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Unité de droit international privé de l’U.L.B. http://www.dipulb.be 1 H. BOULARBAH, A. NUYTS et N. WATTÉ « Le règlement « Bruxelles I » sur la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale », JT , 2002, pp. 161 - 171 Publié avec l’aimable autorisation du Journal des Tribunaux

Reglement Bruxelles 1

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H. BOULARBAH, A. NUYTS et N. WATTÉ « Le règlement « Bruxelles I » sur la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale »,

JT , 2002, pp. 161 - 171

Publié avec l’aimable autorisation du Journal des Tribunaux

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Editeur : LARCIER, rue des Minimes, 39 - B 1000 BRUXELLES

Septembre 2002No 91 — 10e année

ISSN 0779-7656

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S O M M A I R E

Bureau de dépôt : Charleroi XMensuel, sauf juillet/août

D O C T R I N E

Le règlement « Bruxelles I » sur la compétence judiciaire,

la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale

I

Introduction

A. — Modification de la base juridique

1. — Le 1er mars 2002 est entré en vigueur lerèglement no 44/2001 du Conseil du 22 décem-bre 2000 concernant la compétence judiciaire,la reconnaissance et l’exécution des décisionsen matière civile et commerciale (ci-après, « lerèglement ») (1). Ce règlement remplace la cé-lèbre Convention de Bruxelles du 27 septembre

1 9 6 8 ( c i - a p r è s , « l a C o n v e n t i o n d eBruxelles ») entre les Etats membres del’Union européenne ayant adhéré aux disposi-tions du Traité C.E. relatives à la coopération(art. 68 du règlement). A l’origine, la coopéra-tion judiciaire civile au sein de l’Union avaitpris la forme de Conventions internationales,en vue de simplifier les formalités auxquellesétaient soumis les effets des décisions judiciai-res (ancien art. 220, Traité C.E.) (2). Avec leTraité de Maastricht en 1993 (3), elle fut inté-grée dans le titre V comme une question d’in-térêt commun des Etats membres. Enfin, dansle Traité d’Amsterdam du 2 octobre 1997 (4),d’importantes parties du troisième pilier ont ététransférées vers le premier pilier, entraînant lasubstitution des actes communautaires à l’ins-trument des Conventions internationales. Il enest ainsi de la coopération judiciaire civile, quifigure au titre IV du Traité C.E., libellé« Visas, asile, immigration et autres politiquesliées à la libre circulation des personnes »(art. 61, c et 65). Les actes communautairespeuvent revêtir des formes diverses; pour lamatière qui nous occupe, celle du règlement aété adoptée (5).

(1) J.O.C.E., L12, 16 janv. 2001, p. 1. Le règlementa déjà donné lieu à des commentaires générauxexhaustifs auxquels le lecteur est renvoyé :J.C. Beraudo, « Le règlement (C.E.) du Conseil du22 décembre 2000 concernant la compétence judiciai-re, la reconnaissance et l’exécution des décisions enmatière civile et commerciale », Clunet, 2001,pp. 1033 et s.; Ch. Bruneau, « Les règles européennesde compétences en matière civile et commerciale »,J.C.P., éd. Gén., 2001, I, 304 et « La reconnaissanceet l’exécution des décisions rendues dans l’Unioneuropéenne », J.C.P. , éd. Gén., 2001, I, 314;I. Couwenberg et M. Pertegàs-Sender, « Recente ont-wikkelingen in het Europees bevoegdheids-enexecutierecht », in Het nieuwe Europese I.P.R. : vanVerdrag naar Verordening, Anvers, Intersentia, 2001,pp. 31 et s.; H. Croze, « Règlement (C.E.) no 44/2001du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la com-pétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécutiondes décisions en matière civile et commerciale »,J.C.P., éd. Entr., 2001, pp. 437 et s.; G.-A. Droz etH. Gaudemet-Tallon, « La transformation de la Con-vention de Bruxelles du 27 septembre 1968 en règle-ment du Conseil concernant la compétence judiciaire,la reconnaissance et l’exécution des décisions en ma-tière civile et commerciale », Rev. crit. d.i.p., 2001,pp . 601 e t s . ; W. Kennet , « The Brusse l s Iregulation », I.C.L.Q., 2001, pp. 725 et s.; A. Mourre,« La communautarisation de la coopération judiciaireen matière civile », R.D.A.I., 2001, pp. 770 et s.;A. Nuyts, « La communautarisation de la Conventiond e B r u x e l l e s » , J .T . , 2 00 1 , pp . 9 13 e t s . ;G.E. Schmidt, « De EEX-Verordening : de volgendestap in het Europese procesrecht », N.I.P.R., 2001,pp. 150 et s.; F. Roose et Y. Lenders, « Van verdrag

naar verordening - Een overzicht inzake de rechterlij-ke bevoegdheid, de erkenning en de tenuitvoerleggingvan beslissingen in burgerlijke en handelszaken »,A.J.T., 2001-02, pp. 863 et s.(2) Dès le premier élargissement de la Communautéeuropéenne, le principe dit de « l’acquis communau-taire » a été posé. Les Etats se sont ainsi vu imposerl’obligation d’adhérer à la Convention de Bruxelles.(3) Qui a structuré une intégration différenciée de laCommunauté européenne (Ph. Manin, « Les aspectsjuridiques de l’intégration différenciée », in Vers uneEurope différenciée? Possibilité et limite, Paris, Pé-done , 1996 , pp . 9 e t s . ) . Su r l a no t i on de« différenciation », voy. notam., C.D. Ehlermann,« Différenciation, flexibilité, coopération renforcée :les nouvelles dispositions du Traité d’Amsterdam »,Rev. marché unique européen, 1997, pp. 57 et s.(4) Qui règle les modalités d’une coopération plusétroite au sein d’un groupe d’Etats membres, sansporter préjudice aux pays qui ne veulent pas ou nepeuvent pas prendre part à cette coopération.(5) Sur la modification de la base juridique sur la-quelle se fonde le règlement et les critiques, voy.

Doctrine :Le règlement « Bruxelles I » sur la com-pétence judiciaire, la reconnaissance etl’exécution des décisions en matière civi-le et commerciale, par N. Watté, A. Nuytset H. Boularbah . . . . . . . . . 161

Extrait du Journal des tribunaux droit européen n° 91 de septembre 2002 et reproduit avec l’aimable autorisation des Editions Larcier

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Comme le rappelle le préambule, le règlementse fonde sur l’article 61 du Traité C.E. qui visela mise en place progressive d’un « espace deliberté, de sécurité et de justice ». Pour ce fairedans le domaine de la coopération judiciaire, leConseil adopte des mesures destinées à facili-ter la reconnaissance des décisions (art. 65, a,Traité C.E.) et à favoriser la compatibilité desrègles de compétence (art. 65, b, Traité C.E.)(6). De telles mesures sont considérées commenécessaires au bon fonctionnement du marchéintérieur. Tout comme la Convention deBruxelles, le règlement a pour objectif d’intro-duire des règles uniformes de compétence pré-sentant un haut degré de prévisibilité (cons.no 11) et de simplifier les formalités nécessai-res à la reconnaissance et à l’exécution des dé-cisions au moyen d’une procédure rapide etefficace (cons. no 17).

L’interprétation du règlement appartient doré-navant de plein droit à la compétence de laCour de justice des C.E. Sont applicables lesdispositions des articles 234 et suivants duTraité C.E., qui organisent la compétence d’in-terprétation de la Cour pour les actes de droitcommunautaire. Toutefois pour les matièresrelevant du titre IV du Traité, l’article 68-1prévoit expressément que seules les juridic-tions (7) des Etats membres dont les décisionsne sont pas susceptibles d’un recours juridic-tionnel du droit interne sont habilitées à poserà la Cour une question préjudicielle. End’autres termes, les juridictions d’appel desEtats membres n’auront plus le droit de saisir laCour d’une question préjudicielle en interpré-tation du règlement, comme elles pouvaient lefaire en vertu du protocole spécial du 3 juin1971. Celles-ci conserveront ce pouvoir dansles cas où la Convention de Bruxelles resteapplicable (voy. infra). On ajoutera quel’article 68-3 du règlement confie au Conseil, àla Commission ou à un Etat membre le pouvoird’introduire un recours dans l’intérêt de la loiet ce, même s’il n’y a pas de contradictions en-tre les décisions.

B. — Continuité de la Convention de Bruxelles

2. — Le préambule souligne la volonté affirméedes autorités communautaires d’assurer la con-tinuité de la Convention de Bruxelles, dont le

règlement s’inspire largement. La continuitéconcerne l’interprétation de la Cour de Luxem-bourg (cons. no 19). Il en résulte que les juridic-tions nationales demeurent liées par les princi-pes dégagés des arrêts interprétatifs de la Courrelatifs aux dispositions de la Convention deBruxelles quand celles du règlement sont rédi-gées dans des termes identiques ou similaires.

La comparaison entre le texte du règlement etcelui de la Convention de Bruxelles fait néan-moins apparaître des différences. Elles sontparfois de simple forme. Ainsi le règlement sedécompose en « chapitres » alors que la Con-vention de Bruxelles est divisée en « titres ». Ilrecourt à une numérotation nouvelle à partir del’article 7, ce qui améliore la lisibilité du texte.Celui-ci intègre les dispositions du protocoleannexé à la Convention de Bruxelles (commecelles relatives au brevet européen et aux in-fractions involontaires). Il supprime égalementles articles bis, ter et quater de la Conventionde Bruxelles. Il crée enfin une section nouvelleen matière de contrats de travail. Parfois aussile règlement se borne à corriger un article anté-rieur mal libellé ou incomplet (par ex.,l’article 4 ou l’article 9-1, b, relatif aux con-trats d’assurance); il peut aussi le préciser en yintégrant la jurisprudence de la Cour de justice(par ex., l’exigence de la connexité en cas depluralité de défendeurs visée à l’article 6-1).Parfois encore il s’agit seulement d’adapter letexte ancien en vue de prendre en compte destextes nouvellement adoptés (les directivespour les « grands risques » en matière d’assu-rance [art. 14-5]; le règlement no 1349/2000 re-latif à la signification et à la notification desactes judiciaires et extrajudiciaires dans la pro-cédure par défaut [art. 26-3]).

D’autres enfin sont des modifications substan-tielles, certes limitées mais importantes. C’està une brève présentation de celles-ci qu’estconsacré le présent commentaire, qui supposeconnues du lecteur les règles de la Conventionde Bruxelles (8). On traitera d’abord du champd’application du règlement [1]; on signaleraensuite les changements apportés aux règles decompétence [2]; on abordera enfin ceux relatifsaux effets des décisions [3].

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Champ d’application

3. — Le champ d’application matériel du règle-ment demeure identique à celui de la Conven-tion de Bruxelles. Certaines matières qui ensont exclues — comme la dissolution du maria-ge ou les faillites et les concordats — sontaujourd’hui régies par des actes communautai-res particuliers (9). En revanche, les champs

d’application temporel et territorial ont subil’incidence du passage de la Convention deBruxelles au règlement.

A. — Champ d’application temporel et territorial

4. — Quant au champ d’application temporeld’abord, le règlement s’applique simultané-ment sur le territoire de tous les Etats membres,à la date qu’il s’est fixé, sans qu’il soit besoind’un acte quelconque des instances nationalesqui conditionnerait son entrée en vigueur(art. 254, Traité C.E. et 76 du règlement). Onévite ainsi le processus antérieur des ratifica-tions successives de la Convention de Bruxel-les qui avait suscité tant de retard et l’applica-tion de versions différentes du texte de laConvention au sein de l’Union. Il suffit de rap-peler que la Belgique n’a ratifié la version de1989 de la Convention qu’en 1997 et qu’ellen’a pas ratifié celle du 29 novembre 1996!Le règlement est, en principe, applicable auxactions judiciaires introduites et aux actesauthentiques reçus postérieurement à la date du1er mars 2002 (art. 66-1 du règlement) (10).Toutefois les décisions rendues ultérieurementà la suite d’actions intentées antérieurementbénéficient des règles du chapitre III du règle-ment moyennant le respect de certaines condi-tions. Elles doivent avoir été introduites aprèsl’entrée en vigueur de la Convention deBruxelles (ou de celle de la Convention de Lu-gano) tant dans l’Etat d’origine que dans l’Etatrequis. Il en est de même si les règles ayant fon-dé la compétence du juge d’origine sont con-formes à celles du règlement ou à celles d’uneConvention liant à l’époque l’Etat d’origine etl’Etat requis (art. 66-2 du règlement).En ce qui concerne le champ d’application ter-ritorial du règlement ensuite, celui-ci a voca-tion à s’appliquer sur tout le territoire des Etatsmembres, qu’il soit européen comme non euro-péen. Pour sa délimitation, qui paraît com-plexe, il y a lieu à se référer à l’article 299 duTraité C.E.; mais la détermination du territoirelui-même des Etats membres se fait par renvoiau droit interne de ces Etats (11). Des déroga-tions ou aménagements peuvent être apportés àce principe. Ensuite, depuis les accords deMaastricht, les Etats membres ont la possibilitéde bénéficier d’exemptions selon les politiquesen cause, avec la conséquence d’une aire géo-graphique européenne variable. C’est le caspour les matières relevant du titre IV du TraitéC.E. Eu égard à l’opposition du Royaume-Uni,de l’Irlande et du Danemark à leur communau-

