53
1 LES CHRONIQUES DU DPA Revue Juridique du Master Droit Privé Approfondi d’Amiens DOSSIER THÉMATIQUE : La réforme du droit des contrats Présentation générale de la réforme - par H. Chanteloup Les conditions de validité des contrats - par E.Clément La force majeure – par C. Zengomona Les sanctions de l’inexécution – par V.Boodhoo La résolution du contrat - par C.Zengomona La cession de dette – par A. Barloy JURISPRUDENCE Procédure pénale Contrôle d’identité Cass, Crim, 25 mai 2016 – obs. A. Alexandre Droit international privé La transcription des actes d’état civil étrangers et la filiation issue des conventions de mère porteuse CA Rennes, 27 septembre 2015 – obs. H. Chanteloup INFORMATIONS Pourquoi fallait-il maintenir la sélection en Master 2 ? – par H. Chanteloup N°1 – Oct. 2016 AVANT-PROPOS Présentation de la revue – par H.Chanteloup CULTURE GÉNÉRALE Le droit, cette science naturelle par V.Gobin MÉTHODOLOGIE La structure des arrêts de la Cour de cassation – par V. Gobin PORTRAIT Emmanuel Netter – par M. Hoyer « Napoléon présentant le Code civil à l’Impératrice Joséphine », Gravure d’après un dessin de Charles Monnet (1732-1808)

Revue Juridique du Master Droit Privé Approfondi … · DOSSIER THÉMATIQUE : La réforme du droit des contrats AVANT dessin de Charles Monnet (1732 C Présentation générale de

  • Upload
    dotuyen

  • View
    224

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

1

LES CHRONIQUES DU DPA

Revue Juridique du Master Droit Privé Approfondi d’Amiens

DOSSIER THÉMATIQUE : La réforme du droit des contrats

Présentation générale de la réforme - par H. Chanteloup Les conditions de validité des contrats - par E.Clément La force majeure – par C. Zengomona Les sanctions de l’inexécution – par V.Boodhoo La résolution du contrat - par C.Zengomona La cession de dette – par A. Barloy

JURISPRUDENCE

Procédure pénale Contrôle d’identité Cass, Crim, 25 mai 2016 – obs. A. Alexandre Droit international privé La transcription des actes d’état civil étrangers et la filiation

issue des conventions de mère porteuse CA Rennes, 27 septembre 2015 – obs. H. Chanteloup

INFORMATIONS Pourquoi fallait-il maintenir la sélection en Master 2 ? – par H. Chanteloup

N°1 – Oct. 2016

AVANT-PROPOS Présentation de la revue – par H.Chanteloup

CULTURE GÉNÉRALE Le droit, cette science naturelle – par V.Gobin

MÉTHODOLOGIE La structure des arrêts de la Cour de cassation – par V. Gobin

PORTRAIT Emmanuel Netter – par M. Hoyer

« Napoléon présentant le Code civil à l’Impératrice Joséphine », Gravure d’après un dessin de Charles Monnet (1732-1808)

2

Contributeurs (par ordre alphabétique)

Anthony ALEXANDRE Master 2 DPA (2015) Doctorant Spécialiste de droit pénal et procédure pénale Anaëlle BARLOY Master 2 DPA (2015) CAPA – Chargée de TD Spécialiste de droit civil Vanessa BOODHOO Master 2 DPA (2015) Chargée de TD Spécialiste de droit civil

Hélène CHANTELOUP Directrice du Master DPA Professeur Spécialiste de DIP et droit civil Eugénie CLEMENT Master 2 DPA (2015) Doctorante Spécialiste de droit des obligations

Vincent GOBIN Master 1 DPA (2016) Master 2 Histoire du droit (Paris II) Spécialiste d’Histoire du droit Mathilde HOYER Master 2 DPA (2016) Doctorante Spécialiste de droit civil Clothaire ZENGOMONA Etudiant du Master 2 DPA (2016-2017) Spécialiste de droit pénal et procédure pénale

Comité scientifique

Hélène CHANTELOUP Directrice du Master DPA Professeur UPJV

Morgane DAURY-FAUVEAU Directrice de l’IEJ Professeur UPJV

Sophie PELLET Co-Directrice du Master de droit des affaires Professeur UPJV

Sommaire général

AVANT PROPOS : Présentation de la revue Hélène Chanteloup…………………………………………………………………………………………………………………………………………………………….. 3 DOSSIER « LA REFORME DU DROIT DES CONTRATS » Les conditions de validité des contrats dans l’Ordonnance du 10 février 2016 : un bilan mitigé Par Eugénie Clément………………………………………………………………………………………………………………………………………………………….. 5 La force majeure selon l’Ordonnance du 10 février 2016 Par Clothaire Zengomona……………………………………………………………………………………………………………………………………………………. 10 Les sanctions de l’inexécution du contrat selon l’Ordonnance du 10 février 2016 Par Vanessa Boodhoo……………………………………………………………………………………………………………………………………………………….. 15 La résolution du contrat depuis l’Ordonnance du 10 février 2016 Par Clothaire Zengomona………………………………………………………………………………………………………………………………………………….. 22 La cession de dette selon l’Ordonnance du 10 février 2016 Par Anaëlle Barloy……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………. 26 JURISPRUDENCE Procédure pénale : Le caractère aléatoire des contrôles Schengen Par Anthony Alexandre………………………………………………………………………………………………………………………………………………………. 31 Droit international privé : Transcription des actes d’état civils étrangers et filiations issues d’une convention de mère porteuse Par Hélène Chanteloup……………………………………………………………………………………………………………………………………………………... 36 CULTURE JURIDIQUE Le droit, cette science naturelle Par Vincent Gobin…………………………………………………………………………………………………………………………………………………………….. 41 METHODOLOGIE Synthèse pratique de la communication de Monsieur Weber Par Vincent Gobin…………………………………………………………………………………………………………………………………………………………….. 45 INFORMATIONS Pourquoi fallait-il maintenir la sélection à l’entrée du Master 2 Par Hélène Chanteloup……………………………………………………………………………………………………………………………………………………… 50 PORTRAIT : EMMANUEL NETTER Par Mathilde Hoyer………………………………………………………………………………………………………………………………………………………….. 53

3

AVANT-PROPOS Par Hélène Chanteloup Bienvenue dans « Les Chroniques du DPA », nouvelle revue juridique et généraliste rédigée et publiée par les étudiants, les doctorants et les enseignants du Master de Droit privé approfondi (1 & 2) d’Amiens. La première finalité de ce périodique est de croiser le plaisir qu’ont certains étudiants du Master d’exprimer leurs analyses et leurs pensées sur les thèmes juridiques qui leur tiennent à cœur et le plaisir de leurs camarades, tout aussi essentiel, d’apprendre et de s’enrichir. Il était donc indispensable de créer un support de publication aisément accessible à tous. Aussitôt l’annonce faite d’un projet de publication, les doctorants (anciens du Master) ont également montré leur enthousiasme et manifesté leur envie d’y participer activement. Leur contribution est précieuse et fructueuse. Qu’ils en soient tous vivement remerciés ! Les Chroniques devraient donc exprimer la dynamique de tout un parcours de droit privé et fédérer des juristes en herbe ou d’autres plus avertis quels que soient leurs profils privatistes. La revue est pilotée par un Comité scientifique d’édition (CSE), constitué de trois enseignantes du Master, et chargé de contrôler la valeur scientifique des propositions de publications. Aucun texte, commentaire ou autre ne peut être publié sans avoir préalablement obtenu l’autorisation du CSE. En contrôlant la qualité scientifique des contributions, en perfectionnant la réflexion et les techniques de rédaction, le Comité garantit aux auteurs de pouvoir se prévaloir de leurs travaux dans leurs dossiers professionnels et de les inscrire dans leurs CV. Les « Chroniques du DPA » n’obéissent à aucune autre règle que celle de la qualité scientifique. Elles échappent à toute contrainte d’architecture éditoriale. Les rubriques s’adapteront aux contributions et non l’inverse. Ce choix est dicté par la volonté de rendre compte du caractère généraliste du Master et par celle de ne pas réduire inutilement les bonnes initiatives des auteurs. On y parlera de droit civil, droit commercial, droit pénal, philosophie ou encore histoire du droit. Les commentaires de textes et d’arrêts côtoieront les informations pratiques, les portraits de personnalités ou l’actualité juridique plus générale. Les Chroniques veulent être, et rester, un espace de libre expression, un lieu d’échanges et d’imagination. Sans se départir de la rigueur scientifique nécessaire à la valeur du propos, elles feront place à la dérision, à

l’amusement, à l’ésotérique et vous donneront, nous l’espérons, l’envie de « faire du droit » autrement. Les Chroniques sont publiées sur les sites internet du Master DPA (www.master-2-dpa-amiens.fr) et du CEPRISCA (www.ceprisca.fr) qui est le centre de recherche de droit privé d’Amiens. A toutes fins utiles, il est rappelé que les écrits publiés dans la présente revue sont protégés par les dispositions du Code de la propriété intellectuelle, notamment celles relatives au droit d’auteur. Toute copie, plagiat est illégal. Les propos tenus sont propres à leurs auteurs et n’engagent pas la responsabilité de l’UPJV, de l’UFR de droit d’Amiens, du CEPRISCA ou des enseignants du Master DPA. Ces avertissements valent pour tous les numéros des Chroniques du DPA.

DOSSIER THÉMATIQUE La réforme du droit des contrats (l’Ordonnance du 10 février 2016)

1 - Présentation générale de la réforme Par Hélène Chanteloup Les étudiants de 2ème année ne mesurent pas la chance qu’ils ont ! Novices en droit des obligations, ils ne découvriront les règles régissant les contrats que dans leur version remaniée suite à l’Ordonnance du 10 février 2016. Nul besoin pour eux de se doter de tables de concordance aux fins de mâter la renumérotation ! Nul besoin non plus (quoique !) de se frotter aux subtiles théories de la cause ou de l’imprévision tant redoutées lors des examens. Ils feront leurs armes contractuelles sans comparaison ni conversion et échapperont, sans même s’en rendre compte, aux tourments de leurs aînés,

4

étudiants, professionnels et mêmes retraités, formés aux splendeurs napoléoniennes des anciens articles 1134, 1165 ou 1184. Le toilettage du droit des obligations et spécialement du droit des contrats n’est pas une surprise. Annoncé par les Projets dits « Projet Catala » du 22 septembre 20051 et « Projet Terré » 2, il a officiellement pour objectif d’améliorer la compétitivité politique et économique du droit français, de permettre une meilleure accessibilité des règles et de garantir la protection des parties faibles3. Fortement inspirée de la jurisprudence antérieure, l’Ordonnance du 10 février 2016 ne bouleverse pas les solutions acquises, mais elle consacre tout de même quelques nouveautés substantielles. Avant d’entreprendre ce qui ne sera ici qu’un simple aperçu des principales innovations, il importe d’évoquer certaines méthodes ou règles communes à l’ensemble des dispositions. En premier lieu, l’Ordonnance entre en vigueur le 1er octobre 2016 et s’applique à tous les contrats conclus après cette date. Le principe de survie de la loi ancienne permettra aux contrats déjà conclus de demeurer sous l’empire du droit antérieur. Notons toutefois que le renouvellement des contrats conclus antérieurement déclenchera l’application des dispositions de l’Ordonnance dès lors qu’il emporte constitution d’un accord (article 1214 du code civil). En deuxième lieu, la réforme met en place de nouvelles règles de prévention des conflits en offrant les moyens d’une meilleure communication. Trois prérogatives interrogatoires sont ainsi introduites aux articles 1123 (pacte de préférence), 1158 (représentation) et 1183 (nullité) qui permettent, selon les cas, aux tiers ou aux parties concernés de « tuer dans l’œuf » tout risque d’annulation, d’inopposabilité, ou de privation. Enfin, il est incontestable que le toilettage opéré par la réforme dépasse largement le simple dépoussiérage ou le gommage des impuretés. Soucieuse d’insuffler une plus grande cohérence, l’Ordonnance propose en réalité un véritable soin esthétique et fait peau neuve sur bien des points. Le Titre IV consacré au régime général des obligations en est une illustration. Réunissant désormais en son sein les règles relatives aux modalités des obligations, à leur transmission (y compris la cession de créance) et à leur extinction, le titre se clôt par un nouveau chapitre consacré aux restitutions.

1 « Avant-projet de réforme du droit des obligations et de la prescription », Doc. Fr.2006. 2 Pour une réforme du droit des contrats, F. Terré (dir.), Dalloz, 2009 ; Pour une réforme du droit de la responsabilité

Ces remarques étant faites, quelles sont donc les principales innovations de la réforme ? A titre liminaire, il convient d’observer que le Législateur n’a pas renâclé à la tâche définitoire. Les articles 1101 à 1111-1 du code civil s’apparentent à un lexique général que viennent compléter, çà et là, de ponctuelles définitions éparpillées. Symboliquement, c’est le contrat lui-même qui inaugure la célébration des définitions et s’affiche désormais comme « l’accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes destiné à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations ». C’en est donc fini de la distinction entre contrat et convention et la qualification contractuelle dépasse la seule sphère de la création des obligations dans laquelle elle était anciennement cantonnée. Mais, tout effort définitoire, si noble soit-il, n’est pas sans danger car, quand une définition est trop précise, elle contraint et crée des blocages et quand elle est trop souple, elle confine à l’inutilité. Il est à craindre par exemple que la définition du contrat d’adhésion donnée à l’article 1110 alinéa 2 ne soit guère rassembleuse… Le chapitre relatif à la formation du contrat contient aujourd’hui 76 articles (art. 1112 à 1187) au lieu des 27 édictés en 1804. De l’obligation générale d’information précontractuelle (article 1112-1), à l’échange des consentements (art.1113 à 1122) jusqu’aux avant-contrats (promesse unilatérale et pacte de préférence), la réforme met un point d’honneur à réglementer la période de création des accords. Couplant nouveautés et reprise de principes jurisprudentiels, l’Ordonnance construit un ensemble cohérent de dispositions qui ont le mérite de clarifier une ancienne jurisprudence parfois confuse. S’agissant des conditions de validité, l’acronyme « CCOC » n’est plus de mise puisque l’article 1128 ne recense plus aujourd’hui que trois conditions de validité : le consentement, la capacité et le « contenu licite et certain » du contrat lequel relègue aux oubliettes terminologiques les conditions relatives à l’objet et à la cause. Le « contenu du contrat » englobe les exigences relatives à la matérialité de l’opération économique et abrite les dispositions applicables à la prestation, l’objet, le prix, les clauses, la conformité à l’ordre public. Nul doute que ces nouvelles dispositions se distinguent par leur modernité et leur aptitude à s’imprégner de la réalité concrète du contrat. Mais, pour

civile, F. Terré (dir.), Dalloz, 2011 ; Pour une réforme du régime général des obligations, F. Terré (dir.), Dalloz, 2013 3 Sur ces objectifs : G.Chantepie et M.Latina, « La réforme du droit des obligations », Dalloz, 2016.

5

autant, il serait hâtif de considérer qu’elles écartent toute référence aux anciennes notions d’objet et de cause. Il suffit de lire l’article 1162 pour le comprendre : « Le contrat ne peut déroger à l’ordre public ni par ses stipulations, ni par son but, que ce dernier ait été connu ou non par toutes les parties ». Le « but du contrat » n’est-il pas ici l’écho des mobiles des parties anciennement contrôlés par application de la théorie de la cause ? La réalité et la logique sont identiques. Seul le vocabulaire change. Le chapitre IV consacré aux effets du contrat est entièrement restructuré et renforcé. Abandonnant aux dispositions préliminaires le soin de consacrer les principes de la force obligatoire (art. 1103) et de la bonne foi contractuelle (art.1104), la première sous-section du chapitre abrite le revirement le plus commenté de la réforme : l’abandon de la jurisprudence « Canal de Craponne »4 et l’introduction en droit français du droit de demander la révision judicaire du contrat en raison d’un changement de circonstances imprévisibles (art. 1195 al. 2). S’agit-il d’un « pavé dans la mare » ? Certainement, mais d’un point de vue théorique seulement car, dans la pratique, les clauses d’imprévision garantissaient l’adaptation du contrat tout aussi efficacement (sinon plus). En réalité, la vague de renouveau qui déferle sur l’effet des contrats secoue davantage la question du transfert de propriété si l’on songe qu’elle occasionne la disparition des écrans-radars de l’obligation de donner (anciens articles 1136 à 1139). L’obligation napoléonienne paie ici le prix des tourments qu’elle avait suscités, liés à sa difficile conciliation avec le principe du transfert solo consensu. La section consacrée aux effets à l’égard des tiers est également restructurée et oppose aujourd’hui des dispositions générales (art.1199 à 1202) à des dispositions spécifiques à la promesse de porte-fort et à la stipulation pour autrui (art.1203 à 1209). D’aucuns jugent déjà que cette organisation est sujette à critique puisque la simulation est étrangement rattachée aux dispositions générales et que certaines difficultés liées à l’opposabilité des contrats aux tiers ont été oubliées (ex : actions directes contractuelles au sein des chaines de contrats)5. Les véritables richesses et nouveautés du chapitre relatif aux effets du contrat tiennent à la mise en valeur des règles relatives à la durée du contrat qui prennent désormais place aux articles 1210 à 1215, à la

4 Cass. Civ., 6 mars 1876, D.76,1,193, note Giboulot.

codification de la cession de contrat (art. 1216 à 1216-3) et à l’entière restructuration des remèdes à l’inexécution du contrat (art. 1217 à 1231-7). Enfin, on conclura cette rapide présentation en rappelant que l’Ordonnance actualise le droit des quasi-contrats. Sans surprise, le nouveau sous-titre III recense les trois opérations quasi-contractuelles que sont la gestion d’affaires, le paiement de l’indu et l’enrichissement sans cause, désormais nommé enrichissement injustifié. Les nouveautés sont rares et les acquis jurisprudentiels codifiés. On regrettera seulement que le Législateur n’ait pas saisi l’occasion de lever l’obscurité de la typologique duale du paiement de l’indu (paiement indu objectif et subjectif) et n’ait pas consacré un système de responsabilité quasi-contractuelle uniforme.

*** Il va de soi que l’ampleur de la réforme, son phrasé, sa technicité et ses imperfections susciteront, dans les prochains mois et années, de multiples commentaires et tout autant de critiques. Les « Chroniques du DPA » s’en feront l’écho et tenteront, pour leur modeste part, de contribuer utilement aux débats. Vous n’êtes pas sans savoir qu’à ce jour, les avis et commentaires doctrinaux consacrés à l’Ordonnance du 10 février 2016 fusent de toute part, chacun tentant d’apporter sa pierre à la construction du nouvel édifice. Il reste, toutefois, qu’en l’état, l’appréciation est encore au stade embryonnaire et ne parviendra à maturité qu’après plusieurs années de mise en œuvre de la réforme par la jurisprudence. C’est donc presque « sans filet » que les étudiants du Master DPA ont rédigé les contributions qui suivent. Qu’ils en soient remerciés ! 2- Les conditions de validité des contrats dans l’Ordonnance du 10 février 2016 : un bilan mitigé Par Eugénie Clément Le 1er octobre 2016, entrera en vigueur l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations. Cette échéance se rapprochant à grand pas, nous ne pouvons faire l’économie de quelques précisions et remarques quant à ce texte qui a vocation à modifier une partie substantielle de notre Code civil.

5 G. Chantepie et M.Latina, préc., sp p.462 et ss.

6

La question de la validité des contrats, notamment, a fait l’objet d’importantes modifications, et ce sont désormais les articles 1128 à 1171 qui en déterminent les conditions. La forme n’intéressera pas ici notre propos, dans la mesure où l’organisation choisie ne soulève pas de difficultés particulières. En effet, la question de la validité est logiquement traitée dans un chapitre dédié à la formation du contrat, qui s’intéresse également à sa conclusion, sa forme et les sanctions quant au non-respect de ces dispositions. L’organisation retenue semble alors satisfaisante en ce qu’elle aborde successivement les différentes étapes de la formation du contrat, en effectuant des rapprochements plutôt bienvenus, tel celui entre la capacité et la représentation. Cet aspect formel étant évacué, c’est sur l’aspect substantiel que nous proposons de concentrer cette étude. Si la validité du contrat fait dorénavant l’objet de quarante-trois articles, toutes ces dispositions ne vont pas retenir notre attention. Notre étude laissera ainsi de côté les questions relatives à la capacité ou à la représentation afin de se concentrer sur certains aspects qui sont la manifestation d’une double tendance. L’abandon de certaines conditions de validité et l’émergence de la notion de « contenu du contrat » témoignent, tout d’abord, d’une volonté simplificatrice. Mais à trop vouloir simplifier, l’on prend parfois le risque de l’imprécisions. Le recours à la notion de contenu du contrat est symptomatique de ce danger et ce d’autant plus que la notion paraît finalement servir une fonction discutable (I). Ce premier aspect côtoie alors une autre tendance, plus fonctionnelle, qui transparaît au détour de plusieurs dispositions. En effet, l’énoncé et l’articulation de nombreuses dispositions – en elles-mêmes non problématiques – trahissent un glissement du droit de la formation des contrats vers une volonté générale de protection des parties faibles, et l’influence à peine voilée de certains droits spéciaux (II). I - Le « contenu du contrat » : une notion décevante L’article 1128 précise dorénavant que « sont nécessaires à la validité d’un contrat : le consentement des parties, leur capacité de contracter, un contenu licite et certain ». La cause et l’objet disparaissent ainsi du texte, au profit de la notion de contenu dont il est

6 Thomas Génicon, Défense et illustration de la cause en droit des contrats, A propos du projet de réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, D, 2015, p. 1551.

exigé qu’il soit licite et certain. Ici, l’idée directrice est de simplifier les dispositions relatives aux conditions de validité du contrat, simplification qui se révèle très artificielle (A). Et de fait, il est à craindre que l’intérêt de cette nouvelle notion soit mitigé dans la mesure notamment où la nouvelle fonction qui semble lui être associée n’est guère susceptible de faire l’unanimité (B). A. Une simplification artificielle des conditions de validité du contrat Originairement, les conditions de la validité du contrat étaient les suivantes : le consentement des parties devait être libre et éclairé, celles-ci devaient avoir la capacité de contracter, et il devait exister un objet déterminé, ainsi qu’une cause licite. Désormais, ces deux dernières conditions disparaissent pour laisser place à l’exigence d’un « contenu licite et certain ». Cette modification a vraisemblablement pour objectif une simplification de la question de la formation du contrat, allégée de deux notions qui, si elles étaient bien ancrées dans le paysage contractuel, n’en demeuraient pas moins ambiguës. En effet, les difficultés à cerner véritablement ces concepts, notamment la cause, qui demeure une notion très évanescente, ainsi que leur intérêt pratique parfois discutable, en faisaient des conditions de validité moins rigoureuses que celles liées à la capacité ou au consentement des parties. Par conséquent, leur disparition, même si elle peut heurter certains auteurs6, était envisageable. Ce n’est donc pas la suppression de la cause et de l’objet à proprement parler qui perturbe l’analyse ici, mais plutôt l’impression, erronée, de simplification qu’elle procure. Supprimer ces deux notions au profit d’une seule donne, effectivement, le sentiment que la phase de formation du contrat est simplifiée puisqu’il ne s’agit plus, désormais, de remplir quatre conditions, mais seulement trois. Pourtant, cette impression est trompeuse, dans la mesure où la disparition de la cause et de l’objet est purement terminologique et où le concept de contenu n’est pas précisément défini et s’expose a priori aux mêmes griefs que ses prédécesseurs. Certains auteurs7 ont déjà pu relever que, si la cause disparaît textuellement au titre des conditions de validité des contrats, cette disparition était loin d’être

7Cyril Grimaldi, Les maux de la cause ne sont pas qu’une affaire de mots, A propos du projet d’ordonnance portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, D. 2015, p. 814

7

conceptuelle, et que « l’esprit causaliste » demeurait8 au sein de l’ordonnance. En effet, force est de constater que le concept de cause demeure omniprésent dans les dispositions relatives à la validité du contrat. L’article 1162, notamment, précise que « le contrat ne peut déroger à l’ordre public ni par ses stipulations ni par son but ». Or, le respect de l’ordre public était l’une des fonctions principales de la cause. En plus de cette survie fonctionnelle, notons que, selon l’article 1169, « un contrat à titre onéreux est nul lorsque, au moment de sa formation, la contrepartie convenue au profit de celui qui s’engage est illusoire ou dérisoire ». Autrement dit, une contrepartie doit véritablement exister dans les contrats à titre onéreux pour celui qui entend en bénéficier. Il est ainsi nécessaire que l’engagement ait une motivation, une cause. Enfin, l’article 1170 est également une manifestation de l’esprit causaliste, puisqu’il codifie la jurisprudence Chronopost9, dont le raisonnement était fondé sur la cause. Si le terme n’est jamais employé par le texte, l’esprit de la cause hante toujours les conditions de validité du contrat, de sorte que sa suppression n’est qu’artificielle et que les applications de cette notion demeurent. Dès lors, selon toute vraisemblance, « les solutions pour demain sont donc au moins celles d’hier »10. Il en va de même concernant l’objet du contrat qui, s’il n’en est plus une condition de validité, reste bien présent, et ce même textuellement. En effet, l’article 1163 précise que « l’obligation a pour objet une prestation présente ou future », cette prestation devant être « possible et déterminée ou déterminable ». Ainsi, s’il est vrai que l’existence d’un objet certain n’est plus nécessaire à la validité du contrat, le terme même d’« objet » reste employé, associé dorénavant à l’idée de prestation qui, dans l’esprit, demeure assez proche de la notion d’objet certain. L’abandon de l’objet et de la cause comme conditions de validité du contrat est donc loin d’être complètement acquis, dans la mesure où ces deux concepts continuent d’irriguer les dispositions relatives à la validité des contrats. Il faut ajouter, par ailleurs, que cette tentative d’abandon était, d’emblée, vouée à l’échec, car la réalité contractuelle suppose que les parties aient des raisons

8Guillaume Wicker, La suppression de la cause par le projet d’ordonnance : la chose sans le mot ? D. 2015, p. 1557 9Pour l’arrêt fondateur, Cass. Com. 22 octobre 1996, n°93-18632, Bull. 1996, IV, n°261, p. 223 10Olivier Deshayes La formation des contrats, RDC, HS du 1er avril 2016 11 Henri Capitant, notamment, a dénoncé cette définition de la cause, qui serait alors vide de substance et se confondrait avec le

de s’engager. Ce n’est pas la doctrine du droit qui crée véritablement le besoin d’analyser la cause et l’objet, mais la réalité de la situation contractuelle. Tout contrat a nécessairement une cause et un objet, nonobstant l’utilisation d’autres termes pour désigner les éléments constitutifs de la situation. L’abandon de ces deux conditions était donc conceptuellement impossible et, de ce fait, leur suppression au sein de l’ordonnance ne pouvait être qu’artificielle. Partant, l’impression de simplification qui se dégageait de leur suppression au profit d’une notion unique est trompeuse, en dépit de la motivation louable qui a pu la motiver. En effet, l’enjeu de l’absorption de l’objet et de la cause dans la notion de contenu était sans doute de mettre l’accent sur les liens qui pouvaient unir auparavant ces deux conditions. Dans les contrats synallagmatiques, il était effectivement habituel de considérer que l’objet de l’obligation d’une partie était la cause de l’engagement de l’autre. Un tel raisonnement était quelque peu redondant11, et a d’ailleurs obligé à distinguer entre la cause objective et la cause subjective12. Au vu de cet ensemble complexe, il était donc bon de chercher à simplifier. Mais l’unification n’emporte pas pour autant l’anéantissement de la réalité juridique de la cause et de l’objet, dont le principe persiste au sein des conditions de validité du contrat. L’impression de simplification est d’autant plus erronée que l’idée même de contenu, qui tend à remplacer, du moins textuellement, la cause et l’objet, n’est guère satisfaisante. Il s’agit en réalité d’un concept relativement vague, qui donne l’impression déconcertante d’être une sorte de notion « fourre-tout »13, où figure tout ce qui ne relève ni du consentement, ni de la capacité. Il est alors difficile de prédire quelle seront les interprétations jurisprudentielles liées à ce concept de contenu licite et certain, qui s’annonce d’emblée facteur d’imprévisibilité. L’imprécision autour de cette notion de contenu ne l’empêche toutefois pas de se voir attribuer, à travers différentes dispositions, une fonction dépassant celles initialement attribuée aux conditions de validité du contrat. En effet, si certaines fonctions classiques, comme le respect de l’ordre public, sont reconduites par le texte, ce dernier semble attribuer au

consentement, Jacques Ghestin, Grégoire Loiseau et Yves-Marie Serinet, sous la direction de Jacques Ghestin, Traité de droit civil, La formation du contrat, Tome 2, LGDJ, 4e édition, p. 370-371 12 Judith Rochfeld, Cause, Répertoire de Droit civil, Dalloz, Septembre 2012, Art. 3 13Jacques Ghestin, Observations générales, PA, 4 septembre 2015, n°177, p. 17

8

contenu du contrat une fonction de portée beaucoup plus générale, relative à l’équilibre contractuel. B. La garantie de l’équilibre contractuel, l’émergence d’une fonction nouvelle ? Le contenu licite et certain, qui est désormais la troisième et dernière condition à la validité du contrat, est appréhendé par les articles 1162 à 1171, qui apportent diverses précisions sur ses fonctions. Certaines, qui étaient auparavant assurées par la cause, comme le respect de l’ordre public14, sont maintenues ; mais ce contenu se voit visiblement attribuer une fonction nouvelle, qui se manifeste au sein de différentes dispositions. L’article 1166 précise ainsi qu’en cas de prestation non déterminée ou déterminable, le débiteur « doit offrir une prestation de qualité conforme aux attentes légitimes des parties en considération de sa nature, des usages et du montant de la contrepartie ». Cette mention des « attentes légitimes des parties » implique qu’à défaut de prestation déterminée ou rendue déterminable par les cocontractants, celle-ci devra malgré tout correspondre à ce que les parties espèrent légitimement obtenir. Il s’agit donc ici de s’assurer que l’absence de précision dans la détermination de la prestation ne nuise pas à l’une des parties et que les cocontractants obtiennent une prestation équitable au regard de ce qu’ils ont eux-mêmes promis. L’article 1169 témoigne également de cette tendance puisqu’il déclare nul le contrat à titre onéreux lorsque la contrepartie est « illusoire ou dérisoire ». Dès lors, en plus de permettre à la cause de survivre, cet article prohibe la fausse contrepartie, imposant ainsi un équilibre minimum entre les obligations contractuelles. Enfin, la théorie sur l’abus dans la fixation unilatérale du prix, qui fait l’objet des articles 1164 et 1165, achève de parfaire cette recherche de juste proportion dans les rapports contractuels, puisque, si la fixation unilatérale est admise, elle ne peut en aucun cas être abusive. Après ce panorama des différentes mentions relatives au contenu du contrat, il semble bien que ce dernier ait une vocation nouvelle et vise à garantir un équilibre contractuel. Il ressort en effet des dispositions que nous venons de rencontrer que, chaque fois qu’un déséquilibre existera dans le contenu du contrat, le droit aura potentiellement vocation à y remédier.

