14

Click here to load reader

Rente sur l'environnement et localisationEnvironmental rent and location

  • Upload
    s

  • View
    214

  • Download
    2

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Rente sur l'environnement et localisationEnvironmental rent and location

Rente sur l’environnement et localisation

Environmental rent and location

Sandrine De Vetter-Rousseau *

MÉDÉE, Université des sciences et technologies de Lille I, Faculté des Sciences Économiques,cité scientifique, 59655 Villeneuve d’Ascq cedex, France

Reçu en forme révisée le 29 octobre 2002 ; accepté le 4 novembre 2002

Résumé

La pollution de l’environnement (et donc la destruction d’une partie de celui-ci) par les entreprisesest à l’origine d’une rente environnementale. Mais les opportunités de prise de rente ne sont pasidentiques selon les territoires. Les populations sont plus ou moins sensibles à la qualité environne-mentale et ce que nous appelons « le rapport à l’environnement » peut ainsi contraindre ou aucontraire favoriser la prise de rente. Par ailleurs, l’histoire, la géographie et les conditions économi-ques influencent elles-aussi le montant de la rente prélevée par l’entreprise, soit la quantité depollution émise gratuitement par elle. De ce fait, la rente environnementale devient un facteur delocalisation.

© 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Abstract

The pollution of the environment (and the destruction of part of it) by the firms is at the origin ofan environmental rent. Nevertheless, the opportunities to capture this rent vary along with theterritories. The populations are more or less sensitive to the quality of the environment, and what wecall ‘the relation to environment’ can therefore favour or constrain the capture of the rent. In otherrespects, history, geography and economic conditions also influence the amount of the rent levied bythe firm, which is the quantity of pollution emitted free of charge by this firm. For this reason, theenvironmental rent becomes a location factor.

© 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. All rights reserved.

Mots clés :Environnement ; Rente ; Localisation ; Rapport social

Keywords:Environment; Rent; Location; Social relation

* Auteur correspondant.Adresse e-mail :[email protected] (S. De Vetter-Rousseau).

Géographie, Économie, Société 5 (2003) 77–90

www.elsevier.com/locate/geecso

© 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.DOI: 1 0 . 1 0 1 6 / S 1 2 9 5 - 9 2 6 X ( 0 3 ) 0 0 0 0 2 - 9

Page 2: Rente sur l'environnement et localisationEnvironmental rent and location

1. Introduction

La reconnaissance et la compréhension des facteurs de localisation des entreprises surun territoire font l’objet d’une littérature fournie. Les caractéristiques de la main-d’œuvre,les possibilités de communication, les effets d’ interaction avec d’autres entreprises, lesspécificités du territoire, la nature des investissements publics et bien d’autres élémentsencore ont été identifiés comme jouant un rôle sur la localisation. Cependant, l’état del’environnement naturel n’est que rarement évoqué par les auteurs de l’économie locale.Certains auteurs le citent au détour d’un article comme conséquence des activités oucomme donnée extérieure s’ imposant, en quelque sorte, à l’entreprise.

Des écrits récents d’Amédée Mollard, notamment, relatifs au territoire des Baronniess’ intéressent plus particulièrement à l’ influence de la qualitéenvironnementale sur le profitgénéré par certaines activités ; ce qui l’amène à conclure l’existence d’une rente liée à unenvironnement naturel préservé (Mollard, 2001).

L’objet de cet article sera de montrer, dans la lignée de ces travaux, que la qualité del’environnement, loin d’être un facteur externe àl’entreprise, participe pleinement du choixde localisation.

Pour introduire les choses en des termes schématiques : une entreprise polluante nes’ installe pas forcément sur le même territoire qu’une entreprise non polluante. Ainsi, dansson choix de localisation, une firme doit prendre en compte son impact sur l’environnementparce que l’adéquation entre cet impact et le territoire concerné, détermine sa pérennité.

Cette pérennité dépend en effet de son acceptation par les acteurs locaux (population,élus et autres entreprises) et de son profit. En d’autres termes, l’entreprise doit être viablesocialement et économiquement. Dans le premier domaine, il semble que la conceptionqu’ont les acteurs de l’environnement soit déterminante. C’est ce que nous appellerons« rapport à l’environnement ». Pour la seconde dimension, la possibilité de capter une« rente sur l’environnement » apparaît un facteur important.

Il ne s’agit toutefois pas ici d’affirmer que l’environnement est le seul facteur delocalisation des activités, mais plutôt d’ insister sur son influence, quitte à l’ isoler demanière parfois artificielle des autres dimensions.

Cet article a donc pour ambition de montrer sur un plan théorique et à l’aide d’unemonographie, l’histoire économique de la région Nord–Pas-de-Calais, l’ importance dufacteur « environnement » dans l’ implantation initiale puis dans la pérennisation desactivités sur un territoire. Pour ce faire, nous mobiliserons deux concepts : le rapport socialà l’environnement comme déterminant la perception de l’environnement par les différentsacteurs d’un territoire àun moment donné. Nous verrons alors que ce rapport évolue au fildu temps et que cette perception influence de manière active l’ implantation de certainesactivités. Le second concept sur lequel nous nous appuierons est celui de « rente » selon uneacception sensiblement différente de celle d’Amédée Mollard ou d’auteurs comme Ri-cardo, Marshall ou Marx. La définition de ces deux concepts constituera la premièresection.

Dans la seconde, nous illustrerons ces développements par l’analyse des mouvementsd’entreprises et d’activités dans la région Nord–Pas-de-Calais dont la population entretientun rapport particulier avec son environnement naturel et qui a vu son territoire profondé-ment restructuré àla suite de la perte des activités charbonnières et textiles.

78 S. De Vetter-Rousseau / Géographie, Économie, Société 5 (2003) 77–90

Page 3: Rente sur l'environnement et localisationEnvironmental rent and location

2. Section I : Définition du rapport et de la rente dur l’environnement

Nous entendons par « rapport à l’environnement », la perception et au-delà, l’organisa-tion sociale qui se structure autour de l’environnement naturel. De celles-ci dépendent eneffet la gestion et l’utilisation que la société — ou la population — s’autorise à faire del’environnement naturel.

