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EHESS Religions et systèmes de pensée en chine Review by: Françoise Aubin Archives de sciences sociales des religions, 36e Année, No. 76 (Oct. - Dec., 1991), pp. 169-189 Published by: EHESS Stable URL: http://www.jstor.org/stable/30125778 . Accessed: 18/06/2014 10:05 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . EHESS is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Archives de sciences sociales des religions. http://www.jstor.org This content downloaded from 195.34.79.158 on Wed, 18 Jun 2014 10:05:11 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Religions et systèmes de pensée en chine

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Religions et systèmes de pensée en chineReview by: Françoise AubinArchives de sciences sociales des religions, 36e Année, No. 76 (Oct. - Dec., 1991), pp. 169-189Published by: EHESSStable URL: http://www.jstor.org/stable/30125778 .

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Arch. Sc. soc. des kel., 1991, 76 (octobre-d6cembre), 169-189

RELIGIONS ET SYSTEMES DE PENSEE EN CHINE (*)

Frangoise AUBIN

Apropos de: I - Ouvrages de rdfirence

Religion in China Today. Policy & Practice, MACINNIS (Donald E.),

Maryknoll (N.Y.), Orbis Books, 1989, xviii + 458 p., 1 c., index (sans caract. chi- nois), (avant-propos par Richard Madsen).

Christianity in China. A Scholars' Guide to Resources in the Libra- ries and Archives of the United States, Armonk (N.Y.) & Londres, M.E. Sharpe, Inc., 1989, in-40, Iviii + 709 p., index., bibliogr. (avant-propos par John K. Fairbank).

CROUCH (Archie R.), AGORATUS (Steven), EMER- SON (Arthur). SOLED (Debra E.).

Guide to Archival Resources on Canadian Missionaries in East Asia, 1890-1960, 1988, in-40, University of Toronto & York University, Joint Center for Asia Pacific Studies, v + 62 fiches dactylographides. bibliogr.

MITCHELL (Peter M.), GEWURTZ (Margo S.), AUSTIN (Alvyn),

Le mouvement d6mocratique de mai-juin 1989 qui, durant quelques jours, a tenu le monde entier en haleine, n'est pas, contrairement aux apparences, le plus d6cisif des d6fis lanc6s g l'orthodoxie n6o-marxiste de la fin des ann6es quatre-vingts. Car il n'a touch6, socialement et g6ographiquement, qu'une frange menue d'une population globale d6passant de cent trente millions le milliard d'habitants (selon les r6sultats du recensement de 1'6t6 1990). La grande vague de fond qui, depuis une dizaine d'ann6es, balaie les certitudes les mieux 6tablies du r6gime populaire est celle que soulbve un renouveau religieux g6n6ralis6, atteignant toutes les couches de la soci6t6, toutes les r6- gions, toutes les ethnies, et rev~tant toute la diversit6 imaginable des rapports transcendantaux avec l'au-delh. Aprbs quarante ann6es de propagande ath6iste

(*) Que le lecteur veuille bien excuser l'anciennet6 de certaines publications relev~es au cours de cette chronique: elles sont parvenues B la r6daction des Archives plusieurs ann6es aprbs leur parution.

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ARCHIVES DE SCIENCES SOCIALES DES RELIGIONS

intensive dont quinze au moins de pers6cutions tragiques, le ph6nombne re- ligieux fait feu de tous bois. Que ce soit sous la forme de religions constitu6es avec un clerg6 consacr6, de mouvements charismatiques ou contemplatifs, de religions mondiales ou nationales, de cultes group6s ou individuels, dans des lieux sanctifi6s grandioses ou minables, dans les chaumibres, les appartements de ville ou dans la nature, que ce soit des pratiques populaires traditionnelles d6nonc6es comme superstitieuses avec un bel ensemble par le christianisme, l'islam et le communisme, ou le recours aux chamans et aux sorciers, que ce soit avec la franche b6n6diction du gouvernement, dans le cas des structures officiellement admises, ou dans une clandestinit6 active, la religion, de l'avis g6n6ral, se porte bien en Chine, m~me depuis la reprise en main ayant suivi les 6v6nements de Tian'anmen de juin 1989.

Au tout d6but des ann6es soixante-dix, B une 6poque oh les observateurs 6trangers misaient sur les facteurs politiques et 6conomiques, alors qu'au d6- clin du maoi'sme la R6volution culturelle venait d'8tre bris6e, Donald MacInnis a eu l'intuition de l'importance que rev~tait le fait religieux dans la vie po- litique du r6gime populaire. Son premier ouvrage consacr6 g la question, Re- ligious Policy and Practice in Communist China. A Documentary History (New York, Londres, etc...: Macmillan, xxiv + 392 p.) offrait en 1972 un choix comment6 de documents fondamentaux sur des positions qui, pour 8tre officielles, 6taient cependant contrast6es, parfois m~me contradictoires, depuis 1949 - et m~me auparavant - et jusqu'en 1970, en matibre de th6orie des religions et des superstitions, et de r6glementation. Nonobstant une certaine versatilit6 dans ses tendances, selon la ligne politique dominante de l'heure, le r6gime maintenait ferme, durant ses deux premieres d6cennies, sa pression sur les groupes religieux de toute ob6dience, lesquels, pour survivre, devaient se r6signer a l'alignement id6ologique.

Depuis lors, le r6gime populaire a doubl6 sa dur6e d'existence et s'est comme on le sait, largement ouvert aux 6trangers et aux id6es venues de l'ex- t6rieur, du moins jusqu'au printemps 1989. Donald MacInnis reprend done son enqu~te g la fin des ann6es soixante-dix et la conduit jusqu'd l'automne 1988. Ce nouveau vade-mecum, Religion in China Today, appel6 g faire date comme le pr6c6dent, est plus volumineux (un quart de pages en sus, dans un format plus grand, 137 documents 6dit6s au lieu de 117) et surtout beaucoup plus vari6 dans son contenu, puisque les trois quarts environ de l'ouvrage tournent autour d'un thbme qu'il 6tait difficile d'envisager dans sa r6alit6 vingt ans plus t8t: la pratique des religions institu6es et des cultes populaires, en partie d'aprbs des interviews men6es par l'auteur lui-m~me. L'ouvrage est, ainsi, le t6moin d'un 6tat d'esprit nouveau en Chine: les propagandistes du r6gime, pouss6s dans leurs retranchements, s'efforcent de justifier g la fois l'ath~isme et la tol6rance religieuse, comme ils le font, par exemple, dans des r6ponses au courrier requ par le journal w Jeunesse chinoise > (documents 131 i 134, fort instructifs de la mentalit6 des jeunes, pp. 433-441), ou dans un manuel destin6 g la jeunesse lui aussi, w La religion, hier et aujourd'hui >, Shanghai, 1985 (dont la dernibre section est ici traduite, pp. 92-103, par l'au- teur et un collbgue d'origine chinoise), ou encore dans des rubriques d'ency- clop6dies (pp. 105-116); et les directives officielles, tel l'important w Document 19 w de 1982 (traduit, pp. 8-26, par Janice Wickeri, la femme de l'historien du protestantisme chinois actuel), tendent vers la conciliation, m6- nageant, comme l'on dit vulgairement, la chbvre et le chou. Cependant, les

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RELIGIONS ET SYSTIME DE PENSIE EN CHINE

dignitaires religieux, les c616brants des cultes, les recrues qui vont assurer la relbve, tous exposent tranquillement leur foi, les souffrances pass6es, les sus- picions encore pr6sentes, les espoirs.

Etonnant, cet ensemble l'est non seulement par son contenu, mais aussi par les conditions de sa parution; car il est issu d'un cecum6nisme missio- logique dont l'Am6rique montre, depuis quelques ann6es, la voie g une Europe encore timor6e. L'6diteur, ici comme pour l'histoire protestante de Wickeri recens6e plus loin, est en effet la grande soci6t6 missionnaire catholique des USA, Maryknoll (sur laquelle voir Arch. 67, 1989, no 472); alors que l'auteur est un protestant, d'abord historien de l'Eglise protestante de Chine, mainte- nant un des animateurs du projet d'histoire catholique chinoise de Maryknoll (il est 6galement l'auteur d'un Values and Religion in China Today, Mary- knoll: Maryknoll Fathers and Brothers, 1988, que je n'a pas vu; et le co- traducteur d'un ouvrage paru i Shanghai en 1987 : Luo Zhufeng, ed., Religion under Socialism in China, trad. D.A. MacInnis & Xi'an , Armonk, N.Y., 1990, H.R. Sharpe, que je ne connais aussi que par oui'-dire).

Sa belle ouverture d'esprit lui permet d'introduire son lecteur dans chaque systhme religieux ou para-religieux, chez les Chinois et chez les peuples de la p6riph6rie de la RPC, grace a de petites syntheses personnelles toujours int6ressantes en tate des sections et des chapitres; grice a son assortiment de textes choisis tir6s des p6riodiques de traductions anglaises de l'actualit6 politique chinoise, bien connus des sp6cialistes de la RPC, ou encore traduits par ses propres soins, en collaboration avec des collbgues d'origine chinoise ; grace a ses interviews enfin. Il traite ainsi, successivement, des cinq religions institu6es : le bouddhisme chez les Chinois (pp. 123-183), les Dai du Yunnan (des Thai ou Shan, pp. 164-165), les Tib6tains (pp. 184-203); le taoisme (qu'il appelle, avec un 16ger snobisme, w Daoism w sous pr6texte que le terme for- mateur du mot occidental, tao, w la Voie >, s'6crit maintenant, en latinisation pinyin, dao; pp. 204-219); l'islam chinois et centre-asiatique (pp. 225-262); le catholicisme chez les Chinois de Chine propre et de Mongolie Int6rieure (pp. 263-312) et chez les Bai du Yunnan (des Pai ou Min-chia, pp. 284-286); le protestantisme (pp. 313-359). Puis il passe en revue, beaucoup plus brie- vement, I'orthodoxie russe en Mandchourie et au Sinkiang (pp. 360-362); le judai'sme autochtone dont le souvenir survit encore (pp. 363-366); ainsi que la religion populaire, repr6sent6e par deux courts t6moignages d'ethnologues occidentaux (pp. 367-374); un confucianisme florissant (pp. 375-384); et m~me le marxisme pris comme une foi (pp. 427-430).