14 Article 1162 de l’ordonnance, « le contrat ne peut déroger à l’ordre public ni par ses stipulations, ni par son but, que ce dernier ait été connu ou non par toutes les parties »

Mais une première difficulté surgit d’emblée, relative à la définition même de l’équilibre contractuel. Comment doit-il être déterminé ? Dépendra-t-il des circonstances ou, au contraire, sera-t-il standardisé en fonction du type de contrat ? Doit-on, en outre, exiger une parfaite égalité de valeur des prestations entre les parties ? Enfin, comment apprécier cet équilibre en présence d’un contrat à exécution successive ? Ces questions restent, pour l’heure, sans réponse et il est à craindre qu’elles alimentent de futurs contentieux. De surcroît, et c’est là la seconde difficulté, l’exigence de l’équilibre contractuel pourra porter atteinte au principe de la liberté contractuelle si elle empêche, in fine, les parties de conclure des contrats imparfaitement équilibrés alors même qu’elles le souhaitent et en ont pleinement conscience. En outre, certains accords, notamment commerciaux, ne trouvent pas leur équilibre dans le croisement des valeurs représentées par les obligations. Certains paramètres extérieurs peuvent justifier que l’une des parties donne moins qu’elle ne reçoit (comme, par exemple le contrat permettant de développer une clientèle) et dans cette hypothèse, il serait contreproductif de prononcer l’annulation du contrat au seul motif d’une éventuelle rupture de l’équilibre contractuel. La notion d’équilibre contractuel est ainsi délicate à manier. Emblématique de la doctrine solidariste, il est à craindre qu’elle réactive les débats entre ceux qui voient dans le contrat une opération d’échange solidaire et ceux qui confient aux parties le soin de régler librement leurs affaires contractuelles. Si cette tendance vers un certain équilibre contractuel peut surprendre, voire froisser dans la mesure où elle est incompatible avec les principes de liberté contractuelle et d’autonomie de la volonté, elle est complétée par une tendance protectionniste à l’égard des parties pouvant être considérées comme faibles, tendance qui marque alors le glissement du droit commun des contrats vers un esprit plus proche de celui des droits spéciaux. Or, il semble qu’un tel mélange des genres ne soit pas des plus opportuns. II - L’expression d’une tendance protectionniste ou la confusion des genres Si la préservation de l’équilibre contractuel peut être considérée comme la fonction nouvelle du contenu, qui

9

ne se limite plus aux fonctions initiales de la cause ou de l’objet, l’ordonnance semble aller plus loin en manifestant une véritable volonté de protéger les parties pouvant être considérées comme en situation de faiblesse. Cette volonté se manifeste particulièrement dans les dispositions relatives au consentement dont la protection se trouve renforcée (A), et à travers la notion de déséquilibre significatif, marquant l’influence conjointe du droit de la consommation et du droit de la concurrence (B). A. Le renforcement de la protection du consentement Si l’erreur, le dol ou la violence demeurent bien les vices « classiques » du consentement, causes de nullité du contrat, certaines modifications opèrent un renforcement des mesures visant à protéger les parties lorsqu’elles consentent à contracter. Le dol, défini à l’article 1137, peut ainsi toujours résulter de manœuvres frauduleuses, mais également d’une « dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre ». Dès lors, c’est la réticence dolosive qui se voit textuellement consacrée. Auparavant, l’article 1116 du Code civil ne mentionnait que des « manœuvres pratiquées par l’une des parties », et la réticence dolosive stricto sensu était une notion jurisprudentielle. Selon une jurisprudence constante, elle était alors retenue lorsqu’un individu dissimulait sciemment une information qu’il savait déterminante pour son cocontractant15. En consacrant très clairement la jurisprudence relative à la réticence dolosive, l’ordonnance exprime ainsi une volonté de protéger le consentement, et notamment celui de la personne ignorante et victime de dissimulation. La principale innovation de la réforme en ce domaine de la protection des parties faibles est de sanctionner l’abus de dépendance, lequel constitue désormais un vice du consentement original, rattaché à la violence. L’article 1143 précise ainsi qu’il y a « violence lorsqu’une partie, abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant, obtient de lui un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif ». Cette disposition consacre ici

15Cass. Civ. 1re 12 novembre 1987, n°85-18350, Bull. 1987, I, n°293, p. 211. « Attendu qu’en se déterminant ainsi, sans rechercher si le défaut de communication des factures de réparation et d’indication de réparations restant à effectuer avait été fit intentionnellement pour tromper le contractant et le déterminer à conclure la vente, la

la jurisprudence relative à la violence économique16, mais en la dépassant véritablement. En effet, le texte utilise le terme générique d’ « état de dépendance », qui ne se limite pas à la simple dépendance économique. La dépendance peut ainsi parfaitement être physique, psychologique, voire sentimentale. Cette notion d’ « état de dépendance » n’est cependant pas explicitée et sera laissée à la libre appréciation des juges. Si toute référence à la faiblesse est absente du texte, il n’en demeure pas moins qu’un état de dépendance peut être assimilé à une situation de faiblesse, dans la mesure où la partie qui la subit est sous le joug de son cocontractant. Dès lors, ce durcissement du vice de violence peut avoir pour but de protéger une partie considérée comme faible, non pas parce qu’elle est fragile ou vulnérable, mais parce qu’elle est en situation de dépendance et qu’elle est la victime d’un rapport de force défavorable. Certaines modifications relatives au consentement ont donc pour effet d’en renforcer la protection, en consacrant ou instaurant des nouvelles formes de vices, le tout dans des termes souples. Mais leur mise en œuvre risque fort d’alourdir la tâche, déjà immense, des magistrats et favorisera une part d’imprévisibilité pour les parties. En effet, la souplesse est ici synonyme d’imprécision et nourrira vraisemblablement un contentieux important avant que cette imprécision ne soit levée. Cette volonté protectionniste va se trouver confirmée par les dispositions relatives au contrat d’adhésion, qui trahissent une influence certaine du droit de la consommation et du droit de la concurrence. B. La notion de déséquilibre significatif dans le contrat d’adhésion Le nouvel article 1171 dispose que « dans un contrat d’adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat est réputée non écrite. L’appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l’objet principal au contrat ni sur l’adéquation du prix à la prestation ». S’il est exact que ce texte n’évoque pas la notion de « clause abusive » qui reste l’apanage du droit de la consommation, il exprime néanmoins la forte influence de ce droit spécial sur le nouveau droit commun,

cour d’appel, faute d’avoir caractérisé la réticence dolosive, n’a pas donné de base légale à sa décision. » 16Cass. Civ 1re, 3 avril 2002, n°00-12932, Bull. 2002, I, n°108, p.84

10

puisque le « déséquilibre significatif » est directement emprunté à l’article L. 132-1 du Code de la consommation. Rappelons également que cette notion est aussi présente au sein de l’article L. 442-6, I, 2e du Code de commerce régissant les pratiques restrictives de concurrence, ce qui témoigne d’une double influence du droit de la consommation et du droit de la concurrence. Si l’objectif semble être de protéger une partie rendue faible en raison de l’existence d’un déséquilibre, en s’inspirant des droits spéciaux, cette démarche est toutefois discutable dans la mesure où elle aboutit à une confusion des genres gênante, pour un intérêt pratique restreint. En effet, la volonté de protéger une partie faible, à l’image en particulier du droit de la consommation, pose un réel problème en matière de droit commun dans la mesure où il est délicat d’y identifier une véritable partie faible. En réalité, c’est donc la question des rapports entre le droit commun et les droits spéciaux qui est posée ici. Le droit de la consommation a été élaboré dans le but de prendre en considération la rupture des rapports de force, cette finalité première étant dictée en grande partie par l’incapacité du droit commun à protéger les vicissitudes de la faiblesse contractuelle. Si le droit de la consommation perd la spécificité de sa philosophie, son particularisme pourrait finalement se réduire à sa simple technicité. A l’inverse, on peut s’interroger sur les bienfaits d’une finalité de protection mise à la charge du droit commun car celui-ci obéit à une logique différente de celle de ces droits spéciaux, qui relèverait davantage de l’encadrement, plus ou moins souple, de la volonté contractuelle. Transposer l’idée de partie faible, avec le concept de déséquilibre significatif du droit de la consommation ou de la concurrence, au droit commun des contrats n’est donc pas une innovation des plus heureuses, et ce d’autant plus que son intérêt pratique s’annonce résiduel. En raison précisément de l’existence de dispositions spéciales aux domaines de la consommation et de la concurrence, l’article 1171 aura effectivement un champ d’application assez restreint, et ce, d’autant qu’il se limite aux seuls contrats d’adhésion. Son intérêt pratique sera ainsi assez limité. A cet intérêt pratique résiduel s’ajoute une mise en œuvre potentiellement délicate, source d’imprévisibilité. En effet, le texte précise que le déséquilibre ne s’apprécie ni selon l’objet

17 J. Carbonnier, Le Code civil, Les lieux de mémoire, t. 2.2 ; cf. Rapport remis au Président de la République relatif à l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats,

principal du contrat ni selon l’adéquation du prix à la prestation. La question de cette appréciation reste alors entière puisqu’il est difficile d’imaginer d’autres étalons de comparaison que l’objet du contrat ou la correspondance du prix à la prestation, la qualité des parties étant exclue par le fait que nous nous situons sur le terrain du droit commun. Celles-ci sont donc nécessairement des particuliers ou des professionnels libéraux. En renseignant ce que ne doivent pas être les éléments d’appréciation du déséquilibre significatif, l’ordonnance nous plonge dans une certaine perplexité et il est impossible de prévoir quelles clauses seront considérées comme instaurant un déséquilibre significatif. A l’intérêt limité du texte correspond donc une imprévisibilité dans sa mise en œuvre, ce qui confirme notre impression que l’application de l’article 1171 ne se fera pas sans difficulté. Si l’un des objectifs de l’ordonnance était la simplification des règles relatives à la validité du contrat, les dispositions prises afin d’atteindre cet objectif n’ont en réalité rien de simple et soulèvent davantage de question qu’elles ne fournissent de réponses. En effet, cette volonté simplificatrice, assortie d’une démarche protectionniste, conduit à l’avènement de concepts souples mais vagues, ainsi qu’à un recours discutable à des notions de droits spéciaux. Dès lors, l’impression qui se dégage de ces quarante-trois articles relatifs à la validité du contrat est très mitigée, puisqu’à un objectif de simplification et de protection ont été sacrifiés les impératifs de lisibilité et de prévisibilité.

3 - La force majeure selon l’Ordonnance du 10 février 2016 Par Clothaire Zengomona Voilà, le Code civil de 1804, c’est fini… Certaines réformes s’inscrivent davantage dans les mémoires que d’autres. La réforme du droit des contrats fait partie des changements revêtant une dimension toute particulière pour le Droit français. A près de 112 ans, le droit des contrats voulu par le Code Napoléon disparait pour laisser place à un renouveau, refusant d’être « le symbole du temps arrêté »17. D’importantes innovations sont contenues dans cette réforme, allant dans le sens d’un droit conforme à une économie de marché

du régime général et de la preuve des obligations, JORF 11 février 2016.

11

mondialisé. A cet égard, la cinquième section de la réforme du droit des contrats contribue à une clarification et une meilleure lisibilité des règles régissant l’inexécution du contrat18, jusqu’alors disséminées en divers points du code. Ladite section débute par une énumération des procédés apportant une réponse à l’inexécution contractuelle, qui s’entend du défaut d’exécution ou d’une mauvaise exécution19. Cinq mécanismes sont offerts à la partie lésée : l’exception d’inexécution, l’exécution forcée en nature, la réduction du prix, la résolution, et la réparation du préjudice en résultant. Une précision pédagogique est opportunément apportée : si la partie lésée à un choix discrétionnaire, les divers mécanismes ne sont pas incompatibles entre eux, et peuvent se cumuler avec des dommages et intérêts. Précédant l’analyse des divers mécanismes susmentionnés20, l’article 1218 contribue à la définition de la notion et des effets de la force majeure. Celle-ci correspond classiquement à un évènement empêchant l’exécution de son obligation par le débiteur, exonérant ce dernier de toute responsabilité21. Notion phare du droit civil, la force majeure trouve à s’appliquer aussi bien en matière contractuelle qu’en matière extracontractuelle22. Cette notion est d’une importance toute particulière, notamment au regard de la distinction entre obligation de résultat et obligation de moyen : dans le premier cas, seule la force majeure, en tant que cause étrangère, exclut l’imputation de l’inexécution contractuelle au débiteur, la présomption de faute du débiteur étant irréfragable ; à l’inverse, dans le cas d’une obligation de moyen, toute cause étrangère23 est susceptible d’exclure l’imputation de l’inexécution, la présomption de faute étant simple. L’énoncé de sa

18 Cinquième section du quatrième chapitre relatif aux effets du contrat, contenu dans le sous-titre premier relatif au contrat. 19 Article 1217 du Code civil issu de l’ordonnance du 10 février 2016 : « La partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, peut : - refuser d'exécuter ou suspendre l'exécution de sa propre obligation ; - poursuivre l'exécution forcée en nature de l'obligation ; - solliciter une réduction du prix ; - provoquer la résolution du contrat ; - demander réparation des conséquences de l'inexécution. Les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées ; des dommages et intérêts peuvent toujours s'y ajouter ». 20 C. Zengomona, La résolution selon l’ordonnance du 10 février 2016, Chronique des DPA n°1. 21 « Evènement imprévisible et irrésistible qui, provenant d’une cause extérieure au débiteur d’une obligation ou à l’auteur d’un dommage le libère de son obligation ou l’exonère de sa responsabilité » : G. Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, 10ème édition.

définition et de ses caractères (I) fera place à celui de ses effets en matière contractuelle (II). I - La définition de la force majeure Avant la réforme, seul l’article 1148 du Code civil faisait référence à la force majeure, en matière contractuelle, disposant qu’« il n'y a lieu à aucuns dommages et intérêts lorsque, par suite d'une force majeure ou d'un cas fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé, ou a fait ce qui lui était interdit ». La force majeure permettait donc au débiteur d’éviter la mise en œuvre de sa responsabilité contractuelle, par l’imputation de l’inexécution contractuelle à une cause étrangère. Le code civil semblait ainsi procéder à une dichotomie en matière d’empêchement à l’exécution contractuelle, en distinguant la force majeure du cas fortuit. La force majeure supposait l’existence d’un évènement irrésistible, imprévisible et extérieur au champ contractuel, alors que le cas fortuit était inhérent au champ contractuel en question24. Pourtant, bien que le texte semble distinguer les deux notions, la doctrine contemporaine et les Hauts magistrats s’accordent sur l’assimilation des deux notions, employant indifféremment l’une pour l’autre et leur faisant produire les mêmes effets. Dans son ouvrage Vocabulaire juridique, Gérard Cornu proposait un autre critère de distinction entre les deux phénomènes exonératoires et écrivait à propos de la force majeure qu’elle est une : « espèce de cause étrangère comme le cas fortuit [qui] s’en distingue seulement (pour un même effet) par l’accent mis sur le caractère irrésistible de l’évènement »25. L’article 1218 issu de l’ordonnance du 10 février 201626 évite ce type de distinction, ne faisant aucunement

22 Néanmoins, seule la force majeure en matière contractuelle fera l’objet des développements suivants, même si l’application au domaine délictuel est similaire. 23 Force majeure, fait de la victime ou fait du tiers avec ou sans le caractère de la force majeure. 24 J-C Saint-Pau, Droit à réparation . – Exonération de la responsabilité contractuelle. – Inexécution imputable à une cause étrangère, JCl. Civil Code, Fasc. 11-30, n°7 et suivants. 25 G. Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, 10ème édition. 26 Article 1218 issu de l’ordonnance du 10 février 2016 : « Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur. Si l’empêchement est temporaire, l'exécution de l'obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat.

12

référence à un évènement qualifiable de cas fortuit. Plus précisément, le nouveau droit des contrats définit la seule force majeure, et établit une synthèse de l’existant. La force majeure est ainsi définie à travers trois caractères fondamentaux : elle correspond ainsi à un évènement extérieur au domaine contractuel en question27, imprévisible28 et irrésistible29, empêchant le débiteur d’exécuter son obligation30. Ces quatre éléments sont à la fois consécration et la précision de la jurisprudence traditionnelle de l’Assemblée plénière de la Haute juridiction31. A. Un événement échappant au contrôle du débiteur L’évènement doit tout d’abord échapper au contrôle du débiteur. Ce critère précise la condition d’extériorité admise par solution de l’Assemblée plénière susmentionnée, et restreint le champ d’appréciation de la force majeure. Tout comme il le fut admis par cet arrêt, ni le rôle du débiteur de l’obligation, ni celui de personnes liées au débiteur, ni même le vice de la chose objet de la prestation ne peuvent être pris en considération. Toutefois, les Hauts magistrats estimèrent que la maladie du débiteur, imprévisible lors de la conclusion du contrat et irrésistible dans son exécution, est constitutive d’un cas de force majeur. Or, force est de constater que cette circonstance est bien inhérente au débiteur, liée à ses propres caractéristiques anatomiques, à ses réactions internes à l’environnement qu’il côtoie. Le caractère extérieur de cet évènement semble inexistant en l’occurrence. Le doute est d’autant plus grand qu’un arrêt récent de la Haute juridiction vint écarter la survenance d’une maladie grave comme constitutive d’une force majeure32. La force majeure prévue par l’article 1218 participe à la résolution de ce problème prétorien, en substituant à l’extériorité un concept plus précis, à savoir le fait que l’évènement doit échapper au contrôle du débiteur. En effet, il est impossible pour le débiteur, et même pour tout être Si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1. » 27 Article 1218, alinéa 1er du Code civil issu de l’ordonnance du 10 février 2016 : « […] un événement échappant au contrôle du débiteur […] ». 28 Ibidem : « […] qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat […] ». 29 Ibidem : « […] et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées […] ». 30 Ibidem : « […] empêche l’exécution de son obligation par le débiteur. » 31 Cour cass., Ass. plén., 14 avril 2006, 02-11.168 : « Mais attendu qu'il n'y a lieu à aucuns dommages-intérêts lorsque, par suite d'une force majeure ou d'un cas fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé, ou a fait ce qui lui était interdit ; qu'il en est ainsi lorsque le débiteur a été empêché d'exécuter par la

humain, de contrôler la survenance d’une maladie, a fortiori une maladie grave. Par conséquent, si une maladie n’est pas extérieure au débiteur, il n’en reste pas moins qu’elle lui échappe, et donc qu’elle constitue un cas de force majeure. Ce qui échappe au contrôle n’est pas entièrement ce qui est extérieur : cette notion signifie qu’il est impossible d’exercer un contrôle physique ou intellectuel sur une chose, ce qui est plus extensif que l’extériorité. En somme, il est possible d’exercer un contrôle sur ce qui nous est extérieur, mais pas sur ce qui nous échappe. Cette notion ce rapproche considérablement du concept d’irrésistibilité, du caractère insurmontable de l’évènement pour le débiteur, comme l’avait proposé la Haute juridiction33. Il conviendra alors de s’interroger sur la capacité du débiteur de surmonter ledit évènement. B. Un événement irrésistible L’évènement qualifiable de force majeure doit ensuite être irrésistible dans l’exécution du contrat, au sens de la jurisprudence traditionnelle de la Cour de cassation34. Il s’agit du fer de lance de la définition de la force majeure, lié à deux éléments précis : d’une part, au fait que l’évènement échappe au contrôle au débiteur ; d’autre part, au fait que l’évènement lui soit inévitable. En ce sens, l’article 1218 précise que les effets de l’évènement ne doivent pas pouvoir « être évités par des mesures appropriées ». La notion de « mesures appropriées » suscite bon nombre de questionnements en l’absence de plus amples précisions légales. La notion de « mesures » est quelque peu imprécise, tant elle peut recouvrir de multiples hypothèses, allant de moyens financiers à des moyens matériels, en passant par des moyens moraux ou intellectuels. Cette imprécision renvoi peut être à une volonté de recouvrir toutes les hypothèses possibles. Mais alors, qu’est-ce qu’une mesure « appropriée » ? S’agit-il d’une mesure qu’il faut attendre d’une personne raisonnable ? S’agit-

maladie, dès lors que cet événement, présentant un caractère imprévisible lors de la conclusion du contrat et irrésistible dans son exécution, est constitutif d'un cas de force majeure ; qu'ayant retenu, par motifs propres et adoptés, que seul Michel Y... était en mesure de réaliser la machine et qu'il s'en était trouvé empêché par son incapacité temporaire partielle puis par la maladie ayant entraîné son décès, que l'incapacité physique résultant de l'infection et de la maladie grave survenues après la conclusion du contrat présentait un caractère imprévisible et que la chronologie des faits ainsi que les attestations relatant la dégradation brutale de son état de santé faisaient la preuve d'une maladie irrésistible, la cour d'appel a décidé à bon droit que ces circonstances étaient constitutives d'un cas de force majeure. » 32 Civ. 3ème, 22 janv. 2014, n°12-28.246 : D. 2014. 277. 33 V. notamment Civ. 1ère, 10 février 1998 : Bull. civ. n°53 ; D. 1998. 539, D. Mazeaud. 34 Civ. 1ère, 30 octobre 2008, n° 07-17.134.

13

il d’une mesure permettant de remédier efficacement à la difficulté ? A nouveau, les juges du fond auront la charge de rendre moins floue cette notion proche du concept bien connu de normalité, et la Cour de cassation d’effectuer d’éventuels contrôles de qualification. C. Un événement imprévisible L’élément doit également être imprévisible lors de la conclusion du contrat. Précisément, le législateur use de l’expression « qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat ». Bien évidemment, l’imprévisibilité règne dans la notion de force majeure, en dépit d’une formulation négative. Mais la définition de l’article 1218 ajoute d’exigence d’un caractère raisonnable dans l’imprévision. Ainsi, ce n’est pas seulement un évènement imprévisible qui doit exister : c’est un évènement raisonnablement imprévisible. A nouveau, cette précision définitionnelle n’échappe pas à quelques interrogations. Par rapport à quoi ou à qui doit s’analyser le caractère raisonnable de l’imprévisibilité ? Vraisemblablement, c’est encore au concept de normalité que le législateur fait appel en l’occurrence, ce qui provoquera nécessairement une appréciation souveraine des juges du fond et un contrôle de la Cour de cassation. D. Un événement empêchant l’exécution de son obligation par le débiteur Enfin, l’évènement doit empêcher le débiteur d’exécuter son obligation. Il s’agit là de la conséquence des trois précédents caractères, et qui permet d’effectuer la jonction avec les effets de la force majeure. En effet, ce qui empêche le débiteur d’exécuter son obligation va avoir des conséquences sur la pertinacité du contrat. Ce quatrième élément définitionnel permet donc d’analyser les effets de la force majeure. II – Les effets de la force majeure La libération du débiteur de son obligation est la conséquence essentielle attachée à la force majeure. Le créancier de l’obligation ne peut ainsi obtenir des

35 Civ. 1ère, 2 juin 1982, Bull. civ. n° 205. 36 Civ. 3ème, 22 février 2006 : Bull. civ. n°46 ; D. 2006. 2972, Beaugendre. 37 Civ. 1ère, 20 mars 2014, n°12-26.518 : D. 2014. 772; CCC 2014, n° 125, L. Leveneur. 38 Article 1351 du Code civil issu de l’ordonnance du 10 février 2016 : « L'impossibilité d'exécuter la prestation libère le débiteur à due concurrence lorsqu'elle procède d'un cas de force majeure et qu'elle

dommages et intérêts en cas d’inexécution contractuelle. En ce sens, la place de l’article 1218 est pertinente, car il tempère les développements relatifs à l’inexécution du contrat, et notamment à la réparation du préjudice résultant de celle-ci. Avant l’entrée en vigueur de la réforme, la jurisprudence distinguait l’impossibilité définitive, imposant une action en constatation en vue de provoquer le prononcer de la résolution du contrat35, de l’impossibilité temporaire, n’entrainant que la suspension de l’exécution de l’obligation contractuelle36. Dans cette dernière hypothèse, les Hauts magistrats ont néanmoins estimé, dans un arrêt récent, qu’un changement de date du départ d’un circuit touristique, élément essentiel du contrat, en raison d’un événement de force majeure, confère une option au créancier : effectuer le séjour à une date ultérieure, ou résilier le contrat et obtenir le remboursement du prix du voyage37. Ce récent arrêt est un cas d’espèce, démontrant que cette impossibilité temporaire d’exécution, contraignant le créancier à reporter son séjour, peut justifier une résiliation du contrat et non une simple suspension, ce qui parait logique dans ce cas précis. L’article 1218 reprend cette distinction relative au caractère définitif ou temporaire de l’impossibilité d’exécution. A- L’impossibilité définitive d’exécution L’impossibilité définitive d’exécution provoque la résolution de plein droit du contrat, libérant ainsi les parties de leur engagement. Sur ce dernier point, il est prévu un renvoi aux articles 135138 et 1351-139, l’impossibilité d’exécuter l’obligation libérant le débiteur à due concurrence, c’est-à-dire sans dommages et intérêts, sauf disposition contraire ou mise en demeure préalable. Toutefois, en matière de perte de la chose, le débiteur mis en demeure est libéré de son obligation par la preuve de l’inévitabilité de la perte, même en cas d’exécution ; le débiteur n’en reste pas moins tenu de céder les droits et actions liées à la chose

est définitive, à moins qu'il n'ait convenu de s'en charger ou qu'il ait été préalablement mis en demeure. » 39 Article 1351-1 du Code civil issu de l’ordonnance du 10 février 2016 : « Lorsque l'impossibilité d'exécuter résulte de la perte de la chose due, le débiteur mis en demeure est néanmoins libéré s'il prouve que la perte se serait pareillement produite si l'obligation avait été exécutée. Il est cependant tenu de céder à son créancier les droits et actions attachés à la chose. »

14

à son créancier. Au-delà de ces modalités, l’empêchement définitif à l’exécution de l’obligation contractuelle est porteur d’une nouveauté quant à sa conséquence. La résolution sera dorénavant de plein droit, rendant inutile toute action en justice. L’article 1218 surpasse la définition traditionnelle de la force majeure, puisque le fait de prononcer automatiquement la résolution du contrat ne permet pas simplement de libérer le débiteur : la résolution automatique du contrat provoque en outre une « remise des compteurs à zéro », et cela est absolument indispensable. En effet, dire de la force majeure qu’elle exonère le débiteur sans ordonner la résolution entrainait une rupture d’équilibre entre les parties, dans la mesure où le créancier qui avait éventuellement exécuté son obligation ne pouvait pas obtenir restitution de ce qu’il avait fait ou donné. Aujourd’hui, la résolution automatique restaure pleinement l’équilibre : le débiteur n’a pas à s’exécuter, le contrat est résolu et chacun reprend ce qu’il a donné ou la valeur de ce qu’il a fait. Sur ce point, l’Ordonnance est très bénéfique et aligne le droit français sur l’ensemble des autres droits, notamment le droit anglo-saxon. Les économistes du droit pointaient du doigt les anciennes solutions françaises considérant que la force majeure créait une rupture illégitime entre les parties au contrat, et ce alors même que ni le débiteur ni le créancier n’étaient fautifs. Le créancier ne pouvait pas subir les conséquences de la force majeure, ce qui était le cas auparavant. B. L’impossibilité temporaire d’exécution L’impossibilité temporaire d’exécution n’entraine qu’une suspension de l’exécution de l’obligation : en cas de retard dû à cet empêchement, la résolution du contrat serait justifiée. Néanmoins, force est de constater que toute suspension de l’exécution d’un contrat entraine nécessairement un retard. Ainsi, comment est-il possible d’apprécier le retard d’un retard ? Cette simple déduction démontre que l’article est véritablement imprécis sur ce point, et les Hauts magistrats auront eux-mêmes de considérables difficultés à apprécier cette notion. Le concept de délai raisonnable fera très probablement son apparition en la matière, et des difficultés risquent d’apparaître quant à la distinction entre le simple retard, laissant à terme une possibilité d’exécution, et l’empêchement définitif dans l’exécution. Il apparait vraisemblable qu’il convient 40 Article 1126 du Code civil issu de l’ordonnance du 10 février 2016.

d’analyser le retard faisant suite à la suspension comme celui créant un dommage substantiel pour le créancier. Ainsi, le principe est celui de la suspension, et l’exception est la résolution du contrat en cas de conséquences préjudiciables pour le créancier. En outre, alors que le texte précise explicitement que l’empêchement définitif entraîne une « résolution de plein droit », le retard dans l’empêchement temporaire permet seulement de justifier « la résolution du contrat » : cette dernière est-elle de plein droit, ou prononcée par le juge ? Le créancier de l’obligation peut-il résoudre le contrat par voie de notification40, ou n’a-t-il pour choix que de demander la résolution au juge41, et par là son appréciation du retard ? Conformément aux articles 1226 et 1227, il conviendrait d’envisager principalement la demande de résolution judiciaire, la résolution par voie de notification étant aux risques et périls du créancier de l’obligation. Pour autant, une clarification prétorienne serait la bienvenue. Le rapport remis au Président de la République en date du 11 février 2016 envisage un exemple précis quant à cette situation, à savoir « une prestation ne pouvant être délivrée utilement à un jour autre que celui déterminé pour un événement non reportable ». Cet exemple est porteur en lui-même de la difficulté d’appréciation décrite ci-dessus, car en réalité la situation exemplative n’est qu’un cas d’empêchement définitif implicite. En somme, il serait possible d’affirmer que l’empêchement temporaire entraine une suspension de l’exécution de l’obligation, sauf si cette suspension est impossible et inopportune eu égard à la situation donnée. A fortiori, une intervention judiciaire semble évidente pour apprécier le bien-fondé de la résolution en présence d’une difficulté d’appréciation de l’empêchement, à moins que le caractère définitif de celui-ci ne ressorte clairement du cas d’espèce. A l’aube de l’entrée en vigueur la réforme, la force majeure demeure une affaire de casuistique, et il est envisageable que la résolution de plein droit nouvellement prévue par le texte conduise à de nombreux pourvois en cassation.