La rente est un terme économique pour désigner la valeur de la nature détruite au coursd’un processus de production et non pris en compte dans les calculs économiques tradi-tionnels.

2.1. Le rapport à l’environnement

Bien que regroupant des éléments « naturels », il apparaît que l’environnement peut êtreperçu de manière très diverse par les acteurs qui interagissent avec lui. En effet, laperception de la « nature » est l’objet de conflits sociaux majeurs (en témoignent les choixénergétiques ou plus récemment, l’autorisation ou non des cultures génétiquement modi-fiées ou encore la décision des tracés d’autoroutes) et les déterminants de sa perception sontloin d’être aléatoires ou subjectifs : ils dépendent de facteurs sociaux et historiquesrepérables, notamment en fonction de l’état des connaissances scientifiques.

Les caractéristiques de la perception de l’environnement nous permettent de concevoirle « rapport àl’environnement »comme une construction sociale spécifique qui joue un rôledéterminant sur le cadre de régulation des activités économiques. En effet, ce rapport1

conditionne la conception qu’ont les acteurs des activités les plus en lien avec l’environne-ment (pollutions, prélèvements, etc.) et répond à deux questions fondamentales pour lemode de production : qu’est-ce qu’une pollution ? et quel est le seuil de pollutionsocialement acceptable ?

Michel Callon (1999) a montré, dans cet esprit, comment la notion d’externalité étaitaffaire de « cadrage » et que ce cadrage n’était pas une réalitéen soi mais le résultat d’unerégulation sociale. Ainsi, une émission sera vécue comme une pollution ou au contrairecomme le témoin du progrès technique ou du développement selon la période àlaquelle ellea lieu et l’endroit où elle se produit.

Les réponses à ces questions varient dans le temps et dans l’espace. Ce que nousappelons donc le rapport à l’environnement correspond à l’état du cadrage au sens deCallon dans un lieu L à un temps T.

2.2. La rente sur l’environnement

Une première définition de cette rente pourrait être la suivante :La rente sur l’environnement provient de la dégradation des objets naturels, libre et

gratuite, par un agent économique, quel qu’ il soit, entreprise, ménage ou État. Dans unepremière acception, la rente serait ainsi la différence entre la valeur initiale del’environnement, avant pollution et la valeur finale, après pollution, soit le montant de ladégradation de cet environnement (De Vetter, 2002).

1 Nous avons tentéde montrer le rôle de sixième forme institutionnelle que pouvait avoir l’environnement dansla théorie de la Régulation dans De Vetter ( 2002).

79S. De Vetter-Rousseau / Géographie, Économie, Société 5 (2003) 77–90

Page 4: Rente sur l'environnement et localisationEnvironmental rent and location

La définition que nous retenons diffère des auteurs ayant déjàrecouru àce concept. Il estdonc nécessaire de rappeler très brièvement les théories les plus marquantes de la rente etde préciser ce qui nous en distingue.

Ricardo, tout d’abord, estime qu’une rente peut être dégagée àpartir des différences defertilités entre les terres mises en cultures. La rente provient ainsi de la raretéplus ou moinsaccentuée « des bonnes terres », en d’autres termes la rente est un don de la nature à unpropriétaire particulier. Une richesse naturelle rare permet l’appropriation d’une rente. Ilest tout àfait remarquable que Ricardo écarte explicitement la plupart des supports naturelsde la rente : le rapport à l’environnement qui prévaut ne permet pas de concevoir la raretédes biens environnementaux en dehors des ressources naturelles. Seules les terres arables etl’exploitation des mines peuvent donner lieu àune rente : « Par les principes ordinaires del’offre et de la demande, il ne pourrait être payé de rente sur la terre, pour la même raisonqu’on n’achète point le droit de jouir de l’air, de l’eau ou de tous ces autres biens quiexistent dans la nature en quantitéillimitée. Moyennant quelques matériaux et àl’aide de lapression de l’atmosphère et de l’élasticité de la vapeur, on peut mettre en mouvement desmachines qui abrègent considérablement le travail de l’homme ; mais personne n’achète ledroit de jouir de ces agents naturels qui sont inépuisables et que tout le monde peutemployer » (Ricardo, 1817 : 59).

Marshall prolonge cette analyse et s’ il s’en écarte sur certains points, il rejoint Ricardosur l’ idée que la rente est avant tout un gain, pour un acteur économique, issu del’exploitation de l’environnement naturel. Il évoque ainsi l’existence d’une « véritablerente tirée des libres dons de la nature appropriés par l’homme » (1890, tome II : 435). Pourl’auteur, en effet, « dans un certain sens, il n’ya que deux agents de la production : la natureet l’homme. Le capital et l’organisation sont le résultat de l’effort de l’homme aidé par lanature » (1890, tome I : 285). Toutefois Marshall, comme Ricardo, fait l’hypothèseimplicite (et en ceci il est conforme au rapport à l’environnement de l’époque) que la rentetirée des dons de la nature, ne vient pas réduire l’environnement sain et donc ne met pas enpéril les processus d’accumulation futurs. La nature jouit d’un équilibre immuablequ’aucune activité humaine ne peut perturber. Comme cette rente pourra, dans son esprit,toujours être prise par n’ importe quel acteur à n’ importe quelle époque, c’est une sorte desocle invariable que l’on peut de ce fait occulter.

Plus récemment Alain Lipietz a également eu recours au terme de rente (ou quasi-rente)pour désigner « le montant maximum que l’agent (consommateur ou producteur) serait prêtà payer pour continuer à abuser de l’environnement de la même manière que lorsqu’ il estgratuit » (1998, p. 12). La méthode d’évaluation de la rente s’écarte alors profondément decelle des auteurs classiques (le consentement àpayer2 remplace les différences de coûts oude productivités) mais la notion de rente reste intimement liée à l’ idée de gain retiré parl’homme de son exploitation gratuite ou quasi-gratuite de la nature.

