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REIMS : ENTRE PASSÉ ET FUTUR En 1914, Albert Londres est envoyé par le quotidien Le Matin couvrir la destruction de la cathédrale de Reims. Cent ans plus tard, la ville a effacé les stigmates des années noires. Pas facile de se mettre dans la peau d’Albert Londres. Reportage. « Ils ont bombardé Reims, et nous avons vu cela ! Nous venions d’Epernay. Reims nous apparut à quinze kms. La cathédrale profilait la majesté de ses lignes et chantait dans le fond de la plaine son poème de pierre. Nous ne la quittâmes plus des yeux. Nous avancions. » Nous arrivons de Laon. Les champs de blé défilent sous nos yeux. À perte de vue, blonds comme le soleil d’été. Quiétude silencieuse aux abords de Reims. Les premières maisons de la ville nous cachent la cathédrale. « Nous gagnons la cathédrale. Ils l’ont visée ! Le parvis est troué à cinq endroits. Nous ne pouvons pas voir si elle est touchée, il fait trop noir. (…) Nous regardions la cathédrale. Dix minutes après, nous vîmes tomber la première pierre. C’était le 19 septembre 1914, à 7h25 du matin. » Image d’archive : © Gilberto Güiza Rue Libergier, elle nous apparaît de face, droite et majestueuse. Seul un échafaudage lui défigure une partie de la face avant. Il témoigne de l’ancienneté des pierres. Hormis cela, rien ne laisse voir la destruction qu’a subie la cathédrale pendant la Première Guerre mondiale. Sur la façade avant : trois portails spectaculaires. © Annaléna Meyer-Freund Leur couleur blanche éblouit et contraste avec les pierres noires des façades, salies par les années. Gargouilles et anges déploient leurs ailes jusqu’en haut du clocher, à plus de quatre-vingt mètres du sol. Une infinité de statues témoigne du travail incroyable de rénovation réalisé après l’incendie de 1914. Entre le 3 septembre et le 3 octobre de cette année-là, les troupes allemandes ont bombardé la ville. Leur volonté : détruire la cathédrale, symbole de la monarchie française. Cent ans après, plus de traces de guerre. Le monument au style gothique en impose à nouveau par sa beauté. Symbole d’une France qui s’est relevée. © Marie Bourguignon « Tête nues, les femmes partent vers les champs. Elles sauvent leurs fils de la mort. Elles sont en

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REIMS : ENTRE PASSÉ ET FUTUR

En 1914, Albert Londres est envoyé par le quotidien Le Matin couvrir la destruction de la

cathédrale de Reims. Cent ans plus tard, la ville a effacé les stigmates des années noires. Pas

facile de se mettre dans la peau d’Albert Londres. Reportage.

« Ils ont bombardé Reims, et nous avons vu cela ! Nous venions d’Epernay. Reims nous apparut à

quinze kms. La cathédrale profilait la majesté de ses lignes et chantait dans le fond de la plaine son

poème de pierre. Nous ne la quittâmes plus des yeux. Nous avancions. »

Nous arrivons de Laon. Les champs de blé défilent sous nos yeux. À

perte de vue, blonds comme le soleil d’été. Quiétude silencieuse aux

abords de Reims. Les premières maisons de la ville nous cachent la

cathédrale.

« Nous gagnons la cathédrale. Ils l’ont visée ! Le parvis est troué à

cinq endroits. Nous ne pouvons pas voir si elle est touchée, il fait

trop noir. (…) Nous regardions la cathédrale. Dix minutes après,

nous vîmes tomber la première pierre. C’était le 19 septembre 1914,

à 7h25 du matin. »

Image d’archive : © Gilberto Güiza

Rue Libergier, elle nous apparaît de face, droite et majestueuse.Seul un échafaudage lui défigure une partie de la face avant. Il

témoigne de l’ancienneté des pierres. Hormis cela, rien ne laisse

voir la destruction qu’a subie la cathédrale pendant la Première

Guerre mondiale. Sur la façade avant : trois portails

spectaculaires.

© Annaléna Meyer-Freund

Leur couleur blanche éblouit et contraste avec les pierres noires des façades, salies par les années.

Gargouilles et anges déploient leurs ailes jusqu’en haut du clocher, à plus de quatre-vingt mètres du

sol. Une infinité de statues témoigne du travail incroyable de rénovation réalisé après l’incendie de

1914. Entre le 3 septembre et le 3 octobre de cette année-là, les troupes allemandes ont bombardé la

ville. Leur volonté : détruire la cathédrale, symbole de la monarchie française.Cent ans après, plus de

traces de guerre. Le monument au style gothique en impose à nouveau par sa beauté. Symbole d’une

France qui s’est relevée.

© Marie Bourguignon

« Tête nues, les femmes partent vers les champs. Elles sauvent leurs fils de la mort. Elles sont en

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groupe, par le haut, veulent nous dire ce qui se passe, qu’ils tirent sur Saint-Rémy, sur la cathédrale,

partout, et qu’on n’y peut plus tenir ».

