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This article was downloaded by: [Uppsala universitetsbibliotek] On: 05 October 2014, At: 00:00 Publisher: Routledge Informa Ltd Registered in England and Wales Registered Number: 1072954 Registered office: Mortimer House, 37-41 Mortimer Street, London W1T 3JH, UK Loisir et Société / Society and Leisure Publication details, including instructions for authors and subscription information: http://www.tandfonline.com/loi/rles20 Relations ambivalentes entre professionnels et amateurs dans les loisirs sportifs : les cas de la spéléologie et du canyonisme Pierre-Olaf Schut a & Jérémy Pierre a a Université Paris-Est Marne-la-Vallée Published online: 02 Jul 2013. To cite this article: Pierre-Olaf Schut & Jérémy Pierre (2012) Relations ambivalentes entre professionnels et amateurs dans les loisirs sportifs : les cas de la spéléologie et du canyonisme, Loisir et Société / Society and Leisure, 35:2, 317-340, DOI: 10.1080/07053436.2012.10707846 To link to this article: http://dx.doi.org/10.1080/07053436.2012.10707846 PLEASE SCROLL DOWN FOR ARTICLE Taylor & Francis makes every effort to ensure the accuracy of all the information (the “Content”) contained in the publications on our platform. However, Taylor & Francis, our agents, and our licensors make no representations or warranties whatsoever as to the accuracy, completeness, or suitability for any purpose of the Content. Any opinions and views expressed in this publication are the opinions and views of the authors, and are not the views of or endorsed by Taylor & Francis. The accuracy of the Content should not be relied upon and should be independently verified with primary sources of information. Taylor and Francis shall not be liable for any losses, actions, claims, proceedings, demands, costs, expenses, damages, and other liabilities whatsoever or howsoever caused arising directly or

Relations ambivalentes entre professionnels et amateurs dans les loisirs sportifs : les cas de la spéléologie et du canyonisme

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This article was downloaded by: [Uppsala universitetsbibliotek]On: 05 October 2014, At: 00:00Publisher: RoutledgeInforma Ltd Registered in England and Wales Registered Number: 1072954Registered office: Mortimer House, 37-41 Mortimer Street, London W1T 3JH,UK

Loisir et Société / Society andLeisurePublication details, including instructions forauthors and subscription information:http://www.tandfonline.com/loi/rles20

Relations ambivalentes entreprofessionnels et amateursdans les loisirs sportifs : lescas de la spéléologie et ducanyonismePierre-Olaf Schuta & Jérémy Pierrea

a Université Paris-Est Marne-la-ValléePublished online: 02 Jul 2013.

To cite this article: Pierre-Olaf Schut & Jérémy Pierre (2012) Relations ambivalentesentre professionnels et amateurs dans les loisirs sportifs : les cas de la spéléologieet du canyonisme, Loisir et Société / Society and Leisure, 35:2, 317-340, DOI:10.1080/07053436.2012.10707846

To link to this article: http://dx.doi.org/10.1080/07053436.2012.10707846

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relatIOns ambIvalentes entre prOfessIOnnels et amateurs

dans les lOIsIrs spOrtIfs : les cas de la spéléOlOgIe

et du canyOnIsme

Pierre-Olaf schutJérémy Pierre

Université Paris-Est Marne-la-Vallée

Pour la plupart des sports compétitifs, et notamment les disciplines olym-piques, les fédérations sont les organisatrices des championnats pour l’obten-tion des titres nationaux, en vertu de la délégation que leur confère l’État français. La compétition étant la finalité de l’activité, le métier d’éducateur sportif est d’abord lié à la formation technique (Loirand, 2002) des sportifs adhérents aux associations affiliées à la fédération concernée. Ainsi, la pro-fessionnalisation de l’encadrement se fait au service de l’activité organisée par la fédération. Professionnels et bénévoles de l’activité ont un intérêt commun premier : le développement de l’activité qui passe par l’augmentation du nombre de pratiquants au sein de la fédération.

Les activités dont la pratique de loisir supplante largement la pra-tique compétitive1, vivent une situation différente. La fédération sportive nationale n’est plus le partenaire indispensable de l’organisation de la pratique, et des structures commerciales proposent des prestations de services, plus ou moins concurrentes, en dehors de tout lien organique avec le mouvement sportif. De ce fait, le développement d’un corps de professionnels et la construction d’une offre de services parallèle à celle du mouvement sportif sont susceptibles de bafouer l’ordre sportif histori-quement établi, au sommet duquel trônent les fédérations et le mouvement Olympique. Les structures commerciales n’ont pas d’autres préoccupations que leur rentabilité économique et, de ce fait, développent des logiques de fonctionnement différentes, comme ont pu le montrer Camy, Viallon et Collins (2003) pour les clubs de forme, même si les micromentalités des prestataires de tourisme sportif ne sont pas systématiquement dans une

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logique commerciale poussée (Bouhaouala et Chantelat, 2002). L’activité parallèle, voire concurrente, nous invite à interroger les liens entre les professionnels et la fédération de la discipline donnée.

En nous intéressant ici à la constitution d’un corps de professionnels dans l’une de ces activités, nous voulons mettre en évidence comment évo-luent les relations entre une fédération et la profession, au fur et à mesure de la structuration de cette dernière. Cette démarche ne peut pas se comprendre sans intégrer les relations de ces groupes d’acteurs avec l’État dont Abbott (2003) a montré le rôle décisif sur le résultat des luttes. Ici, le Ministère res-ponsable des sports est l’institution qui intervient activement à l’interface des deux groupements, légiférant et légitimant certains procédés et décisions. Plus précisément, l’État est en position hégémonique puisqu’il détient le monopole des certifications dans l’encadrement sportif contre rémunéra-tion, suite à la promulgation de la loi du 16 juillet 1984. À travers ce même texte, il formalise une relation particulière avec les fédérations sportives qui peuvent recevoir de l’État une délégation pour assurer une mission de service public dans leur discipline respective. Cette délégation est convoitée, car elle garantit des moyens supplémentaires et réduit le risque de concurrence.

Notre approche s’appuiera sur un exemple particulier, celui de la spé-léologie et du canyonisme, mais a l’ambition plus large de mettre à jour les déterminants qui amènent les situations que nous allons décrypter. L’intérêt de notre cas réside dans plusieurs propriétés : d’abord, la spéléologie puis le canyonisme font partie des activités de loisirs non compétitives telles que nous les avons définies précédemment. Ensuite, la spéléologie fait partie des premières activités physiques visées par l’État pour définir une certification professionnelle dans les années 1960, et elle est encore dans les premières à s’approprier le nouveau dispositif de certification dans les années 2000. Cette spécificité lui donne un rôle pionnier tout en offrant une perspective diachronique intéressante qui nous permet d’embrasser l’évolution des rap-ports entre les acteurs à travers l’ensemble des réformes législatives. Enfin, le premier diplôme professionnel propre à la spéléologie donne à son titulaire des prérogatives dans l’activité canyonisme. L’analyse simultanée de deux activités nous ouvre les voies de la comparaison que nous tâcherons d’élargir.

La présente étude de cas a vocation à être transposée à l’ensemble des activités de loisir que nous avons défini préalablement. Le développement sociohistorique de chaque discipline répond à une chronologie qui lui est propre, mais s’inscrit dans un contexte structurant commun à plusieurs pra-tiques sportives (Terret, 1996). Animés par la volonté de raisonner à partir des singularités, et non à propos des singularités (Passeron et Revel, 2005), nous tâcherons de mettre en évidence, au-delà des évènements spécifiques à notre exemple, les facteurs structurels inhérents à la nature et à l’organisation

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des activités et les éléments structurants du contexte politique pour donner les clefs de l’intelligibilité d’autres activités de loisirs. Dans cette perspective, nous nous efforcerons de multiplier les références à diverses monographies historiques, notamment sur la plongée sous-marine (Mascret, 2010) ou les sports de montagne comme l’alpinisme (Bourdeau, 1988) ou l’escalade (Bourdeau, 1991).