Enfin, Amédée Mollard (2001) suppose qu’une entreprise peut tirer bénéfice ou disposerd’un avantage comparatif às’ installer dans une région à l’environnement préservéet par-làmême en tirer une rente. Ainsi, l’huile d’olive des Baronnies se vend plus cher du seul fait

2 En effet, les évolutions du rapport à l’environnement et les conceptions propres d’Alain Lipietz le poussentà remettre en cause le caractère inépuisable de l’environnement et donc, si sa rareté est affirmée, à en mesurer leprix.

80 S. De Vetter-Rousseau / Géographie, Économie, Société 5 (2003) 77–90

Page 5: Rente sur l'environnement et localisationEnvironmental rent and location

qu’elle provient de cette région. Ici encore, la rente est d’abord un gain captépar un acteuréconomique grâce àun environnement particulier. Il apparaît, grâce àce rapide aperçu, quele point commun des différentes conceptions de la rente est qu’elle est uniquement perçuedu point de vue de l’acteur économique en interaction avec l’environnement. Il s’agitd’évaluer un gain individuel permis par une relation spécifique avec le milieu naturel : cetterelation peut aussi bien être liée aux dons gratuits de la nature qu’ ils soient rares (Ricardo)ou non (Marshall) qu’à la possibilitéde le dégrader gratuitement (Lipietz). Cependant, cesconceptions de la rente ne s’ intéressent pas aux coûts subis par l’environnement lui-même.En effet, rien ne permet d’affirmer que le consentement àpayer d’un pollueur pour polluerest égal au coût subi par le milieu naturel et la collectivité. La rente, selon nous, ne doit pasêtre envisagée comme un gain individuel mais comme un coût collectif. Cette conceptiondoit également nous permettre d’ intégrer un horizon temporel plus long. L’exemple d’uneexploitation minière peut illustrer cet aspect : la rente en tant que coût environnementalcontinue d’être payée par la collectivité alors même que l’exploitant ne tire plus aucunerente (en tant que gain individuel) depuis bien longtemps.

À partir du moment oùnous définissons la rente non plus comme un gain individuel maiscomme le montant des dégradations subies par l’environnement, la question de l’évaluationde la rente se trouve profondément modifiée. Elle est d’abord rendue plus complexe car ilest difficile de trouver un critère d’évaluation fiable. En effet, si le principe des coûts deremplacement semble le plus pertinent, la détermination pratique de ces coûts est des plusdifficile (quelles fonctions environnementales faut-il remplacer ? Quel est l’horizon tem-porel de ce remplacement ? etc.). Le problème de l’évaluation se pose en revanche avecmoins d’acuiténotamment pour la question qui nous occupe3 (la localisation). En effet, lalocalisation des entreprises polluantes ne sera pas induite par le montant de la rente (celle-cine mesurant pas un surprofit) mais par l’opportunitéou non de créer une rente (permettantalors un surprofit4). Autrement dit, ce n’est pas le montant de la dégradation qui importemais la possibilité de dégrader ou non.

C’est en ce sens que l’émergence ou non d’une rente sur l’environnement est intimementliée au rapport àl’environnement qui prévaut dans un lieu et àune époque. Si effectivementtoute activitéhumaine entraîne des dégradations environnementales et définit ainsi un seuilminimal de rente, il apparaît que le seuil socialement acceptable est lui très variable. Lesopportunités de rente peuvent varier selon les territoires. Le rapport qu’entretient lapopulation locale avec l’environnement n’est pas le même selon les territoires. Il est évidentque l’ensemble des acteurs économiques des Baronnies pour reprendre un exemple deMollard (2001) particulièrement explicite, n’a pas la même perception de son environne-

3 La question du montant de la rente réapparaîtra pour d’autres questions et principalement pour juger certainesdécisions. Mais la balance entre des « nocivités publiques » et des « utilités publiques » ne nécessite pas forcémentnon plus une échelle unique d’évaluation. L’évaluation d’une prise de rente ne pourra alors être effectuée qu’au caspar cas en fonction d’un rapport à l’environnement donné comme l’ illustre avec précision la jurisprudence duConseil d’État relative au contrôle du bilan des décisions publiques (voir notamment, CE, Ville Nouvelle Est,1970).

4 Le fait de dégrader l’environnement en effet permet àl’entreprise un supplément de profit qu’elle n’aurait passi elle devait prendre toutes les mesures pour ne pas polluer son environnement. L’absence d’ investissements defiltrage, recyclage, réduction d’émissions etc. représente pour elle un surprofit lié(mais non égal) àla rente qu’elleprend sur l’environnement, c’est-à-dire à la valeur de la nature qu’elle détruit.

81S. De Vetter-Rousseau / Géographie, Économie, Société 5 (2003) 77–90

Page 6: Rente sur l'environnement et localisationEnvironmental rent and location

ment et de ce qu’ il est bon d’en faire que ceux de la région industrielle de Dunkerque ou duBassin Minier du nord de la France. En effet, ce rapport change selon les territoires et nousallons voir que c’est un déterminant et non des moindres, de l’ implantation d’entreprisessur le secteur, d’autant plus qu’un effet cumulatif peut fréquemment être à l’œuvre.

Ainsi et pour reprendre l’exemple du nord de la France, les activités métallurgiques —très polluantes donc très dépendantes dans la formation de leur profit de la pollution del’environnement — se sont d’abord installées dans le Bassin Minier (pour profiter ducharbon) puis se sont ensuite délocalisées vers le littoral pour profiter du port de Dunker-que. Les raisons sont pour partie dépendantes de la rente environnementale comme nousallons le montrer dans la partie suivante.

3. Opportunités de rente et localisation - exemple du Nord–Pas-de-Calais

L’échelon régional peut révéler des spécificités et des conséquences qui passent inaper-çues au niveau national. En effet, si sur un territoire, la prise de rente a étéparticulièrementsoutenue — donc l’environnement particulièrement dégradé — l’organisation économiquepeut s’en trouver modifiée. À l’échelon national, comme tous les territoires n’ont pas subiles mêmes pressions sur le milieu naturel, l’ impact direct d’une prise de rente ne ressort pasforcément.