La vie continue son cours aux abords de la cathédrale. Les cloches résonnent sur la place, sans troubler

la marche tranquille des passants. Le chaos de 14-18 a fait place à la sérénité. Le parvis de l’édifice

débouche sur une lourde porte en bois, où se pressent les curieux. À l’intérieur, le regard se perd dans

la profondeur du lieu. La voûte, immense, caractérise l’importance de l’église. Le baptême de Clovis,

le couronnement de rois de France… l’histoire se lit dans les pierres et les vitraux colorés.

« Il y a bien encore les voûtes, les piliers, la carcasse, mais les voûtes

n’ont plus de toiture et laissent passer le jour par de nombreux petits

trous (…) « Deux lustres de bronze se sont écrasés sur les dalles. Nous

entendons encore le bruit qu’ils ont dû faire. Des manches d’uniformes

allemands, les linges ayant étanché du sang, de gros souliers empâtés de

boue, c’est tout le sol. Comment l’homme le plus catholique pourrait-il se

croire dans un sanctuaire ! Du plomb, du plomb en lingots biscornus. La

toiture disparue laisse les voûtes à nu. La cathédrale est un corps, on

surprendrait les secrets. »

Photo d’archive : © Gilberto Güiza

Plus de poussière, ni de traces d’incendies. Le sanctuaire est

intact.Des cierges illuminent timidement quelques colonnes

de pierres. Les flammes vacillantes consument lentement la

cire. Le temps semble s’être arrêté dans ce lieu saint.Au sol,

une infinité de bancs précède l’hôtel, où trône une couronne

de fleurs. L’obscurité donne un sentiment de mystère.

Quelques murmures viennent briser le silence religieux.

© Annaléna Meyer-Freund

Au fond de la cathédrale, un vitrail du peintre russe Chagall émerveille les badauds. Jaune, bleu,

rouge, vert… les couleurs se mélangent et laissent filtrer quelques rares rayons de soleil. Mais la vraie

stupéfaction provient de la rosace, en dessous de la porte d’entrée. Grandiose, elle se dévoile presque

par hasard, aux curieux qui lèvent les yeux au ciel. À l’extérieur, la clarté du jour nous ramène à la vie. On est le 8 août 2014, à 15h30.

Annaléna Meyer-Freund - 16 août 2014

http://www.sur-les-pas-d-albert-londres.fr/reims-entre-passe-et-futur/

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FROMELLES: “AN ABSOLUTE DISASTER ON EVERY LEVEL”

During World War One the Australian nation suffered their bloodiest night in history

5,533 Australian casualties within only 24hours – that was the sad result of the battle of Fromelles.

The battle took place in the north of France on the 19th of July in 1916 in World War One (WW 1).

Under British Command the 5th Division of Australian Army fought against the German troops. Their

aim: to seize a 400yard stretch of the German front line around a position known as the “Sugarloaf”.

But the battle of Fromelles ended in “an absolute disaster on every level”, according to Lambis

Englezos, an Australian amateur historian from Melbourne. The power and experience as well as the

artillery of the German defense were significantly underestimated. Many Australian wives lost their

beloved husband and sons. 26 pairs of brothers were killed as well as two pairs of father and son.

Australian cemetery in Fromelles – © Jana Kugoth

The first test for the Australian army

The Greek born Australian Lambis Englezos knows what he is talking about. Due to his perseverance,

98 years after the battle took place in Fromelles, the public is more aware of this Australian tragedy.

Today the battle is referred to as one of the most important “nation building” events for Australia. It

was the first test for the young Australian nation. All Australian soldiers fighting in WW1 were

volunteers. “The Great War promised to be a great adventure for the young men and it was the only

way to see other countries”, explains Englezos.

His passion about WW1 was born out of the

respect he gained for the survivors of the war.

After a visit to Fromelles in 2002, he could not

forget what he had experienced abroad: About

1,335 Australian men were still missing by that

time, their corps had neither been found nor

identified.

Lambis Englezos – Australian historian from Melbourne

© Jana Kugoth

The Melbournian is convince d that it cannot be “a logistical or financial inconvenience” to set up the

soldiers’ dignity again. Inspired by Robin Corfield’s book “Don’t forget me cobber”, Englezos started

to search for an uncovered mass grave in the north of France, close to Fromelles. He succeeded the

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Australian Army History Unit in convincing to support his search. Finally, in 2009, about 250 mortal

remains of Allied Soldiers could have been recovered. 144 Australian soldiers were already been

identified and their number will hopefully increase.

From the former battlefield to a holiday destination

Today peace returned the former terrible battlefield to farmland. During that day at the beginning of

August, the sun is shining on the former front line. Birds, bumbling bees and a traction engine are the

only sounds one can hear. What used to be a heavily fought-over turned from a place of horror to a

vacation destination.

Fromelles has become a popular tourist destination. Since a new museum called “Musée de la Bataille

de Fromelles” opened in June this year, more and more Australian tourists as well as Europeans and

Americans come to Fromelles to remember the victims of WW1. Sandra, an Australian tourist from

Victoria, tells that she came to Fromelles “to remember what our fathers and grandfathers were

fighting for.” “To be here makes me feel proud!”