D. MacInnis sait poser a ses interlocuteurs quantit6s de questions bien cibl6es, sur l'enseignement religieux, la formation des futurs professionnels des cultes, les activit6s 6conomiques des institutions religieuses et le salaire des c616brants des cultes, la place des laYcs, etc... Certaines sont particulib- rement incisives, telle celle adress6e a un ancien sup6rieur de monastbre boud- dhique au Foukien (sud-est de la Chine), concernant l'obligation de r6sidence, assur6e, d'une manibre durement coercitive surtout dans les campagnes, par le livret personnel de r6sidence dit hukou: on apprend ainsi que les moines bouddhistes peuvent faire transf6rer leur livret de r6sidence d'un monastbre a un autre et, de la sorte, circuler avec une libert6 plus grande que le commun des mortels. Une question sur le r81e du Panchen-lama (lequel est d6c6d6 depuis lors, rappelons-le, en janvier 1989) attire une r6ponse, inattendue de la part d'une personnalit6 tib6taine aussi officielle que le directeur du Centre

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d'Etudes religieuses de l'Acad6mie des Sciences sociales & Lhasa: le Pan- chen-lama n'aurait 6t6 consid6r6 comme un leader religieux que dans sa pro- vince natale, le Ts'inghai (ou Qinghai, done hors du Tibet propre) et n'6tait pas cr6dit6 d'6rudition en sciences religieuses contrairement au DalaY-lama. D. MacInnis sait aussi s'adresser i de bons informateurs occidentaux, ainsi Melvin C. Goldstein et Cynthia M. Beall, deux anthropologues du Tibet, qui ont fait des enquites sur le terrain durant ces dernires ann~es et parlent la langue du pays.

Voila un ouvrage qui passionnera le non-initi6 et le fera marcher, n'en doutons pas, de d6couverte en d~couverte. Le sp6cialiste, lui, reste sur sa faim. II connaft d~jh, dans leur traduction anglaise, un grand nombre des mor- ceaux s61ectionn~s par l'auteur, puisqu'il d6pouille les m~mes outils de travail que lui. Et, comme manque totalement une table r~capitulative des textes cites, il ne peut rep6rer facilement les traductions originales - i croire que l'auteur a oubli6 les exigences propres g un ouvrage de r6f6rence comme celui-ci (omission d'autant plus surprenante que la femme de D. MacInnis a mis sur ordinateur la documentation de base de l'ouvrage, ainsi qu'il est dit liminai- rement, p. xviii; on peut s'6tonner 6galement que manquent les r6f6rences de certains textes d6jh publi6s autre part, ainsi une interview mende par l'auteur lui-m~me chez les musulmans du Yunnan parue dans Tripod, Hong Kong, no 47, oct. 1988, pp. 47-56, et en une version chinoise, pp. 12-17, curieusement plus complete, en certains points, que la version anglaise).

Et, reproche fondamental, la vision des systhmes religieux et para-reli- gieux ici sugg6r6e porte les oeillbres de l'orthodoxie, telle que la congoit I'in- formation officielle de la RPC. Certes, ainsi que le souligne l'auteur dans sa pr6face (p. xviii), les adherents des religions - professionnels des cultes autant que lai'cs - connaissent mal les 6v6nements survenus hors de leur environne- ment religieux imm6diat. Mais on ne peut adherer i la conclusion qu'il en tire : << The larger picture, including such phenomena as the so-called Catholic underground church, the widespread Protestant house meetings, sectarian ten- dencies in any of the religions, and isolated examples of illegal or high-handed treatment of believers by local official would be known, if at all, by hearsay only > (p. xviii). Nullement! Il est possible, par diff6rents canaux, de r6unir sur les religions pratiqu6es en Chine, de quelque type qu'elles soient, sous l'ombre du pouvoir ou en marge de lui, des donn6es qui, pour n'&tre pas completes, sont, cependant, bien autre chose que des oui'-dire, m~me depuis la r6pression de l'apr~s-Tian'anmen : ainsi, dans les zones islamis~es, sur le soufisme et le culte des tombes ou, g l'oppos6, sur le fondamentalisme des Frbres musulmans.

Un autre handicap, mat6riel celui-lk, caus6 par une adh6sion trop fiddle au message chinois se remarque dans une reproduction inconsistante de l'o- nomastique alloghne (doubl~e d'innombrables fautes d'impression): on se croirait report6 & un 6tat de la philologie orientaliste vieux de plus d'un sibcle. Ainsi, pourquoi ne pas indiquer au lecteur que Kashi >>, c'est Kashgar (pp. 249-250), que < Yili > 6tait jadis connu sous le nom de Kuldja (p. 250), que les << Sala > sont des Salars (pp. 95, 248, mais correctement p. 262), les < Tartar > des Tatars (p. 95) et les << Pao'an >> (p. 95), w Bao'an >> (p. 249), w Bonan w (p. 262) un seul et m~me peuple ? w Elenqun > est pour Oronchen (p. 115), << Ulanqale Meng w est la ligue mongole d'Ulanjab (p. 271), w Otog oi > (pour Otog qi) est la bannibre d'Otog (p. 272), w Tsang-gaba >> (p. 190)

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RELIGIONS ET SYSTEME DE PENStE EN CHINE

est le reformateur religieux tib6tain Tsong khapa (1357-1419). En islam, < dju- mah w (p. 56) et w zuma w (pp. 221, 232) d6signent la pribre du vendredi jum'a, < akhun w est pour ahong, le terme d6signant un imam en chinois. (Et, p. 271,

l'6v~que Dyk Ludovicus Van w doit 8tre compris comme Mgr Leo Van Dyck, cicm). Arr~tons-la le massacre. Et regrettons que l'auteur d'un travail de cette envergure n'ait pas pris garde aux incongruit6s des articles qu'il accr6ditait en les reproduisant.

Christianity in China. A Scholars'Guide to Resources in the Libraries and Archives of the United States, splendide produit de l'oecum6nisme am6ricain, ne cesse d'8tre, depuis sa sortie, loue par les missiologues du monde entier et d'&tre donn6 en exemple aux archivistes europ6ens des soci6t6s mission- naires protestantes et catholiques. C'est qu'en Europe, l'aecum6nisme est en- core frileux, malgr6 les bonnes intentions dont on essaie de le r6chauffer, et, dans les instances sup6rieures de la plupart des soci6t6s missionnaires des deux christianismes, l'int6r&t fait d6faut pour ce qui est consid6r6 comme des vieilleries bonnes pour le feu. Aussi, sur notre vieux continent, n'a-t-on pas d6pass6, pour l'instant, le stade des projets d'une collaboration future entre soci6t6 missionnaires de meme ob6dience (Cf. infra, en deuxibme partie, les remarques faites a propos de Philippe Couplet). Cet inappr6ciable instrument de travail qu'est Christianity in China offre exactement ce qu'il annonce : un moyen d'acces aux archives et livres rares concernant la Chine dans 554 col- lections institutionnelles et priv6es des Btats-Unis (1200 institutions culturelles et religieuses, protestantes et catholiques ont 6t6 prospect6es dans ce but). Tout n'y est pas encore inclus, exposait son 6diteur principal, Archie Crouch, au colloque de Louvain en 1990 sur l'historiographie catholique en Chine. Aussi une suite est-elle programm6e; mais on a peine a y croire, tant ce volume-ci est deja bien fourni en localisations, claires et facilement reperables (assorties d'index des matieres et des noms propres), de la correspondance et des rapports 6manant des soci6t6s missionnaires protestantes et catholiques (ou de leurs membres) ou leur 6tant adress6s, de travaux rest6s in6dits, de journaux de route, de m6moires, de photos d'6poque, etc. Les fonds sont clas- s6s a l'int6rieur des institutions, elles-m~mes r6pertoriees par Etat; et, dans la mesure du possible, une notice expose les donn6es essentielles concernant l'individu ou l'injtitution dont 6mane le fonds, ainsi que les conditions d'accbs a ce fonds.

Le chercheur europ6en d6couvre, de la sorte, quantit6 d'informations qu'il 6tait incapable de trouver seul: par exemple sur le dep6t d'une soci6t6 d'ex- treme 6vangl61isme ayant ceuvr6 dans le grand Ouest chinois, aux marges du Tibet, la Christian and Missionary Alliance (pp. 291-292), dans laquelle a pas- s6 une partie de sa vie l'ethnologue du Tibet, le regrett6 Robert B. Ekvall (p. 108, sous IL-200-18, mention d'une interview, prise en 1979, oi il expose son travail missionnaire) ; ou sur la bibliothbque historique d'une soci6t6 aussi ferm6e que celle des Brethren (pp. 99-101, IL-105), qui a entretenu des rap- ports assez 6troits avec des sectes charismatiques chinoises (a propos des- quelles on trouve des indications bibliographiques pp. 98-99, IL-90) ; et m~me sur les fonds des missions scandinaves, travaillant en r6gions mongoles et turkestanaises (p. 277 & 279, sous NY-275). On appr6cie de savoir que la collection du Rev. Canon Claude L. Pickens (1990-1985 - et non pas 1984 comme il est dit p. 162), pasteur de l'6glise 6piscopalienne americaine et res- ponsable de l'apostolat protestant en milieu musulman chinois a partir de

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1925, est d6pos6e en fonds s6par6 B Harvard Yenching Library (p. 162, MA- 125-3); qu'Archie Crouch a 6t6 secr6taire d'un Border Service Department of the Church of Christ in China durant la Seconde Guerre mondiale (pp. 41- 44, sous CT-50-4). Et, si l'on veut d6pouiller les trois 6ditions, britannique, am6ricaine et canadienne, de China's Millions, le p6riodique de la China In- land Mission, on sait d6sormais B quelles portes il faut frapper (pp. 432-433). Plusjamais le chercheur europ6en ne fera des centaines de kilombtres B travers les Etats-Unis pour s'apercevoir que le fonds chinois qu'on lui faisait miroiter n'6tait form6 que de vulgaires paperasses sans int6ret; plus jamais il n'aura la d6ception d'apprendre, une fois rentr6 chez lui, que les boites de courrier qu'il recherchait dans telle bibliothbque ont 6t6 retrouv6es, trop tardivement pour lui. L'inventaire d'A. Crouch a pouss6 les biblioth6caires et archivistes a exhumer leurs raret6s poussidreuses et a en d6celer le contenu. Une bre nouvelle s'ouvre pour la recherche missiologique aux Etats-Unis. (Les erreurs paraissent infimes, perdues dans un tel flot d'informations nouvelles. Signa- lons cependant a l'6diteur que le d616gu6 apostolique envoy6 en Chine fin 1922 s'appelle Celso Costantini, et non pas Constantini - dont le nom se trouve, en cons6quence, d6plac6 dans l'index onomastique, p. 655).

