Rgi 737 12 Goethe Et Spinoza

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  • 7/27/2019 Rgi 737 12 Goethe Et Spinoza

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    Revue germaniqueinternationale12 (1999)

    Goethe cosmopolite

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    Gerald Stieg

    Goethe et Spinoza

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    Avertissement

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    Rfrence lectroniqueGerald Stieg, Goethe et Spinoza , Revue germanique internationale[En ligne], 12 | 1999, mis en ligne le 05septembre 2011, consult le 11 octobre 2012. URL : http://rgi.revues.org/737 ; DOI : 10.4000/rgi.737

    diteur : CNRS ditionshttp://rgi.revues.orghttp://www.revues.org

    Document accessible en ligne sur : http://rgi.revues.org/737Ce document est le fac-simil de l'dition papier.Tous droits rservs

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    Goethe et Spinoza

    GE RAL D S T I E G

    Ce sujet ne constitue pas un terrain en friche. Loin s'en faut. Le Goethe-Lexikon de Gero von Wilpert paru en 1998 rsum ainsi le problme : Ala recherche d'une vision du monde philosophico-rehgieuse correspondant son propre monde de penses, Goethe tomba au mois de mai 1773 chezHoepfner a Gieen sur une dition des uvres du philosophed'Amsterdam, 1'emprunta et y trouva pour 1'essentiel une confirmation deson id de 1'unit de Dieu et de la Nature, le rejet de la reprsentationanthropomorphe traditionnelle de Dieu, une perception a-tlologique dela Nature ainsi que des prceptes thiques du renoncement son propreintrt au pront des autres. Puis : Goethe (...) sa vie durant, resteadepte du spinozisme pour lequel existence et perfection sont identiques.(...) Des traces du spinozisme de Goethe se trouvent (...) dans son "Pro-mthe". 1 En revanche, dans 1'article Promthe. Hymne von Wilpert affirme que ni la gense ni le contenu du pome de Goethe n'ont faire avec le spinozisme. Il s'agit moins d'une rbelhon mtaphysico-rehgieuse que de 1'veil de la prise de conscience du propre gnie deGoethe 2.

    Les abrviations contenues dans ces rsums lexicaux sont passable-ment contradictoires et refltent leur manire 1'histoire complexe de larception du pome depuis le Spinozismus-Streit de 1785. Il suffitd'ailleurs de jeter un regard sur 1'tude fondamentale de Martin Bollacher,

    Der junge Goethe und Spinoza(1969)3, pour comprendre les rsistances qu'arencontres 1'assemblage Goethe-Spinoza. C'est particulirement valablepour l' interprtation de 1'ode Promthe laquelle par exemple EmilStaiger dnie toute relation Spinoza. Les jugements de Jacobi et de Les-

    1. Gero von Wilpert, Goethe-Lexikon,Stuttgart, K rne r, 1998, p. 1005.2. Ibid., p. 851-852. Voir a ce propos le commentaire prudent du vol. III de Der junge Goethe,

    d. Ha nn a Fisch er-Lamber g, Berlin - New York, De G ruyter, p . 437-43 8 et 465-470.3. Martin Bollacher, Der junge Goethe und Spinoza. Studien zur Geschichte des Spinozismus in der

    Epoche des Sturms und Drangs, Tb in ge n, Niem eye r, 1969, p. 1-16 et 1 91-194.

    Revue germanique internationale, 12/1999, 61 75

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    sing sont dvaloriss c om me des slogans sducte urs p a r Staiger quiaffirme : Et pourtant, il suffit d'un seul regard fugitif pour voir qu'aucunesyllabe de ce pome n'voque la doctrine de Spinoza ou le Hen kai pan. Dans l'hypothse la plus favorable ce critique admet que Lessing s'insurgecontre la foi de l'glise 1'instar de Prom the contre Jupi ter. Ma ismme la reconnaissance de cette relation si minime jette dja une lumire

    trompeuse sur 1'hymne de Goethe.

    1

    Karl Otto Conrady est d'un avis fortsemblable : On a te nu cet hym ne - et c'est encore pa rt ie ll eme nt le casaujourd'hui pour une profession de foi panthiste, ou bien on a tout aumoins cherch comprendre ces vers partir d'ides panthistes. Or, quilira ces str oph es sans pr jug n' y tr ouve ra gure de telles penses. C onrady voit dans le pome l'expression d'une vitalit juvnile et d'un tatd'me particulier du pote, et nullement une attaque contre les reprsen-tations ha bituelles de Di eu 2 . Ces jug eme nts sont d' aut ant plus sur pre-nan ts que, m me p ou r Jos ef Nadl er, dans sa Literaturgeschichte der deutschenStmme und Landschaften, le hen entre Spinoza et Promthe allait encorede s oi : (Dans Pro mt he ) l e se ntimen t panthiste (Allgottsgefhl) de la

    jeune gnration trouva son expression suprme, ce sentiment nourri deSpinoza (...) 3 .

