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LES FORMES DE LA CONTESTATION. SOCIOLOGIE DES MOBILISATIONS ET THÉORIES DE L'ARGUMENTATION Juliette Rennes BSN Press | A contrario 2011/2 - n° 16 pages 151 à 173 ISSN 1660-7880 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-a-contrario-2011-2-page-151.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Rennes Juliette, « Les formes de la contestation. Sociologie des mobilisations et théories de l'argumentation », A contrario, 2011/2 n° 16, p. 151-173. -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour BSN Press. © BSN Press. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_paris8 - - 193.54.172.124 - 04/05/2012 15h08. © BSN Press Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_paris8 - - 193.54.172.124 - 04/05/2012 15h08. © BSN Press

Rennes - Formes de Contestation

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LES FORMES DE LA CONTESTATION. SOCIOLOGIE DESMOBILISATIONS ET THÉORIES DE L'ARGUMENTATION Juliette Rennes BSN Press | A contrario 2011/2 - n° 16pages 151 à 173

ISSN 1660-7880

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-a-contrario-2011-2-page-151.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Rennes Juliette, « Les formes de la contestation. Sociologie des mobilisations et théories de l'argumentation »,

A contrario, 2011/2 n° 16, p. 151-173.

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Les formes de la contestation.Sociologie des mobilisations et théories de l’argumentationJuliette Rennes

Il n’existe guère de mobilisation sans dimension argumentative, ni d’argumentation

publique sans acteurs mobilisés. Pourtant, les travaux d’analyse argumentative sur des

corpus de textes protestataires et les travaux de sociologie des mobilisations tendent

souvent à s’ignorer. On pourrait ajouter, autre paradoxe, que ces deux courants de

recherche s’intéressent chacun, sous des angles différents, à la régularité des formes

de pratiques contestataires mobilisées au sein de séquences historiques pouvant rele-

ver de la «longue durée»: d’un côté, des travaux d’argumentation font ressortir le

nombre limité des types argumentatifs ou topoï auxquels ont recours différentes géné-

rations d’acteurs dans des contextes différents; de l’autre, la sociologie historique des

mobilisations – inspirée notamment des travaux de Charles Tilly – met en lumière

un tel principe de rareté concernant les «répertoires d’actions» des acteurs mobilisés

pour défendre une cause1.

Tout en formulant quelques hypothèses sur cette division du travail dans l’analyse

des pratiques contestataires, cet article vise à suggérer des pistes d’articulation entre

ces deux approches. Il s’appuie sur une recherche en cours portant sur diverses reven-

dications d’égalité en droit qui se sont structurées en mouvements sociaux dans

l’espace public français et européen entre le dernier tiers du XXe siècle et la période

contemporaine. Les exemples analysés sont donc marqués par cette délimitation chro-

nologique et par l’enjeu égalitaire qui les rend comparables, mais les propositions

méthodologiques qui seront développées visent à être confrontées à d’autres formes de

mobilisations.

En explorant quelques possibilités d’analyse articulée des formes verbales et non

directement verbales de la contestation, je m’intéresserai aux déplacements que ce

type d’articulation peut opérer au sein de chacune des deux approches. D’un côté,

l’approche argumentative montre comment, pour défendre

une cause et attaquer des adversaires, les acteurs engagés

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1 Voir Tilly 1986, 2006, 2008.

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{ Articles Les formes de la contestation. Sociologie des mobilisations et théories de l’argumentation

tendent à puiser dans des types d’arguments qui s’inscrivent dans la longue durée:

comme la sociologie historique de l’action collective, mais en s’inscrivant dans des

temporalités différentes, cette perspective peut contribuer à restituer une part de leur

profondeur historique aux mobilisations les plus éphémères et les plus contem po -

raines, parfois catégorisées comme «nouveaux» mouvements sociaux, sous l’angle de

l’objet de leur revendication et de leurs modes d’organisation. De l’autre, l’analyse

sociologique de l’émergence des mobilisations et du travail militant peut permettre de

dépasser l’apparente immobilité des cartographies de paires d’arguments opposés qui

structurent des conflits sur plusieurs décennies, voire sur plusieurs siècles, en mon-

trant comment cette longue durée des discours et des arguments est sans cesse réin-

vestie par des acteurs qui les expérimentent à l’épreuve de situations inédites, dépla-

çant ce qui est pensable, dicible et réalisable. Dès lors, cette articulation entre

sociologie des mobilisations et analyse argumentative n’est pas sans poser un certain

nombre de difficultés méthodologiques. Elle implique en effet de ne pas écraser les

différents niveaux d’historicité qui traversent un conflit: celle des répertoires

d’actions , celle des types d’arguments, celle des discours (ou des formations dis cur -

sives), et celle des acteurs sociaux.

Répertoires d’actions et répertoires d’arguments

Les enquêtes conduites par Charles Tilly entre les années 1980 et les années 2000 sur

l’histoire des formes de contestation en Europe depuis le XVIe siècle ont débouché sur

un certain nombre de conceptualisations qui, tout en évoluant en relation à l’épreuve

d’autres travaux, ont continué à être très largement mobilisées dans la sociologie

contemporaine. Parmi les modèles les plus utilisés, celui relatif aux «répertoires

d’action» met en relief le nombre restreint des formes de l’action collective sur une

longue durée et les facteurs structurels qui expliquent l’inertie et la transformation de

ces répertoires, des émeutes du grain et des charivaris du XVIe siècle aux manifesta-

tions de rue et grèves ouvrières du XIXe siècle2. La structuration étatique de l’espace

national, le développement du capitalisme et l’évolution des moyens de communica-

tion contribueraient à expliquer la transformation des répertoires d’actions au cours

du XIXe siècle, notamment leur nationalisation.

Dans les études d’argumentation, la métaphore du répertoire n’est pas aussi stabili-

sée et théorisée que dans la sociologie historique des mobilisations. Cependant, si elle

signifie, dans la perspective ouverte par Charles Tilly, la

capacité d’acteurs individuels et collectifs à forger des

modes d’action s’inspirant de formats préexistants, si

bien que chaque performance, à l’instar d’un concert de

2 Pour un bilan des usages et despoints de discussion que soulèvece modèle, voir par exempleFillieule 2010.

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jazz, est à la fois typique et singulière, cette métaphore semble également opératoire

d’un point de vue argumentatif. De fait, des analyses argumentatives de corpus les

plus variés visent souvent à montrer comment des acteurs thématisent et hié rar -

chisent de façon inédite des arguments puisés dans des stocks de topoï qui leur pré-

existent, autrement dit des «réservoirs de lieux communs», pour employer une image

cette fois courante dans les études d’argumentation3. L’identification et le classement

des topoï présentent de ce point de vue une certaine homologie avec le travail qui

consiste à répertorier «le stock limité de moyens d’actions à la disposition de groupes

contestataires à chaque époque et dans chaque lieu» (Péchu in Fillieule, Mathieu &

Péchu 2009: 454).

Cependant, les typologies argumentatives épousent plus rarement une perspective

historique que les typologies des formes d’actions collectives. D’Aristote à Cicéron et

Quintilien, de Locke ou Leibniz à Douglas Walton en passant par Chaïm Perelman4, un

grand nombre d’auteurs qui répertorient «les enchaînements argumentatifs en fonc-

tion du lien particulier qui unit la ou les prémisse(s) à la thèse ou conclusion» (Doury

2004: 59) visent à éclairer non pas les modalités argumentatives propres à une époque

et un lieu déterminés, mais potentiellement l’ensemble des échanges argumentatifs

existants. Dès lors, ces topiques ne s’inscrivent pas seulement dans une longue durée,

mais dans une perspective transhistorique, voire anthropologique: les arguments

répertoriés par Aristote – tels l’argument d’incompatibilité, l’argument a contrario,

l’argument par la cause, par la définition ou par le pré -

cédent (Aristote 1990, 2003) – nous informent encore sur

les «schèmes» ou les «moules argumentatifs» des raison-

nements contemporains. La perspective historique est

davantage présente lorsque l’on commence à préciser les

thématisations récurrentes de ces arguments, c’est-à-dire

à s’intéresser à la dimension sémantique des enchaîne-

ments argumentatifs. Par exemple, on analysera sur un

corpus longitudinal cet argument spécifique par les

conséquences qu’est l’argument de la décadence ou cet

argument causal qu’est l’argument conspirationniste.

