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RÉGIE DES MARCHÉS AGRICOLES ET ALIMENTAIRES DU QUÉBEC Dossiers : 174-09-01-20 174-09-01-21 Décision : 11421 Date : 22 juin 2018 Rectifiée : 23 juillet 2018 Président : Gaétan Busque Régisseuses : Diane Vincent Lucille Brisson OBJET : Demande de l’Association des abattoirs avicoles du Québec inc. quant à l’avis de retrait des Éleveurs de volailles du Québec du Protocole d’entente entre les Chicken Farmers of Ontario, les Éleveurs de volailles du Québec, l’Association of Ontario Chicken Processors et l’Association des abattoirs avicoles du Québec inc.; et, Demande d’arbitrage de la Convention de mise en marché du poulet ÉLEVEURS DE VOLAILLES DU QUÉBEC et L’ASSOCIATION DES ABATTOIRS AVICOLES DU QUÉBEC INC. Organismes demandeurs Et ASSOCIATION OF ONTARIO CHICKEN PROCESSORS Mis en cause ATTENDU QUE la Décision 11421, rendue par la Régie le 22 juin 2018, comporte des erreurs matérielles à la dernière page quant à l’écriture du prénom de M e Delwaide et quant à l’absence du nom des parties représentées par les procureurs; ATTENDU QUE la Régie a, le 23 juillet 2018, rectifié la Décision pour tenir compte de ces erreurs matérielles; PAR CONSÉQUENT, les modifications apportées apparaissent en caractères gras et italiques dans la Décision rectifiée qui se lit comme suit : DÉCISION

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RÉGIE DES MARCHÉS AGRICOLES ET ALIMENTAIRES DU QUÉBEC

Dossiers : 174-09-01-20 174-09-01-21

Décision : 11421

Date : 22 juin 2018

Rectifiée : 23 juillet 2018

Président : Gaétan Busque

Régisseuses : Diane Vincent Lucille Brisson

OBJET : Demande de l’Association des abattoirs avicoles du Québec inc. quant à l’avis de retrait des Éleveurs de volailles du Québec du Protocole d’entente entre les Chicken Farmers of Ontario, les Éleveurs de volailles du Québec, l’Association of Ontario Chicken Processors et l’Association des abattoirs avicoles du Québec inc.; et, Demande d’arbitrage de la Convention de mise en marché du poulet

ÉLEVEURS DE VOLAILLES DU QUÉBEC

et

L’ASSOCIATION DES ABATTOIRS AVICOLES DU QUÉBEC INC.

Organismes demandeurs

Et

ASSOCIATION OF ONTARIO CHICKEN PROCESSORS

Mis en cause

ATTENDU QUE la Décision 11421, rendue par la Régie le 22 juin 2018, comporte des erreurs matérielles à la dernière page quant à l’écriture du prénom de Me Delwaide et quant à l’absence du nom des parties représentées par les procureurs;

ATTENDU QUE la Régie a, le 23 juillet 2018, rectifié la Décision pour tenir compte de ces erreurs matérielles;

PAR CONSÉQUENT, les modifications apportées apparaissent en caractères gras et italiques dans la Décision rectifiée qui se lit comme suit :

DÉCISION

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TABLE DES MATIÈRES

LE CONTEXTE .......................................................................................................................... 3

QUESTIONS EN LITIGE ............................................................................................................ 4

L’ANALYSE ................................................................................................................................ 4

LA JURIDICTION ET LES POUVOIRS DE LA RÉGIE ............................................................... 5

- La juridiction de la Régie concernant l’avis de retrait du Protocole donné par les Éleveurs .................................................................................................................... 5

- Les pouvoirs de la Régie en vertu de sa loi constituante ........................................... 9

- Le pouvoir de la Régie de prévoir des VAG dans une convention de mise en marché arbitrée ................................................................................................................... 14

- L’Entente du Nouveau-Brunswick ........................................................................... 16

MAINTIEN OU ABOLITION DES VAG HARMONISÉS – POSITION DES PARTIES ............... 17

- Les Éleveurs : abolition des VAG harmonisés et marché libre de l’approvisionnement de poulets vivants destinés à l’abattage .................................................................. 17

- L’AAAQ : maintenir les VAG et leur harmonisation avec l’Ontario ........................... 34

- L’AOCP : maintenir les volumes d’approvisionnement garantis, harmonisés entre le Québec et l’Ontario ................................................................................................. 50

DÉCISION ................................................................................................................................ 55

- Le contexte national canadien : l’allocation nationale est déterminée en fonction des conditions de marché, et largement par consensus ................................................ 57

- Le contexte québécois : tenir compte du marché du Canada central et maintenir la position du Québec dans la production canadienne du poulet................................. 59

- Deux visions : les VAG harmonisés et le marché libre de l’approvisionnement de poulets destinés à l’abattage ................................................................................... 63

- Conclusion .............................................................................................................. 72

- Des dispositions spécifiques de la Convention ........................................................ 73

ANNEXE – SENTENCE ARBITRALE TENANT LIEU DE CONVENTION DE MISE EN MARCHÉ DU POULET

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LE CONTEXTE

[1] Le 30 septembre 2015, les Éleveurs de volailles du Québec (les Éleveurs) informent la Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec (la Régie) qu’ils dénoncent, à L’Association des abattoirs avicoles du Québec inc. (l’AAAQ), la sentence arbitrale tenant lieu de Convention de mise en marché du poulet (la Convention).

[2] Le 24 février 2016, les Éleveurs avisent l’AAAQ, les Chicken Farmers of Ontario (CFO) et l’Association of Ontario Chicken Processors (AOCP) de leur intention de mettre fin au Protocole d'entente entre les Chicken Farmers of Ontario, les Éleveurs de volailles du Québec, l’Association of Ontario Chicken Processors et l’Association des abattoirs avicoles du Québec inc. (le Protocole), daté du 26 janvier 2011, à l'expiration du préavis d'un an tel qu’il est stipulé dans ce protocole.

[3] Le 26 avril 2016, l’AAAQ demande à la Régie d’intervenir à la suite de cet avis des Éleveurs relatif au Protocole, et de rendre les conclusions suivantes telles qu’elles ont été modifiées, le 8 juillet 2016 et le 24 janvier 2017, puis confirmées par écrit, le 10 février 2017 :

a) Prendre acte que l'avis de dénonciation du 24 février 2016 est inopposable à la Régie, à l'AAAQ, aux CFO et à l'AOCP et n'a pas pour effet de déclencher l'application de l'article 16.02 de la Convention de mise en marché et ordonner aux parties à la Convention de mise en marché d'agir en conséquence;

b) Ordonner aux Éleveurs de suspendre la date d'entrée en vigueur de leur dénonciation en date du 24 février 2016 tant que la Convention de mise en marché du poulet inclut un système de garanties d'approvisionnement;

c) Toute autre conclusion que la Régie trouve appropriée dans les circonstances.

[4] À la demande des Éleveurs et de l’AAAQ, le 12 septembre 2016, La Régie désigne un conciliateur en vue d’aider les parties à en arriver à une entente.

[5] Le 5 décembre 2016, vu que la conciliation n’a pas permis aux parties de conclure une entente, les Éleveurs demandent à la Régie d’arbitrer la Convention.

[6] Le 12 décembre 2016, la Régie reçoit une demande d’intervention de l’AOCP dans le litige et l’autorise par sa Décision 11156 du 6 janvier 2017.

[7] La séance publique de la Régie se tient sur 44 jours, entre le 24 janvier 2017 et le 26 janvier 2018 et permet aux Éleveurs, à l’AAAQ et à l’AOCP dans les limites de la Décision 11156, de faire valoir leurs observations à l’intérieur d’un cadre établi, en très grande partie, par consensus entre les parties concernées.

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QUESTIONS EN LITIGE

[8] Les principales questions que la Régie doit trancher sont les suivantes :

- La Régie a-t-elle juridiction pour intervenir concernant la décision des Éleveurs de se retirer du Protocole? Si oui, est-il opportun d’intervenir?

- La Régie a-t-elle juridiction pour imposer des volumes d’approvisionnement garantis (VAG) aux acheteurs de poulets vivants par arbitrage d’une convention de mise en marché, lorsque l’une des parties n’y consent pas?

- Est-il opportun pour la Régie d’introduire dans la Convention, le marché libre des approvisionnements de poulets vivants destinés à l’abattage, tel que le proposent les Éleveurs, ou bien est-il opportun de maintenir les VAG harmonisés avec l’Ontario, tel que le propose l’AAAQ?

- En plus de répondre à ces questions, la Régie devra arbitrer les autres conditions de la Convention sur lesquelles les parties sont en désaccord.

L’ANALYSE

[9] La Régie ne peut être en accord avec la position défendue par les Éleveurs de mettre en place, au Québec, un marché libre au niveau de l’approvisionnement de poulets vivants destinés à l’abattage.

[10] La preuve soumise par les parties permet à la Régie de conclure qu’il est opportun, pour une mise en marché efficace et ordonnée du poulet dans le cadre de l’application du Plan conjoint des Éleveurs de volailles du Québec1 (le Plan conjoint), de maintenir dans la Convention des règles particulières concernant l’attribution des VAG aux abattoirs et l’harmonisation de ces règles avec l’Ontario.

[11] Dans les prochains paragraphes, nous traiterons de la juridiction de la Régie pour intervenir à l’encontre de la décision des Éleveurs de se retirer du Protocole et de prévoir, par sentence arbitrale tenant lieu de Convention, les règles d’attribution des volumes d’approvisionnement. Nous examinerons ensuite la position des parties concernant le maintien ou l’abolition des volumes d’approvisionnement garantis, harmonisés avec l’Ontario (VAG harmonisés)2. Puis, nous terminerons par l’analyse concernant l’opportunité de maintenir le Protocole et les VAG harmonisés entre le Québec et l’Ontario.

[12] Enfin, nous disposerons des autres aspects de la Convention qui ont fait l’objet du présent arbitrage. Est jointe en annexe la Sentence arbitrale tenant lieu de Convention applicable à compter de la période de production A 154, et qui demeure en vigueur pour une durée de trois ans.

1 RLRQ, chapitre M-35.1, r. 290.

2 Bien que la Régie a examiné l’ensemble de la preuve, il ne s’agit pas d’un résumé de tous les

témoignages ou de tous les documents déposés en preuve, la Régie s’étant limitée à faire référence aux éléments saillants, sans répéter ce qui a pu faire l’objet de plusieurs témoignages ou plusieurs pièces.

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LA JURIDICTION ET LES POUVOIRS DE LA RÉGIE

[13] Les Éleveurs soulèvent deux questions de nature juridictionnelle. Ils soumettent que la Régie n’a pas juridiction pour intervenir concernant son retrait du Protocole. Ils affirment également qu’elle n’a pas juridiction pour imposer des VAG par arbitrage dès lors qu’ils s’y opposent. Nous traiterons d’abord de la juridiction de la Régie pour intervenir dans la décision des Éleveurs de mettre fin au Protocole.

[14] Nous avons vu plus haut que l’AAAQ demande à la Régie d’intervenir dans la décision des Éleveurs. Elle soumet que l’avis de dénonciation transmis le 24 février 2016 lui est inopposable de même qu’à la Régie, aux CFO et à l'AOCP et n'a pas pour effet de déclencher l'application de l'article 16.02 de la Convention.

[15] Elle allègue de plus, au paragraphe 451 de son mémoire A 1, que les Éleveurs n’ont pas le droit de mettre fin au Protocole dans les circonstances de l’espèce. Au paragraphe 452, elle ajoute que s’ils ont ce droit, ils l’ont exercé d’une manière abusive, déraisonnable ou contraire aux exigences de la bonne foi, en contravention avec les règles de droit applicables en matière de droit des contrats.

[16] De plus, selon elle, les pouvoirs dévolus à la Régie en vertu des articles 1, 5, 26, 28, 43 et 117 de la Loi sur la mise en marché des produits agricoles, alimentaires et de la pêche3 (la Loi), lui permettent de « revoir » la décision des Éleveurs de mettre fin à l’harmonisation des garanties d’approvisionnement au Québec (et au Canada central)4.

[17] De leur côté, les Éleveurs soumettent qu’ils peuvent se retirer du Protocole sans aucun droit de regard de la Régie, parce que le Protocole concerne le commerce interprovincial qui serait en dehors des pouvoirs constitutionnels de la Régie.

- La juridiction de la Régie concernant l’avis de retrait du Protocole donné par les Éleveurs

[18] Les Éleveurs, dans le paragraphe 57 de leur argumentation, sous le titre : Limites constitutionnelles des pouvoirs de la Régie et le sous-titre Délégation de pouvoirs aux Éleveurs de Volailles du Québec, précisent leur position :

57. La délégation autorise les ÉVQ (Éleveurs) – et non la Régie – à attribuer et administrer les contingents fédéraux sur le marché interprovincial et de l’exportation conformément au Règlement canadien sur le contingentement de la commercialisation des poulets, DORS/90-556, et aux règles applicables dans la province en cette matière.

[19] Selon les Éleveurs, ils auraient seuls un rôle à jouer dans le cadre de cette délégation d’attribuer et d’administrer les contingents fédéraux sur le marché interprovincial et d’exportation, ce qui exclurait la Régie.

[20] La Régie ne peut être en accord avec la position des Éleveurs qui les amène à conclure à son absence de juridiction pour intervenir dans leur décision de se retirer du Protocole. En effet,

3 RLRQ, chapitre M-35.1.

4 Mémoire de l’AAAQ, Pièce A 1, paragraphe 453.

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une lecture des textes législatifs et des arrêts de principe5 concernant la délégation dont il s’agit, en l’espèce, ne permet pas une telle affirmation. Cette délégation ne s’inscrit pas dans un vide législatif provincial comme la position des Éleveurs le suppose.

[21] Les contingents fédéraux doivent être administrés conformément aux « règles applicables dans la province en cette matière » comme l’écrivent eux-mêmes les Éleveurs. On reconnaît d’ailleurs dans la formulation qu’ils ont adoptée au paragraphe 57, la position de la Cour suprême dans Pelland.

[22] La Régie constate que les Éleveurs omettent de considérer tous les aspects de la délégation dont ils bénéficient notamment l’assujettissement à la Loi, alors que dans chacun des arrêts qu’ils citent, le tribunal a pourtant reconnu l’étendue du cadre législatif dans lequel s’inscrit la délégation6.

[23] Dans l’arrêt Pelland, qui concerne aussi le plan conjoint de la volaille, les paragraphes introductifs du jugement sont clairs concernant l’encadrement législatif provincial à l’intérieur duquel devra s’inscrire le pouvoir délégué. Citons les paragraphes 4, 6 et 10 :

(4) Pour assurer une commercialisation efficace des poulets et un approvisionnement régulier de ce produit au consommateur canadien, l’Accord fédéral-provincial vise à établir un régime de réglementation harmonieux dans lequel sont incorporées les compétences législatives des deux ordres de gouvernement. Les composantes fédérale et provinciale du programme ont pu être intégrées par application du par. 22(3) de la Loi sur les offices des produits agricoles, L.R.C. 1985, ch. F-4, qui habilite l’office fédéral de commercialisation à autoriser un organisme provincial à remplir toute fonction qui lui est attribuée en matière de commerce interprovincial ou d’exportation du produit réglementé. (…..) L’office fédéral a délégué ses pouvoirs à l’organisme provincial de commercialisation du poulet, la Fédération des producteurs de volailles du Québec (« Fédération »), en vertu de la Délégation de pouvoir par l’Office canadien de commercialisation des poulets en matière de contingentement, C.P. 1991-1090, 13 juin 1991 (« Délégation de pouvoir »), laquelle autorise l’organisme provincial à attribuer et administrer les contingents fédéraux conformément au Règlement canadien sur le contingentement de la commercialisation des poulets (1990), DORS/90-556, et aux règles applicables dans la province en cette matière

7.

(nos soulignements)

[24] Et la Cour poursuit :

(6) Au Québec, ce sont la Loi sur la mise en marché des produits agricoles, alimentaires et de la pêche, L.R.Q., ch. M-35.1, et le Règlement sur la production et la mise en marché du poulet, R.R.Q., ch. M-35.1, r. 13.2, qui forment la composante provinciale du programme dont la constitutionnalité est contestée en l’espèce. Le Plan conjoint des producteurs de volailles du Québec, R.R.Q., ch. M-35, r. 126, a été adopté en 1971 en vertu de ce qui est maintenant l’art. 45 de la loi provinciale. Administré par la Fédération, il régit la production et la mise en marché du poulet au Québec

8.

[…]

5 Renvoi relatif à la Loi sur l’organisation du marché des produits agricoles, (1978) 2 R.C.S. 1198

(Renvoi sur les œufs) Fédération des producteurs de volailles c. Pelland, (2005) 1 R.C.S. 292 et Grenier c. Fédération des producteurs acéricoles du Québec, 2016, QCCA 1203. 6 Argumentation des Éleveurs, paragraphes 52 à 59.

7 Voir note 5.

8 Voir note 5.

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(10) Ainsi, le programme fédéral-provincial combine en un seul organisme, à savoir la Fédération, la compétence provinciale en matière de production et de commercialisation intraprovinciale et la compétence fédérale en matière de commercialisation extraprovinciale. Les contingents fédéraux et provinciaux sont harmonisés afin que la quantité totale de poulets produits au Canada ne dépasse pas le total national convenu pour la commercialisation.

(notre soulignement)

[25] Étant donné la position des Éleveurs, il devient nécessaire de souligner que dans Pelland, sur l’autorisation de pourvoi, la question constitutionnelle qui avait été formulée par l’honorable juge McLachlin était la suivante :

1. La Loi sur la mise en marché des produits agricoles, alimentaires et de la pêche, L .R .Q., ch. M-35.1, et le Règlement sur la production et la mise en marché du poulet, R.R.Q. ch. M-35.1, r. 13.2, s’appliquent-ils ex proprio vigore, d’une manière conforme à la Constitution, pour contingenter la production de poulets destinés en exclusivité au marché interprovincial? (par. 14).

[26] Rappelons que la réponse qui a été donnée à la question se trouve au paragraphe 44 de l’arrêt et qu’elle ne souffre d’aucune ambiguïté :

44. Par conséquent, la réponse à la première question constitutionnelle est affirmative c’est-à-dire que la loi provinciale est constitutionnelle et peut avoir pour effet de limiter la production de poulets destinés exclusivement au marché interprovincial.

9

[27] Pour ajouter à notre analyse, rappelons les termes du paragraphe 2.05 de l’Accord fédéral-provincial de 2001 sur le poulet (Accord de 2001) où il est prévu la participation active des régies provinciales dans la mise en œuvre et l’application de la délégation :

2.05 Les PPC, chaque régie provinciale et chaque office de commercialisation provincial conviennent, dans le cadre de leur propre compétence et conformément aux pouvoirs qui leur sont délégués :

a) d’exercer les pouvoirs législatifs ou de collaborer à l’exercice de ceux-ci en ce qui a trait à la promulgation des plans de commercialisation, des règlements ou des ordonnances qui sont nécessaires pour mettre en œuvre et maintenir le présent Accord; et

b) de collaborer à l’établissement d’accords et de politiques ou d’établir les accords et les politiques qui sont nécessaires pour mettre en œuvre et maintenir le présent Accord.

(nos soulignements)

[28] Aussi, toujours dans Pelland, notons le paragraphe 37 :

La composante législative provinciale du programme fédéral-provincial de commercialisation du poulet n’a pas pour objet fondamental de fixer des contingents ou des prix à l’égard de produits d’exportation ou de régir le commerce interprovincial ou l’exportation. Comme dans le Renvoi sur les œufs, les dispositions législatives provinciales en l’espèce ont pour but d’établir des règles permettant d’organiser la production et la mise en marché du poulet au Québec et de contrôler la production de poulets afin d’assurer le respect des engagements provinciaux pris dans le cadre de l’accord de coopération

9 Voir note 5.

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fédéral-provincial. L’effet qu’elles peuvent avoir sur le commerce extraprovincial est accessoire.

(notre soulignement)

[29] Cette constatation peut être faite également dans le présent dossier, puisqu’il s’agit d’établir les règles de mise en marché qui seront applicables au Québec. La Régie retient qu’à l’égard d’un pouvoir valablement délégué aux Éleveurs, elle doit exercer sa pleine juridiction, soit celle prévue à sa loi constituante, sur tous les aspects relevant du pouvoir délégué. Dans le présent dossier elle doit le faire autant à l’égard de la mise en marché et la commercialisation que de la production.

[30] D’ailleurs les Éleveurs rappellent ceci au paragraphe 94 de leur argumentation : « Il convient de rappeler à ce stade que les Éleveurs ne cherchent pas à faire déclarer inconstitutionnelle la délégation administrative par les Producteurs de poulet du Canada (PPC) aux Éleveurs, ni remettent en question la compétence de la Régie d’entendre des questions ayant une dimension interprovinciale ».

[31] Or, nous savons que le présent arbitrage concerne les conditions de production et de mise en marché du poulet vivant entre les Éleveurs et l’AAAQ, laquelle représente les acheteurs de ce poulet. Ce pouvoir d’arbitrer de la Régie concerne le commerce intraprovincial et au plus, n’a qu’un effet accessoire sur le commerce interprovincial.

[32] Dans Pelland, en ce qui concerne les Éleveurs et le Plan conjoint qu’ils administrent, la Cour, au paragraphe 6 précité, fait aussi référence directement à la Loi, laquelle confie à la Régie toute une série de pouvoirs en plus de son rôle d’approbation et d’arbitrage.

[33] Comme reconnu dans Pelland, lorsque les Éleveurs exercent les pouvoirs délégués ils demeurent soumis aux règles prévues dans la Loi, incluant le pouvoir de la Régie de réviser leurs décisions ou encore d’arbitrer leur convention de mise en marché, et ce, à l’égard de toutes les matières sur lesquelles ils avaient une compétence pour agir.

[34] Rappelons également certains paragraphes de la Décision 9771, qui a conduit à la dernière convention de mise en marché du poulet et permis, pour les approvisionnements en poulets vivants des acheteurs, l’intégration dans cette convention des règles d’harmonisation avec l’Ontario. On peut lire :

[103] La Régie rappelle que les ÉVQ, l’un des signataires du Protocole sont, à titre d’office et conformément à l’article 65 de la Loi, l’agent de négociation des producteurs et l’agent de vente du produit visé par le Plan conjoint.

[104] Ils possèdent des pouvoirs et des devoirs qui doivent être exécutés dans les limites qu’imposent la Loi et ce plan conjoint.

[35] Les questions concernant l’étendue du pouvoir constitutionnel des Éleveurs et de la Régie ont été réglées par les tribunaux supérieurs. La Régie peut exercer les pouvoirs que la Loi lui accorde à l’égard de toutes les matières qui sont à l’intérieur de la compétence des Éleveurs dans les limites qu’impose la Loi. Ainsi donc, les pouvoirs de la Régie sur cette question sont ceux qu’elle détient en vertu de la Loi. Plus spécialement, en ce qui concerne la décision des Éleveurs de se retirer du Protocole, ça ne peut être que la Loi qui limite, ou mieux, définit sa compétence.

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[36] Nous l’avons vu les Éleveurs ne remettent pas en question la compétence de la Régie d’entendre des questions ayant une dimension interprovinciale. Il s’agit de cerner cette compétence pour ensuite l’exercer.

[37] Pour ces raisons la Régie rejette la prétention des Éleveurs selon laquelle elle n’a aucune compétence constitutionnelle pour se saisir de la demande d’intervention faite par l’AAAQ, à l’encontre de sa décision de se retirer du Protocole.

- Les pouvoirs de la Régie en vertu de sa loi constituante

[38] L’article 5 de la Loi confie des fonctions particulières à la Régie et les articles 26, 28, 43, 116 et 117 lui attribuent des pouvoirs :

5. La Régie a pour fonctions de favoriser une mise en marché efficace et ordonnée des produits agricoles et alimentaires, le développement de relations harmonieuses entre les différents intervenants, la résolution des difficultés qui surviennent dans le cadre de la production et la mise en marché de ces produits en tenant compte des intérêts des consommateurs et de la protection de l’intérêt public.

La Régie exerce les mêmes fonctions dans le cadre de la mise en marché des produits de la pêche.

26. La Régie peut résoudre les différends qui surviennent dans le cadre de l’application d’un plan conjoint ou du fonctionnement d’une chambre de coordination et de développement.

28. La Régie peut :

1° modifier, remplacer ou abroger une disposition d’un plan, d’un règlement, de l’acte constitutif d’une chambre ou d’une décision d’un office de producteurs ou de pêcheurs ou d’une chambre;

2° suspendre pour toute période qu’elle détermine l’application d’un plan, d’un règlement, d’une convention, de l’acte constitutif ou d’une décision d’une chambre ou d’une de leurs dispositions ou y mettre fin.

La Régie donne préalablement avis de la date et du lieu où elle recevra les observations des personnes intéressées.

Elle publie à la Gazette officielle du Québec un avis indiquant la décision qu’elle a prise en application du présent article.

43. La Régie peut, de son propre chef ou à la demande d’une personne intéressée, ordonner à un office ou à une personne engagée dans la production ou la mise en marché d’un produit visé par un plan, d’accomplir ou de ne pas accomplir un acte déterminé si elle constate que l’omission ou l’action risque d’entraver l’application de ce plan, d’un règlement, d’une convention homologuée ou d’une sentence arbitrale.

La Régie peut aussi décider de l’exigibilité d’une somme d’argent en application d’un plan, d’un règlement, d’une convention homologuée, d’une sentence arbitrale qui en tient lieu ou d’une décision qui tient lieu de sentence arbitrale et en ordonner le paiement.

Toute décision prise par la Régie en application des premier et deuxième alinéas peut être homologuée par la Cour supérieure sur demande de la Régie ou d’une personne intéressée et devient, après homologation, exécutoire comme un jugement de cette cour.

116. Si la conciliation n’a pas permis de parvenir à une entente, la Régie arbitre le différend à la demande de l’un des intéressés.

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La Régie peut établir un mode d’arbitrage différent si elle le juge opportun dans les circonstances; en ce cas, elle peut nommer un ou plusieurs arbitres et fixer le délai dont ils disposent pour rendre leur décision.

117. Une sentence arbitrale tient lieu de convention homologuée; elle est exécutoire à la date qui y est indiquée et lie les parties intéressées jusqu’à ce que, à la demande de l’une d’elles et après avoir donné aux autres l’occasion de présenter leurs observations, la Régie juge à propos d’en suspendre l’application, d’y mettre fin ou de la modifier.

Lorsque la Régie rend une sentence arbitrale, elle peut, à la demande de l’un des intéressés, imposer dans celle-ci une pénalité payable par toute partie liée par cette sentence qui ne se conforme pas aux obligations qui y sont contenues et prévoir l’utilisation de cette pénalité à des fins particulières. Elle peut en outre exiger le paiement d’un intérêt annuel au taux qu’elle fixe. Pour déterminer la pénalité, la Régie se base notamment sur le volume, la masse, la quantité ou la valeur du produit mis en marché ou la superficie cultivée ou exploitée.

[39] Compte tenu des pouvoirs que sa loi constitutive lui attribue et pour les motifs que nous exposons ci-après la Régie conclut qu’elle a le pouvoir de réviser, remplacer, modifier ou mettre fin à la décision prise par les Éleveurs de se retirer du Protocole.

[40] Dans l’affaire Ferme Avicole Laplante10, l’honorable juge Dalphond de la Cour d’appel, qui disposait d’une demande de permission d’en appeler, dresse le tableau suivant du domaine agricole et alimentaire au Québec à l’intérieur duquel et notamment dans le secteur avicole, la Régie détient un pouvoir de supervision :

Par. 2 : Le domaine agricole et alimentaire au Québec, comme ailleurs au Canada, est très encadré. Ainsi, ne peut y participer qui le veut et de la manière qu'il l'entend. Le libre marché n'est pas la règle choisie tant par le Parlement que par les législateurs provinciaux, qui sont d'avis qu'il en va du meilleur intérêt de tous que la production et la commercialisation des produits agricoles et alimentaires, dont les poulets, se fassent selon des règles préétablies et sous la supervision d'offices et de régies.

Par. 3 : Au Québec, il existe des « plans conjoints » s'imposant aux producteurs et aux acheteurs, des offices de producteurs et un organisme de supervision, la Régie. [….]

(notre soulignement)

[41] Concernant la mission de la Régie, telle que définie par la Cour d’appel, à l’égard de la mise en marché et de la commercialisation du poulet au Québec, il poursuit :

Par. 17 : La Régie s'est vue confier, d'après notre jurisprudence, une mission d'intérêt public, soit celle de vérifier et d'approuver les règles selon lesquelles s'opèrent les rapports entre les producteurs et les acheteurs dans les secteurs qui sont soumis à des « plans conjoints ». Contrairement à l'affaire Nadeau Ferme Avicole Limitée c. Commission des produits de ferme du Nouveau Brunswick et al., 2009 A. N.-B. n

o 277 (C.A.), 2009 NBCA

48 (CanLII), où la Cour d'appel néo-brunswickoise a conclu que la commission ne s'était pas vu confier le pouvoir d'émettre des ordonnances d'approvisionnement, il n'est pas mis en doute ici que la Régie et l'office ont le pouvoir de prescrire des règles en matière non seulement de production, mais aussi de commercialisation des poulets, qui lient tous les producteurs québécois.

(notre soulignement)

10

Ferme avicole Laplante ltée c. Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec, 2010 QCCA 1593.