Pour structurer notre réflexion, nous nous appuierons sur les concepts développés par les sociologues qui se sont intéressés au monde du travail. Si la sociologie des professions puise ses origines dans les travaux des pères fondateurs de la sociologie tels que K. Marx ou M. Weber, son application au secteur du sport est assez récente. Néanmoins, un nombre croissant de travaux se développent dans ce domaine depuis une quinzaine d’années. La problématique de l’emploi et des qualifications a animé plusieurs études européennes au cours des années 19902. Le développement de l’emploi sala-rié dans un secteur jusque-là animé par le bénévolat a donné lieu à différents travaux sur le processus de professionnalisation sous ses différentes formes (Callède, 1996) ou dans des secteurs proches comme celui de l’animation (Augustin et Gillet, 1996). Puis, des approches monographiques ont permis de révéler les processus à l’œuvre dans des disciplines particulières comme les pratiques martiales japonaises (Juhle, 2009), la plongée sous-marine (Levet-Labry, 2009) ou encore la capoeira (Gaudin, 2009).

Notre travail s’inscrit davantage dans la sociologie des professions liées au sport en ajoutant une pierre à l’édifice pour révéler une forme particulière de professionnalisation. L’originalité de ce travail tient probablement aussi à l’analyse d’un impact intéressant de la professionnalisation sur l’organi-sation du sport. En effet, si la plupart des experts constatent et analysent le phénomène, nul n’a la prétention d’en avoir identifié toutes les incidences. Les spécialistes de gestion envisagent trois effets principaux pour les orga-nisations sportives (Bayle, 2005) :

– une transformation identitaire de l’organisation,

– une évolution de ses modalités de gouvernance originelle (méca-nismes et relations de pouvoir, principes de direction/contrôle),

– une évolution, voire une transformation, de la nature du projet fédéral et des types de performance privilégiés.

À ce jour, toutes ces pistes n’ont pas encore fait l’objet de travaux approfondis, mais il est bien question de redéfinir le champ d’action des fédérations sportives. Certains spécialistes vont jusqu’à annoncer la fin du système sportif fédéral (Loret, 2004). Cette vision, qui pousse la logique à son extrême, traduit néanmoins une idée réelle : celle de la remise en cause du pouvoir établi et notamment celui des fédérations nationales.

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Pour répondre aux questions que nous nous sommes posées sur la structuration d’un corps de professionnels dans les activités de loisirs, nous allons démontrer que le processus de professionnalisation des diplômés d’État de spéléologie puis de canyonisme, et notamment le développement de leurs certifications, leur permet d’acquérir une légitimité de plus en plus importante sur l’organisation de l’activité. Notre analyse nous conduira à mettre en évidence dans quelle mesure cette reconnaissance publique, entérinée par une législation émanant de l’État, se fait au détriment du monopole des fédérations sportives sur l’organisation de leur activité. La professionnalisation et ses effets sur la gouvernance des pratiques physiques sont au centre des débats.

Pourquoi se centrer plus particulièrement sur les questions de certifi-cation? Pour deux raisons essentielles : d’une part, parce que la formation et la certification sont des éléments caractéristiques de la constitution d’une profession (Wilensky, 1964) et, simultanément, un moyen de fermeture du marché (Weber, 1969) ; et d’autre part, car la question de la certification est celle qui impose un dialogue tripartite entre les trois acteurs principaux de notre sujet : l’État, la fédération et les professionnels. Or, nous privilégions une approche systémique s’intéressant certes aux logiques d’actions des dif-férents acteurs, mais surtout aux liens qui les unissent et leur permettent de voir aboutir leurs objectifs. Plus exactement, nous emprunterons à Abbott (2003) le concept « d’écologies liées » pour embrasser notre problématique. Il s’agit donc d’appréhender une profession dans son environnement et de s’inscrire dans une analyse dynamique qui permet d’appréhender le dérou-lement d’un processus. Cette approche nécessite de s’intéresser aux logiques propres de chaque acteur, mais surtout aux alliances qui se forment entre plusieurs acteurs pour voir aboutir leurs revendications. Les compromis que cet exercice impose amènent progressivement une situation dont on ne perçoit pas toujours les effets.

Pour chaque acteur de l’environnement de notre étude (État, syndicat de professionnels, fédération sportive), nous analyserons ses caractéristiques structurelles qui nous permettront d’identifier son écologie, c’est-à-dire la ligne de conduite fondamentale qui guide ses actions. L’expression concrète de cette identité prendra plusieurs formes en fonction des circonstances aux-quelles réagissent les organisations. C’est pourquoi nous nous intéresserons également au contexte sociopolitique qui déclenche l’action et impose une réponse. Ceci s’entend dans le temps et dans l’espace, dans la mesure où il faut prendre en compte la succession des gouvernements et des situations écono-miques tout autant que la construction de l’espace communautaire. En effet, si la négociation avec l’État renvoie au territoire national, la construction de l’Europe impose progressivement une réflexion élargie, dans la mesure où la législation française doit s’inscrire dans le cadre européen.

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Finalement, l’acceptation d’un compromis entre les acteurs est le fruit d’une alliance fragile et temporaire qui répond simultanément aux attentes divergentes – mais pas nécessairement contradictoires – des acteurs qui la concluent. En retour, les effets escomptés sont parfois difficiles à estimer et la dynamique historique donne un éclairage particulier qui complète l’analyse.

Pour accomplir ce travail sociohistorique, nous nous appuyons à la fois sur des sources écrites et orales. Nous avons fait l’effort d’analyser ces différents supports pour croiser les informations et caractériser les différents acteurs, en fonction de leur perception de leur environnement et de leur stratégie. Ainsi, nous nous appuyons d’une part sur les publications des institutions (revue fédérale, lettre du syndicat) qui permettent d’afficher les positions défendues par les dirigeants et d’autre part sur des entretiens (n = 6) avec les acteurs qui ont porté les dossiers. Nous avons également réalisé une obser-vation directe des débats du comité directeur de la Fédération entre 2007 et 2008. Ce travail est effectué par l’analyse des récits autobiographiques des acteurs impliqués sur les évènements les plus anciens. Certains documents de travail (réunion tripartite de la Commission professionnelle, 1991-1995) ont également contribué à situer les acteurs les uns par rapport aux autres. Enfin, le rôle de l’État a aussi été perçu à travers les textes législatifs sur les diplômes professionnels, qu’ils soient spécifiques aux activités étudiées ou plus généraux pour révéler la politique du Ministère sur ce sujet.

C. Paradeise (1985) a mis en avant la nécessité de reconstituer la tra-jectoire d’un groupe professionnel dans une perspective dynamique. C’est pourquoi nous allons présenter les résultats en trois étapes principales cen-trées sur les moments forts de cette histoire. La première partie débute en 1963, car cette année coïncide d’une part avec la naissance de la Fédération Française de Spéléologie, et d’autre part avec la création de la profession d’éducateur sportif par la loi de 1963 à partir de laquelle tout devient possible. La seconde partie de 1973 à 1993 est une période charnière pendant laquelle émergent de nouveaux enjeux qui donnent un autre sens à la professionna-lisation qui devient une source de légitimité. Enfin, la dernière partie nous amène jusqu’en 2010 et révèle l’autonomie grandissante des professionnels dans la réforme des certifications. À chaque fois, nous analyserons la situa-tion de chaque acteur, ses ambitions et les alliances à travers lesquelles se sont constitués des compromis acceptables par les différents protagonistes. Cette analyse nous permettra d’envisager en retour les effets du processus de professionnalisation sur l’organisation de l’activité et, plus particulière-ment, de la place réciproque de la fédération et du syndicat professionnel sur sa gouvernance.

