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RELIGIOSITE PAYSANNE AU PORTUGAL Par JOAO FERREIRA DE ALMEIDA lnstituto de Ci2nciar Sociair, Univmidade de Lisboa; Instituto Superior de CiBncias do Trabalho e da Empresa, Lisboa LE PORTUGAL, PAYS CATHOLIQUE “Le Portugal est un pays catholique”. Cette phrase ancienne, ripitie avec insistance avant le renversement du rigime autoritaire en avril 1974, alors que les structures de 1’Etat et de 1’Eglise se soutenaient mutuelle- ment, n’itait pas sans disigner une realiti observable. Malgri des diversi- tis rigionales importantes, aujourd’hui, comme avant les annies soixante- dix, le Portugal est effectivement un pays catholique, tout au moins en deux sens fondamentaux: d’abord, on y trouve des pourcentages tr2s ilevis d’auto-classification religieuse catholique (environ 85% des cita- dins en 1971; 76,5%0 des jeunes entre 15 et 24 ans en 1983); ensuite,‘les autres confessions ne dipassent jamais des dimensions risiduelles. I1 est ivident que, de meme que dans beaucoup d’autres pays, on con- state aussi au Portugal des dicalages tris significatifs entre des indicateurs tels que l’auto-classification, les baptimes et les mariages religieux, d’un chti, et les indicateurs de la pratique riguliere, telle que la frequentation hebdomadaire de la messe et la communion, d’un autre c6ti. Alors que les baptimes et les mariages catholiques, selon une enquite nationale menie par la Confirence Episcopale, concernaient encore en 1977 la grande majoriti des Portugais, les moyennes des messalisants et des communions en pourcentage des prisences h la messe restaient en desh des 30%. Mais on ne peut pas diduire, h partir de cette forte conformiti uni- confesionnelle et de cette participation giniralisie des Portugais h certains rites de passage consacris par I’Eglise, des moddes de comportement religieux et des rifirences ithico-norrnatives en accord parfait avec la doctrine de 1’Eglise. En effet, I’itude de l’enquite de 1971 (IPOPE, 1973) illustre ces disaccords, en montrant que 23% seulement des enquitis qui se considirent catholiques acceptent l’autoriti des pritres en matigre de rivilation et de definition des principes de la foi; plus de 60% admettent le divorce entre catholiques; enfin, l’enquite fait ressortir une forte compo- Sociologia Ruralis 1986. Vol. XXVI-1

RELIGIOSITE PAYSANNE AU PORTUGAL

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RELIGIOSITE PAYSANNE AU PORTUGAL

Par

JOAO FERREIRA D E ALMEIDA

lnstituto de Ci2nciar Sociair, Univmidade de Lisboa; Instituto Superior de CiBncias do Trabalho e da Empresa, Lisboa

LE PORTUGAL, PAYS CATHOLIQUE

“Le Portugal est un pays catholique”. Cette phrase ancienne, r ipi t ie avec insistance avant le renversement du rigime autoritaire en avril 1974, alors que les structures de 1’Etat et de 1’Eglise se soutenaient mutuelle- ment, n’itait pas sans disigner une realiti observable. Malgri des diversi- t is rigionales importantes, aujourd’hui, comme avant les annies soixante- dix, le Portugal est effectivement un pays catholique, tout au moins en deux sens fondamentaux: d’abord, on y trouve des pourcentages tr2s ilevis d’auto-classification religieuse catholique (environ 85% des cita- dins en 1971; 76,5%0 des jeunes entre 15 et 24 ans en 1983); ensuite,‘les autres confessions ne dipassent jamais des dimensions risiduelles.

I1 est ivident que, de meme que dans beaucoup d’autres pays, on con- state aussi au Portugal des dicalages tr is significatifs entre des indicateurs tels que l’auto-classification, les baptimes et les mariages religieux, d’un chti, et les indicateurs de la pratique riguliere, telle que la frequentation hebdomadaire de la messe et la communion, d’un autre c6ti. Alors que les baptimes et les mariages catholiques, selon une enquite nationale menie par la Confirence Episcopale, concernaient encore en 1977 la grande majoriti des Portugais, les moyennes des messalisants et des communions en pourcentage des prisences h la messe restaient en desh des 30%.

Mais on ne peut pas diduire, h partir de cette forte conformiti uni- confesionnelle et de cette participation giniralisie des Portugais h certains rites de passage consacris par I’Eglise, des moddes de comportement religieux et des rifirences ithico-norrnatives en accord parfait avec la doctrine de 1’Eglise. En effet, I’itude de l’enquite de 1971 (IPOPE, 1973) illustre ces disaccords, en montrant que 23% seulement des enquitis qui se considirent catholiques acceptent l’autoriti des pritres en matigre de rivilation et de definition des principes de la foi; plus de 60% admettent le divorce entre catholiques; enfin, l’enquite fait ressortir une forte compo-

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sante anti-cliricale parmi les enquetis catholiques. O n peut donc trouver des indices de “protestantisation” du catholicisme portugais, aussi bien dans la prifirence accordie h certaines formes d’auto-gestion religieuse au ditriment du monopole sacerdotal, que dans la disacralisation du mariage vis-h-vis de la doctrine officielle de I’Eglise.