Le développement durable, tant sollicitéaujourd’hui, passe sans doute par un accapare-ment modérédu tribut sur l’environnement et non pas intensif comme cela a été le cas dansle Nord–Pas-de-Calais. Les espaces à l’environnement préservé peuvent prétendre à unecertaine image de marque et à la multiplication de produits de qualité, certifiés comme tels(Mollard, 2001), tandis que les territoires qui ont soutenu l’ industrialisation, au détrimentde la préservation de leur milieu, souffrent aujourd’hui d’un désavantage qui peut êtreimportant (Zuindeau, 2001 ; Letombe et Zuindeau, 2001).

L’ intérêt de l’analyse régionale ne s’arrête pas là. La rente sur l’environnement possèdeun rôle structurant sur le territoire. Rappelons à ce stade que nous cherchons à montrerl’ influence de la rente sur l’environnement comme facteur de localisation. À ce titre, nousl’ isolons dans l’analyse et occultons tous les autres facteurs largement recensés dans lalittérature d’Économie Régionale. À aucun moment, cependant, nous ne négligeons leurimportance.

L’opportunitéde prise de rente peut influencer l’organisation géographique des activités.Il existe une sorte de cercle vertueux ou au contraire vicieux, inhérent à la rente. Unterritoire qui accueille une première industrie polluante attirera plus facilement d’autresentreprises polluantes. Les raisons en sont multiples. Il y a d’abord une question desegmentation et d’organisation. Souvent les entreprises les plus polluantes se retrouvent surles même filières et donc bénéficient d’effets de proximité lorsqu’elles s’ installent sur unmême territoire. L’extraction houillère a entraîné le développement de la sidérurgie, de lamétallurgie et du traitement des métaux autant de secteurs à l’origine d’une rente impor-tante sur l’environnement. Ensuite, il existe aussi des raisons moins avouables. Certainesentreprises pensent ainsi échapper à une partie au moins des pressions populaires oupolitiques. Elles profitent en fait de différences de rapports à l’environnement.

En dehors des motivations classiques d’ implantation, il en existe de plus rarementavouées, reposant sur la sensibilité plus ou moins forte des populations locales aux

82 S. De Vetter-Rousseau / Géographie, Économie, Société 5 (2003) 77–90

Page 7: Rente sur l'environnement et localisationEnvironmental rent and location

pollutions. Un chef d’entreprise très polluante du Nord–Pas-de-Calais nous avouait avoirdécidé de s’ installer dans le bassin minier parce que la population, principalement faited’anciens mineurs et de leur famille, était moins sensible qu’ailleurs à un environnementdégradé.

Le rapport à l’environnement influence l’histoire régionale sur plusieurs plans. Ilapparaît en filigrane de l’accumulation du capital tant régionale que nationale. Nouspartirons de la rente initiale prise par l’ industrie charbonnière (paragraphe 3.1) pour ensuiteélargir le champ d’analyse aux rentes réparties entre les autres entreprises venues s’ installerà la suite des Houillères (paragraphe 3.2). Les restructurations qui ont suivi l’arrêt del’extraction seront étudiées comme l’opportunité de tirer la rente sur l’environnement,ailleurs, près des ports (paragraphe 3.3).

3.1. L’exploitation du charbon : une rente originelle

Les travaux sur l’histoire régionale demeurent largement centrés sur une analyse histo-rique, institutionnelle et économique au sens strict. Ainsi, Benko et Demazière écrivent :« Il n’existe pas d’espaces « vierges » que les entreprises ou les acteurs publics viendraientmodeler par leur action, mais des villes et régions avec leur histoire, leur trajectoire dedéveloppement, leur insertion spécifique dans des dynamiques économiques et institution-nelles plus larges » (2000 : 457). De même, Gilly et Leroux (1997) supposent que doiventexister un surplus économique et un surplus cognitif reposant sur une capacité d’appren-tissage et d’ interaction sociale pour que puisse se mettre en place un système territorial.Nulle mention ici de l’environnement physique ni du rapport à l’environnement que lesacteurs locaux peuvent entretenir avec leur espace.

Pourtant, une très grande part du développement du Nord–Pas-de-Calais prend racinedans une donnée de base, initiale : la présence de charbon. Cette donnée physique moduleensuite tout un processus régional et national d’accumulation du capital, permet le déve-loppement, la croissance et surtout offre au pays dans son ensemble la possibilité des’ industrialiser : sorte de but à atteindre, dans un monde où le capitalisme prend racine.

L’extraction du charbon et de la houille a eu des effets « secondaires » considérables surles plans sociaux et environnementaux, largement recensés dans la littérature économique.Benko, Demazière (2000) par exemple, parlent de « coûts humain et environnemental nonnégligeables » (p. 468), Bertrand Zuindeau (1996) fait l’ inventaire des stigmates environ-nementaux hérités de l’extraction des Houillères : pollution de la nappe phréatique,mouvements de sols, problèmes hydrauliques. Christophe Demazière (1996a) parle lui decrise à dimension sociale, culturelle et environnementale...

L’état prioritaire accordé au développement industriel, relègue au second plan lespréoccupations environnementales. Le rapport à l’environnement est influencé par desconsidérations marchande et industrielle. La question ne se pose pas des effets secondairesdes activités de production. L’évaluation des dégâts, pour une prise en compte éventuelledans les coûts de revient, est là absolument exclue. Le seul prix de cette ressource est soncoût d’extraction qui n’a aucun rapport avec les conséquences environnementales que sonexploitation implique. « Non seulement des ressources comme le charbon, ont étéactivéesen fonction d’une logique marchande de rentabilitéqui compromet déjà la territorialisationdes activités mais ce développement s’est appuyésur une organisation fondée sur une fortehiérarchisation verticale, dans le cadre de la grande entreprise. Aucune de ces conditions ne

83S. De Vetter-Rousseau / Géographie, Économie, Société 5 (2003) 77–90

Page 8: Rente sur l'environnement et localisationEnvironmental rent and location

valorise la recherche des effets induits d’activités alors réputées comme motrices » (Glon etal., 1996 : 73).