A l'incitation d'A. Crouch, une 6quipe canadienne a entrepris un travail similaire dans son propre pays : son Guide to Archival Resources on Canadian Missionaries in East Asia, 1890-1960 est un fascicule dactylographi6 qui n'a pas l'ampleur de l'ouvrage d'A. Crouch, sans doute par manque d'objet. Mais riche d'une quantit6 de notices factuelles sur les missionnaires et les institu- tions, son apport i l'histoire missionnaire, tant catholique que protestante, est loin d'&tre n6gligeable. Les trois co6diteurs sont d'ailleurs connus pour leurs 6tudes en missiologie : on doit & A. Austin une histoire g6n6rale des missions canadiennes en Chine (Saving China, sur lequel voir Arch. 68, no 227), A P. Mitchell (duquel infra, en deuxibme partie, Canadian Missionaries and Chi- nese Rural Society) et & M. Gewurtz le d6but d'une recherche prometteuse sur les missionnaires protestants canadiens au Nord-Honan, dans le centre de la Chine.

Avant de quitter le domaine des archives, rappelons l'existence d'un guide des centres d'archives et d'informations missionnaires de la Belgique francophone (catholique, cela va de soi), tvangdlisation et cultures non europdennes. Guide du chercheur en Belgique francophone (Louvain-la- Neuve, Publications de la Facult6 de Th6ologie, < Cahiers de la Revue th6o- logique de Louvain >>, no 22, 1989, 179 p.; Cf. Arch. 72, no 245: CR par Ren6 Luneau), par Jean Pirotte, un historien des mentalit6s religieuses, Claude Soetens, le conservateur de la collection Vincent Lebbe & Louvain- la-Neuve, Maurice Cheza, pr~tre du diocese de Namur. On trouve, dans cet ouvrage, une r6trospective historique des missions belges et les pro- blames qui se posent g leur sujet, ainsi qu'un inventaire des centres de documentation wallons ou mixtes.

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RELIGIONS ET SYSTtME DE PENSIE EN CHINE

II - Missions et christianisme LECOMTE (Louis), Un jdsuite c Ptkin. Nouveaux mdmoires sur l'6tat prdsent de la Chine, 1687-1692, Paris, editions Phdbus (coll. c< D'ailleurs 4), 1990, 554 p., illustr. Texte 6tabli, annot6 et pr6sent6 par Frd- ddrique Touboul-Bouyeure. HEYNDRICKX (Jerome), CICM, 6dit., Philippe Cou- plet, S J. (1623-1693). The Man who Brought China to Europe, Nettetal (Allemagne): Steyler Verlage (publication conjointe de : Institut Monumenta Serica, Sankt Augustin, Allemagne, & Ferdinand Verbiest Foundation, Louvain, Belgique), 1990, (coll. < Monu- menta Serica Monograph Series n, XXII), 260 p., in- dex, table des caract. chinois, bibliogr., illustr. BROOMHALL (A.J.), Hudson Taylor & China's Open Century. Book Seven : It is not Death To Die, Seve- noaks (Angleterre): Hodder & Stoughton, et The Overseas Missionary Fellowship, 1989, 718 p., index, cartes, illustr.

WICKERI (Philip L.), Seeking the Common Ground. Protestant Christianity, the Three-Self Movement, and China's United Front, Maryknoll (N.Y., USA) : Orbis Books, 1988, xviii + 356 p., bibliogr., index. FLEMMING (Leslie A.), edit., Women's Work for Wo- men. Missionaries and Social Change in Asia, Boul- der (Colorado, USA), etc.: Westview Press, 1989, 174 p. index. MITCHELL (Peter M.), Canadian Missionaries and Chinese Rural Society: North Henan in the 1930s, University of Toronto & York University, Joint Center for Asia Pacific Studies, 1990, 43 p., caract. chinois in texto.

Surprenant a 6t6 le destin des Nouveaux mdmoires sur l'dtat present de la Chine du JIsuite c Pdkin, le pare Louis Lecomte entre 1687,-1692. R6cit compos6 de 14 lettres adress6es aux grands de la Cour et de l'Eglise, et pu- bli6es en leur 6tat, sans manipulation d'6diteurs en mal d'apologie ainsi qu'en ont souffert les autres 6crits des j6suites de Chine, il dut B l'6tonnant esprit d'observation et au talent de conteur de son auteur une c616lbrit6 imm6diate (cinq r66ditions coup sur coup entre 1696 et 1701, et des traductions dans les principales langues europ6ennes), une bonne fortune qui se prolongea dans le mythe durable d'un Etat id6al sis en Chine, B la cr6ation duquel il contribua puissamment. Mais, en m~me temps, l'6clectisme du P. Lecomte, amoureux de la Chine comme bien d'autres allaient l'&tre aprbs lui, pensait trouver en son antiquit6 une connaissance du Dieu chr6tien ant6rieur g la Genbse, ce qui lui valut les foudres de la Sorbonne et de Rome. Condamn6 g l'issue d'apres pol6miques, I'ouvrage ne fut plus r66dit6 aprbs 1701, et ne fut dbs lors plus gubre connu que par ouT'-dire, jusqu'd ce que Mme Touboul-Bouyeure ait l'heureuse id6e de le remettre g la mode. Aussit6t son charme a op6r6 de nouveau et le succbs lui a 6t6 acquis. On a m~me pu en entendre citer des passages, cons6cration supreme, A France-Musique et a la t616vision! Tant a

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6t6 6crit sur la Querelle des Rites qu'il n'est pas facile, de nos jours, d'8tre original sur ce sujet rebattu. Mme Touboul-Bouyeure y r6ussit pourtant, dans une introduction propre B rehausser le plaisir de la lecture qui suit. (On lui doit aussi un excellent < Famille chr6tienne dans la Chine pr6moderne (1583- 1776) >, Milanges de l'Ecole frangaise de Rome. Italie et Miditerrande, 101, no 2, 1989, pp. 953-971). Que n'a-t-elle, en outre, pris l'initiative d'y ajouter un index th6matique et une table d'6quivalence moderne des noms chinois mentionn6s dans le texte, et celui-ci serait devenu un instrument de travail.

Ajoutons, pour les petits a-c6t6s de l'histoire des id6es, que les musulmans de Chine, tel Ma Zhu (ca. 1620-1710), mettaient au point, vers la m~me 6po- que que Lecomte et ses confreres figuristes, une th6orie similaire a la leur sur l'adh6sion antique des Chinois au Dieu cr6ateur unique et sur la valeur du confucianisme comme rigle morale d'une religion monoth6iste oubli6e par ses adeptes au cours des sidcles. Cette th6orie, jug6e blasph6matoire et h6r6- tique par le monde chr6tien, 6tait accueillie avec aisance par l'islam. Et l'on ne peut douter que cette plasticit6, d6velopp6e sans nuire a l'authenticit6 du message religieux fondamental, a contribu6 a la r6ussite de son acculturation totale plusieurs sidcles avant le christianisme.

Les recherches sur les missions j6suites de Chine aux XVIIe-XVIIIe sibcles ont 6t6 ranim6es par les nouveaux espoirs des soci6t6s missionnaires face a l'ouverture de la Chine, sensible depuis le milieu des ann6es quatre-vingts. C'est ainsi qu'autour de l'6tude du pass6 catholique chinois, des liens se tis- sent de l'Occident B la Chine, dans des 6changes a trois parties, entre histo- riographes des congr6gations, sinologues et historiens chinois sp6cialistes de l'Occident, comme ce fut le cas en septembre 1990, lors d'un colloque trbs vivant tenu a Louvain (Leuven) sur le theme de < l'historiographie de l'Eglise catholique chinoise w, avec une importante participation chinoise, de Chine continentale et de la diaspora. Des projets s'6bauchent pour mettre en lumibre, a c6t6 de l'histoire interne des structures missionnaires, les oeuvres locales des vicariats apostoliques en terre de Chine a l'6poque moderne (c'est-a-dire de la mi-XIXe sidcle a la mi-XXe). Mais les r6sultats les plus achev6s concer- nent, jusqu'a maintenant, une 6poque plus haute, innocente de la tare d'im- p6rialisme, dont les missions des temps modernes restent soupgonn6es, et riche en tentatives d'inculturation prises, a l'heure actuelle, pour module id6al. I1 est, en effet, des congr6gations qui, ayant 6t6 fond6es durant l'expansion eu- rop6enne du XIXe sibcle et 6tant, de ce fait, d6pourvues d'un pass6 61oign6, prennent pour sujets de r6flexion les j6suites de la grande 6poque n6s dans le pays m~me de leur maison-mbre. En Allemagne, un colloque Adam Schall va r6unir quantit6 de sinologues des trois continents, en 1992, a l'invitation de l'institut Monumenta Serica, dirig6, comme Anthropos, par les phres stey- listes (ou SVD, de la Soci6t6 du Verbe Divin). En Belgique, les pbres scheu- tistes (ou CICM, de la Congr6gation du Coeur Immaculk de Marie; Cf. Arch., 64, no 250), ont patronn6 a Louvain, outre le colloque sur l'historiographie catholique d6ja mentionn6, un colloque sur Ferdinand Verbiest et un sur Phi- lippe Couplet, deux j6suites flamands (toujours des j6suites, remarquons-le : leurs opposants franciscains et dominicains n'ont pas encore gagn6 les faveurs de I'opinion publique). Le Philippe Couplet, S.J. (1623-1693). The man who brought China to Europe, qui a r6sult6 du colloque de 1985, prombne le lecteur des archives belges, pour cerner les origines familiales du personnage, a celles de la Sacr6 Congr6gation romaine dans une quote de nouvelles vues sur la

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fameuse querelle des Rites, en passant par I'ceuvre sinologique du phre, qui, avant son confrbre Louis Lecomte, crut d6celer dans la Chine antique l'exis- tence d'un Age d'or primitif, et surtout son vain combat pour un clerg6 in- digene, une liturgie en langue autochtone et des couleurs rituelles adapt6es i

la sensibilit6 chinoise. Les travaux chinois sont mis i profit par un historien j6suite d'origine chinoise, le P. Albert Chan, qui traite fort savamment de l'ceuvre eccl6siastique de Couplet (pp. 55-86). L'6volution de l'attitude adop- t6e, B l'6gard des missions des XVIIe-XVIIIe sitcles, par les historiens de Chine populaire est retrac6e par un fouki6nois, Lin Jinshui (pp. 211-223).