Si I’on dispose d’une information globale raisonnable sur la situation plus ricente, on manque sirieusement de donnies permettant de reconsti- tuer le processus qui y a conduit. Comment a ivolui la religiositi des Portugais; jusqu’i quel point le catholicisme subit-il une irosion au Portugal; peut-on parler de “sicularisation” au sens d’un processus de divalorisation sociale des formes et des symboles religieux traditionnels (Yinger, 1957, p. 119)? Des observations rigionales dispersies et concer- nant des piriodes diffirents, ainsi que de multiples constatations et lamen- tations du clergi, feraient penser i une riponse positive h la derniire question, mais elles ne fournissent pas des garanties de reprisentativiti et de rigueur. Nianmoins, les iliments quantifiis concernant I’ivolution du clergi, notamment des ilives des siminaires, vont dans le mime sens. Si I’ensemble du clergi rigresse numiriquement entre la fin des annies cinquante et la fin des annies soixante-dix, la chute des inscrits aux Siminaires majeurs est particuliirement nette: seulement 348 en 1977 contre 1.263 vingt ans auparavant (Silva 1979, pp. 39-40).

Etant donnie la correlation positive habituelle entre le nombre du personnel icclisiastique et I’intensiti des pratiques culturelles, l’ivolution signalie, ainsi que la “crise des vocations” qu’elle implique, tendent i confirmer la privision d’un certain diclin global de la pratique religieuse, en supposant que ces donnies s’inscrivent dans une tendance h long-terme que les signes ricents de renversement de la “crise des vocations” ne contrarient pas. Quoi qu’il en soit, les valeurs globales tendent i cacher des diffirences rigionales plus ou moins importantes, alors qu’on sait qu’au Portugal les contrastes du comportement religieux sont, h la fois, tris accentuis et tris durables. Plusieurs itudes ont montri, d’ailleurs, I’importance particuliire des “rigions culturelles” dans les diffirents niveaux de vitaliti religieuse (Boulard & Rimy, 1968; Michelat & Simon, 1977; Hoyois, 1968; Sereno, 1976).

La paroisse dont nous nous occuperons plus en detail dans cet article appartient, pricisiment, h une “aire homogine” marquie, i travers la combinaison d’indicateurs de comportement et d’indicateurs institution- nels, par une “pratique religieuse tres ilevie et tr2s stable, et par une bonne structure ecclisiastique” (Fransa 1980, p. 53 assim). I1 s’agit d’une rigion du Nord-Ouest portugais au peupLment {ens, et dispersi, depuis des ipoques antirieures i I’occupation romaine de la Pininsule Ibirique, caractirisie en outre par une agriculture familiale de polyculture intensive sur des petites parcelles tris souvent en regime de mitayage. Rigion d’imigration traditionelle trans-atlantique, en particulier vers le

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Brisil, on y a vu croitre i partir des annies soixante les contingents d’imigrants vers la France et L’Allemagne. Pour ce qui est de la paroisse qui nous concerne, bien qu’elle participe pleinement des traits caractiris- tiques de la rigion, elle a connu en revanche, igalement i partir des annies soixante, la croissance des migrations journalieres vers la ville de Porto. Ces diplacements journaliers vers le centre industriel ont represent6 et reprisentent toujours un “iquivalent fonctionnel” de I’imigration, ainsi que de la croissance iconomique et productive locale.

Essentiellement paysanne il y a une vingtaine d’annies, la paroisse compte actuellement 166 groupes domestiques de paysans i temps-partiel (sur un total de 320), c’est-i-dire, des familles qui, tout en travaillant - surtout les femmes et les gens agis - la terre, ditachent vers la ville la force de travail masculine, quj “contarnine” ainsi avec le salaire et ses accessoires culturels I’ancienne “pureti” paysanne. I1 va de soi qu’une transformation aussi significative de la structure de classes locale ne pouvait manquer d’entrainer des changements i des niveaux multiples de la vie collective, depuis les fonnes de socialisation et de sociabiliti jus- qu’aux manifestations symboliques dominantes; depuis les stratigies vis- i-vis de la terre, le travail, I’enseignement, le mariage et l’organisation familiale, jusqu’aux modes de gestion de la vie quotidienne.

En ce qui concerne la religiositi, enfin, on continue d’observer dans la paroisse la friquentation massive de la messe; le recours systimatique i I’Eglise pour les baptimes, les mariages et les funirailles; la prisence quasi-unanime des enfants au catichisme et i la cirimonie de la commu- nion solennelle. En dehors de ces signes indiniables de vitaliti religieuse, quelque chose est-il en train de changer au plan religieux?

UNE RELIGIOSITI~ PAYSANNE?

DifficrtltPs qnotidiennes et saLnt de L’rime

Des pratiques dont I’uniformiti dicoule, en partie, d’itre riglies par une grande tradition religieuse gui difinit le dogme, la doctrine et les formes liturgiques et culturelles, peuvent en realiti revitir des significations dis- tinctes selon leurs modalitis locales et de groupe. Afin d’analyser ces diversitis il faut aller au deli du recueil sociographique de donnies quantitatives. 11 faut avoir recours i des notions telles que religion popu- laire, qui dinotent des formes de relation au sacri vicues par des groupes sociaux dominis, indipendamment des formes ligitimes de cette relation telle qu’elles sont difinies par le pouvoir ecclisiastique’.

