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Réponse de l'Abbé Gilbert Yamba a Monsieur Didier Reynders, Ministre Des Affaires Etrangeres Belge

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Page 1: Réponse de l'Abbé Gilbert Yamba a Monsieur Didier Reynders, Ministre Des Affaires Etrangeres Belge

Abbé Gilbert YAMBA, prêtre Bruxelles, le 23 février 2012

Rue Pannenhuis 19

1090 Bruxelles

Tél : 0479 414 942

Mail : [email protected]

Monsieur Didier REYNDERS

Ministre des Affaires étrangères

Rue des Petits Carmes 15

1000 Bruxelles

Objet : Réponse au B1.4/sd/cv/BIL.04.COD.03.t03.t01

Excellence Monsieur le ministre,

Je vous remercie pour votre réponse à ma lettre via le Directeur du service Afrique, pour votre sens de

courtoisie et de valeur citoyenne en satisfaisant la promesse faite qu’une suite sera réservée à mon courrier.

Néanmoins, sans vouloir vous embêter davantage, j’éprouve quelques insatisfactions par rapport à mes

préoccupations qui consistaient en un cri d’alarme.

Vous dites que la Belgique a appelé à plusieurs occasions les institutions congolaises responsables à

tout entreprendre pour rendre le processus électoral transparent, afin que les résultats en soient crédibles. Or,

de l’avis de tous les observateurs, les résultats du scrutin aussi bien présidentiel que législatif manquent de

crédibilité. Ce qui revient à dire que les appels de la Belgique n’ont pas été entendus. On peut alors se

demander ce que la Belgique compte encore entreprendre comme démarche en dehors des félicitations

adressées par le Premier ministre. Dans le même ordre d’idées, quel serait l’intérêt de féliciter, en primeur de

la communauté internationale, quelqu’un qui n’a pas entendu les appels à la transparence !

Vous mentionnez que de trop nombreuses irrégularités ont néanmoins été constatées lors de la

collecte et de la compilation des résultats sans dire mot des autres étapes du processus. Pourtant, le Rapport

Carter, que vous affectionnez, a indiqué plusieurs autres irrégularités au-delà de la compilation. La mission

d’observation de l’Union Européenne n’a pas manqué d’égratigner le processus dans son ensemble. Des

dizaines d’autres rapports ont clairement relevé l’énormité des cas de violation de la loi électorale. Cela

n’empêche pas le ministre des Affaires étrangères à continuer à soutenir ce qui semble devenir un slogan : «

les irrégularités ne renversent pas l’ordre d’arrivée des candidats. » Qu’est-ce que l’on en sait, au fait ? Car la

meilleure façon de s’en convaincre aurait été d’exiger que les résultats proclamés soient revisités dans toutes

leurs étapes conformément à la loi électorale.

A propos de la loi électorale justement, le point de vue de la Belgique semble ambigu, ou, tout

simplement, se fera entendre quand il s’agira des élections locales. Vous avez sans doute la liberté d’exploiter

les rapports qui prolongent les options politiques du Gouvernement belge. Mais en tant que démocrate et épris

du sens de la justice, vous n’êtes pas libre devant la tricherie, les assassinats, les enlèvements et les tortures.

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Il est curieux de voir la confiance de la Belgique en la Cour suprême de justice, à laquelle le peuple

congolais n’accorde aucun crédit. Certains gouvernements occidentaux, dont on connaît par ailleurs le soutien

non voilé à M. Kabila, ont quand même dit haut et fort leur inquiétude par rapport à ce qui devait être

l’impartialité de la Cour Suprême de Justice. La Belgique pour sa part espère que les leçons seront tirées à

l’évaluation du processus afin que les correctifs nécessaires soient apportés avant les prochains scrutins,

notamment lors des élections provinciales et locales qui seront en effet un enjeu important pour la

consolidation de la démocratie en RDC.

Et pourtant, la meilleure leçon à tirer des élections du 28 novembre, c’est de désavouer toutes les

personnes qui sont de loin ou de près liées à la violation de la loi électorale (et non de les féliciter). Les

élections provinciales et locales constituent certes un enjeu important, mais toutes les élections ne se valent

pas : ce n’est pas au niveau des communes que l’on signe les contrats miniers, que l’on sauvegarde

l’intangibilité des frontières, que l’on nomme les mandataires de l’Etat, que l’on engage l’Etat devant les tiers.

Ce n’est pas devant les communes que répond l’armée. Les communes ne constituent pas le sommet de l’Etat,

encore moins le commandement suprême des forces de répression et de renseignements. Et vouloir fermer les

yeux sur les institutions garantes de la nation pour se rabattre sur les pouvoirs locaux, équivaut à dire que la

démocratie est un système où la loi n’est pas opposable à tout le monde. Pire, comment demander au tricheur

de sanctionner la tricherie, comme si dans une société démocratique on attendrait d’un repris de justice

d’appliquer la justice. Tout cela semble donner raison à ceux qui ont dit que M. Kabila n’a pas triché, mais il a

seulement maladroitement appliqué les injonctions reçues des nations qui le soutiennent aujourd’hui, ou pour

dire mieux, un traitement de faveur était décidé et réservé à certains protagonistes du processus électoral.