With every Memorial and Museum a new peace of the puzzle of WW 1 is collected. 100 years after

the war began Australians as well as Europeans try to set right what went wrong in history one century

ago. “With the opening of the “Musée de la Bataille de Fromelles” this summer, we wrote the last

chapter of the history of Fromelles”, states Thomas Boucknooggue, the museum’s cultural mediator.

After the first month the museum counted already about 3,000 visitors.

© Jana Kugoth

Jana Kugoth - 9 août 2014

http://www.sur-les-pas-d-albert-londres.fr/fromelles-an-absolute-disaster-on-every-level/

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LA BELGIQUE, AU MAUVAIS ENDROIT, AU MAUVAIS MOMENT

Depuis sa création, la Belgique était neutre et toutes les grandes puissances respectaient cet

accord. Pourtant, le 4 août 1914, l’Allemagne en décida autrement. Le peuple et le

gouvernement belges s’attendaient-ils à une telle trahison ?

27 km/heure de moyenne. Un exploit ! Le 28 juillet 1914, dans les rues de Bruxelles, les gens se

passionnent pour le tour de France. Leur compatriote, Philippe Thijs vient de passer la ligne d’arrivée.

Le soleil brille depuis des semaines. Peu s’inquiètent du sort de la Serbie, qui vient d’être envahie par

les troupes de l’empire austro-hongrois.

Le 29 juillet, au cirque royal de Bruxelles, Jean Jaurès(1)

enflamme les foules avec à ses côtés

l’allemande Rosa Luxemburg. Ensemble ils diffusent un message de paix et rallient les ouvriers.

Mobilisation et méfiance générale

Le gouvernement belge se croit prévoyant. L’armée réclame des chevaux et rappelle trois classes de

milices. Ces soldats iront protéger les forts de Liège, qui étaient peu surveillés et faiblement

entretenus. Il faut dire que le pays n’avait jamais connu de guerre. D’ailleurs jusqu’en 1909, les jeunes

hommes appelés à faire leur service militaire étaient tirés au sort. Mais depuis la crise d’Agadir en

1911(2)

, le gouvernement tient une politique secrète. Albert I, le roi des Belges, croit au respect de la

neutralité de son pays mais il reste méfiant. Certaines routes qui mènent à l’Allemagne sont minées.

En 1913, le service militaire devient obligatoire, pour tous.

Le 31 juillet à 19 heures, le cabinet des ministres décrète la mobilisation générale. Les crieurs publics

s’époumonent. Les hommes se pressent aux casernes. À l’intérieur, civils et soldats chantent. Peu

croient à la guerre et tous pensent que si elle éclate, elle sera courte. La neutralité belge n’avait-elle

pas été respectée en 1870, lors de la guerre franco-prussienne ? En plus le chancelier allemand semble

pacifiste. Comme Albert ne tient pas à ce que la mobilisation soit mal interprétée, il envoie à toutes les

grandes puissances européennes une note rappelant la neutralité belge. Tous les dirigeants y répondent.

Tous… sauf le Roi de Prusse. Albert tente de rester optimiste.

Quant à la population, elle est de plus en plus méfiante. On ne sait jamais… Beaucoup stockent de la

nourriture. Les prix montent. Les Belges craignent la dévalorisation des billets. Des foules se massent

devant la Banque nationale, à Bruxelles, à côté de la cathédrale, mais également devant les filières,

partout dans le reste du pays.

Au matin du 2 août 1914, l’ambassadeur d’Allemagne en Belgique, semblant ignorer le plan von

Schlieffen(3)

rassure la population belge. Pourtant, dans l’après-midi, il reçoit un communiqué de

Berlin l’informant que des troupes françaises s’apprêtent à entrer en Belgique par Namur et Givet. En

conséquence, l’Allemagne demande le libre passage de son armée. Le gouvernement belge a douze

heures pour répondre à cet ultimatum. Comme les ministres belges et leur Roi avaient déjà envisagé

cette éventualité, en moins de quarante minutes, la réponse apparait, comme une évidence : la

Belgique opposera la plus vigoureuse résistance à l’envahisseur allemand.

La machine infernale de la première guerre mondiale est lancée, suite à l’un des mensonges les plus

méconnus de l’Histoire… Quelques jours plus tard, le chancelier allemand avoue. L’invasion française

avait été inventée de toute pièce par Berlin… Un prétexte pour envahir le Belgique.

Marie Bourguignon -16 Août 2014

(1) Homme politique français socialiste et pacifiste, assassiné le 31 juillet 1914 à Paris.

(2) Incident diplomatique et militaire au Maroc entre l’Allemagne et la France qui failli déclencher un

nouveau conflit entre les deux pays.

