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Respect des droits de propriété intellectuelle Réponse de la CCIP à la consultation de la Commission européenne sur l'application de la directive du 29 avril 2004 Rapport de Monsieur Jérôme FRANTZ 31 mars 2011

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Respect des droits de propriété intellectuelle Réponse de la CCIP à la consultation de la Commission européenne sur l'application de la directive du 29 avril 2004  

Rapport de Monsieur Jérôme FRANTZ 31 mars 2011

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Respect des droits de propriété intellectuelle Réponse de la CCIP à la consultation de la Commission européenne sur l’application de la directive du 29 avril 2004 Propositions de la CCIP Rapport de Monsieur Jérôme Frantz Avec la collaboration de l'Institut de recherche en propriété intellectuelle (IRPI) et du Département de droit civil et commercial à la Direction générale adjointe chargée des études, de la prospective et de l’innovation Adopté par l’Assemblée générale du 31 mars 2011

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SOMMAIRE LES PRINCIPALES PROPOSITIONS INTRODUCTION

PARTIE 1___________________________________________________________ 6 Les défis spécifiques de l’environnement numérique __________________________________ 6

1. Position de la Commission européenne ____________________________________________________ 7 2. Observations de la CCIP ______________________________________________________________ 7

PARTIE 2___________________________________________________________ 8 La preuve de la contrefaçon et les mesures de conservation des preuves _________________ 8

1. Position de la Commission européenne ____________________________________________________ 9 2. Observations de la CCIP ______________________________________________________________ 9 3. Proposition de la CCIP : étendre les possibilités de saisie-contrefaçon _____________________________ 11

PARTIE 3__________________________________________________________ 12 Le juste équilibre entre le droit d’information et la protection de la vie privée_____________ 12

1. Position de la Commission européenne ___________________________________________________ 13 2. Observations de la CCIP _____________________________________________________________ 13 3. Propositions de la CCIP ______________________________________________________________ 15

3.1 Préciser que le droit d’information peut être mis en œuvre avant la condamnation au fond pour contrefaçon__________________________________________________________________________ 15

3.2 Indiquer que la liste des documents ou informations susceptibles d’être visées par le juge dans le cadre du droit d’information est non exhaustive________________________________________________ 16

3.3 Étendre le droit d’information à tous les maillons du réseau de distribution______________________ 16 PARTIE 4__________________________________________________________ 17 La notion d’intermédiaires et l’applicabilité des injonctions ____________________________ 17

1. Position de la Commission européenne ___________________________________________________ 18 2. Sur la notion d’intermédiaires __________________________________________________________ 18

2.1 Soumettre les plates-formes de vente en ligne à une responsabilité civile pour faute de droit commun en tant qu’intermédiaire _______________________________________________________________ 18

2.2 Mutualiser la lutte contre la contrefaçon par une action concertée et volontariste de tous les acteurs impliqués (plates-formes, transporteurs, services postaux…) _______________________________ 19

2.2.1 Élaborer une charte au niveau européen pour définir les moyens que les plates-formes s’engagent à mettre en œuvre afin de permettre une lutte efficace et concertée contre la contrefaçon__________ 19

2.2.2 Susciter une labellisation européenne des plates-formes________________________________ 19 2.2.3 Encourager les offices postaux à lutter contre la livraison de produits contrefaisants ____________ 20 2.2.4 Permettre d’obtenir des informations précises des organismes de paiement électronique _________ 20

3. Sur l’applicabilité des injonctions ________________________________________________________ 20 PARTIE 5__________________________________________________________ 21 Les mesures correctives _________________________________________________________ 21

1. Position de la Commission européenne ___________________________________________________ 22 2. Observations de la CCIP _____________________________________________________________ 22 3. Proposition de la CCIP : ne pas enfermer les mesures correctives dans des définitions restrictives _________ 23

PARTIE 6__________________________________________________________ 24 L’effet compensatoire et dissuasif des dommages-intérêts ____________________________ 24

1. Position de la Commission européenne ___________________________________________________ 25 2. Observations de la CCIP _____________________________________________________________ 25 3. Proposition de la CCIP : rejeter l’introduction de dommages-intérêts punitifs _________________________ 26

PARTIE 7__________________________________________________________ 27 La notion d’échelle commerciale __________________________________________________ 27

1. Position de la Commission européenne ___________________________________________________ 28 2. Observations de la CCIP _____________________________________________________________ 28 3. Proposition de la CCIP : rejeter toute notion d’« échelle commerciale »_____________________________ 28

ANNEXE I _________________________________________________________ 29

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LES PRINCIPALES PROPOSITIONS

REPONSES A APPORTER AU NIVEAU EUROPEEN

Sur les défis spécifiques de l’environnement numérique : le rôle des intermédiaires Proposition n° 1

- Soumettre les plates-formes de vente en ligne à une responsabilité civile pour faute de droit commun en

tant qu’intermédiaire. Proposition n° 2

- Mutualiser la lutte contre la contrefaçon par une action concertée et volontariste de tous les acteurs impliqués (plates-formes, services postaux…) ; élaborer une charte au niveau européen afin de définir les moyens que les plates-formes s’engagent à mettre en œuvre pour lutter contre la contrefaçon.

Sur le droit d’information

Proposition n° 3

- Préciser, dans la directive, que le droit d’information peut être invoqué avant la condamnation au fond pour contrefaçon.

Proposition n° 4

- Indiquer que la liste des documents ou informations susceptibles d’être visés par le juge dans le cadre du droit d’information est non exhaustive.

Proposition n° 5

- Etendre le droit d’information à tous les maillons du réseau de distribution. Proposition n° 6

- Concilier droit d’information et protection de la vie privée sans ajouter un nouveau texte au dispositif existant.

Sur le dispositif relatif aux mesures correctives Proposition n° 7

- Ne pas enfermer dans une définition restrictive les mesures correctives que sont le rappel et la mise à l’écart définitive des marchandises.

Sur l’applicabilité des injonctions

Proposition n° 8

- Maintenir l’exigence d’une atteinte imminente afin de faciliter la possibilité offerte au juge de délivrer des injonctions.

Sur l’effet compensatoire et dissuasif des dommages-intérêts

Proposition n° 9

- Rejeter l’introduction de la notion de dommages-intérêts punitifs.

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Sur la notion d’échelle commerciale Proposition n° 10

- Supprimer la référence à la notion d’échelle commerciale.

AMELIORATION A INTRODUIRE EN DROIT FRANÇAIS SUR LES MOYENS DE PREUVE

Proposition n° 11

- Étendre les possibilités de saisie-contrefaçon, en prévoyant que l’huissier peut procéder également à une simple description détaillée des matériels et instruments utilisés pour produire ou distribuer des contrefaçons.

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INTRODUCTION Afin de garantir au mieux la promotion de l’innovation et de la création, impératifs fondamentaux de l’Union européenne, le Parlement et le Conseil ont adopté, le 29 avril 2004, une directive 2004/48/CE relative au respect des droits de propriété intellectuelle. Elle a pour principal objectif de conférer aux titulaires de droits et aux États membres un ensemble harmonisé et homogène d’outils aux fins de lutter efficacement contre les atteintes à leurs droits tout en fournissant un cadre flexible pour en assurer le respect. Dans son prolongement, la loi n° 2007/1544 du 29 octobre 2007, dite « de lutte contre la contrefaçon », a transposé en France la directive 2004/48 dans le Code de propriété intellectuelle (CPI). Dans son rapport du 22 décembre 2010 portant sur l’application de la directive, la Commission européenne livre une première évaluation sur sa mise en œuvre et son incidence à partir à la fois de l’appréciation des progrès réalisés et des remontées d’informations communiquées par les États membres. Elle a pu constater que la directive a eu des incidences positives considérables en termes de protection des droits de propriété intellectuelle en Europe. Pourtant, elle observe également, dans la pratique nationale, des interprétations et des applications divergentes des règles contenues dans celle-ci. Aussi, s’interroge-t-elle sur l’opportunité d’en préciser certaines dispositions. Son rapport, par des questions ouvertes, expose une série de points concrets susceptibles de nécessiter une clarification en vue, notamment, d’adapter la directive aux nouveaux défis inhérents à une société numérique moderne. Dans la poursuite de ses travaux antérieurs1, la CCIP s’est saisie de ces questions. Si l’essentiel de ses préconisations a trait au droit communautaire et impacte directement le contenu de la directive 2004/48, quelques suggestions spécifiques, en matière de preuve, appellent des modifications du droit français, pour donner davantage d’efficacité au dispositif interne de lutte contre la contrefaçon.