Et même au-delà, tout était fait pour favoriser, améliorer et tirer la rente la plusimportante possible. C’est ce qu’ illustrent Benko et Demazière : « une bonne partie dulogement, des services de santé et d’éducation était organisée et contrôlée par les compa-gnies minières, puis par les Houillères. Cette cohérence a permis d’exploiter au mieux larichesse naturelle du sol, avec toutefois un coût humain et environnemental non négligea-ble » (2000 : 468).

L’organisation industrielle se faisait dans le but d’extraire le plus de richesses possiblesde la terre mais permettait àd’autres entreprises de bénéficier elles aussi de la rente. En fait,la rente prise sur l’environnement est ici, en quelque sorte, initiale. D’une part, parce que lecharbon occupe une place de pionnier dans le système économique. Le premier dans leprocessus de production (rien ne fonctionne sans énergie et toute la révolution industrielles’est fondée sur l’utilisation àgrande échelle de l’énergie). Initiale, elle l’est aussi dans unsecond sens : le charbon se trouve làpar les hasards de la mécanique terrestre. Ce n’est doncpas l’activité humaine qui a localisé cette première source de rente environnementale.

Quand nous parlons de rente prise sur l’environnement, nous parlons destruction del’environnement mais aussi de fait, du non-paiement du véritable coût subi par la collecti-vitépour l’extraction du charbon. Les prix de vente et de revient de la ressource ont pris encompte le coût de la main-d’œuvre, du capital nécessaire à l’extraction ou les profits del’entreprise. En revanche, nulle référence aux problèmes futurs posés par le creusement degaleries, par l’amas de résidus d’exploitation (les terrils). Il n’est pas question non plus depayer pour le traitement que le lavage du charbon engendre ni pour les rejets.

L’extraction, le traitement et la ressource en elle-même sont considérés comme d’ intérêtnational. Le rapport à l’environnement de cette fin de XIXe siècle, début du XXe, est trèspropice à arbitrer en faveur de la croissance. Les seules populations qui auraient pumodifier cet état général sont les populations locales. Ce sont en effet elles qui subissentdirectement les effets de l’extraction : les pollutions qui y sont attachées mais aussil’habitat, la pauvreté et les conditions de vie difficiles. Mais dans la région également lerapport à l’environnement est particulièrement favorable à la croissance industrielle etsouvent la dépendance est complète vis-à-vis de l’employeur qui fournit revenu et habitat(les corons). De plus, fréquemment, la population apparaît délocalisée, déracinée et doncdéstructurée (une part non négligeable de la main-d’œuvre provient en effet de l’ immigra-tion).

C’est renforcé par l’aspect paternaliste (Milléquant, El Asraoui, 1996) de la structureindustrielle minière, que se met en place un rapport à l’environnement très favorable àuneutilisation spécifique de la nature fondée sur une exploitation industrielle. Les conséquen-ces écologiques sont nombreuses et importantes : depuis l’érosion des sols, les affaisse-ments miniers, l’ennoyage des anciennes galeries, le déversement de métaux lourds dans lesol par les terrils, le risque constant de pollution des nappes phréatiques, la destruction despaysages et jusqu’à l’ importance des friches industrielles.

L’exploitation du charbon a donc été àla source du prélèvement d’une première rente :• elle est accaparée tout à fait en amont du système productif. Elle concerne l’énergie

nécessaire au fonctionnement de la production ;

84 S. De Vetter-Rousseau / Géographie, Économie, Société 5 (2003) 77–90

Page 9: Rente sur l'environnement et localisationEnvironmental rent and location

• elle est permise grâce àun phénomène naturel, indépendant de la volontéde l’hommequi est la présence de ressources naturelles.

Comme toute rente prélevée sur l’environnement, elle est permise à la faveur d’unrapport à l’environnement, privilégiant le développement industriel et la croissance, à lapréservation de l’environnement. C’est un rapport marchand et industriel au sens deBoltanski et Thévenot (1987, 1991).

3.2. L’organisation productive en question

La rente a aussi pris d’autres formes et concernéd’autres acteurs. Il s’agit en ce début desiècle, de l’ installation sur le bassin minier des entreprises profitant de la proximité decharbon ou de main-d’œuvre.

Les déterminants de la localisation d’une entreprise sont connus : dotation de facteurs,structure et abondance de la main-d’œuvre, densité du réseau de transports, proximité desfournisseurs et/ou des clients (Benko, Lipietz, 1992, 2000), mais aussi compétences,savoir-faire, interactions (Gilly, Pecqueur, 1995). Précisément, cet ensemble de détermi-nants peut aussi être influencé par la donnée environnementale. Lorsqu’une exploitationcharbonnière se met en place, elle entraîne dans son sillage des entreprises sidérurgiques,métallurgiques, elles aussi très polluantes ; la construction d’une ou plusieurs centralesélectriques et thermiques (Braure, 1956), elles encore très polluantes. Les combustibles descentrales sont les charbons impropres, ceux des terrils préalablement lavés et les huilesusées (Dubois, Minot, 1992).

Au cours du processus d’ industrialisation de la Région et d’exploitation du gisementhouiller, certaines entreprises textiles sont venues s’ installer près des mines. Convert etPinet (1978) expliquent ces décisions de la façon suivante : « L’ implantation nécessitait duterrain et de la main-d’œuvre non qualifiée, ce que l’ouest du bassin minier peut offrir enabondance, le problème de la pollution attaché au lavage de la laine se posait de façonmoins aiguë dans cette zone à urbanisation diffuse. Enfin, la création d’emplois étaitassortie de primes et d’exonération patentes » (p. 29).

Leur terre d’origine (Roubaix et Tourcoing) est en effet victime d’une spéculationintense sur le logement. Les terrains, non seulement deviennent chers (leur prix a étémultiplié par 73 lors de cette spéculation immobilière effrénée (Milléquant, El Asraoui,1996)) mais l’urbanisation atteint un tel seuil que la place pour les entreprises manque.