Au cours du temps, depuis l’organisation primitive de 1’Eglise chri- tienne, il a fallu girer les formes de la religiositi populaire, tantbt en les condamnant, tantbt en transigeant avec elles. Encore de nos jours, les petites traditions rurales catholiques constituent un riservoir priviligii

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d’anciens rites, dont certains remontent au paganisme pri-romain. Bien que condamnis par 1’Eglise d’une facon ginirale, ces rites se conservent parfois intigris dans les rites officiels avec la compliciti des curis plus pridisposis au compromis du fait de leurs propres origines paysannes et de leur insertion prolongie dans le milieu (cf. M e s h 1970, pp. 11 passim). D’un autre &ti, ces petites traditions sont probablement les derniires i faire imerger des croyances et des rites en tant qu’expression communautaire.

Si la religion officielle religue la religiositi paysanne i un plan infirieur et la cantonne dans son r6le de manifestation symbolique dominie, cela ne va pas sans certaines ambivalences: en effet, c’est volontiers qu’on ajoute i la liste des vertus des agriculteurs leur pi i t i exemplaire. I1 est ivident que cette rihabilitation n’est pas itrangire i des determinations d’ordre social et politique, ainsi que Weber I’a montri (1971, pp. 493 passim). Ce qu’il ne faut pas perdre de vue, toutefois, c’est que la persistance d’anciens hirita- ges ainsi que, d’une fason ginirale, I’ensemble de traits qui permet de parler de religion paysanne, sont itroitement lies i leur lieu de reproduc- tion, i savoir, les collectivitis rurales et les groupes sociaux qui les intigrent.

“La religion dans les zones rurales de tradition chritienne est, en grande partie, le risultat de deux iliments igalement forts: une accepta- tion sincf-3-e de la religion dans laquelle ils sont n b et ont i t i Clevis, et une superstition aveugle et inconsciente’“. Cette affirmation d’un responsable de 1’Action Catholique Portugaise est complitie par I’histoire de ce paysan qui, lors d’une visite au bourg et apris avoir fait ses priires i l’iglise, a diposi des aum6nes d’abord dans le coffre de Saint-Michel et ensuite dans la gueule du dimon que le saint frappait. En guise d’explica- tion, le paysan disait: “Puisqu’on ne sait pas encore qui gagnera, il vaut mieux les consoler un peu tous les deux”.

Tant les rythmes du travail que ceux de la vie quotidienne sont subor- donnis aux desseins des forces naturelles, lesquels sont d’autant plus mystirieux et incontrblables que les ressources techniques disponibles sont riduites. Enracinies dans le vicu, les idiologies pratiques de la paysannerie tendent i trouver une harmonisation, voire une homologie structurelle, avec toutes les propositions susceptibles d’identifier des ou- voirs surnaturels et de rendre la primauti i la capaciti organisatrice J u n e providence divine. Par ailleurs, l’imprivisibiliti mCme des risultats con- duit i “l’idolatrie de la nature” (Marx 1968, p. 260) et i la nicessiti de techniques propitiatoires pour manipuler la nature en tant que responsa- ble direct et immanent des succis et des ichecs. Ces iliments sont peut- Ctre i l’origine, pour employer les termes de l’auteur cite plus haut, de 1”‘acceptation sincire” et de la “superstition aveugle” en tant que double caractiristique, apparament contradictoire, de la riligiositt paysanne.

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L’urgence des besoins quotidiens est nicessairement moins lointaine que le salut des imes. Mime les religions eschatologiques, comme la religion catholique, bu les chitiments et les rkcompenses sont diffiris dans une autre vie, ne peuvent s’empicher, parfois, de justifier les difficultis et les injustices terrestres i travers l’intexvention de sortileges, d’envoiite- ments et de puissances dimoniaques (Lewis 1976, p. 148). En tout cas, le salut et le quotidien tendent sinon 9 exiger des moyens diffirents, du moins a satisfaire des nicissitis diffirentes et diffiremment ressenties. C’est donc l’incertitude permanente du quotidien qui contribue i donner a la riligiositi paysanne le caractere instrumental que Wolf a mis en relief (Wolf 1966, pp. 99 passim). Des questions essentielles, telles que la protection des cultures et des ricoltes, outre la santi et la maladie, la naissance et la mort, doivent i tre affronties soit au moyen de prieres et de sacrifices empruntis i la religion officielle, soit a travers la manipulation directe du surnaturel. Exorciser la menace du mal, ne serait-ce que partiel- lement, exige la mobilisation effective de tous les pouvoirs, mime s’ils sont iventuellement contradictoires: voili ce que le paysan de l’histoire de tout i I’heure avait compris. Dans I’espace rural, et la paroisse dont nous nous occupons ne fait pas exception, on y articule frkquemment, en simul- tank ou en alternance, les formes ligitimies de mtdiation au surnaturel avec I’appel des sorcikres et des guirisseurs, de mime que cet appel se concilie souvent avec la recherche de la midecine officielle.