    Avant d'aborder le cas particulier de 1'hymne Prom t h e il mesemble utile de donner quelques clairages sur la fagon dont la relationentre Goethe et Spinoza a t pergue au X IX e sicle. Pour Heine, dans ZurGeschkhte der Religion und Philosophie in Deutschland il y a vidence : Goethe at le Spinoza de la posie. Tous les pomes de Goethe sont pntrs de

    1'esprit qui souffl dans les crits de Spinoza. Personne ne doute queGoethe ait entirement embrass la doctrine de Spinoza. En tout cas, ils'en est occup pendant toute son existence. 4 Et aprs avoir propos unelecture panthiste de Werther et Faust il affirme : Mais c'est dans ses petitspomes (Lieder) qu e ce pa nt h isme goet he n s'exprime de la fagon la pluspure et la plus charmante. La doctrine de Spinoza s'est dbarrasse de soncocon mathmatique et virevolte autour de nous sous les espces d'unechanson de Goethe. D'o la fureur des orthodoxes et des pitistes enversla chanson goethenne. 5

    A 1'inverse, Nikolaus Lenau, le panthiste dsillusionn, dont 1'popeSavonarole avait dplu aux esprits sclrats de son poque, affirmeen 1838 : Spinoza et Goethe occupent encore leurs boutiques et domi-nent le march de la httrature. Chez ces piciers profanes de la pense, lafoule des consommateurs effronts trouve toujours toutes sortes d'ustensiles

    1. Emil Staiger, Goethe,Zuric h et Fri bourg en B., Atlantis, 1964, vol. I, p. 131.2. Karl Otto Conrady, Goethe. Leben und Werk, Francfort, 1988. On pourrait facilement multi

    plier ce genre d'interprtations.3 . Josef Nadler,Literaturgeschichte der deutschen Stmme und Landschaften. Vol. 3 :Der deutsche Geist

    (1740-1813), Rege nsbu rg, Hab bel , 1924, p. 111.4. Heinrich Heine, Histoire de la religion et de la philosophie en Allemagne, trad. Jean-Pierre

    Lefebvre, Paris, Imprimerie nationale, 1993, p. 179.5. Ibid., p. 181.

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    sduisants, polisss et commodes pour flatter la sensualit. Nos hommes dusalut, ces bouillonnants rformateurs du ciel et de la terre se rfugient dansla chair, leur asile putrescible, au heu d'couter la voix grave de lavrit.1 Indirectement les positions de Schopenhauer et de Feuerbachappartiennent galement ce contexte. Dans une lettre Goethe du

    11 novembre 1815, Schopenhauer appelle Spinoza votre prfr (IhrenLiebling)2. Pour Schopenhauer le panthisme, c'est-a-dire le spinozisme,n'tait qu'un athisme pudique ; Feuerbach, en revanche, le considraitcomme la dernire tentative idaliste de sauver Dieu. Ce qui, au fond,revient au mme et renvoie la controverse de 1785 autour du pan-thisme-athisme de Spinoza.

    La relation de Nietzsche Spinoza rappelle bien des gards1'hommage que lui rendit Goethe. Dans une lettre du 30 juillet 1881 ilconsidre le penseur hors norme le plus solitaire comme son prd-

    cesseur et constate qu'il partage cinq points principaux avec lui: langation du hbre arbitre, de la tlologie, de 1'ordre moral du monde, dudsintressement et du mal. La dcouverte de Spinoza reprsente pour luile don d'un alter ego3. Dans les crits posthumes des annes quatre-vingts,Nietzsche mentionne la relation entre Goethe et Spinoza de la faon sui-vante : La pense de Hegel n'est pas trs loigne de celle de Goethe :que 1'on coute ce que Goethe dit de Spinoza. Volont de diviniser1'univers et la vie pour trouver le repos et le bonheur dans leur contempla-tion et dcouverte ; Hegel cherche partout la raison, car devant la raison

    on a le droit de se soumettre et d'tre humble. Chez Goethe une sorte defatalisme presque joyeux et confiant qui ne se rvolte pas, ne se lasse pas etqui tente de former de soi-mme une totalit croyant que tout trouve sonsalut par la seule totalit et qu'elle seule fait apparatre le monde et la viecomme bons et justifis. 4

    Une trange parent de ton, sans accent critique pourtant, domine lesWeltrtsel(Enigmes de1'univers) d'Ernst Haeckel. C'est seulement dans ladeuxime moiti du XVIIe sicle que le systme du panthisme prit saforme pure grace au grand Baruch Spinoza; il tablit pour la totalit des

    choses le concept de substance par lequel "Dieu et le monde" sont inspa-rablement unis. (...) Nous avons dja discut de la relation de Spinoza aufutur matrialisme du XVIIIe sicle et au monisme d'aujourd'hui. Ce sontsurtout les uvres immortelles de notre plus grand penseur et pote,Wolfgang Goethe, qui ont contribu sa diffusion, notamment dans la vieintellectuelle de l'Allemagne. Ses crations merveilleuses comme "Dieu etle monde", "Promthe", "Faust", etc. donnent aux ides fondamentales

    1. Lenau-Chronik, d. Norb ert Ott o Eke et Karl J rg en Skrodzki, Wien, Deuticke-Klett, 1992,p. 225.

    2. Goethes Gesprche,Zurich-Stuttg art, Artemis, 1969, vol. II, p. 936 . Scho pen hau er cite laphr ase d e Spin oza : Est enim verur a ind ex sui et falsi: - lux se ipsa m et teneb ras illus trat. 3. Friedrich Nietzsche, Werke in drei Bnden, d. Karl Schlechta, Munich, Hanser, 1966,

    vol. III, p. 1171-1172 ( Briefe ).4. Ibid., p. 512 (Aus dem Nachla der Achtzigerjahre ).