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[42] Le pouvoir de contrôle et d’intervention que détient la Régie sur les décisions des offices, a été ainsi décrit par la Cour d’appel dans l’arrêt Mouvement de la relève laitière établie inc. c. Fédération des producteurs de lait du Québec, J.E. 2001-389 (C.A.) :

(31) Malgré un vaste pouvoir réglementaire conféré à un office, en l’espèce à la Fédération, dans le cadre de l’application d’un plan conjoint, rien ne permet d’affirmer que ce pouvoir est absolu et que les pouvoirs de la Régie sont restreints par ceux de la Fédération. Bien au contraire si l’on analyse dans son ensemble la Loi dont le but est d’organiser de façon ordonnée la production et la mise en marché des produits agricoles et alimentaires.

(32) La Régie a pour fonction de favoriser une mise en marché efficace et ordonnée des produits et le développement de relations harmonieuses entre les différents intervenants (art. 5). À cette fin, la Régie a les pouvoirs d’un organisme de régulation, dont celui, déterminant, stipulé au début de l’article 28 :

28. La Régie peut :

1° modifier, remplacer ou abroger une disposition d’un plan, d’un règlement, de l’acte constitutif d’une chambre ou d’une décision d’un office de producteurs ou de pêcheurs ou d’une chambre;

2° suspendre pour toute période qu’elle détermine l’application d’un plan, d’un règlement, d’une convention, de l’acte constitutif ou d’une décision d’une chambre ou d’une de leurs dispositions ou y mettre fin.

[…]

(33) Ce pouvoir de modifier un règlement pris par un office, que la Régie peut exercer de sa propre initiative et sans autre restriction que la compatibilité avec l’objet de la loi, n’est pas limité quand, comme en l’espèce, la Fédération lui demande d’approuver un règlement.

(55) En l’espèce, la Régie a utilisé le vaste pouvoir dont elle bénéficie dans le cadre de l’approbation d’un règlement. Dans l’exercice du pouvoir qui lui est conféré par l’article 101, elle pouvait, de son propre chef et sans autre restriction que la compatibilité du règlement avec l’objet de la loi et, sans doute, avec le but poursuivi, modifier le projet de règlement que lui avait soumis les Éleveurs avant de procéder à son approbation et à sa publication pour fins de mise en vigueur. Le pouvoir d’approbation de la Régie emporte ici le pouvoir de modification.

(notre soulignement)

[43] Retenons que les pouvoirs d’un office dans un domaine ne restreignent d’aucune façon ceux de la Régie, dans le même domaine. C’est dans la Loi elle-même que la Régie puise ses pouvoirs sur toute matière relevant de l’office.

[44] Plus précisément concernant l’article 28 de la Loi, dans les notes explicatives du ministre on peut lire :

Cette disposition reprend les dispositions qu’il y avait à l’article 81 du chapitre précédent, qui permet à la Régie d’intervenir radicalement dans l’application et l’administration d’un plan et d’une chambre, d’un règlement, d’une convention ou d’une décision pour les suspendre et y mettre fin pour toute cause qu’elle estime valable

11.

11

Notes explicatives du ministre, 1990, c. 13, article 28.

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[45] Les pouvoirs, prévus à l’article 28, lorsque situés dans le contexte des autres pouvoirs prévus aux articles 26, 116 et 117, et considérés dans le cadre des fonctions particulières dévolues à la Régie par l’article 5, permettent de conclure qu’en vertu de sa loi constituante, la Régie a le pouvoir de réviser une décision prise par un office de producteurs qui découle de l’exercice de l’un de ses pouvoirs, incluant le pouvoir de suspendre ou mettre fin à une décision qu’il a prise. En vertu de l’article 43, la Régie peut également ordonner à un office d’accomplir ou de ne pas accomplir un acte déterminé si elle constate que l’omission ou l’action risque d’entraver l’application d’une sentence arbitrale ou d’un plan conjoint.

[46] Notons de plus que le Protocole prévoit l’adoption de règlements par chacune des parties pour refléter leur intention. Comme nous venons de le voir, la Régie a juridiction sur le contenu de tout règlement adopté par les Éleveurs en lien avec ce protocole et elle a exercé cette juridiction dans sa Décision 985412.

[47] Le Protocole prévoit que l’une ou l’autre des parties peut y mettre fin en signifiant un avis de retrait. Toutefois, dans le présent dossier la décision de mettre fin au Protocole est une décision unilatérale de l’office québécois chargé de l’application du Plan conjoint, visé par une sentence arbitrale tenant lieu de convention de mise en marché homologuée et qui, à ces titres, est soumis au pouvoir de supervision de la Régie. Aucun des autres signataires n’a manifesté l’intention de se retirer.

[48] Non seulement aucun des autres signataires n’a manifesté son intention d’y mettre fin, mais l’AOCP est intervenue et plaide pour son maintien. Les CFO, le pendant ontarien des Éleveurs, se sont abstenus d’intervenir et n’ont été appelés à témoigner par aucune des parties.

[49] Avant que le Protocole ne prenne fin, l’AAAQ a demandé à la Régie d’intervenir à l’encontre de cette décision et de déclarer l’avis des Éleveurs inopposable tout en demandant à la Régie d’exercer sa juridiction, soit son pouvoir de supervision pour réviser cette décision. Les parties ont convenu de maintenir en vigueur le Protocole tant que la décision de la Régie ne sera pas rendue. Il y a là un différend que la Régie a plein pouvoir de trancher en vertu de l’article 26 de la Loi.

[50] De plus, le Protocole a été mis en place pour permettre l’harmonisation entre le Québec et l’Ontario des règles d’approvisionnement des acheteurs, ce qui a été réalisé au Québec par l’approbation de modifications réglementaires adoptées par les Éleveurs et par une sentence arbitrale de la Régie. Or, le différend entre l’AAAQ et les Éleveurs est né en raison de la volonté exprimée par les Éleveurs de mettre fin au Québec aux règles d’approvisionnement de poulets vivants destinés à l’abattage, afin d’introduire le marché libre.

[51] L’abandon ou le maintien de règles pour encadrer les approvisionnements des acheteurs, étant le principal désaccord entre l’AAAQ et les Éleveurs dans le cadre de l’arbitrage de la Convention, la Régie a compétence pour disposer d’une question connexe comme l’harmonisation de ces règles avec l’Ontario, si les VAG sont maintenus. La décision à ce sujet doit être prise en tenant compte de l’historique et des objectifs précis poursuivis par l’harmonisation.

[52] Dans ce contexte, et en tenant compte des pouvoirs de la Régie analysés plus haut, la Régie conclut qu’elle détient le pouvoir de réviser ou d’annuler une décision prise par les

12

Décision 9854, 2 avril 2012.

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Éleveurs dans leur fonction d’office chargé de l’application d’un plan conjoint, d’autant plus si cette décision risque d’entraver l’application du Plan conjoint ou celle d’une sentence arbitrale concernant la mise en marché.

[53] Ici, les articles 5, 26, 28, 43, 116 et 117 de la Loi et l’article 2.05 de l’Accord de 2001 convergent pour reconnaître à la Régie le pouvoir de réviser une décision d’un office prise par résolution, telle la résolution C.A. 16.015 des Éleveurs du 24 février 2016, de se retirer du Protocole. Cette résolution fut déposée par les Éleveurs à la demande de la Régie après la séance.

[54] En agissant ainsi, la Régie n’intervient pas dans le Protocole lui-même. Elle exerce son pouvoir de supervision à l’égard d’une décision prise par les Éleveurs, comme sa loi constitutive l’y autorise. Les pouvoirs de modifier, de réviser, d’abroger ou de mettre fin à une décision emportent le pouvoir d’annuler une décision.

[55] Ajoutons que le droit de regard de la Régie ne s’exerce pas en vertu des règles du droit commun. Il ne s’agit pas d’analyser le droit des Éleveurs de se retirer ou non du Protocole en fonction du droit civil et plus particulièrement du droit des contrats. Ni de se prononcer sur son opposabilité à l’AAAQ suivant ces mêmes règles. De plus, la décision que la Régie est appelée à rendre ne vise pas à remettre en question, au sens général du terme, le droit des Éleveurs de se retirer du Protocole. Il s’agit, comme l’a reconnu la Cour d’appel, d’exercer son vaste pouvoir de supervision dans un secteur qui déroge au droit commun.

[56] Ces larges pouvoirs de la Régie ont été reconnus en différentes occasions selon les circonstances propres à chaque affaire. En 2010, la Cour d’appel du Québec13 les décrivait ainsi en les distinguant de ceux qui découlent de l’application du droit commun:

(25) Sur le plan régulateur, la loi accorde à la Régie un pouvoir réglementaire étendu, la notion de mise en marché énoncée à l’article 3 de la loi incluant un grand nombre d’activités. La loi confie de plus à la Régie, par le menu détail, un ensemble de pouvoirs par lequel elle peut « autoriser », « décréter », « déterminer », « exempter », « exclure », « suspendre », « modifier », « accepter », « rejeter », « approuver », « accréditer », autant de pouvoir qui font en sorte que la Régie est omniprésente à tous les niveaux de la mise en marché et qui nous permettent de réaffirmer que le législateur a créé un système complet en soi qui déroge au droit commun.

(références omises)

[57] Tenant compte des pouvoirs que la Loi lui accorde à l’intérieur d’un système qui se veut complet, la Régie ne croit pas nécessaire de s’en remettre au droit commun et à la notion d’abus de pouvoir ou de mauvaise foi pour déterminer si elle peut intervenir dans la décision prise par les Éleveurs, comme l’y invite l’AAAQ.

[58] Le rôle de supervision fait appel directement au pouvoir de la Régie, dans le cadre de ses fonctions et en poursuivant les objectifs décrits à l’article 5 de la Loi, de questionner l’opportunité d’une décision prise par un office. C’est pourquoi, au terme du processus, dans son rôle de régulateur économique, la Régie peut modifier une décision des Éleveurs ou y mettre fin, c’est-à-dire l’annuler.

13

Bourgoin c. Fédération des producteurs acéricoles du Québec, 2010 QCCA 1593.

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[59] C’est dans ce contexte que la Régie en vient à la conclusion qu’elle a le pouvoir d’intervenir dans la décision unilatérale prise par les Éleveurs de signifier un avis de leur retrait du Protocole.

[60] Bien que la Régie détienne ce pouvoir de révision, elle n’interviendra que s’il est opportun de le faire en fonction des objectifs décrits à l’article 5, notamment dans un souci de favoriser une mise en marché efficace et ordonnée du poulet vivant destiné à l’abattage. Toutefois avant de déterminer l’opportunité d’utiliser son pouvoir de révision, la Régie disposera du deuxième volet de la contestation de sa juridiction, soit le pouvoir de prévoir et d’accorder dans une convention de mise en marché des VAG aux acheteurs si l’une des parties s’y oppose.

- Le pouvoir de la Régie de prévoir des VAG dans une convention de mise en marché arbitrée

[61] Les Éleveurs affirment que la Régie n’a pas le pouvoir d’imposer des VAG dans la Convention parce que ceux-ci créent une obligation d’achat et que, sans leur consentement, une telle obligation ne peut leur être imposée.

[62] Ils appuient leur position sur la Décision 922614 qui concernait l’arbitrage d’une convention de mise en marché du porc, dans laquelle la Régie indiquait que « lorsqu’elle arbitre une convention de mise en marché, elle n’a pas juridiction pour contraindre un acheteur à acheter ».

[63] Rappelons que dans cette affaire, la convention prévoyait un système d’attribution des porcs aux acheteurs, ce qui est comparable aux VAG pour le poulet. L’attribution des porcs n’a jamais été considérée par la Régie comme créant une obligation d’acheter. Le paragraphe 66 qui précède celui qui est cité par les Éleveurs permet de comprendre que lorsque la Régie réfère à une obligation d’achat elle ne réfère pas aux règles d’attribution déterminées sur la base historique des achats de la période de référence :

[66] La proposition unanime des acheteurs et de la Fédération est qu’une fois les attributions déterminées sur la base historique des achats au cours de la période de référence, l’acheteur se voit assigner des porcs par site de production complet jusqu’à concurrence du nombre de porcs qui lui est attribuée et il s’engage à recevoir et à acheter tous les porcs provenant de ces sites.

(notre soulignement)

[64] La structure et le fonctionnement du système des approvisionnements garantis appliqué dans le domaine de la volaille, comme prévus dans les précédentes conventions de mise en marché du poulet et dans la nouvelle proposée par l’AAAQ, ne créent aucune obligation d’achat, contrairement à la convention dans le porc qui prévoyait un engagement « à acheter tous les porcs ».

[65] Dans la Décision 9226, la Régie ne remet pas en question sa juridiction pour encadrer les attributions de porcs dans une convention de mise en marché, au contraire elle exerce sa juridiction sur la question, comme l’illustrent les paragraphes suivants :

[64] La Régie constate que les attributions, qui sont basées sur un historique d’achat récent des différents abattoirs, soit du 1

er avril 2008 au 31 mars 2009, permettent d’établir

14

Décision 9226, 12 juin 2009.

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un portrait fidèle du secteur d’abattage, d’être équitable pour tous et de prévenir une course de dernière minute pour augmenter sa part de marché.

[65] La Régie considère appropriée que la référence pour calculer les attributions soit basée sur l’historique des abattages de porcs achetés au cours d’une période antérieure.

[…]

[66] L’AAAQ soumet, avec raison, que la Régie a elle-même retenu à de nombreuses reprises que le système canadien de gestion de l’offre, qui fait en sorte de limiter la production de poulet, amène comme conséquence la mise en place de mesures pour discipliner et répartir l’approvisionnement en poulet vivant auprès des acheteurs. Entre autres elle cite la Décision 806515 :

Par. 7.2 : Le contingentement de la production et la gestion de l’offre ont généralement pour effet de limiter l’approvisionnement des acheteurs dont le rythme de développement dépasse celui de l’expansion du marché globalement visé. Dans ces circonstances, et tenant compte des expériences vécues dans d’autres productions, dont le porc et le lait entre autres, les intervenants, établissent un minimum de règles pour partager entre les acheteurs l’offre limitée de produits. La Régie croit que ces règles sont la conséquence logique d’une offre limitée et réglementée qui doit être partagée et distribuée de préférence selon des règles transparentes et connues pour assurer la cohérence du système global de mise en marché.

(notre soulignement)

[67] La Régie a déjà reconnu sa juridiction pour arbitrer l’adoption de telles règles et dans la mesure où les VAG constituent un outil pour assurer la cohérence du système, elle a compétence pour se prononcer sur leur maintien ou leur abolition selon qu’ils peuvent ou non jouer leur rôle.

[68] Il ressort de cette analyse que la Régie, dans le cadre d’un arbitrage, a le pouvoir de prévoir des règles de partage des approvisionnements entre acheteurs dans une convention de mise en marché.

[69] Elle pourra le faire si la preuve l’amène à conclure qu’il s’agit d’une mesure qui est de nature à favoriser une mise en marché efficace et ordonnée du produit, tel qu’il est prévu à l’article 5 de la Loi. À la différence de la Décision 9226, le texte proposé par l’AAAQ, qui est, quant à cet aspect concernant les règles d’approvisionnement, le même que dans les conventions précédentes, ne prévoit aucun engagement des acheteurs à acheter une quantité donnée de poulets.

[70] Il faut ici remettre en contexte les mots utilisés par le représentant de l’AAAQ, M. Yvan Brodeur, lorsqu’il a lui-même fait référence à une obligation d’achat16. Les termes furent utilisés pour expliquer le fonctionnement des VAG et la conséquence pour un acheteur de ne pas acheter. Un acheteur, au sens de la Convention, n’est pas obligé d’acheter. Il est toujours libre de ne pas acheter, sans que quiconque ne puisse lui reprocher d’avoir manqué à ses obligations. Par contre sa décision de ne pas acheter peut avoir des conséquences sur ses VAG, ce qui est autre chose qu’une obligation d’achat. En effet, l’obligation d’achat qui n’est pas respectée constitue une faute et entraîne le droit pour le vendeur de forcer l’achat ou de se faire indemniser

15

Décision 8065, 18 juin 2004. 16

Comme cité par les Éleveurs dans leur argumentation, paragraphe 66.

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pour le défaut d’avoir respecté l’obligation d’acheter. Une telle obligation pour les acheteurs et de tels droits pour les producteurs n’existent pas dans la Convention qui nous est soumise.

[71] En conséquence, les règles d’approvisionnement en poulets qui sont en vigueur dans la convention actuelle ne prévoyant aucune obligation d’achat, la Régie conclut qu’elle a le pouvoir de maintenir le concept des VAG dans la prochaine convention même si les Éleveurs n’y consentent pas.

[72] Ainsi, une fois les pouvoirs de la Régie circonscrits quant à cet aspect, elle doit, dans le cadre de l’arbitrage de la Convention, se questionner sur l’opportunité de maintenir ou d’abolir les VAG harmonisés en gardant à l’esprit les objectifs de l’article 5 de la Loi.

- L’Entente du Nouveau-Brunswick

[73] La Régie doit ajouter des commentaires additionnels concernant un aspect qui a été soulevé tardivement dans le processus d’arbitrage. Dans leurs mémoires les Éleveurs et l’AAAQ font référence à une entente qui a été prise au sujet des mouvements de poulets vivants entre le Québec et le Nouveau-Brunswick, dite : Entente du Nouveau-Brunswick. Cette entente a été négociée entre l’AAAQ, l’AOCP, les transformateurs de l’Ontario, du Québec et du Nouveau-Brunswick, mais dans le présent dossier d’arbitrage aucun document, contrat ou entente écrite n’a été déposé pour faire preuve de l’entente complète.

[74] Malgré cela, dans l’argumentation écrite qu’ils ont déposée, les Éleveurs soumettent que l’Entente aurait été conclue en violation de l’article 45 (1) de la Loi sur la concurrence17.

[75] Les Éleveurs demandent à la Régie de déclarer cette entente illégale, en vertu des règles prévues dans la Loi sur la concurrence. Cette demande est venue tardivement sans que le mémoire des Éleveurs en fasse état. En fait, quant à l’illégalité soulevée, ils invoquent qu’une entente anticoncurrentielle est prima facie contraire à l’intérêt public. Ils précisent ne pas rechercher de sanction de nature criminelle ou civile.

[76] L’AAAQ soumet que la Régie n’a pas compétence pour se saisir de cette demande. Cette question, selon elle, relève du Bureau de la concurrence. Elle soumet également que l’application de l’article 45 implique l’analyse d’une preuve économique complète qui n’a pas été présentée. De plus, elle invoque que l’entente en question échapperait aux règles de la Loi sur la concurrence en raison de la défense d’industrie réglementée18, que la loi permet.

[77] Des constats préliminaires doivent être faits. La Régie ne peut se prononcer sur le caractère illégal d’une entente qui n’a pas été déposée en preuve. Elle ne connaît pas le contenu de l’entente dans son entier ni son contenu exact. Elle ajoute que toutes les parties à l’entente n’ont pas été mises en cause et n’ont pu être entendues alors que leurs droits seraient affectés par une éventuelle décision. Les Éleveurs n’ont pas fait ce qui était nécessaire, tant au niveau de la procédure que de la preuve, pour permettre à la Régie d’être saisie valablement de cette demande présentée tardivement en argumentation.

17

L.R.C. (1985),ch. C-34. 18

Québec (Régie des marchés agricoles c. Québec (Fédération des producteurs de porcs), 1997 CanLII 10706 (QC CA).

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[78] De plus, la Régie ne se prononcera pas sur le caractère illégal de l’Entente du Nouveau-Brunswick, invoqué par les Éleveurs, ni sur sa compétence à en disposer parce qu’elle n’a pas à le faire pour déterminer si les VAG et le Protocole doivent être maintenus, ni pour trancher les autres aspects de la Convention soumis à l’arbitrage dans l’état du dossier.

MAINTIEN OU ABOLITION DES VAG HARMONISÉS – POSITION DES PARTIES

- Les Éleveurs : abolition des VAG harmonisés et marché libre de l’approvisionnement de poulets vivants destinés à l’abattage

[79] Les Éleveurs proposent de mettre en place au Québec, le libre marché au niveau de l’approvisionnement de poulets vivants destinés à l’abattage, afin de favoriser une mise en marché efficace et ordonnée, tout en tenant compte de l’intérêt des consommateurs et de l’intérêt public.

[80] Le projet de convention soumis par les Éleveurs fait en sorte d’éliminer les mécanismes de garanties d’approvisionnement accordés aux acheteurs de poulets vivants produits au Québec, mécanismes en place depuis 1998. Également, les Éleveurs ont présenté un Avis de désistement du Protocole19 lequel prévoit, depuis 2011, des aspects de réciprocité et d’harmonisation entre les deux provinces concernant l’approvisionnement des abattoirs en poulets vivants.

[81] Au soutien des modifications proposées à la Convention de 201220, et de leur retrait du Protocole, les Éleveurs invoquent ce qui suit dans leur mémoire :

2. En 2017, les Garanties d’approvisionnement et le Protocole Québec-Ontario (le Protocole) n’ont plus leur pertinence économique pour le bon fonctionnement de l’industrie du poulet : elles doivent disparaître

21.

[82] Ils soumettent que les règles de la mise en marché collective, déterminées par la Convention, ne doivent pas être utilisées, voire détournées, pour permettre au maillon de l’abattage d’exercer un pouvoir de marché et de miner l’équilibre de cette mise en marché.

[83] Pour les Éleveurs, les VAG et le Protocole ont favorisé l’exercice d’un pouvoir de marché par les abattoirs, leur procurant une rente économique et une position dominante sur le marché, ce qui cause un préjudice au développement de l’industrie et des marchés.

[84] Ils souhaitent préserver l’intégrité de la gestion de l’offre dans la production de poulets vivants, estimant que le maintien des VAG vient nuire à cette intégrité.

[85] Un marché libre au niveau de l’approvisionnement de poulets vivants destinés à l’abattage, permet à un producteur de vendre sa production à l’abattoir de son choix, qu’il soit situé au Québec ou hors Québec, cette possibilité n’étant plus restreinte par les effets de la Convention, du Protocole et de l’Entente du Nouveau-Brunswick.

19

Avis de désistement des Éleveurs (Notice of termination), le 24 février 2016. Pièce P 2, onglet 9. 20

Dénonciation de la Convention de mise en marché de 2012 par les Éleveurs, le 30 septembre 2015. Pièce P 2, onglet 6. 21

Mémoire des Éleveurs, pièce P 1, paragraphe 2, page 2.

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[86] Dans leur mémoire, les principaux arguments que les Éleveurs soumettent en faveur de la disparition des VAG et du Protocole sont :

- L’évolution du contexte économique depuis 201222;

- L’accélération de la concentration de l’abattage au Québec;

- L’exercice d’un pouvoir de marché et la création d’une rente économique depuis 201323;

- La perte de volume d’abattage de 42 Mkg par année24;

- Le préjudice causé au développement de la filière.

[87] Dans son témoignage, M. Pierre-Luc Leblanc, président des Éleveurs, admet que le Protocole a permis de mettre fin rapidement à la guerre commerciale que les abattoirs du Québec et de l’Ontario se livraient en 2009 et 2010, et qui se traduisait par des primes payées aux producteurs pour obtenir le poulet vivant et accroître leurs parts de marché.25

[88] Dans l’industrie canadienne de la transformation, la guerre des primes de 2009 était perçue comme une menace à la gestion de l’offre en raison des primes que les abattoirs devaient verser aux producteurs, au-delà du prix réglementé, pour assurer leur approvisionnement en poulets vivants.26

[89] Les Éleveurs déposent une lettre de l’Association nationale des régies agroalimentaires (ANRA) de décembre 200827 qui décrit les problèmes et les impacts engendrés par le paiement de primes aux producteurs, qui vont au-delà des prix réglementés du poulet vivant. L’ANRA demande également aux partenaires de l’industrie de trouver des solutions au problème des échanges interprovinciaux de poulets vivants qui sont transportés sur des distances considérables d’une province à l’autre pour être abattus, alors que la demande existe dans la province où les poulets sont produits.

[90] Le Protocole signé par les représentants des producteurs et des abattoirs des deux provinces, Québec et Ontario, prévoyait la mise en place des mesures qui se voulaient la solution à ces problèmes.

[91] Mais, avec le recul, M. Leblanc soumet que l’analyse de la problématique était alors biaisée. Il estime que les VAG, le manque de discipline des abattoirs entre eux et la sous-

22

2012 : La Convention de mise en marché du poulet est issue de la Décision 9829 de la Régie du 7 février 2012, est entrée en vigueur à la période de production A 113 (12 septembre 2012 au 3 novembre 2012). 23

Mémoire des Éleveurs, pièce P 1, page 3, paragraphes 10, 11 et 12 et page 4, paragraphe 16. 24

Mémoire des Éleveurs, pièce P 1, page 3, paragraphe 9. 25

Présentation de M. Leblanc, pièce P 69, page 3, paragraphe 17. 26

Cahier des Éleveurs, pièce P 2, onglet 25 : Lettre des Aliments Maple Leaf (Michael McCain, président) au Ministre de l’Agriculture et de l’Agro-alimentaire du Canada Gerry Ritz, 16 juillet 2009, concernant le différend entre le Groupe Westco, un groupe de producteurs, et Nadeau Ferme Avicole : La décision de Westco de cesser de livrer ses oiseaux à Nadeau et de les vendre à Olymel au Québec a créé une guerre de primes qui menace maintenant le bien-être de tous les transformateurs et surtransformateurs de poulet de l’Est canadien. Chaque augmentation d’un cent des primes coûte aux transformateurs de l’Ontario et du Québec 8 millions de dollars, contribuant à l’enrichissement des producteurs de poulet qui fonctionnent déjà dans un environnement sans risque. 27

Cahier des Éleveurs, pièce P 2, onglet 30.

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allocation chronique du marché sont les véritables explications de la guerre commerciale Québec-Ontario28. Selon lui, la solution repose sur l’élimination des VAG et une plus grande allocation nationale.

[92] Les Éleveurs considèrent que le marché libre, au niveau des approvisionnements, va entraîner une plus grande compétition entre abattoirs, ce qui va stimuler l’innovation et l’efficacité de l’industrie par application de la théorie économique « que moins de concurrence entraîne moins d’innovations »29. Cette compétition créera des conditions favorables à l’augmentation de la production et de la consommation de poulet en desservant mieux les marchés et les consommateurs.

[93] Une croissance plus grande de l’allocation nationale, donc un volume plus grand de poulets vivants produits au Québec, devrait favoriser la baisse des prix de gros des abattoirs (prix du poulet éviscéré) et par conséquent, la baisse des prix aux consommateurs. En s’appuyant sur la théorie économique de l’offre et de la demande, les Éleveurs estiment que des opportunités de marché seront mieux saisies, puisqu’une baisse des prix du poulet serait favorable à une augmentation de la demande des consommateurs, dans un contexte de déclin de la consommation des viandes rouges30.

[94] Les primes payées aux producteurs par les abattoirs, au-delà du prix réglementé du poulet vivant, réapparaîtront vraisemblablement dans un marché libre au niveau des approvisionnements31. Afin de rendre plus transparent le paiement de telles primes, les Éleveurs proposent que la nouvelle Convention prévoit une publication du montant des primes payées, qui serait rendue disponible aux producteurs et aux abattoirs.

[95] Les Éleveurs indiquent que la solution au problème des primes se trouve, en définitive, dans l’adéquation de l’allocation nationale aux besoins du marché. Conscients que l’allocation nationale est déterminée au sein des PPC, les Éleveurs soumettent que l’élimination des garanties d’approvisionnement incitera les abattoirs à demander une plus grande croissance de l’allocation nationale, pour satisfaire leurs besoins en poulets vivants, et ainsi obtenir un plus grand volume de production au Québec. Ils suggèrent qu’en retour, une production plus grande aura pour effet de minimiser les primes payées aux producteurs, voire d’éviter une nouvelle guerre des primes32. Ils estiment que ce sera dans l’intérêt des abattoirs de faire en sorte que le Conseil canadien des transformateurs d’œufs et de volailles (CCTOV), qui vote dans le processus d’allocation nationale, se positionne pour de plus fortes croissances de l’allocation nationale que celles adoptées depuis 2012.

[96] Enfin, les Éleveurs estiment que l’élimination des garanties d’approvisionnement est rendue nécessaire afin d’améliorer les relations entre l’ensemble des intervenants de la filière33.

Évolution du contexte économique depuis 2012

28

Présentation de M. Leblanc, pièce P 69, page 3, paragraphes 18 et 20. 29

Transcription du 28 février 2017, Doyon, pages 324-325, lignes 21 à 25 et 1 à 7. 30

Transcription du témoignage de M. Pierre Fréchette, 21 septembre 2017, page 302, ligne 13 et page 305, ligne 9. 31

Transcription du 28 février 2017, Doyon, pages 301-302, lignes 14 à 25 et 1 à 9. 32

Les primes ont connu des niveaux de 10 à 17 cents le kg, selon le témoignage de M. Brodeur, M. Leblanc les estime à 15 cents, note 173. 33

Mémoire des Éleveurs, pièce P 1, page 4, paragraphe 15 e.

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[97] À la demande des Éleveurs, les experts Maurice Doyon (Doyon)34 et Lota Dabio Tamini (Tamini) ont examiné l’environnement économique afin d’évaluer la pertinence économique actuelle des garanties d’approvisionnement et du Protocole. Lors de la mise en place des garanties d’approvisionnement au Québec en 1998, Doyon note que les producteurs de volailles du Québec justifiaient les garanties d’approvisionnement par les faibles résultats financiers des abattoirs du Québec, le contexte de fusion et acquisition des distributeurs alimentaires (Sobeys, Loblaw), les salaires inférieurs dans les abattoirs du Québec et la présence de garanties d’approvisionnement en Ontario35. Ces facteurs militaient pour le maintien de garanties d’approvisionnement, mais Doyon estime que le contexte économique est différent aujourd’hui.

