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INSTITUT SUPERIEUR DE FORMATION DE L’ENSEIGNEMENT CATHOLIQUE 78A Rue de Sèvres 75007 Paris – FRANCE RELECTURE ET ENSEIGNEMENTS D’UNE RENCONTRE « INTERCULTURELLE » Etudiant en MAEI 1: YEMAJRO Patrice Léandre

RELECTURE D'UNE EXPERIENCE INTERCULTURELLE

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INTERCULTURALITE

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INSTITUT SUPERIEUR DE FORMATION DE L’ENSEIGNEMENT CATHOLIQUE

78A Rue de Sèvres

75007 Paris – FRANCE

RELECTURE ET ENSEIGNEMENTS D’UNE RENCONTRE

« INTERCULTURELLE »

Etudiant en MAEI 1: YEMAJRO Patrice Léandre

ANNEE ACADEMIQUE 2011-2012

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INTRODUCTION

« L’exclusive fatalité ou encore l’unique tare qui puisse affliger un groupe humain et l’empêcher de réaliser pleinement sa nature, c’est d’être seul »1. Ces propos de Claude Lévi-Strauss sont un plaidoyer qui condamne l’homme à vivre en société, à entretenir des liens avec son semblable s’il veut donner un sens à sa vie. Il est inconcevable que l’homme se replie sur lui-même. Bien avant même cet ethnologue, le philosophe grec Aristote avait déjà affirmé que l’homme est par nature un animal politique, c’est-à-dire que l’homme est fondamentalement ou ontologiquement un être de relation et de rencontre.2 Ces éléments de définition nous servent de fil conducteur pour aborder la question qui nous préoccupe : la rencontre interculturelle. La rencontre des gens de cultures différentes ébranle les certitudes et remet en question les comportements, les croyances, les attitudes jusque-là considérées comme indiscutables, indéniables. C’est cette soudaine prise de conscience qui rend les études de communication interculturelle fascinantes. Cela dit, le champ de l’interculturalité pose la question du dialogue des cultures ou des civilisations, et, par la même occasion celle des rapports que doivent entretenir les groupes humains. L’interculturalité représente une chance et une richesse lorsqu’elle est vécue comme une amorce de dialogue, d’échanges entre les différentes communautés. Mais l’expérience quotidienne démontre que les groupes minoritaires sont souvent victimes de discrimination, de racisme, d’arbitraire ou de toute attitude jugée contraire à la dignité humaine. En se repliant sur eux-mêmes, ils sont condamnés ainsi à la ghettoïsation. De là émergent quelques interrogations : Comment reconnaît-on une rencontre interculturelle ? A quoi peut servir une rencontre interculturelle ? Est-elle inéluctable ? À l’ère de la mondialisation est-il possible d’empêcher les contacts interculturels ? Doit-on vivre en autarcie pour ignorer la présence de l’autre ? Au fond, qu’est-ce qui motive le débat sur l’interculturalité ? Pour mieux embrasser le sujet de notre travail, il nous plaît d’exposer d’abord notre expérience personnelle en matière de rencontre interculturelle ; ensuite, en nous fondant sur les concepts clés liés à l’interculturalité, nous nous emploierons à faire une relecture critique de cette expérience, qui nous permettra enfin d’en dégager les grands enseignements pour un mieux-vivre ensemble.

DEVELOPPEMENT

I- Contexte de la rencontre interculturelle

A- En route pour la France

La France, par son standing de vie et sa doctrine au sujet de certaines valeurs humaines, a toujours constitué un rêve pour nombre de pays, surtout africains. La diversité de ses paysages et ses nombreux sites touristiques attirent bien des touristes étrangers. Qu'ils soient européens ou d’autres pays du monde ; hier ou aujourd'hui, tous sont séduits par la France.

1 Claude LEVI-STTRAUSS, Race et Culture, Editions UNESCO, (essai), 1971, p. 22

2 ARISTOTE (330 avant Jésus-Christ), La Politique (Traduction de Jean Tricot)

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Plus spécifiquement, dans la mémoire collective des africains, le pays de Charles de Gaulle est un véritable eldorado ; en clair en France, la vie est belle et on a tout puisque le pays est bien riche. A cela s’ajoute, l’amour pour la mère-patrie dont mon pays, le Bénin, partage la langue et beaucoup d’autres pratiques liées à la religion chrétienne. En effet, il y a 150 ans, les missionnaires français et autres débarquèrent sur les côtes de l’ancien Dahomey (actuel Bénin) pour proposer l’Evangile à nos ancêtres. Leur zèle apostolique porte ses fruits et aujourd’hui nous pouvons compter 45% de catholiques dans notre pays avec une Eglise locale vivace et fervente. L’Eglise d’Afrique et celle du Bénin est une chance pour l’Eglise universelle. Autrefois, pays de missions, nous sommes devenus aujourd’hui des missionnaires. C’est, en effet, en tant que prêtre missionnaire que j’ai été envoyé en France pour la mission ecclésiale dans le diocèse de Reims.

B- De l’illusion à la désillusion   : la rencontre interculturelle

En tant que prêtre africain, j’étais persuadé que la France était un pays chrétien ou fortement marqué par le christianisme puisque nos missionnaires sont partis d’ici. Fort de cette conviction, je quitte mon pays – et c’est la première fois que je passe les frontières du Bénin - le 15 Novembre 2010 dans la joie de découvrir ce beau pays et la vie de l’Eglise en France. A ma descente de l’avion, j’ai été accueilli par un grand froid d’hiver plus froid que le vent d’harmattan du mois de décembre dans mon pays. Pas très grave, la température est sans doute un peu plus élevée dans la ville, me disais-je ! Dans la ville, hommes, femmes, jeunes, enfants et vieux, tous étaient bien emmitouflés dans leurs vêtements, pressés et se dépassaient sans aucune convivialité. Ils ne se donnaient même pas la salutation ! C’est curieux ! Qu’est-ce qu’ils ont à courir ? Ce n’est peut-être pas toujours comme cela, me disais-je ! Je me portai assez vite à la gare TGV (Train à Grande Vitesse) direction Reims.