1 V. les rapports de la CCIP : « La proposition de directive sur la contrefaçon », par J. Courtière, janvier 2004 : http://www.etudes.ccip.fr/rapport/122-proposition-de-directive-sur-la-contrefacon ; « Pour un dispositif efficace de lutte contre la contrefaçon », par J. Frantz, septembre 2007 : http://www.etudes.ccip.fr/rapport/44-lutte-contre-la-contrefacon ; « E-commerce, les clés de la réussite », décembre 2009, volet « Internet et contrefaçon : marques et droits d'auteur », présenté par J. Frantz, publié en janvier 2010 à la Documentation française : http://www.etudes.ccip.fr/rapport/178-internet-et-contrefacon-marques-et-droits-d-auteur-fra0912

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PARTIE 1

Les défis spécifiques de l’environnement numérique

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1. Position de la Commission européenne La Commission souligne que « le caractère universel de l’internet permet de commettre aisément toute une série d’infractions aux droits de propriété intellectuelle ». Elle vise la vente de produits contrefaisants sur internet, la mise en avant de ces contrefaçons sur des moteurs de recherche, le partage de fichiers (P2P) ou la mise en ligne de contenus protégés par le droit d’auteur, sans le consentement des titulaires de droits. 2. Observations de la CCIP Ce constat est largement partagé par la CCIP : la contrefaçon sur internet explose et implique de nombreux acteurs. L’internet fournit aux contrefacteurs de marques un terrain propice à leur activité. D’une part, il accroît la visibilité des entreprises, en leur offrant des moyens de promotion significatifs, notamment par l’intermédiaire des régies publicitaires qui proposent des liens sponsorisés. D’autre part, il augmente la volatilité de leur trafic, dans la mesure où un site peut être créé sans qu’il soit nécessaire d’identifier l’entité qui le met en ligne ou de justifier de la licéité de son commerce. Enfin, l’atomisation des livraisons des produits commandés sur internet rend la contrefaçon difficilement détectable : les circuits habituellement utilisés sont en effet La Poste et le fret express, ceux-ci convenant aux petites quantités de marchandises achetées par les internautes et permettant un acheminement rapide. Si tous les domaines sont concernés, certains types de produits se prêtent tout particulièrement à une diffusion sur internet, tels que les articles d’habillement et de sport, les cosmétiques et parfums, les produits du secteur high-tech (logiciels, baladeurs MP3, téléphonie), les produits culturels (CD, DVD, cassettes), les médicaments2… La démocratisation de l’internet à haut débit en France, à un coût relativement faible par rapport aux autres pays développés, a également permis à la pratique du téléchargement de contenus protégés par le droit d’auteur de se répandre très largement. Propageant une culture de la gratuité chez les consommateurs, l’importance du piratage rend de plus en plus difficile le financement de la création et de la production de contenus culturels, que ce soit dans les secteurs de la musique, du cinéma et de l’audiovisuel, mais aussi de l’édition ou du logiciel. Le droit d’auteur repose pourtant sur un équilibre social et économique entre ce qui relève du domaine payant et ce qui appartient au domaine public. Cet équilibre semble aujourd’hui en voie d’être rompu3.

2 V. le rapport sur « l’impact de la contrefaçon vu par les entreprises en France », UNIFAB – IRPI, avril 2010 : http://www.unifab.com/downloads/RAPPORTUNIFABavril2010.pdf3 Cf. infra, partie 4.

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PARTIE 2

La preuve de la contrefaçon et les mesures de conservation des preuves

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1. Position de la Commission européenne La directive 2004/48 a amélioré la mise en œuvre des droits de propriété intellectuelle (DPI), particulièrement en droit d’auteur, dans les législations de nombreux États membres. Certains n’ont pas usé de l’option offerte par son article 7, ayant pour objet de faciliter la preuve de la contrefaçon (description détaillée, prélèvement d’échantillons ou saisie réelle). Pourtant, les problèmes liés à la collecte de la preuve ne sont pas entièrement résolus, spécialement dans les affaires judiciaires internationales, transfrontalières. La Commission se demande s’il ne serait pas opportun, compte tenu des divergences observées dans ce domaine, d’éclaircir la notion de « contrôle » prévue à l’article 6 de la directive4 et d’en définir la portée. Elle constate aussi que quelques États membres n’ont pas transposé les dispositions protégeant la confidentialité de certains documents et informations (aux motifs que leur législation est suffisamment protectrice). En l’état actuel, elle n’est donc pas en mesure de juger si cette situation constitue un obstacle pour la protection effective des DPI et estime nécessaire d’obtenir plus d’informations sur les conditions dans lesquelles ces renseignements confidentiels peuvent être produits (procédure spéciale, mesures de saisies ou injonctions existantes). 2. Observations de la CCIP

À titre préliminaire, on précisera que la notion de « contrôle » n’a pas été introduite en droit français.

Les mesures de conservation des preuves prévues par l’article 7 de la directive sont transposées en France au sein des dispositions relatives à la procédure de saisie-contrefaçon5. On rappelera que la loi de transposition étend cette procédure à l’ensemble des DPI, procédant par là même à une harmonisation souhaitée entre les différents droits, à l’exclusion de la propriété littéraire et artistique qui conserve quelques spécificités. À titre probatoire, afin que le demandeur obtienne une saisie-contrefaçon, il lui faut de manière cumulative :

- alléguer d’un titre de propriété industrielle (existant ou en cours d’obtention), - avoir la qualité pour solliciter une telle mesure (le cercle des personnes habilitées à agir ayant été élargi6), - présenter une requête auprès de l’autorité judiciaire compétente7.

Les deux modes de preuve transposés en droit français sont :

- la description détaillée, avec ou sans prélèvement d’échantillons (description par l’huissier de ce qu’il voit lui-même),

- et la saisie réelle qui doit impérativement être autorisée par l’ordonnance et ne peut viser que des objets matériels, des échantillons et des documents.

4 Article 6.1 : « Les États membres veillent à ce que, sur requête d’une partie qui a présenté des éléments de preuve raisonnablement accessibles et suffisants pour étayer ses allégations et précisé les éléments de preuve à l’appui de ses allégations qui se trouvent sous le contrôle de la partie adverse, les autorités judiciaires compétentes puissent ordonner que ces éléments de preuve soient produits par la partie adverse, sous réserve que la protection des renseignements confidentiels soit assurée ». 5 Loi de transposition n° 2007/1544, 29 oct. 2007, dite « loi de lutte contre la contrefaçon ».6 En effet, les textes visent « toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon » (v. notamment, en matière de marque, l’article L. 716-7 du CPI). 7 Cette mesure procédurale est encadrée, d’une part, par le droit commun des ordonnances sur requêtes (art. 493 à 498, 812 et 813 du CPC), d’autre part, par des dispositions spécifiques subsistant dans la partie réglementaire du CPI.

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La loi de 2007 autorise uniquement « la saisie réelle » des matériels et instruments utilisés pour produire ou distribuer les objets prétendus contrefaisants, alors même que ces objets peuvent donner lieu soit à une description détaillée, soit à une saisie réelle8. Or, dans la mesure où la saisie de ces matériels n’a qu’une finalité probatoire, une simple description détaillée pourrait parfois suffire.

C’est également à l’occasion de ces descriptions ou saisies réelles que des secrets commerciaux ou des informations à caractère confidentiel de l’entreprise peuvent être divulgués ; éléments qui sont protégés tant par la directive que par les Accords sur les droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC)9. Selon la jurisprudence, le droit du titulaire d’un DPI de faire la preuve de la contrefaçon prévaut sur celui du saisi de préserver ses secrets10. En revanche, le droit à la préservation de ceux-ci reste entier dans le cas contraire, c’est-à-dire lorsque leur divulgation n’est pas utile à la preuve de la contrefaçon. De ce principe découle l’encadrement de la levée du secret de telles informations. En cas de contestation, il reviendra à l’huissier en charge de la saisie de trancher sur le caractère secret des documents et sur leur utilité pour l’établissement de la preuve de la contrefaçon11. Dans le cas d’une telle objection de confidentialité, l’huissier doit agir avec prudence et, au besoin, avec l’aide d’un expert, au risque que la saisie soit jugée fautive et entachée de nullité12.

