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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 COLLEGE COOPERATIF PROVENCE ALPES MEDITERRANEE Centre agréé par le Ministère de la Solidarité et de la Cohésion Sociale Diplôme d’Etat d’Ingénierie Sociale Région PACA « Je veux que tu veuilles changer » Présenté par : FERRARI Franck Sous la direction de : CHAMLA RACHEL Session de décembre 2013 Centre associé Institut Régional de Travail Social PACA et Corse

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013

COLLEGE COOPERATIF PROVENCE ALPES MEDITERRANEE

Centre agréé par le Ministère de la Solidarité et de la Cohésion Sociale

Diplôme d’Etat d’Ingénierie Sociale

Région PACA

« Je veux que tu veuilles changer » Présenté par : FERRARI Franck

Sous la direction de : CHAMLA RACHEL

Session de décembre 2013

Centre associé

Institut Régional de Travail Social PACA et Corse

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013

COLLEGE COOPERATIF PROVENCE ALPES MEDITERRANEE

Centre agréé par le Ministère de la Solidarité et de la Cohésion Sociale

Diplôme d’Etat d’Ingénierie Sociale

Région PACA

« Je veux que tu veuilles changer » Présenté par : FERRARI Franck

Sous la direction de : CHAMLA RACHEL

Session de décembre 2013

Centre associé

Institut Régional de Travail Social PACA et Corse

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Remerciements

Ce mémoire est l’émergence d’un ensemble d’idées, de relations, de discussions,

de contacts personnels, d’émotions diverses… Ce fut une expérience

passionnante et je tiens à y associer ceux qui l’ont rendue possible : Rachel

CHAMLA pour ses précieux conseils, La sauvegarde13 sans laquelle rien

n’aurait pu se faire, Gisèle et Anne-Sophie et Nathalie pour l’aide qu’elles

m’ont apportée et mon épouse et mes deux enfants pour leur soutien.

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Avant-propos

Ce mémoire est d’abord le fruit d’une réflexion qui a jalonné mon parcours professionnel

dans l’intervention sociale. Lorsqu’en 1999, j’ai commencé à travailler en Maison d’Enfant

à caractère social, j’ai été frappé par la façon dont le placement tentait de résoudre des

problèmes sociaux, éducatifs, humains, en organisant les séparations d’enfants et de leurs

parents jugés maltraitants ou nocifs. L’enfant et la famille devait alors s’adapter au

dispositif d’accueil. Maintenir le lien familial ne représentait pas une priorité et parfois,

une rupture des visites s’avérait nécessaire pour le « bon développement de l’enfant » en

accord avec nos partenaires et financeur de l’Aide Sociale à l’Enfance.

Or, j’ai pu constater également la grande souffrance de ces enfants, sans lien familial, de

ces enfants en « miettes » qui n’avaient qu’une quête parfois maladroite et inespérée de

renouer le lien rompu et de revenir à leur majorité auprès de cette famille appelée

« naturelle ou d’origine ».

Aujourd’hui, éducateur en milieu ouvert, dans un cadre sous contrainte, plus que jamais la

modélisation du projet, la méthodologie d’action que, jusque-là, j’avais reprises et

acceptées par facilité, me semblent aujourd’hui aux antipodes d’un processus de

coopération et d’une action co-construite.

L’absence des familles questionne immanquablement sur la place qui leurs a été accordées

dans une relation où elles apparaissent comme des « acteurs faibles ». J’ai pris alors

conscience que les enjeux d’une séparation avec le contexte familial et culturel ne

pouvaient se réaliser sans une adhésion de l’ensemble des acteurs, dans une volonté

collective de construire un projet commun.

Doit-on et peut-on considérer l’usager comme sujet-acteur ?

C’est autour de cette question de départ que va se construire tout un cheminement qui m’a

conduit, dans une perspective plus large, à réfléchir sur la lutte des places dans une

intervention éducative et les stratégies utilisées, comme la manifestation de leur rationalité.

La loi du 02 janvier 2002 va marquer une volonté politique de changer les conceptions des

acteurs en accordant à l’usager une place centrale et de modifier les pratiques pour une

meilleure adaptation des dispositifs.

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En Action Educative en Milieu Ouvert, la finalité de mon intervention hante souvent mes

démarches autour des conséquences, directes et indirectes, d’une action éducative,

contrainte en faveur d’une population en grande précarité. Le changement nécessaire pour

construire un processus de normalisation comporte de nombreuses phases de gestion des

conflits. De l’incertitude, du silence, des violences, des négociations que génère

l’injonction du changement va progressivement faire émerger, dans cette obligation du

travail ensemble, des doutes sur la méthode d’intervention. Suis-je un « rectificateur de

pensée » comme pourrait le suggérer Hannah Arendt ou le partenariat tant prôné par nos

politiques correspond t'il à une population qui ne met plus de sens à la norme, la règle, et

dont l’intérêt de se conformer, se confronte à la place que lui accorde une société qui la

rend illégitime dans parfois le seul rôle qu’elle occupe : être parent.

La genèse de mon mémoire se base sur l’ensemble de ces questions que j’ai souhaité

développer à l’aide d’une méthode de réflexion. L’évolution des politiques publiques a

contribué depuis le début des années 80 à l’émergence de nouvelles conceptions du travail

social. Les mots « sujet », « acteur », « partenaire » sont devenus des termes largement

utilisés dans le milieu de l’intervention sociale sans pour autant produire un sens commun

à chacun des acteurs. A l’instar des pratiques sur le terrain et notamment en milieu ouvert,

on peut se rendre compte que ces mots ne revêtent pas la même signification en fonction de

la place que l’on occupe dans une organisation. Si le sujet accorde à l’individu une place

de citoyen, c’est-à-dire des droits pour agir dans la vie de la cité, l’acteur relève davantage

des actions produites en fonction de son autonomie et le partenaire, un choix individuel de

s’inscrire dans une approche collective, contractualisée, où chacun contribue à répondre

aux besoins à l’origine d’un projet. Le projet est également un terme largement répandu

dans le métier et dont la polysémie rend délicate une vision commune. Il est un dicton qui

dit « si nous n’employons pas les bons mots, on s’appauvrit » mais qu’en est-il si les mots

deviennent « des mots valises » porteurs d’idéaux, de valeurs qui ne peuvent s’articuler

avec une logique de terrain. C’est cette absence d’ingénierie que j’ai souhaité interroger

dans le cadre de ce mémoire de recherche, pour mettre en évidence les rationalités de

chaque acteur dans la construction d’une action éducative en milieu ouvert.

Ce mémoire est l’émergence d’un ensemble d’idées, de relations, de discussions, de

contacts personnels, d’émotions diverses, etc. Ce fut pour moi l’occasion d’une expérience

passionnante et je souhaite y associer tous ceux qui l’ont rendue possible.

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Introduction générale

La mission du travail social consiste à « toute action menée directement ou indirectement

en vue de la promotion de la personne »1. Cette mission a pour finalité principale

l’expression, la participation et l’insertion de l’usager dans le tissu social. La

communication entre « acteurs » dans le champ de l’action sociale a toujours occupé une

place centrale dans les réflexions du législateur. Dans un contexte économique où l’on

constate une augmentation de la précarité et des phénomènes d’exclusion, mettre l’usager

au centre du dispositif, c’est promouvoir son inscription sociale en lui offrant la possibilité

de devenir acteur potentiel de son changement. Or, la crise a remis en cause durablement

les identités sociales et familiales, les modalités d’intégration sociale (famille, école,

travail), les modes de régulation étatique. Globalement, c’est l’ensemble du contexte

politique et social qui est concerné, et le secteur qui nous intéresse, la Protection de

l’Enfance (et plus particulièrement les services d’Action Educative en Milieu Ouvert) n’y

échappe pas.