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    du panthisme la forme potique la plus parfaite et la plus beUe : Dieu etla Nature ne sont qu'un. 1 Dans le chapitre Notre religion moniste Haeckel fait appel Goethe et Spinoza comme tmoins principaux de larconcihation entre rehgion et science(s) par le monisme. En exergue,Haeckel se sert, d'un ct, du pome tir des Xnies apprivoises:

    Qui possde science et art,

    a aussi de la religion !Qui possde ni 1'un ni1'autre,qu'il ait de la religion

    de 1'autre, de 1'affirmation de Lichtenberg: Si le monde existe encorependant d'innombrables annes, la rehgion universelle sera un spinozismepurifi. 2

    Certes, le style de Haeckel a un caractre grandiloquent, mais danscette affaire il reprsente bien la communis opinio qui est galement sensibledans 1'dition complte des uvres de Goethe tablie la mme poque

    par Ludwig Geiger3

    .L'tude Aus derZeitder SpinozastudienGoethes4 de Wilhelm Dilthey, parue

    en 1894, est d'une tout autre toffe. Il s'agit du remaniement de l'article Zu Goethes Philosophie der Natur de 1889, rendu ncessaire par ladcouverte en 1891 du manuscrit de la main de Charlotte von Stein, inti-tul depuis Studie nach Spinoza 5. Ce qui rend 1'tude de Dilthey particulirement intressante pour notre sujet, c'est qu'elle repose sur uneerreur chronologique. Dilthey est en effet convaincu que Goethe aurait luSpinoza pour la premire fois en 1784-1785 et non pas en 1773. Ainsi

    toute rfrence expresse Spinoza dans les ceuvres de jeunesse en gnralet dans Promthe en particulier semble tre caduque. Nanmoins,Dilthey part de 1'hypothse que le panthisme de Goethe tait djbien tabli avant sa priode weimarienne. Il cite pour preuve les Ephmri-desde 1770 dans lesquelles on trouve une image ngative du spinozisme,fruit de la lecture du dictionnaire de Bayle. Il y voit le mauvais frre d'un panthisme plus pur qu'il croyait trouver dans 1'Antiquit et chezGiordano Bruno. La deuxime preuve est le Werther . Enfin, Promthe fait selon Dilthey galement partie de cet ensemble spino-

    ziste , selon lui avant la lettre : La protestation contre la transcendancedans "Promthe" dont la lecture a pouss Lessing sa profession de foidu Hen kai pan provient du mme monde des sentiments que celui du"Werther". C'est partir de ce mme sentiment qu'ont t crits, la

    1. Ernst Haeckel, Die Weltratsel.GemeinverstndlicheStudien ber Monistische Philosophie, 10e ditionamliore, Leipzig, Krner, 1909, p. 310.

    2. Cit d'aprs Haeckel, loc. cit, p. 355.3. Goethes smtliche Werke. Vollstndige Ausgabe in 44 Bnden. Mit Einleitung von Ludwig Geiger,

    Leipzig, Hesse, s.d., Introduction, p. 49 et 65.4. Wilhelm Dilthey, Gesammelte Schriften, Stuttgart, Teubn er et Gttingen, Vande nhoec k

    & Ruprecht, 1977, vol. II, p. 391-415.5. Goethes Werke. Hamburger Ausgabe in 14 Banden, Hambourg, Wegner, 1966, vol. XIII, p. 7-10

    et 562. Dsormais abrg comme HA.

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    mme poque, Wertheret le premier Faust.1 Ainsi, Dilthey fait partie desvictimes aveugles par le slogan dnonc par Staiger, car il diagnos-tique du spinozisme chez Goethe, avant que ce dernier n'ait lu Spinoza.

    Une vocation anecdotique dans Der Witz und seine Beziehung zum Unbe-wuten de Freud conclura notre anthologie. Il cite Heine qui appelle Spinoza son co-irrelig ionnaire (Unglaubensgenossen)2. Certes, cette formulene se trouve pas littralement chez Goethe, mais tous les tmoignages indi-qu en t que G oe the se voyait comm e coreli gionnai re (Glaubensgenosse)duphi losophe dcri comm e ath e . Ce qui revient au m me .

    Pour aller au fond des choses il me semble indispensable de rappelerbrivement 1'attitude de Goethe largement tributaire d'une mtaphoriquereligieuse, voire biblique, ds qu'il est question de Spinoza.

    Dans la phase exalte de son commerce avec Lavater avec lequel ilprendra plus tard radicalement ses distances au nom de Spinoza on peutlire ceci : Ai-je besoin d'une preuve que j'existe ? D'une preuve que jesens ?... Et ainsi la parole de 1'homme est pour moi la parole de Dieu... Etd'une me ardente j'embrasse mon frre : Mose !Prophte !vangliste !Aptre, Spinoza ou Machiavel. 3Douze annes plus tard, dans une lettre Herder, Goethe rpte presque littralement cette confession: Jet'annonce qu'il m'a t impossible de lire jusqu'au bout le Nouveau Testament juif4, que je 1'ai envoy Mme de Stein qui y parviendra peut-tremieux que moi, et que j'ai immdiatement ouvert le Spinoza et que j'ai tu-di quelques feuilles de la "proposition" : "Qui Deum amat, conari nonpotest, ut Deus ipsum contra amet" 5 pour ma plus grande dification laplace de la bndiction du soir. De tout cela dcoule que je vous recom-mande de lire a maintes reprises1'vangilede Je an

    6

    qui comprend Mose et

    1. Dilthey, loc. rit., p. 396.2. Sigmund Freud, Der Witz und seine Beziehung zum Unbewuten = Gesammelte Werke, vol. VI,

    Francfort, Fischer, 1969, p. 83.3. GoethesBriefe. Hamburger Ausgabe in 4 Banden, Hambourg, Wegner, 1968, vol. I, p. 458-459.

    Dsormais abrviation B I, II, III, IV. La traduction des lettres a t effectue par nos soins.4. Allusion la rplique de Moses Mendelssohn, Moses Mendelssohn an die Freunde Lessings. Ein

    Anhang zu Herrn Jacobis Briefwechsel ber die Lehre des Spinoza, parue aprs la mort de Mendelssohn (le4 jan vie r 1786).