La voiture du train qui me menait à Reims, mon lieu de mission, était pleine de passager de race blanche sauf moi; pendant l’heure qu’a duré notre voyage, personne ne disait mot. Silence total et pourtant personne ne dormait. Certains avaient les yeux plongés dans un bouquin, les autres manipulaient leur téléphone portable ou leur ordinateur portable, d’autres encore admiraient la beauté du paysage ; en réalité, tout y est pour que personne n’échange aucun mot avec qui que ce soit. Nous étions ensemble mais chacun était dans sa bulle, ne voulant pas savoir qui est son compagnon de voyage ou son vis-à-vis. Apparemment, chacun ignorait la présence des autres, se refusant sciemment et inconsciemment d’entrer en relation avec ses compagnons que le sort a rassemblés pour un voyage d’une heure. Pour l’africain-béninois que je suis, le voyage est habituellement une occasion de convivialité et de fraternité puisque, selon nos croyances, c’est Dieu qui met sur notre route des hommes et des femmes.

Au regard de ce climat lourd d’un silence de cimetière, mes interrogations précédentes se renforcèrent et devinrent plus pertinentes. Dans un tel climat, et fort de ma culture africaine et béninoise précisément, j’ose rompre ce silence de cimetière en adressant une parole de salutation à celui qui était juste à côté de moi et qui, à peine, constatait ma présence puisqu’il se confiait à son ordinateur. Son regard posé sur moi me dictait sa pensée profonde, comme si je le dérangeais. Ouf ! Est-ce le chacun pour soi ? Décidément, on dirait que, dans ce pays, les gens sont plus à l’aise avec leur bouquin, leur ordinateur, leur téléphone portable qu’avec leurs semblables assis à côté d’eux.

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On vit superposé, chacun dans son périmètre. Mon choc est énorme et certaines questions taraudent mon esprit. Qu’est-ce qui les rend si indifférents, réservés voire méfiants  les uns envers les autres? Est-ce un phénomène culturel ou un épiphénomène ? Faut-il se connaître avant d’engager une discussion ? Mon compagnon entre temps a repris son dialogue sourd avec son ordinateur. J’insistai auprès de lui pour susciter un échange car j’avais besoin de comprendre ce qui se passait pour mieux connaître les us et coutumes des gens de ce pays.

Au demeurant, il m’accorda du temps pour la discussion. Au cours de nos échanges, après les présentations d’usage, il a compris que je venais en France pour la toute première fois et que j’étais prêtre ; il était alors rassuré ; lui, était boulanger dans la région rémoise, âgé de 50 ans et père de deux enfants. Je lui ai exprimé mon choc culturel devant ce climat de silence et d’indifférence par rapport à la présence de l’autre ; il m’a expliqué que dans les habitudes françaises, lorsqu’on ne se connaît pas, on ne s’adresse pas automatiquement la parole, on est réservé un peu par rapport à l’étranger et l’inconnu (lorsqu’il est encore de peau noire) ; puisqu’on ne maîtrise pas l’étranger, il fait donc peur. Contrairement à notre culture africaine, l’étranger est accueilli et orienté. On lui adresse la parole pour mieux le connaître. On le mets à l’aise et on l’intègre à la communauté. Notre discussion s’est poursuivie même à notre destination et nous la poursuivons encore puisque nous sommes devenus de grands amis. De cette rencontre interculturelle, une relecture mérite d’être faite pour en retirer les enseignements majeurs.

II- Principaux éléments de relecture

A- Présentation de deux êtres multiculturels

Dans notre monde contemporain, marqué par les échanges et les migrations de tous genres, chacun fait le plus souvent parti de plusieurs « souscultures » ; chacun est un être multiculturel ou pluricivilisationnel. Les hommes sont porteurs de leur culture et font l’expérience d’autres cultures. On comprend alors R. Bastide lorsqu’il dit que ce ne sont pas les cultures qui se rencontrent mais d’abord les hommes. L’histoire et l’expérience forgent en nous des convictions profondes qui deviennent culture. C’est pourquoi il importe ici de revisiter l’expérience de la rencontre interculturelle exprimée plus haut à partir des éléments généalogiques qui, sans aucun doute, fondent les différences culturelles.

La reconnaissance des identités culturelles diverses d’individus ou de groupes et leur expression en tant que porteurs de ces identités dans l’espace public viennent interroger les fondements sur lesquels est construite la citoyenneté en France : l’universalité du citoyen, dont les identités sont renvoyées dans la sphère privée et individuelle3. L’homme est marqué aussi bien par l’histoire de sa société que par son éducation personnelle. Les sociétés qui ont connu des guerres de grande ampleur avec des conséquences catastrophes sont choquées et donc appliquent la politique du renferment et du repli sur soi. Par ailleurs, l’Etat est devenu Etat providence et porte aide à tout

3 Le document de stratégie nationale fait en mars 2007 pour l’année européenne du dialogue interculturel 2008 en France

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le monde au point où il n’y a plus d’occasion d’entraide mutuelle entre les gens d’une même contrée. De là, naît et s’accentue le sentiment d’individualisme. Aussi, s’instaure-t-il le règne du sauve-qui-peut et du chacun pour soi. A cela s’ajoutent les réclamations et les soulèvements pour une certaine forme de liberté ; ici nous pensons aux événements de Mai 1968 qui justifient pour une large part le comportement d’indifférence et d’individualisme à outrance. On se rappellera toujours, la tristement célèbre phrase : Il est interdit d’interdire. Tout est permis pourvu qu’on le veuille. L’autorité morale a perdu toute légitimité et chacun détermine ce qui est bon pour lui. La liberté consisterait à faire ce que l’on veut (et, en France, il n’est pas rare d’entendre dire à un enfant «  tu fais ce que tu veux ») et non pas ce que l’on devrait faire. Ces dispositions historiques mal intégrées, créent en l’individu un sentiment de méfiance et de réserve vis-à-vis de l’autre surtout s’il est d’une autre ère culturelle.