Alors mime que les ruraux essayent d’entretenir des relations avec le sacri dans le cadre des limites autorisies par la doctrine, ces relations tendent h assumer un caractere plus immidiat et concret. Pour qu’elles deviennent tangibles et efficaces, il faut mettre en marche un processus de “corporisation”, de “ripresentation matirielle” d’entitis mitaphy- siques (Leach 1976, p. 37). Dans la religiositi paysanne, ce sont les saints- plus que le Christ ou la Vierge, malgri I’importance du culte de Marie - que l’on ilit en tant qu’interlocuteurs priviligiis, en tant qu’intermidiaires ou dispensateurs directs des grices souhaities. Des rapports de “patro- nage divin” s’itablissent alors, puisqu’il s’agit d’ichanges bien qu’ assy- mitriques: la faveur accordie sera payie dans les termes precis d’une promesse prialables (Cutileiro 1977, p. 360). Librement choisis comme objects religieux accessibles et familiers, les saints - c’est-&dire, leur image sacralisie - sont donc rendus responsables de la riponse positive ou negative aux suppliques. C’est ainsi que se met en fonctionnement la logique rigoureuse du “do ut des” que Weber considire comme le trait propre de la “religiositi quotidienne des masses 9 toutes les ipoques, parmi tous les peuples et dans toutes les religions”(l971, p. 449). Cette personnalisation des rapports au sacri suppose, naturellement, non seule- ment la corporisation antropomorphique de l’interlocuteur, mais encore le principe de la libre initiative du croyant, de telle fason qu’il puisse toujours parler du “saint de sa divotion”.

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Dans les collectivitis rurales, cette libre initiative peut i son tour- outre la multiplication habituelle des saints, invoquis en fonction de leurs spicialisations thaumaturgiques respectives - amener i la dispersion plus ou moins grande des divotions individuelles. Mais elle peut aussie con- duire i un certain consensus parmi l’ensemble des villageois, soit en polarisant leurs prifirences sur le saint symbolisateur de la collectiviti (le saint-patron de la paroisse), soit en h i prifirant collectivement un autre saint. Dans la paroisse que nous avons itudiie, bien que le saint-patron (St. Jacques) marque les dates des festivitis locales, les dimensions reli- gieuses se concentrent autour de St. Dominique, qui a beaucoup plus de poids dans la divotion des membres de la collectiviti.

Les promesses faites en vue d’obtenir des faveurs urgentes et les diffi- rentes formes du culte personnalisi des saints semblent, du reste, y conserver une grande vitaliti et dipasser en importance toutes les modali- tis traditionelles d’intervenir aupris des pouvoirs surnaturels afin de risoudre des problimes quotidiens. Diji i la fin du siicle dernier, on regrettait que des cirimonies telles que les priires collectives destinies i favoriser la fertiliti de la terre et l’abondance des ricoltes, soient des “pratiques anciennes”. La divitalisation des rituels est, cependant, tris lente et son incidence rigionale tris diversifiie. La participation i des priires publiques et i la binidiction des champs, du bitail et des maisons reste, d’ailleurs, Pun des domaines oii les options de 1’Eglise sont loin d’ttre homogines. L’attitude de collaboration du curi d’une autre pa- roisse du Nord-Ouest, qui a i t 6 i I’origine de “solennitis grandioses aves la participation de nombreux agriculteurs”, est i opposer au refus net du curi d’une paroisse rurale de la rigion de Lisbonne i rialiser ces cirimo- nies (Riegelhaupt, 1979). Quoiqu’il en soit, la prospiriti des paysans de notre paroisse ne dipend pas de la binidiction des champs et du bitail car celle-ci y est tombie en disuitude depuis longtemps.

O n ne peut pas en dire de meme des sorciires et des guirisseurs. Au niveau du canton, la prioccupation concernant leur existence et leur populariti est manifeste dans I’insistance avec laquelle on en parle dans la presse locale. C’est ainsi que le Noticius de Penufiel, quinze jours apris avoir publii un article condamnant la sorcellerie, a dO rapporter, avec consternation, l’accueil triomphal riservi i une sorciire par les paroissiens d’une iglise voisine.

Ce versant de la religiositi part donc du besoin de trouver des issues aux difficultis quotidiennes et fait appel i la combinaison de techniques itran- gires au domaine du sacri avec des modalitis Iigitimes et illigitimes de manipuler le surnaturel. O n doit en distinguer, bien que la distinction ne soit pas toujours nette au niveau pratique, un autre versant, i savoir, celui difini par le besoin purement religieux de rechercher le salut. Dans le cadre de 1’Eglise catholique, la riponse i cette recherche passe par le monopole sacerdotal de l’administration de la grace. Par consiquent, les

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tentatives de se passer totalement ou partiellement du corps de reprisen- t a t s ligitimes, dont on a eu des manifestations a diffirentes ipoques et chez diffirentes classes et fractions sociales, tendent i provoquer des reactions d’auto-difense de la part de la hiirarchie. La possibiliti d’accis des croyants i la grice a donc pour condition nicessaire le recours h ces midiateurs institutionnels; en pratique, cette condition est igalement suffisante, car on demande moins aux fiddes l’accomplissement des nor- mes de I’ithique chritienne ou I’adhision i la doctrine et i la liturgie en elles-mimes, qu’une fides implicita, c’est-a-dire, une confiance directe et ginirique dans la difinition du dogme, de la doctrine et de la liturgie par I’institution. I1 en risulte I’encouragement h l’acceptation de I’autoriti en tant que valeur essentielle du catholicisme (Lenski 1961, pp. 270 suiv.). O n mesure aisiment I’importance de l’inculcation de cette valeur dans I’apparition d’un habitus de resignation, non seulement au plan religieux, mais sur tous les plans de I’activiti sociale. L’inculcation sera d’autant plus facile qu’elle est dirigie vers des classes dominies dont les conditions d’existence pridisposent davantage 1 la soumission.