(8) Sur lesquelles, cons. la deuxième édition del’ouvrage de référence de H. Gaudemet-Tallon, LesConventions de Bruxelles et de Lugano, Paris,L.G.D.J., 1996, nos chroniques publiées dans ceJournal en 1998, pp. 57 et s. et en 2000, pp. 225 et s.ainsi que le dossier no 28 du Journal des tribunaux(Bruxelles, Larcier, 2001, pp. 60 et s.) consacré audroit judiciaire international par H. Born, M. Fallonet J.-L. Van Boxstael.(9) Le règlement 1347/2000 relatif à la compétence,à la reconnaissance et l’exécution des décisions enmatière matrimoniale et de responsabilité parentale,entré en vigueur depuis le 1er mars 2001; le règle-ment 1346/2000 relatif aux procédures d’insolvabi-

C. Kohler, « Interrogations sur les sources du droitinternational privé européen après le Traitéd’Amsterdam », Rev. crit. d.i.p., 1999, pp. 22 et s.Quant aux difficultés, en général, de la communau-tarisation du droit des conflits de juridictions, voy.M. Ekelmans, « La Convention de Bruxelles et ledroit communautaire », in L’espace judiciaire euro-péen en matières civile et commerciale, Bruxelles,Bruylant, 1999, pp. 195 et s.(6) Sur les rapports entre les articles 293 (ancien art.220) et 65 du Traité C.E., voy. C. Kohler, op. cit.,pp. 18 et s. Sur les autres dispositions du Traité pou-vant servir de fondement à l’élaboration de règles dedroit international privé : H. Van Houtte, « Degewijzigde bevoegdheid van de Europese Unie inza-ke I.P.R. », in Het nieuwe Europese I.P.R. : van Ver-drag naar Verordening, op. cit., pp. 7 et s.(7) Sur la notion de juridiction, voy. notam.J. Boulouis et J.G. Huglo, Contentieux communau-taire, Précis Dalloz, Paris, 2001, pp. 15 et s.;G. Vandersanden, « Actualité de la procédurepréjudicielle », in J.-L. Clergerie (dir.) Le pouvoirjudiciaire communautaire, Limoges, Pulim, 1999,pp. 68 et 69.

lité, qui entre en vigueur le 31 mai 2002. Il faut yajouter les directives 2001/17 et 2001/24 concernantl’assainissement et la liquidation des entreprisesd’assurance et des établissements de crédit.(10) Sur la notion de la date d’intentement de l’ac-tion, voy. N. Watté et H. Boularbah, « Les nouvellesrègles de conflits de juridictions en matière de dés-union des époux », J.T., 2001, p. 370, no 2.(11) J. Ziller, « Champ d’application du droit com-munautaire », Juris Classeur Europe, 1998, fasc.470, nos 41 et s.; O. Lhoest, « Quelques questions re-latives au champ d’application territorial des Traitésde Rome, de Maastricht et d’Amsterdam », inY. Lejeune (dir.), Le Traité d’Amsterdam - Espoirset déceptions, Bruxelles, Bruylant, 1998, pp. 100 ets. Il en va ainsi des départements français d’outre-mer alors que les îles Anglo-normandes sont ex-clues. Pour certains territoires, comme les territoiresfrançais d’outre-mer (par ex., la Polynésie), qui ne

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tarisation, des dérogations ont été organiséesen faveur de ces Etats dans deux protocolespour le Royaume-Uni et l’Irlande, d’une part,et pour le Danemark, d’autre part (art. 69, Trai-té C.E.). En principe, les deux premiers pays neparticipent pas à l’adoption des mesures propo-sées; ils peuvent cependant déclarer leur volon-té d’y collaborer ou leur souhait ultérieur de lesadopter (clause d’« opt in »). Le Royaume-Uniet l’Irlande ont ainsi déclaré qu’ils souhaitentse soumettre au règlement (12). Le protocolesur la position du Danemark n’organise en re-vanche pas de possibilité d’« opt in »; le Dane-mark n’est dès lors pas lié par le règlement(13). La Convention de Bruxelles y reste d’ap-plication ainsi que dans les relations entre cepays et les autres Etats membres de l’Unioneuropéenne.

B. — Relations avec les autres instruments communautaires et internationaux

5. — Le règlement ne préjuge pas de l’applica-tion d’autres actes communautaires et des lé-gislations nationales harmonisées en exécutionde ces actes qui, dans des matières particuliè-res, contiennent des règles de conflits de juri-dictions (art. 67 du règlement). Cette disposi-tion soulèvera des problèmes de coordinationen raison de la prolifération de dispositionséparses de droit international privé dans unnombre de plus en plus important d’instru-ments communautaires spéciaux. On songe auxactes et législations en matière de clauses abu-sives dans les contrats conclus avec les con-sommateurs, de marque communautaire, de dé-tachement des travailleurs, de contrats de time-share, de restitution de biens culturels,...

Le règlement ne traite pas en revanche des rap-ports qui surgiront entre celui-ci et la Conven-tion de Bruxelles, pour laquelle il est seulementstipulé qu’il la remplace entre Etats membres(art. 68-1 du règlement). Ces relations risquentpourtant de susciter plusieurs questions prati-ques dans la mesure où les textes ne coïncidentpas toujours (14). Il nous paraît que la Conven-tion de Bruxelles, et non le règlement, devraits’appliquer à la détermination de la compéten-ce des juridictions d’un Etat membre quand lelitige est intégré au Danemark (en raison, parexemple, de la localisation du domicile du dé-fendeur dans ce pays). Il en va de même quandil s’agit de reconnaître ou d’exécuter dans unEtat membre une décision danoise (15).

Le règlement ne délimite pas non plus leschamps respectifs du règlement et de la Con-vention de Lugano, dont les textes se sont dif-férenciés. Il nous paraît qu’il faut partir de larègle de l’article 68-2 du règlement qui énonceque toute référence faite à la Convention deBruxelles désigne le règlement. L’article 54ter-1, de la Convention de Lugano, qui règleles rapports entre celle-ci et la Convention deBruxelles, doit dès lors se comprendre commesignifiant également que la Convention de Lu-gano n’affecte pas dans les Etats membres l’ap-plication du règlement (16). En d’autres ter-mes, devant les juridictions des Etats membres,le règlement devrait s’appliquer si le défendeurest domicilié dans un Etat membre, même s’ila la nationalité d’un Etat de l’A.E.L.E. (par ex.Suisse) et que le demandeur a son domicile surle territoire d’un Etat de l’A.E.L.E. (par ex. enNorvège). La Convention de Lugano prévau-drait en revanche si le défendeur est domiciliédans un Etat de l’A.E.L.E. ou si les juridictionsd’un Etat de l’A.E.L.E. sont exclusivementcompétentes en vertu des articles 16 et 17 de laConvention de Lugano. Cette dernière régiraitaussi la reconnaissance et l’exécution dans lesEtats membres d’une décision émanant des ju-ridictions d’un Etat de l’A.E.L.E. ou cellesd’une décision des juridictions de l’un desEtats de l’Union européenne dans un Etat del’A.E.L.E.

Quant aux conventions conclues entre Etatsmembres visées à l’article 69 (17) et qui rè-glent de manière générale la compétence judi-ciaire et les effets des jugements, elles sontremplacées par le règlement, sous la réserve deleur application éventuelle par le biais des dis-positions transitoires (art. 66-2 du règlement).Elles continuent toutefois de produire deseffets dans les matières auxquelles le règle-ment n’est pas applicable (art. 70) (18).

Enfin, le règlement ne porte pas atteinte auxconventions particulières auxquelles sont par-ties les Etats membres. Le texte de l’article 71du règlement reprend celui de l’article 57 de laConvention de Bruxelles, dont il a cependantexclu les termes « seront parties » (19). Faut-ily voir la renonciation à la liberté des Etatsmembres de conclure des accords internatio-naux en faveur d’une communautarisation desnégociations dans ces matières? L’espace né-cessairement restreint de la présente étude nouscontraint à renvoyer sur ces questions le lecteuraux commentaires généraux.

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Compétence judiciaire

A. — Domicile des personnes morales

6. — Comme dans la Convention de Bruxelles,les règles de compétence s’articulent autour dufor du défendeur, sauf dans les cas où la matiè-re ou la volonté des parties justifie un autre cri-tère de rattachement (cons. no 11). Il est dèslors indispensable de s’attacher à la notion dedomicile, auquel est assimilé le siège des per-sonnes morales. Quand il s’agit de personnesphysiques, la solution est inchangée : l’on s’enremet à la définition des droits nationaux(ar t . 59) . Pour les personnes mora les ,l’article 53 de la Convention de Bruxelles dési-gne les règles de droit international privé desEtats. L’article 60-1 du règlement indique, enrevanche, trois critères alternatifs mis sur unpied d’égalité : le siège statutaire (20), l’admi-nistration centrale et le principal établissement.L’exposé des motifs de la proposition de règle-ment souligne le lien avec l’article 48 du TraitéC.E. relatif au droit d’établissement des socié-tés à l’intérieur de la Communauté (21). Lesouci de se référer à des notions autonomes dudroit communautaire est évidemment fort loua-ble. Il faut cependant signaler que le règlement1346/2000 relatif aux procédures d’insolvabili-té se réfère quant à lui au seul concept du siègestatutaire. Il est vrai que les deux textes n’ontpas le même objectif. Il est parfaitement conce-vable, dans le cadre du règlement, que le de-mandeur ait le choix entre les critères del’article 60. S’agissant de procédures d’insol-vabilité, il importe qu’un seul tribunal soit ex-clusivement compétent pour prononcer uneprocédure principale.

La référence au droit international privé (22)a par contre été expressément maintenue àl’article 22-2 du règlement à propos desactions en validité, nullité ou dissolution despersonnes morales. Même si celle-ci peut con-duire à des conflits positifs de compétence (lalocalisation du siège statutaire dans un Etatmembre et celle du siège réel dans un autre)entraînant le jeu de compétences exclusivesconcurrentes, on peut penser qu’ils sont moinsnombreux que par application des critères del’article 60 (23). On peut ensuite relever quel’utilisation des facteurs de rattachement con-duit à une coïncidence des compétences judi-ciaire et législative.

que par la loi du 10 janvier 1997 (M.B., 8 janv. 1998)Voy. sur son application, infra. On peut espérer quesa révision rapprochera son texte de celui du règle-ment.(16) Ou celle éventuelle de la Convention deBruxelles.(17) Dans l’énumération de l’article 69 du règle-ment ne figurent pas les Conventions conclues avecle Royaume-Uni. Cet oubli a été réparé par un recti-ficatif publié au J.O.C.E., L307, 24 nov. 2001, p. 28.(18) Sur les critiques quant à la formulation de l’ar-ticle 70-2 du règlement, voy. G. Droz et H. Gaude-met-Tallon, op. cit., pp. 619 et s.(19) Sur le problème des accords avec les pays tiersconclus en vertu de l’article 59 de la Convention deBruxelles (art. 72 du règlement), voy. G. Droz etH. Gaudemet-Tallon, op. cit., pp. 621 et 622. Quantaux négociations particulières dans le cadre de laConférence de La Haye de droit international privé,voy. ces auteurs, op. cit., pp. 622 et s.

sont pas visés par le Traité C.E. (ni donc par le règle-ment) mais qui sont liés par la Convention deBruxelles, celle-ci y demeure applicable (art. 68-1du règlement).(12) Art. 3 du protocole sur la position du Royaume-Uni et de l’Irlande, annexé au Traité C.E. Considé-rant no 20 du règlement. Gibraltar est aussi lié par lerèglement.(13) Art. 1er et 2 du protocole sur la position du Da-nemark, annexé au Traité C.E. Considérants nos 21et 22 du règlement.(14) Des difficultés ne seront d’ailleurs pas excluesen ce qui concerne les relations entre le règlement etun autre acte communautaire (par ex., le règlementBruxelles II).(15) En appliquant par analogie les principes del’article 54ter-1, de la Convention de Lugano du16 septembre 1988 (J.O.C.E., L. 319, 25 nov. 1988).Cette Convention « parallèle » a été négociée entreles Etats de la Communauté européenne et les Etatsmembres de l’Association européenne de libre-échange (A.E.L.E.). Elle a été ratifiée par la Belgi-

(20) Pour le Royaume-Uni et l’Irlande, le texte del’article 60-2 précise comment ce siège se détermi-ne.(21) Exposé des motifs de la proposition de la Com-mission de règlement (C.E.) du Conseil, Document« COM(1999)348 final », p. 26.(22) Il en est de même pour déterminer le domiciled’un trust (art. 60-3 du règlement).(23) Quoique l’on constate que les lieux de l’admi-nistration centrale et du principal établissement seconfondent le plus souvent (J.-M. Bischoff, inV. Constantinesco, J.P. Jacque, R. Kovar et D. Si-mon, Traité instituant la C.E.E., Paris, Economica,1992, p. 306). La règle peut aussi conduire à desconflits négatifs.

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B. — Contrats en général

7. — L’une des modifications les plus atten-dues apportées par le règlement concerne lacompétence en matière contractuelle. Dans sanouvelle rédaction, l’article 5-1 se décomposeen deux règles distinctes : l’une fournit un cri-tère de rattachement de principe, l’autre préci-se la signification de ce critère pour deux typesde contrats particuliers. La règle de principe,qui figure au point a de l’article 5-1, est lam ê m e q u e c e l l e d e l a C o n v e n t i o n d eBruxelles : la compétence en matière contrac-tuelle est conférée au tribunal du lieu où l’obli-gation qui sert de base à la demande a été oudoit être exécutée. Cette règle devrait conser-ver la même interprétation que celle qu’elleavait auparavant : le lieu d’exécution de l’obli-gation litigieuse doit être déterminé en vertu dela loi désignée par la règle de conflit de la juri-diction saisie (jurisprudence Tessili) (24). Lanouveauté se trouve au point b, qui précise que,sauf convention contraire, le lieu d’exécutionde l’obligation litigieuse est, pour la vente demarchandises, le lieu d’un Etat membre où, envertu du contrat, les marchandises ont été ouauraient dû être livrées et pour la fourniture deservices, le lieu d’un Etat membre où, en vertudu contrat, les services ont été ou auraient dûêtre fournis.