Loin d’être incompatible avec une visée typologique, ce

genre d’approche vise précisément à faire ressortir des

formes de stabilité et de récurrence à l’intérieur de périodes

historiquement déterminées, qui peuvent relever de la

longue durée. C’est le cas, par exemple, dans Deux siècles de

rhétorique réactionnaire d’Albert Hirschman (1991), dans les

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No 16, 2011 a contrario

Les formes de la contestation. Sociologie des mobilisations et théories de l’argumentation Articles }

3 Inspirées de la théorie des topoïissue de l’ancienne rhétoriquearistotélicienne, les métaphorespour penser les régularités argu-mentatives sont plus souventspatiales que temporelles. Parexemple, la métaphore de la«carte argumentative» renvoieaux arborescences argu men ta -tives types d’un conflit (à telargument répond en général telargument qui se trouve ensuiteréfuté par un autre argumenttype, etc.). L’intérêt du terme de«répertoire» et de la référence aujazz par rapport à l’image de lacartographie d’un débat est préci-sément de pouvoir intégrer cettemodulation temporelle desusages argumentatifs.

4 Sur les typologies formellesdepuis Aristote, voir Plantin2010.

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travaux de Marc Angenot sur les grands récits militants des XIXe et XXe siècles (2000),

sur la rhétorique pamphlétaire de 1868 à 1968 (1995), ou encore dans les analyses de

Raphaël Micheli (2010) sur les débats parlementaires relatifs à l’abolition de la peine de

mort depuis la fin du XVIIIe siècle en France.

Dit autrement, au sein des typologies argumentatives, on peut distinguer deux

approches légèrement différentes qui s’alimentent mutuellement et peuvent d’ailleurs

coexister au sein d’une même étude. D’un côté, on cherche en priorité à définir des

structures formelles de raisonnement et d’argumentation transversales à la plus

grande variété de corpus et de situations de communication. De l’autre, on tend plutôt

à rendre compte de modes de raisonnement et d’argumentation propres à des posi-

tionnements, des arènes et/ou des genres discursifs historiquement déterminés. Dans

cette seconde approche, on renonce à la perspective trans- (ou a-) historique pour

coller à l’historicité des idéologies, des «discours», des «formations discursives».

Mais à la différence de la perspective ouverte par Michel Foucault (1969), une histoire

discursive, dès lors qu’elle se constitue à travers un prisme argumentatif, implique la

prise en compte des phénomènes d’orientation et de réorientation de ces discours dans

des dispositifs de persuasion, de réfutation, de ralliements, bref une focalisation sur

les processus de conflictualité sociale.

Or, bien que cette seconde approche – que Marc Angenot qualifie de «rhétorique

historique» – ait souvent porté sur des corpus contestataires, ses apports sont peu

mobilisés en sociologie des mobilisations5. Dans le champ des travaux d’histoire argu-

mentative des idéologies, l’étude de Hirschman est certes connue au-delà des spécialis-

tes de l’argumentation et du discours, mais dans la mesure où elle est circonscrite à

l’analyse de trois types d’arguments contre l’égalité ou la démocratisation, elle ne pré-

tend rendre compte ni de l’ensemble des répertoires argu-

mentatifs conservateurs/réactionnaires de ces deux der-

niers siècles, ni a fortiori de l’ensemble des répertoires

«progressistes» et de fait, elle est plus souvent articulée à

une sociologie des mobilisations des groupes dominants

qu’à une sociologie des mouvements contestataires. Et s’il

existe certaines études de cas qui mettent en lumière pour

telle ou telle mobilisation à la fois ses discours et ses for-

mes d’actions, rares sont les tentatives d’analyse des rela-

tions dialectiques entre ces deux niveaux de lutte, à

l’exception de quelques travaux, comme celui de Marc

Steinberg (1995) concernant les mobilisations des ouvriers

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a contrario No 16, 2011

{ Articles Les formes de la contestation. Sociologie des mobilisations et théories de l’argumentation

5 Si l’on trouve une entrée«répertoire d’actions»  et «ana-lyse des cadres» dans Le diction-naire des mouvements sociaux éditéaux Presses de Sciences Po en2009, on notera par exemple l’ab-sence d’entrée pour «argument»,«argumentation», «argumen-taire» ou «discours», ce qui nesaurait être considéré comme un«manque»  ou un oubli, dans lamesure où ce dictionnaire a pré-cisément vocation à rendrecompte des approches et desconcepts les plus utilisés ensociologie des mobilisations(Fillieule et al. 2009).

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tisserands à Londres dans les années 1820. Dans cette étude, Steinberg, sans convoquer

à proprement parler une analyse de la dimension argumentative des affrontements ni

inscrire ses recherches dans la longue durée, entend montrer les homologies et les

relations entre l’interdiscursivité (interdépendance entre discours ouvriers et contre-

discours patronaux) et l’interaction (interdépendance entre formes d’actions ouvrières

et dispositifs de résistance et de répression patronales). On pourrait creuser à mon

sens cette perspective d’analyse sur des séquences historiques plus amples et enrichir

la compréhension de ce processus d’interrelation et de conditionnement mutuel entre

formes verbales et non verbales des conflits en intégrant une perspective d’analyse

argumentative.

Comment expliquer cette faible présence des travaux sur l’argumentation dans

l’analyse des mobilisations? Il me semble que l’écart entre deux formes de «techni-

cité» hétérogènes (celle des outils d’analyse langagière et celle des méthodes sociolo-

giques), ou encore l’existence d’une réticence sociologique envers le supposé idéalisme

des paradigmes linguistiques et discursifs ne constituent pas des explications satis fai -

santes. Au contraire, plusieurs courants contemporains de la sociologie des mobilisa-

tions, loin d’être indifférents aux composantes discursives de la protestation, se sont

approprié un certain nombre d’outils des disciplines du langage et du discours. Par

exemple, sous l’influence de l’analyse des «cadres» de l’École de Chicago et/ou, plus

récemment, de la sociologie pragmatique française, les théories du récit et des figures

rhétoriques ont été mobilisées pour analyser la dimension narrative des affrontements

et typifier les récits que des acteurs engagés dans un conflit produisent pour définir le

problème qu’ils dénoncent, lui attribuer des causes, des responsables et des solutions6.

Ces récits et ces contre-récits ont évidemment une dimension argumentative dans la

mesure où ils sont orientés vers un certain type de conclusion pratique (par exemple,

selon qu’on représente un problème social comme causé par la misère et la discrimina-

tion ou par le nombre trop élevé d’immigrés, on suggère des solutions différentes),

mais la forme narrative est loin de caractériser toutes les pratiques argumentatives, si

l’on entend ici par argument l’ensemble des raisons avancées par des acteurs mobilisés

et leurs adversaires pour accréditer leur position dans un conflit (Plantin 2002).