Si les aspects les plus significatifs et intenses de la religiositi paysanne semblent se centrer sur le recours instrumental et personnalisi aux inter- midiaires sacris, d i n d’obtenir le contrble et la solution des difficultis de chaque jour, la preoccupation du salut de I ’ h e , bien que plus lointaine, ne cesse pas pour autant de diterminer aussi des demandes religieuses. Celles-ci tendent, cependant, i se limiter i la valorisation des comporte- ments extirieurs. Leite de Vasconcellos (1958, p. 508) trouve ce forma- lisme chez les Portugais en opposition i une viritable religiositi: “Le catholique (. . .) se confesse h I’ipoque du careme pour se disobliger (. . .) I1 assiste h la messe hors de I’iglise, dans le parvis . . .”. Au niveau local, le Noticias de Penufiel dinonce continuellement ce formalisme, accusant souvent les pritres de manque d’engagement ou d’incapaciti i “persua- der” leurs paroissiens.

Mime si l’on ne fait pas toujours du besoin de salut une vertu, il va nianmoins dans le sens de l’attachement paysan au ritualisme. La partici- pation au rituel rivile son efficaciti non seulement dans la cilibration du groupe et la transmission des heritages traditionnels, mais encore dans I’accomplissement des obligations et d’acceptation de la norme qui fixe et rkgle les hiirarchies. Les diffirents rites contribuent de faCon significative i la reproduction des habitus de cette petite tradition tenace, telle que la pidagogie intentionnelle de I’Eglise, traduite et riinterpritie h partir des conditions d’existence locale, continue de I’assurer. Dans une bonne mesure, I’inculcation des systimes des dispositions relatives au sacri a igalement lieu dans le cadre de la socialisation intra-groupe comme risultat du procis global d’intigration dans la collectiviti. La famille, en particulier la mire, continuent de jouer h ce titre un rble priviligii.

Dans la paroisse, les membres des groupes domestiques des paysans h

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temps-partiel qui travaillent en ville ont une influence nette et croissante, non seulement aupris de leurs fa i l les , mais sur tout I’espace social local. Toutefois, il est ivident que la direction de la socialisation a deux sens. Le sens le plus faible part du groupe i predominance de personnes agies et de femmes, davantage lii au travail agricole, vers celui aux caractiristiques opposies. I1 a pour contenu fondamental, pricisiment, les instruments traditionnels d’iducation, ou la composante religieuse joue un rble impor- tant. I1 n’est pas rare que des jeunes salaries en ville friquentent occasion- nellement 1’Eglise pour iviter de diplaire i leur mires. Mais ces compro- mis impliquent en giniral des contreparties. En schimatisant, on pourrait parler d’un systime intra-familial de transactions symboliques oii la mon- naie de socialisation prend, naturellement, des valeurs diffirentes.

I1 est certain que, grCce h la combinaison de plusieurs moyens, personne n’ichappe encore aujourd’hui 1 l’iducation religieuse dans le village itu- dii. Du reste, la conscience que l’iducation religieuse joue les fonctions complexes de “domestiquer”, de moraliser et de conserver la tradition, resor t clairement d’une riflexion faite par un mitayer local: “La religion est une iducation comme l’icole; elle enseigne le respect. Aller 1 la messe est un devoir qui passe de pire en fils”. Ces remarques montrent i quel point ce mitayer persoit en outre deux Climents essentiels: d’un c&i, le renforcement de la socialisation familiale soit par I’icole soit par I’Eglise; d’un autre &ti, l’homologie mime entre ses deux institutions (Cf. Bour- dieu & Passeron 1970, pp. 70 sub.).

Pritres et marcht des biens religieux

L’un des iliments qui permet d’ivaluer les modifications que connait 1’Eglise au niveau local est le comportement des prttres. Plus importantes encores sont les attitudes des paroissiens i l’igard des curis, et pas exclusivement en matiere de foi: elles sont susceptibles de reviler non seulement certaines dimensions des idiologies et des comportements des paroissiens, mais encore leurs conditions sociales d’existance.

Dans la religiositi populaire, de mtme que le rapport aux entitis mitaphysiques est rendu plus aisi par la presence rielle de I’image du saint, ainsi la structure abstraite ou lointaine de 1’Eglise tend h se risumer et se concentrer dans la figure du prttre. Etre en accord ou en disaccord avec la religion, faire preuve de conformisme, indiffirence ou rivolte, tout cela dipend friquemment de la fason dont les paroissiens ivaluent le comportement des pritres qui ce succkdent i la t6te de la paroisse.

La mimoire des paroissiens les plus ages leur permet de remonter i des ipisodes du dibut du siicle. Aussi se souviennent-ils de deux pretres qui se sont succidis dans la paroisse: le premier, qui a mime i t i arriti en 1913 au cours de la piriode violemment anti-cliricale qui a suivi la proclamation de la Ripublique; et le second, qui s’est maintenu dans la paroisse presque

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jusqu’i la fin de la seconde Guerre Mondiale. Ce dernier a laissi le souvenir d’un homme trks populaire, ouvert i des nouvelles initiatives telles que les riunions de jeunes et I’Action Catholique, et conciliateur vis- i-vis du conflit entre la “purification” de la foi et le “pantheisme” paysan.