    5. En latin dans le texte. Il s'agit de la proposition XIX du livre V de l'thique: Qu i aimeDieu ne peut faire effort (conari)pou r q ue Die u 1'aime son tour in Spinoza, uvres compltes,Paris, Galli mard , ( Biblioth que de la Pliade ), 1954, p. 57 7. Rilke a consacr u n essai intitulber dieGegenliebe Gottes la mme proposition. On peut s'interroger sur un Ken ventuel entre laph ras e effronte de Phi line d an s les Annes d'apprentissage de Wilhelm Meister ( We nn ich dichliebe, was gehts dich an ) ( Si je t'aime, que t'importe ? ) que Goethe fait driver de la proposition XIX de Spinoza et la conception de 1' amour non possessif chez Rilke. Voir Goethe,Posie etvrit, trad. de P. du Colombier, Paris, Aubier, 1941 (reprint 1991), p. 401, et HA X, p. 35.(Dans le roman Philine dit d'ailleurs lieb habe).

    6. Selon le commentaire de B I, p. 756-757 il s'agit d'une allusion 1'crit de Lessing, Das

    Testament Johannis. Ein Gesprchde 1777 qui cite la phr ase apo cry phe de saint Je an , Kindlein liebteuch.Da ns notr e contexte cette allusion confirme que Go eth e appr ouv e la position de Lessing rap -porte pa r Jac obi . Voir galemen t Bollacher, loc. cit., p. 221-223.

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    les prophtes, les vanglistes et les aptres. Enfants (Kindlein), aimez-vousles uns les autres. 1 Peu avant, Goethe avait dja adress des rponses rti-centes Jacobi qui attendait avec impatience sa raction : Il ( = Spinoza)ne prouve pas1'existencede Dieu, l'existence est Dieu. Et si d'autres le trai-tent cause de cela d'atheum,je prfre 1'appelertheissimum,voirechristianissi-mum et le glorifier comme tel. 2 Ou encore : Dieu t'a puni en faisant detoi un mtaphysicien et il t'a mis une charde dans la chair; par contre, il

    m'a combl avec la physique afin que je me sente heureux dans la contem-plation (Anschaun) de ses uvres. (...) Je m'en tiens de plus en plus ferme-ment au culte de Dieu de l'athe et vous laisse tout ce que vous appelez oudevez appeler religion. Tu dis : on ne peut que croireen Dieu ; moi, je te dis,

    j'attach la plus grande importance la contemplation des choses. 3 Noustraiterons ultrieurement du rapport de cette confession la scientia intuitivade Spinoza. Herder ragit de faon semblable dans une lettre Jacobi du6 ju in 1786 : Malgr tout cela tu es un authentique chrtien orthodoxe ;car tu possdes un Dieu extraterrestre (extramundan), comme il faut, et tu as

    sauv ton me. De mme en proclamant tes axiomes "spinozisme galeathisme, etc", tu as enfonc un pieu que renversera qui veut. 5 De la dis-pute autour de Spinoza Herder dit: Le feu est allum, teigne ou attisequi voudra. 6 Dja dans une lettre du 21 octobre 1785 sur le petit livre de Jacobi Goethe s'insurge contre le mot croire en affirmant que pour lui spinozisme et athisme sont bien distincts . (...) Je ne peux aucunementapprouver la faon dont tu te sers la fin du mot "croire" ; je ne peuxadmettre cette manire chez toi, car elle convient exclusivement aux sophis-tes de la foi qui sont au plus haut point ports obscurcir toute certitude du

    savoir et la recouvrir des nuages de leur empire instable et fantasque, dslors ils sont incapables de faire trembler les fondements de la vrit. 7

    De la partie finale de L'tude d'aprs Spinoza Dilthey tire la conclu-sion suivante : Il (Goethe) termine ainsi avec 1'abolition totale de toutemtaphysique et thologie. Toute mtaphysique religieuse ou philosophiquedclare comme vidence absolue ce que 1'on peut penser le plus commod-ment possible et ce qui procure du plaisir. La dmonstration de Goethe setransforme en expression passionnelle contre les opinions usurpes sur ladivinit, lesquelles 1'avaient tellement importune chez Lavater et Jacobi.

    C'est contre eux qu'est dirige la partie finale de l'tude. On y trouve denouveau la tonalit bien connue des passages que Spinoza a opposs auxdfenseurs d'un Dieu personnel. 8On pourrait ici ajouter que Spinoza s'est

    1.BI, p. 504 et 756-757.2.BI, p. 475 et 748.3.BI, p. 508 et 758.4.En franais dans le texte.5.Cit d'aprsBI, p. 748-749.6.Ibid., p. 749.7.BI, p. 488-489 et 752.Sophistes de la foi vise Lavater.8. Dilthey,loc. cit, p. 414-415. Voir notamment1'appendicedu livre I (De Dieu), Spinoza,

    loc. cit., p. 346-354.

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    moqu du fait que les dfenseurs d'un Dieu personnel n'avaient commereprsentation de celui-ci que 1'image du prince absolu 1.

    Derrire la condamnation que Goethe prononce contre ceux qui nesavent rien faire d'autre que d'appeler une certitude une certitude etqui recommandent celu i qui dsire apprendre , donc celui quirecherche la connaissance, que 1'me devrait toujours devenir de plus en

    plus simple 2

    , il y a sans aucun doute la scolie de DeDeo,propositioXV del'thique3.