8 V. articles L. 615-5 du CPI (pour les brevets), L. 521-4 du CPI (pour les dessins et modèles), L. 716-8-6 du CPI (pour les marques), L. 623-27-1 (pour les certificats d’obtention végétale), L. 332-1 du CPI (pour les droits d’auteur) et L. 332-4 du CPI (pour les logiciels). 9 V. art. 39, précité, sur le principe même de protection. Les articles 42 et 43 prévoient notamment l’exigence d’une procédure permettant une telle protection. Cependant, selon la règle générale de l’article 39, celle-ci est limitée aux cas où la divulgation des secrets de fabrique est faite « d’une manière contraire aux usages honnêtes du commerce », limite qui joue dans le cadre de la saisie-contrefaçon. L’expression « d’une manière contraire aux usages honnêtes » s’entend au moins des pratiques telles que la rupture de contrat, l’abus de confiance et l’incitation au délit ; elle comprend l’acquisition de renseignements non divulgués par des tiers de manière malhonnête. 10 En matière de brevet par exemple, il n’est pas contraire aux usages honnêtes du commerce que des éléments confidentiels soient divulgués pour la preuve de la contrefaçon. 11 TGI Lyon, Ord. réf., 24 nov. 1988 : PIBD 1989, 450, III, 106 ; TGI Paris, Ord. réf., 22 déc. 1989 : PIBD 1990, 473, III, 134 ; TGI Paris, 4 juill. 1997 : PIBD 1997, 644, III, 639. 12 TGI Rennes, 28 févr. 1994 : RIPIA 1994, p. 71, 74, 75, marque et droit d’auteur. Si un document contient des éléments confidentiels et sans pertinence pour la contrefaçon, l’huissier doit les occulter sur la copie en cachant les lignes en cause. Si l’élément est à la fois confidentiel et utile, l’huissier peut, de sa propre initiative ou de celle du saisissant, le mettre provisoirement au secret dans une enveloppe scellée (déposée généralement au greffe du tribunal). Cette mise au secret provisoire peut aussi résulter d’un accord entre le saisi et le saisissant (CA Lyon, 23 sept. 1999 : PIBD 2000, 690, III, 29). Le secret sera également protégé en cas d’échange des documents saisis par voie postale entre l’huissier, l’expert qui l’assiste et le conseil en propriété industrielle du saisissant ; ce dernier étant lui-même tenu au secret en vertu de son statut réglementé (CA Toulouse, 5 avr. 2000 : PIBD 2000, 704, III, 404).

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Une fois la saisie effectuée, il appartient au juge de prévenir la divulgation injustifiée des secrets13. Le juge du fond qui statue, soit sur la proposition de tri de l’expert, soit sur une réclamation en violation de secret, a la possibilité de refuser de soustraire à la saisie les documents confidentiels – y compris commerciaux ou comptables – pouvant avoir un intérêt dans la discussion de la contrefaçon14. Il peut néanmoins ordonner à la partie demanderesse de tenir confidentiels ou de s’abstenir de divulguer à des tiers les secrets dont elle a pu ainsi prendre connaissance15. Il entre également dans son pouvoir d’interdire au demandeur d’en faire usage, notamment dans ses fabrications. Ce régime, tel qu’il est mis en œuvre par les juges, apparaît suffisamment protecteur et n’appelle pas de propositions complémentaires.

Enfin, force est de constater que certaines juridictions, en application d’une jurisprudence ancienne et constante de la Cour de cassation, n’acceptent d’ordonner la production d’éléments de preuve détenus par la partie adverse que s’il y a eu préalablement saisie-contrefaçon. En d’autres termes, le titulaire des droits doit souvent demander une saisie-contrefaçon pour obtenir des éléments de preuve alors qu’il pourrait éviter cette procédure, en les demandant directement au juge de la mise en état après lui avoir transmis celles qu’il a déjà sur la matérialité de la contrefaçon16. Pourtant, la directive 2004/48 prévoit bien deux mécanismes distincts qui peuvent être mis en œuvre indépendamment l’un de l’autre : l’article 7 vise la saisie-contrefaçon et l’article 6, plus généralement, la production forcée de preuves, ordonnée par le juge. De surcroît, le droit français, en vertu des articles 142 et suivants du Code de procédure civile (CPC), permet de s’affranchir de la nécessité de recourir à la saisie-contrefaçon. Il conviendrait de faire évoluer la pratique en la matière. 3. Proposition de la CCIP : étendre les possibilités de saisie-contrefaçon La directive n’appelant pas sur ce sujet d’observations particulières, c’est sur le terrain du droit français que la CCIP entend formuler une voie d’amélioration pour faciliter l’établissement de la preuve de la contrefaçon. Compte tenu des divergences relatives à la saisie réelle et à la description détaillée soulignées plus haut, il serait opportun de prévoir que, dans le cadre d’une saisie-contrefaçon, l’huissier peut procéder à une simple description détaillée des matériels et instruments utilisés pour produire ou distribuer ces contrefaçons. Cela implique une modification des articles L. 615-5 du CPI (pour les brevets), L. 521-4 du CPI (pour les dessins et modèles), L. 716-8-6 du CPI (pour les marques), L. 623-27-1 (pour les certificats d’obtention végétale), L. 332-1 du CPI (pour les droits d’auteur) et L. 332-4 du CPI (pour les logiciels).

13 CA Aix-en-Provence, 1er déc. 1976 : PIBD 1977, 186, III, 63. Pour cela, il peut prendre l’une des décisions suivantes : le retrait de l’autorisation de saisie réelle ou descriptive des documents confidentiels et non utiles à la preuve (CA Aix-en-Provence, précité), la mise au secret provisoire ou l’expertise en vue d’un tri. Dans ce dernier cas, un expert reçoit pour mission de distinguer, parmi les renseignements et documents confidentiels, ceux qui sont nécessaires à la preuve de la contrefaçon de ceux qui y sont étrangers (TGI Lyon, Ord. réf., 24 nov. 1988, précité). Si le saisi persiste à s’opposer à la divulgation de tout ou partie des documents, l’expert soumet au juge une proposition. Sans annexer les documents litigieux à son rapport, il identifie chacun d’eux sans révéler le contenu argué de secret et propose une classification. L’expert ne doit pas annexer à son rapport et livrer ainsi au demandeur les pièces litigieuses tant que le juge n’a pas levé le secret les concernant. 14 Par exemple, il a pu être décidé qu’une demande d’autorisation de mise sur le marché d’un médicament, pourtant secret par nature, peut être saisie et versée au débat sans que cela soit une violation fautive de secret : CA Paris, 17 mai 1995 : PIBD 592/1995, III, p. 343, 345. 15 TGI Paris, 31 oct. 2000, Juriscl. Brevets, Fasc. 4638, 01, 2011, « Saisie-contrefaçon », J.-P. Stenger ; v. contra TGI Paris, 22 oct. 1975 : PIBD 1976, 171, III, 250. 16 À titre d’exemple, on peut imaginer que le titulaire du droit a suffisamment de preuves matérielles de la contrefaçon car il a pu acheter le produit dans le commerce ou sur internet mais qu’il n’a pas d’élément sur l’ampleur de la contrefaçon (documents comptables).

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PARTIE 3

Le juste équilibre entre le droit d’information et la protection de la vie privée

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1. Position de la Commission européenne Selon la Commission, « dans certains États membres, le droit d’information prévu par la directive semble être accordé de manière très restrictive, en raison principalement des législations nationales sur la protection et la conservation des données à caractère personnel ». Se pose ici la question de la conciliation entre le droit d’information et le droit au respect de la vie privée ainsi que de l’opportunité de légiférer au niveau européen. De plus, le droit d’information devrait s’appliquer à toutes les personnes impliquées dans la contrefaçon, à tous les maillons du réseau de distribution (pas seulement au contrefacteur) et également à tout intermédiaire (Internet notamment). En outre, il devrait permettre de récolter des informations relatives aux quantités de marchandises contrefaisantes et à leurs prix. La Commission s’interroge sur sa portée et sur l’opportunité d’en préciser le régime. 2. Observations de la CCIP

Descriptif du dispositif La loi de 2007 a instauré un droit d’information pour chacun des DPI qui met en place un ensemble de règles ayant vocation à permettre au demandeur d’obtenir, par le biais d’injonctions, de la part de l’autre partie à l’instance ou d’un tiers, des informations auxquelles il n’a pas accès mais qui seraient potentiellement utiles à la preuve des faits et à la détermination du préjudice. L’objectif premier, au-delà de ces preuves, est davantage de remonter la filière de la contrefaçon, peu visible derrière le comportement du contrefacteur assigné17, en permettant aux autorités judiciaires civiles de mieux identifier les acteurs de réseaux de contrefaçon. À l’exception du critère « d’échelle commerciale »18, l’article 8 de la directive est transposé de manière quasi identique au sein du CPI. Dès lors, la demande d’information :

- ne peut intervenir qu’au cours d’une procédure civile ; - doit contribuer à « déterminer l’origine et les réseaux de distributions des produits contrefaisants qui

portent atteinte aux droits du demandeur » ; - peut viser l’autre partie, toute personne trouvée en possession de produits contrefaisants, toute personne

qui fournit des services utilisés dans des activités de contrefaçon, toute personne signalée comme intervenant dans la production, la fabrication ou la distribution de ces produits ou la fourniture de ces services ;

- doit cibler « les documents ou informations »19 portant sur (a) les nom et adresse des producteurs, fabricants, distributeurs, fournisseurs et autres détenteurs antérieurs des produits ou services, ainsi que des grossistes destinataires et des détaillants, (b) les quantités produites, commercialisées, livrées, reçues ou commandées ainsi que le prix obtenu pour les produits ou services en cause.