41 Articles 1127 et suivants du Code civil issu de l’ordonnance du 10 février 2016.

15

4 - Les sanctions de l’inexécution du contrat selon l’Ordonnance du 10 février 2016 Par Vanessa Boodhoo Ayant pris conscience des difficultés rencontrées, tant par les juges que par les justiciables, face aux mécanismes permettant de sanctionner la partie défaillante, le législateur livre, avec l’Ordonnance du 10 février 2016, une présentation clarifiée des sanctions de l’inexécution contractuelle. Dans une section intitulée « L’inexécution du contrat », le nouvel article 1217 du Code civil énonce, de façon didactique, les divers moyens d’action offerts au créancier de l’engagement contractuel non ou mal exécuté. L’article 1217 nouveau, optant définitivement pour le terme de « sanctions » et non pour celui de « remèdes » qui avait pu être proposé au sein des divers projets de réforme, dresse une liste des différentes sanctions applicables en cas d’inexécution contractuelle. En vertu de cette section unique, dont les dispositions auront vocation à s’appliquer aux contrats conclus dès le 1er octobre 2016, la partie envers laquelle l’engagement n’a pas été exécuté peut refuser d’exécuter ou suspendre l’exécution de sa propre obligation, poursuivre l’exécution forcée en nature de l’obligation, solliciter une réduction du prix, provoquer la résolution du contrat ou demander réparation des conséquences de l’inexécution. Préalablement à l’étude détaillée de ces diverses sanctions, il convient d’effectuer quelques remarques liminaires. D’une part, il apparaît, à la lecture de l’article 1217 nouveau, que les sanctions de l’inexécution contractuelle reconnues par la loi et consacrées par la jurisprudence se trouvent conservées

42 Au fil des évolutions jurisprudentielles, le principe selon lequel toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts en cas d'inexécution de la part du débiteur avait fini par être inversé de telle sorte que la lettre de l’article 1142 du Code civil avait véritablement été « mise entre parenthèses » selon l’expression du doyen Cornu. 43 Il sera impossible de cumuler des sanctions incompatibles et contraires. Ainsi, la résolution ne pourrait-elle pas être adjointe à une exécution forcée ou inversement dès lors que l’une suppose l’anéantissement du contrat alors que l’autre vise son maintien. 44 Extrait du rapport remis au Président de la République relatif à l'Ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations : « l’Ordonnance définit en son article 1218 la force majeure en matière contractuelle, cause d'exonération de responsabilité et cause de libération du débiteur de ses obligations. Il n'existe pas dans le code civil actuel de définition de la force majeure, dont les contours

par l’Ordonnance. Nous retrouvons ainsi l’exception d’inexécution, l’exécution forcée en nature de l’obligation42, la résolution du contrat ainsi que la responsabilité civile contractuelle. Ces sanctions pouvant être cumulées sauf en cas d’impossibilité43, le texte précise, en outre, que la condamnation au paiement de dommages-intérêts peut toujours s’ajouter à l’ensemble de ces dernières. D’autre part, l’article 1218 nouveau appelle également certaines remarques, en ce qu’il consacre une nouvelle définition de la force majeure en matière contractuelle. Selon ce texte, « il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu'un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation par le débiteur. Si l'empêchement est temporaire, l'exécution de l'obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l'empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1 ». Nonobstant les affirmations contenues dans le rapport remis au Président de la République44, il convient de constater que l’Ordonnance du 10 février 2016 ne se limite pas à une consécration de la définition prétorienne de la force majeure mais entérine véritablement une nouvelle définition de cette notion en matière contractuelle. En effet, la lecture de l’article 1218 nouveau conduit à identifier non plus trois mais bien quatre critères caractéristiques de la force majeure en matière contractuelle. En premier lieu, l’article fait état d’un « un évènement échappant au contrôle du débiteur ». Bien que pour beaucoup, cette expression semble se départir du traditionnel critère d’extériorité,

et les effets ont été dessinés par la jurisprudence de la Cour de cassation, et ce de façon parfois inconstante. Le texte reprend la définition prétorienne de la force majeure en matière contractuelle, délaissant le traditionnel critère d'extériorité, également abandonné par l'assemblée plénière de la Cour de cassation en 2006 (Ass. Plén. 14 avr. 2006, n° 04-18902 et n° 02-11168), pour ne retenir que ceux d'imprévisibilité et d'irrésistibilité. L'imprévisibilité tout d'abord, doit s'apprécier au jour de la conclusion du contrat (contrairement à la matière extracontractuelle, où ce critère doit être apprécié au jour du fait dommageable) : en effet, si l'événement était prévisible au moment de la formation du contrat, le débiteur a entendu supporter le risque de ne pas pouvoir exécuter son obligation. L'événement doit également être irrésistible, tant dans sa survenance (inévitable) que dans ses effets (insurmontables) ». Consultable sur le site Legifrance via le lien suivant : https://www.legifrance.gouv.fr/eli/rapport/2016/2/11/JUSC1522466P/jo/texte/fr

16

abandonné par la jurisprudence depuis 200645, il semble que l’ambiguïté du texte à ce sujet mérite d’être soulevée. En effet, indiquant en premier lieu, que l’événement doit échapper au contrôle du débiteur, l’article 1218 nouveau paraît subordonner la caractérisation de la force majeure à l’existence d’un évènement se déroulant hors du champ d’action du débiteur, sur lequel il ne peut agir. Or, le texte ne dit pas expressément ce que recouvre ce critère. Si l’on considère que l’évènement qui échappe au contrôle du débiteur se rapporte à un évènement présentant un caractère d’extériorité, alors il semblerait que la condition d’extériorité soit restaurée par l’Ordonnance. En cette occurence, il appartiendra à la Haute Cour de confirmer cette consécration et d’abandonner son ancienne jurisprudence. Cependant, si le fait d’échapper au contrôle du débiteur ne signifie aucunement que l’événement lui est extérieur, il appartiendra à la Cour de cassation de déterminer le sens de cette formule et de déterminer ses liens avec la notion d’extériorité. Dans un second temps, l’imprévisibilité de l’évènement est conservée, conformément à la lettre de l’ancien article 1150 du Code civil et de son interprétation jurisprudentielle, l’article 1218 nouveau indiquant qu’il s’agit d’un évènement « qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat ». Plus intéressants encore, les deux derniers critères dégagés par l’article 1218 nouveau du Code civil semblent imprimer à eux seuls la singularité de cette nouvelle définition. En indiquant qu’il y a force majeure lorsqu’un évènement échappant au contrôle du débiteur et imprévisible, « dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur », le nouvel article renvoie à deux autres critères : le caractère inévitable des effets de l’évènement malgré l’action du débiteur et l’impossibilité d’exécution de ce dernier. Sans être nouveaux, ces critères constituent, en réalité, des subdivisions du critère de l’irrésistibilité de l’évènement qui est ainsi conservé. Bien que cette nouvelle présentation semble ne poser aucune difficulté de compréhension, il appartiendra, sans aucun doute, à la Haute Cour d’éclaircir quelques zones d’ombre relatives, par exemple, à l’appréciation du degré d’inévitabilité de l’évènement : l’inévitabilité devra-t-elle nécessairement être absolue pour pouvoir caractériser la force majeure ou conviendra t-il de l’apprécier en référence à la personne du débiteur et de

45 Ass. Plén. 14 Avril 2006, pourvoi n° 04-18.902 : « Mais attendu que si la faute de la victime n'exonère totalement le gardien qu'à la condition de présenter les caractères d'un événement de force

sa situation ? En outre, l’article 1218 nouveau du Code civil prévoit, dans son second alinéa, les effets attachés à la force majeure. « Si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1 ». Si en revanche, il n’est que temporaire, « l’exécution de l’obligation est simplement suspendue, excepté lorsque le retard d’exécution justifie la résolution du contrat ». Après l’analyse de la structure d’ensemble des dispositions présentant la Section V « L’inexécution du contrat » du Chapitre IV « Les effets du contrat », il convient à présent de s’attarder sur chacune des sanctions de l’inexécution contractuelle telles que consacrées par l’Ordonnance, de façon individuelle, afin d’apprécier leur opportunité et d’identifier les éventuelles difficultés qu’elles pourraient soulever. I - L’exception d’inexécution La première sanction prévue par l’article 1217 nouveau du Code civil est celle de l’exception d’inexécution. Cette dernière fait l’objet d’une sous section 1 « L’exception d’inexécution » regroupant les articles 1219 et 1220 nouveaux du Code civil. En vertu de l’article 1219 nouveau, « une partie peut refuser d’exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l’autre n’exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave ». Mécanisme comminatoire d’ores et déjà connu de notre droit mais absent du Code civil, l’exception d’inexécution se voit offrir une place de choix en tête de la liste dressée par l’article 1217 nouveau. Bien que l’exception d’inexécution fasse l’objet d’une même sous section, l’étude des conditions de cette sanction nécessite d’effectuer une distinction entre les deux hypothèses consacrées par l’Ordonnance aux articles 1219 et 1220 nouveaux. En effet, alors que le premier de ces textes est relatif à une situation dans laquelle l’inexécution est avérée, le second concerne une situation dans laquelle l’inexécution est simplement redoutée. Suite à l’étude de ces deux hypothèses, il conviendra d’analyser la condition de gravité posée par le texte conditionnant l’effectivité du mécanisme.

majeure, cette exigence est satisfaite lorsque cette faute présente, lors de l'accident, un caractère imprévisible et irrésistible »

17

A - L’inexécution avérée et l’inexécution redoutée En vertu de l’article 1219 nouveau, « une partie peut refuser d’exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l’autre n’exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave ». Ainsi, dans cette première hypothèse, pour qu’une partie puisse valablement refuser d’exécuter son obligation, c’est à la condition que l’autre partie n’ait pas exécuté la sienne et que cette inexécution présente un certain degré de gravité. L’exception d’inexécution opposée par une partie s’explique ici par l’absence d’exécution initiale de l’autre partie. L’inexécution initiale est donc avérée dans cette première situation. En ce sens, cette disposition crée, en faveur de la partie créancière de l’obligation inexécutée, un véritable droit de refus d’exécution. En effet, dans la situation visée par l’article 1219 nouveau, une partie va pouvoir valablement refuser d’exécuter son obligation parce que l’autre partie n’a pas exécuté la sienne. Cependant, la véritable innovation réside à l’article 1220 nouveau du Code civil selon lequel : « une partie peut suspendre l’exécution de son obligation dès lors qu’il est manifeste que son cocontractant ne s’exécutera pas à l’échéance et que les conséquences de cette inexécution sont suffisamment graves pour elle ». Outre le cas où l’inexécution est déjà intervenue, une partie pourra désormais refuser de s’exécuter en cas de simple risque d’inexécution, pouvant ainsi opposer une exception d’inexécution anticipée. Consécration de « l’exceptio timoris » également rencontrée sous le vocable d’« exception de crainte », cette disposition ouvre la possibilité à une partie d’opposer cette exception alors même que son cocontractant ne s’est pas encore rendu coupable d’inexécution. Dans cette seconde hypothèse, l’inexécution est simplement redoutée. Contrairement à l’hypothèse consacrée à l’article 1219, cette exception d’inexécution ne confère pas à une partie le droit de refuser de s’exécuter mais la possibilité de suspendre l’exécution de sa propre prestation s’il est manifeste que l’autre partie ne s’exécutera pas à l’échéance. Emportant une différence notable par ses effets, l’exception d’inexécution anticipée se différencie également de l’hypothèse consacrée à l’article 1219 par son formalisme ; l’article 1220 précisant que « cette suspension doit être notifiée dans les meilleurs délais ». Ici encore, la Haute Cour devra, sans aucun doute, intervenir afin de clarifier cette limite temporelle qui semble conditionner la validité de cette exception préventive.

Ainsi distinguées, ces deux formes d’exception d’inexécution appellent néanmoins plusieurs remarques quant à la condition de gravité conditionnant leur effectivité. B - Condition de gravité de l’inexécution Qu’il s’agisse d’une inexécution avérée ou simplement redoutée, il apparait, à la lecture des articles 1219 et 1220 nouveaux, que le législateur ait entendu subordonner l’effectivité de la sanction à l’existence d’une certaine gravité. En effet, tandis que l’article 1219 nouveau énonce que l’inexécution « est suffisamment grave », l’article 1220 nouveau traite, quant à lui, des « conséquences suffisamment graves de l’inexécution ». Selon le rapport remis au Président de la République, l’exception d’inexécution « ne peut être soulevée par le créancier que si l'inexécution présente un caractère suffisamment grave, et ne peut donc être opposée comme moyen de pression sur le débiteur que de façon proportionnée ». Cette condition de gravité s’applique indifféremment aux deux formes d’exception d’inexécution. Dans les deux cas, les juges devront opérer un contrôle de proportionnalité entre la gravité de l’inexécution initiale avérée ou l’inexécution à venir et la valeur de l’obligation que l’autre partie refuse d’exécuter en réponse. Aux côtés de l’exception d’inexécution, il est un autre mécanisme qui, d’ores et déjà connu de notre droit, connaît pourtant, avec l’Ordonnance, des modifications majeures. Il s’agit de l’exécution forcée en nature de l’obligation. II - L’exécution forcée en nature de l’obligation L’Ordonnance du 10 février 2016 modernise considérablement le mécanisme de l’exécution forcée en nature, désormais consacré aux articles 1221 et 1222 nouveaux du Code civil. Tandis que le premier de ces textes vise l’exécution forcée en nature par le débiteur initial, le second est relatif à l’exécution forcée de l’obligation par un tiers. Selon l’article 1221 nouveau, « Le créancier d’une obligation peut, après mise en demeure, en poursuivre l’exécution en nature sauf si cette exécution est impossible ou s’il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur et son intérêt pour le créancier ». Contrairement à ce

18

que prévoyait l’ancien article 1142 du Code civil46, l’exécution forcée en nature est désormais de droit. La distinction entre les obligations de faire, de ne pas faire et de donner étant abandonnée par l’Ordonnance, la possibilité d’obtenir l’exécution forcée en nature de l’obligation devient donc le principe. Cependant, le texte conditionne sa mise en oeuvre à l’existence de certaines conditions et pose deux limites. D’une part, consacrant la jurisprudence antérieure, le texte indique que le créancier peut poursuivre l’exécution en nature d’une obligation sauf si celle-ci est impossible. L’impossibilité d’exécution en nature n’est pas définie ni précisée par le texte mais l’on peut gager qu’elle peut être interprétée largement et comprendre à la fois l’impossibilité matérielle, l’impossibilité juridique et l’impossibilité morale47. D’autre part, en indiquant que l’exécution forcée en nature ne peut être prononcée « s’il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur et son intérêt pour le créancier », le texte consacre une nouvelle limite directement inspirée des projets européens d’harmonisation du droit des contrats. Selon le rapport remis au Président de la République, cette condition de proportionnalité permettrait de faire obstacle à l’exécution forcée lorsque cette dernière s’avère trop onéreuse pour le débiteur et qu’une condamnation à des dommages-intérêts suffit à garantir au créancier une juste compensation. Conférant au caractère intuitu personae son plein effet, l’article 1221 paraît, cependant, moins novateur quant à ses conséquences tant ces dernières semblent limitées. En effet, en prévoyant que le créancier d’une obligation peut en poursuivre l’exécution en nature auprès de son débiteur, le texte entend préserver la valeur du caractère intuitu personae de l’obligation. Dès lors que le créancier choisit son débiteur et que ce caractère intuitu personae est entré dans le champ contractuel, il apparaît tout à fait logique d’accorder une telle possibilité au créancier, le débiteur ayant, en quelque sorte, accepté le risque d’être contraint d’exécuter son obligation. Cependant, bien que protecteur du caractère intuitu personae de la créance, il est permis d’émettre certaines réticences quant à l’efficacité de ce mécanisme. Si le débiteur ne s’exécute pas du fait de la seule force obligatoire du contrat, il est probable qu’il refuse 46 Article 1442 ancien du Code civil : « Toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts en cas d’inexécution de la part du débiteur » 47 L’impossibilité existe généralement lorsque l’obligation inexécutée est relative à des qualités irréductiblement individuelles du débiteur. Ainsi, il semble impossible de contraindre un artiste à peindre le tableau qu’il s’était initialement engagé à effectuer.

également l’exécution forcée en nature ; refus à l’encontre duquel l’article 1221 nouveau ne connait aucun remède. De son côté, l’article 1222 nouveau du Code civil48 offre au créancier insatisfait deux prérogatives distinctes : le droit de faire exécuter par un autre que le débiteur la prestation due par ce dernier ou à l’inverse le droit de réclamer judiciairement la destruction de ce qui a été mal exécuté, le tout aux frais du débiteur. Reprenant en substance les anciens articles 1143 et 1144 du Code civil, le législateur entend faciliter l’action du créancier puisqu’il acquiert désormais un droit de remplacement unilatéral, extrajudiciaire et non soumis à la contrainte de l’urgence. Dans cette hypothèse de remplacement, le juge n’interviendra qu’a posteriori en cas de contestation des conditions requises (critère du coût raisonnable et respect du délai). L’exigence d’une action en justice est toutefois maintenue pour l’obtention d’une mesure de destruction qui ne peut être prononcée, vu sa gravité et son caractère irrémédiable, qu’après autorisation judiciaire. Dans tous ces cas, le créancier pourra désormais obtenir le remboursement de la totalité des frais engagés. Aux fins de protéger le débiteur, le législateur interdit au créancier d’exiger unilatéralement et sans contrôle judiciaire le paiement anticipé des frais de remplacement ou de destruction. Concrètement, cela signifie que soit le créancier paie lui-même les frais d’exécution ou de destruction réalisée par le tiers et se fait rembourser par le débiteur (article 1222 al 1er), soit le créancier ne souhaite pas engager les frais lui-même et se trouve alors contraint d’obtenir une autorisation judiciaire pour un paiement anticipé par le débiteur (article 1222 al. 2nd). L’étude de l’exécution forcée fait place, comme c’est le cas au sein de l’article 1217 nouveau, à une autre sanction de l’inexécution, à savoir, la réduction du prix. III - La réduction du prix La réduction du prix, autrement appelée réfaction du contrat, fait son entrée dans le droit commun des contrats. Déjà connue en droit des contrats spéciaux et notamment en droit de la vente dans des hypothèses particulières (articles 1617, 1619 et 1644 du Code

48 Article 1222 nouveau du Code civil : « Après mise en demeure, le créancier peut aussi, dans un délai et à un coût raisonnables, faire exécuter lui-même l’obligation ou, sur autorisation préalable du juge, détruire ce qui a été fait en violation de celle-ci. Il peut demander au débiteur le remboursement des sommes engagées à cette fin. Il peut aussi demander en justice que le débiteur avance les sommes nécessaires à cette exécution ou à cette destruction.».

19

civil49), elle constitue une nouvelle prérogative du créancier lui permettant de maintenir le contrat partiellement exécuté et de restaurer l’équilibre entre les prestations. Néanmoins, si le principe est légitime, le régime juridique de la réduction du prix mis en place par ce texte paraît confus et contestable. Concrètement l’alinéa 1er de l’article 1223 offre au débiteur du paiement du prix de la prestation le droit « d’accepter » l’exécution imparfaite du débiteur de la prestation et le droit de lui réclamer la diminution du prix. L’analyse subjective est originale : en s’exécutant partiellement le débiteur de la prestation semble faire, selon les termes de l’article, une offre à son cocontractant en vue de la diminution du prix. Ce dernier est alors mis en position d’accepter ou non l’offre qui lui est faite. Le fondement contractuel de la réfaction est ensuite conforté par le fait que le créancier de la prestation inexécutée doit à son tour « solliciter » la révision du prix. Le terme solliciter révèle que le créancier n’est pas en droit d’imposer la diminution du prix à son débiteur défaillant. Nul doute alors que la réfaction du contrat prévue à l’article 1223 alinéa 1er repose sur l’accord des deux parties et s’apparente à un avenant contractuel. Une première réserve surgit alors : la réduction du prix telle qu’organisée par le législateur n’est-elle pas une prérogative liée à l’exécution du contrat plutôt qu’une sanction de son inexécution ? Une sanction est assimilable à une contrainte. De quelle contrainte est-il question ici si le débiteur et créancier de l’exécution de la prestation sont eux même les artisans de la réfaction du contrat ? Une seconde réserve apparaît lorsqu’il s’agit de comprendre l’articulation des deux alinéas de l’article 1223. Le second alinéa de ce texte vise la situation du créancier qui n’a pas encore payé le débiteur de la prestation. Dans ce cas, la loi semble accorder au créancier le droit de décider seul de la réfaction du prix (le créancier notifie sa décision de réduire le prix) et lui impose en contrepartie de notifier sa décision dans les plus brefs délais. La contradiction qui apparaît alors entre l’accord du premier alinéa et la décision unilatérale du second soulève quelques interrogations.

49 Dans le cas d’un prix de vente d’immeuble à raison de la contenance, l’article 1617 du Code Civil prévoit que si la contenance réelle est inférieure à celle prévue, l’acquéreur peut exiger la délivrance de la contenance annoncée au contrat ou, si cela est impossible, une baisse de prix à proportion de la différence de contenance. Dans le cas d’une vente d’immeuble également, l’article 1619 du Code Civil dispose que lorsque « la différence de la mesure réelle à

Pourquoi l’existence ou l’absence du prépaiement influerait-elle sur la nature juridique de la réfaction (contrat/acte unilatéral) ? Si l’on se réfère au rapport remis au Président de la République, il est indiqué que si le créancier a déjà payé le prix, « il demandera remboursement au débiteur à hauteur de la réduction de prix opposée ». Or, pourquoi le créancier ayant déjà tout payé ne serait-il en pas en droit d’imposer unilatéralement au débiteur la réfaction du contrat ? Le législateur semble ainsi conditionner l’étendue des prérogatives offertes au créancier à l’existence de son paiement. Cela n’a guère de sens. Critiquée par la place trop importante qu’elle accorde à l’unilatéralisme, cette sanction d’un nouveau genre ne manquera pas de faire l’objet d’un important contentieux ; ne serait-ce qu’eu égard à l’exigence éventuelle d’une motivation du créancier lors de sa notification au débiteur (comme cela avait pu être proposé au sein du projet Terré). Loin d’être inconnue du Code civil, la sanction suivante fait néanmoins l’objet d’importants bouleversements consacrés par l’Ordonnance du 10 février 2016. IV. La résolution du contrat Auparavant consacrée à l’article 1184 du Code civil, la résolution du contrat pour inexécution fait désormais l’objet de plusieurs dispositions (1124 à 1230 nouveaux du Code civil) et voit ainsi son régime clarifié. Selon le nouvel article 1224 du Code civil, « La résolution résulte soit de l’application d’une clause résolutoire soit, en cas d’inexécution suffisamment grave, d’une notification du créancier au débiteur ou d’une décision de justice ». Sont ainsi prévus trois modes de résolution : la résolution conventionnelle, la résolution unilatérale et la résolution judiciaire. D’une part, la clause résolutoire fait l’objet de l’article 1225 nouveau du Code civil en vertu duquel « La clause résolutoire précise les engagements dont l’inexécution entraînera la résolution du contrat. La résolution est subordonnée à une mise en demeure infructueuse, s’il n’a pas été convenu que celle-ci résulterait du seul fait de l’inexécution. La mise en demeure ne produit effet que si elle mentionne expressément la clause résolutoire ».

celle exprimée au contrat est d’un vingtième en moins, eu égard à la valeur de la totalité des objets vendus » l’acquéreur a droit à une diminution du prix pour la moindre mesure. En outre, l’article 1644 du Code civil prévoit que « dans le cas des articles 1641 et 1643, l'acheteur a le choix de rendre la chose et de se faire restituer le prix, ou de garder la chose et de se faire rendre une partie du prix ».

20

S’agissant des conditions de mise en oeuvre de cette sanction, le texte prévoit que la clause résolutoire doit mentionner expressément les engagements dont l'inexécution peut entraîner la résolution du contrat. Dès lors, si cette liste d’engagements visée par la clause n’est pas assez précise, il ne sera pas possible d'invoquer un manquement qui ne sera pas lui-même l'un de ceux pouvant entraîner l'application de la clause résolutoire. Cependant, lorsque l’engagement inexécuté est expressément mentionné dans la clause résolutoire, la résolution intervient de plein droit. A l’avenir, certaines parties prévoiront sûrement que tout manquement aux obligations contractuelles pourra conduire à l'application de la clause résolutoire ; ce qui semble pouvoir s’appliquer également à des obligations subsidiaires. Ensuite, lorsqu’il n’a pas été convenu que la résolution résulterait du seul fait de l’inexécution, le texte fait état d’une mise en demeure infructueuse, ce qui nécessite que l’inexécution perdure après la mise en demeure. Or, le texte ne précise pas le délai durant lequel la mise en demeure doit rester infructueuse. Réponse que l’on ne retrouve pas non plus aux nouveaux article 1344 et suivants. En outre, s’agissant des conditions de forme, l’article 1225 nouveau précise que la mise en demeure ne produit effet que si elle mentionne expressément la clause résolutoire. Mécanisme supplétif, dans la mesure où les parties peuvent toujours prévoir que la résolution résultera du seul fait de l’inexécution, la mise en demeure semble répondre à une simple exigence d’ordre probatoire en cas de silence des parties quant à l’effet de l’inexécution. Outre la résolution conventionnelle organisée par les deux parties, l’article 1226 nouveau du Code civil consacre le mécanisme de la résolution unilatérale par notification du créancier de l'obligation non exécutée. En vertu de cette disposition, « le créancier peut, à ses risques et périls, résoudre le contrat par voie de notification. Sauf urgence, il doit préalablement mettre en demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable ». Initialement consacrée par la jurisprudence Tocqueville50, la résolution unilatérale extrajudiciaire trouve ici une consécration conforme à l’ensemble des principes établis par la jurisprudence depuis 1998. L’alinéa 1er de l’article 1226 nouveau conserve ainsi l’expression « à ses risques et périls » signifiant qu’une saisine du juge a posteriori de la résolution est toujours possible afin que ce dernier

50 Cass, civ.1, 13 Octobre 1998 : « Mais attendu que la gravité du comportement d'une partie à un contrat peut justifier que l'autre partie y mette fin de façon unilatérale à ses risques et périls ».

contrôle sa régularité. Dans un tel cas, l’alinéa 4 de l’article 1126 précise que « le débiteur peut à tout moment saisir le juge pour contester la résolution. Le créancier doit alors prouver la gravité de l’inexécution ». En outre, il est indiqué que la résolution s’effectue, par principe, par voie de notification, suite à une mise en demeure du débiteur de s’exécuter dans un délai raisonnable ; mise en demeure devant expressément mentionner que le créancier pourra résoudre le contrat si l’inexécution persiste51. Le texte précise, ensuite, que le créancier est dispensé de l’exigence formaliste de la mise en demeure en cas d’urgence. Faculté autonome désormais offerte au créancier victime de l’inexécution, la résolution unilatérale extrajudiciaire, telle que consacrée par l’Ordonnance, ne sacrifie pas pour autant les impératifs de sécurité juridique, comme en atteste l’important formalisme du mécanisme. A ce titre, l’alinéa 3 de l’article 1226 nouveau du Code civil prévoit que « lorsque l’inexécution persiste, le créancier notifie au débiteur la résolution du contrat et les raisons qui la motivent ». Cette exigence de motivation, gage du respect des intérêts du débiteur, semble constituer une contrepartie nécessaire à l’unilatéralisme du mécanisme (en particulier lorsque le créancier se prévaut d’une situation d’urgence) qui ne manquera pas de faire l’objet d’un contentieux fourni. Enfin, la troisième voie de résolution est visée par l’article 1227 qui énonce que « la résolution peut, en toute hypothèse, être demandée en justice ». En cas de saisine, l’article 1228 vient préciser les pouvoirs dont dispose le juge en matière de résolution. Ce dernier peut ainsi « selon les circonstances, constater ou prononcer la résolution ou ordonner l'exécution du contrat, en accordant éventuellement un délai au débiteur, ou allouer seulement des dommages et intérêts ». Les rôles dévolus au juge en matière de résolution sont multiples. S’il est saisi d’une constatation, il contrôlera la bonne application de la clause et constatera la résolution. Il vérifiera, à ce titre, si l’engagement est bien visé dans la clause et si ce n’est pas le cas, il pourra sanctionner le créancier. En présence d’une résolution unilatérale, le juge peut être saisi par le débiteur et appréciera la gravité du manquement invoqué. En revanche, en présence d’une résolution judiciaire, le juge est l’auteur de la résolution et la prononcera s’il estime que le manquement invoqué est suffisamment grave. En outre, le texte indique que le juge peut également, « selon les

51 Article 1126 alinéa 2 : « La mise en demeure mentionne expressément qu’à défaut pour le débiteur de satisfaire à son obligation, le créancier sera en droit de résoudre le contrat ».