On peut faire l’hypothèse que si les analyses des répertoires d’actions et des réper-

toires d’arguments sont difficiles à articuler, c’est notamment parce que les

contraintes qui contribuent à raréfier les argumentaires

dis po nibles dans un conflit et celles qui restreignent l’am-

plitude des répertoires d’action pour ce même conflit sont

de nature assez hétérogène. Par exemple, d’un point de

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No 16, 2011 a contrario

Les formes de la contestation. Sociologie des mobilisations et théories de l’argumentation Articles }

6 Sur le courant pragmatique,voir par exemple Éric Doidy inFillieule, Mathieu & Péchu (2009:161-167) et sur l’analyse des cadres, Contamin 2010.

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vue étatique et légal, les dispositifs juridiques qui encadrent l’action collective – à

travers l’interdiction de porter atteinte au droit de la propriété, à l’intégrité des per-

sonnes, aux biens publics, à la liberté de circuler… – n’ont que de faibles relations

avec les normes sociales et les lois qui définissent – par exemple à travers la répres-

sion légalisée d’un certain nombre de «crimes de parole» – ce qui peut être dit dans

cet espace public (Desmons et Paveau 2008). En outre, si les caractéristiques poli-

tiques, sociales ou professionnelles d’un groupe mobilisé, ses ressources, ses compé-

tences et son environnement matériel déterminent en partie ses possibilités d’action

(certaines performances sont écartées car trop coûteuses au sens propre et figuré, ou

exigeant un agencement spatial impossible à organiser, ou impliquant un trop grand

nombre de participants, ou encore supposant l’existence de certains savoir-faire dont

le groupe mobilisé s’estime privé…)7, le choix, la circulation et la reprise des argumen-

taires sont beaucoup moins attachés à des conditions matérielles de réalisation et à des

compétences spécifiques du groupe mobilisé: sur un thème donné, un groupe A peut

ne pas être en mesure de reproduire, pour toutes les raisons mentionnées plus haut,

les modes d’action d’un groupe B, tout en se réappropriant les arguments forgés par le

groupe B qui peuvent tout à fait circuler dans l’espace social indépendamment des

formes d’action auxquelles ils sont initialement attachés.

Inversement, des groupes porteurs de revendications aux contenus très différents

peuvent s’emprunter des formes d’actions supposées accessibles et efficaces, alors

même que leurs argumentaires seront très hétérogènes. Par exemple, certaines tech-

niques de lutte des collectifs mobilisés pour les droits des homosexuels des années

2000 – telles les stratégies de perturbation d’événements médiatisés – sont proches

de celles d’activistes écologistes ou de militants altermondialistes de la même période,

mais leurs argumentaires, centrés sur l’égalité des droits, ont souvent plus en commun

avec les revendications féministes des années 1880-1930 (Rennes 2007b): la mutation

des arènes médiatiques et militantes n’affecte pas de la même façon les ressources

argumentatives et les performances militantes. Ainsi, dans la mesure où la reprise par

des acteurs mobilisés d’argumentaires qui ont déjà «servi» dans d’autres mobilisa-

tions ne va pas forcément de pair avec le processus «d’imitation» entre mobilisations

de «formes de contestation qui marchent» (Tilly 2008: 149), étudier conjointement

répertoires d’arguments et d’actions amène à prendre en considération leurs dif fé -

rences d’historicité.

Cependant, cette hétérogénéité structurelle entre

formes verbales et non verbales d’un conflit n’en coexiste

pas moins avec des processus, parfois décalés et

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a contrario No 16, 2011

{ Articles Les formes de la contestation. Sociologie des mobilisations et théories de l’argumentation

7 Sur ce point, voir par exempleOfferlé 2008 et Cefaï 2007: 247-259.

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asynchroniques, d’interaction et d’intrication entre ces deux niveaux de lutte. Une

forme d’action collective peut être mobilisée parce qu’elle correspond à l’une des

modalités d’action routinisées du groupe en question, parce qu’elle est autorisée, parce

qu’elle est peu coûteuse et présumée efficace, parce qu’elle a une dimension expres-

sive, festive, émotionnelle, ou relationnelle mais, du fait qu’elle se situe néces sai -

rement dans un affrontement de positionnements conflictuels, elle est toujours sus-

ceptible d’être reçue (et conçue par ses initiateurs) comme un argument dans le conflit.

En d’autres termes, il ne s’agit pas simplement de constater une homologie entre

répertoires d’actions et d’arguments ou encore de montrer qu’il y a toujours une part

d’échanges verbaux et de processus interprétatifs qui détermine le choix des modalités

d’action, mais d’étudier comment des personnes mobilisées peuvent produire des

textes ou des déclarations pour réagir à des actions adverses, dotant ainsi ces dernières

d’une portée argumentative, ou inversement organiser des actions pour réfuter ou dis-

créditer des argumentaires adverses.

On sait par exemple que toute manifestation de rue est susceptible d’être constituée

en argument empirique visuel pour ou contre la revendication dont elle est porteuse,

selon que le nombre de personnes mobilisées est considéré comme «important» ou

«faible»8. On sait également que cet enjeu se retrouve dans les disputes entre policiers

et organisateurs de l’événement sur le nombre des manifestants, et confère une impor-

tance particulière aux opérations médiatiques de cadrage qui peuvent suggérer, par le

choix des prises de vue, une manifestation clairsemée et limitée ou dense et inter mi -

nable9. L’un des arguments d’autorité que les manuels de rhétorique dénomment

«l’argument du plus grand nombre» (une mesure est juste ou une affirmation est vraie

parce qu’elle est soutenue par le plus grand nombre, ou, à l’âge des sondages, par

«l’opinion publique») est ainsi mis en scène par des défenseurs de cause qui s’appli-

quent à «faire nombre», surtout lorsqu’il s’agit de réfuter les adversaires de ladite

cause accusant celle-ci de ne pas «intéresser les citoyens». C’est ce genre de réfutation

empirique à laquelle se livrèrent les suffragistes françaises de la Belle Époque à travers

l’organisation de référendums sur le suffrage des femmes, comme celui de mai 1914

qui, comptant 500000 participant·e·s, renforça le soutien à la cause suffragiste de

femmes non-féministes (Hause et Kenney 1984). C’est aussi explicitement pour réfuter

l’argument sur le caractère impopulaire de leur cause que

les associations de défense du droit de vote des résidents

étrangers organisèrent en 2002, 2005 et 2006 des «votations

citoyennes » où Français et étrangers étaient invités à se pro-

noncer sur le droit de vote et l’éligibilité des étrangers aux

élections locales. En réfutant un discours de délégitimation

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No 16, 2011 a contrario

Les formes de la contestation. Sociologie des mobilisations et théories de l’argumentation Articles }

8 Sur cet usage argumentatif dela manifestation en démocratie,voir De Nardo 1985.

9 Voir par exemple les travaux dePatrick Champagne sur le traitement médiatique des mani-festations (1990, chap. IV).

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adverse par une action collective, les acteurs eux-mêmes établissaient ainsi des rela-

tions argumentatives entre les formes verbales et non directement verbales des enjeux

du conflit.