[98] Pour soutenir leur analyse, les experts soulignent que les abattoirs ont obtenu de plus grandes marges viande, au cours des dernières années, et ont retiré une rente économique. L’amélioration de la santé financière des abattoirs qui aurait résulté de la croissance des marges viande, combinée à l’augmentation de la concentration des abattoirs, permettraient aux abattoirs de faire face à la concurrence au niveau de leurs approvisionnements. Ils concluent que les VAG ne sont plus appropriés dans le contexte économique d’aujourd’hui.

Accélération de la concentration de l’industrie de l’abattage au Québec

[99] En 2012, lors de l’entrée en vigueur de la Convention, il y avait 11 abattoirs et 21 acheteurs détenant des garanties d’approvisionnement, pour un CR2 de 85,99 %. Les parts des approvisionnements d’Olymel et d’Exceldor coopérative s’établissaient respectivement à 44,01 % et 41,98 %36.

[100] Selon les Éleveurs, la Convention aurait accéléré la concentration des entreprises.

[101] En 2016, le CR2 est passé à 92,25 % et il ne reste que 7 entreprises d’abattage (incluant Volailles Giannone inc. qui appartient à Olymel et Exceldor). Les Éleveurs rappellent qu’ils ont fait valoir leurs inquiétudes, en 2014 et 2015, face à la concentration de l’industrie de l’abattage au Québec37.

L’exercice d’un pouvoir de marché et la création d’une rente économique depuis 2013

[102] En plus de Doyon et de Tamini, les Éleveurs ont également appelé Al Mussel (Mussel) et Kevin Grier (Grier) à témoigner, en qualité d’expert, sur les questions de pouvoir de marché et de rente économique des abattoirs du Québec depuis 2013.

34

Doyon a indiqué avoir débuté son travail le 2 février 2016, avec les premiers calculs réalisés le 22 février 2016 et a complété son rapport fin novembre 2016. Il a reçu le rapport de Tamini le 6 décembre 2016. 35

Cahier des expertises et contre-expertises, pièce C 3, onglet 1, page 25. 36

Mémoire des Éleveurs, pièce P 1, page 16, paragraphe 83. 37

Exceldor avicole acquiert les VAG exploités par Abattoir Ducharme inc., prenant effet à A 131, le 14 juin 2015. Olymel fait l’acquisition du VAG de l’acheteur reconnu Normand Ferron, le 22 février 2015. Avec ces deux transactions, dans une lettre adressée à la Régie, les Éleveurs soulignent que ces deux abattoirs pourront ainsi acquérir 94 % de la production de poulets faite au Québec, et détenir plus de 95 % des VAG d’acheteurs-abattoirs. Ils soulignent également les acquisitions suivantes : Ferme des Voltigeurs acquiert les VAG de la compagnie 3944280 Canada inc., et la compagnie 9202-5824 Québec inc. acquiert les actifs de Fermes Michel Dion inc.

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[103] Ces experts s’entendent pour affirmer que la dynamique de marché du poulet a changé depuis 2013, soit depuis la mise en place du Protocole et de la Convention.

[104] Ils soutiennent qu’entre 2013 et 2015, la présence des VAG, du Protocole et des prix réglementés du poulet vivant ont permis la création d’une rente économique chez les abattoirs, dans un contexte de forte demande, puisque la marge brute des transformateurs a augmenté, alors que le prix du poulet vivant était en baisse.

[105] Doyon, Mussell et Grier concluent que le Protocole et la Convention ont permis l’exercice d’un pouvoir de marché des abattoirs du Québec dans la période 2013-2015, alors que Tamini conclut que l’exercice d’un pouvoir de marché des abattoirs a été exercé pendant la période 2002-2016.

[106] Certains soumettent que l’abolition des VAG se traduirait vraisemblablement par la disparition de certains abattoirs québécois et par des primes payées au producteur, au-dessus du prix réglementé du poulet vivant. Ils avancent que ces primes seraient des signaux de marché préférables à une rente économique aux transformateurs, puisque plus visibles.

Expert Doyon

[107] Afin de soutenir ses conclusions que le Protocole et les VAG permettent l’exercice d’un pouvoir de marché par les abattoirs, Doyon soumet qu’il a observé un changement dans la dynamique du marché depuis 2013, par rapport à la période 2002-2012.

[108] Il soumet que depuis 2013, la tendance à la baisse du prix à la production s’est accompagnée d’une hausse des marges viande des abattoirs, alors qu’auparavant il n’y avait pas de corrélation entre le prix au producteur et la marge viande; le prix de gros variait avec le prix du poulet vivant, gardant stable la marge viande des transformateurs. Il soumet que ce changement de dynamique, dans le marché depuis 2013, démontre que les abattoirs détiennent un pouvoir de marché, un pouvoir de marché que permettent la Convention et le Protocole.

[109] Pour déterminer la relation entre les prix du poulet vivant et la marge brute à la transformation (MBT) ou marge viande, il procède à 4 analyses différentes, à partir de données canadiennes et du Canada central, couvrant la période 2002-2012 et 2013-201538 : analyse de corrélation simple, décomposition de séries temporelles de Lœss, les tests de Pearson et la technique de Bootstrap39.

[110] Les figures 3, 4, 5 et 6 de son rapport40 présentent l’évolution du prix du poulet à la ferme au Québec de 2010 à 2015, l’évolution du prix au détail du poulet au Canada de 2013 à 2016, l’évolution de la marge brute des abattoirs pour les produits de commodité au Canada, et enfin, la consommation canadienne de poulet par personne de 2013 à 2015.

38

Doyon convient que la marge brute n’est pas une mesure de profitabilité des transformateurs. 39

Analyse du Protocole Québec-Ontario, pièce P 18, pages 8 à 11. 40

Cahier des expertises et contre-expertises, pièce C 3, onglet 1, pages 12 à 15.

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[111] Le graphique 541, indique que de 2013 à 2015, il y a baisse des prix aux producteurs au Québec et en Ontario42, contrairement à la période 2002-2012.

[112] La graphique 343 montre qu’en 2014 et en 2015, il y a hausse de la marge brute des abattoirs au Canada, calculée à partir d’un prix de gros du poulet obtenu du EMI market composite regroupant des produits de commodité, alors qu’il y a baisse du prix du poulet vivant. La marge brute augmente alors que le prix du poulet vivant diminue.

[113] Dans la période précédente, soit la période 2002-2012, la hausse des prix du poulet vivant s’était répercutée sur les prix de gros des produits de commodité, les marges brutes des abattoirs étant peu ou pas affectées par la hausse du prix du poulet vivant.

[114] Cependant, la hausse des marges viande des abattoirs de 2013 à 2015 n’ont pas empêché la hausse de la consommation de poulets par personne au Canada : elle est généralement en hausse depuis 2003. Selon les données de la figure 6, la consommation canadienne a fortement progressé en 2013 et 2014, et elle subirait un ralentissement perceptible de sa croissance depuis 2015.

[115] À partir de ces analyses, Doyon conclut qu’il y a eu un changement dans la dynamique du marché entre les périodes 2002-2012 et 2013-2015 qu’il qualifie de changement drastique de la relation entre la marge brute des abattoirs et le prix à la production 2013-201544.

[116] Doyon et les Éleveurs donnent des définitions aux termes « pouvoir de marché » et « rente économique ».

[117] Le pouvoir de marché est présenté comme étant la capacité d’une entreprise ou d’un groupe d’entreprises d’influencer les prix en leur faveur. La rente économique désigne : « l’obtention d’un paiement pour un bien qui excède le paiement minimum nécessaire pour que ce bien soit produit », ce qui permet de réaliser des profits importants45.

[118] Dans son témoignage, Doyon confirme que la capacité d’exercer un pouvoir de marché : « C’est la capacité d’obtenir un prix qui est plus important que le prix auquel je serais prêt à fournir le produit »46.

[119] Il suggère un lien de cause à effet entre la mise en place du Protocole et l’exercice d’un pouvoir de marché des abattoirs. Selon Doyon, le Protocole diminue la concurrence dans un secteur qui est déjà concentré, alors qu’au même moment, la relation qui existe entre les marges des abattoirs et le prix à la production est modifiée à l’avantage des abattoirs. « Comme économiste, j’y vois un lien de cause à effet, j’y vois l’exercice d’un pouvoir de marché ».47

41

Cahier des expertises et contre-expertises, pièce C 3, onglet 1, page 8. 42

Au Québec et en Ontario : par effet d’un mécanisme appelé Prix de la catégorie de référence, qui est incorporé dans la Convention, les variations des prix du poulet vivant au Québec s’ajustent en fonction des variations des prix de l’Ontario depuis 1998. 43

Cahier des expertises et contre-expertises, pièce C 3, onglet 1, page 7. 44

Analyse du Protocole Québec-Ontario, pièce P 18, 28 mars 2017, page 12. 45

Cahier des expertises et contre-expertises, pièce C 3, onglet 1, page 10. 46

Transcription, 28 février 2017, page 173. 47

Analyse du Protocole Québec-Ontario, pièce P 18, page 15.

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[120] Il rappelle que la concentration des entreprises est présente au Québec (CR2 de 92 %) et au Canada central (CR4 de 80 %), et que le Protocole et les VAG « sont une formidable barrière à l’entrée de compétiteurs des abattoirs ». Il estime qu’il y a peu de compétition et va jusqu’à dire que si les détaillants ont besoin de poulets et qu’un abattoir les lui refuse parce que « le prix n’est pas à son goût », il y aura des supermarchés qui n’auront pas de poulet48.

[121] Pour soutenir que la dynamique de marché a changé en 2013-2015 par rapport à 2002-2012, Doyon récapitule ainsi49 :

a. Le prix du poulet est en baisse pour les producteurs canadiens et québécois.

b. Les abattoirs canadiens (québécois et ontariens) augmentent leurs marges de façon importante.

c. Le prix du détail est en hausse, vraisemblablement favorisé par une hausse de la demande de poulet plus rapide que la hausse de l’offre. La position concurrentielle favorable des abattoirs leur permet alors de capturer et conserver une marge accrue.

[122] S’appuyant sur le résultat d’une analyse de corrélation, Doyon indique que :

Il y a donc signe que la tendance à la baisse des prix aux producteurs sur la période 2013-2015 n’a pas été ou peu transmise par les abattoirs à leurs clients

50… le mouvement des

prix et des marges depuis 2013 est indicateur de l’exercice d’un pouvoir de marché de la part des abattoirs

51.

[123] Doyon conclut que :

La concentration du secteur de l’abattage, le faible niveau de concurrence au niveau du poulet vivant, dû aux VAG et au Protocole, le contexte de baisse de prix à la ferme et de hausse du prix au détail ont favorisé l’exercice d’un pouvoir de marché de la part des abattoirs

52.

Doyon accepte que les prix du bœuf et du porc ont été concurrentes, favorables à la consommation canadienne de poulet. Il ajoute que les abattoirs en ont tiré profit en augmentant leur marge :

Le contexte de haut prix des viandes, soit le bœuf et le porc, au cours des dernières années a certainement été favorable à la consommation de poulet, son prix relatif étant moindre. Il semble donc que les abattoirs aient été en mesure de tirer profit de la hausse de la demande pour augmenter leur marge, contrairement aux périodes de hausses précédentes

53.

[124] Il indique ne pas avoir fait d’analyse comparative quant à l’existence et à l’exercice d’un pouvoir de marché sur les différents marchés au Canada, ceux avec VAG et ceux sans VAG, bien que les données EMI qu’il a utilisées soient pancanadiennes54. Selon Doyon, le pouvoir de marché est présent au Canada central, en raison du fait que 60 % du marché canadien se situe

48

Analyse du Protocole Québec-Ontario, pièce P 18, 28 mars 2017, pages 14 et 15. 49

Cahier des expertises et contre-expertises, pièce C 3, onglet 1, pages 15 et 16. 50

Cahier des expertises et contre-expertises, pièce C 3, onglet 1, page 9. 51

Cahier des expertises et contre-expertises, pièce C 3, onglet 1, pages 9 et 10. 52

Transcription du 28 février 2017, Doyon, page 321. 53

Cahier des expertises et contre-expertises, pièce C 3, onglet 1, page 14. 54

Transcription, 28 mars 2017, pages 318-321.

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au Québec et en Ontario, qui ont des volumes d’approvisionnement harmonisés (VAG et calculated base).

[125] Il soumet que l’exercice d’un pouvoir de marché par les abattoirs va à l’encontre d’une mise en marché efficace et ordonnée :

La mise en marché collective est un outil de rééquilibrage des forces afin de permettre à de nombreux producteurs de faire face à quelques acheteurs. Or, l’exercice d’un pouvoir de marché qui est facilité par des règles de mise en marché collective va à l’encontre de l’esprit à la base d’une mise en marché collective, qui est efficace, ordonnée et respectueuse des différents acteurs de ladite filière.

À mon avis, la présence de pouvoir de marché des principaux abattoirs provient de leur dominance du marché et est catalysée par la présence des VAG et du Protocole qui sont une barrière à l’entrée et à la croissance d’abattoirs susceptibles de défier la position dominante de celle en situation de pouvoir de marché

55.

[126] Il estime que les VAG et le Protocole agissent comme catalyseurs de la concentration des abattoirs, contribuent à l’exercice d’un pouvoir de marché et à la création de rentes économiques56.

[127] Il fait un lien entre pouvoir de marché, rente économique et valeur des VAG :

Les détenteurs de VAG ont un incitatif économique à réduire l’offre de poulet afin de créer une pression à la hausse sur les prix des produits vendus, ce qui de fait contribue à augmenter les marges et la valeur des VAG

57.

[…]

La présence d’un pouvoir de marché se manifeste également par la création d’une rente économique associée aux VAG qui se reflète dans la valeur que les entreprises accordent aux VAG

58.

[128] Doyon conclut qu’en l’absence de VAG et de Protocole, les possibilités d’approvisionnement seront plus nombreuses pour les acheteurs, ils n’auront plus de rente et devront couvrir leurs besoins en demandant plus d’approvisionnement, ce qui réduira l’incitatif économique à la base du paiement des primes59. Il estime que l’allocation nationale devra assurer l’équilibre entre les forces pour éliminer les primes qui s’installeront au début.

[129] Les Éleveurs et Doyon soumettent, par ailleurs, que la rente économique est favorisée par un sous-approvisionnement du marché. « Dans une situation de marché sous-approvisionné, la demande excède l’offre du produit. Le consommateur est alors porté à payer plus cher ce produit et donc, à créer une marge excédentaire et une rente pour le transformateur. » Cette marge excède la « juste rétribution » de ses activités selon eux. Ils soumettent qu’une prime aux

55

Cahier des expertises et contre-expertises, pièce C 3, onglet 1, page 18. 56

Cahier des expertises et contre-expertises, pièce C 3, onglet 1, page 20. 57

Cahier des expertises et contre-expertises, pièce C 3, onglet 1, page 22. 58

Cahier des expertises et contre-expertises, pièce C 3, onglet 1, page 26. 59

Cahier des expertises et contre-expertises, pièce C 3, onglet 1, pages 23 et 24.

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producteurs permettrait de dédommager ces derniers pour un sous-approvisionnement du marché et une sous-utilisation de leurs infrastructures60.

Experts Mussell et Grier

[130] Les experts Mussell et Grier ont également traité de la question de la rente économique. Ils observent que dans un système où les volumes de production sont réglementés, comme c’est le cas dans le poulet, une rente économique est obtenue grâce, en partie, à une offre moins grande que la demande. Dans ce cas, la rente économique se manifeste dans la valeur des VAG et les abattoirs ont un incitatif à maintenir une offre restreinte. Ils soutiennent qu’à l’époque des primes dans l’industrie, les abattoirs avaient l’incitatif de faire pression pour de plus grands approvisionnements, pour éliminer le besoin de donner des primes61.

[131] En l’absence de VAG, Grier soumet que si l’approvisionnement de poulets vivants est trop restreint, la valeur des VAG pourrait se transposer dans la valeur des primes payées aux producteurs. Pour Grier, le système en place dans le poulet produit une valeur (rente) économique soit du côté des producteurs, soit du côté des transformateurs : « The case is about the merits of one or the other, yes » 62.

[132] Mussell et Grier préfèrent voir apparaître les primes aux producteurs qu’une rente économique aux abattoirs puisqu’il s’agit d’un signal de marché plus visible. Ils soutiennent que les VAG introduisent des coûts d’inefficacité dans l’industrie et nuisent à l’innovation.

97. Price premiums are an open market signal of a market that is not being adequately supplied. Conversely, the VAG capital asset that derives from the same economic rent is not visible but is monetized as a processor asset that can be bought and sold.

98. The use of VAG to allocate chicken to processors creates costs in terms of the efficiency of chicken supply management. Compared with competition among processors, the VAG has less flexibility to accommodate innovation in new products. Under a VAG system, capital investment in new processing facilities must compete with capital investment in VAG to secure supply. This compares with allocation through processor competition that can result in price premiums that are operating expenses – not capital expenses like VAG

63.

[133] Mussell et Grier sont d’accord avec Doyon que « quelque chose » s’est passé en 2013 dans la dynamique du marché : les marges des transformateurs se sont alignées avec la demande du marché qui était en hausse. De 2007 à 2012, il y avait très peu de corrélation entre les marges des transformateurs et la demande des consommateurs pour le poulet. De 2013 à 2016, les marges et la demande avaient un fort pourcentage de corrélation (78 %)64. Plus la demande de poulet pour la consommation est forte, plus les marges sont élevées. Ils concluent que depuis que le Protocole est en place, les transformateurs ont pu améliorer leur position et accroître leurs marges, dans un contexte où le prix aux producteurs a baissé65.

60

Plaidoirie écrite des Éleveurs, paragraphes 202, 207. 61

Cahier des expertises et contre-expertises, pièce C 3, onglet 5, page 138, paragraphe 84. 62

Transcription, 14 mars 2017, page 290. 63

Cahier des expertises et contre-expertises, pièce C 3, onglet 5, page 145, paragraphes 97 et 98. 64

Transcriptions, témoignage de Kevin Grier du 14 mars 2017, page 137 et pièce C 3, onglet 5, page 135. 65

Cahier des expertises et contre-expertises, pièce C 3, onglet 5, page 146, paragraphe 106.

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[134] À partir des figures 8, 9 et 10 (graphiques de données comparant le prix du poulet vivant, la marge brute des transformateurs et la demande de la consommation canadienne, de 2007 à 2017) présentées dans leur rapport de décembre 201666, Mussell et Grier indiquent que les marges des abattoirs ont constamment augmentées entre 2013 et 2016, et les transformateurs ont pu bénéficier d’une plus forte demande des consommateurs, comme jamais avant 201367. Ils soutiennent que les transformateurs n’ont pas transféré le prix en baisse du poulet vivant aux grossistes ou aux consommateurs, puisque leurs marges ont augmenté68.

[135] En 2016 et 2017, la croissance des volumes de production de poulets au Canada exerce une pression à la baisse sur les prix de gros, ce qui laisse supposer un rééquilibrage du marché en matière d’offre et de demande. Cependant, pour Grier, pendant les trois années précédentes, les volumes auraient pu être augmentés plus rapidement que ce que l’allocation nationale a permis, et ainsi l’industrie aurait pu profiter davantage des prix élevés du porc et du bœuf. Il soutient que le système d’allocation nationale dans le poulet n’a pas répondu aux occasions qu’offraient les prix élevés du bœuf et du porc. En quelque sorte, Grier soutient que l’allocation nationale aurait pu s’établir au-delà des pourcentages attribués, et même au-delà de 5,5 % soumis pas les Éleveurs69.

[136] Grier et Mussell70 sont d’avis que la rente économique aux transformateurs résulte d’une demande excédentaire du marché, alors que le prix du poulet vivant est établi au coût de production. Ils ajoutent qu’une telle rente ne serait pas présente si le prix du poulet vivant n’était pas fixé en fonction du coût de production, en d’autres mots, si le prix du poulet vivant variait avec la demande du marché.

[137] Mussell ajoute que, dans le système de gestion de l’offre du poulet, le prix du poulet vivant et l’allocation du volume de production, qui prend en considération la demande, sont des décisions fondamentalement séparées l’une de l’autre71.

[138] Grier est l’auteur d’analyses mensuelles du marché du poulet au Canada, prospectives et rétrospectives, qu’il rend disponibles à l’industrie, pour lui permettre d’anticiper le marché et de comprendre les facteurs qui l’influencent. Selon ces analyses72, la période 2013-2016 a connu un contexte de marché favorable à l’industrie du poulet, en raison de facteurs qui sont largement hors du contrôle des transformateurs de volailles. Mois après mois, il liste les facteurs qui selon lui, ont un impact sur le marché, soit en créant une pression à la hausse ou à la baisse sur les prix. Dans ces facteurs, figurent de façon répétée, les prix du bœuf et du porc, qui ont exercé une pression à la hausse sur le prix du poulet au Canada.

[139] Notons toutefois qu’il n’a pas tenu compte de l’influence des prix du bœuf et du porc sur les prix de détail de la volaille pour tirer ses conclusions des figures 8, 9 et 10 du rapport. Il soumet qu’il a voulu plutôt démontrer qu’avant le Protocole et la Convention, les abattoirs ne tiraient pas avantage d’une demande forte du marché, alors qu’après, elles en tirent avantage. Selon lui, le Protocole n’explique pas tout le changement de la dynamique de marché à partir de 2013, mais le Protocole a ajouté un pouvoir aux abattoirs, quelque chose à voir avec le pouvoir

66

Cahier des expertises et contre-expertises, pièce C 3, onglet 5, pages 136-137. 67

Cahier des expertises et contre-expertises, pièce C 3, onglet 5, page 136, paragraphes 77 et 79. 68

Cahier des expertises et contre-expertises, pièce C 3, onglet 5, page 138, Observations. 69

Transcription du témoignage de Kevin Grier, 14 mars 2017, pages 123-169 et 211-214. 70

Economics of the Chicken Protocole and VAG, Mussell et Grier, pièce P 13, Summary. 71

Transcription du 1er

mars 2017, page 78. 72

Série de rapports Canadian Chicken Market Review, Kevin Grier, pièce O 7.

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de marché : « Then again, is it everything? No, but it has to be something, at least something to do with market power »73.

Expert Tamini

[140] Tamini s’est intéressé à l’existence ou non d’un pouvoir de marché des abattoirs du Québec, en examinant l’influence des prix de détail du poulet au Québec sur les prix en Ontario et au Canada, au moyen d’analyses de corrélation.

[141] Dans l’introduction à son expertise74, Tamini fait certaines remarques concernant son mandat et les contraintes rencontrées pour le réaliser. On peut y lire :

Comme précédemment indiqué, nous désirons analyser l’exercice ou non d’un pouvoir de marché dans le contexte spécifique du Québec et de l’Ontario. Cependant plusieurs des données nécessaires à une telle étude n’existent pas à ce niveau de désagrégation.

[142] Il a également posé les balises suivantes : « Alors en partant de la structure de l’offre canadienne de poulet éviscéré, nous nous sommes posés un certain nombre de questions qui ont servi de fil conducteur à notre analyse. »

[143] Ces questions sont les suivantes :

- Question 1 : Existe-t-il une corrélation entre le prix au détail du Canada et ceux au détail du Québec et de l’Ontario? Si oui, cette corrélation est-elle plus forte, moins forte ou égale pour le prix au détail du Québec?

- Question 2 : Le prix au détail du Québec a-t-il ou non une influence sur le prix au détail de l’Ontario, des autres provinces, et du Canada? Dit autrement, nous voulons déterminer, sur le plan statistique, si la dynamique du prix au détail du Québec a une influence sur la dynamique du prix au détail du Canada.

[144] Selon Tamini, ce n’est qu’après avoir obtenu une réponse positive à ces questions que l’expert pourra conclure qu’il peut procéder à son analyse en utilisant des données canadiennes et non des données québécoises75.

[145] Vu l’absence de données concernant les prix de gros au Québec, Tamini analyse les prix de détail au Québec et la relation qui existe avec ceux du Canada, pour deux sous-produits, soit le poulet entier frais et les poitrines de poulet fraîches sans os et sans peau. Le choix des deux découpes (sur les 12 catégories de découpe couvertes par les prix de détail des poulets vendus, non pas transformés, au Québec, et publiés par Nielsen) vient de ses propres analyses datant de 2009. Il indique que pour d’autres catégories de découpe, les résultats ne seraient pas significatifs. Les catégories ainsi choisies couvrent 6 % des ventes au Québec et Olymel et Exceldor sont peu présentes dans ces catégories76.

73

Transcription du 1er

mars 2017, page 183 à 184. 74

Cahier des expertises et contre-expertises, pièce C 3, onglet 3, Analyse de la dynamique des prix du poulet au Canada – période 2002-2016, 5 décembre 2016, à la page 2. 75

Précisons ici que les experts Gouin et Richelle dont les services ont été retenus par l’AAAQ ont contesté cette méthodologie et les conclusions de Tamini. Nous le verrons en détail plus loin. 76

Témoignage de Tamini en contre-interrogatoire, le 31 mai 2017, pages 64 à 66.

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[146] L’approche méthodologique de Tamini s’appuie sur trois analyses dont les objectifs sont complémentaires. L’estimation du modèle de transmission verticale des prix lui indique que le prix à la transformation influence la marge des détaillants, mais que l’inverse n’est pas vrai; l’estimation d’un modèle structurel (les acteurs de la filière et leur comportement) lui indique qu’il existe un pouvoir d’oligopole dans l’industrie de l’abattage; l’estimation de l’analyse de la demande inverse (comment les prix s’ajustent aux quantités qui sont prédéterminées), lui indique que la concentration a un impact à la hausse sur le prix au détail du poulet.

[147] Il mène des tests de causalité de Granger sur les données de la période 2009-2016 et 2013-2016, pour déterminer l’influence des prix de détail au Québec sur les prix de l’Ontario et du Canada dans les deux découpes choisies. Il s’appuie sur un degré de significativité statistique de 10 % pour tirer ses conclusions en se basant sur son expérience et divers exemples d’analyse dans le domaine social.

[148] Il soutient qu’au Canada, il y a une grande concentration du segment de l’industrie d’abattage et que le maillon de la transformation exerce un pouvoir de marché77. Il a trouvé qu’un choc positif du prix de gros du poulet, dans les découpes choisies, entraînerait une baisse de la marge des détaillants. Selon lui, la capacité des transformateurs de faire absorber les chocs de prix aux détaillants est un indicateur de pouvoir de marché.

[149] Il conclut que les prix au Québec entre 2009 et 2016, des deux produits sous étude, influencent ceux de l’Ontario, mais pas ceux du Canada, c’est-à-dire les données globales canadiennes. Pour 2013-2016, pour le produit poitrine de poulet sans os et sans peau, il n’y a pas d’influence des prix du Canada sur ceux du Québec ni ceux du Québec sur ceux du Canada.

[150] Il soumet que le prix du bœuf au détail n’a pas eu d’impact sur le prix de gros du poulet ou la marge des détaillants et ajoute qu’il n’y a pas eu d’influence du prix du bœuf sur le prix du poulet au détail. Ce faisant, il se démarque de Doyon, Mussell et Grier, puisqu’eux reconnaissent un tel impact78.

[151] De plus, à partir de données de 2002 à 2016, Tamini conclut que le processus de concentration des abattages, au cours des dernières années, s’est traduit par l’exercice d’un pouvoir de marché79. Pour 1 % d’augmentation de la concentration des entreprises, le prix au détail du poulet augmente de 0,041 %, toutes choses étant égales par ailleurs80.

Les Éleveurs

[152] M. Leblanc soumet de son côté que le pouvoir de marché des transformateurs s’exerçait bien avant 201381, et que les abattoirs ont bénéficié de marges viande beaucoup plus élevées que la cible qu’ils avaient publiée. De plus, la position dominante de deux grands abattoirs est renforcée par le Protocole et la Convention.

77

Cahier des expertises et contre-expertises, pièce C 3, onglet 3, page 15. 78

Transcription du 30 mai 2017, page 215, lignes 3 à 5. 79

Cahier des expertises et contre-expertises, pièce C 3, onglet 3, pages 14 et 15. 80

Cahier des expertises et contre-expertises, pièce C 3, onglet 3 A, page 5. 81

Couriel Me Tomkins, pièce P 83, engagement 7 du 19 octobre 2017.

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[153] Les Éleveurs s’appuient sur un document du CCTOV, pour analyser la MBT82, obtenu à partir de prix composites du marché ou EMI83. Ils concluent que depuis 2014, la marge brute réelle a dépassé la cible fixée84. La cible de 2016 s’établissait à 1,32 $ le kg, en hausse par rapport au 1,30 $ de l’année précédente, alors que les résultats ont dépassé les 2 $ le kg, signe d’un important sous-approvisionnement du marché et du pouvoir des abattoirs.

[154] En témoignant sur la signification de la MBT, M. Fréchette, pour les Éleveurs, soumet qu’elle est un indicateur de la tendance de la rentabilité des transformateurs :

C’est un indice. Ce n’est pas une mesure absolue du profit. Ça nous dit pas que l’abattoir fait quatre-vingt cent clair du kilo, sauf que ça nous indique une tendance et c’est important de comparer à l’objectif qui est fixé par le CCTOV et aux commentaires que je vous lisais plus loin aussi, à l’effet que ça reflète effectivement aussi le rendement des opérations des transformateurs

85.

L’objectif est de 1,32 $ et présentement, les derniers chiffres que j’ai vus, là, la marge des abattoirs a même dépassé deux dollars (2$) du kilo à un moment donné. Donc, cet indicateur-là, cette tendance-là est plus élevée que l’objectif qu’on voudrait que la tendance, elle ait, mais c’est pas le prix, c’est pas le profit. Ceci dit, leur document, néanmoins, je l’ai lu hier, à la page 25, là, explique que c’est un indicateur fiable de la tendance de la rentabilité des transformateurs

86.

