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Travail de mémoire et requalification urbaine Repères pour l’action rep è res les éditions de la DIV

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Travail de mémoire et requalification

urbaine

Repères pour l’action

r e p è r e s

r e p è r e s

les édit ions de la DIV

Délégation interministérielle à la ville194, avenue du Président Wilson93217 Saint-Denis La Plaine cedexTél.: 01 49 17 46 46www.ville.gouv.fr

ISBN : 978-2-11-096851-7ISSN : 1629-0321 Prix : 15 €

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Comment dire demain ce qu’a été la politique de la ville, comment elle s’est construite,quels en ont été les acteurs ? Comment cette politique a-t-elle été vécue dans lesquartiers, à la fois par ceux chargés de la mettre en œuvre et par les habitants eux-mêmes ? Cette histoire, la DIV veut en conserver la mémoire et la valoriser.

Programme commun avec la Direction des archives de France, journées d’études,séminaires... ont déjà permis d’éclairer les enjeux liés à l’histoire et à la mémoire dela politique de la ville et de valoriser les initiatives engagées dans certains quartiers.

Ce nouveau guide “Repères” prétend :

• permettre aux acteurs engagés dans des démarches mémorielles ou patrimonialesde questionner leur projet et leurs pratiques, par la mise à jour des enjeux soulevésdans ce type d’actions ;

• donner un aperçu de la manière dont ces enjeux peuvent être traités ou ont ététraités ailleurs, par des éclairages diversifiés.

A travers les témoignages, réflexions et comptes rendus d'expériences ici rassemblés,il s’agit moins de donner des “recettes” ou des exemples de “bonnes pratiques”, qued’aider les lecteurs à se poser les bonnes questions ; les encourager à “entrer enréflexion” et les orienter vers d’autres sources existantes, plutôt que de lister desoutils méthodologiques, forcément insuffisants pour aborder une telle thématique.

Synthétique plutôt qu’exhaustif, ce guide fonctionne en somme comme une ported’entrée pour les acteurs engagés dans des opérations de requalification urbaine surle sujet complexe de la mémoire et du patrimoine.

Directeur de la publicationYves-Laurent Sapoval

Responsable des éditionsCorinne Gonthier

Coordination et rédactionCatherine [email protected]

Contact DIVBarbara [email protected]

Conception graphiqueLaurent Marre

ImpressionJOUVE

Dépôt légalAvril 2007

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r e p è r e s

Travail de mémoireet requalification

urbaine

Repères pour l’action

Coordination et rédactionCatherine Foret

Repères 2007 17/04/07 19:57 Page 1

Préface 7

Introduction 9

Faire société dans la ville en mouvement. 11La mémoire au service de la cohésion sociale ?

Images spatiales et mémoire collective. Maurice Halbwachs. 14

La Courneuve. Redonner du sens. Entretien avec le maire Gilles Poux. 16

De “l’impératif culturel” à la construction d’un héritage commun. Lela Bencharif. 20

Vaulx-en-Velin. “Histoires de soie”. Philippe Videlier. 23

Un processus collectif de connaissance. André Bruston. 24

C a e n. La mémo i re du travail sur le site de l'ex-Société Métallurgique de No r ma nd ie (SMN). 26

St-Martin d’Hères. Usages sociaux du passé et politique de la mémoire. 28Cécile Gouy-Gilbert.

La Mission Mémoires et Identités en Val de France. Une démarche intercommunale. 30

S a i n t - E t i e n n e. Conflits de mémoires. Montreynaud ou la question de l’espace et du destin communs. Christelle Morel Journel. 32

La mémoire comme expérience sociale. Denis Cerclet. 35

Mémoire et amnésie : outils de gouvernance urbaine ou instruments de domination ? 37Olivier Chavanon.

Besoin de mémoire, besoin d’histoire. 39L’enjeu identitaire.

De l’histoire de France à l’histoire des France. Pierre Nora. 41

Emergence de la victime et mémoires diasporiques. Un problème ou une chance 44pour l’histoire ? Michel Wieviorka.

Limoges. La recherche du pays perdu. 46

Nord-Pas-de-Calais. Les paroles croisées de quatre communautés. 47

Mémoires immigrées, déni, occultations. Nicolas Bancel. 48

Pessac. Savoir d’où l’on vient. 50

La Cité nationale de l’histoire de l’immigration. Un grand projet qui se concrétise. 51

Uckange. La mémoire de la vallée sidérurgique. 53

Jeunes issus de l’immigration : échapper à l’injonction identitaire. 54Jacqueline Costa-Lascoux.

Fragilité de l’identité et risques de manipulation de la mémoire. Paul Ricoeur. 56

Droit à l’oubli et abus de mémoire. Tzvetan Todorov. 58

Dépasser la simple collecte de souvenirs. 61Les conditions de la capitalisation.

Lyon. Un guide pour les collecteurs de mémoire. 64

De l’importance du contrat. Frédérique Jacquet. 62

Sommaire

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Les “archives orales”, rôle et statut. Conseil économique et social, Georgette Elgey. 67

C o nserver la mémo i re de la politique de la ville. Une déma rc he na t io na l e. Barbara Domenech,Michel Didier. 70

Cayenne. Collecte d’archives orales de la politique de la ville. 72

De l’intérêt d’un appui scientifique. 73

Belleville-Ménilmontant. Des chercheurs engagés dans la transmission des mémoires urbaines. 75

L’appel aux historiens dans les actions mémorielles. Impressions de terrain. Pierre-Jacques Derainne. 77

Villeurbanne. Etudier, conserver et transmettre les mémoires vivantes de la ville. 80

Rendre les habitants un peu plus acteurs. Jean-Barthélemi Debost. 82

Des archéologues dans la ville. Entre souvenirs et mémoire. Pierre-Jean Trombetta. 84

Pour une mémoire technique raisonnée. Luc Faraldi. 85

Démolitions, traces et mémoires dans les quartiers d’habitat social. Maria Gravari-Barbas, Vincent Veschambre. 88

Mémoires des lieux et projet urbain. 93

Etre attentif à ce qui est déjà là. Entretien avec Nicolas Michelin. 95

Roubaix, quartier de l’Alma. La mémoire-ressource de l’Atelier Populaire d’Urbanisme. 99

Dijon. “Leur histoire est notre histoire”. Entretien avec Jean-Claude Girard. 100

Les ambiguïtés de la “mobilisation” mémorielle. Vincent Créton. 104

Ironie patrimoniale et mémoire écran. Stéphane Valognes. 108

Givors. Trans-figurer la ville. Après l’industrie : le fleuve, ses échelles, ses effets.Jacky Vieux. 111

Travail de mémoire et intervention artistique :le recours au sensible. 113

Ile de la Réunion. Des légendes pour habiter. 116

Par-dessus le vacarme de la foule. Mémoire en devenir et rôle de l’artiste.François Matarasso. 119

Le mouvement perpétuel de la mémoire. Esther Shalev-Gerz. 121

Synthe Saga. Le pouvoir de la poésie. Brigitte Mounier. 124

Le simulacre comme interrogation du monde. Entretien avec Bruno Schnebelin. 126

S’entendre au-delà de la parole. Nicolas Frize. 129

Partager les mémoires de la ville.Diffusion, pédagogie, débat public. 133

Paroles de Rochelais. Des initiatives dans toute la ville. 135

Meaux. Relier l’histoire du quartier à celle de la ville. 137

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Pa ys de Montbéliard. Du fo i s o n ne me nt des mémo i res à la cons t r uc t ion d’un patrimo i ne.symbolique commun. Jean-Luc Michaud et Pierre Wolkowinski. 138

Radio Canal Sambre-Avesnois. la mémoire, un trésor à partager. 141

L’autre mémoire des quartiers. François Ménard. 143

Faire circuler les histoires. Nancy Huston. 145

“Mais qui va nous écouter, ma fille ?” Enquête cinématographique sur les mémoires d’immigrés en France. Entretien avec Yamina Benguigui. 146

Traces en Rhône-Alpes. Forum régional des mémoires d’immigrés. Mustapha Harzoune. 148

Annexes 153

1 Lettre de mission du Premier ministre adressée à Jacques Toubon lui confiantla préfiguration d'un futur centre de ressources et de mémoire de l'immigration, 10 mars 2003. 154

2 Contrat de dépôt relatif aux témoignages oraux collectés par les Archives municipales de Saint-Denis dans le cadre de l’exposition Mémoire retrouvée,Identité partagée. 156

3 Extraits du “Guide de l’enquêteur” pour la collecte des archives de la Politique de la Ville. Les quartiers sud de la ville de Cayenne, site-test. David Redon. Mai 2005. 158

Bibliographie indicative. 168

Contacts, ressources. 174

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Partout dans le monde, les métropoles se développent, arasant les frontières quiséparaient la ville centre des campagnes environnantes, absorbant dans le conti-nuum urbain les anciens bourgs ou villages qui vivaient à distance, transformant lesanciens îlots populaires et industrieux en quartiers résidentiels huppés ou voyantcertains d’entre eux, les moins dotés ou les moins bien conçus, décrocher et s’en-foncer dans une spirale de dégradation appelant à les rebâtir substantiellement.

Les villes changent, des quartiers se transforment et le rôle des politiques publiques- que ce soient celles de l’Etat ou des collectivités territoriales – est, lorsqu’elles nesont pas elles-mêmes à l’initiative de ces évolutions, de veiller à ce qu’elles soientbénéfiques à leurs habitants.

En France, la politique de la ville, en oeuvrant tant pour le développement écono-mique et social des quartiers paupérisés que pour la rénovation urbaine, agissantdirectement sur la transformation du bâti, participe à ce type de transformations.Mais même lorsque les projets sont souhaités par tous, les villes et les quartiers nese transforment pas sans perte.

Les politiques du patrimoine, que les collectivités reprennent aujourd’hui à leurcharge, sont là pour permettre de conserver les édifices les plus emblématiques pré-sentant un intérêt historique et culturel partagé.Cependant, ce qui disparaît n’est pas toujours d’ordre matériel : ce peut être l’habi-tude prise de certains cheminements, des détails du paysage urbain auxquels on aaccroché des souvenirs d’enfance, la possibilité de trouver chez les autres habitantsdu quartier quelque chose de soi qui fait qu’on se sent “d’ici” même lorsque l’on vientd’ailleurs… Mille petites ou grandes choses qui constituent la mémoire d’un quartierou de ses habitants et sans lesquelles il ne saurait y avoir de vie sociale.

C’est la raison pour laquelle il est important, notamment lorsqu’un quartier se trans-forme à l’occasion d’une opération de rénovation urbaine ou au cours du fil plus ténude sa requalification progressive, d’être attentif à ce que la mémoire se transmette,la “mémoire des lieux” comme “la mémoire des gens”.

Beaucoup ne s’y sont pas trompés et n’ont d’ailleurs pas attendu une quelconquerecommandation venue d’en haut pour se lancer dans des opérations dites “mémo-rielles” : exposition sur l’histoire du quartier, recueil de la parole des plus anciens,créations artistiques prenant appui sur le récit des habitants, évocation dans lemobilier urbain d’un passé spécifique au lieu, etc.

Mais ces opérations sont plus délicates qu’il n’y paraît : la mémoire des uns n’est pasnécessairement celle des autres, la volonté de transmettre peut prendre des formesenvahissantes et parfois étouffantes.

Des travaux de recherches, tels que ceux du programme “Cultures, villes, dynamiquessociales” initié conjointement il y a quelques années par la DIV, le ministère de laculture, le ministère de l’équipement, le FASILD et Jeunesse et sports, ont attiré l’at-tention à ce sujet.

Préface

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Entre les initiatives des acteurs de terrain, salutaires, mais manquant parfois de pré-cautions et les travaux des chercheurs, indispensables, mais pas facilement utilisa-bles, il manquait un document qui puisse permettre à chacun d’agir en connaissancede cause.

Il manquait, jusqu’à présent du moins, puisque c’est précisément l’objet de ce guidede combler cette lacune.

Ce guide est inspiré à la fois des pratiques de terrain et de la réflexion de chercheurs,sociologues, philosophes, historiens…Il n’a pas été conçu comme un catalogue de “bonnes pratiques” qu’il suffirait detransposer, mais plutôt comme un recueil illustré d’exemples, pris sur différentssites, des questions qu’il convient de se poser lorsqu’on se lance dans le travail demémoire d’un quartier.

Cette ambition, modeste, en fait la qualité.

Il s’agit là d’une première initiative. Elle gagnera dans quelques années à être com-plétée : avec la Direction des archives de France, la DIV s’est en effet lancée depuis2005, dans une campagne de collecte des “archives orales de la politique de la ville”.La France n’est pas la seule à se lancer dans ce type d’initiative, de plus en plus devilles et d’agglomérations, ailleurs en Europe, revisitent le passé de leurs quartiersdans le cadre d’opérations de “régénération urbaine”. Il n’a pas été souhaité traiterde ces expériences étrangères dans ce guide, déjà dense ; il faut cependant garder àl’esprit que même si la France est considérée comme pionnière sur ce sujet, il y abeaucoup à apprendre des autres pays.

Ce guide a été largement rédigé et composé par Catherine Foret. Je tiens tout par-ticulièrement à la remercier d’avoir su mettre son expérience de chercheur au servicedes acteurs de terrain. Il a bénéficié de l’accompagnement d’un comité de pilotagecomposé de Michel Didier, Sylvie Durand-Savina, Barbara Domenech, FrançoisMénard, Frédéric Meynard et Julien Mischler, responsables de services et chargés demission à la DIV.

Lors de son démarrage, ce comité comptait un membre de plus, Olivier Brochard,décédé au printemps 2005. Son enthousiasme pour ce projet et son intérêt pour lesquestions qu’il soulevait sont demeurés. En le lisant, en partageant cet intérêt, enconnaissant cet enthousiasme, ce sera un peu de sa mémoire qui sera passée parvous et que vous aurez sans le savoir fait fructifier.

Yves-Laurent SAPOVALDélégué interministériel à la ville.

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Dans l’essai réalisé sous sa direction sur Les lieux de mémoire, Pierre Nora analysaiten 1997 les raisons de la “ruée vers le passé” qui semble animer les Français depuisune vingtaine d’années. Il notait l’accroissement des recherches généalogiques, lesuccès populaire des Journées du Patrimoine, mais aussi le développement desenquêtes orales, et soulignait alors que “plus de trois cents équipes” étaient occu-pées en France à recueillir les voix des anciens. Expliquant que le besoin de mémoireétait en fait un besoin d’histoire, d’une histoire d’un autre genre que celle qui a pen-dant longtemps assuré l’unité de la nation, il prévoyait le développement du phéno-mène, mais aussi sa fin, en évoquant l’épuisement à venir de cette “tyrannie de lamémoire”. Nous en sommes loin, apparemment. L’engouement pour la mémoire - deslieux et des gens - ne s’est pas calmé ces dernières années. Il semble au contraires’être démultiplié, dans un monde où le rapport vivant au passé et aux ancêtres necesse de se fragiliser, sous les effets conjugués de l’urbanisation, de la mondialisa-tion et de la médiatisation.

Longtemps centré sur le monde rural, ce mouvement prend désormais de l’ampleuren milieu urbain. Il s’affirme en lien avec les logiques de reconversions industriel-les, les recompositions sociales et spatiales des villes, mais aussi avec l’évolutiondes problématiques de l’immigration, de “l’intégration” et de la citoyenneté. Il seretrouve ainsi au cœur des opérations de renouvellement urbain engagées sousl’égide de l’Etat et des collectivités locales pour “reconfigurer” les grands ensemblesd’habitat social et promouvoir la “mixité urbaine”.

Au moment où paraît ce guide, alors que s’effondrent les repères des mondes popu-laires des décennies 1950-70 et que les quartiers sensibles sont le théâtre de démo-litions spectaculaires de barres et de tours HLM, des centaines de militants associa-tifs, chefs de projets, artistes, élèves ou enseignants sont engagés dans des actionsvisant à recueillir des traces du passé. Ce n’est pas par hasard, évidemment : lebesoin de mémoire est d’autant plus puissant que disparaissent les vestiges maté-riels dans lesquels s’enracinent les souvenirs. Il s’accroît sans doute aussi avec lesentiment d’un avenir économique incertain et avec l’accélération des mobilités rési-dentielles et familiales. Et il est peut-être encore plus pressant dans les groupessociaux peu dotés en patrimoine matériel, marqués par la diversité culturelle, le faitmigratoire et l’héritage colonial, qui constituent aujourd’hui, en grande partie, lesmondes de la banlieue.

On peut certes comprendre ce besoin de mémoire qui émane des populationsaujourd’hui rassemblées dans la ville et soumises à divers risques de fragilisationsociale ou identitaire. Mais la multiplication des “actions mémorielles” menées avecle soutien des pouvoirs publics, voire sur commande des collectivités locales, desorganismes HLM ou des équipes-projets de la politique de la ville ne va pas sansposer question. Lorsque la mémoire devient un objet d’action publique, qu’elle mobi-lise des professionnels et des crédits publics ; lorsqu’elle se trouve en jeu dans desopérations qui touchent à la recomposition des villes - avec bien souvent à la clefdes mouvements de populations - on ne peut pas ne pas s’interroger sur la manière

Introduction

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dont ce sujet est abordé, travaillé, exploité par l’ensemble des acteurs concernés.

C’est à ces acteurs que ce guide s’adresse. Il prend la forme, non de recommanda-tions méthodologiques, mais d’éclairages théoriques et pratiques, sur des thémati-ques qui préoccupent les professionnels et les militants mobilisés sur ces “actionsmémorielles”, en lien avec des opérations de requalification urbaine. Il rassembledes textes d’auteurs ayant travaillé sur la mémoire, l’histoire, l’oubli ou l’amnésie -philosophes, sociologues, historiens ou psychologues… -, des présentations d’expé-riences conduites dans différentes régions, et des entretiens avec des acteurs quilivrent leur point de vue, parfois critique, sur les dynamiques en cours.

Le travail de mémoire, sur les sites de la géographie prioritaire de la politique de laville, pose en effet de réelles questions éthiques à ceux qui s’y engagent. Questionsqui ont à voir aussi bien avec le sens des actions en cours (le “pourquoi” de ces opé-rations, leurs objectifs, plus ou moins explicites) qu’avec les usages sociaux et poli-tiques de la mémoire, les risques d’instrumentalisation des témoins ou de leurs paro-les, ou encore la manière dont est produite et écrite l’histoire des sociétés locales,à partir des souvenirs et des archives.

Qui mobilise-t-on au juste sur les “actions mémorielles” conduites aujourd’hui dansles villes françaises ? Qui les initie (institutions, groupes de militants…) et à quellefin ? Comment concilie-t-on l’appel à la mémoire des habitants d’un lieu avec ledéplacement de ces mêmes habitants sur d’autres quartiers ? Que fait-on de la massedes témoignages recueillis ? Ces travaux de mémoire nourrissent-ils d’une manièreou d’une autre les projets urbains en cours ? Autant de questions à propos desquel-les on trouvera ci-après, sinon des recettes, du moins des pistes de réflexion, quechacun pourra approfondir en fonction de sa propre expérience.

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Selon qu’elles sont liées à la politique de la ville, aux politiques sociales ou aux poli-tiques culturelles, à des initiatives venues “d’en bas” (associations, groupes d’habi-tants…) ou “d’en haut” (municipalités, services de l’Etat, institutions…), lesactions en cours autour de la mémoire des lieux et des populations dans la villepoursuivent des objectifs différents, qui ne sont d’ailleurs pas toujours clairementformulés.

Certaines veulent répondre au “besoin d’histoire” de villes ou de groupes précis dela population : “reconnaître l’apport des populations les plus pauvres dans l’histoirelocale”, “resituer l’histoire des grands ensembles dans l’histoire nationale”… D’autres,apparentées par leurs promoteurs à “une nouvelle forme de travail social”, sontconduites de manière plus ou moins explicites à des fins thérapeutiques, individuel-les ou collectives : “favoriser l’estime de soi”, “aider les individus à redevenir acteursde leur propre vie”, “contribuer à l’insertion de populations en difficulté”, “encoura-ger la transmission intergénérationnelle”. Ailleurs, les actions en question sont inves-ties d’une fonction de “gouvernance urbaine” : la mémoire est alors conçue commeun thème “fédérateur et mobilisateur”, susceptible d’aider à transcender les différen-ces et à fournir une perspective commune aux citadins. En faisant partager une cer-taine idée de la société locale et de son histoire, il s’agit de lutter contre les logi-ques de fragmentation ou de ségrégation qui divisent la cité : “créer du lien social”,“permettre aux habitants de réintégrer le tissu social et urbain de la ville”, “réhabili-ter l’image des quartiers périphériques”, “développer la citoyenneté”…1.

Nombre de ces actions sont ponctuelles, conçues pour “accompagner” des opérationsde démolitions, et à ce titre plus souvent assimilables à des démarches de commu-nication qu’à un travail en profondeur des sociétés locales. Mais d’autres s’ancrentdans la durée, diffusent sur l’ensemble d’un territoire, avec l’idée, plus ou moinsexplicite, de contribuer à “faire société”.

Au-delà des intentions affichées, l’analyse des actions en cours montre pourtant quele travail de mémoire est un processus complexe, qui “échappe” souvent à ses pro-moteurs ou aux acteurs qui y participent. Ainsi, par exemple, alors que l’on voudraitproduire de la cohésion sociale, de l’unanimité, de la reconnaissance mutuelle entre

Faire société dans la ville en mouvement. La mémoire, au service de la cohésion sociale ?

1- Les formules citées ici sont extraites du Répertoire analytique des actions de terrain travaillant l’histoire et/oula mémoire de populations et/ou de territoires, réalisé en 2003 par Jean-Barthélémi Debost, dans le cadre du pro-gramme de recherche interministériel “Mémoires, production de sens et récits de et dans la ville”. Rapport dispo-nible au Ministère de la culture et de la communication ou au Centre de ressources de la Délégation interminis-térielle à la ville.

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groupes de population d’une même ville, il arrive que certains travaux mémorielsréveillent des conflits sous-jacents, redoublent le sentiment d’exclusion de certainshabitants, voire renforcent les phénomènes de territorialisation ou de ségrégationcontre lesquels il s’agissait de lutter. En “figeant” des représentations de l’Autre, dupassé ou de tel territoire ; en passant sous silence certaines mémoires minoritairesau profit d’autres (qui vont se trouver légitimées par la publication d’un ouvrage oud’un film…) ; ou encore en assignant les citadins à une mémoire univoque — cellede leur quartier, de leur origine ethnique ou de leur appartenance professionnelle —on peut en effet contribuer à “durcir” des identités collectives. On peut aussi favo-riser le repli nostalgique sur le passé, voire instaurer de nouvelles frontières symbo-liques dans la ville.

Comment gérer cette dynamique de la mémoire, dans le contexte fragile et souventconflictuel des territoires urbains soumis à démolition ou à réaménagement ? Au-delà de l’accumulation de mémoires micro-locales ou communautaires, commentprendre en compte la diversité culturelle, saisir les phénomènes de mobilité et lesappartenances multiples qui caractérisent les sociétés urbaines contemporaines ? S’iln’y a pas de recettes en la matière, les expériences des uns et des autres montrentque c’est en s’interrogeant sans cesse sur le sens de l’action, en ne travaillant passeul dans son coin — mais plutôt en réseau ou en partenariat — et en faisant l’ef-fort d’expliciter dès le début et tout au long de la démarche l’utilité sociale ou his-torique de ce travail sur le passé, que l’on peut limiter les risques de mésusages oud’instrumentalisation de la mémoire.

C’est aussi en cherchant à penser dans ces travaux non plus le seul quartier, mais laville ou l’agglomération dans son ensemble — véritable échelle des pratiques cita-dines. Si la mémoire est souvent attachée à des lieux, les porteurs de mémoire, eux,circulent, ont circulé dans la ville et au-delà. Il est des mémoires délocalisées, incar-nées par exemple dans des objets que l’on garde avec soi. Et il en est d’autres quise construisent au travers de pratiques rituelles, de déplacements, d’événements…,qui font sens davantage par leur régularité temporelle que par leur inscription spa-tiale. Saisir ces mémoires-là, montrer en quoi elles influent sur le rapport des cita-dins à la ville, c’est mieux comprendre les dynamiques urbaines actuelles et la com-plexité du fait métropolitain tel qu’il s’organise à l’échelle mondiale. C’est aussi sedonner les moyens de construire des interprétations partagées du passé capables denourrir la ville en devenir, dans toute sa complexité.

Faire société dans la ville en mouvement.

La mémoire au service de la cohésion sociale ?

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(…) Auguste Comte observait que l’équi-libre mental résulte pour une bonne part,et d’abord, du fait que les objets matérielsavec lesquels nous sommes en contactjournalier ne changent pas ou changentpeu, et nous offrent une image de perma-nence et de stabilité. C’est comme unesociété silencieuse et immobile, étrangèreà notre agitation et à nos changementsd’humeur, qui nous donne un sentimentd’ordre et de quiétude. (…)

Il ne s’agit pas seulement de la gêne quenous avons à changer nos habitude smo t r ic e s. Po u rq uoi s’attache-t-on auxobjets ? Pourquoi désire-t-on qu’ils nechangent point, et continuent à noustenir compagnie ? Ecartons toute considé-ration de commodité ou d’esthétique. Ilreste que notre entourage matériel porte àla fois notre marque et celle des autres.Notre maison, nos meubles et la façondont ils sont disposés, tout l’arrangementdes pièces où nous vivons, nous rappel-lent notre famille et les amis que nousvoyons souvent dans ce cadre. (…)

Empreintes réciproquesDe fait, les formes des objets qui nousentourent ont bien cette signification.Nous n’avions pas tort de dire qu’ils sontautour de nous comme une société muetteet immobile. S’ils ne parlent pas, nous lescomprenons cependant, puisqu’ils ont unsens que nous déchiffrons familièrement.(…) Il serait exagéré de prétendre que lesdéménagements ou changements de lieu,

Auteur en 1925 d’un ouvrage sur Les cadres sociaux de la mémoire, MauriceHalbwachs a poursuivi ses réflexions sur la mémoire collective dans une série detextes rédigés peu de temps avant sa déportation et son assassinat par les nazis.Il y analyse, entre autres, les phénomènes “d’adhérence” aux lieux des individuset des groupes. Même si elles sont à prendre avec le nécessaire recul du temps,ces réflexions apportent des éclairages précieux dans le contexte de démolition-reconstruction des quartiers populaires qui est de nouveau à l’ordre du jour enFrance.

Maurice Halbwachs - SociologueExtraits de La mémoire collective, ©Presses Universitaires de France, 1950.

Analyse

et les modifications importantes introdui-tes à certaines dates dans l’installation etl ’ a me u b l e me nt d’un apparteme nt, ma r-quent autant d’époques dans l’histoire dela famille. La stabilité du logement et deson aspect intérieur n’en imposent pasmoins au groupe lui-même l’image apai-sante de sa continuité. (…)

Lorsqu’un groupe est inséré dans une par-tie de l’espace, il la transforme à sonimage, mais en même temps, il se plie ets’adapte à des choses matérielles qui luirésistent. Il s’enferme dans le cadre qu’il aconstruit. L’image du milieu extérieur etdes rapports stables qu’il entretient aveclui passe au premier plan de l’idée qu’il sefait de lui-même. Elle pénètre tous les élé-ments de sa conscience, ralentit et règleson évolution. L’image des choses parti-cipe à l’inertie de celle-ci. (…) Ce n’estpas l’individu isolé, c’est l’individu en tantqu’il est membre du groupe, c’est legroupe lui-même qui, de cette manière,demeure soumis à l’influence de la naturematérielle et participe de son équilibre.Alors même qu’on pourrait croire qu’il enest autrement, quand les membres d’ungroupe sont dispersés et ne retrouventrien, dans leur nouvel entourage matériel,qui leur rappelle la maison et les cham-bres qu’ils ont quittées, s’ils restent unis àtravers l’espace, c’est qu’ils pensent àcette maison et à ces chambres. (…)

Ainsi s’explique que les images spatialesjouent un tel rôle dans la mémoire collec-

Images spatiales et mémoire collective.

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tive. Le lieu occupé par un groupe n’estpas comme un tableau noir sur lequel onécrit puis on efface des chiffres et desfigures. (…) Le lieu a reçu l’empreinte dugroupe et réciproquement. (…) Chaqueaspect, chaque détail de ce lieu a lui-même un sens qui n’est intelligible quepour les membres du groupe, parce quetoutes les parties de l’espace qu’il a occu-pées correspondent à autant d’aspects dif-férents de la structure et de la vie de leursociété, au moins à ce qu’il y a eu en ellede plus stable. (…)

RésistanceSi, entre les maisons, les rues, et les grou-pes de leurs habitants, il n’y avait qu’unerelation tout accidentelle et de courtedurée, les hommes pourraient détruireleurs maisons leur quartier, leur ville, enreconstruire, sur le même emplacement,une autre, suivant un plan différent ; maissi les pierres se laissent transporter, iln’est pas aussi facile de modifier les rap-ports qui se sont établis entre les pierreset les hommes. Lorsqu’un groupe humainvit longtemps en un emplacement adaptéà ses habitudes, non seulement ses mou-v e me nt s, mais ses pensées aussi serèglent sur la succession des images maté-rielles qui lui représentent les objets exté-rieurs. Supprimez maintenant, supprimezpartiellement ou modifiez dans leur direc-tion, leur orientation, leur forme, leuraspect, ces maisons, ces rues, ces passa-ges, ou changez seulement la place qu’ilsoccupent l’un par rapport à l’autre. Lespierres et les matériaux ne vous résiste-ront pas. Mais les groupes résisteront, et,en eux, c’est à la résistance même sinondes pierres, du moins de leurs arrange-ments anciens que vous vous heurterez.(…)

Pour que cette résistance se manifeste, ilfaut qu’elle émane d’un groupe. Ne nous y

trompons pas en effet. Certes il est inévi-table que les transformations d’une villeet la simple démolition d’une maisong ê ne nt quelques ind i v idus da ns leurshabitudes, les troublent et les déconcer-tent. Le mendiant, l’aveugle cherche entâtonnant l’encoignure où il attendait lespassants ? Le promeneur regrette l’alléed’arbres où il allait prendre le frais, et s’af-flige de voir disparaître plus d’un aspectpittoresque qui l’attachait à ce quartier.(…) De tels regrets ou de tels malaisesindividuels sont sans effet parce qu’ils netouchent pas de collectivité. Un groupe,au contraire, ne se contente pas de mani-fester qu’il souffre, de s’indigner et deprotester sur le moment. Il résiste detoute la force de ses traditions, et cetterésistance n’est pas sans effets. Il chercheet il réussit en partie à retrouver son équi-libre ancien dans des conditions nouvel-les. Il essaie de se maintenir ou de sereformer dans un quartier ou dans une ruequi ne sont plus faits pour lui, mais surl’emplacement qui était le sien. Pendantlongtemps, de vieilles familles aristocrati-ques, un ancien patriarcat urbain n’aban-donnent pas volontiers le quartier oùjusqu’à présent et depuis un temps immé-morial ils avaient fixé leur résidence, mal-gré que la solitude se fasse autour d’euxet que de nouveaux quartier riches sedéveloppent sur d’autres points, avec desvoies plus larges, des parcs à proximité,plus d’air, d’animation et un aspect plusmoderne. Mais la population pauvre nonplus ne se laisse pas déplacer sans résis-tance, sans des retours offensifs et, mêmequand elle cède, sans laisser derrière ellebien des parties d’elle-même. Derrière lesfaçades nouvelles, aux abords d’avenuesb o rdées de ma i s o ns ric hes récemme ntbâties, dans les cours, dans les allées,dans les ruelles environnantes, la viepopulaire d’autrefois s’abrite et ne reculeque pas à pas. (…)

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La Ville de La Courneuve mène depuisdeux décennies une politique visant àrefaçonner la ville à partir de l’héritageurbanistique des années 1960, marquées notamment par la construction de la Cité des 4000. En tant que maire, vous conduisez d’importantes opérations de restructuration urbaine dans le cadrede l’un des 50 Grands projets de villefrançais (GPV). Pourquoi, dans cecontexte, travailler sur la mémoiredes lieux ?

La ville a toujours été, historiquement, aucœur des mutations lourdes de la régionparisienne, compte tenu de sa proximitéi m m é d iate de Paris et de la fo r t econnexion des moyens de transport enc o m mun qui tra v e r s e nt son territoire(ligne B du RER, métro, tramway, autorou-tes). C’est une ville qui a toujours beau-coup bougé. Pour vous donner un ordred’idée, La Courneuve comptait 18 000habitants en 1955 ; dix ans plus tard, elleétait passée à 42 000. Nous sommesensuite descendus à 32 000 au début desannées 80 en raison du retrait d’un certainnombre d’activités industrielles, avant deremonter à environ 35 000 habitantsaujourd’hui. Dans ces conditions, la ques-tion de l’appropriation de l’histoire et dela mémoire prend une place particulière.

Comment ont été vécues les démolitions d’immeubles ?

Engagée dès les années 1980, la restruc-turation urbaine, qui se poursuit depuis2000 dans le cadre du GPV, se traduira autotal par la démolition de 1200 logements(quatre barres de 300 logements, dont unedétruite en 1986, une en 2000, deux en2004, une autre prévue en 2009).Parallèlement, nous travaillons sur desréhabilitations, la construction de nou-veaux immeubles et la création d’un mail-

InterviewLa Courneuve. Redonner du sens.

Gilles Poux Maire de La Courneuve

lage viaire permettant d’asseoir une vie dequartier traditionnelle. Il s’agit de repen-ser la ville pour faire en sorte que l’onpuisse aller d’un point à un autre en tra-versant les quartiers, sans avoir ce senti-ment de pénétrer dans des cités vécuescomme des enclos.

Le choix de démolir certains bâtiments aété fait en fonction des difficultés techni-ques que ceux-ci posaient, mais aussi dela non perc e p t ion, par la populatio nc o m me par no u s - m ê me s, d’alterna t i v e scrédibles à la démolition. Bien que large-ment partagé par la population, ce choixétait en même temps traumatisant pourles familles qui vivent là, dont bon nom-bre sont précarisées, connaissent des dif-ficultés de vie importantes. Les enquêtessociales ont bien montré l’ambivalencedes opinions vis-à-vis des démolitions :les conditions de vie dans ces barres sontdevenues tellement difficiles que les habi-tants souhaitaient en partir. Et en mêmetemps, il y avait des craintes quant aurelogement, une peur…, une appréhen-sion du changement. Environ deux tiersdes gens ont souhaité être relogés “dansle quartier”. Malgré tous les problèmesqu’ils y rencontrent, celui-ci reste le lieuoù ils ont leurs repères, leurs usages. Ilsont tissé des liens, des savoirs…, qui leurprocurent, dans un champ certes trèsétroit - précisément parce qu’ils sont pré-carisés - un sentiment de sécurité inté-rieure. Les gens connaissent leur apparte-ment, leurs voisins de palier, la directricede l’école, le centre social, la CAF…, etparfois cela s’arrête là. Avec la démoli-tion, c’est un morceau de leur vie qui estamené à disparaître. Parce que ce qu’ilsavaient construit là était en quelque sorteleur seul “bien”, leur seul moyen dereconnaissance, parce qu’ils étaient “delà”, le fait de partir suscite des angoisses.C’est un moment de fragilité supplémen-taire que l’on crée.

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Se pencher sur la mémoire des lieuxserait un moyen d’atténuer cetteangoisse de la démolition ?

Oui. Nous nous demandions comment fairepour que la démolition n’induise pas unabandon complet de leur patrimoine àeux. Nous avons lancé ce travail avec leshabitants de la barre Renoir, avec l’équipedu GPV, des associa t io ns de qua r t ie rvolontaires, les élus qui suivaient ce sec-teur-là…. Et nous nous sommes appuyéssur des professionnels capables d’accom-pagner cette dynamique de réappropria-tion collective d’une mémoire du lieu. Ladémarche associait une approche photo-graphique — les familles étant invitées àposer comme elles le voulaient — et desateliers d’écriture, où ceux qui le dési-raient pouvaient se raconter. Cela a donnélieu à des rencontres régulières, qui ontaccompagné toute l’opération de reloge-ment, pendant pratiquement un an.La res-titution de tout ce matériau s’est faite àtravers la publication d’un livre de grandequalité graphique, qui a été distribué àtous les habitants de la barre lors d’unerencontre au centre culturel, autour d’uneexposition des photographies et d’une lec-ture des textes. C’était un moment de par-tage collectif, d’aboutissement, avant ladémolition qui a eu lieu en 2000. SurRavel-Presov, nous avons initié la mêmedémarche, mais elle a finalement donnélieu à un “opéra populaire”, un composi-teur ayant accompagné les gens pour lamise en musique de leurs textes.

Au-delà de ces initiatives localisées,liées à des opérations de démolition,envisagez-vous de mener une démarcheplus globale à l’échelle de la ville ?

L’un des ens e ig ne me nts que je tire de cesex p é r ie nces-là, c’est que pour être bie nda ns une ville, mais aussi pour être enme s u re de se projeter da ns l’avenir - quel’on démolisse ou pas - il faut pouvoir s’ap-puyer sur une histoire commu ne. Dans uneville comme la nôtre, confro ntée à ces

f l uc t ua t io ns issues de l’évolution de lasociété, nous de v o ns travailler à re do n ne rdu sens aux cho s e s. Redo n ner du sens,c’est expliquer quelle est l’histoire de laville qui a accueilli ces populatio ns au fildes ans ; c’est aussi re do n ner des ra c i ne scollectives à des ge ns qui, de par leurs his-t o i res de vie, de par leurs mig ra t io ns suc-c e s s i v e s, leurs cultures différe ntes — il ya aujourd ’ hui sur La Courneuve plus de 80na t io nalités — ont de la difficulté àa p p r é he nder la ville. Nous avons constaté récemme nt, da ns lec a dre d’une étude sur le cent re ville et les4000 No rd, que l’action publique était peul i s i b l e, qu’elle n’était pas perceptible part o u s. Les ge ns conna i s s a ie nt tel ou tel gui-c het, mais ils avaie nt du mal à compre ndrec o m me nt les choses fo nc t io n na ie nt, pour-q uoi elles se fa i s a ie nt. Cela variait bie né v ide m me nt en fo nc t ion de leur situa t io np e r s o n ne l l e, de leurs diffic u l t é s. Mais da nsl ’ e ns e m b l e, ils ne perc e v a ie nt pas les cho-ses da ns leur globalité, parce que ce che-m i ne me nt leur échappait : comme nt las i t ua t ion actuelle s’était cons t r u i t e, pour-q uoi on faisait ça aujourd ’ hui et pourq uo ide main, on voulait évent u e l l e me nt fa i rea u t re chose… Il y avait des diffic u l t é sd ’ a p p ro p r ia t ion. Cela nous a conduits àt ravailler sur ce que nous avons appelé un“ p rojet de ville”. Non pas un pro g ra m meu r b a n i s t i q u e, mais un projet de développe-me nt, qui tente de do n ner du sens autourde valeurs. Pour l’ins t a nt, il s’agit d’undo c u me nt de 7 à 8 page s, volont a i re me nts y nt h é t i q u e, organisé en 3 chapitres : d’oùv e no ns - no u s, où en somme s - nous aujour-d ’ hui et que voulons - nous fa i re de main ? Ila été élaboré avec les élus, les servic e smu n icipaux, les acteurs public s, et il seramis en débat plus large me nt avec la popu-l a t ion en 2006, avec le support des comi-tés de voisina ge et du réseau associa t i flocal. Au mo me nt où nous nous pro j e t o nsda ns le futur Plan Local d’Urbanisme(PLU), qui va tracer les lig nes dire c t r ic e sde la ville pour les 15/20 pro c h a i ne sa n n é e s, j’ai trouvé opportun de ra p p e l e rl ’ h i s t o i re.

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Dans le livre “La Courneuve, rueRenoir… avant démolition”2, les sujetsdouloureux ne sont pas évités.Les drames qui ont marqué les 4000sont abordés, en particulier l’assassinatd’un jeune en 1971, et d’un enfant en1983. Que doit-on faire, à votre avis,de la part souffrante de la mémoire ?Est-il bon de la rappeler publiquement ?

Je crois qu’il est important d’en parler.Lorsque nous avons engagé ce travail col-lectif, nous n’avions pas forcément penséaux traumatismes que les gens avaient pusubir. Mais nous nous sommes aperçustrès vite que ces dra mes ressortaients p o nt a n é me nt. Pa rce que c’était de smoments phares… Les mêmes personnesnous parlaient de l’époque mirifique deleur arrivée à Renoir, de la découverte deleur salle de bains, de Paris vu du 12èmeétage, du centre commercial florissant àl’époque…, et en même temps de ladégradation des lieux, du Narval3, de lamort du petit Toufik4. Nous avons doncfait le choix de ne pas édulcorer l’histoire.Je crois que chaque fois que l’on tente degommer une part d’histoire, cela empêcheles uns et les autres de la digérer, de l’ac-cepter. On n’en parle pas, mais cela restecomme autant de blessures, de fractures,qui sont un handicap pour une appropria-tion collective du présent.

Nous en avons eu un exemple assez frap-pant lorsqu’une association m’a sollicitépour engager un travail de mémoire parrapport au 17 octobre 1961. J’étais tout àfait d’accord pour travailler là-dessus,mais je ne mesurais pas à quel point cesujet était douloureux pour les popula-tions d’origine maghrébine, qui vivent làdepuis les années 60, depuis la construc-tion des 4000. C’était une souffranceenfouie, qui quelque part les empêchaitde se r econnaître pleinement dans la

société française. Cette date, elle ne faitpas partie de l’histoire de Fra nc e.Personne ne savait, ça n’existait pas...Moi-même, j’avais 4 ans à l’époque…, j’aiappris la vérité assez récemment. Nousavons donc monté un collectif, engagé laréflexion. En discutant, nous avons parexemple appris que l’ancien président dela mosquée, que je connais depuis 20 ans,était parti ce jour-là manifester à Paris, etqu’il avait été jeté à la Seine. Il n’en avaitj a mais parlé. Fina l e me nt, nous avonsd é c idé d’appeler “Rue du 17 octobre1961” la nouvelle voie qui passe devant lecentre commercial. Après l’inauguration,le nombre de gens qui sont venus me voirpour me remercier ! Le fait de donner cenom à une rue, c’était pour eux une libé-ration.

Pensez-vous que ces blessures se transmettent de génération en génération ?

Absolument. Et y compris sur des sujetsmoins graves, pour lesquels nous sommesdirectement responsables, nous, la ville.Je pense par exemple à un espace pour lesjeunes, qui a fermé en 1983. À l’époque,je n’étais pas impliqué dans les affaires dela ville, j’étais militant syndical dans uneentreprise. C’était dur dans le quartier. Peuà peu, les animateurs s’étaient fait dépas-ser, l’équipement avait été squatté, c’étaitdevenu un lieu de deal. Si bien que déci-s ion a été prise de fermer le lie u .Autoritairement. Sauf qu’on n’a jamaisréouvert, parce qu’on n’a pas trouvé desolution immédiate, et puis le temps apassé… Et bien, aujourd’hui, des jeunesme parlent encore de ça. Des jeunes quin’ont pas connu le lieu. C’est la même chose pour les morts de LaCourneuve. Si l’on n’en parle pas, ils res-tent comme des morceaux de mémoireenfouis, qui sont autant d’obstacles, de

2 - Photographies d’André Lejarre et Olivier Pasquiers, textes de Fabienne Thiéry, Le bar Floréal • Éditions, 2000.3 - Référence au drame qui a endeuillé la Cité des 4000 en 1971 : au pied de la barre Renoir, le patron du caféLe Narval tire sur un jeune et le tue. Les journalistes affluent dans la Cité. 4 - Victime du geste fou d’un habitant, à l’été 1983.

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freins objectifs à la capacité de construireensemble, de nourrir de la citoyenneté, dese rassembler pour porter des projets. Sil’on veut construire un autre avenir, plushumain, mobiliser largement autour decette ambition, il faut reconnaître lesgens tels qu’ils sont, avec leur histoire.Sinon le sentiment s’installe du refus, dela part de la société, de leur donner leurplace. C’est particulièrement vrai dans lesquartiers difficiles, où ces expériences,ces souffrances deviennent dans la têtedes gens des moments symboliques, surlesquels viennent se raccrocher toutes lesexclusions dont ils sont victimes. Desconnexions se font… Et comment fairecroire que l’on va s’attaquer à ces inégali-tés, à ces exclusions, si l’on ne mène pas,déjà, ce travail sur le passé, qui est leb.a.-ba ?

“Faire le travail”, c’est aller jusqu’où ?Est-ce qu’il suffit de faire parler lesgens, de laisser leur douleur s’exprimer,pour que la reconnaissance s’installe ?

Il faut que ce travail de mémoire, surquelque sujet que ce soit, puisse se tra-duire par des actes qui restent. La publi-cation d’un livre est de cet ordre-là : quel-que chose qui va prendre place dans laville. De même, le fait d’avoir dénomméune rue du 17 octobre 61, cela marquel’espace public, c’est une trace, qui permetde passer à autre chose. Ce qui ne veutpas dire qu’on n’en discutera plus… Maisc’est un acte qui ouvre une démarche decheminement partagé. Sur Ravel-Presov,nous travaillons à ce qu’il reste des traces,dans l’aménagement urbain, de ce quiexistait avant la démolition. Des tracessymboliques - un morceau de pierre, unaménagement paysager… - qui rappelle-ront par exemple l’emplacement des fon-dations des anciennes barres, entre lesespaces reconstruits. Il ne s’agit pas d’éri-ger un monument, mais de dire simple-ment : “Ce lieu, avant d’être tel qu’il estaujourd’hui, a vécu autre chose”.

Propos recueillis par Catherine Foret

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Les “entreprises mémorielles” en cours sur les quartiers populaires ne seraient-elles que des exercices “d’animation urbaine” imposés à l’occasion de la dispari-tion des tours et des barres ? On peut se le demander, au regard de leur multi-plication et du déficit de réflexion qui entoure nombre d’entre elles. Commentalors dépasser la simple “logique d’inventaire”, pour inscrire ces mémoires plu-rielles dans un espace partagé et une histoire commune ?

Lela Bencharif - GéographeChargée de recherche, Université Jean Monnet de Saint-Etienne

Extraits d’un article paru dans la revue Pour, n° 181 mars 2004.

De “l’impératif culturel” à la constructiond’un héritage commun.

(…) Au plus près des territoires d’habitatsocial, nombre de projets relevant des dis-positifs initiés par la politique de la ville,et associant de manière transversale unediversité de partenaires institutionnels(DIV, Fasild, DRAC5) inscrivent dans leursprocédures d’action sociale et culturelleun volet “mémoire”. L’attention portée àcette entreprise mémorielle dans les quar-tiers populaires repose sur le triple postu-lat selon lequel le travail sur la mémoirefavoriserait la recomposition des lienssociaux entre les groupes, réduirait lestensions sociales et participerait de lac o ns t r uc t ion d’une mémo i re collective,c’est-à-dire d’une histoire partagée parl ’ e nsemble des habitants (…). Plusencore, il y a dans ce processus unedimension de reconnaissance et de valori-sation de populations qui vivent dans lesfranges urbaines les plus paupérisées.D i me ns ion de re c o n na i s s a nce à vertu“intégrationniste”, comme le rappelle plusspécifiquement un des objectifs du Fasild,qui encourage, dans ses missions d’inté-gration et de lutte contre les discrimina-tions, “une politique de la mémoire indis-sociable de la reconnaissance des droitsdes immigrés dans la nation et la société”.reconnaissance publique de ces popula-tions invitées à prendre place dans le filde l’histoire croisée et de la mémoire col-lective. Dimension de valorisation à tra-vers laquelle l’action mémorielle permet-

trait, d’une part de renverser les imagesnégatives des groupes sociaux stigmatiséset, d’autre part, d’envisager d’autres sys-tèmes d’identification (pour soi-même etpour autrui, individuelle et collective) deslieux ou territoires, porteurs d’images for-tes traduisant autant de représentationssocialement et historiquement construi-tes.

Des formes savantes de la culturedominante ?Au-delà de ces enjeux louables et com-plexes, la problématique qui vise à pro-mouvoir les mémoires sociales renvoie àd’autres systèmes d’interprétation. “Fairede la mémoire” dans l’espace social descatégories populaires ou immigrées, c’est-à-dire là où l’on ne s’y attendait pas, ou làoù on ne l’attendait plus, revient aussi àmobiliser et injecter dans le développe-me nt culturel des fo r mes “savant e s ”issues de la culture dominante. Commepour mieux signifier que la mémoire entant que processus de construction et sonpendant, le patrimoine, dès lors que lamémoire s’est fixée, patrimonialisée, n’estplus l’apanage des groupes dominants.Imposé comme un enjeu important de lapolitique de la ville et renforcé par leprincipe de la démocratisation culturelle,le champ d’action mémorielle agit ainsicomme une sorte d’impératif culturel, auxeffets cathartiques, sous-tendant l’idée

Analyse

5 - Délégation interministérielle à la ville, Fonds d'action et de soutien pour l'intégration et la lutte contre lesdiscriminations, Directions régionales des affaires culturelles.

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d’un processus de diffusion/transmissiond’une norme culturelle référencée vers lespopulations les plus défavorisées.

Logique de l’urgenceDe cette dynamique géographiquement etsocialement désignée, émergent dans l’es-pace public de nouvelles formes de miseen valeur des mémoires sociales et urbai-nes (…).

Ces projets culturels, à dimension artisti-que ou historique, et qui renferment leplus souvent un aspect d’anima t io nurbaine, reposent essentiellement sur untravail de recueil de témoignages. Ecriturecroisée et récits de vie, avec pour objectifla restitution d’une histoire de quartierarticulée aux mémoires plurielles qui lafaçonnent. Ils peuvent dans leur mise enscène mobiliser différents supports dep ro duc t ion (film, livre, ex p o s i t io n … ) .Mais, en dépit de leur dimension symboli-que et créatrice (…), nombreux sont lesprojets qui ont du mal à être inscrits dansu ne cont i nuité spatio - t e m p o re l l e. Enrésulte alors une juxtaposition d’actionset d’événements, signe d’un processus defragmentation mémorielle plutôt que demise en commun.

Du côté des porteurs institutionnels deces actions, l’intérêt autour d’un travailsur la mémoire des quartiers populairessemble d’autant plus s’imposer qu’il estaujourd’hui conditionné par le phénomènede la dédensification à l’œuvre dans lespolitiques urbaines. Comme si la dispari-tion programmée des tours et des barresobligeait les opérateurs sociaux, avec ousans la mobilisation des habitants, à sau-vegarder dans l’urgence des fragmentsma t é r iels ou imma t é r iels de l’histoireurbaine. Perspective qui révèle, d’une cer-t a i ne ma n i è re, combien l’histoire de sgrands ensembles et le travail de mémoire- mémoires croisées des habitants anciensou derniers occupants, des aménageurs et

des décideurs - autour de ces périphériessociales et urbaines sont loin d’être ache-vées.

Enjeux de pacificationAinsi, ces actions, pour diverses qu’ellessoient, sont fortement déterminées parles problématiques sociales et urbainesdes territoires dans lesquels elles sontdéveloppées. De telle sorte que, produitesdans l’interface action sociale et dévelop-pement urbain, ces actions peuvent révé-ler des enjeux de pacification et de légiti-mation, lesquels laissent avant tout entre-voir des formes d’instrumentalisation del’entreprise mémorielle. Enjeux de pacifi-cation d’un quartier marqué notammentpar des phénomènes de violence, et danslequel des opérateurs désignent et met-t e nt en scène au cœur d’une actio n“mémoire” certains groupes d’habitantsperçus comme “garants de la paix sociale”.Enjeux de légitimation d’une institutionqui, en quête de reconnaissance ou delégitimité, peut être conduite à privilégierl’approche mémorielle dans une démarched’intervention sociale. Ce sont ces écueilsqui inspirent à M. Rautenberg l’idée d’un“acharnement patrimonial s’appliquant àdes quartiers de banlieue”. “Acharnement”à travers lequel il s’agirait dans certainscas de “replacer l’institution politique aucentre d’un processus de reproductionsociale et symbolique dans les lieux qu’ellesent lui échapper”6.

Actions mémorielles et fabrication du patrimoine communDans cette perspective, on peut s’interro-ger sur le statut de ces mémoires socialesdes quartiers urbains dans et hors deslimites des territoires où elles se sontfaçonnées. S’agit-il de faire émerger à par-tir des histoires singulières une mémoirecollective d’un quartier, sans chercher àcomprendre la manière dont elles peuvents’articuler à d’autres échelles d’espace(local, national) et de temps ? Comment

6 - Michel Rautenberg, La rupture patrimoniale, A la Croisée, coll. Ambiances, Ambiance, 2003.

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dépasser cette logique d’inventaire stric-tement géographique des généalogies dequartiers sociaux ? Comment inscrire cesmémoires plurielles et singulières danscette double dimension d’espace partagéet d’histoire commune lorsque les méca-nismes de précarisation et de désaffilia-t ion sociale ma i nt ie n ne nt les gro u p e ssociaux dans la ville de plus en plus segré-guée et fragmentée ? Autant de questionsqui renvoient au sens proprement pédago-gique de ces actions, à leurs conditions deproduction et de transmission dans l’es-pace public. Car on postulera que le tra-

7 - A. Micoud et J. Roux, L’architecture en procès de réhabilitation. Réflexion sur l’appropriation patrimoniale destraditions constructives, in : Les Annales de la Recherche urbaine n°72.

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Contact : [email protected]

vail de mémoire n’a de sens que référé àun cadre de coproduction et de transmis-sion avec l’ensemble des acteurs de lasociété. Autant de questions qui renvoientà l’analyse du statut de ces actions mémo-rielles dans la fabrication du patrimoine,e nt e ndu ici comme l’héritage qu’unesociété cons id è re comme étant dig ned’être transmis aux générations futures.Ce par quoi elle “se reconnaît elle-même,trace ses limites, se définit comme unecommunauté ayant ses biens pro-

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Le cadre scolaire peut être l’occasion d’un travail d’appropriation partagée dupassé, permettant aux jeunes générations de relier les mémoires de la banlieue auxgrands mouvements économiques et sociaux de l’histoire urbaine. Exemple à Vaulx-en-Velin, dans la métropole lyonnaise.

Philippe Videlier - HistorienResponsable de l’unité de recherche du CNRS

Sociétés en mouvement et représentationsExtrait d’un article paru dans Mémoires et identités de l’agglomération lyonnaise, Cahiers Millénaire 3 n°20,

janvier 2000, Grand Lyon, Direction prospective et stratégie d’agglomération (www.millenaire3.com)

(…) En 1989-1990, enseignants et élèves du Collège “Jacques Duclos” (…) entrepre-naient la découverte des racines du quartier usinier, désormais déserté par l’activitéindustrielle, le quartier de “la Soie” où les parents, les grands-parents et déjà lesarrière grands-parents des jeunes élèves s’étaient installés, dans la proximité del’usine de textile artificiel qui les employait. À l’origine, les noms du quotidien :Alimentation de la Soie, Pressing de la Soie, Dépôt de la Soie, Allée de la Boule en Soieet donc, une interrogation née de la survivance d’appellations désormais déconnec-tées de toute réalité, d’un passé aboli par la crise. Les enfants ont recherché docu-ments et photos, et surtout recueilli les récits des anciens, de ceux qui ont fait vivreles cités, l’usine : Italiens, Russes Blancs, Arméniens, Espagnols, Polonais, Hongrois,Algériens, Marocains, Tunisiens, Portugais, Yougoslaves, Cambodgiens, Français detoutes régions. Ces récits, rendus intelligibles aux jeunes par l’apport organisatif etformatif des enseignants, leur faisaient découvrir le monde et ce qui avait rassembléà Vaulx des gens aussi divers. Le travail accompli donne naissance à une brochure,Histoires de Soie (…).

Il est remarquable de constater que le cours de ce travail faisait se télescoper des réa-lités matérielles et temporelles différentes, la soie artificielle se confondant, au termedu parcours, avec la soie tout court. (…) La princesse Hsi-Ling-Shi, les moines del’Empereur Justinien et Marco Polo l’aventureux faisaient leur jonction avec lesouvriers de l’usine TASE. L’imaginaire, le merveilleux, même, entraient dans la mise enscène du quartier déshérité. L’histoire de Vaulx-en-Velin rejoignait dans ce grand mou-vement celle du grand Lyon [capitale de la soie], témoignant de la puissance mobili-satrice et agrégatrice d’une parole mythique proprement lyonnaise.”

ExpérienceVaulx-en-Velin. “Histoires de soie”.

Auteur de plusieurs ouvrages sur les mémoires des populations immigrées, Philippe Videlier accompagnedepuis des années des acteurs de la région lyonnaise dans leurs démarches de recherche historique à par-tir des mémoires locales.Il a publié, entre autres : L’Algérie à Lyon, avec Didier Daeninckx, Editions de la Bibliothèque municipale deLyon 2003, Gratte-Ciel, Editions La Passe du Vent, 2004 et Nuit turque, Editions Gallimard, 2005.

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Pour que les travaux en cours sur les mémoires urbaines ne conduisent pas à favo-riser “l’entre soi”, mais participent au contraire au “vivre ensemble” dans la Cité,il convient de saisir en un même mouvement la pluralité de ces mémoires et leurarticulation avec les autres documents ou traces de l’histoire. Il importe aussi de“ne pas tromper les témoins sur les opérations que l’on conduit”.

André Bruston - Sociologue et urbaniste.Ancien responsable du Plan urbain au ministère de l’équipement et du logement.

Extraits d’interventions au séminaire Mémoires instituées et mémoires à l’œuvre. Les lieux et les gens dans le devenir des villes8 et à la journée Villes et mémoire, les archives de la politique de la ville9, Paris, 17 juin 2004.

AnalyseUn processus collectif de connaissance.

Travailler sur l’histoire et la mémoire desquartiers constitue un enjeu pour les poli-tiques de demain. C’est une manière depréparer l’appréciation d’une société surelle-même, sur ce qu’elle est, ce qui l’afaite. Cela peut permettre par exemple derelativiser le rôle du bâti sur la questions o c ia l e. De compre ndre comme nt lesmémoires des migrants ont souvent étéeuphémisées pour tenter de faire disparaî-tre la brutalité des lieux où notre sociétéles accueillait. Mais pour saisir cesaspects de l’histoire, il importe autant demémoriser les politiques urbaines que defavoriser la remémoration par les habi-tants de leur destinée dans ces quartiers.

La mémoire est en effet un mécanismeessentiel dans le processus de construc-tion personnelle et de construction del’avenir, mais aussi dans le processus col-lectif de connaissance. Les savoirs échan-gés sur la ville et sur la société ne sontpas seulement scientifiques : ils sontaussi fondés sur des connaissances cons-truites par les individus tout au long deleur vie, comme sur les mémoires produi-tes par des collectifs ou par les institu-tions. Ces dernières (hôpitaux, entrepri-ses…) échange nt et pro du i s e nt de sconnaissances sur leur champ d’interven-tion, sur leur territoire, elles ont unemémoire de ce qu’elles ont été.

La mémoire comme réagencement (…) Il y a donc des processus de mémoi-res extraordinairement diffractés. Les tra-vaux en cours sur la mémoire des lieux etdes populations dans la ville placent enposition de débat public, de contradic-tion, tous ces savoirs produits par l’admi-nistration, la recherche et les habitants.Et c’est en saisissant les conditions de cedébat, la manière dont les mémoires sontconstruites et reconstruites (la mémoiren’est pas une donnée mais un réagence-ment), que l’on peut trier ce qui a du sens,les points de vue dont on a besoin pourinscrire ces connaissances dans l’histoire.Cela a été fait à différentes périodes del’histoire de nos sociétés. L’écriture de laBible, par exemple, qui apparaît cohé-rente, est en fait le fruit d’un rassemble-ment de bribes héritées de mémoires dedifférents peuples. La condensation desmé-moires dans un écrit fournit un cadrequi permet de retrouver et de reconstruiredes mémoires propres. Mémoires et his-toire s’articulent ainsi dans des momentsde condensation, de cristallisation. Peut-être sommes-nous actuellement dans unmoment où cette cristallisation des diffé-rentes mémoires des groupes qui consti-tuent notre société est devenu un enjeu -dans un moment où l’entre soi, les affinitéélectives l’emportent sur le vivre ensem-ble. Mais travailler sur la mémoire ne doit

8 - Ecomusée du Creusot-Montceau, 22/23 janvier 2004. Séminaire organisé dans le cadre du programme inter-ministériel Cultures, villes et dynamiques sociales. Pour en savoir plus sur ce programme et les recherches aux-quelles il a donné lieu, voir le site : www.culture.gouv.fr/actions/recherche/cultures_en_ville9 - Organisée par la Direction des archives de France et la Délégation interministérielle à la ville.Voir les sites : w w w. a rc h i ve s d e f ra n c e. c u l t u re. g o u v. f r et w w w. v i l l e. g o u v. f r

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pas pour autant nous conduire à favoriserl’entre soi au détriment de la connais-sance, des processus de connaissance plusrationnels, donnant une chance à des ras-semblements plus larges.