La loi de rénovation de l’action sociale et médico-sociale du 02 janvier 2002 s’inscrit dans

une volonté de rationnaliser ce secteur professionnel et d’y apporter une approche

différente du public. Conçue d’une part, pour moderniser le fonctionnement des

établissements sociaux et médico-sociaux et d’autre part, accordant une place centrale aux

familles, la loi « 2002-2 » se situe à la fois dans une rupture (évaluation de la qualité de

l’intervention) avec les dispositions légales précédentes et notamment la loi de 75-535 du

30 juin 1975 mais également dans une forme de continuité tant sur le plan de l’organisation

institutionnelle que la poursuite de la décentralisation et la réponse aux besoins

spécifiques. Satisfaisant aux obligations légales, les établissements ont tenté d’associer les

usagers aux décisions. La participation des usagers est devenue un principe qui correspond

à un mouvement plus profond d’exigence démocratique. C’est dans cette idée, de prendre

part à l’action, que s’est imposé le terme de « partenariat ». Le partenariat est une notion

par laquelle transite cette « modernisation » de l’intervention sociale. Dans cette logique,

définir ce terme pourrait désigner toutes les formes de relations interpersonnelles

1BARREYRE J.Y, BOUQUET B. , CHANTREAU A. et alii (directeurs), (1995), Dictionnaire Critique

d’Action sociale, éditions Bayard, coll. « Travail social », Paris,

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auxquelles on lui attribue implicitement le caractère d’engagement partagé autour d’un

objectif commun. Il sous-entend un rapport entre les parties égal ou au moins équitable.

Mais qu’en est-il dans le cadre d’une intervention sous contrainte de type AEMO ? Quelles

relations peut-on envisager dans un contexte où il y a conflit entre les volontés collectives

(la société) et les volontés individuelles(les parents) ? La modélisation systémique nous

semble un moyen utile pour prendre en considération toute la « complexité » des

interrelations. Une des caractéristiques d’un système est qu’il est impossible de changer un

de ses aspects sans qu’il y ait des répercussions sur l’ensemble, ce qui nous apparait

essentiel dans la construction d’une relation de confiance. Autant de signes d’une

orientation en faveur du « travailler ensemble2 ». De nombreux freins subsistent, la

démarche participative et la prise en compte de la notion de complexité3- dans le sens où

tout acte s’engageant engendrera toujours des effets non anticipés que l’on qualifie

souvent de pervers- se heurtent au contexte particulier d’une intervention sous contrainte

mais également à la difficulté pour les acteurs sociaux de se diriger vers un véritable

partage du pouvoir et de décision. Si tel est le cas, le partenariat pourrait-il se décréter par

des principes législatifs ?

Peut-on parler de partenariat obligatoire ? Un partenariat se décrète-t-il ?

Les éléments d’analyse de cette situation résident pour partie de la spécificité de l’AEMO.

Le juge des Enfants va ordonner une mesure d’assistance éducative (article 375) dont

l’objectif est de protéger l’enfant de pratiques jugées déviantes. Force est de constater que

de nombreuses familles ressentent l’intervention judiciaire comme une violence, source

d’une disqualification sociale4 car la perception de leurs besoins, quel qu’ils soient, est

toujours médiatisée par leurs valeurs, leurs représentations et leur place sociale. La mise en

lien entre l’usager et l’acteur social pour mettre en parole la situation de conflit et atténuer

les éventuelles résistances constitue un premier espace de traduction. Transformer les

injonctions faites aux parents en objectifs de travail, prenant en compte la réalité des

individus avec leur potentiel et leur rythme d’évolution, en est un second. Les différentes

questions autour de l’association réelle à l’identification des besoins, les modes de

2 Fabrice Dhume-Sonzogny, Du travail social au travail ensemble, édition ASH, wolters kluwer, Paris, 2010,

203p 3 E. Morin et J.-L Moigne, L’intelligence de la complexité, L’Harmattan, 1999, p 10

4 S. Paugam,La disqualification sociale : Broché, 2009

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mobilisation pour favoriser la participation de l’usager aboutissent à une question de

recherche

L’intervention sous contrainte judiciaire de type AEMO, est elle un vecteur

d’inclusion ou de disqualification sociale ?

Les mécanismes de création de relations, d’établissement de la confiance, d’écoute, en bref

tout ce qui constitue un lien partenarial entre les acteurs est au centre de nos

préoccupations. La genèse de cette réflexion est tirée d’une enquête du terrain réalisée en

début de mémoire qui conclut à la difficulté des intervenants sociaux, de tous les échelons

de l’organigramme, à considérer les familles comme des partenaires. Ce travail a pour

ambition de faire émerger des paradoxes apparents ou cachés de l’action éducative

notamment concernant un partenariat obligatoire qui suscite de nombreuses interrogations

chez les professionnels. Les enjeux relatifs aux rapports de pouvoir peuvent constituer des

écueils importants dans la construction d’un consensus si chacun des acteurs renforce ses

positions. Ainsi, les velléités institutionnelles d’assurer leur pouvoir de normalisation se

font le plus souvent au détriment du partage des décisions des acteurs et plus

particulièrement des usagers.

Les travailleurs sociaux, en AEMO, sont chargés, à l’échelon le plus proche, de fabriquer

localement avec les familles et les enfants des compromis et arrangements en tenant

compte à la fois du territoire et de la complexité des situations pour élaborer un « projet ».

Or, nous verrons que construire du sens dans un environnement paradoxal n’est chose aisée

car la relation de « confiance », nécessaire au bon déroulement de la mesure est soumise

aux attendus du juge qui peuvent être ressentis comme un stigmate5. Le rappel à la loi est

alors subi comme une contrainte. Guy Hardy rappelle que la base de la règle est

l’acceptation de la frustration6. C’est donc en donnant du sens à la règle, en faisant

percevoir à l’autre son intérêt à la respecter et tenter de le sortir d’une « carrière

déviante7 » qu’il s’inclut dans un processus de changement.

Nous soutiendrons notre réflexion avec l’appui de la sociologie des organisations qui va

nous éclairer sur les stratégies d’acteurs dans un système organisé et cohérent. Comment

articuler trois réalités et définir les libertés de chacun des acteurs ? Pour répondre à cette

5 E. Goffman, Stigmate : les usages sociaux des handicaps, Paris, Ed. De minuit, 1975.

6G Hardy, « S’il te plait, Ne m’aide pas, L’aide sous injonction administrative ou judiciaire », édition

Jeunesse et droit, Eres, collection relation, 7 Howard.S Becker, Outsiders : Etudes de la sociologie de la déviance, Paris, Métailié, 1985

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question, nous avons formulé une hypothèse pour mieux cerner les rationalités des acteurs

dans un système sous contrainte et de rechercher la part irréductible d’autonomie qui existe

dans une relation de pouvoir.

La co-construction d’un projet d’intervention, point de convergence des réalités de

chacun des partenaires, repose sur la reconnaissance et le respect des acteurs et de

leur position interactive dans un système sous contrainte de type AEMO.

Pour tenter d’avancer sur cette question, nous avons élaboré une étude située sur le champ

de la protection de l’enfance et plus particulièrement auprès des acteurs qui gravitent

autour de l’usager en AEMO. La relation partenariale comme objet d’étude s’explique par

la nécessité de traduire des attendus judiciaires en des objectifs de travail qui prennent en

considération la réalité des individus. Toute condition sociale confondue, nous avons tenté

de vérifier le processus de disqualification ou d’inclusion réussie auprès d’usagers sortis

des dispositifs. Des dossiers ont été consultés pour tenter de comprendre les motifs de

renouvellement et le processus de dépendance généré. La concertation est mise en avant

dans la loi du 2 janvier 2002, et chacun doit pouvoir en principe structurer son discours, de

sa place.

Nous avons ainsi, mis en tension deux composantes, l’Institution et les sujets de

l’intervention, autour des enjeux de la relation partenariale dans le cadre d’un projet dont la

finalité vise essentiellement, à diminuer les écarts des pratiques déviantes ou à risque avec

la norme.

Pour mener à bien notre enquête, trois critères se sont rapidement révélés indispensables à

notre étude pour nous éclairer sur les effets de la relation partenariale autour de 3 acteurs :

les parents et enfants, les institutions et les professionnels. Nous nous sommes focalisés sur

3 relations qui apparaissent nécessaire pour envisager un changement durable : la

parentalité, la relation enfant et sa famille, la suppléance concernant la relation du

professionnel exerçant un mandat judiciaire auprès d’un enfant et celui-ci et la 3ème

entre

les professionnels et les parents notamment sur les formes de leur participation et plus

particulièrement sur les engagements partagés autour de la construction d’un outil

commun, le projet. L’importance de ces trois relations va mettre en exergue les stratégies

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 7

qui vont conduire progressivement à une convergence des compétences et va déterminer la

« normalisation » au sens de Muzafer shérif8 ou la disqualification sociale.

L’hypothèse va mettre en évidence les limites du cadre d’intervention actuel où l’inégalité

des acteurs face au projet nuit à l’investissement de tous. Les alliances provisoires vont

rythmer une intervention éducative où l’esquisse d’une approche collective se confronte

aux limites « des mondes de chacun ». Le projet devient alors une nouvelle norme sociale

et, de ce fait, une nouvelle contrainte.