[155] Les Éleveurs soumettent que la baisse de prix du poulet vivant entre 2013 et 2015 ne s’est pas transmise aux clients des abattoirs, puisque le prix de gros n’a pas baissé et que la MBT a augmenté. Pour eux, si la Convention a permis de solutionner la problématique liée aux primes, la rente économique capturée par les abattoirs a créé une nouvelle problématique87. La rente des abattoirs est néfaste pour la filière88.

[156] Par ailleurs, les Éleveurs soutiennent que le Protocole conduit à une sous-production en raison de l’absence de concurrence entre le Québec et l’Ontario au niveau de l’achat de poulets vivants. En s’appuyant sur une étude économique89, les Éleveurs soutiennent que lorsque les abattoirs des deux provinces se font concurrence dans les deux provinces, les quantités produites sont plus grandes et les prix aux consommateurs plus bas, dans ce cas les profits des abattoirs sont moins élevés. En conséquence, les Éleveurs soumettent que le Protocole, en limitant le commerce interprovincial de poulets vivants, conduit à une sous-production par rapport

82

La marge brute des transformateurs (MBT) est obtenue en prenant le prix de gros (qui est obtenu par une série de prix composites du marché canadien (EMI) dont on soustrait le prix vif en Ontario (pour la catégorie de poulets vivants de 1,84 kg à 1,95 kg) après l’avoir divisé par un rendement ou facteur d’éviscération. 83

EMI est une moyenne d’une série de prix composites du marché, qui incluent tous les produits de poulet vendus en vrac et non emballés pour la vente au détail. Il exclut le produit emballé sur plateau, les emballages-consommateurs, le poulet pané, le surtransformé, les assemblages de 8 ou 9 morceaux, les ventes inter-intra compagnies, le poulet à rôtir, le chapon, la volaille, le Cornouailles et sous-catégories, congelé, biologique, poulet entier sans abattis ficelé, IF, IQF (individually quick frozen), coupelles, poulet entier sans abattis ficelé, biologique. Cahier des expertises et contre-expertises, pièce P 3, onglet 37. 84

Présentation du CCTOV- Marge brute et rendement des transformateurs, réunion des PPC, le 26 juillet 2016, pièce P 2, onglet 37. 85

Témoignage de M. Pierre Fréchette, le 21 septembre 2017, page 276, ligne 17 et page 277, ligne 8. 86

Idem, lignes 7 à 22, page 281. 87

Mémoire des Éleveurs, pièce P 1, page 27, paragraphe 118. 88

Mémoire des Éleveurs, pièce P 1, page 27, paragraphe 120. 89

A Primer on the Economics of Supply Management and Food Supply Chains, Larue et Lambert, pièce P 19, onglet 4, page 43.

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au potentiel de marché qui pourrait exister avec des prix aux consommateurs relativement plus bas.

[157] Selon les Éleveurs, la Convention a éliminé toute flexibilité dans l’accès au poulet vivant, ne permettant la croissance des abattoirs que par la fusion et l’acquisition, ce qui a favorisé les entreprises en position dominante90, soit Exceldor et Olymel.

[158] Les Éleveurs soutiennent que la position dominante de ces deux entreprises d’abattage, qui s’accaparent actuellement 92 % du volume d’abattage au Québec, leur permet de continuer à exercer un pouvoir de marché puisque les VAG sont une barrière à l’entrée et à la croissance d’abattoirs susceptibles de défier leur position dominante.91

La perte de volumes d’abattage au Québec de 42 millions de kg par année

[159] Pour la période 2002-2011, Doyon démontre qu’il y a eu une augmentation du mouvement interprovincial de poulets vivants dans l’Est du pays (Québec, Ontario, Nouveau-Brunswick, Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve), en faisant abstraction de l’année 2002 pour laquelle l’auteur explique qu’il y a eu un problème ponctuel de mouvements interprovinciaux pour circonstances particulières)92.

[160] Ces mouvements de déplacements de poulets, d’une province à l’autre, se sont produits avant la signature du Protocole et de la Convention de 2012 alors que plusieurs intervenants, dont l’ANRA, voyaient les mouvements excessifs comme étant une menace à la gestion de l’offre et comme imposant un coût à la filière. En 2012, le mouvement interprovincial a débuté sa baisse pour se stabiliser de 2013 à 2015.

[161] L’entrée de poulets vivants au Québec a connu la même tendance pour chuter et se stabiliser de 2013 à 2015.

[162] Pour les Éleveurs, le Protocole devait faire gagner environ 4,5 Mkg de volume d’abattage par année (700 000 kg par période) au Québec, en provenance de l’Ontario. Selon les Éleveurs, en 2015, le Québec avait perdu environ 40 Mkg par année d’abattage par rapport à 2010, au profit principalement du Nouveau-Brunswick93.

[163] De plus, les Éleveurs présentent l’augmentation des échanges interprovinciaux de poulets vivants des abattoirs du Québec vers l’Ontario et vers le Nouveau-Brunswick. Ceux-ci ont augmenté considérablement, selon les données suivantes, entre 2012 et 201594 :

a. vers l’Ontario : de 460 687 kg à 1 497 182 kg par année;

b. vers le Nouveau-Brunswick : de 696 318 kg à 5 433 208 kg par année (avec Sunnymel).

90

Mémoire des Éleveurs, pièce P 1, page 3, paragraphe 10. 91

Mémoire des Éleveurs, pièce P 1, page 3, paragraphe 12. 92

Graphique 1, Pièce C 3, onglet 1, page 3. 93

Mémoire des Éleveurs, pièce P 1, page 19, paragraphe 100. 94

Évolution du commerce interprovincial interusine, pièce P 16, Évolution du commerce interprovincial interusine provenant du Québec 2010-2015.

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[164] Les Éleveurs soulignent que la flexibilité introduite dans la Convention concernant le seuil d’abattage à 75 %, c’est-à-dire l’obligation pour une usine d’abattre au moins 75 % de son VAG, lui laisse la possibilité de prêter ou d’échanger des volumes avec d’autres usines, d’où le commerce interusine.

[165] Pour la même période, les ventes de poulets, par les producteurs du Québec,vers le Nouveau-Brunswick, ont progressé pour atteindre 4,5 Mkg par période, livrées à l’abattoir Nadeau. Ce volume est cinq fois plus important que le commerce interusine vers le Nouveau-Brunswick.

[166] À la première phase du processus d’allocation pour une période donnée, 2,2 Mkg de poulets vivants de producteurs francophones de l’est de l’Ontario sont alloués aux abattoirs du Québec, et 700 000 kg alloués à la suite d’une entente consignée dans le Protocole. Avec ces ventes de poulets, c’est environ 18 Mkg par année qui entrent au Québec alors que ce volume était d’environ 37 Mkg par année en 2012.

[167] Les Éleveurs soumettent qu’avant le Protocole, le Québec avait une balance commerciale positive en termes de poulets abattus95, alors que le déficit est actuellement d’environ 18 Mkg par année (ou ± 3 Mkg par période). Depuis la mise en place du Protocole et de l’entente avec le Nouveau-Brunswick qui fait en sorte que l’abattoir Nadeau, propriété de Maple Lodge, peut acheter au Québec jusqu’à 5 Mkg par période, les parts de marché des abattoirs québécois ont diminué. Pour les Éleveurs, il s’agit d’un impact négatif du Protocole.

[168] Les Éleveurs présentent les volumes de poulets vivants qui se font abattre hors Québec de la période A 113 à la période A 13996. Ils évaluent à 37,4 Mkg le volume de poulets qui sortait du Québec en 2015, alors qu’en 2010 ce volume était de 42,6 Mkg, situation qui était alors décriée. Pour les Éleveurs, la situation actuelle diffère peu de celle de 2010.

Préjudice au développement de la filière

[169] L’hypothèse que formulent les Éleveurs est que le consommateur a été désavantagé du fait que les prix au détail n’ont pas suivi la baisse du prix du poulet vivant entre 2013 et 2015. De plus, cette situation a privé les producteurs et la filière d’opportunités de marché qu’une consommation additionnelle aurait pu générer.

[170] Ils soumettent également que les transformateurs auraient fait de façon constante des demandes de croissance de l’allocation nationale inférieures aux demandes des producteurs97. Il en résulterait un sous-approvisionnement du marché.

[171] Malgré des marges à la transformation plus élevées, de nouveaux joueurs n’ont pu en bénéficier, en raison des barrières à l’entrée que constituent les VAG98. Ces derniers ont une valeur plus grande si le marché est sous-approvisionné. Au cours des dernières années, la valeur des VAG transigés s’est située entre 10 et 17 $ le kg.

95

Présentation de M. Leblanc, pièce P 69, page 3, paragraphe 3. 96

Mémoire des Éleveurs, pièce P 1, page 20 et P 2, onglet 35. 97

Mémoire des Éleveurs, pièce P 1, page 28, paragraphe 21. 98

Présentation de M. Leblanc, pièce P 69, page 7, paragraphes 42 et 43.

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[172] Le Québec compte 746 producteurs et deux abattoirs qui se partagent 94 % du poulet produit, faisant en sorte que les producteurs ont pratiquement comme seule option de signer des ententes d’approvisionnement avec deux acheteurs. M. Leblanc qualifie cette situation de « pont obligatoire, contraignant et néfaste »99. Au Canada central, 2 000 familles de producteurs de poulets livrent 80 % de leur production à quatre abattoirs. Ce « pont » qui constitue un passage obligé illustre le pouvoir de marché des abattoirs qu’ils exercent non seulement sur les producteurs, mais sur les clients des abattoirs.

[173] Les VAG nuisent à l’efficacité de la filière et manquent de flexibilité pour permettre aux abattoirs de moins grande envergure de se développer. Une concurrence faite aux deux plus grands abattoirs, Olymel et Exceldor, permettrait une plus grande efficacité de l’industrie. Ils invoquent plusieurs situations qui sont une illustration de leur critique.

[174] Selon eux, l’harmonisation Québec-Ontario a enlevé la flexibilité à des abattoirs comme Ferme des Voltigeurs, d’avoir accès à un approvisionnement en Ontario pour rencontrer les besoins de sa clientèle, au moment où elle pourrait avoir des opportunités de s’étendre en Ontario via son client Metro.

[175] Les Éleveurs soulignent que Les Volailles Marvid, afin de profiter de la fin des opérations d’un compétiteur en produit cacher situé en Ontario, a essayé de se procurer des VAG auprès d’Abattoir Ducharme. Mais, en raison d’un droit de premier refus, Exceldor a pu mettre la main sur ces VAG. Volailles Marvid a dû faire une entente avec Olymel et Exceldor pour saisir l’opportunité de marché qui se présentait à elle.

[176] Selon les Éleveurs, Avicomax (Cericola) n’a pu maintenir son niveau de croissance à 17 % par année à cause de la disparition de la flexibilité qu’a provoquée le Protocole.

[177] Les Éleveurs soutiennent que les VAG ne permettent pas de rencontrer les besoins des marchés de créneaux, donnant en exemple Volailles Marvid qui doit s’approvisionner en deuxième vente de poulets vivants auprès d’Olymel, pour répondre à ses clients avec des poulets cachers.

[178] Ils ajoutent que le niveau des approvisionnements exceptionnels n’étant déterminé que pour une période à la fois, ces approvisionnements ne permettent pas aux petits abattoirs de développer une clientèle et de se développer eux-mêmes.

[179] Pour les Éleveurs, la dominance d’Olymel et Exceldor fait en sorte qu’elles exercent un contrôle sur le marché, ce qui leur a permis « d’acheter le support des petits abattoirs pour le Protocole »100.

[180] Les Éleveurs font valoir qu’il y a des marchés mal desservis. Benny & Co et ADP Direct Poultry se sont dites inquiètes de la situation des approvisionnements et de leur pouvoir de négociation qui est de plus en plus limité avec la concentration des abattoirs. Benny & Co a

99

Présentation de M. Leblanc, pièce P 69, page 7, paragraphe 48. 100

Plaidoirie écrite des Éleveurs, page 158, paragraphe 898.

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soutenu qu’elle n’a pas bénéficié de la baisse du prix du poulet vivant, bien qu’elle signe un contrat de type « cost plus » avec Olymel101.

[181] Les Éleveurs jettent un regard critique sur le contrôle du marché qu’exercent les abattoirs depuis les dernières années en raison de leur forte intégration verticale. Dans un contexte de sous-approvisionnement du marché canadien, la forte intégration verticale des abattoirs engagés dans la surtransformation et la possession de quotas de production, permettent à ces abattoirs de choisir leurs clients au détriment des autres surtransformateurs102.

[182] M. Leblanc affirme que les producteurs sont prêts à assumer le risque que l’ensemble du poulet produit ne soit pas acheté par les abattoirs dans un système sans VAG, où il y aurait surapprovisionnement du marché103. Il fait confiance au système d’allocation des PPC pour assurer un approvisionnement adéquat.

[183] Au soutien de l’affirmation qu’au moment de déterminer l’allocation nationale, les transformateurs empêchent la croissance nécessaire aux approvisionnements, M. Leblanc réfère au fait que les transformateurs peuvent bloquer une croissance d’allocation qui va au-delà de 5 %.

[184] Dans le processus de détermination de l’allocation nationale, M. Leblanc déplore l’attitude des PPC qui souhaitent un consensus entre offices provinciaux et les membres de l’industrie, afin dit-il que l’industrie paraisse unie. Selon lui, cette approche contribue à la sous- allocation des marchés104.

[185] Il soutient que les VAG au Québec, les « calculated base » en Ontario et le Protocole composent un système de « collusion légalisée ». Ils biaisent le comportement du CCTOV et d’autres intervenants au conseil d’administration des PPC, lorsque vient le temps de voter la croissance de l’allocation nationale105.

[186] Il ajoute que l’entente signée, avec le Nouveau-Brunswick, est assimilable à un VAG de 5 Mkg par période accordée à l’Abattoir Nadeau106 par les transformateurs. Cette entente soulève les inquiétudes des producteurs, car les transformateurs se trouvent indirectement à attribuer un VAG du Québec au Nouveau-Brunswick sans l’avoir fait entériner par la Régie107.

[187] Pour les Éleveurs, des primes sont encore versées quand, par exemple, Olymel paie une prime de 0,03 $ le kg de poulet vivant ou qu’elle fait un ajustement substantiel de prix uniquement pour répondre aux ristournes d’Exceldor108.

[188] Les Éleveurs proposent l’élimination des VAG pour faire place au marché libre de l’approvisionnement de poulets vivants destinés à l’abattage, route qu’ils suggèrent à l’instar de la Colombie-Britannique qui a éliminé les garanties d’approvisionnement il y a quelques années. Ils

101

M. Benny a déposé sous pli confidentiel ses factures pour démontrer son affirmation. 102

Présentation de M. Leblanc, pièce P 69, page 8, paragraphe 54. 103

Présentation de M. Leblanc, pièce P 69, page 10, paragraphe 60. 104

Présentation de M. Leblanc, pièce P 69, page 11, paragraphes 65-66. 105

Présentation de M. Leblanc, pièce P 69, page 12, paragraphe 73. 106

Présentation de M. Leblanc, pièce P 69, page 14, paragraphe 90. 107

Présentation de M. Leblanc, pièce P 69, pages 14 et 15, paragraphes 90 et 91. 108

Présentation de M. Leblanc, pièce P 69, page 16, paragraphe 106.

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estiment que leur proposition de publier les primes payées est en définitive une clause « anti-prime », éliminant le seul obstacle à l’élimination des VAG109.

[189] Ils font valoir que cette route va permettre une plus grande concurrence au niveau de la transformation, l’arrivée de nouveaux joueurs et va générer de l’investissement et de l’innovation qui permettront de saisir des opportunités de marché. Ce sera au bénéfice de la filière, du producteur au consommateur.

- L’AAAQ : maintenir les VAG et leur harmonisation avec l’Ontario

Les résultats positifs du Protocole et de la Convention : la sécurité et la stabilité des approvisionnements, la fin des primes, la compétitivité du secteur et l’investissement dans le développement des marchés et l’innovation

[190] Pour l’AAAQ, plusieurs résultats positifs ont été obtenus grâce à la Convention, à l’harmonisation Québec-Ontario inscrite dans le Protocole et à l’entente avec le Nouveau-Brunswick. Elle ajoute que la proposition des Éleveurs conduit au chaos et à la guerre des primes110, situation à laquelle la Convention et le Protocole ont remédié.

[191] L’harmonisation des garanties d’approvisionnement et la Convention ont permis la sécurité et la stabilité de l’approvisionnement des acheteurs-abattoirs du Québec111. Après la signature du Protocole, l’AAAQ souligne qu’il y a eu une chute drastique des échanges interprovinciaux de poulets vivants, résultat que visait le Protocole. Les primes sans raison justifiable commercialement ont à toutes fins pratiques disparu et les transformateurs ont pu consacrer argent et énergie à l’innovation et au développement.

[192] Depuis l’entrée en vigueur du Protocole, les abattoirs du Québec reçoivent en priorité des producteurs franco-ontariens de l’est de l’Ontario, un volume de 2,2 Mkg de poulets par période, en plus du volume de 700 000 kg inscrit au Protocole.112.

[193] La Convention de 2012, accorde un niveau supérieur de croissance aux abattoirs de moins de 2,5 Mkg (Ferme des Voltigeurs, Avicomax, Volailles Marvid)113. Ainsi, depuis 2012, le taux de croissance des abattoirs, de plus petite taille du Québec, a augmenté plus rapidement que celui des autres abattoirs.

[194] L’AAAQ est d’accord avec l’affirmation des Éleveurs que l’industrie de la volaille au Québec est saine et compétitive, lui permettant ainsi de rivaliser avec ses compétiteurs. Ceci est bénéfique pour les producteurs du Québec. À cet effet, elle soutient que le fait que des abattoirs québécois transforment en Ontario du poulet produit au Québec, a permis au Québec, lors de la négociation de l’Entente opérationnelle, de maintenir à 28,65 % sa part de l’allocation nationale, plus que sa part de la population canadienne qui est de 26,9 %.

[195] L’AAAQ fait témoigner M. André Forcier concernant son expérience quant à l’insécurité reliée aux approvisionnements chez Exceldor, avant que la Convention contienne les garanties

109

Plaidoirie écrite des Éleveurs, page 4, paragraphes 31 à 41. 110

Mémoire de l’AAAQ, pièce A 1, page 30, paragraphe 109. 111

Mémoire de l’AAAQ, pièce A 1, page 31, section 5.1. 112

Mémoire de l’AAAQ, pièce A 1, paragraphes 119 et 120. 113

Mémoire de l’AAAQ, pièce A 1, page 34, section 5.5, tableau du paragraphe 134.

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d’approvisionnement aux abattoirs. À son arrivée à titre de directeur général, en 1998, un climat défavorable à l’essor de l’industrie prévalait, situation qui était engendrée par l’insécurité des approvisionnements. Il fallait, selon le témoin, « livrer bataille dans le champ » pour s’approvisionner en poulets vivants, les prix de la volaille étaient instables, la coopérative perdait des membres et vivait de grandes difficultés financières. Il fallait de plus se battre également avec les acheteurs de l’Ontario et verser des primes aux producteurs pour sécuriser l’approvisionnement.

[196] Cette insécurité était ressentie non seulement par Exceldor, mais également par ses clients. Il témoigne que les efforts autant financiers qu’humains, visaient à cette époque à sécuriser les approvisionnements, et rassurer les clients tels que St-Hubert, Kentucky, IGA, Metro, Provigo114 quant à la capacité des abattoirs de répondre aux besoins.

Il fallait aux entreprises de transformation une stabilité des prix de la volaille, et, également, établir une situation saine dans les relations entre les usines de transformation et les acheteurs de produits finis. De là est venue l’idée d’instaurer un volume d’approvisionnement garanti en contrepartie du paiement au producteur du prix du Canada central Québec-Ontario. En fait, la logique voulait simplement que les producteurs avicoles obtiennent une garantie pour l’abattage de leurs volailles, mais un prix Canada central. En retour, les abattoirs obtenaient une certaine assurance quant aux volumes d’approvisionnement… J’ai la certitude aujourd’hui que l’avènement des règles reliées aux prix payés aux éleveurs et à la formule d’approvisionnement garanti ont fait en sorte de développer une industrie forte, capable d’innovation et financièrement indépendante. Sans cela, les efforts auraient continué d’être axés sur de faux objectifs

115.

[197] M. Forcier soumet qu’il faut des entreprises fortes dans l’abattage et la transformation pour discuter d’égal à égal avec les réseaux du détail et de la distribution qui eux sont forts116.

[198] Il explique que lorsque les abattoirs font des affaires avec les grandes chaînes comme Metro, Loblaw, Costco, IGA, Walmart, St-Hubert, Scores, Kentucky et que ces dernières prévoient faire une promotion de produits de poulet, la commande peut se traduire par des volumes considérables; une usine doit alors être en mesure de fournir ces volumes en temps voulu et avoir les reins solides pour attendre les paiements117.

[199] Malgré de grandes difficultés financières, la direction d’Exceldor a fait le choix, à l’époque, de rester une coopérative de producteurs qui contrôle ses approvisionnements, sa transformation et sa mise en marché, quitte à subir des pertes financières; le 20 mai 1998, les membres producteurs ont injecté 2 M $ en capital-actions dans leur coopérative. Ce n’est qu’en 2002 que des ristournes et compléments de prix aux membres de la coopérative ont pu être versés118. De 2006 à 2016, les membres producteurs ont reçu 104 M$ en ristournes (6,3 cents par kg par année), et le chiffre d’affaires d’Exceldor est passé de 284 M$ à 689 M$119.

114

Transcription, 20 octobre 2017, pages 13, 14. 115

Transcription, 20 octobre 2017, pages 17, 18. 116

Transcription, 20 octobre 2017, pages 21 à 23. 117

Transcription, 20 octobre 2017, page 49. 118

Transcription, 20 octobre 2017, pages 22, 23, 53. 119

Présentation d’Exceldor, pièce A 84, page 3, paragraphe 4.

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[200] Pour l’AAAQ, la proposition des Éleveurs mène à la guerre des primes et à l’incertitude au niveau de l’approvisionnement, lesquelles vont nuire à la rentabilité des entreprises et aux investissements120.

[201] L’AAAQ et les abattoirs qui en sont membres ont déposé une liste des investissements qui ont été réalisés pour assurer le développement de la mise en marché du poulet. Ces investissements ont été rendus possibles grâce à une plus grande sécurité des approvisionnements et à la réduction des primes non commercialement justifiées.121

[202] Les abattoirs ont fait part à la Régie de certains investissements en matière d’innovations, de développement de nouveaux produits et de nouveaux marchés, également en surtransformation, ce qui permet au Québec de bénéficier d’une part de la croissance de l’allocation nationale qui va au-delà du pourcentage du Québec dans la population canadienne122 :

a) Exceldor : projet de construction d’une usine de surtransformation à Saint-Bruno (35 M$);

b) Olymel : augmentation de la capacité de cuisson pour la surtansformation à Ste-Rosalie (12 M$);

c) Olymel : poulet refroidi à l’air à St-Damase pour répondre à la demande du marché (10 M$);

d) Ferme des Voltigeurs : augmentation de la superficie de découpe de 45 % (7 M$);

e) Volailles Marvid : agrandissement de son usine cachère, la seule au Canada (4 M$);

f) Volailles Giannone : développement et mise en marché d’un nouveau produit, le poulet « crapaudine » (2,5 M$);

g) Olymel : investissement plus de 30 M$ à son usine de Toronto dans la surtransformation de poulet du Québec.

[203] L’AAAQ réfute ainsi l’allégation des Éleveurs concernant le manque d’innovation des abattoirs qui serait causé par leur trop grande concentration. Elle soutient que cette allégation n’est supportée par aucune preuve des Éleveurs ni des experts123.

[204] L’AAAQ soumet que les garanties d’approvisionnement harmonisées sont des conditions gagnantes pour l’industrie québécoise et doivent être maintenues dans la prochaine convention.

[205] Elle présente une position unanime de ses membres pour maintenir les VAG et les principes reconnus dans le Protocole. Selon eux, les VAG, en contribuant à sécuriser les

120

Mémoire de l’AAAQ, pièce A 1, page 33, paragraphes 128-129. 121

Mémoire de l’AAAQ, pièce A 1, page 33, paragraphe 127. 122

Mémoire de l’AAAQ, pièce A 1, paragraphe 127, présentation d’Exceldor, pièce A 84, paragraphe 15, présentation d’Avicomax, pièce A 85, paragraphes 4 et 11, présentation de Volailles Giannone, pièce A 86, paragraphes 13 à 20 et pièce A 86A, présentation Volailles Marvid, pièce A 87, paragraphes 9 et 27, présentation Ferme des Voltigeurs, pièce A 88, paragraphes 15, 16, 20 à 22, présentation d’Olymel, pièce A 89, paragraphes 91 à 96. 123

Argumentation écrite de l’AAAQ, 16 janvier 2018, page 90, paragraphe 502.

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approvisionnements, permettent aux abattoirs de signer des ententes d’approvisionnement à long terme avec leurs clients.

[206] Elle considère que sa position doit être retenue parce qu’elle prône « un système québécois stable, prévisible, flexible et harmonisé au système canadien de gestion de l’offre ». Elle ajoute que cette description serait d’autant plus valable qu’elle correspond aux objectifs poursuivis par la gestion de l’offre, tels que la Cour d’appel les a reconnus en 2013124.

Les conséquences négatives d’un marché libre de l’approvisionnement de poulets vivants destinés à l’abattage

[207] L’AAAQ souligne que le retour au marché libre des approvisionnements au Québec et la fin de l’harmonisation Québec-Ontario signifient que les abattoirs de l’Ontario pourront acheter du poulet vivant au Québec, sans pour autant que le marché du poulet vivant des producteurs de l’Ontario soit accessible aux abattoirs du Québec125.

[208] Selon elle, le vrai motif derrière la position des Éleveurs est d’obtenir un meilleur revenu via les primes126, elle ajoute : « Clairement, sur la base de prétextes, d’incohérences et d’erreurs répétées, la position des ÉVQ dans le présent dossier vise à réécrire l’histoire127 ».

[209] Elle réfute l’argument des Éleveurs que les VAG harmonisés entraînent une rigidité « intolérable » dans les relations d’affaires entre producteurs-acheteurs, alors que leur directeur M. Jean-Philippe Deschênes-Gilbert128 a indiqué à la Régie que 20 % des producteurs ont changé d’abattoir au cours des six derniers mois.

[210] Sans VAG ni Protocole, l’AAAQ estime que le nouvel environnement va faire en sorte que les producteurs seront en mesure de dicter leurs choix aux acheteurs de poulets, mais cela se traduira toujours par « plus d’argent ($) » à être payé par un acheteur de poulet bien au-delà du coût de production pour s’assurer de se procurer la matière première dont il a absolument besoin pour faire fonctionner son usine129.

[211] À cet égard, elle rappelle les propos que M. Leblanc a tenus lors de son témoignage130 : « … les producteurs veulent obtenir les meilleures conditions de vente possible pour leurs poulets, ce qui inclut le prix ».

[212] De plus, l’AAAQ s’interroge sur ce que veut dire le manque de concurrence invoqué par les Éleveurs pour justifier le marché libre des approvisionnements. La concurrence de la distribution et du détail existe, elle se caractérise par la présence de grands détaillants qui se consolident pour être plus efficaces et réduire leurs coûts afin de répondre aux demandes des consommateurs, tels que Loblaw, Metro, IGA-Sobeys, WalMart, Costco, les grandes chaînes de

124

Cour d’appel Association des abattoirs avicoles du Québec c. Nadeau Poultry Farms ltd, 2013, QCCA 2025. 125

Mémoire de l’AAAQ, pièce A 1, page 16, paragraphes 73 et 74. 126

Argumentation écrite, AAAQ, 16 janvier 2018, page 3, paragraphe 10. 127

Argumentation écrite, AAAQ, 16 janvier 2018, page 3, paragraphe 10 et page 60, paragraphe 355. 128

M. Deschênes-Gilbert est directeur des affaires règlementaires au sein des Éleveurs. 129

Argumentation écrite de l’AAAQ, paragraphe 39, page 10. 130

Présentation de M. Leblanc,pièce P 69, paragraphe 94, page 15.

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restauration, telles que les Rôtisseries St-Hubert (Cara), Poulet Frit Kentucky, Wendy’s, Burger King, Tim Hortons et les grands distributeurs canadiens, tels que Sysco et GFS131.

[213] Elle suggère que les Éleveurs recherchent la compétition, non pas au niveau de la relation entre les transformateurs et leurs clients de la distribution et du détail, mais au niveau de l’achat de poulets vivants, ce qui se traduira par des primes : « ceci est l’objectif véritable des ÉVQ »132.

[214] Pour illustrer que la concentration des abattoirs et ses prétendus effets sont un prétexte, elle cite les propos de Doyon qui voit avec la fin des VAG, le retour des primes et la disparition de certains abattoirs, ce qui augmentera la concentration de l’industrie. Elle souligne l’incohérence de l’argument concernant la trop grande concentration de l’industrie de l’abattage alors que leur proposition d’élimination des VAG augmentera cette concentration133.

[215] L’AAAQ conteste les calculs de Tamini concernant l’augmentation de concentration de 1 % des abattoirs, avec le maintien des VAG, mais quoi qu’il en soit, elle soumet que le préjudice d’une augmentation de concentration de 1 % du secteur de la transformation est trop faible pour que la Régie s’en préoccupe (de minimis non curat praetor (le juge ne doit pas s’occuper de choses de peu d’importance).