    En 1811,il a lesm me s rac tions , mais enc ore plus vives lors de la lec-ture du livre Von dengttlichen Dingen (Deschoses divines) deJacobi , et cecitout d'abord dans lesAnnalen oder Tag- undJahreshefte: "De s choses divines" de Jacobi m ' a dplu. Comment aurais-je p u accueillir avec joie lelivre d'un ami si cher dans lequel il m'a fallu voir soutenue la thse selonlaquelle la Nature cacherait Dieu. N'tait-il pas invitable qu 'u ne dclara-tion si trange, partisane et borne m'loigne intellectuellement tout

    jamais de cet homme au demeurant sinoble ? Ca relle est en contradictionavec m a manire de voir si pure, profonde, inne et de longue pratique, etqui m'avait appris comme fait sacr de voir Dieu dans la Nature , et laNature en Dieu, de telle sorte que cette manire de se reprsenter lemonde a fond tout m o n tre. Cependant, au lieu de ruminer m o n dpitdouloureux, je me rfugiais dans m o n vieil asile et trouvais plusieurssemaines durant m a compagnie quotidienne dans l 'thique de Spinoza. 4

    Il exprime u n refus semblable de 1'antispinozisme dans une lettre Knebeldate du 8 avril 1812 : C a r il y a quand mme dans ce livre impie trai-

    tant de choses divines des passages bien rudes 1'encontre de mes meilleu-res convictions que je professe publiquement depuis des annes dans mescrits ayant trait la nature et 1'art. 5 C'est pour cela que Goethe saluela rplique de Schelling parue sous le titre baroque : Schellings De nk ma lder Schrift von den gttlichen Dingen, etc, desHe rr n Friedrich He inrichJacobi und der ihm in derselben gemachten Beschuldigung eines absich-tlich tuschenden, Lge redenden Atheismus. 6

    Tous ces tmoignages ne laissent gure de doute sur le fait que le spinozisme tait la forme de la religion choisie par Goethe, sa religion

    usage priv (zum Privatgebrauch).Ce qui est encore confirm en 1831dans les entretiens avec Eckermann 7.

    1. Spinoza, loc.cit.,p. XV et XLI-XLII. Roland Caillois y montre clairement que le refus d'unDieu imagin sous la forme d' un pouvoir royal extrme a pour consquence la dfense de la dmocratie comme essence de tout rgime raisonnable .

    2. Studie na ch Spinoza , HA XII I , p. 9.3. Spinoza, loc. cit, p . 323-326.4. HA X, p. 510-511.5. B III , p. 180-181.

    6. Ibid., p . 181. Goethe saitgr Ja co bi d' avoi r fait sortir Schellingde sa forteresse (seinerBurg).7. Jo ha nn Peter Ec kermann, Gesprche mit Goethe in den letzten Jahren seines Lebens,

    28 fvrier 1831.

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    Nous sommes parti de la question de savoir si et sous quelle forme lespinozisme de Goethe se manifeste dans 1'ode Promthe. Il n'y aaucun problme d'ordre chronologique, car Goethe s'est consacr inextenso une tude de l'ceuvre de Spinoza avant la rdaction du pome. Dans salettre Hoepfner de mai 1773 il crit: Merck m'a donn votre Spinoza.Est-ce que je peux le garder encore un peu ? Je veux voir dans quelle

    mesure je peux suivre cet homme dans ses puits et filons souterrains. 1

    La lecture soi-disant sans prjugs des germanistes met surtout endoute le rcit fourni par Jacobi propos de la raction de Lessing aupome Promthe . Lessing aurait dit: Le pome ne m'a pas scanda-hs ; je connais cela depuis longtemps de premire main. Et de conclure : Le point de vue qui est 1'origine de ce pome est aussi le mien. Lesnotions orthodoxes de Dieu me sont devenues trangres ; je n'en tireaucune satisfaction. Hen kai pa n! Je ne connais rien d'autre. 2 Cette premire main est bien sur Spinoza dont Lessing se dclare express-

    ment partisan comme le fait Goethe. Il n'existe aucun indice dans l'ceuvreou la correspondance de Goethe dont on pourrait dduire une quelconqueprise de distance 1'gard de 1'opinion exprime par Lessing sur le lienentre Promthe et la doctrine de Spinoza. Ce qui drange Goethedans cette affaire, c'est l'indiscrtion de Jacobi qui avait publi le pome son insu et la compromission, voire le scandale 3 dclenchs par le texte.Loin de dmentir sa compromission avec Spinoza et Lessing, Goethe laconfirme par une phrase ironique fort significative : Herder trouve amusant que, cette occasion, je me trouve avec Lessing sur le mme

    bcher.

    4

    L'vocation de la controverse autour de Spinoza dans Posie etvrit ne prend elle aussi aucune distance par rapport au document publipar Jacobi:

    C'est cette composition bizarre ( = le fragment dramatique "Promthe") qu'appartient, comme monologue, le pome qui a marqu dans lahttrature allemande, parce qu'il a t 1'occasion pour Lessing de se dcla-rer envers Jacobi sur des points importants de la pense et du sentiment. Il aservi d'amorce pour une explosion qui a dcouvert et rendu publics les dis-sentiments (les tats les plus secrets) d'hommes respectables, des tats qui

    sommeillaient leur insu dans un milieu d'ailleurs extrmement clair. Larupture fut si violente que, dans les incidents qui survinrent, nous perdimesun de nos hommes les plus dignes d'estime, Mendelssohn.

    Bien qu'on puisse, propos de ce sujet, mettre, comme 'avait t lecas, des considrations philosophiques et mme religieuses, il appartient

    1.BI, p. 148.2.Voir Bollacher,loc. cit., p. 192.