Du reste, ce mardi 21 février 2012, le porte-parole du gouvernement congolais, Monsieur Mende,

dans une conférence de presse, a officiellement exprimé des doutes sur la tenue des élections communales et

locales. Il l’avait fait aussi après les élections de communales et locales de 2006, et elles n’ont jamais eu lieu,

malgré les assurances et l’optimisme, à l’époque, d’un des vos prédécesseurs, M. Louis Michel.

La Belgique, qui veut consolider la démocratie dans un pays ami, n’a pas le choix entre le peuple et ses

dirigeants. Elle ne doit pas en appeler aux uns et aux autres pour éviter la violence. Elle doit condamner les

auteurs de violences. Et il y en a trop au Congo, à commencer par la violence officiellement organisée. Et

malgré tout, sur ce point, la Belgique est muette. C’est pour cela que je suis très étonné que vous vous mettiez

à condamner aujourd’hui la répression de la marche des chrétiens du 16 février dernier. Voudriez-vous faire

croire aux Congolais que vous militez pour un Etat de droits en R.D.Congo ?

Si vous vous souciiez et respectiez les Congolais que vous prétendez défendre aujourd’hui, vous auriez

dû condamner d’abord les tricheries et les fraudes massives, ensuite rappeler en consultation votre

ambassadeur en RDC après la proclamation des résultats frauduleux comme vous l’avez fait récemment en ce

qui concerne votre ambassadeur en Syrie.

Cette répression que vous condamnez constitue-t-elle une surprise pour vous ? Peut-être oui, mais

pas pour les Congolais. Etes-vous conscient que ce régime que vous avez amené au pouvoir en faisant fi de

toutes les tricheries et les fraudes n’est pas un régime répressif et sanguinaire ?

Page 3: Réponse de l'Abbé Gilbert Yamba a Monsieur Didier Reynders, Ministre Des Affaires Etrangeres Belge

On peut tromper un peuple une fois ou deux fois, mais, pas trois fois. Les Congolais ne sont plus

dupes. Ils ont la conscience que leur vie ne vous dit absolument rien. Ils se savent dans le couloir de la mort

et, fort, malheureusement, avec votre bénédiction. Il vaut dès lors mieux les laisser mourir comme des

bêtes. Heureusement, « ils ne mouront pas tous ». Ceux qui resteront porteront le flambeau de la liberté et

se battront jusqu’au bout pour faire triompher la vérité, le droit et la justice, car ils préfèrent déjà « mourir

que vivre dans la honte ».

Nous sommes conscients que notre salut ne viendrait pas de l’extérieur, mais de nous mêmes. Nous

nous battrons comme les belges se sont battus face aux hollandais. Nous nous battrons comme les

Américains se sont battus pour obtenir leur indépendance en 1776 face aux Anglais, car nous aussi, « Nous

tenons ces vérités comme allant de soi, que tous les hommes sont créés égaux, qu'ils sont dotés par leur

Créateur de certains droits inaliénables, que parmi ceux-ci sont la vie, la liberté et la poursuite du bonheur.

C'est pour garantir ces droits, que les gouvernements sont établis parmi les hommes, et leur juste pouvoir

émane du consentement des gouvernés. Toutes les fois qu'une forme de gouvernement devient destructive

de ce but, c'est le droit du peuple de modifier ou de l'abolir et d'établir un nouveau gouvernement, en le

fondant sur ces principes et organisant ses pouvoirs dans la forme, à ceux-ci sont semblent les plus

susceptibles d’effectuer leur sûreté et leur bonheur. Mais lorsqu'une longue suite d'abus et d'usurpations,

tendant invariablement au même but, marque le dessein de les soumettre au despotisme absolu, il est de

leur droit, il est de leur devoir de rejeter un tel gouvernement, et de fournir de nouvelles sauvegardes, à leur

avenir[…]. » (Déclaration d’indépendance des Etats-Unis d’Amérique en 1776).

Excellence,

Je suis très peiné de penser qu’actuellement vous n’avez plus de leçons à donner aux Congolais, car

vous donner l’impression de faire preuve de votre attachement aux anti-valeurs que sont la tricherie et la

fraude. Toutefois, je m’autorise encore à croire que vous vous ressaisiriez, réajusteriez vos critères de

jugement, et aideriez à sauver des millions d’êtres humains en détresse, sinon en déperdition. L’histoire le

retiendrait à votre actif.

Veuillez agréer, Excellence Monsieur le ministre, l’expression de ma considération distinguée

Abbé Gilbert YAMBA, prêtre

Page 4: Réponse de l'Abbé Gilbert Yamba a Monsieur Didier Reynders, Ministre Des Affaires Etrangeres Belge

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Copie :

-Madame Els SCHELFHOUT

-Madame Olga ZRIHEN

-Ministre de la Coopération du Gouvernement Fédéral Belge

-Monsieur François-Xavier de Donnea

-Philippe Moureau

-Président du CDH

-Président du CD&v

-Président des FDF

Président du MLD

-Président du MR

-Président de la NVA

-Président du Vlaam Belang