La culture qui est mienne est fortement influencée par le drame de la Traite des Noirs emmenés, manu militari, dans les plantations de cannes à sucre en Amérique il y a quatre siècles. Ils ont été soumis et privés de leur liberté véritable ; dans une telle situation ils ont développé l’esprit de groupe pour mieux se soutenir mutuellement face à la cruauté des « maîtres ». A cela s’joute l’esprit fondamentalement communautaire et familial des africains ; en Afrique, la famille ne se réduit pas simplement au père, à la mère et aux enfants ; mais elle est très élargie, englobant ainsi : père, mère, oncle, tante, cousin et cousine, frères et sœurs… La conception de la famille soutient énormément l’esprit collectiviste chez les africains.

Ces traits culturels s’opposant, un conflit tacite s’instaure.

B- Le conflit interculturel

Dans le monde de la pensée sociale se présentent deux conceptions du monde absolument incompatibles : une conception individualiste et une conception collectiviste. L’individualisme et le collectivisme sont deux états d’esprit fondamentaux différents.

1- L’individualisme

L’individualisme repose sur l’autonomie de l’individu et recherche la plus grande somme de liberté individuelle, pour l’individu considéré comme tel. L’individualisme vise la liberté inconditionnée de l’individu, et pourrait être dénommé, faute d’un meilleur terme, spiritualiste, ou plutôt idéaliste. En réalité, il ne propose pas de forme spécifique d’association mais stipule, à la place, que n’importe quelle forme d’association compatible avec la liberté, ne saurait exister que par vertu du consentement volontaire des participants. Il est aussi une orientation vers soi-même et les améliorations apportées à la collectivité ont pour finalité la réalisation de l’individu ; l’individualisme est un sentiment réfléchi et paisible qui dispose chaque citoyen à s’isoler de la masse de ses semblables et à se retirer à l’écart avec sa famille et ses amis de telle sorte que après s’être créé une nouvelle société à son usage, il abandonne volontiers la grande société à elle-même. Chacun défend sa propre cause et ses intérêts personnels sans jamais penser au bien de tous. Ce comportement est induit à cause des luttes pour la libération des libertés afin que chacun affirme sa liberté qui est reconnue égale à celle de l’autre. TOQUEVILLE ne pense pas autrement lorsqu’il

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affirme : « L’individualisme est d’origine démocratique et il menace de se développer à mesure que les conditions s’égalisent »4. La démocratie, serait-elle alors la source et l’origine de l’individualisme ? L’individualisme est-il dépassé ?

A ces questions, Gilles LIPOVETSKY estime qu’à notre époque post-moderne chacun est devenu le législateur de lui-même.5 S’affirmer, face aux autres, sans culpabilité, est une prérogative moderne. Or l’individu n’a pas toujours eu droit de cité, car il dérangeait un ordre social collectif, aux règles uniformes pour tous. Encore aujourd’hui, le mot "individualisme" peut, selon l’auteur, évoquer l’aboutissement heureux d’un combat millénaire pour la liberté, l’autonomie et l’épanouissement de chacun ; ou une dérive regrettable et égoïste, voire narcissique, néfaste pour une vie harmonieuse en commun, et corrosive pour le lien social. Dans les pays où ce type de comportement individualiste se remarque, on observe que les liens sont lâches avec les autres, l’intérêt est surtout orienté vers soi et sa famille proche ; La liberté et l’autonomie sont valorisées. Dans l’organisation, la liberté dans son travail, les défis à relever, le temps pour sa vie personnelle, la relation employeur-employé basée sur calcul personnel et les relations de travail sont basées sur le postulat avantage personnel.

Pour Gilles LIPOVETSKY, les sociétés occidentales démocratiques sont entrées dans un nouveau cycle de la culture individualiste, qu’il a appelé la "seconde révolution individualiste" et qu’il rattache à l’avènement de la consommation et de la communication de masse, à partir des années 1950. Une seconde révolution individualiste, parce qu’elle s’inscrit dans la continuité des valeurs et de la modernité démocratique en cours depuis les XVIIè et XVIIIè siècles : à savoir, la valorisation de l’individu autonome, libre, égal à ses semblables. Mais cet individualisme restait fortement encadré par la morale, les grandes idéologies, des mœurs rigides, lesquelles contrecarraient l’autonomie individuelle. C’est précisément ce qui a fait voler en éclats l’époque de la consommation et de la communication de masse. Dès lors, la spirale de l’individualisme s’est généralisée et coïncide, avec le recul des encadrements sociaux lourds, à l’émanation de l’individu. D’où cette promotion de la vie en self-service qui caractérise l’époque postmoderne : chacun est devenu le législateur de lui-même (au moins en principe). Cette culture individualiste se caractérise par un certain nombre de traits fondamentaux : l’expansion de l’autonomie subjective, le culte hédoniste du présent, le culte du corps, le culte psychologique et relationnel, l’effondrement des grandes idéologies de l’Histoire. Il faudrait ajouter à cela, plus récemment, le culte de la consommation et du marché. C’est cette conjonction de traits culturels, qui autorise à parler d’un "nouvel individualisme". Le collectivisme, quant à lui, s’oppose à l’individualisme.

2- Le collectivisme

4 TOQUEVILLE, De la démocratie en Amérique, II, édition GF, p.125

5 Agrégé de philosophie, Gilles LIPOVETSKY mène, à Grenoble, une carrière d’enseignant. Depuis son premier livre, L’Ere du vide (Gallimard, 1983), il explore l’individualisme contemporain. Il s’intéresse également aux influences de la mode dans les sociétés modernes (L’Empire de l’éphémère, Gallimard, 1987) et au rôle " révolutionnaire " des femmes (La Troisième Femme, Gallimard, 1997).