21

circonstances, ordonner l’exécution du contrat, en accordant éventuellement un délai au débiteur, ou allouer seulement des dommages-intérêts ». Précision bienvenue, il apparaît tout à fait logique de permettre au juge saisi de prendre en compte certains éléments de fait dans une situation dans laquelle la résolution du contrat est envisagée ; celle-ci pouvant conduire à de graves conséquences pour les parties. Néanmoins, la principale interrogation réside dans la nature même de ces « circonstances » que le juge devra prendre en compte afin de statuer. Silencieux sur certains points cruciaux, en particulier sur la question de la sanction d’une résolution unilatérale extrajudiciaire irrégulière, il appartiendra à jurisprudence de préciser ce mécanisme qui pour l’instant, ne paraît pas répondre aux impératifs de sécurité juridique, tant l’absence de prévisibilité est grande. Enfin, les conséquences de la résolution du contrat sont prévues à l’article 1229 nouveau du Code civil qui énonce que « la résolution met fin au contrat » et prend effet « soit dans les conditions prévues par la clause résolutoire, soit à la date de la réception par le débiteur de la notification faite par le créancier, soit à la date fixée par le juge ou, à défaut, au jour de l’assignation en justice ». Changement notable, la résolution paraît désormais détachée de toute rétroactivité de sorte que les restitutions deviennent, selon la rapport remis au Président de la République « un effet de la loi » et ne sont plus consécutives au caractère rétroactif de la résolution. Les situations dans lesquelles la résolution donne lieu à des restitutions sont prévues à l’alinéa 3 de l’article 1129 nouveau52. Conformément à la jurisprudence de la Haute Cour, la résolution est qualifiée de « résiliation » lorsque l’ensemble des prestations valablement exécutées par les parties ne sont pas remises en causes, de telle sorte qu’il n’y a aucune restitution pour la période où chaque prestation a reçu une contrepartie. Enfin, l’article 1230 nouveau du Code civil prévoit que « la résolution n’affecte ni les clauses relatives au règlement des différends, ni celles destinées à produire effet même en cas de résolution, telles les clauses de confidentialité et de non-concurrence ». Précision heureuse dans la mesure où la jurisprudence de la Cour de cassation manquait d’uniformité à ce sujet, cette disposition 52Article 1229 alinéa 3 nouveau : « Lorsque les prestations échangées ne pouvaient trouver leur utilité que par l’exécution complète du contrat résolu, les parties doivent restituer l’intégralité de ce qu’elles se sont procuré l’une à l’autre. Lorsque les prestations échangées ont trouvé leur utilité au fur et à mesure de l’exécution réciproque du contrat, il n’y a pas lieu à restitution pour la période antérieure à la dernière prestation n’ayant pas reçu sa contrepartie ; dans ce cas, la résolution est qualifiée de résiliation ».

marque, une nouvelle fois, la volonté des rédacteurs de l’Ordonnance de rendre le droit français des contrats plus attractif. Pour finir, il convient de présenter les quelques remaniements opérés par l’Ordonnance concernant la responsabilité contractuelle. V - Réparation des conséquences de l’inexécution Bien que les changements intervenus par le biais de l’Ordonnance du 10 février 2016 aient vocation à être complétés par la réforme de la responsabilité civile53, certaines modifications relatives au jeu de la responsabilité contractuelle sont d’ores et déjà intervenues. Affichant la volonté de développer un droit des contrats modernisé et surtout, un droit en conformité avec les nombreuses interprétations jurisprudentielles dont il a pu faire l’objet, les rédacteurs de l’Ordonnance ont ainsi conservé l’essentiel des principes gouvernant la responsabilité contractuelle. D’une part, l’article 1231 nouveau54 conserve la formalité de la mise en demeure du débiteur de s’exécuter dans un délai raisonnable. Néanmoins, il est précisé que lorsque l’exécution est devenue définitive, cette exigence formaliste n’est pas requise. D’autre part, prévoyant que « le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure », l’article 1231-1 nouveau reprend ainsi l’essentiel de l’ancien article 1147, excepté la référence à la cause étrangère et à la mauvaise foi. Par suite, le contenu de l’ancien article 1149 est repris à l’article 1231-2 de sorte que le débiteur reste tenu de la perte subie par le créancier et du gain dont il a été privé. De même, le principe d’une limitation de l’indemnisation au dommage prévisible de l’ancien article 1150 est conservé par l’article 1231-3 nouveau du Code civil qui indique que « le débiteur n’est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qui pouvaient être prévus lors de la conclusion du contrat, sauf lorsque l’inexécution est due à une faute lourde ou dolosive ». On notera cependant que l’adjonction de la notion de faute lourde est conforme à la jurisprudence qui soumet cette dernière à un régime identique à celui de la faute

53 Avant projet de loi relatif à la réforme du droit de la responsabilité civile soumis à consultation publique depuis le 29 avril 2016. Accessible via ce lien : http://www.textes.justice.gouv.fr/art_pix/avpjl-responsabilite-civile.pdf 54 Article 1231 nouveau du Code civil : « A moins que l’inexécution soit définitive, les dommages et intérêts ne sont dus que si le débiteur a préalablement été mis en demeure de s’exécuter dans un délai raisonnable ».

22

dolosive. Cette assimilation se retrouve également à l’article 1231-4 nouveau qui prévoit que les dommages et intérêts dus en cas d’inexécution, y compris en cas de faute lourde ou dolosive, ne comprennent « que ce qui est une suite immédiate et directe de l’inexécution ». L’exigence d’un lien de causalité direct et certain, auparavant exigé par l’article 1151 du Code civil, est donc conservé. Il en va de même concernant le régime des clauses pénales désormais prévu par le seul article 1231-5 nouveau du Code civil. Le pouvoir modérateur du juge en cette matière est conservé de sorte qu‘il peut « même d’office, modérer ou augmenter la pénalité ainsi convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire ». L’article 1231-4 précise que les dispositions relatives au pouvoir modérateur du juge sont d’ordre public de sorte que les parties ne pourront en aucun cas y déroger. Enfin, l’alinéa 5 de l’article 1231 précise qu’en cas d’inexécution temporaire, une mise en demeure préalable du débiteur est nécessaire. En outre, contrairement à ce qui est indiqué dans le rapport remis au Président de la République, l’article 1231-6 relatif aux intérêts moratoires ne rappelle pas expressément le caractère supplétif du texte. Malgré cet oubli, les principes dégagés par l’ancien article 1153 du Code civil se trouvent ici conservés, de même que ceux de l’article 1153-1 entièrement repris par le nouvel article 1231-7. Afin de connaître les prochaines innovations inhérentes à la responsabilité civile contractuelle, il faudra, semble-t-il, attendre la réforme de la responsabilité civile dont l’avant projet de loi est soumis à consultation depuis le 29 avril 2016. Impacté à de nombreux égards par la réforme, le droit de l’inexécution contractuelle s’en trouve indéniablement modernisé. L’étude des différentes sanctions offertes au créancier en cas d’inexécution reflète ainsi la volonté du législateur de rendre le droit français des contrats plus attractif mais surtout, d’assurer, de manière effective, le degré de sécurité juridique nécessairement attendu des parties dans le cadre de relations contractuelles.

55 J. Carbonnier, Le Code civil, Les lieux de mémoire ; V. Rapport au Président de la République relatif à l’Ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, JORF 11 février 2016. 56 Cinquième section du quatrième chapitre relatif aux effets du contrat, contenu dans le sous-titre premier relatif au contrat. 57 Article 1217 du Code civil issu de l’Ordonnance du 10 février 2016 : « La partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, peut : - refuser d'exécuter ou suspendre l'exécution de sa propre obligation ; - poursuivre l'exécution forcée en nature de l'obligation ; - solliciter une réduction du prix ; - provoquer la résolution du contrat ; - demander réparation des conséquences de l'inexécution.

Cependant, il ne fait aucun doute que l’application de ces nouvelles sanctions de l’inexécution, à compter du 1er octobre 2016, conduira à une réelle transformation des usages de l’ensemble des professions du droit.

5 - La résolution du contrat selon l’Ordonnance du 10 février 2016 Par Clothaire Zengomona Refusant d’être « le symbole du temps arrêté»55, le Code pensé par Portalis connaitra l’un de ses plus éminents changements le 1er octobre 2016. D’importantes innovations sont contenues dans la réforme du droit des contrats issue de l’Ordonnance du 10 févier 2016, allant dans le sens d’un droit conforme à une économie de marché mondialisé. A cet égard, la cinquième section de la réforme du droit des contrats contribue à une clarification et une meilleure lisibilité des règles régissant l’inexécution du contrat56. Elle débute par une énumération des divers procédés susceptible de remédier à l’inexécution contractuelle, qui s’entend du défaut d’exécution ou d’une mauvaise exécution57. Ainsi, cinq mécanismes sont offerts à la partie lésée : l’exception d’inexécution, l’exécution forcée en nature, la réduction du prix, la résolution, et la réparation du préjudice en résultant. La partie lésée possède un choix qui peut être exercé discrétionnairement, et lesdits mécanismes sont compatibles entre eux et cumulables avec des dommages et intérêts. Après avoir procédé à l’analyse de la force majeure selon la réforme du droit des contrats58, la présente étude s’efforcera d’étudier le remède phare à l’inexécution du contrat par une partie : la résolution. Feu l’article 1184 du Code civil59 ! - Place aux articles 1124 et suivants du Code civil ! Alors que la résolution était envisagée par un article relatif à la « condition résolutoire », l’Ordonnance du 10 févier 2016 consacre une série d’articles spécifiques à ce mécanisme, tout en

Les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées ; des dommages et intérêts peuvent toujours s'y ajouter ». 58 C. Zengomona, La force majeure selon l’Ordonnance du 10 février 2016, Chronique des DPA n°1. 59 Art. 1184 du Code civil (abrogé au 1er octobre 2016) : « La condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l'une des deux parties ne satisfera point à son engagement. Dans ce cas, le contrat n’est point résolu de plein droit. La partie envers laquelle l’engagement n’a point été exécuté, a le choix ou de forcer l'autre à l’exécution de la convention lorsqu'elle est possible, ou d'en demander la résolution avec dommages et intérêts. La résolution doit être demandée en justice, et il peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances ».

23

y apportant quelques changements. L’analyse des divers moyens permettant la résolution du contrat (I) précèdera l’énoncé des effets de celle-ci (II). I – Les moyens permettant la résolution du contrat Comme le précise le rapport remis au Président de la République, la résolution du contrat est « la plus radicale des sanctions de l’inexécution […], puisque celle-ci met fin au contrat ». Mécanisme efficace en cas d’inexécution par une partie de son obligation, elle se définit traditionnellement comme l’ « anéantissement en principe rétroactif d’un contrat synallagmatique qui, fondé sur l’interdépendance des obligations résultant de ce type de contrat, consiste à libérer une partie de son obligation (et lui permettre d’exiger la restitution de ce qu’elle a déjà fourni), lorsque l’obligation de l’autre ne peut être exécutée, soit du fait d’une faute de celle-ci […], soit par l’effet d’une cause étrangère […] »60. Elle se distingue de la résiliation, qui est une « résolution » ne produisant d’effets que pour l’avenir spécifiques aux contrats à exécution successive. Certains auteurs voient néanmoins en cette dernière autre chose qu’un mécanisme sanctionnateur, et préfère l’analyser comme un droit à la liberté de mettre fin au contrat61. De plus, il convient de préciser, ce que ne fait pas le nouveau texte, que la résolution s’opère dans les contrats synallagmatiques, tout comme l’exception d’inexécution, mécanisme prétorien consacrée par l’ordonnance du 10 février 201662. Alors que l’article 1184 du Code civil se contentait de préciser que « la condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques », laissant le choix au créancier soit de forcer l’autre à s’exécuter, soit de demander en justice la résolution avec dommages et intérêts, l’article 1224 énonce trois procédés résolutoires particularisés par leurs conditions de mise en oeuvre. Le texte distingue ainsi la résolution organisée par les parties antérieurement à l’inexécution (clause résolutoire), la résolution imposée unilatéralement par le créancier (résolution unilatérale)

60 G. Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, 10ème édition. 61 C. Chabas, Résolution-Résiliation, Répertoire de droit civil; la résiliation se distinguerait néanmoins des autres causes de révocation contractuelle, analysées comme des droits de revenir sur consentement et anéantissant le contrat, à savoir les clauses de dédit et les droits de rétractation et de repentir 62 Articles 1219 et 1220 du Code civil issu de l’Ordonnance du 10 février 2016. 63 Article 1225 du Code civil issu de l’Ordonnance du 10 février 2016 : « La clause résolutoire précise les engagements dont l'inexécution entraînera la résolution du contrat.

et, enfin, la résolution prononcée par le juge (résolution judiciaire). A. La clause résolutoire La clause résolutoire est, en vertu de l’article 122563, une clause contractuelle spécifique par laquelle les parties organisent le processus de résolution en cas d’inexécution de son obligation par l’une d’elles. L’inexécution d’une obligation du contrat entraine ainsi automatiquement la résolution du contrat, dans la mesure où les conditions contractuellement précisées sont réunies. Cet effet automatique de la résolution exclut toute intervention judiciaire. En principe, la mise en œuvre de la clause résolutoire, tout comme la résolution unilatérale, est subordonnée à une mise en demeure préalable de la partie défaillante. Cette exigence, qui ne concerne pas la résolution judiciaire64, est le dernier rempart permettant au débiteur d’exécuter son obligation, ce qui permet de préserver le contrat même si son exécution est tardive. Toutefois, deux précisions s’imposent : d’un côté, la mise en demeure doit mentionner expressément la clause résolutoire pour produire ses effets ; de l’autre, les parties peuvent contractuellement écarter cette obligation de mise en demeure préalable, qui n’est que supplétive. Dans ce cas, la résolution résultera du seul fait de la seule résolution, et c’est en quelque sorte l’exigibilité de l’obligation qui vaudra mise en demeure. En dehors de ces dispositions, aucune condition supplémentaire n’est requise, l’accord des parties primant. En ce sens, la condition traditionnelle de gravité attachée à la résolution unilatérale ainsi qu’à la résolution judiciaire n’est pas requise. Il convient de préciser que, en dépit de son absence au sein du nouveau texte législatif, la condition de bonne foi dans l’invocation de clause résolutoire s’impose logiquement. Le soin est laissé à la Haute juridiction de se prononcer à ce sujet.

La résolution est subordonnée à une mise en demeure infructueuse, s'il n'a pas été convenu que celle-ci résulterait du seul fait de l'inexécution. La mise en demeure ne produit effet que si elle mentionne expressément la clause résolutoire. » 64 Ce constat est d’ordre logique, conformément à la pensée juridique contemporaine : « L'exigence d'une mise en demeure n'a pas de sens en ce qui concerne la résolution judiciaire », M. Planiol et G. Ripert, Traité pratique de droit civil français, t. VI, n°425, 1954.

24

B. La résolution unilatérale Cette sanction est organisée par l’article 122665, et prend la forme d’une notification adressée par le créancier d’une obligation à son débiteur défaillant. Il s’agit là d’une nouveauté légale, consacrant jurisprudence de la Cour de cassation66, et s’inscrivant dans un mouvement International puisqu’à titre d’exemple, les principes UNIDROIT créés par l’Institut international pour l’unification du droit privé ont également admis la faculté de résiliation unilatérale67. Une mise en demeure préalable est nécessaire, le nouveau texte légal la subordonnant à un délai raisonnable. Cette mise en demeure du créancier doit préciser expressément la possibilité de résolution unilatérale à défaut d’exécution. La mise en demeure est toutefois écartée en cas d’urgence dans l’exécution de l’obligation. La notification de la résolution unilatérale par le créancier doit être motivée par celui-ci, et le débiteur peut la contester en saisissant le juge. Cette saisine du juge pour contestation est conforme à l’idée que la résolution par le créancier est à « ses risques et périls ». Dans cette hypothèse, c’est au créancier, défendeur, qu’il appartiendra de prouver le caractère de gravité de l’inexécution justifiant la résolution. Il convient de préciser que ce caractère de gravité ne doit être établi uniquement en cas de contestation par le débiteur. Ainsi, le principe est que tout type d’inexécution peut entrainer une résolution unilatérale par le créancier, sauf en cas de contestation par le débiteur. En outre, en termes probatoires, seul le créancier, défendeur, devra prouver le caractère de gravité justifiant la résolution unilatérale en cas de contestation par le débiteur, demandeur. Ainsi, le texte légal procède à un renversement de la charge de la preuve selon l’article 1353 issu de l’Ordonnance du 10 février 201668. Ce n’est pas au débiteur contestant la résolution unilatérale d’apporter la preuve du caractère

65 Article 1226 du Code civil issu de l’Ordonnance du 10 février 2016 : « Le créancier peut, à ses risques et périls, résoudre le contrat par voie de notification. Sauf urgence, il doit préalablement mettre en demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable. La mise en demeure mentionne expressément qu'à défaut pour le débiteur de satisfaire à son obligation, le créancier sera en droit de résoudre le contrat. Lorsque l'inexécution persiste, le créancier notifie au débiteur la résolution du contrat et les raisons qui la motivent. Le débiteur peut à tout moment saisir le juge pour contester la résolution. Le créancier doit alors prouver la gravité de l'inexécution. » 66 Arrêt Tocqueville, Civ. 1ère, 13 octobre 1998, n°96-21485 ; Civ. 1ère, 28 octobre 2003, n° 01-03662. 67 Article 7.3.1 des principes UNIDROIT : « 1) Une partie peut résoudre le contrat s’il y a inexécution essentielle de la part de l’autre partie […]. » ; article 7.3.2 : « 1) La résolution du contrat s’opère par notification au débiteur […]. »

de gravité : ce dernier doit se contenter de contester la résolution. Or, en pratique, comment peut-il contester la résolution unilatérale sans démonter qu’elle n’est pas légitime, c’est-à-dire sans démonter qu’elle n’est pas grevée d’une certaine gravité ? Le débiteur subissant une résolution unilatérale a tout intérêt à contester la résolution unilatérale invoquée par le créancier, sauf cas exceptionnels ne laissant que peu de doutes sur l’inefficacité de la contestation. La ratio legis fait de cette résolution unilatérale par notification un mécanisme à vocation d’efficacité économique, s’inscrivant dans le sillage de la protection du créancier victime de l’inexécution de son obligation69. Un impératif de célérité et une déjudiciarisation sont inhérents à cette consécration. Néanmoins, ce mécanisme reste encadré, dans un souci d’équilibre des rapports contractuels et de sécurité juridique du débiteur défaillant. Cette sécurisation s’exprime par les exigences propres à la notification, la possibilité de contestation et la preuve du caractère de gravité que le créancier devra lui-même apporter si la sanction fait l’objet d’une contestation. Néanmoins, force est de constater que cette dernière disposition n’est pas d’ordre public à la lecture du texte. Mais dans ce cas, quel est l’intérêt de prévoir un tel encadrement légal s’il est contractuellement possible de le battre en brèche ? Le remède apporté par les clauses abusives pourrait trouver ici une application envisageable, dans les contrats de consommation70. De même, la jurisprudence Faurecia71 pourrait trouver une application pertinente. C. La résolution judiciaire Ce dernier procédé résolutoire consiste classiquement à saisir le juge afin qu’il se prononce sur le bien-fondé de la résolution d’un contrat, du fait d’une inexécution grave. Prévue aux articles 1227 et 122872, elle confère

68 Article 1353 du Code civil issu de l’Ordonnance du 10 février 2016 (ancien article 1315 du Code civil) : « Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation. » 69 V. Rapport remis au Président de la République du 11 février 2016. 70 A. Bénabent, Les nouveaux mécanismes, Revue des contrats, n° Hors-série « La réforme du droit des contrats : quelles innovations ? », 16 février 2016. 71 Com, 29 juin 2010, n°09-11.841, Faurecia c/ Oracle. 72 Article 1227 du Code civil issu de l’Ordonnance du 10 février 2016 : « La résolution peut, en toute hypothèse, être demandée en justice. » ; Art. 1228 du Code civil issu de l’Ordonnance du 10 février 2016 : « Le juge peut, selon les circonstances, constater ou prononcer la résolution ou ordonner l'exécution du contrat, en accordant éventuellement un délai au débiteur, ou allouer seulement des dommages et intérêts. »

25

au juge un pouvoir d’appréciation souverain et un éventail de possibilités, allant du prononcé de la résolution pour inexécution suffisamment grave au constat a posteriori de la résolution73, en passant par l’injonction au débiteur d’exécuter le contrat, avec ou sans délai, ou encore la seule allocation de dommages et intérêts. Ainsi, le juge n’est pas « lié » par la résolution judiciaire qui lui est demandée, et a le choix de faire perdurer ou non le contrat. La demande de résolution judiciaire initiale peut donc être notamment transformée par le juge lui-même en une injonction au débiteur d’exécute le contrat. En l’absence de dispositions légales contraires, les clauses de renonciation judiciaire anticipée sont valides, dans le sens de la jurisprudence constante de la Cour de cassation74. A cet égard, le juge devra vérifier si ladite clause ne porte pas atteinte à l’essence du droit d’agir en justice75. Ces trois mécanismes consacrés par l’ordonnance du 10 février 2016 possèdent des effets unitaires, que la réforme du droit des contrats a précisément explicités. II – Les effets de la résolution du contrat Les effets de la résolution sont pour le moins novateurs au sein de la réforme du droit des contrats, qui les prévoient à l’article 112976. Il n’est pas nécessaire de s’attarder sur le point de départ des effets de la résolution, qui s’analyse par référence au moyen utilisé pour résoudre le contrat. Ainsi, selon l’alinéa 2nd de l’article 1129, il convient de prendre en considération : soit la date de la réception par le débiteur de la notification du créancier, soit la date fixée par le juge ou, à défaut, celle de l’assignation, soit les conditions prévues par la clause résolutoire. En outre, il est précisé à l’article 1230 que la résolution n’a pour effet d’affecter ni les clauses de règlement des litiges, ni celles marquées par une pertinacité, comme les clauses de confidentialité et de non-concurrence. Au-delà de ces deux éléments, l’intérêt essentiel en matière de résolution est la rétroactivité.

73 Constat a posteriori à la suite de la contestation d’une résolution par notification. 74 Civ. 3ème, 3 novembre 2011 : D. 2012 Pan. 459, Amrani-Mekki ; Gaz. Pal. 2012. 1417, Mayer. 75 A. Bénabent, ibidem. 76 Article 1229 du Code civil issu de l’Ordonnance du 10 février 2016 : « La résolution met fin au contrat. La résolution prend effet, selon les cas, soit dans les conditions prévues par la clause résolutoire, soit à la date de la réception par le débiteur de la notification faite par le créancier, soit à la date fixée par le juge ou, à défaut, au jour de l’assignation en justice.

La résolution a traditionnellement pour effet de mettre fin rétroactivement au contrat. En ce sens, le contrat est censé n’avoir jamais existé. Toutefois, l’article 1229, alinéa 1er ne précise pas le caractère rétroactif de la résolution, et se contente d’affirmer que « la résolution met fin au contrat ». Néanmoins, il est possible de déceler implicitement ce caractère rétroactif dans l’alinéa 3ème, à travers un mécanisme de restitution précisément encadré. Le rapport au Président de la République estime que cette fiction juridique a pour effet « d’engendrer des restitutions », assimilation stricte que ne souhaite pas la réforme. La résolution est la conséquence essentielle du caractère rétroactif de la résolution : les effets du contrat77 étant anéantis, la remise à l’état initial des parties doit s’organiser. Cette « remise à zéro » fictive s’analyse sous l’angle de la recherche de « l’utilité ». La restitution ne peut intervenir que « lorsque les prestations échangées ne pouvaient trouver leur utilité que par l'exécution complète du contrat résolu ». La distinction entre exécution instantanée et exécution successive disparait ainsi au profit de la notion d’ « utilité », même si force est de constater que cette distinction est sous-jacente. Cette singulière notion semblerait n’être que la référence implicite à la cause, un synonyme bien utile dans la mesure où le projet de réforme a supprimé la cause du droit des contrats. Si l’utilité du contrat réside dans l’exécution complète des prestations, la restitution intégrale doit intervenir ; dans le cas contraire, qui correspond à une résiliation opérant pour l’avenir, les prestations « pour la période antérieure à la dernière prestation n'ayant pas reçu [leur] contrepartie » ne doivent pas être restituées. Ce dernier cas est donc exempt de rétroactivité, en vertu du nouveau droit des contrats. En conséquence, la réforme poursuit un changement de paradigme en matière de résolution, lié à la suppression de son lien avec la rétroactivité. Et la notion d’utilité a pour conséquence que la résiliation s’applique désormais tant aux contrats à exécution instantanée qu’aux contrats à exécution successive. L’utilité est ainsi la pierre angulaire des effets de la résolution, la

Lorsque les prestations échangées ne pouvaient trouver leur utilité que par l'exécution complète du contrat résolu, les parties doivent restituer l’intégralité de ce qu'elles se sont procuré l’une à l’autre. Lorsque les prestations échangées ont trouvé leur utilité au fur et à mesure de l'exécution réciproque du contrat, il n’y a pas lieu à restitution pour la période antérieure à la dernière prestation n’ayant pas reçu sa contrepartie ; dans ce cas, la résolution est qualifiée de résiliation. Les restitutions ont lieu dans les conditions prévues aux articles 1352 à 1352-9 ». 77 Prestations diverses, transfert de propriété par exemple.

26

restitution dépendant du caractère instantané ou successif de l’utilité de prestations échangées. 6 - La cession de dette selon l’Ordonnance du 10 février 2016 Par Anaëlle Barloy « Ce que ne peut le libre accord des seules volontés du cédant et du cessionnaire, le législateur le peut »78. Encore faut-il que le législateur le souhaite lui-même, serait-on tentée d'ajouter. Longtemps ignorée par le droit français, la cession de dette autonome à titre particulier, opération contractuelle par laquelle un débiteur transfère la propriété de sa dette à un tiers en dehors de toute transmission à titre accessoire79, a fini par faire son entrée au sein du Code civil par l'Ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime et de la preuve des obligations. À cet égard, le nouvel article 1327 du Code civil dispose désormais qu'« un débiteur peut, avec l'accord du créancier, céder sa dette ». Son absence remarquée au sein du Code civil ainsi que son caractère potentiellement dangereux pour le créancier risquant de se voir imposer un débiteur insolvable en cours d'exécution contractuelle, ont fait de la cession de dette un mécanisme longtemps prohibé par la jurisprudence80. Appréhendée comme l'opération symétrique de la cession de créance81, la cession de dette essuyait les critiques, plus ou moins surmontables, de la doctrine82. Parmi elles, une embarrassante question taraudait la doctrine : celle de la nature de la dette. Le propre d'une cession étant de transmettre, l'objet de la cession doit donc être transmissible. Si la

78 F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, Droit civil Les obligations, §1310, Précis Dalloz, 10e éd. 79A l’occasion de la transmission d’une universalité de droit telle que le patrimoine d’un de cujus, d’une société ou encore à l’occasion d’une transmission d’un bien ou d’une cession de contrat ou de dette. 80 Pour un exemple : Cass. Civ 2ème, 5 octobre 2006, n°05-17409. 81 En ce sens : E.Gaudemet, Etude sur le transport de dettes à titre particulier, Th. Dijon, 1898, sp. p.45 et ss. 82 La cession de dette serait incompatible avec le droit des obligations (courant initié par L. Aynès) et le droit des biens (J. Flour, J-L. Aubert, A. Sériaux). 83 Pour plus de développements sur la question : J. François, Pourquoi les obligations sont-elles des biens ? - Liber amicorum Christian Larroumet, Textes réunis par Sarah Bros et Blandine Mallet-Bricout. 84 A. Sériaux, Droit des obligations, « Il faudrait, selon nous, se réhabituer à cette idée très simple que la dette n'est pas un élément du patrimoine. Elle n'est pas un passif, strict équivalent d'un actif, mais l'engagement d'une personne qui l'exécutera avec ses biens. Si les créances sont transmissibles, c'est parce qu'elles constituent, au

circulation de la créance est admise depuis le droit romain et la créance reconnue comme un bien à part entière par l’article 529 du Code civil83, la circulation d'une dette autonome à titre particulier n'a en revanche jamais été envisagée ni par le droit romain ni par celui de l'Ancien Régime. Essentiellement définie par sa valeur négative, la dette, pouvant familièrement être désignée comme ''moins que rien'', invitait, avant la réforme, à s'interroger sur la possibilité de sa transmission. Des auteurs, tel qu'Alain Sériaux, trouvaient insensé au regard du droit des biens84 d'admettre la cession de dette, tandis que d'autres, notamment E. Gaudemet et R. Saleilles ont favorablement accueilli cette possibilité, à la condition que le créancier y consente en raison des risques précédemment relevés. Répandue en Europe85, la cession de dette, soumise au consentement du créancier et permettant non seulement de simplifier le paiement à l'instar de la délégation mais pouvant aussi être par exemple, l'assise d'une avance ou d'une opération de défaisance86, n'handicapait pour autant pas la pratique française souhaitant obtenir les résultats d'une telle opération. De nombreux substituts87, pour certains des succédanés, aboutissaient au même résultat que la cession de dette puisqu'au débiteur originaire succédait un nouveau débiteur devant supporter la charge définitive de la dette bien que le créancier puisse toujours disposer d'un droit de gage général sur le patrimoine du débiteur originaire. Au titre de ces '' palliatifs'' figuraient notamment les clauses de substitution autorisant par avance le changement de partie au contrat, les cessions de dettes internes passées entre un débiteur et un tiers remplaçant, la novation ou encore la délégation imparfaite par laquelle un débiteur

moins en puissance, un bien, une valeur que l'on peut acquérir. Les dettes, elles, ne sont pas des biens : ce sont au contraire des non-biens. Céder une dette n'a donc pas de sens. », Éd. Puf, 2006. 85 La cession de dette est reconnue par de nombreux Etats européens tels que la Suisse qui consacre la cession de dette à l'article 175 et suivants du Code des obligations, l'Allemagne également, à l'article 414 et suivants du BGB. De plus, la cession de dette figure dans les propositions d'harmonisation européenne du droit des contrats (PDEC articles 11 : 201 et 11:202 ; Code européen des contrats, art. 125). 86 C. Larroumet, « Sur la réalisation d’une defeasance en droit français », Mél. Breton-Derrida, 1991, Dalloz, sp. p.193 et s. L’auteur parle d’une opération par laquelle une société transfère à une société de défaisance certaines dettes avec les éléments d’actifs attachés, à charge pour elle d’en assumer le traitement. 87 Pour une description exhaustive, voir Répertoire de droit civil, Section 1 – Cession de dette isolée, - Art. 2 – Concepts apparentés au changement de débiteur, Dalloz.