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Les acteurs émergent, mais le projet se noie

La relation entre l’État et le mouvement sportif a fondamentalement évolué au cours de la seconde Guerre Mondiale. Un lien formel a été institué par le gouvernement de Vichy et renouvelé à la Libération à travers l’ordonnance du 28 aout 1945 (Ducrot, 1996). Néanmoins, les relations restent très peu structurées durant la IVe République (Amar, 1987). Il faut tout de même noter l’intérêt du gouvernement pour les professionnels du sport, et notamment dans les activités où le risque morbide est notable. Ainsi, essentiellement pour des raisons sécuritaires, les moniteurs de ski et les guides de haute montagne en 1948, puis les maitres-nageurs en 1951, voient leur profession règlementée en instaurant une obligation de diplôme reconnu par l’État (Pierre, 2009). Les débats parlementaires mettent clairement en lumière la motivation du gouvernement : « L’ignorance ou la connaissance insuffisante de la natation et la peur de l’eau sont les causes de la plupart des noyades dont le nombre est évalué à 3000 par an. »3 Par la suite, et pour les mêmes raisons, c’est au tour des activités duelles : l’escrime en 1954 et le judo/jiujitsu en 1955 s’inscrivent dans les mêmes dispositions que les activités de montagne et aquatiques.

Il faut attendre la Ve République et la nomination de Maurice Herzog à la tête du Haut Commissariat à la Jeunesse et aux Sports pour voir impulser une dynamique volontaire et une relation plus étroite entre les fédérations et l’État (Martin, 1999). Les premières contribuant à la mise en œuvre de la politique du second en échange de subventions. Cette relation élève les fédérations au rang d’institutions incontournables dans l’organisation de l’activité dont ils ont la charge. Elles deviennent les maitres d’œuvre de l’action publique tout en conservant une autonomie relative.

Dans cette dynamique, la question des professionnels du sport revient à l’ordre du jour. L’Assemblée Nationale adopte, en 1963, une loi qui définit la profession d’éducateur sportif. Les motifs sécuritaires restent prédominants : le texte a « pour objet de règlementer […] les disciplines sportives dont l’exercice présente des dangers, c’est-à-dire celles auxquelles on ne peut se livrer sans courir de risque »4. Le Haut Commissariat à la Jeunesse et aux Sports a toute légitimité pour définir une certification et les prérogatives d’exercice de ses détenteurs, mais n’a pas les ressources suffisantes pour construire seul une formation professionnelle spécifique à chaque activité et en assurer l’encadre-ment. Aussi, différentes fédérations sont sollicitées pour formaliser un diplôme professionnel et en construire les contenus de formation. Certaines saisissent l’opportunité et fondent leur corporation, comme la plongée sous-marine (Mascret, 2010). D’autres montrent davantage de réticence.

La Fédération Française de Spéléologie est de celles-là. En effet, l’institution est récente : elle est créée officiellement en 1963. Née de la fusion de deux sociétés plus anciennes (Schut, 2003), elle reste néanmoins

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une institution fragile qui sort d’une concurrence intestine. L’objectif de ses dirigeants est d’abord centré sur la pérennisation de l’institution et sa reconnaissance auprès de l’ensemble des pratiquants. Dans ce contexte par-ticulier, la sollicitation du Ministère pour définir un diplôme professionnel n’est pas accueillie avec le plus grand enthousiasme. Il apparait clairement que le développement d’un corps de professionnels est un levier de déve-loppement important dans la mesure où il constitue une ressource pour les clubs. Néanmoins, les dirigeants de la Fédération n’ont pas les moyens de construire une formation professionnelle. La formation de cadres bénévoles en est encore au stade expérimental (Schut, 2007a et b), et l’École Française de Spéléologie (EFS) ne sera créée qu’en 1969 avec une organisation fragile pendant de nombreuses années. La création, à la hâte, d’une formation pro-fessionnelle représente un risque de perte de légitimité et de contestation des licenciés. La définition des contenus est susceptible de raviver les débats qui ont précédé la constitution de la Fédération.

Cependant, la création de la Fédération Française de Spéléologie a été l’occasion de se rapprocher du modèle sportif pour bénéficier des subven-tions publiques accordées aux fédérations sportives. Dans cette situation, la stratégie des dirigeants fédéraux consiste à ne pas refuser l’idée de définir un diplôme professionnel, mais sans pour autant se mettre à pied d’œuvre pour faire aboutir le projet. Plus encore, ils ne manqueront pas de rejeter les propositions concrètes du Ministère.

Le dialogue entre l’État et la Fédération doit bientôt évoluer pour composer avec un tiers : l’Association Nationale des Guides et Moniteurs de Spéléologie. Loin d’être invités dans les premiers échanges, les premiers spéléologues qui offrent leurs services contre rémunération entendent bien participer aux débats afin d’être entendus, étant les premiers concernés. L’enjeu pour eux est d’éviter de se voir imposer une formation pour obtenir le diplôme qui leur permettrait d’exercer une profession qu’ils occupent déjà. Parmi eux, Jean Trébuchon5 anime un groupe de vingt-trois spéléologues qui constituent rapidement les membres fondateurs du premier syndicat de professionnels de la spéléologie. Cette structure, désormais clairement iden-tifiée, se fait connaitre auprès de la Fédération Française de Spéléologie pour participer aux discussions sur la définition d’une certification professionnelle.

Pour ces professionnels, la problématique est double. D’une part, les compétences qu’ils ont acquises dans l’exercice de leur activité doivent servir de base à la construction de la formation. D’autre part, la reconnaissance de leur activité professionnelle est un atout pour bénéficier d’un dispositif particulier de reconnaissance de leur expérience pour obtenir le diplôme ainsi créé et éventuellement de pouvoir ainsi prétendre au statut de forma-teur, lorsque la formation professionnelle verrait le jour.

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Les enjeux sont importants et justifient les efforts réalisés par les professionnels pour se rassembler, être reconnus et participer aux échanges entre la Fédération et l’État. Rappelons que la loi sur les éducateurs sportifs a aussi pour objectif de permettre aux professionnels en exercice de voir leur profession reconnue et leur formation valorisée. Ce texte offre l’opportunité pour un groupe de moniteurs de développer son « projet professionnel » au sens de M.S. Larson (1977) dans la mesure où ils peuvent obtenir de l’État la reconnaissance de la qualité de leur travail en même temps que la construc-tion d’une position sociale reconnue. L’élaboration d’un système de formation et la sélection des professionnels est l’élément clef pour atteindre cet objectif.

Ceci étant, la reconnaissance des professionnels, dans ce contexte, ne peut se faire qu’au détriment de celle de la Fédération. En effet, cette dernière n’a pas encore systématisé la formation des cadres. Or, si les services du Haut Commissariat à la Jeunesse et aux Sports se tournent vers la Fédération, c’est parce qu’elle est son interlocutrice privilégiée dans la discipline en question, et surtout parce qu’elle est censée apporter ses compétences et son expertise pour construire le cursus de formation et l’animer. En l’état, les profession-nels en exercice apparaissent mieux armés que la Fédération pour œuvrer en ce sens. En effet, déjà, Jean Trébuchon, président de l’Association des Guides et Moniteurs de Spéléologie, réalise des actions de formation des moniteurs de plein air, qualification spécifique qui attribue à son titulaire des prérogatives pour l’encadrement de la spéléologie6.

Finalement, loin d’être une complémentarité, c’est une véritable concurrence qui s’opère entre les deux groupements en mettant en jeu un élément fondamental de leur existence : leur légitimité. Si la Fédération est contrainte de reconnaitre l’existence de cette association de professionnels malgré quelques résistances, l’apparition d’un tiers qui peut lui faire de l’ombre, la renforce dans sa stratégie d’évitement. Et finalement, après plusieurs échanges le Haut Commissariat à la Jeunesse et aux Sports cesse de solliciter la Fédération sur ce sujet. En effet, dans sa volonté de sécuriser les consommateurs de services sportifs marchands, le cœur de cible est axé sur d’autres activités sportives qui représentent un marché plus important. L’activité spéléologique marchande, hors cavités aménagées, est assez embryonnaire alors. Si « une profession doit […] sa position à l’influence politique et économique d’une élite qui répond d’elle » (Freidson, 1970), J.-C. Trébuchon et l’Association Nationale des Guides et Moniteurs de Spéléologie n’ont pas les moyens de faire évoluer significativement la situation. Aussi, le groupement de professionnels se satisfait d’avoir été reconnu, car il est désormais certain d’être impliqué dans les négociations futures. Leurs intentions sont moins de supplanter la Fédération – certains en sont d’ailleurs des membres actifs – que de maintenir leur position sur un modeste marché qui représente, pour la majorité, une activité

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professionnelle accessoire. Ainsi, lorsque l’État cesse de jouer un rôle moteur pour faire avancer le dossier, ni la Fédération, ni l’association de professionnels ne prend le relais pour voir aboutir le projet.