Parallèlement, l’urbanisation de Roubaix et Tourcoing posait aussi un problème certainde promiscuité et de conditions d’hygiène1. Le lavage de la laine devenait difficile. Sansdoute les autorités auraient-elles rapidement exigédes mesures de protection de la popula-tion contre les effluves souillées (Milléquant, El Asraoui, 1996). La pérennitéde l’ industrietextile exigeait alors une meilleure adéquation avec son environnement, donc un déplace-ment des établissements.

Or, la plus faible densitéde population et une population habituée àdes conditions de vieet de pollutions plus importantes facilitaient aussi l’ implantation. En d’autres termes, lerapport à l’environnement étant plus propice dans le bassin minier, l’ installation d’activitéspolluantes en était favorisée. Cette configuration permettait l’accaparement de la rente depollution.

À la suite de cela, à partir des années 1970, sont venues en masse, entraînées parl’ industrie automobile, une multitude d’entreprises sous-traitantes. Les techniques de

85S. De Vetter-Rousseau / Géographie, Économie, Société 5 (2003) 77–90

Page 10: Rente sur l'environnement et localisationEnvironmental rent and location

production comme le « juste à temps » imposent une proximitéforte entre les sous-traitantset l’entreprise mère. Elles impliquent aussi la création d’un réseau destiné àla productiond’automobiles (Delmer-Lantreibecq, 1996). Or, les sous-traitants automobiles, que ce soitdans le domaine des matières plastiques, des batteries de moteurs ou encore des pneuma-tiques sont tous à l’origine d’externalités environnementales fortes qui ne sont que la partieapparente de la rente que la filière tire de l’exploitation et de la pollution de l’environne-ment.

Les districts marshalliens fondés sur le savoir-faire (Benko, Lipietz, 1995) sont parfoisaussi organisés autour de la ponction d’une quasi-rente sur l’environnement favorisée,encore une fois, par un rapport à l’environnement favorable. Les populations qui vivent àproximité offrent une main-d’œuvre sans doute qualifiée et bon marché mais aussi dépen-dante de la structure industrielle et encline à accepter des pollutions plus importantesqu’ailleurs. Il est d’ailleurs extrêmement courant de constater des sortes de pôles d’entre-prises polluantes cernés par des habitations d’employés de ces entreprises et souvent mêmepar les employés les plus modestes. Le déplacement de la sidérurgie à Dunkerque, le longdu littoral a entraîné avec lui la mise en place de quartiers très populaires aux portes desentreprises sidérurgiques réputées comme les plus polluantes de la région (Drire, 1999).

Toutes ces entreprises tiraient donc une rente sur l’environnement. Mais leur présencesur le bassin minier s’explique aussi par la proximité des Houillères qui leur permettaitl’accès à des quantités de charbon importantes et bon marché (du moins meilleur marchéque si la pollution avait dû être évitée). En ceci, elles profitent de la rente initiale liée auxhouillères, engendrant un surprofit qui se partage entre tous les intervenants d’une filière deproduction. La métallurgie qui utilise du charbon en quantité ou les centrales électriquespayent cette ressource moins chère qu’elles ne le devraient si l’on tenait compte des dégâtsenvironnementaux.

3.3. Restructurations : changement des modalités de prise de rente

À partir des années 1960–70, le bassin minier connaît une crise de grande ampleur. Lasuprématie du charbon s’estompe au profit du pétrole. Les coûts d’extraction trop élevésmarquent la fin de l’activité des houillères. Par ailleurs, la hausse du prix de l’énergie,consécutive au choc pétrolier, modifie les conditions de rentabilitéd’activités très consom-matrices comme la sidérurgie et la métallurgie. C’est alors que les entreprises ferment,laissant le bassin minier dans un état social et environnemental dégradé àla hauteur de larente prélevée.

Si Cuñat, Daynac, Millien, (1986) ont montrécombien le départ d’un grand groupe a uneffet dévastateur sur le territoire, cet effet, dans le cas du bassin minier, est aussi environ-nemental. Ainsi, Benko et Demazière remarquent : « La récession a durement atteint lessecteurs industriels anciens (extraction minière, sidérurgique, textile et métallurgie) géné-rant d’un côté friches industrielles et problèmes environnementaux et de l’autre, chômageet exclusion sociale » (2000 : 466). Sur les 20 000 hectares de friches industriellesfrançaises, le Nord–Pas-de-Calais en détient la moitié. Plus loin, les auteurs poursuivent :« Les problèmes économiques, sociaux et environnementaux résultant de l’activité indus-trielle sont considérables et imbriqués les uns dans les autres » (Benko, Demazière, 2000 :473).

86 S. De Vetter-Rousseau / Géographie, Économie, Société 5 (2003) 77–90

Page 11: Rente sur l'environnement et localisationEnvironmental rent and location

En fait, là aussi, il s’agit d’ isoler le rôle joué par la rente environnementale dansl’ensemble des restructurations et délocalisations qui ont affecté le bassin minier comme lereste de la région.

Dans un premier temps, le prix d’extraction du charbon s’élève, les difficultés d’exploi-tation de la veine augmentent. En d’autres termes, la rente puisée dans les ressourcesnaturelles s’amenuise. Les rendements d’extraction décroissants (donc l’amenuisement dustock de ressource) détériorent les conditions et la rentabilité de celle-ci. Parallèlement, lepétrole lui aussi, via un autre processus plus connu, augmente. C’est alors que l’État, décidede réorganiser la production : il incite Usinor àse délocaliser (Breuillard, 1996) et décide laconstruction de la centrale nucléaire de Gravelines.

Ceci s’ inscrit dans une logique fordiste (nous sommes alors à la fin des Trente Glorieu-ses) de l’aménagement du territoire ou plus exactement de l’absence d’aménagement. Ledéveloppement des transports et des infrastructures routières, la mondialisation des activi-tés et l’ouverture de marchés internationaux ont fait perdre toute spécificité àun territoire.Les entreprises pouvaient de cette manière et en théorie s’ implanter où le profit serait leplus important sans considération (ou presque) de contraintes matérielles, de main-d’œuvreet de culture locale. C’est ce que Glon et al. (1996) stigmatisent sous les termes de« désappropriation des territoires », « polarisation de l’espace » dues à l’accumulationcapitaliste et dont le sommet, selon les auteurs, est atteint durant le fordisme.