[216] L’expert Yves Richelle (Richelle) a quantifié ce que représenterait 1 % d’augmentation de la concentration des abattoirs. En se basant sur les calculs de Tamini, il estime qu’il y aurait une hausse de 3/10 de cents du kg du prix du poulet auprès du consommateur (sur un prix de détail de 8 $ le kg), ce qui pourrait engendrer une baisse de la demande des consommateurs de 0,02624 %, puis une baisse de la production pour s’ajuster à la baisse de la demande des consommateurs. Sur une production de 60 Mkg par période, une baisse de 0,02624 % de production équivaut à 15 744 kg de production. Les 15 744 kg par période de perte de production équivalent à environ 100 000 kg par année de production supplémentaire pour l’ensemble des producteurs, ou 140 kg par année par producteur134. Ces chiffres sur une base annuelle sont à considérer dans une production globale annuelle d’environ 425 Mkg.

[217] Richelle a de plus témoigné que d’un point de vue statistique, dans l’exercice de Tamini concernant la demande inverse, on peut trouver des corrélations entre variables, par exemple entre le prix que le consommateur est prêt à payer et l’indice de concentration des abattoirs, qui n’ont aucune relation de cause à effet du point de vue de la théorie économique. Si la démonstration statistique ne montre pas de corrélation, il n’y a pas de lien de cause à effet entre les deux variables analysées. Mais même lorsqu’il n’y a pas de lien de cause à effet entre deux variables, il peut y avoir une corrélation statistique. Pour Richelle, l’indice de concentration n’est pas un facteur qui a un impact sur la demande de poulet des consommateurs, car du point de vue de la théorie économique, il n’y a pas de lien entre la demande du consommateur et la concentration135.

131

Mémoire de l’AAAQ, pièce A 1, page 61, paragraphe 311 et 312. 132

Mémoire de l’AAAQ, pièce A 1, page 61, paragraphe 314. 133

Transcription du 28 février 2017, Doyon, pages 317-319. 134

Transcription 6 juillet 2017, Richelle, pages 404-411 et 417-429. 135

Témoignage le 5 juillet 2017, Richelle, page 227, lignes 16 à 20, page 240 lignes 5 et 6, et pages 241 à 244.

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[218] Ainsi, Richelle réfute l’existence d’une démonstration par Doyon et Tamini qu’il existe une relation de cause à effet entre la marge des abattoirs et l’exercice d’un pouvoir de marché136.

Le sous-approvisionnement du marché et l’allocation nationale

[219] L’AAAQ conteste la position des Éleveurs selon laquelle, d’une part, le sous-approvisionnement du marché des dernières années est dû aux transformateurs qui voulaient protéger leurs marges et, d’autre part, qu’un marché libre des approvisionnements forcera les transformateurs à demander davantage d’allocation pour ne plus à avoir à payer de primes.

[220] Elle s’oppose aux affirmations des Éleveurs quant au poids du vote des transformateurs dans la détermination de l’allocation nationale, alors que les abattoirs du Québec n’ont aucun vote dans ce mécanisme et que les règles en place ne permettent pas aux transformateurs du Canada de décider de la croissance de l’allocation nationale.

[221] Elle trouve inconcevable l’argument des Éleveurs qu’un transformateur du Québec n’ait qu’à demander plus de poulets pour en obtenir137.

[222] L’expert Daniel-Mercier Gouin (Gouin) explique qu’en raison des mécanismes en place pour la distribution des allocations entre les provinces138, il est impossible pour un abattoir donné, qui fait face à un besoin légitime d’approvisionnement de poulets vivants pour servir un marché, d’obtenir le volume de poulet qu’il souhaite. En conséquence, dans un marché libre des approvisionnements, les abattoirs ne pourront pas recevoir les volumes de poulets dont ils ont besoin même s’ils en faisaient la demande.

[223] À ce sujet, M. Brodeur soutient que le pouvoir décisionnel concernant les taux de croissance de l’allocation nationale n’est pas « dans les mains » du CCTOV (les transformateurs), mais plutôt dans celles des offices provinciaux (les producteurs).

[224] Pour que le Québec puisse obtenir, pour ses abattoirs, un pourcentage donné d’augmentation de son allocation, les règles font en sorte que toutes les provinces doivent recevoir ce même pourcentage. Les producteurs du Québec doivent ainsi convaincre les producteurs des autres provinces de supporter un taux de croissance pour servir les besoins des abattoirs du Québec.

[225] Concernant l’affirmation des Éleveurs selon laquelle les transformateurs demandent en général des taux de croissance inférieurs aux leurs, l’AAAQ souligne que pour plusieurs périodes de A 113 à A 148, certains offices provinciaux se sont opposés au taux de croissance de l’allocation nationale alors que les Éleveurs ne l’ont jamais fait. Pendant cette période, ils n’ont fait aucune plainte au sujet de l’allocation nationale au Conseil des produits agricoles du Canada (CPAC).

[226] Au cours des dernières années, les Éleveurs ont toujours voté en faveur des taux de croissance des allocations. Dans ces circonstances, l’AAAQ soumet qu’ils ne peuvent pas critiquer les taux de croissance de l’allocation nationale qu’ils ont approuvés et imputer aux

136

Expertise Richelle, pièce C 3, pages 251 et 252. 137

Argumentation de l’AAAQ, paragraphe 351. 138

Transcription du 3 mars 2017, page 138.

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transformateurs et aux VAG un sous-approvisionnement du marché au cours de ces mêmes années. Elle soumet que la position prudente des membres de l’industrie, CCTOV, Association canadienne des surtransformateurs de volailles (ACSV) et Restaurants Canada (RC), vient du fait qu’ils prennent tous les risques en cas de surallocation du marché139, mais cette prudence ne peut être assimilée à une volonté de sous-approvisionner le marché.

[227] Richelle, de son côté, soutient que contrairement à ce que Doyon avance, les VAG ne fournissent pas aux abattoirs une incitation à réduire la quantité de poulets mis sur le marché, ils leur fournissent plutôt l’incitation à utiliser la totalité des VAG qui leur sont attribués parce que si un abattoir n’utilise pas la totalité de ses VAG, une partie lui sera enlevée au profit de ses concurrents. Pour Richelle, les abattoirs sont incités à abattre la totalité des poulets produits et à les mettre à la disposition du marché, donc les VAG ne donnent pas en soi une incitation aux abattoirs à réduire la quantité de poulets sur le marché140.

[228] Toutefois, selon lui, l’abandon des VAG va donner aux producteurs la possibilité d’avoir deux sources de revenus : la vente du poulet (au prix réglementé) et les primes qu’ils peuvent recevoir des abattoirs141.

[229] Analysé sous l’angle du comportement stratégique d’entreprises, Richelle avance que l’abandon des VAG va donner aux producteurs de poulets une incitation à réduire l’approvisionnement du marché pour effectivement profiter des primes142. Il ne soutient pas que les producteurs vont effectivement sous-approvisionner le marché, mais plutôt il constate que l’élimination des VAG est de nature à générer une incitation à le faire pour les producteurs.

[230] Concernant cette question de sous-approvisionnement ou de taux de croissance de l’allocation nationale, l’AAAQ rappelle à la Régie qu’elle n’a pas compétence pour modifier les règles d’attribution.

139

Cahier des pièces, pièce A 2, onglet 30, lettre du CPAC du 7 octobre 2014 et expertises, pièce C 3, onglet 11, pages 253, paragraphe 55. 140

Transcription 2 juin 2017, page 241 et 246-247. 141

Transcription, 2 juin 2017, page 249-250. 142

Transcription, 2 juin 2017, page 255 (lignes 18 à 23), page 256, lignes 10 à 20.

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Les prix de gros sont influencés par des facteurs indépendants des transformateurs ou des VAG

[231] Selon l’AAAQ, il n’est pas justifié que tous les facteurs qui interviennent dans la détermination du prix de gros dans le poulet aient été écartés des analyses de pouvoir de marché faites par Doyon de même que par Grier et Mussell. Il est acquis que ces facteurs sont reconnus comme ayant une influence sur les prix de gros, donc sur les marges brutes des transformateurs. Cette omission est de nature à discréditer les conclusions tirées par ces experts concernant l’exercice d’un pouvoir de marché par Olymel et Exceldor.

[232] Richelle retient qu’il puisse y avoir un facteur, autre que le prix aux producteurs, qui explique la marge brute des abattoirs pour la période 2013-2015, possiblement le prix du bœuf143.

[233] L’AAAQ souligne que la question du prix des viandes concurrentes au poulet a attiré l’attention de l’ensemble des provinces et des PPC en 2014 et 2015, alors que le prix du bœuf s’envolait.

[234] Elle rappelle qu’un rapport Nielsen, de 2014, commente les prix et la consommation de viandes fraîches (bœuf, porc, poulet) sur le marché du détail au Canada, document tiré de la soumission de l’Alberta aux PPC pour l’allocation nationale :

Consumer purchases continue to shift to chicken... While year over year total fresh meat volume has declined by 2.4 % or 18.6 Mkgs, fresh chicken is experiencing strong, steady growth.

Fresh chicken grew by 6.1 % or 15.8 Mkgs; beef declined by 9 %, or 21.5 Mkgs; and pork declined by 5.9 %, or 8.7 Mkgs. (2014 vs. 2013 YOY % change, notre addition)

[…]

Chicken’s relative value when compared to other proteins, along with its health attributes, will keep demand strong. Kevin Grier’s latest Chicken Market Report indicated several statements that supports this : ‘Despite the increases in prices, Canadian consumers continue to increase their consumption of chicken to start 2015. The combination of higher prices and higher consumption is a sign of very strong chicken demand.’

Wholesale chicken prices are running slightly above the previous five years. Reports are indicating heifers retained this past fall cannot increase the beef supply until about 2017. Others indicate tight beef supplies are expected to continue through 2019». (Source: ‘Beef industry faces higher prices, lower margins and shrinking demand by Citywire Dec 30, 2014. ‘Poultry production may be ramping up’. By Chris Hurt, professor of agricultural economics at Purdue University Dec 5, 2014)

144.

[235] Selon l’AAAQ, Grier reconnaît que plusieurs facteurs ont exercé une pression à la hausse (bullish factors) sur les prix de gros du poulet en 2016, dont le prix des viandes concurrentes (bœuf et porc), un contexte pertinent pour l’analyse des marges des transformateurs.

[236] L’AAAQ souligne que les analyses de Grier démontrent que les marges des abattoirs peuvent être influencées par le prix des viandes concurrentes, le niveau des importations de

143

Idem. 144

Cahier des pièces, pièce A 2, onglet 61, recommandation de l’Alberta, pages 2-3.

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poulet, les événements qui se passent aux États-Unis dans le poulet, la force et la sensibilité des prix au détail, la valeur du dollar canadien. Ce sont tous des facteurs qui exercent une pression à la hausse sur le prix du poulet et que les transformateurs ne contrôlent pas.

[237] De plus, l’AAAQ rappelle que selon Grier, les facteurs qui sont sous le contrôle des transformateurs sont la production de poulets et le niveau des inventaires. Dans la période couverte (quatrième quart de 2016 et premier quart de 2017), ces derniers facteurs étaient des facteurs qui exerçaient une pression à la baisse (bearish factors) sur les prix de gros du poulet, puisque la production de poulets augmentait plus vite qu’habituellement.

[238] L’AAAQ fait valoir que les prix élevés du porc et du bœuf sont des circonstances indépendantes des transformateurs de poulet.

[239] Grier admet que : « A number of independent circumstances can come to work together to increase processors leverage in the market place »145.

[240] Le tableau 10 du rapport de Grier compare les données canadiennes des marges brutes des transformateurs et la demande canadienne de poulet de 2007 à 2017. Grier soumet qu’à partir de 2013, les marges des transformateurs ont une forte corrélation avec la demande canadienne de poulet, alors qu’avant 2013, il y avait très peu de corrélation146. Bien qu’il avance l’hypothèse que le Protocole a pris effet et que c’est peut-être une illustration de l’exercice d’un pouvoir de marché, il ajoute que d’autres facteurs sont intervenus notamment la croissance extraordinaire de la valeur de la poitrine de poulet au Canada par rapport aux États-Unis147. Il ajoute : « When the market is short of beef and pork, I think a processor should rightly use that as a leverage in his dealings with retailers (…) it’s a form of market power»148.

[241] L’AAAQ conteste l’approche de Grier et particulièrement le fait qu’il analyse ces situations comme un pouvoir de marché des transformateurs découlant des VAG harmonisés, alors qu’il s’agit de conditions du marché qui ne sont pas créées ni contrôlées par les transformateurs.

[242] L’AAAQ relève les facteurs cités par Grier dans un rapport intitulé « Canadian Chicken Market Review, Kevin Grier, septembre 2016 » qui influencent les prix du poulet à la hausse ou à la baisse149 :

The market argument for Canadian Wholesale Chicken Prices through: DECEMBER 2016

Bullish

1. Chicken is competitively priced compared to beef at wholesale. 2. Retail chicken margins are robust. 3. U.S. legs are finally gaining traction. 4. Retail chicken price increases are easing. 5. A weaker C $ means higher import costs. 6. Seasonal strength is just starting for wings. 7. All restrictions against the U.S. are largely ended except China. 8. Fowl imports are being restricted. 9. Demand has improved.

145

Transcription du témoignage de Kevin Grier, 14 mars 2017, pages 149-150. 146

Cahier des expertises et contre-expertises, pièce C 3, onglet 5, pages 136-137. 147

Transcription du témoignage de Kevin Grier, 14 mars 2017, page 167. 148

Transcription du témoignage de Kevin Grier, 14 mars 2017, page 150. 149

Rapports mensuels du marché canadien dans le poulet, pièce 0 7, septembre 2016.

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Bearish

1. U.S. exports will remain problematic due to the Russian and Chinese bans. 2. Storage stocks hang over the market in the U.S. and Canada. 3. Seasonally breasts weaken in the 4th quarter. 4. Canadian production will increase faster than usual into the fourth quarter. 5. U.S. production will continue to build on records made last year. 6. Imports will trend higher. 7. Competing meats are building supply.

[243] Dans cette section du rapport150, Grier conclut :

The exceptional September provides a strong position for the rest of the year. Breasts will fall as usual but still be relatively high. Wings and legs outperform norms. The chicken market continues to perform better than expected.

[244] L’AAAQ soumet que les rapports de prévisions de marché de Grier qui ont suivi, jusqu’en mars 2017, contiennent à peu près les mêmes facteurs qui influencent les prix de gros du poulet à la hausse. Elle soutient que les transformateurs québécois ne contrôlent pas ces facteurs et que Grier et Doyon les auraient volontairement écartés de leurs analyses et conclusions concernant la MBT. Par le fait même ils les ont écartés de leurs analyses concernant le pouvoir de marché.

[245] L’AAAQ demande donc à la Régie de ne pas tenir compte des conclusions des experts Doyon et Grier concernant l’exercice d’un pouvoir de marché par Olymel et Exceldor.

Rejeter l’allégation de pouvoir de marché

[246] L’AAAQ s’appuie sur les analyses de Richelle et Gouin pour demander à la Régie d’ignorer les conclusions de Tamini concernant le pouvoir de marché en raison de l’absence totale de force probante à son rapport.151

[247] Richelle affirme qu’il n’est pas justifié d’un point de vue statistique, comme l’a fait Tamini, d’utiliser les données du Canada faute de disposer des données du Québec.152 Il qualifie la méthode de hasardeuse et souligne de nombreuses failles tant dans la méthodologie que l’exécution des tests effectués. Entre autres, Richelle indique que les conclusions de Tamini et Doyon ne peuvent être retenues, car ils n’ont pas exécuté la première tâche à effectuer dans l’analyse d’un pouvoir de marché, soit de définir le marché auquel les entreprises appartiennent, c’est-à-dire ses limites géographiques claires. Ils se sont plutôt appuyés sur un marché limité au Québec153, alors que Gouin et d’autres, incluant les Éleveurs, concluent à « un seul et même marché pour le Canada central »154.

[248] Il rejette la démonstration par Tamini de l’existence et l’exercice d’un pouvoir de marché en ces termes : « ce n’est pas l’accélération d’une croissance, ni même la croissance de parts de marché qui conduit à l’exercice potentiel d’un pouvoir de marché, mais le niveau des parts de

150

Rapports mensuels du marché canadien dans le poulet, pièce 0 7, septembre 2016. 151

Argumentation écrite, paragraphe 732 152

Cahier des expertises et contre-expertises, pièce C 3, onglet 11, page 247, paragraphe 21. 153

Cahier des expertises et contre-expertises, pièce C 3, onglet 11, paragraphe 30. 154

Cahier des expertises et contre-expertises, pièce C 3, onglet 7, page 183 et argumentation écrite de l’AAAQ par. 391.

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marché détenues par les deux entreprises d’abattage les plus importantes… Pour arriver à ses conclusions, l’auteur aurait donc dû démontrer en quoi la mise en place du protocole a conduit des entreprises, qui pendant plus d’une dizaine d’années possédaient des parts de marché suffisantes pour exercer un pouvoir de marché et ne l’ont pas fait, à modifier leur comportement et à décider d’exercer un pouvoir de marché. Cette démonstration d’un changement de comportement et donc de l’exercice d’un pouvoir de marché n’a pas été faite ni empiriquement ni théoriquement par l’auteur du rapport. Ceci conforte notre évaluation à l’effet que les conclusions de l’auteur sont non probantes. »155

[249] De plus, Richelle n’accepte pas qu’un pouvoir de marché soit défini comme étant la capacité d’une industrie d’augmenter son prix au-dessus de son coût marginal, tel que le soumet Doyon. Pour lui, le pouvoir de marché se définit par rapport au prix du marché156, et non par rapport aux coûts d’une entreprise.

[250] Richelle, à la suite de son analyse des rapports de Doyon et Tamini, conclut que rien n’indique que le système des VAG et le Protocole engendrent une baisse de concurrence sur le marché de gros, là où se rencontrent les abattoirs et les chaînes de distribution.157

[251] L’AAAQ ajoute que Tamini a utilisé, pour ses analyses, l’indice du prix au détail au Canada et non l’indice du prix de gros. Ainsi, il ne peut donc dire si les effets qu’il observe concernent le Québec ou le Canada. De plus, il serait incapable de dire si le pouvoir de marché concerne les abattoirs ou les chaînes de détaillants.

[252] Elle attaque également la conclusion de Doyon qui s’appuie sur les analyses de Tamini pour conclure que le pouvoir de marché des abattoirs serait « empiriquement constaté ». Selon elle, le manque de force probante des conclusions de Tamini empêche de les utiliser pour tirer toute autre conclusion sur lesquelles elle s’appuierait158.

[253] Gouin réfute aussi l’argument que les abattoirs exerceraient un pouvoir de marché et auraient pu imposer un prix aux détaillants depuis 2013. De plus, il soutient que l’hypothèse que deux abattoirs avicoles du Québec, soit Olymel et Exceldor qui comptent pour 25 % des abattages au Canada, seraient en mesure d’imposer le prix de détail dans l’ensemble du Canada « ne fait pas de sens »159.

[254] Témoignant sur cet aspect, le représentant d’Exceldor, M. Cormier, affirme que la structure du marché ne permet pas aux abattoirs d’exercer un pouvoir de marché sur les détaillants, tel que le prétendent les Éleveurs. Il dresse le portrait des acheteurs : trois grandes bannières au niveau du marché de détail (Metro, Sobeys, Loblaw), deux grands détaillants à escompte (Costco, Walmart), trois distributeurs majeurs (Sysco, GFS, Colabor), cinq grands propriétaires de restaurants (Cara qui possède St-Hubert, Swiss Chalet et Harvey’s; Restaurant Brand International qui possède Tim Horton, Wendy’s, Burger King; Yum qui couvre PFK, Pizza Hut, Taco Bell, McDonald, Subway) et de plus petits comme Benny & Co, Rôtisseries Benny, Fusée qui sont sur le territoire québécois. Il affirme qu’avec une telle concentration des

155

Cahier des expertises et contre-expertises, pièce C 3, onglet 11, paragraphe 69. 156

Témoignage du 6 juillet 2017. 157

Cahier des expertises et contre-expertises, pièce C 3 onglet 11, pages 15-16. 158

Argumentation écrite de l’AAAQ, 16 janvier 2018, paragraphes 417 et 418. 159

Transcription, 3 mars 2017, page 141, lignes 15 à 21.

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acheteurs au niveau canadien, le pouvoir de négocier est faible et Exceldor ne peut exercer de pouvoir de marché160.

[255] Selon lui, la croissance dans la vente de viande fraîche vient surtout de WalMart et Costco qui exercent beaucoup de pression pour réduire le coût de leurs intrants, ainsi les transformateurs, comme Exceldor, reçoivent des fournisseurs alimentaires des demandes de réduction du coût de leurs intrants et des réductions de prix ne peuvent être refusées. Ces réductions de prix sont prises par les chaînes à même les paiements des factures de vente de produits de poulet161.

[256] Dans le marché de produits à valeur ajoutée pour la volaille fraîche dans lequel se concentre Exceldor, les contrats de vente sont établis de plus en plus selon une formule « cost plus », à savoir le prix du poulet vivant plus une marge qui couvre les frais et la profitabilité. Ces contrats prévoient des spécifications à respecter sous peine de pénalités monétaires. Pour Exceldor, les produits vendus sous la formule « cost plus» représentent plus de 50 % des ventes et sont en progression continuelle162.

[257] M. Cormier soutient qu’il est impossible pour les transformateurs d’exercer un pouvoir de marché. En raison du nombre important de transformateurs et du nombre restreint de clients nationaux, ceux-ci exigent des transformateurs de larges volumes à un prix toujours plus bas. Cette situation crée une pression pour la consolidation des entreprises au niveau canadien. Les transformateurs doivent augmenter leur capacité de transformation et leur approvisionnement pour se positionner comme joueur national. M. Cormier soutient que ceci est un processus naturel en affaires qui n’a rien à voir avec la Convention163.

[258] L’AAAQ ajoute que la détermination du prix au détail relève des détaillants, alors que le prix de gros relève de la négociation entre les abattoirs et leurs acheteurs (distributeurs, chaînes de restauration, surtransformateurs).

[259] Elle rejette également l’allégation des Éleveurs que les marchés sont mal desservis par les transformateurs du Québec. Elle qualifie cette allégation de vague et imprécise. Elle rappelle que M. Marc-Antoine Benny, le seul témoin à avoir abordé ce sujet a confirmé ne pas avoir manqué de poulet et qu’ADP Direct Poultry en Ontario, a connu une croissance de 184 % en quatre ans. Elle conclut qu’aucune preuve ne démontre que les marchés sont mal desservis.

[260] Elle demande de plus à la Régie d’écarter l’idée que le niveau de concentration des entreprises soit la seule mesure pour conclure à l’exercice d’un pouvoir de marché. Elle rappelle le témoignage de Richelle qui indique qu’il faut vérifier si « le prix pratiqué sur le marché est significativement plus élevé que le prix concurrentiel », et ce, à partir de données brutes et non d’indices comme ont utilisé Doyon et Tamini164. Selon elle, cette preuve n’a pas été faite.

[261] Elle souligne que l’allégation d’exercice de pouvoir de marché par les abattoirs est sérieuse et relève d’une instance spécialisée, soit le Bureau de la concurrence. En 2009, une décision a été rendue par le Bureau de la concurrence qui affirme :

160

Présentation d’Exceldor, pièce A 84, page 8, paragraphe 21. 161

Présentation d’Exceldor, pièce A 84, page 8, paragraphes 22 et 23. 162

Présentation d’Exceldor, pièce A 84, pages 9 et 11, paragraphes 26 et 34. 163

Présentation d’Exceldor, pièce A 84, page 9, paragraphe 24. 164

Témoignage de Richelle, transcription du 2 juin 2017, pages 79, 220-221.

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Nous sommes convaincus que ni Olymel ni aucun autre transformateur sur le marché n’exerce actuellement un pouvoir de marché. À des fins de comparaison, le marché que nous examinons d’abord, sans égard au refus, est un marché où l’on retrouve de nombreux transformateurs : beaucoup de petits transformateurs et un certain nombre de transformateurs plus gros, notamment Maple Lodge, Maple Leaf, Exceldor et Olymel

165.

[262] Lors de son témoignage, Richelle identifie les critères reconnus par le Bureau de la concurrence pour procéder à une telle qualification, il constate que les Éleveurs et les experts qu’ils ont mandatés n’ont pas procédé à l’analyse rigoureuse que ces critères impliquent et que leur conclusion n’a, de ce fait, aucune force probante.

[263] L’AAAQ relève également les incohérences des experts concernant la période durant laquelle aurait été exercé un pouvoir de marché. Selon Doyon, c’est depuis 2013 alors que selon Tamini c’est depuis 2002. Cette contradiction s’ajoute pour rejeter l’allégation de pouvoir de marché en lien avec les VAG et la mise en place du Protocole.

[264] L’AAAQ soumet finalement que la preuve des Éleveurs sur la question est un faux-fuyant qui a soulevé un faux débat alors que les Éleveurs en font la pierre angulaire de leur démarche166

La marge brute des transformateurs n’est pas une mesure de la rentabilité des abattoirs

[265] Pour l’AAAQ, la MBT est un indice pour mesurer la santé financière d’un marché de commodité au Canada. Il ne s’agit pas d’une mesure de profitabilité des abattoirs du Québec. Cette marge est dérivée de l’indice EMI, un indice canadien de prix de gros qui couvre uniquement les ventes de produits de commodité, tels que les poulets entiers et les découpes fraîches vendues en vrac. L’indice EMI est calculé en prenant en compte moins de 25 % de la proportion de la production de poulets à l’échelle canadienne. La MBT n’indique pas qu’il y ait un « profit démesuré » comme le prétendent les Éleveurs ou que les abattoirs du Québec tirent avantage d’une rente économique167.

[266] L’AAAQ soumet que 20 à 25 % du poulet, vendu par ses membres, est vendu selon la formule « cost plus », c’est-à-dire une formule de prix qui fluctue en fonction du prix du poulet vivant, formule utilisée avec Costco, les rôtisseries, les restaurants ou les épiceries168. Ainsi, elle réfute que la baisse du coût du poulet vivant n’a pas été transmise aux clients et a été conservée par les abattoirs.

[267] De plus, elle ajoute qu’il est parfois difficile d’anticiper le marché en raison du fonctionnement de la gestion de l’offre dans le poulet. L’allocation nationale étant votée 14 semaines à l’avance en fonction des besoins estimés du marché, durant cette période des événements extérieurs peuvent survenir dans le marché sans qu’il n’ait été possible de les anticiper. À titre d’exemple, l’allocation pour la période A 131 et A 132 (couvrant l’été 2016) a été votée en mars 2016. À l’été, le prix du bœuf était élevé et la demande de poulet s’est renforcée créant une rareté. Cette rareté s’est traduite par une hausse du prix de poulet de commodité, donc une hausse de l’indice EMI et de la MBT.

165

Nadeau Ferme Avicole ltée c. Groupe Westco. inc. et als. (2009) Trib. conc. 6, du 8 juin 2009. 166

Argumentation écrite AAAQ par. 437-438. 167

Présentation d’Exceldor, pièce A 84, page 5, paragraphe 11. 168

Transcription du 2 mars 2017, page 177, lignes 6 et 7.

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[268] L’AAAQ souligne que la situation est différente pour les produits à valeur ajoutée, les prix sont convenus longtemps d’avance avec les clients, par contrat.

[269] À la question de la Régie sur ce que font les abattoirs quand le prix du poulet vivant diminue, l’AAAQ indique que le prix de gros ne baisse pas, ce qui peut avoir un effet favorable sur les marges tant que l’allocation dans les périodes subséquentes n’est pas ajustée169. Elle ajoute que l’inverse est vrai, le prix vivant peut augmenter faisant ainsi baisser les marges tant qu’un ajustement ne se fera pas.

[270] M. Brodeur admet que pour les années 2013, 2014 et 2015 la MBT a été en augmentation pour les produits de commodité et a été plus élevée que d’habitude générant plus de profits. Il souligne que cette situation est favorable, mais comme il s’agit d’un indice théorique ce ne sont pas toutes les entreprises qui en profitent. Également, selon lui, dans une telle situation toute la chaîne de production, soit les couvoiriers, les meuniers, les producteurs et les abattoirs peuvent aussi en profiter170.

[271] De plus, dans la période mentionnée, il y a eu une croissance de la production plus élevée que pour les années antérieures pour tenter de répondre aux besoins du marché en forte croissance. Selon M. Brodeur, il faut alors que toute la chaîne de production absorbe de telles augmentations des couvoiriers aux abattoirs ce qui nécessite de nombreux ajustements dans une telle situation.

[272] Dans les dernières années, les erreurs d’anticipation du marché du poulet par les PPC ont favorisé les transformateurs à court terme. Selon lui toutefois, l’analyse doit être faite à long terme. Étant donné que lorsque l’indice EMI est élevé, ceci veut dire que le marché est capable de prendre plus de poulet171, à long terme il y aura une production plus grande qui aura pour effet de faire baisser les prix et les marges.

[273] M. Cormier mentionne que si l’entreprise avait eu 100 % de son poulet vendu en produits de commodité dans les dernières années, Exceldor aurait eu des résultats records. Ce n’est pas le cas, puisque 50 % des ventes sont en poulet surtransformés, ce qui est une stratégie qu’Exceldor considère gagnante sur le long terme. Il qualifie de temporaire la situation de 2016-2017 où le marché de commodité a offert une solide performance. Il estime que la chute drastique de l’indice EMI, comme il le voit en fin de 2017, indique qu’il y a assez de poulet sur le marché172.

[274] Pour l’AAAQ, les marges des transformateurs sont cycliques et dans les bonnes années cette situation financière favorable permet des investissements au bénéfice de toute la filière173. Elle demande à la Régie de tenir compte qu’il y a des cycles moins favorables pour les transformateurs, alors que ce n’est pas le cas des producteurs qui bénéficient d’un prix garanti établi en fonction de leur coût de production.