Dans le domaine plus spécifique des revendications égalitaires, les actes de déso -

béis sance civile, lorsqu’ils consistent à refuser de se plier à une loi dénoncée comme

inégalitaire, peuvent être élaborés par leurs initiateurs comme le déploiement empi-

rique d’un raisonnement, même si cela n’exclut pas que le choix de ce mode d’action

puisse aussi traduire la prise en compte par les acteurs d’un certain nombre de

contraintes (par exemple l’impossibilité à mobiliser un nombre important de personnes

pour soutenir la cause et/ou l’absence de relais partisan, associatif, professionnel ou

syndical) qui rendent d’autres modes d’actions plus traditionnels, tels la grève ou la

manifestation, plus difficilement réalisables10. Dans les années 1880, alors que le suf-

fragisme ne constituait pas encore un mouvement organisé en France, la féministe

Hubertine Auclert cessa de payer l’impôt pour dénoncer publiquement l’exclusion des

femmes du droit de vote. Elle présentait son acte comme la conclusion d’un syllogisme

juridique: tous les contribuables sont électeurs, or je suis contribuable, donc je dois

être électrice. Et, ajoutait-elle, sous la forme d’un raisonnement a contrario: si on me

refuse le droit de vote, on ne doit pas exiger que je paye l’impôt («je ne vote pas, je ne

paye pas»)11. Implicitement, en rappelant l’appartenance des hommes et des femmes à

une catégorie commune, celle de contribuable, elle convoquait ce que Chaïm Perelman

a identifié comme l’argument de la règle de justice, soit l’exigence d’«application d’un

traitement identique à des êtres ou à des situations que l’on intègre à une même caté-

gorie» (Perelman et Olbrechts-Tyteca 1958: 294).

Prolongement empirique d’un raisonnement, un acte

désobéissant peut simultanément viser à réfuter un raison-

nement adverse. Se présenter à une élection sans être élec-

teur ni éligible pour réclamer le droit de vote et d’éligibi-

lité, telles les militantes suffragistes durant la Belle

Époque; occuper individuellement et collectivement, en

tant que Noirs, des espaces publics réservés aux Blancs

pour dénoncer la ségrégation raciale, comme le firent les

Noirs américains du civil rights movement à partir de la fin

des années 1950; marier illégalement des personnes de

même sexe pour réclamer l’universalisation du droit au

mariage comme aux États-Unis (San Francisco) et en France

(Bègles) en 200412; faire participer des élus étrangers

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a contrario No 16, 2011

{ Articles Les formes de la contestation. Sociologie des mobilisations et théories de l’argumentation

10 Voir aussi sur ce point Ogien etLaugier 2010.

11 Elle s’appuyait notamment surl’article 14 de la Déclaration desdroits de 1791, reprise dans uneloi de 1832: «Tous ceux qui paientl’impôt ont le droit d’en contrôlerpar eux-mêmes ou leurs repré-sentants la nécessité […], de leconsentir librement, d’en suivrel’emploi» (Auclert 2007: 127).

12 De telles cérémonies demariage à l’initiative de maires etd’associations ont aussi eu lieupar la suite en Grèce en juin 2008,en Argentine en décembre 2009ou en Chine en novembre 2010.

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«associés» aux conseils municipaux pour réclamer le droit de vote et d’éligibilité pour

tous les résidents quelle que soit leur nationalité comme ce fut le cas dans certaines

communes françaises entre 1985 et 199013, ces formes hétérogènes d’actions illégales

peuvent être analysées comme autant de moyens de montrer et de démontrer (de «per-

former», pourrait-on dire) l’égalité supérieure des personnes en enfreignant des dispo-

sitifs légaux inégalitaires.

Par la désobéissance, il s’agit ici d’invalider empiriquement l’argument adverse

relatif à l’incapacité du groupe discriminé en prouvant, au contraire, sa capacité à

réaliser des actes (participer à la décision politique, se marier, etc.) qui lui sont inter-

dits en vertu de son sexe, de son orientation sexuelle, de son origine, etc. Dans ce

contexte, la désobéissance civile constitue aussi un prolongement symbolique, sous la

forme publique et argumentative d’une revendication, des techniques infrapolitiques

et individuelles de fraude que tend à susciter tout système juridique et administratif

inégalitaire: si la situation de fraude peut impliquer pour un individu de masquer le

stigmate qui lui vaut une exclusion – par exemple en falsifiant son identité civile

pour épouser une personne de son sexe biologique14 ou en demandant une reconnais-

sance «frauduleuse» de paternité pour bénéficier des droits réservés aux étrangers

réguliers ou aux citoyens15, etc. – , l’acte de désobéissance implique en revanche de

s’approprier ces droits et d’affirmer son appartenance à la communauté des égaux en

dépit du stigmate dont il est porteur.

Quant aux adversaires de telles réclamations, ils n’ont

pas d’emblée à organiser des actions spécifiques pour faire

valoir leur position. En effet, l’ensemble des dispositifs juri-

diques, administratifs et politiques qui constituent les

minorités discriminées comme des catégories à part (n’étant

pas autorisées à accéder à certains lieux, à détenir certains

droits, à exercer certaines fonctions professionnelles ou

certains rôles sociaux) apportent dans une variété de situa-

tions de la vie sociale une confirmation visuelle de la «diffé-

rence» du groupe discriminé: les défenseurs du statu quo

peuvent donc prendre directement appui sur ces dispositifs

qui accréditent leur position relative à l’incapacité du

groupe discriminé à exercer les droits qui lui sont interdits.

Ainsi, à partir de l’analyse des relations entre formes

d’actions collectives et formes d’arguments, on rencontre

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No 16, 2011 a contrario

Les formes de la contestation. Sociologie des mobilisations et théories de l’argumentation Articles }

13 Notamment Mons en Baroeulen 1985, Amiens en 1987, Longjumeau en 1990 qui virentces actions invalidées par leConseil d’État.

14 Se faire passer pour une per-sonne de l’autre sexe (par le chan-gement d’identité civile et/ou letravestissement) a parfois été unestratégie pour s’unir légalementavec une personne de son sexe,voir Murat 2006 et Tamagne2009.

15 Sur les demandes de reconnais-sance frauduleuse pour fairebénéficier des indigènes métisdes droits des citoyens, voirSaada 2007, sur les controversescontemporaines concernant lespaternités et les mariages de«complaisance», voir Lochak2010: 71-73.

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la question de l’ancrage institutionnel des affrontements argumentatifs. Par exemple,

l’un des arguments centraux contre le discours égalitaire féministe en Europe au tour-

nant des XIXe et XXe siècles était un argument de cadrage ou de définition qui consis-

tait à assimiler les hommes et les femmes à des espèces différentes et incom men su -

rables, entre lesquelles la question de l’égalité n’était pas pertinente car «là où il n’y a

pas de commune mesure et donc d’identité, la question de la réalisation de la justice

n’a même pas à se poser»16. Si cet argument, qualifié postérieurement de «différentia-

liste», était reçu comme valable, c’était notamment parce qu’il pouvait prendre appui,

tout au long de la période, sur des dispositifs matériels qui – en contradiction avec

d’autres dispositifs égalitaires et méritocratiques – constituaient, attestaient et légi-

timaient une telle incommensurabilité: ainsi, en France, des formes de ségrégation

sexuée des espaces scolaires de l’école primaire au lycée; un certain nombre de diplô-

mes et de concours différents selon le sexe17; un système de reconnaissance du «mérite

féminin» qui, de façon parallèle au système méritocratique scolaire et professionnel

«universel-masculin», consistait à encourager et récompenser non pas tant une réus-

site professionnelle, académique ou artistique, que «le travail personnel et le mérite de

la femme qui a œuvré pour le bien de la famille» (prix Couronne, fondé en 1890), «les

mères de famille nombreuses méritantes» (médaille de la famille française, créée en

1920 et Légion d’honneur18), ou encore les femmes se distinguant par leur apparence

physique, à travers les concours de beauté qui, en partie calqués sur la logique mérito-

cratique de compétition et de travail sur soi, s’institutionnalisèrent entre les deux

guerres mondiales (Vigarello 2004:199-206).