27

invite son propre débiteur à payer son créancier afin qu'ils soient tous deux libérés par un seul paiement. La pratique n'était par conséquent pas dépourvue d'outils lui permettant d'aboutir aux résultats d'une cession de dette. En outre, la jurisprudence avait tacitement admis son existence par un arrêt du 30 avril 2009, rendu par la Première chambre civile de la Cour de cassation, jugeant au visa de l'article 1165 du Code civil, que la « cession [de dette] ne pouvait avoir d'effet à l'égard du créancier qui n'y avait pas consenti »88. Cette audacieuse jurisprudence fut réitérée par un arrêt en date du 28 septembre 201089. Dès lors, le nouvel article 1327 du Code civil, en exigeant à première vue du créancier son consentement pour que le débiteur puisse céder sa dette, n'a fait preuve ni d'originalité par rapport aux droits étrangers, ni d'innovation par rapport à la jurisprudence. L'apport d'une telle réforme et son régime laissent par conséquent songeur. La cession de créance, essentiellement caractérisée par l'opposabilité de la cession au débiteur qui n'a pas consenti à l'opération ainsi que par les accessoires et exceptions de la créance qui demeurent attachés à cette dernière en dépit du changement de propriétaire, invite à se demander si la cession de dette a été modelée par l’Ordonnance de 2016 comme la simple réciproque de la cession de créance. Pourtant désignée comme son versant négatif, la cession de dette, tant à l'égard du rôle détenu par le créancier lors de la formation de la convention (I) qu'à l'égard du sort des accessoires et des exceptions de la dette (II), s'avère en réalité bien différente de son homologue. I – La place du créancier dans la cession de dette À l'instar des droits étrangers, le régime de la cession de dette exige d'une part le consentement du créancier à l'opération, sans pour autant en préciser les contours et la sanction en cas d'inobservation (A) puis d'autre part, l'accord exprès du créancier afin que le débiteur originaire soit totalement libéré de son obligation envers ce dernier (B). A – Le consentement énigmatique du créancier nécessaire à la validité de la cession de dette Contrairement à la cession de créance, la formation d'une cession de dette paraît requérir l'accord du

88 Cass. civ. 1, 30 avr. 2009, n°08-11.093, Bull. 2009, I, n°82. 89 Cass. com., 28 sept. 2010, n°09-70.174, Inédit. 90 Art. 1322 du c.civ. : « La cession de créance doit être constatée par écrit, à peine de nullité ».

créancier à l'opération (1). Une telle exigence n'est cependant pas suffisante à rendre opposable la cession au créancier, laquelle devra lui être notifiée à moins que celui-ci en ait « pris acte », en vertu de l'article 1327-1 du Code civil (2). 1/ La consécration d’un consensualisme exacerbé Loin des exigences formelles entourant la formation de la cession de créance90, la formation de la cession de dette semble, en dépit de plus amples précisions, gouvernée par le principe du consensualisme. Peu prolixe en effet, l'article 1327 du Code civil prévoit simplement qu'« un débiteur peut, avec l'accord du créancier, céder sa dette ». Aucune indication ne permet en outre d'affirmer que le consentement du créancier à l'opération est une condition de formation de la cession ou que son manquement est sanctionné par la nullité. Une telle imprécision est déconcertante en plus d'être source d'incompréhensions potentielles. L'article 1327-1 suivant énonce quant à lui que « le créancier, s'il a par avance donné son accord à la cession ou n'y est pas intervenu, ne peut se la voir opposer ou s'en prévaloir que du jour où elle lui a été notifiée ou dès qu'il en a pris acte ». Ainsi rédigé, il semblerait que le débiteur ait la possibilité de passer outre le consentement du créancier qui n'est pas intervenu à la cession. En admettant que le créancier puisse donner son consentement avant, à l'image des clauses de substitution, ou lors de l'opération, l'évocation du créancier qui n'est « pas intervenu [à la cession] » laisse par conséquent penser qu'il n'a donné aucun consentement à l'opération, ni antérieurement ni ultérieurement, et que l’absence de consentement ne peut être sanctionnée que sur le seul fondement de l’opposabilité de la cession au créancier. Une telle interprétation irait cependant à l'encontre même de l'article précédent qui exige de recueillir le consentement du créancier et par ricochet, irait à l'encontre de la protection de ce dernier. Selon le Ministère de la Justice, il ne s'agirait que d'une erreur matérielle, la conjonction ''ou'' devant être remplacée par ''et'' dans les meilleurs délais91. Le consentement du créancier serait ainsi respecté puisqu'il devrait intervenir au plus tard, au jour de la cession. Cette apparente contradiction pourrait toutefois ne pas en être

91 Rapp. au président de la République relatif à l'Ord. n° 2016-131, 10 févr. 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.

28

une. « L'accord » exigé par l'article 1327 pourrait avoir la même portée que l'autorisation auparavant demandée dans la cession de créance au débiteur cédé92, c'est-à-dire n'être qu'une information. Mais dans une telle hypothèse, la notification ne présenterait alors aucun intérêt, l'accord valant « prise d'acte ». Force est malheureusement de reconnaître l'échec des rédacteurs de l'ordonnance portant réforme du droit des contrats, du régime et de la preuve des obligations, à l'élaboration d'un Code civil se voulant simple, efficace et protecteur93. Le consentement du créancier à la cession de dette serait donc à distinguer de la notification et de la "prise d'acte" afin de rendre opposable l'opération, sous réserve toutefois que l'erreur située dans le texte de l'article 1327-1 du Code civil soit effectivement rectifiée. 2/ Le consentement spécifique à l’opposabilité de la cession Définie comme l'« aptitude d'une convention à faire sentir ses effets à l'égard des tiers non en soumettant (ceux-ci) aux obligations directement nées de ces éléments, mais en les forçant à reconnaître l'existence de l'acte dit opposable, à les respecter comme des éléments de l'ordre juridique et à en subir les effets, sous réserve de leur opposition lorsque la loi leur en ouvre le droit »94, l'opposabilité est requise dans l'opération de cession de dette à l'égard du créancier par l'article 1327-1 du Code civil chaque fois que celui-ci a par avance donné son consentement à la cession sans intervenir à l'acte de cession lui-même95. L'hypothèse où le créancier serait intervenu à la cession est exclue pour la simple raison que ce dernier, en donnant directement son consentement lors de l'opération en considération du nouveau débiteur, arborerait alors la qualité de partie au contrat et serait en conséquence, soumis directement à sa force obligatoire. En conséquence, l'opposabilité ne pose question que dans les cas où le créancier aurait donné un accord de principe à toute cession de dette dans le contrat le liant au débiteur, sous forme de clause de substitution par exemple, sans savoir si une telle cession interviendrait 92 Art. 1690 al 2 du C. civ. : « le cessionnaire peut être également saisi par l'acceptation du transport faite par le débiteur dans un acte authentique ». 93 Communiqué de presse, Ministère de la Justice : « La réforme publiée ce jour répond aux besoins pratiques des particuliers et des entreprises et s’articule autour de trois objectifs : simplicité, efficacité et protection. Ce Code rend le droit plus prévisible pour tous et chacun pourra dorénavant comprendre l’ensemble des étapes de la vie d’un contrat, de sa formation à son exécution. En dotant ainsi la France de règles lisibles et prévisibles, protectrices

un jour. Dans une telle occurrence, la nécessité de notifier la cession ressort par elle même de la situation. Le cas ainsi présenté paraît néanmoins des plus irréalistes. Quel créancier accepterait une clause de cession de dette avant même de connaître les capacités de remboursement du débiteur remplaçant ? Aucun, si ce n'est un créancier-consommateur, victime d'une clause qui serait certainement présumée abusive par la jurisprudence. Par ailleurs, le texte précise que la cession n’est opposable au créancier qu'à partir du jour où elle lui a été notifiée ou « dès qu'il en a pris acte ». Cette dernière formule interpelle et nécessite quelques observations. Selon le Vocabulaire Juridique du Professeur Cornu, la formule « prendre acte » désigne le fait de « constater ou faire légalement consigner un fait ou une déclaration ». Appliqué à la cession de dette, le terme signifie que le créancier est mis en mesure de constater l’existence et le contenu de la cession. Une fois encore, le texte ne précise pas ce qu'il faut entendre par « constatation », terme très large qui pourrait être rapproché de la simple connaissance. C'est donc plein de confiance en la bonne foi de l'être humain et adeptes du principe selon lequel elle doit toujours être présumée que les rédacteurs de l'Ordonnance du 10 février 2016 ont oublié qu'une action en justice est avant tout une lutte pour la manifestation de la vérité soumise aux exigences du droit de la preuve96. Or, comment prouver une constatation lorsque le créancier n'était pas présent lors de l'opération ? Comment prouver un doute sur la simple connaissance, rendant le créancier impropre à prendre parfaitement acte ? La question ne devrait heureusement pas souvent se poser en raison de l'intérêt de la grande majorité des créanciers à consentir expressément à la cession lorsqu'elle s'avère favorable. Un tel consentement ne devra cependant pas être confondu avec celui que requiert la libération totale du débiteur originaire qui présente lui aussi sa part de mystère.

mais efficaces, rigoureuses mais pragmatiques, cette ordonnance lui permettra de renforcer l’attractivité de son système juridique. », http://www.justice.gouv.fr/le-garde-des-sceaux-10016/reforme-du-droit-des-contrats-28738.html, 11 février 2016. 94 Définition opposabilité, Vocabulaire juridique Gérard Cornu, page 706, éd. Puf 2011. 95 En supposant que la conjonction « ou » est une erreur qui sera rectifiée. 96 F. Ferrand, Répertoire de procédure civile, Preuve – Dalloz, 2013, actualisation 2016

29

B – Le consentement exprès et ad hoc requis pour la libération L'article 1327-2 du Code civil prévoit que « si le créancier y consent expressément, le débiteur originaire est libéré pour l'avenir. À défaut, et sans clause contraire, il est tenu solidairement au paiement de la dette ». La formulation de cet article établit clairement un principe d'adjonction de débiteurs puisque c'est la conséquence immédiate de l'opération si le créancier décide de ne rien faire, c'est-à-dire de ne pas consentir expressément à la libération du débiteur originaire. De prime abord, il y a là une première difficulté dans la mesure où toute cession suppose par nature l’existence d’un transfert par un propriétaire qui cède quelque chose à un autre qui reçoit. C'est donc trahir l'esprit du terme ''cession'' que de considérer qu'elle peut faire naître un deuxième rapport d'obligation sans extinction du premier. Il est donc légitime de se demander si l'absence de libération automatique du débiteur originaire était indispensable à la sauvegarde des droits du créancier. Si la question peut surprendre, elle n'est pour autant pas dénuée de sens. Pourquoi ne pas décharger automatiquement, par l'effet de la cession, le débiteur originaire par l’effet de la cession, sachant que lors de l'accord initial donné à la cession, le créancier a déjà été mis en mesure d'évaluer les risques de l'opération, risques qu'il a par ailleurs acceptés ? Pourquoi exiger de lui qu’il donne son consentement à l'opération de cession de dette, si celle-ci n'a finalement que pour objet que le simple ajout d'un second débiteur, constitutif d'une garantie supplémentaire d'être payé ? Le consentement requis à l'opération ne se justifie plus car le risque est alors converti en sécurité, ce qui est entièrement favorable au créancier. Parallèlement, la distinction entre le consentement à l’opération et l’accord pour la libération du débiteur initial et le cumul de ces deux manifestations de volonté pour la parfaite exécution de la cession de dette peuvent occasionner une paralysie de cette opération. Ce sera le cas chaque fois que le créancier acceptera la cession mais refusera de libérer le débiteur initial. Dans cette hypothèse, il pourra consentir à la cession sans en tirer les conséquences et sera en droit de réclamer le paiement au seul débiteur originaire. En l'état, il semblerait que les rédacteurs de la réforme aient consacré la cession de dette en s'attachant à conserver le régime applicable aux

97 J. François, Les opérations sur la dette, Revue des contrats, Hors-série, 2016, page 45

succédanés de la cession de dette ! Qu'il s'agisse de la reprise cumulative de dette ou de la délégation imparfaite, tous deux organisaient l'adjonction d'un débiteur au rapport de dette, unis par le mécanisme de la solidarité. Comme a pu le relever le Professeur Jérôme François97, la solidarité est « malmenée par la cession de dette cumulative ». Dans son article il explique que la charge définitive de la dette est censée être supportée par le débiteur intéressé à la dette. Or, dans le cadre d'une cession de dette, ce sera toujours, in fine , le cédant qui aura intérêt à ce que sa dette soit payée, ce qui pose un problème évident au regard de la législation nouvellement consacrée. L’auteur conclut d’ailleurs sa critique en soulignant que les rédacteurs de l'Ordonnance ont probablement confondu la notion de cession de dette et de contrat 98. Force est donc de constater que la cession de dette emprunte son régime à de nombreux mécanismes. Si la réforme n'a pas permis sur ces points de conférer à la cession de dette sa propre identité, elle a tout de même veillé à ce que le lien de droit unissant le débiteur originaire et le créancier ne soit pas éteint par la cession99, afin qu'exceptions et accessoires continuent de suivre la dette, constituant l'atout de l'opération nouvellement consacrée. II – Le sort des exceptions et des accessoires de la dette Le propre d'une cession, qu'elle ait pour objet une créance ou une dette, n'est pas d'éteindre un lien d'obligation pour en créer un nouveau, mais de le déplacer. Dès lors, le rapport d'obligation reste intact, avec ses atouts (B) comme avec ses faiblesses (A) qu'il faudra adapter aux nouveaux acteurs de la relation contractuelle. A – L’alignement de la cession de dette sur la cession de créance quant au régime des exceptions L'article 1328 du Code civil dispose que : « le débiteur substitué, et le débiteur originaire s'il reste tenu, peuvent opposer au créancier les exceptions inhérentes à la dette, telles que la nullité, l'exception d'inexécution, la résolution ou la compensation de dettes connexes. Chacun peut aussi opposer les exceptions qui lui sont personnelles ». Cette opposabilité permet de rapprocher la cession de dette de la cession de créance. Comme son

98 J. François, art. préc., sp paragraphe 45. 99 À l'instar de la cession de créance qui n'opère pas novation.

30

homologue, le débiteur cessionnaire peut opposer les exceptions à la dette au créancier. Il faut cependant craindre le choix des formules « exceptions inhérentes à la dette » et « exceptions personnelles ». Cette distinction, empruntée au droit du cautionnement, permet à la caution d’opposer au créancier les exceptions qui appartiennent au débiteur et qui sont inhérentes à la dette mais pas les exceptions purement personnelles à ce dernier. Pendant longtemps, la jurisprudence assimilait les exceptions purement personnelles au débiteur à la capacité de ce dernier à contracter (c. civ. art. 2289). La frontière entre exceptions « inhérentes à la dette » et exceptions « [purement] personnelles au débiteur » était donc très claire. La Cour de cassation a cependant retenu une conception beaucoup plus large des exceptions purement personnelles appartenant au débiteur par un arrêt en date du 8 juin 2007100, considérant l’ensemble des nullités relatives comme des actions purement personnelles au débiteur et en cela, inopposables par la caution au créancier, en dépit du caractère accessoire du cautionnement. La justification donnée à ce curieux positionnement de la jurisprudence tient à ce que la nullité relative protège le contractant lésé par la règle violée. Dès lors, le débiteur peut toujours décider d’écarter cette nullité en régularisant le contrat principal par l’apport de l’élément manquant, tel qu'un consentement non vicié. Il est légitime de se demander si, en matière de cession à titre de garantie, il faudra également opérer une distinction entre la nullité absolue, que la Cour de cassation considère comme inhérente à la dette et la nullité relative, que la Cour de cassation considère comme étant (purement) personnelle en ce que – seul –, le contractant lésé par la règle protectrice peut invoquer la nullité101. Les seules questions qu'il faut se poser afin de savoir si le régime de l'opposabilité des exceptions dans la cession de dette à titre de garantie empruntera celui du cautionnement relativement à la distinction entre nullités absolues et relatives, qui relèveraient respectivement des exceptions inhérentes à la dette et personnelles au débiteur originaire ou remplaçant, sont les suivantes :

100 Cass. Ch. mixte 8 juin 2007, n°03-15.602, Bull civ n°5 : « la caution solidaire, tout comme le codébiteur solidaire, ne peut opposer au créancier l'exception de nullité relative tirée du vice du consentement du débiteur principal sur le fondement du dol, exception qui à la différence de la résolution du contrat principal est purement personnelle au débiteur principal […]. ».

- lorsqu'un débiteur, victime d'un dol, cède sa dette à un tiers, a t-il un intérêt à régulariser le contrat entaché d'un vice de formation qui l'a fait naître ? - Et s'il en a un, peut-il régulariser un contrat pour lequel il n'a plus d'obligation à exécuter ? Un débiteur qui souhaite que sa dette soit payée pourra évidemment avoir intérêt à régulariser le contrat initialement entaché d'un vice de formation. La raison est simple. La dette sera cédée à un tiers mais pas le contrat qui l'a fait naître. Ce faisant, s'il s'agit par exemple d'un contrat synallagmatique, le créancier devrait continuer à exécuter la contrepartie de l'obligation contractuelle à l'égard du débiteur originaire et non au débiteur remplaçant. Par conséquent, il ira de l'intérêt du débiteur originaire de régulariser le contrat irrégulier qui a fait naître cette dette, afin que le créancier poursuive l'exécution du contrat à son égard et ne lui oppose pas une exception d'inexécution. Dans la mesure où la régularisation est la validation d'un acte initialement nul par l'apport ultérieur de l'élément manquant, il semble logique que cet élément ne puisse être rapporté que par une partie au contrat. En ce sens, si le débiteur originaire n'a plus d'obligation, qu'il n'est plus ''propriétaire'' de sa dette, il n'est pour autant pas un tiers au contrat qui a fait naître cette obligation. C'est là toute la distinction avec la cession de contrat. En l'occurrence, le créancier peut continuer à s'exécuter envers le débiteur originaire. Non seulement le débiteur originaire peut donc avoir un intérêt à la régularisation du contrat ayant fait naître sa dette mais surtout, il est tout à fait en mesure d'y procéder s'il s'agit d'un contrat synallagmatique, puisqu'il conserve alors sa qualité de partie au contrat grâce à l'exécution des obligations du créancier (qui est donc réciproquement débiteur). De ces développements, il ressort que la distinction entre nullité absolue et relative ne serait pas dépourvue de justification dans la cession de dette. La suma divisio applicable en droit du cautionnement entre nullité absolue, rattachable aux exceptions inhérentes à la dette et nullité relative, rattachable aux exceptions personnelles au débiteur risque en conséquence fortement d'être appliquée. Le débiteur cessionnaire à titre de garantie subira par conséquent les mêmes répercussions désastreuses que la caution qui, lors de son recours subrogatoire contre le débiteur principal,

101 À l'instar de Valérie Lasserre : La cession de dette consacrée par le Code civil à la lumière du droit allemand, Recueil Dalloz 2016, §17 p. 1578.

31

peut se voir opposer les diverses exceptions purement personnelles appartenant au débiteur qu'elle même n'a pu opposer au créancier, la contraignant alors à supporter la charge définitive d'une dette dont elle ne tire aucun avantage. Une telle comparaison avec le cautionnement permet de faire le pont avec l'étude des sûretés dans la cession de dette et ainsi de parachever notre étude. B – Le sort des sûretés L'article 1328-1 du Code civil dispose que : « lorsque le débiteur originaire n'est pas déchargé par le créancier, les sûretés subsistent. Dans le cas contraire, les sûretés consenties par des tiers ne subsistent qu'avec leur accord. (…) ». Cet article rappelle d’une part que le maintien de l’engagement du débiteur initial commande le maintien des sûretés attachées à cet engagement. En exigeant d’autre part, que les sûretés ne puisse subsister en cas de libération du débiteur originaire que si elles en ont formulé le désir, l’article 1328-1 renvoie directement au droit du cautionnement et à l'article 2292 du Code civil lequel précise que « le cautionnement ne se présume point ; (qu') il doit être exprès, et (qu')on ne peut l'étendre au-delà des limites dans lesquelles il a été contracté ». En application de cet article, il est en effet acquis en jurisprudence102 qu'en cas de changement du débiteur principal, l'obligation de couverture d'une caution est éteinte, sauf volontaire contraire de celle-ci. La raison tient notamment au fait que la caution décide de s'engager en considération des capacités de remboursement du débiteur. Cette disposition taillée pour le cautionnement, convient néanmoins aussi à la garantie autonome. Définie par l'article 2321 du Code civil comme « l'engagement par lequel le garant s'oblige, en considération d'une obligation souscrite par un tiers, à verser une somme soit à première demande soit suivant des modalités convenues. (…) », la garantie autonome ne suit plus l'obligation garantie depuis l'ordonnance du 23 mars 2006 qui a exclu, sauf convention contraire, cette possibilité pourtant autrefois admise par un arrêt de la chambre commerciale du 21 octobre 2004103. Le raisonnement de la Cour de cassation était à la fois audacieux et logique. Elle considérait la garantie autonome avant tout comme un accessoire de la créance garantie, permettant à la sûreté de suivre l'obligation

102 Cass. com. 10 oct. 1995 ; Cass. com. 8 nov. 2005

cédée et ce, en dépit de son régime indépendant de celui de la dette souscrite par le tiers. Il faut regretter que ce raisonnement n’ait pas été retenu par le Législateur. La possibilité de la transmission de la garantie autonome avec la dette cédée aurait en effet constitué un véritable atout pour la cession de dette nouvellement consacrée.

JURISPRUDENCE

1 – Le caractère aléatoire des contrôles Schengen (Cass. Crim. 25 mai 2016, n°15-50063) Par Anthony Alexandre

Cass. Crim, 25 mai 2016 N° de pourvoi: 15-­50063 -­ Rejet Sur le moyen unique : Vu l'article 78-­2, alinéa 8, du code de procédure pénale, ensemble les articles 67, § 2, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et 20 et 21 du règlement (CE) n° 562/ 2006 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006 ;; Attendu, selon le premier de ces textes, que dans une zone comprise entre la frontière terrestre de la France avec les États parties à la Convention signée à Schengen le 19 juin 1990 et une ligne tracée à 20 kilomètres en deçà, ainsi que dans les zones accessibles au public des ports, aéroports et gares ferroviaires ou routières ouverts au trafic international et désignés par arrêté, pour la prévention et la recherche des infractions liées à la criminalité transfrontalière, l'identité de toute personne peut être contrôlée, selon les modalités prévues au premier alinéa, en vue de vérifier le respect des obligations de détention, de port et de présentation des titres et documents prévus par la loi et que, pour son application, le contrôle des obligations de détention, de port et de présentation des titres et documents prévus par la loi ne peut être pratiqué que pour une durée n'excédant pas six heures consécutives dans un même lieu et ne peut consister en un contrôle systématique des personnes présentes ou circulant dans les zones ou lieux mentionnés au même alinéa ;; que, conformément aux exigences de l'article 67, § 2, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et des articles 20 et 21 du règlement (CE) n° 562/ 2006 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006, ces dispositions garantissent qu'un tel contrôle ne revêt pas un effet équivalent à celui des contrôles aux frontières ;; Attendu, selon l'ordonnance attaquée, rendue par un premier président, et les pièces de la procédure, que M. Anis X..., de nationalité tunisienne, en situation irrégulière en France, a été placé en rétention administrative à la suite d'un contrôle d'identité effectué en gare de Lyon à Paris, le 24 avril 2015, sur instructions d'un chef de

103 Cass. civ. 2, 21 oct. 2004, n°02-18.897, Bull. 2004 II n°464, p. 394

32

service de la brigade des réseaux ferrés, officier de police judiciaire, qui avait prescrit, pour une durée de quatre heures, des contrôles afin de vérifier le respect du port et de la détention des documents permettant le transit et le séjour, sur le fondement de l'article 78-­2, alinéa 8, du code de procédure pénale ;; Attendu que, pour mettre fin à cette rétention, l'ordonnance retient que les contrôles n'ont pas été effectués dans l'ensemble de la gare mais, au contraire, sur un quai précis, en fonction d'informations préalablement recueillies portant sur l'arrivée de migrants clandestins, et que le caractère aléatoire, exigé par l'article 78-­2, alinéa 8, du code de procédure pénale, implique non seulement que le contrôle ne soit pas systématique mais encore que seul le hasard préside au choix des personnes contrôlées ;; Qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait du procès-­verbal de police que le contrôle, circonscrit à la partie de la gare où circulait un train utilisé par des filières d'immigration irrégulière, avait été réalisé pour la prévention et la recherche des infractions liées à la criminalité transfrontalière, pendant une durée n'excédant pas six heures, d'une manière ciblée, dans le temps et l'espace, suffisant à garantir le caractère non systématique des opérations, le premier président a violé les textes susvisés ;; Vu les articles L. 411-­3 du code de l'organisation judiciaire et 1015 du code de procédure civile ;; PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue le 1er mai 2015, entre les parties, par le premier président de la cour d'appel de Paris ;; DIT n'y avoir lieu à renvoi ;; Obs. La question relative aux contrôles d'identité prévus par le Code de procédure pénale fait souvent l'objet de débats au sein des juridictions françaises. Ainsi en est-il de l'exigence du caractère aléatoire de ces derniers qui est susceptible d'entraîner diverses interprétations. Cet arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation datant du 25 mai 2016 en est une illustration. En l'espèce, un individu d'origine tunisienne, en situation irrégulière en France, a été placé en rétention administrative à la suite d'un contrôle d'identité effectué en gare de Lyon à Paris, sur instructions d'un officier de police judiciaire. Ce dernier avait prescrit ces contrôles pour une durée de quatre heures dans l'objectif de vérifier le respect du port et de la détention des documents permettant le transit et le séjour, sur le fondement de l'article 72-8 alinéa 8 du Code de procédure pénale. Par une ordonnance datant du 1er mai 2015, la Cour d'appel de Paris met fin à la rétention dudit individu en estimant que les contrôles d'identité n'ont pas été effectués dans l'ensemble de la gare mais simplement sur un quai précis en fonction d'informations préalablement recueillies portant sur l'arrivée de migrants clandestins. Il fut par ailleurs considéré que ces contrôles n'avaient pas été satisfaisants à l'égard des critères de l'article précité exigeant notamment un caractère aléatoire des contrôles d'identité. Ce caractère aléatoire s'analyse selon la Cour d'appel de Paris en un contrôle non systématique et hasardeux de la part des autorités de police.

La Cour de cassation casse et annule l’ordonnance attaquée en considérant que lesdits contrôles ont été opérés dans la limite temporelle de six heures et dans le temps et l'espace suffisants pour garantir le caractère non systématique exigé par la loi. Cette décision de la Haute juridiction présente un double intérêt. Si dans un premier temps les juges du Quai de l'Horloge prennent soin de faire une application stricte des évolutions législatives et jurisprudentielles en matière de contrôle d'identité (I), ils ne se privent pas, dans un second temps, de livrer une interprétation particulière du caractère aléatoire de ces contrôles (II). I - L'application des évolutions en matière de contrôles d'identité De nombreuses évolutions sont à relever s'agissant des contrôles d'identité dans le cadre de l'enquête pénale (A). Cette décision de la Cour de cassation confirme ces différentes évolutions (B). A - L'évolution contrastée du contrôle d'identité Les contrôles d'identité constituent bien souvent le premier acte de procédure lors d'une enquête. Ils sont les premières interventions des forces de l'ordre à l'encontre de l'agent qui aurait préparé ou consommé une infraction, ce qui leur confère un rôle important puisqu'ils peuvent constituer le premier acte contraignant d'une procédure pénale vaste et complexe. Le régime pénal de ces contrôles est défini aux articles 78-1 et suivants du Code de procédure pénale. Pour autant, ce régime a fait l'objet de nombreuses évolutions. Antérieurement à la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 relative à la sécurité intérieure, seule la présence d'un « indice faisant présumer » la commission de l'infraction était suffisant. Évidemment, cette simple exigence d'indice pouvait apparaître comme une contrariété au principe de la présomption d'innocence puisque, le contrôle d'identité étant une mesure coercitive et contraignante, il s'articulait difficilement avec le respect des libertés individuelles du suspect. Cependant, la Cour de cassation a estimé qu'un contrôle d'identité était justifié à l'encontre de l'individu qui rôdait autour d'un véhicule automobile (Crim., 13 janvier 1986, Bull n° 19), ou encore, s'agissant de l'agent qui a dissimulé un sac à la vue des forces de police (Crim., 1er février 1994, bull., n° 44).

