de l’organisation de notre vie économique. Deux exemples parmi d’autres. L’article 50 introduit l’état de faiblesse de manière générale, hors cadre spécifique du droit de la consommation. Cela risque d’engendrer une insécurité importante. L’article 77 fait quant à lui référence au déséquilibre significatif, tout en précisant que son appréciation ne peut porter ni sur la définition de l’objet du contrat, ni sur l’adéquation du prix à la prestation. C’est aussi dangereux.

Interview  de Hervé Delannoy président de l’Association française des juristes d’entreprises (A.F.J.E.)

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Business & Legal Forum : La concertation et la consultation qui ont entouré la préparation du projet de loi débouchant sur une réforme du droit des obligations vous semblent-elles avoir été à la hauteur des changements pressentis ? Stéphane Lefer : Nous n’avons pas été du tout consultés. Or, habituellement, nous le sommes régulièrement, directement ou indirectement via l’Afep et le Medef. Ce fut le cas récemment pour la réforme sur les tribunaux de commerce ou bien encore en décembre par l’Autorité de la concurrence dans le cadre du rapport sur le contrôle des concentrations. Le Cercle peut apporter une vision éclairée de la praticabilité juridique d’un texte, donner un avis pertinent je crois sur la mise en œuvre d’un dispositif. Comme directeurs juridiques nous sommes soucieux d’améliorer la productivité des entreprises pour lesquelles nous travaillons et une réforme du droit des contrats y participe. Plus encore dans un contexte international le droit français et plus particulièrement le droit des contrats doit être adapté à la réalité des entreprises. En conséquence, que les praticiens du droit que nous sommes soient sollicités pour donner leur avis sur le fond des choses nous semblerait pertinent.

B&LF : Que pensez-vous de la volonté de procéder par ordonnance ? S.L. : L’ordonnance, c’est le temps de l’urgence et d’une concertation limitée. Or, il faut mettre en œuvre une grande concertation sur un sujet comme celui-là, d’autant plus qu’il s’agit de modifier un texte qui a 200 ans et qui a su démontrer son efficacité. De la concertation débouchera l’adhésion des praticiens. Procéder par ordonnance est donc surprenant. B&LF : Quelles voies d'actions avec les parties prenantes seriez-vous tenté de suggérer au gouvernement afin d'assurer à son projet le plus haut niveau possible de qualité ? S.L. : Pourquoi pas une grande conférence réunissant tous les professionnels concernés pour permettre tout d’abord une explication de texte et ensuite laisser un délai court à ces praticiens pour réagir. Ensuite il pourrait s’agir d’un débat parlementaire venant pour le moins, continuer le travail pédagogique. Il n’est peut être pas trop tard ! Evitons absolument de découvrir dans les années à venir une disposition de cette réforme qui s’avérerait impraticable et qui ferait que nos entreprises se détournent du droit des obligations françaises pour choisir dans leurs relations commerciales internationales le droit anglais ou américain.

Interview de Stéphane Lefer secrétaire général, Cercle Montesquieu.

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Interview de Grégory Mouy, avocat, président de la commission droit des sociétés de l’ACE, Association des avocats conseils d’entreprises Business & Legal Forum : La concertation et la consultation qui ont entouré la préparation du projet de loi débouchant sur une réforme du droit des obligations vous semblent-elles avoir été à la hauteur des changements pressentis ? Grégory Mouy : Nous n’avons pas été consultés du tout. Et, pour ce que nous en savons, nous n’avons pas l’impression que les consultations aient été nombreuses. Nous entendons dire qu’il faut cependant s’attendre à une consultation renforcée par la suite. Nous verrons alors. B&LF : Que pensez-vous de la volonté de procéder par ordonnance ? G.M. : Cette voie est certainement la plus rapide. Elle n’est pas du tout incompatible avec une consultation large des intervenants les plus à même de guider le gouvernement sur les sujets abordés. Par opposition, la voie parlementaire peut apparaître à certains comme plus fastidieuse. B&LF : Quelles voies d'actions avec les parties prenantes seriez-vous tenté de suggérer au gouvernement afin d'assurer à son projet le plus haut niveau possible de qualité ?

G.M. : Sur le fond du projet, je note que celui-ci consiste principalement à codifier le patient travail jurisprudentiel accompli par la Cour de cassation depuis des décennies. A cet égard, aucune révolution du droit des contrats n’est à attendre. Mais il y a tout de même des évolutions importantes, allant dans le sens de l’affaiblissement de la force obligatoire du contrat. Ce mouvement se dessine depuis trente ans. Avec ce projet, le gouvernement veut aller plus loin, notamment par deux biais. Le premier, en autorisant le juge considérer comme non écrites des clauses créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, y compris dans les rapports entre professionnels. Or, la notion de déséquilibre significatif, floue et malléable, rendrai t imprévis ib les les évolut ions jurisprudentielles et fragiliserait la sécurité juridique à laquelle aspirent les contractants. En outre, si la volonté du gouvernement de lutter contre les comportements abusifs est salutaire, il reste que cette évolution remettrait en cause l’idée fondatrice du Code civil selon laquelle il appartient aux parties contractantes de fixer elles-mêmes librement, par la négociation et les concessions réciproques, les stipulations de leur contrat. L’un des autres aspects importants du projet vise à accueillir en droit français la théorie de l’imprévision. Le juge serait autorisé à résilier un contrat dont l’exécution serait devenue excessivement onéreuse pour le débiteur en raison de l’avènement de circonstances nouvelles. Cette proposition devrait recevoir un accueil favorable.

Interview de Grégory Mouy président de la commission droit des sociétés de l’Association des avocats conseils d’entreprises (A.C.E.)

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