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Le collectivisme affirme la nécessité de l’interdépendance et recherche des formes d’association imposée, se base sur des devoirs rigoureusement fixés, à la fois envers chacun et envers l’ensemble de la collectivité. Sous le prétexte d’humanitarisme, cette coopération obligatoire se réalise dans le socialisme, le communisme, le nationalisme coopératif, l’état corporatif, le syndicalisme d’état — qui ne sont que des manifestations d’une seule et même idée de troupeau — et y clôture ses adhérents. C’est l’orientation vers la réalisation de buts et objectifs communs, l’individu est au service du groupe. L’exemple des Sociétés « traditionnelles », ou ex communistes; le cas des « Cinq Dragons » qui remet en question le prétendu succès inéluctable des sociétés individualistes est assez éloquent. Dans les sociétés collectivistes, les liens entre les individus sont plus faibles et la communauté (famille élargie, clan, village, …) a la préséance sur l’individu. Tous, ensemble et individuellement, font preuve de protection, de solidarité, d’allégeance et de soumission aux opinions et intérêts collectifs. Les personnes sont portées vers le présent, le futur, plutôt vers la compétitivité ; on y remarque la nécessité d’être clair sur tout, de mettre « les points sur les i », d’être précis, d’éviter les ambiguïtés, de développer une argumentation logique et explicite.

3- Valeurs et contre-valeurs de ces deux traits culturels

Si le collectivisme se base sur une conception organique de la société, l’individualisme adopte le point de vue anarchiste et la bataille se poursuivra jusqu’à ce que le problème soit résolu  : oui ou non, l’individu devra-t-il submerger son individualité dans la masse ? (Il ne faut pas déduire de ce qui précède que tous ceux qui se qualifient actuellement d’« individualistes » acceptent le point de vue anarchiste). Le collectivisme expose le point de vue du groupe tandis que l’individualisme cherche à rendre l’individu heureux dans une forme quelconque d’existence corporative — il est toujours à la découverte d’un plan idéal d’association ; ceux qui le préconisent sont essentiellement des organisateurs. En réalité, ce sont les normes sociales d'une société qui exercent une pression sur les individus, depuis leur naissance, pour favoriser telle ou telle valeur au détriment de telle autre. Cela va beaucoup plus loin que le constat que les Italiens mangent des pizzas, les Américains des hamburgers et les Japonais du riz. On peut, grosso modo, diviser la quarantaine de valeurs culturelles en deux catégories : les valeurs qui favorisent l'intérêt individuel, comme « le plaisir », « le pouvoir », « l'autodétermination » et celles qui favorisent les intérêts collectifs du groupe dans lequel on célèbre des valeurs comme « le respect », « la réciprocité » et « l'obéissance ». Les pays occidentaux sont marqués par une culture individualiste, dont notamment les Etats-Unis, l'Australie et, en Europe, l'Angleterre et la France, parmi d'autres. Ces pays ont adopté depuis plusieurs siècles des idées libérales qui promeuvent l'initiative individuelle et le succès. Ces idées libérales ont été appuyées par l'Eglise, dominante en Occident, qui souligne la responsabilité individuelle personnelle. L'Orient, dont notamment la Chine, le Japon et l'Inde, et l’Afrique Noire sont marqués par la culture collectiviste qui, là aussi, s'enracine dans l'histoire.

Les identités culturelles différencient les hommes et les caractérisent en même temps. Mais la rencontre des identités culturelles est rendue difficile par certaines prédispositions présentes en tout homme.

C- Les freins à la réussite de la rencontre interculturelle

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La culture dans son large sens est considérée comme l'ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l'être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances.6 Chaque culture nous apporte son lot de solutions possibles face aux problèmes. Nombre de ces solutions sont judicieuses, adaptées, d’autres sont discutables, aujourd’hui peut-être inacceptables. La méconnaissance de la culture de l’autre et le manque d’ouverture peuvent empêcher l’éclosion et l’épanouissement d’une troisième culture résultant de l’interaction entre les cultures qui se rencontrent. Le jeu du BAFA BAFA est très illustratif de cette méconnaissance des cultures et les conséquences sont énormes : choc culturel, conflits culturel, frustration, replis sur soi ou enferment sur soi. Il importe donc de développer l’ouverture d’esprit pour mieux aborder l’autre, autre que moi. C’est pourquoi Clair MICAHLON affirme qu’ « une différence comportementale ou culturelle mal lue, c’est un obstacle au dialogue, un conflit en germe. Une différence culturelle lue correctement, c’est un outil de dialogue efficace, riche pour les deux parties. »7

Certaines pesanteurs socio-culturelles influent énormément sur la qualité de la rencontre des cultures. Elles ne favorisent pas aux cultures de discuter et de s’enrichir mutuellement sans que l’une phagocyte l’autre. Au nombre de ces pesanteurs, il y a le préjugé, le stéréotype, les aprioris et l’ethnocentrisme.

1- Le poids des préjugés

Hervé FISCHER définit le préjugé comme une « attitude de l’individu comportant une dimension évaluative, souvent négative, à l’égard de types de personnes ou de groupes, en fonction de sa propre appartenance sociale. C'est donc une disposition acquise dont le but est d’établir une différenciation sociale ».