Dans une volonté de réfléchir à d’autres perspectives, nous proposons de revisiter le

modèle actuel en nous appuyant sur la sociologie de la traduction qui attribue aux

travailleurs sociaux une place de « traducteur » entre les « macro acteurs » (l’institution) et

les « microacteurs »(les familles) dans une volonté de favoriser la convergence des

positions et éviter les impasses, mais également en nous référant à d’autres modèles

notamment le développement social local que nous tenterons d’adapter au contexte d’une

mesure judiciaire.

8 Dans le sens ou la normalisation est un processus qui permet à un groupe de converger vers une norme

commune. Toute personne qui ne se conforme pas à la norme se marginalise.

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Première partie : l’avènement d’une nouvelle place de l’usager au centre

du dispositif

Pendant de nombreuses années, différents rapports ont mis en évidence les insuffisances

des lois sociales et en particulier celle de 1975, relative aux institutions sociales et médico-

sociale, en pointant « une participation de l’usager insuffisante9 » et l’absence d’une prise

en compte de son expression. Pour lutter contre une « toute puissance institutionnelle» et

favoriser son expression, la loi du 02 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-

sociale a été élaborée. Elle pose pour principal principe de mettre l’usager au centre du

dispositif. Il s’agit de promouvoir son inscription sociale10

en lui offrant la possibilité

d’être acteur de son changement. C’est garantir son inclusion sociale11

, c’est-à-dire lui

accorder une visibilité, une expression, une participation active dans le tissu social et lui

garantir un accès direct aux institutions afin de lutter contre toutes formes d’exclusion.

C’est également l’engager dans une inscription sociale valorisante et citoyenne et de

reconnaitre sa place de partenaire. Dans cette perspective de changement, le projet occupe

une place centrale que nous mettrons en évidence, tant comme support à l’inclusion

sociale12

que des effets pervers qu’il va induire.

Dans le chapitre 2 nous considérons les interactions entre les principaux acteurs d’une

mesure AEMO, le juge, l’association et l’usager. A l’aide de l’analyse systémique, nous

avons tenté de cerner la complexité et les divers enjeux sous-jacents dans les interrelations

entre les acteurs dans un système sous contrainte de type AEMO.

Dans le chapitre 3, nous faisons une proposition de réponse, par des inscriptions théoriques

et une hypothèse.

Chapitre 1 Le cadre d’intervention

Les différentes réformes de la Protection de l’Enfance sont représentatives d’une

évolution des rationalités profondes qui animent les « acteurs » concernés par

l’intervention judiciaire. D’une logique avant tout répressive avant l’ordonnance de 1945,

les années 90 et surtout la loi du 02 janvier 2002 s’oriente vers une responsabilisation

9Rapport Bianco-Lamy

10 Loi de 2002, Chapitre 1, section 1 les fondements de l’action sociale et médico-sociale et article L116-1 du

code de l’action sociale et des Familles 11

Nous définirons ce concept dans le chapitre 3

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personnelle et citoyenne. Une analyse historique de l’action publique met en évidence ces

différents passages qui modifient progressivement la place occupée par l’usager et

aboutissent au projet d’une coopération effective, d’une coproduction de service, et à une

réflexion sur les transformations induites dans la relation professionnelle-usager-

Institution. Pour prendre la mesure de cette évolution, revenir sur l’histoire de la Protection

de l’enfance, c’est mettre à jour une dynamique historique et mieux saisir les principaux

enjeux qui traversent encore aujourd’hui les réflexions sur l’action éducative dans le

champ de la justice des mineurs. C’est sur cette base que nous allons emprunter les

chemins concrets par lesquels la justice des mineurs se transforme, se réforme et que nous

pourrons comprendre les logiques successives des politiques. Nous proposons de vérifier

ensemble, l’impact de la loi du 2 janvier 2002, puis celle du 05/03/2007 réformant la

Protection de l’Enfance, autour des usages institutionnels d’une grande association, la

Sauvegarde13.

1.1) Présentation du terrain d’étude

L’association est un des acteurs, d’un système sous contrainte que l’on va identifier plus

tard dans le mémoire. Elle va être le support de réflexion du mémoire et concerne la

Sauvegarde13. Elle constitue à la fois un lieu d’inscription des pratiques car elle s’inscrit

dans l’évolution des tendances sociales et politiques mais également un partenaire

incontournable pour les institutions (magistrat ou Département) car elle représente environ

90% des mesures éducatives sur le département.

L’histoire de l’association

L’association trouve sa source dans l’action entreprise en 1893 par Madame VIDAL-

NAQUET et Madame CHAUSSE, bâtonnier de l’ordre des avocats au barreau de

Marseille, par la création du Comité de Défense des enfants traduits en justice. Autrefois,

être mineur délinquant signifiait être incarcéré au même titre que les adultes.

Progressivement, on s’est rendu compte qu’il fallait dissocier les deux. Il faut considérer

que l’enfant ne peut avoir pleinement conscience de la gravité de son acte. L’évolution des

mœurs et de l’état d’esprit de l’époque ont permis de poursuivre et de développer l’action

du Comité de Défense et de Protection de l’Enfance créée en 1935, où l’on privilégie alors,

des mesures éducatives à la sanction pénale, les mineurs étant considérés davantage

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comme des victimes de la société et des êtres en devenir. C’est ainsi qu’une justice des

mineurs a été élaborée indépendamment de celle des adultes.

« Les lois sont indispensables afin que chacun d’entre nous puisse vivre en société dans un

respect des uns et des autres. Les lois interdisent ou obligent, protègent ou confèrent des

droits. Elle s’applique à tous, aux adultes comme aux mineurs, qui ont, eux aussi des droits

et des devoirs »13

Les Fondements de l'Association sont centrés autour de 3 idées directrices :

l'aide et la protection des mineurs en danger

l'aide morale et matérielle à leur apporter

le maintien ou le rétablissement des liens familiaux

L’association est en interaction continue avec les tribunaux et les services de l’Aide

Sociale à l’Enfance qui introduisent dans le fonctionnement de la sauvegarde13 un élément

de contrôle des objectifs. Tandis que les professionnels tentent de construire avec les

usagers, les modalités d’intervention, leurs effort doivent aboutir à un changement utile ou

acceptable et ceux, afin de répondre à une commande sociale. On parle alors d’aide sous

contrainte.

1.2) L’aide sous contrainte, les constats

Lorsqu’un service social accueille un bénéficiaire, il exprime souvent « une demande

d’aide » qu’il s’agisse d’un problème locatif, administratif, financier ou éducatif. Dans

cette perspective, il est porteur de la demande à la fois « acteur » et « auteur ». Il s’autorise

à solliciter des intervenants sociaux et à se prémunir d’une « certaine marge de liberté14

»,

d’une capacité d’agir de manière autonome.

Dans le cadre d’une aide sous contrainte, cette demande portée par un citoyen, peut ne pas

être sa demande. Elle peut, en effet, émaner d’une personne physique (ami, parents,

travailleurs sociaux…) ou de personnes morales (Service de L’aide Sociale à l’Enfance,

magistrature, école…) qui ont repéré ce qui leur semble des pratiques à risques ou

13

« La justice des mineurs » Service de l’Information et de la Communication, ministère de la justice 14

M. Crozier etE. Friedberg, « l’acteur et le système », le Seuil, « Points Politiques », 1981, p 45

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 11

déviantes et qui disposent d’un pouvoir légal, administratif, affectif, moral ou judiciaire qui

oblige et pour ne pas dire exige que la situation change.

L’Action Educative en Milieu Ouvert se situe dans cette seconde perspective, dans un

contexte où la procédure légale conduit le magistrat à prononcer une aide sous contrainte

dont la finalité de l’intervention va viser le changement.

Comme tout changement, il s’inscrit dans le cadre d’un projet. L’idée de projet évoque

« une grande liberté des possibles »15

et recouvre de nombreux enjeux sociaux. A tel point

que ‘elle est devenue une norme contraignante, incontournable, qui disqualifie les « sans

projet ». A partir de ce paradoxe, l’intervenant social a pour mission de faire adhérer le

citoyen à une norme sociale, à des valeurs plus conforme à la commande sociale.

Cette double exigences exprime deux contraintes qui s’opposent. On parle d’injonction

paradoxale qui a tendance à entrainer un blocage de communication. Bateson parle

de « communication sous contrainte16

». La relation de la double contrainte est un piège

relationnel car elle caractérise une relation de pouvoir entre, l’institution, association et

usagers. C’est-à-dire qu’elle accorde à un des acteurs la possibilité de sanctionner ou de

gratifier. Cela s’exprime sur le terrain par « nous voulons que vous changiez », où la

norme est présentée comme « la bonne pratique ».