    3.BI,p.483.LettreJacobi du11 septembre1785 : Damit man ia bei dem noch rgerli-chern Prometheus mit den Fingern aufmichdeute( pour que me montre du doigt cause duPromthe qui est encore plus scandaleuxsc. que le pome DasGttliche )

    4. Ibid.

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    pourtant tout particulirement a la posie 1 (ce qui dans ce contexte veutdire que Promthe est avant tout une figure potique).

    A ce passage un peu nigmatique correspond un commentaire ton-nant dans une lettre Zeiter du 11 mai 1820 : Il est fort trange que cePromthe que j'avais moi-mme abandonn et oubli fasse maintenant sarapparition. Le monologue bien connu qui fait partie de mes pomes

    devait ouvrir le troisime acte. Tu as probablement oubli que le bonMendelssohn est dcd cause de la publication prmature de cepome. Surtout ne rvlez pas par trop ce manuscrit afin qu'il ne soit pasimprim. Notre jeunesse rvolutionnaire le saluerait trop vite commevangile et les Hautes Commissions (de censure) de Berlin et de Mayencepourraient fort peu apprcier mes lubies de jeunesse. Mais il est curieuxque les braises de ce feu rebelle continuent de rougeoyer depuis cinquanteans sous des cendres potiques, jusqu'au moment o gagnant des mat-riaux rellement inflammables il menacera de se transformer en flammes

    destructrices.

    2

    On ne peut tre que frapp par le champ lexical queGoethe et Herder utilisent pour parler de 1'effet de Promthe: amorce d'une explosion , feu rebelle , flammes destructrices , lefeu est allum . Et le porteur de ce feu rebelle est a contrario menac du bcher .

    Un dernier document va encore accentuer nos constatations. Enfvrier 1816 on discutait Weimar la question de savoir s'il fallait nommerSchelling professeur de philosophie l'Universit de Ina. Goethe qu'on neconsulta pourtant que pour un avis trancha en dfaveur de Schelling bien

    que son c ur pe nc h t en fait po ur lui. Son ar gu me nt pr inc ipal tait lesuivant: Si, en tant que vieil ami, il m'avait demand conseil, j 'auraisrpondu : N'as-tu pas au moins appris de notre vieux seigneur et maitreBenedictus Spinoza que nous et nos pairs ne prosprons que dans la tran-quillit et dans le silence. Si le prince lecteur du Palatinat avait octroy ce

    juif inte ll igen t la totale libert de professer sa doctrine Heidelberg, 1'auteurdu Tractatus theologico-politicus lui aurait rpondu : Votre Altesse Srnissime,vous ne pouvez pas faire cela, car la libert de professer contre ce qui existene peu t avoir que deux consq uen ces : soit je renverse votre systme tabli ,soit j'en serai expuls honte useme nt. Si on consultait Benedic tus chez nouset si on lui soumettait les dossiers, il nous citerait 1'exemple de Fichte quenous avons nomm, avec une audace semblable celle qui rgne actuelle-ment, sans pouvoir le maintenir son poste. 3 Fichte fut en effet dmis deses fonctions de professeur en 1799 cause de la controverse sur 1'athisme.Goet he se rfre la co rre spo ndanc e en tre J. L. Fabritiu s et Spin ozade 1673. Fabritius en tant que porte-parole du prince lecteur crivit Spi-

    1. Jo ha nn Wolfgang von Goeth e, Posie et vrit, loc. cit., p. 409-410. Traduction douteuse

    modifie par nos soins.2. B III, p. 477 et 688. Le commentaire de Trunz qualifie ce passage de crypto-politique .Pou rqu oi cryp to ?

    3. B III, p. 342-343 et 642-643.

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    noza : Vous aurez la plus grande libert de philosopher, libert dont lePrince croit que vous n'abuserez pas pour troubler la religion officiellementtablie. 1 Spinoza refusa l'offre par les arguments suivants: ... j'ignoredans quelles limites ma libert de philosopher devrait tre contenue pourque je ne parusse pas vouloir troubler la rehgion tablie : la dissension reli-gieuse, en effet, provient moins d'un zle religieux ardent que des passionsdiverses ou de l'amour de la contradiction qui dtourne de leur sens etcondamne toutes les paroles, mme quand elles sont 1'expression d'une

    pense droite. (...) Ce qui m'arrte, ce n'est pas du tout 1'espoir d'une for-tune plus haute, mais l'amour de ma tranquilht... 2 Il est noter queGoethe transforme la religion tabhe en systme (tat) tabli (sanktio-nierter Zustand). Une chose est sre : ia doctrine de Spinoza est peruecomme un danger pour les institutions tabhes mme par un Prince favo-rable aux esprits suprieurs (Fabritius) et dont tous admirent la sagesse (Spinoza). C'est pour prserver sa tranquilht que Spinoza veuts'abstenir de toute leon publique .

    Le problme qui est pos ici est d'importance. Il s'agit de la libert

    pubhque que Kant avait dfinie dans Was istAufklrung?.Goethe semblepencher vers une conception trs restrictive de la libert de philosopher .Dans la vie sohtaire et prive - 1'expression est de Spinoza cette libertest permise ; elle risque de devenir pernicieuse, une fois octroye parexemple aux tudiants des Universits de Heidelberg ou de Ina.

    Un examen sans prjugs des tmoignages jusqu'ici runis conduira la conclusion que le spinozisme de Promthe n'est pas chercherdans la proclamation directe du credo Hen kai pan - celui-ei se manifeste ouvertement et largement dans la posie de Goethe en gnral - mais

    dans la consquence que Goethe en a tire, c'est-a-dire dans la destructionde la conception orthodoxe, transcendante (extramundan) et anthropo-morphe de Dieu. Spinoza s'tait dja moqu du fait que les dfenseurs de1'ide d'un Dieu personnel n'taient pas capables de trouver une autrereprsentation de lui que celle du pouvoir absolu d'un Prince.