Le préjugé a deux dimensions essentielles : l’une cognitive, l’autre comportementale. En général le préjugé est négatif et a donc pour conséquence une discrimination. C’est un jugement provisoire formé par avance à partir d’indices qu’on interprète. Il est une opinion adoptée sans examen par généralisation hâtive d’une expérience personnelle ou imposée par le milieu, l’éducation.8 Une particularité du préjugé, c’est qu’il résiste au changement. Cela est dû au processus de « rationalisation » qui consiste en une manipulation des informations par l’individu, de manière à justifier ses propres préjugés. Ces derniers sont toujours là présents en nous et nous nous faisons des idées sur tel ou tel. A ce propos, Jean-François AMADIEU affirme que « nous avons tous tendance à attribuer aux individus des traits de personnalité, des qualités ou des défauts en

6 Déclaration de Mexico sur les politiques culturelles. Conférence mondiale sur les politiques culturelles, 26 juillet - 6 août 1982

7 Clair MICHALON, Cahier thème d’animation CCFD n°1, Garantir la Paix ? Prévenir les conflits, sept. 2002, p. 12

8 Dictionnaire de l’altérité et des relations interculturelles, Sous la direction de Gilles Ferréol et Guy Jucquois, Armand Colin, 2004, p.128-129

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fonction d’informations éparses dont nous disposons et qui proviennent d’observation de la vie courante. Ayant observé le succès dans tel domaine, nous en concluons la réussite ailleurs dans d’autres domaines »9.

2- Le poids des stéréotypes

Selon FISCHER, le stéréotype désigne les catégories descriptives simplifiées par lesquelles nous cherchons à situer autrui ou des groupes d’individus. Il s’agit d’une idée toute faite, non fondée sur des données précises, mais seulement sur des anecdotes, qui s’imposent aux membres d’un groupe. Autrement dit, le stéréotype est une généralisation subjective et abstraite. Il est du domaine de la pensée. Le préjugé est la mise en œuvre du stéréotype dans l’attitude.10 Les stéréotypes correspondent donc à des traits ou des comportements que l’on attribue à autrui de façon arbitraire. En ce sens, les stéréotypes sont une manifestation des préjugés. Aussi est-il intéressant d’approfondir la réflexion sur les stéréotypes.

a- Les origines du concept

La notion de stéréotype apparaît dans le domaine des sciences sociales avec le développement de la théorie des opinions. Elle recouvre, en tant que concept scientifique, une série de faits dont l’importance avait été perçue dans le passé, mais sans qu’on ait pu les relier entre eux de façon rigoureuse, ni en saisir toutes les implications: Francis BACON ne parle-t-il pas déjà de praenotiones ou d’idola pour souligner l’inadéquation de la réalité et des conceptions que l’on s’en fait? Walter LIPPMAN utilisa, en 1922, le terme de stéréotype pour rendre compte du caractère à la fois condensé, schématisé et simplifié des opinions qui ont cours dans le public. Il expliquait d’abord ce phénomène par l’existence d’un principe d’économie, en vertu duquel l’individu penserait par stéréotypes pour éviter d’avoir à réfléchir à chaque aspect de la réalité. Mais, plus profondément, il le liait à la nature même des opinions; de ce que celle-ci est avant tout verbale, il concluait que l’homme ne juge pas en fonction des choses mais des représentations qu’il a de ces choses, et il écrivait: «On nous a parlé du monde avant de nous le laisser voir. Nous imaginons avant d’expérimenter. Et ces préconceptions commandent le processus de la perception.» Dans sa théorie des opinions, Jean STOETZEL établit plus précisément que l’effet puissant des stéréotypes tient à ce qu’ils sont comme les clichés, les symboles ou les slogans, les «significations elles-mêmes», c’est-à-dire quelque chose d’immédiatement communicable et assimilé par les individus. Le stéréotype apparaît ainsi comme un élément de la structure des représentations: il ne prend toute sa signification que rapporté à sa composante individuelle et aux coordonnées sociales.9

? Jean-François AMADIEU, Le Poids des apparences ; Beauté, Amour et Gloire, ed Odile Jacob, Paris, mars 2002, p. 71

10 Dictionnaire de l’altérité et des relations interculturelles, Sous la direction de Gilles Ferréol et Guy Jucquois, Armand Colin, 2004, p.128-129

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b- Caractéristiques des stéréotypes

Comme il s’agit généralement d’opinions sans rapport avec la réalité objective, le stéréotype doit être rapporté à la notion de préjugé. On a souvent fait de ces deux termes les deux aspects, l’un conceptuel et l’autre affectif, d’un même phénomène. Plus précisément, le préjugé inclut le stéréotype comme une de ses formes d’expression. Mais l’un désigne avant tout une attitude, l’autre une structure d’opinion. P. H. MAUCORPS distingue ainsi les deux notions: «Le stéréotype se suffit à lui-même. Il ne supporte ni modification, ni rationalisation, ni critique; il est absolument rigide.» Contrairement au préjugé qui peut n’intéresser qu’un aspect particulier de sa victime, il fait disparaître celle-ci «derrière sa caricature». Le préjugé admet des contestations parce qu’il reste quelque chose de vivant; mais «le modèle archaïque, lui, est comme mort». Le caractère «pétrifié» des stéréotypes apparaît mieux lorsqu’on considère leurs effets sur la perception et les souvenirs des sujets.

Une enquête fut réalisée aux États-Unis, qui consistait à présenter à un certain nombre d’individus l’image d’un Noir et d’un Blanc, ce dernier tenant à la main un rasoir. Lorsque, par la suite, ils eurent à décrire l’image perçue, les Blancs finirent par dire que c’était le Noir qui portait un rasoir conformément au stéréotype courant qui fait du Noir américain un être violent et agressif. C’est un trait remarquable du stéréotype qu’il tend à s’exprimer, voire à s’illustrer en une forme proche de la caricature. Sur le plan psychologique, en effet, la caricature peut se comprendre par l’idée d’une recherche de la stabilité des formes perceptives, c’est-à-dire de la constitution de normes structurelles stables. Elle est ce qui, d’une part, se singularise par rapport à ces normes et, d’autre part, ramène cette singularité à un type; elle rétablit la réalité en spécifiant des formes qui contreviennent à la norme perceptive. Les stéréotypes sont nécessaires pour donner un sens à la société complexe dans laquelle nous visons : il serait, en effet, difficile de traiter comme des individus uniques les milliers de personnes avec qui nous interagissons chaque année.