Analyse critique

Sur la mise en œuvre du droit d’information

On relève des incertitudes quant au stade de la procédure où le droit d’information peut être invoqué. Pour certaines décisions, il peut être mis en œuvre dès la mise en état afin de déterminer l’origine et les réseaux de distribution de produits dont le caractère contrefaisant n’est encore qu’allégué. Pour d’autres, il ne peut être invoqué que relativement à des actes de contrefaçon qui ont été reconnus par une décision au fond, et pas au

17 F. Bourguet, « Droit d’information, le bilan de deux ans d’application », Propr. Intell., avr. 2010, n° 35, p. 682. 18 V. infra. 19 La directive se référait aussi, dans son article 6, à tous éléments de preuve « qui se trouvent sous le contrôle de la partie adverse ». Mais cet article n’a pas été repris en droit français, pas plus que le critère d’infraction « commise à l’échelle commerciale » tel que précisé ci-dessus.

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stade de la mise en état au motif que l’article 8 de la directive vise les marchandises, services ou activités « contrefaisantes »20. Une telle interprétation n’est guère cohérente avec l’article 8.3 d) et e) de la directive qui évoque, au titre des empêchements à la communication, les données ou les informations « qui contraindraient (la personne visée par la mesure) à admettre sa propre participation ou celle de ses proches parents à une atteinte à un droit de propriété intellectuelle », ce qui suppose que le défendeur n’ait pas encore été reconnu comme contrefacteur. D’ailleurs, on verrait mal l’intérêt de cette mesure, précisément destinée à permettre la poursuite de l’ensemble des personnes impliquées dans un trafic, si elle ne pouvait être actionnée qu’après que le défendeur principal ait été jugé. Il s’agirait donc de ne pas diviser le procès en deux : d’une part, la reconnaissance de la contrefaçon, d’autre part, la détermination de son ampleur aux fins de réparation du préjudice. Il faudrait également se garder de considérer la saisie-contrefaçon comme un préalable au droit d’information, les deux mécanismes ayant des finalités différentes. En effet, ce dernier vise à déterminer l’origine et les réseaux de distribution des produits argués de contrefaçon, et non à contribuer à la preuve de la contrefaçon. En matière de propriété intellectuelle, cette preuve sera généralement établie par une saisie-contrefaçon. La procédure du droit d’information ne doit donc pas être utilisée comme un moyen d’éviter aux parties de prouver la contrefaçon alléguée.

Sur les documents couverts On notera que les tribunaux ne se sentent pas liés par l’énumération limitative évoquée ci-dessus. En effet, les juges sont libres, conformément aux dispositions du Code de procédure civile (art. 11, 138 et 770) d’ordonner les mesures d’instruction qu’ils estiment nécessaires et utiles à la procédure en cours21 tout en la conciliant avec la nécessaire protection du secret des affaires.

Sur les personnes visées Sur ce dernier point, les tribunaux retiennent une interprétation souple du texte. Le champ du droit d’information n’est pas limité aux personnes mises en cause directement ou même indirectement dans le litige22. Ainsi, tous les acteurs d’un réseau de distribution peuvent être soumis à ces mesures. Au vu de cette pratique judiciaire, il ne semble pas nécessaire d’établir une liste exhaustive de ces acteurs, laissant l’opportunité aux juges de le faire au gré des espèces.

20 On notera l’existence de différences d’interprétation au sein d’une même Chambre de juridiction. Ainsi, le 21 mars 2008, le juge de la mise en état du TGI de Paris rend une ordonnance qui décide que le droit à l’information peut être mis en œuvre dès la mise en état tandis que le 12 novembre de la même année, le TGI rend une ordonnance contraire sur ce point. 21 Ainsi, « le juge de la mise en état, en application des dispositions précitées, a le pouvoir d’ordonner la production des éléments de preuve détenues par un tiers en cours de procédure […] » soit, par exemple, le nombre et l’identification exacte de chacun des pseudonymes éventuellement utilisés sur une plate-forme de vente aux enchères en ligne, le nombre de flacons de parfums offerts à la vente et vendus par une personne en particulier sur ledit site, l’historique détaillé des ventes (désignation de l’objet, date, montant de l’enchère), le prix total des objets vendus ou encore, le montant des commissions perçues : TGI Paris, Ord. JME, 25 juin 2008, précité ; CA Reims, 5 mai 2009, précité, TGI Paris, Ord. JME, 18 avr. 2008, n° 2007/09543, PIBD 2008, 878, III, 448 (statistiques de fréquentation d’un site internet). 22 V. par exemple, TGI Paris, Ord. JME, 25 juin 2008, n° 08/06929, Propr. Industr., oct. 2010, n° 10 : « À supposer que les sociétés eBay […] ne soient que de simples prestataires de stockage, elles fournissent bien un service utilisé dans le cadre des actes de contrefaçon […] la communication de pièces par des tiers, ordonnée par le juge de la mise en état, étant distincte de toute recherche de responsabilité desdits tiers », alors même que les sociétés eBay tentaient d’avancer qu’elles étaient étrangères à la commercialisation des produits contrefaisants. V. également, CA Reims, 1ère ch. civ., ordonnance d’incident, 5 mai 2009 : « Les sociétés eBay […] avaient la qualité de défendeurs en 1ère instance et à tout le moins la société eBay int. a fourni des services qui ont été utilisés pour la distribution des sacs contrefaisants, peu important à cet égard qu’elle n’ait pas eu en sa possession les objets litigieux […] ».

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Sur la conciliation avec la vie privée Intrusive pour la personne qui y est soumise, la demande d’informations doit être équilibrée et proportionnelle à la gravité de l’atteinte invoquée et à l’objectif recherché23, elle n’a pas pour vocation de permettre au demandeur d’obtenir des informations sur l’autre partie qui sortiraient du cadre strict du litige ou menaceraient la protection légitime de l’activité des tiers24. Ainsi, au-delà de ce que prévoit la directive25, l’obtention de ces éléments est conditionnée à l’absence d’empêchements légitimes de la personne sollicitée26. Certes, la recherche de la preuve et le démantèlement des réseaux de contrefaçon doivent être optimisés et facilités mais pas au détriment du caractère secret d’informations ou de la vie privée27. Du fait de l’absence de réponse univoque au sein des textes de droit communautaire révélée par l’arrêt C-275/06 de la CJUE28, il appartient aux juridictions nationales de pondérer les intérêts en présence. Cette balance entraîne souvent une certaine subjectivité de la part des juges conduisant à une insécurité juridique en la matière et à une jurisprudence fluctuante29. 3. Propositions de la CCIP À l’aune de la pratique française exposée ci-dessus, plusieurs pistes sont suggérées pour améliorer la directive. 3.1 Préciser que le droit d’information peut être mis en œuvre avant la condamnation au

fond pour contrefaçon Il est proposé de préciser dans le texte de la directive que le droit d’information peut être exercé pour des produits « prétendus contrefaisants » (et non « contrefaisants »), c’est-à-dire n’ayant pas encore été reconnus par la justice comme des contrefaçons. Le droit d’information contribuerait ainsi utilement, au plus tôt, à la recherche de la preuve de l’ampleur de la contrefaçon et à l’évaluation de sa réparation.