Des règles d’approvisionnement harmonisées pour maintenir l’équilibre des forces au Canada central entre transformateurs et entre producteurs et transformateurs 169

Transcription du 2 mars 2017, témoignage d’Yvan Brodeur pour AAAQ, pages 127 à 130. 170

Transcription du 2 mars 2017, témoignage de d’Yvan Brodeur, page 129, lignes 21-22-23) 171

Transcription du 2 mars 2017, témoignage de d’Yvan Brodeur, page 129, lignes 20 à ligne 25, page 130. 172

Présentation d’Exceldor, pièce A 84, page 5, paragraphe 11. 173

Complément à la conclusion, pièce A 53, page 1.

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[275] L’AAAQ soutient que le marché du poulet vivant est celui du Canada central et non pas seulement celui du Québec, les principaux abattoirs ontariens peuvent desservir les mêmes clients que les acheteurs-abattoirs du Québec174.

[276] De plus, pour le poulet de surtransformation le marché est pancanadien175. Elle note que quatre des sept plus grands transformateurs canadiens (Olymel, Exceldor, Maple Leaf, Maple Lodge) sont situés dans le Canada central, ils abattent 50 % de tout le volume de poulets abattus au Canada et 80 % de celui abattu dans le Canada central (environ 20 % pour chacune des entreprises) où se retrouve 60 % de la population canadienne176.

[277] De plus, puisqu’il n’y a pas de barrière naturelle entre le Québec et l’Ontario comme c’est le cas entre l’Alberta et la Colombie-Britannique ou à l’intérieur de la Colombie-Britannique, elle souligne que le poulet vivant ou éviscéré peut voyager sans restriction entre Toronto et Saint-Hyacinthe177.

[278] Dans un tel contexte, l’AAAQ ne souhaite pas voir l’équilibre des forces de la filière laborieusement établi grâce à un système harmonisé de garanties d’approvisionnement, entre le Québec et l’Ontario, être déstabilisé par le marché libre des approvisionnements.

[279] Elle soutient que si les clients de ses membres constataient que leurs fournisseurs n’étaient plus en mesure de les approvisionner, les fondements de la gestion de l’offre risqueraient d’être ébranlés. Le système canadien d’allocation, qui sous-tend la gestion de l’offre dans le poulet, ne permet pas à un transformateur du Québec d’obtenir tout le poulet vivant qu’il souhaite.

[280] L’AAAQ affirme que le marché libre des approvisionnements ne fera pas produire un poulet de plus au Québec, il favorisera seulement un déplacement de poulets vivants entre acheteurs, que ces derniers soient au Québec ou ailleurs178.

[281] Elle fait également valoir que les VAG permettent un juste équilibre des forces entre les partenaires impliqués dans une industrie soumise à la gestion de l’offre.

[282] Gouin rappelle que le système de gestion de l’offre dans le poulet implique par définition des limites aux volumes qui peuvent être produits. Par conséquent, les volumes disponibles aux abattoirs sont également limités. Il soumet que c’est dans cette perspective que doit être évalué le système de garanties d’approvisionnement179.

[283] Il souligne que les marchés agricoles se caractérisent par leur très forte variabilité, mais que les producteurs de poulets canadiens sont à l’abri d’une telle variabilité des prix grâce à la stabilité que leur procure le mécanisme de détermination des prix en fonction du coût de production. En contrepartie, le volume de la production est établi pour répondre aux besoins du

174

Mémoire de l’AAAQ, pièce A 1, page 1, paragraphes 4 et 5. 175

Témoignage de Joël Cormier, 20 octobre 2017, transcription page 161 et 162. 176

Témoignage de Joël Cormier, transcription du 20 octobre 2017, page 168. 177

Témoignage de Joël Cormier, transcription du 20 octobre 2017, page 172. 178

Mémoire de l’AAAQ, C 2, onglet 1, paragraphe 8 et pièce A 53, page 4. 179

Cahier des expertises et contre-expertises, pièce C 3, page 164.

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marché intérieur canadien180, selon une méthode bien encadrée, mais soumise à des aléas et à des erreurs d’anticipation.

[284] L’adéquation des volumes de production avec la demande du marché est une condition essentielle à la gestion de l’offre et les décisions l’entourant sont gouvernées par un certain nombre de règles, dont la mise au vote, vote que ne contrôlent pas les transformateurs. Pour Gouin, l’approche des transformateurs est plus conservatrice que celle des producteurs quand vient le temps de demander des hausses de l’allocation nationale, parce que ce sont eux qui assument la responsabilité financière engendrée par le surplus de production181.

[285] Il fait valoir que contrairement au secteur laitier, lui aussi soumis à la gestion de l’offre, la responsabilité financière des surplus, en cas d’erreurs d’anticipation du marché, incombe aux transformateurs plutôt qu’aux producteurs. Il invoque le « compromis social » qu’implique la gestion de l’offre pour justifier l’imposition des contraintes qui viennent en contrepartie des privilèges182.

[286] Puisque la production de poulets est limitée en vertu des règles de la gestion de l’offre, l’absence de balises en matière de règles d’approvisionnement mène à l’apparition des primes. Pour Gouin, la mise en place où la tolérance d’un système de primes qui permettrait aux producteurs d’obtenir un prix supérieur à celui du coût de production est contraire à la finalité de la gestion de l’offre.

[287] Dans une situation de marché libre des approvisionnements, Gouin explique qu’une entreprise d’abattage qui souhaite augmenter ses parts de marché pourra verser un supplément aux producteurs, en fonction de son coût marginal de transformation (les coûts marginaux des abattoirs sont différents), voire à un niveau qui ne lui permet pas de couvrir ses coûts fixes à court terme, en espérant un profit à plus long terme. Selon lui, l’abolition des garanties d’approvisionnement et le retour au marché libre impliquent le retour aux primes telles qu’elles prévalaient avant 2011183. Les coûts marginaux des abattoirs étant différents les uns des autres, certains établissements ne pourront survivre dans un monde où règnent les primes.

[288] De plus, il souligne que le contexte au Canada central n’a pas changé depuis 2009 : Olymel et Exceldor se partagent 39,5 %,en 2009, et 40,8 %, en 2016, des parts du marché du Canada central, pour un CR4 de 80,3 %184. Il ajoute que le CR2 du Québec, comme mesure de concentration des entreprises, n’est pas une mesure adéquate, la concentration doit se mesurer sur le marché du Canada central.

[289] Il souligne qu’au Canada central, il existe une surcapacité d’abattage de près de 65 %, ce qui favorise, en cas de marché libre des approvisionnements au Québec, la compétition de tous les abattoirs du Canada central pour obtenir du poulet vivant. Il note que l’apparition de primes, qui découlera vraisemblablement de la concurrence entre les entreprises d’abattage pour

180

Cahier des expertises et contre-expertises, pièce C 3, pages 166 et 168. 181

Transcription, 3 mars 2017, pages 135 et 136. 182

Cahier des expertises et contre-expertises, pièce C 3, page 167. 183

Cahier des expertises et contre-expertises, pièce C 3, page 169. 184

Rapport d’expertise, Gouin, pièce A 27 CC, pages 8 et 20, et corrections des données de parts de marché.

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maintenir ou augmenter leurs parts de marché, n’engendre pas d’activité économique additionnelle, mais crée seulement un déplacement de volume entre abattoirs185.

[290] Pour ces raisons, Gouin soumet que des règles d’approvisionnement des abattoirs sont nécessaires et qu’un système d’harmonisation des règles d’approvisionnement des abattoirs au Québec et en Ontario, dans le Canada central, est souhaitable pour une mise en marché ordonnée et efficace.

[291] À ce sujet, Exceldor affirme qu’il est impératif que les prix au Québec et les VAG restent équivalents à ceux de l’Ontario, car le marché des produits frais à valeur ajoutée dans lequel elle opère est celui du Canada central186.

[292] M. Cormier témoigne du fait qu’un important client d’Exceldor lui a indiqué en décembre 2016, qu’avec l’éventualité de la disparition des VAG, il serait peut-être plus sécuritaire pour lui d’approvisionner ses magasins du Québec avec des transformateurs de l’Ontario plutôt qu’avec ceux du Québec187.

[293] Avec la disparition des VAG et la fin de l’harmonisation, l’absence de prévisibilité des volumes disponibles et du coût des poulets vivants peuvent nuire à toute la filière québécoise en suscitant des craintes réelles au niveau des approvisionnements.

[294] Pour les raisons expliquées ci-haut, l’AAAQ demande à la Régie de rejeter les allégations d’exercice de pouvoir de marché et du manque d’innovation des abattoirs au cours des dernières années.

[295] Elle demande de maintenir les VAG harmonisés dans le but de préserver la sécurité et la stabilité des approvisionnements aux abattoirs. Elle veut également préserver l’équilibre des forces entre producteurs, transformateurs, grossistes et détaillants.

[296] Au paragraphe 873 de son argumentation écrite, l’AAAQ ajoute :

Le but de l’AAAQ est de solidifier la filière afin d’être à la hauteur et d’anticiper les défis de l’avenir de manière cohérente. La fragiliser en instaurant de l’incertitude dans le marché, de la turbulence chez les investisseurs et du chaos entre les transformateurs et les producteurs ne représente pas une avenue raisonnable dans le contexte actuel. À long terme, toute la filière québécoise, aujourd’hui compétitive selon les ÉVQ eux-mêmes, ne pourra que s’affaiblir au détriment de tous, y compris des producteurs.

- L’AOCP : maintenir les volumes d’approvisionnement garantis, harmonisés entre le Québec et l’Ontario

[297] L’AOCP soutient que les Éleveurs n’ont pas fourni de preuve pour permettre à la Régie de conclure que les garanties d’approvisionnement prévues à la Convention doivent être éliminées. Elle ajoute qu’aucun des motifs invoqués par les Éleveurs au soutien de leur position n’est fondé.

185

Cahier des expertises et contre-expertises, pièce C 3, pages 170 et 171, et rapport d’expertise, Gouin, pièce A 27 CC, pages 4 et 5. 186

Présentation d’Exceldor, pièce A 84, page 11, paragraphe 33. 187

Présentation d’Exceldor, pièce A 84, page 24, paragraphe 89.

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[298] L’AOCP soutient que le maintien de garanties d’approvisionnement harmonisées entre le Québec et l’Ontario est dans l’intérêt de l’industrie avicole du Québec et du Canada central et que ce serait un recul pour toute l’industrie que d’y mettre fin.

[299] M. Kevin Thompson de Sargeant Farms en Ontario, affirme que les garanties d’approvisionnement sont une « évolution formidable de la gestion de l’offre188 » et que l’accord des quatre parties (le Protocole) constitue une réponse unifiée de l’industrie au mandat confié par l’ANRA de résoudre les problèmes engendrés par le commerce interprovincial Québec-Ontario.

[300] Il témoigne des réalisations et de la stabilité de l’industrie depuis l’entrée en vigueur du Protocole189 :

It (the four party agreement) was a tremendous achievement in my view… we were able to reach an agreement, and we were able to implement it, and we were able to resolve some specific issues…

It’s a great example of industry coming together and solving its problems. The industry has changed greatly over my forty (40) years…Things change, things progress. We need to adapt and evolve with it. Assurance of supply has been one of those adaptations over the years, and the harmonization between Ontario and Quebec has been another. It’s worked extremely well. We see tremendous investment in the industry. It’s been great for my company. I believe it’s been good for all processors. It’s been good for farmers. I can’t speak for farmers in Quebec in details, but certainly in Ontario. Farmers are building barns, we’re doing well, we have good relationships. I’ve heard that there’s eighteen (18)-month waiting list in Ontario to get a barn-builder to build a barn. We’ve had a tremendous growth over the last number of years. It’s worked extremely well. Brought stability to the industry. We’re now addressing ‘the right things’, about how to grow markets, and how to meet consumer needs. We’re not chasing each other up and down farmer’s laneways trying to rob each other of chickens.

[…]

I can’t recall a period of stability in Ontario that’s lasted as long this one that we’re currently involved in. In my view undoing any of it – the four (4)-party agreement, the harmonisation, assurance of supply – would be a great step backwards for our industry.

[301] Il soutient que la stabilité, la prévisibilité et l’assurance des approvisionnements sont critiques pour les décisions d’investissement de son entreprise. La fin des garanties d’approvisionnement harmonisées au Canada central lui ferait recommander aux propriétaires de l’entreprise de mettre les plans d’investissement en suspens, le temps d’évaluer les conséquences pour l’Ontario et de retrouver un environnement stable.

[302] Selon lui, la fin de l’harmonisation au Canada central mènera à la guerre des primes, en raison du manque de structure dans le système de commercialisation. Les fonds d’investissement seront alors requis pour supporter les primes. Il ajoute :

I’m here on behalf of Sargent Farms, I’m here on behalf of AOCP, because all the processors have the common interest that, in order to serve, to have confidence to invest in our future, to make capital expenditures, in order to serve our customers, we need to have confidence that our raw material – this means live chicken – will be there on a steady basis, and that the price is fair.

188

Question outline – Kevin Thomson, December 11, 12, 2017. Item 54. 189

Transcription du 12 décembre 2017, Kevin Thomson, pages 21 à 23.

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[…]

That our live chicken cost will be priced fairly. In other words, we won’t have to pay exorbitant premiums

190.

[303] Pour M. Thomson, la fin de l’harmonisation serait un important recul pour sa compagnie et toute l’industrie, car l’attention des compagnies serait dirigée vers la bataille quotidienne pour sécuriser les approvisionnements de poulets vivants au détriment de la commercialisation, de l’attention portée aux besoins des consommateurs, de l’innovation et des questions importantes pour l’industrie comme le bien-être animal191.

[304] M. Thomson évoque également son expérience chez Maple Lodge, à la fin des années 80, alors que l’industrie payait des primes et autres avantages pour sécuriser les approvisionnements en poulets vivants. Il indique que ces paiements n’étaient pas reliés aux conditions du marché en aval. L’escalade des primes ne visait qu’à garder son approvisionnement, que ce soit pendant les périodes de conditions de marché favorables ou défavorables192.

[305] L’AOCP réfute l’opinion des experts des Éleveurs voulant que les primes sont le signe que le marché n’est pas suffisamment approvisionné. Entre 2008 et 2013, les primes étaient à leur niveau le plus élevé, alors que la moyenne annuelle de croissance de l’allocation nationale, qui répondait aux conditions de marché, était modérée (variant de - 0.3 % en 2008 à 2 % en 2012, et 1,6 % en 2013)193.

[306] M. Mike Terpstra est le directeur exécutif de l’AOCP et depuis 2012, il agit comme gestionnaire du secteur du poulet au sein du CCTOV. À ce titre, il est directement impliqué dans le processus d’allocation nationale des PPC.

[307] Il témoigne que l’allocation nationale n’a pas été utilisée pour faire cesser les primes. Dans la période 2008-2013, selon son expérience, les PPC n’accordaient pas de plus grandes allocations en raison des primes élevées et du commerce interprovincial élevé; c’est l’évaluation des conditions de marché qui guidait le processus de décision de l’allocation, et la moyenne de la croissance déterminée par les PPC était alors de 1 %194.

[...] this data clearly shows that no stakeholders were asking for significantly more growth during this period when there was high premiums. And the reason for that is because the stakeholders are assessing the market conditions to determine allocations. They’re not looking at an agreement, they’re looking at marketing

195.

[308] M. Terpstra ajoute qu’après l’harmonisation, soit après 2013, toutes les parties demandaient des croissances plus élevées que pendant la période précédente. Elles se basaient sur l’évaluation des conditions de marché pour déterminer l’allocation.

190

Transcription, témoignage de Kevin Thomson, le 11 décembre 2017, page 188. 191

Transcription, témoignage de Kevin Thomson, le 11 décembre 2017, page 192. 192

Transcription du 11 décembre 2017, pages 142-143. 193

Allocation Setting and Market Results, pièce O 21. 194

Transcription du témoignage de Mike Terpstra, le 11 décembre 2017, page 155. 195

Transcription du témoignage de Mike Terpstra, le 11 décembre 2017, pages 156-157.

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[309] Selon son expérience, l’idée d’augmenter l’allocation nationale pour résoudre un problème de primes au Québec ne peut pas fonctionner. M. Terpstra soutient que les transformateurs ont peu d’influence sur les décisions finales des PPC196. De plus, une augmentation d’allocation au Québec doit passer par une plus grande allocation canadienne, ce qui déstabiliserait le marché.

And so, the only way to stamp out premiums would be to significantly increase the allocation in Canada so that you get more supply in the region, in this case Quebec. And that amount of increased supply would have to be so significant, it would be very destabilising to the marketplace. So, I don’t see how any processor or farmer board would be willing to agree to such an allocation.

So, this concept of increasing allocation to stamp out premium, it just doesn’t work. It’s not going to happen

197.

[310] Elle soutient que la « rente économique » aux producteurs ne doit pas être augmentée par l’effet de primes sans valeur commerciale.

[311] L’AOCP s’appuie sur les témoignages des experts Grier et Mussell pour affirmer que la « rente économique » peut exister dans le système de commercialisation en raison du prix réglementé du poulet vivant qui est basé sur le coût de production plutôt que sur les conditions de marché198.

[312] Selon elle, les Éleveurs veulent simplement que toute « rente économique » du système de commercialisation soit acheminée aux producteurs par le paiement de primes non justifiées commercialement, tout en gardant un prix réglementé pour le poulet vivant, basé sur le coût de production. Selon l’AOCP, ceci va procurer aux producteurs une prime au-dessus du profit raisonnable que procure le prix réglementé, ce qui est contraire à un des piliers fondamentaux de la gestion de l’offre.

[313] Elle rappelle les propos de M. Leblanc qui considère les primes de 0,15 $ le kg incompatibles avec la gestion de l’offre199.

[314] L’AOCP soutient que les Éleveurs n’ont pas démontré que les marchés ne sont pas approvisionnés adéquatement. Les témoins qu’ils ont fait entendre n’ont présenté que des situations en lien avec une période de resserrement du marché au cours de l’été 2017.

[315] Le resserrement du marché à l’été 2017 est dû aux circonstances particulières reliées aux actions du gouvernement pour mettre fin aux importations illégales de poules de réforme. Après cet épisode, la situation est revenue à l’équilibre avec les taux élevés de croissance de l’allocation nationale.

[316] L’AOCP soutient que ADP Direct Poultry a pu augmenter ses approvisionnements de poulets de 87 % depuis la mise en place de l’harmonisation, et de 33 % en 2017 seulement, et

196

Transcription, témoignage de Mike Terpstra, 11 décembre 2017, page 161. 197

Transcription, témoignage de Mike Terpstra, 11 décembre 2017, pages 160-161. 198

Closing written argument of the AOCP, paragraphes 8 et 9. 199

Transcription, 13 octobre 2017, page 279, témoignage de M. Leblanc : « On a mis le protocole en place – pardon – parce que les producteurs recevaient quinze cents (15 cents) de prime. Puis, honnêtement, c’est un scandale que les producteurs reçoivent quinze cents (15 cents) de prime dans le système de gestion de l’offre, je suis d’accord avec ça. C’est pas ça que le système veut. »

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que la vraie motivation de sa présence aux séances de la Régie est de voir l’Ontario changer ses règles d’approvisionnement pour lui permettre d’ouvrir une installation de transformation primaire (abattoir)200

[317] Quant au témoignage de Benny & Co, l’AOCP retient que cette dernière a pu faire une transition de ses approvisionnements de Nadeau à Exceldor de façon à ne pas affecter son plan de croissance et qu’elle a des relations harmonieuses avec Olymel.

[318] Elle ajoute que la croissance des allocations a permis de répondre aux besoins des marchés halal, tant au Québec qu’en Ontario.

[319] Enfin, l’AOCP soutient que les Éleveurs n’ont pas démontré que les garanties d’approvisionnement au Québec et en Ontario ont été la cause d’une sous-allocation nationale. Elle souligne que ce processus est contrôlé par les producteurs alors que les transformateurs ont une influence limitée, sans avoir le pouvoir de déterminer ou de bloquer une allocation des PPC.

[320] Elle convient que les transformateurs demandent en général une croissance moins élevée de l’allocation nationale, mais les transformateurs de tout le pays sont généralement en accord avec les recommandations d’allocations du CCTOV. De plus, ces recommandations sont basées uniquement sur une évaluation des conditions de marché, comme en a témoigné M. Terpstra. Si les transformateurs apparaissent plus conservateurs que les producteurs dans leurs demandes d’allocation, c’est qu’ils supportent tous les risques reliés à la mise en marché du poulet alors que les producteurs n’en supportent aucun. Elle rappelle que Doyon a convenu que l’allocation finale, lorsqu’il n’y a pas accord entre producteurs et transformateurs, est plus souvent près de la demande des producteurs que de celle des transformateurs.

[321] L’AOCP rappelle que M. Bill Vanderspek, du British Columbia Chicken Marketing Board, est venu témoigner de la satisfaction à l’égard du processus d’allocation nationale. Bien qu’il ait dit ne pas toujours obtenir le niveau d’allocation qu’il souhaite, il affirme que l’organisme dont il est membre est satisfait, de façon générale, des résultats des décisions d’allocations.

[322] L’AOCP souligne que bien que les Éleveurs expriment des réserves concernant le système d’allocation nationale, ces derniers n’ont jamais voté contre une seule allocation depuis l’entente d’harmonisation Québec-Ontario, sauf pour la période récemment votée, A 150, qui s’étale du 13 mai 2018 au 7 juillet 2018.

[323] Elle souligne également que la coopération existe avec les CFO et que la stabilité que procurent les garanties d’approvisionnement a permis de faire évoluer cette coopération vers le développement des marchés et les questions importantes pour toute l’industrie, comme les questions de bien-être animal.

[324] En prévenant le retour des primes non commercialement justifiées et les problèmes liés au commerce interprovincial, l’AOCP soutient que les garanties d’approvisionnement harmonisées renforcent la gestion de l’offre.

[325] Par contre, le marché libre des approvisionnements va rendre vulnérables pour leurs approvisionnements, les abattoirs de plus petite taille, face à la consolidation de l’industrie. Pour

200

Transcription, témoignage de M. Augo Pinho, 12 octobre 2017, pages 67 et 69.

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l’AOCP, ce ne sont pas les garanties d’approvisionnement harmonisées qui ont permis la concentration des transformateurs. À preuve, en Ontario, les deux plus grands transformateurs n’ont pas augmenté leurs parts de marché depuis201.

[326] L’AOCP a passé en revue les documents de Mussell et Grier qui font état des facteurs indépendants des transformateurs qui ont conduit à un renforcement des conditions de marché, il y est démontré que ce sont les conditions de marché qui rendent les transformateurs profitables ou non.

Don’t try to fix what is not broken’202

[327] En conclusion, l’AOCP soumet que le seul fait que les transformateurs aient réalisé des profits dans les dernières années n’est pas, en soi, une raison pour changer tout le système. Aujourd’hui, les transformateurs profitent de conditions de marché qui leur sont favorables; ce ne fut pas toujours le cas. L’AOCP suggère qu’il n’est simplement pas approprié de rendre les transformateurs plus vulnérables pendant les périodes de bonnes conditions de marché alors que le marché va changer inévitablement pour devenir moins favorable.

[328] L’AOCP supporte pleinement la position de l’AAAQ de maintenir les garanties d’approvisionnement harmonisées au Canada central.

DÉCISION

[329] La Régie souligne que les questions en litiges ont été débattues et argumentées par les parties dans le cadre d’une procédure qui peut être qualifiée d’historique pour la Régie; historique par le nombre de journées de séances publiques qui y ont été consacrées (44 jours) étalées du 24 janvier 2017 au 26 janvier 2018, par l’ampleur de la documentation déposée (238 pièces représentant des milliers de pages), par le nombre de témoins experts et ordinaires (29 témoins) et par les argumentaires volumineux (2 223 paragraphes au total).

[330] La question se pose : comment se fait-il qu’une industrie prospère, tant au Québec, qu’au Canada, qui bénéficie d’un environnement réglementé de production qui la protège, pour un produit qui obtient la faveur des consommateurs par rapport aux autres viandes, peut en arriver à consacrer autant de temps et d’efforts devant la Régie pour résoudre ses différends, alors que le secteur bénéficie d’une croissance inégalée 203?

[331] C’est une question qui trouve réponse, d’une part dans l’expression légitime de deux visions opposées : le marché libre au niveau des approvisionnements au Québec et les volumes d’approvisionnement garantis harmonisés avec l’Ontario. D’autre part, y a aussi l’insatisfaction des Éleveurs concernant les profits générés en aval de la production depuis 2013, alors que le prix du poulet vivant a baissé, ce qui les conduit à vouloir des changements qui ouvrent de nouveau la porte aux primes. Ceci fera l’objet de l’analyse qui suit.

201

Transcription- témoignage de Mike Terpstra, 12 décembre 2017, pages 14 et 15. Pièce O 28 confidentielle : Table of the Market Share of the AOCP Members, January 12, 2018. 202

Closing written argument of the AOCP, Section V – Conclusion. 203

Le taux de croissance annuel a varié de -0,3% à 2 %, entre 2008 et 2013. En 2017, les taux de croissance par période ont même atteint des niveaux de 4 et 5%.

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[332] La position des Éleveurs relativement à des aspects spécifiques de la Convention, tels que le tableau des primes, les mesures de transition dans la gestion des approvisionnements, les engagements d’achats sur un an, a été présentée pour la première fois en décembre 2017, laissant une impression d’improvisation sur la façon de mettre en place la vision du marché libre des approvisionnements en poulets destinés à l’abattage. De plus, le témoignage des représentants des abattoirs laisse craindre un impact quasi immédiat et dramatique pour la survie de certains abattoirs du Québec à la suite de la mise en place de la proposition des Éleveurs.

[333] En outre, la position mitoyenne entre avoir une filière réglementée, quant au volume et prix du poulet vivant, mais libre au niveau des approvisionnements, comme il se fait dans d’autres provinces canadiennes a été expérimentée au Canada central et a mené au chaos, soit à une guerre de marché et à des moratoires entre le Québec et l’Ontario, à des primes pour sécuriser les approvisionnements et à des volumes trop grands de poulets vivants transportés sur de longues distances dans l’est du pays, une situation que l’ANRA avait voulu voir résoudre par l’industrie, en 2009 et que le Protocole a effectivement résolu.

[334] La Régie n’a pas été convaincue par la preuve présentée que la proposition des Éleveurs serait au bénéfice de la filière ni même une façon de répondre aux préoccupations qu’ils ont soumises à la Régie, soit l’accélération de la concentration de l’industrie, le manque de concurrence des deux entreprises dominantes, Exceldor et Olymel, les profits indus des abattoirs, la sous-allocation du marché, la perte de volume d’abattage au Québec, le préjudice pour la filière de maintenir les VAG harmonisés.

[335] La preuve démontre de manière prépondérante que la proposition des Éleveurs mènerait au retour des primes aux producteurs qui nuisent à la rentabilité de l’industrie, à la disparition de certains abattoirs, à la perte probable pour les abattoirs québécois, de volumes de poulets produits au Québec, sans contrepartie d’accès aux poulets produits en Ontario.

[336] La Régie ne peut être en accord avec la position défendue par les Éleveurs de mettre en place, au Québec, un marché libre au niveau de l’approvisionnement de poulets vivants destinés à l’abattage.

[337] Bien qu’une vision de marché libre pourrait faire l’objet d’une réflexion approfondie de la part de l’industrie, la Régie trouve important de maintenir l’équilibre des forces entre le maillon production et transformation afin de s’assurer qu’un système coordonné de commercialisation ordonnée puisse exister au Québec, dans un contexte où les règles de la gestion de l’offre gouvernent la production canadienne de poulet et que le marché en est un du Canada central.

[338] La preuve soumise par les parties permet à la Régie de conclure qu’il est opportun, pour une mise en marché efficace et ordonnée du poulet dans le cadre de l’application du Plan conjoint, de maintenir dans la Convention des règles particulières concernant l’attribution des volumes d’approvisionnement aux abattoirs et l’harmonisation de ces règles avec l’Ontario. Le maintien de ces règles particulières qui permettent la stabilité et la sécurité des approvisionnements au Canada central est dans l’intérêt mutuel des producteurs et des transformateurs, dans l’intérêt de la filière, y compris le consommateur, et dans l’intérêt public.

[339] Également, la Régie souligne d’emblée qu’elle n’a pas le pouvoir de déterminer l’allocation nationale de production de poulet, ni même d’intervenir dans les décisions la concernant. Pourtant à plusieurs reprises, les Éleveurs ont affirmé que la solution à un sous-

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approvisionnement du marché se trouve au niveau national, dans le processus décisionnel concernant l’allocation nationale.

[340] À cet égard, il est important de rappeler que la production de poulet est soumise à un système coordonné de commercialisation ordonnée, tant au Canada qu’au Québec, et que la nouvelle Convention est mise en œuvre dans ce contexte.

- Le contexte national canadien : l’allocation nationale est déterminée en fonction des conditions de marché, et largement par consensus

[341] La production du poulet au Canada est assujettie, depuis 1978, à un système de gestion de l’offre dont les modalités font l’objet de l’Accord de 2001 qui a remplacé l’Accord fédéral-provincial relatif à la mise en place d’un système global de commercialisation du poulet au Canada conclu en 1978.

[342] L’Annexe « B » Entente opérationnelle (Entente opérationnelle) de l’Accord de 2001 a été remplacée le 6 mai 2015, après plus de huit années de négociation entre les provinces canadiennes, par une nouvelle entente opérationnelle dont l’application a débuté à la période A 127, soit la période du 2 novembre 2014 au 8 décembre 2014.