3- La tendance ethnocentrique

C’est la « tendance à valoriser la manière de penser de son groupe social, de son pays, et à l’étendre abusivement à la compréhension des autres sociétés »11. L’ethnocentrisme désigne la position de ceux qui estiment que leur propre manière d’être, d’agir ou de penser doit être préférée à toutes les autres. Reposant sur une forte identification de l’individu à son groupe et sur la certitude de la supériorité d’un certain nombre de valeurs, de croyances ou de représentations, l’ethnocentrisme est une attitude ou une disposition mentale consistant à se référer à ses règles et à ses normes habituelles pour juger autrui et opérer ainsi une démarcation entre « barbares » et « civilisés ». Il n’est pas loin d’un impérialisme culturel. Chaque groupe ou personne a une tendance innée à imposer ses normes culturelles aux autres. Ces différents freins sont bien remarquables dans la rencontre interculturelle évoquée ci-dessus. Aussi, voulons-nous faire une analyse critique de notre rencontre interculturelle en tenant compte des différentes pesanteurs qui entravent l’épanouissement une heureuse rencontre.

D- Analyse de la rencontre interculturelle au regard des différents freins

11 Dictionnaire Larousse, Hachette, 2000.

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L’interculturel, c’est par excellence le domaine de surgissement des discours de représentation sur l’autre et sur soi.12 En fait, la découverte de l’autre et la perception de sa différence nous amènent à parler, comme pour exorciser cette énigme. Et cette parole, ce discours de représentation, la plupart du temps, se durcit et devient ce qu’on appelle un préjugé, un cliché, bref un stéréotype.

La situation interculturelle nous met donc en présence d’un paradoxe : reconnaître l’autre exige de nous remettre en cause, alors que le premier mouvement de reconnaissance de l’autre consiste à fabriquer (ou prendre en charge) un stéréotype qui nous empêche de nous regarder nous-mêmes. Ce n’est que quand on est suffisamment fort pour accepter la remise en cause que le stéréotype éclate et fait place à de l’inter-compréhension. C’est à l’épreuve de la différence que l’on découvre sa propre identité.

Les cultures ne dialoguent pas forcément, parce que, par définition, chacune se construit par la différence, par le “contre-l’autre ”. Ce sont les hommes qui se rencontrent et essayent d’échanger et là, tout se passe selon un mécanisme qui se reproduit toujours de la même façon :

1) D’abord percevoir la différence. Si un sujet ne perçoit pas que l’autre est différent, celui-ci est assimilé, c’est-à-dire inexistant dans sa différence.

2) Quand la différence est perçue, s’enclenche alors un double processus de rejet et d’attirance.

De rejet parce que la différence représente une menace possible : est-ce que l’autre serait supérieur à moi ? Serait-il plus parfait ?

D’attirance, parce que cette différence représente une énigme à résoudre.

L’énigme du Persan, pourrait-on dire en reprenant MONTESQUIEU : Comment peut-on être différent de moi ? Quel est ce mystère ? Ainsi, ce double mouvement (rejet / attirance) produit chez tout sujet qui rencontre l’autre une fascination.

Mais c’est parce que cette fascination repose sur une contradiction qu’elle est à la fois découverte de l’autre et découverte de soi. Autrement dit, c’est le conflit qui est a priori intéressant dans la rencontre entre des êtres de cultures différentes parce qu’il est facteur de dynamique sociale. De cette analyse, nous pouvons tirer des enseignements importants pour notre propre gouverne.

III- Principaux enseignements personnels

L’expérience de la rencontre interculturelle ne nous laisse pas indifférents mais elle nous provoque de l’intérieur, à plus d’un niveau et nous permet d’une part de nous interroger sur nous-mêmes, en bousculant nos certitudes, et d’autre part de mieux nous connaître et mieux connaître l’autre afin de favoriser une bonne interaction culturelle. Au nombre des enseignements à retenir, on peut citer : l’empathie, la confiance et l’adaptation transculturelle.

12 Patrick CHARAUDEAU, "L’interculturel entre mythe et réalité", in Revue Le Français dans le Monde, n° 230, Hachette-Edicef, Paris, 1990

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A- L’empathie

Une compétence conditionne particulièrement la capacité de communiquer : l’empathie, ou compétence allocentrique, dont il convient de parler ici de façon approfondie, car cet approfondissement sera utile pour esquisser plus loin une théorie de la confiance en situation interculturelle. Ce concept d’ « empathie » est reconnu par plusieurs chercheurs en communication interculturelle13. L’empathie est reliée au concept de « sympathie » ; elle est un concept plus radical et signifie : faire l’expérience imaginaire du monde du point de vue de l’autre. BENNETT confirme nos propos lorsqu’il déclare que « l’empathie décrit un changement de perspective nous menant de la nôtre à la reconnaissance de l’expérience différente de l’autre ».14 Faire l’expérience du point de vue de l’autre n’est évidemment pas faisable.

La véritable empathie est inaccessible ; cela signifierait transformer sa propre identité pour prendre en charge l’expérience de l’autre et toute sa conception du monde. Il s’agit beaucoup plus d’un ensemble d’efforts fournis pour accueillir autrui dans sa singularité et qui sont consentis et mis en œuvre dès lors qu'est acquise la conscience de la séparation moi-autre et de l'illusion communicative de l'identification passive à autrui. C’est un effort de relation effective à autrui qui consiste à dépasser la "règle d'or" de la sympathie ("agissez envers les autres comme vous voudriez qu'ils agissent envers vous") pour adopter la "règle de platine" propre à l'empathie: ("Agissez envers les autres comme ils agiraient envers eux-mêmes"). Variable selon les individus et les situations, cette compétence fondamentale de communication implique une connaissance minimale de soi et des autres et se développe progressivement à travers l'apprentissage et la mise en pratique de diverses aptitudes. En réalité, il faut arriver à réaliser l’Empathie culturelle, c’est-à-dire parvenir à se « décentrer » de son propre référentiel culturel pour observer et comprendre une situation avec le regard de l’autre.