23 TGI Grasse, Ord. JME, 26 janv. 2010 (disponible sur le site <www.légalis.net>) : le tribunal avait débouté une société « de sa demande tendant à la remise, par M. L., de toute contrefaçon de sac ou de ses accessoires dont la livraison ne serait pas intervenue au jour des opérations de saisie-contrefaçon qui se sont tenues le 14 juin 2007, en l’absence de production de tout élément permettant au tribunal de considérer que M. L. puise détenir d’autres produits ». V. aussi dans le même sens, TGI Paris, Ord. JME, 25 juin 2008, précité, le tribunal refusant au demandeur des informations relatives aux bénéfices réalisés par le contrefacteur sur une période allant au-delà des informations déjà détenues par lui pour une période suffisante pour l’apprécier. 24 V. TGI Paris, Ord. JME, 14 mai 2009, n° 09/01480 : « la société LV réclame également des informations générales relatives au budget publicitaire global du défendeur, la proportion du trafic provenant des affiliés et le montant des revenus publicitaires […]. Ces demandes qui ne se rapportent pas exclusivement à l’activité générée par les mots-clés litigieux mais visent l’ensemble de l’activité du défendeur apparaissent sans lien suffisant avec l’objet du présent litige et elles seront écartées en raison de leur caractère disproportionné ». 25 Cette notion même ne figure pas dans la directive, celle-ci se contentant de renvoyer, en son article 8.3 d) et e), aux dispositions nationales qui « donnent la possibilité de fournir des informations qui contraindraient la personne visée au § 1 à admettre sa propre participation ou celle de ses proches parents à une atteinte à un droit de propriété intellectuelle », ou qui régissent « la protection de la confidentialité des sources d’information ou le traitement des données à caractère personnel ». 26 V. infra, en annexe, une analyse plus poussée de la jurisprudence française. 27 Par contre, il a été jugé que « le ministre des P & T ne peut se retrancher derrière le secret professionnel pour refuser au juge, qui le demande pour les besoins de la manifestation de la vérité et la protection des droits d’une partie, la communication des noms et adresse du titulaire d’un abonnement téléphonique inscrit sur liste rouge ». En effet, il s’agissait en l’espèce d’une clause contractuelle de confidentialité (une liste rouge téléphonique), ne permettant pas à celui qui l’invoquait de se retrancher derrière l’empêchement légitime de secret professionnel : Cass. civ. 1ère, 21 juill. 1987, précité et Cass. civ. 1ère , 31 janv. 1990, Bull. civ. I, n° 31. V. infra, en annexe, l’analyse plus poussée de la jurisprudence française. 28 CJUE, Gde ch., 29 janv. 2008, aff. C-275/06, Productores de Música de España c/ Telefónica de España. 29 V. V.-L. Benabou, note sous l’arrêt de la CJCE, précité, Propr. Intell. Avr. 2008, n° 27, p. 239.

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Si la directive évolue en ce sens, il serait opportun, en France, de conférer cette compétence au juge des référés30. 3.2 Indiquer que la liste des documents ou informations susceptibles d’être visées par le

juge dans le cadre du droit d’information est non exhaustive Il conviendrait d'insérer l’adverbe « notamment » au début de la liste prévue aux points a) et b) de l’article 8 de la directive. 3.3 Étendre le droit d’information à tous les maillons du réseau de distribution Pour lui conférer une plus grande efficacité, le droit d’information devrait être étendu à tous les maillons du réseau de distribution. Là encore, l’adverbe « notamment » pourrait opportunément être inséré au sein de l’article 8.1 de la directive. 3.4 Concilier le respect dû à la vie privée avec le droit d’information La CCIP ne souhaite pas qu’un texte spécial soit pris au niveau communautaire pour concilier le droit d’information et la protection de la vie privée. Il convient en effet de préserver la cohérence d’ensemble du dispositif existant en la matière31.

30 En matière de droit d’auteur et à deux reprises, selon deux ordonnances de 2007 et 2008 (TGI Paris, 12 déc. 2007, Ord. réf. J. Dreyfus et Sté 1.0.9 c/Benetton & Bencom et TGI Paris, 18 août 2008, ord. réf. J. Dreyfus et Sté 1.09. c/ Tod’s France et Tod’s Spa), le juge des référés du TGI de Paris a retenu sa compétence au motif que l’article 145 du code de procédure civile lui donne une compétence générale pour ordonner « des mesures d’instruction légalement admissibles » et que le droit à l’information constitue bien une mesure d’instruction. À l’inverse, d’autres juridictions considèrent que la loi de 2007, en prévoyant que le droit à l’information ne pouvait être utilisé que par la « juridiction saisie d’une procédure civile », a entendu réserver ce droit à la juridiction saisie au fond, à l’exclusion du juge des référés. 31 Directive 2003/31/CE 8 juin 2000 dite « directive sur le commerce électronique » ; directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information ; la présente directive 2004/48/CE du 29 avr. 2004 relative au respect des DPI ; directive 2004/58/CE du 12 juill. 2002 dite « vie privée et communications électroniques ».

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PARTIE 4

La notion d’intermédiaires et l’applicabilité des injonctions

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1. Position de la Commission européenne La Commission propose d’examiner « comment impliquer plus étroitement les intermédiaires, compte tenu de leur position favorable pour contribuer à prévenir les infractions en ligne et à y mettre fin ». Elle vise ici ceux qui transportent des marchandises soupçonnées de porter atteinte aux droits de propriété intellectuelle (transporteurs, transitaires ou agents maritimes), les plates-formes internet (marchés en ligne, moteurs de recherche, etc.), ainsi que les fournisseurs de services internet. La question d’une éventuelle harmonisation du degré de preuve requis par les juridictions aux fins d’ordonner des injonctions aux intermédiaires (simple vraisemblance de contrefaçon ou preuve réelle d’une contrefaçon) se pose également. 2. Sur la notion d’intermédiaires

Observations La principale difficulté actuelle est liée à l’apparition de nouveaux acteurs (plates-formes de vente en ligne) dont le statut est mal identifié, la jurisprudence hésitant entre la qualification d’hébergeur et celle d’éditeur ou de courtier. Tant que des incertitudes demeureront, la sécurité juridique ne sera assurée ni pour les plates-formes, qui ne pourront pas prévoir à quel régime elles seront soumises, ni pour les ayants droit qui hésiteront sur la personne à poursuivre en contrefaçon. Le régime de responsabilité atténuée des hébergeurs a, en effet, été pensé il y a maintenant plus de dix ans, à une époque où la réalité technique et économique de cette activité était sensiblement différente de celle d’aujourd’hui. Pour favoriser le développement de l’internet et du commerce électronique, la directive exonère de toute responsabilité les acteurs jouant un rôle passif (simple « transport » d’informations provenant de tiers) et limite la responsabilité des prestataires de services n’effectuant que le stockage d’informations. Or, si ces hypothèses d’activités pouvaient sembler claires au début des années 2000, c’est loin d’être le cas actuellement, les prestataires internet cumulant de nombreuses « casquettes ». À l’activité traditionnelle de stockage des plates-formes, s’ajoutent souvent la fixation de règles de mise en vente, des partenariats avec des éditeurs pour enrichir leur contenu, la mise en avant d’offres ou de vendeurs, la fourniture d’outils pour optimiser les ventes ou faciliter les recherches, l’utilisation de publicités, etc. La multitude des tâches effectuées32 et des modèles économiques ne facilite pas l’application de ce régime binaire, basé sur la distinction hébergeur / éditeur, qui ne permet plus d’assurer un équilibre adéquat entre l’intérêt du public au sens large et celui des titulaires de droits.

Propositions de la CCIP Partant de ce constat, la CCIP formule les préconisations suivantes : 2.1 Soumettre les plates-formes de vente en ligne à une responsabilité civile pour faute de

droit commun en tant qu’intermédiaire33

Un meilleur équilibre entre intérêts du public et des titulaires de droits pourrait être atteint à travers la création d’une simple obligation de moyens, et non pas de résultat, à la charge de la plate-forme, qui verrait sa responsabilité pour faute engagée (sur le fondement des articles 1382 et 1383 du Code civil en droit français, par exemple), si elle n’a pas fait diligence pour retirer une annonce ou un contenu litigieux après notification par le titulaire des droits. 32 Pour aller plus loin sur ce point, v. CSPLA, Rapport de la commission spécialisée sur les prestataires de l’internet, 2008 : http://www.cspla.culture.gouv.fr/CONTENU/Rapport%20Prestataires%20de%20l%27Internet.pdf33 Cette préconisation reprend la proposition faite à l’occasion du rapport de la CCIP « E-commerce, les clés de la réussite », décembre 2009, volet « Internet et contrefaçon : marques et droits d'auteur », précité.