L’aide sous influence se situe lorsque le professionnel sensibilise l’individu car, sachant

que le changement de soi ne peut s’imposer de l’extérieur, il va le mobiliser pour que le

changement émane de lui, on se situe alors dans « je veux que tu veuilles te changer ».Pour

Guy Hardy, on ne peut occulter les effets pervers dont pourrait être le porteur de l’aide

sous injonction judiciaire.

« Notre analyse de l’aide contrainte ne devrait, de plus, jamais s’entendre comme une mise

en accusation de la bonne foi et de la compétence des acteurs de ces secteurs mais comme

un appel à la vigilance. Il s’agit, avant tout, du décryptage d’une situation au sein de

laquelle, quelles que soient leurs intentions, les intervenants de l’aide contrainte sont

piégés 17

».

Mais quelle est la place accordée à l’autonomie pour l’usager ?

Comment le projet peut-il faire sens et prendre un intérêt ?

L’usager est-il un partenaire dans la construction d’une intervention éducative ?

15

C Lemoine, carriérologie, volume 6, n° 3-4, 1997 16

G Bateson, définition du « double bind », in La nature et la pensée, Le Seuil, 1985 17

G Hardy, « S’il te plait, Ne m’aide pas, L’aide sous injonction administrative ou judiciaire », édition

Jeunesse et droit, Eres, collection relation, p 36

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 12

Fort de ces constats, nous avons souhaité les confronter à l’épreuve des professionnels afin

de mesurer la place qu’occupent les usagers dans la construction et dans la mise en œuvre

du projet. Cette démarche a fait l’objet d’une pré-enquête (annexe 1) dont l’objectif visait

essentiellement à mesurer les représentations des professionnels concernant les usagers

dans la construction d’un projet.

La méthodologie d’intervention du service

La loi du 02 janvier 2002 marque la volonté des pouvoirs publics d’une plus grande

transparence des prestations sociales proposées par les institutions et de ce fait définit des

objectifs précis et présente les valeurs qui régissent l’activité de l’association

La loi de 2002 pose 2 principes :

Garantir le droit des usagers

Instaurer des procédures de pilotage du dispositif plus rigoureuses et plus

transparentes afin d’instaurer une plus grande coopération des différents acteurs

Pour formaliser ses deux principes, 4 orientations ont été formulées :

Affirmer et promouvoir les droits des bénéficiaires et de leur entourage

Pour cela, les institutions doivent remettre à la personne ou à son représentant légal

un livret d’accueil auquel estannexée une charte de la personne accueillie qui pose

le principe de la participation de la personne ou de son représentant légal à la

conception et à la mise en œuvre du projet d’accueil et d’accompagnement qui le

concerne18

. Les règles de fonctionnement qui définissent les droits de la personne

accueillie et ses obligations et les devoirs nécessaire au bon fonctionnement de

l’intervention éducative19

.

Après les premières évaluations, un document individuel de prise en charge(DIPC) est

élaboré, il détermine les prestations fournies par le professionnel. Les modalités

d’intervention sont fixées en collaboration avec le public20

.

Le document relatif à la participation des usagers21

par un questionnaire de satisfaction est

également transmis.

18

Arrêté du 8 septembre 2003 mentionné à l’article 311-4 du code l’Action sociale et des Familles 19

Décret 2003-1055 du 14 novembre 2003, article 311-7, loi de 2002-2 20

Décret 2004-1274 du 26 novembre 2004 mentionné à l’article L 311-4 du CASF 21

Article 19 et 28 du décret du 27 mars 2004

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 13

Concernant le personnel, il est soumis au secret professionnel et depuis la loi du 05

mars 2007 au secret partagé, elle garantit la confidentialité des informations.

L’association s’est dotée d’un projet d’établissement dans lequel elle définit ses objectifs

notamment en ce qui concerne la coopération, la coordination et l’évaluation des activités

ainsi que les modalités d’organisation et de fonctionnement, ses valeurs…22

Afin de favoriser une harmonisation des procédures d’intervention un guide

méthodologique est également fourni, il décrypte les divers rapports à transmettre au

magistrat 6 semaines avant échéance de la mesure, des notes visant à actualiser la situation

familiale et les procédures en fonction des temps de l’intervention, accueil, orientation vers

des partenaires institutionnels, placement, courrier etc.…

Enfin des notes internes de fonctionnement sont diffusées à chaque professionnel et aux

divers services d’intervention.

La 2ème

grande orientation vise à lutter contre toute forme d’exclusion en apportant Aide

et Conseil aux usagers titulaire d’une mesure AEMO. Dans ce cadre, on se situe dans le

cadre règlementaire de l’inclusion sociale.23

La 3ème

grande orientation vise l’amélioration des procédures :

Un contrôle est exercé par nos partenaires et financeur du Conseil Général, et une plus

grande vigilance des magistrats autour de la mise en œuvre de l’intervention éducative.

L’évaluation occupe également une place important.

La 4ème

grande orientation se rapporte essentiellement autour d’une plus grande

coordination des acteurs et organiser une plus grande transparence dans la construction

d’une mesure éducative, il s’agit de décloisonner les fonctionnements actuels pour

accorder une place effective à chaque acteur participant à une mesure judiciaire. 24

La sauvegarde13 réaffirme dans ses valeurs professionnelles, le respect de la dignité des

personnes, de son intégrité, de sa vie privée, de son intimité et de sa sécurité25

et instaure la

mise en place de projet individuel visant à répondre à la commande sociale définie dans les

attendus du magistrat, fixés par ordonnance ou jugement. Elle vise également à rechercher

22

Article 12, section 2 droit des usagers du secteur social et médico-social, loi de 2002-2 23

Plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté du 21janvier 2013 24

Article 42 loi de 2002-2 et suivants 25

Projet institutionnel de la SAUVEGARDE13 modifié en 2013

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le développement de la personne, son autonomie et son insertion adaptée à son âge et à ses

besoins26

. Toute intervention s’effectue idéalement en respectant le consentement éclairé

de la personne ou de son représentant légal apte à exprimer sa volonté et à « participer à la

décision27

».

C’est sur ce dernier point que nous nous appuieront pour mettre en valeur la place de

« partenaire » accordé à l’usager. Nous fondons notre réflexion sur la définition de Fabrice

Dhume qui pose la démarche partenariale autour d’une action collective comme support

d’une communauté d’intérêt28

. Le projet prend une dimension importante tant par l’aspect

opératoire qu’il représente mais également par l’affirmation des libertés qu’il sous-entend.

1.3) Le projet comme affirmation des libertés

Pour Boutinet29

, le projet est « anticipation opératoire, individuelle ou collective d’un futur

désiré ». Dans le contexte d’une mesure judiciaire, nous parlons davantage de combler

l’écart entre des dysfonctionnements familiaux ou parentaux qualifiés de « déviants » avec

la norme sociale en vigueur. Ce changement nécessaire doit se concevoir dans une

démarche de projet. La loi de 2002-2 se montre très protectrice des individus et de leur

liberté en venant nous l’avons vu, instituer un certain nombre d’obligation pour les usagers

mais également pour les associations. Pour JM Lhuillier30

, la naissance de ce droit

s’explique par l’échec des établissements à répondre efficacement aux besoins des usagers.

Pour un public fragilisé, le législateur vient palier le danger de l’intervention sous

contrainte qui peut s’avérer être un coefficient multiplicateur des phénomènes d’exclusion.

La loi vient donner un fil conducteur au travail institutionnel en voulant faire du contrat de

séjour ou du DIPC des outils garantissant l’exercice des droits mentionnés à l’article

L.311-3 du CASF (voir annexe 2).

La loi pose les jalons d’une participation des personnes concernées par le projet et dans sa

mise en œuvre. Le réajustement des objectifs du projet doit, en principe, s’effectuer après

l’audience, lieu qui permet le principe du débat contradictoire31

. C’est un avenant que l’on

ajoute au projet personnalisé, où, il convient de préciser les « objectifs et les prestations

26

Article L311-3 du code de l’Action Sociale et de la famille 27

7ème

point de l’article L311-3 28

F. DHUME, du travail social au travail ensemble, éditions ASH, coll. Wolters Kluwer, Paris, 2010, p 111 29

JP BOUTINET, anthropologie du projet, 30

JM. L’HUILLIER, Les droits des usagers dans les établissements et services sociaux, éditions Presse de

l’EHESP, 4ème

édition, 2009, Paris

En référence au décret du 05/07/2007 relatif à la loi du 05/03/2007 reformant la protection de l’Enfance

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 15

adaptées à la personne ». En d’autre terme, il s’agit d’engager un véritable travail

d’élaboration et de mise à jour concourant à actualiser la situation personnelle de tel ou tel

usager.