Il fa udrait do nc condu i re un triple tra v a il :de re c o n na i s s a nce du cara c t è re int i me dela mémo i re de chacun (ide nt i t a i re ou pas);de cons t r uc t ion par des collectifs des élé-me nts commu ns de mémo i re (tout collec-

tif tend à se do n ner des éléme nts capablesde cons t r u i re une commu nauté tempo-ra i re) ; et enfin de pro duc t ion de l’histoire.Tout cela en veillant à ne pas tromper lest é mo i ns sur les opéra t io ns que l’onc o nduit. Leur mémo i re peut être mo b i l i s é esur les tra ns fo r ma t io ns actuelles, elle peutl ’ ê t re aussi comme un témo ig na ge, àc o nd i t ion de croiser systéma t i q u e me nt cest é mo ig na ges avec d’autre s, et avec lesdo c u me nts ou traces de l’histoire.

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Empreinte d’autonomie ouvrière et de volonté de transmission, une action associantdes retraités et des lycéens autour de la mémoire du travail s’est déroulée en margede la réflexion urbanistique engagée par la Communauté d’agglomération Caen la mer(29 communes, 226 000 habitants) sur le site de l'ex-Société Métallurgique deNormandie (SMN).

La démarche a été entreprise par l’Association Loisirs Solidarité Retraités deColombelles (proche de la CGT Retraités), alors que la communauté d’agglomérationavait promu la sauvegarde d’un réfrigérant de 60 mètres de haut comme emblème dece site de 140 hectares situé le long du canal de Caen à la mer et ayant employéjusqu’à 6400 personnes dans les années 70.

En 2001, l’association éditait un livret dans lequel elle expliquait ainsi le sens de sonengagement :

“Laisser les cendres obstruer les mémoires serait mépriser ces hommes qui ontdonné le meilleur d’eux-mêmes, de leur savoir faire technologique et humain – de leurvie aussi – dans cette usine. Les employeurs, les maîtres de forge, dans le contexte d’uneguerre économique sans merci, n’ont pas hésité à sacrifier au profit ce secteur produc-tif et ses producteurs.

Alors levez-vous encore, travailleurs de la SMN et parlez. Dites-nous qui vousétiez, ce que vous faisiez, ce que vous avez vécu, de grand et de simple tout à la foisdans votre usine. Dites-nous comment vous avez été forgés comme l’acier que vous pro-duisiez. Dites-le pour les jeunes d’aujourd’hui et de demain pour qu’ils trouvent eux-mêmes dans la continuité de ce que vous avez été, la référence à l’homme dont vousêtes les témoins.

Beaucoup, certes ont écrit sur l’usine, son histoire, sa vitalité passée. Telle n’est pasnotre démarche. Elle n’a d’ambition que de sortir des archives de votre mémoire larichesse, la seule que vous ayez, d’ailleurs, celle de votre savoir-faire, pour qu’elle soitinscrite au grand livre de l’humanité”.

De jeunes lycéens ayant participé, avec l’accompagnement de LSR Colombelles, à laréalisation de la statue du Fondeur, se sont vus remettre ce livret lors de l’inaugura-tion de la statue, en septembre 2001. Le Fondeur côtoie une poche à acier liquide, ausein d'un parc public, alors qu'une partie du site est reconvertie en zone agro-indus-trielle et que le futur campus technologique de Phillips est en projet.

L’activité de l’association s’est ensuite poursuivie avec la réalisation en 2004 d’unefresque représentant la SMN, dans un foyer de personnes âgées de Colombelles.

ExpériencesCaen. La mémoire du travail sur le site del'ex-Société Métallurgique de Normandie.

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Contact : ht t p : / / w w w. uc r. c g t . f r / uc r / L S R / L S R A D 1 4 . ht m

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Le fondeur, sur l’ancien site SMN en 2001. Photographie : Stéphane Valognes.

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Expérience1

Cécile Gouy-GilbertEthnologue

Extraits d’un rapport de recherche pour la mission du patrimoine éthnologique, ministère de la culture, 1999.

Depuis les années 80, nombreuses sont les communes qui ont fait de l’histoire et dela mémoire un enjeu, dans le but de susciter un intérêt des habitants pour leur patri-moine et de développer ainsi une certaine cohésion sociale. Ce besoin de recherched’histoire locale, comme le remarquait il y a quelques années le maire de Dordives(Loiret), est d’autant plus fort dans une commune que cette dernière ne jouit pas d’unpatrimoine architectural très riche.

Longtemps réputée sans histoire, Saint-Martin-d’Hères, commune de la périphérie gre-nobloise, n’a pas échappé à la règle. Dans le double objectif de renforcer ses liensinternes et de s’affirmer dans un contexte d’agglomération, elle a mis en place dès1975 une politique s’appuyant sur l’histoire et la mémoire.

Le symbole de cette politique a été l’achat, en 1980, de l’ancien couvent des Minimes,bâtiment du XVème siècle qui, en 1991 allait accueillir le Service du patrimoine. Cetteacquisition a permis de montrer aux habitants que le territoire était ancré dans lepassé ; elle a aussi permis de lancer une nouvelle politique créatrice de lien socialpuisque, depuis la crise des années 80, la formule de l’intégration à la vie en sociétépar le travail ne fonctionnait plus guère.

En finir avec le passé industrielEn 1985, une première convention de développement culturel est mise en place parla Direction des affaires culturelles de la ville. Elle va donner lieu au lancement de dif-férentes actions culturelles : expositions, conférences, etc. C’est aussi à cette date quela Ville rachète les Ets Neyret-Beylier et y installe la Maison communale. Les années90 sont riches en manifestations diverses qui permettent de développer ou derecréer des images, des symboles valorisant les lieux dans lesquels les habitants peu-vent s’identifier ou se reconnaître. C’est une véritable requalification de la mémoirequi est alors entreprise, avant d’en finir avec le passé industriel de la commune (ate-liers Neyret-Beylier, biscuiterie Brun, etc). Tout ce travail de requalification - qu’ils’agisse de la mémoire des quartiers, de la mémoire ouvrière ou tout simplement dela mémoire historique - part du principe que la mémoire est facteur de cohésionurbaine. Et c’est ce temps de requalification, temps de latence nécessaire, qui va per-mettre à la commune de se métamorphoser.

Vers une ville “à échelle humaine”Aujourd’hui, Saint-Martin-d’Hères a véritablement changé de physionomie : de ban-lieue ouvrière, elle a pris les traits d’une banlieue résidentielle, du fait de l’absenced’industrie lourde et grâce à la proximité du campus. Avec le renouvellement de lapopulation, dû en partie à l’émigration des habitants de la ville-centre vers la péri-phérie, de nouveaux intérêts ont surgi, telle la recherche d’une “ville à échellehumaine”. La prise en compte de cette aspiration a inévitablement pesé sur les poli-

Saint-Martin d’Hères. Usages sociauxdu passé et politique de la mémoire.

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tiques municipales. À l’heure actuelle, on peut considérer que la réalisation d’équipe-ments - culturels, sportifs - ainsi que l’important travail réalisé sur la mémoire locale,ont favorisé le développement d’un sentiment identitaire qui contribue à donner àSaint-Martin-d’Hères cette “échelle humaine” désirée par les habitants. Néanmoins, laquestion de l’urbanité demeure le principal enjeu pour la commune, qui tente d’exis-ter comme une ville et non pas seulement comme un ensemble de quartiers“humains” aux identités bien affirmées.

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Contact : c. go u y - g i l b e r t @ c g 3 8 . f r

Cécile Gouy-Gilbert est aujourd’hui responsable du Musée de la Houille blanche à Lancey,près de Grenoble. Ses recherches s’articulent autour de deux axes : les questions d’acculturation et de résistance dans les communautés indiennes du Mexique ; le rôle de la mémoire et de la patrimonialisation dans les agglomérations des grandes villes.

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La Mission Mémoires et Identités en Val de France (MMIV) a été créée en décembre2003 par la Communauté d’agglomération Val de France, qui regroupe les commu-nes de Sarc e l l e s, Villiers-le-Bel, Arno u v i l l e - l è s - G o nesse et Garge s - l è s - G o nesse (140 000habitants). Elle est née d’un double constat : l’émergence d’initiatives dans ledomaine de l’histoire et du patrimoine, initiatives portées par des personnalités, desassociations ou des institutions dans les quatre villes (collectes de documents,recueils de témoignages, recherches sur l’histoire locale…) ; et la fragilité de certai-nes de ces opérations. Car nombreux sont les obstacles rencontrés dans ce genre d’ex-périences : manque de moyens financiers, difficultés à réunir les compétences tech-niques nécessaires, isolement des porteurs de projet, diffusion limitée des résultatsauprès des publics, réticences à prendre en compte le patrimoine contemporain ou àconsidérer les territoires de banlieue comme des lieux d’histoire…

Maurice Bonnard, vice-président de Val de France, délégué à la Culture et auPatrimoine, a voulu conforter cette dynamique patrimoniale, la considérant comme un“vecteur d’appropriation de l’environnement pour les habitants”, un “outil de connais-sance” et un “moteur d’action pour les projets de développement économiques, sociauxet culturels”. Dans un premier temps, l’action intercommunale a été centrée sur laconstruction et la valorisation de l’histoire des grands ensembles. Ces formesurbaines, qui constituent entre 50 et 80 % de l’habitat dans trois des quatre villes,ont en effet profondément marqué le territoire ; et elles vont connaître une mutationprofonde avec les nombreuses opérations de rénovation urbaine en cours ou en pro-jet. Mais leur intégration comme éléments fondamentaux du patrimoine local resteencore largement à faire.

Une expérience initiée dès 1999 par les Archives municipales de Garges-lès-Gonesseautour du grand ensemble de la Muette avait mis en évidence les enjeux de constitu-tion, d’animation et de partage des mémoires sur le territoire. Soutenir les initiativesexistantes et impulser de nouvelles actions dans ce domaine semblait donc une prio-rité. “Mais cette mémoire des grands ensembles ne doit pas être appréhendée demanière isolée”, explique Catherine Roth, anthropologue, responsable de la mission.La démarche intercommunale est un moyen d’adopter une perspective plus large et deréarticuler mémoires et histoire du territoire. Le patrimoine est ici considérécomme un bien commun à conserver, mais surtout comme “une ressource à partagerpar l’ensemble des populations qui habitent et fréquentent ce territoire, comme par ceuxqui l’approchent de l’extérieur”. Il s’agit à la fois de “révéler la diversité des lieux etdes pratiques, souvent occultée par les clichés sur la banlieue”, de témoigner que cesvilles ont une histoire, qui n’a “ni commencé ni fini avec la création des grands ensem-bles”, et de “construire des interprétations partagées du passé” avec des publics trèsdivers, des habitants aux professionnels (architectes, urbanistes, enseignants…), enpassant par les élus, les scolaires et les associations.

La MMIV, programmée jusqu’en 2006 et qui pourrait se prolonger par la création d’un“centre d’interprétation”* a engagé divers axes de travail :

La Mission Mémoires et Identités en Val de France. Une démarche intercommunale.

Expérience

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■ repérage des porteurs de projets et constitution d’un répertoire des acteurs et desressources, pour faciliter leur mise en réseau,■ élaboration d’outils communs pour la pratique archivistique et historique : guide dessources, bibliographie, fiches méthodologiques,■ actions de sensibilisation et de formation à la conservation, l’exploitation et la valo-risation des archives,■ organisation d’actions culturelles intercommunales : expositions et publications,dont une revue annuelle : Patrimoine en Val de France.

Des ateliers sont également proposés en vue de permettre à des amateurs de s’initierà la recherche. À Garges, c’est un atelier d’histoire des associations qui a démarréen octobre 2004, tandis qu’à Sarcelles, un atelier d’ethnologie organisé avec des col-légiens pour étudier un parc urbain s’est prolongé en 2005-2006 par d’autres actions,à l’occasion du 50ème anniversaire de la création du grand ensemble.

À Villiers-le-Bel, la MMIV apporte un appui technique et scientifique au Conseil desSages, pour une étude historique du grand ensemble des Carreaux. Sur ce site oùune opération de renouvellement urbain est en préparation, l’objectif est de dépasserla simple “collecte de souvenirs, qui permettrait certes de construire du lien social, maisqui n’aurait de sens que pour les habitants du grand ensemble”. L’aide de la MMIV doitpermettre de construire une réflexion historique intéressant des publics élargis, touten constituant des ressources documentaires inédites sur le territoire ; ressources quipourront être utiles pour d‘autres acteurs et d’autres projets. Organisé en partenariatavec les Archives municipales, le Service développement social de la ville, la Maisonde quartier des Carreaux et le collège Léon Blum, l’atelier mobilise sept membres duConseil des Sages, qui s’investissent selon leur sensibilité aux différentes étapes duprojet. L'idée est de “tenir ensemble” les différents aspects de ce que l'on pourraitappeler un travail d'histoire participative : recherche et analyse de documents d'ar-chives, veillée mémoire, collecte de témoignages oraux, analyse des entretiens, ate-lier vidéo associant les Sages et des collégiens, rédaction d’une publication avec l’aidede chercheurs capables de resituer l’histoire des Carreaux dans l’histoire nationale desgrands ensembles, valorisation finale à travers une manifestation publique.

La démarche intercommunale est complexe, mais ses atouts sont importants : mutua-lisation des moyens, renforcement des échanges entre porteurs de projets, inscriptiondes projets sur le long terme, développement d’une perspective qui dépasse l’échelledu quartier.

* Lieu de représentation d’un territoire visant à transmettre au visiteur les significations, la valeur et les perspectivesd’évolution d’un patrimoine naturel ou culturel, au moyen d’expériences sensibles avec des objets, des artefacts, des pay-sages ou des sites.

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Contact : Catherine Roth, Chef de projet Mission Mémoires et Identités,Communauté d'agglomération Val de France1, boulevard Carnot, 95400 Villiers-le-Bel, tél : 01 34 04 20 32, fax : 01 34 19 01 99.

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Édifiée au sommet de la colline du même nom, à 6 km du centre ville de Saint-Etienne, la ZUP de Montreynaud abrite plus de 10 000 habitants. Théâtre de tou-tes les procédures de la politique de la ville depuis plus de 20 ans, elle est aussile cadre d’un travail de mémoire de longue haleine, qui a donné lieu au recueilde centaines de photographies, témoignages et articles de presse. Mais lamémoire des uns n’est pas forcément celle des autres10…

Christelle Morel Journel - Géographe.Maître de conférences à l’Université Jean-Monnet de Saint-Etienne

Saint-Etienne. Conflits de mémoires.Montreynaud ou la question de l’espace et du destin communs.

C’est par arrêté ministériel du 11 mars1966 que fut créée la ZUP de Montrey-na ud. Le ma i re de l’époque, Mic he lDurafour, lui confère alors tous les attri-buts d’une nouvelle ville et en fait l’imagede la modernité pour Saint-Etienne. Ce“ v o l o nt a r i s me mo dernisateur” tro u v equelques arguments dans le contexte del’époque, marqué tant par une croissancedémographique urbaine soutenue (12 %entre 1954 et 1962) que par une conver-sion économique qui semble alors bienamorcée, comme en témoigne l’aménage-ment des zones d’activités du Marais et deMo l i na-La Chazotte qui cons t i t u e nt lependant de la zone d’habitation. La ZUP,encore inachevée, est peu à peu occupéeà partir de 1971. Mais le contexte a alorschangé : la croissance démographique avécu, les espoirs de la reconversion ontété déçus pour partie, la crise économiques’installe, les modes de faire et de prati-quer la ville évoluent en lien avec cesmutations socio-économiques. Dès 1972,des modifications importantes affectent leprogramme de la ZUP (réduction du nom-bre de logements, renforcement du carac-tère social, constitution de réserves fon-cières, etc.). Depuis, de nombreux projetsont “saisi” le quartier de Montreynaud,mobilisant l’ensemble de la gamme desprocédures mises en place par la politiquede la ville.

“Entrepreneur de mémoire”C’est dans le contexte de cette “déjà lon-gue” histoire que se met en place uneentreprise originale, qui combine étude dela genèse et de l’évolution du quartier etcollecte de ses mémoires. Même si elleprend une forme associative (l’associationDu Marais à Montreynaud est créée dès1976), cette entreprise repose sur uncommerçant du quartier, installé depuisles débuts de la ZUP dans le centre com-mercial Gounod au sommet de la colline.Cette personne est aujourd’hui âgée deplus de 80 ans, n’exerce donc plus d’acti-vité professionnelle, même si elle restepropriétaire des murs de son ancien com-merce comme de son appartement.

C’est un travail colossal qui a été accom-pli ici : recueil de récits de vie et demémoires de la ZUP, de documents archi-vistiques et iconographiques sur l’histoiredu quartier. Ce travail comme son auteuront été extrêmement sollicités à l’échelledu quartier et de la ville de Saint-Etienne.L’”entrepreneur de mémoire” est d’ailleursco-auteur d’un ouvrage de la collectionTrames urbaines mise en place par la villeet son unité Ville d’art et d’histoire, sousle titre Montreynaud. Une colline auxconfins d’une ville. Il dit s’être “converti”à la quête des mémoires du quartier lorsd’une rencontre avec une vieille dame

10 - Le présent article est le fruit d’une recherche conduite par l’auteur dans le cadre d’un programme initié parle ministère de la culture et intitulé Mémoires urbaines et présent des villes. À Montreynaud, où une action mémo-rielle occupe le devant de la scène depuis des années, il s’agissait d’explorer la fabrication de ce qui apparaîtcomme “la” mémoire de la ZUP, ainsi que les appropriations et / ou conflits auxquels elle donne lieu.

Analyse

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d’origine espagnole, bouleversée par ladestruction des cités du Marais où elleavait passé une partie de sa vie. Les motsque prononce cette femme (“c’était pasbien beau mais on y était tellement bien”)font sens et “guident” le projet mémoriel:ce qui est en jeu, c’est “tout simplementla vie de personnes modestes et d’originesdiverses : cela constitue des expérienceshumaines intéressantes à la fois dans leursindividualités et leurs diversités ; les met-tre en évidence, c’est rendre hommage àces parcours de vies, et contribuer à larecherche d’une identité pour le quartier deMontreynaud dans l’épopée industrielle sté-phanoise”. Les mémoires et documentsrecueillis font l’objet d’une mise en formethématique par le biais d’une revue, Lescahiers de Montreynaud, dont il sera éditéen 20 ans une petite vingtaine de numé-ros portant sur des sujets divers : l’agri-c u l t u re, les Castors, la mine et lesmineurs, l’industrie, avec l’histoire desgrandes entreprises Barrouin et Bedel ins-tallées au Marais.

Faire faceAu début des années 90, une secondeassociation succède à la première. Elles’appelle Vitrine du quartier et lance, dèssa création, deux volets d’action : l’un,héritage direct de la première association,est centré sur la valorisation du quartierau travers de son histoire et du recueil deses mémoires ; l’autre sur l’action socio-économique et l’insertion sociale des dif-férents “publics” du quartier. Ces deuxvolets sont portés par des acteurs diffé-rents : dans le premier, “l’entrepreneur demémoire” continue son travail, tandis quele deuxième est l’affaire de personnes plusjeunes, professionnalisées et issues del’immigration pour la plupart. L’étanchéitéest importante entre ces deux domainesd’action et un conflit se noue peu à peuentre “l’entrepreneur de mémoire” et lesanimateurs de l’association, sur la ques-tion des archives et de leurs modalitésd’accès. Les mots sont violents, les accu-sations fortes de part et d’autre. Ce conflit

oblige à un retour sur le contenu du pro-jet mémoriel conduit à Montreynaud.

En fait, tout se passe comme si la plura-lité (réelle) des mémoires recueillies sesubsumait sous celle de leur chef d’or-chestre, à ceci près que la baguette qu’iltient est bien celle de sa propre mémoire.Il apparaît que le recueil des mémoires duquartier se calque sur l’histoire du quartiertelle que se la représente “l’auteur” desmémoires. Au fond, c’est le récit de sa vie,de son arrivée et de son “engagement”dans le quartier qui se révèle dans le récitglobal de son entreprise mémorielle. Ils’en dégage une idée forte, celle d’avoir“fait face” à de multiples obstacles : celuides équipements défaillants et de l’ina-chèvement de la ZUP, celui de la mainmise d’un animateur autoritaire sur lesactivités sportives et culturelles du quar-tier, celui des multiples “abandons” despouvoirs publics, celui de la concurrencedes grands surfaces pour son commerce,celui de l’arrivée de populations d’origineé t ra ng è re, etc. Au fo nd, l’ent re p r i s emémorielle participe de cette attitude de“faire face” en tant qu’élément fondamen-tal d’une appropriation du lieu de vie.

“Quartier sensible”Aujourd’hui, cette appropriation semblede plus en plus difficile, notamment faceaux jeunes d’origine maghrébine. Cela sedit par des mots très forts : l’usage duterme de “Gaulois” en lieu et place de“Français”, mot qui draine dans son sil-lage l’idée d’une “résistance”; la répéti-tion de phrases comme : “on se sentpoussé de chez nous”, “c’est pire que l’iso-lement, on se sent sorti…”. On comprendm ieux que les mo t i v a t io ns, voire lesmo dalités du recueil de mémo i res neconviennent plus aujourd’hui au projet del’association Vitrine du quartier, centré surle présent et les “itinéraires de galère” desj e u nes auxquels ses animateurs sontconfrontés.

À Mo nt re y na ud, l’ex p re s s ion “qua r t ie r

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sensible” prend une dimension nouvelle,celle de la “sensibilité” extrêmementforte des individus et des groupes qu’ilsconstituent aux enjeux du présent, lequelprésent n’est pas constitué du mêmepassé ni du même avenir pour les uns etles autres. Les mémoires des habitants

sont plurielles et celle de l’habitant-mili-tant n’en est qu’une parmi d’autres, quine rend pas les antagonismes présentsdans le quartier moins vifs. En fait, il estpermis de penser que la visibilité decette “seule” mémoire, organisée par lesactions de la politique de la ville, les exa-

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Il faut se débarrasser de l’idée que la mémoire, comme l’histoire, sont objective-ment disponibles et qu’il suffirait de les recueillir ou de les mettre en valeur pourproduire l’acceptation collective du passé. La mémoire est une constructionsociale contemporaine, qui, pour faire sens, doit être constamment entretenue.Elle peut permettre de médiatiser des valeurs communes, à condition de dépas-ser la notion de “groupe” pour s’intéresser plutôt aux “communautés de parole”qui relient aujourd’hui les individus les uns aux autres.

Denis Cerclet - EthnologueMaître de conférences à l’Université Lumière Lyon 2

Directeur de l’IUP “Métiers des Arts et de la Culture”Extraits d’un article paru dans Les Cahiers du CR-DSU, n° 37, printemps 2003

AnalyseLa mémoire comme expérience sociale.

(…) Les travaux sur la mémoire ont trèstôt mis en évidence la difficulté de penseren même temps l’individu et la société.B e rgson, véritable pio n n ier en lamatière11, distingue la vie intérieure de lavie sociale de l’individu et va être conduità proposer un dédoublement du moi et undédoublement de la mémoire. Selon cepoint de vue, il serait possible de recueil-lir une mémoire collective sans intervenirsur l’identité profonde de l’individu. Maisalors comment comprendre l’être ensem-ble si les individus ne sont pas vraimentconcernés par le jeu social ?

“De quoi y a-t-il souvenir ?“Plus récemment, Paul Ricœur12 tente derenouveler ce questionnement (…). Ilpropose, pour rétablir l’unité entre l’indi-vidu et la société à propos de la mémoire,de poser tout d’abord la question : de quoiy a-t-il souvenir ? En effet, interroger despersonnes sur le souvenir qu’elles aurontd’un événement les conduit à élaborer undiscours ancré dans la réalité sociale.Alors que la question généralement poséeest : de qui est la mémoire ? La nuance estde taille car centrer la mémoire sur l’indi-vidu revient à dire que rien n’est partagea-ble. Et cela peut devenir inquiétant lors-que cette question sera posée à des“nous” comme première personne du plu-

riel. En effet, le qui est déclinable au plu-r iel : des émig r é s, des femme s, de souvriers…, et le simple fait de la posernon seulement légitime le communauta-risme mais contribue à sa réalisation.

Halbwachs13 était parvenu à dépasser l’in-tériorité en déclarant que les souvenirssont éminemment collectifs et qu’ils noussont rappelés par les autres. “Nous nesommes jamais seuls”, écrivait-il. Nons e u l e me nt parce que no t re esprit esthabité par de nombreux individus et quenous sommes entourés d’objets qui jouentun rôle mnémonique. Mais cette réflexion,pour stimu l a nte qu’elle soit, acho p p eencore sur la question du groupe puisqueselon lui la mémoire collective ne dépassepas les limites d’un groupe donné.

L’évolution de la notion de groupeDepuis Halbwachs, la réalité sociale s’estno t a b l e me nt tra ns formée : parler degroupe est désormais, dans la plupart descas, un fantasme empreint de nostalgie.La société sert à désigner le processussocial compris comme un enchevêtrementcomplexe d'interactions, de médiations etde public i s a t io ns. L’ a c c ro i s s e me nt de smobilités et la prolifération des messagesont certainement contribué à défaire legroupe pour ne retenir que les mouve-

11 - Henri Bergson, Matière et mémoire, 1939, PUF, 1990.12 - Paul Ricœur, La mémoire, l’histoire, l’oubli, Editions du Seuil, 2000.13 - Maurice Halbwa c h s, M é m o i re et société, L’Année Sociologique, PUF, 1949 ; La mémoire collective, PUF, 1950.

Faire société dans la ville en mouvement.

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ments, les rencontres, les connexions etles circulations, les échanges, les partagesde signes. Ainsi le groupe n’a pas à pro-prement parler de limites. C’est le langage- toutes formes d’expressions qui suscitentdes impressions - qui est au cœur de cefoisonnement et qui lui donne une cohé-rence. L'acquisition des diverses formes delangage a pour effet de nous introduire ausein d'une communauté de parole et doncde pensées et d'actions. Penser, agir etprononcer des paroles ne se rapporte qu'àla présence d'un autre. On ne peut pensersans langages, véritables lieux de l'inter-subjectivité, par nature collectifs et nonpas privés. De ce fait, chacun des souve-nirs est le pro duit d’une ex p é r ie nc esociale évidemment formulée en termesso-ciaux. Notre mémoire nous est person-nelle, non pas qu’elle soit la constructiond’un être fondamentalement particulier,mais parce qu’elle est constituée d’uneinfinité d’expériences distinctives. La mé-moire nous sépare parce que nous nevivons pas les mêmes expériences ensem-ble et en même temps et elle nous relieparce que nous pouvons partager cesexpériences. (…).

Mémoire collective et espace publicAu sein de la société, circule un flux d’in-

formations qui ne possèdent pas toutes lem ê me degré d’exemplarité. Certaine sinformations sont d’ordre purement indivi-duel et n’intéressent que très peu demonde, d’autres de type communautaire etd’autres à portée universelle, si l’on peutdire. Certaines sont véhiculées, débattues,analysées dans l’espace public jusqu’à cequ’elles imprègnent les esprits ; d’autresma rq u e ro nt une population par leurcharge émotive ; d’autres encore serontpériodiquement rappelées lors de cérémo-nies publiques. Et c’est ainsi que semblese constituer la mémoire collective quin’existe jamais en soi. Ce n’est qu’uneexpression pour désigner ce processusd’acceptation d’un passé et d’expériencescommuns qui, par le nombre de personnesconcernées, acquière une dimension col-lective qui doit être constamment entrete-nue.

La mémoire devient dès lors symbole durapport qu'une société entretient avec sonpassé et permet de médiatiser des valeurs- au sens large - qui deviendront collecti-ves si elles donnent matière à imprégna-tions individuelles. (...)

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Contact : D e n i s. C e rc l e t @ u n i v - l y o n 2 . f r

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La concurrence, au sein de nos sociétés démocratiques, pour l’interprétation légi-time du passé conduit parfois à l’éradication de certaines mémoires minoritaires.Elle peut aussi entraîner les décideurs, par souci de consensus, à imposer unemémoire hégémonique ou “embellie”, avec le risque de laisser à l’écart du déve-loppement une partie des acteurs de la vie sociale.

Olivier ChavanonMaître de conférences en Sociologie à l’ Université de Savoie.

Chercheur au laboratoire Langages, Littératures, SociétésExtraits d’un entretien paru dans “Mémoires et identités de l’agglomération lyonnaise”, Les Cahiers Millénaire 3 n° 20,

janvier 2000, Grand Lyon, Direction Prospective et Stratégie d’Agglomération.

AnalyseMémoire et amnésie : outils de gouvernanceurbaine ou instruments de domination ?

(…) Par définition, la mémoire est sélec-tive. C’est vrai chez l’individu, mais c’esttout aussi vrai à l’échelle des groupes. Elleopère des tris, des mises en forme dupassé. Elle choisit des emblème s. Ets‘arrêter sur les pleins de la mémoire neme semble pas suffisant. Les zones d’om-bre, les trous noirs, les trous de mémoireont aussi leur importance et leur signifi-cation. Au cours de mes recherches, j’ai pum’apercevoir que tous les groupes, selonla position qu’ils occupent dans l’espacesocial, ne manifestent pas la même capa-cité à faire mémoire et à imposer leurssouvenirs sur la scène publique. En réa-lité, il existe une âpre concurrence pourl’interprétation légitime du passé, et cha-que collectivité lutte pour imposer sa pro-p re vision des cho s e s. Cette rivalitéconduit parfois à l’éradication des mémoi-res minoritaires ou trop contradictoiresavec celles que le groupe do m i na ntentend véhiculer. Pour illustrer ce proces-sus, on peut bien sûr, prendre l’exempledes sociétés totalitaires où la mémoired’Etat, censée être la seule valable, pha-gocyte toutes les autres. Ceci étant, dansnos sociétés pluralistes, ce phénomèneexiste également, quoique de façon plusdiffuse et invisible. Certes il n’y a pas desagents chargés d’organiser l’amnésie. Cequi n’empêche nullement certains souve-nirs collectifs de disparaître lorsqu’ils nesont pas jugés comme éléments assezvalorisants pour la communauté. D’où

cette tendance qui me pousse toujours àme demander quelle est la face cachée dela mémoire (…), dans quelle mesure l’ar-bre de la mémoire cache la forêt desamnésies.

Une force centripète…(…) Il est certain que la mémoire consti-tue un des outils de la gouvernance. Maiscet outil est à double tranchant. Lorsqu’ilc o nsiste à imposer par le haut unemémoire octroyée, artificielle, embellie,afin de solliciter l’adhésion des individusen flattant leur narcissisme, il ne s’agitpas d’un outil très sain. C’est par exemplece que font certains dirigeants qui met-tent en avant la “culture d’entreprise”pour mieux renforcer l’esprit de corps dessalariés (et accessoirement doper leursens du sacrifice et du dévouement).

Pour (une ville), le danger est plutôt dedévelopper une mémoire asphyxiante ethégémonique qui ne laisserait la place àaucune autre. Sans doute qu’en glorifiantde manière excessive certains aspects dupassé, on s’interdit d’en voir d’autres. Or ilne faut pas sous-estimer les effets sociauxde l’amnésie. Milan Kundera écrivait :“Pour liquider les peuples, on commencerapar leur enlever la mémoire”. Car lamémoire collective est constitutive d’uneidentité cohérente pour un groupe. Ellevéhicule des normes, des enseignementsdes symboles, fait savoir aux différents

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membres ce qu’ils sont de manière com-mune. Daniel Laumzfield dit qu’elle estautant un memorandum (“rappelle-toi quitu es”) qu’un memento (“souviens-toi ceque tu as à faire”). La mémoire est surtouten cela une garantie de consensus et decohésion sociale. Elle est une force centri-pète pour ainsi dire, et donc en cela unefo rce ex t r ê me me nt précieuse pourl’homme politique ou le gestionnaire, àcondition toutefois qu’elle soit maniéeavec circonspection.

Quant à l’amnésie, a contrario, elle peutvite se tra ns fo r mer en ins t r u me nt dedomination à part entière, quand ellefonctionne comme un analgésique puis-sant qui permet de légitimer un pouvoir. Iln’y a qu’à voir pour s’en convaincre (…) lecas des Noirs améric a i ns privés demémoire pendant de longues décennies etqui, pour se construire une nouvelle placesociale, ont du “désaliéner” souvent deforce leur véritable histoire.

Pour fonctionner comme un outil positifde la gouvernance, la mémoire doit doncêtre manipulée avec prudence. Oserais-jedire avec conscience ? Elle doit être plu-rielle et reconnaître les différents acteursde la vie sociale. En aucun cas elle ne doits’apparenter à un hymne qui chante leslouanges d’une collectivité débarrassée decertains de ses éléments ; des élémentsqui feraient du coup figure de “quantiténégligeable”, nonobstant la place objec-tive qu’ils occupent dans le paysage éco-nomique, démographique ou culturel. (…)

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Texte disponible dans son intégralité sur le site :www.millenaire3.com

À lire, du même auteur : Politiques publiques etmémoire des populations urbaines, Olivie rChavanon, in : Diasporas, Histoire et sociétés, n°6, 2005.

Contact : [email protected]

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Besoin de mémoire, besoin d’histoire. L’enjeu identitaire.

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Les polémiques apparues en France en 2005 autour de ce que certains ont appelédes “lois mémorielles” ont fait ressortir de manière spectaculaire la complexité durapport entre mémoire et histoire. Elles ont aussi montré combien le champ de lamémoire pouvait être exploité à des fins politiques, avec des risques de division dela société nationale.

Pour ceux qui sont exclus du développement, de l’emploi ou d’un cadre de vie valo-risant, pour tous ceux qui sont victimes de discrimination et se voient refuser, endépit de leurs diplômes, l’accès aux médias ou aux postes les plus élevés de la res-ponsabilité professionnelle ou publique, le travail de mémoire peut apparaîtrecomme une ressource, voire une arme sur le chemin de la reconnaissance. La ques-tion mémorielle croise ainsi de manière aiguë, dans notre pays, celle de l’immigra-tion. Longtemps muettes, les populations issues des anciens territoires colonisés parla France prennent aujourd’hui la parole, et affichent sur la place publique leursmémoires comme preuves des souffrances passées, mais aussi de leur contribution àl’édification du pays tel qu’il est aujourd’hui. Outil d’une quête identitaire bien com-préhensible pour les jeunes générations, la mémoire devient alors un emblème, lemoyen de crier sa légitimité à être là, citoyens à part entière d’une Nation qui voitencore trop souvent les enfants d’immigrés comme simples suppléants de laRépublique, toujours révocables et jamais suffisamment “intégrés”.

Face à ce mouvement, qui affecte tout particulièrement les territoires sensibles dela banlieue, et qui tend à enfermer les individus dans un rapport au passé fondé surla mémoire collective (celle de groupes ethniques, territoriaux, confessionnels…)plutôt que sur l’histoire nationale, comment concevoir des “actions mémorielles” quidonnent à chacun les moyens d’aller vers l’autre et de progresser dans la maîtrise deson destin ? Les textes ici rassemblées offrent des pistes pour mieux comprendre cequi se joue entre la revendication mémorielle et le processus de production de l’his-toire. Ils insistent également sur la manière dont on peut “transformer la mémoireen projet” et faire dialoguer les mémoires entre elles, en vue d’une reconnaissancemutuelle des différentes parts du corps social. Enfin, ils soulignent combien, dansle monde d’aujourd’hui, marqué par la mobilité et par la diversité culturelle, ilimporte de ne pas réduire le travail de mémoire à une conception de la société fon-dée sur des groupes ou des identités “collectives” qui seraient étanches les uns auxautres.

Le travail de mémoire, comme l’explique Paul Ricœur14, peut être l’occasion de pas-ser des identités “collectives” à des identités “narratives”, qui n’enferment pas lesindividus dans un passé sacralisé. Se raconter, dire son histoire, la faire circuler, enla traduisant si nécessaire, sont de bons moyens de s’extraire de son milieu pour allerde l’avant - à condition ne pas céder aux diverses formes d’assignation qu’imposent,

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14 - Cf. Cultures, du deuil à la traduction, le Monde, 25 mai 2004.

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Le travail des mémoires, dans la France urbaine et multiculturelle d’aujourd’hui,répond à un besoin de reconnaissance de parts étouffées de l’histoire officielle,que des groupes de population éprouvent le besoin de reconstituer. Distinct duprocessus de la mémoire “vraie” - vivante, spontanée, en évolution permanente -ce travail s’apparente plutôt à une démarche volontaire, qui s’appuie sur l’ar-chive, la trace et les relais médiatiques, et qui vise à renouer des continuités rom-pues dans le phénomène de constitution de la nation.

Pierre Nora - HistorienExtraits de “Entre mémoire et histoire”, in : Les lieux de mémoire, tome 1. La République, et

de “L’ère de la commémoration”, in : Les lieux de mémoire, tome 3, Les France. © Editions Gallimard, 1997.

De l’histoire de France à l’histoire des France.

(…) Mémoire, histoire : loin d’être syno-nymes, nous prenons conscience que toutles oppose. La mémoire est la vie, toujoursportée par des groupes vivants et à cetitre, elle est en évolution permanente,ouverte à la dialectique du souvenir et del’amnésie, inconsciente des déformationssuccessives, vulnérable à toutes les utili-sations et manipulations, susceptibles delongues latences et de soudaines revitali-sations. L’histoire est la reconstructiontoujours problématique et incomplète dece qui n’est plus. La mémoire est un phé-nomène toujours actuel, un lien vécu auprésent éternel ; l’histoire, une représen-tation du passé. Parce qu’elle est affectiveet magique, la mémoire ne s’accommodeque de détails qui la confortent ; elle senourrit de souvenirs flous, télescopants,globaux ou flottants, particuliers ou sym-boliques, sensible à tous les transferts,écrans, censure ou projections. L’histoire,parce que opération intellectuelle et laïci-sante, appelle analyse et discours criti-que. La mémoire installe le souvenir dansle sacré, l’histoire l’en débusque (…).

La mémoire sourd d’un groupe qu’ellesoude, ce qui revient à dire, commeHalbwachs l’a fait, qu’il y a autant demémoires que de groupes ; qu’elle est, parnature, multiple et démultipliée, collec-tive, plurielle et individualisée. L’histoire,au contraire, appartient à tous et à per-sonne, ce qui lui donne vocation à l’uni-versel. La mémoire s’enracine dans leconcret, dans l’espace, le geste, l’image et

l’objet. L’ h i s t o i re ne s’attache qu’auxcontinuités temporelles, aux évolutions etaux rapports des choses. La mémoire estun absolu et l’histoire ne connaît que lerelatif. (…) La mémoire est toujours sus-pecte à l’histoire, dont la mission vraie estde la détruire et de la refouler. L’histoireest délégitimation du passé vécu.

La création volontaired’une mémoire perdue(…) Tout ce que l’on appelle aujourd ’ hu im é mo i re n’est (do nc) pas de la mémo i re,mais déjà de l’histoire. (…) Le besoin dem é mo i re est un besoin d’histoire. Sansdoute est-il impossible de se débarra s s e rdu mot. Ac c e p t o ns - l e, mais avec lac o ns c ie nce claire de la différe nce ent re lam é mo i re vra ie, aujourd ’ hui réfugiée da nsle geste et l’habitude, da ns les métiers oùse tra ns me t t e nt les savoirs du silenc e,da ns les savoirs du corps, les mémo i re sd ’ i m p r é g na t ion et les savoirs réflexe s, et lam é mo i re tra ns formée par son passage enh i s t o i re, qui en est presque le cont ra i re :v o l o nt a i re et délibérée, vécue comme undevoir et non plus spontanée ; psycho l o g i-q u e, ind i v iduelle et subjective, et non pluss o c ia l e, collective, eng l o b a nt. De la pre-m i è re, immédia t e, à la seconde, ind i re c t e,que s’est-il passé ? (…). C’est d’abord unem é mo i re, à la différe nce de l’autre, arc h i-v i s t i q u e. Elle s’appuie tout ent i è re sur leplus précis de la tra c e, le plus ma t é r iel duv e s t ige, le plus conc ret de l’enre g i s t re-me nt, le plus visible de l’ima ge. (…).Moins la mémoire est vécue de l’intérieur,

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plus elle a besoin de supports extérieurset de repères tangibles d’une existencequi ne vit plus qu’à travers eux. D’où l’ob-session de l’archive (…). Le sentimentd’un évanouissement rapide et définitif sec o m b i ne avec l’inquiétude de l’exa c t esignification du présent et l’incertitude del’avenir pour donner au plus modeste desvestiges, au plus humble des témoignagesla dignité virtuelle du mémorable. (…). Lesouvenir est passé tout entier dans sareconstitution la plus minutieuse. C’estune mémoire enregistreuse, qui délègue àl’archive le soin de se souvenir pour elleet dému l t i p l ie les sig nes où elle sedépose, comme le serpent sa peau morte.(…) (L’archive) n’est plus le reliquat plusou mo i ns int e nt io n nel d’une mémo i revécue, mais la création volontaire et orga-nisée d’une mémoire perdue. Elle doublele vécu (…) d’une mémoire seconde,d’une mémoire prothèse.(…)

Exigence de reconnaissance(…) Ce que l’on appelle aujourd’hui com-munément mémoire, au sens où l’on parled’une mémoire ouvrière, occitane, fémi-n i ne, est (…) l’avène me nt à unec o ns c ie nce historique d’une tra d i t io ndéfunte, la récupération reconstitutriced’un phénomène dont nous sommes sépa-rés, et qui intéresse le plus directementceux qui s’en sentent les descendants etles héritiers. Une tradition que l’histoireofficielle n’avait nullement éprouvé lebesoin de prendre en compte parce que legroupe national s’était le plus souventconstruit sur son étouffement, sur sons i l e nc e, ou parce qu’elle n’avait pasaffleuré comme telle à l’histoire. Mais unetradition que ces groupes désormais envoie d’intégration à l’histoire nationaleé p ro u v e nt, eux, le besoin urge nt dereconstituer avec les moyens du bord, desplus sauvages aux plus scie nt i f i q u e s,parce qu’elle est constitutive de leur iden-tité. Cette mémoire est en fait leur his-toire. (…)

Il y avait (…) autrefois une histoire

nationale et des mémoires particulières. Ily a aujourd’hui une mémoire nationale,mais dont l’unité est faite d’une revendi-cation patrimoniale divisée, en perma-nente démultiplication et recherche decohésion. D’un côté, cet album de famille(…), immense répertoire de dates, d’ima-ges, de textes, de figures, d’intrigues, demots et même de valeurs, largement inté-gré au consensus idéologique et politique(…). De l’autre, des groupes pour qui la“mémoire”, c’est-à-dire, en fait, répétons-le, la récupération de leur histoire, jouedes rôles très différents, mais toujoursconstitutifs de leur “identité”, c’est-à-dire, en fait, de leur existence. Pour lesuns, il s’agit de reconstituer un tissusocial déchiré. Pour les autres, de fortifierun sentiment national dans l’esprit tradi-tionnel d’une citoyenneté menacée. Pourd’autres encore, d’enrichir ce sentimentnational de pans d’histoire refoulée ou detypes d’histoires marginalisés. Les usagessociaux de la mémoire sont aussi divers etvariés que les logiques identitaires. Maisles mécanismes de ce recours comme lesmotifs de sa sacralisation sont toujoursles mêmes : la confrontation de groupesen inc e s s a nt change me nt (…). Cetteconfrontation est le plus souvent polémi-que et conflictuelle (…). Toujours peu ouprou protestataire. C’est une exigence dereconnaissance qui fait de la mémoirenationale non un acquis définitif, unrépertoire fermé, mais — la mémoire desuns étant devenue la mémoire de tous —un champ de forces en perpétuelle élabo-ration et en constant remaniement.

Nation mémorielle versus nation historiqueLa mémoire nationale suppose l’éclate-ment du cadre proprement historique de lanation. Elle suppose la grande sortie desfilières et des modalités de sa transmis-sion traditionnelle, la désacralisation deses lieux d’initiation privilégiés, école,famille, musée, monument, le déborde-ment dans l’espace public de l’ensemblequ’il leur revenait de gérer et sa récupéra-

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tion par des relais médiatiques et touris-tiques. La nation historique confiait à deslieux précis, des milieux déterminés, desdates fixes, des monuments classés, descérémonies ritualisées le soin de sonrécit, le souci de son entretien, le specta-cle de sa performance, le moment de sacommémoration. Elle enserrait ainsi lap r é s e nce du passé da ns un systèmeconcentré de représentations, et se désin-téressait du reste. La nation mémoriellefait l’inverse. Elle a investi l’espace toutentier du soupçon de son identité vir-tuelle, doublé toutes les choses présen-tées d’une dimension de l’antérieur. Ce quise percevait comme innocemment étalésur l’axe de l’espace est désormais saisisur l’axe du temps. C’est le réveil des pier-res et des murs, l’animation des sites, lare v i t a l i s a t ion des paysage s. L’ i m p l ic i t eappelle maintenant l’explicite, le privétend à devenir public et le sacré se laïcise,le local exige son inscription au national.Tout a son histoire, tout y a droit. En

devenant (…) l’histoire des France, l’his-toire de France s’est prodigieusement dis-séminée. (…)

Ce moment correspond au passage durègne de la mémoire restreinte à celui dela mémoire généralisée. (…) Il est loin,très loin encore d’avoir assuré son empriseet occupé tout son territoire, l’avalanchen’a pas fini de nous emporter qu’on peutdéjà pourtant, en entrevoir le terme et enprévoir l’issue. Le lit de la mémoire n’estpas ind é f i n i me nt ex t e ns i b l e. Dansl ’ é no r me glisseme nt de terrain où laFrance aujourd’hui perd pied, la reprisepar le mémoriel est un renouement decontinuité. (…) Quand une autre manièrede l’être ensemble se sera mise en place,quand aura fini de se fixer la figure de ceque l’on n’appellera même plus l’identité,le besoin aura disparu d’exhumer les repè-res et d’explorer les lieux. (…) La tyranniede la mémoire n’aura duré qu’un temps -mais c’était le nôtre.

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Pourquoi les mémoires collectives ont-elles pris tant de place, ces dernièresannées, dans le débat public et la vie de la Cité ? Sources de conflits ou de débatsconstructifs, elles peuvent, selon les cas, informer l’histoire ou la paralyser,contribuer à éviter l’oubli, à réviser le récit historique ou à l’enrichir.

Michel WieviorkaDirecteur d’études à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales

Extraits d’un article paru dans la revue Pour n° 181, mars 2004

Emergence de la victime et mémoires diasporiques.Un problème ou une chance pour l’histoire ?

Le thème de la mémo i re n’est pas neuf, ilest même partic u l i è re me nt classique enp h i l o s o p h ie. Po u r t a nt il s’impose dema n i è re re nouvelée et avec une fo rc ei m p re s s io n na nte da ns le débat publicc o m me da ns la vie int e l l e c t u e l l e, de p u i su ne tre nt a i ne d’années (…) Cette irrup-t ion spectaculaire de la mémo i re estno t a m me nt ind i s s o c iable d’un phéno m è nequi la porte et lui confère tout son sens :l ’ é me rge nce de la vic t i me. Eme rge nce quic o nc e r ne aussi bien la vic t i me ind i v idu e l l e,la femme vio l é e, l’enfa nt ma l t raité parexe m p l e, que la vic t i me collective, lesJuifs d’Europe détruits par un géno c ide,les Noirs améric a i ns qui eure nt à subir l’es-c l a v a ge. Il est décisif, pour qui s’int é re s s eau mo nde cont e m p o rain, de compre ndrec o m me nt s’opère cette entrée massive dela mémo i re da ns nos débats et nos mo de sde pensée et de soupeser son apport : àquelles cond i t io ns enrichit-elle l’ex p é-r ie nce vécue de ceux qui y cont r i b u e nt ? Età quelles cond i t io ns constitue-t-elle unapport utile, ou au cont ra i re dévastateur, àla vie intellectuelle générale et en partic u-l ier au progrès de l’histoire ?

Quand les mémoires se dressent contre l’histoireDans certains cas, la mémoire informel’histoire, elle lui apporte des élémentsnouveaux qui constituent une améliora-tion. Elle lui évite l’oubli, l’ethnocen-trisme, le monopole du point de vue desseuls vainqueurs ou dominants (…). Dans

d’autres cas au contraire, la mémoire para-lyse l’histoire, ferme certaines portes auxhistoriens. Par exemple, tout historien quiaujourd’hui voudrait contester un discoursde mémoire parlant d’un génocide saitqu’il se verra opposer (…) le discours dela communauté concernée. Dans d’autrescas encore, la mémoire d’une même expé-rience historique est fractionnée et sesdivers fragments ne s’intègrent guère, etmême éventuellement s’opposent entreeux, interdisant toute mobilisation géné-rale suffisamment convergente pour pou-voir peser avec efficacité sur l’histoire. Ilen est ainsi notamment, avec la guerred’Algérie. La mémoire des fils de Pieds-Noirs, celle des enfants de Harkis, celledes soldats du contingent, celle des des-cendants d’immigrés (…) sont distincteset les attentes de reconnaissance qu’ellespeuvent impliquer sont de nature extrê-mement diversifiée. Il est inexact de direque l’histoire de la guerre d’Algérie n’estpas faite : la bibliographie est en faitconsidérable et de nombreux travaux his-toriques sont de qualité. Mais cette his-toire n’est pas réellement acceptée par lesacteurs de la même façon, elle est diffici-lement reconnue comme universelle et lesmémoires se dressent constamment contreelle, bien plus qu’avec le souci de l’infor-mer et de l’améliorer (…)

Enseignement problématiqueDe plus, l’histoire semble parfois, dans lasociété française contemporaine, ne pas

Analyse

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correspondre aux attentes ou à la curio-sité de certains segments de la popula-tion. Son enseignement est problémati-que, précisément parce que l’école sembledécalée par rapport à la mémoire de cer-tains groupes. Avec les flux migratoiresrécents et la poussée des particularismesen tous genres, y compris religieux, le sys-tème d’éducation, dans un pays comme laFrance, est confronté à des mémoires nou-velles ou renouvelées, qui s’insurgent àpropos de la place démesurée accordéeselon eux à certaines expériences histori-ques et demandent plus de place pour laleur propre, en même temps qu’une révi-

sion du récit hist o r i q u e, jugé partial, par-t iel, oublieux de telle ou telle réalité dupassé (…) La mémo i re collective est ains ia u j o u rd ’ hui un éléme nt important de lav ie de la Cité. Elle complique le débathistorique (…) en l’oblige a nt très sou-v e nt, du mo i ns pour la pério de mo de r ne,à sortir de son cadre habituel qui estcelui de l’Etat-na t ion – car les mémo i re squi nous int é re s s e nt sont souvent tra ns-na t io na l e s, dia s p o r i q u e s. Elle cons t i t u eu ne source de conflits, les uns cons t r uc-t i f s, car susceptibles d’enrichir l’histoire,les autres posant pro b l è me, car ent ra nten tens ion avec elle.

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Extrait du dossier Dans les quartiers, un vrai travail sur la mémoire, Délégation interministérielle à la ville, rédaction Marion Desjardins, juillet 2002, http://i.ville.gouv.fr.

Il y a déjà longtemps qu’à Limoges, on avait fait le lien entre les difficultés des jeu-nes et la méconnaissance de leur histoire et de leur culture. À Beaudreuil, un quartiersitué à la périphérie nord de la ville, vit depuis 1975 une importante communautévietnamienne, aux côtés de Cambodgiens et de Laotiens.

“Pour les jeunes de cette cité”, explique Michel Aubrun, directeur du service de pré-vention de l’association Alsea qui a initié les projets [autour de la mémoire de cescommunautés], “la transmission s’est faite de façon édulcorée ou a été transformée pardes parents dont le passé était trop douloureux. On s’est rendu compte alors qu’ilsdevaient redécouvrir leur culture si l’on voulait qu’ils puissent se rapprocher de la nôtre.”

C’est ainsi que dès 1990, un vaste projet de “re c he rc he du pays perdu” a été mis surp ie d. Il a consisté da ns un pre m ier temps à perme t t re à des jeunes (les plus en diffi-culté) de se re ndre da ns leur pays d’orig i ne. Et ce sont qua t re groupes de quinze jeune squi ont ent repris ce voyage qui a été précédé par un long parc o u r s. Même si le fina nc e-me nt était assuré à la fois par la Région, le Départeme nt, la Ville de Limo ge s, le Cont ra tde ville, les partic i p a nts de v a ie nt assumer une partie des fra i s. Au - delà, il leur avait étéde ma ndé de fa i re un travail de re c he rc he et d’int e r ro ger bien sûr les anc ie ns.

À l’issue de ce voyage (un mois en moyenne) les jeunes ont écrit une pièce RoissyMinh Ville, témoignant de leur expérience et dont le texte a été édité. Mais plus inté-ressant encore (…), la plupart d’entre eux, à leur retour, ont réussi à s’insérer dans lavie professionnelle.

Si les voyages ont cessé, le travail sur la mémoire s’est poursuivi, avec notammentune exposition de photos (…) au centre culturel Jean-Moulin de Beaudreuil (…).Pendant un an, une photographe, avec l’aide d’un éducateur, a fixé la mémoire desmembres de la communauté vietnamienne en suivant les événements importants deleur vie, enterrements, culte des ancêtres, mariage, mais aussi les moments quoti-diens. Et ce sont trois générations qui se sont retrouvées ainsi devant l’objectif. Unautre projet (…) en vidéo cette fois et concernant seulement les anciens - dont ils’agit de retracer le parcours, du Vietnam jusqu’en France - a vu le jour. Une façon,selon Alain Thers, l’éducateur animateur de ces deux derniers projets, de “montrer auxjeunes des parcours réussis.”

Avec l’Agence pour le développement des relations interculturelles (ADRI), un autretravail a consisté, avec l’aide de l’ensemble des travailleurs sociaux, à recueillir auprèsdes familles et par le biais d’un large questionnaire, des témoignages sur leurs modesde vie, mais aussi sur la date et les conditions de leur arrivée en France.

Enfin, un projet a été mené en direction des familles cambodgiennes, dans le but deles aider à retrouver leurs racines. C’est ainsi que des déplacements à Paris étaientprévus, en famille, au Musée Guimet.

ExpérienceLimoges. La recherche du pays perdu.

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Extrait du dossier Dans les quartiers, un vrai travail sur la mémoire, Délégation interministérielle à la ville, rédaction MarionDesjardins, juillet 2002, http://i.ville.gouv.fr.

C’est à l’initiative du Musée d’Ethnologie régionale de Béthune qu’a été entrepris untravail de mémoire visant à croiser les parcours des immigrants de quatre communau-tés faisant partie intégrante de la région Nord-Pas-de-Calais, à savoir les Algériens,les Marocains, les Polonais et les Italiens. Des récits de migrants de plusieurs généra-tions ont été collectés au cours de longues entrevues, puis intégrés dans un ouvragecomportant par ailleurs des analyses, des éléments historiques et des photographies.

“Le livre aborde trois thèmes”, explique Bruno Laffort, sociologue et coordinateur duprojet, “les couples mixtes, la transmission d’une génération à l’autre et les ambiguïtésqui demeurent entre le pays d’accueil et le pays d’origine.”

Intitulé L’immigration dans le Nord-Pas-de-Calais d’hier à aujourd’hui. Regards croisés,ce recueil mêle donc à la fois témoignages et réflexions. Ce n’est pas sa seule origi-nalité. Non contents de mélanger les communautés, les sociologues qui ont participéà ce projet ont aussi interrogé des immigrants d’âges et de milieux très différents,comme par exemple des Marocains venus étudier en France il y a vingt ans, et quioccupent aujourd’hui des postes de médecins, professeurs, etc.

Montrer l’immigration de façon différente, telle était l’un des objectifs de ce travail.On découvre ainsi l’importance que la religion a toujours eue pour les Polonais (quiavaient et ont toujours leurs propres églises) mais aussi pour les Italiens. “Ça permetde relativiser aujourd’hui”, note Bruno Laffort, “les inquiétudes face à l’Islam par exem-ple.”

Les entretiens montrent aussi les ambiguïtés des immigrants de la première généra-tion, qui continuent à vivre dans le mythe du retour et qui investissent tout l’argentgagné au pays, en espérant y retourner au moment de la retraite.

Nord-Pas-de-Calais. Les paroles croisées de quatre communautés.

Besoin de mémoire, besoin d’histoire. L’enjeu identitaire.

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Expérience

Contact : Musée d’ethnologie régionale de Béthune. Tél. 03 21 68 40 74

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La faible reconnaissance des mémoires immigrées en France et les non dits del ’ h i s to i re coloniale ne permettent pas à ceux qui en sont les héritiers d’assumerleur passé commun. C’est lorsque sera restituée la dignité de ces mémoire s,dans toute leur richesse et leur diversité, qu’elles pourront, grâce au tra vail cri-tique des cherc h e u r s, nourrir l’histo i re de l’immigration et, partant, l’histo i ren a t i o n a l e.

Nicolas Bancel - HistorienProfesseur à l’Université de Strasbourg II

Extraits d’une interview réalisée par Fatima Hasni, pour La Lettre d’un Monde à l’Autre n° 5 décembre 2003.

Mémoires immigrées, déni, occultations.

(…) La mémoire de l’immigration m’inté-resse dans la mesure où elle peut partici-per à révéler un processus historique -l’histoire de l’immigration - mais aussiéclairer l’histoire commune aux immigréset à la société d’accueil, particulièrementlorsque ces immigrés proviennent de l’ex-Empire colonial. Les mémoires immigréessont tissées de non-dits, d’occultations,de souffrances, mais aussi de rencontres,de métissages, d’affrontements, bref d’uneextraordinaire richesse qui reste, faute delégitimité des mémoires immigrées dansla société française, confinée bien sou-vent au cercle étroit de la famille. (…)

Je pense que malgré la fo rce de l’héritagede la parole tra ns m i s e, de la mémo i ret ra nsmise da ns le cadre fa m i l ial, l’inc ro y a-ble ric hesse de la diversité des mémo i re sreste pour l’ins t a nt lettre mo r t e, da ns lame s u re où si un travail s’élabore souterra i-ne me nt da ns les commu nautés immig r é e s,on voit bien que la non re c o n na i s s a nce dela mémo i re de l’immig ra t ion par la sociétéd’accueil ne peut perme t t re de tra ns fo r me rla perc e p t ion des commu nautés immig r é e se l l e s - m ê me s. (…) À partir du mo me nt oùl ’ o c c u l t a t ion des mémo i res immigrées serad é p a s s é e, s’ouvre à l’histoire de l’immig ra-t ion la possibilité d’int é g rer l’histoirena t io na l e. Des fo r mes de travail diversesp o u r ro nt alors se déployer : travail histori-que - en utilisant toutes les sources possi-bles (oral, écrit, ic o no g ra p h ie) - travail cul-t u rel - par la mu l t i p l ic a t ion des média t io nss o c iales qui peuvent re ndre cette mémo i rea udible (ex p o s i t io ns, films, ouvra ges…).

Une matière vivanteTravailler sur la mémoire, c’est travaillerd’abord sur la mémoire des gens eux-mêmes, pour apprendre, mais aussi pourrestituer la dignité historique de cettemémoire. Il faudra dans un second temps(mais des chercheurs travaillent déjà surces questio ns), que les témo ig na ge sentrent dans le processus classique del’écriture de l’histoire, c’est-à-dire qu’ilssoient objectivés par des historiens pro-fessionnels qui font la part de la mytholo-gie, de la réécriture de l’histoire par lesacteurs. Bref que les mémoires immigréesdeviennent un outil comme un autre de lacompréhension des processus historiques.C’est cette appro c he critique de lamémoire qui autorise alors de la transfor-mer en histoire.