Passons maintenant au versant protestant de l'aventure missionnaire, pour fater l'achbvement d'un travail de longue haleine, dti B l'6rudition minutieuse d'A.J. Broomhall: le 7e tome, le plus 6pais, d'une histoire dans le style his- toriographique, des d6buts de la grande soci6t6 missionnaire anglo-saxonne interd6nominationnelle, la China Inland Mission (ou CIM), fondde en 1865 par James Hudson Taylor (1832-1905). Au tome 6, nous avions atteint I'ann6e 1887 (Arch. 66, no 251). En 1888, la soci6t6, jusque 1l britannique, s'inter- nationalise par la cr6ation d'une branche nord-am6ricaine, puis d'une autre en Australie, deux ans plus tard, l'ann6e m~me de la conf6rence missionnaire (sous-entendu protestante) de Shanghai'. Les troubles se succhdent (une r6bel- lion musulmane au Tsinghai en 1895-96 notamment), jusqu'd ce que coule le sang d'un Australien en 1898, premier martyr d'une liste qui va s'allonger durant la r6volte des Boxers en 1900. L'histoire de la CIM durant le demi- sibcle qui s'6tend aprbs la mort du fondateur en 1905 est, ensuite, trac6e dans ses grandes lignes en quelques 70 pages, et se cl6ture par une r6futation des attaques port6es contre Hudson Taylor et la CIM par certains historiens de la RPC (pp. 573-579). Des tableaux, des cartes, un lexique biographique vien- nent compl6ter ce volume pour en faire, comme ses pr6d6cesseurs, un petit outil de r6f6rence.

L'extraordinaire expansion que le protestantisme, depuis la relative lib6- ralisation religieuse des ann6es quatre-vingts, connait sous l'autoritarisme ath6e du communisme, 6meut A.J. Broomhall dans les dernibres pages de son livre. C'est elle qui forme le thbme d'une passionnante d6couverte des effets (subversifs, dirons-nous, au regard de l'6viction des religions voulues par le marxisme) que l'encadrement officiel par le mouvement des w Trois autono- mies > (Three-self movement en anglais) et le d6partement du Front uni ont exerc6s sur l'indig6nisation et le florissement du protestantisme, selon l'in- terpr6tation qu'en donne Philip L. Wickeri dans un livre, dense et s6rieux, issu d'une these au c616bre s6minaire th6ologique (protestant) de Princeton et appel6 g faire date, Seeking the Common Ground. Protestant Christianity, the Three-Self Movement, and China's United Front. A l'en croire, si le pro- testantisme est devenu une religion int6gr6e B la culture chinoise, incultu- r6e w diraient les catholiques occidentaux, il le doit au jeu de ses interactions avec le mouvement des Trois autonomies patronn6 par le gouvernement communiste. Les trois autonomies constituent, on le sait, la devise adopt6e depuis les d6buts du r6gime populaire pour couvrir une rupture totale avec l'Occident chr6tien: << auto-gouvernement >, w auto-subsistance >, w auto-pro- pagation >, d'aprbs une formule que le secr6taire g6n6ral de la Church Mis- sionary Society (pourquoi Wickeri parle-t-il de la Church Mission Society ?) ou CMS, Henry Venn, avait lanc6e en 1854, dans un tout autre contexte lors- qu'il recommandait de laisser une certaine autonomie aux 6glises locales fon-

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d6es par les missionnaires. Le mouvement, qui en a pris le nom en Chine populaire, est, avec le d6partement du Front uni constitu6 au Comit6 central pour g6rer les rapports entre Parti ou gouvernement et minorit6s ethniques et religieuses, g6n6ralement accus6, dans la litt6rature missionnaire de ces qua- rante dernibres ann6es, d'etre sans partage un instrument d'oppression, de per- s6cution, de lavage de cerveau, d'espionnage interne. Surprenante est done la th~orie de l'auteur, qui renverse toutes les id6es bien enracindes chez nous sur les techniques de prise en main des masses en Chine communiste. Elle vaut la peine qu'on s'y arr~te et qu'on y r6fl6chisse; car, apr~s tout, la diffusion actuelle du protestantisme doit 8tre expliqu6e d'une fagon ou d'une autre.

L'interpr6tation de l'auteur est coh6rente, articul6e sur une documentation chinoise et sur les interviews d'une vingtaine de personnalit6s protestantes chinoises (liste pp. 331-332); elle accorde une place pr6pond6rante aux vues th6ologiques et doctrinales des penseurs chinois - un souci qui n'est pas cou- rant dans les travaux missiologiques; elle se pr6occupe des mouvements 6van- g61iques indighnes, trop souvent pass6s sous silence, tels que < la Vraie Eglise du Christ w, < la Famille de J6sus w, w le Petit Troupeau w et des leaders fon- damentalistes, tel Wang Mingdao. Cependant, depuis l'achbvement de l'ou- vrage, les 6v6nements de Tian'anmen en mai-juin 1989 et la r6pression de 1990 contre toute expression religieuse ind6pendante ne manquent pas de don- ner un gotit d'amertume au lecteur, qui remarque alors que l'auteur, engag6 dans le nouveau mouvement missionnaire est enclin, comme le font les ca- tholiques aussi, i adopter une attitude conciliante pour trouver un terrain d'en- tente: Seeking the common ground annonce justement le titre de l'ouvrage. Et, dans ce but, il gomme toutes les fausses notes et ne s'adresse qu'aux repr6sentants de l'establishment. D'autant plus qu'adh6rent B l'orthodoxie presbyt6rienne, il semble s'accommoder somme tou'te assez bien de la pers6- cution maintenue contre les sectes charismatiques et pentec8tistes autochtones, celles en qui les 6vangl61istes interd6nominationnels de la lign6e de l'ancienne China Inland Mission voient, au contraire, le salut du protestantisme sous r6gime totalitaire. Or, pour donner plus ou moins raison t ces derniers, les house-churches, 6glises domestiques ou foyers de pribres, cibles de la r6pres- sion actuelle, paraissent 8tre les premiers b6n6ficiaires de la propagation spec- taculaire du protestantisme dans les ann6es quatre-vingts (les recensements missionnaires indiquaient en 1949 moins d'un million de protestants, Wickeri en donne 3 400 000 pour 1986-87 ; le mouvement des Trois autonomies par- lait, en 1989, de plus de 5 millions; et des estimations bien inform6es avan- cent un chiffre avoisinant les 20 millions, si l'on y inclut les 6glises domestiques clandestines).

Seeking the Common Ground a certainement ouvert, dans le monolithisme de l'anticommunisme, une brbche qui ne pourra se refermer et par laquelle va s'engager la voie d'une nouvelle compr6hension du protestantisme chinois. Mais la situation est, tout aussi sQrement, beaucoup plus contrast6e que ne le laisse supposer I'expos6 lin6aire de l'auteur. Et une vision globale de la r6alit6 chr6tienne non catholique en Chine devra prendre en compte la vigueur des mouvements charismatiques accul6s g la clandestinit6. (Le sinologue re- grettera qu'un travail aussi document6 ne fasse 1 peu pros aucune place ? la terminologie chinoise, qu'il ne donne pas les caractbres chinois des noms pro- pres et qu'il rende si p6nible la tache d'assortir les notes au texte correspondant).

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La prise en consid6ration, par les sociologues, de la moiti6 f6minine de l'humanit6 gagne maintenant le secteur missiologique. Ainsi Women's Work for Women. Missionaries and Social Change in Asia est un int6ressant ouvrage collectif qui s'interroge sur le r81e civilisateur jou6 par les protestantes am6- ricaines B travers les missions en Orient au XIXe sibcle et au d6but du XXe. Dans la r6gion 6mettrice consid6r6e, I'Am6rique du Nord, les organisations f6minines missionnaires ou de soutien aux missions ont constitu6 le mouve- ment f~minin organis6 le plus important; et on leur doit l'envoi et l'entretien des deux tiers du personnel missionnaire protestant. Sur le terrain, la politique eccl6siologique n'incluant g6n6ralement les femmes ni dans sa th6ologie de la mission, ni dans la gestion des structures institu6es, les historiens n'ont pas pret6 attention a la place tenue par les femmes dans l'activit6 missionnaire, comme agents de civilisation domestique, ni aux transformations de la situa- tion f6minine autochtone dont elles ont 6t6 responsables, questions auxquelles s'attachent les collaboratrices au pr6sent recueil. On voit, en Chine, en Inde, au Japon, I'accent 8tre mis par les femmes missionnaires sur l'6ducation, le service social et, parfois, I'6vang61isation individuelle. Mais on peut aussi d6celer une tension latente entre deux attitudes oppos6es: pour certaines dames missionnaires, le module am6ricain 6tant indiscutablement sup6rieur, il devait 8tre transplant6 dans son int6gralit6 afin de transformer la paysanne pai'enne en une petite bourgeoise am6ricaine. Et il s'est trouv6 d'autres dames pour chercher, au contraire, a s'adapter elles-m~mes au milieu environnant: les exemples qui en sont donn6s touchent une Amdricaine au Japon et des Danoises (les seules Europ6ennes dont il est fait ici mention) en Inde. Si les auteurs avaient questionn6 la m6moire missionnaire du courant 6vangl61ique moins orthodoxe que les presbyt6riens et les baptistes du Sud, elles auraient d6couvert, dans l'int6rieur de la Chine aussi, une foule de femmes de la China Inland Mission portant tenue chinoise, vivant pauvrement, aussi proches que possible des indighnes et prachant en chinois. (L'ostracisme que la CIM a rencontr6, dans les milieux missionnaires 6tablis sur la c6te au XIXe sidcle, semble, 6trangement, se prolonger jusque dans la missiologie de la fin du XXe sibcle, qui persiste a ignorer cette grande soci6t6 missionnaire, en d6pit de la monographie en plusieurs 6pisodes que Broomhall lui a consacrde, comme il vient d'8tre dit plus haut).