    La deuxime strophe de 1'hymne Promthe contient bien unedynamite particulire. Elle semble anticiper le regard de Heine, Feuerbach,Marx et Freud. Elle est dicide et donc - ce que Goethe dit de manire peine voile en 1816 et 1820 - potentiellement rgicide. La doctrine de Spi

    noza renverserait le systme tabli fond sur une rehgion tablie .C'est plus qu'une ironie de1'histoire httraire que Goethe ait publiquasi-ment contraint la lubie incendiaire de jeunesse pour la premire foissous son propre nom en 1789 et qu'il ait aprs le Congrs de Vienne et leretour de1'Ancien Rgime voque consciemment le danger que le culte deDieu de1'Athe reprsentait pour le pouvoir de droit divin.

    Ceci constitue unefacette indniable du spinozisme de Goethe. Elletouche directement aux tats secrets de ses contemporains, c'est-a-dire

    1.Spinoza,loc. cit,p. 1227.

    2. Ibid.,p. 1228.

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    la question de la foi religieuse. Mais la controverse autour de Spinozade 1785 a galement fourni Goethe 1'occasion de tirer des consquencespotiques et scientifiques de la philosophie de Spinoza. Ce n'est pas notrepropos de dcider ici si Goethe a compris ou mcompris la pense de Spinoza, mais ce qui nous importe, c'est seulement la plus grande connais-sance de soi qu'il a acquise grce cette lecture, et donc tout ce qu'il a puou cru trouver dans les crits de Spinoza.

    L'tuded'aprs Spinozade 1785 commence ainsi: L'ide de 1'tre et de

    la perfection est identique. 1

    Dilthey dit de cette tude : L'article sedroule jusqu' sa conclusion en suivant de prs l'thique de Spinoza , etil commente la premire phrase de la faon suivante : C et te vieillephrase indmontrable mais prenant assise sur la profondeur de la viecontient en elle seule la totalit du systme de Spinoza. Elle rend possiblele progrs qui mne d'erreurs conceptuelles mcanistes et naturalistes versun panthisme permettant la fondation d'une thique. 2 Pour appuyer sadmonstration Dilthey cite diverses propositions de l'thique. Il voit

    juste quand il conclut que cette phrase fondatrice dbouche dans la der-

    nire partie de l'tude de Goethe sur la perception esthtique. Avec Heineon est tent de le prouver par des exemples, donc de chercher dans unLied de Goethe un quivalent esthtique direct cette vision du spinozisme. Ils sont d'ailleurs faciles trouver. La parole du Dieu crateur de laGenese ( Cela tait trs bon ) devient dans le pomeLe fianc, Wie esauch sei das Leben, es ist gut et dans le lied de Lynce dans le deuximeFaust: Es sei wie es wolle, / Es war doch so schn !

    Mais il faut encore revenir sur l'poque des lectures intensives de Spinoza dans les annes 1784-1785 et sur les ractions de Goethe aux crits

    de Jacobi sur Spinoza. Peu de temps avant la parution du livre de Jacobi,Goethe crit celui-ci le 12 janvier 1785 : J'exerce mon esprit par la lecture de Spinoza, je le lis et le relis et j'attends impatiemment que la controverse autour de sa dpouille clate. 3 Par la suite Goethe insiste lourde-ment sur ses activits scientifiques qu'il appelle sa carrire nouvellemententame et il parle de l'os intermaxillaire et du crne d'lphant de Cas-sel. J'ai un microscope pret l'emploi et je ne veux ni ne peux raconterquels sont mes projets dans tous les rgnes de la Nature. A quoi corres-pond la profession de foi importante : Avant d'crire la moindre syllabe

    sur la mtaphysique, il faut que j 'aie men bien mes tudes de phy-sique. 4 L'existence, c'est Dieu , crit-il le 11 juin 1785 Jacobi pourajouter: Pardonne-moi de prfrer le silence quand il est question d'untre divin que je ne reconnais que dans et partir des res singulares. Per-sonne d'autre que Spinoza ne peut mieux encourager leur contemplationplus proche et plus profonde bien que toutes les choses particulires sem-

    1. HA XIII, p. 7.2. Dilthey, loc. cit., p. 409.3. B I, p. 470 et 745.

    4. Ibid., p . 470-471.

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    blent disparatre devant son regard. 1 Puis vient le reproche suivant: Tune fais qu'exposer sa doctrine dans un ordre diffrent, avec des mots diffrents, et il me semble que cela empche les ides les plus subtiles d'arriver leurs consquences suprmes.

    Pardonne-moi quin 'ai jama is eu deprtentions la pense mtaphysique, de ne t 'crire quemaintenant sibrivement, et rien de mieux. 2 O n

    sent ici combien cette lettre a cot Goethe. Il rsum finalement sonopposition Jacobi par uneformule habitu elleme nt attribue Paracelse : Ic i je suis dans lesmontagnes et je cherche le divin dans lesherbiset lapi-dibus 3 , donc dans lesres singularesnaturelles. Le 14 avril 1786, il insiste denouveau sur ses occupations scientifiques : Labotanique et le microscopesont actuellement mes ennemis principaux contre lesquels j e dois m ebattre et d'ajouter : Et to i, vieux metaphysicus, que fais-tu ? 4 La der-nire lettre de cette srie date du 5 mai 1786 et a pour objet le livre Frie-drich Heinrich Jacobi wider Mendelssohns Beschuldigungen betreffenddieBriefe ber

    die LehredesSpinoza. Le ton de Goethe es tdistant et ironique : J'ai lu tonpetit livre avec intrt mais pas avec joie. Il reproche Jacobi le caractre polmique de son crit et conclut : Tu es trs enviable bien desgards ! Maison, ferme et Pempelfort, richesse et enfants, sceurs et amis etun long pppp 5 . Pa r contre, Dieu t 'a puni en faisant de toi un mtaphysi-cien et t'a mis une charde dans la cha i r ; il m'a combl avec la physiqueafin qu e je m e complaise dans la contemplation de ses ceuvres dont parailleurs il m'a fort peu pourvu.