(…) La mémoire est un objet complexe,parce que c’est un produit construit pardes acteurs qui font l’expérience (desexpériences en fait) de leur propre vie etqui interprètent ces expériences, les insè-rent dans une trame qui leur rend cesexpériences intelligibles. À partir de là, lamémoire n’est pas une chose morte, untissu de souvenirs, c’est au contraire unematière vivante, constamment réécrite,réévaluée, qui permet à chacun d’entrenous de se situer, dans le temps, dans l’es-p a c e, da ns sa commu nauté, da ns lasociété dans laquelle il vit. (…)

Des histoires faiblement légitimesIl y a un déni de l’histoire de l’immigra-tion et de l’histoire coloniale. (…) Il suf-

Analyse

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fit de regarder les contenus des manuelsscolaires pour comprendre que ces histoi-res (…) sont totalement sous-évaluées.Peut-être y a-t-il la certitude que lesimmigrés étant destinés à devenir des“petits Français”, à s’intégrer au prix durenoncement à leur culture, l’histoire deleur passage n’est pas d’un grand intérêtet que finalement, c’est la France quimodèle les immigrés et non les immigrésqui transforment la France !

Pour l’histoire coloniale, il est clair que letraumatisme historique n’est pas dépassé,et que, d’autre part, il reste toujours trèsdifficile d’aborder la période coloniale,parce qu’elle met en abyme nos valeursrépublicaines (la République a usé auxcolonies d’un discours universaliste et aappliqué une politique ségrégationniste).Tout ceci fait que ces histoires sont fai-blement légitimes et d’ailleurs, hors lesma nuels scolaire s, très peu d’autre sm é d ia t io ns socia l e me nt sig n i f ic a t i v e speuvent être recensées (expositions, films- hormis sur la guerre d’Algérie - docu-mentaires, etc.).

On a donc du mal à se coltiner ce passé,et on a aussi des difficultés à comprendrepourquoi la figure de l’immigré de l’ex-empire est si discriminée en France : d’unepart cet immigré hérite de préjugés sécu-laires à fondement colonial, d’autre part,il représente un rappel permanent decette histoire qu’on désire oublier.

Les bases d’une intelligence historiqueLa mémoire immigrée est donc heurtée àune double difficulté : celle du rejet de

l’altérité qui reste un invariant anthropo-logique — mais aussi celle du déni et del’occultation de la mémoire de l’histoirecoloniale. (…) Or, il est probable que toutle monde ait à gagner dans la reconnais-sance simultanée de l’histoire coloniale etde l’histoire de l’immigration : l’une etl’autre se recoupent souvent, et fournis-sent les bases d’une intelligence histori-que de la présence de nombreux immigrésen France.

Cette histoire montre aussi qu’il s’agitd’une histoire commune entre Français etcommunautés immigrées : histoire dou-l o u re u s e, certes, mo nstrueuse parfo i s,mais aussi histoire de rencontres et demétissages.

Assumer histoire coloniale et histoire del’immigration dans un même mouvementpermet ainsi d’espérer d’une part donnerun sens à ces histoires pour ceux qui ensont les héritiers (les générations immi-grées issues de l’ex-Empire, mais aussi les“Français de souche”), d’autre part decréer ou recréer des liens là où la négationde l’histoire de l’immigration et de l’his-toire coloniale, privant des générationsentières de racines, encourage objective-ment les cristallisations communautaires,l’ethnicisation des rapports sociaux etl’anomie.

Nicolas Bancel est co-auteur, avec PascalBlanchard, Sandrine Lemaire et alii de l’ouvrage La Fracture coloniale. La société française au prisme de l’héritage colonial, paru en 2005 aux Editions La Découverte.

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Extrait du dossier Dans les quartiers, un vrai travail sur la mémoire, Délégation interministérielle à la ville, rédaction MarionDesjardins, juillet 2002, http://i.ville.gouv.fr.

En 1999, un collectif de pères s’est constitué à Pessac (Gironde), dans la cité de SaigeFormanoir, qui compte plus de 5000 habitants, dont une majorité provenant d’Afriquedu Nord. Il s’agissait de favoriser les échanges sur la vie de la cité et de permettreaussi à ces hommes d’évoquer leur histoire, de parler de leur patrimoine commun etd’associer à ces discussions les jeunes.

“Mélanger les jeunes et les pères”, explique Philippe Roux, éducateur qui travaille surce projet, “et faire en sorte que les pères retrouvent leur place et leur autorité, tel étaitet reste l’objectif principal de cette initiative.” L’idée était bonne, apparemment, puis-que Philippe Roux assure, qu’au bout d’un an, on avait observé déjà une pacificationdu quartier. “C’était les plus petits surtout qui posaient des problèmes”, dit-il, “maisils ont compris qu’ils n’avaient plus d’espace pour s’engouffrer. Ils savent maintenantqu’on connaît les pères et qu’en cas de délit, ils seront vite cernés.”

Sans perdre sa fonction première, le collectif a cependant innové en intégrant notam-ment des… mères et c’est plutôt maintenant d’un collectif de parents dont il faudraitparler. Par ailleurs, un comité directeur a été mis en place, le but étant, à plus oumoins long terme, que le groupe informel se structure en une association autonome,avec des actions de plus en plus nombreuses et visibles.

[Depuis], de nouveaux projets ont vu le jour. En plus des rencontres organisées toutau long de l’année dans la cité pour favoriser les échanges entre les générations, telsque repas, matches de foot, fêtes, les pères qui donnent notamment des cours d’arabeet d’instruction civique, ont décidé aussi de travailler à la préparation de quatreconférences. “Pourquoi nos enfants se révoltent-ils ?” et “Connaissance de l’Islam” fontpartie des thèmes qui ont été abordés et débattus.

Si la transmission d’une génération à l’autre est indispensable, si la mémoire des pèresest incontournable, savoir d’où l’on vient s’apprend aussi dans les livres. Et c’est bienla raison pour laquelle Philippe Roux, avec l’aide du collectif, [a entrepris] de consti-tuer dans un local d’une maison de quartier un fonds documentaire général sur l’his-toire et la culture des pays dont sont originaires les habitants de la cité (principale-ment Afrique du Nord et Chili).

ExpériencePessac. Savoir d’où l’on vient.

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Contact : Philippe Roux - Action Jeunesse Pessac. Tél. : 05 56 15 03 89 - Fax : 05 56 45 88 37

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Le projet de création d’un lieu consacré à l’histoire et aux cultures de l’immig ra t ion enF ra nce est une idée anc ie n ne, défendue à de no m b reuses reprises par les milieux asso-c iatifs et universitaire s. En 1992, l’As s o c ia t ion pour un musée de l’immig ra t ion, créée àl ’ i n i t iative de Géra rd No i r iel, auteur de l’ouvra ge Le creuset français, la portait déjà ex p l i-c i t e me nt. En 2001 le Pre m ier ministre, Lio nel Jospin confiait une étude à Driss ElYazami, délégué général de l’associa t ion G é n é r i q u e s, et à Rémi Schwartz, ma î t re derequêtes au Conseil d’État, pour exa m i ner quelle fo r me pourrait revêtir un tel lieu. Lerapport issu de cette étude prônait la création d’un Cent re na t io nal de l’histoire et de sc u l t u res de l’immig ra t io n1 5. Il avançait plusieurs pro p o s i t io ns qui sero nt reprises par lasuite da ns les discussio ns sur la mise en œuvre du projet : un cent re na t io nal et unréseau de partena i re s, un lieu ouvert sur l’université, un musée ouvert au public, etc.

2003-2004 : la phase de préfigurationLe 10 mars 2003, une lettre de mission adressée par le Premier ministre Jean-PierreRaffarin à Jacques Toubon (ex-ministre de la culture et de la francophonie), confiaità ce dernier la présidence de la Mission de préfiguration du Centre de ressources et demémoire de l’immigration16.Comment œuvrer pour la reconnaissance de l’histoire de l’immigration dans laconstruction de la nation française, faire évoluer les regards et les mentalités au sujetdes phénomènes migratoires, rendre compte de la vitalité des identités et des histoi-res multiples qui ont constitué la France, redonner en un mot, une place, une fierté,une identité à cette partie de l’histoire de France ? Telles étaient les principales ques-tions auxquelles la Mission de préfiguration devait répondre.Constituée autour de l’Adri (Agence pour le développement des relations interculturel-les), celle-ci a travaillé pendant un an en étroite collaboration avec des universitai-res et des scientifiques, des responsables d’associations, et les représentants desadministrations concernées, pour rédiger un rapport qui synthétise toutes les propo-sitions. Celui-ci préconise la mise en place progressive, sur une période de deux à troisans, d’une nouvelle institution culturelle consacrée à l’histoire et aux cultures de l’im-migration en France.

La Cité, une nouvelle institution culturelle C’est en janvier 2005 qu’est paru au Journal Officiel le décret relatif à la création d’unGroupement d'Intérêt Public à vocation culturelle dénommé “Cité nationale de l'his-toire de l'immigration”. Constitué pour une durée de deux années renouvelable, legroupement, présidé par Jacques Toubon, a pour mission de “préfigurer et de réaliserla Cité nationale de l'histoire de l'immigration afin de rassembler, sauvegarder, mettre en valeur et rendre accessible tous les éléments relatifs à l'histoire et aux cultures del'immigration en France, notamment depuis le XIXe siècle”.Les me m b res fo ndateurs du gro u p e me nt sont le ministère chargé de la culture, le minis-t è re chargé de la ville et de l'int é g ra t ion, le ministère chargé de l'éduc a t ion na t io nale

La Cité nationale de l’histoirede l’immigration.Un grand projet qui se concrétise.

Expérience

15 - Cf. www.generiques.org16 - Cf. la lettre de mission en annexe du présent ouvrage.

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et de la re c he rc he, le Fonds d'action et de soutien pour l'int é g ra t ion et la lutte cont reles discrimina t io ns (Fasild) et la Ville de Pa r i s. Son siège social est fixé à Pa r i s, auPalais de la Porte Dorée, do nt l’histoire re mo nte aux ex p o s i t io ns universelles du XIXe

siècle et plus partic u l i è re me nt à l’Exposition Coloniale Int e r na t io nale de 1931.

Vers un maillage de partenaires locauxDès la conception du projet, il est apparu primordial de travailler avec un réseau d'ac-teurs décentralisé. Ce réseau a été mobilisé dès l’été 2003, à travers le Forum desassociations de la mission de préfiguration, qui a rassemblé près de 200 acteurs de lasociété civile (responsables d'associations, d'institutions culturelles, de municipalités,porteurs de projets, etc.).Après sa création en juillet 2004, la Cité a organisé des réunions régionales d'infor-mations dans toute la France métropolitaine, pour consolider et élargir ce réseau,créer un premier espace de rencontres, d'échanges et de collaboration entre l'institu-tion basée à Paris et les futurs partenaires locaux.

R e g ro u p a nt des acteurs ins t i t u t io n nels associatifs et écono m i q u e s, ces réunio ns ontété l’occasion de présenter le futur mu s é e, qui doit ouvrir ses portes en 2007. Elles onté g a l e me nt servi de point de départ à un re p é ra ge plus précis des acteurs au plan régio-nal et à une discussion sur les éventuelles mo dalités de collabora t ion de ces de r n ie r savec la future Cité.17 Enfin, elles ont été l’occasion d’affiner la “c a r t o g ra p h ie” des pro-j e t s, des lieux re s s o u rces et des pôles créatifs qui tra v a i l l e nt sur l’histoire et la mémo i rede l’immig ra t ion da ns les régio ns et de réfléchir à une mise en réseau des pro j e t s.

Un répertoire de projets et une lettre électroniqueLa dy namique régio nale a ainsi permis de me t t re au point un répertoire de pro j e t s,accessible sur le site int e r net de la Cité. Ce répertoire présente des projets locaux our é g io naux déjà réalisés ou en cours, visant à re c u e i l l i r, à fa i re conna î t re, à valoriser de sh i s t o i res liées à l’immig ra t ion et à partager cette mémo i re. Il s’agit d’un invent a i re no nexhaustif, do nt l'objectif est de diffuser et de me t t re en valeur au plan na t io nal les pro-jets que mène nt les opérateurs sur leur territoire. Il permet égaleme nt d'alime nter unf ic h ier d'acteurs sociaux, culturels et éducatifs qui de v rait, à terme, faciliter une miseen réseau des initiateurs de pro j e t s. Le répertoire peut être complété par les acteursqui le souhaitent, selon des mo dalités ex p l icitées sur le site int e r net.

La Cité publie également une lettre électronique à laquelle tout un chacun peuts’abonner. On y trouve toutes les informations sur les activités de l’institution (déve-loppement de l'exposition permanente, constitution des collections, nouvelles acqui-sitions de la médiathèque, programmation culturelle, colloques...), ainsi qu’un ensem-ble de brèves sur l'actualité de l'histoire et des cultures de l'immigration (revue depresse, agenda des événements culturels, parutions d'ouvrages ou de documentsaudiovisuels, projets en cours...).

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Contact : Siège social : Palais de la Porte Dorée, 293, avenue Daumesnil, 75012 Paris.Adresse postale : 4, rue René-Villermé, 75011 Paris.Tél.: 01 40 09 69 19. Fax : 01 43 48 25 17.Email : [email protected] web : http://www.histoire-immigration.fr

17 - Comptes rendus de réunions disponibles sur le site http://www.histoire-immigration.fr

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Extrait du dossier Dans les quartiers, un vrai travail sur la mémoire, Délégation interministérielle à la ville,rédaction Marion Desjardins, juillet 2002, http://i.ville.gouv.fr.

Avec l’édition d’un livre et la réalisation de quatre films vidéo (…), c’est un travailimportant sur la mémoire des immigrants qui a été entrepris à partir de 1999 dans lavallée sidérurgique et ce, notamment, dans le cadre du Contrat de ville.C’est à la suite d’un atelier de travail avec huit jeunes d’origine maghrébine, qu’unlivre a vu le jour, il y a deux ans. Sur paroles est un abécédaire (…) qui parle du pré-sent et du passé. Pour poursuivre cette expérience positive, un deuxième projet a étélancé, intitulé Mémoire des parents et identité des enfants.

Le premier volet a abouti a la réalisation de quatre films vidéo, de moins de 10 minu-tes et en couleurs. Dix jeunes, aidés par un réalisateur, ont participé à cette expé-rience et quatre films ont été terminés. Ils ont été diffusés dans des festivals locaux.Il s’agissait pour ces jeunes d’aller à la rencontre d’adultes qui vivent dans la citéd’Uckange, qui compte environ 3 000 habitants (pour une ville de 8 000 habitants)dont 85 % d’origine étrangère (Maghrébins principalement mais aussi Portugais,Espagnols, Polonais). Deux jeunes filles ont ainsi interrogé leurs parents sur le thèmedu mariage mixte, un garçon d’origine marocaine a filmé des discussions avec son pèreet un ami de ce dernier sur leur arrivée en France, mais aussi sur le sport, la boxenotamment.

Le deuxième volet de ce projet consistait à faire des portraits de famille dans le mêmequartier, à partir d’un objet symboliquement important, “un objet de mémoire”, pouraboutir à un livre, avec texte et photos. Cette expérience a été interrompue faute departicipants.

“C’était très difficile à mettre sur pied”, explique Benoît Boissière, éducateur au Centresocial culturel, à l’origine de ces projets. “Deux familles seulement ont accepté de col-laborer. On s’est rendu compte que l’on touchait, avec cette idée, à des choses trop inti-mes.” (…)

U c ka n g e. La mémoire de la vallée sidérurg i q u e.

Expérience

Contact : CSC le Creuset, 11 rue du Stade, 50270 Uckange. [email protected]

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Comment, lorsque la transmission familiale a été affectée par l’exil, renouer avecses origines tout en entrant dans un nouveau contrat social ? Comment dépasserle trouble et la souffrance pour parvenir à un vrai projet de vie ? Des enquêteset des entretiens menés dans différents milieux (scolaire, carcéral) éclairent laquestion du “passé émietté” et de la quête d’identité des jeunes issus de l’immi-gration.

Jacqueline Costa-LascouxJuriste, psychosociologue - Directrice de recherche au CNRS

Extraits d’un article paru dans L’Ecole des Parents, hors-série n° 1, mars 2004.

AnalyseJeunes issus de l’immigration : échapper à l’injonction identitaire.

(…) La Fra nce (…) est le seul pays euro-péen à avoir été un pays d'immig ra t io ndepuis le milieu du XIXe siècle alors quetous les autres pays émig ra ie nt, ce qui este s s e nt iel da ns l'ima g i na i re collectif. LaF ra nce a un ima g i na i re de la rupture, de lar é v o l u t ion, de la vio l e nce politique fo nda-t r ic e. Il y a rupture d'avec le milieu def i l ia t ion, d'avec le pays mais aussi l'ent r é esur cette terre, da ns cette histoire : letemps se fra g me nt e. Le discours sur l'ins-t a nt, avec l'influence média t i q u e, est àc o nt re - c o u ra nt de l'immig ra t ion où l'on esttout le temps en train de se re p é rer da nsle temps ; vous vivez d'abord da ns l'ins t a nt(au départ il y a, pour les pare nt s, la luttepour la survie). Les orig i nes peuvent êtretrès dépréciées, alors, pour éviter leconflit, on se trouve des substitutio nsc o m me ces ide ntités de qua r t ie r s. Celaa r ra nge les autorités publiques qui gère ntles qua r t iers : il est plus facile de gérer de sespaces que d'ent rer da ns ces conflitss o u s - t e ndus par la dime ns ion tempore l l e,la re l a t ion de pare nté et l'affilia t ion auxo r ig i ne s. Sans compter que les pare nts ontfui les persécutio ns, la misère, la mise auban du village, les na i s s a nces ho r sma r ia ge. Ces émigrés étaie nt do nc déjà ens i t ua t ion conflictuelle ou de rupture avecleur pays d'orig i ne. Tout cela pro duit unem é mo i re en mo rceaux, avec une pre m i è rer é a c t ion de survie qui est l'effa c e me nt .B e a ucoup de pare nts immigrés le disent :ils ne savent pas quoi tra ns me t t re. Ils pen-s e nt que la me i l l e u re ada p t a t ion consiste à

e f facer ce qu’il y a eu avant. Il est vra iqu'avec la distanc e, le souvenir des per-s o n nes et des lieux s'effa c e. En effet,c o m me chez les poètes et les écrivains, cequi s'efface le mo i ns est peut-être lam é mo i re sens o r ielle (les ode u r s, les cou-l e u r s, d'où l'importance de la no u r r i t u reda ns les milieux de l'immig ra t ion). C'estu ne façon de ne pas ent rer da ns le conflittout en se re m é mo ra nt quelque cho s e. One f fa c e, mais il y a une angoisse de l'effa c e-me nt .

Q u ' e f face-t-on vra i me nt ? La secondeg é n é ra t ion a l'impre s s ion d'être da ns unes i t ua t ion de déra c i ne me nt, de bribes desouvenirs sans cohére nc e, de perte des e ns, de clivages objectifs. (…) C'est undes points les plus important s, pour less e c o ndes généra t io ns, d'avoir cette as-s ig na t ion, cette cons t a nte injonc t io nide nt i t a i re, de se situer par rapport à de sp a re nts au mo me nt où l'on a vra i me nte n v ie de bouleverser les cho s e s. En mêmet e m p s, les bouleverser da ns une fa m i l l ed ' ex i l é s, est une trahison.

Identité, citoyenneté, deux re g i s t res différe n t s(…) On ne peut pas se cons t r u i re uneide ntité sans re t rouver quelque chose del ' o rdre de la filia t ion. Il faut sortir du no n --dit, du silence pesant (qua nd une hu -m i l ia t ion historique et personnelle a eul ieu). Il faut re t rouver une re l a t ion aux ori-g i nes qui ne soit pas stig ma t i s a nt e. On ne

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peut parler aujourd ' hui de ces pro b l è me ss a ns réfléchir sur une ant h ro p o l o g ie de lap a re nté, da ns laquelle on voit à quel pointon se he u r t e, da ns des sociétés comme lasociété fra n ç a i s e, à la confusion ent rel ' ide nt i t a i re et la citoyenneté. Or, no u ss o m mes da ns deux re g i s t res différe nts quis o nt da ns une dialectique ex t r ê me me ntsubtile et les deux côtés évoluent et sec o ns t r u i s e nt en parallèle mais aussi ent reeux. Qua nd on analyse les termes da ns lere g i s t re de l'ide ntité, il y a la mémo i re, laf i l ia t ion, l'héritage, la terre, le lien affectifet symbolique, la commu nauté, la fra t e r-nité, l'int i me. Dans le re g i s t re de lac i t o y e n neté, il y a l'histoire et non pas lam é - mo i re, le choix et non la filia t ion, l'ad-h é s ion et non l'héritage, le territoire etnon la terre, la solidarité et non pas la fra-ternité, la conc i t o y e n neté, l'égalité, lep u b l ic, l'espace public. Si l'on ne perme tpas cette dia l e c t i q u e, l'ide ntité absorbe lac i t o y e n neté, ce qui de v ie nt totalisant. Siau cont ra i re, vous ne parlez que de lac i t o y e n neté au sens abstrait du terme (lesdro i t s, les devoirs et de la loi) vous le re s-s e ntez comme une vio l e nce ins t i t u t io n-nelle et finissez par la re f u s e r. C'est aussiu ne dialectique du visible et de l'invisible(le voile par exemple).

Un chemin d’émancipation(…) Évitons surtout de travailler sur less e c rets des familles immigrées en pro j e-

t a nt nos fa nt ô mes du placard. Ac c e p t o nsle bric o l a ge ide nt i t a i re sans sommer lesde u x i è mes ou tro i s i è mes généra t io nsd'avoir des ide ntités décrites comme da nsles livres de comparaison des civilisa-t io ns. Que leur tra j e c t o i re personne l l efasse des allers-re t o u r s, des ex p é r i me n -t a t io ns. Que la ritua l i s a t ion du temps soitu ne sécurité : les rituels ne sont pas fo r -c é me nt des pro v o c a t io ns cont re l'ordreétabli du pays d'accueil. Que les fêtes etles lieux de re t rouvailles aie nt un sens, quepar exe m p l e, les écoles acceptent les fêtesauxquelles pare nts et enfa nts issus de l'im-m ig ra t ion partic i p e nt. De travailler sur no sm é mo i res différe nt e s, de dire et s'eng a ge rda ns un projet de vie, car il existe fo rc é-me nt un chemin d'éma nc i p a t ion. Dans cetemps des pro j e t s, il y a celui du cho i xd'un nouveau cont rat (qui n'est pas celuidu refus de l'histoire ni de la mémo i re ) ,d ' u ne éduc a t ion à la langue et aux valeurs.(…) On s'aperçoit tout à coup que les filsse no u e nt, se déno u e nt et se re no u e nta u t re me nt. C'est d'autant plus difficile qu'ily a une distance sociale et écono m i q u ea i nsi que des ruptures et des vio l e nc e si m p o s é e s. Tout cela peut s'ajouter à unfatum fa m i l ial partic u l i è re me nt lourd àp o r t e r. (…) Le temps du partage n'est pasle temps de tout partager car il y a de ss e c rets que l'on ne partage pas. Sansi n j o nc t ion ide nt i t a i re, on peut cons t r u i re,avec du temps, quelque chose de partagé.

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Les uns la cultivent avec une délectation morose, d’autres la fuient avec mauvaiseconscience : Freud a bien montré ce que la mémoire-répétition pouvait avoir depathologique, lorsqu’elle ne fait pas l’objet d’un exercice critique. Mais à côté deces mémoires blessées, plus ou moins passives, subies, il faut aussi parler desmémoires instrumentalisées, qui résultent d’une manipulation concertée de lamémoire et de l’oubli par des détenteurs de pouvoir. Ces “abus de mémoire” ontsouvent leur source dans la fragilité de l’identité, individuelle ou collective.

Paul Ricoeur - PhilosopheExtraits de La mémoire, l’histoire, l’oubli, © Editions du Seuil, 2000, coll. Points Essais, 2003.

Fragilité de l’identité et risques de manipulation de la mémoire.

(…) Le cœur du pro b l è me, c’est la mo b i l i-s a t ion de la mémo i re au service de laq u ê t e, de la re q u ê t e, de la re v e nd ic a t io nd ’ ide ntité. Des dérives qui en résultent ,nous conna i s s o ns quelques symptôme si n q u i é t a nts : t r o p de mémo i re da ns teller é g ion du mo nde, do nc abus de mémo i re -pas assez de mémo i re ailleurs, do nc abusd’oubli. Eh bien, c’est da ns la pro b l é ma t i-que de l’ide ntité qu’il faut ma i nt e na ntc he rc her la cause de la fragilité de lam é mo i re ainsi ma n i p u l é e. Cette fra g i l i t és’ajoute à celle pro p re me nt cognitiver é s u l t a nt de la proximité ent re ima g i na-t ion et mémo i re, et trouve da ns celle-cison aiguillon et son adjuvant .

Qu’est-ce qui fait la fragilité de l’ide ntité ?Eh bien, c’est le cara c t è re pure me nt pré-sumé, allégué, prétendu de l’ide ntité (…).Il faut no m mer comme pre m i è re cause dela fragilité de l’ide ntité son rapport diffi-cile au temps : difficulté prima i re qui jus-t i f ie préciséme nt le recours à la mémo i re,en tant que composante temporelle del ’ ide ntité, en conjonc t ion avec l’évalua t io ndu présent et la pro j e c t ion du futur. Or lerapport au temps fait difficulté en ra i s o ndu cara c t è re équivoque de la no t ion dum ê me, implicite à celle de l’ide nt i q u e. Ques ig n i f ie en effet rester le même à travers letemps ? Je me suis mesuré autre fois àcette énig me, pour laquelle j’ai proposé ded i s t i nguer deux sens de l’ide ntique : lem ê me comme idem, same, gleich - le même

c o m me i p s e, self, Selbst. (…) Je dirai quela tent a t ion ide nt i t a i re, la “déraison ide n-t i t a i re”, comme dit Jacques Le Gof f ,c o nsiste da ns le repli de l’ide ntité i p s e s u rl ’ ide ntité i d e m ou, si vous préférez, da ns leg l i s s e me nt, da ns la dérive, condu i s a nt dela souplesse, pro p re au ma i nt ien de soida ns la pro me s s e, à la rig idité inflex i b l ed’un cara c t è re, au sens typographique dut e r me.

D e u x i è me cause de fragilité, la confro nt a-t ion avec autrui re s s e nt ie comme uneme na c e. C’est un fait que l’autre, parce quea u t re, vie nt à être perçu comme un da nge rpour l’ide ntité pro p re, celle du no u sc o m me celle du moi. On peut certes s’ené t o n ner : faut-il do nc que no t re ide nt i t ésoit fra g i l e, au point de ne pouvoir suppor-t e r, de ne pouvoir souffrir, que d’autre sa ie nt des fa ç o ns différe ntes des nôtres deme ner leur vie, de se compre ndre, d’ins-c r i re leur pro p re ide ntité da ns la tra me duv i v re - e nsemble ? C’est ainsi. Ce sont bie nles hu m i l ia t io ns, les atteintes réelles oui ma g i na i res à l’estime de soi, sous lescoups de l’altérité mal tolérée, qui fo ntv i rer de l’accueil au rejet, à l’exc l u s ion, lerapport que le même ent re t ie nt à l’autre.

Tro i s i è me cause de fragilité, l’héritage dela vio l e nce fo nda t r ic e. C’est un fait qu’iln ’ existe pas de commu nauté historique quine soit née d’un rapport que l’on peut direo r ig i nel à la guerre. Ce que nous célébro ns

Analyse

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sous le titre d’événe me nts fo nda t e u r s, ces o nt pour l’essent iel des actes vio l e nt slégitimés après coup par un Etat de dro i tp r é c a i re, légitimés, à la limite, par leura nc ie n neté même, par leur vétusté. Lesm ê mes événe me nts se tro u v e nt ainsi sig n i-

f ier pour les uns gloire, pour les autre s,hu m i l ia t ion. À la célébra t ion d’un côté,c o r re s p o nd l’ex é c ra t ion, de l’autre. C’esta i nsi que sont emma g a s i n é e s, da ns lesa rchives de la mémo i re collective, de sb l e s s u res réelles et symboliques. (…)

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Le culte de la mémoire ne sert pas toujours les bonnes causes, que ce soit dansle registre de l’intime ou dans la sphère publique. Il peut conduire à étendre lesconséquences d’un traumatisme passé à tous les moments de l’existence : on estalors dominé par le souvenir, sans pouvoir le domestiquer. À un tel usage littéralde la mémoire, “qui rend l’événement ancien indépassable”, on peut opposer unusage exemplaire, potentiellement libérateur, qui permet de “faire du passé unprincipe d’action pour le présent”.

Tzvetan Todorov - Historien, PhilosopheDirecteur de recherche au CNRS

Extraits de l’ouvrage Les abus de la mémoire, © Editions Arléa, mars 1995.

Droit à l’oubli et abus de mémoire.

(…) Le recouvrement du passé est indis-pensable ; cela ne veut pas dire que lepassé doit régir le présent, c'est celui-ci,au contraire, qui fait du passé l'usage qu'ilveut. Il y aurait une infinie cruauté à rap-peler sans cesse à quelqu'un les événe-ments les plus douloureux de son passé ;le droit à l'oubli existe aussi. EuphrosiniaKersnovskaïa écrit, à la fin de son éton-nante chronique illustrée de douze annéespassées au Goulag : “Maman. Tu m'avaisdemandé d'écrire l'histoire de ces tristes"années d'apprentissage". J'ai accompli tadernière volonté. Mais peut-être aurait-ilmieux valu que tout cela tombe dans l'ou-bli ?18”. Jorge Semprun a raconté, dansL'Ecriture ou la vie, comme nt, à unmoment donné, l'oubli l'a guéri de sonexpérience concentrationnaire. Chacun ale droit d'en décider.

(…) En Irlande du No rd, jusqu'à unmo me nt tout récent, les catho l i q u e snationalistes déclaraient leur volonté de“ne pas oublier et ne pas pardonner”, etajoutaient chaque jour de nouveaux nomsà la liste des victimes de la violence,laquelle provoquait à son tour une contre-violence répressive, dans une vendettainterminable que ne pourraient jamaisinterrompre un nouveau Roméo et unenouvelle Juliette. Et on entend des voixconvaincantes affirmer qu'une part non-négligeable du malheur des Noirs améri-cains provient non des discriminations

dont ils souffrent dans le présent, mais deleur incapacité de surmonter le passétraumatisant, celui de l'esclavage et desdiscriminations dont ils ont été victimes;et de la tentation qui s'ensuit, commel'écrit Shelby Steele, “d'exploiter ce passéde souffrances comme une source de pou-voirs et de privilèges”19.

Comment distinguer les bons et lesmauvais usages du passé ?Dans le monde moderne, le culte de lamémoire ne sert pas toujours les bonnescauses et l'on ne saurait s'en étonner.Comme le rappelle Jacques Le Goff, “lacommémoration du passé connaît un som-met dans l'Allemagne nazie et l'Italie fas-ciste”, et on pourrait ajouter à cette listela Russie stalinienne : un passé soigneu-sement trié, certes, mais un passé quandmême, qui permet de flatter l'orgueilnational et de suppléer à la foi idéologi-que déclina nt e. En 1881, c'est Pa u lD é ro u l è de, fo ndateur de la Ligue de spatriotes et militariste convaincu, quis'écrie :

J'en sais qui croient que la haine s'apaise : Mais non ! l'oubli n'entre pas dans noscœurs.

pavant ainsi le chemin pour la boucheriede Verdun. Sans le savoir, il confirmait parses propos une formule de Plutarque20,selon laquelle la politique se définit

Analyse

18 - E. Kersnovskaïa, Coupable de rien, Paris, Plon, 1994, p. 253.19 - Sh. Steele, The Content of Our Character, New York, Harper Perennial, 1991, p. 118.20 - Citée par N. Loraux, in : Usages de l'oubli, Paris, Seuil, 1988.

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comme ce qui enlève à la haine son carac-tère éternel - autrement dit, qui subor-donne le passé au présent.

Le simple rappel de ces exemples livrésdans le désordre suffit pour montrer que,dans la sphère de la vie publique non plus,tous les rappels du passé ne sont pas éga-lement admirables ; celui qui nourrit l'es-prit de vengeance ou de revanche suscite,en tous les cas, quelques réserves. Onpeut légitimement préférer le geste duprésident polonais Lech Walesa qui ainvité, pour commémorer le cinquantièmeanniversaire de l'insurrection de Varsovie,les représentants des gouvernements alle-mand et russe : “Le temps de la divisionet de la confrontation est arrivé à sa fin”.La question qui se pose alors est : existe-t-il un moyen pour distinguer à l'avanceles bons et les mauvais usages du passé ?Ou, si l'on remonte à la constitution de lamémoire par, à la fois, conservation etsélection d'informations, comment définirles critères nous permettant d'opérer unebonne sélection ? Ou devons-nous décla-rer que ces questions ne peuvent recevoirde réponse rationnelle, et nous contenterde geindre sur la disparition d'une tradi-t ion collective cont ra ig na nt e, qui secharge de sélectionner certains faits etd'en rejeter d'autres, nous résigner donc àl'infinie diversité des cas particuliers ?

Mémoire littérale et mémoire exemplaireUne manière - que nous pratiquons quo-tidiennement - de distinguer les bons usa-ges des abus consiste à nous interrogersur leurs résultats et à juger à l'aune dubien et du mal les actes qui se prétendentfondés sur la mémoire du passé : préférer,par exemple, la paix à la guerre. Mais onpeut aussi, et c'est l'hypothèse que jevoudrais explorer ici, fonder la critiquedes usages de la mémoire dans une dis-tinction entre plusieurs formes de rémi-niscence. L'événement recouvré peut êtrelu soit de manière littérale soit de manièreexemplaire. Ou bien cet événement - met-

tons un segment douloureux de mon passéou de celui du groupe auquel j'appartiens- est préservé dans sa littéralité (ce qui neveut pas dire sa vérité), il reste un faitintransitif, ne conduisant pas au-delà delui-même. Les associations qui se greffentlà-dessus se situent dans sa contiguïtédirecte : je relève les causes et les consé-quences de cet acte, je découvre toutesles personnes qu'on peut rattacher à l'au-teur initial de ma souffrance et je lesaccable à leur tour, j'établis aussi unecontinuité entre l'être que j'ai été et celuique je suis maintenant, ou le passé et leprésent de mon peuple, et j'étends lesconséquences du traumatisme initial àtous les moments de l'existence.

Ou bien, sans nier la singularité de l'évé-nement même, je décide de l'utiliser, unefois recouvré, comme une instance parmid'autres d'une catégorie plus générale, etje m'en sers comme d'un modèle pourcomprendre des situations nouvelles, avecdes agents différents. L'opération est dou-ble : d'une part, comme dans le travaild'analyse ou de deuil, je désamorce ladouleur causée par le souvenir en ledomestiquant et en le marginalisant ;mais, d'autre part - et c'est en cela quenotre conduite cesse d'être purement pri-vée et entre dans la sphère publique -,j'ouvre ce souvenir à l'analogie et à lagénéralisation, j'en fais un exemplum etj'en tire une leçon ; le passé devient doncprincipe d'action pour le présent. Dans cecas, les associations que j'évoque dansmon esprit relèvent de la ressemblance etnon plus de la contiguïté, et je ne chercheplus tant à assurer ma propre identité qu'àjustifier mes analogies. On dira alors que,da ns une pre m i è re approx i ma t ion, lamémoire littérale, surtout poussée à l'ex-trême, est porteuse de risques, alors quela mémoire exemplaire est potentielle-ment libératrice. Toute leçon n'est, bienentendu, pas bonne ; elles se laissentcependant toutes évaluer à l'aide des cri-tères universels et rationnels qui sous-tendent le dialogue humain, ce qui n'est

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pas le cas des souvenirs littéraux etintransitifs, incommensurables entre eux.L ' u s a ge littéral, qui re nd l'événe me ntancien indépassable, revient en fin decompte à soumettre le présent au passé.L'usage exemplaire, en revanche, permetd'utiliser le passé en vue du présent, de seservir des leçons des injustices subiespour combattre celles qui ont coursaujourd'hui, de quitter le soi pour allervers l'autre.

Travail de deuil et avènement de la justiceJ’ai parlé de deux formes de mémoire car,chaque fois, on garde une part du passé.Mais l'usage commun tendrait plutôt à lesdésigner par deux termes distincts quis e ra ie nt, pour la mémo i re littéra l e,mémoire tout court, et, pour la mémoireexemplaire, justice. La justice naît eneffet de la généralisation de l'offense par-ticulière, et c'est pourquoi elle s'incarnedans la loi impersonnelle, appliquée parun juge anonyme et mise en œuvre pardes jurés qui ignorent la personne de l'of-fenseur comme de l'offensé. Les victimessouffrent, bien sûr, de se voir réduites àn'être qu'une instance parmi d'autres de lamême règle, alors que l'histoire qui leurest arrivée est absolument unique, et ellesp e u v e nt, comme le fo nt souvent lesparents des enfants violés ou assassinés,regretter que les criminels échappent à lapeine exceptionnelle, la peine de mort.Mais la justice est à ce prix, et ce n'estpas par hasard qu'elle n'est pas appliquée

par ceux-là mêmes qui ont subi l'offense :c'est la “désindividuation”, si l'on peutdire, qui permet l'avènement de la loi.

L'individu qui ne parvient pas à accomplirce qu'on appelle le travail de deuil, qui neréussit pas à admettre la réalité de saperte, à s'arracher au choc douloureuxqu'il a subi, qui continue de vivre sonpassé au lieu de l'intégrer dans le présent,qui est dominé par le souvenir sans pou-voir le domestiquer (et c'est, à des degrésdivers, le cas de tous ceux qui ont vécudans les camps de la mort), cet individuest évidemment à plaindre et à secourir :il se conda m ne involont a i re me nt lui-même à la détresse sans issue, sinon à lafolie. Le groupe qui ne parvient pas à s'ar-racher à la commémoration lancinante dupassé, d'autant plus difficile à oublier qu'ilest plus douloureux, ou ceux qui, au seinde ce groupe, l'incitent à vivre ainsi, méri-tent moins la sympathie : cette fois-ci, lepassé sert à refouler le présent, et cerefoulement n'est pas moins dangereuxque l'autre. Tous ont le droit de recouvrerleur passé, certes, mais il n'y a pas lieud'ériger un culte de la mémoire pour lamémoire ; sacraliser la mémoire est uneautre manière de la rendre stérile. Une foisle passé rétabli, on doit s'interroger : dequelle manière s'en servira-t-on, et dansquel but ? (…)

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A lire, du même auteur : Mémoire du mal.Tentation du bien. Enquête sur le siècle. RobertLaffont, Paris 2000.

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Tous les projets conduits autour de la mémoire des lieux ou des personnes dans laville ne visent pas à enrichir l’histoire. Certains poursuivent des objectifs culturelsou sociaux ; d’autres ont pour ambition de mobiliser des individus ou des popula-tions sur des projets d’avenir. Mais très nombreuses sont néanmoins les actions quisont animées d’un souci patrimonial : il s’agit alors de contribuer à la constitutionde fonds (d’archives orales ou musicales, d’objets, de photographies, films ou témoi-gnages écrits…) destinés à compléter les savoirs dont on dispose sur la ville duXXème siècle. Ces documents, issus de la mémoire vive des populations, sont recueil-lis dans l’idée de constituer un bien public, appropriable par l’ensemble des citoyens,transmissible aux générations futures et exploitables par les historiens d’aujourd’huiet de demain. D’où la sollicitation faite aux services d’archives (municipaux, dépar-tementaux, privés…), aux musées, bibliothèques, médiathèques et centres de docu-mentation, afin qu’ils participent à ces œuvres de mémoire et intègrent les produitsqui en sont issus dans leurs collections et dans leurs politiques de diffusion.

Ce “passage” aux archives, pourtant, ne s’improvise pas. Il nécessite, comme le sou-lignent tous les professionnels, que soient mises en œuvre, dès la phase du recueildes souvenirs, un certain nombre de conditions d’ordre méthodologique, juridique etmatériel. C’est en respectant ces règles minimales de recueil que les “acteurs de lamémoire”, sur le terrain, se donneront les moyens de voir leur travail reconnu, et lesdocuments qu’ils ont amassés aptes à être capitalisés en tant que sources histori-ques.

Trop d’expériences ont abouti ces dernières années à l’accumulation de donnéesinexploitables, condamnées à dormir dans quelque armoire sans espoir de traitementou de mise en valeur. Sans parler de la déception qu’engendre une telle situationpour ceux qui ont accepté de participer aux projets, il faut souligner le risque d’épui-sement des témoins potentiels sur certains sites “surexploités” par des enquêtes àrépétition : c’est le cas, on le sait, des quartiers d’habitat social les plus stigmati-sés, dont un certain nombre sont aujourd’hui le cadre d’opérations de démolition/reconstruction.

La nécessité de bien préciser les conditions de recueil des témoignages, le souci dela qualité des enregistrements audio ou visuels, la question de l’indexation des docu-ments (qui doit permettre ensuite de faciliter l’accès aux données) sont autant d’as-pects sur lesquels la collaboration avec des archivistes ou des professionnels de lamuséologie peut être précieuse. Il ne s’agit pas de laisser aux seuls spécialistes lechamp du travail de mémoire sur la ville contemporaine - en la matière l’implicationdes habitants, des associations et des bénévoles est bien évidemment fondamentale

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- mais de s’engager dans des démarches partenariales au cours desquelles les savoirs,les compétences et les moyens des uns et des autres pourront se compléter.

Les institutions publiques en charge de la conservation de données disposent parexemple, de plus en plus souvent, de moyens pour numériser les documents dépo-sés, moyens qui font défaut à nombre d’associations. Par ailleurs, l’intégration dessources “mémorielles” aux fonds des musées ou des services d’archives municipauxou départementaux peut être l’occasion de mettre celles-ci en perspective avec lesautres documents disponibles sur l’histoire de la ville : archives des collectivitéslocales, des associations, des entreprises privées qui ont contribué à la fabricationdes territoires urbains ; dossiers techniques, ouvrages ou rapports produits par desuniversitaires, des étudiants, des sociétés savantes… L’expérience montre que cettedouble approche, qui prend en compte à la fois les mémoires vives et les autres sour-ces de connaissance historique, accroît considérablement le sens et la valeur desunes et des autres.

De telles démarches supposent évidemment un intérêt de la part des institutionsconcernées : intérêt pour les archives orales, sonores ou visuelles, et intérêt pour laville du XXème siècle. Dans ces deux domaines, les choses progressent, comme le mon-tre l’initiative conjointe de la Direction des archives de France et de la Délégationinterministérielle à la ville pour la collecte, la conservation et la valorisation desarchives et de la mémoire de la politique de la ville ; ou encore la participation denombreux services d’archives, bibliothèques et musées aux actions initiées autourdes mémoires urbaines dans le cadre des contrats de ville ou d’agglomération.

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De plus en plus sollicités pour intégrer dans leurs fonds les produits issus des collec-tes de témoignages ou d’objets réalisées dans les quartiers à l’initiative de groupesd’habitants, d’associations, de chefs de projets ou de travailleurs sociaux, le MuséeGadagne, Musée historique de Lyon et les Archives municipales ont travailléconjointement à la rédaction d’un Guide méthodologique des travaux sur la collecte demémoire.

À travers ce document, les deux institutions, qui font partie depuis 2004 du réseaudes équipements lyonnais ayant signé la Charte de coopération culturelle (engagementdes établissements culturels en direction des publics spécifiques et des habitants dessecteurs inscrits en politique de la ville) poursuivent un double objectif :

• donner des réflexes de méthode aux acteurs s’engageant dans des actions qui néces-sitent le recueil de la mémoire d’un groupe, collectivement ou individuellement.• permettre la capitalisation de ces données par les institutions patrimoniales.

Bien souvent en effet, les documents proposés aux Archives ou au Musée (photogra-phies, enregistrements audio ou video…) s’avèrent inutilisables, difficilement identi-fiables ou impossibles à conserver, et finalement non diffusables. Il s’agit donc defaire connaître aux acteurs qui se lancent dans ce genre de collecte quelques règlesde base à respecter pour que leur travail puisse à terme être connu, diffusé à tous,utilisé par les chercheurs et tous les citoyens qui s’intéressent à l’histoire de la ville- y compris d’autres porteurs de projets mémoriels.

Le guide insiste d’abord sur la définition de projet mémoriel et sur les questions àse poser avant de se lancer dans un recueil de mémoire. La première étant de réflé-chir à son propre positionnement : Qui sommes-nous ? Pourquoi montons-nous ce pro-jet ? Dans quel but ? Le guide précise un certain nombre de règles de travail : se docu-menter sur la période abordée, rechercher des sources écrites sur la question, consti-tuer un corpus de personnes à interroger… Il livre aussi des repères méthodologi-ques pour la conduite d’entretien : Comment préparer ce dernier ? Où et commentle conduire ? Comment expliquer le projet aux participants ? Faut-il enregistrer oupas ? Quelles traces conserver ? Sont également précisés le matériel à ne pas oublier,les conditions du dialogue et de l’écoute, les méthodes d’identification, d’indexationet de conservation des données recueillies, selon leur support (enregistrements audioou vidéo, photographies, manuscrits, écrits divers).

Le question du statut des discours ou des objets recueillis est abordée, ainsi que leproblème des droits (droit à l’image, droits d’auteur) :

“Recueillir la mémoire se fait dans le cadre des lois qui protègent les citoyens : leurimage, leur vie privée, leur vie intellectuelle. (…) Quels que soient les documents col-lectés - mémoire orale enregistrée, filmée, écrite, photo - ils sont protégés par desdroits.”

Enfin, le guide insiste sur l’intérêt d’établir un contrat avec les personnes dont onsollicite les témoignages :

ExpérienceLyon. Un guide pour les collecteurs de mémoire.

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Dépasser la simple collecte de souvenirs.

Les conditions de la capitalisation.

“Afin de pouvoir exploiter les documents recueillis, il convient d’en demander l’autorisa-tion. L’accord se concrétisera par la rédaction et la signature d’un document contractuel(contrat, convention) entre vous-même et la personne possédant ces documents. Cecontrat va fixer les droits et obligations de chacun. Sans cela, vous ne pourrez exploiterles documents récupérés, ni même, à terme, les remettre dans une institution publique.Le contrat vous permettra de stipuler les usages que vous pourrez faire ou non des don-nées et objets collectés. (…)

Le contrat (ou convention) de cession de droit doit comprendre : ■ un descriptif de l’œuvre,■ des modalités de consultation et reproduction, ■ des conditions de reproduction, ■ la propriété de l’œuvre,■ les modalités de diffusion de l’œuvre (durée, étendue territoriale et support d’exploi-tation).

En outre, afin d’éviter tout risque de mise en cause pour diffamation, notamment enmatière de collecte de mémoire orale ou d’écrit, il convient de toujours préciser en débutd’entretien que tout ce qui sera évoqué est de la seule responsabilité de l’interviewé.”

Le guide précise également le rôle des institutions patrimoniales comme le Musée oules Archives, et ce que deviennent les données qui intègrent leurs fonds. Sa diffusionest prévue courant 2007 : il sera téléchargeable sur Internet sur les différents sitesdu Musée Gadagne, des Archives municipales et de la Ville de Lyon, puis diffusé enversion papier aux associations qui en feront la demande, les équipes du MuséeGadagne et des Archives municipales se tenant à la disposition du public pour appro-fondir ou préciser les questions évoquées.

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Contacts : Claire Déglise, Service des publics, Musée Gadagne,1, place du Petit collège, 69005 Lyon, [email protected], fax : 0478 42 79 71Tristan Vuillet, Archives municipales de Lyon,18, rue Dugas Montbel, 69002 Lyon, [email protected], fax : 04 78 92 32 99

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Pour préparer l’exposition “Douce banlieue”, qui a attiré près de 5000 visi-teurs en 2004 à Saint-Denis (Ile de France), une collecte de témoignages a étéorganisée pendant près de trois ans par les Archives municipales, auprès d’ha-bitants de la ville et des alentours. Considérées comme une source historique,comportant leur part d’affect et de censure, les mémoires individuelles ainsirecueillies ont servi de base à l’élaboration de bandes sonores thématiques(“L’exil”, “La famille”, “Le quartier”, “L’identité ouvrière”…) qui, articuléesavec un matériau photographique, ont permis de constituer le propos de l’ex-position. Parmi les nombreuses questions que soulève ce genre de démarche,celle du respect dû aux témoins et à leur parole est essentielle.

Frédérique Jacquet - Conservateur du patrimoine Directrice des Archives municipales de Saint-Denis

Les archives orales ne renvoient pas à un seul et même type de document. Comme lesarchives papier, elles sont multiformes. Leur “contenu”, c’est-à-dire l’énoncé, la qua-lité et la structuration des données qu’elles contiennent, dépendent du contexte etdes objectifs de la collecte. Qui pose les questions ? Pour quoi faire ? Quelle est l’im-plication et/ou la qualification de l’enquêteur ? Qui est l’enquêté ? Combien y a-t-ild’enquêtés ? De quel type est la relation qui se noue entre l’enquêteur et l’enquêté ?Se connaissent-ils ? Etc. Sans parler de la technique de l’entretien : simple discussion,questionnaire fermé, entretien semi directif, entretien compréhensif… Là aussi, lesmodes d’approche diffèrent selon l’appartenance de l’enquêteur à telle ou telle disci-pline des sciences sociales, selon sa relation à l’autre, selon les objectifs de l’enquête,objectifs avoués ou sous-jacents.

Faire preuve d’humilitéToutes les voix enregistrées n’ont pas vocation à être définitivement conservées.Certaines enquêtes, par exemple, sont conduites dans le cadre d’une opération précise: mémoire de recherche, ouvrage, exposition. Les entretiens sont alors dirigés pourservir un projet défini. Ce qui est simplement recherché, c’est le témoignage commematériau historique ponctuel. On va chercher de l’information auprès des gens pourensuite la traiter, la remanier ou la mettre en perspective. On transcrit les témoigna-ges, on en donne à lire la partie significative pour son propos, on les inscrit dans uncontexte pour en souligner le sens et l’épaisseur. L’entretien n’est alors qu’une phaseintermédiaire, un travail de repérage en quelque sorte.

C’est pourquoi personne ne doit tomber dans le fétichisme de l’entretien enregistré.Tout collecteur d’archives orales doit ainsi savoir faire preuve d’humilité. Le recueil dela voix d’un témoin aura peut-être de l’intérêt pour d’autres, dans l’avenir, mais cen’est pas sûr. Les archives orales ne sont pas un matériau historique a priori.

Cela dit, la relation de l’enquêteur avec ses témoins doit répondre à un certain nom-bre d’impératifs. Faire parler quelqu’un, s’arroger cette prérogative, qui implique defait l’exercice d’un pouvoir sur l’autre, doit se faire en application de règles déonto-logiques précises.

ExpérienceDe l’importance du contrat.

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Les conditions de la capitalisation.

Le témoin, propriétaire de sa paroleLe témoin ne doit pas être instrumentalisé. Il est une personne avant d’être un témoi-gnage potentiel. À ce titre, il mérite d’être considéré et respecté. Tout manque deconsidération de l’enquêteur pour la personne de l’enquêté - surtout si elle est nondite - entraîne une soumission de ce dernier - ou dans le meilleur des cas un rejet -qui va fausser la teneur des propos.Le témoin par ailleurs est le seul vrai propriétaire de sa parole. Elle lui appartient. S’ildécide de la céder, il doit savoir comment et pourquoi. Il ne s’agit pas d’un acte ano-din. La voix, c’est un peu de soi. La meilleure manière d’engager un entretien est de formaliser, dans un contrat, lesdroits et obligations de chacun. Le contrat place l’enquêté à égalité de l’enquêteur. Ildéplace l’entretien dans un cadre juridique général qui devient une référence com-mune. Il ne s’agit plus d’une conversation “volée”, mais d’une parole collectée dansun contexte défini et dont l’utilisation future dépend de la volonté de celui quiaccepte de témoigner.Le contrat responsabilise les deux parties et introduit la distance nécessaire à la col-lecte. Un entretien enregistré est en effet un travail non seulement pour l’enquêteur,mais aussi pour celui qui livre une partie de lui-même. Le contrat symbolise la recon-naissance de ce travail accompli mutuellement. Il est souvent la condition d’un entre-tien réussi.

1968, Occupation de l'usine Jeumont, Douce Banlieue, Archives municipales de Saint-Denis, don privé.

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Contact : Frédérique Jacquet,Archives municipales de Saint-Denis, BP 269, 93 205 Saint-Denis Cedex. [email protected]

Les témoignages et les photographies collectés dans le cadre de cette action sont repris sous une formeoriginale dans le livre Douce banlieue, paru aux Editions de l’Atelier en 2005.

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Pour que les témoignages oraux constitutifs de l’histoire du temps présentacquièrent un statut d’archives, utilisables par les chercheurs ou par les généra-tions futures, un certain nombre de précautions doivent être prises, aussi bienlors du recueil de ces témoignages que lors de leur conditionnement en vue deleur conservation. Le Conseil économique et social, saisi par lettre du Premierministre en mars 2000, a rendu un avis sur ce thème en janvier 2001. Extraits.

Extraits de l’Avis du Conseil économique et social présenté par Mme Georgette Elgey,Editions des Journaux Officiels, 17 janvier 2001.

Les “archives orales”, rôle et statut.

(…) En France, comme hors de France, iln’existe pas de règles strictes qui prési-dent à la création de sources orales : sesc o nd i t io ns techniques, scie ntifiques etjuridiques varient selon les institutions,les chercheurs. Les principaux program-mes sont le fait de Comités pour l’histoire,des Archives nationales, des deux ministè-res des affa i res étra ng è res et de laDéfense, de certains laboratoires du CNRS,de l’Ecole des Hautes Etudes en SciencesSociales et des associations. Les supportsv a r ie nt. Bandes ana l o g i q u e s, cédéro m ,cassettes DAT nu m é r i q u e s, immédia t e-ment transférées sur disques compactsaudio (…)

Le recueil d’un témoignage suppose, del’avis unanime, une préparation impor-tante, la connaissance par l’enquêteur dessujets abordés par les témo i ns. LesArchives nationales et les principales ins-titutions préparent avec un soin extrêmeles entretiens qu’ils mènent. Il en est demême des syndicats. Le ministère desaffaires étrangères met en pratique unetechnique que tous recommandent maisque bien peu appliquent : l’entretien estconduit conjointement par deux enquê-teurs, un archiviste (…) et un historien(…).

L’accès aux témoignages oraux est pour lemoins complexe. Il varie au gré de lalégislation et des contrats signés lors dudépôt ou de la donation des témoignages.La législation fait appel à trois textesprincipaux, celui qui protège la vie privée

Analyse

du citoyen (loi du 17 juillet 1970), celuiqui régit le droit d’auteur (code de la pro-priété intellectuelle de 1992) et la loi surles archives (du 3 janvier 1979). Deuxtypes de contrats prévalent :

• celui conclu entre l’interviewer et l’in-terviewé ;• celui conclu entre la personne physi-que/ou mo rale et l’ins t i t u t ion da nslaquelle seront déposés les entretiens réa-lisés. (…)

Des modalités de recueil rigoureusesUne utilisation scientifique veut qu’uneétude critique soit faite du témoignage,qu’il soit confronté aux sources existan-tes, écrites ou orales. La parole, pas plusque l’écrit, ne saurait être vérité d’évan-gile. Si de telles règles sont respectées,alors le témoignage oral est précieux. Ildonne à percevoir l’atmosphère avec desdétails, des notations qui ne se trouventdans aucun document officiel. Il permetde saisir la psychologie du témoin, à tra-vers ce qu’il dit ou ne dit pas. Il donnesouvent aussi accès aux archives privées,dont l’existence n’était pas connue. Ilapporte des informations qui ne figurentpas dans les archives (…).

(…) Pour que ces témoignages revêtent lecaractère scientifique indispensable, lesmodalités de leur recueil doivent êtrerigoureuses. Leur intérêt pour le chercheuren dépend largement. Chaque témoignagedoit impéra t i v e me nt être accompagnéd’une fiche signalétique comportant des

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Les conditions de la capitalisation.

données objectives invariables. C’est ainsique doivent figurer :

• la date à laquelle le témoignage a étérecueilli ;• le lieu ;• le programme dans lequel il s’inscrit ;• l’identité du témoin, sa date de nais-sance, ses états de service ou sa carrière ;• sa situation au moment où il délivre sontémoignage ;• le nom et la qualité de l’enquêteur etéventuellement de l’organisme qui le man-date.

Notre assemblée souhaite que le témoi-gnage soit accompagné d’un “journal”da ns lequel l’enquêteur re l a t e rait lesconditions du recueil, son contexte, etéventuellement ses commentaires person-nels susceptibles d’apporter un élémentd’information supplémentaire.

Le cara c t è re scie ntifique de la collecte nes a u rait se limiter à la psycho l o g ie, à lag ra nde disponibilité et à la compétence del ’ e n q u ê t e u r. L’ e nt re t ien même s’il ne pre ndpas une fo r me dire c t i v e, ex ige une prépa-ra t ion minu t ieuse et une conna i s s a nc ea p p rofo nd ie de la pério de re l a t é e. (…)

Des conditions de conservation à respecterLes conditions requises pour assurer lapérennité du témoignage demandent unpersonnel compétent soucieux du respectde (telles) déontologies et des structureséquipées à cette fin. Il convient doncd’encourager le dépôt dans des centresrépondant à ces exigences.

Trois conditions matérielles sont nécessai-res pour assurer une bonne conservationdes témoignages oraux :

■ un matériel de qualité, pour l’enregistre-ment et la conservation, avec la constitu-tion d’un support de référence, dit “mas-ter” de sauvegarde, qui en assure lapérennité;

■ un conditionnement “de bon sens”, quisuppose un rangement vertical garantis-sant l’intégrité des supports, leur écoute(ou projection) régulière afin de contrôlerleur état de conservation ;

■ un environnement favorable, qui sup-pose une tempéra t u re cons t a nt e, unehumidité, une luminosité, une ventilationet une filtration de l’air contrôlées, desrevêtement anti-poussière et un éloigne-ment des champs magnétiques.

Faciliter l’accès aux collectionsLa conna i s s a nce de toutes les collectio nsex i s t a ntes est la cond i t ion pre m i è re deleur accessibilité (…). La valorisation do i tfaciliter l’accès aux témo ig na ges ora u x .Elle consiste à offrir l’opportunité auxc he rc heurs - d’aujourd ’ hui, mais de de ma i nsurtout - de se “pro me ner” aiséme nt da nsla source ora l e. D’où la nécessité dec o nstituer des invent a i res et des catalo-gues décrivant le cont e nu de la sourc e. Latechnique numérique le permet car lese nt re t ie ns peuvent être tra nchés en “pla-ges thématiques” et fa i re l’objet d’un re p é-ra ge et d’une indexa t ion précis. (…)

La tra ns c r i p t ion da c t y l o g raphique dutémoignage oral exige la plus granderigueur, afin d’éviter les erreurs d’interpré-tation. Les personnels chargés de cettetâche doivent être formés préalablement àcette technique. Elle est assuréme ntn é c e s s a i re à l’ex p l o i t a t ion historique,puisque la citation du témoignage se faitpar écrit. En outre, le support papieraujourd’hui est le seul accessible sansintermédiaire technique. Or la missionfo nda me ntale du témo ig na ge ora ldemeure sa conservation en vue de l’utili-sation par les générations futures.La tra ns c r i p t ion doit id é a l e me nt êtreeffectuée par l’enquêteur ou l’institutionchargée du recueil des témoignages oraux.Elle ne doit en aucun cas impliquer la dis-parition du support audio ou vidéo. Elledevrait être accessible au chercheur avecl’écoute de la bande son. (…)

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Barbara Domenech, Michel DidierCentre de ressources

Délégation interministérielle à la ville

En 2003 la Délégation interministérielle à la ville (DIV) a lancé un partenariat avecla Direction des archives de France (DAF), en vue de sensibiliser les institutions etles acteurs locaux à la collecte, la conservation et la valorisation des archives de lapolitique de la ville. Outre l’appui technique apporté par la DAF à la DIV pour la ges-tion de ses archives, ce partenariat prévoit la mise en œuvre d’un programme d’ac-tions destiné à favoriser l’exploitation des archives nationales et locales de la politi-que de la ville dans le cadre de travaux de recherche et de vulgarisation.