L’impulsion de l’État pour créer une certification professionnelle arrive brusquement dans l’histoire de la spéléologie. La reconnaissance de la pratique comme activité physique de loisir est encore récente. La jeunesse de l’institution qui cristallise cette position relativement neuve la met en difficulté pour répondre à la sollicitation de l’État. Cet élan historique permet de comprendre la place de la Fédération dans le débat : elle apparait en premier lieu comme le partenaire privilégié de l’État. Plus important, elle représente simultanément la dépositaire du savoir abstrait qui doit permettre la création de la profession. Or, C. Dubar (1992) note que « les “professionnels de métier” tiennent leur pouvoir de leur rapport au savoir (technique et spécialisé) et leur légitimité de leur position indivi-duelle et collective dans l’organisation et sur le marché du travail ». Ainsi, la situation est difficile pour les professionnels de la spéléologie qui ne sont pas, à priori, les garants d’un savoir ou qui doivent convaincre l’auditoire de la spécificité de leur savoir vis-à-vis de l’encadrement bénévole organisé par la Fédération.

Temporairement, l’idée même de former des professionnels n’est pas rejetée, dans la mesure où c’est un moyen de développer l’activité, mais la situation liée à l’organisation de la spéléologie, à ce moment-là, l’ex-pose davantage à une division qui serait nuisible à la reconnaissance de la Fédération comme organe unique et incontournable pour l’ensemble des pratiques liées au monde souterrain. L’exemple des guides de haute mon-tagne ou des moniteurs de ski montrent qu’une organisation professionnelle peut acquérir une grande reconnaissance en dehors de tout contrôle de la Fédération. Si la légitimité des uns met en péril celle des autres, la lutte fratricide est un risque important. L’intérêt limité de l’État vis-à-vis de la pratique professionnelle de l’activité sauve les deux groupements qui se satisfont d’un statuquo.

Les voies de la légitimité

Le Ministère chargé des sports poursuit la construction des professions du sport dans les années 1970. Plus précisément, il introduit les éléments pour permettre une véritable carrière professionnelle dans le sport qui, dès lors, n’apparait plus comme une activité secondaire, mais comme une véritable perspective professionnelle. Cela se traduit par le renforcement de la formation et la définition d’un brevet d’État à trois degrés (décret du 15 juin 1972). Ainsi, les professionnels du sport peuvent accéder à un niveau de diplôme élevé qui leur confère la possibilité d’élargir leur activité à la

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formation professionnelle, notamment à partir du brevet d’État 2e degré. La loi prévoit aussi une couverture juridique indispensable à la pérennité de l’activité des éducateurs sportifs.

Il est important de noter aussi, dans ce texte, une volonté d’harmoni-ser les formations professionnelles en introduisant une organisation de la formation basée sur un tronc commun identique pour toutes les disciplines sportives et une partie spécifique à l’activité dans laquelle s’inscrit le diplôme. Dans ce cadre, le Ministère va piloter la construction d’un brevet d’État d’activités et de sports de nature pour lequel, il sollicite plusieurs fédérations. Ainsi, en 1973, la Fédération Française de Spéléologie reçoit un projet de brevet d’État relativement élaboré. Or, au cours des dix dernières années, la Fédération a muri : le nombre de pratiquants a été multiplié par trois, atteignant presque 6 000 licenciés, et la formation des cadres bénévoles s’est structurée progressivement. Des contenus d’enseignement ont été définis et adaptés avec l’expérience ; une gradation de diplômes balise un cursus de formation complet. L’EFS organise ainsi plusieurs stages par an et dispose de formateurs aguerris. L’histoire de la plongée sous-marine a montré que les contenus des diplômes fédéraux, lorsqu’ils sont bien établis, peuvent uti-lement servir de base à la définition du diplôme professionnel, témoignant ainsi de la reconnaissance de la compétence de la Fédération (Mascret, 2010). En l’occurrence, le projet de brevet d’État ne s’inscrit pas du tout dans la construction pédagogique des diplômes fédéraux de la spéléologie. Le directeur de l’EFS témoigne de cette inadéquation : « Ce projet, conçu probablement en prenant pour modèles la randonnée pédestre ou le cyclo-tourisme, est absolument aberrant pour la spéléologie. Une communication téléphonique au SEJS nous a permis d’attirer l’attention de son auteur.7 »

C’est pourquoi il rejette la proposition de l’État qui définit, en octobre 1973, le brevet d’État d’activités et de sports de nature, sans la spéléologie. Ce diplôme sera un échec : sous la pression d’un certain nombre de profes-sionnels8, aucune session de formation ne sera organisée.

La crise économique mondiale qui suit les chocs pétroliers de 1973 et 1979 modifie substantiellement l’action publique de l’État français et donc de son ministère chargé des sports. Le développement du chômage fait de l’emploi une priorité nationale auquel tout le monde doit contribuer à la hauteur de ses possibilités. Or, le développement du tourisme et des activités de loisirs offre de réelles perspectives d’emploi. Dès lors, si le développement des services sportifs peut contribuer à résorber le chômage grandissant, le gouvernement se doit de stimuler le marché. La loi Mazeaud du 29 octobre 1975 amorce cette tendance en donnant une importance grandissante à l’acti-vité assurée par les éducateurs sportifs aux côtés des professeurs d’éducation physique afin que « tout élève bénéficie d’une initiation sportive » (art. 3, loi du 29 octobre 1975).

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Néanmoins, le développement de l’encadrement sportif contre rému-nération ne doit pas prévaloir sur la sécurité des individus. C’est pourquoi le texte pose clairement l’obligation de diplôme. Près de dix années plus tard, la loi Avice du 16 juillet 1984 renforce cette idée en précisant, à travers son article 43, que « nul ne peut enseigner contre rémunération les activités physiques et sportives […] s’il n’est titulaire d’un diplôme attestant sa quali-fication et son aptitude à ces fonctions. Ce diplôme est un diplôme français défini et délivré ou délivré par équivalence par l’État, après avis de jury qua-lifié, ou bien un diplôme étranger admis en équivalence. » Ainsi, la pression étatique est beaucoup plus forte qu’elle ne l’était auparavant. Le texte de 1963 avait pour vocation principale d’encadrer les pratiques « dangereuses ». En 1984, toutes les activités physiques doivent s’inscrire dans le système des certifications encadré par le Ministère de la Jeunesse et des Sports. Dès lors, les intentions du Ministère sont plus fermes pour voir émerger un diplôme professionnel. Les questions de sécurité et d’emploi touchent-elles davantage la spéléologie qu’à la fin des années 1960?

Il est vrai que la demande d’encadrement professionnel est de plus en plus forte, notamment de la part des centres de vacances qui se sont particulièrement développés. La Fédération prend l’initiative de gérer les sollicitations en créant une qualification spéléologie9. Très vite, la forma-tion est investie par des animateurs, éducateurs, enseignants, etc. Plus de 350 stagiaires valident leur formation entre 1976 et 199210. Tous, forts de leurs modestes expériences, apprennent à encadrer un groupe dans une cavité ne présentant pas de difficultés particulières. L’EFS va même encore plus loin en mettant sur pied un service de placement des personnes qualifiées et fait ainsi le relais entre les structures demandeuses de professionnels et ces derniers dont elle a attesté les compétences. Ainsi, elle arrive à gérer l’activité professionnelle en allant jusqu’aux limites du système légal11. Mais le marché va profondément évoluer.