(3) Le plan Schlieffen prévoyait d’envahir la France à partir du déploiement d’une armée au nord,

entre Aix-la-Chapelle et Thionville et d’une armée au sud entre Metz et Strasbourg d’armées.

http://www.sur-les-pas-d-albert-londres.fr/la-belgique-au-mauvais-endroit-au-mauvais-moment/

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PÉRONNE : LE « VERDUN DES ANGLAIS » SOUS VERRE

La bataille de la Somme a été le combat le plus sanglant de la Première Guerre mondiale. En Picardie,

de nombreux touristes viennent chaque année pour visiter les cimetières et lieux commémoratifs.

L’Historial de la Grande Guerre à Péronne se consacre aux trois grandes nations qui se sont battues

dans la Somme.

L’Historial de la Grande Guerre à Péronne - © Gilberto Güiza

Le 1er juillet 1916, les Britanniques commencent une grande offensive contre les Allemands près de la

Somme. Ils espèrent épuiser les troupes ennemies. Or, ayant sous-estimé leur défense, les alliés se

voient bientôt confrontés à un combat meurtrier. En une seule journée, les pertes de l’armée

britannique s’élèvent à vingt mille tués et quarante mille blessés. C’est la raison pour laquelle la

bataille de la Somme est également surnommée « le Verdun des Anglais ». Néanmoins, elle est

mondiale : plus de vingt-cinq nationalités y étaient présentes. Le 18 novembre 1916, la bataille se

termine faute de combattants. En quatre mois et demi, elle a causé plus d’un million de morts, de

blessés et de disparus – sans avoir abouti à un résultat militaire important.

Vers la fin de l’année 1916, l’armée britannique est constituée uniquement de combattants volontaires.

Le grand sacrifice des soldats pour leur pays est raison de fierté et de nostalgie. Ainsi, la bataille de la

Somme représente un moment capital de l’identité outre-Manche et elle est ancrée dans la mémoire

britannique. Dès la fin du conflit, la Picardie devient l’objet d’un véritable tourisme de mémoire, qui

continue encore aujourd’hui. Des dizaines de milliers de familles anglo-saxonnes viennent chaque

année. Non seulement pour visiter les lieux commémoratifs, mais aussi pour se recueillir devant la

tombe d’un ancêtre ; ainsi que pour montrer son respect aux morts et aux disparus.

Destination importante du tourisme de mémoire

L’Historial de la Grande Guerre à Péronne se consacre avec sa propre logique aux trois grandes

nations qui se sont battues dans la Somme. Les différences et les ressemblances entre la Grande-

Bretagne, la France et l’Allemagne sont présentées dans des vitrines sur trois niveaux et dans des

approfondissements dans le sol. Dans quatre salles, l’Historial traite de l’avant 14, de la guerre elle-

même et de ses conséquences. Depuis 1992, le musée trilingue veut montrer objectivement comment

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la société toute entière était impliquée dans le conflit. Il est devenu une destination importante pour les

touristes dans la région. Si la plupart des visiteurs du musée sont français, le musée accueille aussi

15% de Britanniques. Quant au Mémorial de Thiepval, le plus grand monument à la mémoire des

soldats britanniques disparus pendant la bataille de la Somme, il accueille chaque année cent cinquante

mille visiteurs dont 90 % de Britanniques.

Le Mémorial de Thiepval, © Gilberto Güiza

Frederick Hadley, attaché de conservation de l’Historial, constate un changement dans la perception de

la Grande Guerre depuis une vingtaine d’années. Avant, elle s’est basée plutôt sur le mythe national et

l’admiration des héros de guerre. Aujourd’hui, la mémoire est devenue plus intime et personnelle,

explique Frederick Hadley. Les descendants désirent reconstruire leur histoire familiale. Ainsi, les

visiteurs reviennent en moyenne trois ou quatre fois au musée dans leur vie. L’Historial, mais

également les lieux commémoratifs et les cimetières de la région aident à comprendre le cours du récit

personnel – et ainsi également les dimensions de la guerre.

Assata Frauhammer – 11 août 2014

http://www.sur-les-pas-d-albert-londres.fr/peronne-le-verdun-des-anglais-sous-verre/

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« ON N’EN PARLE JAMAIS ASSEZ »

Robert Kuhn – © Marie Zinck

Rencontré dans son petit village du Nord-Ouest de l’Alsace, à Schillersdorf, Robert Kuhm,

ancien agriculteur, regorge de photographies et récits paternels de la période 14-18. Né en 1927,

dans l’entre-deux guerres, l’alsacien au fort accent revient sur ses souvenirs d’écolier, au

moment où la Grande Guerre était déjà oubliée, balayée par le second conflit mondial.

Interview.

Une mallette remplie de souvenirs, Robert décrypte les photographies de 14-18 héritées de son père.

© Marie Zinck

Vous aviez douze ans lorsque la Seconde Guerre mondiale débuta. À cet âge, vous parlait-on à

l’école du précédent conflit ?