Après la constitution d’un comité de pilotage national et l’organisation d’une journéenationale d’études21 qui a rassemblé plus de 200 archivistes, universitaires, profession-nels de la politique de la ville, représentants de l’Etat et des collectivités locales, cepartenariat s’est traduit par :

■ La signature d’une instruction conjointe DIV-DAF en date du 23 juillet 2004,adressée aux services déconcentrés de l’Etat et aux directeurs des services d’archivescommunaux et départementaux.

■ Le ministère de la culture et de la communication et le ministère de l’emploi, de lacohésion sociale et du logement, ont signé le 18 septembre 2006 une instruction offi-cielle précisant les modalités de tri des archives de la politique de la ville dans lesservices déconcentrés et les collectivités territoriales.

■ Le lancement d’une campagne d’archives orales et de témoignages immédiats sur lapolitique de la ville.

Associer archives administratives et témoignages oraux

La campagne d’archives orales entreprise conjointement par la DIV et la DAF entredans une conception récente de recherche historique, qui associe l’analyse des archi-ves écrites, administratives, au recueil des témoignages oraux “précieux à la connais-sance et à la conservation de l’histoire de notre temps. (…) Les témoignages oraux,couramment dénommés “archives orales”, sont recueillis dans un but de documentationscientifique et/ou dans un souci patrimonial.”22

L’objectif de cette campagne est d’aider à l'encadrement méthodologique et scien-tifique des projets relatifs à l'histoire et à la mémoire des quartiers de la politique dela ville et à leur valorisation. Il s’agit de recueillir la mémoire de la politique de laville et d’en écrire l’histoire selon une double entrée : production de connaissances

ExpérienceConserver la mémoire de la politique de la ville. Une démarche nationale.

21 - Villes et mémoires : les archives de la politique de la ville, Paris, 17 juin 2004,22 - Avis du Conseil économique et social, présenté par G. Elgey, Editions des Journaux Officiels, 2001.

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Les conditions de la capitalisation.

pour le grand public (constitution d’un corpus de sources cohérent pour la recherche)et production de sens pour les habitants.

Des sites tests ont été choisis en vue d’expérimenter la démarche et de fournir unesynthèse méthodologique à l’issue de celle-ci : le quartier de Franc-Moisin à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), les quartiers sud de Cayenne (Guyane), le quartier de LaBourgogne à Tourcoing (Nord), le quartier des Minguettes à Vénissieux (Rhône). Ilsont été choisis en fonction de différents critères : la volonté locale, le caractère repré-sentatif ou emblématique du site au regard de l’histoire de la politique de la ville,l’existence d’un projet de rénovation urbaine, la capacité à croiser différents réseauxet à impliquer le milieu universitaire.

Des initiatives locales, une coordination nationale

Sur chaque site, les concepteurs, maîtres d’œuvre et bénéficiaires de la politique dela ville sont appelés à témoigner de la manière dont ils ont perçu la construction oula mise en oeuvre de cette politique publique au plan local. Il s’agit aussi de recueil-lir la mémoire de ce qui a fait sens ou évènement pour les acteurs et de repérerles interactions entre politique urbaine et politique sociale, entre actions institution-nelles et dynamiques associatives, entre politique nationale et politique locale. Uneéquipe d’enquêteurs spécialisés est mobilisée à cette fin.

Des comités de pilotage locaux sont mis en place sur chacun des sites concernés.Ils sont composés a minima d’un représentant de la municipalité, d’un représentantdes services déconcentrés de l’Etat, de l’archiviste municipal ou départemental, duresponsable du centre de ressources politique de la ville, des chercheurs ou universi-taires locaux qualifiés dans le domaine, et de représentants du comité de pilotagenational. Ces comités ont pour tâche d’encadrer le travail des enquêteurs — tant auniveau de la mise en forme des grilles d’entretien que du choix des témoins —, desynthétiser les résultats des entretiens et de déterminer les modalités de restitutionet de diffusion des témoignages.

Une charte technique assurera l’homogénéité du recueil des enregistrements et unarchivage utilisable selon les règles en vigueur. Une attention forte sera portéenotamment à la qualité du matériel et des supports d’enregistrement. Un encadrementjuridique sera également fourni aux sites pour établir les contrats de cession desdroits pour les interviewés et pour les enquêteurs.

Parallèlement, une campagne de collecte de témoignages sera menée auprès desgrands acteurs nationaux de la politique de la ville : ministres, responsables d’ad-ministrations centrales, élus, architectes, opérateurs de logement social, sous-préfetsville, chefs de projets, représentants du mouvement social, etc.

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Contacts :[email protected] [email protected]

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Désireuse d’intégrer le programme de campagne d’archives orales lancé en 2004 par laDélégation interministérielle à la ville (DIV) et la Direction des archives de France(DAF), la Ville de Cayenne a été retenue pour représenter l’outre-mer parmi les sites-tests choisis par le comité de pilotage national.

En Guyane, la politique de la ville a trouvé des applications différentes de celles quiont été mises en place dans les banlieues de métropole. On retrouve sur ce territoirel’ensemble des caractéristiques propres aux autres villes d’outre-mer : des villes enconstruction, où l’habitat collectif cohabite avec la case et la maison créole, où l’es-pace public côtoie le jardin et l’abattis. Les quartiers sud ont semblé tout désignéspour expérimenter le travail de collecte des archives initié par la DIV et la DAF : ilsont bénéficié les premiers des programmes d’intervention prioritaire de la politique dela ville, la population s’y est constituée par vagues successives : les habitants créo-les guyanais ayant vu s’implanter des Haïtiens, des Dominicains, des Brésiliens, des“chinois”, des Noirs marrons… Préexistantes à la politique de la ville, les associationsont largement inspiré et relayé l’action publique.

La Ville de Cayenne, le Centre de ressources politique de la ville de Guyane, lesArchives départementales et la DRAC se sont donc associés pour conduire cette opé-ration de collecte de témoignages oraux, dans l’objectif de compléter l’informationadministrative disponible sur l’histoire de la politique de la ville. La mise en œuvrede l’opération a reçu le soutien de l’Université Antilles-Guyane, qui a mobilisé desétudiants du DEUST Médiation sociale, dirigé par Christian Cécile, anthropologue.

Le travail s’est déroulé sous l’égide du Centre de ressources avec l’appui d’ElkanaJoseph, Chef de projet du Contrat de ville de Cayenne et de Françoise Lemaire, direc-trice des Archives départementales. Après une phase préliminaire de formation àl’enquête orale encadrée par un comité technique local, une vingtaine d’entretiensde deux heures environ ont été réalisés par les étudiants sur la base d’une grille adap-tée à chaque catégorie de témoins. David Redon, doctorant en histoire contemporaine(Université de Toulouse Le Mirail), a assuré l’encadrement des enquêteurs et la syn-thèse du travail23.

Les recherches documentaires menées en amont et en aval du projet ont permis deconstituer un fonds croisant les sources imprimées (institutionnelles, médiatiques,associatives...) et audiovisuelles (RFO-Télévision) ; fonds enrichi par les archives pri-vées collectées systématiquement auprès des témoins.

À plus long terme, la constitution d’un recueil de témoignages cohérent, sur la based’instruments de recherche respectant une méthodologie rigoureuse, ainsi que le rap-port étroit entretenu tout au long du projet avec l'Université Antilles-Guyane, permet-tent d'envisager une exploitation des fonds par les chercheurs, dans le domaine dela géographie urbaine et sociale, de l'anthropologie, de l'histoire de l'immigration, dela politologie ou de la sociologie.

ExpérienceCayenne. Collecte d’archives orales de la politique de la ville.

23 - Voir Collecte des archives orales de la Politique de la Ville. Les quartiers sud de la Ville de Cayenne. Guide del’enquêteur, David Redon, mai 2005, rapport disponible au Centre de ressources de la politique de la ville deGuyane ou à la Délégation interministérielle à la ville.

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Contact : Centre de ressources politique de la ville de Guyane. Cité Cabassou. Bâtiment F n° 19. 97300Cayenne, Tel : 05 94 28 43 Fax : 05 94 28 79 44. [email protected]

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De l’intérêt d’un appui scientifique.

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Au-delà du recueil de témoignages, de l’accumulation de données orales ou de tra-ces documentaires, les travaux de mémoire, pour prendre sens auprès du public oudes générations suivantes, doivent donner lieu à interprétation. Autrement dit, ilsdoivent pouvoir être replacés dans la longue durée historique, être mis en relationentre eux et avec d’autres sources, à une échelle plus large que celle du quartier :celle de la ville, de l’agglomération, de la région ou de la Nation.

Le travail d’interprétation des sources n’est jamais neutre et il ne saurait être uni-voque et définitif. Car le passé n’est pas uniquement clos et révolu : il se construiten fonction du regard que la société porte sur lui. Ainsi les mémoires et les autressources historiques sont-elles sans cesse retravaillées, réécrites par divers acteurs,qui proposent des lectures plus ou moins rigoureuses, plus ou moins critiques, plusou moins larges de la ville. C’est par le biais de ces diverses activités d’interpréta-tion que les manifestations et les récits mémoriels s’inscrivent dans l’esprit publicdes villes, et contribuent à la fabrication du présent et de l’avenir de nos agglomé-rations24.

Parmi ces interprètes figurent les chercheurs. Historiens, ethnologues, sociologues,archéologues, géographes…, ils peuvent apporter aux acteurs engagés dans des pro-jets sur la mémoire des villes à la fois des connaissances, des méthodes de travail,et un recul critique appréciable. Ils peuvent aider à situer les données issues de lamémoire dans les grands mouvements historiques du travail, des migrations, desmouvements politiques et sociaux qui ont affecté la ville… Ils peuvent enfin met-tre en relation les travaux de mémoire avec d’autres sources, scientifiques ou tech-niques, conservées dans les universités, les centres de recherche, les agences d’ur-banisme… ; sources qui relèvent de la “littérature grise”, trop souvent inaccessibleau grand public.

Pourtant, leur intervention dans les “opérations mémorielles” ne va pas de soi. Pourdifférentes raisons liées à leur statut ou à leur conception de l’activité scientifique,certains scientifiques ne souhaitent pas travailler sur la ville en train de se faire oucollaborer avec des amateurs. Ainsi, comme le soulignait récemment AnnieFourcaut25, les historiens, plus habitués à travailler à partir des sources écrites quedes archives orales, ont été jusqu’ici peu présents sur le thème de la ville contem-poraine. Mais les choses évoluent, et l’on commence à voir paraître des thèses surles mécanismes de production de la ville du XXe siècle, le peuplement des grandsensembles ou l’histoire de la politique de la ville. Par ailleurs, la précarisation descarrières universitaires contribue à l’engagement de jeunes dans des travaux com-mandités par des collectivités locales, des musées, des associations ou des organis-mes HLM... Leur présence constitue une ressource intéressante pour construire desdispositifs d’interprétation partagée des mémoires locales, à condition cependantque soit bien définis le cadre de leur intervention, le sens de leurs missions et lesmoyens qui sont affectés à celles-ci.

24 - Voir sur ce point Alain Battegay, in : Actes de l’atelier Mémoires urbaines et présent des villes,http://socio.univ-lyon2.fr/article.php3?id_article=775. 25 - Lors de la journée Villes et mémoires, les archives de la politique de la ville, co-organisée par la Direction desarchives de France et la Délégation interministérielle à la ville, Paris, 17 juin 2004.

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En 1998, un petit groupe de personnes ayant travaillé dans le domaine des scienceshumaines (histoire, sciences politiques, anthropologie…) décidait de constituer l'as-sociation Trajectoires pour répondre aux demandes de transmission de la mémoiredans l'espace public. L'association souhaitait aider les individus et les collectifs sou-cieux de transmettre leur mémoire, par un questionnement stimulant sur la formula-tion, la finalisation et la finalité de leur projet. Elle voulait également mettre en placedes actions valorisant le parcours de vie d'individus “silencieux” ou “oubliés”.

La constitution de la mémoire étant indissociable de la construction de l'espace,Trajectoires a choisi délibérément de “localiser” ses observations et questionnements,en partant du quartier de Belleville-Ménilmontant à Paris, où elle a réalisé un patienttravail de découverte des hommes et des lieux, de tissage de liens, de participa-tion aux réseaux d'inter-connaissance déjà en place. Au fil des ans, elle a ainsi pro-posé des animations historiques et des actions pédagogiques, tout en militant pourla sauvegarde d’un haut-lieu du quartier.

Des actions d'animation historique

Elles ont eu lieu entre 1999 et 2003 en partenariat avec le Café littéraire laMaroquinerie. Les Samedis de l'histoire (mensuels) étaient proposés à partir de thé-matiques diverses : les femmes, l'utopie, les voyages, le colonialisme… Parallèlement,étaient organisées une fois par trimestre, dans le même lieu, des rencontres-inter-ventions sur la mémoire du quartier (les rafles d'enfants juifs à Belleville sous l'occu-pation, les anciens cinémas, les artisans...).En février 2002, les premières Escales Bellevilloises ont été mises en place. Pendantune semaine, à la Maroquinerie, différents intervenants locaux (associations, artis-tes...) étaient invités à mettre leur action en perspective avec l'histoire du quartier.Des films, expositions-photos, ou de la musique accompagnaient les débats.

Une action pédagogique : À la découverte des Amandiers

De 2002 à 2004, en collaboration avec l'équipe de développement local Belleville-Amandiers, Trajectoires a monté à destination des élèves des écoles élémentaires uncycle d'animations pédagogiques sur le passé et le présent du travail artisanal etindustriel dans leur quartier. Poursuivant à la fois des objectifs de sensibilisation àl'histoire locale, d’apprentissage du regard sur l'environnement urbain et de décou-verte de la "trace" historique, cette démarche confrontait les enfants à la matérialitédu travail (outils, machines, produits...) dans une société où l'immatériel prime deplus en plus. Elle comprenait des parcours-découvertes dans le paysage urbain, desvisites d'ateliers d'artisans toujours en activité, des ateliers d'analyse et de syn-thèse dans les classes. Une exposition sur l'histoire d'une rue a été créée à cette occa-sion et présentée en différents lieux de l’arrondissement.

ExpérienceBelleville-Ménilmontant. Des chercheursengagés dans la transmission des mémoiresurbaines.

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Un exemple de sauvegarde et "d'activation" mémorielle : la Maison des métallos

Trajectoires s'est par ailleurs mobilisée pour sauvegarder un lieu emblématique de laculture populaire et militante de l'Est parisien : la Maison des métallos, dans le XIe

arrondissement. Cette ancienne usine d'instruments de musique à vent, bâtie en1881 par Amédée Couesnon et cédée en 1936 à la fédération des métaux CGT, devaiten effet être vendue à des promoteurs. Au sein du comité de défense du lieu, dit“Comité métallos”, l'association a participé à l'organisation de visites historiques età l'édition d'un livre, La Maison des métallos et le Bas Belleville (Editions Créaphis,2003). Avec le Comité, elle milite pour que les habitants et les associations localesne soient pas dépossédés de l'usage de la Maison qu'ils ont contribué à sauver de ladestruction, et qu'ils puissent donc intervenir dans le futur mode de gestion du lieu,ainsi que dans les choix architecturaux en matière de réhabilitation.

Les Rencontres, lieux d’échange entre bénévoles et professionnels

Élargissant sa réflexion, Trajectoires a également mis en place une série de rencon-tres-débats nationales, regroupant des porteurs de projets et des professionnels(archivistes, personnel des musées…), autour d’initiatives relatives à la sauvegardeet à la transmission de la mémoire. L’objectif est double : favoriser l’échange sur lesméthodes et les outils d’intervention mobilisés dans le cadre de ces expériences etquestionner leurs motivations, leurs objectifs et leur sens, afin d'offrir aux acteurs unrecul critique et une mise en perspective permettant de mieux comprendre les enjeuxde leurs initiatives.

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Contacts : Association Trajectoires, 6 rue de l'Ermitage 75020 Paris.Tél. : 01 45 35 66 61. [email protected]. Site internet : www.trajectoires-memoires.org

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Capteurs de récits, sauveurs d’archives, analystes, animateurs… : les chercheursqui s’impliquent auprès des acteurs de la mémoire dans les quartiers, que ce soitde manière bénévole ou professionnelle, s’interrogent forcément sur leur rôle.Comment éviter les pièges de l’instrumentalisation des mémoires, les malenten-dus avec les témoins sur l’usage des récits recueillis ? Peut-on parler de coproduc-tion de sens lorsque l’on accompagne un groupe dans une réflexion critique sur lepassé26?

Pierre-Jacques Derainne - Historien Membre de l'association Trajectoires

L’appel aux historiens dans les actionsmémorielles. Impressions de terrain.

Une des caractéristiques de nombre d'ac-tions “mémorielles” qui se développentactuellement en dehors ou à la lisière duchamp universitaire est la place faite,da ns leurs objectifs, à la dime ns io nsociale. Il ne s'agit pas, ou pas seulement,d'élaborer de la connaissance critique àpartir du passé, mais de donner, dans lecadre d'un projet “interventionniste” fai-sant appel à un ou plusieurs opérateurs,une utilité sociale à la transmission de lamémoire. Utilité qui s’exprime selon lescas en termes d'implication collective, de“qualification” d’une population autourd'un enjeu urbanistique, de modificationd'une identité territoriale, de constructionde lien social ou d'espace communication-nel… C'est notamment à partir de ce typed'objectifs que les actions trouvent desfinancements auprès des collectivités ter-ritoriales ou de la politique de la ville.

Cette exigence sociale induit de la part duou des intervenants scientifiques sollici-tés pour accompagner ces actions (histo-riens, sociologues, ethnologues…), desmodes opératoires spécifiques : par exem-ple faire participer les personnes sollici-tées au recueil de mémoire par des discus-sions, des ateliers, des visites, des rencon-tres… ; leur “restituer” les matériauxrecueillis (CD audio, transcription) ; agen-cer des extraits de ces matériaux et lesmontrer sous différentes formes, exposi-

Analyse

26 - Les réflexions ici présentées sont nourries à la fois d’expériences personnelles (sur des projets menés àBelleville-Ménilmontant, Saint-Ouen, Les Courtillières à Pantin…), et de discussions avec d’autres intervenantstravaillant sur des projets comparables.

tions, ouvrages, journaux, cartes postales,affiches, spectacles…

Une figure polyvalente,intermédiaire et tamponDans ce type d'opérations, l'intervenantscientifique peut se découvrir capteur derécits ou d'images, modeleur d'histoires,metteur en scène, chercheur et sauveurd'archives, voire animateur, dans le sensde celui qui met en mouvement, explique,motive, convainc… Il lui faut ainsi nonseulement s'adapter, se familiariser aumilieu dans lequel il est plongé, maisaussi apprendre à maîtriser une diversitéde tâches et de techniques concernant leson, l'image fixe ou animée, la scénogra-phie, l’archivistique…

Personnage polyvalent, l'intervenant estaussi une figure intermédiaire qui n'estpas directement enserrée dans le carcaninstitutionnel local, ce qui entraîne unsentiment de liberté d'action sur le ter-rain. Mais cette impression de liberté peutmasquer une certaine forme de marginali-sation ou d'isolement, du fait d'une nonreconnaissance de son statut et de safo nc t ion par les ins t i t u t io n nels qu'ilcôtoie (par exemple des services de col-lectivités territoriales).

L'intervenant est en outre un personnage“tampon” confro nté aux enjeux de s

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mémoires à l’œuvre dans le présent ;enjeux qui peuvent être sources de diffé-rents malentendus, notamment dans lesespaces en mu t a t ion. Ainsi, ent re lescientifique engagé qui cherche par uneexploration du passé à “outiller” le publicpour lui permettre de mieux appréhenderla réalité et les élus ou fonctionnaires quiperçoivent le travail mémoriel comme unmode de légitimation d'une transforma-tion et qui attendent de la mise en scènede la mémoire qu'elle conforte leurs choixpolitiques et urbanistiques, des écarts desens peuvent s’installer. Des malentenduspeuvent aussi surgir vis-à-vis des témoins,qui voient parfois dans l'opération mémo-rielle un mode de spoliation ou de confis-cation de leur propre mémoire. Cettedéfiance du public peut d'ailleurs être ren-forcée par l'empilage sur certains territoi-res “sensibles” de projets ou d'actionsautour de la mémoire, plus ou moins por-tés à leur terme, dont les traces s'éva-nouissent rapidement.

Quels publics, quels résultats ?Pour définir le public concerné par lesa c t io ns mémo r ie l l e s, on peut utiliserl'image des cercles concentriques. Un pre-mier cercle est constitué par les personnesqui participent directement au projet, enlivrant notamment leur témoignage. Unsecond est formé par ce qu'on pourraitappeler le milieu “territorial”, par exempleles habitants d'un quartier ou d'une com-mune ; c'est à eux que l'on destine la pro-duction mémorielle qu'est le journal, l'ou-vrage ou le spectacle… Dans certains cas,l'édition d'un ouvrage par exemple, lepublic extra territorial peut constituer untroisième cercle, ce qui n'est pas sansposer de problème dans les choix édito-riaux.

En ce qui conc e r ne le public “territoria l ” ,qui est cons idéré généra l e me nt comme lep u b l ic prio r i t a i re, il est difficile d'évaluerles résultats par rapport aux objectifsa f f ic h é s. Comme nt déterminer la portéed ' a c t io ns mémo r ielles en termes de dy na-

mique socia l e, de tissage de lie ns, demo d i f ic a t ion du rapport au territoire,d ' a p p ro p r ia t ion collective d'outils, dec o ns t i t u t ion d'un capital symbolique ?Les résultats de recueils de mémo i re s, ded i s c u s s io ns collectives, d'ateliers… peu-v e nt sembler parfois relever du niveau“ mo l é c u l a i re”, ce qui d'ailleurs n'est pasn é g l igeable : para doxa l e me nt, alors quel'objectif de départ est de do n ner defaçon volontariste une dime ns ion publi-que à la tra ns m i s s ion de la mémo i re,cette tra ns m i s s ion paraît s'établir plutôtda ns la sphère de l'int i me, da ns la qua l i t éde l'échange ent re le témoin et le passeurde mémo i re, da ns les fo r mes de mise enc o n f ia nce ou de confide nce qui peuventse créer ent re eux.

De "l’injonction mémorielle" à "l’injonction scientifique"Une question inévitable concerne enfinl'intégration de la démarche historiquedans les actions mémorielles, en vue decontrebalancer les limites de ces derniè-res. La mémoire en effet conforte, rassuremais n'amène guère d'éléments d'intelligi-bilité de la réalité. Organisée selon leprincipe “je recueille, je restitue”, lesactions mémorielles peuvent donner lieu àun effet miroir appauvrissant, qui fait dutémoin le récepteur de sa propre parole oule spectateur de sa propre image.

On sait que l'Histoire oppose à la suffi-sance ou à l'évidence de la mémoire unedistanciation ou un décentrement vis-à-vis de ce qui peut être perçu comme leplus proche, l'espace local, la famille, legroupe affinitaire ou même le passé per-sonnel. La démarche historique peut d'ailleursêtre effectuée de façon participative. Ils'agit alors d'amener un groupe à mobili-ser ses souvenirs ou ses documents, del'aider à interroger de façon pertinente unensemble de matériaux pour élaborer aveclui une réflexion critique sur le passé27.Cette démarche croise certaines approchessociologiques qui se posent la question de

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d'ambiguïté qu'il convient d'assumer.Il peut être effectivement utile d’intégrerla démarche historique à un projet mémo-riel, mais il semble vain de hiérarchiser lesmodes de façonnage du matériau mémo-riel sur la seule base de l’apport scientifi-que, en déniant par exemple toute perti-nence au travail artistique28. Les travauxde mise en scène de la mémoire qui croi-sent différentes approches ne sont à cetégard pas les moins intéressants, bien aucontraire, parce que leur agencement four-nit plusieurs jeux de lecture, s'offre à dif-férents regards et élargit par là même la

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27 - Voir à ce sujet : Groupement pour la recherche sur les mouvements familiaux. Loc-Mpf-Mlp-Mlo. Femmes, familleet action ouvrière. Pratiques et responsabilités féminines dans les mouvements familiaux populaires (1935-1958),Les Cahiers du GRMF, n° 6, 1991. Voir également Michel Chauvière, Geneviève Dermenjian, Bruno Duriez, JeanNizey, “Les acteurs dans le travail socio-historique. L’expérience du GRMF”, Les cahiers de la recherche sur le tra-vail social, Université de Caen, n° 17, 1989.28 - C'est justement quand les artistes travaillent le matériau mémoriel en imitant les sociologues que leurapport créatif semble le moins intéressant.

l'usage que les personnes enquêtées fontdes comptes-rendus d’enquête. Reste quecette coproduction de sens suppose unedemande relativement forte de la part destémoins.

Ceci étant, faut-il convoquer l'Histoire, entant que démarche scientifique, commecaution dans tout projet ? L'appel auxscientifiques ne s'inscrit-il pas parfoisdans une sorte de pensée “magique” oùsont opacifiées les formes d'instrumentali-sation du social ? Ce recours systématiquen'est-il pas parfois stérilisant par rapportaux objectifs avoués d'un pro-jet, dans la mesure où il figeles rôles sociaux des uns etdes autres ? Car le problèmeest bien là. Si l'on a parlé àjuste titre du danger de “l'in-jonction mémorielle”, il fau-drait aussi évoquer le dangerde “l'injonction scientifique”dans le cadre de projets qui nesont pas pensés au départcomme véritablement scienti-fiques.

Des projets compositesLes projets mémoriels sont en fait compo-sites, dans leurs objectifs et dans lesmodes opératoires de recueil et de traite-ment des matériaux que sont l'image et lerécit. S'ils nécessitent au préalable et encours de route de la clarification critique,ils comportent une part de bricolage et

À lire, du même auteur : Historiciser son espace proche, in : Journal des instituteurs et des professeurs desécoles n° 9, mai 2003. www.jdi-mag.com. Pierre-Jacques Derainne est également co-auteur avec GenevièveMichel de l’ouvrage : Aux Courtillières, histoires singulières et exemplaires, Editions Créaphis, 2005.

Contact : [email protected] internet : www.trajectoires-memoires.org

Collection privée D. Souriau “Les témoins construisent lamémoire avec leurs archives”, Aux Courtillières, histoires sin-gulières et exemplaires, Archives municipales de Pantin.

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Équipement culturel et scientifique d’un nouveau genre, le Centre mémoires & sociét éde Villeurbanne de v rait voir le jour en 2007 da ns un bâtime nt historique de 2600 m2,proche du centre de cette ville de 130 500 habitants intégrée à la métropole lyon-naise. “Ni musée, ni mémorial, ni écomusée” mais “lieu vivant, en mouvement, à la foisespace d’expositions, de rencontres, de conférences”, selon les termes du maire Jean-Paul Bret, l’équipement accueillera tous les publics. “Centre d’interprétation de la villed’hier, d’aujourd’hui et de demain”, il sera “un lieu citoyen, œuvrant pour le partage,la connaissance et la prise de conscience d’un destin commun29”.

Ce destin, c’est celui d’une ville, qui depuis sa naissance en tant que banlieue ouvrièreà la fin du XIXème siècle, a toujours cultivé sa différence et son identité par rapportà Lyon, sa voisine immédiate. Point d’accueil de populations très diverses venues tra-vailler dans ses usines en provenance d’Italie, d’Espagne, d’Arménie, de Russie,d’Afrique du Nord, Villeurbanne s’est distinguée en 1934 avec l’édification d’un cen-tre-ville à l’architecture futuriste - les Gratte-Ciel - où s’est plus tard implanté leTNP (Théâtre National Populaire), de réputation nationale. Symbole du monde ouvrieret de ses aspirations au mieux-être, la ville demeure riche de traditions sociales quirésistent à la “gentrification” en cours de nombre de ses quartiers. Sous l’égide deSonia Bove, adjointe au maire en charge de la mémoire et du patrimoine, elle entendfaire de son héritage industriel, populaire et rebelle un vecteur de développement.

Une ville en partage

En mobilisant les Villeurbannais de tous âges, le Centre mémoires & société se pro-pose ainsi d’ériger la commune en “terrain exemplaire de recherche et de mise en par-tage” des connaissances sur les villes issues de l’ère industrielle. Mettre en lumièreles mutations sociales et les bouleversements techniques qu’ont connus d’autrescités du même type au cours du XXe siècle, pour “apprendre à vivre ensemble” dans laville moderne et, ce faisant, mener un travail prospectif sur la ville de demain : telest l’objectif du nouvel équipement, qui regroupera les Archives municipales, un cen-tre d’études et de recherches, une médiathèque et diverses activités culturelles. LeCentre entend ainsi répondre à une double nécessité : celle de la transmission, pourceux qui ont été les acteurs du passé de la ville, et celle de l’appropriation, pour ceuxqui entendent s’intégrer à son avenir30. Pour cela, il met en place plusieurs fonctionsqui travailleront conjointement.

Le pôle études et recherches

Dès sa phase de préfiguration, le Centre s’est entouré d’un conseil scientifiquechargé de définir des axes de recherches historiques, sociologiques et anthropologi-ques. Depuis 2002, une convention passée avec le CNRS et le concours de PhilippeVidelier, historien responsable de l’unité de recherche spécialisée Sociétés enMouvement et Représentations, ont permis d’engager différents travaux préliminaires,

Villeurbanne. Étudier, conserver et transmettre les mémoires vivantes de la ville.

29 - Le Centre de la mémoire de Villeurbanne, projet culturel et scientifique, mars 2005.30 - Feuille de route n° 1, Centre de la mémoire, préfiguration d’une méthode. CNRS, FRE 2406 mars 2002.

Expérience

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qui ont abouti à la publication, aux Editions de la Passe du Vent, de petits livresattractifs destinés au grand public : Cinépolis, sur l’histoire des salles de cinéma àVilleurbanne, et Gratte-Ciel, qui retrace l’aventure urbanistique lancée en 1934 parLazare Goujon, le maire de l’époque.

D ' a u t res public a t io ns ont égaleme nt vu le jour : Août 44, Villeurbanne se soulève, b a n d ed e s s i n é e ra p p e l a nt l’ins u r re c t ion de Résistants cont re l’occupant allema nd, de s t i n é eplus spécifiqueme nt aux jeunes publics ; ou enc o re le livre de référe nce en histoire del ' a rc h i t e c t u re Gratte-Ciel de Villeurbanne, publié en 2004, à l'occasion des 70 ans de cete nsemble urbain. Construits aussi bien à partir de témo ig na ges d’habitants que du tra-vail sur arc h i v e s, ces ouvra ges ont fait l’objet de no m b reuses actio ns de valorisatio nda ns la ville, au travers d’événe me nts (pro j e c t io ns de films, fêtes, ex p o s i t io ns…), des u p p l é me nts da ns le bulletin mu n icipal et de fiches pédagogiques.

Des partenariats sont engagés ou envisagés pour d’autres recherches sur le passéarchitectural, le patrimoine industriel, les mémoires et les cultures de la ville, avecdes institutions comme la Maison de l’architecture Rhône-Alpes, l’Agence d’urbanismepour le développement de l’agglomération lyonnaise, le Musée Urbain Tony Garnier, laDirection régionale des affaires culturelles Rhône-Alpes, l’École normale supérieure deLyon, l’IUFM et des classes pilotes… Et les chercheurs sont invités à travailler enétroite relation avec la population, au travers de différents ateliers regroupant “ceuxqui possèdent la mémoire de la ville” (associations, entreprises, habitants), “ceux quil’étudient” (historiens, ethnologues, sociologues, urbanistes) et “ceux qui la médiati-sent” (professionnels de la communication et de la culture).

Le pôle ressources et conservation

En liaison avec la fonction études et recherches, mais aussi avec le réseau de lecturepublique de Villeurbanne et avec d’autres institutions comme les Archives départe-mentales, celles de la Ville de Lyon, l’Institut national de l’audiovisuel Rhône-Alpes,ce service mettra à disposition des publics différents types de ressources sur le thème“mémoires et sociétés”. Il regroupera les Archives municipales, des fonds patrimo-niaux d’histoire locale et des fonds documentaires confiés par des particuliers ou desassociations (témoignages oraux, iconographie...). L’objectif n’étant pas de toutacquérir, mais plutôt de localiser les sources d’information et de favoriser leurmise en réseau, grâce notamment à l’outil numérique.

Le pôle valorisation et transmission

Il développera une politique de communication visant à faire participer tous lespublics concernés par le projet, sans se limiter au territoire de Villeurbanne : profes-sionnels et amateurs, scolaires, étudiants, acteurs associatifs, mondes de l’entre-prise… En découleront des programmes variés d’action culturelle (expositions,conférences, projections, ateliers pédagogiques et visites hors les murs…).

Contact : Olivier Absalon, Chef de projet, Direction des affaires culturelles, de la mémoire et du patrimoinearchitecturalHôtel de Ville de Villeurbanne, place Lazare Goujon, BP 5051, 69601 Villeurbanne Cedex. Tél. : 04 72 65 96 95. [email protected]

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Détourner une commande publique relevant de “l'occupationnel”, pour en faireun moment où pourrait se constituer l'expression organisée des habitants, à par-tir d'un regard rétrospectif sur le passé : telle a été l’aventure vécue par les fon-dateurs de la Sarl Qipo, animateurs, entre 1990-1996, “d’ateliers mémoire” dansles quartiers.

Jean-Barthélemi Debost - HistorienResponsable du développement culturel au sein du Bureau du Patrimoine

du Conseil Général de la Seine-Saint-DenisAncien directeur de la Sarl Qipo

Rendre les habitants un peu plus acteurs.

Analyse

31 - Actions répertoriées sous les n°s 17, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63 du "Répertoire analytique des actions deterrain travaillant l'histoire et/ou la mémoire de populations et/ou de territoires" réalisé dans le cadre de larecherche interministérielle "Mémoires, production de sens et de récits de et dans la ville". Jean BarthélémiDebost, association L'Entre d'Eux, 2002-2003.32 - Sans revenir ici sur les différents enrichissements qu'apporte un professionnel (histoire, ethnologie, urba-nisme, sociologue…) à un projet de ce type, il faut tout de même indiquer que sa capacité à "travailler avec" estindispensable.

C’est dans le cadre des Opérations dePrévention Eté (futures “Ville Vie Vacan-ces”) et au fil des rencontres avec leshabitants de Parilly à Bron, de la Devèze àBéziers, ou du Luth à Genevilliers31, ques’est affirmée une pratique de l’histoirepublique dont l’utilité ou la fonction estapparue peu à peu : il s’agissait finale-ment de “rendre les habitants un peu plusacteurs”. Ce parti pris, guidant l'ensemblede la démarche, devait pouvoir en être leressort essentiel, notamment en matièrede méthodologie de projet.

Des outils pour mettre à jour sa propre histoireAinsi être “un peu plus acteur”, c'est defaçon très concrète, être actif sur ladécouverte, l'observation/l'écoute, l'ana-lyse des documents et des paroles dupassé.Dans la connaissance de ce qu'est l'état durapport à l'apprentissage des populationsles plus modestes, c'est un procédé péda-gogique proposant une alternative à lare l a t ion, vécue comme stig ma t i s a nt e,entre celui qui sait et celui qui ne saitpas. C'est surtout, dans la résolution d'unerevendication sans doute vitale : ne plus

être orphelin de son histoire, mettre l'or-phelin au premier poste.

En l'occurrence ici, le professionnel32 netransmet pas de connaissances aux habi-tants, mais des outils leur permettant,avec son aide, de mettre à jour leur proprehistoire : comment mener un entretien,comparer deux plans, analyser un recense-ment, dresser une cartographie à partirdes dossiers de locataires…

Par-delà l'étape de la recherche, celle de larestitution doit laisser la parole aux parti-cipants. L'atelier mémoire était systémati-quement suivi par un réalisateur vidéo,pour capter le travail en train de se fairemais également pour restituer le contenude la recherche. Les participants n'interve-naient pas sur le tournage mais sur lemontage, moment de création de sens. ÀSaint-Amand-Montrond par exemple, alorsque le rappel de l'histoire ancienne du sitedu quartier du Vernet était en débat ausein du groupe, décision a été prise de nepas mo nter les ima ges sur l'histoireancienne du lieu-dit : “Pour une fois quenous pouvons parler de notre cité, ne par-lons pas d'autre chose.”

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Participer à l'émergence d'un point de vueL'histoire urbaine et l'histoire des habi-tants de la ville s'inscrivent dans uncontexte global et local. Le processus decréation d'un quartier, de son évolution,de sa transformation n'est pas aléatoire. Ils'inscrit dans un faisceau de causalités, dejeux d'acteurs, de processus et d'une chro-nologie…, toutes choses qu'un travail surl'histoire peut mettre à jour, pour autantqu'on le souhaite (porteurs du projet,c o m ma nd i t a i re s, habitant s, int e r v e-nants…).

Cette objectivation de la situation pré-sente33 permet de l'aborder sous des pointsde vue un peu plus complexe que le rituel“c'est la faute aux jeunes, aux Arabes, à lapolice …” Elle permet de préciser les suc-cès, les échecs des dynamiques anciennesqui constituèrent la réalité du territoire etde ses habitants aujourd'hui.

Il s'agit bien là d'établir un rapport actifdu passé au présent. La lecture historiquede la situation présente permet de l'ins-crire dans une perspective. Ce point devue devient alors, à proprement parler, lefil rouge de propositions à faire sur l'ave-nir en matière de mixité sociale, d'équipe-ments, de communication, voire de philo-sophie de la démolition.

Au Luth à Gennevilliers, la proposition dugroupe de jeunes engagés dans l'actionmémoire, était ainsi, par-delà la démoli-tion d'une barre, de préserver “l'histoire”.Plus précisément, de préserver l'espaceoccupé depuis “toujours” par les vieux duquartier, espace qui se trouve être àl'exact emplacement de l'ancien bidonvillede Gennevilliers.

À Bron, la découverte, par les participantsà l’atelier, d’un plan de la Ville de Lyon del'entre-deux guerres, révélant le projetd'autoroute construite finalement dans lesannées 70 et ayant coupé le quartierParilly en deux, leur a permis notammentde reconsidérer le jeu des acteurs (Lyon,banlieue de Lyon, Etat) et de renforcerleur vigilance quant au projet à venir derefonte du centre quartier.

Sous cet angle, l'atelier mémoire porte defortes potentialités de mobilisation deshabitants. Mais celles-ci ne peuvent exis-ter que si l'ensemble des acteurs, etnotamment les élus, décident de jouer lejeu. Et le jeu en vaut la chandelle. Faire lepari de cet enrichissement peut débouchersur une forme dynamique de participationà la construction du futur.

33 - Objectivation qui ne peut se résoudre au seul travail de mémoire. L'articulation entre sources orales et sour-ces écrites est indispensable.

Contact : Jean-Barthélemi Debost, [email protected]

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On peut penser - même si nous n’en som-mes qu’aux prémisses - que l’archéologiepar son approche “matérielle” de l’histoirepourrait trouver sa place dans un schémade mise en perspective historique de nosquartiers. Elle peut permettre en effet depasser d’un simple niveau de “souvenirs”,lié à la mémoire des habitants, au senti-ment d’appartenance à un groupe (leshabitants de la cité, les Français de sou-ches, nos ancêtres, nos racines…), à uneapproche de la “mémoire” du sol, du lieului-même.

E nt e ndo ns - nous bien. Il n’est pas questio nici d’int ro du i re de fo rce l’arc h é o l o g ie da nsles processus de réno v a t ion urbaine, da nsles démo l i t io ns de tours, de barre s, ma i sb ien plutôt de réfléchir à des mo des d’ap-p ro c hes archéologiques de ces habitats.Des int e r ro g a t io ns ana l y t i q u e s, ma t é r ie l l e s,précises - archéologiques en un mot - duc a dre de vie perme t t ra ie nt à ceux quiv o ie nt partir en poussière 10, 20 ou 30 ansde leur ex i s t e nce d’en garder en mémo i red ’ a u t res choses que des souvenirs fugacesou la vision, biaisée et oblig a t o i re me nti nc o m p l è t e, des articles et des re p o r t a ge s.

L’archéologie trouve alors tout naturelle-ment sa place dans le processus, elle aideà réfléchir, elle donne à réfléchir sur lesrapports qu’entretiennent mémoire et sou-venirs. Les populations diverses de nosensembles urbains possèdent en effet dessouvenirs variés, hétérogènes, de leursorigines, de leurs racines, de leurs pays ;la ville possède une mémoire globale,celle de son histoire ancienne et récente.

Céramiques néolithiques et techniques maliennesTout cela peut paraître bien théorique,mais une expérience récente pilotée parl’Unité archéologique de la Ville de Saint-Denis montre bien le rôle que peut avoirl’archéologie dans cette démarche. À par-tir de la découverte de céramiques néoli-thiques, l’équipe a mis en place un travailde collaboration entre les archéologues etles femmes d’origine africaine de la citédu Franc-Moisin, potières par nécessité etpar tradition dans leur pays d’origine. Laréalisation de nouvelles céramiques issuesdu “catalogue” des formes gauloises etréalisées suivant les techniques tradition-nelles maliennes unit dans une procédured’archéologie expérimentale la mémoiremillénaire des lieux et la longue chaînedes souvenirs techniques des potières tra-ditionnelles.Il ne s’agit là enc o re que d’une ex p é r ie nc ei s o l é e, mais qui mériterait d’être rééditéepour d’autres do ma i nes et d’être ana l y s é e,p e nsée en terme de réconc i l ia t ion ent re lesg roupes d’habitant s, ent re les lieux et lesge ns. Il n’est pas besoin de se cro i re issud ’ u ne longue lignée de gaulois pour re fa i releurs céra m i q u e s, il n’est pas besoin d’anc ê-t res méro v i ng ie ns pour saisir la complex i t éd ’ u ne cons t r uc t ion en bois et torc h i s, iln’est pas besoin d’une famille médiévalepour re fa i re boîtes, outils, et bijoux en os.Si l’archéologie trouve sa place dans nosvilles, elle ne le devra plus seulement à sarecherche sur le passé virtuel des habi-tants, mais aussi à son travail sur lamémoire réelle des hommes et des femmesqui les occupent.

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Quoi de plus éloignées, a priori, que l’archéologie et la politique de la ville ?Comment la mise au jour d’objets délaissés, de restes de murs, de sépultures plusou moins bouleversées peut-elle contribuer à la réflexion ou à l’exécution d’unepolitique destinée à favoriser une existence harmonieuse au sein de la cité ?

Pierre-Jean Trombetta - ArchéologueIngénieur d’études au Service régional de l’archéologie d’Ile-de-France.

Des archéologues dans la ville.Entre souvenirs et mémoire.

Analyse

Contact : [email protected]

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À condition qu’il permette l’émergence d’un débat public contradictoire, le tra-vail de mémoire sur les quartiers concernés par des transformations urbaines peuts’avérer riche d’enseignements. Notamment lorsqu’il s’efforce de rendre lisibles lesconditions techniques et politiques qui ont présidé à la naissance et à l’évolutionde ces quartiers.

Luc Faraldi - AnthropologueConsultant, enseignant à l’Université Paris VIII

(Evaluation des politiques publiques)

Pour une mémoire technique raisonnée.

Analyse

Il est parfois d’usage de présenter certai-nes tentatives menées dans le cadre de lapolitique de la ville comme des pratiques“de mémoire” et, par cette désignation,de les disqualifier. Il s’agirait de procédésà faible coefficient scientifique, en appe-lant aux souvenirs des habitants des quar-tiers “prioritaires” et destinés à servird’adjuvant à des démarches urbanistiques.Leur action jouerait surtout dans deuxdirections : contribuer à la paix sociale enfournissant un exutoire au désespoir, tan-dis qu’on détruit les habitations ; et par-ticiper de la reconstruction de l’image du“quartier” considéré en en fournissant uneprésentation acceptable parce que muséi-fiée. Pour ce faire, serait mobilisée l’évo-cation de grands-parents en “marcel” etrobes à fleur qui, au travail, durant leursloisirs et au cours des fêtes, faisaientvivre le trait d’union si pittoresque entreleurs orig i nes rurales et leur habitaturbain.

Mal nécessaire, ces pratiques conjugue-ra ie nt l’engo u e me nt pour l’ex h i b i t io nd’une histoire à soi et les nécessités degestion “soft” des transformations “hard”:elles permettraient de faire vivre les joiesd’une identité compacte, partagée, enfinrevendiquée par l’ensemble des habitants,au moment-même de la destruction deleur lieu de vie et, ce faisant, de transmu-ter les larmes de rage et de dépit en effu-sions de douce nostalgie.

Hypothétique pureté Le jugement dégradant porté sur ces pra-tiques repose pour beaucoup sur l’idée

selon laquelle l’histoire et la mémoireseraient deux instances aisément distin-guables : la première, noble, reposantsur les canons de la science, les précau-tions de l’administration de la preuve,l’établissement des faits et l’accès àl’Universel à travers une vue surplom-bante sur le réel ; la seconde renvoyant àla débilité du souvenir brouillé d’affectset condamné à une vision partiale parceque partielle.

À l’heure de la généralisation des procé-dures dite “de participation”, une tellemise en doute de la possibilité, pour lesgénérations actuelles, d’être conscienteset parties prenantes de leur histoire melaisse songeur. Au nom de la sauvegarded’une hypothétique pureté, ne risque-t-elle pas d’interdire à la discipline histori-que de faire son travail au présent etdonc de pouvoir continuer à exister dansl’avenir ? D’autre part, un tel parti prisest étonnant au moment où, en maintsendroits, l’histoire a notablement trans-formé ses manières de faire : incorporantles apports des approches “de terrain”,elle a inventé des démarches que ni lespoints de vue locaux, ni la prise encompte des témoignages contemporains,ni l’association d’acteurs locaux et non-spécialistes n’effarouchent.

Un moment de controverse publique sur le passéUne recherche menée à la fin des années90 pour le compte de la Mission du patri-moine ethnologique34 autour d’une opéra-tion promue par l’équipe DSQ du Franc-

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Moisin à Saint-Denis me conduit à propo-ser une autre analyse de ces pratiquesd’histoire locale. Si celles-ci ont pu avoir,dans ce cas précis, un effet positif sur lesrelations sociales entre les habitants etsur leur appréciation vis-à-vis du projet detransformation du quartier (qui incluait ladestruction du plus grand bâtiment dusite), c’est certainement parce que ce pro-jet comportait des éléments pouvant atti-rer la sympathie de larges parts du public :démarches sérieuses d’analyse des atten-tes en termes de relogement, mise àcontribution de l’ensemble du parc socialde la ville, multiples propositions de relo-gement, aide multi-forme au déménage-ment, consultation concernant le devenirde l’espace laissé vacant, intégration dansun important programme d’équipementset mise à disposition de moyens consé-quents pour permettre le développementdes acteurs sociaux locaux ou en susciterl’apparition.

Dans ce contexte, les projets d’histoirelocale promus ou soutenus par l’équipe duDSQ n’ont pas existé comme des auxiliai-res favorisant le viol des consciences àtravers une vision enchantée d’un “quar-tier” de fantaisie. Il s’est plutôt agi d’unmoment de controverse publique sur lepassé, en lien avec le présent et le futur,à travers l’évolution de la toponymie, lesliens avec le centre-ville, le rapport avecle bidonville sur l’emplacement duquel lacité avait été construite, la pertinence destransformations.

Une telle expérience ne m’a pas mené àune vision hagiographique de la pratiquede l’histoire locale, mais m’a éloigné dun i h i l i s me qui la voit nécessaire me ntcomme une pratique manipulatrice. Ellem’a conduit à m’interroger sur les condi-tions de sa pertinence dans le cadre dudéveloppement urbain.

Rendre lisibles les archives d’une SEMLa mémoire étant, selon la définitionusuelle qu’en donne le dictionnaire “l’acti-vité (…) qui permet d’emmagasiner, deconserver et de restituer de l’information”,comment cette activité peut-elle contri-buer à l’émergence d’un débat publiccontradictoire mettant en relation élé-ments de savoir et politique ?

J’évoquerai, pour éclairer cette question,un travail mené avec la SEMISE (Sociétéd’économie mixte de Vitry-sur-Seine), encharge de la construction et de la gestiond’une partie du patrimoine social de cetteville. Alors que la SEM avait engagé uned é ma rc he à dime ns ion mémo r ielle endirection de son public, à travers diversesactions (rencontres entre architectes etassociations de locataires sur le thème del’histoire du logement social, réalisationpar Michèle Waquant du film Bonjour com-ment ça va ?), ma contribution a consistéà aider au recensement du patrimoined’archives de la société en matière d’urba-nisme, d’architecture et d’analyse sociale ;ce qui passait notamment par la constitu-tion de catalogues et la mise en place dep ro c é du res de cons e r v a t ion s’int é g ra ntdans les “démarches qualité” entreprisespar la société. Mais il s’est vite avéréq u ’ u ne compilation “mécanique” de sarchives était insuffisante : en ce quiconcerne la toponymie, par exemple, enl’espace d’une quarantaine d’années, lesé v o l u t io ns avaie nt été telles que lerecours aux explications de techniciensayant connu les multiples transformationsde dénominations est apparu nécessaire.La simple compréhension du fonds d’ar-chives impliquait, ici aussi, l’écoute dutémoignage.

Cet effort de mise en lisibilité des infor-mations existantes s’est accompagné de la

34 - Pour un compte-rendu des principaux résultats de cette recherche cf. L. Faraldi : L’abbé et le bidonville, in :Dir. Bensa A. et Fabre D., Une histoire à soi. Figurations du passé et localité, Mission du patrimoine ethnologique,Coll. Ethnologie de la France, Cahier 18 , Ed. de la Maison des sciences de l’homme, 2001.

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35 - Pour une présentation d’une des formes possibles de la démarche LTCT, cf. Faraldi L., Les démarches LTCT :proposition d’outils et de procédures concernant l’utilisation rétrospective des rapports d’évaluation, in : Actes desjournées de l’évaluation de Lille, Société Française d’Evaluation, 2001.

volonté d’en permettre une saisie facilitéepar le parti pris selon lequel ces informa-tions ne relevaient pas forcément d’unseul univers de sens. De même que le filmde Michèle Waquant reflétait une variétéde points de vue, parfois contradictoires,sur la vie dans les résidences de laSEMISE, les études, projets, documentsd ’ u r b a n i s me, déclara t io ns politiquesrecensés n’étaient pas l’application uni-forme et sans discussion du développe-ment imaginé par l’architecte-urbanisteMario Capra, mais plutôt un complexe depropositions successives se confirmant surcertains points, se contredisant sur d’au-tres. Cet exercice de transparence, de dé-réification de la technique, à travers unea p p r é he ns ion non-téléologique de sesd é v e l o p p e me nt s, s’est doublé d’unevolonté d’en rendre compte de manièrei nt e l l ig i b l e, cont ex t ua l i s é e, tent a nt derestituer la logique interne des débats àtravers la prise en compte de l’évolutiondes analyses des situations urbaines et deleurs attendus techniques et doctrinaux.

Contribuer à une meilleuretraçabilité de la décision urbaineL’ e nsemble a donné lieu à la pro duc t ion dedo c u me nts re g ro u p a nt les principales étu-des conc e r na nt les réside nces sélectio n-nées d’un commun accord avec la SEMIS Eet les présent a t io ns analytiques - co-rédi-

gées avec son équipe de technic ie ns - quip o u v a ie nt en être faites à partir de cest rois gra nds principes : lisibilité, tra ns p a-re nc e, cont ex t ua l i s a t ion. Ont égaleme ntété rédigés des synthèses pro p o s a nt de sl ie ns ent re ces différe ntes étude s, un guidep e r me t t a nt de compre ndre l’histoire de st o p o ny mes utilisés, une chro no l o g ie géné-rale de la SEMISE mise en re g a rd avecl ’ é v o l u t ion légale, politique et techniquede l’urbanisme en Fra nc e. Enfin, des témo i-g na ges éma na nt des prof e s s io n nels et per-me t t a nt de fa i re le lien ent re ces différe nt sé l é me nts ont été tra nscrits et ont fait l’ob-jet de présent a t io ns séparées. L’ o b j e c t i fé t a nt de contribuer à une me i l l e u re tra ç a-b i l i t é3 5 de la réflex ion et de la décisio nu r b a i ne, utile à la fois en tant quem é mo i re technique raisonnée et en tantque support d’une info r ma t ion partage a b l eet sujette à débat. À l’he u re actuelle, int é-g ra nt ces mêmes princ i p e s, une déma rc hec o n j o i nte avec Michèle Wa q ua nt est enc o u r s. Filmique et tex t u e l l e, elle tente dep re ndre en compte l’ensemble des pro t a go-nistes concernés par les tra ns fo r ma t io nsdes réside nces Ma r ro n n iers et To u ra i ne,da ns le cadre de l’opéra t ion ANRU du qua r-t ier Balzac de Vitry.

Contact : Luc Faraldi,[email protected]

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Après la média t i s a t ion des pre m i è re sg ra ndes démo l i t io ns da ns les gra nd sensembles (Muraille de Chine à Saint-Etienne, Barre Renoir à La Courneuve…),les acteurs de la politique de la ville et dure no u v e l l e me nt urbain comme nc e nt àprendre conscience du traumatisme vécupar les populations concernées et d’uneforme d’attachement à leur habitat. Si lad é mo l i t ion n’est aujourd ’ hui plus untabou, et si elle s’intensifie dans le cadredu Plan Borloo36, il nous semble dans lemême temps que le principe selon lequelune démolition n’est jamais neutre estaujourd’hui en passe d’être admis.

Voir dispara î t re l’espace de vie le plusi nt i me, le loge me nt, ainsi que les espacesde vie collective, re p r é s e nte toujours unefo r me de vio l e nce symbolique, une fo r mede disqua l i f ic a t ion, de négation du vécu etde l’histoire personnelle des habitant s,q ua nd bien même leurs cond i t io ns d’ex i s-t e nce sera ie nt améliorées sig n i f ic a t i v e-me nt à l’issue de la démo l i t ion. Commel’écrit Thierry Pa q uo t3 7, si casser une barrepeut être “une bonne action”, “c e l l e - c in’acquiert sa plénitude qu’avec le retour de

la dignité : “vous voyez, je suis d’ici et j’ensuis fier”. Ce retour à la dignité passe parla prise en cons id é ra t ion d’un vécu, parson ex p re s s ion et sa légitima t ion. Alorsque la démo l i t ion re p r é s e nte bien souventl ’ u l t i me étape d’un processus de dévalori-s a t ion et de stig ma t i s a t ion de ces espaceset de leurs habitant s3 8, la mu l t i p l ic a t io ndes fo r mes de collecte de la mémo i re da nsles opéra t io ns de re no u v e l l e me nt urbainsemble s’ins c r i re da ns cette déma rc he dere c o n na i s s a nce et de re v a l o r i s a t ion. Il fa u tc e p e nda nt avoir à l’esprit qu’il existe unefo r me de cont ra d ic t ion ent re la démo l i t io nc o m me “aveu d’un échec” et la cons t r uc-t ion mémo r ielle comme processus ide nt i-t a i re valorisant, ces deux évène me nt sé t a nt pensés de ma n i è re conc o m i t a nt e.

Construction mémorielle : la question du temps et de l’espaceEn tant que géographes, nous faisons l’hy-pothèse que la mémoire, individuelle etcollective, a besoin de points de repères,d’élément matériels : elle a besoin des ’ i ns c r i re da ns un espace pour sec o ns t r u i re et se tra ns me t t re3 9. Commenous le rappelle Paul Ricoeur40, ce qui est

36 - Au coeur du plan Borloo dit de “cohésion sociale” (2005-2006), figure la programmation sur cinq ans, de200 000 démolitions dans les “750 quartiers en marge du territoire national”.37 - Paquot Thierry : Démolitions, revue Urbanisme, n° 313, Juillet 2000, 38 - Ce sont d’ailleurs bien souvent les édifices où se concentrent les populations les plus “difficiles” qui sontvisés en priorité dans les opérations de démolition : les caractéristiques sociales priment souvent sur les carac-téristiques intrinsèques du bâti.39 - Nous reprenons notamment les réflexions de Maurice Halbwachs à propos de la construction de la mémoirecollective (Halbwachs M., 1950-1997, La mémoire collective, Paris, Albin Michel).40 - Ricoeur Paul : La mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, Le Seuil, 2000.

Analyse

Dans le moment critique que représente, pour les habitants, la démolition de leurimmeuble ou de leur quartier, que faut-il penser des démarches mémoriellesentreprises par les acteurs de la politique de la ville ? Entre logique d’apaise-ment, travail de deuil ou de transmission, en quoi participent-elles à un “retouren dignité” des habitants des quartiers stigmatisés ? En 2006, autour d'uneéquipe CNRS de l'Ouest, un séminaire de recherche ouvert aux acteurs de la villes’est intéressé à ces questions.

Maria Gravari-Barbas et Vincent VeschambreProfesseur et Maître de conférences de géographie

CARTA-UMR Espaces et sociétés, Université d’Angers

Démolitions, traces et mémoires dans les quartiers d’habitat social.

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advenu, c’est fondamentalement ce qui “aeu lieu”: c’est dans des lieux que se cris-tallisent les mémoires. De ce point de vue,la démolition des tours et des barresapparaît dans son principe contradictoireavec l’idée même de la permanence de lamémoire. Si la démolition est propice àl’émergence des mémoires, elle représenteen même temps un risque de rupturemémorielle, dans une logique de “tablerase”. Dans ce moment critique qu’est ladémolition du logement social, commentfaire en sorte que ces mémoires cristalli-sent et se transmettent ? C’est la questiondu temps et de l’espace de la constructionmémorielle qui est ainsi posée.

Comme pour la construction des grandsensembles, comme pour leur réhabilita-tion, puis aujourd’hui leur démolition, lesdémarches en cours autour de la mémoiredes quartiers d’habitat social semblentc a ractérisées par l’urge nc e. Condu i t e sdans le temps des démolitions, ces démar-ches mémorielles sont d’ailleurs fréquem-ment axées sur des évènements ponctuelset éphémères (expositions, fêtes, specta-cles…). Cette temporalité de l’urgenceest-elle compatible avec celle de lamémoire, basée sur la continuité ?

Travail de deuil ou de transmission ?Fréquemment utilisée pour désigner cesformes de mobilisation, la notion “d’ac-compagnement” résume assez bien le rap-port au temps qui est privilégié dans lesopérations en cours : en favorisant l’ex-pression, la prise de parole des habitants,il s’agit d’abord de les “accompagner”dansune période de transition, afin qu’ils puis-sent passer à autre chose. On peut alors sedemander si l’articulation entre démoli-tions et travail de mémoire ne s’inscrit pasda ns une logique d’apaiseme nt, pour“faire passer” un événement traumatique,pour aplanir les tensions créées par ladémolition et le relogement.

La notion de “travail de deuil” est égale-ment utilisée pour décrire certaines de ces

o p é ra t io ns, destinées ex p l ic i t e me nt àaider les habitants à accepter la destruc-tion de leur espace de vie. Commentconcilier une telle démarche avec lesenjeux de la construction mémorielle etde la transmission ? Afin de répondre àces différe nts questio n ne me nt s, il estnécessaire de prendre en compte la naturedes productions réalisées dans le cadre deces démarches mémorielles. Productions àusage interne, qui privilégient les mémoi-res familiales et individuelles et ne durentque le temps de la démo l i t ion ?Productions destinées à s’inscrire dans ladurée, à être transmises, légitimées, dansune logique de mémoires collectives ?

Analyser les traces collectées et les traces produitesDans le discours des acteurs de la politi-que de la ville, élus, travailleurs sociaux,associations…, c’est le mot de “trace” quiex p r i me cet enjeu de la cons t r uc t io nmémorielle : il s’agit de “garder”, “collec-ter”, “fixer”, “transmettre” les traces deshabitants. Ce mot “trace”, que l’on pour-rait définir comme “une forme de matéria-lisation de ce qui a eu lieu dans le passé”,est utilisé dans un sens très large à l’oc-casion de ces démarches mémorielles etmérite d’être explicité. Il s’agit de distin-guer d’une part les traces laissées par leshabitants dans ces espaces en cours detransformation - traces qui sont enregis-trées, fixées, conservées - et d’autre part,les traces produites à l’occasion de cesmises en mémoire, susceptibles d’êtreelles-mêmes conservées et transmises. Ilserait intéressant de passer en revue cesdifférentes formes de traces collectées(objets personnels, traces laissées dansles appartements, dans les immeubles,dans les espaces publics…) et produites( p ho t o s, vid é o s, fre s q u e s, spectaclev i v a nt...) au cours de ces déma rc he smémorielles.