Il résulte de cet ajout que, pour les deux typesde contrats visés, les plus fréquents en prati-que, il est mis fin au système complexe de laConvention de Bruxelles consistant à détermi-ner la compétence en fonction de l’obligationlitigieuse : la compétence est désormais attri-buée au lieu de livraison des marchandises ou àcelui de la fourniture des services, c’est-à-direà l’endroit où s’exécute la prestation caracté-ristique du contrat (25). Le tribunal désigné estcompétent pour connaître de l’ensemble desdemandes qui dérivent du contrat en cause,quelle que soit la partie à l’origine de l’actionet la nature de la ou des obligation(s) litigieu-se(s) (26). Ainsi, le vendeur qui agit en paie-ment du prix de vente doit désormais, en vertude l’article 5-1, b, du règlement, assigner de-vant le tribunal du lieu de livraison des mar-chandises, alors que sous l’empire de la Con-vention de Bruxelles il pouvait porter sonaction devant le tribunal de son propre domici-le lorsque le prix devait, en vertu de la loi ap-plicable, être payé par l’acheteur à cet endroit.

8. — Le point c de l’article 5-1 précise, de ma-nière un peu sibylline, que le point a s’appliquelorsque le point b ne s’applique pas. Comptetenu du fait que le point b ne représente lui-même qu’une spécification du point a, il sem-ble qu’il faut en déduire que la compétencen’est attribuée au tribunal du lieu d’exécutionde l’obligation litigieuse (point a) que pourautant que la compétence ne soit pas déjà attri-buée en vertu du point b au tribunal d’un Etat

membre. Le juge devra donc toujours commen-cer par s’interroger sur l’applicabilité du pointb; ce n’est que dans l’hypothèse où aucun tri-bunal d’un Etat membre n’est compétent envertu du point b que la compétence pourra êtreattribuée au lieu d’exécution de l’obligation li-tigieuse. Cette hypothèse pourra se présenter,par exemple, lorsque le point b désigne le tri-bunal d’un Etat tiers (les marchandises ou lesservices doivent être livrés ou fournis en de-hors de la Communauté) (27), lorsque les par-ties ont elles-mêmes exclu l’application dupoint b (28), ou lorsque le contrat ne relève nid’une vente de marchandise ni d’une fourniturede services (29).

Les notions de vente de marchandise et defourniture de services ne sont pas définies parle règlement. Elles doivent vraisemblablements’entendre de manière autonome, et non par ré-férence aux droits nationaux (30). Des difficul-tés risquent de se poser à propos notammentdes contrats de distribution commerciale, com-me la concession de vente exclusive. S’il fautcertainement exclure la qualification de ventede marchandises, faut-il considérer qu’il s’agitd’une fourniture de services? La réponse de-vrait être affirmative (31) : la notion de fourni-ture de services doit être entendue largement demanière à éviter un retour trop fréquent aupoint a et aux inconvénients de la compétencedu lieu d’exécution de l’obligation litigieusequi sont à l’origine de la réforme (32).

9. — Une autre question qui suscite des hésita-tions est celle de savoir par quelle méthode il ya lieu de déterminer le lieu d’exécution en ap-plication du point b. Selon l’exposé des motifsde la proposition de la Commission, la désigna-tion de ce lieu est effectuée de façon autonomeet pragmatique, à l’aide d’un critère purementfactuel, à savoir le lieu de livraison des mar-chandises ou celui de la fourniture des services.Ce système a été adopté, selon la Commission,afin de pallier les inconvénients du recours aux

règles de droit international privé de l’Etatdont la juridiction est saisie (33). La solutionest approuvée par certains auteurs, qui considè-rent que pour les contrats visés, la solution del’arrêt Tessili disparaît, puisqu’est retenu uncritère communautaire du lieu d’exécution del’obligation litigieuse (34). D’autres auteursretiennent pourtant une autre interprétation, ense fondant sur la précision figurant au point bselon laquelle le lieu d’exécution à prendre encompte est celui où en vertu du contrat les mar-chandises ou les services ont été ou auraient dûêtre livrés ou fournis. Ils soutiennent que la for-mule en vertu du contrat aurait pour effet —contrairement aux vœux de la Commission —d’exclure le lieu d’exécution effectif, ce qui se-rait selon eux une bonne chose, en raison desincertitudes pratiques liées à la déterminationdu lieu d’exécution factuel (35). Par consé-quent, le lieu d’exécution serait soit celui dési-gné expressément par le contrat, soit, à défaut,le lieu prévu par la loi applicable au contrat,qu’il s’agisse du droit matériel uniforme ou dudroit national désigné par la règle de conflit dujuge saisi (36).

Cette interprétation nous paraît contraire à lafinalité même de la réforme, qui est de mettrefin au système Tessili pour les deux catégoriesde contrats visées au point b. La formule envertu du contrat ne remet pas en cause, à notreavis, cet objectif. En vue de comprendre sa por-tée, il convient, selon nous, d’établir une dis-tinction de base entre deux hypothèses. La pre-mière est celle où les marchandises ont déjà étélivrées ou les services ont déjà été fournis.Dans ce cas, la compétence est attribuée au lieud’exécution effectif (37), qui est forcémentconnu. Cette solution permet de se rapprocherde l’objectif des compétences spéciales del’article 5, qui est, comme le souligne le consi-dérant no 12 du préambule, d’attribuer la com-pétence au for qui présente un lien étroit avecle litige en vue de faciliter la bonne administra-tion de la justice (le juge du lieu où les mar-chandises ont été effectivement livrées ou lesservices fournis sera le plus souvent celui quisera le mieux placé pour apprécier les faits liti-gieux et accéder aux moyens de preuve). Maiscette solution présente un danger : le débiteurde la prestation caractéristique pourrait êtretenté d’exécuter ses obligations en un lieu dif-férent de celui prévu au contrat pour créer uni-latéralement une compétence juridictionnelledans le for de son choix (38). Cette manœuvre

(27) Cette solution est confirmée explicitement parl’exposé des motifs de la proposition de la Commis-sion (précité, p. 14).(28) C’est le sens qu’il faut donner, semble-t-il, à laréserve de la « convention contraire » figurant au dé-but du point b : voy. V. Heuzé, « De quelques infir-mités congénitales du droit uniforme : l’exemple del’article 5-1 de la Convention de Bruxelles du27 septembre 1968 », Rev. crit. d.i.p., 2000, pp. 595et s., spéc. 625; A. Mourre, op. cit., p. 781, no 26.(29) En revanche, l’application du point b ne devraitpas être exclue en raison seulement du fait que lecontrat porte à la fois sur une vente de marchandiseset sur une fourniture de services; dans la très grandemajorité des cas, le lieu de livraison des marchandi-ses correspondra à celui des prestations de services(par ex., la vente de matériel informatique assorti dela configuration de logiciels), de sorte que la compé-tence sera attribuée à ce lieu, sans qu’il y ait lieu des’interroger sur le point de savoir quelle est l’obliga-tion à prendre en compte. Dans les rares hypothèsesoù les obligations se localisent sur le territoire depays différents, il faudra suivre la même solution quecelle qui prévaut en cas de pluralité de lieux d’exé-cution dans un contrat non mixte : voy. infra, no 10.(30) En ce sens, voy. A. Huet, op. cit., p. 1127;C. Bruneau, op. cit., no 12.(31) En ce sens, voy. M.-L. Niboyet, op. cit., p. 13.Comp. A. Huet, op. cit., p. 1127; contra : B. Audit,obs. sous Cass. fr., 15 mai 2001, D., 2002, p. 1398;auteur anonyme, obs. sous Cass. fr., 8 févr. 2000,Gaz. Pal., 2000, somm., p. 2268.(32) Cf. l’exposé des motifs, précité, p. 14.

(24) Voy. G. Droz et H. Gaudemet-Tallon, op. cit.,p. 634, no 39; J.-P. Beraudo, op. cit., p. 1041, no 11;A. Huet, note, Clunet, 2001, p. 1121 s., et spéc.pp. 1126.(25) A. Mourre, op. cit., p. 782, no 27.(26) Voy. l’exposé des motifs de la proposition de laCommission, précité, p. 14, qui souligne que la dési-gnation du lieu d’exécution donnée par le point bs’applique quelle que soit l’obligation litigieuse, ycompris lorsque cette obligation est le paiement dela contrepartie pécuniaire du contrat et qu’elle s’ap-plique aussi lorsque la demande porte sur plusieursobligations.

(33) Exposé des motifs, précité, p. 14.(34) H. Muir Watt, note, Rev. crit. d.i.p., 2000,p. 480. Voy. aussi A. Huet, op. cit., pp. 1126 et s.;M.-L. Niboyet op. cit., p. 12; C. Bruneau, op. cit.,no 11.(35) J.-P. Beraudo, op. cit., p. 1044, no 13.(36) Voy. J.-P. Beraudo, op. cit., p. 1045, no 14 et1046, no 16.(37) Cf. G. Droz et H. Gaudemet-Tallon, op. cit.,p. 635, no 40.(38) Par ailleurs, il faut aussi compter avec le dangerinverse, qui serait celui de la désignation dans lecontrat d’un lieu d’exécution fictif dont le but seraituniquement de créer une compétence au lieu d’exé-cution désigné ou d’éviter la compétence du lieud’exécution effectif. Cette manœuvre-là devrait éga-lement être privée d’effet, pour autant que l’on trans-pose dans le cadre du point b la jurisprudence M.S.G.de la Cour de justice qui a considéré à propos de l’ar-ticle 5-1 de la Convention de Bruxelles que le lieud’exécution de l’obligation litigieuse désigné par lesparties doit avoir un lien effectif avec la réalité du

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devrait échouer puisque la compétence n’estattribuée au lieu d’exécution effectif que pourautant que l’exécution ait eu lieu en vertu ducontrat, c’est-à-dire conformément à ce qu’ilprévoit (39).

La seconde hypothèse est celle où le litige naîtalors que le contrat n’a pas encore été exécuté.Dans ce cas, la compétence est également attri-buée au tribunal du lieu où la prestation auraitdû être exécutée dans les faits. Mais concrète-ment, ce lieu ne pourra être déterminé qu’enayant égard, notamment, au contrat. Si uneclause du contrat localise expressément le lieud’exécution, le tribunal sera en principe celuiqui est désigné (40). Dans le cas contraire, lelieu d’exécution devra être déterminé en ayantégard à l’économie générale de la relation con-tractuelle et aux circonstances de l’espèce (41).C’est ici, et seulement ici, que le juge devraitpouvoir prendre en compte, le cas échéant,l’encadrement juridique du contrat, c’est-à-dire par exemple les usages commerciaux (42),les incoterms, les principes Unidroit, voire lesrègles matérielles applicables (par ex., la Con-vention de Vienne sur la vente internationalede marchandises). Il ne s’agit pas à proprementparler d’un retour de la jurisprudence Tessili :le juge ne doit pas s’en remettre de manièremécanique à la solution donnée par la loi dési-gnée par sa règle de conflit de lois, mais recher-cher l’ensemble des éléments qui, faisant partiede l’économie générale du contrat, permettentde déterminer le lieu où l’obligation pertinenteaurait dû, dans les faits, s’exécuter.

10. — L’application du point b de l’article 5-1 r i sque encore de soulever une au t redifficulté dans le cas où il existe une pluralitéde lieux d’exécution, par exemple un contrat deconcession de vente exclusive couvrant le ter-ritoire de plusieurs pays différents (43). Unesolution radicale pour résoudre ce problème se-rait de considérer que, compte tenu de l’éclate-ment du lieu d’exécution, la règle qui attribuecompétence à ce lieu est privée d’effet, de sorteque le point b serait inapplicable (44). Cette in-

terprétation ne serait cependant pas opportune(45), car elle aurait pour effet, d’une part,d’obliger à revenir à la compétence du lieud’exécution de l’obligation litigieuse prévue aupoint a, avec les conséquences néfastes rele-vées ci-dessus et, d’autre part, d’empêcher l’at-tribution de compétence au tribunal du lieud’exécution d’une partie substantielle del’obligation caractéristique au seul motif quel’une ou l’autre prestation complémentaires’exécuterait dans un ou plusieurs autres Etatsmembres. Aussi faut-il se tourner vers d’autressolutions. A priori, on pourrait être tenté d’ap-pliquer par analogie la jurisprudence Shenavaïrelative au regroupement des obligations liti-gieuses (46), pour conférer la compétence autribunal du lieu principal d’exécution de laprestation caractéristique (47). Si la solutionest à première vue tentante, elle nous paraît, àla réflexion, dangereuse. Il est en effet beau-coup plus difficile de déterminer le lieu d’exé-cution principal de services qui doivent êtrefournis sur plusieurs territoires que d’identifierl’obligation principale d’un contrat parmi plu-sieurs obligations litigieuses. La prise encompte du lieu d’exécution principal du contratrevient à fonder la compétence sur un critère deproximité défini de manière vague qui auraitpour effet de compromettre de manière exces-sive la sécurité juridique dans les cas où lesprestations sont dispersées sur le territoire deplusieurs Etat. Il faut donc se tourner vers uneautre voie. On pourrait songer à transposer lajurisprudence Shevill relative à la matière dé-lictuelle (48), pour conférer la compétence aujuge de chaque Etat où l’exécution a lieu, maisuniquement pour la fraction du contrat relativeà l’exécution dans le pays en cause. Cette solu-tion n’est certainement pas non plus à privilé-gier, puisqu’elle entraînerait un découpage dela compétence concernant une seule et mêmerelation contractuelle, ce qui serait contraire

aux nécessités de la pratique commerciale. Atout prendre, il nous paraît qu’il serait préféra-ble de conférer la compétence au tribunal den’importe quel pays où l’exécution doit avoirlieu pour connaître de l’ensemble des questionslitigieuses (49). Cependant, en vue d’éviterl’attribution de compétence au tribunal d’unlieu où une partie infime des prestations doitêtre exécutée, il devrait être exigé que l’exécu-tion dans le for présente une consistance suffi-sante au regard de l’ensemble des prestationsprévues par le contrat (50).