Non pas tellement. Et je ne sais pas pourquoi. C’est uniquement mon père qui m’en a parlé mais, en

fin de compte, certains ont dit plus tard qu’ils en avaient assez d’entendre ça, qu’ils ne voulaient plus

savoir. Avec mes petits-enfants maintenant, c’est la même chose. À l’école il y avait quatre classes,

une petite et une grande école. Dans la petite école, on apprenait à lire et à écrire mais pas sans fautes

encore ! Et puis il y avait l’autre école où on aurait pu étudier quelque chose mais à ce moment-là il y

avait la deuxième guerre. Il y avait une institutrice et un instituteur, sauf qu’en 1938, après la

mobilisation, ils ont dû partir. Après, il y avait des institutrices, des demoiselles qui avaient le niveau

actuel de la classe de troisième. Donc là, il n’y avait pas grand-chose à apprendre !

C’est votre père qui vous a tout expliqué au sujet de la Première Guerre mondiale ?

Non pas tout. Il y a des familles qui ont souffert plus et d’autres où ça s’est bien passé, c’est toujours

pareil. Comme mon beau-frère habitait Metz j’allais souvent à Verdun et à Douaumont pour voir les

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lieux où ça s’est passé. Des copains de mon père étaient ensemble à Verdun, là ils racontaient

l’horreur ! Mais à l’école, ce n’était jamais abordé. Schillersdorf était isolé, chaque village était isolé.

Il n’y avait pas de radio, pas de télévision, il y avait le journal les Dernières Nouvelles d’Alsace, qui

était d’ailleurs censuré.

À l’époque, à l’école de Schillersdorf, quelle était la langue parlée ?

On était obligé de parler le français. Mes parents ne comprenaient pas un mot de français, tout le

village était pareil. À l’école, si on parlait alsacien, on avait une punition. On attendait qu’un autre dise

un mot en alsacien et il était aussi puni !

Votre père a donc participé à la Première Guerre mondiale ?

Oui, il était sur le front russe, en Pologne. Il n’était pas au front combattant, il était dans le génie civil

en tant qu’auxiliaire : ceux qui étaient handicapés et qui avaient une déficience devaient tout de même

partir en tant qu’auxiliaire et travailler près du front. Il est né en 1891, il a eu la poliomyélite sauf qu’il

n’existait pas de vaccin et qu’il en a gardé des séquelles.

Qu’est-ce qu’il vous a raconté exactement de cette guerre ?

Il n’a pas vraiment vu d’horreur, c’était plus vers Verdun. J’en ai parlé avec des copains de mon père

qui étaient sur place. Mais bon, il y avait dans le temps des horreurs, mais aujourd’hui ce sont les

mêmes ! Je ne comprenais le conflit que par les récits de mon entourage.

Saviez-vous si, comme vous et votre

père, les gens parlaient du premier

conflit mondial entre eux ?

Entre eux, ils en parlaient toujours.

Lorsque la Deuxième Guerre a

commencé, parlait-on encore de la

Première ?

Non. Elle était complètement

oubliée. Il y a eu tout de suite des

victoires allemandes alors la

Première Guerre était oubliée, tout le

monde était « fasciné » par ça.

Né en 1891, son père était sur le front russe pendant la Première

Guerre mondiale. © Marie Zinck

Et qu’est-ce que nous, étudiants, nous devrions retenir de la Première Guerre mondiale, selon

vous ?

La pauvreté des gens. Mais je parle surtout par rapport au village, à Schillersdorf. Ils ne voulaient pas

grand-chose non plus, ils mangeaient de la viande une fois par semaine, le dimanche. Dans les villes

c’est autre chose. Les gens étaient aussi pauvres, et certains disaient même que c’était pire. Dans les

villages il y avait toujours quelque chose à manger.

Cette année, nous commémorons le centenaire de la Grande Guerre. Selon vous, les médias en

parlent-ils suffisamment, trop ou pas assez ?

Pour moi, on n’en parle jamais assez. Pour ceux que ça n’intéresse pas c’est autre chose ! Mais on en a

jamais parlé autant que depuis qu’on célèbre le centenaire. Si on en avait plus parlé avant, vous en

sauriez aussi sûrement plus ! La Première Guerre mondiale a été complètement occultée par la

dernière guerre.

Propos recueillis par Marie ZINCK – 16 août 2014

http://www.sur-les-pas-d-albert-londres.fr/on-nen-parle-jamais-assez/

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ALBERT LONDRES, LE REPORTER LE PLUS CONNU DU XXème

SIÈCLE (MIT DEUTSCHER VERSION)

Il y a un siècle que nos ancêtres se sont affrontés,

ennemis, sur le front de guerre en France. Les atrocités de

la Grande Guerre ont dépassé tout ce qu’on connaissait

jusqu’alors. Entre 1914 et 1918, dix-sept millions

d’hommes sont tombés. La Première Guerre mondiale a

marqué profondément la mémoire culturelle de l’Europe.

Aujourd’hui, cent ans après, elle est considérée comme

l’une des plus grandes catastrophes du XXème

siècle.

En 2014, tout ce que nous savons de la guerre provient de

notes privées, photographies et souvenirs – et de la presse

de masse qui était en train de se développer au XXe siècle.