D a ns le même temps, il fa udrait cara c t é r i s e rla “durée de vie” de ces traces : tra c e sé p h é m è res destinées à accompagner le tra-

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vail de deuil des habitant s, ou traces pére n-n i s é e s, supports de tra ns m i s s ion mémo-r ie l l e, de légitima t ion et de débat public ?

L’audio-visuel est souvent au centre de cescollectes de mémo i re, no t a m me nt lavidéo, conçue comme medium privilégiépour la construction mémorielle. Le lan-gage audio-visuel est en effet assez pro-che de celui de la mémoire et permet defixer les traces tout en suscitant la paroledes habitants. L’analyse spécifique desusages de la vidéo permet de passer enrevue les types de traces qui sont ainsicaptées et mises en scène. Témoin privilé-gié des destructions elles-mêmes, la vidéoest aussi le moyen de rendre visibles destraces beaucoup plus modestes du passageet du vécu des habitants41. Par sa capacitéà rendre les traces visibles et à les inscriredans un espace, l’image filmée est peut-être de nature à jouer le rôle de substitutdes traces matérielles, lorsque celles-ciont disparu, pour servir de support à laconstruction mémorielle.

Héritages architecturaux et enjeuxde la patrimonialisationPar excellence, la trace qui dure, c’est lebâti que l’on décide de conserver commeélément de patrimoine à transmettre auxgénérations futures. Depuis la Révolutionet le vanda l i s me déno ncé par l’A b b éGrégoire, les démolitions ont été l’occa-sion de débats et d’évolution de la sensi-bilité aux héritages architecturaux, dansune logique d’élargissement progressif duchamp patrimonial. Jusqu’à présent, et àquelques exceptions près42, “la patrimo-nialisation s’est arrêtée aux portes des

quartiers d’habitat social”4 3 et sembleencore bien souvent associée à des espa-ces plus valorisés et des populations deniveau social plus élevé. Pourtant, commele souligne Bernard Vayssière, “les grandsensembles constituent le plus gros patri-moine architectural existant en France44”et représentent un élément majeur denotre histoire urbanistique. Les démoli-t io ns massives engagées depuis 2000sont-elles de nature à faire évoluer leregard porté sur l’architecture modernedes grands ensembles ?

Divers exemples (Firminy - Vert, Cité Lu m i-neuse à Bordeaux, La Coudra ie à Po i s s y,i m meubles Rena ud ie à Villetaneuse ou àD u n ke rque …) nous mo nt re nt l’int e r v e nt io nde certaines élites (acteurs du patrimo i ne,a rc h i t e c t e s, etc.), mais aussi d’associa t io nsd ’ h a b i t a nts face aux projets de démo l i t io nde loge me nts sociaux : est-ce que l’onassiste à cette occasion aux prémissesd ’ u ne re c o n na i s s a nce patrimo n iale ? Dest y p o l o g ies ont déjà été proposées pour fa i rele tri à l’int é r ieur de ces gra nds ens e m b l e s,et distinguer ceux qui présent e nt une qua-lité arc h i t e c t u ra l e, ceux qui valent par laq ualité du projet, ceux qui re l è v e nt de pro-cédés inno v a nts qui ont disparu ou ceux quio nt ma rqué l’histoire4 5. Les démo l i t io ns, quis o nt partie l l e s, et les re c o ns t r uc t io ns quip e u v e nt suivre, int e r ro ge nt justeme nt lec o ncept même de gra nd ensemble et posentla question de la lisibilité et de la cohé-re nce d’un ensemble urbain, mais aussicelle de son cara c t è re évolutif. Le patri-mo i ne pourrait être invoqué pour cons e r v e rdes ensembles cohére nt s, mais bien sou-v e nt les opposants aux démo l i t io ns privilé-

41 - C’est par exemple le cas d’un film sur les 4000 à La Courneuve, (4000 point barre), film d’atelier édité parla médiathèque des 3 mondes qui figure sur le DVD Images de ma ville (2004).42 - Les logements sociaux construits dans les années 1930 dans différentes villes européennes (Vienne, Paris,Rome, Berlin...) ont été les premiers vecteurs de l’architecture moderne et ont été rapidement reconnus pour leurvaleur emblématique. Cet état de fait change avec les logements construits dans l’après-guerre.43 - Emelianoff Cyria, Carballo Cristina, 2002, La liquidation du patrimoine, ou la rentabilité du temps qui passe,Les Annales de la recherche urbaine, n° 92, septembre 2002, pp. 49-57.44 - Vayssière Bruno : Pour une patrimonialisation délibérée, dossier : le grand ensemble, histoire et devenir,Urbanisme, n° 322, 2002.45 - Lasnier Jean-François., HBM, HLM, ZUP, ZAC : les grands ensembles, patrimoine de demain. Principal leg archi-tectural du XXe siècle, le logement collectif peut-il être protégé ?, Le journal des arts, n° 97, du 21 janvier au 3février 2000.

Analyse4

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Sur ces thématiques, les auteurs ont publié notamment :Gravari-Barbas Maria : Patrimonialisation et réaffirmation symbolique du centre-ville du Havre. Rapports entrele jeu des acteurs et la production de l’espace, Les Annales de Géographie, n° 640, nov-déc. 2004, pp. 588-611.Veschambre Vincent : Une mémoire urbaine socialement sélective, réflexions à travers l’exemple d’Angers, LesAnnales de la recherche urbaine, n° 92, 2002, pp. 65-74.

Contact : [email protected]

g ie nt tel ou tel imme u b l e, généra l e me nts igné par un architecte de re no m .

Comment les acteurs du renouvellementurbain et les habitants s’emparent-ils decette problématique patrimoniale à l’occa-sion des démolitions ? Sans se confondreavec l’enjeu mémoriel, l’enjeu de la patri-monialisation est en partie celui de latransmission de la mémoire collective etcelui de la réhabilitation et de la légitima-tion de certains espaces et de leurs habi-tants. Pour les groupes sociaux concernés,s’intéresser à cette question de l’héritage

bâti, c’est aller bien au-delà de “l’accom-pagnement” des démolitions, puisque qu’ils’agit alors, souvent, de contester ces der-nières.

On touche là à la question du sens desdémarches mémorielles : s‘agit-il simple-ment d’atténuer le traumatisme des démo-litions, dans une logique de travail dedeuil, ou, de manière plus ambitieuse, defaire émerger des mémoires occultées, defaire advenir à la visibilité et à la légiti-mité dans l’espace public, des populationsque l’on ne veut pas voir ?

Mots-clefs

Mémoire : Dans le contexte de violence symbolique que représente la démolition, ils’agit d’évaluer dans quelle mesure la mémoire des habitants est prise en considéra-tion. Il faudrait ainsi passer en revue les formes de mobilisation, de collecte, d’écri-ture, de diffusion, de pratiques langagières, d’interactions sociales correspondant àcette demande de mémoire et de revalorisation - demande bien identifiée dans lecadre du renouvellement urbain. Le terme de “mémoires” devrait par ailleurs êtreemployé au pluriel : il convient en effet d’être attentif aux conflits mémoriels qui peu-vent ressurgir à l’occasion de ces collectes.

Traces : Les mobilisations mémorielles sont souvent axées sur l’idée des traces à col-lecter et à transmettre. Il s’agit alors de distinguer les traces des habitants qui peu-vent être réinvesties ou fixées par l’image (empreintes au sol, éléments architectu-raux, objets…) de celles qui sont produites à l’occasion de ce travail de mémoire(expositions, livres, spectacle, œuvres d’art..). Les traces matérielles qui s’inscriventdans la durée semblent mieux adaptées à la construction des mémoires collectives età leur transmission que celles, fugitives, qui ne durent que le temps des démolitions.

Accompagnement : Qui est à l’initiative des démarches d’accompagnement mémoriel,qui est responsable de leur mise en œuvre et qui participe aux dispositifs ? Quels sontles acteurs, les groupes sociaux concernés par ces processus ? Et comment caractéri-ser les formes d’accompagnement mises en place : sommes-nous seulement dans lecontrôle social, la volonté d’aplanissement des conflits, dans une temporalité limitéeaux démolitions, ou dans la mise en place de dispositifs destinés à faire émerger desvoix habituellement inaudibles, afin de créer un espace public de débat dans ladurée… ? …/…

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46 - Milliot Virginie : La place du Je et celle des autres : analyse des modes d’implication des artistes dans desactions sociales, in : Les lieux et les gens dans le devenir des villes, séminaire du programme interministérielCultures, villes et dynamiques sociales, Ecomusée du Creusot-Montceau, 22/23 janvier 2004.

Patrimonialisation : Le contexte des démolitions et de collecte de la mémoire est-ilfavorable à l’émergence d’une problématique patrimoniale dans les grands ensembles?Qui décide de ce que l’on démolit ? Sur quels critères ? Selon quels discours de justi-fication ? Quelles sont les formes de présentation, les mises en scène des élémentsconservés (appartements témoins, édifices emblématiques…) ? Qui se les approprient(en tant que ressources symboliques) ?

Revalorisation : À travers ces processus de construction mémorielle ou de patrimo-nialisation, c’est la question de la revalorisation de certains quartiers, de certainsbâtiments et de leurs habitants qui est en jeu. Les artistes sont particulièrement bienplacés pour contribuer à cette revalorisation en réinvestissant les lieux et en jouantle rôle de médiateurs. Par leur “pouvoir de requalification symbolique des individusou des territoires”46, ils peuvent fortement contribuer à la construction mémorielle,en investissant symboliquement des formes matérielles. La démarche des artistes estde nature à la fois à diffuser, transmettre et légitimer les mémoires ainsi mises enscène.

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Mémoires des lieux et projet urbain.

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Mémoires des lieux et projet urbain.Au-delà des discours sur la grandeur passée de tel ou tel territoire urbain, au-delàdes recueils de souvenirs et des publications d’histoire locale sur des sites à réhabi-liter ou à démolir, le travail sur la mémoire des lieux peut-il nourrir les projetsurbains ?

Nombre d’opérations en cours semblent démontrer le contraire : aménageurs, urba-nistes, architectes, paysagistes travaillent en parallèle plutôt qu’en synergie avec lesacteurs de la mémoire mobilisés sur les quartiers. Et très rares sont les profession-nels de la conception urbaine qui parviennent à intégrer, autrement que sur un modeanecdotique (une fresque sur un mur pignon…), les connaissances issues du passédes lieux. Si la logique de la table rase n’est plus assumée en tant que telle dans lesmilieux de l’urbanisme, elle semble encore structurer les manières de penser et defaire. On la voit en particulier à l’œuvre sur bien des sites où des travaux sur lamémoire des lieux ou de leurs habitants ne sont imaginés que pour “accompagner ladémolition”, apaiser les résistances, voire “faciliter l’adhésion des populations au pro-jet urbain”.

Pourtant, qu’elles proviennent de la mémoire orale des habitants, des mémoires “dor-mantes” des différentes institutions qui ont contribué à produire la ville (archivestechniques, cartes, mémoire des politiques urbaines…), ou encore de la prise encompte de phénomènes plus impalpables, traces sensibles de l’histoire des lieux(ambiances visuelles et sonores, pratiques accumulées, valeurs et représentationsattachées à un espace et à ses occupants…), ces connaissances peuvent enrichir laréflexion de ceux qui conçoivent la ville de demain et permettre d’éviter bien deserreurs coûteuses à gérer dans le futur.

Cela demande, outre une volonté politique déterminée, une approche différente dela part des professionnels de l’urbanisme ; une analyse et une écoute approfondiesde la ville, de ses habitants et de leurs pratiques ; des états des lieux mobilisant deséquipes pluridisciplinaires ; des processus de conception collectifs et progressifs.Autant de conditions qui font l’objet d’expérimentations dans différentes villes, enFrance ou à l’étranger.

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Nicolas Michelin, vous dirigez l’Ecoled’Architecture de Versailles depuis 4 ans, après avoir été pendant 13 ansdirecteur de l’Ecole d’Art de Rueil-Malmaison. Vous plaidez pour un urbanisme “circonstancié”, attentif auréel, soucieux du contexte humain etenvironnemental des territoires, ainsique du temps long de la ville.Vous critiquez la démolition et la “résidentialisation” en tant que principes de restructuration des grandsensembles, et vous leur opposez un mode de conception des projets s’appuyant sur “les logiques interprétatives” de l’espace par les habitants. Qu’entendez-vous par là ?

Interpréter l’espace, c’est une façon de lejouer. Je veux dire par là que les habitantsinterprètent à leur manière la trame spa-tiale qui leur est offerte. De même qu’unepartition de musique peut être jouée dedifférentes façons, on voit dans les citésque les gens ont interprété l’espace: unelogique s’est créée, différente de la logi-que de base. Elle est apparue dans letemps, au travers des usages, du passéaccumulés. Telle cité, qui a été pendantlongtemps essentiellement maghrébine, etdans laquelle les Sri-Lankais sont aujour-d’hui nombreux, n’aura pas le même vécuque telle autre. L’histoire, la mémoire sonten perpétuelle évolution, les problèmes sedéplacent très lentement ; et l’accumula-tion du passé demeure présente dans l’es-pace : des choses persistent, que l’on neperçoit pas forcément lorsqu’on arrive del’extérieur… D’où l’importance de faire unconstat d’usages, avec des gens ayant lamémoire des lieux, avant toute interven-tion sur un site occupé.

Comment vous est venu cet intérêt pour la banlieue, son histoire ?

J’avais été frappé par l’affa i re Khaled Ke l ka l ,ce jeune lycéen brillant, originaire de la

InterviewEtre attentif à ce qui est déjà là.

Nicolas Michelin Architecte-Urbaniste

banlieue lyonnaise, et qui a dérapé tragi-quement en 1995. Plus récemment, j’ai vule film Wesh Wesh, qu’est-ce qui se passe?de Rabah Ameur-Zaïmeche. Je travaillaisalors sur les Bosquets, à Clichy-Montfer-meil. J’ai invité le réalisateur à un débatsur les grands ensembles, il a été remar-quable ; et un jour, il m’a proposé de memontrer la cité - qu’il connaît par cœur.Nous y sommes allés deux fois, de jour etde nuit. Il m’a fait comprendre tout ce quine se sait pas, ne se voit pas au premierabord : l’existence d’un casino dans laforêt, plus loin un étang où l’on va pêcher,des espaces de jeux impro v i s é s, de sendroits tranquilles où les jeunes ont l’ha-bitude de se retrouver, un terrain de sport“où ils n’ont pas le droit d’aller”… J’avaisapporté un fond de plan, et nous avonsréalisé ainsi une cartographie complète dela cité : un document constitué d’unensemble de petites observations, qui fai-saient apparaître le génie du lieu. Unecarte du territoire partagé, en somme.C‘était extraordinaire et cela a été uneexpérience très forte pour moi, qui m’étaisfait agresser aux Bosquets quelque tempsauparavant. En tant qu’urbaniste, seul, jen’aurais pas pu comprendre tout ça.

Une chose est de connaître un site et de repérer les mémoires qui y sont à l’œuvre, autre chose de concevoir un projet intégrant ces traces du vécu.Comment procédez-vous ?

Lorsqu’on compare la carte des usagesd’une cité avec la trame d’origine, bienrégulière, qui était censée bien fonction-ner, on s’aperçoit que “ça grippe”. A partirde là, deux solutions se présentent : toutremettre en ordre, requadriller, c’est larésidentialisation ; on veut montrer auxgens qu’il y a des rues, on amène les bull-dozers et on invente une nouvelle urba-nité, néo-hausmannienne, dans une citéqui est à l’inverse de ce modèle-là. Oubien on emprunte une autre voie, en

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essayant de ne pas gommer les ponts éta-blis. On élabore un plan guide, qui va per-mettre de jouer avec le temps ; sachantqu’un projet urbain, c’est environ dix ans.Au lieu de couper la trame originelle, onchoisit d’agir sur quelques points stratégi-ques, identifiés à partir des usages, de cequi s’est passé dans les lieux. La tramed’origine disparaît ; apparaît une nouvelletrame, hybride, qui tient compte des terri-toires de la mémoire et des potentialitésdes lieux. C’est ce que nous avons fait auxBosquets, où j’ai ensuite eu la chance deréaliser une maison des services publics, àl’emplacement d’une petite surface com-merciale fermée, au pied d’une tour. Leprojet aurait pu entraîner d’autres actions,la revitalisation de la place, l’ouvertured’un nouveau café… Malheureusement,rien n’a été poursuivi. Une autre logiqueest à l’œuvre, basée sur une opérationANRU.

C’est assez décourageant…

Oui. Au nom de la mixité, on risque deconstruire un grand nombre de pavillons ;pavillons qui seront les problèmes dedemain. Je ne suis pas contre la mixité,mais je pense qu’il y a des manières defaire. Et je suis contre la démolitionlorsqu’elle est érigée en princ i p e, enrecette. De petites expériences commecelles que nous avons tentées mérite-raient d’être poussées plus loin. Les piedsd’immeubles, les reconversions d’apparte-ments, les espaces communs partagés : cesont là des exemples de lieux de sociabi-lité qu’il faudrait travailler architecturale-ment.

Quelles conditions doivent êtreremplies, selon vous, pour rendrelégitimes des projets urbains attentifsà la mémoire des lieux ?

Nous intervenons en ce moment dans lecadre du Grand projet de ville de Rouen,sur une cité autrefois réputée à problème:la Grand’ Mare. Lorsque nous sommes arri-

vés, la démolition d’une vingtaine d’im-meubles était prévue. Avec Pie r reAlbertini, Maire de Rouen, et un bonpatron de GPV, Pierre Vionnet, nous avonspourtant réussi à renverser les choses, enmontrant que ce site avait de nombreusesq ua l i t é s. Le projet actuel consiste àconforter ce qui existe, en corrigeant lesdéfauts de l’urbanisme de dalle : on amé-nage, on éclaire, on crée une meilleureaccessibilité, on améliore les chemine-ments piétons... Nous avons aussi repenséle fonctionnement du centre commercial,autour de la pharmacie, la presse, laposte, les trois moteurs d’un quartier.Dans ce cas, on rajoute même du bâti, ondensifie : c’est indispensable pour fairev i v re le cent re comme rc ial. Un seulimmeuble a été démoli : une barre, quiétait aux deux tiers vide et qui faisait uneombre gigantesque, le matin, sur l’entréedu centre culturel. C’était squatté, malvécu, et l’immeuble constituait une bar-rière, qu’on ne franchissait pas, avec depetits passages, un peu coupe-gorge : unespace négatif, autrement dit, au niveaude la mémoire collective.

Nous avons ainsi complètement retournéla ville, tout en ouvrant l’espace sur lesplots de Marcel Lods, dans lesquels nousproposons de mixer bureaux et logements.Ces immeubles, qui étaient vides à 50 %et promis à la démolition, ont une histoireparticulière : entièrement en préfabriqué,avec une structure très légère, en verre etacier, ils constituent la dernière œuvre deMarcel Lods. En 1984, l’un des plots a subiun incendie, qui a fait plusieurs victimes.Les habitants ont été déplacés pendantdeux ans, le temps de réaliser des travauxde mise en sécurité. Malgré ce trauma-tisme, la moitié d’entre eux se sont réin-stallés sur place. Ils sont attachés à cesimmeubles, qui ont des séjours en balconsur la nature, avec une vue magnifique. Lamémoire, dans ce cas, nous a aidés àdéfendre une certaine conception du pro-jet urbain, alors que les services de la villevoulaient se débarrasser de ce bâti. Les

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bâtiments ont été récemment vendus à denouveaux bailleurs. Et l’on peut dire quec’est aussi grâce aux habitants que cesimmeubles ont été sauvés : ils ont crééune association, et même un petit musée.

Cette façon de travailler sur les quartiers existants requiert-elle des compétences particulières,de la part d’un architecte ?

Par rapport aux ingénieurs, aux sociolo-gues, aux gens qui travaillent sur lescités, nous avons une capacité particu-lière : nous savons faire du projet. C’estnotre métier que de créer, de générer del’espace, des stratégies. Ceci dit, un pro-fessionnel qui se lancerait dans ce genrede travail avec son seul diplôme d’archi-tecte risque de patauger. Il est bon d’avoirune formation complémentaire : un DESSou un master d’urbanisme, Sciences Po, ouun diplôme universitaire…, de géographiepar exemple. Ensuite, il faut passer dutemps, être à l’écoute. Multiplier les réu-nions avec des associations, le soir ; lesbalades sur place avec des représentantsd‘habitants…

À Rouen, j’ai été bien aidé par un respon-sable de l’organisme bailleur, qui géraitune agence sur place et connait parfaite-ment tous les problèmes. L’équipe du GPVconnaissait bien le territoire aussi, il y

avait des médiateurs… Les habitant sdisaient ce qui leur manquait : un endroitoù taper la balle, un terrain pour lesenfants… ; ils parlaient aussi des lieux oùils se retrouvent, comme la hêtraie, parexemple : le plus bel espace public duquartier ! Sur ce point, ils étaient unani-mes, et à mon avis pas seulement pour laqualité de l’espace, qui n’a rien d’extraor-dinaire : c’est une prairie avec des arbres.Non, c’est l’histoire : les pique-niquesentre voisins, les souvenirs accumulés, lesbons moments de détente… La ville vou-lait construire là, c’était tentant. Maisnous avons dit : “Surtout, on ne touchepas à la hêtraie, on ne construit rien”.Tout le monde a entendu, le GPV, lemaire… Au final, nous avons seulementproposé un accès plus facile, avec un trot-toir, de sorte que l’on puisse s’y rendre àpied plus aisément. Et tout l’espace estresté libre. Ainsi, par petites touches, enfonction des réunions, j’ai pu détournerune partie du projet engagé. C’est un tra-vail de fourmi, mais qui complète tout àfait mon travail d’architecte.

Propos recueillis par Catherine Foret

Rouen. Reconversion et réhabilitation des immeubles de Marcel Lods. 2004 ©ANMA

Contact :Agence Nicolas Michelin & Associés,9, cour des Petites Ecuries, 75010 Paris.Tel : 33 (0)1 53 34 00 01. [email protected] et projets sur le site : www. a n ma . f r

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“Ainsi en urbanisme, la création d’un quartier, l’aménagement d’une “zone” doit s’éla-borer à partir de l’existant, car c’est à partir de celui-ci que l’on trouvera les circons-tances (*) pour établir un plan de référence. Construire aujourd’hui, c’est d’abord êtreultra contextuel. Il ne s’agit pas là d’une posture rétrograde mais au contraire d’uneattitude très contemporaine.En effet, l’attention au réel, à ce qui est déjà là, est une façon de prendre en compte(à la base) les préoccupations écologiques”.

(*) Circonstances : Les anciens rhéteurs avaient désigné les circonstances par ces ques-tions : Qui ? Quoi ? Où ? Par quels moyens ? Pourquoi ? Comment ? Quand ?

“La planification circonstanciée tient compte du potentiel existant, même sil est peuconsistant ; elle s’appuie sur les atouts et les défauts d’un site pour en faire des argu-ments de travail. Elle s’adapte et organise pour un temps long, non pas avec desrecettes éprouvées comme le “grand mail”, la “rocade“, le boulevard urbain, les“démolitions”, mais avec des outils inventés sur mesure, qui permettent de greffer,de retirer, de renforcer, d’ouvrir…, bref d’opérer les actions nécessaires pour permet-tre au site d’évoluer à partir de ce qu’il est. C’est une attention au réel pour le faireévoluer”.

Extraits de : Etre au hublot, Nicolas Michelin, Revue AMC n° 146, octobre 2004

47 - Conseil d’architecture, d’urbanisme et d’environnement : organisme départemental qui assure des missionsde service public (information, sensibilisation, conseil, formation…) en vue de promouvoir la qualité de l’archi-tecture, l’insertion des constructions dans leur milieu environnant, le respect du patrimoine et des paysages natu-rels ou urbains.48 - Fonds de Participation des Habitants : enveloppes financières abondées par les pouvoirs publics, destinéesà financer, avec plus de souplesse et de rapidité que ne le permettent les procédures de subvention classiques,des actions ou projets définis par des habitants ou des petites associations.

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C’est en 2001 que l’Atelier Populaire d’Urbanisme, émanation du Comité de quartier del’Alma, a décidé de faire appel au C.A.U.E.47 du Nord pour travailler sur l’avenir de cesecteur de Roubaix en pleine mutation. Le Comité, héritier de l’urbanisme participa-tif des années 70 qui avait conduit à la rénovation de l’ancien quartier ouvrier, voyaitse profiler depuis 1999 de nouvelles opérations de restructuration. Les bénévoles s’in-terrogeaient sur la place des habitants dans les transformations à venir ; ils res-sentaient le besoin d’une aide extérieure, d’un regard professionnel sur le quartier etles projets d’aménagement en cours.

L’idée se concrétise en 2002 grâce à un financement F.P.H.48. Un atelier “cadre de vie“se met alors en place. Animé par un architecte du C.A.U.E., il regroupe une vingtained’habitants qui vont travailler pendant deux ans à “faire ressortir les éléments identi-taires” du quartier et à cerner les principaux enjeux d’aménagement du site. Pour leComité, il s’agit à la fois de “sensibiliser tous les habitants souhaitant devenir acteursde leur cadre de vie”, de “favoriser leur expression” et de les aider à imaginer lesactions et les projets qui pourraient être lancés dans un avenir proche ou lointain.Pour le CAUE, il s’agit de “mettre les habitants en position de pouvoir interpeller la mai-rie (élus et techniciens)”, de dégager des principes d’aménagement adaptés au quar-tier et plus largement de “nourrir le débat public sur le cadre de vie”.

Centrée sur l’urbanisme, la démarche va rapidement faire appel à la mémoire urbainedes habitants. Secteur par secteur et thème par thème (le canal, la voie ferrée, lescœurs d’îlots, les espaces verts, les cheminements, rues et avenues…), le groupe deréflexion va en effet réaliser des lectures croisées des lieux représentatifs du quar-tier. Nourries à la fois de promenades thématiques, de témoignages sur le passé deslieux, les pratiques et les représentations actuelles, et enfin d’analyses urbaines etarchitecturales, ces lectures vont permettre de proposer des “idées fortes” pour l’amé-nagement futur du quartier.

Paru en 2003 sous l’égide du CAUE, abondamment illustré, le “Guide pour la valori-sation du cadre de vie du quartier de l’Alma” garde trace de ce travail. Confrontant,pour chaque secteur, les lectures des habitants et celle de l’architecte, il sert de cadrede référence pour les actions qu’engagent aujourd’hui le Comité. Il a aussi ouvert lavoie à trois chantiers entamés depuis par l’association : le suivi plus spécifique de lazone de l’Union (70 ha d’un projet intercommunal), qui verra naître en 2005 l’asso-ciation “Collectif’Union” ; l’expérimentation d’une gestion urbaine de proximité (“pourne pas devoir reconstruire le quartier tous les 20 ans !”) ; et la “préservation de l’his-toire populaire du quartier”, notamment en ce qui concerne la participation des habi-tants à l’aménagement urbain. En juin 2005, une journée intitulée “Mémoire del’Alma… vers un nouvel élan solidaire” a ainsi permis d’entendre des témoignages demilitants sur l’expérience collective des années 70, en lien avec une table ronde surles perspectives de démocratie locale et de concertation dans la ville d’aujourd’hui.

ExpérienceRoubaix, quartier de l’Alma. La mémoire-ressource de l’Atelier populaire d’urbanisme.

Contact : Arnaud Ginions,Atelier Populaire d’Urbanisme, Comité de Quartier Alma, 170 rue de l’Alma, 59100 Roubaix. Tel/fax : 03 20 70 50 50, comité[email protected]

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Jean Claude Girard, vous êtes à l'origine d'un travail autour de lamémoire des habitants de l'immeubleBillardon, qui a été démoli en juillet2003 dans le quartier des Grésilles à Dijon. Quel est le sens d'une telleaction, pour un organisme HLMcomme le vôtre ?

L'O.P.A.C. a 80 ans et gère un patrimoinede 8.200 logements familiaux à loyermodéré. Les premiers logements ont étéc o nstruits da ns les années tre nt e.L'O.P.A.C. a déjà démoli un millier de loge-ments et a donc une bonne connaissancetechnique en la matière. Mais certainesopérations ont suscité des réactions néga-tives de la part des habitants, qui compre-naient mal ces démolitions et se sentaientexclus des projets de renouvellement depatrimoine. En 2001, la nouvelle équipede direction a décidé de revoir notremanière de travailler en privilégiant lespersonnes, leur relogement et leur impli-cation dans les projets.

Il s'agissait de repenser la communication autour des démolitions ?

Il s'agissait déjà de reconnaître qu'unedémolition est un événement qui peuts’avérer traumatisant pour les locatairesqui le subissent. L'O. P.A.C. doit do ncconsidérer le relogement comme une acti-vité à part entière et non comme une acti-vité marginale, à mener en plus desautres. Reloger, c'est un métier. Et c’est unproblème qui ne concerne pas seulementl'O.P.A.C., mais l'ensemble des communeset des organismes de logements à loyermodéré de l'agglomération. Lorsqu’il y adémolition, nous devons être en mesured'offrir aux locataires des logements dansdifférentes communes, ce qui impliqueune légitimité politique. C’est pourquoinous avons sollicité en 2001 la Commu-nauté d'agglomération - qui venait de se

InterviewDijon. “Leur histoire est notre histoire”

Jean-Claude GirardDirecteur général de l’O.P.A.C. de Dijon

créer et de prendre la compétence loge-ment - afin qu'elle assure la maîtrise d'ou-vrage de l'action de relogement. En accep-tant, le Président du Grand Dijon a mon-tré sa volonté politique d'ins c r i re leRenouvellement Urbain au niveau de l'ag-glomération.Une équipe dédiée au relogement a ainsiété mise en place. Elle intervient sur l’en-semble du territoire et assure, pour cha-que opération, une visite systématiquedes locataires, des permanences dans l'im-meuble lui-même et une mise en réseaude l'ensemble des partenaires concernés(agence décentralisée de l'O.P.A.C., tra-vailleurs sociaux, C.C.A.S., Org a n i s me sHLM, C.A.F., etc.). Il s'agit de construireun projet avec chaque famille, de s'ins-crire dans un contrat passé avec chaquelocataire. Nous avons en somme essayé depositiver l'événe me nt “démo l i t ion”, endisant aux locataires : “C'est certainementla première fois dans votre vie où l'on vavous demander dans quel quartier vousvoulez habiter et dans quel logement.Profitez-en !”. Je répète souvent qu'unorganisme HLM est une entreprise de ser-vice : ce qui compte c'est la qualité de larelation et du service rendu tout au longde la vie du locataire. Lorsque quelqu'unquitte son logement, surtout dans le cadred'un événement collectif comme celui-là,nous avons la responsabilité de gérer larelation et la situation le mieux possible.

Et la mémoire dans tout ça ?Pourquoi en passer par la mémoire dulieu au moment où vous démolissez ?

La D.R.A.C. de Bourgogne souhaitait ins-crire l’immeuble qui allait être démoli àl’Inventaire général des monuments et desr ic hesses artistiques. Billardon leurparaissait intéressant en tant qu'objetarchitectural : il a en effet été édifié avecun mode de construction particulier pourl'époque. On me demandait l'autorisationde prendre des photos et de consulter les

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archives techniques ; j'ai fait remarquerqu'il y avait des locataires à l'intérieur etj'ai sollicité l'aide de la D.R.A.C. pour untravail sur la mémoire des locataires. Cen'était pas facile à faire comprendre… Unorganisme HLM qui s'occupe de culture…Je me souviens d'une réunion du Comitéde pilotage au cours de laquelle un repré-sentant de l'Etat, hostile au projet adéclaré : “Plutôt que de mettre de l'argentlà-dedans, vous feriez mieux de le mettredans les logements”. En tant que Directeurde l'O.P.A.C., j'affirme toujours qu'un orga-nisme HLM ne gère pas seulement deslogements : il loge des locataires. Tout cequi concerne nos locataires nous inté-resse : leur situation sociale, familiale,personnelle… Certes, nous ne sommesresponsables que de la dimension loge-ment, mais on sait bien que tous ces élé-ments sont liés. À l'occasion d'une démo-lition, toutes les variables de l'équationbougent, tout est remis en cause : le lieude scolarité des enfants, le réseau d'amis,les déplacements domicile/travail, la rela-tion à la ville…

Comment s'est déroulée l'action elle-même ?

La D.R.A.C. nous avait re c o m ma nd éSylvain Taboury, qui est à la fois sociolo-gue et historien. Il est allé rencontrer leslocataires. Ils ont parlé de leur vie dansl'immeuble, des évènements passés… Etlà, on s'est aperçu qu'il y avait uner ic hesse de vie très important e. Cetimmeuble, c'est un condensé d'histoiresociale de Dijon. On y lit à la fois l'histoirede l'exode rural, l'histoire des fonctionnai-res qui ont quitté les logements inconfor-tables du centre ville pour s'installer dansdes appartements avec chauffage centralet salle de bain, l'histoire des immigra-tions italienne, espagnole, maghrébine, laprécarité d'aujourd ' hui… Leur histoire,c’est notre histoire.

Au-delà du recueil de témoignages,qu'avez-vous fait du matériau recueilli ?

Nous avions prévu un livre, qui est paruaux Editions Créaphis en 200449 ; il a étéremis à toutes les personnes qui avaientparticipé, lors d'une conférence de presseen présence des habitants. Mais pournous, il s'agit surtout d'un document his-torique, témoin d'une époque. Les locatai-res sont contents de s’y retrouver, biensûr, mais cela reste une publication plutôtdestinée à des chercheurs. Pour travaillersur la place des habitants et montrer àtoute l'agglomération que leur histoire estnotre histoire, il fallait autre chose qu'un“bouquin”. Nous sommes donc partis de lamusique, de la diversité des musiquesliées aux locataires qui ont habité cetimmeuble. Nous avons contacté cinq grou-pes de la région ; des professionnels, desartistes connus, pas des débutants. Leshabitants de ces quartiers n'ont trop sou-vent droit qu'aux débutants : professeursdébutants, travailleurs sociaux débutants,policiers débutants… Ce projet n'était pasdu bricolage : c'était un projet culturel.Nous avons confié les témoignages deshabitants aux musiciens, qui ont écrit desc h a ns o ns à partir de ces tex t e s. Unconcert de restitution, public et gratuit, aété organisé dans le quartier et un CD aété réalisé50. Il a été remis à chaquefamille locataire par le Maire de Dijon,Monsieur Rebsamen, au Palais des Ducs deBourgogne, dans la Salle des Etats, l'en-droit le plus prestigieux de la ville. Cela aété un grand moment : pour la plupart, lesgens n'étaient jamais venus là.

Mais vous ne touchiez pas vraiment les Dijonnais…

Non effectivement ; c'est pourquoi nousavons ensuite monté une exposition51 auMusée de la Vie Bourg u ig no n ne, qui

49 - Billardon, histoire d’un grand ensemble, Sylvain Taboury et Karine Gougerot, Editions Créaphis, 2004.50 - C’est mon quartier. La musique au service de la mémoire des Grésilles. CD Produit par Zutique productions.51 - Mémoire de Billardon. Fragments de vie. Octobre 2004/Janvier 2005.

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retrace toute l'histoire de la Bourgogne. Ilest situé en plein centre ville, on y parledes Ducs de Bourgogne, de la moutarde,du cassis… La conservatrice du musée aété parfaite. Un travail a été réalisé surl'histoire du quartier dans la ville : ils'agissait de donner des points de repèreaux visiteurs, pour qu'ils puissent sesituer dans le temps et dans l’espace. Leshabitants ont participé en apportant desobjets d’époque : les premiers postes tran-sistors, les premières télés… En septem-bre 2004, nous avons également organiséun colloque aux Grésilles, pour la semainee u ro p é e n ne de l'arc h i t e c t u re5 2. No u savions invité des élus, des professionnels,des associations de locataires…

On entend souvent à propos des grandsensembles d'après guerre que c'était trèsbien pour l'époque, mais je ne suis pasd'accord. À Billardon, où habitaient 250familles, il y avait deux cages d'escalierssur 14 étages, de grandes coursives… ;dans chaque cage passaient 4 fois par jourplus de 300 personnes. Et l'on s'étonnequ'il y ait des pro b l è mes… C'est laconception même qui est un problème. Ilse trouve qu'à Quetigny, une autre com-mune de l'agglomération, un projet urbaintout à fait différent a vu le jour à la findes années 1960. Nous voulions montrer àtravers ce colloque que d'autres solutionsétaient possibles.

Quel a été l'impact de ces actions sur votre institution ?

Je pense que ce genre d'initiatives contri-bue à valoriser les locataires auprès dupersonnel de l'O.P.A.C. Dans l'organisme,vous avez des collaborateurs qui considè-rent que la relation avec les locataires faitpartie du métier ; et d'autres qui sont plusadministratifs. C'est un problème de cul-t u re… Le locataire, c'est l'ins a t i s fa i t ,celui qui porte une réclamation, il estdo nc fo rc é me nt perçu négativeme nt .

J'essaie de faire comprendre que c'est unepersonne, un consommateur comme toutle monde, qui a des exigences, qui attenddes services. C'est aussi un citoyen, qui abesoin de comprendre ce qui se passe ; ila droit à des égards, à de la considération.Bien entendu, dans le respect du person-nel de l'O.P.A.C.

Travailler sur la mémoired'un quartier, c'est une manièrepour vous d'améliorer la relationlogeurs/logés ?

C'est ça. A travers toutes ces animations,il s'agit de mettre le personnel en situa-tion d'avoir des relations avec les locatai-res. Il y a des modalités différentes selonles quartiers : à Chenôve, où nous avonsdémoli 160 logements, une associations'est créée, elle a géré l'opération avecnous, ils ont organisé une fête, une expo-sition… ; sur un autre quartier, l'O.P.A.C.a donné carte blanche à un photographeprofessionnel pendant deux ans. Il fautessayer de se saisir de toutes les occa-sions de mobilisation des gens. Et antici-per : ne pas attendre que des problèmes seposent. Aller voir les gens avant, pour dis-cuter. Des difficultés, il y en a toujoursdans les démolitions : ce qu'il faut c'estl'espace de rencontre pour les gérer. ÀBillardon, l'évaluation est simple : il n'y apas eu de mouvement de défense deslocataires. Comme nous avions anticipé,les protestations et les difficultés ont étégérées.

Croyez-vous que ces travaux de mémoire peuvent nourrir les projets urbains en cours ?

Cet hiver, sur le quartier des Grésilles,nous avons organisé 18 réunions de loca-taires et d'habitants. Les projets ont étép r é s e ntés immeuble par imme u b l e, etnous avons expliqué aux gens : “Votreimmeuble va être démoli dans deux ans,

52 - Mémoire de Billardon, de la modernité à la démolition.

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mais n'ayez crainte. Votre cas particulier vaêtre pris en compte”. L'action que nousavons menée sur Billardon nous a crédibi-lisés auprès des autres habitants. On nepeut pas encore apprécier les résultats auniveau de l'architecture ou de l'urbanisme.Mais nous avons la chance de travailleravec quelques architectes qui sont favora-bles à ce genre de méthode. Avec la Ville,c'est la même chose : la relation avec l'ha-bitant a tendance à devenir quelque chosede naturel. L'ambiance a changé. Récem-ment, un projet de gymnase a été remisen cause suite à une réunion avec deslocataires de l'O.P.A.C. Le maître d'œuvreétait déjà choisi, mais le maire a tranché:le gymnase a été déplacé. La volonté poli-tique du maire est très importante.

Où habitent aujourd'hui les ancienslocataires de Billardon ?

Lors de notre première enquête, 1/3 des

locataires voulaient rester aux Grésilles,1/3 souhaitaient en partir, 1/3 hésitaient,selon ce qui leur serait proposé. Fina-lement, 50 % sont restés sur le quartier,50 % sont partis. Dans ce cas, nous avonsdû faire avec l'offre de logements disponi-bles. Mais c'est l'un des enseignements decette opération : à l'avenir, nous allonsconstruire avant de démolir, chaque foisque possible. Cela implique des moyens, ilfaut trouver les terrains…, mais c'est lacommande politique du maire. Et l'objectiffigure dans la convention ANRU, signée le12 mai 2005.

Propos recueillis par Catherine Foret

Contact :Yveline Magnard, service communication, OPAC deDijon,2, bis rue Mal Leclerc, BP 87027, 21070 Dijon. Tel : 03 80 71 84 00. Fax : 03 80 71 84 10. Mail : [email protected]

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53 - Opération de Renouvellement Urbain.54 - Maîtrise d’Œuvre Urbaine et Sociale.

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En tant que chef de projet, pendantdix ans, du Contrat de ville,puis du Contrat d’agglomération de Charleville-Mézières, vous avez initié avec votre équipe un travailautour de la mémoire du quartier de La Houillère.Comment est né ce projet ?

Le qua r t ier de La Ho u i l l è re avait tra v e r s éu ne pério de très du re, avec des vio l e nc e scollectives suite à la mort d’un jeune en1996. Construit très ra p ide me nt da ns lesannées 1960, avec des barres de 14 étage si m p l a ntées da ns un tissu urbain anc ien, leq ua r t ier a bien vécu penda nt une ving t a i ned ’ a n n é e s, accueillant de no m b reuses popu-l a t io ns mig ra nt e s, à la fois rurales et issuesdes pays du Ma g h re b. Puis il a connu lesdérives habituelles de ce type de gra nd se ns e m b l e s, suite à la paupérisation d’unep a r t ie de la population. Il abritait 6 à 8 000h a b i t a nts da ns les années 1980 à 2000,avec un taux de chôma ge atteig na nt 23,7 %en 1990. La situa t ion s’est dégradée d’an-née en année, avec des pro b l è mes de tox i-c o ma n ie, de vie sociale et de voisina ge. À lasuite des événe me nts de 1996, des étude so nt été engagées sur le devenir urbain dus i t e. En 2001, alors que les pre m i è res démo-l i t io ns avaie nt lieu, une déma rc he d’atelie rde travail urbain s’est engagée en perspec-tive de la future ORU5 3. Les acteurs du qua r-t ier étaie nt appelés à fa i re des comme nt a i-res sur les esquisses du projet. Pour mo b i l i-ser les habitant s, la MO US5 4, équipe enc h a rge du cont rat de ville, a initié plusie u r sa c t io ns, autour de trois no t io ns : l’hie r, l’au-j o u rd ’ hui, le de main.

Il s’agissait de “mobiliser les habitants” sur quoi exactement ?

Il fallait créer de la mobilisation pour que

Les ambiguïtés de la “mobilisation”mémorielle.

les gens ne restent pas à côté, unique-ment spectateurs, mal informés de ladémarche en cours. D’une part pour qu’ilssoient présents aux réunions de l’atelier,et d’autre part pour qu’ils arrivent à seprojeter, mais en regardant un peu der-rière eux.

Les résultats ont-ils été à la hauteur de vos attentes ?

Oui, au démarrage de l’atelier urbain, nousavons réuni tous les acteurs du quartier.Pour l’ex p o s i t ion, la présent a t ion de smaquettes, nous avons eu beaucoup demonde. Après, les choses se sont un peudélitées, lorsqu’on est entré vraiment dansle travail d’atelier urbain, qui était orientésur des logiques d’aménagement futur duquartier.

Comment s’est déroulé le projet“mémoire” ?

Finalement, le projet a donné naissance àdeux actions. L’une sur la mémoire du sol,portée par les écoles, avec l’appui du REP(Réseau d’Education Prioritaire, EducationNationale). Les enfants ont travaillé sur lapériode précédant l’arrivée de l’hommedans le quartier, de l’ère primaire jusqu’àaujourd’hui ; cela a donné lieu à uneexposition, à laquelle les parents ont étéassociés. L’autre action était portée par leCentre social André Dhôtel. Il s’agissaitd’utiliser la photographie pour décrire lasituation actuelle du quartier à partir duregard des habitants. 3000 tirages ont étéréalisés avec des appareils jetables ; puisune vingtaine de ces clichés ont été sélec-tionnés et exposés lors de la présentationdes premières esquisses urbaines, dans lamaison de quartier (antenne municipale).Par la suite, une autre action a été envi-

Interview Vincent CrétonChef de projet

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Mémoires des lieux et projet urbain.

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sagée par le centre social autour de lavidéo, en vue de retracer la mémoire duquartier à partir du ressenti des habitants.Un film a été réalisé55, sur la base d’unetrentaine d’interviews, de témoignages,qui ont permis de remonter bien au-delàde la création du quartier d’habitat social:les plus anciens ont raconté la périoded’avant la construction des HLM. Dupliquéet distribué à tous les participants, le filma été projeté en juin 2004 au Métropolis,le multiplexe local, en présence de repré-sentants de la ville et de 300 habitants duquartier.

Vous dites dans un texte récent56

qu’il s’agissait, à travers le travailsur la mémoire du quartier,“d’accompagner” la démarche de renouvellement urbain.Qu’entendez vous par là ?

Accompagner, c’est-à-dire donner des élé-ments sur ce qui se passe, de l’informa-tion. On met des moyens en œuvre, simul-tanément aux premières esquisses d’amé-nagement, pour sensibiliser la populationau projet urbain…, sachant que les habi-tants ne sont pas des experts. Avec unesensibilisation à l’histoire, à l’aujourd’huiet pourquoi pas au demain du quartier, onpeut penser que les gens seront un peuplus mobilisables.Il s’agit aussi d’accompagner un deuil quiva se produire. Préparer, je dirais, psycho-logiquement, la démolition de bâtiments,la transformation en profondeur du quar-tier. Si je peux faire un parallèle : dans lest ra d i t io ns arde n na i s e s, lorsqu’une per-sonne décède, on l’enterre, et juste après,tout le monde va au café boire un coup etmanger la galette. C’est un rituel. Et cerituel, c’est un travail de mémoire : c’estune manière d’accepter le départ, de lereconnaître, de l’acter collectivement. Cetemps convivial permet de se rappeler des

souvenirs : on accompagne d’une certainemanière la personne qui est décédée. Àl’échelle d’un quartier, au travers d’un pro-jet sur la mémoire, on établit ce mêmetype de situation : on donne l’occasionaux gens, à un moment donné, de reparlerde petits événements du passé.

Et qu’est-ce que produit cette remémoration, à votre avis ?

Cela recrée du lien social, parce que lesgens rediscutent : “Ah oui, je me sou-viens…, tiens, lui je ne l’ai pas vu depuislongtemps…, il y avait ce magasin, là, àtel endroit…”. Des souvenirs re v ie n-nent… Ça bouscule, quand même, cegenre de film, ça impacte sur l’affect, surla relation que l’on a avec son lieu de vie.On l’a bien vu avec les réactions des per-sonnes qui étaient dans la salle.

Je pense aussi que ce genre d’action per-met de transcender certains clichés mal-heureux qui ont cours sur ces quartiers.Dans le film par exemple, des témoignagesont mis l’accent sur les relations entrecommunautés, sur un certain bonheur àvivre à la Houillère : les souvenirs desgamins jouant au foot au pied des immeu-bles…, des choses comme ça, qui étaientun peu oubliées, car les années 1995/96ont été très dures dans ce quartier.

Il s’agit de faire remonter à la surface les souvenirs du “bon vieux temps” ?

Du bon temps et du mauvais temps…Parce que la mémoire est sélective : elle atendance à ne retenir que certains souve-nirs. Là, nous cherchions à redonner deséléments positifs, des éléments négatifs,sur une durée beaucoup plus longue, cequi permet d’avoir une perception plusobjective des choses. Pour des personnes

55 - La Houillère, mémoire d’un quartier (55mn), production du Centre social et culturel André Dhôtel.56 - Diffusé lors de la journée Villes et mémoires, les archives de la politique de la ville, organisée par laDélégation interministérielle à la ville et la Direction des archives de France, 17 juin 2004. Voir le sitehttp://i.ville.gouv.fr

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57 - Développement Social des Quartiers.

5qui sont actuellement en situation diffi-cile, qui ont une vision un peu pessimistede leur vécu, de leur quotidien…, le faitde rappeler des bons souvenirs, ça reposi-tive un peu les choses : on n’est pas seu-lement dans le bâtiment x, au chômage,malade… Cela oblige à reprendre posi-tion, à réestimer le passé, à réfléchir à laquestion de l’identité, au double sens de“Qui suis-je dans ce quartier ?” et “Qu’est-ce que c’était que ce quartier ? Etait-cebien ou pas de vivre là ?”. Le travail sur lamémoire permet à l’individu de se resituerdans une histoire, de redevenir acteurd’une histoire, en perspective d’un futur.

Mais acteur de quelle histoireau juste ?

Acteurs de la compréhension de ce qui sepasse. En renvoyant à d’autres périodes del’évolution du quartier, comme celle de saconstruction par exemple, le travail sur lamémoire donne une autre dimension autemps de la ville, une dimension diffé-rente de celle des hommes. Il fournit desexplications.

Des historiens sont-ils intervenus ?

Non, le film était basé sur le vécu et lamémoire des gens, il n’a pas été réalisécomme une recherche historique ou untravail d’archivage. Il comporte des pho-tos sur la construction, des articles dejournaux qui donnent des repères… Jecrois que dans ce domaine-là, la paroled’un habitant est plus percutante quel’écrit. C’est un matériau pour l’historien.

La parole des habitants rend comptedu vécu, des souvenirs dans ce lieu…

Elle livre des facettes de l’histoire. Et lefilm complet permet d’avoir différentesfacettes, différents ressentis, qui donnentune vision à la fois de l’histoire et de lamémoire de ce quartier. Cela peut permet-

tre aux gens, éventuellement, d’être unpetit peu critiques, d’avoir une parole,une capacité à dire, à expliquer, à lalimite à contrecarrer. C’est un moyen deredonner aux habitants des capacités d’in-tervention auprès de la collectivité, maisaussi des architectes ou d’autres techni-ciens. Bien que l’exercice soit particulière-ment difficile, du fait que l’on travaille surdes projets d’aménagement urbain, qui nesont pas forcément à la mesure des habi-tants. C’est toute l’hypocrisie de la démar-che qui consiste à présenter un projeturbain, d’une complexité certaine, et àdemander leur avis à des gens qui, pour laplupart, n’en mesurent pas les enjeux.

On touche là aux limites de la participation des habitants au projet urbain ?

Le travail sur la mémoire est un supportde dynamique pertinent, mais qui ne pro-duit pas dire c t e me nt ce que certainsappellent de la “maîtrise d’usage”, c’est-à-dire des capacités d’expertise des habi-tants. Il manque un volet pédagogique.Pour avoir fait de l’éducation à l’environ-nement urbain, je sais qu’il faut du tempspour permettre à des habitants de se posi-tionner sur des choix d’aménagement.Actuellement, on va trop vite, on mènedes études à 6 mois… Les habitants nepeuvent pas travailler à ce rythme-là surdes sujets comme ça. À La Houillère, nousavons pu mener des actions dans la durée,de 1996 jusqu’à 2000. L’ORU est arrivée àpoint, alors que pratiquement tout avaitété calé. Aujourd’hui, dans les conditionsd’émergence des projets urbains, avec lesobjectifs quantitatifs de l’ANRU, on nepeut plus travailler de cette façon. Nous sommes loin de la démarche ded é v e l o p p e me nt social telle qu’on l’aconnue dans les DSQ57. À l’époque, on tra-vaillait avec les habitants sur l’améliora-tion directe de leur cadre de vie : ils pou-vaient être acteurs, parce qu’ils en avaient

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la mesure, l’usage. À partir du moment oùl’on est sur une dimension de projeturbain, cela devient quasiment impossi-ble.

Est-ce la dimension ou la naturedu projet urbain qui rend ce genrede démarche impossible ?

C’est le temps de compréhension et demise en relation des différentes échelles.Un projet urbain de cette taille-là n’inté-resse pas forcément l’habitant dans sonquotidien.

N’est-ce pas plutôt parce que les habitants vont partir qu’ils ne sont pas intéressés ?

Oui, bien sûr, la projection est très diffi-cile dans ce contexte. Le problème, c’estque ces projets urbains n’ont pas franche-ment comme fonction de travailler avecles habitants qui vont rester sur place…Lorsque commencent à apparaître, sur unplan, des bâtiments en démolition, lesgens n’ont plus leurs repères. Et on ne leuren apporte pas beaucoup en termes deperspective. “On vous trouvera des loge-ments en attendant la reconstruction”.

La rénovation urbaine n’a pas été conçuecomme une politique de développement :à la différence des démarches antérieures,elle ne présuppose plus de travailler à par-tir des ressources du quartier. C’est aussiune des raisons qui m’éloigne de la politi-que de la ville telle qu’elle s’opèreaujourd’hui. Je ne me retrouve pas dans la

logique de rénovation urbaine où, de monpoint de vue, le problème fondamentalreste social. Je crains la création ou lereport des problèmes dans de nouveauxsecteurs, sur lesquels il faudra intervenirselon des modes identiques à ceux desopérations de Développement Social desQuartiers, dans 10 ou 20 ans.

Combien de logements doivent êtredémolis à la Houillère ?

420, soit environ la moitié du parc delogements sociaux.

De la reconstruction est-elle prévuesur le site ?

Oui, mais d’autres types d’habitats, danslesquels certains ménages auront du mal àse maintenir, pour des raisons financières.

Où seront relogés les résidents actuels ?

Une partie d’entre eux en périphérie duquartier, où de la reconstruction a déjà eulieu ; et une partie sur l’ensemble de l’ag-glomération, avec des propositions diver-ses en termes de types de logement (col-lectifs, individuels). Heureusement, l’ag-glomération connaît une détente sur lemarché du logement social, en raison dela baisse démographique liée au problèmespécifique des Ardennes. Une question quine relève pas de la politique de la ville,mais de l’aménagement du territoire…

Propos recueillis par Catherine Foret

Contact : [email protected]

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Analyse5

A contrario de l’Ile-de-Nantes, qui, avec laMaison des Hommes et des Techniques etses réseaux associatifs, construit depuis1994 une dynamique patrimoniale et pro-jectuelle insistant sur la transmission desvaleurs du monde industriel, la rive droitede Bordeaux da ns son rapport à lamémoire des activités industrielles pas-sées et présentes, semble osciller entre lesyndrome du bernard-l’hermite et l’ironiepatrimoniale, sur fond de gentrification /densification progressive du quartier.

À Nantes, c’est l’ultime groupe ouvrier issudes anciens chantiers navals qui devientprogressivement l’acteur central d’un tra-vail de patrimonialisation débouchant surdes actions d’insertion par l’économique -comme la réalisation d’une péniche pourhandicapés sur une cale des anciens chan-tiers en 2001 ; actions qui permettentfinalement à cet acteur de négocier saplace dans le projet de l’Ile-de-Nantes.

À Bordeaux éme rge une tout autremanière de traiter du passé industriel etouvrier dans le champ des politiquespubliques. La mise en place d’un disposi-tif signalétique financé dans le cadre duProjet Pilote Urbain (1996-2002) “invi-tant à une promenade ludique au gré dessites historiques” t é mo ig ne de cetteapproche. Rive droite, sur le quai deQueyries, en bordure du port, on trouveaujourd’hui une plaque portant le textesuivant :

“Longtemps, il y eut des marécages,

des oseraies, on y cultiva la vigne.Mais soudain dans le vacarme des machines à vapeur, la nature laissa la place au tourbillon du progrès.Un pont sur la Garonne, un sifflement de train, l’industrie alors impose sa loi,avec à sa tête, ses fameux capitaines.Derrière les mâts des navires, sur le quaides Queyries, s’élèvent alors les plus audacieux vaisseaux et les cheminées les plus orgueilleuses. On s’y promènemaintenant, tout est calme à l’ombre des platanes”.

La reconquête de la BastideLe quartier de la Bastide, ancien faubourgouvrier, industriel et portuaire de Bor-deaux, commune indépendante jusqu’en1865, a été découpé au fil du temps enplusieurs zones d’activité, d’habitat etd’entrepôt par le déploiement des infra-structures industrielles, portuaires et fer-roviaires. Cet ensemble est demeuré rela-tivement prospère, avec une populationde 20 000 habitants, jusque dans lesannées soixante, avant que désindustriali-sation et départ progressif des activitésportuaires ne provoquent l’apparition denombreuses friches industrielles. Apparaîtalors chez les habitants du lieu un senti-ment d’abandon, de déclassement, senti-ment d’être “de l’autre côté de l’eau”, ren-forcé par l’entrée en crise des grandsensemble des Hauts-de-Garonne.

Une sorte d’activisme urbanistique voit lejour à la fin de la période Chaban-Delmas:de “grands architectes” sont mobilisés

Les héritages et les mémoires collectives sont aujourd’hui utilisés comme ressour-ces dans les processus de reconquête de territoires longtemps délaissés par lapuissance publique. Avec des manières différentes de trier parmi les traces dupassé. Point de vue…, à partir d’une analyse comparée des processus à l’œuvresur deux anciens espaces industriels et portuaires, à Nantes et à Bordeaux.

Stéphane ValognesMaître de conférences en sociologie et aménagement Université de Caen

Département gestion urbaine, IUT d’Alençon

Ironie patrimoniale et mémoire écran.

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pour l’aména ge me nt de ce territoire,jusqu’à l’acmé du “projet des Deux Rives”(1994), conçu par l’agence DominiquePerrault. Cette période est suivie d’unephase de réajustement liée à l’arrivéed’Alain Juppé à la tête de la municipalitéet de la CUB58. Le réaménagement, ou bienplutôt la reconquête de la Bastide, enten-due comme une nouvelle frontière permet-tant l’étirement du centre “de l’autre côtéde l’eau”, se fait par la dialectique con-j o i nte d’un empileme nt de pro c é du re s(Projet Pilote Urbain, Zone d’Aménage-ment Concerté, Zone Franche Urbaine),d’investissements publics et privés, arti-culés à un nouveau regard sur la rivedroite. Le paysage urbain comme res-s o u rce et les de ma ndes sociales de“nature domestiquée” constituent l’enve-loppe de rapports sociaux et de représen-tations, qui, conjugués à l’initiative publi-que et aux réserves foncières, permettentun processus de réappropriation sociale etéconomique de la Bastide.

L’annonce en 1996, puis la réalisationrapide d’un multiplexe dans l’ancienneGare d’Orléans, enclenchent cette dynami-que. Comme l’indiquait en 1999 le journalSud-Ouest : “Depuis combien de temps lesBastidiens n’ont-ils pas assisté à l’inaugu-ration d’un nouveau bâtiment dans leurquartier ? Mieux vaut ne pas faire le cal-cul”. Inauguré en septembre 1999, leMégarama crée un nouveau flux de clien-tèle, qui amorce un changement dans lesrelations entre les deux rives. La premièreannée, le complexe cinématographiqueenregistre entre 700 et 750 000 entrées,avec un public majoritairement féminin,de 35 ans en moyenne, venant essentiel-lement de la rive gauche de Bordeaux.L’accès facile, la présence du pont dePierre, l’arrivée du tramway, sont détermi-nants pour les promoteurs de ce secteurd’activité.

Ambiance post-industrielle

Les indices de ce nouveau regard sur laville sont les restaurants implantés aubord de la Garonne : l’Estaquade (ouverten octobre 1998) et le Café du Port.L’ambiance post-industrielle du quartier,avec son paysage de quais à l’abandon, lestraces de vie populaire, permettent devéritables re-créations culturelles. Le Cafédu Port propose des soirées tango et balmusette. Pour les dirigeants ou propriétai-res de ces deux établissements, la vue surla Garonne, la façade des quais et la Placede la Bourse illuminée constituent unavantage important : la Garonne et laplace de la Bourse sont des “paysages res-source”. De repoussoir, “l’autre côté del’eau” devient un faire valoir. Il accueillele jardin botanique (ouvert en 2003) et lefutur Parc des berges, déjà évoqué parDominique Perrault en 1994.S’adossant à ces re-créations culturellesou patrimoniales, à des réhabilitations debâtiments emblématiques et à la demandegénérale de logements, le processus dereconquête urbaine s’effectue dans ce cas-là, à la différence d’autres villes, sans queles acteurs issus de l’ancien monde indus-triel n’aient été en position d’énoncerdans l’espace public une revendicationmémorielle ou patrimoniale autonome desdispositifs municipaux ou para-munici-paux.