Cette volonté manifeste et durable de garder le contrôle sur l’activité dans son ensemble, y compris de l’activité professionnelle, tient dans la position des fédérations sportives organisant des activités de loisirs non com-pétitives, qui reste toujours relativement fragile. L’adhésion à la fédération n’est pas indispensable pour pratiquer l’activité et il faut sans cesse susciter une adhésion qui prend tout son sens uniquement si l’institution incarne des valeurs communes et les défend par ses actions. D’autres activités de loisirs – qui se sont engagées, de manière précoce et marquée, dans le développement d’une offre professionnelle – ont créé une scission entre, d’une part, les pratiquants de sports loisirs gérés par les sociétés commerciales et, d’autre part, une frange beaucoup plus modeste de pratiquants qui s’inscrit dans le giron fédéral. À titre d’exemple, aujourd’hui, près de 5 millions de Français pratiquent des sports d’hiver12 alors que la Fédération Française de Ski ne

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compte que 156 000 adhérents. Aussi, la Fédération Française de Spéléologie s’efforce de continuer à rassembler les spéléologues dans leur diversité (Schut, 2007). Dans ce cadre, il est important qu’elle garde la mainmise sur la pratique professionnelle et les centres de vacances dont les enfants pris en charge représentent autant de futurs adhérents potentiels.

Le marché professionnel va profondément évoluer avec le développement de la descente de canyon. Les premières initiatives dans cette activité débutent dans les années 1970. Les licenciés de la Fédération Française de Spéléologie sont parmi les premiers à se lancer dans la « spéléologie à ciel ouvert ». Ils explorent beaucoup de sites dans les différents massifs et commencent à publier des ouvrages qui lancent de nouveaux pratiquants sur leur trace (Schut, à paraitre). Dans les années 1980, le canyoning suscite un engouement particulier. Quelques représentations médiatiques fortes l’inscrivent dans les sports à la mode aux côtés de l’escalade ou du vol libre. L’image de dangero-sité qu’elle suscite, conjuguée, non contradictoirement, à une certaine facilité d’accès, favorise une demande d’encadrement professionnel de cette activité et, très vite, plusieurs corporations s’intéressent au marché : les guides de haute montagne, les moniteurs de canoë-kayak et les accompagnateurs en moyenne montagne. Les professionnels de la spéléologie sont bien entendu aussi parmi les premiers sur ce marché dans la mesure où la pratique est très proche de leur activité, notamment d’un point de vue technique.

Or, le canyonisme bouleverse le rapport entre les corporations : cette activité, sans diplôme spécifique, mélange les techniques d’évolution sur corde et de parcours en eaux vives. L’ensemble des professionnels qui ont un lien avec cet environnement se l’approprie pour profiter de l’explosion du marché.

La définition des juridictions au sens d’Abbott (1988) porte ici à confu-sion alors qu’elle est habituellement très précise dans le champ sportif du fait que chaque discipline dispose de sa propre certification. Une situation similaire s’est posée aux guides de haute montagne qui ont vu évoluer l’escalade en dehors de leur espace de prédilection et émerger ainsi un diplôme spécifique à cette activité. La corporation des guides de haute montagne a donc fait pression sur ces nouveaux arrivants en imposant une limite de leur territoire à une altitude de 1 500 mètres, ce qui leur permet d’œuvrer principalement sur les massifs calcaires préalpins et donc en dehors des grands massifs alpins qui concentrent l’activité des guides. Pour réduire la compétition interprofes-sionnelle, les corporations touchées par la descente de canyon vont s’efforcer de constituer son encadrement en un marché fermé afin d’optimiser son fonc-tionnement économique en leur faveur. Or, la clôture du marché est soumise à la définition d’une loi et la rédaction de statuts spécifiques (Segrestin, 1985). Cette démarche passe donc par l’arbitrage de l’État.

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Déjà, les préfets des départements ne manquent pas d’être interpelés par les pratiques qui se développent, car le succès du canyoning est entaché par quelques tristes accidents qui se succèdent. Dans une démarche de concertation des parties prenantes, les services déconcentrés du Ministère de la Jeunesse et Sport sont d’abord intégrés dans les débats locaux (Schut, 2008) avant que l’administration centrale organise une action au niveau national. Or, un des leviers de la gestion de la sécurité est la règlementa-tion de l’enseignement contre rémunération. B. Soulé (2004) révèle que le syndicat des moniteurs de ski présente l’encadrement bénévole comme une source d’accidents supplémentaires par rapport à celui des professionnels. La définition et la mise en œuvre d’une qualification professionnelle spéci-fique nécessitent du temps, difficilement compatible avec une actualité qui réclame une réaction rapide des pouvoirs publics.

La première action du Ministère est donc d’interpeler les fédérations sportives concernées par l’activité afin de dispenser des recommandations techniques13. Cette action rappelle, s’il était nécessaire, l’étroite collaboration entre l’État et les fédérations, et surtout l’importance des fédérations pour gérer les questions techniques et participer à leur mise en œuvre. D’ailleurs, la Fédération Française de Spéléologie publie le premier manuel technique de descente de canyon en 1995. La Fédération Française de Montagne et d’Escalade ne tarde pas à publier elle aussi son manuel technique quatre ans plus tard. Cette expression de la concurrence entre les fédérations est à l’image de celle qui anime les professionnels.

La définition de contenus d’enseignement spécifiques dont témoignent ces ouvrages permet la construction d’une formation dédiée à l’activité. Or, la création d’un nouveau diplôme n’est souhaitable par aucun des professionnels en exercice qui se verraient exclus du marché qui le fait vivre14. L’objectif des professionnels est davantage de s’approprier la compétence sur l’activité et d’en exclure tout ou partie de la concurrence. Dans ce combat, tous les acteurs ne sont pas égaux. Face à des corporations relativement anciennes, les spéléologues sont dans une situation complexe. Pionniers de l’activité, les plus à l’aise pour gérer les questions liées à l’eau vive et au travail sur corde, auteurs du premier manuel technique, ils semblent les plus légitimes pour se positionner avantageusement. Néanmoins, par rapport aux professionnels diplômés d’État, ces derniers paraissent être de simples bénévoles dans le sens où leurs diplômes fédéraux ne les placent pas sur une égalité statutaire vis-à-vis de leurs « homologues ». L’absence de diplôme d’État spécifique est un lourd handicap : comment peut-on ajouter le canyonisme aux prérogatives d’exercice d’un diplôme professionnel qui n’existe pas?

Il apparait désormais clairement que les professionnels de la spéléo-logie ont tout intérêt à se constituer très vite sous la forme d’une profession pour obtenir une reconnaissance qui leur permettra de débattre sur les

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enjeux de développement de leur profession d’égal à égal avec les autres moniteurs de canoë-kayak, guides et accompagnateurs de montagne. Le Syndicat National des Professionnels de la Spéléologie et du Canyon est créé en 1988. Jean Trébuchon, le président de l’Association Nationale des Guides et Moniteurs de Spéléologie, en est nommé président d’honneur comme pour signifier la poursuite de l’œuvre menée par ces groupements, en l’absence de continuité juridique.

À ce moment-là, les professionnels ont besoin d’un diplôme d’État pour obtenir la reconnaissance de leur métier et préserver, voire fermer, leur marché face à la concurrence. Le Ministère de la Jeunesse et des Sports, pour mener à bien sa démarche de gestion sécuritaire et de développement de l’emploi, partage la même volonté que les professionnels. Comment va réagir la Fédération face à cette conjugaison d’efforts ? Quels en sont les enjeux pour elle?