Parmi les reporters de guerre les plus connus, se trouve

Albert Londres. Le vichyssois décrit dans l’un de ses

premiers reportages l’incendie de la cathédrale de Reims.

Londres a vécu l’attaque allemande de l’emblème

français. Le 21 septembre 1914, deux jours après le

bombardement, il publie son texte « Ils ont bombardé

Reims » dans le journal Le Matin. C’est le début de la

carrière d’Albert Londres, né en 1884.

Image : http://www.ecoledeslettres.fr/blog/wp-

content/uploads/2014/05/albert-londres.jpg

Des recherches approfondies, un style vivant

Albert Londres a découvert très tôt sa passion pour l’écrit. D’abord, il s’est orienté vers la littérature.

Sa devise journalistique montre son passé poétique: Il faut porter la plume dans la plaie. Ses textes se

distinguent donc par des observations détaillées et des moyens stylistiques.

Son style nouveau et vivant contribue bientôt à son succès. Ses reportages sont publiés à la une des

journaux. Toutefois, il y a aussi des éléments propagandistes dans les textes du reporter populaire. Il

est inspiré par le patriotisme qui domine toutes les parties de la guerre. Ainsi, il appelle les soldats

français des « héros ». En même temps, il évoque les atrocités des allemands « sauvages ». C’est à

partir de 1915 qu’Albert Londres parcourt les champs de bataille en Grèce, aux Balkans, en Turquie et

en Albanie.

L’après-guerre

Après la guerre, Londres continue son tour du monde. Il visite par exemple l’Asie : en Inde il fait la

connaissance de Ghandi. En Israël, il écrit sur le judaïsme et les Palestiniens. Presque pendant toute sa

vie, il vit dans ses valises. Pour lui, l’humanité se divise en deux groupes : ceux qui ont un domicile

fixe, une maison, des meubles et ceux qui sont en voyage. Sans aucun doute, il a choisi de faire partie

du deuxième groupe.

La vie d’Albert Londres prend fin en 1932. Il est sur le chemin de retour après un long séjour en Chine

où il y a préparé un reportage sur le crime organisé. Il meurt lors du naufrage du vapeur de luxe

français « Georges Philippar ». Pour des raisons jusqu’à ce jour inconnues, le bateau prend feu lors de

son voyage inaugural dans le golfe d’Aden. Albert Londres est parmi les cinquante-quatre morts de ce

naufrage.

Albert Londres, un modèle

Albert Londres est à ce jour réputé pour être l’un des premiers journalistes d’investigation. Depuis

1933, le Prix Albert Londres est attribué chaque année au meilleur reportage français. Depuis 1985, il

existe également pour le meilleur reportage audiovisuel. (…)

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Jana Kugoth/Assata Frauhammer - 16 août 2014

http://www.sur-les-pas-d-albert-londres.fr/mit-deutscher-version-albert-londres-le-reporter-le-plus-

connu-du-xxe-siecle/

en allemand/auf Deutsch:

Wer war Albert Londres?

Vor einem Jahrhundert standen sich unsere Urgroßväter und Großväter feindlich an der Kriegsfront in

Frankreich gegenüber. Vier Jahre sollte der Krieg dauern, dessen Grausamkeit jede zuvor gekannte

Dimension sprengte. 17 Millionen Menschen verloren zwischen 1914 und 1918 ihr Leben. Der Erste

Weltkrieg, in Frankreich auch „La Grande Guerre“ genannt, hat sich tief in das kulturelle Gedächtnis

Europas eingebrannt. Heute, 100 Jahre später, gilt er als „Urkatastrophe des 20. Jahrhunderts“.

Alles, was wir im Jahr 2014 über den Krieg wissen, stammt aus privaten Aufzeichnungen, Fotos und

Erinnerungen – und aus der im 19. Jahrhundert entstandenen Massenpresse. Zu den bekanntesten

Kriegsreportern zählt Albert Londres. Der Franzose aus Vichy schildert in einer seiner ersten

Reportagen den Brand der Kathedrale von Reims. Londres hatte den Angriff der deutschen Truppen

auf das französische Wahrzeichen miterlebt. Zwei Tage nach dem Bombardement, am 21. September

1914, veröffentlichte der Journalist seinen Bericht unter dem Titel „Ils bombardent Reims“ in der

französischen Zeitung „Le Matin“. Damit beginnt die Karriere des 1884 geborenen Albert Londres.

Gründliche Recherchen, lebendiger Schreibstil

Londres entdeckte früh seine Leidenschaft für das Schreiben. Zunächst wandte er sich der Literatur zu.

Seine poetische Vergangenheit spiegelte sich in seinem journalistischen Credo wieder: „Il faut porter

la plume dans la plaie », man muss die Feder in die Wunde legen – seine Texte zeichneten sich durch

detaillierte Beobachtungen und rhetorische Mittel aus.