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Au niveau communautaire, une modification de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques du commerce électronique dans le marché intérieur (dite « directive sur le commerce électronique »)34 s’impose, compte tenu de l’évolution des activités des plates-formes signalées ci-dessus et du développement des moteurs de recherche et des agrégateurs de liens hypertextes, non appréhendés par la directive et pourtant devenus incontournables dans l’utilisation d’internet. Ces éléments devraient alimenter la réflexion de la Commission européenne dans le cadre de l’adoption, prévue au premier semestre 2011, d’une communication sur le commerce électronique, s’intéressant notamment à l’impact de la directive commerce électronique. 2.2 Mutualiser la lutte contre la contrefaçon par une action concertée et volontariste de

tous les acteurs impliqués (plates-formes, transporteurs, services postaux…)

Plusieurs mesures peuvent être envisagées :

2.2.1 Élaborer une charte au niveau européen pour définir les moyens que les plates-formes s’engagent à mettre en œuvre afin de permettre une lutte efficace et concertée contre la contrefaçon

Le cahier des charges devrait ainsi rendre obligatoire la mise en place de systèmes de filtrage et d’alerte ayant pour finalité le blocage des offres illicites, voire l’interdiction, provisoire ou définitive, de nouvelles offres ; d’une grille commune destinée à qualifier le vendeur professionnel ; d’un système de tiers de confiance. Le 16 décembre 2009, le gouvernement français a, dans ce sens, présidé à la signature d’une Charte de lutte contre la contrefaçon sur internet35 entre sites de commerce en ligne et titulaires de droits de propriété intellectuelle. Cette charte n’a malheureusement pas été signée par les hébergeurs et les sites de vente les plus importants comme eBay ou Amazon. Début 2011, Bernard Brochand, président du Comité national anti-contrefaçon (CNAC) et Pierre Sirinelli, professeur de droit, se sont vu confier par le gouvernement une seconde mission visant à étendre l’application de cette charte à de nouveaux acteurs : les sites de petites annonces et d’autres intermédiaires comme les opérateurs postaux, de transport express et les organismes de paiement à distance, afin de concevoir avec eux des solutions pragmatiques permettant de lutter contre la contrefaçon sur internet. Un premier point d’étape devrait être réalisé en juillet 2011 et des protocoles d’engagements leur seront ensuite proposés.

2.2.2 Susciter une labellisation européenne des plates-formes En France, la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI)36 est chargée de proposer un label pour les plates-formes de téléchargement de contenus protégés par le droit d’auteur. Une telle initiative pourrait être relayée par la Commission au niveau européen afin de fédérer les acteurs ayant adhéré de manière volontaire à la charte.

34 Directive sur le commerce électronique : http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:32000L0031:FR:HTML 35 V. Charte de lutte contre la contrefaçon sur Internet, déc. 2009 : http://www.minefe.gouv.fr/actus/pdf/091216charteinternet.pdf. 36 http://www.hadopi.fr/.

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2.2.3 Encourager les offices postaux à lutter contre la livraison de produits contrefaisants On a noté, en introduction, que l’atomisation des livraisons des produits commandés sur internet rendait la contrefaçon difficilement repérable. Il faut donc se réjouir des initiatives de la Poste, en France, membre du Comité national anti-contrefaçon (CNAC) depuis 2009, qui a milité (avec les opérateurs postaux de Grande-Bretagne, d’Italie et des Pays-Bas) pour l’ajout des marchandises contrefaisantes dans la liste des envois non admis. Il faut encourager également la présence d’agents des douanes dans les centres de tris postaux, afin que douaniers et postiers travaillent de concert pour choisir les colis à contrôler.

2.2.4 Permettre d’obtenir des informations précises des organismes de paiement électronique Les organismes de paiement électronique devraient pouvoir se voir contraints de donner tout renseignement sur la nature de la transaction portant sur des biens suspectés d’être contrefaisants, à destination des autorités judiciaires saisies par les titulaires de droits. 3. Sur l’applicabilité des injonctions

Observations L’article 9-1 de la directive 2004/48/CE prévoit la possibilité pour le juge de prononcer une injonction à l’encontre d’un intermédiaire dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit de propriété intellectuelle37. La Commission pose la question d’une éventuelle harmonisation du degré de preuve requis par les juridictions aux fins d’ordonner des injonctions aux intermédiaires.

Proposition de la CCIP : maintenir l’exigence d’une atteinte imminente Afin de favoriser la lutte contre la contrefaçon, la possibilité offerte au juge de délivrer des injonctions aux intermédiaires devrait être facilitée. Les juges devraient pouvoir les prononcer à partir du moment où ils considèrent la contrefaçon vraisemblable, sans exiger du demandeur qu’il rapporte une preuve réelle de cette contrefaçon. Les dispositions de la directive38, prévoyant la nécessité pour le titulaire de droit de fournir « tout élément de preuve raisonnablement accessible afin d’acquérir avec une certitude suffisante la conviction qu’il est le titulaire du droit et qu’il est porté atteinte à son droit ou que cette atteinte est imminente », doivent être maintenues. À défaut d’une atteinte effective aux droits, une atteinte imminente à ceux-ci devrait suffire pour pouvoir bénéficier d’une injonction39.

37 « Les États membres veillent à ce que les autorités judiciaires compétentes puissent, à la demande du requérant : a) rendre à l’encontre du contrevenant supposé une ordonnance de référé visant à prévenir toute atteinte imminente à un droit de propriété intellectuelle (…) ; une ordonnance de référé peut également être rendue, dans les mêmes conditions, à l’encontre d’un intermédiaire dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit de propriété intellectuelle ; les injonctions à l’encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin sont couvertes par la directive 2001/29/CE ». 38 Articles 9 et 11 de la directive. 39 Ces injonctions doivent bien entendu être soumises au respect du principe de proportionnalité, en fonction des spécificités de chaque cas d’espèce. Le respect de ce principe apparaît particulièrement important au titre des conditions dans lesquelles peuvent être obtenues des mesures d’interdiction provisoire, sans débat contradictoire notamment, comme dans l’hypothèse prévue à l’article 9-4 de la directive qui prévoit que « les États membres veillent à ce que les mesures provisoires visées aux paragraphes 1 et 2 puissent, dans les cas appropriés, être adoptées sans que le défendeur soit entendu, en particulier lorsque tout retard serait de nature à causer un préjudice irréparable au titulaire du droit. Dans ce cas, les parties en sont avisées sans délai, après l’exécution des mesures au plus tard ».

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PARTIE 5

Les mesures correctives

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1. Position de la Commission européenne L’article 10 de la directive prévoit l’instauration par les États membres de mesures dites correctives (complémentaires ou non pécuniaires). Pour la Commission, « il pourrait être nécessaire de clarifier davantage la définition des "mesures correctives" [à travers une] distinction claire entre le "rappel" et "la mise à l’écart définitive" des marchandises ». Elle invite enfin à examiner comment veiller à ce que le tribunal puisse directement imposer les coûts de destruction des marchandises contrefaisantes à la partie condamnée pour contrefaçon. 2. Observations de la CCIP La France connaît, comme d’autres États membres, en matière de contrefaçon, différentes sanctions complémentaires spécifiques permettant de rétablir le monopole du titulaire des DPI. L’arsenal des sanctions de la contrefaçon se trouve donc utilement complété par ces mesures qui occupent depuis la loi de transposition une place officielle et dès lors décisive. En effet, jusque-là, ces dernières ne pouvaient être mises en œuvre que lorsque la contrefaçon était sanctionnée sur le terrain pénal. Leur généralisation aux juridictions civiles et à tous les DPI représente donc une évolution favorable à leur protection effective40. Ainsi, au nombre de celles-ci, il faut compter :

- le rappel des marchandises contrefaisantes, - le retrait ou la mise à l’écart de celles-ci des circuits commerciaux, - la destruction des produits contrefaisants, des matériaux et instruments ayant principalement servi à leur

création ou fabrication, - en matière de droit d’auteur exclusivement, la confiscation de tout ou partie des recettes procurées par la

contrefaçon au profit de la partie lésée ou de ses ayants droit, - la confiscation desdits produits au profit de la partie lésée.