Quant aux réclamations égalitaires adverses, elles tendaient à s’appuyer sur d’autres

dispositifs politiques, juridiques ou professionnels qui,

au contraire des précédents, constituaient les femmes et

les hommes comme appartenant à une seule et même

catégorie et donc mesurables et comparables les uns aux

autres: des «enfants de la République», élèves des écoles

laïques par opposition à celles et ceux dont l’éducation

était prise en charge dans les congrégations religieuses,

des «ayant droit» pour les bourses attribuées aux deux

sexes en fonction des résultats scolaires et de l’origine

sociale, des diplômés d’université, des titulaires de

concours de la fonction publique dont une partie était

ouverte aux deux sexes sans distinction, des salariés

détenteurs de droits sociaux, mais aussi des résidents, des

contribuables et, en vertu de la déclaration des droits de

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a contrario No 16, 2011

{ Articles Les formes de la contestation. Sociologie des mobilisations et théories de l’argumentation

16 Tisset cité dans Perelman 1963:24.

17 Le baccalauréat est réservé auxgarçons jusqu’en 1924, les Écolesnormales supérieures et les agré-gations sont «féminines» ou«masculines» jusqu’aux années1970-1980.

18 Si les féministes réclamaient,dès les années 1890, une pluslarge ouverture de la Légiond’honneur en récompense de leurmérite professionnel, acadé-mique ou artistique, celle-ci futsouvent attribuée à des femmespour leur maternité féconde entreles deux guerres (Déon-Bessière2002).

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Page 12: Rennes - Formes de Contestation

l’homme et du citoyen de 1789 si continument citée durant cette période, des «êtres

humains» (Rennes 2007a: 369-401). En d’autres termes, on peut montrer comment des

conflits argumentatifs s’enracinent dans des tensions et des contradictions qui tra -

versent les institutions d’une société: sous la Troisième République, les féministes

puisaient des ressources critiques dans les règlements méritocratiques et égalitaires

des institutions républicaines pour mettre en cause les discriminations légales envers

les femmes, mais ce sont dans ces mêmes institutions, en tant qu’elles continuaient à

produire et confirmer les inégalités entre les sexes, que puisaient leurs adversaires

pour défendre le statu quo.

Types d’arguments, mobilisations et acteurs sociaux:

des temporalités hétérogènes

Cependant, ces relations entre formes d’actions, structures matérielles et affronte-

ments argumentatifs sont d’autant plus difficiles à appréhender que les processus dis-

cursifs s’inscrivent dans une temporalité propre qui n’est ni celle des répertoires

d’actions, comme nous l’avons vu, ni celle des acteurs, ni celle des rapports sociaux:

des antiféministes continueront à mobiliser les mêmes arguments différentialistes,

alors que les rapports sociaux entre les sexes auront subi des transformations sociales

et juridiques de grande ampleur, et que les inégalités légales auront été abolies.

À l’inverse, des défenseurs de l’égalité continueront à mobiliser un argument par

l’essence, qui consiste à présenter l’obtention de l’égalité comme coextensive à une loi

naturelle de l’histoire (idéologie progressiste que l’on peut qualifier de «naturalisme

historiciste»), alors même que les régressions, les stagnations, les remises en cause de

droits antérieurement acquis jalonnent l’histoire des luttes d’égalité.

Cette asynchronie entre processus argumentatifs et histoire sociale et politique

est connue des acteurs eux-mêmes de tout conflit argumentatif durable, ces der-

niers étant prompts à reconnaître chez leurs adversaires des arguments anciens,

« archaïques », voire « périmés ». Les femmes qui militaient pour l’accès à la magis-

trature entre les deux guerres faisaient valoir que les arguments adverses relatifs à

l’incom pa ti bi li té entre les qualités exigées pour réussir dans les professions juri-

diques et la « nature féminine » avaient déjà servi trente ans auparavant contre

l’accès des femmes au barreau, comme avaient déjà servi toutes sortes d’arguments

par les conséquences néfastes que la féminisation du barreau avait pourtant

invalidés. Soixante-dix ans plus tard, les défenseurs des droits des étrangers ou

ceux des droits des couples de même sexe font volontiers valoir que les méfaits de

l’égalité que prédisent leurs adversaires sont de même nature que les méfaits jadis

opposés aux réclamations féministes. Ainsi, selon Didier Eribon, qui fut l’un des

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Page 13: Rennes - Formes de Contestation

initiateurs puis des chroniqueurs du mariage entre deux hommes célébré à Bègles

en 2004 :

«Toute la rhétorique, tous les arguments mobilisés jadis et naguère contre le droit de

vote des femmes (et auparavant contre leur droit au travail ou leur autonomie juri-

dique), contre le divorce, puis contre l’avortement, la contraception ou, pour ce qui

concerne les homosexuels, contre le PACS, ont été convoqués pour l’occasion en des termes

inchangés (…). Ces schèmes idéologiques ne sont jamais ruinés ou discrédités quand ce

contre quoi on les invoquait est devenu réalité: inusables, ils sont inlas sa blement res-

sortis des tiroirs où ils avaient été pro vi soi rement remisés

et réactivés pour faire barrage à des revendications nou-

velles.» (Eribon 2004: 10)19

À l’inverse, les adversaires de l’union légale des couples

de même sexe ironisent volontiers sur le topos progressiste

mentionné plus haut, qui consiste à présenter le progrès

vers toujours plus d’égalité comme une loi de l’histoire20.

Pour expliquer cette hétérogénéité entre la temporalité

courte des acteurs aux prises avec les enjeux spécifiques

d’un conflit, celle, bien plus longue, des arguments qui y

sont actualisés et celle, encore différente, des rapports

sociaux dans lesquels s’inscrivent ces conflits argumenta-

tifs, plusieurs éléments peuvent être convoqués. Dans le

sillage des théories de la connaissance d’inspiration mar-

xiste des années 1920-193021, on peut faire valoir que l’iner-

tie de raisonnements et d’arguments qui semblent nier les

évolutions sociales effectives est en partie la retraduction

d’une «fausse conscience» ou d’une «méconnaissance»:

d’un côté, les groupes dominants ont intérêt à croire et à

faire croire à certains raisonnements qui justifient leur

domination quand bien même certains faits sociaux

semblent, aux yeux de leurs adversaires (ou aux yeux du

chercheur), les invalider, et, ajouterait-on, au sein de tra-

vaux postérieurs issus des Cultural Studies ou de la Critical

Discourse Analysis, ces croyances tendent à se diffuser

sous forme de «discours hégémoniques», qui imposent

certaines clôtures de la signification, fabriquant de

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a contrario No 16, 2011

{ Articles Les formes de la contestation. Sociologie des mobilisations et théories de l’argumentation

19 Dans un court ouvrage d’inter-vention en faveur du droit de votedes résidents étrangers, SaïdBouamama (2000) met lui aussien parallèle tous les argumentscontre le droit de vote avec lesarguments anti-suffragistes de lapremière moitié du XXe siècle. Et l’on retrouve cette stratégiesous une forme moins dévelop-pée dans les interventions parle-mentaires pour le droit de votedes résidents étrangers aux élec-tions locales (voir par exemple leRapport N° 379 de BernardRoman, Assemblée nationale,9 novembre 2002), comme danscelles pour l’union civile des per-sonnes de même sexe (voirAssemblée nationale, débats par-lementaires, 7 novembre 1998).

20 Christine Boutin dénonce larhétorique des défenseurs duPACS qui consiste selon elle àprésenter celui-ci comme «l’expres sion la plus parfaite de ladémocratie, du progrès, de l’intelligence, du droit, de laconstitutionnalité, de la justice,et ainsi de suite» et à martelerque «les opposants au PACS[sont] en dehors du sens de l’histoire, et de ce fait quasimentillégitimes à faire valoir la moindreréserve sur cette proposition»(intervention à l’Assemblée natio-nale, débat du 7 novembre 1998).