Il se crée donc durant cette période et en partie sous l’ impulsion de l’État, des pôles etaires industrielles. Un de ces pôles, conséquence directe de l’ internationalisation, est ledéplacement d’activités comme la sidérurgie sur le littoral du Nord (à Dunkerque notam-ment). Mais encore une fois, outre la réelle ouverture de marchés extérieurs tant en amontqu’en aval du processus de production, ces délocalisations peuvent aussi s’ interprétercomme l’accaparement d’une autre rente environnementale, en un autre lieu.

Gachelin (1977) associe les délocalisations vers les littoraux à l’obtention de matièrespremières et de sources d’énergie à moindre coût. Ceci est, en partie, le résultat del’accaparement d’une rente environnementale sur les transports et notamment sur letransport maritime. En effet, le développement des transports sur l’eau a facilité l’accès àdes marchés éloignés mais constitue aussi une pollution importante sur l’environnement.

Les infrastructures et investissements liés au transport offrent un bon exemple de rapportà l’environnement favorisant la création d’une rente. Ainsi, « le littoral du Nord–Pas-de-Calais figure au premier plan des littoraux français pour ses trafics portuaires et sonpotentiel industriel » (Lesort et al., 1998 : 77).

La réorganisation du système de production régional, à la suite de la crise du charbon,s’est faite en partie en fonction des opportunités de prise de rente environnementale. Ledéplacement d’activités vers le littoral au détriment du bassin minier résulte, entre autresfacteurs, du déplacement du lieu et des modalités de prise de cette rente. Le transportmaritime s’est en effet, développé considérablement à cette époque et son coût est devenudérisoire par rapport àd’autres moyens de transport. Cette faiblesse est en partie liée la nonprise en compte des pollutions dont il est l’origine et surtout de la non obligation faite auxcompagnies maritimes de réduire leurs pollutions. De ceci, le système productif dans sonensemble tire une rente au premier rang desquelles, les compagnies maritimes.

87S. De Vetter-Rousseau / Géographie, Économie, Société 5 (2003) 77–90

Page 12: Rente sur l'environnement et localisationEnvironmental rent and location

4. Conclusion

La rente sur l’environnement prélevée notamment sous forme de pollution de l’environ-nement, constitue un facteur structurant du territoire au même titre que la culture locale, lesinfrastructures ou la qualitéde la main-d’œuvre. Dans la mesure où cette rente conditionnetrès directement la pérennité des activités, sa prise en compte dans l’analyse permet demieux comprendre certaines restructurations et permet surtout de comprendre commefacteur endogène du processus de croissance ou d’accumulation du capital, des élémentsjusqu’à présent considérés comme exogènes. La donnée environnementale, loin d’être unfacteur extérieur immuable, est largement conditionnée et façonnée par les acteurs écono-miques : c’est ce que nous avons voulu montrer àpartir du concept de rapport à l’environ-nement. Celui-ci offre des opportunités de localisation et même d’existence aux activités enquestion.

Parfois mis explicitement en avant dans les décisions de délocalisation, on constate auplan international que les normes environnementales sont déterminantes. Certains mouve-ments s’apparentent ainsi à un véritable « dumping écologique » de la part de paysconnaissant un rapport à l’environnement pour le moins tolérant. Les entrepreneurs cher-chent àconserver leur profit en ne mettant pas en place de systèmes de protection contre lesémissions polluantes. Nous avons cherché àmontrer que cette argumentation développéepour expliquer certaines localisations au niveau international peut être étendue au niveaulocal. Les chefs d’entreprises les plus polluantes cherchent des territoires où le rapport àl’environnement est marqué par des données industrielles et marchandes et peu respec-tueux de la nature en tant que telle. Cet aspect est encore renforcé et apparaît de manièreencore plus explicite lorsque les localisations ont une dimension politique marquée (néces-sité d’autorisations spécifiques, installations publiques comme les zones Seveso ou lesaéroports par exemple). Les changements institutionnels issus des politiques de décentra-lisation renforcent cette tendance.

Par cette analyse, nous avons tentéde démontrer que la concentration des entreprises trèspolluantes n’était pas un hasard mais résulte bien d’une régulation sociale spécifique. Descercles vicieux ou vertueux ont ainsi tendance à se mettre en place. Fondée sur deuxconcepts centraux (le rapport à l’environnement et la possibilité de prise de rente), cetteanalyse permet de mettre en exergue un des ressorts de la localisation des activités. Denouvelles recherches doivent approfondir à la fois les modes de détermination des rapportsà l’environnement locaux (notamment en explicitant les stratégies des différents acteursdans une perspective ouverte par de nombreux travaux de science politique) et l’analyse dela rente, à travers une réflexion de son évaluation (qui ne pourra être effectuée que sur descritères non purement économiques).

Références

Benko, G., Lipietz, A. (Eds.), 1992. Les régions qui gagnent. Districts et réseaux : les nouveaux paradigmes de lagéographie économique. Presses Universitaires de France, Coll Économie en Liberté.

Benko, G., Demazière, C., 2000. « Le développement régional au miroir de la crise des régions d’anciennetradition industrielle. L’exemple du Nord de la France ». La Richesse des Régions, la nouvelle géographiesocio-économique, sous la direction de Georges Benko et Lipietz A. Éditions Presses Universitaires de France,Coll Économie en liberté, pp. 451–478 .

88 S. De Vetter-Rousseau / Géographie, Économie, Société 5 (2003) 77–90

Page 13: Rente sur l'environnement et localisationEnvironmental rent and location

Benko, G., Lipietz, A., 1995. « De la régulation des espaces aux espaces de la régulation ». Théorie de laRégulation, l’État des savoirs. Éditions La Découverte, pp. 293–303.

Benko, G., Lipietz, A. (Eds.), 2000. La richesse des régions, la nouvelle géographie socio-économique, Éd. PUF.,Coll Économie en liberté.

Boltanski, L., Thevenot, L., 1987. Les économies de la grandeur. PUF (« Cahiers du centre d’études et del’emploi »), Paris.