La professionnalisation représente une menace potentielle qu’elle a longtemps esquivée. Cependant, la fédération est arrivée à maturité et peut envisager franchir cette étape dans les meilleures conditions. Mais le problème est plus compliqué : les trois quarts (73,5 %) des licenciés qui se sont exprimés lors d’une enquête interne15, sont opposés à la définition d’un diplôme profes-sionnel qui fait l’objet de vives critiques principalement d’ordre éthique. Jean-Pierre Holvoet se souvient que les spéléologues « ne supportaient pas que l’on gagne du fric avec leur loisir » et que « les professionnels étaient regardés de travers »16. L’idée d’une professionnalisation est contradictoire avec les valeurs des licenciés (Schut, 2007a et b). Dans cette situation, la Fédération n’a pas réellement intérêt à agir contre la volonté de ses adhérents.

Néanmoins, au cours des vingt dernières années, force est de consta-ter que les liens avec le Ministère se sont renforcés, créant une forte dépendance financière de la Fédération. De plus, la mise à disposition de personnel d’État double les ressources humaines de la Fédération. Dans ce cadre, un autre enjeu de légitimité existe, envers l’État celui-là : l’obten-tion de la délégation de service public. En effet, la loi de 1984 crée deux niveaux de reconnaissance entre les fédérations : les fédérations agréées et les fédérations délégataires. Les secondes jouissent de l’attribution de la compétence pour une ou plusieurs disciplines pour la ou lesquelles elles deviennent l’organe de référence officiel. À la fin des années 1980, la FFS n’est toujours pas officiellement délégataire pour l’activité spéléologie et sa position est potentiellement menacée. Cette situation résulte de ses nombreuses réticences à se conformer au modèle sportif et elle n’est pas à l’abri de voir émerger une structure concurrente qui se plierait à toutes les demandes du Ministère et qui pourrait s’approprier la fameuse délégation de service public. Aussi la quête de légitimité des dirigeants de la FFS

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est-elle tiraillée entre, d’une part, la volonté de ses licenciés et, d’autre part, l’exigence du Ministère pour acquérir durablement le statut de fédération délégataire pour l’activité spéléologie.

Devoir choisir entre légitimité des adhérents et légitimité administra-tive peut sembler paradoxal. Pourtant, les dirigeants fédéraux trancheront au détriment des licenciés. Plusieurs raisons expliquent ce choix. Suchet et Raspaud (2008) accordent un rôle décisif à la personnalité du directeur technique national qui entretient une position ambigüe, à la fois partie pre-nante dans la gestion de la fédération et personnel du Ministère. Toutefois, il faut mentionner une pluralité de raisons que l’on ne développera pas ici : l’allégeance au Ministère sur ce dossier s’est accompagnée d’un rejet de la compétition qui faisait ses premiers essais face à une contestation tout aussi vive. D’autre part, la définition d’un diplôme est aussi faite à l’avantage des spéléologues qui souhaitent faire de leur passion leur métier. Et l’existence d’une corporation forte, proche de la Fédération, peut s’avérer être un allié efficace, car les compétences des diplômés et leurs prérogatives d’exercice sont souvent étroitement liées avec les délégations de service public de leurs fédérations. Si la menace d’une institution concurrente en spéléologie reste assez théorique, la question reste à débattre pour le canyonisme, face à la Fédération Française de Montagne et d’Escalade notamment.

Ainsi, la fin des années 1980 marque un tournant décisif qui aboutira à la création du BEES 1er degré option spéléologie en 1992. Ce diplôme est le fruit de la conjonction d’intérêts différents, mais néanmoins liés de la part des trois acteurs impliqués. La Fédération Française de Spéléologie cherche à obtenir le plus haut degré de légitimité auprès de son financeur, le Ministère de la Jeunesse et des Sports qui, quelques mois plus tard, lui accorde enfin la délégation convoitée. Celui-ci doit endiguer l’accidentologie et créer de l’emploi par le sport. L’accroissement de l’activité des moniteurs de spéléo-logie, notamment du fait du développement de la descente de canyon, est un levier pertinent pour répondre à ses missions. Enfin, la reconnaissance de ces professionnels et la sauvegarde de leur marché passent par la certifica-tion. La création du BEES est donc une solution commune à chaque partie pour arriver à ses fins.

Les professionnels s’approprient le savoir

Au fil des ans, les professionnels de la spéléologie sont de plus en plus nom-breux. Si 121 diplômes ont été délivrés pendant la période transitoire de 1992 à 1995 révélant l’activité professionnelle de l’époque, le syndicat estime aujourd’hui que près de 180 personnes sont actives sur les 380 qui ont obtenu leur diplôme entre 1992 et 201017. Alors que pour certaines fédérations, le développement de ces personnes qualifiées représente une ressource

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supplémentaire pour améliorer les potentialités d’accueil et la qualité de la formation dans leurs structures, la Fédération Française de Spéléologie va évoluer en parallèle du développement d’un corps professionnel. Depuis la certification des premiers professionnels, le nombre de licenciés à la Fédération ne traduit aucun impact, positif ou négatif, de l’émergence d’une corporation spécifique. Les États Généraux de la Spéléologie réalisés en 2005 attestent de cette distanciation. La Fédération s’était pourtant donné les moyens de faire des professionnels le relais de l’action fédérale en imposant la réalisation d’un stage dans une structure fédérale pendant la formation. Pourtant, force est de constater que la réalité de l’activité professionnelle écarte fréquemment les diplômés des activités fédérales.

Cette relative indépendance des professionnels et de la Fédération se transforme en un travail commun, uniquement autour de la question de la certification. Nous avons analysé la constitution du BEES mais ce diplôme s’inscrit dans un cursus de formation à trois degrés. Si les besoins du marché sont couverts par les BEES 1er degré (94,5 % des diplômes délivrés sont des BEES 1er degré ou équivalents en 2008), la création d’un BEES 2e degré répond à plusieurs enjeux : la création d’un corps de formateurs pour les formations au BEES 1er degré, qui constitue un potentiel de complément d’activité aux professionnels en exercice, notamment hors saison ; la recon-naissance d’un niveau de qualification supérieur pour les titulaires de ce diplôme de niveau II (le BEES 1er degré est un diplôme de niveau IV) ; et la constitution d’un corps de professionnels avec des compétences élargies pour le développement de l’activité. En effet, le BEES 2e degré permet d’accéder au concours de Professeur de sport organisé par le Ministère de la Jeunesse et des Sports, qui permet d’être nommé Conseiller Technique auprès des fédérations. Claude Roche, alors Directeur Technique National, rappelle qu’ : « il y avait nécessité d’avoir ce niveau II, qui n’existait pas en spéléologie, essentiellement pour remplacer les cadres techniques »18.

Que ce soit pour des motifs de valorisation sociale et d’élargissement de l’activité pour les professionnels ou de développement de ressources humaines pour la fédération, chacun peut satisfaire ses intérêts dans la créa-tion d’un diplôme de BEES 2e degré qui mobilise rapidement les acteurs. Cependant, le projet met du temps à éclore. En 1998, le projet de BEES 2e degré est enfin mûr. Or, le Ministère chargé des sports retarde sa validation sans manifester d’opposition de fond.

Son engagement dans une vaste réforme de ses certifications reporte longuement le projet. En effet, le Ministère construit un nouveau modèle de certification, beaucoup plus conventionnel par rapport au monde du travail et censé mieux répondre aux besoins d’emplois19. S’il reste incontournable dans le dispositif, profession règlementée oblige, la place des fédérations

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est beaucoup plus ambigüe. L’alliance historique entre les fédérations et le ministère qui a permis une action conjointe est remise en cause face au développement d’une offre de services de loisirs professionnelle.

Ainsi, le nouveau Diplôme d’État Supérieur, qui remplace feu le BEES 2e degré, est régi par un arrêté qui témoigne de ces évolutions. À titre d’illustration, dans le texte qui définit l’organisation du BEES à trois degrés20, la fédération sportive joue un rôle important dans la certification des candidats puisqu’elle doit être représentée dans le jury d’examen (art.10). Or, le Diplôme d’État Supérieur prévoit que le jury qui délivre le diplôme soit constitué de personnels d’État et de représentants des employeurs et employés. La Fédération, pour participer au jury d’examen, doit se justifier d’être employeuse. Le siège fédéral emploie bien des salariés, mais leurs fonctions sont purement administratives et donc nullement représentatives de l’environnement professionnel des futurs diplômés. En somme, la présence de la Fédération, si elle a été effective sur ce motif lors de la première session d’examen, est extrêmement contestable sur le fond. Finalement, l’évolution de la professionnalisation semble échapper à la Fédération.