21 Par exemple Lukacs 1960[1923], Guterman et Lefebvre1936, ou Mannheim 1936.

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l’impuissance sociale à raisonner en dehors de ces cadres22. De l’autre, les groupes dis-

sidents et hétérodoxes engagés dans l’action collective ont intérêt à croire et faire

croire que leurs projets de transformation sociale sont ajustés à une loi de l’histoire, ce

qui détermine leur usage récurrent du naturalisme historiciste mentionné, un «biais

systématique en faveur de l’optimisme» qui stimule les forces militantes23. Cette inter-

prétation – que l’on peut qualifier de fonctionnaliste au sens où l’on attribue à la sta-

bilité des régimes argumentatifs un rôle, celui de légitimer la perpétuation de certains

rapports sociaux ou de donner à espérer qu’ils sont voués à se transformer – a été très

largement mobilisée depuis le début du XXe siècle pour expliquer aussi bien la longé-

vité de cet argument causal d’opposition aux réclamations d’égalité qu’est l’argument

naturaliste de type différentialiste (entendu comme le fait de justifier la discrimina-

tion que subit un groupe social par sa «nature» intrinsèque24) que la récurrence du

naturalisme historiciste dans les «grands récits militants»25.

Pour rendre compte de la force d’inertie des arguments

et des discours, une seconde explication, qui à la fois com-

plète et recoupe la précédente, porte sur la spécificité des

contraintes normatives qui pèsent sur la formulation

publique des positionnements. Dans tout débat public, les

locuteurs sont contraints non seulement par les hégémo-

nies et les cadres doxiques déjà mentionnés (par exemple

le raisonnement selon lequel la situation d’un groupe dis-

criminé est justifiée par sa nature intrinsèque) qui tend à

délimiter un espace du pensable et du dicible, mais aussi

par des normes politico-argumentatives, qui produisent

une rareté des arguments acceptables. Par exemple, défendre

frontalement une mesure inégalitaire est irrecevable dans

le champ discursif démocratique sauf si on peut montrer

que cette mesure s’appuie sur une différence de situation

entre les groupes ainsi distingués et/ou qu’elle est justifiée

par l’intérêt général26. Ainsi, les adversaires de l’égalité

insistent non seulement, comme on l’a vu à travers

l’exemple de l’argument différentialiste, sur le lien de

cause à effet entre la différence «naturelle» du groupe dis-

criminé et sa situation sociale, mais aussi, comme l’a fort

bien montré Hirschman, sur les conséquences contraires

à l’intérêt général de la mesure égalitaire: en invoquant ses

effets pervers (perversity), le péril que la mesure fait porter

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No 16, 2011 a contrario

Les formes de la contestation. Sociologie des mobilisations et théories de l’argumentation Articles }

22 Parmi les usages contempo-rains de la notion gramscienned’hégémonie, voir par exempleFairclough 2003: 45-47, et sur lanotion de «politique de la signifi-cation», voir par exemple Hall2008 [1982]: 129-168.

23 Gamson et Meyer 1996: 285-286, cités par Contamin 2010: 65.

24 Par exemple, Myrdal 1996[1944], Geertz 1964 et pos té rieu -rement Guillaumin 1992. D’unpoint de vue fonctionnaliste, lenaturalisme différentialiste per-met aux groupes dominants delégitimer leurs privilèges en lesréférant à un déterminisme nonsocial ou pré-social (l’inférioriténaturelle du groupe dominé),inflexible et indépendant de toutevolonté humaine.

25 Sur la «fausse conscience» desgroupes sociaux intéressés auchangement, voir par exempleGabel 1962.

26 Sur ces deux arguments admisen droit pour justifier des inégali-tés légales mais aussi courantsdans la plupart des raisonne-ments profanes tenus publi -quement, voir par exempleLochak 2010: 59-116.

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sur d’autres conquêtes antérieures ( jeopardy), son innocuité ( futility); ou l’enchaî-

nement de conséquences néfastes que la mesure risque d’entraîner jusqu’à conduire à

«un aboutissement final désastreux» (Walton 1992: 1); ce quatrième type d’argument,

que les théories de l’argumentation dénomment «argument du doigt dans l’engre-

nage», «de la boîte de pandore», ou encore de «la pente fatale / savonneuse/glissante»

(Slippery Slope Argument), n’étant pas à proprement parler décrit par Albert Hirschman

qui tend à l’assimiler à celui de la «mise en péril»27.

C’est notamment en raison de ces contraintes normatives et du poids des hégémo-

nies particulièrement prégnantes sur les enjeux égalitaires depuis plus de deux siècles

que, à propos de tels enjeux, différentes générations d’acteurs peuvent recourir aux

mêmes dispositifs argumentatifs dans des arènes différentes et qu’il en est de même

pour des acteurs contemporains les uns des autres caractérisés par une grande hétéro-

généité sociologique. Dit autrement, le fait que des groupes mobilisés soient obligés

de recourir à des montages argumentatifs publiquement audibles (du point de vue des

croyances partagées) et acceptables (du point de vue des normes du discours public)

brouille, masque, complique le lien entre les argumentaires qu’ils mobilisent, leurs

intérêts et leurs caractéristiques sociales. Comme le remarquait Dominique Maingue-

neau commentant des discours d’une tout autre période (la polémique janséniste au

XVIIe siècle): s’il peut exister «des similitudes sociologiques, psychologiques, intéres-

santes entre les énonciateurs effectifs de tel ou tel discours, leur degré d’homogénéité

n’est absolument pas comparable au degré de cohésion de la formation discursive dont

ils sont les énonciateurs» (Maingueneau 1984: 55).

Ainsi, lorsque l’on se demande si les rapports de force entre les acteurs d’un conflit

contribuent à dessiner des dominantes argumentatives et des hégémonies, il faut ana-

lyser comment celles-ci s’imposent à une pluralité d’acteurs mobilisés, parfois de

manière anachronique, plutôt que de les penser en termes de «traduction» ou de

«reflet» des caractéristiques sociales ou des intérêts de chacun des acteurs qui s’en

emparent. Par exemple, sous la Troisième République, catholiques traditionalistes et

anarchistes athées opposés à l’émancipation des femmes mobilisaient en grande partie

les mêmes arguments par l’essence formulés à travers les mêmes mots: usant du voca-

bulaire chrétien laïcisé de la «mission» et de la «vocation» féminine, ils s’appuyaient

conjointement sur des paradigmes médicaux datant du dernier tiers du XVIIIe siècle –

qui justifiaient l’incapacité sociale des femmes par la spécificité de leurs organes

génitaux et des humeurs féminines –, et sur des études

concernant les différences de taille des cerveaux féminin

et masculin, en vogue dans le dernier tiers du

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a contrario No 16, 2011

{ Articles Les formes de la contestation. Sociologie des mobilisations et théories de l’argumentation

27 Pour une discussion sur cepoint, voir Angenot 2008: 317-326et Gosselin 1995: 306 sq.

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XIXe siècle28. De manière méthodologiquement comparable, on peut chercher à analy-

ser le cheminement par lequel, dans les années 1990, les contre-mobilisations hostiles

à la légalisation de l’homoparentalité, qu’elles relèvent de juristes, de prêtres, de cher-

cheurs en sciences sociales ou de parlementaires, en sont venues à s’appuyer de façon

convergente sur un argument par les conséquences fondé sur des valeurs communes,

l’argument de l’intérêt de l’enfant, en mobilisant certains courants qui, au sein de la

psychanalyse lacanienne et de l’anthropologie de la parenté, insistaient sur l’impor-

tance de l’ordre familial hétérosexuel pour la formation psychique de l’individu29.