La mince brochure intitul6e Canadian Missionaries and Chinese Rural Society : North Henan in the 1930s concerne, elle aussi, I'activit6 de la mis- sion presbyt6rienne d'Am6rique du Nord; mais, comme cela est de plus en plus souhait6, elle se tourne vers des r6alisations locales et fait appel a la documentation indigine autant que missionnaire. Il s'agit, en l'esphce, d'un mouvement rural dit w de renouveau > ou w de reconstruction >, men6 sous l'influence d'une th6ologie orient6e vers le progrbs social, en Chine centrale a l'6poque r6publicaine, avant I'occupation japonaise: 6ducation populaire, soins m6dicaux, am61ioration des techniques agricoles, coop6ratives, tels sont les grands traits du programme des jeunes missionnaires lib6raux. Ce petit travail de Peter M. Mitchell (un des collaborateurs de la bibliographie des archives missionnaires canadiennes cit6e en premiere partie) devrait faire 6cole, et fournir le module d'6tudes a la fois missiologiques et sinologiques.

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III - Dialogues entre les systemes de pens~e ZORCHER (Erik), Bouddhisme, Christianisme et so- cidtt' chinoise, Paris, Julliard, 1990 (< Conferences, essais et legons du Collge de France >), 94 p., pr&- sentation par Jacques Gernet. NEEDHAM (Joseph), Dialogue des civilisations, Chine-Occident. Pour une histoire cecuminique des sciences, Paris lditions de la D~couverte, 1991 (coll. < Histoire des Sciences >), 369 p., illustr., index, liste des caractbres chinois. Choix de textes et pr6sentation par Georges M6tailid. Traduction de Francine Fevre et Marie-Brigitte Foster. IANNACCONE (Isaia) & TAMBURELLO (Adolfo), 6d., Dall'Europa alla Cina : contributi per una storia dell'Astronomia, Naples, Universitk degli Studi < Fe- derico II > Istituto Universitario Orientale, 1990, viii + 256 p., bibliogr.

Erik Ziircher, l'6minent sinologue de Leyde, dont la th~se sur la propa- gation du bouddhisme en Chine avait 6t6 un 6v6nement dans le monde des 6tudes chinoises vers la fin des ann6es cinquante, renouvelle un coup de mai- tre, sous la forme d'un minuscule fascicule (moins de 100 pages en petit format), fruit de deux conf6rences au Collge de France: Bouddhisme, Chris- tianisme et socittd chinoise est bien un monument, tant par les connaissances qui y affleurent que par les nouveaut6s dont il enrichit l'histoire des id6es. En premiere partie (pp. 11-42), il prolonge la r6flexion men6e par Jacques Gernet, il y a quelques ann6es, sur les causes de l'6chec rencontr6 par les j6suites dans leur tentative d'apostolat de la Chine aux XVIIe-XVIIIe sibcles (Chine et christianisme, recens6 dans Arch. 56, 1983, pp. 169-173); et il fait progresser la discussion, vieille de plus de trois sidcles, par une comparaison avec la fulgurance de l'extension du bouddhisme, plus d'un mill6naire aupa- ravant. Le problbme est pos6 en ces termes par l'auteur (p. 17): w Comment expliquer que des moines obscurs, d6pourvus de toute formation pr6alable, qui n'avaient pas fait l'objet d'une s61ection, aient r6ussi & gagner tout un monde au bouddhisme, tandis que l'expeditio christiana, pr6par6e avec tant de soin et ex6cut6e par des hommes hautement qualifi6s, n'ait eu qu'un bien modeste succbs et se soit finalement sold6e par un 6chec ? > Dans la kyrielle des antonymies qu'il d6tecte entre les deux systhmes de diffusion, le poids des incongruit6s et des erreurs pbse chaque fois lourdement sur l'action j6suite. Ainsi c'est, t l'oppos6 de la fluidit6 du bouddhisme, comme le r6sume Jacques Gernet dans son introduction (p. 9) : la rigueur dogmatique du catholicisme post-tridentin, I'exigence d'une stricte orthodoxie impos6e aux missionnaires par leur hi6rarchie et aux convertis chinois par les missionnaires qui a v6ri- tablement interdit toute adaptation spontan6e du christianisme au contexte chi- nois >. Et, en contrepoint t une organisation si hautement dirig6e depuis

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l'Europe, I'assise locale est dangereusement faible et fragile, par contraste avec les fortes institutions monacales qui forment l'armature du bouddhisme. Ce monde conventuel, la seconde conf6rence d'Erik Ziircher (pp. 43-94) nous y fait p6n6trer, dans le cas trbs particulier de dames de la bonne soci6t6, entr6es en religion aux IVe-Ve sitcles, et trouvant lb une voie d'expression g leur personnalit6 individuelle, comme femmes lettr6es ou vertueuses, comme m6diums thaumaturges, comme asctes allant jusqu'd l'auto-immolation, comme administrateurs d'6normes communaut6s.

La grande figure de l'histoire des sciences qu'est Joseph Needham va pouvoir &tre mieux appr6ci6e du public frangais grice a un recueil d'articles, formant jalons dans sa carribre et publids en traduction frangaise par un his- torien de la botanique chinoise, Georges M6taili6. Le titre est propre i attirer le lecteur; et c'est bien, en effet, t un savoureux Dialogue des civilisations auquel nous sommes convi6s. La stature du personnage semble appeler le ton gentiment hagiographique qui teinte le r6cit de sa premiere carribre comme embryologiste, avant son tournant d6cisif vers l'histoire des sciences chi- noises. Plusieurs contributions du pr6sent recueil tournent autour de la phi- losophie de la vie. Ainsi, sa plus ancienne publication (1925), << Biologie m6caniste et conscience religieuse >> (pp. 71-109), un essai d'6pist6mologie critiquant les th6ories n6o-vitalistes et m6canistes, montrent le jeune savant, Ag6 de 25 ans seulement, dominant d6jh une culture humaniste remarquable. J'avoue avoir un faible particulier pour 1'<< Histoire de la m6decine 16gale en Chine (pp. 214-269, originellement publid dans Medical History, 1988), oii sont multipli6es les citations de textes illustrant le niveau que la m6decine en g6n6ral et 16giste en particulier avait atteint en Chine, dans l'antiquit6 et au XIIIe sidcle, sur fond de preoccupations humanitaires; et, en parallble, un rappel du traitement des m~mes problbmes dans l'Occident antique et m6di6- val.

Dall'Europa alla Cina : contributi per una storia dell'Astronomia est aussi un v6ritable dialogue entre l'Occident et un Orient islamique, indien et ex- treme-oriental. I1 s'ouvre par des consid6rations sur le concept d'infini i tra- vers l'histoire et le monde (pp. 1-16) et sur les implications philosophiques de l'immobilit6 de la terre (pp. 17-26). On relbvera un article (en anglais, pp. 55-66, au milieu de contributions presque toutes en italien) de David A. King sur l'astronomie islamique, dont il est le sp6cialiste incontestable. Le dernier tiers de l'ouvrage concerne la Chine - la sphere armillaire, la mesure de l'ombre, la rationalit6 du calendrier et diverses r6flexions de caractbre phi- losophique sur l'homme entre ciel et terre, sur la conception cyclique du temps. Un essai bibliographique 6numbre les travaux occidentaux consacr6s i l'astronomie chinoise. Il serait grand dommage que ce recueil passe ina- pergu, comme l'en menace sa parution hors des circuits habituels de l'orien- talisme ou des sciences.

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IV - Les religions et la pens6e en Chine GRANET (Marcel), La religion des Chinois, Pr6face de Georges Dumdzil, Paris, Editions Imago, 1989, xiv + 176 p. PASTOR (Jean-Claude), traducteur, Zhuangzi (Tchouang-tseu). Les chapitres intdrieurs, Paris, Les editions du Cerf, 1990, 113 p., index, liste des carac- teres chinois, preface d'Isabelle Robinet. VERELLEN (Franciscus), Du Guangting (850-933). Taorste de cour d la fin de la Chine mddidvale, Paris, Institut des Hautes ltudes chinoises (Collbge de France), 1989, (< M6moires de l'Institut des Hautes etudes chinoises >, volume XXX), xiv + 263 p., bi- bliogr., index, caractbres chinois in texto., cartes, pr&- face de Kristopher Schipper. FOREST (Alain), KATO (Eiichi), VANDER- MEERSCH (L.on), Bouddhismes et Socidtd asiati- ques. Clergis, socidtds et pouvoirs, Paris, tditions l'Harmattan, et T6ky6, Sophia University, 1990 (<< Collection Recherches Asiatiques >), 206 p., illustr. GRIGORY (Peter N.), ddit., Sudden and Gradual. Ap- proaches to Enlightenment in Chinese Thought, Ho- nolulu, University of Hawaii Press, et Kuroda Institute, 1987 (< Studies in East Asian Buddhism >, 5), 474 p., index., listes de caractbres chinois. TAJADOD (Nahal), Mani, le Bouddha de Lumidre. Car~chisme manichden chinois, Paris, les

lditions du

Cerf, 1990 (< Sources gnostiques et manich6ennes >), 362 p., index., liste des caractbres chinois, bibliogr. CHAN Wing-tsit, Chu Hsi. New Studies, Honolulu, University of Hawaii Press, 1989, viii + 628 p., in- dex, liste des caractbres chinois. DJANG Chu & DJANG Jane C., 6d. et trad., A Compilation of Anecdotes of Sung Personalities, compiled by Ting Ch'uan-ching, Jamaica (N.Y., USA), St John's University, 1989, xx + 8 + 770 p. + 1 tabl.h.t. + xxiii d'index bibliogr. et biogr., illustr. CHING (Julia), ed., avec la collaboration de Fang Chaoying, The Records of Ming Scholars, by Huang Tsung-hsi, Honolulu, University of Hawaii Press, 1987, xxii + 336 p., bibliogr., index, liste des carac- thres chinois.