Boltanski, L., Thevenot, L., 1991. De la justification, Les économies de la grandeur. Gallimard, Nrf essais.Braure, C., 1956. L’énergie dans le Nord–Pas-de-Calais. Comité d’Études Régionales Économiques et Sociales.Breuillard, M., 1996. « Des politiques publiques du littoral à la stratégie d’aménagement : la recomposition

spatiale du Nord–Pas-de-Calais ». Changement Régional et dynamique des territoires : éclairages théoriqueset empiriques à propos de l’exemple du Nord–Pas-de-Calais, Journée d’étude sous l’égide du FREVILLE,Pôle Universitaire Européen sur la Ville, 23 février.

Callon, M., 1999. « La sociologie peut-elle enrichir l’analyse économique des externalités ? Essai sur la notion decadrage-débordement ». In: Foray, D., Mairesse, J. (Eds.), Innovations Performances. Éditions de l’EHESS,coll Approches interdisciplinaires, pp. 399–431.

Convert, B., Pinet, M., 1978. « Logiques industrielles de reconversion et politiques de mobilisation ». Mission dela recherche ATP « socio-économie des transports ». Laboratoire d’Aménagement Régional et Urbain,Ministère des Transports.

Cuñat, F., Daynac, M., Millien, A., 1986. « La reconversion des zones industrielles en crise ». In: Guesnier (Ed.),Développement local et décentralisation. Éditions Régionales Européenne S.A, Paris.

Delmer-Lantreibecq, S., 1996. « L’ industrie automobile dans le Nord–Pas-de-Calais : nouvelles formesd’organisation et répercussions spatiales ». Nord–Pas-de-Calais : changement régional et dynamique desterritoires. FRE – Ville, ORHA, pp. 107–120.

Demaziere, C., 1996a. « Du global au local, du local au global. Origine, diversitéet enjeux des initiatives localespour le développement économique en Europe et en Amérique ». In: Demazière, Christophe (Ed.), Du local auglobal, Les initiatives locales pour le développement économique en Europe et en Amérique. l’Harmattan,pp. 11–49.

Demazière, C., 1996b. Du local au global, Les initiatives locales pour le développement économique en Europe eten Amérique. In: Demazière, Christophe (Ed.). l’Harmattan.

De Vetter, S., 2002. Économie et Environnement : une analyse régulationniste de la rente environnementale. Thèsede Doctorat, Université de Lille I.

DRIRE Nord–Pas-de-Calais, 1999. L’ industrie au regard de l’environnement en 1998.Dubois, G, Minot, J, 1992. Histoire des mines du Nord et du Pas-de-Calais : des origines à1945. Album souvenir

Tome 1.Dubois, G, Minot, J, 1992. Histoire des mines du Nord et du Pas–de–Calais : 1946. Album souvenir Tome 2.Gachelin, C., 1977. La localisation des industries. PUF, Paris.Gilly, J., Leroux, I., 1997. Vers une approche institutionnaliste de la dynamique des territoires. Le cas de la

reconversion du bassin de Lacq. communication au colloque de l’ASRDLF, Lille, 1–3 septembre.Gilly, J., Pecqueur, B., 1995. « La dimension locale de la régulation ». Théorie de la Régulation, l’État des savoirs,

sous la direction de R. Boyer et Y. Saillard. Éditions La Découverte, pp. 304–312.Glon, É., Gonin, P., Gregoris, M., Renard, J., 1996. « Mutations économiques et recompositions des territoires ».

Changement Régional et dynamique des territoires : éclairages théoriques et empiriques àpropos de l’exempledu Nord–Pas-de-Calais, Journée d’étude sous l’égide du FREVILLE, Pôle Universitaire Européen sur la Ville,23 février.

Lesort, C., Florent, J., Therain, P., Halley-Desfontaines, B., Picheral, J., Defurnes, P., Leveque, F., 1998. Économiede la réglementation. La Découverte.

Letombe, G., Zuindeau, B., 2001. « L’ impact des friches industrielles sur les valeurs mobilières : une applicationde la méthode des prix hédoniques à l’arrondissement de Lens (Nord–Pas-de-Calais) ». Revue d’ÉconomieRégionale et Urbaine n° 4, 605–624.

Lipietz, A., 1974. Le tribut foncier urbain. Documents et recherches d’économie et socialisme. Éditions FrançoisMaspero.

Lipietz, A., 1998. « Économie politique des écotaxes ». In: Bureau, D., Godard, O., Hourcade, J., Henry, C,Lipietz, A. (Eds.), Fiscalitéde l’environnement, La Documentation Française, Rapport au Conseil d’Analyseéconomique du premier Ministre, avril. pp. 9–39.

89S. De Vetter-Rousseau / Géographie, Économie, Société 5 (2003) 77–90

Page 14: Rente sur l'environnement et localisationEnvironmental rent and location

Marshall, A., 1890. Principes d’économie politique, traduit par F. Sauvaire-Jourdan, dition Gordon and Breach.Publications Gramma, réédition en 1971, tome I et tome II.

Milléquant, F., El Asraoui, H., 1996. « Les cités ouvrières des entreprises du Nord–Pas-de-Calais, Origines,Évolutions et Perspectives ». Changement Régional et dynamique des territoires : éclairages théoriques etempiriques àpropos de l’exemple du Nord–Pas-de-Calais, Journée d’étude sous l’égide du FREVILLE, PôleUniversitaire Européen sur la Ville, 23 février.

Mollard, A., 2001. « Qualité et développement territorial : une grille d’analyse théorique à partir de la rente ».Économie Rurale, n° 263, mai–juin. pp. 16–39.

Ricardo, D., 1817. Principes de l’économie politique et de l’ impôt, traduction française par P. Constancio et A.Fonteyraud, Flammarion, réédition en 1971.

Zuindeau, B., 2001. « L’analyse des externalités environnementales : éléments pour un programme de recherchesrégulationniste ». Géographie, Économie et Société, vol. 3, n° 1, pp. 71–92.

90 S. De Vetter-Rousseau / Géographie, Économie, Société 5 (2003) 77–90