Un des éléments clefs qui imposait la présence fédérale est l’expertise technique, c’est-à-dire la possession du savoir qui devait fonder l’objet même de la professionnalisation. Aussi, alors qu’émerge un corps de professionnels de niveau supérieur, qui, d’eux ou de la Fédération, sont les plus légitimes pour faire valoir la maitrise du savoir professionnel? Si la Fédération a des compétences avérées pour former des cadres bénévoles, les professionnels n’ont de cesse de défendre l’idée selon laquelle l’activité professionnelle a ses spécificités. Dans la mesure où l’objectif de cette formation est de former des formateurs, les professionnels expérimentés semblent le plus à même de répondre à cette mission. Il apparait donc que la Fédération perd en légiti-mité. La réforme des certifications professionnelles l’écarte du processus de sélection des formateurs qui assureront à leur tour la sélection des nouveaux entrants sur le marché. Et si le marché de l’encadrement de la spéléologie est bien fermé, notamment du fait de l’obligation de diplôme, la Fédération en a donné les clefs aux professionnels dont elle a assisté la cooptation.

La spéléologie ne fait pas exception. Elle fait figure de pionnière, car elle a inauguré le dispositif mis en place à travers la définition du Diplôme d’État Supérieur par l’arrêté du 20 novembre 2006. Mais encore une fois, à la différence du rugby dont le diplôme équivalent est défini au même moment, la question se pose autrement pour les activités de loisirs. En effet, dans le sport compétitif comme le rugby, les emplois se trouvent uniquement dans les clubs affiliés à la fédération. Même si la fédération n’emploie directement qu’un petit nombre d’entre eux, elle garde une position particulière sur le marché. Ainsi, la définition du Diplôme d’État Supérieur option spéléologie

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illustre l’évolution d’une pratique professionnelle qui acquiert son autonomie et son indépendance. C’est d’autant plus vrai que le diplôme est spécifique à la spéléologie et rompt avec la bivalence du BEES qui permettait d’encadrer la spéléologie et le canyonisme. La trajectoire de cette activité se singularise et révèle d’autres enjeux qui pèsent sur les diplômes sportifs.

La création du Diplôme d’État option canyonisme en mai 2010 consti-tue le dernier épisode en date qui témoigne de l’évolution des relations entre la fédération et les professionnels. Nous verrons que, non seulement les professionnels continuent d’évoluer en toute autonomie vis-à-vis de la fédération, mais qu’en plus, ils prennent l’ascendant sur cette dernière dans des rapports de force et qu’ils acquièrent la fameuse expertise technique qui justifiait le rôle incontournable des fédérations jusque-là.

L’organisation de l’emploi sportif s’est historiquement construite entre l’État et les fédérations sportives nationales. Au cours des dernières années, l’emploi sportif s’est davantage rapproché des normes et modèles de fonc-tionnement commun aux autres branches professionnelles. Cette homogé-néisation intersectorielle est appuyée par l’action des marchés du travail transnationaux et notamment européens (Méhaut et Linch, 2009). Déjà, des régulations ont dû être faites pour permettre à des moniteurs de ski étrangers d’intervenir dans les stations françaises. Les sites de canyonisme font l’objet d’une attractivité similaire. Et il faut bien reconnaitre que l’arrangement des syndicats professionnels français est atypique. Pour preuve, aucune formation de guide de haute montagne en Europe (Suisse, Italie, Autriche, Allemagne) n’attribue des compétences dans cette activité.

D’autres pays de l’Union vont formaliser des diplômes spécifiques au canyonisme. Or, ces personnes déclarent leur activité en France sans que le Ministère ne sache leur attribuer une équivalence de diplôme. Au nom de la liberté de travail des ressortissants de l’Union Européenne, la Commission Européenne incite fermement la France à prendre les mesures qui s’imposent pour permettre aux diplômés de canyonisme des États membres d’exercer leur métier dans l’hexagone. Dans l’urgence, il est établi un dispositif d’éva-luation qui permet de valider les compétences du candidat auprès d’un jury. Cette procédure exceptionnelle est concédée à la France par la Commission Européenne pour le cas particulier des activités qui se déroulent dans un environnement spécifique21. Il existe déjà, notamment pour l’encadrement du ski par des moniteurs diplômés dans un pays étranger, un test d’aptitude qui garantit leurs compétences. Un dispositif semblable est mis en place pour la descente de canyon et une session annuelle est organisée.

Ce mode de fonctionnement n’est pas pleinement satisfaisant, d’autant que le responsable des questions d’emploi formation au Ministère, Hervé Savy, précise dans l’instruction 06-100 du 31 mai 2006 que « les récépissés de

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Libres Prestations de Services ne peuvent être délivrés que pour l’exercice de l’ensemble des prérogatives attachées à un brevet d’État, et en référence à ce dernier, et en aucun cas pour l’une des activités constitutives de ce brevet, prise isolément ». Dans un tel contexte, la création d’un diplôme spécifique au canyonisme paraît urgente.

Le travail sur le Diplôme d’État spécifique à l’activité débute rapide-ment avec les fédérations de spéléologie et de montagne et les syndicats des guides, moniteurs d’escalade et de spéléologie. La négociation des équiva-lences entre la formation technique des moniteurs fédéraux et la formation technique des diplômes d’État est toujours un sujet délicat. Jean-Pierre Holvoet, vice-président de la Fédération, est clair : « j’ai toujours défendu […] un parallélisme entre les diplômes fédéraux et les diplômes d’État »22. L’expertise technique qui justifie la présence des fédérations dans ces débats est mise en jeu. Il est nécessaire pour elles que ses meilleurs techniciens soient reconnus à un niveau équivalent aux professionnels. L’histoire de la plongée sous-marine révèle que le niveau des moniteurs fédéraux était semblable, voire supérieur à celui des professionnels (Mascret, 2010). D’ailleurs, la formation des professionnels s’est appuyée sur celle des moniteurs fédéraux. Plus proche de nous, le BEES option spéléologie prévoyait un allègement de formation, notamment technique, pour les titulaires des diplômes fédéraux de moniteurs et d’instructeurs (art.13). Ainsi, les fédérations de Montagne et d’Escalade et de Spéléologie ont souhaité obtenir un dispositif similaire pour ce nouveau Diplôme d’État. Les syndicats ont opposé l’argument que la pratique professionnelle revêt une spécificité ; les titulaires des diplômes fédéraux ne peuvent pas être dispensés significativement de la formation. En l’absence d’un consensus entre les fédérations d’une part, et les syndicats d’autre part, les services du Ministère ont transigé en faveur des syndicats23. Le texte du Diplôme d’État canyonisme, adopté le 26 mai 2010, révèle en effet que les diplômes fédéraux ne permettent que l’allègement du test technique initial, mais seuls les diplômes d’État donnent droit à des allègements de formation conséquents, notamment les enseignements liés aux techniques d’évolution et d’encadrement dont il avait été question.

Ce dernier épisode témoigne de l’évolution rapide qui a permis aux professionnels de prendre le dessus sur la gestion des certifications. Plus largement, il n’est pas simplement question de confier à ces derniers la ges-tion d’une certification qui les concerne en premier lieu, mais c’est bien un enjeu plus large – lié à la légitimité des fédérations sportives dans la gestion du sport – qui est en cause. Le savoir technique est écartelé entre des pro-fessionnels hautement diplômés et une fédération délégataire.