R6jouissons-nous de voir que Marcel Granet (1884-1940) ne passe pas de mode, malgr6 la floraison des 6tudes d'ethnologie et de sociologie reli- gieuses ndes de son sillage lointain. Dans une 6mouvante introduction ajout6e t la pr6c6dente r66dition de La Religion des Chinois chez Imago en 1980

(dont celle-ci n'est qu'une r6impression en un corps plus large; sur cette 6dition de 1980: Arch. 51, 1981, no 427), Georges Dum6zil 6voque ses pre- miers 6checs scientifiques, puis la soudaine maturation de ses th6ories, dans les ann6es trente, sous l'impulsion de l'enseignement splendidement humaniste

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RELIGIONS ET SYSTIMES DE PENSIES EN CHINE

de Granet. C'est ce Granet pedagogue, et profond n~anmoins, que l'on re- trouve intact dans la'collection d'essais qui forme le present recueil : les cultes paysans de l'Antiquit6, le rituel f~odal de ce temps, la m~taphysique officielle, puis un tour d'horizon des mondes taoi'ste et bouddhiste, enfin les observations personnelles de l'auteur au sujet de manifestations d'un sentiment religieux g l'6poque r6publicaine. II est bien utile d'avoir ainsi sous la main le texte original du Maitre (avec les noms chinois en la bonne vieille transcription de l'Ecole frangaise d'Extr~me-Orient, dont le pinyin nous a fait perdre la saveur: on 6crivait tcheou et maintenant zhou; jadis hi ou si pour l'actuel xi; tseu et ki rendus de nos jours par zi et ji; ou ts'eu et k'i respectivement par ci et qi, etc. - toute une 6ducation g refaire B rebours). On ne doit, tou- tefois, pas oublier que la traduction anglaise de 1975 (The Religion of the Chinese People, Oxford: Blackwell, avec les noms chinois en systhme de transcription anglaise; sur cette traduction: Arch., 40, 1975, no 347) offre, elle, trente pages d'une savante introduction sur la vie et l'oeuvre de Granet dans la mouvance durkheimienne, par le regrett6 sociologue et sinologue bri- tannique Maurice Freedman, et une cinquantaine de pages de notes, biblio- graphie et index. L'6dition d'Imago 1980-89, non seulement ne mentionne pas sa rivale anglaise, mais omet m~me de rappeler la date originale de pa- rution de l'ouvrage: 1922, c'est-a-dire aprbs les Fetes et chansons anciennes (1919) et La polygynie sororale (1920), et avant les Danses et Ligendes (1926) et l'immortelle Civilisation chinoise (1929).

De Zhuangzi (ou Tchouang-tseu en frangais), l'un des pares fondateurs du taoi'sme antique avec Laozi(Lao-tseu), dont l'oeuvre, en partie apocryphe, porte tout simplement le nom, J.-C. Pastor a traduit les sept premiers chapitres, les seuls authentiques, dits << chapitres int6rieurs >>, fort brefs et emplis de mysticisme. L'introduction (pp. 8-25) d'une fine sp6cialiste du taoi'sme, Isa- belle Robinet, souligne les caract6ristiques du Zhuangzi, qui nous le rendent si proche et sympathique: libert6, spontan6it6, fluidit ; mais d'un accbs si fuyant: polys6mantisme de la terminologie, ambigu'it6 des images, pluralit6 des sens allusifs enchass6s les uns dans les autres. Pastor a choisi le parti de la po6sie et du rave, le plus plausible concernant une oeuvre de ce genre. M~me si, comme le suggbre la pr6sentatrice, maintes autres interpretations sont possibles, celle-ci est un enchantement et installe le Zhuangzi parmi les chefs d'oeuvre incontournables de la litt6rature mondiale. Et m~me si Pastor annonce ne pas vouloir faire d'6rudition, son pr~cieux glossaire des termes (avec caractdres chinois), ses notes, son index font de ce mince fascicule un instrument de travail pour le sinologue.

Durant le mill6naire qui s~pare le Zhuangzi, en sa dernibre version, de Du Guangting (ou Tou Kouang-t'ing), le Taoi'ste de cour dont Franciscus Ve- rellen retrace la biographie avec science et minutie, le taoisme a eu le temps de d6velopper une liturgie officielle et une efflorescence de cultes locaux. Dans la seconde moiti6 du IXe sidcle, alors que s'achbve dans les troubles la glorieuse dynastie des Tang, il parait m~me pr~t g occuper tout le champ laiss6 libre par le d6sarroi d'un bouddhisme pers6cut6. Le mouvement de l'his- toire en d6cidera, certes, autrement: sur la ruine du r6gime aristocratique des Tang, s'imposeront, au Xe sitcle, le monopole intellectuel du confucianisme et une m6ritocratie civile annongant, dit-on souvent, I'age moderne. II n'en reste pas moins que Du Guangting a su, A la cour des derniers Tang puis, dans la parcellisation du pouvoir caractdristique des premieres d6cennies du

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Xe sidcle, k la cour des Shu (au Sseutch'ouan, dans le centre-Ouest), imprimer irr~m~diablement sa marque propre sur ce temps f(cond, jusqu'alors n(glig6 par les historiens au b6n6fice des longues dur~es d'unit6 et de stabilit6. Ainsi F. Verellen fait un travail neuf, et cela a plus d'un titre. Neuf, graice a l'unit6 qu'il donne a une 6poque de morcellement, et grace au relief qu'il confbre a une grande figure, desservie par l'hagiographie de sa canonisation ult~rieure en saint patriarche de la branche Lingbao et par le m6pris suffisant des lettr~s a l'6gard de ses mirabilia. Neuf, aussi, parce qu'il s'appuie, non sur l'histo- riographie officielle comme il est de coutume, mais sur des 6crits religieux (au premier rang desquels ceux de Du Guangting, en nombre imposant comme le montre leur r6pertoire, pp. 205-225, et de ses hagiographes) et des traditions priv6es qu'il fouille avec une patience de d6tective. Neuf, parce qu'il envisage l'histoire politique, centrale ou locale, sous son aspect religieux, essentiel de toute 6vidence, alors que jusqu'a present l'influence religieuse sur la vie po- litique et sociale du moyen aige chinois a 6t6 6voqu6e d'un point de vue prin- cipalement bouddhique, dans quelques travaux collectifs am6ricains ou russes (Cf. Arch. 67, 1989, pp. 182-187). Neuf enfin, parce qu'a l'inverse, il situe la mise en place du rituel taoi'ste, la perpetuation des traditions scripturaires de la religion et la syst6matisation des cultes bouddhico-taoistes locaux dans un d6roulement 6v~nementiel.

Bouddhisme et socidtds asiatiques, r~sultat d'un colloque franco-japonais tenu a Paris en 1987, s~duira les comparatistes; car ils y trouveront, d'une part, une interrogation sur l'acculturation du bouddhisme en Chine (deux communications) et au Japon (trois communications), le problbme de la dif- fusion du catholicisme, theme du pr6c~dent colloque (Alain Forest & Yoshi- haru Tsuboi', 6d., Catholicisme et socidtd asiatiques, Paris, L'Harmattan, 1988) restant constamment a l'arribre-plan; et, d'autre part, une 6valuation du r61e politique du bouddhisme, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, au Vietnam, en Birmanie, au Laos, en Thailande et, dans une certaine mesure, au Japon. (Mais pourquoi un ouvrage, qui se veut clair et p~dagogique, ne se soucie-t-il pas davantage du confort du lecteur: ni index, ni glossaire pour d6finir le concept de sangha, la communaut6 bouddhique, dont traitent, sans l'expliquer, les articles consacr6s a la Birmanie et au Laos, ou pour rappeler le contenu de ceux de laukika, < s6culier w, et de lokottara, < transcendantal w,

d6finis trop fugacement, etc...). Le rapprochement entre les cas chinois et ja- ponais est fort instructif. Leon Vandermeersch (< Bouddhisme et pouvoir dans la Chine confucianiste >, pp. 31-39) analyse les causes de l'anticl6ricalisme latent qu'on remarque en Chine: les moines w sortant de la soci6t6 , (chujia) pour vivre en communaut6, ils 6chappaient a l'emprise des rites et entrete- naient, de la sorte, le d~fi d'une d6structuration sociale, insupportable a l'ordre 6tatique. Lorsque l'Etat r6ussit, vers le VIIIe sibcle, a intdgrer le bouddhisme dans son systdme de rapports sociaux ritualis~s, il prit au s6rieux son rble de garant des observances monastiques. Au Japon, au contraire, le pouvoir royal absorba le module confuc6en alors que le bouddhisme impr6gnait d6ja les moeurs et 6tait apte a lui fournir une iddologie du pouvoir (Eiichi Kato, w Les deux roues: le bouddhisme et le pouvoir royal au Japon >, pp. 41-59). Pour en revenir a la Chine, Toshihiko Yazawa (< Christianisme et religions popu- laires en Chine >, pp. 189-203) centre les troubles antichr6tiens sur le refus des catholiques chinois, dbs avant 1860, de participer aux frais des manifes- tations th6atrales a but religieux.