Le projet urbain comme équipement de pouvoirCette singularité d’une mémoire jouée ouréécrite sans les hommes et les femmesqu’elle concerne était déjà perceptibledans de nombreuses publications de l’as-sociation La mémoire de Bordeaux, fondéeen 1987 par Jacques Chaban-Delma s.Cette association, dont le nom évoque àlui seul une ambition avouée de maîtrisedu passé, s'appuie sur les réseaux sociauxsédimentés autour de l'action municipaleet régionale de son fondateur. Dans lesCahiers de la mémoire de Bordeaux, pu-bliés en 1990 et 1996, consacrés au port

58 - CUB : Communauté Urbaine de Bordeaux

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ou aux industries bordelaises, la classeouvrière occupe la place de l’absente, toutcomme la question de la traite négrièreoscillait dans les Cahiers de la mémoire deBordeaux entre le silence et l’allusion.

D a ns ce cont ex t e, l’absence d’acteursautonomes face aux dispositifs sociaux,temporels, visuels et politiques dénom-més comme “projet urbain” agit et recon-figure, la/les mémoires collectives et leursrécits diffractés, fragmentés. En un sens,

les dispositifs de “projet urbain”, dansleur pluralité, jouent quelque part le rôled’un “équipement collectif”, d’un équipe-ment de pouvoir et du pouvoir, en permet-tant le tri parmi les traces et les récits dupassé. Ceci tant qu’aucun groupe social nemanifeste une capacité alternative à pro-jeter, à inscrire des activités dans le

La façade du Mégarama, face au fleuve, en 2001 ; photographie : Stéphane Valogne.

Contact : [email protected]

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(…) En 2003, lors d’une réunion publique,le maire de Givors, Martial Passi, présentedevant plusieurs centaines de personnesle plan de réaménagement du site de ladernière grande entreprise industrielle dela ville : la verrerie. Créée en 1749, consti-t ua nt à l’époque l’une des pre m i è re sentreprises de cette nature en France,celle-ci avait inauguré le cycle de l'his-toire industrielle de la ville. Lors de cetteréunion, figuraient à la tribune, côte àcôte, le représentant de la direction géné-rale du groupe industriel ayant géré laverrerie, membre d’une grande entreprisemultinationale, l’intersyndicale de la ver-rerie, la Ville de Givors et l’aménageur. Letout dans une ambiance plutôt pacifiée.Tous ceux qui s’étaient combattus pen-dant plus de deux siècles se retrouvaientlà, autour d’une table, dans une sorte dereconnaissance du fait que cette histoire-là était terminée, avec l’idée qu’on enavait sans doute fini avec une certainereprésentation de cette société locale ;avec aussi le sentiment qu’il était impor-tant que cela se fasse publiquement,qu’on le dise ensemble ; avec enfin uneextrême pudeur, rendue possible par laseule chose qui était commune à tous. Àpartir de là, un avenir devait pouvoir avoirlieu, un avenir que l’aménageur présentaiten évoquant les restaurants, les bureaux,les différents équipements qui allaients’installer sur le site.

Un nouveau projet politiqueTout se passait ce jour-là comme si l’en-jeu était le passage d’un univers clos à unautre univers, un autre référentiel. Givors,petite ville rhodanienne entre Lyon etVienne, dans laquelle se jouait la grandescène de la lutte des classes, n’aurait defait besoin de personne, puisque les pro-tagonistes vivaient là côte-à-côte, selonun livret écrit de manière très précise.Comme si les relations avec l’extérieur,que ce soit Lyon ou le Parc NaturelRégional du Pilat (créé il y a 25 ans)n’existaient pas, comme si la communeétait une sorte d’enclave, de société ayantperdu, à partir des années 70, ce qui fai-sait sa vitalité.

Or, toute une série d’événements contredi-sant cette hypothèse de la clôture avaienteu lieu auparavant. En 2003, Givors estdevenue ville-porte du Parc du Pilat ; les“Etoiles” de Renaudie ont obtenu le labelpatrimonial ; la ville a adhéré au schémade cohérence territoriale de Lyon… Aucours des vingt années précéde nt e s,divers processus avaie nt par ailleurscontribué à ce qu’un nouveau projet poli-tique se dessine, au fur et à mesure quedes inflexions et des ruptures, à la foissignalaient des fermetures et ouvraientdes possibilités. En somme, on sortaitd’un temps pendant lequel la ville, quis’était construite sur un certain paradigme

Analyse

Comment envisager l’action publique sur un territoire urbain “lorsque les chosesse terminent” ? Ancien carrefour industriel en cours de reconversion économique,la Ville de Givors (Rhône) fonde son nouveau projet urbain sur des éléments del’identité locale en partie oubliés, mais qui font sens pour les citadins d’au-jourd’hui : les valeurs attachées au fleuve, la proximité d’un parc naturel régio-nal, l’intégration à la métropole lyonnaise.

Jacky VieuxDirecteur de la Maison du fleuve Rhône à Givors

Texte établi à partir d’une intervention au séminaire Les lieux et les gens dans le devenir des villes.Programme interministériel Cultures, villes et dynamiques sociales. Ecomusée du Creusot-Montceau, 22-23 janvier 2004.

Givors. Trans-figurer la ville.Après l’industrie : le fleuve, ses échelles, ses effets.

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socio-économique et socio-culturel - leconflit entre le patronat et la classeouvrière locale - avait redécouvert enquelque sorte son espace physique. Onpeut ainsi rappeler que les Etoiles deRenaudie (à peine construites au débutdes années 1980), avaient déjà constituéun programme, pas seulement architectu-ral, mais urbain ; et que celui-ci avait étérelayé par une opération Banlieues 89 quiavait donné à l’aménagement de la villeune actualité et un sens du projet.

Stratégie métropolitaineG i v o r s, résultante du qua r t ier créé autourdes usines - une ville plutôt déduite d’uneh i s t o i re indu s t r ielle que voulue par tel outel, org a n i s é e, structurée… - a do nc déjàun projet urbain à la fin des années 80,lorsque est créée la Maison du Rhône.Me na nt de fro nt une activité scie nt i f i q u e( re c he rc he sur les re l a t io ns ent re les ho m-mes et le fleuve), une mission de diffu-s ion culture l l e, des activités d’études etde l’ing é n ie r ie culture l l e, cette de r n i è rese trouve ra p ide me nt en situa t ion d’ac-c o m p a g ner la ville da ns un projet no nlocal : la réappro p r ia t ion des fleuves. Pe uà peu, des lie ns sont établis avec des élé-me nts ayant constitué autre fois des scè-nes actives de la vie locale. Le fleuve vare devenir une scène, non pas parce quetel ou tel groupe aurait porté une atten-t ion partic u l i è re à celui-ci, avec l’int e n-t ion d’en fa i re un nouvel espace vécu ouun espace stratégique pour la ville ; ma i sp a rce que le politique lui-même, à lare c he rc he de quelque chose qui pourra i tc o nstituer un “après” de l’indu s t r ie, ac o ns idéré qu’il y avait là une carte àj o u e r. La Na t u re, ou des éléme nts dena t u re, vont ent rer en scène : le fleuve,mais aussi le Pa rc du Pilat, avec des sen-t iers balisés da ns la ville même.

Le travail consiste alors à tirer un certainnombre de fils, avec des dimensions patri-moniales ou architecturales, dans uneville qui n’avait pas de patrimo i nereconnu. Le tout en investissant de nou-

velles échelles : le projet des prochainesannées va ainsi se dérouler à l’échelle del’aire urbaine de Lyon, le fleuve devenantune alliance possible entre Givors et Lyon,deux villes qui avaient tendance à s’igno-rer l’une l’autre. Une stratégie métropoli-taine voit le jour, qui, outre l’entrée deGivors dans la Communauté urbaine deLyon (en janvier 2007), s’accompagne desystèmes d’alliance sur un certain nombrede questions pouvant relever d’intérêtscommuns (vallée du Gier, moyenne valléedu Rhône).

Le fleuve, nouvelle scène activede l’identité localeC’est donc la volonté politique qui, dansce cas, a réactivé un élément de l’identité,au sens géographique mais aussi social etculturel, de la ville, sans que rien n’ait étéporté, voulu, par une situation mémorielleactive. Même s’il demeure des traces dupassé, avec lesquelles on tente d’établirdes connexions. Il existe par exemple tou-jours à Givors une société de sauvetage etde joutes nautiques. Il reste des éléments,qui constituent plutôt des effets réma-nents d’une histoire largement oubliéelocalement - alors que ce fleuve est leplus aménagé des fleuves français, qu’ildemeure encore assez vide et qu’il estpour 95 % des habitants un élément dup a y s a ge, au mieux un éléme nt d’uneesthétique locale. Quelles relations établiravec cet espace, pour en faire à nouveauune scène active de la ville - ce qu’iln’était plus, ni sur le plan économique, nisur le plan social et culturel ? Quelles sontles nouvelles valeurs attachées au fleuve ?Comment les recomposer ? Par la questionenvironnementale ? L’approche patrimo-niale ? Le développement des loisirs aqua-tiques ? Telles sont quelques-unes desquestions qui guident le travail d’au-jourd’hui. Le fleuve en tant que bien com-mun est une dynamique, un processus, surlequel la problématique locale va pouvoirs’accrocher, alimentant ainsi la mise enrelation avec d’autres entités urbaines etd’autres échelles territoriales.

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Travail de mémoire et interventionartistique : le recours au sensible.

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Travail de mémoire et interventionartistique : le recours au sensible.Les artistes sont très nombreux à intervenir dans des actions prenant la mémoirecomme objet, en lien avec des projets de requalification ou de transformationurbaine. Ils le font souvent sur commande (des collectivités locales, de l’Etat, decentres sociaux ou culturels…), mais parfois aussi de leur propre initiative, parcequ’ils travaillent depuis longtemps sur la question urbaine et se trouvent interpelléspar les changements en cours. Plasticiens, metteurs en scène, comédiens, photogra-phes, vidéastes, chorégraphes, écrivains, conteurs… sont ainsi mobilisés sur la pro-duction de “nouvelles images du monde” ou de “supports symboliques collectifs”,qu’ils vont créer à partir d’héritages locaux, de vestiges patrimoniaux, de tracessonores ou visuelles des mémoires à l’œuvre dans la ville, d’éléments de traditionsculturelles, professionnelles ou familiales. Certains se revendiquent comme “passeursde mémoire” - entre le passé et l’avenir, entre l’intime et le public, ou encore entredes univers sociaux et culturels différents... D’autres se décrivent comme “accou-cheurs de paroles”, “provocateurs de dialogue” ; quelques-uns se sentent investisd’un rôle politique ; d’autres enfin estiment pouvoir participer à la conception d’unnouvel espace à partir d’une appréhension sensible de l’existant.

Dans nombre de cas, l’artiste est appelé (ou s’engage de lui-même) dans une logi-que d’assistance. Il s’agit “d’accompagner la démolition” d’une tour ; de “parer ausentiment de peur, d’insécurité” lié à la transformation d’un quartier ; de contribuerau deuil d’une époque, d’un territoire ou d’un mode de vie ; de “favoriser l’expres-sion” de personnes en situation de fragilité sociale ou identitaire ; ou encore de lut-ter contre les logiques de repli, d’isolement, d’enfermement communautaire ou spa-tial. Comment les artistes vivent-ils ces situations ? Comment conçoivent-ils leurrôle, à la frontière de l’action culturelle, de l’action sociale et de la gestion urbaine ?Et quel travail de mémoire s’opère, finalement, à la faveur de la mise en spectacled’histoires intimes, familiales ou collectives dans la cité ?

Certaines actions en cours, à visée “émancipatrice”, ne contribuent-elles pas, commele suggère Stéphanie Pryen (Université Lille III)59, à conforter une logique “norma-lisatrice” des quartiers populaires, enjoints de “s’intégrer” ou de disparaître ? Par ail-leurs, quelle place tiennent dans ces actions les notions d’événement, d’éphémère,d’appropriation de la ville ? Bien souvent en jeu dans les interventions artistiquesautour des mémoires urbaines, elles constituent autant d’impensés de nombre d’en-tre elles. Il y aurait pourtant lieu de s’interroger, comme le fait le philosophe BruceBegout60, sur la tendance à utiliser le festif, le ludique et “l’hyperconvivialité” comme“palliatif à une véritable prise en charge plurielle et sociale de la ville”, voire comme

59 - Voir notamment : Injonction à l'autonomie et quête de supports dans les actions culturelles à visée sociale,Stéphanie Pryen, in : Matériaux pour une sociologie de l'individu. Perspectives et débats, Vincent Caradec, DaniloMartucelli (dir.), Lille, Presses Universitaires du Septentrion, 2004. Et : Au carrefour de la culture et du social.Une interrogation sur les enjeux de l’action culturelle roubaisienne, Pryen S., Rodriguez J. : in : Roubaix 50 ans detransformations urbaines et de mutations sociales, Presses Universitaires du Septentrion, 2006.60 - Bruce Begout, Approche de la ville binaire, revue Inculte, n° 1, septembre 2004.

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dénégation du réel, de la dureté des transformations en cours et de la complexité dela relation des citadins à la ville.

L’intervention artistique dans le cadre de certaines opérations mémorielles soulèveaussi la question du recours au sensible et de la place de l’émotion dans le travailde mémoire et dans la gestion urbaine. Le surgissement des larmes, de la colère, desrires, à l’occasion des recueils de souvenirs ou des manifestations publiques qui endécoulent participe-t-il du travail de deuil ? D’une “catharsis” nécessaire pouroublier, et finalement reconstruire un monde nouveau, une nouvelle vie, une nou-velle ville ?

Que suppose-t-on des effets de l’émotion sur les parcours individuels, sur le fonc-tionnement de la mémoire collective, sur “l’adaptation à la perte” ou sur le vivreensemble ? Et comment s’articulent ces moments d’émotion avec le “mieux-être” desparticipants ou des spectateurs, la connaissance qu’ils peuvent acquérir de la villeou leur pouvoir d’agir sur la transformation de leur environnement ?

Au cœur de bien des interventions actuelles, ces questions demeurent largement nonélucidées. Elles renvoient au problème plus large des modes de gouvernance à l’œu-vre dans la ville d’aujourd’hui, autrement dit à la conception même des pratiquespolitiques et démocratiques dans la cité. On peut en effet se demander si nombredes actions mémorielles menées en accompagnement d’opérations de démolition neparticipent pas de ce que Paul Virilio61 désigne comme le glissement d’une démocra-tie d’opinion vers une “démocratie d’émotion”. Une démocratie dans laquelle le modede gouvernement reposerait davantage sur l’exploitation de l’instantanéité des réac-tions individuelles et collectives, que sur la progressive élaboration des jugementsde chacun sur la réalité… Pour cet auteur, le recours à l’émotion collective, au faitde ressentir tous en même temps un trouble du sentiment ou de l’affection, s’appa-rente à un phénomène religieux, qui irait à l’encontre du travail de la raison.

Les textes qui suivent éclairent en partie ces débats, sans en faire le tour : laréflexion est en effet à l’œuvre partout sur le terrain. Chacun peut s’en emparer, yparticiper, et enrichir de son point de vue les questions ici évoquées.

61 - Dans son récent essai intitulé “Ville panique”, Editions Galilée, 2003.,

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La compagnie de théâtre ACTE 3, en résidence depuis 12 ans à Saint-Benoît (Ile dela Réunion), expérimente des formes d’intervention culturelle visant à questionner lestransformations urbaines et sociales à l’œuvre sur cette île en pleine mutation. Dansle cadre d’une opération RHI menée par la SEMAC (Société d’Economie Mixte d’Amé-nagement et de Construction), la compagnie a proposé une série d’actions intituléeRécits d’Habitants Imaginaires.

“Sans légendes, un espace ne peut pas être habitable”. Tel est le postulat originel dece travail, engagé par les artistes sur le quartier Joseph Hubert, site prioritaire duContrat de ville de Saint-Benoît. Là comme ailleurs dans l’île, le processus d’urbanisa-tion entraîne de profonds bouleversements : démolition de cases insalubres et édi-fication de logements collectifs ; disparition des ruelles, recoins, terrains vagues etfriches boisées qui faisaient partie du paysage des anciens kartié ; sectorisation del’espace entre l’habitat et les espaces publics, aux dépends de la kour qui cumulaitplusieurs fonctions à la fois ; effacement des repères géographiques, matériels et sym-boliques, à travers notamment des changements toponymiques ; fragilisation du tissusocial et des anciennes solidarités... La transformation du quartier rend nécessairel’apprentissage d’une nouvelle forme d’habiter et le partage de l’espace avec denouveaux arrivants ; elle précipite “ce qui était” dans un passé révolu, et engage defait le mouvement de reconstruction d’une mémoire collective.

Oralité et société de communication visuelle

C’est pour ex p l o rer ce travail des mémo i res à l’œuvre et questio n ner le pro c e s s u sd ’ a m é na ge me nt en cours - voire, peut-être, “mo de s t e me nt”, influer sur le projet -que les artistes ont proposé de tra v a i l l e r, en amo nt de la RHI, au recueil des “histoi-re s, récits et autres lége ndes” qui circ u l a ie nt à propos du qua r t ie r, de la ville et del’espace réunio n na i s. À l’orig i ne de cette déma rc he, toute une série de questio n ne-me nts sur l’oralité et la fo nc t ion des légendes urbaines, fo r mulées à partir de sr é f l ex io ns de Mic hel de Certeau da ns L’invention du quotidien. L’ u r b a n i s a t ion org a-nise-t-elle une “chasse aux sorc i è res” des lieux supports de lége ndes ? La lége nde,na i s s a nt du récit tra nsmis de généra t ion en généra t ion, est-elle soluble da ns unesociété de commu n ic a t ion visuelle ? Est-elle condamnée à passer d’un pro c e s s u sv i v a nt à un art folklorisé auquel plus personne ne croit ? Existe-t-il des lége nde smo de r nes issues de l’urbanisation ? Sont-elles basées sur le récit ou sur d’autres fo r-mes de tra ns m i s s ion ? Une vie de qua r t ier passe-t-elle oblig a t o i re me nt par un par-t a ge d’histoires et de lége ndes?

Le projet, soutenu par la SEMAC, en partenariat avec le Contrat de ville et le serviceculturel de Saint-Benoît, la Caisse des dépôts et consignations de la Réunion, et leThéâtre Les Bambous - scène conventionnée, vise à “stimuler autour d’un moment deconvivialité (…) et de rêve” l’envie de raconter des histoires inventées à partir deslieux, des anecdotes, de l’imaginaire des habitants ou du fantasme collectif. “Ce récit- témoignage de l’identité culturelle des personnes à travers les formations et les défor-mations du temps et de la mémoire - pourra être nostalgique - utopique - social - poé-tique - politique, mais toujours axé sur le LIEU (imaginaire - idéalisé - vécu - perdu…)”.

ExpérienceIle de la Réunion. Des légendes pour habiter.

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À partir de 2003, la démarche se structure avec des habitants volontaires, organisésautour d’une association “de pied d’immeuble” (Les clous de Girofles), et plus parti-culièrement d’un noyau de six mères de familles, qui vont mobiliser au fil des moisune vingtaine de personnes, adultes et enfants. ACTE 3 met en place, avec le soutiend’autres artistes (photographe, compositeur, conteurs et comédiens), un travaild’atelier d’écriture, de retranscription et de mise en scène des histoires des habi-tants, qui va aboutir à la création d’un spectacle : Célestin Sipio costum’ twa pies.

Du partage de récits au "parcours culturel" dans la ville

En interprétant les récits et les rêves des habitants comme autant d’éléments delégendes urbaines en construction ou en transformation, les artistes font l’hypothèseque ces légendes fonctionnent comme “ciment social et culturel local”, en même tempsqu’elles nourrissent la culture dite moderne à la Réunion. Ils pensent que ce genred’interventions peut permettre de “tisser des liens” entre habitants du quartier, maisaussi entre le quartier et la ville, par la fréquentation des équipements culturels. D’oùla mise en place, en sus de la démarche de partage de récits, d’un “parcours culturel”avec le groupe d’habitants mobilisé.

De mars à août 2003, se sont ainsi succédées toute une série de rencontres entreartistes et habitants : des ateliers théâtres avec les enfants ont été organisés sur lequartier ; un spectacle de théâtre a été décentralisé sur un parvis d’immeuble ; diffé-rents déplacements ont été proposés dans la ville de Saint-Benoît et à Saint-Denis dela Réunion (au cinéma, à la médiathèque, au théâtre, sur les lieux de vie du person-nage imaginaire de l’histoire…) ; les femmes de l’association ont elles-mêmes pré-senté, avec l’encadrement de comédiens professionnels, des histoires aux différentsclubs de troisième âge de la ville ; le parcours s’achevant par la présentation duspectacle créé par les habitants, lors d’un kabar–teat sur l’aire de jeu du quartier, enprésence d’une centaine de personnes, avec la participation des artistes réunionnaisayant soutenu cette démarche et de l’orchestre de cuivres de Ste Rose.

Décalage temporel

Imaginée au départ pour intervenir en amont de l’opération d’aménagement, avecl’idée d’inscrire des éléments symboliques et poétiques dans le processus de construc-tion, l’action, qui s’est déroulée sur une période de 9 mois, n’a finalement pu être réa-lisée qu’en dernière phase, la commande de la S.E.M. et les financements du Contratde ville n’étant intervenus qu’après la réalisation des trois quarts des logements pré-vus. D’où un bilan en demi-teinte, que la compagnie expose ainsi :

■ au niveau du parcours culturel : découverte par le groupe d’habitants des équipements et manifestations culturels de la ville ; inscription des enfantsà la médiathèque et au cours de théâtre ;■ au niveau institutionnel : mise en place d’un partenariat réussi entre le Contratde ville de Saint-Benoît, la S.E.M. et la Caisse de dépôts et consignations ; dynamique de travail basée sur une association qui a malheureusement disparuquelques mois plus tard, en même temps que le poste de permanent qui animait les activités ;

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■ au niveau artistique : apport d’artistes de domaines aussi variés que la photogra-phie, la musique, le conte et le théâtre, qui a permis, outre des rencontres trèsriches avec les habitants et entre les artistes, le croisement des regards et desoutils sur le thème de la mémoire ;

■ au niveau du questionnement sur “récits et territoires” : pour aller au-delà d’his-toires se situant entre tradition et nostalgie, une telle approche trouverait sa perti-nence dans un temps plus long, et avec un groupe élargi à d’autres classes d’âge(jeunes de moins de 25 ans par exemple).

Suite à la disparition de l’association Les clous de Girofle, ACTE 3 poursuit un travailindividuel et informel sur le quartier. L’action est également à l’origine de la naissanceau sein de la Compagnie d’un atelier de recherche sur l’oralité intitulé Ziztoirs urbai-nes. Il est composé de 5 comédiens professionnels qui questionnent, sans limite detemps et sans objectif de production, la transmission et/ou la naissance des récits surdes territoires urbains en mutation, le rapport entre territoire et identité et les condi-tions de leur traduction théâtrale sur un plateau de jeu.

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Contact :Compagnie ACTE 3Direction Artistique : LolitaMonga,2, Bâtiment A1. RésidenceAtalante, rue Bouvet, 97 470 Saint-Benoît. Tel : 02 62 50 53 [email protected]

Photographie : Laurent ZITTE

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L’attrait de la mémoire pour l’artiste estfacile à comprendre, c’est une expérienceà la fois personnelle et universelle - cettedernière non dans le sens de mémoire col-lective, mais parce que la mémoire est uneexpérience commune à tous et que nousnous en servons constamment. (…)

Il faut cependant se méfier de la mémoirecomme on se méfie de l’œuvre d’art, etl’aborder sous le couvert d’un esprit criti-que éveillé. En fait, la mémoire à l’œuvreressemble à l’acte de création. La mémoirenous fournit un récit complexe et relatif,en transformation continue. Nous travail-lons constamment ce récit afin d’en tirerquelque chose susceptible de nous satis-faire. Nous le corrigeons, biffons, adap-tons, raffinons, brodons. De plus, chaquenouvelle ex p é r ie nce y laisse sonempreinte. (…)

En tant que témoin du passé, la mémoirea des exigences : elle veut être crue. (…)Qui oserait discuter les témoignages dec o nd i t io ns ouvrière s, d’immig ra t ion oud’emprisonnement ? Face à ce genre d’ex-périences, nous ne pouvons qu’honorer ladignité humaine du témoin. Les témoi-gnages de la misère exigent d’être crus.

Faire entendre les voix marginaliséesQuel est le rôle de l’artiste là-dedans ? Àmon avis, il y a deux voies qui se présen-tent à lui. Il peut concevoir la mémoirecomme terrain de recherche légitime danslequel il est libre de fouiller à sa guise. Ce

n’est pas une façon d’aborder la questionqui m’int é resse ici. Toujours diffic i l e,parce qu’elle frise facilement l’exploita-tion du sujet et, d’ailleurs, du public, ellene se justifie qu’au cas par cas ; selon l’in-tégrité de l’artiste et la qualité transcen-dantale de l’œuvre elle-même.

La seconde voie d’approche me paraît nons e u l e me nt valable, mais important e.L’artiste, ou l’animateur culturel, peutchercher à valoriser la mémoire de ceuxdont la voix ne porte pas : ceux qui n’ontl’oreille ni des gouvernements, ni des uni-versités, ni des professions, ni des médias,ni, en somme, des puissants de ce monde.L’artiste peut se mettre au service de ceuxqui ne sont pas entendus, encore moinsécoutés, et offrir ses talents pour la créa-tion d’œuvres capables de donner à cesvoix marginalisées une portée qui les feraentendre par-dessus le vacarme de lafoule.

De l’hôpital à la villeJ’aimerais illustrer ce dernier procédé endécrivant brièvement un projet que j’aianimé il y a environ huit ans dans unhôpital psychiatrique (…). Le pro j e tdébuta lorsqu’un gra nd hôpital medemanda de faciliter la rédaction d’unehistoire orale de l’établissement, fondédepuis cent cinqua nte ans, qui avaitabrité jusqu’à mille cinq cent personnes.Une simple évocation du passé m’ayantparu d’un intérêt fort limité, j’ai conçu unprogramme (…) en deux temps. En pre-

Analyse

La mémoire est un pays étranger, qui peut certainement paraître riche, exotique,voire passionnant pour l’artiste. Elle peut même s’avérer une réelle source d’ins-piration. Mais elle est aussi un témoin dont il faut se méfier. Comment l’artistepeut-il concevoir son rôle, par rapport à ce “processus à l’œuvre” qui fournit desrécits en perpétuelle transformation ?

François MatarassoArtiste, chercheur

Extraits d’un texte paru dans La lettre de Banlieues d’Europe, mai 1999.

Par-dessus le vacarme de la foule.Mémoire en devenir et rôle de l’artiste.

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mier lieu, les malades, avec la collabora-tion d’un écrivain et d’un photographe,chercheraient à décrire à travers des poè-mes, des souvenirs, des contes et des pho-tographies, leur vie à l’hôpital. Ensuite,l’intérêt se porterait à l’extérieur, dans laville, où le sujet serait la nouvelle vie desanciens pensionnaires. Deux livres où voi-sinent textes et photos sont issus de ceprogramme, le premier portant le titreLooking Back - regard en arrière - lesecond Looking Forward - regard en avant.(…)

[Ce projet] a réussi à donner une voix àdes personnes qui n’en avaient guère et àleur permettre un degré de participationà des changements portés sur leur vie sansconsultation ni engagement de leur part.On peut mesurer sa réussite à la manièredont le projet a été contesté par une sec-tion du personnel, mécontente de voir lerégime qu’elle avait mis en place critiquépar ceux qui l’avaient subi. Cette opposi-tion a contribué aux difficultés diversessuscitées par le projet. Ce travail, cepen-dant, me paraît se justifier sur deux plans.D’abord en ce qu’il a aidé des gens sansvoix à acquérir les compétences et lac o n f ia nce nécessaires pour me t t re envaleur leurs expériences et leurs souve-

nirs. Ensuite en donnant par l’entremisede l’édition une portée réelle à cette voixretrouvée et en lui préparant ainsi uneentrée dans le dialogue politique. Jelaisse la parole à un des participants quidisait : “Quand le livre a paru, j’ai éprouvéune certaine anxiété. Ça paraissait dange-reux que mes expériences soient impriméespour que tout le monde les lise, mais enmême temps, j’étais vraiment content depenser que les gens sauraient comment çase passe dans les hôpitaux psychiatriques,et comment nous, les malades, nous nousen tirions.”

Ceci nous ramène à la question déjà poséesur le rôle de l’artiste. Comment et pour-quoi collaborer à la valorisation des sou-venirs dans les banlieues ou chez ceux quiont du mal à se faire entendre ? Certaine-ment pas pour y trouver une soi-disantinspiration artistique, pour tirer de l’expé-rience des habitants ce qu’elle a de drama-tique ou d’int é re s s a nt. Le but, aucontraire, doit être d’aider les gens enmarge de la société à retrouver leur droitde participation au dialogue social de ladémocratie.

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Contact : [email protected], http://homepage.mac.com/matarasso/

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AnalyseLe mouvement perpétuel de la mémoire.À l’inverse de certaines démarches commémoratives qui situent le passé dans untemps “mort”, définitivement révolu, l’intervention artistique, lorsqu’elle explorela mémoire comme processus vivant et fait appel à la participation active desindividus, peut permettre d’expérimenter de nouvelles formes “d’être-ensemble”dans le présent.

Esther Shalev-Gerz - ArtisteL´histoire est l´objet d´une construction, dont le lieu n´est pas le temps homogène et vide, mais le temps saturé d´”à-présent”

Walter Benjamin

Les mo nu me nts commémo ra t i f s, re p r é s e n-t a nts du passé et chargés d’une symboliquep ro p re, situent le passé da ns un tempscoupé du présent, un temps claire me nt dis-t i ngué de ma i nt e na nt, “mort”, comme l’écritM ic hel de Certeau. Il s’agit de lieux fixes quié t e r n i s e nt un certain événe me nt en le ma n i-f e s t a nt ma t é r ie l l e me nt en tant que fait his-t o r i q u e.

Or, l’histoire n´est pas chose faite ; elle setransforme de façon dynamique à traversles différents regards posés sur elle. Enmême temps, le passé influence et inter-roge perpétuellement le présent. Ce pro-cessus dialectique s’inscrit dans la vied’aujour-d´hui, dans nos rapports sociauxet l’organisation politique actuelle. Entrer é m i n i s c e nce floue et conna i s s a nc econfirmée, entre récit personnel et savoircollectif, approche intime et “fait” histo-rique, la rencontre entre passé et présentproduit continuellement des pensées etdes positions dans le maintenant.

Créer un espace qui va susciter le dialogueDans mon travail artistique, je m’intéresseà la mémoire collective et personnelle tel-les qu’elles apparaissent à travers la parti-cipation active d’aujourd’hui. L’enjeu estde créer un espace de rencontres où despensées, des émotions, des approches auxdonnées de l’histoire vont s’exprimer sousune figure dynamique ; un espace qui vasusciter le dialogue et des considérationssur le passé, celui-ci étant utilisé commeun outil pour se pencher sur le présent.

Le moment décisif dans mes projets estcelui où le spectateur-supposé commenceà se manifester en écrivant son nom, enutilisant sa voix ou en envoyant sa photo.Ainsi, les formes des œuvres surgissent etévoluent peu à peu avec les contributionsdes participants.

Pour First Generation par exemple - uneinstallation vidéo permanente visible uni-quement quand il fait nuit, réalisée pourle nouveau bâtiment du Centre de recher-ches Multiculturelles à Fittja en Suède -j´ai invité à la fois des étrangers et desSuédois venus s’installer à Botyrka (ban-l ieue de Stockholm) à eng a ger uneréflexion sur la notion d´identité dansleurs situations personnelles particulières.Trente-quatre personnes ont répondu àmes questions ouvertes : Qu’avez-vousperdu? Qu’avez-vous trouvé ? Qu’avez-vous reçu ? Qu’avez-vous donné ? L´Imagede Soi n´y est pas figée, mais perpétuelle-ment remise en question, en évolutionpermanente : disposant de références cul-turelles multiples et parfois contradictoi-res, les personnes renégocient, redéfinis-sent et recréent leur identité dans un pro-cessus réflexif.

Dans la construction de l’installation, jemets en place un dispositif qui permet auspectateur d́ ex p l o rer l’espace d’ent re -deux, entre écoute et parole, en séparantle son des images : des vidéos montrantles visages des participants de très prèsen train d’écouter leurs propres réponsesétaient projetées sur la façade de verre du

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6C e nt re mu l t ic u l t u rel, tandis que leurs paro-les - mo ntées ind é p e nda m me nt - étaie ntdiffusées à l’int é r ie u r. C’est de cet espacea m b igu, à l’int e r face ent re int é r ieur etex t é r ie u r, Autrui et Moi, que peut éme rge ru ne re c o n na i s s a nce de l’Au t re da ns sa fra-gilité et sa dissimilitude, qui est la cond i-t ion même de re s p o nsabilité envers ce quiest irréduc t i b l e me nt différe nt .

Dublin : entre souvenirs familierset espace urbain imaginaireDaedal(us), dont le titre évoque à la foisle constructeur mythique du labyrinthedans la Grèce antique et le personnagecélèbre du roman Ulysses de Joyce, est unprojet qui invite le spectateur à arpenterles rues du quartier Nord-Ouest de Dublinen quête de souvenirs familiers. Ce quar-tier est caractérisé par ses conditions devie difficiles et l´omniprésence de la dro-gue. Quoiqu’en plein cœur de la ville, ils’agit d’un endroit isolé, rejeté et en pleinmutation économique.

Optant pour un parcours labyrinthique faitde projections nocturnes de photogra-phies de bâtiments sur d’autres façadesdans leur voisinage, Daedal(us) inventede nouveaux trajets à travers le centreville de Dublin. Les promeneurs devien-nent alors spectateurs et acteurs à la fois: ils sont amenés, à leur tour, à traduire etreconstituer l’espace urbain dans leur ima-ginaire. Mais les éléments ainsi délocali-sés, décalés et déplacés sont des miroite-ments énigmatiques qui résistent à leurappropriation.

L’aspect participatif est ici essentiel : nonseulement la réussite, mais la légitimitédu projet repose entièrement sur la parti-cipation active de chacun des membres dela communauté. Pour les projections, j’aidemandé l’accord des trois acteurs princi-paux : la personne qui accueille le projec-teur, la personne qui prête sa façade auxprojections, enfin celle qui accepte defaire prendre sa maison ou son siège com-mercial en photo.

Buchenwald : inventer des liens entrepassé et présentActuellement, je suis en train de réaliserun travail intitulé “L´aspect humain deschoses” au mémorial du camp de concen-tration de Buchenwald. Ce projet interrogela mémoire sous un angle encore diffé-rent. Partant des objets, trouvés sur leterrain, qui portent des traces individuel-les laissées par d’anciens déportés - ins-criptions personnelles, éléments décora-tifs ; il y a aussi des objets entièrement(re)faits à la main de façon improvisée -j’ai interviewé cinq personnes travaillantactuellement avec ces objets en tantq u ’ h i s t o r ien, arc h é o l o g u e, re s t a u ra t r ic e,directeur du musée et artiste contempo-rain, en leur demandant de parler de leursrencontres avec ces artefacts.

De leurs discours émergent, à partir ducontact physique avec les artefacts, desquestions spécifiques par rapport aux pas-sés personnels vécus et aux données his-toriques. Chaque personne développe sonpropre accès aux objets, se positionneautrement, crée d’autres pratiques pours’approcher et inventer des liens entrepassé et présent.

Ce sont ces manières de faire reflétéesdans les objets et ces lectures empathi-ques qui font apparaître les innombrablestactiques de rébellion créative contre lad é p e r s o n na l i s a t ion da ns les camps.Conjointement à ces cinq vidéos, j’ai pro-duit 30 diptyques photographiques, tirésdes films, montrant des objets dans lesmains. Les objets eux-mêmes, dans leurréalité, sont absents de l’exposition.

À l’interface entre histoire et récit, impli-cation personnelle et intérêt profession-nel, d’autres rapports avec la matière et lamémoire se déploient au travers et à par-tir des objets, dans la rencontre d´unmaintenant et d’un autrefois.

Dans mon travail, ce moment de rencontreautant que le caractère processuel de la

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Contact : Esther Shalev-Gerz,3, cité Riverin, 75010 Paris.Tel : 01 42 38 25 24 ou 06 15 76 68 15. Fax : 01 42 02 19 38 [email protected] internet : www.shalev-gerz.net

mémoire collective et personnelle présen-tent toujours des aspects centraux. Lesdeux pôles opposés constituant l’histoire -les savoirs collectifs et publics d´une part; la relation personnelle que nous entrete-nons avec nos propres expériences vécuesd’autre part, simultanément à notre per-ception de la vie actuelle - se rejoignentpour former un mouvement perpétuel, unétat de déséquilibre constant permettant

d´expérimenter de nouvelles formes du“Etre-ensemble” dans le présent.

“First generation”, 2004. Installation permanente d’Esther Shalev-Gerz à Fittja (Suède).Photographie : Andrzej Markiewicz.

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En 2003, la Compagnie des Mers du Nord, basée à Dunkerque, s’est associée àla population de Grande-Synthe et aux travailleurs de Sollac Atlantique(anciennement Usinor, aujourd’hui le groupe Arcelor) pour créer plus qu’unspectacle, une rencontre entre des hommes et des femmes de nationalités dif-férentes. La pièce a été jouée 15 fois à Grande Synthe - au Palais du Littoral- et à Roubaix, au Festival de l’Amitié entre les peuples.

Brigitte Mounier - Metteur en ScèneCompagnie des Mers du Nord

Texte paru dans La Lettre de D.M.A. n° 5 décembre 2003.

Synthe Saga raconte à la fois la migration d’hommes et de femmes de plus de 30nationalités, venus donner leur force de travail aux grands groupes industriels du Nordde la France ; comment l’industrie de l'Europe de l'Ouest a absorbé ces milliers de per-sonnes ; et la construction d'une ville née pour loger les bâtisseurs de la nouvelleindustrie sidérurgique.

Grande-Synthe et Usinor sont les symboles indissociables de cette histoire du mondeindustriel, et plus généralement de l’économie de notre planète. Construite avec lesmémoires des migrants des guerres de décolonisation et les témoignages des migrantséconomiques, Synthe Saga est une fresque où les hommes à la recherche du bonheurou fuyant leur malheur, se rejoignent dans un Far West emblématique. Grande-Syntheet Usinor symbolisent ce havre de paix et de labeur.

L’art, facteur d’expression et de lien social

Grande-Synthe est la ville symbole du spectacle : ville martyre, rasée à 100% par l'ar-mée allemande le 15 septembre 1944, où seulement 818 habitants reviendront pourcamper dans les ruines, puis ville prodigue accueillant 22 000 âmes aspirées dans legigantisme industriel, absorbant les citoyens de plus de 30 nationalités différentes.

Pendant 6 mois, nous avons rencontré 35 familles de toutes origines géographiquesvivant dans l'agglomération dunkerquoise, ayant connu la migration depuis les années50. Avec chaque personne, nous avons passé plusieurs heures autour d'un café ou d'unthé à la menthe à faire remonter les souvenirs, les réussites, les échecs de ce voyage.Le spectacle est construit avec les textes de toutes ces interviews.

L'objectif était de réunir sur le plateau l'équipe professionnelle de la Compagnie, les"habitants du monde" représentés par les habitants de Grande-Synthe et de l'agglo-mération dunkerquoise, et les travailleurs de Sollac - anciens mineurs d’origine polo-naise, algérienne, espagnole, ayant connu la fermeture des puits de mine de Lorrainepuis du Valenciennois, aciéristes et employés licenciés d’Usinor Trith-Saint Léger etayant rejoint Usinor Dunkerque - soit une quarantaine d'acteurs représentant les dif-férents courants de migration que compte notre pays.

Ce spectacle fait se rencontrer des familles d'origines géographique ou communautai-re différentes, qui au sein de la même ville et depuis des années, n'ont jamais pris le

ExpérienceSynthe Saga. Le pouvoir de la poésie.

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risque de se saluer. Il démontre à nouveau que l'art est un facteur d'expression indis-pensable dans la vie des villes et véritablement un facteur de lien social.

Synthe Saga a permis la rencontre et l'amitié entre des personnes de quatre généra-tions, de 9 ans à 83 ans, de toutes les conditions sociales (du cadre supérieur deSollac aux personnes en cours d'alphabétisation). En s'inscrivant dans ce projet cul-turel, chacun s'est senti faire partie d'un groupe qui n'est plus un groupe ethnique nisocial, mais d'expression artistique.

Une micro-société était née

Une micro-société où les adultes ont spontanément joué le rôle de grand-père ou degrand-frère pour canaliser l'énergie des jeunes à l'enthousiasme débordant.Une micro-société où les Noirs et les Arabes s'embrassent, où tous portent intérêt àla mémoire du Juif, où les Marocains jouent le rôle des Turcs, où les Harkis et lesAlgériens se serrent dans les bras, où les Comoriens s'inquiètent du sort de la Pologne,où les Serbes et les Bosniaques mangent à la même table, où l'on n'a même jamaisparlé de religion, étant établi que c'était affaire privée, et où surtout et enfin, lafemme est l'égale de l'homme. Une nouvelle communauté était née, celle de la poé-sie, qui ouvre la porte à tous les espoirs.

Dans cette micro-société organisée, dont le but était un acte artistique, plusieursphénomènes se sont spontanément produits. Là où nous attendions la tolérance, nousavons trouvé l'affection. Ce sentiment, qui aujourd'hui peut avoir une couleur tout àfait désuète et qui n'a aucune place dans le vocabulaire de la représentation média-tique des rapports humains, s'est réellement emparé de tous. Chaque séance de tra-vail était portée par une sorte de douceur joyeuse digne des contes de fées, où lesvieux Polonais font sauter sur leurs genoux les petits Maghrébins en leur racontantl'histoire de la croissance économique de la France, où la réconciliation des Algériensn'est plus un vœu pieu.Curieusement cette expérience a mis en évidence que la tolérance est la dernièrechance avant l'intolérance, qu'elle est une extrémité, une limite. Et que l'espace avantcette limite est immense. La déclinaison des rapports à envisager avant d'en arriver àla seule tolérance nous est apparue comme un monde oublié, qu'on s'est réapproprié.Il ne s'est alors plus agi de respecter nos différences mais bien de les considérercomme un état de fait, et à partir de là de découvrir et cultiver notre ressemblance.

Le spectacle Synthe Saga a bénéficié du soutien de la D.R.A.C Nord-Pas-de-Calais, de la Région Nord-Pas-de-Calais, du Conseil général du Nord, de la Caisse des dépôts et consignations, du FASILD, de la SPEDI-DAM, du Fonds Social Européen et de Sollac Atlantique. Il a donné lieu à la publication d’un livre d’art,recueil de textes et photographies du spectacle, édité à compte d’auteur et disponible par correspondanceauprès de la Compagnie des Mers du Nord.

Contact : Brigitte Mounier, Compagnie des Mers du Nord.S i è ge : 77, rue de Soubise, 59 140 Dunke rq u e. B u reau : 18, rue Georges Cléme nceau, 59 760 Gra nde Synt he. Tel : 03 28 21 02 66. Fax : 03 28 21 03 59. Mail : the a t re @ c o m p a g n ie de s me r s du no rd.com. Site int e r net : www. c o m p a g n ie de s me r s du no rd.com

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Née en 1980 sur une île du delta duRhône, la Compagnie Ilotopierassemble des acteurs, sculpteurs,danseurs, musiciens, inventeurs,scénographes et chercheurs quiproposent "des actions de désordreartistique interrogeant l’espacepublic". Bruno Schnebelin, vous enassurez la direction artistique depuisl’origine, avec Françoise Léger.Que pensez-vous de la montée enpuissance de la dimension mémorielle, dans la commande d’artpublic liée aux projets urbains ?

Je pense qu’il n’y a pas de très forte dif-f é re nce ent re l’artiste et le politique : ilss a v e nt tous les deux se déguiser. Si lesc o m ma ndes sur la mémo i re augme nt e nt ,c’est certaine me nt parce que l’on va versu ne géro nt o c ra t ie : l’électorat est vie i l-l i s s a nt, beaucoup de jeunes ne vont pasvoter…. Du coup, des budgets impor-t a nts sont consacrés aux thèmes dupassé, de la tra d i t ion, de la re c he rc he de so r ig i nes… C’est terrible, mais ça n’empê-c he pas que des artistes, se me t t a nt çasous la de nt, parvie n ne nt à fa i re autrec ho s e. Pas mal d’artistes, aujourd ’ hu i ,d é g u i s e nt leur projet, comme cela s’estfait de toute éternité. Je veux dire qu’ilsa r r i v e nt à fa i re passer da ns leurs créa-t io ns des propos cont e m p o ra i ns, une cer-t a i ne mo dernité, da ns un emballage his-t o r ic i s t e.

Saisissez-vous, pour construire vos spectacles, des bribes du vécu, de lamémoire des lieux où vous intervenez ?

La mémoire, on l’attrape forcément, maison ne va pas la chercher. Bien sûr, lesgens se livrent. C’est très facile de les faireparler du passé : ils rêvent qu’on leurdemande comment c’était avant, ils ontplein de photos, ils aiment montrer leursbibelots, ça les émeut… Mais ça ne m’in-téresse pas d’aller chercher ça. Je suis

InterviewLe simulacre comme interrogation du monde.

Bruno SchnebelinArtiste - Compagnie Ilotopie

quelqu’un qui ne se retourne pas. Je penseque l’important, c’est de savoir se déta-cher, même si je sais que ce n’est pasfacile pour tout le monde. Et puis, je nesuis pas psychanalyste, ni confident.

Etes-vous déjà intervenus dans le cadre d’opérations de démolition ?

Nous avons participé à l’une des premièreso p é ra t io ns de démo l i t ion de HLM, àMarseille, dans les années 80, sur Pland’Aou. Il s’agissait, en démolissant unegrande barre, de faire une percée symboli-que dans cette enceinte que représentaitla cité, une espèce de couronne perchéeen haut d’une colline. La barre n’était pasvide : un sociologue était venu un moisavant pour déplacer les familles. Ça nes’appelait pas “déplacement de familles”,mais “regroupement familial”. Là aussi, ily a des déguisements… Pour le maire del’époque, Robert Vigouroux, c’était unemanière de montrer aux classes moyennesqui habitaient en dessous, dans le pavil-lonnaire, qu’il était capable de s’attaqueraux problèmes sociaux juste avant lesélections. Il nous avait demandé de faireun défilé de mode dans la cité. Nousavions réussi à “attraper” le budget et àen faire tout autre chose, dont un énormeméchoui avec les habitants, la veille del’opération, avant la mise à mort de l’im-meuble. Malgré la pression, on avait tenubon en peignant l’immeuble en noir et enle remplissant de quatre tonnes de sangartificiel. Vigouroux était lui-même auvolant d’une énorme pelleteuse. Mais il araté plusieurs fois sa cible. Toutes les foisqu’il arrachait des morceaux de façade, lesgens criaient et le sang ruisselait. À lasuite de ça, nous avons été grillés auprèsde tous les élus marseillais ! Alors qu’enfait, nous les avions protégés… S’il n’yavait pas eu ce mo me nt émo t io n ne l ,Vigouroux se serait fait lyncher, ou pour lemoins, lapidé. Les habitants ont pleuré envoyant l’immeuble s’écrouler.

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Si l’intervention artistique contribue àfaire surgir l’émotion collective, aveccomme résultat "d’éviter le lynchagedes élus", on peut s’interroger…L’artiste est-il là pour pacifier les choses, pour faire oublier la dureréalité ? Ou bien l’émotion peut-elleêtre subversive ?

Tout dépend quelle émotion. À Plan d’Aou,il y a eu une vraie mise à mort... Après onpeut s’interroger : notre intervention a-t-elle été réactionnaire ? Cela me fait pen-ser à un film sur les reporters de guerre :un journaliste discute avec des gens quiviennent de perdre leurs enfants. Ils sontdans une souffrance incroyable, lui lesfilms à 50 cm, eux le regardent… Et fina-lement cette douleur, cette émotion expri-mée par la population semble enlevertoute agressivité. Comme si on ne pouvaitpas faire deux choses à la fois, fondre endésespoir et se rebeller. La rébellion, c’estun autre temps, c’est juste légèrementdécalé émotionnellement. Ça ne peut pasêtre simultané.

Vous travaillez quand même sur l’idéede blessure, quand vous liez la démolition et le sang…

Oui, parce que la démolition est une vio-lence. Et la violence doit être dite, mon-trée. Il ne s’agit pas de pacifier, mais dedire : “Voilà ce qui se passe, c’est incroya-ble !”. Cette violence, il faut la vivre. Leplus rapidement possible, sinon le deuiln’en finira jamais. Je pense que si c’esttrès fort sur un moment, ça peut faciliterle deuil… Mon boulot, c’est de mettre àjour des ruptures, de mettre en scène labrutalité, de déno nc e r. Ind i re c t e me nt ,c’est appeler à réagir. Et cela ne me gênepas si l’effet est indirect. Sur certainsspectacles, comme PLM par exemple -

Palace à Loyer Modéré62 -, il y a de lamanipulation de notre part. Mais pas plusque lorsque quelqu’un te vend un tapisdans un souk. Ce que nous fabriquons, cen’est pas de l’exemplarité…, c’est plutôtdu simulacre, à la façon de Baudrillard63

lorsqu’il dit que “la réalité n’aura plusjamais l’occasion de se produire”. Nous nes o m mes pas da ns le me ns o nge pourautant. On n’est pas dans la comédie, onne raconte pas d’histoire. On est dans lafiction, mais pas dans la narration. Là-dessus, je suis radical : je pense qu’on nepeut pas parler dans l’espace public. Pourmoi, il n’y a que deux discours dans l’es-pace public, celui du marchand et celui del’homme politique. Si tu commences àprendre la parole en tant qu’artiste, tu espris pour l’un ou pour l’autre. Donc, nous,on ne fait jamais avec les mots, on neraconte jamais d’histoire ; on propose unsegment d’utopie, qui est greffé sur uneréalité sociale. Ce segment d’utopie, c’esten général un simulacre. Mais il n’est pasmoqueur, il est toujours respectueux de ceque sont les gens à ce moment-là, à cetendroit-là. Et il n’est pas déploratif. Dumoins, nous essayons de faire en sortequ’il ne le soit pas.

Face à la commande publique, quisemble plutôt attendre aujourd’hui du loisir, du récréatif, du ludique…,comment les artistes peuvent-ilscontribuer à la réflexion sur la villeou sur la société ?

En passant par l’interrogation. C’est ceque nous faisons avec Confins, un specta-cle dans lequel 12 artistes habitent dansla rue, 24 heures sur 24, pendant 8 jours,sur un trottoir. Nous essayons de parler deça…, de la qualité de l’espace public.Faut-il attendre d’être SDF pour habiterdans la rue ? Ou bien les classes moyen-

62 - En mai 1990, les artistes d’ilotopie ont transformé un immeuble de la cité de la Castellane, à Marseille, en"Palace à Loyer Modéré". Une utopie d’une semaine, pendant laquelle les habitants et visiteurs de la cité ont pubénéficier "du luxe d’un palace cinq étoiles", avec bar, tapis rouge, grooms, femmes de chambre, pressing, petitsdéjeuners au lit, voyages en limousine… Voir Michel Anselme, Les délices de l’espace public, CERFISE, 1991.63 - Voir : Jean Baudrillard, Simulacres et simulation, Editions Galilée, Paris, 1985.

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nes peuvent-elles l’investir ? Pour s’amu-ser, y trouver de la jouissance… ? Est-ceque l’espace public est une chance, uneangoisse, ou un mélange des deux ? Lespectacle ne passe pas par l’émotion, maispar une néo-réalité, une fiction. C’est unclub de vacances impossible, un Club Meddu trottoir… Visuellement, le public necomprend pas ce que c’est : il n’y a quedes lignes obliques, nous habitons dansdes fuseaux, en référence aux contes defée… Bref, c’est un objet illisible. Il n’y apas d’explication a priori, nous ne ven-dons rien, donc les gens viennent nousquestionner, parce qu’ils n’ont pas d’autresolution : “C’est quoi ça ? Qu’est ce quevous faites là ?”. Ça marche très bien ! Onpourrait passer la journée et la nuit àrépondre aux habitants, aux passants…Ce qui est plus compliqué, c’est de défen-dre un propos utopique à partir de cespremiers échanges, d’arriver en quelquesmots à notre sujet : la question du travaildans la société actuelle, le mythe deSisyphe. Sisyphe, dont Camus disait qu’ilavait de la chance, car lui au moins, ilconnaissait son destin… Il est condamnéà pousser son rocher, mais quelle chanceil a de connaître son destin ! Il y aaujourd’hui un retour du destin, ressentifortement à travers un certain délitementde la démocratie. Quand on est sur le trot-toir, comme quand on est en HLM, enZEP…, on est dans le destin. Pour chan-ger ce destin-là, il faut être très coura-geux.

Il s’agit de parler de changementsocial, de montrer qu’un autre destinest possible, en passant par la fictionplutôt que par la mémoire ou parl’émotion ?

Oui. Dans Confins, nous expliquons parexemple que nous sommes là par envie de

rencontrer nos contemporains, ou pourvoir si c’est dangereux de dormir sur letrottoir... La nuit, un acteur ou uneactrice veille en permanence et rencontredonc toute la population qui n’arrive pasà dormir chez elle ; parce que c’est troppetit, parce qu’ils sont malades… Nousa v o ns d’ailleurs prévu une chambred’amis, pour que les habitants puissentdormir en bas de chez eux. Parce que cer-tains demandent : “J’ai jamais dormi sur letrottoir en bas de chez moi…”. Il y a unegrande envie d’inconnu, de danger même.Ça doit être un archaïsme. Comme lesenfants qui aiment dormir sous la tente…Mais tout est fait pour tuer ça. Cetteenvie-là est complètement spoliée par lepolitique.

La demande d’art dans l’espace public s’estappauvrie depuis 30 ans. Elle s’est affadie,entre autres à cause de l’arrivée desm é d iateurs culture l s. Au p a ra v a nt, lesartistes avaient un accès assez direct aupolitique. Avec les années Lang, le politi-que a appris à se protéger de nous.Aujourd’hui, c’est le médiateur culturel -le fusible, par définition - qui mène desopérations artistiques ou de communica-tion pour les collectivités. On a ainsiassisté à un formatage de l’interventionartistique, qui n’a pas existé dans lesthéâtres car souvent le politique n’en arien à faire des théâtres. L’espace public,par contre, demeure très sensible : c’est làqu’on voit la dépense publique d’argent.L’espace public, c’est le “jardin vitrine” dupolitique…

Propos recueillis par Catherine Foret

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Contact : Ilotopie / Le Citron Jaune30, avenue Marx Dormoy,13230 Port Saint-Louis du Rhône.Tel : 33(0)4 42 48 40 04. www.ilotopie.com.

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C’est trop souvent la mémoire du pouvoir que l’on archive aujourd’hui : celle quis’exprime par des discours, par la parole rationnelle de personnes singulières. Cefaisant, on néglige tout ce qui pourrait permettre à un auditeur éloigné dans letemps de saisir le contexte culturel dans lequel ces paroles s’expriment. Mémoiresdu corps, des ambiances, des usages communs, des paysages sonores… : autantd’éléments négligés, qu’il faudrait saisir pour rendre le passé vivant, source d’ins-piration créatrice pour le présent.

Nicolas Frize - CompositeurExtraits du site internet de l’auteur. Propos recueillis par Solin Nivet et Luc Baboulet.

Parus dans Le Visiteur, n° 8, printemps 2002.

S’entendre au-delà de la parole.

(…) Personne aujourd'hui - sauf vous,quelques spécialistes et moi - ne s'inté-resse au paysage sonore. Toute la mémoireest une mémoire de la parole et dansnotre civilisation, la parole est totalitaire.Ce qui est indicible - le paysage sonore,par exemple - tout ce qui ne se dit pas defaçon rationnelle, sous forme d'énoncé,est nié ou laissé pour compte. La sociétéoccidentale a été envahie par une obses-sion du silence à laquelle seule la parole aencore parfois une chance d'échapper. Ondemande souvent aux enfants de se taire !Les minorités commencent à pouvoir par-ler, mais elles ne peuvent que parler, rare-ment faire entendre des choses qu'elles nesauraient dire. Leur seule manière de sor-tir du silence auquel elles ont si souventété assignées est de se placer sur le ter-rain du pouvoir, c'est-à-dire celui de laparole. Alors qu'elles pourraient revendi-quer d'avoir à dire des choses qu'on n'en-tend pas, le caractère identitaire de leurrevendication les oblige à se situer sur leterrain de la parole : admettrait-on qu'uneminorité veuille prendre la parole sansemployer de mots ? On nous sommeconstamment de parler, de nous expliquer,et en même temps de nous taire. Jeconteste pour ma part cette omnipotencede la parole. Nous ne sommes pas queverbe, et nous ne pouvons accepter d'êtreréduits à cette alternative entre parole etsilence.

Mon travail de restitution sonore ne visepas seulement à faire réécouter des traces

enregistrées. C'est aussi un travail detransformation. On ne peut pas contem-pler sans transformer. Le réel se révèlesouvent plus dans la fiction que dans le“constat documentaire”. Le “griot”, d'ail-l e u r s, outre qu'il répète et tra ns me t ,transforme et suscite l'imaginaire : ilrévèle quelque chose qu'on est en traind'entendre mais qu'on n'écoutait pas. Or,plus l'époque concernée s'éloigne, plusl'auditeur doit convoquer de culture et decontexte pour que cet imaginaire fonc-tionne. Ce qui pose tout le problème durapport à l'Histoire : la parole est néces-saire lorsqu'il n'y a plus de rencontre. Maissi le passé reste vivant, si on arrive à vivreavec lui, si on le côtoie régulièrement aulieu d'en faire un pur objet de contempla-tion et de pensée, il devient moins néces-saire d'en parler. (…)

La couverture de l’autoroute A1Lorsque l'autoroute A 1 est arrivée dans LaPlaine Saint-Denis, il y trente ans, on aexpliqué aux habitants qu'elle incarnait leprogrès, qu'elle attirerait des gens, facili-terait la communication, apporterait dutravail... On a donc creusé en pleine villeune autoroute à deux fois quatre voies.

Lorsque les riverains se sont penchés au-dessus de la tranchée pour admirer le pro-grès, ils se sont rendu compte qu'il sentaitfort. Puis ils sont allés se coucher et ontregardé par leurs fenêtres ceux qui habi-taient de l'autre côté de l'autoroute, et ilsont compris qu'ils ne pourraient plus tra-

Analyse

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verser pour se voir, que des liens avaientété sectionnés. Ils ne pouvaient plus s'en-tendre - et se voir sans s'entendre, ce n'estvoir qu'une image éthérée, une vision sansvie. Comment savoir si l'autre est vivantlorsque l'on ne l'entend plus, lorsque l'onne s'entend plus soi-même ? C'est le sonqui rend les choses vivantes.

Pour ces habitants, c'est l'autoroute quiétait de v e nue vivant e. Les enfa nt sn'avaient jamais connu autre chose. Aprèstrente ans de lutte obstinée, les riverainsobtinrent enfin que l'État “couvre l'auto-route”. Ils voulaient refermer cette cou-pure spatiale, cause de tant de bruits etde pollutions, mais sans savoir vraimentce qui allait se produire lorsque les bruitsconstants disparaîtraient. L'autoroute futrecouverte, et il arriva ce qui arrive quandcesse le bruit qui envahit tout : tous lesautres sons (les voitures qui circulent surla contre-allée, par exemple) devinrenttout à coup audibles. La notion d'échellese modifia. Les sensations de flux, delointain, l'anonymat et la continuité lais-sèrent place aux rythmes, aux proximités,à l'identification et aux événements. Cesvoitures et ces contre-allées avaient pour-tant toujours existé. Mais désormais, del'autre côté, s'ouvrait un espace où lesenfants pouvaient aller jouer, et la sensa-tion de danger en était accrue.