Il apparait de manière assez équivoque que l’évolution de la pro-fessionnalisation des activités physiques de loisirs a profondément modi-fié le p aysage sportif. Le Ministère des Sports continue de jouer un rôle

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déterminant dans la mesure où il organise et contrôle la définition des diplômes. En effet, l’État maintient son monopole pour l’organisation de la certification des activités qui se déroulent dans un environnement spécifique dont font partie la spéléologie et le canyonisme. Néanmoins, l’inscription de l’emploi sportif dans les dispositifs communs du monde du travail remet en cause le pouvoir du Ministère et de ses alliées, les fédérations. Il faut désor-mais composer en fonction des usages et dispositifs semblables aux autres professions. Les injonctions sont nombreuses et les marges de manœuvre moindres. Les fédérations voient leur pouvoir reculer et leur présence deve-nir de plus en plus remise en cause. Leur expérience et compétence dans la formation ne sauraient être indispensables dans la mesure où les profes-sionnels suppléent efficacement, voire surpassent les compétences de la fédération. Dans le cadre d’un diplôme où elle n’a pas de place légitime sauf si elle représente une structure employeuse, et compte tenu de l’absence de compétence distinctive, notamment technique, la présence des fédérations dans la définition des diplômes relève davantage de la complaisance ou de la tradition. Il apparait clairement que la gouvernance de l’activité s’en trouve profondément modifiée.

L’analyse des loisirs sportifs donne à voir un processus de profession-nalisation particulier dans lequel intervient un tiers : la fédération sportive. Dans la mesure où cette dernière est détentrice du savoir abstrait qui fait l’objet de la professionnalisation, sa position est incontournable. Toutefois, la dynamique historique montre que le lien entre les écologies du système fédéral et celle des professionnels est de moins en moins lié. Si bien que la Fédération, qui détenait pourtant le savoir, donc la source de pouvoir de la profession, se trouve progressivement évincée des questions de certifica-tions, trahie par son ministère de tutelle qui lui a donné par ailleurs toute sa légitimité. Nous retiendrons donc la forme atypique de professionnalisation qui permet à un groupe de se constituer dans un marché fermé sans être détenteur exclusif d’un savoir-faire. Ainsi, la principale source de pouvoir de professionnels, leurs compétences, ne semble pas être un impératif pour voir émerger et évoluer une profession vers un marché fermé.

nOtes

1. Par exemple, la pratique du vélo rassemble 18 millions de pratiquants (source : INSEE/INSEP, 2003) et seulement 225 000 licenciés (cumul des fédérations de cyclisme et de cyclotourisme pour l’année 2005).

2. On peut citer l’étude de Jean CAMY et Nathalie LEROUX 1995. Sport and employment in Europe. European Commission, DGX, Bruxelles. Ce travail a précédé la création de l’European Observatory of Sport Employment.

3. Débats parlementaires. Annexe no 9720, Séance du 25 avril 1950, Projet de loi assurant la sécurité dans les établissements de natation.

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4. Assemblée Nationale, Séance du 3 octobre 1967, Discussion d’un projet de loi relatif à la règlementation de la profession, M. Bernard Marie, rapporteur.

5. Trébuchon, J.-C. (1996). Chronique de la naissance annoncée du guidage spéléo. Vallon-Pont-d’Arc : Édition à compte d’auteur.

6. Cette qualification s’adresse aux personnels du Haut Commissariat à la Jeunesse et aux Sports. Elle ne permet pas d’encadrer contre rémunération dans le cadre de l’organisation d’une entreprise commerciale.

7. Letrône, M. (2003). Naissance de la Fédération et de l’École Française de Spéléologie 1960-1974. Villeurbanne : Édition à compte d’auteur, p. 71.

8. Bouchout, J.-P. (2005). Sports de nature : de l’observation à la certification. Historique et enjeux de l’évolution des diplômes JS : entre transversalité et spécialisation. Intervention lors de la table ronde du 5 octobre 2005, consacrée au thème de « l’évolution des diplômes JS entre transversalité et spécialisation », au cours du séminaire sur « l’emploi et la formation dans les sports de nature » (Vallon Pont d’Arc, 4,5 et 6 octobre 2005).

9. École Française de Spéléologie : « Informations générales concernant les stages donnant lieu à l’attribution de la « qualification spéléologie », Spelunca, 3, 1976, p. 135

10. Mulot, J. : « L’École Française de Spéléologie », Spelunca, 51, 1993, p. 32. 11. Bien que les lois dites « Mazeaud » et « Avice » affirment successivement l’obli-

gation de diplôme d’État pour encadrer une activité physique et sportive contre rémunération, la liste des diplômes homologués par l’État rassemble un certain nombre de diplômes fédéraux pour pallier le déficit de BEES dans les disciplines concernées.

12. STAT-info, Les sports d’hiver, pratiques et pratiquants, no 06-06, 2006. 13. Les Fédérations Françaises de Spéléologie, Canoë-Kayak et Montagne et

Escalade cosignent des recommandations techniques pour la pratique du canyonisme diffusées par le Ministère chargé des Sports.

14. 30 % du temps de travail est consacré à la descente de canyon contre 40 % à la spéléologie les 20 % restants sont consacrés à une activité complémentaire, d’après Eric Charon, président du SNPSC, 1996. La Profession aujourd’hui. In : Trébuchon, J.-C. (dir.), Chronique de la naissance… op. cit. p. 57-62.

15. En 1986, une enquête par questionnaire construite par la FFS a été adressée aux 7 000 licenciés. Le dédain à l’égard de ce questionnement est caractérisé par un taux de réponse de l’ordre de 3 % (234 réponses analysées) Parmi les répondants, 172 personnes se sont prononcées contre le diplôme sur (Assemblée générale du 16 mai 1986, Spelunca, 24, 1986, p. V-VII).

16. Entretien du 23 novembre 2010. 17. Ministère de Sports, Syndicat National des Professionnels de la Spéléologie et

du Canyon, Fédération Française de Spéléologie (2011) : Enquête métier 2010 : les professionnels de la spéléologie.

18. Entretien du 23 novembre 2010. 19. Entretien avec Hervé Savy, délégué à l’emploi et aux formations au Ministère

des sports de 1999 à 2006, réalisé le 10 mars 2010. 20. Arrêté du 30 novembre 1992.

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21. Expression retenue pour qualifier les activités qui se déroulent dans un envi-ronnement naturel incertain qui peut modifier à tout instant les conditions de sécurité de la pratique.

22. Entretien réalisé le 23 novembre 2010. 23. SNPSC, Bulletin d’information, mars 2010.

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Pierre-Olaf schut et Jérémy Pierre

Relations ambivalentes entre professionnels et amateurs dans les loisirs sportifs : les cas de la spéléologie et du canyonisme

résumé

Le processus de professionnalisation des moniteurs de spéléologie et de canyonisme donne à voir une dynamique originale. Dans un premier temps, la profession se crée en s’appuyant sur le travail et les compétences de béné-voles réunis dans la fédération sportive. Dans un second temps, la montée en puissance des professionnels contribue progressivement à la redéfinition de la place de la fédération, reléguée à un niveau secondaire. Ce rapport de force se construit sous l’arbitrage de l’État, qui a compétence pour définir la certification. Notre travail rend compte du processus à l’œuvre à travers une analyse diachronique qui met en évidence les jeux d’alliance et de pouvoir entre les acteurs, engagés dans ce système comme des écologies liées, au sens d’Abbott (2003).

Pierre-Olaf schut and Jérémy Pierre

Ambivalent relations between professional and amateurs in sports of leisure : The case of speleology and canyoning

abstract

The professionalization process of caving and canyoning guides reveals an original dynamic. Initially, the profession is created based on work and on the skills of volunteers gathered from the sports federation. Secondly, the rise of professionals gradually contributes to the redefinition of the federation’s role, relegated to a secondary level. This power relationship is built under the arbitration of the State, which has jurisdiction to define certification. Our work reflects the process going through a diachronic analysis that highlights games of alliances and power between the actors involved in this system such as related ecologies, as defined by Abbott (2003).

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