1.4) Comment les professionnels de la Sauvegarde13 élaborent et conduisent le

projet ?

La loi ne donne pas d’indication ou une méthode claire. Cependant, elle formule un

ensemble de contraintes qui fixe les limites et peut servir de cadre à l’élaboration d’un

guide méthodologique.

o Le travail d’adaptation des prestations de l’établissement, c’est le travail des

professionnels qui, en fonction du rythme et des potentialités des individus

réajustes les attendus du juge en objectifs de travail avec les usagers.

o La participation active de la personne, l’autonomie de la personne est

respectée, les usagers doivent être informés des actions menées à minima,

placement inclus même dans le cas de retrait.

o Le caractère contractuel du document

L’intervention éducative de type AEMO est fondée sur un danger existant. Elle évolue à

l’intérieur d’un cadre juridique et elle intègre un risque permanent que seul le travailleur

social ne peut ni contenir ni évaluer.

Une lecture collective est bien évidemment souhaitable. Sa validité ne repose pas sur la

seule compétence de l’intervenant, ni sur sa motivation à mobiliser et interpeller son

équipe. Elle ne peut que se réaliser dans l’organisation de procédures où chacun, de sa

place de « partenaire » évalue la qualité de service et participe à la mise en action du projet

commun.

Le travailleur social se trouve donc, si l’on poursuit la réflexion, au cœur d’un paradoxe.

D’une part, le travailleur social affirme que les notions de respect et d’usager acteur

prévalent. D’autre part, il pose comme condition à cet usager acteur de s’engager dans un

processus de changement ; il lui reconnait le temps, la disponibilité et des marges de liberté

mais à condition qu’il change, en conformité à ce que les attendus ont désigné comme

déviant.

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 16

1.5) Les caractéristiques des usagers

Comme nous l’avons exprimé ci-dessus, l’intervention éducative est fondée sur un

danger existant. On pourrait se référer aux travaux d’olivier Schwartz, Michel Autès ou

Serge Paugam, et tous concluent que la crise économique a remis durablement en cause les

identités sociales et familiales et les modalités d’intégration sociale. Toutes les conditions

sociales sont concernées par une intervention éducative.

Au-delà de l’augmentation de la pauvreté, les problématiques familiales sont souvent le

cumul de difficultés telles que l’isolement social, des filiations peu établies, des

dépendances aux produits toxiques et des pathologies psychiques qui entrainent un déficit

de l’autorité parentale (voir tableau annexe 3 des problématiques selon ONED). De nos

jours, on ne peut également écarter les conflit parentaux liés à une séparation ou un

divorce. IL est évident qu’il s’agit ici d’un balayage rapide des diverses situations que

peuvent rencontrer les travailleurs sociaux en AEMO.

En grande majorité, nous avons pu observer pour des usagers revendicatifs de « droit à »

ou « au droit de » un phénomène assez paradoxal celui du non recours des familles à

l’intégralité de leurs droits sociaux qui devient un puissant vecteur d’exclusion et en

l’occurrence, pour notre recherche, de disqualification sociale. Cette configuration exprime

alors une forme de non-participation des familles avec un faible niveau d’implication et de

responsabilité.

Ceci accroit le décalage culturel (rapport aux valeurs, aux normes, aux pratiques sociales, à

une forme de reconnaissance…) entre l’intervenant social et les usagers de la mesure. On

peut alors, craindre une surestimation de la contrainte que représente le changement,

laissant peu de place à une pratique de projet.

La loi du 2 janvier 2002 favorise l’émergence de l’usager citoyen, acteur, partenaire, qui se

retrouve responsabilisé et impliqué dans tous les projets et les actions qui le concernent. La

loi de 2002 peut se présenter ainsi comme la conclusion d’une évolution des relations entre

les trois acteurs que sont l’institution, l’association et l’usager. Après avoir présenté le

contexte juridique de la loi de 2002 sous l’angle de son opérationnalité, il semble important

de réfléchir sur cette évolution des pratiques sous l’angle historique.

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 17

1.6) L’évolution de la relation usager/institution/association

La protection de l’enfance : une construction progressive

A travers les siècles, la misère est la principale cause de l’abandon d’enfant…

L’accueil des enfants des familles en difficultés avec l’hébergement des malades est à

l’une des plus anciennes fonctions de l’état naissant. Cette question sociale est une

préoccupation qui relève des congrégations religieuses puis aux services de l’assistance

publique. On va parler d’assistance sociale car c’est aux marges du travail que se pose la

question de l’assistance. Elle concerne sans trop de débat, ceux qui ne sont pas en mesure

de travailler mais aussi, et cela sera longtemps un problème, un certain nombre de valide32

.

Robert castel les présente sous la dénomination « d’inutile au monde ». L’assisté, placé

dans une relation régie par la charité, ne pouvait exprimer son point de vue.

La naissance de l’Etat social : la 3ème

République

Le débat autour de la dangerosité des familles pour leurs enfants et la question de la

maltraitance ébranla l’opinion publique vers les années 188033

. Les affaires comme celle

qu’évoqua Zola dans l’Assommoir attirèrent l’attention sur ces parents « maltraitants » qui

martyrisaient leurs enfants. Une prise de conscience aboutit à la nécessité de pénétrer à

l’intérieur de la cellule familiale pour soustraire l’enfant à l’influence d’un milieu délétère.

Progressivement, un ensemble de dispositions légales vont venir étoffer un arsenal

juridique pour tenter de protéger les enfants. La loi de 1889 sur le placement des enfants

est très importante car pour la première fois dans l’histoire, l’état s’arroge le droit de

prononcer la déchéance parentale. Le principe de l’autorité paternelle est battu en brèche

au profit de la reconnaissance des droits personnels de l’enfant, ainsi qu’à l’intérêt

supérieur de la société. Mais cette loi et celle de 1898 sur les actes de cruauté commis par

les parents ne seront jamais réellement efficientes car des mesures d’accompagnement des

familles ne furent jamais mises en place. De plus, la stigmatisation des parents produisit un

effet pervers, celui de favoriser la dissimulation des faits réprimés par la société, celui de

rendre difficile de penser les mécanismes relationnels dans les processus de mauvais

traitement.

32

R. Castel « les métamorphoses de la question sociale », édition Gallimard, collection Folio, 1995, p306 33

Catherine Rollet, La politique de l’Enfance sous la IIIème République, éd. Jeunesse et droit, 1998, p43-44

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 18

La naissance de l’état social est au sens de Robert Castel, une imposition de système de

garanties légales grâce auxquelles la sécurité ne dépend plus exclusivement de la propriété.

Le droit est lié au versement d’une cotisation, et non plus à l’incapacité de subvenir à ses

besoins, incapacité nécessairement évaluée par d’autres.34

L’ordonnance de 1945

C’est au lendemain de la guerre que sont prises les ordonnances de 1945. Un esprit

radicalement nouveau guide ces ordonnances puisque l’on affirme la prééminence de la

prévention sur la répression tant sur la santé, le suivi des enfants délinquants que les

dysfonctionnements familiaux. Pour assurer le suivi des enfants et des familles, des corps

professionnels se développent d’éducateurs (décret du 10 avril 1945), d’assistants sociaux

et de puéricultrice.

Avec l’ordonnance du 4octobre 1945 et le décret du 08 juin 1946, on peut considérer qu’en

France s’organise la construction d’une protection sociale, une forme « spécifique au

compromis et assurantiel de la société industrielle »35

. L’état accorde à ses assurés sociaux

un ensemble de garantie dont l’objet vise l’intérêt général au service des particuliers.

La Protection de l’Enfance

Jusqu'à l’ordonnance de 58, c’est paradoxalement lorsque le mineur a commis un acte de

délinquance qu’il est le mieux protégé par l’intervention judiciaire. En effet, les

dispositions définies dans les ordonnances de 1945 limitent les interventions des Juges des

Enfants aux enfants dont les conditions de vie (danger physique ou moral) prédestinent à la

délinquance et aux formes graves d’inadaptation sociale.