Cependant, si la rareté des arguments auxquels peut avoir recours une très grande

pluralité d’acteurs contemporains ou non contemporains les uns des autres contribue

à expliquer le fait que l’historiographie des idéologies, des «formations discursives» et

de leurs configurations argumentatives n’accorde souvent qu’une place mineure aux

acteurs, considérés comme des usagers de répertoires d’arguments et de raisonne-

ments qui leur préexistent, comment articuler cette perspective d’analyse à la prise en

compte du travail de ces acteurs pour déplacer le pensable, le dicible et le réalisable?

Émergence des causes, carrière des mobilisations

et reconfiguration des répertoires argumentatifs

L’histoire argumentative des conflits suscités par des demandes d’égalité en droit

depuis le dernier tiers du XIXe siècle peut donner le sentiment d’un «débat immobile»,

pour reprendre le titre d’une autre étude argumentative (Doury 1994): l’opposition

entre féministes et anti-féministes autour de l’égal accès des deux sexes aux droits

civils et politiques et à toutes les professions dans les années 1880-1930, les clivages des

années 1980-2000 entre défenseurs des droits des étrangers et leurs adversaires, et

entre partisans et opposants de l’accès des couples de même sexe à l’union légale et à la

filiation tendent à se structurer à partir des mêmes répertoires argumentatifs, non pas

seu lement au niveau formel des topoï, mais aussi au niveau de l’actualisation théma-

tique de ces topoï, comme le remarquait Didier Eribon cité plus haut. Hirschman

l’ayant montré de façon plus générale à propos des arguments hostiles à l’égalité, on

serait tenté, pour prolonger son travail, de dresser une cartographie de paires (ou de

grappes) d’arguments opposés (pro- et anti-égalitaires) qui structurent de façon récur-

rente les controverses ayant pour enjeu l’égalité (Rennes

2007b et 2007c).

On peut cependant surmonter les limites de cette

approche structuraliste et réintroduire l’historicité à

l’intérieur même de ce processus de récurrence en variant

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28 Sur ces paradigmes médicaux,voir Gardey et Lowy 2000.

29 Sur l’usage des sciences socialesdans ce débat, voir par exempleÉric Fassin 2005: 137-159 et Cadoret et al. 2006.

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les échelles d’analyse de ces conflits: il s’agit alors d’appréhender le travail des mili-

tants, les événements et les transformations structurelles dont ils s’emparent pour

faire émerger leurs revendications et réaménager des formes argumentatives anciennes

en fonction de l’évolution de la carrière d’un conflit.

Dans son enquête sur les mobilisations des années 1990-2000 pour l’abolition de la

pratique administrative et judiciaire qui autorise à expulser les délinquants étrangers

à l’issue de leur peine d’incarcération (dénoncée sous le nom de «double peine»),

Lilian Mathieu (2006) articule par exemple une recherche documentaire sur la généa-

logie de cette cause, des entretiens avec les militants et un travail d’observation des

réunions qui le conduisent à montrer comment des militants décident peu à peu, au fil

de diverses réunions inter-associatives, et non sans affrontements internes, de privilé-

gier, dans leurs argumentaires et dans leurs actions, ce qu’il appelle le «registre de

l’atta chement» (qui consiste à montrer que la double peine sépare une personne de sa

famille, de ses enfants, de son travail…). Cet argument est alors jugé par les militants

susceptible de susciter une plus grande indignation au sein du public que le « registre

de la justice» qui consiste à faire valoir qu’on ne peut punir un condamné deux fois

et/ou qu’une peine réservée aux seuls étrangers est contradictoire avec le principe

d’égalité devant la loi. La mise en avant de certains cas scandaleux (les étrangers ayant

une famille en France) – plutôt que la réclamation de l’abolition du principe même

de la double peine – peut être analysée comme un indicateur de changements dans

les rapports de force entre les militants, l’État et le public (ou du moins dans la repré-

sentation que les militants se font de ce rapport de force) au fil de l’évolution du

conflit, et réciproquement ce registre d’argument et d’action a des effets réels sur la

représentation que les forces en présence se font du problème et sur ses solutions.

Ces «registres argumentatifs» analysés par Lilian Mathieu ne sont pas en eux-

mêmes nouveaux, mais observer comme il le fait ce qui conduit des militants à privilé-

gier certains registres plutôt que d’autres constitue ici un moyen de contribuer à

répondre à une échelle «micro-sociologique» à une question qui travaille l’analyse de

discours et d’argumentation depuis Foucault: comment se fabrique le processus de

raréfaction des discours et des argumentaires qui circulent dans un conflit?

Observation et entretiens ne sont pas les seuls moyens pour mettre en relation les

corpus argumentatifs protestataires avec leur situation de production, l’émergence et

l’évolution d’un conflit. Les argumentaires eux-mêmes peuvent contribuer à nous

éclairer sur les contextes dans lesquels ils sont énoncés et plus précisément sur ce que

les militants jugent pertinent pour leurs luttes dans un contexte donné. On peut ainsi

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s’intéresser aux opérations argumentatives de contextualisation des revendications

féministes des années 1880-1930 et montrer comment elles ressaisissaient des transfor-

mations sociales sans signification égalitaire en elles-mêmes, pour en tirer des conclu-

sions en faveur de l’égalité30. Par exemple, de nombreux argumentaires pour

l’égal accès des deux sexes aux diplômes et aux professions consistaient à faire valoir

qu’en raison de la conjoncture économique, une partie des familles de la moyenne

bourgeoisie ne pouvait malheureusement plus doter ses filles et que celles-ci devraient

donc travailler, il fallait alors, concluaient les féministes, les autoriser à accéder aux

mêmes diplômes et aux mêmes professions que leurs frères. Ce topos «réaliste» qui

consiste à faire valoir que, indépendamment de son opinion sur une mesure, on ne

peut que l’entériner légalement car elle est déjà inscrite dans le cours même des choses,

était cumulé avec des arguments égalitaristes qui consistaient, en mobilisant la règle

de justice et la règle du précédent, à faire valoir le caractère injuste de la situation

d’exclusion des femmes par analogie avec la situation d’autres exclus d’hier, et donc à

réactualiser des schèmes naguère mobilisés dans les luttes des juifs, des roturiers, des

ouvriers pour accéder à la citoyenneté pleine et entière. Cette réactualisation de schèmes

égalitaristes anciens était elle aussi marquée par une réappropriation d’éléments

contextuels propres à la Troisième République, dans la mesure où, comme nous

l’avons vu, ces schèmes étaient mis en exergue et en pratique dans un certain nombre

d’institutions républicaines (par exemple l’École) sur lesquelles les féministes pou-

vaient prendre appui dans leurs réclamations.

Ainsi, en effectuant des allers-retours entre d’un côté, ce que peuvent nous

apprendre des entretiens, des observations, des archives, des documents ou des sources

secondaires relatives au «contexte» des mobilisations, et de l’autre, les corpus protes-

tataires eux-mêmes qui nous livrent les orientations argumentatives dont les acteurs

affectent certaines transformations sociales pour justifier leurs revendications, on

tend à surmonter l’opposition entre une approche internaliste des corpus argumenta-

tifs et une approche externaliste des conditions d’émergence des mobilisations.

Dans la même veine, on peut montrer que si les défenseurs de l’accès des couples de

même sexe à l’union légale et à la filiation «redécouvrent» une grande partie des argu-

ments en faveur du droit des femmes, donnant l’impression d’un «débat immobile»,

c’est notamment en s’appuyant sur des mutations des modes de vie en couple qui ont

contribué, au cours de ces trente dernières années, à fragi-

liser les justifications sur lesquelles reposaient les distinc-

tions légales entre couples hétérosexuels et homosexuels.

En effet, le processus d’indifférenciation juridique des

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30 Sur les opérations de contex-tualisation dans les pratiques dis-cursives, voir Van Dijk 2009.