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Au Japon, I'exemple d'Indra montre comment une divinit6 typiquement indienne a pu prendte racine dans la religion populaire (Bernard Frank, w Les deva de la tradition bouddhique et la soci6t6 japonaise: l'exemple d'In- dra/Taishaku-ten >, pp. 61-74 + 16 illustr.); ou encore l'exemple des prati- ques fun6raires populaires et du culte aux anc~tres indique un d6tournement de la th6orie bouddhique dans un sens favorable g son int6gration dans la pens6e japonaise (Yasuaki Nara, w Puissent les morts atteindre l'illumination >. Points de vue sur l'insertion du bouddhisme au Japon >, pp. 75-110). Un aper- qu sur la vigueur actuelle du bouddhisme, toujours au Japon, est fourni par le t6moignage direct d'un sup6rieur de monastbre zen (sis g Yokohama), venu au colloque raconter sa vie, les circonstances de la fondation de son institution en 1969-70, avec l'aide financibre d'une entreprise industrielle japonaise, ses rapports avec le public, son programme d'enseignement (Takeshi Kuroda, w Fonder et g6rer un temple dans et pour la soci6t6 d'aujourd'hui: quinze ann6es de r6flexion, d'exp6rience et leur r6sultat >, pp. 173-188). Et pour en rester i l'6poque contemporaine, le bouddhisme a fourni au Sud-Vietnam pr6- communiste la seule force politique anti-gouvernementale structur6e (Nguyen Th$ Anh, < L'engagement politique du bouddhisme au Sud-Viet-nam dans les ann6es 1960 >, pp. 111-124). En Birmanie, le sangha reste dirig6 et contr816 par une g6rontocratie appuy6e sur une tradition civile autant que religieuse (Guy Lubeigt, w L'organisation du sangha birman >>, pp. 125-154). Au Laos, sous la pression du Parti populaire r6volutionnaire Lao, les moines ont 6t6 encourag6s, depuis 1975, g travailler de leurs mains et A se prdoccuper d'au- trui, de sorte que leur foi, bien que relevant traditionnellement de la branche theravada du bouddhisme, 6volue maintenant vers le mahayana (Pierre-Ber- nard Lafont, w Transformations politiques et 6volution du bouddhisme au Laos depuis 1960 w, pp. 155-162). En une autre terre de theravada, la Thailande, le bouddhisme d6veloppe un id6al de r6forme sociale tout en procurant i ses fiddles des amulettes et autres moyens surnaturels de protection contre les maux de la soci6t6 terrestre (Solange Thierry, Tendances du bouddhisme contemporain en Thailande w, pp. 163-172).

Le thbme de la sinisation du bouddhisme est, quoique voil6, sous-jacent g un autre ouvrage collectif, beaucoup plus nourri et technique que celui dont il vient d'&tre question: Sudden and Gradual. Approaches to Enlightenment in Chinese Thought, un bel ouvrage dont la qualit6 conceptuelle et matdrielle porte la patte de P.N. Gr6gory, de m~me que son jumeau, Traditions of Me- ditation in Chinese Buddhism (6d. P.N. Gregory, Honolulu, University of Ha- waii Press, & The Kuroda Institute for the Study of Buddhism and Human Values, 1986, Studies in East Asian buddhism, 265 p., index, liste des caract. chinois), l'une et l'autre publications 6tant issues, avec des modifications, de colloques successifs (et adress6es, l'une et I'autre, aux Archives avec un retard de plusieurs ann6es, qui n'a entam6 en rien leurs m6rites). De la m6ditation extr~me-orientale, on ne connaft gubre en Occident que les pratiques ch'an (dites zen selon la forme japonaise du concept) et l'on s'y retrouve mal entre l'intuitivisme attribu6 g cette tendance et la technique du zazen, < m6ditation assise >, qui lui est propre aussi. Les deux ouvrages ici mentionn6s montrent abondamment les difficult6s d'accbs auxquelles se heurtent nos pauvres esprits et nos pidtres langues lors de leur rencontre avec la spiritualit6 orientale, mais, tout autant, les difficult6s 6prouv6es par les Chinois dans leur d6couverte de la pens6e indienne (et aux exemples choisis par les auteurs, il faudrait ajouter un domaine spirituel que les sinologues s'entendent i oublier avec un bel

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ensemble: I'islam chinois qui, lui aussi, a relev6 le d6fi de la sinisation du mysticisme dans ses variantes soufies gradualistes ou subitistes). Le support de la r6flexion des collaborateurs de N.P. Gregory est l'int6gration des aspects contemplatifs du bouddhisme indien dans un cadre conceptuel chinois pr6- existant et, en r6action contraire, les m6tamorphoses ult6rieures de ce cadre sous l'influence de la pens6e indienne. Le second volume ici cit6, Traditions of Meditation, s'int6resse aux pratiques d6veloppies dans diverses 6coles, ch'an et autres, du bouddhisme chinois (et mime cor6en, selon la contribution finale de R.E. Buswell, JR., sur le bouddhisme son, pp. 199-242); et il laisse courir, en fil conducteur, le thbme r6current d'un paradigme li/shih, < prin- cipe/ph6nombne >, fourni par le vocabulaire philosophique autochtone et uti- lis6 d'6cole en 6cole comme instrument d'appr6hension du systhme 6tranger.

La legon de Sudden and Gradual est toute de moderation intellectuelle: g savoir qu'il nous faut accepter avec une grande dose de precautions l'op- position, cens6ment inconciliable, entre la m6thode de la r6v61ation subite et celle de la graduation. Reflet d'une tension permanente dans la culture chi- noise entre perfectionnement de soi, par un cheminement lent et p6nible, et intuition spontan6e de l'absolu, cette polarit6 se r6vble, en effet, compl6men- taire et qualitative plus qu'exclusive. Elle a 6t6, pour les penseurs, un outil typique de travail taxonomique sur les textes sacr6s indiens, de p6dagogie initiatique; et, hors de l'univers bouddhique, elle a servi de cat6gories inter- pr6tatives dans des syntheses thdoriques sur la po6sie et la peinture. En ou- verture t ce bel ensemble est la traduction d'un vieil article, dont I'humanisme ne s'est pas d~mod6, du regrett6 maitre des 6tudes sinologiques frangaises, Paul Demi6ville (1894-1979), Le miroir spirituel (d'abord paru dans Sinologica, I, no 2, 1947, pp. 112-137, puis dans P. Demi6ville, Choix d'dtudes bouddhiques, Leyde, E.J. Brill, 1973, pp. 135-156 - une information bibliographique que P.N. Gregory donne incompl~tement): ici traduit avec talent par l'un des co-auteurs, Neal Donner (< The Mirror of the Mind w,

pp. 13-40), il b6n6ficie de plusieurs notes compl6mentaires ou rectificatives de ce dernier.

Mani le Bouddha de Lumidre. Catichisme manichden chinois prend tout naturellement place au milieu de travaux appliqu6s B d6busquer la sinisation du bouddhisme : il fournit, en effet, un exemple saisissant du rev&tement auto- chtone dont une r6daction en chinois m6di6val peut habiller une religion 6tran- gbre, et, ici, le processus de sinisation est d6doubl6 par l'acculturation premiere de la terminologie bouddhique, que le propagandiste manich6en du VIIIe sibcle a r6employ6e. La pr6sente traduction frangaise est l'oeuvre d'une Iranienne, manich6enne de formation et de conviction. A feuilleter les 170 pages de commentaire qui accompagnent le petit texte original, tout juste long d'une centaine de lignes, et les 75 pages d'index, on peut se prendre g ima- giner, devant l'ampleur de l'apparente erudition cosmopolite qui affleure, tenir 18 l'6tude id6ale que les sp6cialistes appellent de leurs voeux et que nul n'a jusqu'alors r6alis6e. Etant moi-m~me inapte, par ignorance du manich6isme, i juger de la valeur intrinsbque de ce travail, je peux tout juste remarquer qu'un certain nombre d'exigences minimum de l'6rudition sont d69ues. Ainsi, d'un simple point de vue mat6riel, le gros index du commentaire est parfai- tement inop6rant, puisqu'il renvoie a des w paragraphes w forts, pour certains, de dix pages et plus. Le texte chinois a 6t6 pris, par malchance, dans la mau- vaise 6dition (celle du Tripitaka, publi6 au Japon durant l'&re taish6, 1922-33),

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alors que le manuscrit original existe, pour la seconde partie h la Bibliothbque Nationale, pour la premibre A la British Library.

Et, surtout, le terrain n'est pas aussi vierge que le suggbrent I'avant-propos et la bibliographie finale. Pour les travaux chinois, cette bibliographie est du vent: un seul titre concerne le manich6isme, et il date de 1909, alors que plusieurs savants chinois ont d~frich6 le sujet, aux 6poques r6publicaine et communiste. Quelques-uns des meilleurs sp6cialistes sont des Japonais (tels Chikusa Masaaki, Yoshida Yutaka), mais de leurs publications en japonais, il n'est souffl6 mot. La r~ffrence principale de son interpr6tation terminologique, Mmine Tajadod l'a tir6e d'un article remontant t 1911 (R. Gauthiot); la sino- logie manich6enne est, pourtant, en plein 6panouissement depuis quelques an- n~es. Mais aucune mention n'est faite du travail fondamental de Peter Bryder, The Chinese Transformation of Manichaeism. A Study of Chinese Manichaean Terminology (s.1. = sans doute Stockholm, Borkfirlaget Plus Ultra, 1985, xii + 178 p.), qui aurait pourtant di l'inspirer; de meme que les belles publica- tions de Samuel N.C. Lieu, The Religion of Light. An Introduction to the History of Manichaeism in China (University of Hong Kong, 1979, Centre of Asian Studies Occasional Papers and Monographs, no 38, vi + 52 p.) et Manichaeism in the Later Roman Empire and Mediaeval China (Manchester University Press, 1985, xii + 360 p.). Mis t part un petit article anglais de Lin Wushu, mis g profit dans le commentaire, un seul travail de sinologie manich6enne r6cent apparait dans la bibliographie finale, mais, autant que j'ai pu en juger, il n'en a meme pas 6t6 fait usage (Chinesische MAlanichaica de H. Schmidt-Glintzer, 1985). Voili done qui jette de s6rieux doutes sur la validit6 scientifique d'une traduction, dont il existait par ailleurs, depuis long- temps, une version due h certains des plus prestigieux parmi les orientalistes, Haloun, Henning, Pelliot, et concernant un des textes les plus difficiles de la litt6rature chinoise. Dans le doute, cr6ditons-la d'une utilit6 de vulgarisation, d'autant que l'annexe renferme la partie la plus sQre de l'ouvrage: l'6dition de traductions et notes in6dites les meilleures qui soient, car elles sont sign6es Paul Pelliot (1878-1945) et Paul Demi6ville.