I1 vaut la peine, cependant, d’insister sur les deux derniers curis de la paroisse: celui qui y exerce encore actuellement et son pridicesseur, qui s’est maintenu de 1943 jusqu’i son dices en 1978’.

Dans une interview accordie en 1977, I’ancien curi a cherchi i difinir les traits fondamentaux de son attitude et de son action. Dans une riunion de pritres de la rigion, en 1941, il avait rendu publiques ses convictions dimocratiques: lorsqu’il a i t i interrogi sur ses attitudes politiques, au cours de cette riunion ou le pro-nazisme itait de regle, il n’a pas hisite i ripondre qu’il itait “lusophile” et qu’il considirait que toutes les dictatu- res itaient condamnies. A propos des ivenements du 25 avril 1974, il laissait transparaitre une cenaine inquiitude i I’igard de la disunion et de I’intranquilliti qui, i son avis, se ripandaient dans le pays, mais il ne cessait pas d’affirmer sa tolirance i I’igard des communistes. En matiere de culte et liturgie, il se considirait “progressiste”. Au cours des travaux dans les chapelles de St. Bartholomi et de St. Dominique qu’il a entrepris i plusieurs reprises, soit h son initiative, soit h la suite de promesses, il a dicidi de faire construire dans I’une des chapelles un autel en pierre afin d’y cilkbrer la premiere messe face au public. Cette pratique itait encore peu courante a I’ipoque, et il itait fier de l’avoir introduite grPce i un subterfuge: lors d’une des rares visites de l’ivique auxiliaire, il l’a invite i visiter la chapelle tout en lui suggirant, alors que l’ev2que pouvait diffici- lement le refuser, de binir I’autel.

Cependant, le cur6 ne cachait pas son manque d’enthousiasme vis-i-vis des riunions ilargies. I1 leur prifirait des recontres avec des personnes de confiance, afin de priparer les dicisions qui avaient des effets importants dans la vie religieuse locale. Par ailleurs, tout en rejetant des responsabili- tks dans I’extinction de deux organisations autrefois en fonctionnement dans la paroisse (la Jeunesse Catholique et la Ligue Eucharistique), il ne cachait pas que, selon lui, les membres de la Jeunesse Catholique s’intires- saient i “tout” sauf aux buts de l’organisation. Le “tout” dont il parlait itait une allusion h peine voilie aux objectifs irotiques inavouis des jeunes catholiques. Selon Ies timoignages locaux, c’itait i cause de la misogynie du vieux curd, dont la mifiance h I’igard des femmes - considiries comme l’incarnation du diable - itait proverbiale, qu’il avait mis fin aux activitis de la Jeunesse Catholique. La mime mifiance aurait e t i igalement 1 l’origine de son refus de prCter le salon paroissial i d’autres fins que les mariages et les baptimes, ainsi que son hostiliti aux composantes plus joyeuses des festivitis, notamment les bals, dont il itait certain qu’elles

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entrainaient au pichi; enfin, il itait aussi oppose en principe h la tilevision et au cinima.

O n s’accorde facilement, dans la paroisse, pour lui attribuer aussi des tendances autocratiques: il aimait h dicider seul des problimes impor- tants et, lorsqu’une opposition se manifestait, on itait certain de soulever sa colire et ses menaces d’abandonner la paroisse. Certains font allusion, avec ironie, aux contradictions entre les paroles et les actes de l’ancien cud . O n donne comme exemple la fason dont il prophitisait aux riches, au cours de maintes homilies, leur quasi impossibiliti de salut, alors qu’il leur accordait un traitement de faveur dans l’iglise mime, en faisant installer des chaises et des coussins dis qu’un reprisentant des “forces vives” locales approchait. En outre, c’itait aupris des “grandes familles” qu’il recrutait les membres de la commission chargie de certaines d0libCra- tions religieuses.

En ce qui concerne son comportement politique, on l’a mime accusi de caciquismo explicite et intentionnel. Tout le monde s’accorde, en tout cas, pour reconnaitre qu’il se milait ouvertement de politique dans l’iglise et ne se privait pas de prendre parti. Ceci a d’ailleurs donne lieu i plusieurs desertions de la messe et h l’indignation de nombreux paroissiens. Le malaise entre le cure et une partie importante des villageois itait donc notoire. Des critiques et des plaintes non dissimulies itaient adressies de part et d’autre. Le malaise iclatait i propos de toutes sortes de pritextes, depuis l’eau destinie au potager du curi, jusqu’aux autels qu’il a fait retirer d’une chapelle et qui itaient la propriiti de “notables”. De l’avis de nombreux villageois, c’est 1 cause d’un rapport tres difavorable sur la paroisse, qu’il a envoyi h la hiirarchie, que celle-ci n’a pas disigne de pritre risident pour le remplacer apris son d i cb .

Malgri ces plaintes et ces heurts, les paysans les plus ages ne cachent pas une certaine nostalgie h I’igard du cure disparu. Des descriptions qui nous en ont i t i fakes, il resor t l’image d’un pritre-pire, qui grondait et pardonnait, qui forpi t et transigeait, enfin qui assurait une disponibilitt? midiatrice permanente entre les choses divines et les choses humaines. En dehors de l’orgueil collectif blessi, il est certain que quelques formes de divotion traditionnellement importantes dans la paroisse, telles que le culte des morts, ont i t i directement affecties par la perte du cure resident.