33

D'autres difficultés se sont posées au sujet du contrôle d'identité de l'article 78-2 alinéa 3 du Code de procédure pénale. Ce dernier prévoit que les forces de l'ordre peuvent également contrôler l'identité de toute personne afin de prévenir une atteinte à l'ordre public et ce, quel que soit le comportement de la personne. Ce type de contrôle, instauré par la loi n° 93-992 du 10 août 1993 relative aux contrôles et aux vérifications d'identité, s'inscrit en contradiction notoire avec une jurisprudence de la Cour de cassation qui exigeait qu'un lien de causalité soit établi entre le risque de trouble à l'ordre public et le comportement de la personne contrôlée (Crim., 10 novembre 1992, Bull., n° 370). Si le Conseil constitutionnel a validé la conformité à la Constitution de cette loi (CC, Décision n° 93-323 DC, 5 aout 1993, Recueil, p.213), il a cependant émis une réserve sur le champ d'application d'un tel contrôle. Les juges de la rue Montpensier ont estimé « que, s'il est loisible au législateur de prévoir que le contrôle d'identité d'une personne peut ne pas être lié à son comportement, il demeure que l'autorité concernée doit justifier, dans tous les cas, des circonstances particulières établissant le risque d'atteinte à l'ordre public qui a motivé le contrôle ». Plus encore, un autre type de contrôle est progressivement apparu, dit « contrôle Schengen » réalisé dans l’espèce commentée. Ce type de contrôle fut inspiré par le décret n° 95-304 du 21 mars 1995 portant publication de la convention d'application de l'Accord Schengen du 14 juin 1985, signé à Schengen le 19 juin 1990 et la loi n° 97-396 du 24 avril 1997 portant diverses dispositions relatives à l'immigration. Il consiste en un contrôle de toute personne qui se trouve à moins de vingt kilomètres d'une frontière terrestre, dans un lieu de transport ouvert au trafic international ou du littoral du département de Guyane. Le contrôle Schengen est prévu à l'article 78-2 alinéa 4 du même Code. En l'espèce, ce contrôle d'identité a été exercé dans le cadre d'une gare ouverte au trafic international, à savoir la Gare de Lyon qui accueille des passagers venus directement de l'étranger. Le contrôle Schengen fut au cœur d'une histoire tumultueuse entre la jurisprudence européenne et interne. Effectivement, la Cour de justice de l'Union européenne a considéré que les contrôles Schengen

104 CJUE, gr. ch., 22 juin 2010, aff. C-188/10 et aff. C-189/10, Aziz Melki et Sélim Abdeli, JCP G 2010, B. Mathieu, n° 21

n'étaient pas en conformité avec les objectifs défendus par le TFUE104. À l'occasion de cette double affaire, il a été jugé que les dispositions nationales régissant le contrôle Schengen étaient contraires aux articles 67 §2 du TFUE ainsi que les articles 20 et 21 du règlement (CE) n° 562/2006 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006. Ce qui était reproché à ce contrôle Schengen tenait au fait qu'il est exécuté indépendamment du comportement de la personne contrôlée et des circonstances particulières établissant un risque d'atteinte à l'ordre public. En ce sens, ce contrôle d'identité, tel que conçu antérieurement à cette décision, s'apparentait à une réinstauration des vérifications aux frontières alors même que leur suppression était l'objectif de l'Accord Schengen. Suite à une mise en application de cette décision par la Cour de cassation105, la loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure a modifié le régime du contrôle d'identité Schengen en instaurant une nouvelle série de critères nécessaires. C'est l'application de ces derniers qui est au cœur en l'espèce. B - La mise en pratique des critères du contrôle d'identité Si cet arrêt du 25 mai 2016 apparaît comme une décision casuistique et dénuée de portée général, il présente néanmoins l'intérêt de mesurer l’application concrète des évolutions en matière de contrôle Schengen, notamment s'agissant des critères permettant l'exécution ce dernier. Tout d'abord, il convient de relever une preuve évidente de l'inspiration européenne de cette décision à la lecture du visa. Ce dernier, outre la disposition du Code de procédure pénale relative au contrôle Schengen, comporte l'ensemble des textes européens sur lesquels s'est fondée la Cour de justice de l'Union européenne lors de sa double décision du 22 juin 2010 : « Vu l'article 78-2, alinéa 8, du code de procédure pénale, ensemble les articles 67, § 2, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et 20 et 21 du règlement (CE) n° 562/ 2006 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006 ». Par ce visa, la Cour de cassation s'inscrit donc dans la continuité de ce qui avait été élaboré par la juridiction de l'Union européenne. En outre, l'article 78-2, modifié par la loi susvisée du 14

105 Cass., QPC, 29 juin 2010, 930, note H.Croze

34

mars 2011, prévoit que « le contrôle des obligations de détention, de port et de présentation des titres et documents prévus par la loi ne peut être pratiqué que pour une durée n'excédant pas six heures consécutives dans un même lieu et ne peut consister en un contrôle systématique des personnes présentes ou circulant dans les zones ou lieux mentionnés au même alinéa ». Autrement dit, par cette disposition, le contrôle Schengen est limité tant dans la durée que dans la façon même de procéder. Ces deux éléments ont été appliqués en l'espèce. De fait, le premier critère appliqué est temporel : le contrôle d'identité Schengen ne peut excéder six heures. Cette exigence liée au temps se comprend par l'objectif même de l'Accord Schengen qui est celui d'effacer les frontières entre les États parties. Or, le propre d'une frontière est d'être perpétuelle et non interrompue puisqu'elle constitue le premier rempart physique d'un État. En exigeant que ce contrôle ne dépasse pas le cadre des six heures le but recherché par la loi est d'empêcher qu'il s'apparente à une « frontière bis » en pratique, même si rien n'empêche les forces de l'ordre de se déplacer toutes les six heures ce qui revient à créer une « frontière bis » mobile. Ce critère temporel est notable en l'espèce et pris en compte puisque ledit contrôle Schengen est exécuté sur quatre heures (neuf heures à quatorze heures) sur un quai. La Cour de cassation y fait directement référence en rappelant que « le contrôle des obligations de la détention, du port et de présentation des titres et documents prévus par la loi ne peut être pratiqué que pour une durée n'excédant pas six heures consécutives dans un même lieu ». De plus, si la question du « quand » est rapidement évacuée en l'espèce, tel n'est pas le cas de la question du « comment ». Si une frontière suppose un élément temporel elle suppose également un élément méthodologique. Cette méthode correspond au contrôle systématique des personnes désirant franchir ladite frontière. La convention Schengen avait justement pour objectif de supprimer ce caractère de contrôle systématique, ce qui explique qu'il se retrouve au sein même de l'article 78-2 relatif au contrôle d'identité Schengen. En l'espèce, la question qui se posait portait sur le choix de la part des autorités d'exercer lesdits contrôles d'identité sur un quai de la gare de Lyon. En se cantonnant à un quai unique sur lequel arrivaient des trains venant directement de l'étranger, le contrôle d'identité n'aboutissait-il pas un contrôle systématique ? La Première chambre civile de la Cour de cassation répond par la négative en estimant que lesdits contrôles

d'identités avaient été réalisés dans « l'espace suffisant à garantir le caractère non systématique des opérations ». Enfin, ce critère méthodologique s'accompagne d'un critère spatial. Les endroits faisant l'objet desdits contrôles ne doivent pas, du fait de leur configuration étroite notamment, permettre la mise en place de l'équivalent d'une frontière. De surcroît, le corolaire de l'absence de contrôle systématique est le hasard. Les contrôles Schengen doivent être aléatoires tant dans la méthode de désignation que dans l'endroit où la personne est contrôlée. Cette combinaison de critères aboutit à l'exigence d'un aléa qui, en l'espèce, a fait l'objet d'une interprétation particulière. II - L’interprétation particulière du caractère aléatoire des contrôles d'identité L'apport fondamental de cette décision s'analyse en une étude du caractère aléatoire du contrôle d'identité Schengen (A). De cette étude ressort l'idée qu'une refonte du régime procédural de ce dernier est nécessaire (B). A - La distinction entre réduction et suppression de l'aléa En l'espèce, les forces de l'ordre ont exécuté plusieurs contrôles d'identité en se situant exclusivement sur un seul quai de la Gare de Lyon. C'est cette restriction spatiale qui était au cœur du débat porté devant la première chambre civile de la Cour de cassation puisqu'elle avait pour résultat de fausser l'aléa du contrôle d'identité. Ainsi, selon les arguments avancés dans le moyen annexé à la décision, « il ne résulte pas du procès-verbal que des contrôles auraient été effectués dans l'ensemble de la gare, dès lors qu'un quai précis est mentionné ». En outre, il est reproché aux forces de l'ordre d'avoir combiné cette restriction spatiale avec des informations préalablement recueillies indiquant l'arrivée de migrants sur ledit quai. Cette combinaison aboutissait, selon l'ordonnance attaquée, à supprimer le caractère aléatoire des contrôles d'identité exercés par les forces de l'ordre. Toutefois, la Cour de cassation n’a pas accueilli ce raisonnement et a jugé au contraire que ces contrôles avaient été réalisés « dans le temps et l'espace suffisant à garantir le caractère non systématique des opérations ». Autrement dit, si les juges du Quai de l'Horloge ne contestent pas qu'il y ait eu une réduction de l'espace d'exercice de ces contrôles d'identités, ils ne

35

considèrent pas pour autant que cette dernière ait eu pour effet de supprimer le caractère hasardeux desdits contrôles. La Haute juridiction considère que la combinaison des informations préalables et de la zone géographique réduite n'a pour effet que de réduire l'aléa et non de le supprimer. Cette distinction entre la suppression et la réduction résulte incontestablement des termes utilisés dans l'attendu de principe puisque la Cour de cassation parle d'un espace « suffisant », ce qui renvoie à l'idée d'une appréciation du caractère aléatoire au regard d'éléments casuistiques. La Cour ne remet pas en cause le caractère hasardeux qui est exigé s'agissant des contrôles Schengen mais explique que la réduction de l'aléa n'équivaut pas à sa suppression. Cette distinction opérée par la Cour de cassation est pleine de sens et répond à un argumentaire rigoureux. Cependant, si cette décision se justifie intellectuellement, certains doutes subsistent quant à la réalité de l'application d'une si mince distinction. Rappelons qu’en l'espèce, les forces de police avaient recueilli diverses informations sur l'arrivée d'un train en provenance de l'étranger et s’étaient assurées de la présence possible de migrants. Cette situation appelle une double interrogation. Premièrement, sur quel critère objectif les agents de police se sont-ils basés pour effectuer ces contrôles d'identités ? Il est probable que le faciès ait été pris en compte pour exécuter ces derniers. Ce doute est soulevé par le défendeur au pourvoi qui considère que les contrôles ont « été effectués sur la base de critères prédéfinis au regard des informations préalablement recueillies, comme l'apparence d'extranéité, qui leur retirent tout caractère aléatoire ». Deuxièmement, étant donné que ce seul quai, visé par ces contrôles prétendument aléatoires, n'était destiné qu'à l'arrivée de trains en provenance de l'étranger, cela ne revient-il pas à instaurer justement une frontière de fait, alors même que c'est contraire à l'objectif prôné par l'espace Schengen ? D'autant plus qu'une telle affirmation peut être corroborée avec la durée même de ces contrôles qui n'a pas excédé la durée limite de six heures imposée par la loi. Cet usage incomplet du temps imparti entérine les doutes existants sur la réalité du caractère hasardeux des contrôles exercés. Plus encore, ce doute persistant concernant cette affaire invite nécessairement à une réflexion sur l'utilité d'une réforme en matière de contrôles d'identité.

B - L'appel d'une refonte du régime des contrôles d'identité Si le raisonnement de la Cour de cassation n'est pas contestable en soi, il n'en est pas moins hasardeux. À la lecture du texte de loi relatif à ces contrôles Schengen, il est impossible de déceler une quelconque distinction entre réduction et suppression pure et simple du caractère aléatoire des contrôles. D'ailleurs, l'existence même de cette exigence d'aléa n'est pas explicite et semble n'être le fruit que d'une interprétation de l'article 78-2 du Code de procédure pénale. La loi impose l'absence d'un contrôle systématique et une limite temporelle mais n'impose pas de caractère hasardeux. Il est évident que l'absence de systématisme dans le contrôle suppose qu'il soit exercé de façon aléatoire, puisque le contraire même de ce qui est systématique est le hasard. Dans la présente affaire, quatre trains différents se sont présentés entre neuf heures et quatorze heures ce jour là et, étrangement, les forces de l'ordre avaient décidé de contrôler 97% des passagers du deuxième train, à savoir celui qui, selon les informations recueillies, transportait vraisemblablement des migrants. Il était possible de soutenir l’existence d’un contrôle aléatoire en considérant le fait qu'un seul train sur quatre avait été contrôlé et que certains passagers du train n’avaient pas été contrôlés. En outre, si une très grande majorité des passagers du deuxième train ont été contrôlés, ils ne représentent qu'un très faible pourcentage de passagers contrôlés sur la situation totale. Évidemment, si en théorie un tel calcul rend le caractère aléatoire plausible, il est évident qu'en pratique ces contrôles confirment l'existence d'un caractère aléatoire faussé. Pourtant, le raisonnement est identique à celui de la Cour de cassation : l'aléa n'est que réduit et non pas supprimé puisque des passagers du deuxième train n'ont pas été contrôlés. Cette démonstration prouve qu'il est nécessaire d'adopter une réforme en la matière en vue d'obtenir une plus grande lisibilité du régime des contrôles d'identité Schengen et abandonner l'exigence d'aléa qui est trop malléable et source d'insécurité juridique. À ce titre, il convient de relever les propositions faites par le défenseur des droits au sein d'un Rapport relatif aux relations police/citoyens et aux contrôles d'identité en date du 16 octobre 2012. Ce dernier propose de rendre possible l'identification des auteurs des contrôles en instaurant pour chaque policier le port d'un matricule visible, d'encadrer la technique dite de palpation de

36

sécurité, ou encore, la remise d'un récépissé à la personne contrôlée sur lequel serait inscrit diverses informations utiles. De même, une proposition de loi visant à lutter contre les contrôles d'identité abusifs (proposition n° 257, Sénat) avait récemment été déposée sur cette question et proposait notamment le remplacement des mots « raisons plausibles de soupçonner » de l'article 78-2 du Code de procédure pénale par les mots « raisons objectives et individualisées ». En ce sens, cette proposition avait le mérité d'aborder différemment la question des critères permettant les contrôles d'identité.

2 - Transcription des actes d’état civil étrangers et filiations issues de conventions de mère porteuse (CA Rennes, 28 septembre 2015 (2 arrêts) et CA Rennes, 7 mars 2016) – obs. Hélène Chanteloup

Le 3 juillet 2015, la Cour de cassation, réunie en Assemblée plénière, décidait au visa principal de l’article 47 du code civil que le refus de transcription des actes d’état civil étrangers, établis à la suite d’une convention de mère porteuse, ne peut être prononcé que s’il est établi que l’acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. La voie était ainsi ouverte vers la transcription automatique des actes d’état civil étrangers réguliers établissant la naissance d’enfants nés d’une convention de mère porteuse conclue par des français à l’étranger. Par ces arrêts, la Cour de cassation écartait tout débat de fond sur la violation de l’ordre public ou l’existence d’une fraude à la loi et plaçait le débat sur le seul terrain formel de la régularité de l’acte d’état civil étranger. Mais, en réalité, l’analyse n’est pas aussi simple et l’application faite de cette jurisprudence par les Cours d’appel allait le démontrer. Le 28 septembre 2015, la Cour d’appel de Rennes a rendu deux arrêts dans des affaires opposant le Procureur de la République de Nantes à des parents français ayant conclu une convention de mère porteuse à l’étranger. Bien que rendus le même jour en des termes quasiment similaires, les deux arrêts de la Cour

d’appel de Rennes, n’ont pas un intérêt identique. Dans une première affaire, l’acte de naissance, rédigé par le Consulat français de Bombay, était soumis à l’article 48 du code civil et ne tombait pas sous le coup de la jurisprudence du 3 juillet 205. Dans la seconde affaire, au contraire, l’acte était l’œuvre des autorités californiennes et était, à ce titre régi par les dispositions de l’article 47 du code civil. Seule cette seconde affaire retiendra donc notre attention. Contrairement aux affaires soumises à la Cour de cassation en juillet 2015, l’acte d’état civil américain litigieux ne mentionnait pas la mère gestatrice étrangère en qualité de mère de l’enfant, mais visait la mère d’intention française. Outre cette distinction essentielle, les faits de l’espèce révélaient un montage frauduleux de la part des parents d’intention puisqu’il était établi qu’ils avaient fourni de faux certificats de grossesse et d’accouchement aux autorités étrangères dans le but de dissimuler l’existence de la convention de mère porteuse et d’obtenir la transcription du nom de la mère d’intention sur l’acte original. Cette stratégie parentale ne fut guère payante puisque la Cour d’appel de Rennes allait en déduire que les mentions portées sur l’acte étaient erronées dès lors que la mère d’intention n’est pas la femme qui a accouché de l’enfant. Ce faisant, les juges d’appel ont considéré, dans le strict respect des dispositions de l’article 47 du code civil, que l’acte d’état civil californien était irrégulier, puisque ne correspondant pas à la réalité, et ne pouvait être retranscrits sur les registres d’état civil français. La même Cour d’appel fut saisie d’une troisième affaire identique opposant le Procureur de la République à un couple français ayant eu recours à une convention de mère porteuse en Ukraine. L’acte étranger mentionnait à nouveau la mère française d’intention comme mère de l’enfant et cette fois, le Procureur de la République s’emparait lui-même du défaut de conformité à la réalité pour s’opposer à la retranscription de l’acte dans son intégralité. Modulant sa propre jurisprudence, la Cour d’appel de Rennes décidait, le 7 mars 2016, que l’acte était partiellement régulier dès lors que la filiation paternelle était conforme à la réalité mais que la filiation maternelle ne l’était pas puisque l’épouse française n’avait pas accouché de l’enfant. La Cour d’appel autorisait alors la retranscription partielle de l’acte civil étranger (filiation paternelle) et justifiait cette étonnante décision par la nécessité de protéger la vie privée et l’intérêt des enfants. Selon les juges rennais, en effet, « l’absence de transcription prive l’enfant des droits attachés à la filiation, de faire valoir au quotidien son état civil et l’empêche d’exercer ses droits activement ».

37

Loin de constituer de simples applications des arrêts de principe du 3 juillet 2015, les décisions rendues par la Cour d’appel de Rennes illustrent, s’il en était besoin, la complexité toujours croissante des effets des conventions de mère porteuse, l’inopportunité d’une solution mécanique quand bien même elle se voudrait de principe et l’urgente nécessité de se délester de tours de passe-passe compliqués et incohérents. Pour le comprendre il suffit de se poser quelques questions simples : Est-il plausible, tout d’abord, d’en appeler au droit interne français de la famille pour juger que l’acte étranger ne peut être régulier que s’il mentionne, au titre de la mère, la femme ayant accouché de l’enfant ? Quelle raison justifie le recours à la qualification française de la notion de mère et quel est le fondement d’une telle délimitation des conditions de régularité (A). Différemment, est-il justifié de « surfer » sur l’article 311-14 du code civil, sur la reconnaissance des liens de filiation ou même sur les principes protecteurs des droits de l’enfant pour opérer une appréciation strictement formelle de la régularité des actes d’état civil ? (B) Et que dire, enfin, des conséquences de cette nouvelle jurisprudence de la Cour d’appel de Rennes qui, sous couvert d’une libérale consécration de la force probante partielle, ne parvient pas à se défaire des directives de son propre ordre public ? (C) A – La sélection de la mère devant figurer sur l’acte d’état civil étranger : qualification lege fori ou lege causae ? Dans ses deux arrêts de principe du 3 juillet 2015, la Cour de cassation pose le principe selon lequel la convention de gestation pour autrui ne fait pas obstacle à la transcription de l’acte de naissance lorsque ce dernier n’est ni irrégulier, ni falsifié et que les faits qui y sont déclarés correspondent la réalité. A l’évidence, le principe est formulé en termes généraux et la Cour de cassation ne paraît pas en réserver l’application aux seules hypothèses dans lesquelles la mère inscrite dans l’acte est la mère porteuse. Toutefois, il est vrai qu’elle n’avait pas, dans ces deux affaires, à envisager le problème de la conformité de la transcription du nom de la mère d’intention puisque seule la mère porteuse

106 Article 311-25 du code civil : « La filiation est établie, à l'égard de la mère, par la désignation de celle-ci dans l'acte de naissance de l'enfant ». 107 Article 325 du code civil : « A défaut de titre et de possession d'état, la recherche de maternité est admise. L'action est réservée à

figurait dans les actes qui lui étaient soumis. La Cour de cassation ne pouvait que constater, dans les pas des cours d’appel, que l’acte transcrivait la réalité physiologique de l’accouchement sans qu’aucune difficulté n’apparaisse à ce sujet. En somme, et sauf à recourir à une interprétation aussi fragile que son contraire, les arrêts de juillet 2015 sont impuissants à résoudre la question de savoir si la mention de la mère d’intention prive l’acte d’état civil étranger de sa régularité au sens de l’article 47 du code civil. Sans filet, la Cour d’appel de Rennes devait donc s’emparer de cette question retorse. Au terme d’un raisonnement relativement abscons, elle décide que la mère dont le nom doit figurer sur l’acte de naissance est celle qui a accouché de l’enfant et non celle qui le recueille et l’élève. Une qualification physiologique de la mère prévaut ici sur toute considération sociologique ou conventionnelle dont le fondement est emprunté directement au droit interne français de la famille. Cette analyse n’est nullement satisfaisante pour deux raisons principales. En premier lieu, c’est le fondement juridique invoqué par les juges rennais au soutien de la sélection de la mère gestatrice qui paraît contestable. Dans ses arrêts, la Cour d’appel de Rennes a choisi de se fonder sur la définition française interne de la mère telle que visée aux articles 311-25106, 325107 et 332108 du code civil. Le premier de ces textes n’est guère instructif et débouche sur un raisonnement en cercle vicieux mais les deux autres attestent bien du fait que le droit positif français attribue la qualité de mère à la personne ayant accouché de l’enfant. Cette analyse s’inspire à l’évidence du principe de la qualification internationale lege fori qui commande d’identifier et nommer les éléments de la situation litigieuse en considération du droit du juge saisi. On sait que le principe est justifié par le fait que la détermination de la qualification constitue une première phase d’application de la règle de conflit française et que les conditions de son interprétation doivent logiquement être empruntées au droit qui l’a conçue. Mais, à bien y réfléchir, cette justification n’a pas lieu d’être ici et la qualification lege fori n’était pas

l'enfant qui est tenu de prouver qu'il est celui dont la mère prétendue a accouché ». 108 Article 332 alinéa 1er du code civil : « La maternité peut être contestée en rapportant la preuve que la mère n'a pas accouché de l'enfant ».

38

opportune. En effet, dans l’hypothèse d’un litige sur la transcription des actes d’état civil étrangers sur les registres français, la mission du magistrat n’est pas d’interpréter une règle ou une notion française mais de donner un sens à une notion figurant dans un acte étranger. Or, il est bien évident que les rubriques d’un acte d’état civil étranger ou les notions utilisées par lui ont été conçues et organisées en considération du droit étranger lui-même et non en considération des droits des pays dans lesquels cet acte pourrait un jour produire ses effets. Sachant que tous les pays ne connaissent pas les mêmes règles en matière d’établissement des filiations maternelles et qu’outre les liens biologiques, des liens de maternité peuvent être établis, dans certains pays, en considération de circonstances d’éducation, d’affection ou de circonstances telles que la convention de mère porteuse, certains actes d’état civil étrangers indiquent une filiation maternelle sans lien avec l’accouchement mais parfaitement régulière au regard du droit du pays dans lequel ils ont été rédigés. Imposer la qualification française de la notion de mère suppose d’ignorer volontairement les règles d’établissement de l’acte civil étranger et, dans le pire des cas, de remettre en cause la régularité déjà acquise à l’étranger. En second lieu, le raisonnement suivi par la Cour d’appel méconnait, nous semble t-il, l’objet du contrôle autorisé par l’article 47 du code civil. En effet, ce texte, dont il est important de rappeler qu’il est un texte uniquement probatoire, n’autorise aucunement le juge à user de la qualification lege fori pour apprécier la régularité ou la véracité des actes d’état civil étrangers. L’article 47 organise les modalités de vérification matérielle d’un mensonge ou d’une falsification sans pour autant permettre au juge français de modifier le contenu des rubriques étrangères. Dès lors, le juge français doit être investi du même pouvoir de contrôle que celui conféré aux autorités étrangères, l’intérêt de l’article 47 du code civil étant alors d’autoriser le juge français à pallier l’absence ou les lacunes du contrôle imposé aux autorités étrangères. Ce qui revient à dire que l’acte étranger ne doit perdre sa force probante sur le fondement de l’article 47 du code civil qu’à la seule condition que la falsification, l’irrégularité ou le mensonge ait été sanctionné par les autorités étrangères si elles l’avaient détecté. Il n’est pas d’autre lecture possible de l’article 47 et l’on ne saurait admettre, dans les traces de la Cour d’appel de Rennes, que le Procureur ou le juge français puissent l’un et l’autre remettre en cause la cohérence des actes d’état civil étrangers et imposer aux autorités étrangères

de rédiger leurs actes en parfaite conformité avec le droit interne français. Finalement, les arrêts du 28 septembre 2015 et du 7 mars 2016 encourent le grief de ne pas avoir correctement fondé le refus de transcription des actes d’état civil étrangers et d’avoir usé de la qualification lege fori là où elle n’avait pas lieu de s’appliquer. Il fallait en réalité suivre un raisonnement différent et interroger le droit étranger aux fins de vérifier qu’il autorise ou pas l’indication de la mère d’intention au titre de la « mère de l’enfant ». S’il l’autorise et que la mère d’intention mentionnée est bien celle qui recueille l’enfant après l’accouchement, l’acte est régulier et doit être retranscrit. Si la mère d’intention n’est pas celle qui recueille l’enfant, l’acte n’est pas régulier. Si, au contraire, le droit étranger n’autorise pas la mention de la mère d’intention et exige celle de la mère gestatrice, l’acte sera irrégulier s’il indique la seule mère d’intention et, dans ce cas, sa retranscription sera refusée. Mais, dans cette hypothèse, on le voit, le refus sera fondé sur les définitions et qualifications étrangères et non sur un recours artificiel du droit français et d’articles du code civil sans lien avec le sujet. La qualification lege causae s’imposait ici. Le grief est d’autant plus regrettable que cette qualification aurait conduit à une solution matérielle identique dès lors que, dans les deux affaires, les droits étrangers n’autorisaient pas la mention de la mère d’intention et que les autorités étrangères avaient été abusées par la production d’un faux certificat d’accouchement et une fausse attestation médicale. Les juges rennais auraient donc pu s’abriter sous le parapluie des droits étrangers pour refuser la transcription. B - La vérification formelle exclut-elle toute appréciation au fond ? Cette question, déduite des constatations de la Cour d’appel de Rennes, doit être envisagée sous un double aspect. La première interrogation est donc celle de la détermination de l’exact rôle de la règle de conflit en matière d’établissement de la filiation puisque l’article 311-14 du code civil est évoqué à plusieurs reprises par les juges rennais sans que la finalité de cette règle ne soit aisément précisée. Le processus de vérification formelle de l’acte exclut a priori de s’interroger sur l’existence et la nature des liens de filiation qu’il constate. La Cour d’appel ne s’y est pas trompée et a clairement rappelé, dans ses trois arrêts, l’objet du contrôle autorisé par l’article 47 du code civil : « l'article 47 vise l'acte

39

instrumentaire lui-même, lequel fait foi de ses seules constatations matérielles, qu'il ne concerne nullement les questions d'état, telles que le lien de filiation, lesquelles doivent être résolues conformément au statut personnel des parties ». Mais la dissociation entre la règle de conflit de lois et l’article 47 du code civil est loin d’être évidente si l’on songe que le contrôle de l’identité de la mère présuppose bien évidemment l’existence du lien de maternité. A titre d’exemple, c’est parce que le droit français considère que la femme qui a accouché de l’enfant est la mère que celle-ci peut obtenir la transcription de son nom sur l’acte de filiation en produisant une simple attestation médicale d’accouchement. La détermination du lien juridique de maternité précède nécessairement l’opération matérielle de rédaction de l’acte d’état civil. Transposée à échelle internationale et à la question spécifique de la transcription de l’acte d’état civil étranger, le raisonnement pourrait autoriser le juge à vérifier l’existence du lien de filiation maternelle aux fins de déterminer l’identité de la mère « juridique » de l’enfant avant de la comparer au nom inscrit dans l’acte et d’en déduire sa régularité ou son irrégularité. Rien d’étonnant donc à ce que la Cour d’appel de Rennes ait ressenti le besoin de s’emparer de l’article 311-14 du code civil et de l’articuler avec l’article 47 du même code. Toutefois, et de manière quelque peu surprenante, les juges rennais ont attribué à l’article 311-14 du code civil une fonction qualificative qui n’est pas la sienne. De fait, ce texte, qui n’est nullement mis en œuvre ici pour fonder la compétence de la loi applicable à l’établissement de la filiation maternelle, paraît avoir été utilisé pour justifier la sélection de la définition française de la mère. Et, sous réserve d’une éventuelle erreur d’interprétation, il semble que les juges d’appel ont raisonné ainsi : - L’article 311-14 du code civil s’applique à la

question de l’établissement de la filiation maternelle ;

- Il est une règle de conflit française sujette à interprétation selon les concepts du droit français ;

- Partant, la notion de mère à laquelle il se réfère doit être définie selon le droit français et désigne la femme qui a accouché de l’enfant ;

- Cette interprétation est conforme aux dispositions des articles du droit de la filiation français.

- En conséquence, seule la femme ayant porté et accouché de l’enfant peut être qualifiée de mère et doit figurer sur l’acte de naissance.

A l’évidence, si tel est le raisonnement véritablement mené, il ne peut être question d’y souscrire. L’article 311-14 du code civil détermine la loi applicable à l’établissement du lien de filiation maternelle. Telle est son unique fonction. Ce texte devait donc être mis en œuvre à la condition que l’établissement de la filiation maternelle ait été en cause. Ce qui n’était pas le cas en l’espèce comme l’avait admis la Cour d’appel. Et s’il est exact que le concept de « mère » auquel il se réfère doit être défini à l’aune du droit français, la règle de conflit donnait compétence, dans les trois affaires, à la loi étrangère (loi nationale de la mère ayant accouché de l’enfant) pour établir la filiation maternelle. Dès lors, si la Cour d’appel décidait de nier le caractère purement formel de la vérification organisée par l’article 47 du code civil et souhaitait instiller une appréciation de la réalité des filiations, il lui fallait, sur le fondement de l’article 311-14, s’en remettre aux droits étrangers en leur confiant le soin de préciser qui était la « mère de l’enfant » et pouvait figurer sur l’acte de naissance. En aucun cas, l’article 311-14 du code civil ne permettait de justifier que le juge français retienne la définition française de la mère pour apprécier la conformité de l’acte de naissance. En définitive, soit la Cour considérait que le contrôle de régularité de l’acte supposait nécessairement que l’identité de la mère soit fixée et que le lien de filiation maternelle soit défini conformément au droit étranger applicable et devait alors appliquer l’article 311-14 du code civil dans la stricte limite de sa fonction attributive de compétence législative. Soit, la Cour considérait que le contrôle n’imposait aucune attribution de compétence au droit étranger et devait être effectué selon des critères français et dans cette hypothèse, n’avait nul besoin de l’article 311-14 du code civil. Mais, dans ce dernier cas, le contrôle de régularité dépassait les exigences de l’article 47 du code civil puisque l’acte étranger ne pouvait être transcrit que s’il était en parfaite conformité avec des mentions, des rubriques françaises et donc un modèle français prédéterminé. Les seuls actes étrangers susceptibles d’être accueillis seraient par conséquent les actes en tous points identiques aux actes français ou, autrement dit, les actes étrangers qu’une autorité française aurait pu elle-même rédiger. Un ancien parfum de contrôle maximal de régularité se répand à nouveau contre toute attente et l’on éprouvera quelques scrupules à admettre que le contrôle formel des actes d’état civil étrangers soit, en fin de compte, plus rigoureux que le contrôle aujourd’hui opéré pour les jugements étrangers ?