C. — Délits et quasi-délits

11. — Le règlement reproduit le texte del’article 5-3 de la Convention de Bruxelles enmatière délictuelle et quasi délictuelle. L’onsait aujourd’hui qu’est visée toute demandemettant en jeu la responsabilité d’un défendeuret qui a pour objet de le condamner à réparer lesdommages directs causés à la victime par sonacte ou son omission. Mais de nombreuses dif-ficultés subsistent. Et la technique du forumshopping, admise dans l’arrêt Shevill qui a re-tenu le lieu de l’établissement de l’éditeur res-ponsable de la publication diffamatoire et lesdivers lieux de publication où la victime a subiun dommage, risque de conduire à une pluralitéde fors tout à fait imprévisibles pour le défen-deur dans le contentieux relatif aux dommagescausés en ligne (51).

Le règlement ajoute à la compétence du tribu-nal du lieu où le fait générateur s’est produitcelle du lieu où il risque de se produire. L’ap-port de ces termes est de permettre expressé-ment la poursuite d’actions préventives (saisie,interdiction de faire, ...), destinées à écarter lamenace de la survenance d’un tel fait ou le ris-que de la réalisation d’un dommage. Ainsi, unesociété qui envisage de mettre un produit sur lemarché dont elle craint qu’il soit l’objet d’unprocès en contrefaçon peut désormais, sur labase de l’ajout de l’article 5-3, prendre l’initia-tive d’une procédure en déclaration de non-contrefaçon. Encore faut-il qu’une telle mesuresoit organisée par la loi du for.

Cette solution, déjà antérieurement défenduepar certains dont le rapporteur Schlosser, vientd’être confirmée par M. l’avocat général Ja-cobs à l’occasion d’une question préjudicielleposée par les juridictions autrichiennes et pen-dante devant la Cour (52). Il considère que lesinjonctions, comme celles prévues par la loiautrichienne mettant en œuvre la directive 93/13, qui visent à prévenir un dommage pure-ment futur ne sont pas exclues du champ d’ap-plication de l’article 5-3 de la Convention deBruxelles (pt. 45). Il souligne, en outre, qu’il neserait pas satisfaisant compte tenu de la nou-

veau point b. On peut en effet relever une différencede formulation entre les points a et b : le point a visele tribunal du lieu où l’obligation litigieuse a été oudoit être exécutée, ce qui semble viser un lieu uniqued’exécution; par contraste, le point b vise le lieu d’unEtat membre (et pas de l’Etat membre) où la presta-tion a été ou doit être exécutée : l’utilisation d’unpronom indéfini pourrait indiquer que le lieu d’exé-cution ne doit pas nécessairement être unique. Parailleurs, même s’il fallait considérer que la jurispru-dence Besix doit être transposée au point b, l’on peutse demander si cette jurisprudence ne vise pas uni-quement l’hypothèse d’une obligation de ne pas fairequi est applicable sans limitation géographique (hy-pothèse qui était celle du cas d’espèce), et non celleoù il est possible d’identifier de manière concrète unnombre limité de territoires bien déterminés oùl’obligation a été ou doit être exécutée.(45) Voy. M.-L. Niboyet, op. cit., p. 13.(46) En vertu de cette jurisprudence relative à l’arti-cle 5-1 de la Convention de Bruxelles, lorsque l’ac-tion est fondée sur plusieurs obligations litigieuses,la compétence est attribuée au tribunal du lieu d’exé-cution de l’obligation principale : C.J.C.E., 15 janv.1987, aff. 266/85, Rec., p. 239.(47) En ce sens, voy. J.-P. Beraudo, op. cit.,p. 1048.(48) En vertu de cette jurisprudence, la compétenceen matière délictuelle, lorsque le dommage est éclatésur le territoire de plusieurs pays, est conférée au tri-bunal de chacun des lieux où le dommage est subi,mais uniquement pour obtenir l’indemnisation dudommage qui se localise dans l’Etat du tribunalsaisi : C.J.C.E., 7 mars 1995, aff. 68/93, Rec., p. I-460.

contrat (C.J.C.E., 20 févr. 1997, aff. C-106/95, Rec.,p. I-911, pt 31).(39) En ce sens, voy. A. Nuyts, op. cit., p. 916, no 7.(40) Sous réserve cependant du cas où la désigna-tion ne serait qu’une fiction destinée à contourner lesconditions de conclusion d’un accord attributif dejuridiction : voy. la jurisprudence M.S.G. précitée àla note 38.(41) Voy. A. Huet, op. cit., p. 1129.(42) En ce sens, M.-L. Niboyet, op. cit., pp. 12-13.(43) Pour autant que l’on admette que ce contratconstitue une fourniture de services qui tombe dansle champ d’application du point b : voy. supra, no 8.(44) Cf. A. Huet, op. cit., p. 1128. Comp. la solu-tion retenue sous l’empire de la Convention deBruxelles par l’arrêt Besix du 19 février 2002, aff. C-256/00, non encore publié au Recueil. La Cour dejustice a jugé dans cette affaire que l’article 5-1 de laConvention ne trouve pas à s’appliquer dans le casoù l’obligation litigieuse porte sur le non-respectd’une obligation de ne pas faire qui ne comporteaucune limitation géographique et doit donc être res-pectée partout dans le monde (en l’espèce, il s’agis-sait d’une obligation d’exclusivité liant deux entre-prises ayant sollicité l’attribution d’un marchépublic). Si la solution retenue par cet arrêt demeurecertainement valable pour l’application du point a del’article 5-1 du règlement (puisqu’il reprend tel quell’article 5-1 de la Convention), il n’est pas certainque son enseignement puisse être transposé au nou-

(49) C’est la solution retenue par l’avant-projet deConvention de La Haye d’octobre 1999 (disponible surle site internet de la Conférence de La Haye :www.hcch.net), qui donne compétence en matière con-tractuelle aux tribunaux de l’Etat où la prestation carac-téristique a été exécutée en tout ou en partie (art. 6).(50) En ce sens, voy. A. Nuyts, op. cit., p. 917, no 7.(51) Voy. notam., L. Guinotte et D. Mougenot,« Quelles procédures pour le commerce électroni-que? », in Le commerce électronique; un nouveaumode de contracter?, éd. Jeune barreau de Liège,2001, pp. 346 et s.(52) Aff. C-167/00, Verein für Konsumenteninfor-mation c. K.H. Henkel, conclusions non encore pu-bliées au Recueil.

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velle formulation de cette disposition et enl’absence de tout motif clair et impératif dedonner une autre portée aux textes rédigés dansles mêmes termes de l’article 5-3 des Conven-tions de Bruxelles et de Lugano qui continuentde s’appliquer, parallèlement au règlement(pt 50).

Dans certains cas, il restera sans doute plus in-téressant d’introduire une demande de mesuresprovisoires fondée sur l’article 31 du règle-ment. On songe aux procédures de kort gedingdu droit des Pays-Bas, qui organise une actionen contrefaçon de brevet d’invention sans qu’ilsoit possible au juge des référés de se pronon-cer à titre principal sur la validité du brevet(53). Celle-ci, faut-il le rappeler, relève exclu-sivement des juridictions de l’Etat membre quia délivré ou enregistré le brevet (art. 22-4 durèglement).

D. — Contrats conclus par les consommateurs

12. — Le règlement renforce la protection juri-dictionnelle du consommateur, non pas en mo-difiant les critères de compétence (ceux-ci de-meurent essentiellement les mêmes que dans laConvention de Bruxelles) (54), mais en élargis-sant le domaine d’application de la protection.Désormais, c’est l’ensemble des contrats con-clus pour des besoins de consommation privéequi sont visés (55). Il suffit donc d’établir quel’action relève de la matière contractuelle (paropposition à la matière délictuelle, qui demeu-re soumise aux règles ordinaires de compéten-ce même lorsque la victime est un consomma-teur) (56), pour qu’elle tombe dans le domaine

matériel de la compétence protectrice lors-qu’un consommateur est en cause. La seule res-triction maintenue par le texte est de naturespatiale : il faut, selon l’article 15-1, c), que lecocontractant du consommateur exerce ou diri-ge des activités vers l’Etat du domicile du con-sommateur, et que le contrat ait été conclu dansle cadre de ces activités (57).L’exigence d’une activité dirigée vers le paysdu consommateur permet de préserver les inté-rêts du cocontractant du consommateur qui nepeut légitimement s’attendre à devoir compa-raître en justice dans un Etat vers lequel il nedirige aucune activité. La notion d’activité di-rigée est, par nature, assez souple, et dépendd’une appréciation au cas par cas des circons-tances de l’espèce. Il faut certainement consi-dérer que la condition est remplie lorsque desactivités de promotion du produit ou du servicesont dirigées vers l’Etat du consommateur, parexemple des publicités ou des offres ciblées parvoie postale, de presse, d’affichage, de télévi-sion, de sponsoring ou de parrainage. Mais ceséléments, qui étaient déjà pris en compte dansla Convention de Bruxelles, ne sont pas lesseuls auxquels il faudra avoir égard. La notiond’activité dirigée est en effet plus large quecelle de promotion, et devrait comprendre lesactivités économiques proprement dites exer-cées dans l’Etat du consommateur (conclusionde contrat, livraison de biens, fourniture de ser-vices, mobilisation de ressources comme unbureau d’enregistrement des commandes, uneinfrastructure de paiement, un support télépho-nique [hot-line]).

13. — Selon une déclaration émanant du Con-seil et de la Commission, la compétence pro-tectrice concerne également les contrats con-clus à distance par l’intermédiaire d’internet(58). Le consommateur internaute bénéficiedonc de la même protection que le consomma-teur traditionnel. Ceci soulève la question desavoir à partir de quel moment il faut considé-rer, dans le contexte d’internet, qu’une activitéa été dirigée vers l’Etat du domicile du con-sommateur. La déclaration précitée soulignequ’il ne suffit pas que le site soit accessibledans l’Etat du consommateur, tandis que laprotection doit jouer lorsque le contrat est pas-sé par l’intermédiaire d’un site qui invite à laconclusion de contrats à distance et qu’un con-trat ait été effectivement conclu à distance, partout moyen. Cette approche, qui consiste à lierla protection du consommateur à la passationdu contrat sur un site internet interactif (c’est-à-dire un site qui permet la conclusion du con-trat en ligne), paraît à la fois trop restrictive ettrop extensive. Trop restrictive, tout d’abord,car elle obligerait à faire abstraction des activi-

tés de promotion qui sont menées par l’inter-médiaire d’un site internet passif, alors pour-tant que ces activités pourraient être dirigéesspécifiquement vers l’Etat du domicile du con-sommateur (que l’on songe à l’utilisation debannières publicitaires sur un site internet re-layant les informations d’un hebdomadaire ré-gional). Trop extensive, ensuite, car le simplefait qu’un contrat a été passé sur un site actifaccessible dans l’Etat du domicile du consom-mateur suffirait à déclencher l’application desrègles protectrices, alors pourtant que le site neserait pas dirigé vers le marché de cet Etat.Sous peine de dénaturer la notion même d’acti-vité dirigée, il y a lieu de prendre en compte lesmesures qui sont prises par le gestionnaire d’unsite internet en vue de cibler certains marchésdéterminés, ou d’en exclure d’autres (59). Ilfaut, en d’autres termes, avoir égard à la desti-nation du site (60), de la même manière quel’on doit prendre en considération par exemplele public visé par une publicité paraissant dansla presse écrite ou à la télévision (61).

E. — Contrats de travail

14. — Rappelons brièvement que, jusqu’à laversion de San Sebastian du 26 mai 1989, laConvention de Bruxelles ne contenait aucunerègle particulière pour les contrats de travail(62). Ceux-ci relevaient des règles ordinaires

La protection de l’investisseur et de l’e-investisseur,Bruxelles, Bruylant, 2002, p. 323, no 36) échappeaux règles protectrices du consommateur, de sorteque la compétence doit être déterminée par applica-tion des articles 2 (for du défendeur) et 5-3 (for dulieu du fait dommageable).(57) On remarquera qu’il n’est plus exigé, commedans la Convention de Bruxelles, que le contrat ait étéconclu dans l’Etat du domicile du consommateur : cedernier est protégé même si le contrat est conclu àl’occasion d’un voyage temporaire à l’étranger, pourautant que l’autre partie ait dirigé des activités versl’Etat du domicile du consommateur.(58) « Déclaration concernant les articles 15 et 73 »,disponible sur le site internet du Conseil, rubrique« Registre public des documents du Conseil », doc.du Conseil no 13742/00, Just. civ. 131, 24 nov. 2000.