Londres neuartiger, lebendiger Schreibstil verhalf ihm zu schnellem Ruhm. Seine Reportagen

erschienen auf den Titelseiten der französischen Zeitung. Doch auch in die Texte des gefeierten

Reporters, über den Tucholsky schrieb „Er war Reporter, und nichts als das“, schleichen sich Elemente

der Kriegspropaganda des Ersten Weltkriegs. Der Journalist ließ sich von dem Patriotismus anstecken,

der unter allen Kriegsparteien herrschte. Mit vaterländischem Blick schrieb er von den französischen

Soldaten als „Helden“. Gleichzeitig verwies auf die Greultaten der „unzivilisierten“ Deutschen. Ab

1915 bereiste Londres die Schlachtfelder des Ersten Weltkriegs in Griechenland, im Balkan, der

Türkei und Albanien.

Die Nachkriegszeit

Nach Kriegsende reiste Londres weiter um die Welt. Unter anderem besuchte er Asien, in Indien

begegnete er Ghandi und in Israel schrieb er über das Judentum und die Palästinenser. Londres lebte

die meiste Zeit seines Lebens aus dem Koffer. Für ihn teilte sich die Menschheit in zwei Klassen auf:

diejenigen, die einen festen Wohnsitz, Haus und Möbel hatten, und diejenigen, die auf Reisen waren.

Er gehörte zweifellos der letzten Klasse an. Dieser Philosophie entsprechend, endete Londres‘ kurzes

Leben 1932, auf der Rückreise von China. Dort hatte er eine Reportage über organisierte Kriminalität

vorbereitet. Er starb beim Untergang des französischen Luxusdampfer Georges Philippar. Aus bis

heute ungeklärten Umständen ging der Luxusdampfer auf seiner Jungfernfahrt im Golf von Aden in

Flammen auf. Londres war einer der 54 Toten, die bei dem Schiffsunglück zu beklagen waren.

Ein lebendiges Vorbild

Albert Londres gilt heute als einer der ersten investigativen Journalisten. Seit 1933 wird in Frankreich

jedes Jahr am 16. Mai die beste Reportage mit dem „Albert Londres“-Preis ausgezeichnet. Seit 1985

gibt es auch das Pendant für die beste audiovisuelle Reportage. Martin Kraus, Reporter bei Jungle

World, fasst die Bedeutung Albert Londres für Frankreich treffend zusammen: „Albert Londres war

für Frankreich das, was Egon Erwin Kisch für Deutschland war.“

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100 Jahre nach Kriegsausbruch wandeln wir, 19 junge Journalistinnen und Journalisten aus

Deutschland, Frankreich, Belgien, Neuseeland und Kolumbien, auf den Spuren Albert Londres. Mit

unseren Video-, Foto und Textreportagen sind wir während der ersten beiden Augustwochen 2014 in

die Fußstapfen des populären Reporters gestiegen. Hatte Londres mit seinen Reportagen begonnen, die

Geschehnisse des Ersten Weltkriegs zu dokumentieren, haben wir uns zum Ziel gesetzt, auf der Reise

durch den Norden Frankreichs die Erinnerung an den Ersten Weltkrieg mit lebendigen Reportagen und

gründlicher Recherche wachzuhalten.

Jana Kugoth/Assata Frauhammer

http://www.sur-les-pas-d-albert-londres.fr/mit-deutscher-version-albert-londres-le-reporter-le-plus-

connu-du-xxe-siecle/

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MORTS POUR LA PATRIE, MORTS POUR RIEN ?

Des cadavres entassés sous nos pieds. Des milliers de litres de sang versés. Des estropiés, des borgnes,

des sourds, des aveugles. Des bras, des jambes, des côtes, des crânes qui ne retrouveront jamais leur

propriétaire.

Des hommes envoyés à l’abattoir pour gagner un mètre de terrain. Frigorifiés, affamés et morts de

peur. Deux choix : le combat ou être fusillé.

Dix millions de morts !

Une culture de l’héroïsme, du patriotisme. Pourquoi ? Défendre son pays ? Pour qui ? Protéger sa

famille ? Contre l’envahisseur, le méchant Allemand cruel et prêt à tout pour tuer. Prenant des femmes

et des enfants comme bouclier. Agitant le drapeau blanc pour attaquer en traître.

Des hommes qui fraternisent à Noël. Pour se tirer dessus de plus belle le lendemain.

Des femmes se rongeant les ongles en attendant des nouvelles du front. Plus tard, des femmes hurlant

de douleur à l’annonce de la perte de l’être cher. Sans savoir où est le corps, sans pouvoir faire leur

deuil. Des années d’inquiétude viscérale pour apprendre le pire.

Aujourd’hui encore, on retrouve des corps. Aujourd’hui, des familles peuvent enfin faire le deuil.

Aujourd’hui, on se souvient. Allemands et Français se rencontrent et parlent de la guerre. Leurs

ancêtres se ressemblaient finalement. Dans les mêmes conditions, deux camps s’affrontaient pour des

raisons que les soldats ne pouvaient expliquer.