[343] Cette nouvelle entente résulte elle-même d’une entente de principe conclue par les offices provinciaux de commercialisation du poulet et les PPC qui ont adopté, le 10 novembre 2014, le Protocole d’entente pour un accord sur les principes fondamentaux de l’exploitation du système coordonné de commercialisation ordonnée du poulet.

[344] Il convient de rappeler les buts et objectifs de l’Accord de 2001 qui sont les suivants :

1.00 But et objectifs

1.01 Le présent Accord établit un système de commercialisation ordonnée du poulet coordonné de façon flexible et axée sur le marché, comportant les mesures de protection nécessaires pour assurer l’uniformité, la prévisibilité et la stabilité en conformité avec les objectifs suivants :

(a) optimiser l’activité économique durable dans l’industrie du poulet;

(b) rechercher des débouchés tant sur le marché national que sur le marché international;

(c) améliorer la compétitivité et l’efficacité dans l’industrie du poulet;

(d) travailler dans l’intérêt mutuel des producteurs, des intervenants de l’industrie et des consommateurs.

(notre soulignement)

[345] L’Annexe « A » de l’Accord de 2001, Proclamation visant les producteurs de poulet du Canada, rappelle la création de l’office appelé « Les Producteurs de poulet du Canada » qui est composé de quatorze membres, soit un membre nommé par l’office de commercialisation provincial, deux membres nommés par le CCTOV, un membre nommé par l’ACSV et un membre nommé par RC. Ce sont les PPC qui détiennent le pouvoir de décider du volume des contingents et de leur allocation dans le respect des modalités prévues à l’Accord de 2001 et notamment à l’Entente opérationnelle.

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[346] Celle-ci établit les principes fondamentaux de l’exploitation du système coordonné de commercialisation ordonnée du poulet et détermine notamment la méthode d’allocation de contingents et les dispositions connexes sur la croissance différentielle. La méthode inclut une formule de répartition de la croissance de l’allocation nationale entre les provinces. Cette formule prévoit huit éléments à prendre en compte, soit :

1. la part de l’allocation nationale de base;

2. la croissance de la population;

3. la croissance du produit intérieur brut;

4. l’indice des prix à la consommation;

5. l’indice des prix des intrants en agriculture;

6. l’utilisation du contingent;

7. la surtransformation. et

8. la part de l’offre204.

[347] C’est dans ce contexte réglementé, en tenant compte de l’échelle régionale et de l’échelle provinciale fixées selon le taux de croissance prévu par rapport à la base pour cette période, que chaque office de commercialisation provincial, au Québec, les Éleveurs, consulte les transformateurs, soit au Québec, l’AAAQ. Il leur revient d’estimer les besoins du marché provincial et de concilier ces besoins avec l’échelle provinciale et l’échelle régionale. Cette échelle pour le Québec est celle du Canada central (Québec et Ontario). Il est prévu dans la Convention en vigueur, que ce mandat relève du Comité des conditions de marché.

[348] Les Éleveurs, à l’instar des offices de commercialisation des autres provinces, doivent, pour chaque période, tenir compte des besoins de marché identifiés par les transformateurs de la province et des dispositions connexes sur la croissance différentielle et estimer l’allocation nationale requise pour répondre aux exigences du marché provincial. Ils doivent ensuite discuter des conditions de marché dans la région afin de concilier les besoins du marché provincial avec l’échelle régionale (Canada central), pour finalement soumettre une demande écrite et justifiée d’allocation nationale de contingents aux PPC.

[349] Des analyses semblables sont effectuées par les autres organismes représentés aux PPC, soit le CCTOV, l’ASCV et RC toujours dans le but d’estimer les quantités de poulets nécessaires pour satisfaire le marché canadien. Cette procédure est suivie pour chacune des périodes d’allocation de huit semaines.

[350] Les PPC, convoquent ensuite une réunion publique pour décider de l’allocation canadienne et de son partage. Ils y présentent des informations sur le marché qui portent notamment sur l’offre et la demande de poulet, sur les prix, les perspectives sur le marché américain, la situation des viandes concurrentielles, les perspectives sur les prix des grains et les perspectives macroéconomiques du Canada.

[351] C’est à partir de l’ensemble de ces informations, analyses et recommandations des offices provinciaux et organismes, que les PPC, après avoir permis à chaque membre d’exposer et

204 La part de l’offre est calculée en fonction de la base nationale pour la période pour laquelle on établit

l'allocation, divisée par la part provinciale de la population nationale en ayant recours aux prévisions démographiques trimestrielles les plus récentes de Statistique Canada.

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justifier sa recommandation, et d’en permettre la discussion, déterminent l’allocation nationale de chacune des périodes et celle de chacune des provinces.

[352] Conformément à l’Entente opérationnelle, pour la détermination de l’allocation d’une période, le vote est pris à double majorité, soit un vote requérant l’appui de 50 % des membres représentant 50 % des parts de marché de la production de poulets et qui sont présents au moment du vote.

[353] C’est l’application de ces règles précises qui permettent à l’AAAQ et à l’AOCP d’affirmer que les transformateurs du Québec, et encore moins Olymel et Exceldor, ne peuvent déterminer l’allocation du Québec. La Régie ne peut que constater qu’ils ne détiennent pas le pouvoir décisionnel déterminant que leur attribuent les Éleveurs.

[354] Par la suite, conformément au résultat du vote, un règlement consignant les limites de production et de commercialisation du poulet, pour la période en cause et pour chacune des provinces, est soumis à l’examen du CPAC. Ce dernier l’approuve s’il est convaincu qu’il est favorable à l’exécution du plan de commercialisation.

[355] Cet organisme est également habilité à recevoir, à examiner et à disposer de toute plainte à l’encontre d’une décision des PPC.

[356] Or, il n’y a pas eu de telles plaintes formulées par les Éleveurs au cours des dernières années quant aux décisions concernant l’allocation nationale.

[357] Les Éleveurs ont présenté à la Régie un argumentaire prenant appui, en bonne partie, sur l’emprise qu’auraient les abattoirs sur les décisions concernant l’allocation nationale. Ils soumettent que les abattoirs auraient empêché les producteurs d’atteindre les niveaux d’augmentations de production souhaités. En même temps les Éleveurs admettent que le processus de décision des PPC est largement consensuel et qu’ils n’ont pas déposé de plaintes devant l’instance de révision appropriée pour contester une allocation qu’ils auraient jugée trop basse.

[358] La Régie écarte donc tout argument des Éleveurs à l’effet que la Convention et le Protocole auraient donné aux abattoirs le pouvoir de limiter l’augmentation de l’allocation nationale depuis 2013, ou que la fin des VAG harmonisés mènerait à une plus grande allocation nationale, en forçant les abattoirs du Québec à agir dans ce sens.

- Le contexte québécois : tenir compte du marché du Canada central et maintenir la position du Québec dans la production canadienne du poulet

[359] Dans le cadre de l’arbitrage de la Convention, la Régie ne peut ignorer des principes et modes de fonctionnement qui avaient été librement négociés et convenus entre les Éleveurs et l’AAAQ en 1998 au moment de la signature de la convention de mise en marché du poulet, laquelle fut homologuée par la Régie. Puis ceux adoptés en 2004205, par sentence arbitrale, pour trouver des solutions de compromis entre ces mêmes parties.

205

Décision 8065, 18 juin 2004.

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[360] Enfin, en 2012206, la Régie a rendu une sentence arbitrale, pour régler les mouvements interprovinciaux de poulets que les Éleveurs qualifiaient eux-mêmes d’« irrationnels ». Les Éleveurs ajoutaient même « que l’industrie n’est plus dans un contexte de mise en marché harmonieuse et ordonnée »207 :

36. Le procureur des ÉVQ indique que ces derniers ont examiné comment réagir validement au moratoire décrété par les CFO tout en tenant compte des préjudices et de l’urgence présentée par l’AAAQ. Il considère que l’industrie fait face à un problème urgent, les mouvements interprovinciaux du poulet vivant étant devenus irrationnels. À ce titre, il souligne notamment les déplacements de poulets vivants sur plusieurs centaines de kilomètres avant qu’ils ne soient abattus.

37. Me Brosseau (procureur des Éleveurs) rappelle que le Plan conjoint impose des

devoirs aux ÉVQ dont ceux d’orienter la production du produit visé selon les besoins du marché, de chercher à maintenir un sain équilibre entre la production et la consommation du produit visé et également d’améliorer les conditions de mise en marché du produit visé. Il conclut que l’intervention des ÉVQ est présentement justifiée et qu’un maximum de transactions entre les producteurs de poulets du Québec et les acheteurs hors Québec doit être établi. Il fait référence à l’évolution des quantités de poulets vivants qui sortent du Québec pour émettre l’opinion que l’industrie n’est plus dans un contexte de mise en marché harmonieuse et ordonnée.

(notre soulignement)

[361] Par cette même décision, la Régie donnait suite à la demande conjointe des Éleveurs et de l’AAAQ :

65. Toutes les parties ont fait état d’une urgence d’intervenir pour trouver une solution à la problématique actuelle de mise en marché du poulet. Jusqu’à ce qu’une solution globale ait été négociée, elles réclament des modifications temporaires. La Régie juge opportun dans les circonstances que ces modifications soient précisées dans la Convention et qu’elle modifie sa sentence arbitrale pour y inclure des dispositions de nature à permettre une mise en marché efficace et ordonnée du poulet pendant les négociations évoquées par les parties afin d’assurer aux acheteurs, parties à la Convention, la capacité d’approvisionnement en poulets vivants à laquelle ils pouvaient s’attendre lorsque la décision 8065 fut rendue par la Régie. À cet effet, elle estime que les modifications proposées par les ÉVQ et l’AAAQ sont de nature à permettre l’atteinte de cet objectif.

(notre soulignement)

[362] La sentence arbitrale de 2012 est particulièrement à prendre en compte puisqu’elle donnait suite aux efforts de l’industrie du Québec et de l’Ontario visant à solutionner le problème du commerce de poulets vivants entre ces provinces par la signature du Protocole.

[363] Le Protocole est une réponse concertée du Canada central.

[364] Le Protocole constitue une entente réciproque entre les 4 principaux acteurs de l’industrie avicole au Québec et en Ontario. Il crée des obligations pour chacun d’eux. Cette entente concerne environ 60 % de la production canadienne de poulets.

206

Décision 9829, 7 février 2012. 207

Décision 9303, 9 décembre 2009.

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[365] Il est le résultat d’un long travail de concertation dont le but était de régler le transport interprovincial de poulets vivants, un problème qui a été considéré comme majeur et nuisible à l’ensemble de la filière au Canada central, de même que dans chacune des provinces du Québec et de l’Ontario.

[366] Rappelons que le paragraphe 5 de la section contexte du Protocole prévoit l’obligation, pour les signataires, de modifier la réglementation applicable au Québec et en Ontario, pour y intégrer les éléments normatifs prévus au Protocole. Ce qui a été fait.

[367] La Régie retient que les Éleveurs, tout comme les CFO, avaient compétence pour intégrer dans leur réglementation les éléments ayant fait l’objet de l’accord, laquelle réglementation demeure, au Québec, soumise à l’approbation de la Régie.

[368] Il convient de préciser l’importance du problème auquel le Protocole apportait une solution telle que résumée aux paragraphes suivants de la Décision 9829 :

[16] Ce projet (Protocole) a été élaboré dans le contexte où le commerce de poulet vivant entre le Québec et l’Ontario, d’un volume variant historiquement de 5 à 10 millions de kilogrammes par année, s’est accru considérablement pour représenter près de 80 millions de kilogrammes en 2009, soit plus de 10 % de l’allocation de production en poulets de ces deux provinces.

[17] Dans le cadre d’un système de gestion de l’offre, cette situation conduit à des pressions politiques, voire à l’érosion de l’appui à un tel système. C’est ainsi que divers groupes concernés ont été réunis et invités par l’Association nationale des régies agroalimentaires (ANRA) à identifier une solution, ce à quoi se sont engagés des associations d’acheteurs du Québec et de l’Ontario ainsi que les offices de producteurs de ces deux provinces.

[18] Ces derniers, soit les ÉVQ, l’AAAQ, les CFO et l’AOCP ont convenu d’un protocole d’entente, le 26 janvier 2011, visant à ce que les garanties d’approvisionnement des acheteurs du Québec et de l’Ontario soient traitées, jusqu’à un certain point, comme si le Québec et l’Ontario constituaient une seule et même province.

[369] Il y a également lieu de rappeler que selon l’Accord de 2001, le Québec et l’Ontario font partie de la région Canada central. Cette réalité exige une collaboration des deux provinces pour établir les demandes d’allocation nécessaire pour rencontrer, à chaque période, les besoins canadiens en poulets. Ces demandes, tenant compte des besoins exprimés par les transformateurs de chacune des provinces, prévoient également que l’allocation provinciale obtenue des PPC par chacune d’elles soit d’abord utilisée pour répondre aux besoins des transformateurs de leur province respective.

[370] Cet objectif est d’ailleurs exprimé au paragraphe 111 de la Décision 9771208 :

[111] La Régie retient de l’article 5 du Protocole que son objectif principal est d’établir les modalités sur la manière dont les CFO et les ÉVQ modifieront leur système respectif d’allocation aux abattoirs afin que les ententes d’approvisionnement entre les producteurs et les abattoirs de l’Ontario et du Québec soient conclues selon des règles substantiellement similaires afin d’améliorer et de perfectionner le fonctionnement des systèmes actuels de garanties d’approvisionnements dans chaque province.

208

Décision 9771, du 7 octobre 2011.

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[371] D’ailleurs, dans la même décision, au paragraphe 125, la Régie s’exprime ainsi :

[125] La Régie considère que les objectifs des parties à la Convention ÉVQ-AAAQ rencontrent l’intérêt public et l’intérêt des consommateurs en ce qu’ils prévoient une collaboration afin :

- De maintenir la part de marché du Québec dans le secteur de la production de poulets au Canada;

- De favoriser le développement de la mise en marché des produits avicoles transformés et surtransformés du Québec;

- D’accroître la consommation de poulets produits et abattus au Québec.

[372] Au Protocole, s’est ajoutée une entente sur les mouvements de poulets vivants entre le Québec et le Nouveau-Brunswick. L’AAAQ, l’Association des acheteurs de volailles du Québec (dissoute depuis), l’AOCP et les transformateurs du Nouveau-Brunswick (Sunnymel, dont Olymel est partie, et Nadeau, propriété de Maple Lodge) ont alors convenu d’une limite des volumes de poulets vivants achetés par Nadeau au Québec.

[373] La Régie retient que les garanties d’approvisionnement sont en place depuis vingt ans. Elles font l’objet d’une harmonisation avec l’Ontario depuis la mise en place du Protocole conclu en janvier 2011, ce qui a entraîné des modifications réglementaires tant dans cette province qu’au Québec.

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- Deux visions : les VAG harmonisés et le marché libre de l’approvisionnement de poulets destinés à l’abattage

[374] Les membres de l’AAAQ présentent une position unanime et demandent le maintien des garanties d’approvisionnement et du Protocole. Ils demandent également l’introduction dans la nouvelle convention, des règles d’harmonisation avec l’Ontario.

[375] Les abattoirs font valoir que les garanties d’approvisionnement sont en place depuis vingt ans, que les règles concernant les VAG harmonisés avec l’Ontario stabilisent le marché du Canada central et ont eu les effets positifs qui étaient recherchés au moment de leur adoption.

[376] La Régie retient les effets positifs suivants : le maintien de la part de marché du Québec dans le secteur de la production de poulets au Canada à 27,4 %, le développement de la mise en marché des produits avicoles, grâce aux investissements des abattoirs du Québec, le développement de capacités de transformation et de surtransformation, et l’accroissement de la consommation de poulets produits et abattus au Québec, qu’a permis la croissance soutenue de l’allocation nationale dans les dernières années.

[377] La Régie retient de plus que le système des VAG harmonisés a assuré une mise en marché ordonnée, a permis d’éliminer, sinon considérablement réduire, les primes non justifiées commercialement qui existaient avant la mise en place du Protocole et a réduit les mouvements interprovinciaux de poulets vivants qui s’avéraient inefficaces.

[378] M. Leblanc a d’ailleurs indiqué que le Protocole a permis de mettre fin rapidement à la guerre commerciale que les abattoirs du Québec et de l’Ontario se sont livrée en 2009 et 2010, bien qu’il attribue cette guerre aux transformateurs et non aux producteurs, ce que les abattoirs ont réfuté puisque les producteurs participaient à l’escalade des primes dans leurs négociations de contrats avec les abattoirs.

[379] Les Éleveurs proposent de modifier un système qui a fait ses preuves, donc il conviendrait que leur proposition puisse démontrer les avantages que la filière en retirerait.

[380] La Régie, à la page 5 de sa décision 8907, indiquait qu’elle :

ne souhaite pas et n’a pas l’intention de se substituer aux intervenants directement concernés pour imposer des changements majeurs dans l’industrie sans qu’on ne lui ait clairement démontré les impacts, les effets et les conséquences des modifications proposées.

[381] Or, la proposition d’introduire le marché libre au niveau des approvisionnements, n‘a pas fait l’objet d’analyse d’impacts ni préalablement à l’avis de retrait du Protocole ni après en vue de l’arbitrage. Compte tenu des modifications majeures proposées par les Éleveurs, l’absence d’analyse d’impacts ou à tout le moins, d’une analyse plus approfondie et objective de ses conséquences est déconcertante.

[382] Les Éleveurs ont plutôt choisi de souligner les changements dans le marché, depuis 2013, pour tenter de justifier le changement d’orientation au niveau de la gestion des approvisionnements au Québec en alléguant l’existence d’un lien entre les VAG harmonisés et certains des changements constatés qu’ils jugent défavorables.

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[383] Pour soutenir leur position, les Éleveurs ont mis en preuve certains aspects importants de l’évolution économique du secteur au cours de la période 2013-2017, que la Régie retient : la baisse du prix du poulet vivant, résultat de l’application de la formule du coût de production ajustée sur celle de l’Ontario, l’augmentation de la MBT durant la même période alors que le prix du poulet vivant était en baisse, un commerce interprovincial déficitaire pour le Québec et une augmentation de la concentration des abattoirs au Québec.

[384] Les Éleveurs font également valoir que le Protocole et l’Entente avec le Nouveau-Brunswick ont résulté en une perte de volume du Québec, dans le commerce interprovincial, contrairement à ce qui était estimé au départ. À ce sujet, l’allégation de perte de volume faite par les Éleveurs est fondée.

[385] Cependant, la Régie retient que dans une situation de marché libre des approvisionnements il n’y a pas de limite quant aux volumes qui sortent du Québec.

[386] Bien que les Éleveurs soutiennent que les conditions économiques ont changé depuis la mise en place de l’harmonisation et permettent aujourd’hui au Québec de passer au marché libre des approvisionnements, la meilleure santé économique des transformateurs dans un marché comparable à ce qu’il était en 2011 ne saurait justifier les changements qu’ils demandent.

[387] Pour les Éleveurs, les abattoirs ont obtenu des profits indus ces dernières années, puisque la marge brute des transformateurs a augmenté, contrairement aux années précédentes. Ils ajoutent que la baisse de prix du poulet vivant n’aurait pas été transmise aux consommateurs.

[388] Ils attribuent cette situation à un changement de la dynamique du marché qu’auraient entraîné le Protocole et la Convention de 2012 et au pouvoir de marché qui en aurait résulté. Pour les Éleveurs, les MBT observées, de 2013 à 2017, sont le résultat du système des VAG harmonisés qui permet aux abattoirs d’exercer un pouvoir de marché et de s’accaparer une rente économique.

[389] M. Cormier d’Exceldor, reconnaît qu’une MBT en hausse peut-être le signe d’un marché sous-approvisionné. Il estime que la situation a été favorable pour les produits de commodité, mais pas pour les produits à valeur ajoutée. Dans sa stratégie d’entreprise, Exceldor privilégie les produits à valeur ajoutée qui procurent un bénéfice à long terme, plutôt que de miser sur les produits de commodité qui peuvent procurer des bénéfices à court terme, mais qui sont soumis à des fluctuations. Il estime que le marché s’est stabilisé à la fin de 2017 et que la valeur ajoutée demeure le meilleur outil de développement de l’entreprise.

[390] Selon M. Fréchette, un représentant des Éleveurs, la MBT au Canada a augmenté en 2014 et 2015, et jusqu’en 2017 pour atteindre 2 $; en atteignant ce niveau, elle se situe au-delà de la cible fixée par l’industrie. À ce sujet, la Régie retient que c’est par l’effet combiné de plusieurs facteurs qu’une telle hausse a pu être engendrée notamment le haut prix des viandes rouges par rapport au poulet, la baisse de consommation des viandes rouges par rapport au poulet et la croissance de la consommation de poulet qui s’en est suivie, la réduction importante des importations illégales de poules de réforme, une allocation nationale dont les taux de croissance, bien que très élevés par rapport aux années précédentes, n’ont pas suffi pour rencontrer la forte croissance de la demande.

[391] De plus, les Éleveurs avancent que les VAG harmonisés favorisent la concentration des abattoirs et agissent comme incitatif à réduire l’offre de poulet afin de garder élevé le prix des

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produits vendus. La position dominante au Québec de deux abattoirs et, plus largement, la volonté des abattoirs de maximiser leurs profits en maintenant des prix élevés du poulet vendu à la consommation, priveraient donc les Éleveurs d’un plus grand volume de production.

[392] Il y a deux lacunes importantes dans l’analyse soumise par les Éleveurs, l’une concerne la relation de cause à effet des VAG harmonisés sur les marges brutes des transformateurs de 2013 à 2017, relation qui n’a pas été établie. L’autre concerne le lien entre les VAG harmonisés et le pouvoir des abattoirs du Québec de limiter l’offre de poulet, alors que cette offre résulte d’une décision souvent prise par consensus au sein des PPC entre les producteurs et les autres intervenants canadiens, dont les abattoirs, les restaurateurs et les surtransformateurs.

[393] La preuve a plutôt démontré qu’un ensemble de conditions de marché ont prévalu de 2013 à 2017 au niveau canadien, la plupart étant hors du contrôle des abattoirs, tel que déterminé par Grier; la flambée des prix des viandes rouges et la forte demande de produits du poulet a créé une pression à la hausse sur les prix du poulet.

[394] La Régie considère très pertinente à l’analyse, la preuve concernant la consommation des viandes au Canada, la progression de l’allocation nationale et l’évolution de la MBT.

[395] Les années 2013 et 2014 ont été caractérisées par une très forte hausse de la consommation canadienne de poulet et la demande a dépassé l’offre, favorisant des marges viande en augmentation.

[396] La marge brute à la transformation a été à la hausse à partir de 2014. Puisqu’il s’agit d’une analyse de données canadiennes et que les prix à la ferme sont des prix du Canada central, les conclusions s’appliquent donc pour l’ensemble des abattoirs au Canada, ou à tout le moins, au Canada central, et non seulement au Québec.

[397] La Régie ne peut que constater que ces données ne reflètent pas une situation particulière au Québec. La forte hausse de la consommation, donc de la demande du consommateur en 2013 et en 2014 et sa stabilisation en 2015 combinées à un prix relatif moindre du poulet par rapport à celui des viandes rouges, sont de nature à tirer les prix du poulet vers le haut.

[398] La Régie accepte la démonstration faite par l’AAAQ et l’AOCP que les prix de gros, pour la période 2013-2015, ont été influencés par des facteurs indépendants des abattoirs ou des VAG harmonisés.

[399] Les analyses de marché de Grier ont démontré que les facteurs exerçant des pressions à la hausse sur le prix du poulet étaient largement hors de l’influence des abattoirs.

[400] Cependant, les transformateurs tant au Québec qu’en Ontario ont reconnu que les dernières années ont été de bonnes années pour eux, il faut comprendre que ce fut de bonnes années financièrement, comme le soulignent les Éleveurs.

[401] La Régie résumerait l’insatisfaction des Éleveurs de la façon suivante : les Éleveurs soutiennent que la situation observée, de 2013 à 2015, les a défavorisés par le retard de l’allocation nationale à s’ajuster à une très forte demande, par le fait que l’augmentation de la MBT des abattoirs l’a été au détriment de la filière, incluant les producteurs, et par l’hypothèse

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que si les prix de vente au détail avaient été plus bas, la demande de la consommation aurait été encore plus forte privant la filière d’opportunités de marché.

[402] Lorsque l’allocation nationale s’ajuste à la croissance de la demande, le bénéfice que la filière peut en retirer est important en termes de volumes additionnels de production, d’efficacité et de rentabilité des opérations. Mais, tant que l’offre ne s’ajuste pas à la demande, ou ne s’ajuste pas aussi rapidement que la croissance l’exige, on peut être amené à conclure que la filière ne tire pas pleinement profit d’un marché favorable. Toutefois, la Régie ne retient pas la proposition des Éleveurs que l’ajustement de l’offre a été retardé par les transformateurs du Québec lors de l’application du processus d’allocation nationale, entre 2013 et 2015, d’autant plus que les Éleveurs ont appuyé ces taux de croissance.

[403] Alors que les Éleveurs ont attribué l’augmentation des marges viande depuis 2013, à l’exercice d’un pouvoir de marché rendu possible par les VAG harmonisés, la Régie retient plutôt du témoignage de M. Brodeur que les abattoirs n’ont pas ajusté leurs prix de vente à la baisse en fonction du coût du poulet vivant. Ils ont plutôt conclu leurs ventes avec les acheteurs de la grande distribution et de la restauration, dans le contexte des prix élevés des viandes rouges et d’une demande forte pour des produits de poulet sur le marché, en raison de facteurs largement hors du contrôle des abattoirs. Lorsque la croissance de l’allocation nationale de la production de poulets s’est graduellement ajustée à la demande du marché, la MBT a diminué en fin 2017.

[404] La Régie trouve important de rappeler une conséquence inhérente du prix réglementé au niveau du poulet vivant destiné à l’abattage, prix qui s’ajuste sur la formule du coût de production de l’Ontario et non sur les conditions de marché. Dans un tel système, le bénéfice qu’entraîne une forte demande de poulets sur le marché de consommation comme celle observée dans la période 2013-2015, se distribue en aval de la production.

[405] La Régie rejette l’affirmation des Éleveurs que les transformateurs du Québec auraient gonflé leurs marges au détriment des autres acteurs de la filière. La preuve révèle que les marges des abattoirs des surtransformateurs, des distributeurs et des détaillants n’ont pas été analysées en relation les unes avec les autres durant cette période. Une telle analyse de la distribution des profits dans la filière n’a pas été soumise à la Régie et la preuve est donc inexistante à ce sujet.

[406] La Régie retient que les entreprises d’abattage au Québec et au Canada, de façon générale, ont obtenu des marges viande plus grandes entre 2013 et 2015. Cependant, il y a une très grande concentration de la distribution alimentaire au Canada comme en font foi les témoignages des représentants des abattoirs. La Régie considère à l’avantage de la filière québécoise, le fait d’avoir un secteur de transformation en bonne santé financière, capable de transiger avec le secteur de la distribution et de la restauration. La Régie retient les témoignages de M. Cormier et de M. Forcier sur la concentration de la distribution, du détail et des grands propriétaires de restaurants sur le plan canadien. Le marché de la grande distribution alimentaire s’étend à plusieurs provinces. Les abattoirs sont ainsi placés en très forte concurrence dans un marché où les distributeurs, détaillants et grandes chaînes de restauration sont également très concentrés, d’où une vive concurrence, particulièrement sur les marchés du Canada central.

[407] De plus, elle retient la position de Gouin qui conclut, après avoir analysé les forces en présence dans le marché Canada central et canadien, que les deux grands abattoirs québécois, représentant 25 % des abattages au Canada, n’auraient pas pu imposer leurs prix aux grandes entreprises de la distribution. En conséquence, la Régie ne peut conclure, après analyse de toute

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la preuve, y compris celle des experts, que les prix des transformateurs du Québec n’étaient pas concurrentiels avec ceux de leurs compétiteurs des autres provinces. À ce sujet, aucune preuve n’a été présentée par les Éleveurs.

[408] Dans un marché libre des approvisionnements, Grier explique que le signal à la hausse des demandes des acheteurs aurait pu se rendre jusqu’à la ferme, par le paiement de primes, et que la croissance du marché aurait pu progresser plus rapidement. Dans un contexte de marché favorable au poulet, avec la gestion de l’offre et les prix du poulet vivant basés sur le coût de production et non sur les conditions de marché, la transmission de prix en hausse s’arrête à la porte des producteurs.

[409] La Régie prend note que le prix réglementé du poulet vivant et le délai nécessaire pour qu’une hausse de la demande se répercute sur l’allocation nationale sont devenus, par effet combiné, une source d’insatisfaction pour les Éleveurs. Mais elle retient que les Éleveurs se sont montrés favorables aux taux de croissance décidés au sein des PPC.

[410] La Régie tient compte de la situation particulière des producteurs québécois. Il faut souligner que 45 % du poulet vivant est livré à la coopérative Exceldor, alors que 48 % est livré à Olymel. Dans une coopérative, les bénéfices générés par un marché favorable qui exerce des pressions à la hausse sur le prix du poulet transformé se répercutent sur la santé de l’entreprise et éventuellement sur les ristournes payées à tous les producteurs membres de cette coopérative. Exceldor a témoigné du montant de ristournes accordées à ses membres dans les dernières années qui est de l’ordre de 0,06 $ le kg. Il a été aussi mis en preuve qu’Olymel ajuste ses prix aux producteurs pour tenir compte des ristournes versées par Exceldor à ses membres.

[411] Somme toute, la Régie conclut que les dernières années ont été favorables à la fois aux transformateurs et aux producteurs, en raison d’une croissance importante de production à la suite de la croissance de l’allocation nationale, qui a même parfois dépassé le taux de 5 % par période, et en raison de la présence des producteurs, par leur coopérative, dans le maillon de la transformation.