Bien que ces mesures ne soient pas définies spécifiquement, on comprend bien l’objectif recherché qui consiste, d’une part, à assainir les circuits commerciaux grâce à la saisie des objets contrefaisants déjà mis en circulation sur les marchés (mesures de confiscation, de rappel ou de retrait), d’autre part, à empêcher, pour l’avenir, de nouvelles contrefaçons (destruction des marchandises et des matériaux et instruments ayant servi à leur création). Ce but est souligné dans le dixième considérant41 du Règlement 1383/2003 du Conseil42. Ces mesures ne sont pas automatiques, elles doivent donc être demandées expressément par la victime de la contrefaçon, sans préjudice de l’octroi de dommages et intérêts, ces deux dispositifs ayant une finalité distincte43. 40 En matière de droit d’auteur et droits voisins (CPI, art. L. 331-1-4 et L. 335-6), de dessins ou modèles (CPI, art. L. 521-8), de brevets (CPI, art. L. 615-7-1), d’obtentions végétales (art. L. 623-28-1), de marques (CPI, art. L. 716-14) et d’indications géographiques (art. L. 722-7). 41 Selon ce considérant, « ces mesures – qui doivent être prises à l’égard de marchandises portant atteinte à certains DPI – doivent non seulement priver les responsables du commerce de ces marchandises du profit économique de l’opération et les sanctionner mais également constituer une mesure dissuasive efficace contre d’autres opérations de même nature ». 42 Règlement (CE) n° 1383/2003 du Conseil, 22 juill. 2003, concernant l’intervention des autorités douanières à l’égard des marchandises soupçonnées de porter atteinte à certains DPI ainsi que les mesures à prendre à l’égard de marchandises portant atteinte à certains DPI. Notons que le règlement prévoit la destruction des marchandises ou leur épuisement hors des circuits commerciaux de manière à éviter de causer un préjudice au titulaire du droit ou « toute autre mesure ayant pour effet de priver effectivement les personnes concernées du profit économique de l’opération » (art. 17). On constate ici encore que, si les marchandises portant atteinte aux DPI sont énumérées (art. 2) et comprennent notamment « tout moule ou toute matrice spécifiquement conçus ou adaptés à la fabrication de telles marchandises », aucune définition à proprement parler n’est pourtant donnée des mesures. 43 V. Cass. com., 17 juin 2003, PIBD 2003, III, 48, rendu sous l’empire de la loi ancienne qui prévoyait déjà la confiscation des objets portant atteinte, en l’espèce, aux dessins et modèles. Par ailleurs, cette confiscation était limitée aux objets portant atteinte aux droits et n’incluait pas les recettes perçues par le contrefacteur – CA Paris, 3 mars 1988, Ann. Propr. Industr., 1989, p. 180 – ce dernier point constituant indéniablement une avancée de la loi de transposition.

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L’article 46 des ADPIC pose aussi comme condition que, « lors de l’examen de telles demandes, il sera tenu compte du fait qu’il doit y avoir proportionnalité de la gravité de l’atteinte et des mesures correctives ordonnées, ainsi que des intérêts des tiers ». En tout état de cause, le régime français prévoit qu’elles sont ordonnées aux frais du contrefacteur et on constate que les tribunaux n’hésitent pas à les accorder44. 3. Proposition de la CCIP : ne pas enfermer les mesures correctives dans des définitions

restrictives Il faut souscrire aux mesures non pécuniaires que sont le rappel des marchandises contrefaisantes des circuits commerciaux, lesquelles permettent de mieux lutter contre la contrefaçon sans qu’il apparaisse fondamental de les enfermer dans une définition restrictive. En effet, la pratique judiciaire française, à tout le moins, démontre que cette absence de définition et de délimitation entre les différentes mesures ne constitue pas une entrave à leur mise en œuvre, les objectifs de ce dispositif étant en outre parfaitement clairs.

44 V. en ce sens, TGI Paris, 32 sept. 2009, PIBD 2009, III, 1556 ; CA Pau, 31 mars 2010, PIBD 2010, III, 395.

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PARTIE 6

L’effet compensatoire et dissuasif des dommages-intérêts

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1. Position de la Commission européenne La Commission relève que « les bénéfices des contrevenants (enrichissement indu) semblent souvent sensiblement plus élevés que le préjudice réellement subi. En pareil cas, on pourrait examiner si les tribunaux devraient être habilités à accorder des dommages-intérêts proportionnels à l’enrichissement indu des contrevenants, même s’ils sont supérieurs au préjudice réel subi par le titulaire des droits. De manière analogue, il pourrait être justifié de recourir davantage à la possibilité d’accorder des dommages-intérêts pour d’autres conséquences économiques et pour le préjudice moral subi ». 2. Observations de la CCIP

Soucieuse, conformément à la directive, de donner aux juridictions des bases plus larges pour apprécier le montant des dommages-intérêts accordés aux titulaires de droits lésés, la loi de transposition de 2007 prévoit que ces derniers devront :

- soit prendre en compte, outre les conséquences économiques négatives et le préjudice moral subis par la

partie lésée, les bénéfices réalisés par le contrefacteur, - soit être fixés de manière forfaitaire, ce forfait étant déterminé sur la base minimale des redevances que le

titulaire de droits aurait pu percevoir si le contrefacteur avait demandé son autorisation45. Par cette possibilité d’évaluer les dommages-intérêts sur la base de l’enrichissement sans cause, le droit français offre une amélioration sensible dans le calcul des dédommagements accordés. En d’autres termes, le contrefacteur restituera à l’entreprise victime de contrefaçon les bénéfices qu’il a injustement retirés. Pour autant, les travaux préparatoires soulignent que l’intention du législateur, en conformité avec la directive, était de conduire les magistrats à réévaluer le calcul des dédommagements mais sans contrevenir au droit commun de la responsabilité, fondé sur la réparation stricte mais intégrale du préjudice46.

La Commission pose aujourd’hui la question de savoir comment accroître l’indemnisation dissuasive ? Ce domaine est caractérisé par des « fautes lucratives »47. Autrement dit, lorsque les contrefacteurs ont, ce qui est souvent le cas, une capacité de production supérieure aux fabricants des produits authentiques, le faible montant des dommages-intérêts versés leur permet, au final, de retirer un avantage économique de la contrefaçon, avantage qui peut être très substantiel. Les sanctions civiles sont alors disproportionnées au regard des bénéfices réalisés par les contrefacteurs, la contrefaçon permettant « des profits maximums pour un risque minimum », en quelque sorte une « prime à la contrefaçon ».

45 L’indemnisation forfaitaire est destinée à permettre une réparation du préjudice dans l’hypothèse, par exemple, où des éléments de preuve manquent pour apprécier avec précision le préjudice subi par le titulaire de droits. 46 V. dans ce sens l’étude réalisée en 1999 par l’IRPI pour le ministère de la Justice : « La jurisprudence relative à la contrefaçon des droits de propriété intellectuelle ». À ce titre, il pourrait être utile d’examiner, par une nouvelle étude qui pourrait également être confiée à l’IRPI, l’évolution de la jurisprudence dans ce domaine depuis l’entrée en vigueur de la loi de 2007. 47 Définie par la doctrine comme une faute qui, malgré les dommages-intérêts que le responsable est condamné à payer - et qui sont calculés sur le préjudice subi par la victime - laisse à son auteur une marge bénéficiaire suffisante pour qu’il n’ait aucune raison de ne pas la commettre à nouveau. Il s’agit donc d’une faute dont les conséquences profitables, pour leur auteur, ne sont pas neutralisées par la simple réparation des dommages causés. Elle se rencontre dans le domaine des atteintes aux droits de propriété intellectuelle, en particulier lorsqu’elles sont commises par des contrefacteurs qui réalisent des productions à grande échelle, alors même que le titulaire des droits ne dispose pas lui-même de capacités de production aussi importantes.

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3. Proposition de la CCIP : rejeter l’introduction de dommages-intérêts punitifs La question concerne ici clairement l’opportunité d’introduire des dommages-intérêts punitifs48. A cela, on répondra que leur principe même fait débat parmi les professionnels du droit. Les opposants à un tel système font valoir que le procès civil n’a pas vocation à punir, à la différence du procès pénal ; les dommages-intérêts punitifs conduiraient à faire totalement disparaître la distinction entre la responsabilité pénale et la responsabilité civile qui constitue le cœur du droit français depuis l’Ancien Régime. La directive, en son considérant 26, semble d’ailleurs écarter toute peine privée : « Le but est non pas d’introduire une obligation de prévoir des dommages et intérêts punitifs, mais de permettre un dédommagement fondé sur une base objective tout en tenant compte des frais encourus par le titulaire du droit tels que les frais de recherche et d’identification. ». Elle invite donc le juge à évaluer au mieux le préjudice en tenant compte de tous les éléments pertinents du dossier49. Dès lors, mieux vaut parler de réparation adaptée à la réalité économique, de « restauration d’une exclusivité »50. La CCIP est aussi clairement opposée à la notion de dommages-intérêts punitifs. En France en tout cas, la création de pôles mixtes compétents en matière de contrefaçon pourrait constituer une autre voie puisqu’elle devrait conduire à une réponse pénale plus ferme tant sur l’intérêt public (dimension punitive) que sur les intérêts civils (dimension réparatrice).