B- La confiance

Au-delà de l’empathie, cultiver la confiance qui est une clé pour la rencontre interculturelle. La confiance basée sur la connaissance de l’autre, consiste à prendre des informations sur autrui de façon à le connaître suffisamment bien pour pouvoir anticiper sur ses comportements et faire des prédictions sur sa fiabilité. Ces informations peuvent être prises auprès de tiers, mais également directement auprès de l’intéressé lui-même. Ce faisant, à mesure des interactions répétées visant à améliorer la compréhension de l’autre, la relation devient de plus en plus étroite et la confiance

13 Il s’agit principalement de Barnlund (1975), Bennett (1979), Hall (1959, P.25) et Howell (1979) repris par Aissatou SY-WONYU, Signes et significations à Madagascar, Des cas de communication interculturelle, Présence Africaine, Paris, 2006, p. 47.

14 BENNETT, M.J, “Overcoming the Golden Rule”, in D. Nimmo, Communication Yearbook, vol 3. Washington, DC: International Communication Association , 1979, p. 407

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s’accroît. Il faudrait parvenir à l’étape de l’élaboration de la confiance, basée sur l’identification avec les désirs et les intentions de l’autre, de telle sorte que se développe une compréhension mutuelle entre les parties en présence. A ce stade, le degré de confiance est tel que chacun peut s’en remettre inconditionnellement à l’autre et le charger de défendre ses intérêts ou d’endosser des responsabilités lui incombant en propre, sans estimer nécessaire de le contrôler.

La confiance mutuelle atteinte à ce stade est précisément celle que requiert le développement d’une culture tierce. Cette confiance mutuelle a deux composantes : la confiance accordée et la confiance reçue. C’est du fait de leur réciprocité que la culture tierce est véritablement une entreprise à risques partagés. La confiance mutuelle, qui inclut, en les dépassant, les deux premiers stades — calcul et information sur l’autre — est donc le degré le plus élaboré de la confiance et constitue le fondement de la coopération, c’est-à-dire de relations interdépendantes tournées vers des buts et des intérêts communs. Il y a, de fait, une étroite relation entre confiance mutuelle et coopération, qu’elle soit horizontale (entre pairs) ou verticale.

En résumé, à ce stade de la réflexion, on peut retenir le principe de la série conditionnelle suivante : empathie ----˃ confiance —> coopération —> culture tierce —> succès de la rencontre interculturelle. Pour y arriver véritablement, il faut s’adapter aux valeurs de la culture de l’autre ; aucune culture n’est supérieure ou inférieure à l’autre ; les cultures s’équivalent car chacune véhicule des valeurs.

C- L’adaptation transculturelle.

Pour s’adapter il faut procéder à des changements en soi et revoir ses concepts ou convictions de toujours. Cela nécessite un processus de mimétisme entre le « moi » et les « autres », un ajustement pour ne pas être en décalage avec la culture d’accueil. C’est un processus lent d’apprentissage d’acculturation (accueil de la culture de l’autre) et de désapprentissage de déculturation (garder sa propre culture). Dans ce jeu, l’intra-personnel (for intérieur) se modifie en fonction des relations avec l’inter-personnel (relations extérieures). Ces processus peuvent générer des situations d’anxiété, d’incertitude. Le processus d’adaptation est, selon KIM, conditionné par: le niveau mental, émotionnel, des motivations culturelles et linguistiques des étrangers, le milieu d’origine culturel, la prédisposition de l’étranger à recevoir de nouvelles informations (ce qui demande ouverture d’esprit, empathie, tolérance de l’ambiguïté) et la capacité à surmonter le choc culturel (patience, volonté, …). L’adaptation transculturelle est capitale parce que l’autre n’est pas moi.

D- La dimension spécifique de l’autre comme «   autre » que «   moi  »

L'autre, du fait de son altérité, reste celui que je ne comprendrai jamais pleinement. La compétence interculturelle va consister à accepter cette partielle incommunicabilité sans en être dévalorisé ni menacé. Le malaise ressenti face à l'étranger réside en effet souvent dans la redéfinition de soi-même qu'il impose.

Au demeurant, la compétence interculturelle exige de l’adaptation, de la flexibilité, de la décentration, de l’empathie et de la sensibilité culturelle, de la capacité de compréhension et de la

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créativité. Elle demande une capacité à négocier, à lâcher prise, à remodeler nos idées et nos actes, à assouplir, à quitter ou à prendre. C’est un processus de changement qui n’est pas toujours simple, d’où l’urgence de la formation à l’interculturalité.

E- Nécessité de la formation aux approches interculturelles

La diversité, qu'elle concerne les groupes ou les individus, est une caractéristique inhérente à toute société. Ces différences identitaires, culturelles, religieuses, etc. nécessitent des capacités de compréhension, de communication et de coopération mutuelles qui soient porteuses d'enrichissement, sous peine de dégénérer sous forme de conflits, de violences et d'atteintes aux droits de l'Homme. Dans un contexte multiculturel, les approches interculturelles en éducation, qui recouvrent de nombreuses thématiques, comme l'apprentissage du « vivre ensemble » ou la citoyenneté démocratique, sont à la base de l'acquisition et de l'apprentissage de la capacité à nouer des relations harmonieuses dans un cadre pacifique. Aussi faut-il former les citoyens aux approches interculturelles véritables. Que ce soit en Europe, dans les Amériques ou en Afrique, les approches interculturelles en éducation devraient viser, généralement, trois objectifs : reconnaître et accepter le pluralisme culturel comme une réalité de société ; contribuer à l'instauration d'une société d'égalité de droit et d'équité ; contribuer à l'établissement de relations interethniques harmonieuses. Tout homme est un être multiculturel dont la vocation devrait être de tendre vers l’interculturalité. S’il est vrai que la culture est ce qu’il y a de plus fondamental en l’homme et qui le caractérise, il est aussi vrai qu’il importe que les cultures dialoguent.