(53) Sur l’effet transfrontalier de l’interdiction decontrefaçon et les procédures anglaises anti suit in-junctions, voy. P. Veron, « Trente ans d’applicationde la Convention de Bruxelles à l’action en contrefa-çon de brevet d’invention », Rev. crit. d.i.p., 2001,pp. 822 et 823.(54) La seule modification tout à fait mineure estque la règle qui permet au consommateur d’assignerchez lui (art. 16-1) devient une compétence spéciale(on désigne le tribunal du lieu de son domicile) alorsque dans la Convention de Bruxelles il s’agit d’unecompétence générale (on désigne les tribunaux del’Etat de son domicile).(55) Seules deux exceptions doivent être admises :la première concerne les contrats qui relèvent des rè-gles de compétence exclusive, comme ceux en ma-tière immobilière ou de baux d’immeuble (art. 22 durèglement); la seconde porte sur les contrats detransport, mais le règlement a ajouté sur ce point quela compétence protectrice joue à propos des contratsqui « pour un prix forfaitaire, combinent voyage ethébergement » (art. 15-3). Dès lors qu’il combineces deux éléments, le contrat conclu avec une agencede voyage devrait donc relever de la compétenceprotectrice, même si des prestations complémentai-res sont fournies sur place au consommateur (anima-tion, guide touristique, cours de langues) : en cesens, voy. J.-P. Beraudo, op. cit., p. 1055, no 30, quisouligne que l’ajout devrait être lu comme une sim-ple illustration.(56) Ainsi, l’action en responsabilité du fait des pro-duits, qui ne paraît pas relever de la matière contrac-tuelle (parce qu’il n’existe aucun engagement libre-ment assumé d’une partie envers l’autre : cf.C.J.C.E., 17 juin 1992, Jacob Handte, aff. C-26/91,Rec., p. I-3990; 27 oct. 1998, Réunion européenne,aff. C-51/97, Rec., p. I-6534; cette jurisprudence esttransposable aux articles 15 à 17 du règlement : voy.H. Boularbah, « La résolution des litiges transfron-taliers avec l’e-investisseur : questions choisies », in

(59) Pareille exclusion pourrait évidemment ressor-tir du refus pur et simple de contracter avec les inter-nautes domiciliés dans les Etats non désirés. Maiscette solution n’est pas toujours efficace, car elle seheurte à la difficulté qu’il peut y avoir à identifier ledomicile de l’internaute, et au risque d’une faussedéclaration de l’intéressé (dans ce dernier cas, l’in-ternaute ne devrait pas pouvoir, en principe, bénéfi-cier de la compétence protectrice : voy. H. Boular-bah, op. cit., p. 339, no 61). Aussi, la « destination »du site devrait être évaluée au regard d’autres élé-ments (par ex., l’existence de versions différentes dusite selon le lieu d’accès, le recours à des techniquesde démarchage actif dirigées vers un public détermi-né (cf. courrier électronique), les notifications opé-rées volontairement dans les moteurs de recherchelocaux, le suffixe du nom de domaine utilisé (natio-nal (be), régional (eu) ou mondial (com), la languedu site, le volume d’accès effectif au site par les in-ternautes situés dans le pays du for, etc.).(60) Sur ce critère, voy. Th. Verbiest et E. Wéry, Ledroit de l’internet et de la société de l’information,Bruxelles, Larcier, 2001, no 943 s.; M. Pertégas-Sender, « Les consommateurs internautes face aunouveau droit de la procédure internationale : du ré-gime conventionnel au régime communautaire »,J.T., 2001, pp. 191 et s., spéc. p. 193. Voy. aussipour ce qui concerne les services financiers en ligne,H. Boularbah, op. cit., pp. 336 et s., nos 57 et s.(61) De même qu’il serait certainement excessif deconsidérer qu’il y a activité dirigée vers la Belgiquedu seul fait qu’une chaîne de télévision étrangèrepeut être captée par satellite en Belgique et que lapassation de la commande suppose de téléphonerdans le pays d’origine de la chaîne, de même, il seraitdéraisonnable d’admettre qu’un consommateur in-ternaute bénéficie de la compétence protectrice (etpuisse assigner devant le tribunal de son propre do-micile) lorsqu’il passe un contrat de services sur unsite internet étranger (par ex., télécharger des infor-mations) qui est destiné au marché local étranger(compte tenu des facteurs mentionnés à la note 59).(62) Même si antérieurement à la Convention de1968 avait été avancée l’idée d’une compétence ex-clusive au lieu d’exécution du travail (G.A. Droz,Compétence judiciaire et effets des jugements dansle marché commun, Dalloz, 1972, no 67, p. 60).

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de compétence : articles 2 (compétence géné-rale) et 5-1 (compétence spéciale optionnelleen matière contractuelle). Pour l’interprétationde cette dernière disposition, la Cour avait ce-pendant abandonné sa jurisprudence de Bloosen faveur de la prise en considération du lieud’exécution du travail dans le souci de protégerle travailleur. Sous l’influence conjuguée de laConvention de Rome, du 19 juin 1980, sur laloi applicable aux obligations contractuelles etde la Convention de Lugano du 16 septembre1988, les contrats de travail ont enfin fait l’ob-jet, en 1989, de règles spécifiques éparses(art. 5-1 et 17 de la Convention de Bruxelles).

Désormais, le règlement consacre une section 5spécifique aux contrats de travail après les sec-tions relatives aux contrats d’assurance et auxcontrats conclus avec des consommateurs. Al’instar de ceux-ci, ils font l’objet d’un traite-ment particulier excluant toutes autres règles,sauf celles des articles 4 et 5-5. Le nouveautexte reprend pour l’essentiel le mécanisme dela Convention de Bruxelles; des divergencesdoivent cependant être relevées.

Ainsi le règlement ôte à l’employeur l’optionde compétence dont il dispose dans la Conven-tion de Bruxelles entre les juridictions de l’Etatdu domicile du travailleur et le tribunal du lieud’exécution du travail. Les premières sont do-rénavant seules compétentes, en vertu del’article 20-1 du règlement, en cas d’action di-rigée contre le travailleur. Celui-ci en revancheconserve toujours le bénéfice de l’option, quiest même étendue. En effet, dans l’hypothèseoù l’employeur est domicilié à l’extérieur del’Union, celui-ci peut néanmoins être assignépar le travailleur dans un Etat membre lorsqu’ily possède une succursale, une agence ou toutautre établissement dès lors que la contestationest relative à son exploitation (art. 18-2 du rè-glement). La possibilité de porter un conten-tieux dans l’Etat de la localisation de l’établis-sement secondaire est déjà organisée àl’article 5-5, mais cette disposition impose quel’employeur ait son siège dans un Etat membre.Ces deux articles sont dès lors destinés à secompléter.

La compétence du tribunal du lieu d’exercicedu travail se retrouve dans le règlement dansune formule modifiée (art. 19-2). Est non seu-lement désigné le tribunal du lieu où le tra-vailleur accomplit habituellement son travail,mais aussi celui du dernier lieu où il a accom-pli son travail. Comment interpréter ces der-niers termes, qui ne figurent pas à l’article 5-1de la Convention de Bruxelles? Selon certainscommentateurs, l’ajout n’aurait d’autre but quede permettre d’utiliser la compétence du lieud’exécution lorsque le litige naît après la cessa-tion du travail (63). Il nous semble que cettehypothèse relève déjà de l’article 5-1 de laConvention de Bruxelles. Pour d’autres, il per-mettrait de suppléer à la carence de l’article 5-1 lorsque le travail s’accomplit dans un Etattiers à la Communauté européenne, alors qu’ila été antérieurement exécuté dans un Etatmembre (64). Une telle interprétation, qui avaitété à juste titre écartée par application del’article 5-1 dans l’arrêt Six Constructions,nous paraît devoir être maintenant retenue. Ilfaut y ajouter l’hypothèse du travailleur qui aaccompli pendant plusieurs années son activité

en un lieu sur le territoire européen et ultérieu-rement dans un autre Etat membre. De quel lieufaut-il tenir compte? Le travailleur pourrait-ilporter sa demande, à son choix, devant le tribu-nal de l’un de ces lieux? L’interprétation estdélicate. L’on sait que prenant quelques liber-tés avec le texte de l’article 5-1, la Cour deLuxembourg a décidé, dans l’arrêt Rutten (65),qu’en cas d’exécution du travail dans plusieurspays de la Communauté européenne, il fauts’en remettre plutôt qu’au lieu d’embauche(66) au lieu principal du travail, au lieu où letravailleur accomplit la majeure partie de sontemps de travail. Les termes « habituellement »et « principalement » sont ainsi considéréscomme équivalents par la Cour. Mais quelssont les éléments pertinents à prendre en consi-dération lorsqu’il s’agit de désigner le lieuprincipal du travail? Faut-il se référer à des cri-tères quantitatifs ou qualitatifs? La Cour a con-sidéré, dans le récent arrêt Weber (67), quelorsqu’un salarié a exercé la même activité auprofit de son employeur dans plusieurs Etatsmembres, il convient de tenir compte de l’en-droit où le travailleur a accompli la part la plussignificative de son activité compte tenu del’intégralité de sa période de travail (pt 52).Toutefois, en cas de périodes stables de travaildans des lieux successifs différents, le dernierlieu d’activité devrait être retenu dès lors que,selon la volonté claire des parties, ce dernierlieu est destiné à devenir un nouveau lieu habi-tuel (pt 54). Dans cette hypothèse, c’est l’ajoutde l’article 19-2 du règlement qui fonderait lacompétence du tribunal du lieu d’exécution dutravail.

F. — Compétences exclusives

15. — Nous ne reviendrons plus sur la disposi-tion de l’article 22-2 du règlement qui a déjàfait l’objet d’un commentaire quand il a ététraité de la notion de domicile des personnesmorales (supra, no 6). Nous nous attacheronsici quelques instants à la matière des locationssaisonnières, qui bénéficient depuis 1989d’une règle particulière (68). L’option offertepar l’article 22-1 du règlement n’exige plus,pour fonder la compétence des tribunaux del’Etat du domicile du défendeur, que le pro-priétaire de l’immeuble loué soit une personnephysique. Seul dorénavant le locataire doitavoir cette qualité.

G. — Clause attributive de juridiction

16. — Deux modifications sont apportées en cequi concerne les clauses attributives de juridic-tion. Tout d’abord, l’article 23-1 précise que la

compétence résultant de la clause est exclusivesauf convention contraire des parties. L’affir-mation du caractère en principe exclusif de lacompétence élue n’étonnera pas : la Cour dejustice l’avait déjà consacré sous l’empire de laConvention de Bruxelles (69). L’innovationporte plutôt sur la possibilité qui est à présentdonnée au parties de déroger à l’exclusivité.C’est une modification réclamée depuis long-temps par les juristes de common law (70), quireconnaissent aux parties la faculté de conclureune clause attributive de juridiction non exclu-sive, c’est-à-dire qui a pour effet de proroger lacompétence du ou des tribunaux désignés, sansdéroger à la compétence des autres tribunauxqui serait fondée sur les règles de compétenceordinaires du règlement (71).

17. — Ensuite, l’article 23-2 prévoit que toutetransmission par voie électronique qui permetde consigner durablement la convention attri-butive de juridiction est considérée comme re-vêtant une forme écrite. Cette règle a pour effetde rendre applicable aux accords passés parvoie électronique sur support durable (72) lesdispositions de l’article 23-1, a, qui prévoientque la clause attributive de juridiction peut êtreformée par écrit ou verbalement avec confir-mation écrite. Ce qui signifie que les principesdégagés sous l’empire de la Convention deBruxelles concernant l’interprétation de cesdeux formes peuvent être transposés, mutatismutandis, à la clause conclue par voie électro-nique. Pour ce qui est de la première forme(l’écrit), l’accord pourra résulter, par exemple,de son inclusion dans un échange de courriersélectroniques, ou du renvoi par un courrierélectronique à un document séparé, sous formele cas échéant lui aussi électronique, pourautant que le renvoi soit susceptible d’être con-trôlé par une partie appliquant une diligencenormale (73), et que l’autre partie ait marquéson accord, que ce soit par voie électronique ounon (74). Devrait encore être réputée revêtirune forme écrite, dans le cas où le contrat est

(65) C.J.C.E., 9 janv. 1997, P.-W. Rutten c. CrossMedical Ltd, aff. C-383/95, Rec., p. I-70; N. Watté,A. Nuyts et H. Boularbah, « Chronique - La Con-vention de Bruxelles », ce Journal, 1998, pp. 60 et s.et réf.(66) Qui ne présenterait pas, aux yeux de la Cour, unlien effectif. Cet argument nous paraît particulière-ment pertinent quand l’établissement qui a embau-ché le travailleur a disparu au moment du procès.(67) C.J.C.E., 27 févr. 2002, H. Weber c. UniversalOgden Services Ltd, aff. C-37/00, non encore publiéau Recueil.(68) L. Barnich, « Les droits réels immobiliers et leslocations de vacances », in L’espace judiciaire euro-péen en matières civile et commerciale, op. cit.,pp. 94 et s. Une règle similaire est organisée dans laConvention de Lugano.

(63) G. Droz et H. Gaudemet-Tallon, op. cit.,pp. 632 et 633.(64) G. E. Schmidt, op. cit., p. 159.