L’ordonnance 58

L’ordonnance de 1958 renforce la protection civile des mineurs et modernise la disposition

en un seul texte. Désormais, le Juge des Enfants peut intervenir rapidement et efficacement

en faveur d’un enfant ou d’un adolescent dont les conditions d’éducation sont gravement

compromises (article 375 et suivants du code civil)36

.

34

Op cit, p508 35

M. Autès « les paradoxes du travail social », Dunod, Paris, 1999, p 9 36

Article 375 modifié par la loi du 05 mars 2007 : Si la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur non

émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation sont gravement compromises, des mesures

d’assistance éducative peuvent être ordonnées par justice à la requête des père et mère conjointement, ou de

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 19

Une des originalités de l’époque, c’est que le dispositif crée une Action Educative en

Milieu Ouvert, c’est à dire offre un suivi de l’enfant maintenu dans sa famille.

L’expression marque néanmoins, combien les esprits et les structures restent marqués par

les dispositifs antérieurs puisque les termes « milieux ouverts » renvoient à ceux de

milieux fermés, qu’il s’agisse de placement en foyer, en famille d’accueil…

Toutefois, dans cette volonté du législateur de vérifier les conditions de vie du mineur au

domicile parental, il va créer un double système de protection :

Une protection administrative(AED)

Une protection judiciaire (AEMO)

La grande différence entre ses deux dispositifs se situe autour de l’engagement des

familles. La première, l’adhésion de l’usager est acquise, les objectifs sont communs et

l’intervention se définit en fonction d’un collectif d’acteur. Pour la seconde, L’A. E. M. O

est instaurée par décision judiciaire, Ordonnance ou Jugement. Le juge des Enfants se

substitue à l’autorité administrative, le président du Conseil Général, compétent pour les

mesures administratives, suite à une non-participation ou non implication des usagers

(l’enfant et sa famille). L’AEMO s’exerce dans le cadre d’une assistance éducative qui est

plus une institution de droit civil qu’une prestation sociale. Elle est en cela différente des

autres missions de l’action sociale. La protection de l’Enfance est concernée quand il y a

danger et conflit entre la volonté collective (la société) et les volontés individuelles (les

parents).

Pendant longtemps le système est resté centré sur l’enfant, ce qu’illustre l’appellation de

l’Aide Sociale à l’Enfance plutôt qu’Aide Sociale aux Familles. Pour autant, de nombreux

professionnels, juges, travailleurs sociaux, associations de familles, estiment aujourd’hui,

qu’il n’est pas possible d’aider un enfant en faisant abstraction de son milieu familial, mais

également des réseaux culturels affectifs et territoriaux dans lequel il s’inscrit. Et ce

constat, le rapport Bianco-Lamy37

le signalait déjà en 1980 où il fustigeait l’accent mis sur

l’Enfant plus que sur sa famille. L’émergence de la notion de parentalité va alors s’imposer

dans le champ de la protection de l’Enfance et transformer durablement les relations entre

les professionnels et les familles, les incitants chacun d’une part, à développer des actions

l’un d’eux, de la personne ou du service à qui l’enfant a été confié ou du tuteur, du mineur lui-même ou du

ministère public… » 37

J. L. Bianco et P. Lamy, L’Aide à l’enfance de demain, La documentation française, 1980, p 23-24

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 20

de soutien à la parentalité et d’autre part, de participer et de coopérer dans l’optique de

modifier les conduites à risque ou jugées déviantes.

Toutefois, à travers les textes, la perception de l’enfant a changé en même temps que les

missions assignées par la loi. Pour Pierre Verdier l’appellation qui est donnée dans les

textes législatifs sous-tend la place accordée et les logiques. Il distingue ainsi, la logique

d’assistance, la logique de protection, la logique de soin, celle de la proposition de service

et la logique de citoyenneté. Ainsi, les premiers textes sur l’assistance des enfants

présentaient comme des « orphelins » et il fallait remplacer des parents absents, morts ou

inconnus.

La loi de 1889 sur la déchéance parentale va développer sa mission de remplacement par la

protection des enfants victimes de maltraitances. Le père déchu remplace le père absent.

Après la logique de substitution, c’est sous la logique de protection que l’on va fonctionner

jusque dans les années 70. A cette époque, le ministre, Robert Boulin confie à Antoine

Dupont-Fauville la mission d’étudier l’Aide Sociale à l’enfance. Les conclusions

révolutionnent les pratiques, on ne peut répondre au « cas sociaux » que de manière

pluridisciplinaire. Sur le modèle médical prééminent à cette période, on parle de soin et

non d’éducation, les professionnels parlent « d’enfant en souffrance », de prise en charge.

Pour Paul Duning « Tout se passe en réalité comme si l’univers de la famille et celui des

professionnels de la protection de l’enfance étaient deux hémisphères qui les séparent plus

qu’il ne les rapprochent, l’enfant, acteur autant qu’enjeu de leur coopération ».

Le rapport Bianco-Lamy en 1980 va faire émerger la notion de parentalité. On parle

d’usager et on modifie l’approche. II y a certes des familles « carencées », mais ce n’est

pas en agissant à leur place qu’on résoudra leur situation. On accorde des droits à l’enfant

comme moyen de sortir de leur défaillance et dans une mission de « coéducation », de

soutien à la parentalité.

La loi de 2002, nous le verrons plus tard va renforcer la citoyenneté et orienter les

interventions vers la responsabilisation, étape nécessaire pour une normalisation réussie.

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 21

Evolution des missions de la protection de l’enfance et des représentations de son

client38

Logiques Désignation de la

population suivie

Représentation

des parents

Notre mission

Charité Le pauvre Inconnus sauver

1793-1904 Assistance L’orphelin absents remplacer

1889 protection Enfant

moralement

abandonné

déchus protéger

1970 soin Enfant en

difficulté

défaillant réparer

1984

proposition de

service

L’usager usagers soutenir

Citoyenneté Le partenaire citoyen responsabiliser

On peut s’interroger sur les conversions du social sans lui restituer sa partie invisible qui

touche à la question de la mission et au sens qu’elle requiert pour les professionnels, mais

également sur la philosophie de l’établissement qu’il véhicule auprès des partenaires et des

usagers. Le phénomène étudié intervient dans un contexte social et historique en constante

évolution où l’on passe d’une logique de vulnérabilité à celle de la capabilité. La société

reconnait à l’individu sa capacité à agir.

1.7) « L’administration n’est plus là pour dominer mais pour servir »39

: la loi de

02 janvier 2002.

Une étude du contexte préparatoire de la loi de 2002, ne peut s’effectuer sans parallèle sur

l’actualité du lien social tant sur le plan juridique que politique. En effet, l’évolution

historique des mesures proposées par un Etat providence qui se désengage

progressivement, s’est accompagnée d’un maillage juridique complexe mais nécessaire,

38

Conférence de Pierre Verdier, directeur Général de la Vie au Grand Air, lors de la journée d’étude du 18

octobre 2002 dans www.créai-Bourgogne.com 39

J. Chevalier, Regard sur l’administré. In les usagers entre marché et citoyenneté, Logique Sociales,

L’Harmattan, p 29

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 22

qui a conduit à une professionnalité fonctionnant sur la mode du stimulus-réponse.

Autrement dit à chaque type de problème une réponse en termes de dispositif est proposée,

fondé sur un texte de loi. Pour illustrer ce phénomène nous proposons de retracer, à grands

traits, une des caractéristiques du travail social, mettre l’usager au centre du dispositif et

l’évolution des droits sociaux des usagers.

Le rapport de Pierre Naves et Bruno Cathala40

va mettre en évidence les carences des

professionnels autour de l’évaluation de la situation des mineurs et de leurs familles et

l’absence d’un dialogue avec les familles qui vivent leurs rapports à l’Aide Sociale à

l’Enfance sur le mode de la violence de la peur de l’injustice, d’où une certaine tendance

au déni et à la défiance.

Le rapport de l’IGAS va modifier en 1996 la place de l’usager dans sa relation avec les

institutions car il devient un ayant-droit, un bénéficiaire de prestations et de ce fait s’arroge

la possibilité d’attendre une qualité de service et d’interroger les intervenants sur leurs

actions, au regard des moyens financiers et humains dont ils disposent. « De plus en plus, il

conviendra de s’assurer que les dépenses sont bien liées aux attentes et à la qualité de vie

des résidents ».41

Le rapport de l’IGAS souligne notamment l’insuffisance de prise en compte des enjeux de

la qualité, notamment en ce qui concerne la prise en compte de l’usager et suggère en

premier point de placer l’usager au centre de l’action : « il faudrait passer d’une logique

d’institution à une logique fondée sur les besoins des personnes »42

.