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rôles paternels et maternels consécutif aux luttes pour l’égalité civile entre les sexes, et

la dissociation croissante entre conjugalité, sexualité et procréation chez les couples

hétérosexuels (liée aussi en partie aux combats féministes pour la contraception,

contre le mariage et pour la libre disposition du corps) ont contribué à ce que les

modes de vie hétérosexuels ne se définissent plus très clairement par opposition aux

modes de vie homosexuels (Vogel 2000: 177-199, Festy 2006). En outre, l’épidémie du

sida, en rendant visible le vide juridique dans lequel se trouvaient les couples homo-

sexuels cohabitant, a contribué à faire de l’union légale des couples de même sexe une

cause légitime pour les associations de lutte contre le sida qui voyaient également dans

la protection juridique de la conjugalité homosexuelle stable un instrument de lutte

contre la propagation de la maladie (Pollak 1993).

Or, dès lors que le dispositif consistant à justifier des distinctions légales entre les

couples homosexuels et hétérosexuels par des différences de situation entre homo-

sexuels et hétérosexuels (les «modes de vie gay» qui étaient et sont bien sûr eux-mêmes

le produit d’une situation d’exclusion) était fragilisé, une brèche commençait à s’ouvrir

pour montrer le caractère arbitraire des discriminations légales subsistant envers les

homosexuels. Dit autrement, loin du discours assimilant le progrès de l’égalité à une loi

naturelle de l’histoire, ce sont des événements hétérogènes et des changements structu-

rels non prévisibles qui ont conduit des acteurs à redéployer un certain nombre d’argu-

mentaires des combats féministes antérieurs et à présenter leurs revendications à la fois

comme analogues à ces luttes et comme un prolongement de ces luttes31.

Enfin, cette réappropriation de changements sociaux et cette réactualisation

d’arguments antérieurs auxquelles procèdent les acteurs sont présentes non pas seu -

lement dans l’émergence des causes qu’il s’agit de légitimer par référence à d’autres,

mais aussi à l’intérieur même de la «carrière» de la mobilisation, comme on l’a entrevu

avec l’exemple des mobilisations contre la double peine. Se pencher sur les usages que

des acteurs font de certaines évolutions liées aux enjeux du conflit pour obliger leurs

adversaires à déplacer et reconfigurer leurs stratégies argumentatives implique une

focale micro-sociologique et micro-discursive qui peut compléter une appréhension

plus générale des paires d’arguments opposés qui structurent les conflits de façon

récurrente. Par exemple si, dans une mobilisation, aucune

victoire ni aucune défaite ne rend mécaniquement caduc

tel ou tel argument adverse, les usages qui sont faits de ces

victoires et de ces défaites par les défenseurs d’une cause

peuvent forcer leurs adversaires à procéder à certains

déplacements.

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31 Sur la réactualisation des argu-mentations égalitaires dans diffé-rentes luttes, voir par exempleMouffe 1994, Rancière 1998 ouBalibar 2010.

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Lors du débat sur l’accès des femmes au barreau dans les années 1897-1900, les féminis-

tes faisaient valoir à leurs adversaires que, puisqu’ils admettaient désormais la légitimité

de l’accès des femmes à l’internat de médecine, obtenue en 1885, ils devaient reconnaître

que leurs arguments contre les femmes médecins ne pouvaient plus «resservir» contre

les avocates. Cette offensive féministe obligea leurs adversaires à préciser ce qui distin-

guait les deux professions du point de vue des capacités et incapacités féminines et à

redéfinir la «virilité» de l’activité de plaider par opposition à la «féminité» des activités de

soin à autrui (Rennes 2007a: 259-266). De façon un peu comparable, dans les années 1970-

1980, l’argument principal des adversaires du droit de vote des résidents étrangers non

communautaires aux élections locales était un argument de «cadrage» ou de «défini-

tion», qui consistait à présenter les droits politiques comme un attribut de la nationalité.

Dans les années 1990, les étrangers européens, bien que non nationaux, accèdent en partie

à ces droits politiques puisqu’ils peuvent voter aux élections locales et européennes du

pays où ils résident. Ce n’est pas ce changement juridique en tant que tel qui fragilise de

façon mécanique l’argument définitionnel que nous avons mentionné, mais plus pré ci -

sément l’offensive des défenseurs des étrangers qui se saisissent de «l’Europe comme

d’une ressource d’action» (Lacalmontie 2010) en formulant alors la revendication d’une

«citoyenneté européenne de résidence» ouverte aux résidents sans condition de nationa-

lité. Ils obligent alors leurs adversaires à requalifier ce qui distingue précisément ces deux

catégories de non nationaux que sont les étrangers communautaires et les étrangers

extra-communautaires. Quelques années plus tard, les défenseurs du mariage des couples

de même sexe conduiront leurs adversaires à des déplacements argumentatifs du même

ordre s’agissant des formes d’union civile. En s’appuyant sur la «victoire du PACS» censée

faire l’objet d’un accord, ils feront valoir que leurs adversaires ne peuvent plus utiliser

contre le mariage des couples de même sexe les arguments qu’ils avaient utilisé jadis

contre le PACS, ce qui amena ces derniers à préciser ce qui ferait la spécificité juridique,

symbolique et culturelle du mariage au sein des autres formes d’unions civiles.

Le paradoxe, c’est donc que, sous la forme de l’argument du précédent, l’usage argu-

mentatif de ce qui a changé revêt une forme répétitive dans les discours éga li taires qui

détermine en partie le caractère répétitif des réfutations adverses qui consistent alors, à

travers des distinguos, à nier les analogies établies par les égalitaristes pour faire valoir

que les réclamations des égalitaires ne sont en rien analogues à ce qu’ils ont obtenu

antérieurement.

Éléments de conclusion

Partant du constat de la division du travail d’analyse entre sociologie des mobilisations

et théories de l’argumentation, cet article visait à en comprendre quelques ressorts et

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en surmonter certaines difficultés: l’hétérogénéité structurelle entre formes verbales

et non verbales de la protestation n’en coexiste pas moins avec des processus d’intrica-

tion et d’interdépendance, dès lors que toute action est conçue et reçue à travers un

horizon interprétatif qui la dote d’une portée argumentative dans un conflit; l’hétéro-

généité temporelle entre formations discursives, topoï, rapports sociaux et répertoires

d’actions mis en jeu dans un conflit constitue un second obstacle à l’analyse, mais

aussi une richesse pour la compréhension des pratiques contestataires: elle invite à ne

jamais caractériser une mobilisation comme «nouvelle» ou comme «classique» dans

sa totalité, des rhétoriques anciennes pouvant être intriquées avec des formats d’ac-

tions plus récents et viser à exprimer des revendications dont les enjeux sont inédits.

Car on ne saurait confondre ancienneté des arguments et immobilité de l’histoire:

si les stratégies de dénonciation d’injustice se ressemblent alors qu’elles concernent

des acteurs fort hétérogènes, des secteurs différents, réclamés dans des contextes dif-

férents, c’est notamment parce que les protagonistes de ces luttes s’appuient sur cer-

tains évènements et certaines transformations des rapports sociaux pour mettre en

équivalence leurs propres revendications avec des luttes antérieures. Tel est l’un des

paradoxes des pratiques argumentatives protestataires que la sociologie et l’histoire

nous permettent d’explorer: rompre la légitimité d’un ordre social implique bien

souvent, pour des acteurs mobilisés, de donner à voir leur situation comme analogue à

d’autres situations historiquement injustes, et de redonner vie à des formes anciennes

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No 16, 2011 a contrario

Les formes de la contestation. Sociologie des mobilisations et théories de l’argumentation Articles }

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