48 Proposition de loi n° 657 (2009-2010) portant réforme de la responsabilité civile, 9 juill. 2010, proposant d’inscrire le principe dans le code civil : http://www.senat.fr/leg/ppl09-657.html. 49 Les partisans d’un tel système ont, quant à eux, mis en avant les arguments suivants : (i) la restitution des fruits répare le préjudice et évite tout enrichissement du contrefacteur mais ne sanctionne pas le contrefacteur ; autrement dit, ce dernier n’est pas puni pour ses agissements : il est simplement condamné à verser au titulaire des droits les bénéfices qu’il a encore, s’il est poursuivi et condamné. Seuls les dommages-intérêts punitifs le dissuaderont de récidiver ; (ii) l’institution de dommages et intérêts punitifs dans le domaine de la contrefaçon est conforme à l’esprit de la directive précitée qui vise à instaurer des sanctions « dissuasives » (art. 3). La possibilité qui serait offerte aux juridictions de condamner le contrefacteur à un montant de dommages et intérêts (réparatoires et punitifs) très supérieur au préjudice de sa victime serait, sans conteste, de nature à décourager la contrefaçon. 50 V. M. Vivant, « Prendre la contrefaçon au sérieux », Dalloz 2009, p. 1839 : « il s’agit de réparer et de restaurer, de restaurer une exclusivité qui ne le serait pas si le juge n’allouait rien de plus que ce qu’il donnerait en l’absence de tout droit. Il s’agit de penser et l’acte de contrefaçon pour ce qu’il est, et l’action en contrefaçon dans la fonction "d’effacement" de cet acte qui est la sienne. Prendre la contrefaçon au sérieux ».

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PARTIE 7

La notion d’échelle commerciale

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1. Position de la Commission européenne La Commission s’interroge sur l’opportunité de donner une définition claire et précise de la notion « d’atteinte commise à l’échelle commerciale ». 2. Observations de la CCIP La directive de 2004 prévoit, dans son considérant 14, que certaines mesures51 ne doivent s’appliquer « qu’à des actes perpétrés à une échelle commerciale ». Il s’agit des actes accomplis « en vue d’obtenir un avantage économique ou commercial direct ou indirect, ce qui exclut normalement les actes qui sont perpétrés par des consommateurs finaux agissant de bonne foi ». L’article 8 de la directive, par exemple, exige, pour la mise en œuvre du droit d’information, que l’activité contrefaisante visée ait été exercée « à l’échelle commerciale ». Le législateur français, jugeant ce critère trop flou, l’a purement et simplement supprimé dans la transposition. En conséquence, il n’existe pas, en droit français, de limitation des mesures, ouvertes aux titulaires de droits (notamment le droit d’information), liée à la nature de l’activité contrefaisante. 3. Proposition de la CCIP : rejeter toute notion d’« échelle commerciale » Il conviendrait ainsi de retirer, dans un éventuel projet de révision de la directive de 2004, toute référence à la notion de contrefaçon « à l’échelle commerciale ».

51 Il en est ainsi de la communication de documents bancaires, financiers ou commerciaux, de la fourniture d’informations sur l’origine et les réseaux de distribution des marchandises ou des services contrefaisants et, enfin, de la saisie conservatoire des biens mobiliers ou immobiliers du présumé contrefacteur.

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Annexe I

Droit d’information et protection de la vie privée : éléments d’analyse L’obtention des éléments d’information est conditionnée à l’absence d’empêchement légitime de la personne à l’encontre de laquelle la demande est sollicitée. Les juges ont eu l’occasion de circonscrire les contours de cette notion, par ailleurs connue du droit français52. À ce titre, la jurisprudence rendue sous l’empire du Code de procédure civile (CPC) est transposable au droit de la propriété intellectuelle. Il a pu être décidé que « le pouvoir conféré au juge par l’article 11 du CPC [mesures d’instruction et pouvoir d’injonction] n’est limité que par l’existence d’un motif légitime tenant soit au respect de la vie privée, sauf si la mesure s’avère nécessaire à la protection des droits et libertés d’autrui, soit au secret professionnel »53. Ainsi, « constitue un empêchement légitime, au sens de l’article L. 716-7-1 du Code de la propriété intellectuelle, toute règle de droit tenant notamment au respect de la vie privée ou au secret professionnel, en application de laquelle la communication des documents recherchés, par leur détenteur, serait susceptible d’engager la responsabilité, civile ou pénale, de ce dernier »54. Il revient au défendeur d’en rapporter la preuve. Cependant, notons que les juges refusent de voir dans le secret des affaires ou la confidentialité de certains documents dont la communication est demandée, un empêchement légitime si aucune autre justification est rapportée, dans la mesure où ceux-ci ne bénéficient pas, en soi, d’une protection spéciale55. L’atteinte à la vie privée justifie donc que soit limité le droit à la preuve de la partie victime de la contrefaçon. Un équilibre entre deux droits fondamentaux doit être trouvé. Dès lors, comme également exposé dans le dispositif de l’arrêt C-275/06 de la CJUE, les États membres doivent veiller à établir un juste équilibre entre les différents droits fondamentaux protégés par l’ordre juridique communautaire. Il leur incombe également, lors de la mise en œuvre des mesures de transposition desdites directives, non seulement d’interpréter leur droit national d’une manière conforme à ces mêmes directives mais également de ne pas se fonder sur une interprétation de celles-ci qui entrerait en conflit avec lesdits droits fondamentaux ou avec les autres principes généraux du droit communautaire, tels que le principe de proportionnalité56. Le droit communautaire se défausse ici sur le droit national qui a donc la charge de pondérer

52 V. les art. 11, 141 et 145 du Code de procédure civile. 53 Le pouvoir d’injonction est neutralisé lorsque la pièce détenue est couverte par le secret professionnel. Cette solution repose notamment sur « l’obligation d’apporter son concours à la justice en vue en vue de la manifestation de la vérité » - art. 10 du Code civil - qui s’impose « aussi bien aux personnes publiques qu’aux personnes privées » (même arrêt). Par contre, « le ministre des P & T ne peut se retrancher derrière le secret professionnel pour refuser au juge, qui le demande pour les besoins de la manifestation de la vérité et la protection des droits d’une partie, la communication des noms et adresse du titulaire d’un abonnement téléphonique inscrit sur liste rouge ». En effet, il s’agissait en l’espèce d’une clause contractuelle de confidentialité (une liste rouge téléphonique), ne permettant pas à celui qui l’invoquait de se retrancher derrière l’empêchement légitime de secret professionnel. Sur l’empêchement tiré du respect de la vie privée, celui-ci se traduit par le fait que « nul ne peut être contraint à produire en justice des documents relatifs à des faits dont il a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions et touchant à l’intimité de la vie privée des personnes : Cass. Civ 2ème, 29 mars 1989, D. 1989, somm. 356, obs. Amson. Il en va autrement « lorsque la dissimulation de cet élément est dictée par le seul désir illégitime de la personne concernée de se dérober à l’exécution de ses obligations et de faire échec aux droits de ses créanciers : Cass. Civ. 1ère, 19 mars 1991, D. 1991, 568, note Velardocchio. 54 TGI Paris, Ord. JME, 6 juin 2008. 55 Notons que l’article 6 de la directive qui n’autorise les mesures d’instruction que « sous réserve que la protection des renseignements confidentiels soit assurée », peut venir au secours de telles informations non couvertes par l’empêchement légitime, cette disposition offrant donc aux défendeurs/tiers une possibilité de s’opposer à leur communication. V. TGI Paris, Ord. JME, 21 mars 2008, n° 06/09722, PIBD, 2008, III, 380 : « La seule affirmation d’une atteinte au secret des affaires, sans plus de précision quant aux pièces spécifiquement concernées, ne constitue pas un empêchement légitime au sens de l’article L. 716-1 du CPI ». V. également F. Bourguet, Droit d’information, le bilan de deux ans d’application, art. précité. 56 CJUE, Gde ch., 29 janv. 2008, aff. C-275/06, Productores de Música de España c/ Telefónica de España.

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les intérêts en présence. Or, la tâche n’est pas aisée quand il est question de proportionnalité. La France s’est orientée, en droit d’auteur, dans la direction d’une riposte graduée qui suppose préalablement l’identification des contrevenants. Enfin, notons que le droit d’information ne touche que les informations qui sont ou devraient raisonnablement être en possession du défendeur ou du tiers en cause57 et que cette communication se limite aux informations relatives au territoire où le DPI est protégé. Ces dernières conditions viennent donc compléter l’encadrement d’un tel droit.

57 CA Reims, 1ère ch. civ., 5 mai 2009 précité : « La société défenderesse n’est de toute évidence pas en possession des noms et adresses des producteurs, fabricants, distributeurs, fournisseurs et autres détenteurs antérieurs des sacs contrefaisants de sorte que la demande de communication sera limitée à la communication des noms et adresses des vendeurs et acheteurs desdits sacs ».V. aussi TGI Paris, 14 mai 2009, précité.

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