C’est de cette logique que toute action répond à un besoin que va émerger de nombreux

outils professionnels dont la performance et l’aspect contractuel va laisser supposer une

forme d’égalité entre les cocontractants. Nous percevons dans ce texte, les prémisses qui

vont fonder la relation partenariale.

Ce rapport marque un tournant dans les rapports entre les professionnels et les usagers en

préconisant de leur donner un rôle plus actif, d’une part et d’autre part, progressivement

40

P. Naves et B. Cathala, Accueil provisoire et placement d’enfants et d’adolescents : des décisions qui

mettent à l’épreuve le système français de protection de l’enfance et de la famille, IGAS, 2000. 41

M.F. Guerin, MT Join-Lambert, S. Morla, D. Villain (IGAS), déc. 1995, Bilan de l’application de la loi du

30/06/75 sur les institutions sociales et médico-sociales, rapport 95155 au Ministère des Affaires Sociales de

la Santé et de la Ville 42

Ibidem page122

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 23

passer de « l’usager silencieux » au citoyen titulaire de droits face à la machine

administrative ou judiciaire.

C’est dans cet esprit que la mission Terrasse43

, a préparé la réforme de la loi de 1975, en

souhaitant l’adapter au contexte politique, économique et sociologique de son époque. Il

replace l’intervention sociale dans une réponse aux besoins de l’usager et tente de

rationaliser le sens de l’acte : « l’usager, quels que soient son âge et son état, doit être placé

au centre du dispositif… »44

La lutte contre les exclusions, les droits des usagers et la réorganisation du secteur social

sont les grandes lignes d’un discours politique encore aujourd’hui d’actualité. Ils font

encore débat notamment dans la Protection de l’Enfance, où l’action administrative,

judiciaire en Milieu ouvert ou dans le cadre d’un placement démontre encore aujourd’hui

de nombreuses carences dans la concertation entre les familles et les professionnels. Or

l’absence de cadre clair, au contenu partagé par tous, portant sur les rôles respectifs de

chacun, est de nature à « fonder un état d’esprit qui facilite le développement de

malentendus, de ressentiments et est génératrice d’inefficacité 45

».

L’étape supplémentaire est alors franchie avec le rapport Roméo46

. Ce rapport, réalisé alors

que la future loi du 2 janvier 2002 est à l’étude au Sénat, concerne plus particulièrement

l’Aide Sociale à l’Enfance et traite des relations l’enfant et sa famille d’un côté et les

professionnels de l’autre.

Un état de ces relations est effectué sans concession dans un premier temps autour des

représentations de chacune des parties. La peur du « placement », la peur irraisonnée de la

séparation, parasitent en permanence les relations de cette triade (famille, travailleur

social, institution) où le dialogue vient buter et où le malentendu s’installe.

Il suggère une plus grande transparence sur l’application des dispositifs pour favoriser la

compréhension, atténuer les incertitudes et garantir une plus grande coopération des

acteurs dans l’optique de s’en servir comme levier du changement. « La psychanalyse et

43

P. Terrasse (Commission des Affaire culturelles, familiales et Sociales de l’Assemblée Nationale), (mars

2000), Rapport d’information sur la réforme de loi n° 75-535 du 30/06/75 44

D. Gillot (Secrétaire d’Etat à la santé et à l’Action Sociale), fév. 2000, discours à l’Assemblée Nationale,

www.assemblée-nationale.fr 45

Rapport Naves-Cathala, p 30 46

C. Roméo (Directeur de l’Enfance et de la Famille de Seine Saint-Denis), octobre 2001, L’évolution des

relations parents-enfant-professionnels dans le cadre de la Protection de l’Enfance, Rapport au Ministère

délégué à l’Enfance, à la famille et aux personnes handicapées

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 24

l’approche systémique ont conforté la place des parents en posant comme acquis que l’on

ne peut agir en faisant abstraction de la famille d’un enfant. »47

L’ambition du rapport est « d’envisager les familles usagères de la Protection de l’Enfance

comme des partenaires, des collaborateurs ». Cet objectif inédit soulève bien des questions

notamment sur les places qu’occupent chacun dans la prise de décision. Dans une volonté

de moderniser les rapports entre les acteurs, le partenariat passe par la reconnaissance des

droits des familles, à l’information et à son application.

Nous avons été frappés par les préconisations concrètes concernant la place des enfants et

des familles, qui vont fortement introduire les principes de « partenariat », de coéducation

de la loi du 02 janvier 2002. Par ailleurs, cet historique rappelle que la loi est issue d’un

long processus qui va désigner progressivement l’usager comme un acteur. Nous verrons

plus loin, que son application ne va pas aller sans problème. Ce qui est sollicité ici, ce

n’est pas seulement la construction d’un réseau de communication entre un enfant, sa

famille et l’institution (par l’intermédiaire de son traducteur, porte-parole, le

professionnel), c’est d’envisager le sujet comme citoyen. Or, la place des familles ici

largement consacrée comme un « partenaire » peut s’avérer être un véritable défi lorsque

l’obligation de changement s’impose à eux comme cela peut être le cas en AEMO. Dans ce

cas, la place des familles est- elle équivalente à celle des professionnels ?

La loi du 02 janvier 2002 : de « l’usager silencieux » à l’usager acteur »

Nous allons bientôt fêter les 10 ans de la loi de rénovation de l’action sociale et médico-

sociale. A ce stade du mémoire, il nous semble important de repréciser le contexte

historique qui a conduit à l’élaboration de la loi. Plusieurs rapports ont été sollicités par les

différents gouvernements qui se sont succédés afin de préparer la rénovation de la loi de

1975 sur les institutions sociales et médico-sociales. Bien évidemment, il nous ait apparu

essentiel d’effectuer une étude de ses documents car ils nous donnent des indications de

l’évolution souhaitée, notamment dans la place accordée dans le processus de décision de

l’usager. Le rapport Bianco-Lamy de 1986, le rapport de l’IGAS 1996, la Mission Terrasse

et le rapport Naves-Cathala en 2000 et le rapport Roméo en 2001 éclairent sur les motifs

politiques qui ont conduit à cette nouvelle fondation48

.

47

Ibidem p 21 48

J.F. Beauduret et M. Jaeger. Rénover l’Action Sociale et Médico-sociale : histoire d’une refondation,

Dunod, 2005

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 25

1.8) Une évolution politique : la loi du 05 mars 2007

A la fin du 20ème

siècle, l’enjeu de savoir travailler ensemble devient une priorité

nationale. La crise s’installant, la rationalisation des choix budgétaire somme tous les

secteurs de l’Aide sociale à favoriser la coopération et participation de l’ensemble des

acteurs sociaux et plus particulièrement les usagers. D’une vision mécaniste des

professions du social, les politiques souhaitent impulser un accompagnement moderniste

du citoyen, en une phrase : Promouvoir la place de l’usager.

Cette nouvelle conception vise essentiellement à ouvrir l’organisation de la Protection de

l’Enfance à ses administrés, en tant que service, espace de codécision et de co-élaboration.

Cette volonté d’associer les familles aux orientations les concernant émane d’un législateur

qui réaffirme des droits et des devoirs et les positionne comme des acteurs responsables,

dans un esprit démocratique et républicain. Autrement dit chaque parent doit pouvoir se

situer comme un partenaire. Ce qui est sollicité ici, ce n’est pas seulement le parent d’un

enfant confié à la protection de l’Enfance, c’est le sujet citoyen.

De nombreuses questions émergent dans le cadre d’une intervention judiciaire car la place

des parents dans un partenariat, n’est pas toujours librement consentie et le stigmate que

représente une telle intervention ne favorise pas toujours la participation.

Par ailleurs, suffit-il d’accorder des droits à des familles pour qu’elles s’en saisissent ? La

question du sens, de l’intérêt d’une assistance éducative pour les bénéficiaires et leur

famille, revêt ici une importance capital pour développer le travail ensemble.

La loi du 05 mars 2007 la réforme de la protection sociale

Désormais, le législateur souhaite une politique plus efficace dans le cadre des

interventions éducatives. A cet égard, la loi du 05 mars 2007 réforme les procédures liées à

la protection de l’enfance. Elle tente de maximiser les actions en faveur de la prévention.