40

Ce qui introduit alors une dernière question qui est celle du rôle et de la mesure de l’ordre public international. C - L’intervention des considérations d’ordre public international français Le 3 juillet 2015, la Cour de cassation décidait qu’une « convention de gestation pour autrui ne fait pas obstacle à la transcription » d’un acte d’état civil étranger régulier au sens de l’article 47 du code civil. Ce faisant, la Cour écartait implicitement l’argumentation défendue devant elle par le Procureur de la République selon laquelle le principe d’indisponibilité du corps humain interdisait la retranscription des effets d’une convention étrangère illicite. La Cour semblait ainsi condamner toute intrusion de l’ordre public international et consacrait la nouvelle règle de la paralysie totale de ce correctif en présence d’un acte créé à l’étranger dont les effets sont invoqués en France. Mais, à l’évidence, la règle ne vaut que dans l’hypothèse visée par les arrêts du 3 juillet 2015, c’est-à-dire lorsque la mère mentionnée sur l’acte est la mère porteuse et non la mère d’intention, car, dans ce cas au contraire, et à lire les arrêts de la Cour d’appel de Rennes, les considérations d’ordre public international peuvent être restaurées. Le constat est flagrant dans l’arrêt rendu le 7 mars 2016 lorsque les juges d’appel décident, pour condamner le jugement de première instance, que « l’établissement de la filiation maternelle de la mère d’intention par application de la loi compétente selon la règle de conflit est impossible en l’état actuel du droit français (…), cette norme fait obstacle à la reconnaissance en droit interne d’un lien de filiation entre les enfants à l’égard de Mme Le R ». C’est donc bien l’illicéité des conventions de mère porteuse qui justifie ici que la filiation à l’égard de la mère d’intention ne puisse pas être reconnue en France par la voie d’une retranscription sur les registres d’état civil français. L’ordre public international est donc de retour… et ressurgit classiquement par l’intermédiaire de la règle de conflit. En l’état de la jurisprudence, plusieurs remarques doivent donc être faites. En premier lieu, il serait hâtif de penser que l’arrêt d’appel prend le contrepied des arrêts de la Cour de cassation dès lors que la transcription autorisée en juillet 2015 permettait la reconnaissance d’un lien de filiation maternelle avec la seule mère biologique de l’enfant et

ne statuait pas sur la reconnaissance d’un lien de filiation avec la mère d’intention. Si un pourvoi est formé à l’encontre de l’arrêt d’appel, la Cour de cassation sera contrainte de préciser sa jurisprudence et rien ne permet d’exclure aujourd’hui qu’elle refuserait la transcription automatique du lien de filiation établi avec la mère d’intention. Toutefois, et c’est la deuxième remarque, si la Cour de cassation allait en ce sens, il serait de bon aloi qu’elle maintienne le fondement de l’article 47 du code civil et justifie clairement sa décision par le fait que l’acte étranger ne correspond pas à la réalité biologique, sous réserve, nous l’avons dit, d’une prise en considération de la qualification étrangère de la mère. Réintroduire la considération des principes d’ordre public international français porterait atteinte à la clarté de raisonnement voulue en 2015 et méconnaitrait l’exact objet du litige qui n’est pas relatif à l’établissement mais à la reconnaissance de la filiation. En outre, et c’est sans doute là la subtilité du fondement de l’article 47 du code civil, le contrôle purement formel garantit à lui seul la préservation de l’ordre public international dès lors que, pour l’instant, l’appréciation de la réalité telle que visée par ce texte interdit toute transcription de filiation établie au profit de la mère qui n’a pas accouché. En définitive, il est trop tôt pour dessiner les traits principaux du droit français de la transcription des filiations issues de conventions de mère porteuse. La jurisprudence est en phase de construction. Mais le rythme effréné des contentieux laisse présager que les certitudes seront vites acquises et que… notre article, à peine lu, deviendra désuet.

CULTURE JURIDIQUE Le droit, cette science naturelle, portrait de la matière juridique à l’encre jusnaturaliste Par Vincent Gobin

41

Les raisons de l'ésotérisme de la matière juridique sont nombreuses. Les spécificités de son jargon, la complexité de ses concepts ou la densité de ses dispositions en sont les illustrations les plus connues. Mais, à bien y réfléchir, il est possible que ce qui déroute plus encore l’œil profane, soit de constater cette complexité en dépit de l'éminente contingence du droit. En effet, si chacun admet sans mal qu'il faut composer avec les lois physiques ou mathématiques, cette concession semble moins aisée lorsqu'il s'agit de normes juridiques, du fait-même de leur origine humaine. Après tout, pourquoi réfléchir aux propriétés de tel ou tel concept de droit quand il suffirait d'en modifier la lettre pour résoudre les difficultés ?

Dès lors, là où l'on pardonne leur complexité aux sciences naturelles au motif qu'elles sont astreintes à des règles préexistantes, l'on condamne celle du droit à raison de sa construction humaine qui semble le rendre libre de s'autoriser toute forme de simplification. On imagine dès lors la matière juridique entretenant jalousement son propre ésotérisme comme une relique de son prestige ou, pire encore, comme une douve protégeant sa citadelle savante des intrusions profanes. Ainsi, l'esprit non-averti ne soulèvera pas la contradiction lorsqu'il s'entendra dire que l'atome perdant un électron devient un ion positif, mais il se montrera peut-être plus réticent à l'idée que le prêt à usage assorti de charges payables par le preneur puisse être requalifié de contrat de bail. L'explication en est que l'affirmation scientifique physique et mathématique s'appuie sur une réalité naturelle intangible alors que sa consœur juridique est issue de constructions humaines par essence contingentes. De là, le pas peut être vite franchi pour affirmer que, dans la conscience collective, les sciences simplifient le monde, quand le droit complexifie la société. Car enfin, le prêt à usage n'existe pas dans la nature ! Comme toute institution juridique, il n'est rien d'autre qu'une vue de l'esprit qui ne possède d'existence que pour autant qu'on lui en reconnaisse une. Et pourtant, il nous appartient de soutenir que le droit possède lui aussi sa vérité naturelle formée d'un socle d'éléments intangibles dont ses conceptions les plus ardues, loin d'être des fantasmes doctrinaux, constituent les suites nécessaires. Cette démonstration devra d'abord s'éclairer à la lumière des travaux des auteurs que l'on qualifie de jusnaturalistes (I), avant d'étudier les prolongements

concrets de cette philosophie (II), faisant ensuite état de ses principales contradictions (III), pour aboutir à une conclusion en faveur du caractère naturel de la matière juridique (IV). Ainsi vient donc pour nous l'heure de sonner la rentrée des classes à l'Ecole du droit naturel.

I - Présentation de l'Ecole du droit naturel

Aussi bien soutenu par des philosophes grecs tels qu'Aristote ou Socrate, que par des savants du Moyen-Âge comme St Thomas d'Aquin, des penseurs de la Renaissance comme Thomas Hobbes et John Locke, ou un homme des Lumières tel que Jean-Jacques Rousseau, ce courant défend l'existence d'un corps de règles préexistant et universel s'émancipant de toute consécration positive. Un ordre juridique qui, à l'inverse du droit positif, ne pourrait être que constaté, et non décidé. Nous choisirons d'étudier, pour sa clarté, la démonstration qu'en faisait le Hollandais Hugo Grotius, reconnu comme l'une des grandes voix de l'Ecole de Salamanque dans la première partie du XVIIè siècle. Elle est extraite de son ouvrage « Le Droit de la guerre et de la paix », paru en 1625 (livre I, tome I, X, 1). Premièrement, Grotius nous enseigne que « Le droit naturel est une règle que nous suggère la droite raison, qui nous fait connaître qu'une action, suivant qu'elle est ou non conforme à la nature raisonnable, est entachée de difformité morale, ou qu'elle est moralement nécessaire et que, conséquemment, Dieu, l'auteur de la nature, l'interdit ou l'ordonne ». L'auteur établit une relation forte entre le droit naturel et la morale, d'une part, et la croyance en un être suprême ordonnateur des choses, d'autre part. Il fait aussi appel à la raison, pour en faire un instrument de déchiffrage de ladite morale. Croyance et morale apparaissent donc comme deux outils requis pour forger le droit naturel. Deuxièmement, Grotius prend la précaution d'étendre le domaine d'application du droit naturel aux actes de pure volonté dont on aurait pu imaginer qu'ils échappent à cet ordre juridique, eu égard à leur caractère étranger à la nature stricto sensu : « Il faut savoir de plus que le droit naturel ne regarde pas seulement les choses qui sont en dehors de la volonté des hommes, mais qu'il a aussi pour objet beaucoup de choses qui sont une suite de quelque acte de cette volonté ». Appliquée à l'exemple de la propriété, cette affirmation

42

conduit nécessairement Grotius à la conclusion selon laquelle « du moment où elle est introduite, c'est le droit naturel lui-même qui m'apprend que c'est un crime pour moi de m'emparer, contre ton gré, de ce qui est l'objet de ta propriété ». Il convient d'en retenir que la morale précédemment évoquée trouve à s'appliquer à toute chose introduite au sein de la nature. On pourrait donc synthétiser cette réflexion en disant que la nature exerce une forme de souveraineté sur tout objet évoluant en son sein sitôt qu'il est créé. Dans cet ordre juridique, en définitive, la morale tient lieu de loi, ayant la nature pour source d'édiction, toute chose existante pour objet et la raison pour juge. Troisièmement, Grotius confère au droit naturel une valeur supra divine : « Le droit naturel est tellement immuable qu'il ne peut pas même être changé par Dieu. Quelque immense, en effet, que soit la puissance divine, on peut dire cependant qu'il y a des choses sur lesquelles elle ne s'étend pas ; (…) De même donc que Dieu ne pourrait pas faire que deux et deux ne soient pas quatre, de même il ne peut empêcher que ce qui est essentiellement mauvais ne soit mauvais ». Le droit naturel est ici présenté comme une inaltérable logique, opportunément traduite par l'emploi d'une métaphore mathématique. Dans cette ultime étape de son raisonnement, Grotius place donc finalement le droit naturel au dessus de la croyance. Cette dernière fait ainsi office de voie privilégiée vers sa découverte, sans pour autant en constituer une condition.

Se pose dès lors la question de savoir si la philosophie jusnaturaliste ainsi exposée a connu des applications concrètes. II - Les prolongements concrets de la philosophie jusnaturaliste

Si bien pensée qu'en soit la philosophie, le droit naturel ainsi théorisé semble vaincu par le positivisme moderne et post-moderne, et de fait condamné à être relégué au chapitre de l'histoire des idées doctrinales de nos manuels. Pourtant ce serait une erreur de réduire l'analyse à une opposition de ces deux ensembles normatifs, et d'oublier que le droit naturel fut souvent une muse pour le droit positif. C'est cette réalité que soulignait déjà le juriste romain Ulpien dans ses « Institutes » publiées au début du IIIè siècle, dans lesquels il commence par livrer sa propre définition du droit naturel, fondée sur son champ d'application : « Le droit naturel réside dans ce que la

nature enseigne à tous les êtres animés (…) qui vivent sur terre et dans la mer, ainsi qu'aux oiseaux ; Nous voyons tous les animaux, y compris les bêtes féroces, pénétrés de ce droit ». Par ses accents bucoliques, cette universalité semble de prime abord éloigner encore un peu plus le droit naturel de toute éventualité d'application concrète. Les conclusions qu'en tire Ulpien nous ramènent pourtant en plein cœur de la sphère juridique. Prenant l'exemple du mariage, il écrit : « C'est de là [du droit naturel] que vient l'union des couples que nous appelons mariage, la procréation des enfants, leur éducation ». Cette affirmation postule donc que les plus élémentaires de nos dispositions juridiques, celles qui participent de notre propre mode de vie, peuvent être issues de ce corps de règles préexistant et universel. Pour autant, Ulpien ne soutient pas que le droit naturel inspire directement le droit positif. Il prétend au contraire que l'imbrication de ces deux ensembles normatifs suppose parfois l'entremise du droit des gens (ius gentium), cet édifice juridique antique conçu pour s'appliquer aux étrangers à Rome, par opposition au droit civil (ius civile), faisant loi pour les membres de la cité. L'auteur explique ainsi qu'« Il est facile de comprendre que le droit des gens se distingue du droit naturel car celui-ci est commun à tous les êtres animés, tandis que celui-là appartient seulement aux hommes ». Ne s'appliquant qu'aux seuls hommes, mais à tous les hommes, le droit des gens fait ainsi figure de « moyen terme entre droit naturel et droit positif », comme le soulignait le Professeur M.F. Renoux-Zagamé dans son ouvrage « Du droit de Dieu aux droits de l'Homme » (puf, coll. Léviathan, 2003 p.52). On doit en retenir que la logique d'observation des ''lois de la nature'' sous-tendue par le droit naturel, s'est vue recueilli par le droit des gens, lequel constituait un corps de prescriptions sanctionné par une véritable autorité juridique sous l'antiquité, et est aujourd'hui reconnu comme l'aïeul de matières modernes telles que le droit international, celui des affaires ou, plus remarquablement encore, le droit des libertés fondamentales.

L'édiction normative la plus notoirement marquée du sceau du droit naturel est sans aucun doute celle des droits de l'Homme et du citoyen. Leur proclamation était mue par deux prétentions juridiques hautement ambitieuses : l'universalité et la faculté de pouvoir s'émanciper d'un ordre juridique en vigueur qui s'avérerait tyrannique. Aussi fallait-il avoir recours, pour satisfaire ces

43

ambitions, à la raison naturelle (ratio naturalis), qui transcende les réalités juridiques établies en se réclamant d'une vérité immanente. Pour cette raison, nous nous garderons, en ce qui nous concerne, de soutenir les critiques des droits de l'Homme fondées sur leur absence de contrepartie, suivant la logique selon laquelle à tout droit doit correspondre un devoir. En effet, à l'aune de l'implication du droit naturel dans leur édiction, nous retiendrons des droits de l'Homme qu'ils sont consubstantiels à l'humain, de même que le droit de voler pourrait l'être à l'oiseau. Nous noterons également que, d'une part, au plan de la logique juridique, certains droits de l'Homme possèdent en eux-mêmes leur propre contrepartie. Il en est ainsi de l'article 4 de la DDHC qui dispose que « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ». Dès lors, en respectant la liberté de son prochain, le sujet remplit son devoir prenant la forme d'une abstention, justifiant ainsi, s'il en était besoin, le droit à sa propre liberté. D'autre part, du point de vue de la philosophie politique, d'autres dispositions comme le droit de consentir à l'impôt (DDHC Art. 14) apparaissent elles-mêmes comme les contreparties de devoirs préalables - en l'occurrence celui d'abandonner une portion de son pouvoir individuel à l'état, conformément à la logique du contrat social dans laquelle l'impôt est inclus.

Avant que de conclure en prenant position sur le sujet, il nous faut accorder un droit de cité aux principaux contradicteurs de la philosophie jusnaturaliste, dont les manifestations les plus ouvertes ont fleuri au cours du XIXè siècle. Aussi discuterons-nous tour à tour les oppositions notables de Stendhal et Karl Marx, tenants d'oppositions que nous qualifierons respectivement de réaliste et d'organique.

III - La contradiction réaliste

Entendons tout d'abord Stendhal affirmer, dans Le Rouge et le noir (p. 1064), qu'« Il n'y a point de droit naturel : ce mot n'est qu'une antique niaiserie. Avant la loi, il n'y a de naturel que la force du lion, ou le besoin de l'être qui a faim, qui a froid, le besoin en un mot ». On notera tout d'abord que l'emploi de l'expression « avant la loi » tend à assimiler le droit naturel à l'état de nature, cette fiction qui ambitionne de reconstituer la vie humaine antérieure à la constitution de tout modèle social. Que l'homme y soit représenté comme « naturellement bon » dans la vision Rousseauiste (Cf.

Discours des inégalités parmi les hommes), ou comme « un loup » pour lui-même dans celle de Thomas Hobbes (Cf. De Cive, Épître dédicatoire), cette projection se situe en effet nécessairement avant l'instauration de lois. Il nous faut cependant noter que les philosophies de l'état de nature et du droit naturel, bien que superposables, n'en demeurent pas moins distinctes - l'une prenant pour objet l'homme avant les lois quand l'autre s'intéresse aux lois d'avant les hommes. Aussi ne doivent-elles pas être confondues. Pour le reste, la conception soutenue par Stendhal oppose au droit naturel la dureté de la réalité de la nature humaine. Mais s'il faut désigner un responsable de cette anarchie sauvage faisant primer la loi du plus fort, ce n'est pas le corps de règles du droit naturel qui doit être mis en accusation, mais seulement le défaut de respect dont font preuve à son égard les hommes en l'absence d'autorité contraignante. En d'autres termes, alors que par l'affirmation selon laquelle « Il n'y a point de droit naturel », Stendhal prétend critiquer l'existence de ce droit, la justification qu'il en apporte, seulement bâtie sur sa trop grande faiblesse confrontée aux puissants instincts bestiaux de l'homme, ne vise en réalité que sa réalisation. Or, saurait-on reprocher à la théorie d'avoir une mauvaise pratique ? De toute évidence, la vocation du droit naturel, s'il existe, est uniquement d'identifier un certain volume de dispositions intangibles dictées par un ordre invariable des choses imprégné de morale et d'équité. Dès lors, qu'il en soit fait ou non une application vigoureuse ne dépend plus guère de ce droit, mais seulement des hommes susceptibles de s'en inspirer. Le sombre constat dressé par Stendhal tend donc à démontrer que le droit naturel est insuffisant pour régir une société, les plus bas penchants de l'homme rendant nécessaire la présence d'un droit positif corroboré par des institutions de police et de justice. Nous pouvons nous en accorder sur ce point. La Déclaration des droits de l'Homme elle-même, bien qu'étant, comme nous l'avons dit, empreinte de droit naturel, ne manque d'ailleurs pas de reconnaître en son article 12 que sa garantie « nécessite une force publique ». Mais ceci n'affecte ni la teneur ni l'utilité du droit naturel lui-même, en tant que construction théorique appelée à abreuver le droit positif, comme il le fit du droit des gens sous l'Antiquité. En définitive, la critique d'inspiration réaliste avancée par Stendhal, conclut fort justement à une évidente insuffisance du droit naturel sur le plan pratique, mais sans remettre en cause sa théorie.

44

La contradiction soutenue par Karl Marx peut être qualifiée d'« organique » en ce sens qu'elle se rapproche de cette méthode sociologique mise en exergue par les travaux d'Emile Durkeim, qui consiste en une approche globale propice à l'analyse par liens entre les objets. Il en va bien ainsi de la vision de Marx au sujet du droit naturel, auquel il oppose la construction plurielle du droit, une matière qu'il situe en un carrefour où s'entrecroisent l'histoire, la politique, la sociologie et l'économie. Dans cette optique, la dynamique formée par l'ensemble de ces matières évoluant sans cesse, converge vers la sécrétion de normes adaptées à un instant donné, sans considération pour d'hypothétiques observations d'un état naturel des choses. Cependant, même si ces allégations devaient s'avérer, cela n'ôterait rien à l'efficience du droit naturel. Et lorsque nous évoquons son efficience, nous n'entendons guère nous satisfaire d'une simple existence théorique qui ne s'offrirait qu'au regard du contemplatif, loin du tumulte de la société en marche. Nous l'entendons au sens d'une véritable prégnance au sein de la société, imposant ses lois à une constante majorité d'individus. En effet, si le droit positif, dans la vision de Marx, s'éloigne du droit naturel, il ne possède sur lui que l'avantage d'être sanctionné par les institutions de l'Etat, au premier rang desquelles apparaît bien sûr la justice. Pourtant, cette dernière ne connaît que d'une infime minorité de cas. Savons-nous combien de contrats l'individu moyen est amené à conclure au cours de sa vie ? Sans aucun doute plusieurs chaque jour en tenant compte des contrats verbaux propres aux petites transactions. Néanmoins, peu nombreux sont les particuliers qui essuient un procès civil au cours de leur existence. A l'évidence, chaque fois qu'un contrat est scrupuleusement respecté loin de l'emprise des tribunaux ce n'est pas uniquement dans la crainte de subir une action en justice. De toute évidence, le touriste en visite dans une ville étrangère qui règle la baguette de pain qu'on lui remet plutôt que de s'enfuir à toute jambe, ne le fait pas par crainte d'être rattrapé et traduit en justice. Il le fait parce qu'il respecte les normes sociales préétablies, dont il ignore bien souvent l'exacte transcription juridique tant elle est pour lui accessoire. Il se conforme en cela à un ordre des choses empreint d'une logique immuable - en l'espèce la logique commutative qui veut que deux agents aux intérêts opposés échangent des valeurs pour se mettre chacun plus en état de répondre à leurs besoins respectifs. Cet ordre des choses est certes susceptible d'être relayé par la législation comme par la religion, mais ce concours n'est pas indispensable à son

existence. En effet, il a pu, dans l'histoire, exister aussi bien sans l'une que sans l'autre – voyons le cas des peuples antiques sans lois écrites, ou des premières religions sans connaissance des notions de bien et de mal indispensables à la promotion d'une morale proprement dite. Dès lors, on est autorisé à croire que cet ensemble d'attitudes tacitement prescrites est consubstantiel à la vie des hommes en société, ce qui répond parfaitement à la définition du droit des gens désigné comme le réceptacle privilégié du droit naturel. Pour étayer ces affirmations, nous nous en tiendrons à l'idée de la relativité de la force publique. En effet, il nous apparaît indéniable qu'aucune institution ne peut exercer une coercition active sur une majorité de ses sujets. La seule hypothèse contraire serait celle de sanctions appliquées à une minorité mais suffisamment dissuasives pour semer l'effroi au delà des individus concernés, mais elle est rendue improbable par l'encadrement démocratique que nous connaissons. Dès lors, aucun tribunal ne pouvant juger l'ensemble des citoyens de son ressort, il est indispensable qu'une majorité d'entre eux se conforment d'eux-mêmes au droit sans que le besoin de les y rappeler ne s'impose. Ainsi donc, le droit positif ne saurait maintenir à lui seul l'ordre social, s'il n'était relayé, dans une majorité de cas ne prêtant pas à contentieux, par l'esprit du droit naturel. On notera enfin à ce propos que le droit positif accorde lui-même une consécration à cette acception du droit naturel, à travers la notion d'obligation naturelle qui désigne une obligation insusceptible d'être revendiquée en justice mais demeurant active dans son principe. Il en est ainsi pour le droit naturel dans son entier, qui, en plus d'inspirer le droit positif comme nous l'avons noté, exerce, si ce n'est une contrainte, du moins une influence, par ses principes inhérents à la vie sociale qui sont couramment respectés indépendamment de toute coercition.

IV - Propos conclusifs

A l'heure d'enfin conclure sur les implications de la philosophie du droit naturel dans la vision actuelle de la matière juridique, accordons-nous une respiration poétique signée Guillaume Apollinaire :

« Oiseau. Oileau ? Oizeau... Oiseau. »

Dans leur rapport de conférence, les linguistes réunis au Congrès Mondial de Linguistique Française de 2012,

45

interprétaient ce poème énigmatique comme une expérimentation de l'auteur interrogeant l'emploi du terme « oiseau » pour désigner l'animal auquel il se rapporte. Apollinaire envisagerait ainsi tout d'abord la possibilité d'un « l » pour faire écho aux ailes du volatile. Puis d'un « z » pour renvoyer à son gazouillis, avant de se résoudre à l'utilisation d'un « s » en supposant une logique naturelle qui eu préalablement conduit à la détermination de cette orthographe, et qui doive être respectée pour elle-même. Ainsi en va t-il, à notre sens, de la matière juridique. Nous ne croyons guère que les concepts de droit, à l'instar des mots d'une langue, soient l’œuvre de telle ou telle personne ou autorité. Nous soutenons plutôt que, comme se forge peu à peu un langage pour exprimer le monde, sans logique explicite mais dans une cohérence d'ensemble, le droit s'est tissé, notion après notion, pour traduire des relations humaines nécessaires. Certes, le prêt à usage n'existe pas dans la nature, mais il n'a pas non plus été créé par les juristes. Il traduit une mise à disposition temporaire et gratuite de richesses, qui relève des nécessités de la vie sociale conjuguées au penchant naturel des hommes à s'entendre pour collaborer sous de multiples formes. Dès lors, l’œuvre de la science juridique consiste à détailler, ciseler ou étayer chaque institution auxquelles elles s'intéressent - institutions qui pourraient, elles, être qualifiées de sociales bien avant d'être qualifiées de juridiques. Il importe donc de retenir du juriste qu'il est tout autant prisonnier que le physicien de données préexistantes, et que la complexité des conceptions qu'il expose est exigée par la nécessité de traduire au mieux les pratiques intuitives de l'homme, dans le respect de l'équité. En l'espèce, dans l'exemple du prêt à usage, si la jurisprudence retient, par un arrêt de Chambre commerciale en date du 2 février 1967 (Bull. Civ. III, n°57), qu'assorti de charges payables par le preneur, le contrat doit être requalifié en bail, c'est précisément pour appliquer le régime le plus adéquat à chaque situation. En effet, s'il est équitable, dans l'hypothèse d'une mise à disposition gratuite, que le prêteur puisse reprendre la chose en cas de besoin pressant et imprévu (comme en dispose l'article 1889 du Code civil en matière de prêt à usage), la même solution semblerait inique s'agissant d'un prêt onéreux. Il est donc

109 Communication J-F.Weber, « Comprendre un arrêt de cassation rendu en matière civile », Bulletin d’information de la Cour de cassation 2009, Communication, Fiche méthodologique, publié sur le site internet de la Cour de cassation :

nécessaire, dans les deux cas, d'éclairer lisiblement la situation pour découvrir les véritables intentions des parties et y appliquer les dispositions que prescrit le bon ordre des choses, pour faire à chacun son droit.

MÉTHODOLOGIE Synthèse pratique de la communication « Comprendre un arrêt de cassation rendu en matière civile » de Monsieur le Président honoraire Jean-François Weber 109 Par Vincent Gobin

« Les étudiants parlent aux étudiants » - je répète... A la conquête du vaste monde juridique qui s'offre à nous, face aux sournois ennemis que peuvent se révéler être la fatigue ou le découragement, il nous faut, chaque mois de juin, résister, jusqu'à la libération, au débarquement des résultats du second semestre. Pour y parvenir, nos meilleures armes sont sans aucun doute la lecture, l'analyse et la compréhension. Savamment maîtrisées, elles seules nous permettent de défricher la brousse du jargon juridique pour progresser vers les richesses que découvre la jurisprudence devant les yeux contemplatifs des conquistadores estudiantins.

Afin d'être paré à livrer cette âpre bataille contre les arrêts qui nous défient à chaque session d'examen, on ne serait trop avisé d'étudier l'article « Comprendre un arrêt de cassation rendu en matière civile », publié par Monsieur Jean-François Weber, Président de chambre honoraire à la Cour de cassation. Dans cet article, le magistrat détaille point par point la structure d'un arrêt, comme on démonte les rouages

https://www.courdecassation.fr/publications_cour_26/bulletin_information_cour_cassation_27/bulletins_information_2009_2866/no_702_3151/communication_3153/

46

d'une horloge pour en saisir les subtilités.

En voici pour vous, chers lecteurs des Chroniques DPA, une synthèse reprenant les éléments les plus concrets de cette éclairante notice.

Après un bref rappel du rôle de la Cour de cassation au sein du système judiciaire français, notre étude reviendra tour à tour sur les six points de technique éclairés par la lanterne de Monsieur le Président Weber : moyen de cassation (I), des différents types de contrôle (II), des indices lexicaux du type de contrôle exercé (III), des cas d'ouverture (IV), des différentes structures rédactionnelles des arrêts (V), et, enfin, de la distinction entre cassation partielle et cassation totale (VI).

Commençons par rappeler que la Cour de cassation procède, pour chaque arrêt, à une analyse de l'application du droit aux faits telle qu'effectuée par les juges du second degré (ou, dans de rares cas, les juges de première instance se prononçant en dernier ressort). Au terme de ce contrôle, la Haute juridiction rend un arrêt de rejet ou de cassation. En se prononçant pour le rejet du pourvoi, les juges du droit, tels qu'on les nomme couramment, réfutent les moyens de cassation qui leur sont soumis, et valident ainsi les dispositions de l'arrêt déféré. A l'inverse, lorsqu'ils décident d'une cassation, ils accueillent les moyens de cassation et censurent la décision attaquée. Dès lors, l'affaire est renvoyée vers une nouvelle juridiction d'appel (cour d'appel de renvoi), chargée d'en examiner à nouveau le fond.

A travers sa mission de contrôle de l'application faite du droit par les juges du fond, la Cour de cassation assure l'unité de l'interprétation de la loi sur le territoire, garantissant ainsi l'égalité des citoyens devant la Justice. Venons-en à la communication, objet de notre propos. Monsieur le Président Weber nous invite tout d'abord à nous intéresser aux affirmations de l'auteur du pourvoi.

I - Le moyen de cassation

Le moyen est la contestation d'un chef de dispositif, c'est à dire d'une disposition contraignante de l'arrêt attaqué. Si cette contestation s'opère « sous différents angles », le moyen se subdivise alors en branches. Il est à noter qu'il suffit que l'une des branches du moyen, ou un moyen parmi plusieurs, soit accueilli, pour que l'arrêt attaqué soit censuré, autrement dit qu'il fasse l'objet d'une cassation. C'est pourquoi l'on rencontre parfois l'expression : « Par ces motifs, et sans

qu'il y ait lieu de statuer sur les autres moyens ». Cette règle connaît toutefois une exception, lorsque le chef de dispositif contesté demeure justifié par un autre motif qui, lui, n'est pas valablement critiqué. On lira dans ce cas : « abstraction faite d'un motif erroné mais surabondant », ce qui signifie que le motif contesté est abandonné, mais que la disposition contraignante demeure, du fait qu'elle se rattache à un autre motif encore valide.

Il convient dès lors de se pencher sur la nature du contrôle que déclenche l'examen du pourvoi.

II - Les différents types de contrôle

Selon l'auteur, la Cour de cassation exerce trois types de contrôles différents : un contrôle normatif ou de fond, un contrôle normatif de motivation, et enfin un contrôle dit « disciplinaire ».