CONCLUSION : DU MULTICULTURALISME À L’INTERCULTURALISME

Penser l’interculturalité, c’est imaginer « un processus qui met en interaction des individus ou des groupes appartenant à des systèmes culturels hétérogènes »15. La rencontre interculturelle,

15 MUNZELE MUNZIMI. J.M, « Africains ou Bounties », in L’arbre à palabres. Culture et Développement, n°15, mai 2004, p. 8. Jean-Macaire MUNZELE MUNZIMI est docteur en

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situation de communication plus complexe que les rencontres ordinaires, pose des difficultés dont le dépassement exige une relation active entre compétence interculturelle (dont l’empathie constitue le précurseur) et confiance. L’empathie interculturelle requiert des partenaires, que, pour être interculturellement crédibles ils s’engagent pleinement dans la relation. En réalité, la rencontre interculturelle implique un processus de transformation personnelle, qui en se généralisant peut favoriser l’émergence progressive de personnalités interculturelles décentrées, ouvertes, flexibles, positives et créatives. Prêtes à l’adaptation mutuelle, forme la plus élaborée de gestion de la diversité pour atteindre leurs buts communs, ces personnalités d’un genre nouveau, permettent d’envisager à terme, au-delà de l’option multiculturaliste, certes tolérante mais de type défensif et protectionniste, la possibilité de relations véritablement interculturelles, basées sur l’articulation indissociable et dynamique entre empathie et confiance. Pour être des communicateurs efficaces, nous devons prendre conscience des stéréotypes culturels et les mettre de côté ou à les modifier lorsque nous rencontrons des preuves contradictoires. Mais nous ne pouvons faire semblant de ne pas établir des stéréotypes. Un peu d’ethnorelativisme ne ferait mal à personne en contexte d’interculturalité. Car toute culture est intelligente mais pas forcément juste et il n’y a pas de culture supérieure ni inférieure.

Au terme de cette réflexion, il me paraissait important de montrer que l’interculturalité est un enjeu pratique qui s’interroge sur le dialogue des cultures. Elle est une pédagogie de la tolérance, de l’acceptation de l’autre pour ce qu’il est. Elle est un foisonnement fécond d’apports partagés basé sur le respect mutuel. La construction d’un monde interculturel est possible dans un espace empreint de respect et de tolérance de l’autre. Autrement dit, le dialogue des cultures est la résultante d’une articulation positive des différences et des ressemblances entre partenaires autonomes et actifs, partageant une même communauté de destin. Mais dans une société dominée par l’individualisme à outrance, cette pédagogie de l’interculturalité ne relève-t-elle pas de la fiction ou de l’utopie ?

Sociologie de l’Université François Rabelais de Tours (1999) et professeur visiteur à l’Université de Lubumbashi (RDC) depuis 2003.

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Table des matières

INTRODUCTION……………………………………………………………………………..1

DEVELOPPEMENT…………………………………………………………………………..1

I- Contexte de la rencontre interculturelle………………………………………………..1

A- En route pour la France………………………………………………………...1

B- De l’illusion à la désillusion : Une rencontre interculturelle…………………..2

II- Principaux éléments de relecture………………………………………………………3

A- Présentation de deux être multiculturels……………………………………….3

B- Deux cultures en conflit……………………………………………………….4

1- L’individualisme………………………………………………………….4

2- Le collectivisme……………………………………………………………6

3- Valeurs et contre-valeurs de ces deux trais culturels………………………6

C- Les freins à la réussite de la rencontre interculturelle …………………………7

1- Le poids des préjugés………………………………………………………8

2- Le poids des stéréotypes…………………………………………………...8

a- Les origines du concept………………………………………………..9

b- Caractéristiques des stéréotypes………………………………………..9

3- La tendance ethnocentrique……………………………………………….10

D- Analyse de la rencontre interculturelle au regard des différents freins………10

III- Principaux enseignements personnels………………………………………………..11

A- L’empathie……………………………………………………………………11

B- La confiance…………………………………………………………………..12

C- L’adaptation transculturelle…………………………………………………..13

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D- La dimension de l’autre comme « autre » que « moi »……………………….13

E- La nécessité de la formation aux approches interculturelles………………….13

CONCLUSION : DU MULTICUTURALISME A L’INTERCULTURALISME......………15

Table des matières…………………………………………………………………………….17

Bibliographie…………………………………………………………………………….........18

Remerciements………………………………………………………………………………..19

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Bibliographie

 Samuel HUNGTINGTON, Le choc des civilisations, Odile Jacob, Paris, 1997.

Aissatou SY-WONYU, Signes et significations à Madagascar, Des cas de communication interculturelle, Présence Africaine, Paris, 2006.

Sylvie CHEVRIER, Le management interculturel, Presses universitaires, Paris, 2003.

Jean-François AMADIEU, Le poids des apparences, Beauté, Amour et Gloire, Odile Jacob, Paris, 2002.

Dictionnaire de l’altérité et des relations interculturelles, sous la direction de Gilles Ferréol et Guy Jucquois, Armand Colin ; 2004.

Jean-Macaire MUNZELE Munzimi “INTERCULTURALITÉ: ENJEUX PRATIQUES.” Un article publié dans la revue, Chemins Actuels, Revue de l’AMIFRAM (Mexique), Octobre 2004

Patrick CHARAUDEAU, "L’interculturel entre mythe et réalité", in Revue « Le Français dans le Monde », n° 230, Hachette-Edicef, Paris, 1990

Nigel BARLEY, Un anthropologue en déroute, Petite Bibliothèque Payot, Paris, 1994

Claude LEVI-STRAUSS, Race et culture, Editions UNESCO, (essai), Paris, 1971.

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Remerciements

De tout cœur, il me plaît d’exprimer mes sincères remerciements et félicitations au professeur Mr Marc BULTEAU, titulaire de ce cours, d’une part pour sa compétence et la maîtrise avérées de son sujet et d’autre part pour m’avoir introduit dans la sphère, combien capitale, de l’interculturalité.