[412] Dans un marché favorable où la demande de poulet est en hausse, c’est donc à tort que l’on pourrait conclure que les Éleveurs seraient exclus de la chaîne de partage des bénéfices.

[413] De plus, dans des conditions de marché défavorables, les producteurs auraient été protégés contre une baisse relative des prix, par l’effet du prix réglementé à la production, alors que la MBT aurait probablement chuté. M. Brodeur a témoigné que ce sont les entreprises de transformation qui absorbent la baisse de prix dans un marché défavorable, et non les producteurs dont le prix reçu pour le poulet vivant est déterminé par une formule basée sur le coût de production et un profit raisonnable.

[414] Dès 2017, les fortes croissances de l’allocation nationale semblent avoir ramené l’offre au niveau de la demande de poulet au Canada, alors que les VAG harmonisés sont toujours en place. Ceci renforce la conclusion de la Régie que les marges brutes des transformateurs observées de 2013 à 2017 sont davantage liées aux conditions de marché et au délai d’ajustement de la croissance de l’allocation nationale par rapport à la demande, qu’aux VAG harmonisés. De plus, les marges ainsi observées le sont au niveau canadien, et non seulement au niveau du Québec.

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[415] De son côté, Doyon soumet que les abattoirs auraient « tiré profit de la hausse de la demande pour augmenter leur marge, contrairement aux périodes précédentes ». Il conclut que cette situation est un indicateur de l’exercice d’un pouvoir de marché des abattoirs. La Régie est d’avis qu’aucun lien de cause à effet entre les VAG harmonisés et les marges brutes des transformateurs n’a été démontré dans son analyse.

[416] Les analyses des experts Doyon et Tamini tentent aussi d’établir une relation de cause à effet entre le pouvoir de marché des abattoirs, les marges des transformateurs et les prix aux consommateurs au Québec. Or, les prix des découpes de poulet vendues au Québec et utilisés par Tamini pour arriver à ses conclusions, ne portent que sur une infime partie du marché québécois de poulet au détail, soit environ 6 % des ventes au Québec. De plus, les deux entreprises dominantes, Exceldor et Olymel, n’y sont pas ou peu présentes. Donc, il apparaît difficile de conclure, à partir de ces analyses à portée très limitée, que la mise en place du Protocole et des VAG harmonisés en diminuant la concurrence a permis l’exercice d’un pouvoir de marché, la création d’une rente économique et la hausse des marges brutes des transformateurs.

[417] Après analyse des expertises, la Régie conclut que les conclusions de Tamini concernant le pouvoir de marché des abattoirs du Québec n’ont pas de valeur probante. Elle considère bien fondées les critiques de Richelle quant aux lacunes reliées aux données de base utilisées et à l’identification incorrecte des marchés analysés. Elle accepte que les tests effectués sont inappropriés ou insuffisants pour permettre d’en tirer des réponses valables aux nombreuses questions soulevées.

[418] Elle retient aussi l’avis de Richelle que les analyses de corrélation, de Doyon et Tamini, ne permettent pas de conclure à une relation de cause à effet entre la marge des abattoirs et la concentration des entreprises et, en conséquence, les conclusions relatives à l’exercice d’un pouvoir de marché sont non probantes.

[419] De plus, la Régie considère que des facteurs déterminants, extérieurs aux VAG et au Protocole, ont été négligés dans l’analyse faite par les experts Tamini, Doyon, Grier et Mussell concernant la MBT, ce qui empêche également de retenir les conclusions quant aux liens qui existeraient entre les VAG, le Protocole et l’exercice d’un pouvoir de marché.

[420] Alors que tout le marché canadien du poulet a profité de conditions de marché favorables de 2013 à 2015, pas seulement au Québec et en Ontario, la Régie rejette l’affirmation qu’il existe un lien de causalité entre les VAG harmonisés et la MBT. Elle rejette également l’affirmation qu’il existe un lien de causalité entre les VAG harmonisés et l’exercice d’un quelconque pouvoir de marché.

[421] Bien que les Éleveurs proposent que les VAG et le Protocole auraient favorisé la concentration des entreprises d’abattage, ce ne fut pas le cas en Ontario. Le Protocole s’applique au Québec et en Ontario et il y a présence soit de VAG ou de « calculated base » dans les deux provinces. La Régie constate que le CR2 du Québec a augmenté de 85,99 % à 92,25 % entre 2012 et 2016, alors que celui de l’Ontario a diminué. Peut-on ainsi attribuer aux VAG harmonisés la cause de l’augmentation de la concentration au Québec, alors qu’en Ontario ils ont eu l’effet contraire? La Régie conclut que non.

[422] La Régie retient, de plus, que la sécurité et la stabilité des approvisionnements que confèrent les VAG et le Protocole permettent aux entreprises de transformation de concentrer

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leurs efforts sur le développement de marchés et sur des enjeux du secteur, tels que le bien-être animal, l’innovation et la réponse aux besoins des clients, plutôt que de consacrer les ressources et leur attention à maintenir des approvisionnements pour sécuriser leurs clients et leurs marchés.

[423] La Régie retient, en outre, que l’introduction du marché libre des approvisionnements pour le Québec dans la Convention ne change pas l’existence d’un marché Canada central pour le poulet vivant. Ce marché demeure marqué par l’existence des garanties d’approvisionnement pour les acheteurs en Ontario (calculated base). Dans ce contexte, il est important d’évaluer dans quelle position concurrentielle se trouverait la filière québécoise, si la nouvelle Convention imposait au Québec un marché libre des approvisionnements, comme le proposent les Éleveurs.

[424] Selon une analyse déposée par les Éleveurs209, le Québec, qui ne pourrait acheter du poulet vivant qu’au Québec, réaliserait des profits moins élevés que l’Ontario, dont les abattoirs pourraient acheter du poulet vivant en Ontario et au Québec. Dans ce scénario, selon la théorie économique présentée dans cette étude, le profit sera de 60 pour l’Ontario comparé à 25 pour le Québec. Il s’agit du scénario le plus désavantageux de tous ceux analysés dans cette étude : « If the Ontario firm deals in Ontario and in Quebec and the Quebec firm deals only in Quebec, the Quebec firm gets only 25 while the Ontario firm gets 60 ».

[425] La Régie estime que la filière avicole du Québec serait à risque dans le cas où le Québec passe au marché libre des approvisionnements pendant que l’Ontario a des règles en place concernant la gestion des approvisionnements. Le fait que l’application du « calculated base » empêche le Québec de s’approvisionner librement en Ontario alors que le marché libre au Québec permettrait à tout abattoir de l’Ontario de s’approvisionner au Québec amène la Régie à conclure que le contexte économique milite pour le maintien des VAG harmonisés.

La concentration des abattoirs et les petits abattoirs

[426] La Régie constate qu’il y a concentration des abattoirs au Québec (CR2 de 92 %), et au Canada central (CR4 de 80 %). L’est du Canada est aussi très concentré au niveau de l’abattage et souvent intégré avec la production : le Nouveau Brunswick avec un CR2 de 100 %, la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve avec une seule entreprise d’abattage chacune. Cependant, depuis l’application du Protocole, les deux plus grands abattoirs en Ontario ont perdu des parts de marché, comme le souligne l’AOCP. De plus, la part d’Olymel et d’Exceldor au Canada central est resté stable à environ 40 % au cours de la période.

[427] La preuve a démontré que, depuis l’instauration des VAG en 1998, la concentration au Québec s’est faite au profit d’Exceldor et dans une moindre mesure d’Olymel.

[428] Les parts du marché de l’approvisionnement sont passées pour Olymel de 46 % à 48,5 %, alors que celles d’Exceldor sont passées de 28 % à 45 % sur cette même période. Exceldor est une coopérative propriété de quelques 250 producteurs. Environ le tiers des membres des Éleveurs sont donc membres d’Exceldor. Nous avons déjà noté plus haut qu’ils ont, via leur coopérative, contribué à une plus grande concentration de l’abattage, mais surtout qu’ils ont tiré des avantages de la concentration des abattoirs au Québec depuis 1998. Cette situation très particulière n’a pas été prise en compte par les Éleveurs dans leur analyse ni par leurs experts.

209

A Primer on the Economics of Supply Management and Food Supply Chains, Larue et Lambert, pièce P 19, onglet 4, page 43.

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[429] La Régie retient que la fin des VAG harmonisés, ou des VAG seulement, mettrait à risque les plus petits abattoirs au profit d’une plus grande concentration. La Régie souligne ici une incohérence de la position des Éleveurs alors que selon Doyon, la concentration serait la cause du pouvoir de marché qu’exerceraient certains abattoirs.

[430] La Convention proposée par l’AAAQ accorde aux petits abattoirs un accès plus grand à la croissance et leur réserve l’approvisionnement en poulets distincts, avec des volumes en augmentation.

[431] Comme le soulignaient les experts Richelle, Gouin, et Doyon la concurrence des abattoirs pour s’approvisionner entraînerait vraisemblablement le retour des primes aux producteurs et fragiliserait les plus petits abattoirs.

[432] La Régie ne peut retenir l’allégation des Éleveurs que l’appui des petits abattoirs auraient été achetés par des concessions en leur faveur dans la Convention. Ce n’est pas ce que ces abattoirs ont défendu devant la Régie. L’appui unanime des membres au projet de Convention soumis par l’AAAQ démontre l’intérêt et la préférence des petits abattoirs pour le maintien des VAG harmonisés.

[433] Ils considèrent que la Convention proposée par l’AAAQ améliore leur situation et ils rejettent la proposition des Éleveurs. L’application concrète de la proposition des Éleveurs s’est clarifiée dans les derniers jours de séance : ils proposent un processus transitoire d’un an, avec une décroissance de 16 % des VAG par période et la signature d’engagements d’approvisionnements de 2 ans entre producteurs et abattoirs.

[434] Le témoignage du représentant d’Avicomax, M. Vincent Vecchio, est révélateur concernant les effets qu’aurait un marché libre des approvisionnements sur l’entreprise, même avec une transition. L’entreprise perdrait à la fois les volumes qu’elle obtient actuellement en Ontario (150 000 kg) et 16 % de son VAG par période, dès la première période (320 000 kg). Ces volumes représentent plusieurs semaines d’abattage. Il est convaincu qu’elle devrait en plus payer des primes pour garder les producteurs qui lui livrent du poulet actuellement. Il estime que l’entreprise ne pourrait pas survivre plus d’un an à de tels changements. La Régie doit tenir compte d’un tel témoignage.

[435] L’AAAQ estime que la transition proposée par les Éleveurs aurait pour effet de mettre en vente libre de 10 à 11 Mkg de poulets vivants par période (16 %), disponibles aux acheteurs de l’Ontario et du Nouveau-Brunswick qui ne seraient pas limités dans leurs achats, contrairement à la situation actuelle.

[436] Pour ces acheteurs, même s’ils se procuraient un volume marginal de 100 000 kg, avec une bonification de 0,02 $ à 0,03 $, ou même de 0,10 $, cela leur coûterait seulement 10 000 $. Par contre, pour ne pas que les acheteurs du Québec perdent leur approvisionnement, cette bonification devrait être accordée éventuellement pour tout leur volume d’approvisionnement.

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[437] Ainsi, même si les Éleveurs proposent de publier les bonifications accordées aux producteurs par les acheteurs pour tenter de limiter les primes, cette publication a un effet pervers immédiat en incitant les acheteurs à augmenter les primes pour obtenir leur approvisionnement.

[438] La preuve présentée permet à la Régie de conclure qu’en l’absence des VAG, les primes payées aux producteurs, autres que celles qui sont justifiées pour des motifs de qualité ou de spécificité du produit, vont vraisemblablement réapparaître et affaiblir la filière. Les premiers qui en seraient affectés défavorablement seraient probablement les plus petits abattoirs.

Primes et sous-approvisionnement

[439] Bien que les Éleveurs aient indiqué à la Régie qu’ils ne souhaitent pas que le Québec perde des volumes d’abattage et que des primes soient payées aux producteurs, la Régie estime que leur proposition de Convention aura vraisemblablement ces effets non désirés et non souhaitables.

[440] Les Éleveurs et M. Leblanc incidemment ont souligné que le problème se trouve au niveau canadien, dans les décisions concernant l’allocation nationale lorsque celle-ci est établie en dessous des besoins du marché canadien. Selon les Éleveurs, les abattoirs en sont les responsables parce qu’ils veulent avoir des marges élevées.

[441] L’analyse du système de décision des PPC ne supporte pas une telle affirmation des Éleveurs, comme vu plus haut dans la section du contexte canadien. La preuve n’a pas été faite qu’il y avait un sous-approvisionnement chronique du marché en poulets au Québec ou au Canada, ni que la situation était critique. Rappelons également que M. Leblanc affirme faire confiance au système d’allocation des PPC pour assurer un approvisionnement adéquat, sans revendiquer de changement dans le système d’allocation.

[442] La Régie ne retient pas ce motif pour justifier des changements fondamentaux à la Convention parce qu’il repose sur des prémisses erronées.

[443] Nous l’avons vu, la détermination de l’allocation nationale est faite selon des principes rigoureux qui tiennent justement compte de la gestion de l’offre. Il n’appartient pas aux acheteurs ou abattoirs ni à la Régie d’appliquer les règles concernant l’allocation nationale et elles ne sont surtout pas fixées dans la Convention.

[444] Dans le système canadien de gestion de l’offre, le Québec n’agit pas seul pour déterminer son allocation. Selon les règles qui ont été expliquées précédemment, pour que le Québec obtienne une allocation additionnelle de 1 Mkg, les PPC doivent allouer 4 Mkg additionnels à l’ensemble des provinces. Le Québec reçoit, en vertu des règles applicables, 25 % de l’allocation totale incluant toute augmentation de l’allocation (la croissance). L’allocation est déterminée dans un contexte où certaines provinces en veulent plus alors que d’autres en veulent moins. Un compromis doit alors être fait, c’est une conséquence de la gestion de l’offre.

[445] L’AOCP a soumis qu’un scénario de croissance qui tient compte des souhaits de chacune des provinces est impossible à mettre en application et que s’il se réalisait, il provoquerait une déstabilisation du marché canadien.

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[446] Pour l’AAAQ et l’AOCP, l’allocation nationale ne peut solutionner le problème des primes aux producteurs.

[447] L’AOCP, tout comme Gouin, a fait observer que le système d’allocation nationale n’est pas en mesure de mettre fin à des primes pour l’achat du poulet vivant, il ne l’a jamais fait d’ailleurs. Entre 2008 et 2013, les primes au Canada central étaient à leur niveau le plus élevé, alors que la croissance de l’allocation nationale était modérée. La Régie retient que le système des PPC n’a pas permis de faire cesser les primes, comme en témoigne M. Terpstra : les participants ne demandaient pas plus de croissance en raison des primes, la croissance était déterminée en fonction des besoins du marché. M. Terpstra a par ailleurs souligné qu’après l’harmonisation, les participants demandaient davantage de croissance que dans les périodes précédentes. Selon lui, il serait illusoire de croire que l’allocation nationale puisse résoudre une nouvelle guerre des primes. La Régie accepte ce point de vue.

- Conclusion

[448] La Régie ne peut être en accord avec la position défendue par les Éleveurs de mettre en place, au Québec, un marché libre au niveau de l’approvisionnement de poulets vivants destinés à l’abattage. La preuve présentée par les Éleveurs ne permet pas de démontrer les impacts, les effets et les conséquences favorables qu’auraient ces modifications majeures proposées à la Convention.

[449] Elle retient, comme bien fondé et comme ayant été démontré, que le marché libre des approvisionnements est de nature à fragiliser la filière, par l’effet de l’incertitude dans les marchés, la turbulence chez les investisseurs et le chaos entre les transformateurs.

[450] La Régie conclut que la proposition de Convention présentée par les Éleveurs pave la voie au retour des primes aux producteurs non commercialement justifiées, c’est-à-dire pour permettre aux abattoirs de s’approvisionner en poulets vivants sans valeur ajoutée. Elle mène vraisemblablement à une plus grande concentration des entreprises d’abattage tout en ouvrant la porte aux acheteurs hors Québec pour s’approvisionner au Québec, sans bénéfice réciproque pour l’industrie québécoise. Cette situation serait un recul pour la filière avicole québécoise dans le contexte du marché du Canada central.

[451] Par contre, la Régie retient de la preuve administrée tant par l’AAAQ que l’AOCP, que les systèmes de garanties d’approvisionnement harmonisées au Canada central assurent aux acheteurs la stabilité et la prévisibilité des approvisionnements en poulets vivants, ce qui leur permet à la fois de rencontrer les besoins de leurs clients et de réaliser les investissements requis pour le développement du secteur.

[452] Finalement, les Éleveurs n’ont pas démontré en quoi le marché libre des approvisionnements serait dans l’intérêt des consommateurs ou de l’intérêt public, alors, qu’il est clair pour la Régie, qu’il initierait une nouvelle guerre des primes qui se ferait au détriment des consommateurs et de l’efficacité de la filière. Elle se ferait aussi au détriment d’investissements dans la productivité des entreprises et du développement des marchés, elle mettrait en péril les abattoirs québécois de plus petites tailles et affaiblirait la position du Québec sur le marché central, en raison des volumes de production qui pourraient être vendus hors Québec, sans restriction.

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[453] La Régie conclut que la preuve présentée ne justifie pas les changements majeurs à la Convention proposés par les Éleveurs. Prenant en considération les objectifs mentionnés à l’article 5 de la Loi, il n’est pas opportun de faire un tel changement.

[454] Par conséquent, la Régie conclut que la Convention doit contenir des règles concernant les garanties d’approvisionnement et que ces règles doivent être harmonisées avec celles qui sont en vigueur en Ontario. Ces règles ont été intégrées dans la Convention. La Régie considère que leur application permet le maintien d’un système coordonné de commercialisation qui est ordonnée, de ce fait l’application de ces règles favorise aussi une mise en marché efficace et ordonnée du poulet au Québec. La Régie estime de plus que c’est l’ensemble de la filière qui en bénéficiera.

[455] De plus, la Régie considère opportun que le Protocole demeure en vigueur pour la durée de la Convention. Les engagements réciproques qui sont prévus au Protocole sont de nature à assurer l’harmonisation que la gestion de l’offre vise à atteindre et renforce l’esprit de collaboration qui doit exister dans l’industrie.

[456] La Régie conclut qu’il est également opportun d’exercer le vaste pouvoir de supervision qu’elle détient et dont elle a cerné l’étendue au début de sa décision pour annuler la résolution prise par les Éleveurs de se retirer du Protocole et annuler l’avis de retrait du Protocole donné à la suite de l’adoption de ladite résolution.

[457] La Régie rappelle qu’avant que le Protocole ne prenne fin, l’AAAQ lui a demandé d’intervenir à l’encontre de la décision des Éleveurs. Et malgré l’avis de retrait, par entente des parties, le Protocole fut maintenu en vigueur jusqu’à la présente décision. La Régie confirme le maintien en vigueur du Protocole pour le futur, par effet de la présente décision qui révise la décision unilatérale des Éleveurs d’y mettre fin.

- Des dispositions spécifiques de la Convention

Les nouveaux acheteurs

[458] La Régie a constaté des commentaires des Éleveurs, qu’il existait une difficulté pour un nouvel acheteur-abattoir de s’établir au Québec vu qu’il devait présenter son plan d’affaires sommaire et démontrer au Comité d’approvisionnements exceptionnels qu’il avait les capacités d’abattage nécessaires pour la quantité de poulets qu’il prévoyait acheter. Les Éleveurs allèguent qu’il y avait un conflit d’intérêts avec les acheteurs-abattoirs en place. Afin de pallier à cette situation, la Régie croit opportun de confier la tâche d’accepter les demandes de nouveaux acheteurs aux Éleveurs en conservant toutefois une limite aux volumes de poulets qu’il est possible d’attribuer à ces derniers.

Les acheteurs reconnus

[459] L’AAAQ et les Éleveurs ont demandé que Les Viandes Biologiques de Charlevoix puissent continuer à avoir accès à un volume suffisant de poulets certifiés biologiques afin de desservir leurs marchés. Cette entreprise est un acheteur reconnu et, au sens de la Convention, ses achats auprès des producteurs sont limités par le VAG qu’elle détient. Vu que l’AAAQ et les Éleveurs conviennent que l’approvisionnement de cet acheteur soit préservé, qu’il s’agit de poulets certifiés biologiques et que les quantités disponibles pour les poulets distincts ne seront

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pas affectées, la Régie accepte d’exempter Les Viandes Biologiques de Charlevoix pour un volume déterminé en dépassement de son VAG d’acheteur reconnu.

Les producteurs-acheteurs

[460] Les Éleveurs et l’AAAQ étaient d’accord pour permettre l’élargissement du circuit de commercialisation des producteurs-acheteurs qui était limité, par la Convention, à la mise en marché de poulets éviscérés directement à leurs fermes. La Régie constate, toutefois, que l’AAAQ et les Éleveurs n’ont pu faire consensus sur cet élargissement du circuit de commercialisation à envisager, de même que les Éleveurs n’ont pu démontrer à la Régie l’ampleur que pourrait prendre ce nouveau marché des producteurs-acheteurs. La Régie détermine ce circuit de commercialisation auquel des volumes déterminés sont consacrés et dont l’administration est confiée aux Éleveurs.

Le poulet de spécialité et le poulet distinct

[461] Les Éleveurs et l’AAAQ font consensus sur une définition du « poulet de spécialité » qui est celle prévue à l’annexe 4 du Règlement sur l’octroi des permis visant les poulets du Canada210. Toutefois, la Régie doit décider d’une nouvelle définition introduite pour un « poulet distinct », l’AAAQ proposant que celle-ci soit limitée à des catégories spécifiques alors que les Éleveurs désirent une définition large permettant d’ajouter, au besoin, de nouvelles catégories de poulet décidées par le Comité des approvisionnements exceptionnels. Ils incluent cependant le poulet cacher et halal, le poulet certifié biologique, le poulet nourri exclusivement d’alimentation végétale et le poulet élevé sans antibiotique comme étant un « poulet distinct » alors que pour l’AAAQ, à l’exception du poulet certifié biologique, ces poulets ne sont pas des poulets distincts.

[462] La Régie décide que la possibilité d’introduire des catégories de poulet, autres que celles identifiées par l’AAAQ, doit être maintenue pour le poulet destiné à un marché spécifique dont le mode de production est différent de celui élevé selon le mode traditionnel et pour lequel un cahier de charges pourrait être développé. Elle maintient toutefois à la définition que le poulet d’appellation halal, cacher et sans antibiotique n’est pas un « poulet distinct ».

Le prix de la catégorie de référence

[463] Les catégories de poids définissant les catégories sont actuellement les mêmes pour le Québec et l’Ontario. La catégorie de référence est également la même.

[464] Les Éleveurs demandent que le prix de cette catégorie soit majoré de 0,03 $ et annuellement majoré du montant découlant de l’ajustement du facteur d’efficacité de la formule de prix de l’Ontario faite en fonction de la croissance du Québec. L’AAAQ demande plutôt que cette majoration, soit de 0,02 $ ce qui est versé par les acheteurs du Québec, depuis de nombreuses années, soulignant que les Éleveurs ne disposent pas du réel coût de production au Québec.

[465] Dans ce contexte, la Régie considère qu’il n’est pas justifié de changer la situation actuelle quant au prix pour la catégorie de référence. Cependant, elle prévoit à la Convention que

210

DORS/2002-22.

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ce prix peut être dénoncé notamment lorsqu’une modification significative à la formule de prix au producteur de l’Ontario ou à son application se produit.

La vérification des pesées et des balances

[466] Les Éleveurs demandent qu’un auditeur externe spécialisé en poids et mesure, mandaté par le Comité de vérification, vérifie les balances, les enregistrements des pesées et les registres des acheteurs et des abattoirs. L’AAAQ s’y oppose.

[467] La Régie note que les vérifications demandées par les Éleveurs pourraient permettre à l’auditeur désigné, outre l’inspection des balances, de « consulter les livres, registres, enregistrements et tout document nécessaire à sa vérification ou son audit et de prendre des extraits ou copies ».

[468] La Régie considère qu’il en résulterait un double emploi vu le rôle du vérificateur externe dont le mandat est de s’assurer du respect de l’application de la Convention par les différentes parties qu’elle lie. En conséquence, la Régie prévoit la désignation d’un auditeur externe spécialisé en poids et mesures, à la seule fin qu’il s’assure du respect de l’application des dispositions de la Convention liées aux caractéristiques des balances et à la méthodologie des pesées.

Le pourcentage d’abattage d’un acheteur-abattoir

[469] Les Éleveurs demandent qu’un acheteur-abattoir abatte à chaque période, dans ses installations situées au Québec, au moins 90 % du volume de poulets issu de ses propres ententes d’approvisionnement approuvées lorsque celles-ci totalisent moins de 5 Mkg pour la période et 98 % lorsque celles-ci totalisent plus de 5 Mkg pour la période. L’AAAQ, quant à elle, demande à la Régie de maintenir les exigences actuelles qui ont bien fonctionné jusqu’à présent, soulignant qu’introduire une telle rigidité empêcherait la collaboration entre les abattoirs pour permettre que le poulet puisse être abattu dans les meilleurs délais et puisse être mis en marché avec le moins de pertes possible en tenant compte également des enjeux du bien-être animal.

[470] La Régie souligne, dans la présente décision, l’importance de la flexibilité dans l’approvisionnement du poulet particulièrement pour des abattoirs qui doivent desservir des marchés avec des poulets présentant des caractéristiques spécifiques. Elle note également que des circonstances spéciales peuvent exiger l’abattage de lots de poulets dans un abattoir autre que celui de l’acheteur-abattoir qui a conclu les ententes d’approvisionnement. Pour ces motifs, la Régie maintient à la Convention les exigences d’abattage prévues à la convention actuelle.

Les pénalités

[471] L’article 117 de la Loi, permet à la Régie d’imposer dans la Convention des pénalités à une partie qui ne se conforme pas aux obligations qu’elle contient. Les parties se sont entendues pour prévoir des pénalités aux articles 6.09, 6.12, 9.25, 13.03 et 14.09 de la Convention. La Régie les a intégrées à la suggestion commune des parties ou dans certains, a arbitré le montant de la pénalité.

[472] L’article 117, mentionne également que la Régie peut prévoir l’utilisation de la pénalité à des fins particulières. Exerçant ce pouvoir, elle décide que les pénalités prévues à l’article 6.09

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devront être versées aux Éleveurs qui devront payés le producteur lésé. S’il demeure un solde, il devra être utilisé afin de financer des programmes de recherche approuvés par le Comité des conditions de marché. Pour les pénalités prévues aux articles 6.12, 9.25, 13.03 et 14.09, elles devront être versées aux Éleveurs et utilisées également pour financer des programmes de recherche approuvés par le Comité des conditions de marché.

[473] Par ailleurs, la Régie a considéré que dans les autres cas où les Éleveurs ont demandé de prévoir une pénalité et qu’aucune n’a été prévue, c’est qu’ils n’avaient pas convaincu la Régie de l’opportunité d’en imposer une. Dans ces cas, ils ont omis de démontrer la justification d’une telle pénalité et son utilité pour une mise en marché efficace et ordonnée.

Le comité technique

[474] La Régie constate que plusieurs questions de nature technique sont soulevées par les parties et peu documentées alors qu’elles ne semblent pas avoir fait l’objet de discussions sérieuses et concluantes entre ces dernières. C’est le cas notamment de plusieurs éléments concernant l’aménagement des poulaillers pour faciliter l’attrapage et le chargement des poulets et le bien-être de ceux-ci, la biosécurité, de même que la perte de poids des poulets lors de leur transport jusqu’à leur pesée et l’échange électronique d’informations entre les acheteurs, les producteurs et les Éleveurs.

[475] Pour favoriser la recherche de solutions à ce type de questions usuelles dans cette industrie, la Régie prévoit à sa sentence arbitrale, la constitution, par les parties, d’un comité technique qui pourra exercer ces tâches et toute autre en lien avec la présente Convention qui ne fait pas l’objet des comités existants déjà en vertu de cette dernière.

POUR CES MOTIFS, LA RÉGIE DES MARCHÉS AGRICOLES ET ALIMENTAIRES DU QUÉBEC :

ANNULE la Résolution C.A. 16.015 des Éleveurs de volailles du Québec du 24 février 2016;

ANNULE l’Avis de désistement (Notice of termination) communiqué par les Éleveurs de Volailles du Québec le 24 février 2016;

ARRÊTE le contenu de la Convention de mise en marché du poulet comme étant celui annexé à la présente décision pour en faire partie intégrante et pour tenir lieu de convention homologuée conformément à la Loi sur la mise en marché des produits agricoles, alimentaires et de la pêche;

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EXEMPTE Les Viandes Biologiques de Charlevoix, à titre d’acheteur reconnu, de l’application de l’article 5.06 la Convention de mise en marché du poulet, à la seule fin de rendre admissible à cette entreprise un volume d’approvisionnement exceptionnel allant jusqu’à 80 000 kg, poids vif, par période, de poulet distinct répondant à une certification biologique. Cette exemption vaut pour la durée de la Convention et de son renouvellement automatique aux termes de son article 16.03.

(s) Gaétan Busque (s) Diane Vincent

(s) Lucille Brisson

Me Karl Delwaide Me Antoine Aylwin Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L., s.r.l. Pour L’Association des abattoirs avicoles du Québec inc.

Me Ronald Caza Me Alyssa Tomkins CazaSaikaley srl/LLP Pour les Éleveurs de volailles du Québec

Me Alexandre Fallon Osler, Hoskin & Harcourt S.E.N.C.R.L./s.r.l. Me Herman Turkstra Turkstra Mazza Associates Pour Association of Ontario Chicken Processors