Au sujet de ce texte, une question se pose, que Pelliot n'avait d'ailleurs, remarquons-le, pas soulev6e : celle de la validit6 de l'exactitude philologique dans une traduction i caractbre religieux. D6nommer Mani un << Bouddha w est, certes justifi6 par l'emploi du terme chinois fo. Mais il faut songer que le traducteur du VIIIe si~cle, lorsqu'il voulait rendre l'id6e de Dieu, n'avait a sa disposition que le mat6riel conceptuel existant alors en chinois. Il se heurtait, d6ja a cette haute 6poque, au problbme qui, au XIXe siacle, allait faire s'entre-d6chirer les protestants dans la fameuse querelle du < Terme > (c'est-a-dire de la d6termination du nom de Dieu). L'islam a choisi Zhenzhu, < le Vrai Seigneur >>; les catholiques ont pr6f6r6 Tianzhu, << le Seigneur du Ciel >. Les manichdens, eux, ont adopt6 fo, w Bouddha >, de m~me que Matteo Ricci allait 8tre d'abord s6duit par un rapprochement possible avec le boud- dhisme: faut-il, en cons6quence, traduire - ou interpr6ter - par << Bouddha > ou < Dieu > ? La question reste ouverte.

Le confucianisme semble former un contre-point rationnel, docte, volon- tiers terre-a-terre, aux mysticismes dans lesquels les titres pr6c6dents nous entrainaient. Pourtant, si l'on quitte la morale fondatrice pour atteindre, aprbs le tournant du premier mill6naire, sa forme philosophique, en voie de consti- tution, a laquelle nous donnons conventionnellement le nom de n6o-confucia-

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nisme, la frontibre devient plus fuyante entre morale sociale et qu~te person- nelle de l'absolu. Le professeur Chan Wing-tsit a mis sa longue carribre (il est n6 en 1901) au service d'un des principaux phres fondateurs du ndo-confu- cianisme, Zhu Xi (Tchou Hi en frangais, Chu Hsi en anglais, 1130-1200) et de ses 6mules. Livre aprbs livre, en chinois et en anglais, la personnalit6 du grand penseur Song et la signification profonde de son oeuvre s'affirment peu a peu avec plus de clart6. Chu Hsi. New Studies ne d6cevra ni l'honn~te homme a la recherche d'une culture g6n6rale s6rieuse, nile sinologue averti : l'attrait des themes 6voqu6s, leur traitement par regroupement de citations tir6es de sources, l'excellence des traductions, une 6rudition qui sait se faire 16gbre, tout se conjugue pour retenir quelque lecteur que ce soit. Dans un pr6c6dent recueil, Chu Hsi. Life and Thought (Hong Kong, The Chinese Uni- versity Press, 1987, 217 p.), form6 de six conf6rences faites a Hong Kong, I'auteur traitait de la nouveaut6 de Zhu Xi en son temps et de son apport immortel. I1 complete ici son portrait intellectuel par de petites touches vi- vantes et originales. I1 s'int6resse d'abord t l'homme: les divers noms et pseudonymes port6s par Zhu Xi au cours de sa vie, les traits biographiques indubitables concernant ses parents, sa femme, ses enfants, son mode de vie dans la quotidiennet6, ses ressources 6conomiques, son caractbre, ses juge- ments sur les coutumes religieuses populaires. Puis les thames fondamentaux de son systhme de pens6e sont d6gag6s, toujours B l'aide de citations: les cat6gories de la m6taphysique et de la philosophie chinoises, telles que taiji w le grand faite >>, li w le principe >, qi w la force mat6rielle >, tian w le ciel >, ti w la substance >, yong w la fonction >w; ainsi que sa conception du mode d'accds au perfectionnement individuel par l'6tude et la concentration; et les figures d'expos6 qu'il affectionnait, ainsi les analogies et les diagrammes. Enfin sont pass6s en revue les problkmes pos6s par certaines de ses oeuvres, ses rapports avec ses disciples, ses collbgues et ses ennemis, son attitude a l'6gard du taoisme et du bouddhisme, les jugements port6s sur lui par la post6rit6 ; enfin, en quasi-conclusion inattendue, son opinion sur les femmes et sur l'attitude a adopter a leur 6gard. La pointe d'apologie qui perce de-ci de-la dans les appr6ciations de Chang Wing-tsit sur le philosophe Song n'a rien de choquant: qu'un auteur 6prouve une inclination affec- tueuse pour son h~ros favori ne peut que rendre ce dernier plus sympathique au lecteur.

A Compilation of Anecdotes of Sung Personalities nous invite a d6couvrir la vie personnelle des contemporains de Zhu Xi et d'autres lettr6s ayant v6cu durant les trois sibcles des Song, de la mi-Xe sibcle a la mi-XIIIe, telle que la d6peignent les anecdotes souvent scandaleuses et les petits potins transmis par la litt6rature inofficielle de ce temps et des 6poques ult6rieures. L'auteur, Ding Chuangjing (Ting Tch'ouang-tsing en frangais, Ting Ch'uang-ching en anglais), un homme de lettres de la fin de l'ancien r6gime (1870-1930), s'6tait en effet amus6 a collecter dans les journaux personnels, les m6moires, les < 6crits divers w dont les Chinois sont friands, un joli assortiment de plusieurs milliers d'historiettes autour de quelques 530 personnages Song. C'est de cet ouvrage, publi6 posthumement en 1935, que Chu Djang et June C. Djang ont tir6 les traits anecdotiques d'une centaine d'individus les plus marquants, qu'ils ont traduits (et adapt6s) en les introduisant par des notices biogra- phiques : une lecture a la frontibre des genres historique et litt6raire, qui serait agr6able si la typographie n'6tait une frappe dactylographique bien mediocre.

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C'est 6galement par le biais des notices et anecdotes biographiques que Huang Zongxi (Houang Tsong-hi en frangais, Huang Tsung-hsi en anglais, 1610-1692) nous fait p~n6trer dans un milieu lettr6 particulier: celui des n6o- confuciens Ming (1368-1644) qui ont conduit la philosophie chinoise g ses ultimes perfectionnements et ont, pour certains, pay6 de leur vie, dans les troubles de la fin de la dynastie, leur foi en une cause spirituelle. Aussi, dans ses Records of Ming Scholars (un ouvrage parvenu, h6las, trbs tardivement B la r6daction des Archives), on ne trouve aucune allusion triviale ou malveil- lante, comme s'en d6lectait l'auteur pr6c6dent des anecdotes Song. L'oeuvre de Huang Zongxi ressemble plut6t i une sorte d'encyclop6die anthologique des multiples courants qui se sont partag6 le systhme philosophique des Ming. Mais, comme c'est bien souvent le cas en Chine, cet ouvrage est trop massif et discursif pour m6riter une traduction complete; et, m~me abr6g6, il d6fie les potentialitds individuelles. Aussi est-ce une 6quipe qui s'y est attaqu6e : des fins sinologues, 6voluant autour du s6minaire sur le n6o-confucianisme anim6, 8 l'universit6 Columbia, par le maitre en la matibre, Wm. Theodore de Bary. La supervision des traductions a 6t6 assur6e par le regrett6 Fang Chaoying (1908-1985), un bibliophile renomm6 et un expert en biographies de ce temps, auquel deux gros dictionnaires biographiques doivent une bonne partie de leur r~ussite, I'un pour les Qing (Eminent Chinese of the Ch'ing Period, 1943, avec A. Hummel), I'auteur pour les Ming (Dictionary of Ming Biography, 1976, avec L.C. Goodrich). Le rtsultat est magnifique. Du bloc original, ont 6t6 extraites, d'une part, les notices introduisant dix-sept 6coles philosophiques Ming, et, d'autre part, quarante-deux biographies, d6cant6es des citations de textes qui les alourdissaient. A l'6diteur principal, Julia Ching, bien connue pour l'int6r~t qu'elle porte t l'int6gration du christianisme dans la pens6e chinoise, revient le m6rite d'une introduction insistant sur les options intellectuelles propres B l'auteur et sur l'assise r6gionale des 6coles philosophi- ques, et un trbs pr6cieux glossaire, qu'on ne saurait assez louer, des termes phi- losophiques chinois dans leurs acceptions depuis le confucianisme antique jusqu'au n6o-confucianisme Ming, en passant par ses ant6c6dents Song.

*

Si l'on me demandait, en conclusion, que choisir en priorit6 dans ce long relev6 de travaux, enrichissants chacun B sa fagon, ayant d'abord mis g part la monumentale bibliographie d'A. Crouch, dont les sp6cialistes du christia- nisme dans la Chine moderne ne pourront se passer, je d~signerais, sans la moindre hesitation, l'ouvrage qui m'apparait le plus bouleversant pour notre id6e de la confrontation entre tradition chinoise et religions mondiales, le Bouddhisme, Christianisme et socidtd chinoise d'Erik Ziircher; puis, pour le souffle comparatiste l'animant, le Dialogue des civilisations, Chine-Occident de Joseph Needham; pour sa plong~e dans la vie r~elle d'une des pens~es les plus achev~es qui soient, The Record of Ming Scholars, et, en complement, la vision de la Chine peu aprbs les Ming, par le bon phre Lecomte, Un jdsuite & Pdkin.

Frangoise Aubin CNRS/CERI

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