I1 n’est pas difficile d’imaginer le ressentiment des paroissiens, fiers de leur village et de leur religiositi, en voyant se prolonger sans issue une situation o i ~ ils ne peuvent compter que sur les visites espacies du nouveau curb, qui doit ripandre son ministire sur trois paroisses. “Les nouveaux curis ne veulent pas travailler: ils veulent accomplir I’obligation de la messe et i tre libres, ensuite, de se promener en voiture”. Des commentai- res de ce genre, frequents dans la bouche des paysans agis, traduisent clairement le ressentiment giniral. La voiture, autrefois inutile et inimagi- nable, fonctionne maintenant comme le syrnbole de I’indbirable mobiliti

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de quelqu’un qui a cessi de partager la vie quotidienne de ses paroissiens. A travers cela s’exprime aussi, pour certains, le jugement nigatif sur un type de prttres peu sensible aux besoins religieux traditionnels et peu disposes a transiger avec eux. En ce qui concerne les festivitis locales, elles ne jouissaient pas, dans I’ensemble, du soutien de l’ancien curi, mais avec le nouveau la situation s’est encore aggravie. Celui-ci est constamment en train d’introduire des changements qui vont clairement dans le sens de la “purification” du culte et des sacrements. C’est ainsi, par exemple, qu’on a Climini les composantes dramatiques et spectaculaires des cirimonies de la communion solennelle, en exigeant en revanche une priparation de plus en plus grande des jeunes qui vont la faire. Et s’il n’y a pas encore eu de conflits avec les paroissiens, au cours de ces breves annies, i propos des regles du bapttme, du mariage et des funirailles, il est probable que cela se produise i I’avenir en fonction, pricisiment, de la rigueur croissante actuellement imposie par le curi.

Tous ces traits ne pouvaieiit manquer de susciter des reserves, voire du micontentement, i I’igard du nouveau prttre. L’un des indices de la resistance i considirer sa nomination comme difinitive reside dans le refus giniralisi de l’appeler par son nom, comme il a toujours i t 6 d’usage, en le disignant plut6t du norn de la paroisse oh il a i t 6 nommi en premier.

En revanche, ce qui constitue pour certains un motif d’iloignement, suscite chez d’autres des mouvements de rapprochement et d’estime. I1 est certain qu’une partie des salariis et des paysans moins agis et moins traditionnalistes se sont d i j i iloignis de la pratique religieuse riguliere; mais il n’en reste pas moins qu’un secteur important de ces couches demeure lii au catholicisme et voit d’un bon oeil quelques innovations recentes, y-compris l’intransigeance avec les anciennes formes “supersti- tieuses” de la foi et du culte. O n appricie la flexibiliti du nouveau prttre i cider le salon paroissial, qu’il a diji prtt i , par exemple, pour des riunions du bureau du club de football. Les jeunes catholiques plus modernisis du village, qui ont les moyens de locomotion pour retrouver le cure hors de la paroisse, font par ailleurs l’iloge des nouveaux cours de priparation au mariage, commences en 1979, et dont la frequentation est appelie i devenir obligatoire - dit-on - pour tous ceux qui voudront recevoir le sacrement. O n fait Cgalement I’iloge de I’ilan donne au catichisme, qui fonctionne actuellement de fason riguliere. Enfin, tous ceux qui repro- chaient au vieux cur6 de se mtler de politique applaudissent, chez le nouveau, son abstention dans le temple i ce sujet: “I1 n’emploie que 1’Evangile”. Cependant, au cours de la campagne ilectorale pour les ligislatives de 1979, il a dimenti son impartialiti antirieure en provoquant un fort malaise parmi ses adeptes de gauche.

Nous ne prdtendons pas digager I’ivolution modale de I’Eglise catho- lique portugaise, dans sa configuration rurale, i partir des caractiristiques rapidement ibauchies - des prttres qui se sont succidis dans la paroisse.

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En revanche, on peut accepter que certaines evolutions - dans la mesure mtme 06 elles sont influencies par des processus i la portie ginhale, tels que la “crise des vocations” ou la diruralisation croissante des prttres et des paroissiens - tendent non seulement i ridifinir, au village, les term es de l’offre et de la demande religieuse, mais encore que ces evolutions correspondent globalement i ce qui se passe dans d’autres paroisses rurales portugaises.

Des fractions de paysans i temps-partiel plus jeunes, des membres de la petite bourgeoisie moderne et, d’une faCon ginerale, ceux qui travaillent en ville, montrent dij i , ainsi que nous l’avons indiqui, un ditachement vis-i-vis des choses de I’Eglise. Tout au plus, ils maintiennent certaines pratiques imposies par le conformisme social et affectif. Des couches sociales au recrutement proche de celles-li, auxquelles s’ajoutent les pay- sans en voie de modernisation, semblent reviler, i leur tour, une ivolution dans leurs nicessitis et leurs demandes religieuses en synchronie, partielle- ment au moins, avec les transformations de l’offre. En tout cas, pour eux, le cure a cessi de constituer “l’tliment structurant central de la commu- nauti villagoise” (Suaud 1978, p. 131). C’est pourquoi on le dispense d’ttre prisent en permanence dans le village, de mtme qu’on le dispense de transiger avec les vieilles formes du culte, ainsi que du comportement paternaliste qu’ils critiquaient d i j i avant. En revanche, ils veulent que les domaines de compitence de 1’Eglise soient clairement difinis. L’Eglise doit se limiter i jouer le r d e de midiatrice avec le surnaturel et le salut, en excluant donc les formes traditionnelles d’interfirence dans le domaine social et politique.