La re-création de la traversée avait renduproblématique la notion même de traver-sée. De nouvelles sources sonores s'impo-saient : la concierge qui sort la poubelle,le voisin qui rentre sa voiture, l'autre voi-sin qui fait l'amour... L'écoute avait prisun tout autre sens. Désormais les gensdevraient s'entendre, dans tous les sens duterme.

Traces, rémanence, récurrence (…) En faisant de “l'ethnologie sonorecontemporaine”, on découvrirait que cer-taines traces du passé sont encore vivan-tes dans les mémoires. Elles sont tapiesdans les usages et les réflexes d'audition

partagés. Dans une gare, une cour, dansdes lieux très pratiqués, les propositionssonores sont très fortes et très caractéri-sées. Là ont été vécus des événementscontradictoires : une même place a puaccueillir des moments militants et desfêtes, des quatorze juillet, des mariages...Et tout cela construit peu à peu, pourceux qui la fréquentent régulièrement, deshabitudes de production sonore et d'audi-tion relativement communs. Dès qu'il y ausages communs, une culture s'installe,qui résiste au temps. Il s'agit, déjà, d'unetrace possible. Nous ne traversons pas lespaysages sonores comme les paysagesvisuels ; ce qui se construit peu à peudans notre perception est de toute évi-dence collectif. Il y a alors traces, réma-nence, récurrence. Je suis persuadé quecertains lieux nous dictent la façon de lestraverser, de les écouter ou de ne pas lesécouter. (…)

Prise de son et mémoiredes ambiancesLe son est éphémère et par essence ins-tantané. Il n'a donc ni vie, ni mort ; il dis-paraît au moment même où il survient. Sion veut le réentendre, il faut passer parl'enregistrement (mais il ne sera plus réel,ce sera une image sonore possible). Laquestion du passage de l'instantané à latrace me préoccupe beaucoup. Tout nede v ie nt pas tra c e. Pour qu'il y aitmémoire, le son doit passer par un micro.Or un micro entend tout, ce qui d'un autrepoint de vue signifie qu'il n'écoute pas.(…) Le micro est littéral et superficiel,t a ndis que l'oreille est na t u re l l e me ntsélective et émotive.

Je m'occupe de restauration d'archivessonores et suis en contact permanent avecdes “mémoires parlées” très diverses (col-lections du Musée des Arts et TraditionsPopulaires, de l'Ina, du Conseil régional dePicardie, etc.). On rencontre beaucoup de“récits de vies”. Derrière la voix de celuiqui raconte, il y a son horloge qui sonne,l'animal à ses pieds... Mais nos mauvaises

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habitudes d'écoute font qu'on ne s'inté-resse à rien d'autre qu'à ce que la per-sonne dit. Dès qu'elle s'arrête de parlerpour réfléchir, on a tendance à couper.Pour comprendre vraiment ce qui est enjeu, il faudrait écouter la pièce elle-même,mais aussi celle d'à-côté, peut-être mêmefaire des prises de son tout autour de samaison... Sinon, il s'agit de “voyeurismesonore” : tout le contraire d'une attentionpour le paysage sonore. Transmettre auxplus jeunes les histoires et la façon d'êtrede jadis suppose de ne pas nier d'embléele corps, l'espace, la sensibilité, le temps,le silence...

Rendre une prise de son intelligente,c'est-à-dire proche de l'audition quoti-dienne, suppose de restituer l'interpréta-tion de cette audition et donc de laconnaître. La prise de son suppose peut-être alors une relation amoureuse aveccelui qu'on veut faire entrer dans lamémoire enregistrée.

Aujourd'hui, la mémoire n'est autre que lamémoire du pouvoir : celle de la radio, desdiscours, des grandes manifestations ou,plus exactement, la mémoire de ces mani-festations rapportées par des personnessingulières. C'est cette mémoire du pou-voir qu'on est en train d'archiver, en négli-geant celle des ambiances, des paysages,des sons communs, des bruits de fond...

Pour un archivage opératoireLes paysages sonores évoluent très vite,même si cette évolution, parfois micros-copique, peut paraître inaudible. Dire qu'ilexiste une mémoire sonore à préserverserait évoquer une mémoire vivante sansévoquer les instruments qui permettent dela conserver. C'est un point difficile quipeut facilement basculer dans un écolo-gisme de mauvais aloi : préservation d'unétat existant, nostalgie du passé, trans-mission pour modèle... Je voudrais fairede cette mémoire du présent un outil detransformation, de création, l'utiliser pourmonter des programmes de fiction radio-

phonique, produire du matériel pédagogi-que pour les écoles, faire entendre auxélus les paysages sonores et - puisqu'ilfaut bien en passer par la parole - organi-ser, le cas échéant, des colloques sur cesquestions : être un “écouteur public”.

Je ne me préoccupe pas vraiment d'archi-ver ; je désire plutôt rendre les chosesvivantes, vivre en contact avec le passépour pouvoir en faire quelque chose quimodifie réellement notre quotidien. Si lesarchitectes vivaient avec ce passé, s'ilspossédaient ce savoir et cette sensibilité,nul doute qu'il leur viendrait toutes sortesd'idées. De plus en plus, les étudiants enarchitecture ou en paysage veulent faireentrer le son dans leurs préoccupations etdans leur programme ; certains viennentme voir pour que je les aide à orienter leurtravail dans ce sens ou que je participe àleur jury de diplôme - il y a d'ailleurs detrès belles réussites. Ce qui m'intéresseavant tout dans l'archivage, c'est qu'il soitopératoire. Faut-il alors l'appeler archi-vage ou témoignage ? Le fait d'aller enre-gistrer le chantier naval de Saint-Nazaire -qui est en train de “partir” - avant desavoir à quoi cela pourrait servir d'unpoint de vue opératoire pour les ouvriersou les élus de Saint-Nazaire paraît, deprime abord, une démarche avant toutpatrimoniale ; au-delà de la démarchem i l i t a nt e, j'insiste sur une déma rc hee s t h é t i q u e, ant h ro p o l o g i q u e, créatric e,qui agit au présent.

Transmettre, faire comprendreAujourd'hui semble poindre une certaineobsession patrimoniale, qui me sembleparfois légitime. Je suis allé voir le comitéd'entreprise de la SNCF pour lui proposerd'enregistrer les annonces en gare, tellesqu'elles sont enc o re da ns certaine srégions exécutées directement par lesagents. La parole de ces hommes m'inté-ressait non pour ce qu'elle dit, maisc o m me témo ig na ge d'un métie r, d'uncorps, d'un accent - “Brive-la-Gaillarde,correspondance pour...”. Une mémoire dif-

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ficile à faire car les agents n'aiment pasforcément faire ces annonces et ont étéheureux çà et là qu'on leur fournisse descassettes avec les messages pré-enregis-trés. Sans doute est-ce, pour une mino-rité, un moment privilégié, celui où “ilsmontent sur scène”, mais pour la plupart,il s'agit d'une contrainte : il faut faireattention à ce qu'on dit, ne pas trébuchersur un mot, articuler avec soin (l'acousti-que de la gare l'exige), effacer touteexpression de façon à faire disparaître sapersonne au bénéfice de la fonction. Voilàp r é c i s é me nt ce que je voulais saisir(comme l'a fait avec humour JacquesTati) : le rappel de l'homme dans la fonc-tion, avec son accent, la permanence desa présence par rapport à la fugacité decelle du voyageur, son rôle de repère...Mais, alors que j'insistais auprès des gensde la SNCF sur le fait que toute cette cul-

6ture humaine était en train de disparaîtreet qu'elle donnait à réfléchir sur d'autresmanières d'exprimer, de qualifier des rela-tions, je me suis fait répondre que “notrefaçon de faire progresser nos métiersconsiste à participer à leur évolution ausein de l'entreprise, pas à nous retourner enarrière ni à rester sur place, attachés à lasurvie de choses anciennes devenues quasifolkloriques et à la nostalgie : il ne faudraitpas être trop admiratif pour un passéouvrier dont les conditions sociales et detravail ne furent pas irréprochables...”.Comment leur dire que, d'une part, ce nesont pas forcément ceux qui y sont qui ontbesoin qu'on s'en rappelle, d'autre part,que se rappeler ne veut pas dire glorifier,mais faire comprendre ? Les choses nesont pas noires ou blanches ! (…)

Contact : www.nicolasfrize.com

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Partager les mémoires de la ville.Diffusion, pédagogie, débat public.

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Partager les mémoires de la ville.Diffusion, pédagogie, débat public.C’est souvent à l’échelle du qua r t ier que na i s s e nt les initiatives mémo r ielles da ns lav i l l e. Pa rce que les bénévoles et les prof e s s io n nels mobilisés sur ces actio ns (tra v a i l-leurs sociaux int e r v e na nt au sein d’un équipeme nt ou d’un secteur, artistes en rési-de nce da ns une commu ne, re s p o nsables de services mu n icipaux, équipes GPV …) s’ins-c r i v e nt « na t u re l l e me nt » da ns un mo de de fo nc t io n ne me nt territorialisé ; et parce quel ’ o rg a n i s a t ion adm i n i s t rative des politiques publiques tend à enfermer les projets àl ’ é c helle du territoire conçu comme échelle de pro c é du re publique et non pas commeespace de vie ou de pra t i q u e s, ces initiatives ont du mal à pre ndre en compte la villeda ns son ens e m b l e. Il en est de même pour la diffusion des pro duits culturels ou des conna i s s a nces issusde ces actio ns. Trop souvent, on recueille la mémo i re des habitants d’un lieu pour larestituer aux habitants de ce même lieu, da ns une logique de mise en miroir qui poseq u e s t ion, surtout lorsque l’on prétend à travers ces actio ns “revaloriser les grandsensembles”, “montrer que ces lieux ont une histoire”, “faire entrer le quartier dans ledroit commun”. Il y a ainsi lieu de se de ma nder si certains travaux de mémo i re, focalisés sur le qua r-t ier ou la commu ne de réside nc e, ne risquent pas de re n fo rcer le cloisonne me nt géo-g raphique et social à l’œuvre da ns l’espace urbain, re do u b l a nt par l’ide nt i f ic a t ion au“ q ua r t ier” l’enferme me nt des publics sollicités - par ailleurs sommés de s’ex t ra i re deleur enviro n ne me nt fa m i l ier pour trouver du travail et s’int é g rer à la commu na u t éna t io na l e. C e r t e s, il n’est pas simple, pour une associa t ion, une petite compagnie artistique ouun équipeme nt social, de se placer à l’échelle de la ville ou de l’aggloméra t ion et deresituer les mémo i res locales da ns une perc e p t ion globale de la géogra p h ie et de l’his-t o i re urbaine. Po u r t a nt, c’est en dépassant cette logique du cloisonne me nt des mémo i-res collectives, localisées, que les acteurs concernés pourro nt do n ner une réelle valeur,v o i re une efficacité symbolique aux conna i s s a nces qu’ils cont r i b u e nt à fa i re surg i r.Dès lors, il fa udrait me t t re l’accent sur tous les mo y e ns pouvant perme t t re de fa i re cir-culer les mémo i res plurielles de la ville : fa i re appara î t re leur diversité, leur complex i t é ,leur cara c t è re non univoque ; et assurer leur mise en perspective, en critique et endébat. Cela re v ie nt à penser dès l’orig i ne des actio ns mémo r ielles les cond i t io ns de lad i f f u s ion de leurs résultats en dire c t ion de larges public s, leur valorisation sur diffé-re nts supports de commu n ic a t ion, le travail péda gogique et critique qui pourra êtremené à partir des ma t é r iaux recueillis et surtout les cond i t io ns du débat public à ins-t a u rer à partir de ces multiples re p r é s e nt a t io ns du passé.S a ns circ u l a t ion des mémo i re s, pas de débat, et sans débat, pas de partage du sens,pas d’histoire commu ne. La public i s a t ion des mémo i res de la ville est la cond i t ion pre-m i è re d’une limitation des risques d’enferme me nt ide nt i t a i re ou d’imposition d’unp o i nt de vue do m i na nt sur l’histoire locale ; à cond i t ion cependa nt qu’elle s’ins c r i v eda ns un dispositif d’int e r p r é t a t ion et de débat dig ne de ce nom. Un dispositif ouvertà tous, des scènes publiques de discussion qui do i v e nt être gérées, animées, en vuede re do n ner leur juste place aux mémo i res des uns et des autre s, da ns l’édifice globaldes my t ho l o g ies locales.

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Fin des années 1980 : alors que certains quartiers de La Rochelle connaissent un déve-loppement rapide et créent une image positive de la ville, ceux qui abritent le secteurportuaire et industriel, en profonde mutation, se sentent en marge de cette évolution.En 1990, la Ville de La Rochelle marque sa volonté d'un rééquilibrage urbain et engagela lutte contre la dégradation sociale et urbanistique par la signature d'une conven-tion de quartier.

Dans cette dynamique, Jean-François Morisseau, animateur départemental (Conseilgénéral de Charente-Maritime) réunit en 1995 un groupe de travail comprenant desresponsables du Centre communal d’action sociale, des Archives municipales, de laMission d'animation et de vie sociale de Mireuil (Ville de La Rochelle), de la biblio-thèque municipale de Laleu-La Pallice, du Comité de quartier et des retraités des quar-tiers de Laleu/La Pallice/La Rossignolette. Le groupe émet l'hypothèse qu'à travers untravail ethnographique valorisant le patrimoine local et ses acteurs et favorisantl'émergence de lieux d'expression, de nouveaux liens, de nouvelles solidarités peuventse créer entre les générations et avec les nouveaux habitants du quartier.

Un projet culturel commun

L'association Paroles de Rochelais est créée le 22 décembre 1995. Elle a pour objet deréunir la population des quartiers autour d'un projet culturel commun : la réalisationet l'édition d’une revue, les Cahiers de la Mémoire. L'action vise à collecter des pho-tos, des documents originaux et des témoignages inédits, à valoriser le patrimoineéconomique, industriel et culturel des quartiers portuaires, à favoriser la reconnais-sance et la valorisation des individus, à lutter contre l'isolement et ainsi créer de nou-veaux réseaux de sociabilité.

Un ethnologue prof e s s i o n n e l est recruté par l’associa t ion pour recueillir des témo ig na-ge s, accompagner l’équipe de bénévoles et intervenir auprès des classes de 1è re L duLycée Saint - E x u p é r y, qui tra v a i l l e nt avec Paroles de Rochelais sur le projet, avec un pro-fesseur de français et un professeur d’histoire. Un cahier des charg e s est mis au point ,afin de préciser les règles déontologiques à re s p e c t e r. On y insiste no t a m me nt sur le re s-pect de la parole des int e r v ie w é s, la nécessité d’info r mer en amo nt les habitants sur lar é a l i s a t ion des nu m é ros à venir, l’org a n i s a t ion d’échanges réguliers pour que les int e r-v iewés puissent s’appro p r ier le travail collectif. En dix ans (1996-2006) 17 numéro s de sC a h iers vont ainsi être édités. Trois sont actuelleme nt en cours de réalisatio n .

Du quartier à la ville : une dynamique qui s’élargit

À côté de la publication des Cahiers, Paroles de Rochelais a engagé bien d’autresactions au fil des ans : des rencontres inter-générationnelles, des expositions, quicirculent dans la ville (dans les établissements scolaires, au CCAS, à la Bibliothèque,dans les centre sociaux, les équipements pour personnes âgées…). La dynamique s’estélargie au fur et à mesure que d’autres quartiers se manifestaient, notamment à tra-vers des Comités de quartiers. Des partenariats ont été engagés avec des troupes théâtrales, qui écrivent à partir de rencontres avec d’anciens dockers et ouvriers.

ExpériencePa roles de Rochelais. Des initiatives dans toute la ville.

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L’action a suscité progressivement de nouveaux réseaux de sociabilité : les Cahierssont diffusés bénévolement par des commerçants ; des collégiens et lycéens travail-lent sur la mémoire de leur quartier, encadrés par les enseignants et par l’ethnologue;certains d’entre eux s’investiront ensuite dans une association caritative et organise-ront des rencontres avec les anciens (une au Lycée, une autre dans une cave ayantservi d’abri pendant la guerre).

La collecte s’avérant de plus en plus fructueuse (près de 10 000 photos, 4 à 500 heu-res d’enregistrements recueillis), en 1999, un ethnologue, est salarié à temps pleindans le cadre d’un contrat emploi-jeune. L’association développe alors le projetQuartiers mémoire et multimedia en partenariat avec le Carré Amelot, espace cultu-rel de la Ville de La Rochelle et cinq Comités de quartiers. Faire écrire l’histoire popu-laire récente par les gens eux-mêmes et sauvegarder ce patrimoine, tout en partici-pant à la lutte contre l’exclusion technologique : tels sont les objectifs de ce pro-jet qui, à travers 15 ateliers d’écriture, va susciter la rencontre entre les jeunes et lesanciens autour du collectage et de la numérisation de documents. Ceux-ci alimente-ront un site internet, la réalisation d’expositions et la publication de CD-rom. LeCarré Amelot ouvre à cette fin un atelier dans le cadre de son Espace culture et mul-timedia, et les Archives municipales recrutent une personne pour assurer la conser-vation et la consultation publique des documents collectés.

Surmonter l’obstacle des ressources financières

Dans le cadre du nouveau Contrat de ville de l’agglomération rochelaise (2000-2006),l’association a continué d’étendre ses actions à l’ensemble de la ville ; le défi étantde constituer dans les quartiers des groupes de collecteurs de mémoire vivante etde créer, au sein de l’association, une structure collégiale où chaque quartier repré-senté serait porteur de son projet local.

Progressivement élargie à une échelle trans-quartiers, l’édition de la revue et les dif-férentes actions ont donné lieu à la recherche permanente de partenariats, afin dedévelopper le réseau relationnel (puisque l’objet de l’association est d’agir sur le liensocial), de trouver des moyens d’actions et de compléter les revenus liés à la ventedes cahiers (10 000 euros en 2004), au financement du Contrat d’agglomération, dela DRAC et parfois de la Région. Un numéro a été parrainé par une entreprise privéede construction navale, et de nombreuses institutions ont été mobilisées au fil dutemps : Chambre de commerce, Musée maritime, Fasild, Fondation pour la lecture duCrédit Mutuel Océan… Une dynamique exceptionnelle, qui n’a pourtant pas suffi àpérenniser l’emploi de l’ethnologue. La présence de ce professionnel était pourtant lacondition d’une bonne articulation entre travail de recherche et action avec leshabitants, une double dimension qui a toujours été au cœur des préoccupations del’association. Aujourd’hui menacée d’asphyxie financière par la fin du Contrat de villeet la diminution des crédits alloués au secteur Livre et lecture de la DRAC, Paroles deRochelais se bat pour poursuivre une aventure qui nourrit depuis plus de dix ans lamémoire et l’imaginaire de toute une ville.

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Contact : Association Paroles de Rochelais, Jean-François Morisseau, Président.10, rue Montréal, 17000 La Rochelle. Tel. : 05 46 67 99 61 / 05 46 41 20 18 [email protected] www.grandsite.net/~paroles-de-rochelais

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En 2000, à Meaux, deux professeurs de l'école primaire Pierre Collinet ont souhaitéenquêter sur l'histoire des tours du quartier de La Pierre Collinet dont l'une devait êtredétruite. Ils souhaitaient relier l'histoire de ce quartier à celle de la ville, tout enpoursuivant des objectifs éducatifs et civiques : “faire en sorte que les élèves décou-vrent et s'approprient le patrimoine local”, “constituer une mémoire commune”, “favo-riser la citoyenneté et l'intégration”, “motiver et valoriser les élèves en favorisant la pra-tique de l'outil informatique et en abordant par la pédagogie de projet le cours d'his-toire”.

S'appuyant sur un CD-Rom réalisé au collège voisin sur l'histoire de la cité Collinet,ils ont choisi de travailler selon une approche transdisciplinaire, réunissant éduca-tion aux médias et histoire. À partir d'objectifs définis par les professeurs, des ate-liers de recherches documentaires et d'élaboration des “unes” ont été mis en place.Des sorties culturelles locales sont venues compléter la réflexion et la compréhen-sion des élèves, afin d’ancrer concrètement le thème étudié dans la réalité de leur villeet de leur région.

La démarche a impliqué des élèves de CE2, CM1, CM2, des écoles primaires du réseaud'éducation prioritaires (REP) de Meaux : Pierre Collinet, Pierris, Guynemer, La GrossePierre, Compayré. Outre l’Education nationale, elle a mobilisé un large partenariat :ateliers du patrimoine de la ville de Meaux ; Archives départementales ; Clemi (Centrede liaison de l'enseignement et des médias de l'information) ; associations d'ancienscombattants ; Musée de la Résistance de Champigny ; Musée Bossuet de Meaux.

ExpérienceM e a u x . Relier l’histoire du quartier à celle de la ville.

Contact : Inspection de l’éducation nationale de Meaux Sud.Jean-Christophe Ponot, Professeur-formateur Clemi.E-mail : [email protected]/lecturecollinet/uneshistoriques/menudemarche.htm

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Fin 2003, sur la base des préconisations issues de l'évaluation du Contrat deville, un réseau d'acteurs de la Communauté d'agglomération du Pays deMontbéliard (Doubs) se lance dans le projet Terrains cultivés. Il s'agit de valo-riser les mémoires vivantes du territoire, celles-ci étant considérées comme unlevier du développement local. Dès le démarrage, les acteurs font appel à descompétences externes pour l'accompagnement du projet. Opale - Culture etproximité (Paris) a guidé les premiers pas, le relais étant pris ensuite parTerritoires, Identités et Développements (Roubaix).

Jean-Luc Michaud - Directeur Services Culture et Communication Ville de Valentigney

Pierre Wolkowinski - Territoires, Identités et Développements

Texte paru dans Terrains cultivés, Journal de liaison des acteurs de la mémoire du Pays de Montbéliard,hors-série Juin 2005.

Au départ, un territoire riche d’une histoire marquée par le développement industriel,génératrice d’une mutation urbaine, qui a façonné un nouveau visage pour l’agglomé-ration. (…) Une vie culturelle dense et diversifiée avant et après les “TrenteGlorieuses”. Des actions “mémoire” qui foisonnent, donnant parfois un sentimentd’éphémère, de temporaire. L’idée que révéler, c’est déjà capitaliser pour ne rien per-dre et pour ensuite développer. Enfin, le sentiment de manque d’identification terri-torial parmi la population, qui a constitué un levier déclencheur pour ce projet.

Diagnostic

• Interrogation : comment travailler l’identité du territoire, comment renforcer lesactions déjà menées, comment réussir à garder trace des actions, pour faire grandir lesens du territoire ?• Enquête sur l’existant. Interrogation de tous les acteurs identifiés, ayant effectuédes travaux dans le champ de la mémoire.• Rencontres avec les décideurs (politiques et techniques) autour des stratégies àmettre en place.• Définition et préparation d’un programme de consolidation territoriale.

Mise en commun

• Deux journées de travaux en atelier : mise en commun du résultat du diagnostic,des mots et concepts concernant la mémoire et le territoire, co-construction de pro-positions pour le pays de Montbéliard (février 2004, 70 participants dont 4 élus). (…)

Résultats :- mise en place d’un outil de collecte et de recensement des actions,

Pa ys de Montbéliard . Du foisonnement des mémoires à la construction d’un patrimoine symbolique commun.

Expérience7

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- définition et mise en œuvre d’une formation pour les acteurs de terrain,- priorité : travailler sur la mémoire du présent, la parole des jeunes pour aborder

la question de l’identité des hommes et des lieux(…),- démarrage des actions pilotes,- réflexion avec le monde artistique sur les modes de valorisation des actions,- évaluation permanente et mise en réseau avec d’autres actions similaires.

Actions de développement territorial

• Rencontre avec 20 acteurs sur les besoins en formation pour la mise en place d’ac-tions mémoires en lien les unes avec les autres (septembre 2004) ;• Un cycle de dix journées de formation avec la participation de 27 personnes,représentant 20 structures, dont des compagnies théâtrales, des structures socio-cul-turelles, des associations, l’Education nationale… : (…)- une action mémoire - pourquoi faire ? - travail par projet : installation, collecte,restitution et valorisation ;

- la collecte de la mémoire : identification et précision de la commande ou du besoin, recherche documentaire, identification des personnes intéressées,préparation d’une grille de questionnement, réalisation des premiers entretiens,écoute, commentaires, et évaluation des interviews ;

- la restitution : transcription des entretiens, présentation aux personnes interviewées, obtention d’une autorisation ;

- la valorisation : choix d’une forme de valorisation, étude d’exemples,sensibilisation aux coûts financiers d’une valorisation de qualité ;

- l’archivage : un effet induit des actions mémoires - dépôts ou donations, règles à suivre, nécessité de conservation, présentation des structures partenariales,la question de l’éthique… ;

- sensibilisation aux enjeux du territoire : comment fonctionne un territoire,qui sont les autres acteurs dans le groupe, et autour du groupe. Rencontre avec des artistes, des techniciens et des médiateurs pour enrichir les réseaux ;

- travaux d’accompagnement de projets particuliers : production théâtrale basée sur des recueils (…), projets avec des classes, la question du projet global sur l’identité du pays…

Les impacts directs de l’action

• La constitution d’un réseau d’acteurs (…) permettant des collaborations sur le ter-ritoire en mutualisant les compétences ;• Une prise de conscience de la nécessité de donner une visibilité forte à des actions,pour qu’elles puissent jouer leur rôle de consolidation du territoire ;• L’amélioration de la qualité des actions mémorielles sur le territoire à travers la qua-lification et la complémentarité des acteurs ;• Une mise en commun d’une exigence forte sur la déontologie, le respect des habi-tants qui participent, leur appropriation des actions mises en place et du besoin de“laisser des traces” en archivant les éléments essentiels ;• La mise en place des actions partenariales, impliquant des acteurs culturels, socio-culturels, des institutions, des collectivités, l’Education nationale… ;• Une visibilité accrue des actions mémoires liées à la dynamique “Terrains cultivés“ :

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financements, couverture presse et radio, reconnaissance par des instances nationa-les (INJEP et Cité nationale de l’histoire de l’immigration) ;• La publication régulière d’un journal dédié Terrains cultivés ;• La consolidation d’une stratégie territoriale de longue durée dans la perspective del’après Contrat de ville.

Des effets induits qui reconfigurent l’énergie locale

• La mise en place d’une unité “Identité et territoire” dans la formation DEFA des res-ponsables d’animation sur le territoire par Trajectoire Formation ;• Une coopération fructueuse avec l’Université ouverte du Pays de Montbéliard pourla mise en place de conférences relatives à la mémoire et au territoire ;• L’implication de nouvelles familles d’acteurs, à l’exemple des éducateurs de préven-tion et du monde universitaire ;• Une réflexion ouverte sur la question des pratiques et des lieux d’archivage dela mémoire collectée ;• des perspectives de développement multimédia…

L’ensemble de ce travail a montré que ce type d'activité, très proche du territoire,reconfigure l'énergie locale dans un “mille pattes” nouveau. Composée d'idées créatri-ces, de compétences en projet mémoriel partagé, générateur d’un partenariat réelentre différents acteurs, cette nouvelle forme d’organisation “non-instituée” main-tient une proximité avec les habitants acteurs de leur environnement. Elle est encours d’analyse pour extraire ce qui pourrait faire trace sur le plan méthodologique.

Conduit dans le cadre du volet culturel de la politique de la ville du Pays de Montbéliard, leprojet Terrains cultivés a bénéficié du soutien de la Communauté d’agglomération du Pays de

Montbéliard, de la DRAC de Franche-Comté, du FASILD Franche-Comté et de la Ville deValentigney. Il doit s’arrêter dans sa forme de chantier-laboratoire fin 2006, en même temps

que le Contrat de ville. Pour marquer cette étape, et imaginer des prolongements dans letemps, la Communauté d’agglomération a organisé des rencontres nationales intitulées “La

mémoire, levier du développement local” (15-16-17 novembre 2006).

“Jardins familiaux, jardins de mémoire :Valentigney, quartier des Buis” Photographie : Daniel Nowak, collectif (Ero)

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Contact : Jean-Luc Michaud, Service culturel de la Ville de Valentigney,Place Emile Peugeot, BP 79, 25702 Valentigney cedex. Tel : 03 81 36 25 36. Mail : [email protected]

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Diffusion, pédagogie, débat public.

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Canal Sambre-Avesnois est née de la volonté de la municipalité d'Aulnoye-Aymeries,au début des années 1980, de se doter d'un outil de proximité pour la communicationet l'animation. Cette initiative s'inscrivait dans le mouvement des radios dites alors“libres”.

En 1985, Francine Auger prenait la responsabilité de cette “radio associative” et luidonnait une dimension culturelle et créative, qui couvrait progressivement le Val deSambre, puis l'ensemble de l'arrondissement d'Avesnes et au-delà, des secteurs impor-tants de la Belgique.

Canal Sambre, au cours des années 1990, a pris part de façon croissante à la program-mation et à l'animation de la politique de développement social des quartiers, puis dela politique dite “de la ville”, enfin du Contrat d'agglomération du Val de Sambre.Des projets portant sur la mémoire ouvrière et populaire, sur les cultures d'originesdiverses présentes et vivantes sur le territoire, sur la rencontre entre praticiens locauxdes disciplines artistiques et professionnels ou créateurs venus d'ailleurs, sur l'encou-ragement des activités culturelles des jeunes, ont été développés et font encoreactuellement partie de la grille de programmes de la radio. Cette activité multiformes'est accompagnée d'une montée en puissance et en qualité de l'outil, tant du pointde vue technique que du point de vue de l'équipe professionnelle.

Le sens de la présence d'un média oral de proximité

Pour fa i re de la ra d io avec et pour une population, il a d'abord fallu s'atteler à l'étatda ns lequel se trouvait celle-ci da ns les années 1980/1990 : ravagée par la désin-du s t r ia l i s a t ion. Il a fallu lui perme t t re de se débarrasser de la honte d'elle-mêmeda ns laquelle l'avait placée l'évolution de l'histoire économique du mo me nt. Ce futl'époque du t ra vail sur la mémoire orale industrielle des habitants de la vallée dela Sambre. Radio Canal Sambre - Av e s nois a ainsi été à l’orig i ne d’un film, Les Maîtresdu Feu, et d’une ex p o s i t ion : “Raconter l'histoire d'une usine disparue, dans un lieuindustriel en développement : la Fabrique de Fer de Maubeuge devenue Myriad”. Celaa permis à des ouvriers ayant quitté Cockerill depuis 10 ans d’ent rer à nouveau da nsun espace indu s t r iel du présent, da ns lequel ils ont témo igné de leur cont r i b u t ion àl ’ h i s t o i re locale.

Dans les années 1995/1998 un autre écueil s'est mis en travers des circulations et deséchanges entre les diverses catégories de populations sur lesquelles et par lesquelless'effectuait le travail de la radio : l'expression déculpabilisée de la xénophobie. Làencore, la mise en oeuvre d'une culture de l'altérité a permis de ne pas perdre le fildu sens de la relation aux populations : il s’agissait de rendre visibles ceux que l’onvoulait occulter en les reléguant. À présent que certaines pages ont pu se tourner, ilreste à construire une nouvelle communauté relationnelle, géographique, économiqueet culturelle qui intègre la ruralité dans le vieux socle industriel très lentement régé-néré. Le rural agira sans doute comme levier dans la construction d'une nouvelle iden-tité où chacun aura laissé une part de soi pour en élaborer une autre.

ExpérienceRadio Canal Sambre - Ave s n o i s. La mémoire, un trésor à partager.

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Reconnaître et inscrire les personnes dans l’espace public

Parmi les émissions qui ont marqué ces dernières années, l’une mérite particulière-ment d’être citée. Intitulée La mémoire est un trésor, partageons-le, elle s’est appuyéesur le collectage de la mémoire vivante des habitants de la vallée de la Sambre. Œuvrenécessaire pour appréhender, à travers l'existence individuelle, la réalité qui devienthistoire, ce collectage constitue aujourd’hui un patrimoine. Il permet de rendre audi-ble la qualité de vie de chaque individu, la formidable aventure qu'est chaque exis-tence humaine, son intensité et sa singularité inaliénable. Découpés en séquencesd'une demi-heure, les entretiens ont été diffusés lors de 120 émissions, dont la pro-grammation a contribué à la reconnaissance des personnes interviewées, qui inté-graient de cette manière une “communauté de l'écoute” ; l’oralité fonctionnant dansce cas comme un facteur d’égalité entre tous les citoyens et tous les individus, qui nese côtoient pas forcément au quotidien. L’initiative a également donné lieu à la réa-lisation d’un film et d’un CD, comprenant entre autres 140 entretiens de 10 minutesavec Albert Maton, l’une des grandes figures du Bassin de la Sambre.

Radio Canal Sambre-Avesnois, qui s’est impliquée par ailleurs dans des actions decoopération décentralisée, avec le développement de radios rurales dans la région deKayes au Mali, travaille actuellement auprès des femmes d’origine étrangère dans plu-sieurs quartiers de l’agglomération Maubeuge-Val de Sambre. Le projet Femmes etQuartiers repose sur l’idée qu’un travail culturel judicieusement choisi peut permettred’aller vers une nouvelle définition de soi, grâce à l’ouverture d’espaces imaginaireset culturels indispensables pour quitter une posture d’assisté. 45 entretiens sur lesparcours de vie de ces femmes ont été conduits par la sociologue Bat Sheva Papillon,pour la série Une vie nouvelle. Une manière d’inscrire dans l’espace public des per-sonnes qui n’y ont pas “naturellement” accès et d’ancrer la radio dans les pratiquesculturelles et sociales de ses auditeurs. Les participantes ont produit dans ce cadreplusieurs expositions : création de “Bogolans” sous la conduite de Kandiura Coulibaly,création de photographies avec Eric Dexheimer, contes radiophoniques avec Omar Tariet Dragoss Ouedraogo, contes égyptiens avec Catherine Zarcatte.

Une radio largement écoutée sur le territoire

79,7% des habitants de l'Avesnois connaissent Canal Sambre-Avesnois,soit 128 000 personnes sur 160 600 habitants.

Un habitant sur trois écoute Canal Sambre au moins une fois par semainesoit 50 800 habitants.

6,3% des habitants de la zone d'écoute de notre radio ont au moins un contact par jouravec la radio.

Canal Sambre-Avesnois est régulièrement écoutée dans le bassin de la Sambre, dansl'Avesnois, la Thiérache, mais aussi dans le département de l'Aisne et dans le sud de la Belgique.

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Contact : Canal Sambre-Avesnois. Direction : Francine Auger Rey.10, rue Sadi Carnot, BP 41, 59620, Aulnoye-Aymeries.Tél : 03 27 67 21 11 - Fax : 03 27 69 83 65. [email protected]. http://www.canal-sambre-avesnois.com

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Partager les mémoires de la ville.

Diffusion, pédagogie, débat public.

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Quand on travaille sur la mémoire d’unquartier, on recherche souvent le lien avecune mémoire plus vaste, un passé pluslointain, une relation à l’Histoire. On vadu qua r t ier à la ville, du récit de s“anciens” à l’histoire sociale et indus-trielle de la région. Parfois, ce sont lesmouvements et les déplacements qui sontobjet d’attention : l’arrivée dans le quar-tier, l’histoire des migrants... Ce lien entrele particulier et le général, la mémoire etl’Histoire, les lieux et les gens, permet àchacun d’envisager de manière nouvelle saplace et celle des autres, son origine etses attache me nt s. Certains se sent e ntconsolidés à l’idée que ce qui les consti-tue, leur histoire personnelle, celle deleurs parents ou de leur environnement,p a r t icipe d’une ex p é r ie nce collectivedigne d’être racontée ou exposée, donnantépaisseur et légitimité à leur présencedans l’espace urbain, en des lieux et destemps incertains pour eux. D’autres aucontraire éprouvent la singularité de leurparcours et font de cette singularité unedistinction, quelque chose leur permet-tant d’échapper aux assignations identi-taires et aux stéréotypes sociaux. C’est entout cas comme cela que les choses sontsupposées se passer : les fils des généalo-gies s’entrecroisent ou se rapprochent,s’éloignent parfois, et surtout se donnentà voir. Il y a dans l’exposition publique deces récits individuels ou collectifs matièreà faire lien.

Deuil invisible, soif de réparationOr, il existe dans la mémoire d’un quartier

AnalyseD ra m e s, échauffo u r é e s, émeutes… : il existe dans la mémoire des quartiers desévénements qui demeurent de l’ord re de l’indicible, alors qu’ils structurent lerapport au lieu d’une partie des habita n t s, en particulier des plus jeunes. Sourc ed ’ o p p ro b re, de défiance, mais aussi de solidarités, d’héroïsation tempora i re desp ro ta g o n i s t e s, cette mémoire-là peut-elle accéder à une forme d’ex p re s s i o npublique qui confére rait un sens général, histo r i q u e, à ce qui n’apparaît pascomme tel ?

François MénardChargé de mission, Délégation interministérielle à la ville

L’autre mémoire des quartiers.

des événements qui échappent à l’exposi-tion publique, s’y refusent ou résistent àl’exhumation. Ils échappent au travail ins-t i t u t io n nel de mémo i re d’abord parc equ’ils s’inscrivent dans une temporalitéplus courte et ne peuvent être mobilisésdans un dialogue avec l’Histoire. Ils yéchappent aussi parce qu’ils sont de l’or-dre de l’indicible, parce qu’ils sont faitsd’émotion partagée, et que ne peuventparticiper à ce partage que ceux qui ontvécu les évène me nts en questio n .Pourtant leur trace dans les mémoiresconstitue un lien extrêmement fort et créeune ligne de démarcation entre ceux quipeuvent s’y référer et ceux qui ne peuventy prétendre. Ces événements peuvent êtrede nature très différente. Il peut s’agird’un drame, de la mort accidentelle d’unenfant ou d’un adolescent, d’une mortvécue comme injuste en raison de ses cir-constances ou tout simplement inaccepta-ble, comme l’est toute mort pour peuqu’elle concerne un proche et survienneau seuil même de la vie. L’émotion peutêtre rentrée, intériorisée. Tout le quartierporte alors un deuil invisible, comme uneblessure secrète qui avec le temps devien-dra stigmate et qui établira un lien ténuet silencieux entre ceux qui l’ont vécu.L’émotion peut se faire colère, et s’il appa-raît que cette mort est imputable mêmeindirectement, même de manière fantas-mée, à l’intervention des forces de l’ordreou d’une quelconque puissance détentriced’autorité, alors le quartier s’embrase.Mais cet embrasement ne concerne pastout le monde. Ce sont les jeunes, princi-

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palement les garçons mais pas seulementeux, qui se rassemblent et vont trouverdans la confrontation collective avec lesforces de l’ordre, dans des mises à feu des-tinées à les faire venir ou à “marquer lecoup”, un moyen d’étancher une soif deréparation qui vaut à la fois pour une mortdont il n’a pas encore été fait le deuil etpour toutes les humiliations subies.

Mémoire générationnelleCes échauffourées, qualifiées un peu rapi-dement d’émeutes, si elles jettent l’oppro-bre sur les jeunes du quartier ou sur lequartier en général, fournissent aussi leurlot d’émotions, provoquent des solidaritéstactiles, fortes et fugaces, une héroïsationtemporaire des protagonistes par leurspairs, qui hantent longtemps la mémoiredu quartier. Mais, là-aussi, cette mémoirepartagée ne l’est pas par tous. Elle estgénérationnelle, les parents et les trèsjeunes en sont exclus. Cette mémoire n’estpas exprimable publiquement avant delongues années car elle expose ses dépo-sitaires au risque d’être identifiés commedélinquants et à être, si ce n’est poursui-vis pénalement, renvoyés à l’indignité deleur comportement et à l’incivilité de leurconduite. Elle a son importance malgrétout parce qu'elle fait lien entre ceux quila partagent, parce qu'elle façonne des

re c o n na i s s a nc e s, des défia nces et de spoints de vue relativement forts... etenfin parce qu'elle touche des populationsjeunes à qui l’on dénie généralement cettedisposition au souvenir et dont on ignore“l’épaisseur” d’une expérience sociale, futelle négative. Le paradoxe est que le typed’évènement qui en est à l’origine (inci-dents, émeutes...) est généralement trèsrapidement introduit dans l’historiogra-phie officielle de la politique de la ville. Ill’est comme un marqueur témoignant del’aggravation de son contexte et commesigne annonciateur d’un train de mesuresnouvelles, alors que, dans le même temps,les formes d’expression plus politiques quiont pu accompagner ces événements ouleur succéder, et qui ont contribué à endéplacer le sens, en sont généralementexclues ou ont été oubliées...

Alors que fa i re de tout cela ? Il n’est passûr que les ent re p re neurs de mémo i re do i-v e nt travailler cette ma t i è re. Il n’est passûr en tout cas qu’ils le puissent. Si m p l e-me nt do i v e nt-ils y prêter attent ion, l’avoirda ns leur champ de vision comme la partd ’ o m b re ou de soufre de la mémo i re enc o revive de qua r t iers habités. Et qui sait s’il nese tro u v e ra quelque passeur qui saura tro u-ver les mots pour re ndre compte de l’ind i-cible ou pour témo ig ner de l’ina v o ua b l e.

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Bien souvent, la peur de l’Autre est exacerbée par l’ignorance de ce que viventréellement les individus que nous côtoyons. Le cas des relations entre Israël et laPalestine est exemplaire des idées fausses que l’on est ainsi conduit à projeter surses voisins. Á cette incompréhension mutuelle, on peut opposer la circulation deshistoires comme clef de l’identification à l’Autre, et donc prélude au dialogue.

Nancy Huston - EcrivaineExtraits de l’article Israël, Palestine à mots ouverts, paru dans le journal Libération du 21 mars 2005.

Faire circuler les histoires.

(…) Ce que j’ai compris pour la premièrefois grâce à ce voyage en Israël c’est que,là-bas, l’intime prime sur le politique.Personne n’a une vision d’ensemble et onne peut pas exiger d’eux qu’ils en aientune. La vie individuelle est trop impor-tante, elle occupe trop de place : ce qu’ona fait aux parents des immigrés juifs(omniprésence du souvenir de la Shoah) ;ce qu’on a fait aux parents des réfugiésarabes (1948, 1967 : c’était hier). Noussommes tous et pour ainsi dire naturelle-ment obnubilés par notre propre vie, notrepropre point de vue (…).

L’ e r reur cons t a nte que fo nt les ge nsconsiste à projeter sur les individus leschoix, attitudes, décisions et préférencesde leurs go u v e r ne me nts ou églises.Aucune analyse politique, aussi « juste »soit-elle, ne peut rendre compte du mil-lième de ce que vivent les individus. Celaest vrai partout. Mais en Israël, ce déca-lage devient proprement tragique.

Où se fait la jonction entre le privé et lepolitique, entre l’histoire individuelle et lagrande Histoire ? Je connais une réponseau moins : dans la littérature. Si les gou-vernements étrangers veulent vraiment

faire évoluer dans un sens positif la situa-tion au Moyen-Orient, ils peuvent faireplus et mieux que d’entrer dans les jeuxdiplomatiques, tenir de grands discours,vendre des armes… Ils peuvent œuvrerpour la circulation des histoires entre lesdeux peuples. En ce moment, cette circu-lation manque cruellement. Il faut accor-der des subventions pour que soient tra-duits en arabe non seulement les grandsromans israéliens, mais aussi toute lag ra nde littéra t u re du mo nde. (…) Etinversement : il faut insister pour que lese n fa nts isra é l ie ns puissent découvrir,outre la Bible et les écrivains juifs, lesfleurons de la civilisation arabe… et d’au-tres civilisations. Si les mots circulent, siles histoires circulent, si les gens appren-nent à s’identifier aux personnages les unsdes autres, c’est un premier pas versl’identification aux personnes.

Or l’identification, c’est tout le contrairede l’identité. Au lieu du nous fier et quiroule les mécaniques et se tape sur la poi-trine, c’est un nous en interaction, unnous en écoute, un nous en dialogue. Ledialogue silencieux de la lecture pourraitbien être le prélude à des millions de dia-logues à voix haute.

Analyse

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Comment est née l’idée de cette enquête ?

J’en avais envie depuis mon dernier film,f e m mes d’Islam. J’avais re nc o ntré de s“mamas” maghrébines. Je les interrogeaissur le fait d’être musulmanes, et toutesme parlaient de leur arrivé en France. Celam’a rapprochée de mon histoire. Ma mèreest arrivée dans les mêmes conditionsmais ne m’en a jamais parlé. On sentaitque c’était une souffrance. La Francen’était pas notre pays, mais “chut !”. Jeme suis dit que nos parents allaient mou-rir un jour en nous laissant sans mémoire.La douleur, les silences, c’est tout ce qu’ilsnous ont transmis.

(…) Plus je re nc o nt rais de ge ns, plus je mere ndais compte qu’on avait la même his-t o i re : ce silenc e, cette hu m i l ia t ion par laF ra nc e. Un des personna ges m’a avoué qu’iln’a jamais parlé à ses enfa nts pour qu’ilsn ’ a ie nt pas de haine. Sans doute aussi no sp a re nts ont-ils trouvé une place ic i .

(…) Comment êtes-vous arrivée à cette construction - images d’archives, témoignages, musique -qui donne autant d’informations et d’émotion ?

J’avais dès le début cette constructiondans ma tête. Avoir la parole des politi-ques comme une espèce de fil conducteur.Le point de vue du patronat, qui devient

Interview“Mais qui va nous écouter, ma fille ?”Enquête cinématographique sur les mémoires d’immigrés en Fra n c e.

Pour réaliser sa trilogie documentaire Mémoires d’immigrés, diffusée à la télévi-sion en 1997, Yamina Benguigui a passé deux ans à rassembler des témoignagesde pères, de mères et d’enfants de l’immigration, mais aussi d’acteurs des politi-ques migratoires en France. Six mois de montage ont ensuite permis d’aboutir àune œuvre combinant images d’archives et interviews. Les films ont circulé danstout le pays avant d’être édité en DVD en 2004, accédant ainsi à une très largereconnaissance publique.

Yamina Benguigui - CinéasteExtraits d’un entretien paru dans Le Monde, 25-26 mai 1997. Propos recueillis par Catherine Humblot.

une politique d’immigration puis une poli-tique d’intégration. Il a fallu deux ans depréparation, six mois de montage (j’avaissix cents heures de rushes !). Le film acoûté cher. Je voulais qu’il parle auxMaghrébins et aux Français de souche.Qu’ensemble on ouvre le débat sur lesconditions de vie de nos parents et le faitqu’ils ne nous aient pas enracinés. Or nousdevons prendre conscience que nous som-mes des citoyens français, que voter estimportant, mais, pour ça, il nous fautconnaître notre histoire.

Vous étiez-vous fixé des règles pour les interviews ?

Quadriller la France. On a pris contactavec des associations, des assistantessociales, des responsables de foyer. C’estainsi que j’ai pu entrer dans des familles,qui m’en indiquaient d’autres…

Vous avez eu des refus ?

(…) Des mères m’ont dit : “Mais qui vanous écouter, ma fille ?” Il y a toujours lapeur d’être expulsé, d’être vu au pays, oula crainte d’être manipulé : “Il paraît quevous avez des machines, que vous pouvezrajouter des barbes.” Je voulais travailleren confiance : ils pourraient voir les rus-hes, refuser s’ils n’étaient plus d’accord.On mangeait, ils racontaient leur arrivée.Je crois que nos pères ont été touchésdans leur dignité. Avec les jeunes, seul

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Toumi Djaïdja, le leader de la marche desbeurs, a refusé. Mais les autres ont su par-ler de la violence, “des silences du père sibruyants”…

Ne pensez-vous pas que cette humiliation et ces silences expliquenten partie la violence des banlieues ?

C’est pour moi le nœud du problème.Comment a-t-on pu placer des ancienssergents-chefs venus d’Algérie dans lescités de transit ? Des gens qui sont dansla douleur, qui ont tout perdu, on leurdonne de l’Arabe à mater, c’est inimagina-ble ! C’est pourquoi je parle de dignité. Ilfaut se réapproprier cette mémoire, com-bler le trou. La société française doit com-prendre qu’on est issu de cette histoirequi est un moment de son histoire écono-mique.

Pourquoi ne pas avoir parlé de la montée de l’intégrisme ?

Je l’ai fait avec Femmes d’Islam. Il s’agitd’une minorité, lettrée, qui est arrivée il ya une dizaine d’années. Ce n’est pas l’his-toire de nos parents. Qu’il y ait dans lesbanlieues ce côté attractif de la religion -parce qu’il n’y a pas d’autre espace pourdes jeunes - c’est une autre histoire, qu’onne peut aborder anecdotiquement. J’aimontré 90 % de l’immigration maghrébineen France, celle qui pratique un Islam tra-d i t io n nel, avec l’A ï d, le mouton, quiespère faire le voyage à la Mecque (…).Moi-même, adolescente, j’ai fait le rama-dan sans que personne le sache au lycée.Je jouais au basket, à tomber dans lespommes. Mais je ne disais rien, on allaitnous prendre pour des sauvages. C’est ce

que les jeunes ne veulent plusaujourd’hui. Mais ils ne sont pas dans laréflexion, c’est le cœur qui bat, ça peutfaire un infarctus. L’explosion ou la fureur.Je me suis sentie comme une grande-sœuravec ce film, avec un relais à passer. Il ya dix ans, j’étais encore dans du ressenti-ment. Aujourd’hui, je sens que la sociétéest prête à écouter, et moi à donner. On amontré le documentaire (…) à Saint-Etienne. C’était bourré. Les mamas magh-rébines ont raconté leur histoire, unePortugaise a parlé une demi-heure en por-tugais, les Français disaient qu’ils nesavaient pas qu’on était là depuis si long-temps… Les jeunes sont venus en massele soir, quelque chose les a beaucoupinterpellés : la question de l’enterrement.Pendant combien de temps encore va-t-onrenvoyer les corps là-bas ?

Vous avez conclu votre film sur le choix de se faire enterrer en France comme un début de vie,c’est surprenant…

Se faire enterrer ici, c’est pour moi ledébut de l’intégration. S’enraciner juste-ment. A partir du moment où on prend ladécision d’enterrer ses parents sur ce boutde terre, c’est qu’on va se battre pourcette terre. Le cimetière est une questionsymbolique. Le début de quelque chose denouveau.

Lire aussi : Mémoires d’immigrés, l’héritage maghré-bin, Yamina Benguigui, Canal Plus Editions.

A voir en DVD : Mémoires d’immigrés.Trois films de Yamina Benguigui. Les pères.Les mères. Les enfants, mk2doc, 2004.

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Repérer, à l’échelle d’une région, les travaux menés autour de la mémoire et del’histoire de l’immigration ; valoriser ces travaux auprès d’un large public ; etfaire de cette démarche de reconnaissance un levier pour les politiques urbai-nes, culturelles et sociales à venir : telles sont les ambitions de Traces enRhône-Alpes, initiative associative dont la troisième édition, en 2005 a béné-ficié du soutien de très nombreux partenaires et de la collaboration de la Citénationale de l’histoire de l’immigration.

Mustapha Harzoune - Journaliste

Après les éditio ns de 2000 et 2003, Tr a c e s, forum régional des mémoires d’immigrés, apris en 2005 sa réelle dime ns ion : près de 150 partena i res (associa t io ns, collectivités,s e r v ices de l’Etat, mu s é e s, établisseme nts scolaires…) ont été mo b i l i s é s, et plus de 80i n i t iatives culturelles et artistiques ont été présentées sur l’ensemble de la régio nR h ô ne - A l p e s. A r a l i s, associa t ion qui gère depuis 55 ans des foyers de tra v a i l l e u r sm ig ra nts tout en tra v a i l l a nt à la pro mo t ion sociale de ses locataire s, avait lancé l’initia-tive il y a cinq ans afin d’interpeller les ins t i t u t io ns et les citoyens sur la situa t ion de sv ieux travailleurs immigrés présents da ns ses mu r s. Il s’agissait, par le biais de l’actio nc u l t u re l l e, de re ndre compte de l’histoire de cette population silenc ie u s e, “tra ns p a-re nte”, que la société a tenda nce à oublier ; de valoriser sa cont r i b u t ion au patrimo i nec o m mun régio nal ; de tra ns me t t re cet héritage aux jeunes généra t io ns et de créer ledébat da ns l’espace public autour des politiques publiques liées à l’immig ra t io n .

L’entreprise est devenue au fil des ans une manifestation d’envergure, qui parvient àmettre en réseau et en synergie de multiples structures, personnalités et créationsautour d’un objectif commun : “mettre en lumière un mode de construction de l’his-toire locale et de l’identité régionale qui n’occulte pas les contributions des travailleursou combattants immigrés”.

Parcours déambulatoires, expositions, lectures…

Cambodgiens d’Annonay, Arméniens de Valence ou de Décines, Algériens de l’Isère, sai-sonniers marocains de la Drôme, Italiens de Grenoble, Espagnols de Saint-Chamond,Sud-Américains du Rhône ou Turcs d’Aubenas..., des immigrations diverses ont modeléla France d’aujourd’hui, sans parfois que les Français eux-mêmes ne le sachent, ne lesoupçonnent ou ne le reconnaissent. Toutes y ont laissé des traces, que l’édition 2005du forum a mises en lumière à travers des parcours déambulatoires dans des quartiers(à Valence, Saint-Etienne…) ; des expositions dans des lieux symboliques, comme desbistrots ou le bâtiment Rhin et Danube à Lyon, foyer appelé à disparaître, où des ins-tallations faisant appel aux cinq sens ont évoqué quarante années d’histoire et de pré-sence immigrées ; des lectures de textes de Leïla Sebbar ; la mise en valeur de traceslaborieuses aussi, sur les sites industriels de Saint-Chamond ou la forêt de Coulmesdans le Vercors, qui résonnent encore du travail des bûcherons et autres charbonniersbergamasques.

Traces en Rhône-Alpes. Forum régional des mémoires d’immigrés.

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Ces traces, ce sont aussi des fragrances de plats exotiques, des mots et des langages,une langue parfois réinventée, des formes plus libres et des couleurs plus chatoyan-tes, un rapport au temps, à l’espace et aux autres, venus comme en contrebande, sanspapier ni autorisation administrative. Elles se sont fait une place, en douce et en dou-ceur, dans l’ensemble des départements qui composent cette région et au-delà, dansune France devenue riche de sa diversité, mais qui l’ignore encore.

Rencontres-débats et journées de réflexion

S o u rces d’évocation mémo r ie l l e, souvent chargée en émo t io ns, les traces laisséespar les mig ra t io ns des ho m mes sont parfois à l’orig i ne de différe nds voir dec o n f l i t s. Mémo i res algérie n ne s, mémo i res harkies ou enc o re mémo i res pie d - no i re s( l ’ ex p o s i t ion “Ve rc o r s - A l g é r ie, un si long voyage” mo nt re le parcours de fa m i l l e sf rançaises parties au XIXe siècle du Ve rcors pour s’installer en Algérie) ne portentpas le même re g a rd sur un passé commun, do u l o u reux pour tous et qui a laissé che zchacun son lot d’injustices et parfois d’ame r t u me. L’ o p p o s i t ion est enc o re plus vivee nt re les mémo i res turques et arménie n ne s. Et, toujours en ma t i è re de conflitsm é mo r ie l s, une des clefs de l’avenir ne se trouve-t-elle pas aussi da ns l’ins c r i p t io ndes mémo i res coloniales et immigrées da ns la mémo i re na t io nale ? Il paraît urge ntd ’ i nt e r ro ger ces traces sous l’angle de la conna i s s a nce historique et de la pro s p e c-t i v e. Urge nt surtout de diffuser les travaux des historie ns et autres che rc heurs ens c ie nces socia l e s. Examinés sous l’angle de la réflex ion critique et du savoir histo-r i q u e, ces traces d’un passé aux mille et une fa c e t t e s, pourra ie nt alors réconc i l ie rl ’ ide ntité na t io nale avec sa part venue d’ailleurs, et anc rer da ns les esprits la cer-t i t ude d’une commu nauté de destin, seule gara nt ie à la “c o ns t r uc t ion du pactes o c ial d’aujourd ’ hui et de de ma i n ”.

Deux journées na t io nales d’études ont permis d’avancer sur ces thématiques da ns lec a dre du forum 2005. La pre m i è re, organisée en collabora t ion avec l’associa t io nG é n é r i q u e s, portait sur les cond i t io ns d’utilisation des arc h i v e s, récits de vie, basesde données et sources locales da ns le cadre des travaux sur la mémo i re de l’immig ra-t ion. La seconde a permis de débattre de l’enjeu social et historique de la valorisa-t ion culturelle des mémo i res d’immig ra t ion. Organisée en partena r iat avec la Citéna t io nale de l’histoire de l’immig ra t ion, elle s’est penchée sur la façon do nt sec o ns t r u i s e nt les mémo i re s, mais aussi sur les cond i t io ns de leur re c o n na i s s a nce da nsl’espace public.

D’autres journées de réflexions, conférences, rencontres et débats ont permis de mieuxconnaître et reconnaître les contributions de l’immigration algérienne au développe-ment de l’Isère ; la participation immigrée à la résistance contre le nazisme et la partprise par les tirailleurs sénégalais à la libération du pays ; la lointaine et constantetradition qui fait de la terre de France une terre d’immigrations et de brassages (pré-sentation à Bourg-en-Bresse de parcours individuels à travers des archives départe-mentales remontant parfois au Moyen Âge)… En écho à l’actualité éditoriale etmédiatique importante sur le passé colonial de la France, Nicolas Bancel, co-auteuravec Pascal Blanchard de La Fracture coloniale a animé à Grenoble une journée sur lethème Immigrations et mémoire coloniale.

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Vers un nouvel imaginaire

La particularité de “Traces” est de transformer les mémoires immigrées en objets decréations artistiques et en projets culturels portés par des professionnels qui ont sou-vent su impliquer les habitants des quartiers eux-mêmes : ceux de Chambéry le Hautavec le spectacle Mémoires d’immigrés, l’héritage poétique ; les résidents de foyers(comme la Béraudière à Saint-Etienne ou le bâtiment Rhin et Danube à Lyon) ; ouencore les femmes, avec les spectacles Clair de terre proposé par la troupeConciliabules et Cris d’exilées de l’Asti Valence.

Tous les champs de la création artistique et culturelle sont représentés : théâtre,danse, musique, cinéma, ateliers d’écriture, littérature, immersion dans les lieux devie, etc. Ces traces ne sont pas un objet d’études enfermé dans un bocal transparentet accessible à quelques spécialistes seulement. Elles ne sont même pas (ou nedevraient pas) être agitées comme une bannière servant de ralliement, par souci dereconnaissance ou de distinction. Non, bien vivantes, ces traces, en se jouant parfoisd’elles-mêmes, portent un nouvel imaginaire qui bouscule des frontières héritées desiècles révolus et réinventent du neuf dans l’histoire de l’humanité. En Rhône-Alpes,à n’en pas douter. En France sûrement. Ailleurs aussi, comme l’ont montré une expo-sition et un spectacle en provenance de Birmingham. L’exposition Self à Lyon explo-rait de son côté la différence et les identités culturelles nouvelles au travers desbijoux, de la photographie et des objets du quotidien, tandis que le spectacle 1st ofMay Band donné, par le Banner’s Theatre à Lyon visitait les questions de l'exil et dela migration dans une économie mondialisée, à partir de témoignages africains, amé-ricains, asiatiques et européens, sur des créations musicales anglaises aux influencesfolk, rock, blues, flamenco, jazz, reggae, rap, klezmer... La globalisation, les déplace-ments des populations et les brassages culturels ont été évoqués au travers de métis-sages musicaux, avec le groupe Nomades & Skaetera (à Saint-Chamond), ou chorégra-phiques, avec le ballet Voyage au bout de ses rêves (à Andrézieux-Bouthéon).

Quand l’avenir se dessine dans les traces laissées par les immigrés

Depuis plus d’un siècle, la France s’est nourrie d’immigrations successives qui ontcontribué à modifier et à façonner les territoires régionaux. En revisitant des lieux,en allant à la rencontre des histoires individuelles et collectives de la migration, enen faisant des objets non seulement de connaissance et de réflexion mais aussi desobjets de création artistique et culturelle, “Traces” donne à comprendre en quoi lesdifférentes vagues d’immigrations participent à une redéfinition et à un enrichisse-ment du vivre ensemble républicain, à l’heure de la globalisation par le haut et de l’ir-ruption du mélange par le bas.