(69) Voy. déjà C.J.C.E., 17 janv. 1980, Zelger, aff.56/79, Rec., p. 89.(70) Voy. A. Briggs et P. Rees, Civil Jurisdictionand Judgments, L.L.P., 1997, p. 73.(71) L’article 23 du règlement n’a pas reprisl’avant-dernier alinéa de l’article 17 de la Conven-tion de Bruxelles qui prévoit que lorsque la clausen’a été stipulée qu’en faveur de l’une des parties,celle-ci a la possibilité de saisir tout autre tribunalcompétent en vertu de la Convention. Les premierscommentateurs du règlement s’interrogent sur laportée de son omission (voy. notam. G. Droz etH. Gaudemet-Tallon, op. cit., p. 641, no 51). A notreavis, les clauses de ce type sont couvertes par la ré-serve générale de la « convention contraire » desparties, de sorte qu’il était inutile de maintenir un ali-néa spécifique pour la clause conclue en faveurd’une seule partie.(72) Sur cette notion, voy. M. Demoulin, « La no-tion de “ support durable ” dans les contrats àdistance : une contrefaçon de l’écrit? », Rev. eur. dr.consom., 2000, pp. 361 et s.(73) C.J.C.E., 14 déc. 1976, Colzani, aff. 24/76,Rec., p. 1831, pt 12.(74) La forme écrite suppose que l’accord soit ex-primé par les deux parties : un document unilatéralprovenant d’une seule partie, fût-il sous forme élec-tronique, est en principe insuffisant, sauf s’il réunitles conditions pour constituer une confirmation écri-te d’un accord verbal ou, le cas échéant, s’il existedes habitudes ou des usages en ce sens (art. 23-1, bet c).

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passé par l’intermédiaire d’un site internet in-teractif, la clause mentionnée dans les condi-tions générales disponibles sur l’écran, pourautant que l’autre partie manifeste son accepta-tion de la clause (en cliquant par exemple surun icône) et que l’information soit consignéedurablement (par ex. par une impression del’écran sur papier ou par la possibilité de récu-pérer les informations relatives au contrat lorsd’une visite ultérieure du site) (75). En ce quiconcerne la deuxième forme (l’accord verbalconfirmé par écrit), il faudra accepter commevalable l’accord verbal confirmé par courrierélectronique, pour autant, conformément à lajurisprudence de la Cour de justice, que l’ac-cord ait porté spécifiquement sur la clause at-tributive de juridiction et que l’autre partien’ait pas formulé d’objection (76).

H. — Litispendance et connexité

18. — Une légère modification de fond, desti-née à réparer une erreur commise lors la rédac-tion de sa version de 1968 (77), est apportée àl’article 22 de la Convention de Bruxelles quidevient l’article 28 du règlement. Désormais, iln’est plus exigé que les demandes connexessoient pendantes au premier degré pour que lajuridiction saisie en second lieu puisse surseoirà statuer (art. 28-1). Ce n’est, en revanche, quelorsque les demandes connexes sont pendantesau premier degré que la juridiction saisie en se-cond lieu peut, à la demande de l’une des par-ties, se dessaisir au profit du tribunal premiersaisi lorsque celui-ci est compétent pour con-naître des deux demandes et que sa loi permetleur jonction (art. 28-2).

19. — L’article 30 du règlement innove encorepar rapport à la Convention de Bruxelles en cequ’il prévoit une définition autonome de la dateà laquelle une juridiction est réputée saisie. Onsait qu’en ce qui concerne la Convention deBruxelles, la Cour de justice a précisé que cettequestion relève du droit national de chaque Etat(78). En droit belge, le moment de la saisine dutribunal est ainsi, au sens de l’article 21 de laConvention de Bruxelles, le moment de la si-gnification de la citation introductive d’instan-ce pour autant que celle-ci ait été inscrite aurôle général la veille de l’audience (79).

L’article 30 du règlement prévoit une solutionqui tente de concilier les différents systèmesprocéduraux des Etats membres tout en assu-rant l’égalité des armes des parties demande-resses, d’une part, et une protection contre lesabus de procédure, d’autre part (80). La date à

laquelle une affaire est considérée comme« pendante » varie selon le système procéduralconsidéré. L’article 30 précise qu’aux fins dela section 9 du chapitre II du règlement, une ju-ridiction est réputée saisie : a) à la date à la-quelle l’acte introductif d’instance ou un acteéquivalent est déposé auprès de la juridiction,à condition que le demandeur n’ait pas négligépar la suite de prendre les mesures qu’il étaittenu de prendre pour que l’acte soit notifié ousignifié au défendeur (81), ou b) si l’acte doitêtre notifié ou signifié avant d’être déposéauprès de la juridiction, à la date à laquelle ilest reçu par l’autorité chargée de la notifica-tion ou de la signification (et non à la date denotification ou de signification effective) (82),à condition que le demandeur n’ait pas négligépar la suite de prendre les mesures qu’il étaittenu de prendre pour que l’acte soit déposéauprès de la juridiction (83).

20. — Se pose à ce dernier égard la question desavoir à quel moment l’on doit considérer quel’acte a été reçu par l’autorité chargée de sa si-gnification ou de sa notification. La formula-tion du texte conduit à penser que ce qui impor-te n’est pas la date de la signification maisplutôt le moment, où dans le cadre du proces-sus de transmission de l’acte introductif d’ins-tance, ce dernier est reçu par l’autorité chargéeensuite de procéder à sa signification (84). Laquestion doit partant, selon nous, être résolueen fonction de l’instrument applicable à cettetransmission.

Lorsque l’acte introductif d’instance a été com-muniqué à l’autorité compétente de l’Etat dedestination par le biais de la procédure princi-pale de transmission organisée par l’article 4du règlement no 1348/2000 du 29 mai 2000 surla signification et la notification des actes judi-ciaires et extrajudiciaires (85), il nous paraîtque la date de la saisine sera fixée à la date à la-quelle l’entité requise a reçu l’assignation (lapreuve de ce moment pourra être établie aumoyen de l’accusé de réception que l’entité re-quise est tenue d’adresser à l’entité d’origine,dans les sept jours de la réception, en vertu de

l’article 6 du même règlement) (86). Les cho-ses se compliquent cependant lorsqu’un modesubsidiaire de transmission ou de significationest utilisé. S’il est recouru à la transmission parla voie consulaire (art. 12 du règlement 1348/2000), l’on doit considérer que la date à pren-dre en considération est celle de la réception del’acte par l’entité requise. En cas de significa-tion par la voie diplomatique (art. 13), il fau-drait en principe avoir égard au moment de laremise de la citation aux agents consulaires del’Etat membre d’origine. En cas de transmis-sion directe à l’officier ministériel de l’Etatmembre requis (art. 15), la date de la saisinesera celle de la réception par ce dernier de l’ac-te introductif d’instance à signifier. Que déci-der en cas de signification par la voie postale(art. 14)? Quel est dans ce cas le moment oùl’acte introductif d’instance doit être considérécomme ayant été reçu par l’autorité chargée deprocéder à sa signification? S’agit-il du mo-ment de la réception du pli par les services pos-taux? Si oui, vise-t-on les services postaux del’Etat membre d’origine ou ceux de l’Etatmembre de destination? La seconde réponseparaît devoir s’imposer car c’est la poste de cedernier Etat qui constitue l’autorité chargée dela signification de l’acte au défendeur. Cettesolution présenterait en outre l’avantage depréserver une uniformité entre tous les modesde transmission et celui de limiter d’éventuelsabus de procédure.

En cas d’application de la Convention de LaHaye de 1965, ce sera en principe le moment dela réception de l’acte à signifier par l’autoritécentrale chargée de procéder à la signification(art. 3). Lorsque la signification aura été réali-sée par une autre voie de transmission (trans-mission directe, signification consulaire ou parla voie postale), les mêmes questions que cellesenvisagées ci-avant pour le règlement no 1348/2000 se poseront.

En l’absence de convention internationale ré-gissant la transmission et la signification, laquestion devrait être résolue au regard del’article 40, alinéa 1er, du Code judiciaire. Nonsans difficultés, puisque cette disposition pré-voit que la signification est réputée accompliepar la remise de l’acte aux services (belges) dela poste. Peut-on dans ce cas, encore considérerque la date de la saisine serait celle de la récep-tion de l’acte introductif d’instance par les ser-vices postaux de l’Etat de destination alors que,selon le droit belge, la signification est réputéeavoir déjà eu lieu avant cette date?

3

Reconnaissance et exécution

A. — Motifs de refus

21. — Par rapport à l’article 27 de la Conven-tion de Bruxelles, l’article 34 du règlement ap-porte plusieurs modifications, d’importanceinégale, aux motifs permettant de refuser la re-

sine, voy. P. Wautelet, « Le droit au procès équitableet l’égalité des armes : le cas de la litispendance dansles Conventions de Bruxelles et de Lugano », inL’efficacité de la justice civile en Europe, Bruxelles,Larcier, 2000, pp. 118 et s., nos 23 et s.(81) Ces démarches varient en fonction des diffé-rents systèmes juridiques : il pourrait notamments’agir de la transmission à la juridiction de toutesles données matérielles permettant à celle-ci de pro-céder à la notification ou à la signification, ou enco-re de la remise de l’acte déjà enregistré auprès de lajuridiction à l’autorité compétente pour la significa-tion ou la notification (Exposé des motifs de la pro-position de la Commission, précité, p. 20).(82) Ibidem, p. 21.(83) En Belgique, le moment de la saisine de la juri-diction est donc : a) en cas d’introduction parrequête : le dépôt de celle-ci au greffe de la juridic-tion compétente et, b) en cas d’introduction parcitation : la réception de la citation par l’autoritéchargée de sa signification, à la condition que le de-mandeur n’ait pas négligé de faire inscrire l’actionau rôle général de la juridiction.(84) Sur la différence entre transmission et signifi-cation ou notification, voy. M. Ekelmans, « Le rè-glement 1348/200 relatif à la signification et à la no-tification des actes judiciaires et extrajudiciaires »,J.T., 2001, p. 482, no 5.(85) J.O.C.E., L 160, 30 juin 2000, p. 37.

(75) Mais la simple possibilité de retrouver en ligneles conditions générales du site internet ne devrait pasêtre considérée comme suffisante, dès lors qu’il n’yaurait aucun moyen de contrôler que ces conditionsn’ont pas été modifiées postérieurement à la conclu-sion du contrat; ce sont les informations électroniquesrelatives à la clause attributive de juridiction détermi-née sur laquelle les parties ont marqué leur accord quidoivent être consignées de manière durable.(76) Cf. C.J.C.E., 19 juin 1984, Tilly Russ, aff. 71/83, Rec., p. 2417, pt 19; 11 juill. 1985, Berghoefer,aff. 221/84, Rec., p. 2704, pts 15 et 16.(77) Sur laquelle, voy. A. Nuyts, op. cit., p. 919, no 16.(78) C.J.C.E., 7 juin 1984, aff. 129/83, Zelger II,Rec., p. 2397.(79) Cass., 1er oct. 1990, Pas., 1991, I, 102.(80) Sur les abus causés par le renvoi au droit inter-ne de chaque Etat pour déterminer la date de la sai-

(86) Voy. notam., dans ce sens, E. Leroy, « Le rè-glement (C.E.) no 1348/2000 relatif à la significationet à la notification dans les Etats membres des actesjudiciaires et extrajudiciaires en matière civile etcommerciale adopté par le Conseil de l’Union euro-péenne le 29 mai 2000 », Rev. not., 2001, p. 164,note 118.

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connaissance ou l’exécution d’une décisionrendue dans un autre Etat membre.

L’article 34-1 du règlement précise toutd’abord que la reconnaissance de la décisionétrangère doit être manifestement contraire àl’ordre public de l’Etat requis, ce qui confirmele caractère exceptionnel de ce motif de refus,lequel avait déjà été consacré par la Cour dejustice (87). Le recours à l’ordre public n’estconcevable que dans l’hypothèse où la recon-naissance ou l’exécution de la décision renduedans un autre Etat contractant heurterait demanière inacceptable l’ordre juridique del’Etat requis par la violation manifeste d’unerègle de droit considérée comme essentielle oud’un droit reconnu comme fondamental danscet ordre juridique (88). D’autres dispositionsdu règlement — qui se trouvent égalementdans la Convention de Bruxelles — confirmentet accentuent le caractère exceptionnel de laclause de l’ordre public. L’article 36 interdittoute révision au fond de la décision etl’article 35-3 précise que le critère de l’ordrepublic ne peut être appliqué aux règles relativesà la compétence. On rappelle enfin que, selonla Cour de justice, l’ordre public visé parl’article 34-1 du règlement peut être l’ordre pu-blic procédural de l’Etat membre requis et spé-cialement le droit à un procès équitable (89).La diminution du contrôle du respect des droitsde la défense en cas de défaut du défendeur (in-fra, no 22) devrait paradoxalement contribuer àrenforcer l’exigence de l’ordre public procédu-ral (90).

22. — On sait qu’en vertu de l’article 27-2 dela Convention de Bruxelles, la reconnaissancepeut également être refusée en cas de violationdes droits de la défense lorsque la décision a étérendue par défaut dans l’Etat d’origine. Il s’agitdu motif de refus le plus souvent invoqué (91).La règle est substantiellement modifiée dans lerèglement. La nouvelle rédaction du texte tendà ce que ce motif ne puisse plus être utilisé encas de mauvaise foi et d’abus de procédure dela part du défendeur défaillant. Le refus ne peutdésormais intervenir que si l’acte introductifd’instance ou un acte équivalent n’a pas été si-gnifié ou notifié au défendeur défaillant entemps utile et de telle manière qu’il puisse sedéfendre, à moins qu’il n’ait pas exercé de re-cours à l’encontre de la décision alors qu’ilétait en mesure de le faire (art. 34-2). Le textemet ainsi fin à deux interprétations del’article 27-2 de la Convention de Bruxellesqui avaient été retenues par la Cour de justice.