Cependant, les indiffirents religieux et les catholiques “modernes” ne semblent pas constituer, dans la paroisse, des groupes de rtfirence rtci- proquement nigatifs (Campbell 1971, pp. 142 suiv.). La proximiti mime des origines, des trajets et des situations sociales contribue i reduire, chez eux, les effets de distance et de contradiction auxquels la divergence religieuse peut, dans d’autres conditions, donner lieu.

I1 y a en tout cas un groupe dont les nicessitis et demandes religieuses sont irrimidiablement condamnies i ne plus trouver d’offre satisfaisante: c’est celui dont le systime de dispositions, rendu rigide par un long trajet sans alternative aux conditions d’existence rurale, ne laisse pas de marge d’adaptation aux nouveaux processus sociaux. I1 s’agit avant tout des vieux paysans, dont l’insatisfaction religieuse ne constitue qu’un des aspects de la marginaliti globale dans laquelle ils sont de plus en plus rejetis.

Aucune pinurie de vocations cliricales ne peut justifier, i leurs yeux, l’affront fait i la paroisse et i eux memes d’ttre privis d’accompagnement rigulier par quelqu’un qu’ils puissent interpeller i tout moment afin de risoudre des questions religieuses et profanes. En outre, au cas ou I’on parviendrait i nommer au village un cure resident, celui-ci correspondrait selon toute probabiliti i l’image inacceptable du prttre fonctionnaire, h la

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fois rigide h l’igard des formes du culte et de la foi et peu disponible aux sollicitations traditionnelles. “Les nouveaux curis sont comme les pro- testants: ils veulent se dibarrasser des saints”. O n mesure h ce commen- taire la profondeur des dissonances avec le nouveau cours liturgique et thiologique, dont les chances de renversement peuvent Stre disormais tenues pour nulles. I1 reste donc h cette couche vieillie le recours a un anti- clericalisme de type personnalisi et rigionaliste, nourri davantage de nostalgie et d’amertume i I’igard du “bon vieux temps” que d’ardeur h combattre 1’Eglise en tant qu’institution: “Les curis ont un peu vaincu notre paroisse”

NOTES

1. Pour une recension des usages de la notion de religion populaire et de ses champs d’application, cf. Pace, 1977, pp. 95 passim.

2. Serrazina (s.d.), p. 186; voir aussi Descarnps 1935, pp. 86 passim. 3. Une analyse pareille, pour Ie Nord de 1’Espagne: Christian, Jr. (1972); voir aussi Pina

Cabral (1981), pp. 83 suiv.

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R ~ S U M ~

Dans un pays i tradition catholique ancienne et tenace, on essaye d’analyser quelques dimensions de la religiositi i la campagne. On a choisi une rigion du Nord-Ouest, au peuplement dense et dispersi, oh I’agriculture funiliale se caractirise par son morcellement et par un haut faux de fermage. A partir des annies soixante, I’imigration traditionelle ckde peu i peu la place i des migrations quotidiennes: les ruraux travaillent i la ville, mais consetvent leur exploitation agricole et leur rtsidence i la campagne. En mPme temps qu’on observe une modernisation des biens religieux offerts, on voit que la transformation de la structure sociale locale est en train de briser I’hornoginCitC relative des demandes et des formes de consommation des biens symboliques.

ABSTRACT

This article analyses some aspects of religiosity in the countryside, in a country with an ancient and deep-rooted catholic tradition. It focuses on a northwestern area where the population is dense and dispersed with fragmented family farms and a high proportion of tenant fuming. From the sixties onwards, traditional emigration has progressively been replaced by increasing commuting; people are working in the cities but keeping farms and living in the villages. While the religious goods supplied are being modernized, transforma- tion of the local class structure is breaking down the relative homogeneity of demand and forms of consumption of these symbolic goods.

KURZFASSUNG

In einem Land mit Ianger und tief verwurzelter katholischer Tradition wird versucht, einige Dimensionen lindlicher Religiositit zu analysieren. Es wurde eine Region im Nordwesten ausgewihlt mit dichter, aber disperser BevBlkerung und einer kleinpuzellierten familienbe- trieblichen Landwirtschaft mir hohen Pachtlandanteilen. Seit den 60er Jahren hat die tradi- tionelle Auswanderung zunehmend einer ansteigenden Pendelwanderung rnit Lohnarbeit in der Stadt ohne Aufgabe des landwirtschaftlichen Betriebes und der Wohnung im Dorf Platz gemacht. Gleichzeitig mit einer Entwicklung zur Modernisierung im Angebot religicser Giiter ist auch die Umgesdtung der klassischen dBrflichen Struktur im Begriff, die relative Einheitlichkeit der Nachfnge nach und des Gebrauchs von Giitern dieser Art aufzubrechen.