Il y a bien longtemps, des hommes et des femmes entamaient un long chemin versl’inconnu, sans autre but immédiat que de survivre. Cheminement sans volition, avecle fol espoir de revenir sur ses pas. D’effacer les traces du voyage. Beaucoup l’ont fait.D’autres sont restés. Ils ont poursuivi leur incertaine marche. Sans le savoir, sans levouloir, ils ont ouvert une route débouchant sur un large et neuf horizon. Un mondenouveau, porté par les plus belles et plus prometteuses traces laissées par ces hom-mes et ces femmes venues d’ailleurs : leurs enfants, devenus citoyens d’une France par

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trop frileuse et citoyens d’un monde en reconstruction. L’oublier serait une injusticeet une bêtise. Ce serait surtout condamner la France à entrer dans le XXIe siècle à recu-lons.

À lire : Répertoire régional de projets et d’acteurs. Traces en Rhône-Alpes, Aralis/Cité nationale de l’histoirede l’immigration, novembre 2005. Voir également les actes des deux journées nationales d’études du forum2006, dans la revue Ecarts d’Identité, juin 2006

Contact : Mustapha Najmi, Aralis,14, place Jules Ferry, 69006 Lyon. Tél. : 04 72 75 79 30, fax : O4 78 24 82 09. [email protected]. www.aralis.org

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“Jardins familiaux, jardins de mémoire : Valentigney, quartier des Buis” Photographie : Daniel Nowak, collectif (Ero)

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Travail de mémoire et requalification urbaine

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ANNEXESBIBLIOGRAPHIECONTACTS, RESSOURCES

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L e t t re de mission du Premier ministre adressée à Jacques Toubon, lui confiant laprésidence de la mission de préfiguration chargée d'imaginer les conditions deréalisation d'un futur "centre de re s s o u rces et de mémoire de l'immigra t i o n "

Pa r i s, le 10 mars 2003

Mo ns ieur le Ministre,

La na t ion française s'est pro g re s s i v e me nt construite sur le ra s s e m b l e me nt et le bra s-s a ge d'ind i v idus vena nt de tous ho r i z o ns réunis au sein d'une commu nauté de citoyens.

Le modèle républicain d'int é g ra t ion “à la française” est aujourd ' hui à la re c he rc he d'unnouveau souffle.

En effet, divers événe me nts survenus au cours de ces de r n i è res années attestent d'unec e r t a i ne tent a t ion commu na u t a r i s t e, fo ndée sur le repli ide nt i t a i re, à rebours de no t rec o nc e p t ion de la société civique et politique. D'autres comporteme nts illustre nt, eux,- des fo r mes d'int o l é ra nc e, des attitudes discrimina t o i res toutes aussi inc o m p a t i b l e savec no t re ambition démo c ra t i q u e.

Seul un projet d'enverg u re na t io na l e, soutenu par une volonté politique inscrite da nsla durée peut utileme nt contribuer à re s s o uder la cohésion na t io na l e. C'est là la pers-pective d'une politique publique d'int é g ra t ion telle que j'ent e nds la condu i re.

La re c o n na i s s a nce de l'apport des étra ngers à la cons t r uc t ion de la Fra nce doit y jouerun rôle important. Elle a revêtu jusqu'à ma i nt e na nt la dime ns ion héroïque et solen-nelle des ho m ma ges re ndus aux militaires qui ont combattu da ns les armées fra n ç a i-s e s. Les généra t io ns actuelles ex p r i me nt de nouvelles attent e s. Et l'ensemble de sF rançais ont besoin de conna î t re et de s'appro p r ier ce qui constitue l'essent iel du pro-jet républicain, à la lumière de ses succès comme de ses hésitatio ns.

Des historie ns émine nts et des associa t io ns tra v a i l l e nt depuis plus d'une dizaine d'an-nées sur le projet de création d'un "musée" de l'immig ra t ion. La plupart des pays d'im-m ig ra t ion disposent en effet de sites de cette na t u re. L'exemple le plus célèbre est celuidu Ellis Is l a nd immig ra t ion muséum de New York. On pourrait me nt io n ner de no m b re u-ses autres réalisatio ns ou projets analogues aux Pa y s - B a s, en Au s t ra l ie, en Is ra ë l …

Le go u v e r ne me nt précéde nt avait manifesté son intérêt pour cette réflex ion et com-ma ndé un rapport à M. Driss EL YAZAMI, vic e - p r é s ide nt de la Ligue des droits del ' ho m me et à M. Rémy SCHWARTZ, ma î t re des requêtes au Conseil d'Etat. Ce do c u me nt ,qui conc l uait à la nécessaire réalisation d'un projet de ce type, a été remis à mon pré-décesseur au mois de no v e m b re 2001. Sa principale conc l u s ion, que je partage,c o nsiste à relever qu'il ne serait pas souhaitable d'envisager la création d'un "mu s é e "au sens tra d i t io n nel du terme, mais plutôt celle d'un cent re de re s s o u rc e s.

Ce travail ex p l o ra t o i re évoque plusieurs orie nt a t io ns scie ntifiques et envisage diffé-re nts sites d'implant a t ion. Il mérite cependa nt d'être complété afin que des pro p o s i-t io ns opéra t io n nelles puissent m'être soumises.

C'est da ns cet esprit que je souhaite vous confier la préside nce de la mission de pré-

Annexe 1

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f ig u ra t ion que j'ai décidé de cons t i t u e r, chargée d'ima g i ner les cond i t io ns de réalisa-t ion d'un futur “c e nt re de re s s o u rces et de mémo i re de l'immig ra t io n ”. Celui de v ra pre n-dre en compte plusieurs préoccupatio ns :

– il de v ra porter sur une pério de historique s'étenda nt du milieu du 19e siècle à no sjours et conc e r ner les vagues successives d'immig ra t ion que no t re pays a connu ;

– il de v ra s'attacher à ex p l o rer les lie ns ent re l'immig ra t ion et diverses dime ns io ns deno t re histoire cont e m p o ra i ne (écono m i q u e, démo g ra p h i q u e, politique, socia l e... ) avecun souci péda gogique de compréhe ns ion de l'histoire ;

– il de v ra égaleme nt me t t re en valeur les cons id é rables archives et fo nds do c u me nt a i-res disponibles, en partic u l ier da ns le do ma i ne aud iovisuel. Ce cent re a en effet voca-t ion à être une tête de réseau pour les che rc heurs ;

– il de v ra enfin être un lieu vivant susceptible d'accueillir des ex p o s i t io ns tempora i-re s, voire des événe me nts artistiques.

Vo t re mission cons i s t e ra à me t t re en place un comité scie ntifique associa nt des per-s o n nalités issues du mo nde universitaire, spécialistes des questio ns d'immig ra t io n ,c h a rgées de définir plus préciséme nt le cont e nu du projet en se livra nt à l'ens e m b l edes cons u l t a t io ns nécessaire s, no t a m me nt celle du Haut Conseil à l'Int é g ra t io n .

Pa ra l l è l e me nt, vous cons t i t u e rez un comité technique réunissant des personna l i t é sq ualifiées (re p r é s e nt a nts des ministère s, des associa t io ns, d'ent re p r i s e s, journa l i s t e s. . .) au sein duquel je souhaiterais pouvoir désig ner un re p r é s e nt a nt. Ce comité aurav o c a t ion à re c he rc her une implant a t ion, en conc e r t a t ion avec les autorités compéten-tes de l'Etat et les élus des collectivités locales sollicitées ou celles qui fera ie nt conna î-t re leur intérêt. En outre, il étud ie ra les partena r iats techniques et fina nc iers à no u e r,puis établira un budget et un calendr ier prévisio n ne l .

L ' Age nce pour le Développeme nt des Relatio ns Int e rc u l t u relles (ADRI), GIP dépenda ntdu ministère des affa i res socia l e s, pourrait utileme nt vous apporter le soutien techni-que nécessaire pour me ner à bien cette missio n .

La vocation pre m i è re de ce futur cent re de re s s o u rces sera de fa i re évoluer les re g a rd set les me ntalités au sujet des phéno m è nes mig ra t o i re s, aussi bien du point de vue de sa r r i v a nts et de leur pro c he de s c e nda nce que de la société d'accueil. À travers la défi-n i t ion de ce projet, c'est “une certaine idée” de la Fra nce et de la République qui esten jeu. C'est no t a m me nt un sig ne important qui sera adressé à ces généra t io ns deF rançais issus de l'immig ra t ion, en partic u l ier les généra t io ns les plus récentes qui set ro u v e nt parfois en situa t ion de déshére nce ide nt i t a i re.

La création de cette mission de préfig u ra t ion sera re ndue publique à l'occasion ducomité int e r m i n i s t é r iel à l'int é g ra t ion que je réunirai d'ici la fin du mois de mars 2003.Je souhaite que vous puissiez me re me t t re vos conc l u s io ns lors du comité int e r m i n i s-t é r iel à l'int é g ra t ion qui se tie ndra en 2004.

Je vous prie de cro i re, Mo ns ieur le Ministre, à l'assura nce de mes sent i me nts les me i l-l e u r s.

Jean-Pierre RAFFA R I N

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Annexe 2

C o n t rat de dépôt

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Annexe 3

Collecte des arc h i ves de la Politique de la Ville

Les quartiers sud de la ville de Caye n n e, site-test

G u ide de l’enquêteurE x t r a i t s

David Redon - Doctorant en histoire contemporaine. Université Toulouse Le Mirail. FRAMESPA. UMR 5136

Mai 2005

Méthodologie de l'enquête orale : p r é p a ration et conception des entre t i e n s

1. Présentation de la campagne d'arc h i ves ora l e s

A - Problématique de la collecte

Cette opéra t ion a pour principale finalité de contribuer à recueillir la mémo i re de laPolitique de la Ville et à en écrire l’histoire selon un double objectif : pro duc t ion dec o n na i s s a nce pour le gra nd public et pro duc t ion de sens pour les habitant s. En auc u ncas il ne s’agit ici d’évaluer l’action de cette politique, ni au niveau na t io nal, ni auniveau de son applic a t ion par les collectivités locales.Il s’agit de de ma nder aux conc e p t e u r s, aux ma î t res d’œuvres et aux bénéfic ia i res de laPolitique de la Ville de témo ig ner de leur perc e p t ion des différe nts dispositifs, de lama n i è re do nt ils ont vécu la mise en œuvre au plan local de cette politique (ra re me ntre p ro duite da ns les archives écrites). II s'agit aussi de recueillir la mémo i re de ce quia fait sens et de ce qui a fait événe me nt pour eux, de re p é rer par des témo ig na ge sd i rects les int e ra c t io ns vécues ent re politique urbaine et politique socia l e, ent rea c t io ns ins t i t u t io n nelles et dy namiques associa t i v e s, ent re politique na t io nale et poli-tique locale6 4.

64 - D'après les préconisations DIV-DAF

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65 - Sens de la 1ère réunion de rencontre entre de futurs témoins potentiels et les enquêteurs qui s'est dérou-lée aux archives départementales. 66 - La note historique établie par Valérie Grégoire n'étant qu'un préalable àenrichir par la consultation des archives disponibles au centre de ressources et aux archives départementales.

Cette opéra t ion répond do nc stric t e me nt à des préoccupatio ns d'ordre patrimo n ial aura ng desquelles on peut citer :• le sauvetage d'un patrimo i ne oral fragile avant la disparition des témo i ns• la cons t i t u t ion d'un corpus cohére nt de sources sono res pouvant combler les ma n-ques des fo nds d’archives (Archives départeme nt a l e s, Ma i r ie de Cayenne, DDE,C o nt rat de ville, préfecture, ...)• l ’ o u v e r t u re et l’enric h i s s e me nt de la mémo i re historique de la Politique de la Villesur les aspects hu ma i ns, la mise en lumière de la dime ns ion empirique et sociale del ’ a c t ion publique• suivant les jalons posés par les nouvelles pro b l é matiques de l’historio g ra p h iec o nt e m p o ra i ne, l’ex p l o ra t ion des réseaux sociaux qui lie nt les différe nts acteurs del ’ h i s t o i re, l’analyse des mécanismes de décision, la part de l’initiative ind i v iduelle etdu jeu des acteurs sociaux da ns l’élabora t ion du processus historique. Enfin, suivantles pro b l é matiques militantes de l’« Oral history » ang l o - s a xo n ne définies par Pa u lT hompson da ns The voices of the past et l’ensemble de son œuvre, dépasser l’his-t o i re tra d i t io n nelle fo ndée sur les seules traces des “classes écrivantes” pour accéde rà l’histoire des classes populaires et des exclus de tous bord s.

B- Méthodologie généra l e

D a ns un pre m ier temps, le comité de pilotage a délimité avec précision les limites del ' e n q u ê t e. Il s’agit de saisir à tous ses niveaux (décision, action, réception) et da nstous ses do ma i nes (habitat, santé, urbanisme, emploi, délinqua nc e, ...) les différe nt saspects des actio ns déployées da ns le cadre de la Politique de la Ville.Le re c e ns e me nt des témo i ns s’est appuyé sur les archives de la Politique de la Villemais aussi sur le recours aux conna i s s a nces d'anc ie ns acteurs de la Politique de la Villequi nous a permis d’établir les lie ns nécessaires à l’enric h i s s e me nt de l'échant i l l o n .No t re métho de est celle de la « cons t r uc t ion pro g ressive de l’échantillon » à partir de ss o u rces arc h i v i s t i q u e s, des personnes citées par les personnes re s s o u rces et d’une logi-que de re c he rc he visant à cibler des gro u p e s, des corpus à celle “d’échantillon statis-t i q u e me nt re p r é s e nt a t i f ”. Il est à noter que l'échantillon pourra s'enrichir de person-nes citées lors des ent re t ie ns.Pa ra l l è l e me nt, nous invitons les enquêteurs à avoir recours à des tra d i t io ns plus eth-no g raphiques qu’historiques pour me ner leurs ent re t ie ns. Cela implique l’utilisation dem é t ho des d’investig a t ion qu’il leur fa udra adapter aux pro b l é matiques historiques,p a t r i mo n iales et sociologiques qui sous tende nt l'opéra t io n .A i nsi, l’observation directe des pratiques et des int e ra c t io ns en situa t ion, soit la fré-q u e nt a t ion, voire l'imme r s ion da ns les qua r t iers sud de Cayenne reste impérative avantde me ner les ent re t ie ns. Dans le même sens, les conversation info r melles avec de sh a b i t a nt s, d'anc ie ns acteurs de la Politique de la Ville6 5 et le recours à des info r ma t e u r sc e nt raux tie n ne nt une place cent rale da ns le déro u l e me nt de l’enquête. Ces métho de sde collecte d'info r ma t ion ex p é r i me ntées par l’école de Chic a go, la socio l o g ie int e ra c-t ionniste ou l’ethno m é t ho do l o g ie do i v e nt être associées aux métho des d’enquête his-torique (vérific a t ion des info r ma t io ns par la confro nt a t ion avec les arc h i v e s, le cro i s e-me nt de sources différe ntes sur les mêmes sujets, la confro nt a t ion des propos re c u e i l-lis da ns les différe nts ent re t ie ns..) Il est do nc bien évide nt que les enquêteurs do i v e ntavoir acquis une solide conna i s s a nce de l'histoire de la Politique de la Ville avant deme ner leur pre m ier ent re t ie n6 6.

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D a ns le cas du groupe des décide u r s, plus qu’un intérêt surd i me ns ionné porté à lav i s ion des “élites”, au delà de la nécessité de collecter la mémo i re de ceux qui ontp e nsé et réfléchi la Politique de la Ville, la finalité est aussi d'enquêter sur des témo i nsporteurs d’ex p é r ie nces différe ntes des rapports sociaux selon leur position struc t u re l l eet leur che m i ne me nt. Le concept d’habitus emprunté à Pie r re Bourd ieu met en évi-de nce le fait que des personnes placées da ns le même statut vont remplir leur rôle,exe rcer leur activité de façon très différe nte car elles n’ont pas la même struc t u re dep e r s o n nalité, le même capital d’ex p é r ie nce bio g ra p h i q u e. D’autre part, l’enquêteauprès des décideurs permet de pénétrer en profo ndeur les mécanismes décisio n ne l s,d’en soulig ner les enjeux et, par la confro nt a t ion avec les archives of f ic ie l l e s, lest é mo ig na ges des metteurs en oeuvre et des bénéfic ia i re s, de me s u rer la distance ent reles décisio ns et leurs applic a t io ns.

NB : Ce concept d'habitus doit être évide m me nt appliqué aux deux autres types det é mo i ns enquêtés.Pour conc l u re ce bref exposé métho do l o g i q u e, il faut garder en mémo i re qu’auc u nec a t é go r ie ne détie nt à elle seule la conna i s s a nce objective, et que la réalité histori-que naît du cro i s e me nt des multiples perc e p t io ns et des pratiques multiples d’unem ê me réalité. La variété des témo ig na ges possibles implique la validité de l’enquêteet des hypothèses de re c he rc he. Par l’observation de récurre nces on arrive une pre m i è refo r mu l a t ion de réponse qui doit être révisé par le principe métho dologique du casnégatif, la confro nt a t ion avec des cas différe nts pour s’assurer qu’ils ne re me t t e nt pasen question le modèle d’int e r p r é t a t ion et les hypothèses de re c he rc he.Tout en emprunt a nt aux travaux historiques récents portant sur la définition du sta-tut du témo ig na ge oral comme source historique à part ent i è re, cette métho do l o g ie senourrit aux sources des scie nces sociales (socio l o g ie, psycho l o g ie et ethno l o g ie) quif u re nt les pre m i è res à envisager l’oral comme une source privilégiée à la pro duc t io nd ’ o u v ra ges scie nt i f i q u e s.

C - Typologie des témoins

L ' a nalyse somma i re du fo nc t io n ne me nt de la Politique de la Ville a permis, suivant lesmo des d'analyse éprouvés de l'action publique en socio l o g ie des org a n i s a t io ns ou enp o l i t o l o g ie, de déterminer trois niveaux : le niveau décisio n nel, celui de l'action etcelui de la réception. Se dégage nt ainsi trois gra ndes catégo r ies de témo i ns quide v ro nt être int e r rogées :

a - Les décideurs et concepteurs “politiques” : élus, sous-préfets ville, directeurs régio-naux, arc h i t e c t e s, re s p o nsables de services sociaux…

b - Les “acteurs”, metteurs en œuvre : adjoints au ma i re, secrétaire général de ma i r ie,b a i l l e u r s, chefs de projet, age nts de développeme nt, re s p o nsables d'associa t io ns, cor-re s p o nda nts de ZEP, travailleurs sociaux, commissaire s, média t e u r s …

c - Les bénéfic ia i res : habitant s, militants associa t i f s, comme r ç a nt s, age nts des servi-ces socia u x …

La Politique de la Ville s’ins c r i v a nt da ns une dime ns ion collective impliqua nt de sacteurs variés, il s'agit d'abord d’élargir le panel des témo i ns. La collecte ne peut selimiter au simple recueil du témo ig na ge des fig u res de proue (politiques, ins t i t u t io n-

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ne l s, ...) mais elle doit s'appuyer sur une grille de témo i ns élarg ie plus re p r é s e nt a t i v edu cont exte général de la na i s s a nce de la Politique de la Ville à Cayenne : en inc l ua nttoutes les catégo r ies socio p rof e s s io n nelles ayant participé à sa mise en oeuvre, ené t e nda nt le champ de la collecte aux habitants des qua r t iers conc e r n é s, toute catégo-r ie sociale ou orig i nes confo ndues – la difficulté cons i s t a nt da ns le cont exte int e rc u l-t u rel de la Guyane à recueillir des témo ig na ges mu l t i l i ng u e s.Le cro i s e me nt des récits ind i v iduels ent re décide u r s, acteurs et bénéfic ia i res de laPolitique de la Ville perme t t ra, nous l'espéro ns, de préserver la mémo i re collective de sq ua r t iers de Cayenne sud, tout en perme t t a nt l'écriture d'une histoire plurielle de l'ac-t ion publique.

2. L'entretien : préparation et conception

A - L'entretien préalable

S u i v a nt un contact télépho n i q u e, mail ou courrie r, voire da ns l'idéal, un cont a c thu main, on propose d'abord un pre m ier re ndez-vous au témoin pour l'inviter à ce quel'on no m me l'ent re t ien préalable. Cette pre m i è re re nc o nt re a plusieurs finalités :

- gagner la confia nce du témo i n- nouer une re l a t ion personnelle d'abord non prof e s s io n nelle où chacun se présent ehors du cadre of f ic iel et parfois solennel de l'enre g i s t re me nt- expliquer au témoin la pro b l é matique et les finalités de la collecte et le convainc rede l’intérêt que revêt son témo ig na ge pour la cons t i t u t ion d’un fo nds d’archives o rales sur l’histoire de la Politique de la Ville et l'ouverture de pistes de re c he rc he en scie nces hu ma i nes da ns ce do ma i ne- récupérer toutes les info r ma t io ns bio g raphiques nécessaires à l'enric h i s s e me nt du questio n na i re- envisager les lieux de cons e r v a t ion de son témo ig na ge, les cond i t io ns de cons u l t a t ion et do nc définir ce qui va devenir à la fin de l'enre g i s t re me nt le cont rat de témo ig na ge ora l- définir le lieu de l'ent re t ien : préférer toujours le do m icile du témoin aux lie u xp u b l ics que pro p o s e nt spont a n é me nt les témo i ns se sent a nt pris da ns une optiquep rof e s s io n nelle et préféra nt sortir du cadre privé. D'une part parce que son int i m i t él i b è re la parole du témoin, d'autre part car le témoin peut à tout mo me nt recourir à des archives privées (pho t o s, tex t e s, ...) pour étayer son témo ig na ge ou raviver sa mémo i re.- ouverture linguistique ma x i male : avant de passer à l'ent re t ien pro p re me nt dit,vous devez inviter le témoin à s'ex p r i mer da ns la langue qui lui est la plus fa m i l i è re,celle par laquelle il sera assuré d'ex p r i mer au mieux ses impre s s io ns, de ra c o nter son histoire. - Collecte des archives privées : vous devez de ma nder au témoin d'ex hu mer et de préparer toutes ses archives privées pour servir de support mémo r iel le jour del ' e nt re t ien pro p re me nt dit. Vous devez aussi l'inviter à prêter ses archives privées -cette re ma rque s'applique avec fo rce aux me m b res des associa t io ns - au pro g ra m me“A rchives de la Politique de la Ville” en l'assura nt qu'elles lui sero nt re ndu e s, en lera s s u ra nt qua nt à leur de s t i na t ion et leur utilisation (qui ne sera qu'historique)

NB : il est en général viveme nt conseillé de proposer dès le départ au témoin une copie

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de son enre g i s t re me nt, en lui ind i q ua nt que l'action participe aussi d'une volonté depréserver la mémo i re à l'échelle privée.

Ce pre m ier contact permet de fixer les données historiques auxquelles le témoin va ser é f é re r, de me t t re en re l ief son parc o u r s, d’en préciser les dates et les durées… La pro-p o s i t ion du cont rat d’ent re t ien lorsqu’elle est acceptée par le témoin se tra ns fo r mealors en un pacte – on parle de “pacte testimo n ial” – qui fait filtre et orie nte l’ent re-t ie n .

B - L'entretien pro p rement dit

A partir de ces pre m i è res info r ma t io ns et, accessoire me nt, en de ma nda nt au témo i nun résumé de carrière ou un curriculum vitae, il s'agira d'établir un ordre du jour ada p t éà chaque témoin à partir du questio n na i re type (voir supra). La réda c t ion de l’ordre dujour est do nc le fruit de la conjonc t ion de deux points primo rd iaux. La bio g ra p h ie suc-c i ncte fo u r n ie par le témoin inscrite da ns les cont extes (historique, politique, socia l ,é c o no m i q u e, ...) de la Politique de la Ville et le questio n na i re type.

L’ e nt re t ien pro p re me nt dit a lieu soit au do m icile du témoin, soit da ns un lieu attachéà son anc ie n ne activité ou plus ra re me nt, da ns un lieu ne u t re. Le choix du lieu esti m p o r t a nt pour me t t re le témoin da ns les cond i t io ns adéquates à l’exposé de son dis-c o u r s.

L’ i ns t a u ra t ion d’une re l a t ion de confia nce avec le témoin de laquelle na î t ra un discourslibéré de toutes cont ra i ntes dépend aussi, outre ces données ma t é r ie l l e s, de do n n é e sp s y c ho l o g i q u e s.

La fo r mu l a t ion des questio ns posées aux témo i ns doit être adaptée à leur niveau del a ng u e. Il est do nc bien évide nt que les fo r mu l a t io ns employées da ns les grilles d'en-t re t ien de v ro nt être changées au cours des ent re t ie ns pour être int e l l igibles par cer-t a i ns témo i ns. Sans perdre le sens de la question, il vous est do nc de ma ndé de simpli-f ier l'éno nc é .

La fo r mu l a t ion précise des questio ns, ouvertes ou fermées, courtes ou fleuves indu i-s e nt pour l’enquêté une bonne conna i s s a nce ou non du sujet par l’enquêteur. Ainsi, lare l a t ion de confia nce peut dépendre aussi bien de la sincérité de l’enquêteur quia v o u e ra sa bonne conna i s s a nce du sujet ou inverseme nt la ma s q u e ra pour ne pas bri-der l’accouc he me nt de la vision du témoin par une cra i nte de la confro nter à celle du“ s a v a nt ”.

E nsuite l’ordre d’apparition des questio ns doit être réfléchi car il induit aussi chez let é moin une vision de la logique de l’enquête. On ne doit pas laisser penser au témo i nque son témo ig na ge s’inscrit da ns une catégo r ie précise et que sa portée historique ou« véridique » s’en trouve circ o ns c r i t e. Le témoin ne doit pas se sentir orie nté par cer-t a i nes questio ns. Il faut veiller scrupuleuseme nt à ne pas indu i re une réponse par laq u e s t ion posée car on fausse les perspectives

Il s’agit enfin en suivant une métho de vérifiée par les sociologues en quête de récitsde vie de me t t re en évide nce les mécanismes et les logiques qui ont sous tendu lesa c t io ns de no t re témoin : de s c r i p t io ns de cont ex t e, ex p l ic i t a t ion des logiques d’actio n ,

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d i s t i nc t ion des ra t io na l i s a t io ns a posteriori (lorsque le témoin fournit une répons e“a u t o matique” corre s p o nda nt à une no r me culturelle ou mo rale ou à une règle ex p l i-cite ayant valeur sociologique de cont ra i nte sur les conduites), cons t r uc t ion de l’his-t o i re à l’œuvre, mise en lumière des points carre fours da ns l’ex i s t e nc e, des mo me nt sde choix, des tra j e c t o i res alternatives que le sujet aurait pu suivre.

En conc l u s ion et pour en revenir aux questio ns de métho de exprimées plus haut, ils'agit d'opter ici pour la technique de l’ent re t ien semi-directif où le témoin répond àdes questio ns ouvertes.

C - Questionnaires et grilles d'entre t i e n s

La conna i s s a nce la plus exacte possible de l'histoire de la Politique de la Ville et de sd i f f é re nts cont extes politiques, sociaux, écono m i q u e s, culturels est impérative poursaisir les points d’orgue des témo ig na ge s, les tourna nt s, les rupture s, pour poser lesb o n nes questio ns, pour déceler les no n - d i t s, voire les re c o ns t r uc t io ns émotives de cer-t a i ns évène me nts fo r t e me nt déstabilisant s. Pour ce fa i re, la lecture de la note histori-que d'int ro duc t ion à l'histoire de la Politique de la Ville est inc o nt o u r na b l e, de mêmeque la lecture d'ouvra ges sur l'histoire cont e m p o ra i ne de la Guyane et de la Fra nc ehexa go na l e. Une fois ce travail prélimina i re achevé, il est possible d'utiliser les grillesd ' e nt re t ien ou questio n na i res type, qui perme t t e nt de poser le même type de questio nsà chacun des témo i ns (afin d'observer des récurre nces et de créer des série s, seules o u rces possibles à l'écriture d'une histoire), sans s'y enfermer et en sachant les ada p-ter à chacun des témo i ns.

R e ma rque :Si le témoin est une femme, il est bien évide nt que les questio ns consacrées à l'ex p é-r ie nce du service militaire n'ont pas lieu d'être. Les questio ns spécifiques à poser aut é moin tourne ro nt alors autour du statut de la femme au sein de l'univers prof e s s io n-nel :

En quoi votre cond i t ion féminine est elle un facteur à pre ndre en compte da ns vos re l a-t io ns prof e s s io n ne l l e s, da ns le fo nc t io n ne me nt et l'org a n i s a t ion de vos missio ns ?Vo t re statut de femme a-t-il été la porte d'entrée à certaines questio ns posées da ns lec a dre de la Politique de la Ville ? Est-il en fin de compte la source d'une sens i b i l i t éplus forte à certaines pro b l é matiques comme celle de l'égalité ho m me - f e m me sur lema rché du travail, l'accès à l'emploi ou l'égalité salariale ; les vio l e nces conjugales ; lap ro s t i t u t ion ; la cont ra c e p t io n . . .

( … )Ava n t - p ropos sur la méthodologie générale des arc h i ves orales de la Politique de la Ville :

Après avoir ide ntifié le cont exte de l'ent re t ien et les personnes int e r v iewées selon lesrègles en vigueur da ns le recueil des archives ora l e s, il s’agit de savoir sous quel ang l ea b o rder la Politique de la Ville avec chacun de ses int e r l o c u t e u r s.

Peut-on cons id é rer cette politique comme un objet d’étude en soi, eng l o b a nt des thé-matiques qui sont (ou de v ra ie nt être) en int e ra c t ion? C o n v ie nt-il plutôt de l'aborder à partir de thèmes spécifiques : habitat, peupleme nt ,

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mobilité, accessibilité et enc l a v e me nt, école, int é g ra t ion, services public s, sant é ,i ns e r t ion prof e s s io n nelle et emploi, prévent ion de la délinqua nce et vio l e nc e, partena-r iat, partic i p a t ion des habitants et dy namiques associatives par exemple ?

L’enquêteur doit garder en tête ces deux questio ns au cours des ent re t ie ns afin de préserver une appro c he la plus ouverte possible.

Plutôt que de s’orienter ve rs une seule thématique, même si il s’agit là dudomaine de prédilection ou d’action spécifique de son témoin, l’enquêteur envi-s a g e ra lors de chaque entretien l’ensemble des thématique suivantes :

- le cont exte politique et social de la mise en place des actio ns- la conna i s s a nce des dispositifs et les re p r é s e nt a t io ns que cette politique a suscitées chez les habitants (la perc e p t ion du change me nt, les confusio ns possibles avec d’autres actio ns engagées par la mu n icipalité, les services da ns l’Etatou les acteurs associatifs da ns d’autres cadre s )- les lieux concernés par les initia t i v e s- les acteurs inc o nt o u r nables do nt on se souvie nt da ns les qua r t ie r s- les événe me nts qui ont ma rqué la vie locale- les limites de l'action (les rétic e nces des élus ou des cadres ins t i t u t io n ne l s, le re t a rd des fina nc e me nts ; la faible partic i p a t ion des habitants ; le sent i me nt de récupéra t ion politic ie n ne perçu par les acteurs ; les publics visés ne sont pas fo rc é me nt ceux qui ont le plus bénéficié des actio ns etc. ) .

Les thématiques sero nt abordées en liaison avec l’histoire locale, ceci afin de fa i re re s-sortir des do m i na nt e s. Vo ici une liste possible des thématiques à pre ndre en comptelors de chaque ent re t ien :

- la réhabilitation de l’habitat- du désenc l a v e me nt du qua r t ier et de l'amélio ra t ion des tra ns p o r t s- de la dy na m i s a t ion du comme rce local- de l'ambia nce da ns le qua r t ier et des re l a t io ns de voisina ge - de l'amélio ra t ion ou de l’implant a t ion nouvelle des services public s, - de l'action éducative da ns les écoles et les collège s,- de l'action scolaire et périscolaire- de la santé et de l'action sanitaire en généra l- de l’ins e r t ion prof e s s io n nelle des jeune s- pour soutenir les associa t io ns (lesquelles en partic u l ier) - pour l’int é g ra t ion des mig ra nt s- da ns le do ma i ne de la prévent ion de la délinqua nc e, du sent i me nt d'ins é c u r i t é ,- du développeme nt économique du qua r t ie r,- de la partic i p a t ion des habitants et de la démo c ra t ie locale

D a ns un pre m ier temps l’int e r v ieweur accompagne ra le témoin da ns une réflex ion pouraboutir à la définition de la Politique de la Ville : ce che m i ne me nt perme t t ra au témo i nde mieux appréhe nder l’étendu des champs du sujet.

R e ma rque :A noter qu’il serait utile de prévoir un de u x i è me ent re t ien avec certains témo i ns aprèsun temps de réflex ion, pour affiner l’ana l y s e.

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GRILLE D’ENTRETIEN POUR LES DÉCIDEURS DE LA POLITIQUE DE LA VILLE

C o n c e p t e u rs “politiques” : élus, sous-préfets ville, dire c t e u rs régionaux, arc h i t e c-t e s, responsables de services sociaux…

B i o g ra p h i e- Na i s s a nc e, orig i nes fa m i l iales (histoire(s) de la famille), ex t ra c t ion socia l e, récits dej e u nesse da ns les qua r t ie r s, perc e p t ion des change me nts opérés…- Forma t ion (ne pas insister si le témoin n’en a pas suivi)- Expérie nce militaire (voire si en l’absence d’autres fo r ma t io ns, elle a pu se révélere n r ic h i s s a nte da ns la rig u e u r, la ge s t ion de pro j e t s, la ge s t ion hu ma i ne …)- Pa rcours prof e s s io n nel : de ma nder au témoin de résumer en quelques minutes l’en-semble de son parcours prof e s s io n nel de son pre m ier emploi ou activité jusqu’à la da t ede l’ent re t ie n

R e m a rque : Si le témoin est une femme, il est bien évide nt que les questio ns cons a-crées à l'ex p é r ie nce du service militaire n'ont pas lieu d'être. Les questio ns spécifiquesà poser au témoin tourne ro nt alors autour du statut de la femme au sein de l'universp rof e s s io n nel :En quoi votre cond i t ion féminine est elle un facteur à pre ndre en compte da ns vos re l a-t io ns prof e s s io n ne l l e s, da ns le fo nc t io n ne me nt et l'org a n i s a t ion de vos missio ns ?Vo t re statut de femme a-t-il été la porte d'entrée à certaines questio ns posées da ns lec a dre de la Politique de la Ville ? Est-il, en fin de compte, la source d'une sens i b i l i t éplus forte à certaines pro b l é matiques comme celle de l'égalité ho m me - f e m me sur lema rché du travail, l'accès à l'emploi ou l'égalité salariale ; les vio l e nces conjugales ; lap ro s t i t u t ion ; la cont ra c e p t io n . . .

La Politique de la Ville a t-elle pris en compte les pro b l é matiques touc h a nt à la cond i-t ion féminine da ns ses actio ns ? Quelles actio ns connaissez-vous qui ont été spécia-l e me nt orie ntées vers des questio ns touc h a nt au statut de la femme ?

Le champ d’intervention du décideur

E ntrée da ns le mo nde politique (ou au service de l’Etat) : vocation, re p ro duc t io ns o c ia l e, hasard... les ra i s o ns de l’investisseme nt da ns ce do ma i ne ? Quelles mo t i v a t io ns à travailler da ns la Politique de la Ville ?• État des lieux des politiques urbaine s, socia l e s, sanitaire s, ... de tous les axes quis e ro nt repris da ns le cadre de la Politique de la Ville (fin années 80)• État des lieux du champ d’actio ns spécifique du témoin (habitat, illettrisme, sant é ,i nt é g ra t ion des mig ra nts ... recourir à la liste thématique de l’avant - p ro p o s )• État des lieux du / des qua r t ier(s) (de la zone géographique ou sociale) englobée parl ’ a c t io n- Quels sont les pre m iers axes développés par la Mu n icipalité de Cayenne : habitat,i nsécurité, santé ...?- Quelles re p r é s e nt a t io ns au sein du Conseil mu n icipal de cette nouvelle action impul-sée par l'Etat ? Sceptic i s me / o p t i m i s me, cara c t è re opéra t io n nel ...- Quel degré de cons c ie nce de la gravité de certaines situa t io ns sociales ? Quelleu rge nce ?- Quelles re l a t io ns avec les chefs de pro j e t s, leur évolution jusqu’à aujourd ’ hui en fo nc-

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t ion des pério des et des personnes ? La suc c e s s ion des chefs de projet : question dela tra ns m i s s ion et de la cont i nuité du travail effectué- Quelles re l a t io ns avec les acteurs associatifs ? Doma i nes d’int e r v e nt ion et missio nsattribués aux associa t io ns, quel jeu de rôle avec les services mu n icipaux ?• Quelles re l a t io ns ent re les re p r é s e nt a nts de l'État et les Élus ? Comme nt se ma n i f e s t ela co-dépenda nce de la ville et de l'État ?- Quels re g a rds vers les actio ns de Politique de la Ville menées da ns d'autres villes deF ra nce hexa go nale ? Quels re g a rds portés par les re s p o nsables ministériels conc e r n é ssur les actio ns effectuées en Guyane ?- Quels sont les effets du cont exte sur son travail (enviro n ne me nt géogra p h i q u e, poli-t i q u e, social…) ?- Quelles re l a t io ns avec les habitant s, quelle perc e p t ion des habitants de la Po l i t i q u ede la Ville ?- Quelles actio ns menées en commun avec les autres associa t io ns ? Quelle ge s t io n ,quelles mo dalités opéra t io n ne l l e s, quelle efficacité ? La Politique de la Ville a-t-ellec o ntribué à fédérer les acteurs associa t i f s, à souder le lien social et nouer le tissu asso-c iatif ?

C a yenne et les quartiers Cayenne Sud

- Po u rq uoi cette zone urbaine ?

C o nt exte politique et social de la pério de où le témoin était décideur ? Effets de cec o nt exte sur les décisio ns politiques ? Privilégier certains secteurs plutôt que d'autre sen fo nc t ion de la de ma nde socia l e, de la pre s s ion de l'opinion, des directives métro-p o l i t a i ne s, d'une pro g ra m ma t ion pluria n nuelle déjà engagée et ne laissant que peu deplace aux change me nts de pro g ra m me.

- Quels pro c é du res et dispositifs “Politique de la Ville” mis en place da ns les qua r t ie r sde Cayenne Sud ? Comme nt perçoit-il ces différe nts dispositifs ?- Quelles actio ns me n é e s, da ns quel ordre, pour quelles ra i s o ns ?- La réhabilitation de l’habitat ins a l u b re- Désenc l a v e me nt physique et social - Santé et hy g i è ne publique- Struc t u res de conc e r t a t ion et de commu n ic a t ion mises en place pour la partic i p a t io ndes habitants : ma i s o ns de qua r t ie r s, ...- Infra s t r uc t u res : éclaira ge public, voiries ...- Loge me nt socia l- Infra s t r uc t u res socio - é duc a t i v e s, culturelles et sportives- Sécurité, sent i me nt d’ins é c u r i t é… NB : re p re ndre liste thématique de l’avant - p ro p o s

La vie du quartier : animation, lien social, changements. . .

- quels sont les événe me nts qui ont ma rqué la vie du qua r t ier ?- comme nt juge-t-il ce qui a été fait ?- comme nt les habitants perçoivent-ils ce qui a été fait ? - question de l’obtent ion de subvent io ns : définir des pério de s, des do ma i nes privilé-g i é s, des inflex io ns da ns la politique de subvent ion ...- les limites de l’action ent reprise sur ce site

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La Politique de la Ville : un premier diagnostic

- qu’est-ce qui fait son orig i nalité ? Au rait-on pu fo nc t io n ner sans ce dispositif ?- rapport ent re la Politique de la Ville et les politiques de droit commun : la Po l i t i q u ede la Ville vise-t-elle à combler les care nces des politiques de droit commun ou cons t i-tue-t-elle un champ d’ex p é r i me nt a t ion, re no u v e l a nt les mo des tra d i t io n nels d’actio npublique ?- la Politique de la Ville comme partena r iat Ville-Etat-Région : avez-vous conna i s s a nc ede conflits, de blocages avec vos partena i re s, lesquels aura ie nt pu ent raver votre int e r-v e nt ion ? Avez-vous re s s e nti l’influence de l’Etat (et de la région) sur les décisio ns pri-ses au niveau local ? - quel est le niveau d’int e r v e nt ion ido i ne à votre avis : la fa m i l l e, la commu nauté eth-n i q u e, le qua r t ie r, la commu ne ?- les mo y e ns engagés da ns la Politique de la Ville sont-ils suffisants (vision histori-q u e )- quel degré de satisfa c t io n / i ns a t i s fa c t ion ?- quelles sont, pour vous, les principales réalisatio ns de la Politique de la Ville da nsvos qua r t iers ? En quoi a-t-elle réussi ou abouti ?

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V i l l e s, patrimoines, mémoires. Action culturelle et patrimoine urbain en Rhône-Alpes, D R AC et FAS Rhône -A l p e s, Lyon, La Passe du vent, 2000.

Mémoires et identités de l’agglomération lyonnaise, Les Cahiers Milléna i re 3, n° 20, Gra nd Lyon, 2000, c o nsultable sur www. m i l l e na i re 3 . f r

M é m o i r e, récit de vie, autobiographie... Creuset de la reconnaissance, Ecarts d’ide ntité n° 92, 2000.

Les grands ensembles entre histoire et mémoire, Actes colloque, ENS-LSH (Lyon), Université Paris I,D é l é g a t ion int e r m i n i s t é r ielle à la ville Ministère de l’emploi et de la solidarité, 24 avril 2001.ht t p : / / i . v i l l e. go u v.fr/

Mémoires familiales et immigrations, Info r ma t io ns sociales n° 89, 2001.

Un présent qui passe. Valoriser le patrimoine du XXe s i è c l e. Renc o nt res au Couvent de la To u re t t e. 1997-2000, Réseau Arc h i t e c t u re Rhône - A l p e s, CERTU, 2001.

Vers la démocratie culturelle. Actes des ateliers de l’int é g ra t ion locale. Ecole no r male supérie u re, Lyon, 4-5o c t o b re 2001. ht t p : / / i . v i l l e. go u v.fr/

Le grand ensemble, histoire et devenir, Urbanisme n° 322, 2002.

Ce qui demeure, Les Annales de la Reche rc he Urbaine, n° 92, 2002.

Travailler à l’usine, Te r rain n° 39, 2002.

De Banlieue 89 à Jean-Louis Borloo, Urbanisme n° 332, 2003.

Mémoires plurielles, devoirs de mémoire. Ressources documentaires pour travailler autour de la mémoire del ’ i m m i g r a t i o n , Ky r nea int e r na t io nal. Coord i na t ion na t io nale d’ “Un été au ciné/cinéville”, 2003.ht t p : / / w w w. e t e c i ne. k y r nea.com

Vers un lieu de mémoire de l’immigration, Ho m mes et mig ra t io ns, n° 1247, 2004.

Mémoires partagées, mémoires vivantes, Pour n° 181, 2004.

Familles : lieux de mémoire et d’avenir. Actes du colloque de la Fnepe, L’Ecole des pare nt s, ho r s - s é r ie n° 1,mars 2004.

" Terrains cultivés" Programme intercommunal de valorisation des mémoires vivantes du Pays de Montbéliard,Collectif Te r ra i ns cultivés, juin 2005.

Villes et mémoires : les archives de la politique de la ville, journée d’étude du 17 juin 2004, Editio ns de laD I V, 2006. Dossier partic i p a nt sur ht t p : / / i . v i l l e. go u v. f r /

Mémoires urbaines et présent des villes, sémina i res organisés en 2003 et 2004 en lien avec le pro g ra m mei nt e r m i n i s t é r iel de re c he rc he Culture s, villes et dy namiques socia l e s, ARIESE, DRAC Rhône - A l p e s, IUPM é t iers des arts et de la culture, Université Lyon 2. Actes consultables sur ht t p : / / s o c io . u n i v - l y o n 2 . f r / a r t ic l e. p h p 3 ? id _ a r t ic l e = 7 7 5

Mémoires instituées et mémoires à l'oeuvre, Culture & Reche rc he, n° 101, 2004.

Les lieux et les gens dans le devenir des villes, Actes du sémina i re du pro g ra m me int e r m i n i s t é r iel Culture s,villes et dy namiques socia l e s, Ecomusée du Cre u s o t - Mo ntceau, 22/23 janvier 2004.ht t p : / / w w w. c u l t u re. go u v. f r / re c he rc he / c u l t u re s _ e n _ v i l l e /

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Travail de mémoire et requalification urbaine

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Répertoire régional de projets et d’acteurs, Traces 2005 en Rhône-Alpes, Forum régio nal des mémo i res d ’ i m m ig r é s, Cité na t io nale de l’histoire de l’immig ra t ion, no v e m b re 2005.

Des ensembles assez grands. Mémoire et projets en Essonne, Cahiers de la Maison de banlieue et de l ’ a rc h i t e c t u re, n° 11, 2005.

Les Carreaux. 1955-1963. Naissance d’un grand ensemble en banlieue parisienne, Les Editio ns de la missio nm é mo i res et ide ntités en Val de Fra nce n° 6, 2006.

De mémoire d'immigrés, Ecarts d’ide ntité n° 108, à para î t re, mai 2006.

Faire mémoire, Ecarts d’ide ntité n° 108, mai 2006.

Mémoire des villes et des habitants. Finalités, usages et conditions des démarches, Sarcelles : Pôle de re s s o u rces départeme ntal du Val d'Oise, juillet 2006.

Histoire des grands ensembles, mémoire des habitants. Actes de la journée d’info r ma t ion et de réflex ion, o rganisée par le Cent re de re s s o u rces politique de la ville en Essonne, 1e r d é c e m b re 2005. Paris : Cent re de re s s o u rces politique de la ville en Essonne, octobre 2006.

Villes nouvelles et grands ensembles, Histoire Urbaine, n° 17, décembre 2006.

R é f l exions méthodologiques

BASTIEN Hervé, Droits des archives, La Docume nt a t ion Fra n ç a i s e, 1996.

BARRIERE, Nathalie, FURIO Antoine, FURIO Mélanie, Comment lire le patrimoine industriel : paysages enS e i n e - S a i n t - D e n i s, CRDP de Créteil, Editio ns Sceren, 2003.

CALLU Ag n è s, LEMOINE Hervé, Le Patrimoine sonore et audiovisuel français, Belin, 2004.

COLIN Bruno, Action culturelle dans les quartiers. Enjeux, méthodes, Pa r i s, Ho r s - s é r ie Culture & Prox i m i t é ,é d i t io ns Opale, 1998.

COURTY Michel, Techniques sonores du témoignage et des archives : recueil du témoignage oral et conserva-tion des enregistrements anciens, Château de Vinc e n ne s, 2003.

DEMUR Cécile, LAGRANGE Martine, Mémoires audiovisuelles des villes nouvelles françaises, Pro g ra m me d ' H i s t o i re et d'Evalua t ion des Villes Nouvelles Fra n ç a i s e s, 2004.ht t p : / / w w w. u r b a n i s me. e q u i p e me nt . go u v. f r / C D U / t ex t e i nt e g ra l / ra p p o r t s v i l l e s no u v e l l e s. ht m

DESCAMPS Flore n c e, L'historien, l'archiviste et le magnétophone. De la constitution de la source orale à sonex p l o i t a t i o n, Paris : Ministère de l'écono m ie, des fina nces et de l'indu s t r ie, Comité pour l'histoire é c o nomique et fina nc i è re de la Fra nc e, 2001.

GUIBERT Joël, JUMEL Guy, Méthodologie des pratiques de terrain en sciences humaines, Pa r i s, Arma ndColin, 1997.

GUIBERT Joël, JUMEL Guy, La socio-histoire, Pa r i s, Arma nd Colin, 2002.

LE GOFF Armelle, Les archives des associations. Approche descriptive et conseils pratiques, laD o c u me nt a t ion fra n ç a i s e, Dire c t ion des archives de Fra nc e, 2001.

TOURNES Ludov i c ( d i re c t ion), L’enregistrement sonore, Ving t i è me siècle, n° 92, 2006.

Devoirs de mémoire. Dossier pédagogique. Autour de 3 films : D'ici et d'ailleurs (Bobigny) - D'une rive à l'au-tre (Calais) - Du Cambodge à Annonay (Annonay). Dossier pro duit par La ligue de l'ens e ig ne me nt, en col-l a b o ra t ion avec Kyrnéa int e r na t io nal : ht t p : / / w w w. e t e c i ne. k y r ne a . c o m

I ns t r uc t ion DA F / D PACI/RES/2006/11 : tra i t e me nt et cons e r v a t ion des archives de la politique de la ville, 18 septembre 2006.

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Délégation interministérielle à la ville (DIV)C e n t re de re s s o u rces 194, avenue du Préside nt Wilson, 93217 Saint-Denis La Plaine cedexT é l é p ho ne : 01 49 17 46 74T é l é c o p ie : 01 49 17 46 37ht t p : / / w w w. v i l l e. go u v.fr ht t p : / / i . v i l l e. go u v.fr (base de données do c u me nt a i res en lig ne )

+ 15 Centres de re s s o u rces régionaux pour la politique de la ville :

CR-DSU Rhône-Alpes4, rue de Narvik, BP 805469351 Lyon Cedex 08Téléphone : 04 78 77 01 43 Télécopie : 04 78 77 51 79c r d s u @ c r d s u . o r gw w w. c r d s u . o r g

P rofession banlieue, Seine-Saint-Denis15, rue Catulienne93200 Saint-DenisTéléphone : 01 48 09 26 36 Télécopie : 01 48 20 73 88 p r of e s s i o n . b a n l i e u e @ w a n a d o o . f rw w w. p r of e s s i o n b a n l i e u e. o r g

Pôle de re s s o u rces départemental villes et Développement social, Val d’Oise8, place de France 95200 SarcellesTéléphone : 01 34 04 12 12Télécopie : 01 34 04 12 13p o l e r e s s o u r c e s. 9 5 @ w a n a d o o . f rh t t p : / / w w w. p o l e r e s s o u r c e s 9 5 . o r g

O b s e r va to i re régional de l’intégration et de la ville, Alsace1, rue de la Course 67000 StrasbourgTéléphone : 03 88 14 35 89Télécopie : 03 88 21 98 31o r i [email protected] h t t p : / / w w w. o r i v - a l s a c e. o r g

Institut régional de la ville, Nord / Pa s - d e - C a l a i s23, avenue Roger Salengro - BP 31859336 Tourcoing cedexTéléphone : 03 20 25 10 29Télécopie : 03 20 25 46 95i r e v @ n o r d n e t . f rh t t p : / / w w w. i r e v. f r

Contacts, ressources

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C e n t re de re s s o u rces régional ville et hauts, La Réunion10, rue de Nice97400 Saint Denis - La RéunionTéléphone : 02 62 90 47 60Télécopie : 02 62 41 58 79c e n t r e r e s s o u r c e s - r e u n i o n @ w a n a d o o . f rw w w. r e u n i o n - a m e n a g e m e n t . o r g

Rés O Villes Centre de re s s o u rces politique de la ville, B re ta g n e / Pays de la Loire17, rue Romain Roland, 44100 NantesTéléphone : 02 40 58 02 03Télécopie : 02 40 58 03 32r e s o v i l l e s @ r e s o v i l l e s. c o mw w w. r e s o v i l l e s. c o m

R e s s o u rces & Te r r i to i res Centre de re s s o u rces Midi-Pyrénéen pour la politique de la VilleCNFPT – 9, rue Alex Coutet - BP 101231023 Toulouse cedexTéléphone : 05 62 11 38 34Télécopie : 05 62 11 38 54g i p - r t @ w a n a d o o . f rw w w. r e s s o u r c e s - t e r r i t o i r e s. c o m

EPI Centre de re s s o u rces intégration et politique de la ville (Picard i e )Tour Perret 13, place Alphonse Fiquet80000 AmiensTéléphone : 03 22 91 92 38Télécopie : 03 22 80 45 60e p i . a s s o c i a t i o n @ w a n a d o o . f rw w w. e p i - c e n t r e. o r g

C e n t re de re s s o u rces Politique de la ville EssonneMaison Départementale de l'HabitatBoulevard de L'Ecoute-S'il-Pleut91 000 Evry Téléphone : 01 64 97 00 32Télécopie : 01 64 97 00 33c r. v i l l e. e s s o n n e @ w a n a d o o . f rh t t p : / / r e s s o u r c e s p o l v i l l e. m a i s o n d e b a n l i e u e. a s s o . f r /

Pays et quartiers d'Aq u i ta i n eTour 2000, 1A, terrasse Front du Médoc 33076 Bordeaux cedex Téléphone : 05 56 90 81 00Télécopie : 05 56 90 81 [email protected] h t t p : / / w w w. a q u i t a i n e - p q a . f r

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C e n t re de re s s o u rces Provence-Alpes-Côte d'Azur4 c, Place Sadi Carnot13002 MarseilleTéléphone : 04 96 11 50 41Télécopie : 04 96 11 50 42c r p v - p a c a @ w a n a d o o . f rh t t p : / / w w w. c r p v - p a c a . o r g

C e n t re de re s s o u rces Guya n eCité Cabassou - Bât F - N° 1997300 CayenneTéléphone : 05 94 28 79 43Télécopie : 05 94 28 79 44c e n t r e - v i l l e. g u y a n e @ w a n a d o o . f r

C e n t re de re s s o u rces Haute-NormandieHôtel de Région Serv. Action Te r r i t o r i a l e5, rue Schuman - BP 112976174 Rouen cedex 1Téléphone : 02 35 52 21 57Télécopie : 02 35 52 56 09v a n e s s a . a u d e o n @ c r - h a u t e - n o r m a n d i e.fr w w w. t e r r i t o i r e s - h a u t e - n o r m a n d i e. n e t

Pôle re s s o u rces de la politique de la ville et de l'intégration à Pa r i sDélégation à la politique de la ville et à l'intégra t i o n6, rue du Département75019 Pa r i sTéléphone : 01 53 26 69 31

Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU)69 bis, rue de Va u g i ra rd75006 Pa r i sT é l é p ho ne : 01 53 63 55 00T é l é c o p ie : 01 45 44 95 16w w w. a n r u . f r

Agence pour la cohésion sociale et l'égalité des chances (AC S E )209, rue de Berc y75585 Paris cedex 12T é l é p ho ne : 01 40 02 77 02T é l é c o p ie : 01 43 46 04 27w w w. fa s i l d. f r

D i rection des études et de la documenta t i o nLaurence MayeurTéléphone : 01 40 02 74 19Télécopie : 01 40 02 77 83l m a y e u r @ fa s i l d . f r

+ 21 directions régionales

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Cité nationale de l’histoire de l’immigration (CNHI)S i è ge social : Palais de la Porte Dorée, 293, avenue Daumesnil, 75012 Pa r i sAdresse postale : 4, rue René-Villermé, 75011 Pa r i sT é l é p ho ne : 01 40 09 69 19T é l é c o p ie : 01 43 48 25 17i n fo @ h i s t o i re - i m m ig ra t io n . f rw w w. h i s t o i re - i m m ig ra t io n . f r

D i rection des arc h i ves de Fra n c e56, rue des Fra nc s - B o u rge o i s75141 Paris cedex 03T é l é p ho ne : 01 40 27 60 00T é l é c o p ie : 01 40 27 66 06w w w. a rc h i v e s de f ra nc e. c u l t u re. go u v. f r /

C e n t re des arc h i ves du monde du tra va i l78, boulevard du Généra l - L e c l e rc, BP 40559057 Roubaix cedex 1T é l é p ho ne : 03 20 65 38 00T é l é c o p ie : 03 20 65 38 01c a m t @ c u l t u re. go u v. f rw w w. a rc h i v e s na t io na l e s. c u l t u re. go u v. f r / c a m t

Plan Urbanisme Construction Arc h i t e c t u re (PUCA)G ra nde Arc he - Pa roi SUD92055 La Défense cedexht t p : / / r p . u r b a n i s me. e q u i p e me nt . go u v. f r / p uc a / i ndex . htm

C e n t re d’histoire sociale du XXe s i è c l eUniversité de Paris I – Pa nthéon Sorbonne9, rue Ma l he r75181 Paris cedex 04ht t p : / / h i s t o i re - s o c ia l e. u n i v - p a r i s 1 . f r /

Association des archivistes français (AAF) 9, rue Mo nt c a l m75018 Pa r i sT é l é p ho ne : 01 46 06 39 44T é l é c o p ie : 01 46 06 39 52s e c re t a r ia t @ a rc h i v i s t e s. o rgw w w. a rc h i v i s t e s. o rg

G é n é r i q u e sO rg a n i s me de re c he rc he et de création culture l l e,s p é c ialisé da ns l'histoire et la mémo i re de l'immig ra t io n34, rue de Cîteaux, 75012 Pa r i sT é l é p ho ne : 01 49 28 57 75T é l é c o p ie : 01 49 28 09 30ge ne r i q u e s 2 @ ge ne r i q u e s. o rgw w w. g é n é r i q u e s. o rg

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T E C / C R I ACC e nt re de re c he rc he, d’inno v a t ion artistique et culturelle du mo nde du tra v a i l .64, boulevard de Stra s b o u rg, 59100 RoubaixT é l é p ho ne : 03 20 89 40 60T é l é c o p ie : 03 20 89 40 69t e c. c r ia c @ w a na do o . f rw w w. t ra v a i l e t c u l t u re. o rg / www. t e c - c r ia c. o rg

C u l t u res en ville. Pro g ramme de re c h e rche interministérielht t p : / / w w w. c u l t u re. go u v. f r / re c he rc he / c u l t u re s _ e n _ v i l l e /

Association Opale - Culture et prox i m i t é45, rue des cinq dia ma nt s75013 Pa r i sT é l é p ho ne : 01 45 65 20 00T é l é c o p ie : 01 45 65 23 00o p a l e @ c u l t u re - p rox i m i t e. o rgw w w. c u l t u re - p rox i m i t e. o rg

Association Ara l i s14, place Jules Ferry69456 Lyon cedex 06T é l é p ho ne : 04 72 75 79 30T é l é c o p ie : 04 78 24 82 09w w w. a ra l i s. o rg

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Directeur de la publicationYves-Laurent Sapoval

Responsable des éditionsCorinne Gonthier

Coordination et rédactionCatherine [email protected]

Contact DIVBarbara [email protected]

Conception graphiqueLaurent Marre

ImpressionJOUVE

Dépôt légalAvril 2007

Travail de mémoire et requalification

urbaine

Repères pour l’action

r e p è r e s

r e p è r e s

les édit ions de la DIV

Délégation interministérielle à la ville194, avenue du Président Wilson93217 Saint-Denis La Plaine cedexTél.: 01 49 17 46 46www.ville.gouv.fr

ISBN : 978-2-11-096851-7ISSN : 1629-0321 Prix : 15 €

DIV

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Comment dire demain ce qu’a été la politique de la ville, comment elle s’est construite,quels en ont été les acteurs ? Comment cette politique a-t-elle été vécue dans lesquartiers, à la fois par ceux chargés de la mettre en œuvre et par les habitants eux-mêmes ? Cette histoire, la DIV veut en conserver la mémoire et la valoriser.

Programme commun avec la Direction des archives de France, journées d’études,séminaires... ont déjà permis d’éclairer les enjeux liés à l’histoire et à la mémoire dela politique de la ville et de valoriser les initiatives engagées dans certains quartiers.

Ce nouveau guide “Repères” prétend :

• permettre aux acteurs engagés dans des démarches mémorielles ou patrimonialesde questionner leur projet et leurs pratiques, par la mise à jour des enjeux soulevésdans ce type d’actions ;

• donner un aperçu de la manière dont ces enjeux peuvent être traités ou ont ététraités ailleurs, par des éclairages diversifiés.

A travers les témoignages, réflexions et comptes rendus d'expériences ici rassemblés,il s’agit moins de donner des “recettes” ou des exemples de “bonnes pratiques”, qued’aider les lecteurs à se poser les bonnes questions ; les encourager à “entrer enréflexion” et les orienter vers d’autres sources existantes, plutôt que de lister desoutils méthodologiques, forcément insuffisants pour aborder une telle thématique.

Synthétique plutôt qu’exhaustif, ce guide fonctionne en somme comme une ported’entrée pour les acteurs engagés dans des opérations de requalification urbaine surle sujet complexe de la mémoire et du patrimoine.