    Par ailleurs tu es un homme bon, puisqu'on peut tre ton ami sans

    partager tes opinions ; en effet, j'ai appris de nouveau de ton petit livrequel abme nous spare. Quand tu dis que 1'on ne peut que croire en Dieu,je te dis que je m'en tiens la contemplation. Et quand Spinoza parle de lascientia intuitiva et dit: "Hoc cognoscendi genus procedit ab adaequata ideaessentiae formalis quorundam Dei attributorum ad adaequatam cognitio-nem essentiae rerum" 6 ces quelques paroles me donnent le courage deconsacrer toute ma vie la contemplation des choses que je peux atteindre

    1. B I, p. 475-476.2. Ibid., p. 476 et 748.

    3. Ibid.L a devise I n Verbis In Herbis Et In Lapidibus Salus ( Le salut es tdans les paroles, les herbes et les pierres ) se trouve sur une nature morte de Ludger torn Ring leJeune . Enretranchant Verbisde cette devise, Goethe se comp ort e co mme Fau st face au verbiage scolas-tique. Il est noter que Goethe se sert de manire parodique de cette devise en la mettant dans labouche du comte Rostro dans sa comdie Le Grand Cophta, acte III, scne 9. C'est surtout le verbe fallacieux de Cagliostro (et accessoirement celui de Lavater quiprend au srieux le mys-tificateur dnonc p a r Goethe) qui est vis. En revanche, la rduction de la devise la nature esttout un programme dirig contre le verbe mtaphysique .

    4. B I, p. 504-505.5. pp pp ( norma lemen t limit 2 p) signifie : perge, perge, perge, perge = cont i

    nue = etc..6. En latin dans le texte. Il s'agit de la dmonstration de la proposition XXV de la cin-

    quime partie de l'Ethique: L e troisime genre de connaissance progresse de 1'ide adquate decertains attributs de Dieu jusqu' la connaissance adquate de 1'essence de s choses (Spinoza, loc.cit, p . 583). Le terme essentiaformalis est un ajout de Goethe.

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    et de l'essentia formali desquelles je peux esprer me faire une ide adquatesans pour le moins du monde me soucier jusqu'ou je parviendrai et ce quim'est imparti. 1 Il va de soi que Goethe suppose ici comme connue laproposition XXIV: Quo magis res singulares intellegimus, eo magis

    Deum intellegimus ( Et plus nous comprenons les choses de cette facon,plus nous comprenons Dieu ) 2 .Il s'agit maintenant de tirer quelques conclusions partir de ce mat-

    riau qu'on pourrait complter de diverses manires, en particulier partirde maints passages connus de Posie et vrit3. Que la connaissance de laNature peut mener la connaissance de Dieu est un lieu commun. Maisqu'elle soit en elle-mme connaissance de Dieu entrane un changementde perspective fondamental, car la proposition de Goethe signifie en ralitque science de la Nature gale connaissance et culte de Dieu . Il a

    donc totalement raison de voir dans 1'attitude de Jacobi une antithse sapropre conception de la Nature et de Dieu.L'usage que Goethe fait de Spinoza pour asseoir sa conception des

    sciences naturelles est fort proche du monisme de Haeckel. Il n'est passans intrt non plus de constater que Goethe compte parmi les hommesqui auraient eu la plus grande emprise sur lui, outre Shakespeare et Spinoza, le botaniste Linn 4.

    Le spinozisme de Goethe ne se limite pas aux aspects dvelopps danscette tude. Il possde galement une dimension potique omniprsente

    qui nous permet d'affirmer que 1'ide mme du symbole goethen estla consquence de son spinozisme. Car le symbole tel que Goethe1'entend n'est possible qu'1'intrieur d'une vision spinoziste de la nature 5.

    Universit de Paris III - SorbonneNouvelleInstitut d'allemand d'Asnires

    94, avenue des Grsillons92600 Asnires

    1. B I, p. 508-509 et 758.2. Spinoza, loc. cit., p. 582. La facon dont Goethe interprte les res singulares [B I, p. 477) est

    nave et contraire a la mthode moregeometrico de Spinoza. Voir le commentaire B I, p. 758.Nadler, loc. cit, p. 131, voit dan s les activits scientifiques de Goe the u n tou rna nt mor tua ire versle monde minral et la structure de la terre .

    3. Spinoza apparat dans Posieetvrit dans la partie III, liv. 14, et dans la partie IV, liv. 16.4. BIII, p. 376. Lettre a Zeiter du 7 nov emb re 1816. Goe the y cite gale ment le testam ent

    deJean :Kindlein Hebt euch... . Est-ce un hasard ou une association provoque par le nom de Spinoza ?

    5 Le point de dpart est fourni par un passage de Posie et vrit (IV, 16): J'tais parvenu aregarder comme appartenant entirement ma nature le talent potique qui habitait en moi,d'autant plus que j 'tais conduit considrer la nature extrieure comme son objet (trad. deP. du Colombier, loc. cit, p. 430).