Une illusion de protection contre la mort © Gilberto Güiza

Aujourd’hui, on tente de tirer les leçons du passé. Se souvenir et aller de l’avant. Ne rien oublier,

tenter de pardonner et progresser. Commémorer les victimes de l’ego de certains, de la stupidité

d’autres, et de l’inconscience des derniers.

Parce que cette guerre a bouleversé le monde. Parce que cette guerre paraît impossible, aujourd’hui, en

France. Et pourtant, l’horreur s’est juste déplacée.

Hélène Herman - 14 août 2014

http://www.sur-les-pas-d-albert-londres.fr/morts-pour-la-patrie-morts-pour-rien/

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Moi, Sen Chi Cheng, « loyal jusqu’à la mort »

En arrivant sur le parking du cimetière de Nolette, petit hameau de

Noyelles-sur-mer dans le Pas-de-Calais, certains détails attirent le

regard. L’arche d’entrée porte des signes chinois en l’honneur des

huit cent quarante-deux hommes morts lors de la Première Guerre

mondiale. À l’intérieur, pas de croix comme dans les cimetières

américains mais des stèles blanches. Partout, des écritures anglaises

et leur traduction en chinois.

C’est à Nolette que se trouve le plus grand cimetière chinois de

toute la France. Morts entre 1917 et 1920, huit cent quarante-deux

hommes ont trouvé ici leur dernier repos.

Tous les jours les touristes arpentent les rangées, appareil photo à la

main. Souvent ils tentent de décrypter… Ils murmurent mon nom en

hésitant : Sen Chi Cheng. Je souris, moi qui ici ne répondais qu’au

matricule n°46415.

© Sylvain Godard

Je suis originaire de la province du Jinan, à l’Est de la Chine. Le 15 avril 1917, au bureau de

recrutement de Nankin, des Britanniques à l’uniforme impeccable proposaient des contrats de travail.

Le signataire s’engageait à rejoindre la France et à y rester cinq années. Nous serions cent cinquante

mille Chinois à remplacer les ouvriers partis se battre au front. Car là-bas, la guerre sévissait depuis

1914. Mais le contrat était formel : aucun de nous ne participerait aux combats. J’étais jeune, j’ai

accepté, alléché par la perspective d’un salaire inespéré pour un paysan. Mon pouce trempé d’encre a

signé mon arrêt de mort. A à peine vingt-cinq ans j’embrassais ma mère pour la dernière fois.

Le voyage pour atteindre la France dura trois longs mois. Quatre-vingt douze jours de trajet épuisant,

de Shangaï en passant par le Canada, pour finalement arriver au camp de Noyelles-sur-mer. Nous

faisions toutes sortes de tâches : la lessive, la réfection de chemins de fer, la manufacture d’armes… Et

je pouvais facilement l’endurer, le travail dans les champs en Chine n’est pas moins difficile. Mais

rapidement, je devins nettoyeur du front. Asphyxié par l’odeur nauséabonde, je récoltais des corps

criblés par les balles. Les autres Chinois enrôlés sous pavillon français vivaient-ils le même calvaire ?

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En 1917, cent-cinquante mille Chinois, aussi appelés « coolies », sont engagés par l’armée britannique pour aider

à l’effort de guerre. Crédit : archives de la mairie de Noyelles sur mer

Nous travaillions sept jours sur sept, dix heures par jour. Un seul jour de congé : le Nouvel An chinois.

Cependant, le plus insoutenable était la perte d’indépendance. Beaucoup de mes amis en sont devenus

fous. Lorsque nous quittions le camp, les Britanniques nous accompagnaient. Leurs uniformes

impeccables m’écœuraient à présent. Leurs voix aboyantes m’étouffaient. Aux yeux des habitants du

village, nous étions des prisonniers. Méritions-nous le mépris qu’ils réservaient aux Allemands ?

Un de mes rares bonheurs était d’acheter des pommes, qui me rappelaient la douceur de Chine. Parfois

je devais débourser le salaire d’une journée. Les Noyellois avaient compris que nous ne savions pas

estimer la valeur de l’argent.

Pas tous heureusement. Certains nous prenaient en pitié. Je me

souviens de cette charmante villageoise. Un matin, lorsque je me

rendais sur un chemin de fer en construction avec un officier, elle

m’a tendu une bouteille d’eau. A peine l’avais-je prise que mon

bourreau la fouettait en guise de punition. Son regard de souffrance

me hanta de nombreuses nuits.

En 1919, juste avant mon rapatriement la grippe espagnole fut mon

dernier supplice. J’avais vingt-huit ans.

Sur chaque stèle du cimetière est gravée une phrase en anglais, distribuée au

hasard parmi les huit cent quarante-deux tombes. © Hélène Herman

Le 23 mars 1920, les Britanniques inaugurèrent le cimetière de Nolette. L’armistice avait-elle

fait renaitre la conscience des alliés ? Cet acte était-il suffisant pour les milliers de Chinois

plongés dans l’horreur européenne ?

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© Sylvain Godard

Marie Bourguignon et Hélène Herman – 6 août 2014