La Cour avait en effet décidé que le défendeurétait fondé à se prévaloir de l’irrégularité com-mise dans la signification de l’acte introductifd’instance (en l’espèce, un simple défaut detraduction de l’acte alors même que la languede l’acte était utilisée dans les rapports d’affai-res courants entre parties) même si cette irrégu-larité n’a en fait pas nui à ses intérêts et qu’il adisposé d’un temps utile pour se défendre (92).Désormais, l’acte introductif d’instance ne doitplus avoir été signifié ou notifié régulièrementau défendeur défaillant mais en temps utile etde telle manière qu’il puisse se défendre. Onsupprime ainsi la possibilité pour le défendeurdéfaillant de se prévaloir de la moindre irrégu-larité commise dans la signification ou la noti-fication de l’acte introductif d’instance alorsmême que celle-ci ne lui a causé aucun griefpuisqu’il a été mis en mesure de se défendredevant le juge de l’Etat d’origine. Il faut maisil suffit que le défendeur ait été en mesure depourvoir à sa défense. C’est une approche con-crète et non formaliste des droits de la défensequi est à juste titre retenue par le règlement.D’autre part, la Cour de Luxembourg avaitconsidéré que l’article 27-2 de la Conventions’oppose à la reconnaissance d’un jugementrendu par défaut lorsque l’acte introductifd’instance n’a pas été notifié régulièrement audéfendeur défaillant, même si celui-ci a ensuiteeu connaissance de la décision rendue et n’apas fait usage des voies de recours disponiblesen vertu du Code de procédure de l’Etat d’ori-gine (93). C’est ici aussi un renversement. Laviolation des droits de la défense commise dansl’Etat d’origine ne peut plus être invoquée si ledéfendeur défaillant n’a pas exercé de recourscontre la décision alors qu’il était en mesurede le faire. Une partie ne peut en effet pas seprévaloir d’avoir elle-même négligé de veillerau respect de ses droits de défense. Elle ne peutattendre l’instance d’exequatur pour en tirer ar-gument mais doit d’emblée tenter de faireconstater et sanctionner l’irrégularité procédu-rale dans l’Etat membre d’origine, en introdui-sant, le cas échéant, un recours contre la déci-sion dont l’exécution est sollicitée (94).

23. — Comme dans la Convention de Bruxel-les, la décision étrangère peut également ne pasêtre reconnue si elle est inconciliable (95) avec

une décision rendue entre les mêmes partiesdans l’Etat membre requis. Il en va de mêmelorsqu’elle est inconciliable avec un jugementrendu antérieurement entre les mêmes partiesdans un litige ayant le même objet et la mêmecause, soit dans un Etat tiers soit — et c’est lanouveauté — dans un autre Etat membre, dèslors que ce jugement réunit les conditions né-cessaires à sa reconnaissance dans l’Etat mem-bre requis (art. 34-4). La Convention deBruxelles comporte en effet une lacune quant àla contrariété du jugement dont la reconnais-sance ou l’exécution est demandée avec unedécision rendue dans un autre Etat contrac-tant. Elle est désormais comblée par le règle-ment. Le fait que les jugements prononcés dansun Etat membre soient mis sur le même pied,pour le refus de reconnaissance, que les déci-sions rendues dans un Etat tiers a cependant étécritiqué à juste titre (96). Cette assimilation aen effet pour conséquence d’exiger, commecondition de refus de reconnaissance pour cau-se d’inconciliabilité, la triple identité d’objet,de cause et de parties — dont on sait qu’elle aété sévèrement critiquée (97) — et ce, alors quel’absence de toute procédure pour que le juge-ment rendu dans un Etat membre soit reconnudans l’Etat membre requis, conduit à l’assimi-ler aux décisions rendues dans l’Etat requis.

24. — L’article 27-4 de la Convention deBruxelles prévoit le contrôle de la loi appliquéepar le juge d’origine à une question d’état ou decapacité des personnes, de régimes matrimo-niaux ou de successions lorsque ce dernier atranché une telle question préalable avant de seprononcer sur la question principale relevantdu domaine matériel de la Convention. Ce con-trôle exceptionnel de la loi appliquée disparaîtpurement et simplement dans le règlement.

25. — L’article 35-3 du règlement confirme, àl’instar de l’article 28 de la Convention deBruxelles, l’interdiction de contrôler la compé-tence du tribunal d’origine. Par dérogation à larègle générale, le juge de l’Etat requis est ce-pendant toujours autorisé à vérifier si les règlesde compétence prévues aux sections 3 (matièred’assurances), 4 (contrats conclus par les con-sommateurs) et 6 (compétences exclusives) duchapitre II du règlement ont été respectées parle juge de l’Etat membre d’origine (art. 35-1)(98). En revanche, aucun contrôle n’est prévuen ce qui concerne le respect des règles de lanouvelle section 5 concernant les contrats detravail. La confiance réciproque entre les juri-dictions des Etats membres ainsi que l’objectifde la libre circulation des jugements auraienten effet mal toléré l’ajout dans le règlementd’un motif de refus de reconnaissance quin’existe pas dans la Convention de Bruxelles(99). D’autant que ce contrôle de la compéten-ce aurait risqué de porter préjudice au tra-

(92) C.J.C.E., 3 juill. 1990, aff. C-305/88, Lancray,Rec., p. I-2742. C’est la raison pour laquelle plusieursauteurs avaient de longue date plaidé en faveur de lasuppression au sein de l’article 27-2 de la Conventionde Bruxelles, du terme régulièrement, voy. à ce pro-pos, G. de Leval, « Une harmonisation des procéduresd’exécution dans l’Union européenne est-elleconcevable? », Act. Dr., 1995, p. 496, note 26.(93) C.J.C.E., 12 nov. 1992, aff. C-123/91, Minal-met, Rec., p. I-5674.(94) On relève à cet égard qu’en vertu de l’article 19du règlement no 1348/2000 sur la signification et lanotification, le défendeur qui a été condamné par dé-faut peut, lorsque les délais de recours ont expiré, de-mander, dans un délai fixé par chaque Etat mais nepouvant être inférieur à un an à compter du prononcéde la décision, au juge (de l’Etat d’origine) de le re-lever de la forclusion : a) s’il démontre qu’il n’a paseu connaissance de l’acte introductif d’instance entemps utile pour se défendre et de la décision entemps utile pour exercer un recours et b) si cesmoyens n’apparaissent pas dénués de tout fonde-ment. L’article 16 de la Convention de La Haye du15 novembre 1965 prévoit une règle similaire.(95) Sur la notion d’inconciliablité de deux déci-sions, voy. C.J.C.E., 4 févr. 1988, aff. 145/86, Hoff-mann, Rec., p. 645.

(87) C.J.C.E., 28 mars 2000, Krombach, aff. C-7/98Rec., p. I-1956.(88) C.J.C.E., 28 mars 2000, op. cit., pt 37;C.J.C.E., 11 mai 2000, Renault, aff. C-38/98, Rec.,p. I-3009 qui précise en outre que le fait que le juged’origine ait commis une erreur éventuelle de droiten appliquant mal le droit national ou le droit com-munautaire ne peut être considéré comme consti-tuant la violation manifeste d’une règle de droit es-sentielle dans l’ordre juridique de l’Etat requis(pt 34).(89) C.J.C.E., 28 mars 2000, op. cit., pt 37. Sur leslimites de l’ordre public procédural, voy. N. Watté,A. Nutys et H. Boularbah, op. cit., 2000, p. 235,no 22 et J.-P. Beraudo, op. cit., p. 1075, no 63.(90) J.-P. Beraudo, op. cit., p. 1066, no 45.(91) Voy. H. Boularbah, « L’interprétation commu-nautaire de la notion de défendeur défaillant au sensde l’article 27, point 2, de la Convention deBruxelles », note sous C.J.C.E., 10 oct. 1996, Hen-drikman, R.D.C., 1997, pp. 514 et s.

(96) J.-P. Beraudo, op. cit., p. 1077, no 65.(97) Voy. notam., H. Gaudemet-Tallon, Les Con-ventions de Bruxelles..., op. cit., p. 274.(98) Ainsi que, comme dans la Convention deBruxelles (art. 59), dans le cas prévu à l’article 72 durèglement, c’est-à-dire l’hypothèse de l’existenced’un Traité déjà conclu entre l’Etat requis et un Etattiers et interdisant la reconnaissance d’une décisionrendue dans un Etat membre lorsque la compétencedu juge de cet Etat était fondée, à l’égard du défen-deur domicilié dans l’Etat tiers, sur une règle decompétence exorbitante figurant à l’article 3, alinéa2, du règlement.(99) Voy. J.-P. Beraudo, op. cit., 1071, no 54.

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vailleur qui est, dans la quasi-totalité des cas, ledemandeur (100).

B. — Déclaration constatant la force exécutoire

26. — La procédure d’exécution organisée parle règlement est plus efficace et rapide encoreque celle prévue par la Convention de Bruxel-les. Comme dans le système conventionnel, lesdécisions rendues dans un Etat membre sontautomatiquement reconnues dans les autresEtats de plein droit et sans qu’il soit nécessairede recourir à une procédure (art . 33-1).Mais, en plus, la formule exécutoire doit désor-mais être délivrée « de façon quasi automati-que » (101) aux décisions rendues dans un Etatmembre. Même si le règlement ne consacre pasencore le titre exécutoire européen, l’exequaturse mue en un contrôle purement formel (102)qui doit permettre l’obtention d’une décisiontrès rapide sur la demande de reconnaissanceou d’exécution. La juridiction ou l’autorité sai-sie de la requête doit déclarer la décision exé-cutoire immédiatement, dès l’achèvement desformalités prévues à l’article 53 du règlement(infra, no 27). La requête aux fins d’exequaturne peut être considérée comme une affaire or-dinaire. Elle doit recevoir un traitement priori-taire.

La requête en déclaration de constatation de laforce exécutoire est présentée à la juridictionou à l’autorité compétente mentionnée sur laliste figurant à l’annexe II du règlement (103)(article 39-1). La compétence territoriale decette juridiction ou autorité est déterminée, auchoix du demandeur, par le domicile de la par-tie contre laquelle l’exécution est demandée oupar le lieu d’exécution (art. 39-2), ce qui visetous les lieux d’exécution potentiels de la déci-sion (104).

L’article 41 prévoit que la décision renduedans un Etat membre est déclarée exécutoiredès l’achèvement des formalités prévues parl’article 53, sans examen au titre des articles 34et 35 et sans que la personne contre laquellel’exécution est demandée puisse, à ce stade dela procédure, présenter d’observations. Il s’agitd’une vérification de nature administrative. Lajuridiction ou l’autorité doit seulement exercerun contrôle des documents qui lui sont soumisà l’appui de la requête et qui sont prévus par lerèglement. La juridiction ou l’autorité compé-tente chargée de constater la force exécutoiredans l’Etat requis d’une décision n’a aucunepossibilité de procéder d’office, au vu de cettedécision, au contrôle de l’existence d’un desmotifs de non-exécution. Ces motifs ne peu-vent être examinés, le cas échéant, que dans le

cadre du recours de la partie contre laquellel’exécution a été autorisée.

Le règlement prévoit que la déclaration del’autorité compétente de l’Etat requis constatela force exécutoire de la décision dont l’exécu-tion est demandée (art. 42) ou encore que celle-ci est déclarée exécutoire (art. 41). La décisiond’exequatur est donc déclarative et non consti-tutive (105). Il s’agit de la reconnaissance in-contestable de la théorie de l’extension des ef-fets (106). Partant, lorsque la législation del’Etat requis relative à l’exécution prévoit laprise en considération du moment où la déci-sion à exécuter est devenue exécutoire (par ex.,pour la prise de cours d’une astreinte), il nefaudra pas avoir égard au jour où la décision aacquis force exécutoire sur le territoire del’Etat requis mais bien au jour où la décision aacquis ce caractère dans l’Etat d’origine puis-que l’autorité compétente de l’Etat requis nefait que constater cette force exécutoire. La dé-cision étrangère produit les mêmes effets queceux qu’elle produit dans l’Etat d’origine à ladate à laquelle elle est exécutoire dans cet Etat.

27. — Les documents sur lesquels porte le con-trôle formel et qui doivent être joints à la re-quête sont mentionnés à l’article 53. Il s’agita) de l’expédition de la décision dont l’exécu-tion est demandée réunissant les conditions né-cessaires à son authenticité (selon la loi du lieuoù la décision a été rendue en vertu de la règlelocus regit actum) et b) du certificat visé àl’article 54. Cette disposition prévoit en effetque la juridiction ou l’autorité compétente d’unEtat membre dans lequel une décision a été ren-due délivre, à la requête de toute partie intéres-sée, un certificat en utilisant le formulaire an-nexé au règlement (annexe V). Ce document auformat standard prévoit un certain nombre dementions qui éclaireront les autorités de l’Etatrequis sur la portée et les effets de la décisionrendue dans l’Etat d’origine. C’est ainsi, parexemple, que le certificat mentionne : la datede la signification ou de la notification de l’acteintroductif d’instance au cas où la décision aété prononcée par défaut (pt 4.4), le nom desparties qui ont bénéficié d’une assistance judi-ciaire (pt 5) et surtout, si la décision est exécu-toire dans l’Etat d’origine. Ce certificat per-mettra d’éviter les discussions engendrées ausujet des sanctions applicables en cas de non-respect des formalités d’exequatur prévues parla Convention de Bruxelles (107). On regrettecependant qu’il n’ait pas été précisé quelle estl’autorité compétente pour délivrer ce certificatet au terme de quelle démarche toute partie in-téressée peut se le voir remettre. Il aurait étépréférable que chaque Etat membre communi-que, par exemple à la Commission, la liste desautorités compétentes pour délivrer ce certifi-cat et les formalités à accomplir pour en obtenirla délivrance. Peut-on considérer, en l’absencede précision, qu’il s’agit d’un simple document

administratif qui peut être directement délivrépar un greffe? En toute hypothèse, la partie in-téressée devrait déjà pouvoir solliciter, en ter-mes de conclusions, la remise du certificat afinque celui-ci soit délivré par le juge en mêmetemps que le jugement à exécuter. A défaut deproduction du certificat visé à l’article 54, lajuridiction requise peut impartir un délai pourle produire ou accepter un document équiva-lent ou, si elle s’estime suffisamment éclairée,en dispenser. Dans un but de simplification, latraduction des documents n’est exigée que si lajuridiction de l’Etat requis la demande. Dans cecas, la traduction peut être certifiée par unepersonne habilitée à cet effet dans l’un desquelconques Etats membres, et pas obligatoire-ment dans l’Etat d’origine ou dans l’Etat re-quis.