A - Le contrôle normatif ou « contrôle de fond »

Ce contrôle revêt quatre formes différentes, en fonction, notamment, de la marge de manœuvre abandonnée aux juges du fond.

Lorsque les juges du fond disposent d'un pouvoir discrétionnaire, les juges du droit s'abstiennent de tout contrôle. Il n'est alors même pas requis des juges du fond qu'ils motivent leur décision. C'est le cas, par exemple, lorsqu'ils refusent d'accorder un délai de paiement et font application de l'article 1244-1 du code civil.

Lorsque les juges du fond disposent d'un pouvoir souverain, la Cour de cassation use différemment d'un pouvoir de contrôle restreint. Ce contrôle se borne à vérifier qu'une motivation est bien présente, sans chercher à en évaluer la substance. Elle recourt dans ce cas à des formules telles que « appréciant souverainement », « dans l'exercice de son pouvoir souverain », ou « par une appréciation souveraine ». Sont principalement concernées les appréciations factuelles. On retient sur ce point que les juges du fond apprécient toujours souverainement les faits, quand la Cour de cassation se borne, quant à elle, au contrôle de leur qualification juridique.

Lorsque les juges du fond ont opté pour une solution valable, mais qu'une autre aurait aussi bien pu être envisagée, Monsieur Weber décrit alors un contrôle normatif léger. Ce contrôle se reconnaît à l'emploi des termes « a pu ». On lira alors par exemple : « la Cour

47

d'Appel a pu en déduire que le comportement était fautif ».

Enfin, lorsque les juges du fond ne pouvaient retenir qu'une seule solution valable, la Cour de cassation met en œuvre un contrôle lourd. La cassation est dès lors encourue pour violation de la loi. Ce cas d'ouverture désigne l'application inexacte d'un texte aux faits. Ce contrôle se reconnaît à l'emploi des expressions suivantes :

- Pour un rejet : « à bon droit », « exactement » ou « justement » ; - Pour une cassation : « a violé le texte susvisé ».

B - Le contrôle normatif de motivation

Le contrôle normatif de motivation recherche et sanctionne un défaut de base légale de la part de l'arrêt attaqué. Contrairement à ce que semble indiquer le libellé de ce cas d'ouverture, il ne s'agit pas de la mauvaise application d'un texte (qui revient à la violation de la loi), mais plutôt d'une caractérisation insuffisante des faits. Par insuffisante, on entend qu'elle ne permet pas aux juges du droit, aveugles en matière de faits, d'opérer pleinement leur contrôle. On lit alors dans l'arrêt de cassation, que « la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ». Dans cette hypothèse, l'application du texte peut donc être valide, mais elle est trop peu motivée en fait. La cour de renvoi pourra ainsi se prononcer dans le même sens que l'arrêt censuré, pourvu qu'elle motive davantage sa décision.

C - Le contrôle disciplinaire

Le contrôle disciplinaire, concerne les entorses aux formes procédurales ou méthodologiques. Ces dernières qualifications recoupent aussi bien le vice de procédure, le défaut de réponse à conclusions, ou le défaut de publicité des audiences, que la violation des droits de la défense ou encore la dénaturation d'un écrit. On rencontre alors les expressions « n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé » ou « a violé le texte susvisé ». Le vocable employé est donc similaire à celui d'un cas de violation de la loi, mais à cette différence que le texte visé sera de nature procédurale (issu notamment du Code de procédure civile). Dans cette hypothèse à nouveau, la solution peut être correcte mais sa forme est invalide. Là encore, la cour d'appel de renvoi pourra donc conclure à la même solution, pourvu qu'elle le fasse dans les formes requises.

Avant de refermer le chapitre des différents contrôles

exercés par la Cour de cassation, il est à noter que, puisqu'un pourvoi peut contenir plusieurs moyens, la Haute juridiction est parfois amenée à exercer plusieurs types de contrôle différents dans un même arrêt.

Pour un repérage encore plus minutieux de ces différents types de contrôle, Monsieur Weber propose une liste d'indices lexicaux lexicaux.

III - Les indices lexicaux du type de contrôle exercé

Le premier indice décrit par l'auteur est celui de l'expression terminologique utilisée par la Cour de cassation pour relater le raisonnement tenu par les juges du fond. Il nous renseigne sur le degré du contrôle exercé. Les déductions que nous allons exposer traduisent une tendance constatée par l'auteur, et ne sont pas pour autant systématiques. Ainsi, l'emploi de l'expression « a constaté... » ou « a relevé », révèle, soit une absence de contrôle, soit un contrôle restreint, à savoir les deux types les moins sévères. En revanche, la lecture de l'expression « a retenu », nous oriente, soit vers un contrôle restreint, soit vers un contrôle léger. Le degré de contrôle se trouve donc relevé d'un cran. Quant à l'expression « a énoncé », Monsieur Weber considère qu'elle doit être regardée comme neutre.

Un second indice est fourni par la formule d''introduction du conclusif des arrêts de cassation. Selon l'auteur, cette formule renseigne sur le cas d'ouverture retenu, justifiant, selon les cas, la censure ou l'approbation de la décision déférée. Ainsi, les termes « qu'en statuant ainsi », désignent une violation de la loi. A l'inverse, l'expression « qu'en se déterminant ainsi », indique un défaut de base légale. La suite du raisonnement de Monsieur Weber nous amène à examiner plus en détail les cas d'ouverture à cassation.

IV - Les cas d'ouverture

Notre cheminement au travers des manifestations du contrôle employé par les juges du droit, nous a déjà conduit à nommer de nombreux cas d'ouverture, ces défauts de la décision de fond pouvant donner lieu à une critique par le pourvoi, et éventuellement prêter à cassation. On dénombre parmi eux la violation de la loi, le défaut de base légale, le défaut de réponse à conclusions, le défaut de motivation ou encore la dénaturation des écrits. Monsieur Weber nous invite toutefois à nous arrêter sur

48

la distinction utile du défaut de base légale et d'un autre cas d'ouverture qu'il introduit à cette occasion : le défaut de motif. La précision est d'importance tant la nuance est discrète. En effet, dans ces deux cas d'ouverture, les juges du fond auront manqué à leur devoir de motivation. La question, dès lors centrale, de leur distinction, est l'occasion pour Monsieur Weber d'une analyse plus personnelle. Là où certains auteurs dénoncent une différence de degré, voyant le défaut de base légale comme une insuffisance et le défaut de motif comme une absence de motivation, il soutient quant à lui une différence de nature. Dans ce schéma, le défaut de motif désigne un manque de motivation en droit. Il en ressort que le juge n'a pas suffisamment justifié son utilisation du texte, en s'abstenant de reproduire son motif. Il s'agit dès lors d'un vice de forme. A l'inverse, le défaut de base légale pointe une carence de motivation en fait. Dans cette hypothèse, le juge n'a pas suffisamment caractérisé les faits qui permettent l'utilisation du texte. Il s'agit là seulement d'un vice de fond, puisque le motif, bien que lacunaire, est présent formellement. Monsieur Weber aborde ensuite les différentes structures des décisions de la Haute juridiction.

V - Les différentes structures rédactionnelles

Tout l'intérêt de cette analyse sera de mettre en exergue les différences dans la rédaction d'un arrêt de rejet ou de cassation, qui révèlent le raisonnement sous-jacent des juges du droit.

A - La structure d'un arrêt de rejet

L'arrêt de rejet peut prendre deux formes et être rédigé en « formule développée » ou en « formule abrégée ». On rencontre nécessairement la formule développée pour les arrêts ayant fait l'objet de débats au sein de la Cour de cassation, ou présentant un intérêt pour la doctrine en ce qu'ils témoignent d'une évolution de la position de la Haute juridiction. Elle comprend quatre parties distinctes, et débute par un exposé des faits, couramment introduit par l'expression « Attendu, selon l'arrêt attaqué... ». Elle reprend, deuxièmement, le chef de dispositif de l'arrêt attaqué. Il s'agit des dispositions contraignantes de la décision de fond telles que contestées par le demandeur au pourvoi et d'un éventuel rappel des enjeux en cause. Cette partie est, le plus souvent, introduite par les termes « Attendu que M. X fait grief à l'arrêt de... ».

Troisièmement, apparaissent les moyens invoqués par l'auteur du pourvoi, à l'encontre de la décision de fond. La critique adressée à l'arrêt d'appel ou au jugement rendu en dernier ressort est formulée ainsi : « Alors, selon le moyen, que... ». Il est à noter qu'à ce stade, les juges du droit se bornent à faire état des griefs retenus par le pourvoi. Il s'agit donc d'une reformulation fidèle des prétentions du demandeur. Enfin, vient la réponse de la Cour de cassation. S'inscrivant en opposition avec les moyens avancés, elle est amorcée par la formule « Mais attendu que... ». On remarque que, pour des arrêts importants, la Cour de cassation a coutume d'ajouter, au début de sa réponse, un chapeau intérieur qui consiste en la formulation d'un principe. La réfutation du moyen s'opère ensuite par des formules telles que « sans dénaturation », « sans violer le texte susvisé », « sans être tenue de répondre à des conclusions inopérantes », ou encore « répondant aux conclusions », qui confirment la décision des juges du fond face aux critiques soulevées par le pourvoi. Parmi ces diverses expressions qui permettent incidemment d'identifier le cas d'ouverture en cause, la plus délicate est sans doute celle-ci : « abstraction faite d'un motif erroné mais surabondant ». En effet, elle s'accorde d'une critique avancée par le pourvoi, faisant ainsi tomber l'un des motifs de la décision attaquée, mais souligne également le caractère surabondant dudit motif, considérant que le chef de dispositif auquel il se rapporte se rattache précisément à un autre motif qui, lui, demeure valide. Bien que recevable, la critique sera par conséquent sans effet, puisque le motif succombant se trouve « sauvé » par une autre justification. Quant à la formule abrégée d'un arrêt de rejet, elle s'en tient à la seule réponse de la Cour de cassation. Cette formule est souvent adoptée lorsque le rejet est fondé sur un « manque en fait », c'est à dire lorsque l'auteur du pourvoi appuie son grief sur une lecture ou une interprétation inexactes de l'arrêt d'appel.

B - La structure d'un arrêt de cassation

Les arrêts de cassation les plus importants présentent premièrement un visa, à savoir une désignation de la règle de droit sur laquelle se fonde la censure. Ce visa est introduit par le terme « vu ». Il peut s'agir d'un ou plusieurs textes et, dans cette seconde hypothèse, il est important de prêter attention aux conjonctions de coordinations liants les numéros d'articles. En effet, l'emploi du terme « et » montre que les textes visés ont pesé d'une égale importance dans la cassation de l'arrêt. En revanche, l'emploi du mot « ensemble » (ex : vu les articles 1101 ensemble 1832...), indique que le second

49

texte est de moindre importance que le premier - son implication dans le raisonnement des juges du droit ayant été accessoire. Deuxièmement, la Cour de cassation énonce le principe découlant du ou des texte(s) visé(s), et qui se trouve contredit par l'arrêt attaqué. Cette première véritable étape du raisonnement des juges du droit, qui renseigne déjà sur la portée de leur décision, est appelée le chapeau. On lira ici des formules telles que « attendu qu'il résulte de ces textes que... », ou « attendu, selon ces textes, que... ». Il est toutefois important de noter l'absence de chapeau lors de cassations fondées sur un défaut de base légale. Dans cette hypothèse en effet, la censure n'intervient pas en vertu d'un principe bafoué, mais seulement en raison d'une mauvaise caractérisation des faits. Troisièmement, l'arrêt de cassation fait apparaître une reproduction de la décision attaquée. Ce retour sur les énonciations des juges du fond permet de mieux mettre à jour leurs erreurs. Les premiers mots de cette reproduction indiquent souvent la position par rapport aux prétentions des justiciables, de par la formule « attendu que, pour accueillir/rejeter la demande de M. X... ». Quatrièmement et en dernier lieu, la Haute juridiction achève sa démonstration en exposant son conclusif, à savoir les motifs retenus à l'appui de la cassation de l'arrêt. A ce stade, les juges du droit se montrent quelquefois pédagogues, en exposant précisément les erreurs commises par la décision d'appel. Ces explicitations sont introduites par des formules telles que « alors que... », « sans rechercher si... » ou encore « sans caractériser que... ».

Au terme de son exposé, Monsieur Weber prend encore soin de distinguer la cassation partielle de la cassation totale.

VI - Distinction entre cassation partielle et cassation totale

Dans le cas d'une cassation totale, la formule majuscule « CASSE ET ANNULE » est suivie de l'expression « en toutes ses dispositions ». La cour d'appel de renvoi aura alors la charge de rejuger l'affaire dans son entier. A l'inverse, dans l'hypothèse d'une cassation partielle, la

110 Pour prolonger et approfondir cette étude : M-N. Bachellier, X. Bachellier et J. Buk-Lament, « La technique de cassation », Dalloz, Coll. Méthodologie du droit, 2013 ; J. Boré et L. Boré, « Cassation en matière civile », Dalloz, Coll. Dalloz Action, 2015-2016 ; C. Atias, « L’image doctrinale de la Cour de cassation », D.1993, Chr.p.133 ; . Perdriau, « Les chambres civiles de la Cour de cassation

même formule majuscule précède l'expression « mais seulement en ce qu'il... ». On sait partant que la cour d'appel de renvoi n'aura à se prononcer que sur les points concernés - le reste de la décision attaquée se trouvant maintenu.

Au terme de cette notice nourrie des enseignements de Monsieur Weber, qui espère contribuer à la compréhension des décisions les plus importantes de notre jurisprudence, nous remarquerons encore, à titre personnel, que les arrêts de la Haute cour ne comprennent jamais qu'une seule et unique phrase (certes ponctuée de nombreux points virgules). Cette spécificité, au demeurant surprenante, souligne à notre sens le fait que le raisonnement des juges du droit poursuit une logique homogène, ne se dispersant aucunement en considérations accessoires, progressant constamment vers sa solution sans concéder le moindre écart. Pour cette raison, il était primordial de percer à jour les rouages des invariables ordonnancements d'idées qui sont le tissu des arrêts de la Cour de cassation. Il nous appartiendra de recevoir ces explications comme autant de clés facilitant l'accès à la pensée des juges du droit, traduite par leur rhétorique si particulière à la précision d'orfèvre110.

INFORMATIONS Entrée en Master 2 : Pourquoi fallait-il maintenir la sélection ? Par Hélène Chanteloup

A la suite de l’avis rendu le 10 février 2016 par le Conseil d’Etat (n°394594 et 394595), le Ministère de l’Enseignement Supérieur a été contraint de clarifier la

jugent-elles en fait ? », JCP 1993, I, p.267. Voir également : Alain Lacabarats, « Le moyen sérieux », Communication à la Cour de cassation, 2010, site de la Cour de cassation : https://www.courdecassation.fr/colloques_activites_formation_4/2010_3159/lacabarats_president_15274.html.

50

liste des formations de Master autorisées à maintenir la sélection à l’entrée en deuxième année de Master. Dans toutes les universités, les formations juridiques ont très majoritairement obtenu cette autorisation. L’UPJV compte parmi les universités dont la filière juridique est autorisée à sélectionner. A titre personnel (et il n’est nullement question ici de parler au nom de mes collègues, de notre UFR ou de l’UPJV), j’approuve cette décision qui était la seule apte à préserver la valeur de notre formation de DPA. Qu’il me soit permis de m’en expliquer en évoquant cinq raisons au moins. Première raison : le risque d’une dévalorisation de nos masters à l’égard des professionnels Supprimer la sélection aurait amorcé un mouvement irréversible de dévalorisation de nos diplômes. Non pas une dévalorisation au sein de nos établissements (quoique…), mais une dévalorisation, plus incidente, vis-à-vis des professionnels. Vous le savez, chaque master jouit d’une réputation auprès des professionnels. Plus le master est sélectif, plus il est reconnu et plus son obtention garantit l’insertion professionnelle. Les professionnels considèrent très majoritairement (avocats, notaires, huissiers etc…) que la sélection est un premier filtrage nécessaire et rassurant et s’enquièrent aisément des conditions d’admission en Master 2, des exigences pédagogiques et scientifiques ou encore des taux de réussite. Ne nous y trompons pas : ils n’hésitent pas à classer les masters, à les hiérarchiser pour évaluer la formation des candidats qui se présentent à eux. A cela, les partisans de la suppression de la sélection rétorquent trop hâtivement que la disparition de la sélection permettrait aux professionnels de disposer d’un vivier plus important de candidats à l’embauche en application d’une équation simpliste selon laquelle « plus d’étudiants en M2 = plus d’étudiants diplômés = plus d’étudiants embauchés ». Tout n’est pas si simple et cette démonstration paraît extrêmement irréaliste. Il y a fort à parier, au contraire, que les professionnels, déconcertés par la suppression de la sélection et de ce qui est pour eux un premier filtrage, s’empresseraient de compenser la perte de ce critère d’évaluation par la mise en place d’autres critères sans doute plus contestables. Ils pourraient ainsi exiger l’obtention d’un second master (pour s’assurer que l’étudiant avait bien les capacités de suivre ces formations de 5ème année), ou le suivi de formations complémentaires privées ou,

comme un retour en arrière, l’obtention d’autres formations complémentaires véritablement sélectives. Il faut donc être lucide : les professionnels ont le dernier mot car ils sont ceux qui embauchent les étudiants. Ne pas tenir compte de leurs attentes aurait été suicidaire et l’on a trop souvent reproché aux universités d’être en rupture avec l’attente des professionnels pour leur faire grief aujourd’hui de se préoccuper des conditions d’insertion des étudiants. Deuxième raison : les objectifs pédagogiques des masters 2 Il est indiscutable que la suppression de la sélection en Master 2 aurait malmené les objectifs pédagogiques de cette 5ème année qui, contrairement à ce que soutiennent certains, ne doit pas devenir le prolongement des quatre années précédentes. Un tel lissage serait une grave erreur pédagogique. Nul ne contestera que les années de Licence et de Master 1 sont des années de découverte des matières. Jusqu’à la 3ème année comprise, les étudiants s’adonnent à des programmes transversaux (droit privé, droit public, histoire du droit, science politique etc.) assimilant les règles générales de matières principales. En master 1, ils se spécialisent un peu mais doivent encore apprendre des généralités dans leur filière de spécialisation. Pendant ces quatre années, seuls les TD offrent l’occasion d’un approfondissement ponctuel et d’une mise en pratique finalement sommaire. Rares sont les étudiants qui, à l’issue du Master 1 sont opérationnels dans une structure professionnelle ou disposent des acquis de fond et de forme garantissant la réussite aux concours. La première finalité d’un Master 2 est de constituer une année de liaison entre l’enseignement général du droit et la préparation de l’insertion professionnelle. C’est au cours de cette 5ème année que l’on doit approfondir les connaissances, s’emparer de la technicité des matières, finaliser les méthodologies, systématiser la mise en pratique, appréhender les problèmes des professionnels, apprendre à rédiger des actes etc. Mais, du point de vue pédagogique, ce travail requiert nécessairement la mise en place de mesures spécifiques permettant notamment :

- D’accroitre l’investissement et la participation active des étudiants (interventions orales, exposés, préparations écrites à corriger)

51

- De faire une large place aux échanges, à la formulation des idées, des raisonnements et des critiques,

- D’assurer sérieusement le suivi des travaux écrits personnels et leur correction

- D’organiser des projets collectifs de recherche, - Ou encore, de diligenter toutes les mesures de

recherche de stages intéressants. Tout cela n’est possible que si les effectifs en Master 2, sont raisonnables et permettent de travailler en groupes relativement réduits. Si les conditions de travail en Master 2 étaient identiques à celles du Master 1, les méthodes et objectifs pédagogiques devraient être revus au détriment de l’approfondissement des connaissances et de la progression personnelle de chaque étudiant. Une telle détérioration de la 5ème année serait extrêmement préjudiciable et prolongerait les travers d’un enseignement de masse dont les étudiants eux-mêmes reconnaissent régulièrement les limites. Troisième raison : la rupture d’égalité entre les masters de droit Sur ce point, il faut savoir que le Ministère de l’Enseignement supérieur n’a jamais véritablement envisagé de supprimer la sélection dans tous les Masters de droit de France et de Navarre. Certaines formations de masters de droit avaient entamé et mené des tractations plus ou moins confidentielles avec le Ministère depuis de longs mois aux fins de conserver leur propre sélection. Les échanges étaient discrets, personnalisés et relevaient davantage du « copinage » que d’une véritable réflexion de politique générale. Certains avaient obtenu des garanties, d’autres non. En somme, si la suppression de la sélection avait frappé les masters de droit d’Amiens, il aurait fallu tenir compte du fait le processus sélectif était partiellement maintenu ailleurs (notamment dans les « grosses » universités). Un système à double vitesse se serait alors mis en place opposant les universités dotées de masters sélectifs, et partant réputés, et les autres, condamnées à gérer ce qu’il était devenu habituel d’appeler « les masters poubelle » (expression utilisée dans les couloirs mêmes du Ministère). Que se serait-il passé alors ? Bien évidemment, les étudiants amiénois auraient convoité les filières sélectives parisiennes ou lilloises plus encore qu’ils ne le font aujourd’hui pour se prévaloir de cette sélection et augmenter leurs chances d’insertion professionnelle. La concurrence aurait été

plus meurtrière qu’elle ne l’est déjà. Dans le meilleur des cas, quelques-uns auraient pu obtenir satisfaction tandis que leurs camarades, contraints de demeurer à Amiens, auraient perdu toute fierté d’y être. L’UFR de droit d’Amiens serait devenu un collège de droit dans lequel il est bon de « faire sa licence » mais surtout pas son Master. Étudiants, enseignants, nous tous, aurions fait les frais d’une disparité encore plus forte entre les universités. Amiens ne peut pas être traité de la sorte. C’est une université respectable, et pour avoir enseigné dans plusieurs établissements, je peux attester que la qualité des étudiants, des enseignements et celle des diplômes n’ont rien à envier à d’autres. Amiens n’est pas une université au rabais et doit se battre pour conserver ses atouts. Quatrième raison : la sélection préserve incontestablement notre mission fondamentale de service public Supprimer la sélection aurait « fait les choux gras » de formations publiques ou privées souvent coûteuses et non accessibles à tous. L’Université française doit préserver ses intérêts et ceux de ses étudiants et ne saurait mettre en place des mesures qui viseraient à enrichir - sans cause et sans contrepartie aucune - des formations parallèles de moins bonne qualité. Nous devons conserver nos valeurs, nos qualités, et agir dans le respect de notre mission qui est d’offrir à chacun, quelle que soient ses moyens, la chance d’obtenir un diplôme reconnu et compétitif sur le marché de l’emploi. Or, vous le savez, l’UPJV est l’une des universités qui compte le plus grand nombre d’étudiants boursiers. Les chaînes de télévision nationales se bousculent même dans notre cafétéria et notre UFR pour illustrer des reportages sur la pauvreté des étudiants…. Combien d’entre vous alors seraient en mesure de s’offrir des diplômes onéreux ? Combien seriez-vous à pouvoir assurer financièrement le coût d’une formation à l’extérieur d’Amiens ? Et, finalement, combien seriez-vous à nous reprocher d’avoir collaboré au système du master poubelle ? Très nombreux sans doute. Beaucoup trop nombreux ! Un véritable fiasco économico-éducatif !

52

Cinquième raison : Des solutions de substitution défavorables aux étudiants auraient été mises en place par les universités La suppression de la sélection aurait constitué un « faux avantage » pour les étudiants. Il suffit de lire les interventions et commentaires de certains présidents d’université pour comprendre qu’à l’instar des professionnels, les universités auraient, elles aussi, trouvé des parades contre l’accès trop aisé en master 2. Et quoi de plus simple à faire lorsque la mesure de suppression de la sélection est adoptée frénétiquement sans aucune réflexion d’ensemble ? Car, ne l’oublions pas : l’abolition de la sélection à l’entrée en Master 2 ne s’accompagnait pas de la fusion des deux années de master et maintenait la délivrance d’un diplôme de Master 1. Dès lors, la sélection pouvait avoir lieu à la fin de cette quatrième année. Le couperet serait tombé quoi qu’il en soit…mais il serait tombé plus tôt : avant la délivrance du Master 1 et non plus après. En somme, les universités n’avaient qu’à déplacer le curseur de l’évaluation. Les étudiants auraient donc été les doubles dindons de cette farce démagogue car, à la sélection officielle et transparente, se serait finalement substituée une sélection moins lisible et plus sournoise paralysant l’obtention du Master 1. On ne pouvait décemment pas admettre un tel système. Le maintien de la sélection est salutaire à tous points de vue et les raisons qui le fondent convaincront aisément les étudiants prêts à jouer le jeu. Et, c’est sans doute là, que le bât blesse car trop nombreux sont encore les étudiants qui veulent avoir le beurre et l’argent du beurre. J’entends par là que les étudiants doivent comprendre que la sélection est inévitable dans une carrière professionnelle. Elle interviendra tôt ou tard sans qu’ils puissent s’en protéger. Il faut l’affronter et non pas la redouter. Il faut s’en donner les moyens, s’y adapter, la domestiquer plutôt que la repousser. Le discours démagogique des droits acquis est dangereux car il ne prépare pas à la vie professionnelle et donne une image tronquée des exigences futures. L’université ne doit pas être une enceinte repliée sur elle-même dans laquelle seraient principes la « théorie du moindre effort » ou encore celle de « la facilité du droit acquis ».

Il était donc impératif et salutaire pour tous de maintenir la sélection en Master 2 de droit et de l’organiser dans le meilleur intérêt de nos étudiants. A ce sujet aussi, il convient de faire le point aux fins que ne soient plus colportées de sottes rumeurs. Contrairement à ce que soutiennent les étudiants mal informés ou mal intentionnés, le processus sélectif n’est ni diabolique, ni injuste et encore moins sadique. Prenons l’exemple très concret de la sélection en Master 2 DPA qui me permettra de vous donner des informations précises, aptes à relativiser le discours malfaisant de contradicteurs non avertis. En septembre 2015, 20 étudiants ont intégré le Master 2 DPA. 17 d’entre eux avaient obtenu un Master 1 du même nom à Amiens et comptaient donc parmi les 42 étudiants recensés en Master 1 cette année là. Au total, c’est donc 40,47 % des étudiants inscrits en M1 DPA qui ont intégré le M2. 85% des effectifs du M2 étaient amiénois. 6 étudiants issus du M1 (2014/2015) se sont vus refusés l’entrée en Master 2 en septembre 2015 soit un taux de refus qui s’élève à 14,68%. Ces chiffres parlent d’eux-mêmes. Sachez également que, sur les 20 étudiants inscrits en M2 DPA en 2015/2016, 8 avaient une moyenne générale en M1 comprise entre 10,8 et 11,5 avec des résultats du même ordre au cours des trois années de Licence. Il est donc tout à fait faux d’affirmer qu’une mention assez bien en Master 1 est une condition sine qua non de l’entrée en M2. Sachez enfin que tous les étudiants du Master 2 DPA n’ont pas un cursus longiligne et sans heurts. La promotion 2015/2016 compte, par exemple, dans ses rangs, un étudiant qui avait obtenu ses quatre premières années douloureusement. Initialement refusé en Master 2, cet étudiant n’a pas baissé les bras et a travaillé seul les matières du Master 2 pendant une année pour conforter son dossier et prouver sa motivation. Il a été admis et figure aujourd’hui parmi les meilleurs étudiants de la promotion. Telle est la réalité.

53

PORTRAIT Emmanuel NETTER Par Mathilde Hoyer

Au lendemain de cette nouvelle rentrée universitaire, seuls les juristes en herbe récemment inscrits ignorent encore qu’Emmanuel Netter est l’un des enseignants de droit privé les plus emblématique de notre faculté.

Pour les plus anciens, il est grand temps de faire plus ample connaissance… Civiliste et affairiste chevronné, Emmanuel Netter a fait de brillantes études à la faculté de droit de Strasbourg avant de nous rejoindre à Amiens en qualité de Maître de conférences. Il assure aujourd’hui au sein de notre établissement des cours divers (droit des assurances, droit des garanties, droit des procédures collectives) et participe activement au développement du Master DPA. S’il nous confie avoir été séduit par la profession d’enseignant dès sa deuxième année d’études de droit, son impressionnant parcours universitaire lui a incontestablement permis d’accomplir sa vocation. L’évidence s’impose dès lors à ses étudiants qui découvrent, au fil de ses enseignements, un professeur bienveillant, disponible et extraordinairement pédagogue.

Loin des manuscrits poussiéreux et des professeurs austères et inaccessibles, Emmanuel Netter dément l’ensemble des préjugés trop souvent associés à notre discipline et donne une impulsion nouvelle à la matière en se penchant sur des questions des plus contemporaines.

Directeur adjoint du CEPRISCA (Centre de droit privé et de sciences criminelles d’Amiens), ses recherches sur

les biens numériques, et notamment sur le droit des réseaux sociaux, ne peuvent laisser indifférents les étudiants pour qui certaines questions, comme par exemple celles relatives aux conséquences juridiques du retweet, résonnent nécessairement. Alliant science et humour, Emmanuel Netter répond également présent lorsqu’il est invité à intervenir à une conférence « Le droit contre-attaque », relative à la saga Star Wars revisitée par les juristes (clin d’œil à la culture populaire et à la jeunesse !). Ces sujets avant-gardistes pourraient faire naître de véritables vocations auprès d’étudiants dont, pour un trop grand nombre, les regards reflètent un désintérêt pour le droit, comme le regrette Emmanuel Netter. Pour les plus dubitatifs, nous ne saurons que trop leur conseiller d’assister aux cours magistraux dispensés par ce professeur qui leur insuffleront, très certainement, le goût du droit privé.

Récemment élu vice-doyen de notre UFR, Emmanuel Netter devra, pour atteindre l’apothéose de sa carrière, obtenir une habilitation à diriger des recherches afin d’encadrer les travaux de doctorants. Nul doute que ces derniers trouveront en ce professeur un véritable maître à penser qui nous confie qu’« un bon juriste doit être curieux du monde et être, comme le droit lui-même, au service de la société ». Quant à nous, il ne nous reste plus qu’à espérer que ce professeur, extrêmement investi au sein de notre faculté, y fasse de vieux os…

The End.

Un grand Merci à tous ceux qui ont collaboré à ce numéro !