28. — Comme dans la Convention de Bruxel-les, la décision relative à la demande de décla-ration constatant la force exécutoire est aussitôtportée à la connaissance du requérant suivantles modalités prévues par la loi de l’Etat mem-bre requis (art. 42-1). A l’inverse du régimeconventionnel, le requérant est autorisé à signi-fier simultanément à la partie contre laquellel’exécution est demandée la décision dont ilpoursuit l’exécution et la déclaration consta-tant la force exécutoire de celle-ci (art. 42-2).

C. — Recours contre la déclaration constatant la force exécutoire

29. — La décision relative à la requête en dé-claration constatant la force exécutoire est, envertu de l’article 43-1 du règlement, suscepti-ble de recours par l’une ou l’autre partie. Con-trairement à la Convention de Bruxelles, cesvoies de recours sont traitées de manière unitai-re dans le règlement. La juridiction saisie durecours ne peut refuser ou révoquer une décla-ration constatant la force exécutoire que pourl’un des motifs prévus aux articles 34 et 35(art. 45-1) (108). En aucun cas, la décisionétrangère ne peut faire l’objet d’une révision aufond (art. 45-2). Dans tous les cas, la juridic-tion saisie du recours — en ce compris del’éventuel pourvoi en cassation — statue « àbref délai » (art. 45-1).

Le recours de la partie contre laquelle l’exécu-tion ou la reconnaissance est demandée est por-té par la voie d’une opposition devant la juri-diction indiquée sur la liste figurant à l’annexeIII (109). Il doit être formé dans un délai d’unmois à compter de la signification de la décla-ration constatant la force exécutoire (art. 43-5).Toutefois, si la partie contre laquelle l’exécu-tion est demandée est domiciliée dans un Etatmembre autre que celui dans lequel la déclara-tion a été délivrée, le délai est de deux mois àcompter du jour où la signification a été faite àpersonne ou à domicile. Ces délais ne compor-tent pas de prorogation à raison de la distance(art. 43-5). Le recours est examiné selon les rè-gles de la procédure contradictoire (art. 45-3).La personne qui a demandé la déclaration cons-tatant la force exécutoire ou la reconnaissance

(105) G. Droz et H. Gaudemet-Tallon, op. cit.,p. 645, no 57.(106) Sur cette théorie, voy. récem. C. Tubeuf,« L’efficacité des décisions de justice dans l’espacejudiciaire européen », R.D.C., 2001, pp. 610 et s.(107) Sur lesquelles, voy. H. Boularbah, « La no-tion de décision exécutoire dans l’Etat d’origine etl’exigence de la signification – Les sanctions des rè-gles de procédure prévues par la Convention deBruxelles et leur réparation », in L’espace judiciaireeuropéen en matières civile et commerciale, op. cit.,pp. 291-324.

(100) Exposé des motifs de la proposition de laCommission, précité, p. 24.(101) Considérant no 17.(102) L’article 39-1 prévoit à cet égard que la décla-ration constatant la force exécutoire peut être déli-vrée par une autorité compétente (par ex., le greffed’un tribunal) et donc pas nécessairement par une ju-ridiction de l’Etat membre requis (voy. G. Droz etH. Gaudemet-Tallon, op. cit., p. 645, no 56). Lesautorités désignées par les Etats membres à l’annexeII au règlement sont cependant actuellement toutesdes juridictions.(103) En Belgique, il s’agit, comme dans la Con-vention de Bruxelles, du tribunal de première instan-ce.(104) Voy. J.-P. Beraudo, op. cit., p. 1080, no 70.

(108) La délicate question de savoir si la juridictionsaisie du recours peut soulever d’office un ou plu-sieurs motifs de refus prévus par les articles 34 et 35n’est pas résolue par le règlement, voy. A. Nuyts,op. cit., p. 921, no 19.(109) Il s’agit, en Belgique, du tribunal de premièreinstance.

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doit, quant à elle, former son recours devant lajuridiction indiquée sur la liste figurant à l’an-nexe III (art. 43-3) (110). Aucun délai n’estfixé par le règlement pour l’exercice du recourscontre une décision de refus. Il est examiné se-lon les règles de la procédure contradictoire(art. 43-3). A cet effet, la partie contre laquellel’exécution est demandée doit être appelée àcomparaître devant la juridiction saisie du re-cours. En cas de défaut de cette partie, les dis-positions de l’article 26 du règlement qui ga-rant issent le contrôle de la loyauté del’assignation s’appliquent, même si cette partien’est pas domiciliée sur le territoire de l’un desEtats membres (111). Selon l’article 44 du rè-glement, la décision rendue à la suite du re-cours de l’article 43 ne peut faire l’objet que durecours visé à l’annexe IV (112).

30. — Aux termes de l’article 46 du règlement,lorsque la décision étrangère se trouve dansl’Etat d’origine sous le couvert d’un recoursordinaire (113) ou lorsque le délai d’exercicede ce recours n’est pas encore expiré, la juridic-tion saisie du recours, visé à l’article 43 ou 44du règlement, contre la décision ayant autorisél’exécution dans l’Etat requis du jugementétranger, peut, à la requête de la partie contrel’exécution est demandée, surseoir à statuer ouencore impartir un délai pour former le recoursdans l’Etat d’origine (art. 46-1). Contrairementau système de la Convention de Bruxelles oùseule la juridiction saisie de l’opposition, c’est-à-dire du recours de la partie contre laquellel’exécution a été autorisée, au ti tre desarticles 36 et 37-1 de la Convention, dispose dela faculté de surseoir, le règlement autoriseégalement la juridiction saisie du recours con-tre le refus d’exequatur et même la Cour decassation à surseoir à statuer (114).

D. — Mesures conservatoires

31. — A l’instar de l’article 39 de la Conven-tion de Bruxelles, le règlement prévoit que ladéclaration constatant la force exécutoire em-porte l’autorisation pour le requérant de procé-der à des mesures conservatoires dans l’Etat re-quis (art. 47-2). Toutefois, lorsqu’une décisiondoit être reconnue en application du règlement,ces mesures provisoires ou conservatoires peu-vent déjà être demandées par le requérant, sansqu’il soit nécessaire que la décision soit décla-rée exécutoire (art. 47-1). Cette disposition apour conséquence qu’une décision étrangère,non encore déclarée exécutoire dans l’Etat re-quis, doit néanmoins être considérée commeétablissant l’existence d’une créance permet-tant de prendre des mesures conservatoires (se-lon la législation de l’Etat requis). Comme l’arelevé le comité économique et social, il nes’agit pas là de la création d’un véritable titreconservatoire européen car dans certains pays,une autorisation judiciaire sera encore néces-saire avant de procéder à la saisie conservatoi-re, la décision ne faisant qu’établir l’existencede la créance mais ne dispensant pas de l’auto-risation préalable à la réalisation de la mesureconservatoire (115). Cette solution est confir-mée par l’exposé des motifs de la Commissionqui prévoit que l’article 47-1 constitue en quel-que sorte le prolongement de l’article 31 (or,cette dernière disposition prévoit la compéten-ce pour ordonner des mesures provisoires etconservatoires) et que dans la plupart des Etatsmembres, l’existence d’une décision étrangère

établira l’existence d’une créance justifiant laprise de telles mesures conservatoires (116).Cette modification n’aura donc pas de consé-quence en droit belge où l’on assimile déjà à unjugement au sens de l’article 1414 du Code ju-diciaire, le jugement étranger qui doit être re-connu en vertu d’un instrument international,te l que la Convention de Bruxel les et ,aujourd’hui le règlement (117). Enfin, pendantle délai de recours contre la déclaration consta-tant la force exécutoire et jusqu’à ce qu’il aitété statué sur celui-ci, il ne peut être procédéqu’à des mesures conservatoires sur les biensde la partie contre laquelle l’exécution est de-mandée (art. 47-3). La déclaration constatant laforce exécutoire ne peut donc, comme dans laConvention de Bruxelles, être assortie de l’exé-cution provisoire.

E. — Actes authentiques et transactions judiciaires

32. — La nouvelle procédure simplifiée d’exé-cution est étendue aux actes authentiques (118)reçus (art. 57-1) et aux transactions judiciairesconclues devant le juge au cours d’un procès(art. 58) lorsqu’ils sont exécutoires dans unEtat membre (119). La requête tendant à l’exé-cution de l’acte authentique ou de la transac-tion doit, comme pour les décisions judiciaires,être accompagnée d’un certificat contenant leséléments essentiels et suffisants pour l’infor-mation de la juridiction ou de l’autorité compé-tente chargée d’examiner la demande d’exe-quatur (art. 57-4 et 58) (120). Enfin, lacontrariété à l’ordre public, qui constitue laseule et unique cause de refus d’exequatur,doit, à l’instar du régime des décisions judiciai-res, être manifeste (art. 57-1).

Nadine WATTÉ,Arnaud NUYTS

et Hakim BOULARBAHUnité de droit international privé de l’U.L.B.

Avril 2002

nero, aff. 258/83, Rec., p. 3983, pts 15 et 16) et noncontre une décision accordant ou refusant le sursis àstatuer de l’article 38 de la Convention, même si ladécision sur le recours et la décision prise sur la basede l’article 38 sont contenues dans un même juge-ment (C.J.C.E., 4 oct. 1991, Van Dalfsen, aff. C-183/90, Rec., p. I-4765, pts 21, 22, 24 et 26). Adde, réc.sur la question du sursis à statuer, E. Pataut, obs.sous Paris, 6 déc. 2001, Rev. crit. dr. int. pr., 2002,pp. 364 et s.(115) Avis du comité économique et social,J.O.C.E. C117, 26 avril 2000, p. 9.

(110) En Belgique, il s’agit, comme pour la Con-vention de Bruxelles, de la cour d’appel.(111) Cette différence de traitement a été critiquéepar J.-P. Beraudo (op. cit., p. 1081, no 70). On peuten effet se demander pourquoi le règlement protège,au stade de l’instance directe, uniquement le défen-deur défaillant domicilié dans un autre Etat membreet non celui domicilié dans un Etat tiers alors qu’austade de l’exequatur les deux défendeurs jouissenttant au niveau des causes de refus (art. 34-2) qu’austade de la procédure d’exequatur (art. 43-3) d’uneprotection équivalente.(112) En Belgique, cette décision est susceptibleuniquement d’un pourvoi en cassation.(113) Sur la notion de recours ordinaire, voy.C.J.C.E., 22 novembre 1977, Industrial Diamond,aff. 43/77, Rec., p. 2199. Il s’agit de tout recours quiest de nature à pouvoir entraîner l’annulation ou lamodification de la décision de la décision faisantl’objet de la procédure de reconnaissance ou d’exé-cution et dont l’introduction est liée, dans l’Etatd’origine, à un délai déterminé par la loi et prenantcours en vertu de cette décision même. Peu importela qualification de recours extraordinaire éventuelle-ment faite par le droit étatique. Lorsque la décisiona été rendue en Irlande ou au Royaume-Uni, toutevoie de recours prévue dans l’Etat membre d’origineest considérée comme un recours ordinaire pourl’application du paragraphe 1er (art. 46-2).(114) En revanche, il nous paraît que doit être trans-posée au règlement la jurisprudence de la Cour dejustice suivant laquelle l’article 37-2 de la Conven-tion de Bruxelles doit être interprété comme ne per-mettant le pourvoi en cassation ou le recours sur unpoint de droit qu’à l’encontre du bien-fondé de la dé-cision rendue sur le recours formé contre le jugementautorisant l’exécution (C.J.C.E., 27 nov. 1984, Bren-

(116) Exposé des motifs de la proposition de laCommission, précité, p. 24.(117) Voy. notam., G. de Leval, Traité des saisies,éd. coll. scientifique de la Faculté de droit de Liège,1988, p. 323.(118) L’article 57-2 du règlement assimile à des actesauthentiques les conventions en matière d’obligationsalimentaires conclues devant des autorités administra-tives ou authentifiées par elles. Il reprend ainsi en lagénéralisant la disposition de l’article Vbis du proto-cole annexé à la Convention de Bruxelles qui prévoitqu’en matière d’obligation alimentaire, les termes« juge », « tribunal » et « juridiction » comprennentles autorités administratives danoises.(119) Voy. E. Van Hove, « De uitvoering vanauthentieke akten in een andere Staat van de EuropeUnie (volgens de Europese Verordening nr 44/2001van 22 december 2000) », T. Not., 2001, pp. 531 et s.(120) Le certificat à produire pour les transactionsjudiciaires est celui figurant à l’annexe V du règle-ment, c’est-à-dire celui prévu pour les décisions ju-diciaires (art. 58). Pour les actes authentiques, unmodèle particulier de certificat à établir par l’autori-té compétente de l’Etat membre dans lequel l’acteauthentique a été reçu est prévu à l’annexe VI(art. 57-4). En vertu de l’article 57-3 du règlement,l’acte authentique doit en outre réunir les conditionsnécessaires à son authenticité dans l’Etat membred’origine.

Extrait du Journal des tribunaux droit européen n° 91 de septembre 2002 et reproduit avec l’aimable autorisation des Editions Larcier

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