L’un des premiers principes vise une déjudiciarisation des mesures éducatives. Pour

cela, la loi accorde un transfert d’autorité vers l’exécutif au niveau du département. Un

nouveau dispositif de recueil d’informations préoccupantes doit faciliter les interventions

auprès d’un mineur en danger ou risquant de l’être. Dans un souci de coordination, il

apparait une nouvelle notion, celui du secret partagé. La création d’une cellule

départementale qui va recueillir toutes les informations préoccupantes et en collaboration

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 26

avec les multiples partenaires institutionnels, associatif et les politiques locales tente de

raccourcir les délais de signalement au Procureur. La création de l’Observatoire nationale

de l’enfance en danger(ONED) est une instance qui traite les informations de l’enfance en

danger, évalue les dispositifs et se montre une force de proposition dans une forme

d’ingénierie sociale pour les politiques sur le plan des collectivités locales.

L’enfant reste au centre du dispositif, les actions éducatives se basent essentiellement sur

l’intérêt de l’enfant. Outre que l’enfant peut se positionner, le juge peut se substituer à

l’autorité parentale dans des cas précis.

Le deuxième principe, c’est L’affirmation de la place des parents. Une intervention

éducative ne peut se réaliser sans au préalable avoir effectué« le projet de l’enfant ». Il

fixe les objectifs, précise les actions et détermine les délais de mis en œuvre. Ce document

est cosigné par les parents ou le représentant légal et porté à la connaissance du mineur.

Une plus grande diversification des prises en charge a pour objectif de lutter contre la

massification des phénomènes d’exclusion pour les personnes les plus fragiles.

Ce nouveau fonctionnement favorise ainsi une information plus lisible et oriente les actions

vers un même objectif, dans un souci de créer un collectif d’acteur. La réforme institue

également le principe du débat contradictoire qui dans le langage procédural signifie dans

le cadre d’une procédure pour Protection de l’Enfance, que les diverses parties, parents et

enfants inclus, ont été en mesure de discuter à la fois des faits et des moyens que ses

contradicteurs lui ont opposé. La loi fait évoluer la place des usagers dans l’intervention

éducative, si le mot partenaire n’est pas explicite, l’éclosion de l’expression « usager-

partenaire » est dans la pratique souvent utilisé par les divers acteurs et notamment par les

politiques qui en accordant davantage de droits, tente de lutter contre la stigmatisation et de

favoriser l’inclusion sociale.

Conclusion : Les lois de 2002 et 2007sont-elles un support à l’inclusion sociale ?

Dans son chapitre 1 sur les droits fondamentaux, la loi restitue la parole aux usagers. « La

parole possible, c’est ce qui constitue la citoyenneté » selon Pierre Verdier49

, la loi

accorde aux familles la possibilité de recours dans le cadre d’une mesure AEMO

notamment, avec un appel d’une part et d’autre part, la capacité de s’exprimer et de

49

Op cit.

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 27

participer à la mesure. Reynald Brizais50

, psychosociologue, met en évidence que les droits

décrits sont dépendant du contexte dans lequel il s’exerce et souligne l’absence dans la loi

de libertés fondamentales comme la liberté d’expression, de circulation et de réunion

notamment.

Le deuxième principe, le libre choix entre une prestation adaptée à domicile ou en

établissement, l’usager de droit voit ici sa capacité limitée à la notion de protection.

Autrement dit, une intervention sous contrainte limite l’espace de liberté car l’action vise

essentiellement la protection de l’enfant avant tout autre considération. L’usager devient

objet de droit et perd sa place de sujet. Comment concilier dans ce cas l’injonction du

magistrat pour une mesure AEMO, par exemple et la liberté de choix des familles dans le

cas d’un placement sans l’adhésion des parents ?

Le troisième principe concerne une prise en charge et un accompagnement individualisé et

de qualité dans le respect d’un consentement éclairé. La notion de prise en charge vient

soutenir l’idée d’une posture d’objet de l’individu destinataire de la mesure. Saül Karsz,

sociologue et philosophe, dans son étude des 3 figures de l’intervention sociale (la charité,

la prise en charge et la prise en compte) indique que le destinataire de la prise en charge est

toujours qualifié par rapport au problème qui justifie l’intervention sociale. Sur ce point, on

peut effectivement penser que l’intervention requiert une forme de stigmatisation de la

personne.

Il semble également important de s’attarder sur la fin du principe «le respect d’un

consentement éclairé », qui sous-tend une information transparente et lisible transmis entre

les acteurs pour atténuer toute forme d’incertitude et garantir la participation effective de

chacun dans le cadre d’un consentement mutuel. On suppose une égalité des partenaires et

des stratégies d’acteur connues de chacun. Qu’en est-il lorsqu’une décision ne dépend pas

seulement de la famille ou de l’usager mais aussi de celle d’un autre acteur, le juge par

exemple ?

La confidentialité des données concernant l’usager et l’accès à l’information est un

principe fondé sur les libertés individuelles, les « droits de » s’appuient sur l’égalité

comme devise républicaine. Le citoyen obtient ainsi un rôle actif dans la sphère du social.

L’aspect confidentialité se limite toutefois, à toute disposition contraire au bon

50

Brizais R., la loi 2002-2, une loi qui fait parler ou comment-taire, Revue Juridique d’Action sociale, N°

226, Juin 2003, p 36.

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 28

fonctionnement de l’intervention éducative. Dans son rapport au juge des Enfants, cette

clause de confidentialité pour le travailleur social ne s’exerce pas par exemple. Une

information sur ses droits fondamentaux et sur les voies de recours à sa disposition se

rapproche des « droits à » et pose la question de l’accès au droit. Il est tout aussi important

d’informer l’usager de ses droits que de l’accompagner dans son utilisation. En effet, la

reconnaissance de l’autre se détermine souvent sur sa capacité à se saisir des dispositifs de

droit commun notamment dans une intervention sous contrainte où l’enveloppe juridique

fixe le cadre d’intervention.

La loi du 02/01/2002 renforcée par la loi du 05/03/2007 s’appuie sur de nouvelles notions

de démocratie directe ou de gouvernance, en prenant en compte tous les systèmes d’acteur

qui agissent et interagissent pour concourir à une action collective et ou sociale. Une étude

du contexte historique et social nous a permis de mesurer l’évolution des conceptions dans

l’intervention sociale. La participation de l’usager à la conception et à la mise en œuvre du

projet d’accompagnement, c’est mettre l’usager au centre du dispositif et le rendre

responsable de ses actes. C’est cette idée d’un agir ensemble qui renouvelle pour le moins

les discours politiques et dénote d’une exigence démocratique pour permettre à l’usager

d’occuper une place décisionnelle. La pratique est toutefois, plus incertaine. L’usager peut-

il et doit-il être un partenaire notamment dans un système sous contrainte ? Répondre à

cette question, c’est affiner notre compréhension des référentiels qui animent les politiques

et les acteurs de l’intervention.

CHAPITRE 2 L’AEMO : De la liberté à la nécessité ou l’aide sous

contrôle

Satisfaisant aux obligations légales, la sauvegarde13 a tenté d’associer les usagers

(l’enfant et sa famille) à son fonctionnement. Dans ce nouvel espace de coopération,

l’usager occupe une place d’acteur. Cependant, définir les modalités concrètes de sa

participation aux processus de décisions, s’avère difficile. Cette situation est notamment

liée au caractère particulier de la mesure judiciaire de type AEMO qui s’exerce avant tout

dans le cadre d’une assistance éducative qui est plus une institution de droit civil qu’une

prestation sociale. La mission pédagogique et éducative de l’équipe d’intervention consiste

à assurer un suivi des mineurs titulaires de la mesure et de leurs familles. Elle est le résultat

d’un processus qui débute d’une information préoccupante transmise, faisant état d’un

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 29

danger pour la sécurité, la santé et la moralité du mineur et dont la dangerosité nécessite

selon les services de l’Aide Sociale à l’Enfance ou les Mesures Judiciaires Educatives,

l’instauration d’une mesure éducative (loi de 2007). La mise en œuvre de l’intervention va

alors produire de nombreuses interactions entre l’usager-l’association-l’institution. La

construction d’un projet commun avec ses trois partenaires n’est pas chose aisée car elle se

confronte aux limites de chacun et à leurs représentations.

2.1) Les Interactions Usagers, Institutions, Association

L’AEMO est souvent assimilée à une intervention sous contrainte car elle est liée à la

sanction, qu’elle soit positive51

(sanctions qui favorisent certains comportements) ou

qu’elle soit négative (qui s’applique à ceux qui n’agissent pas en conformité à ce qui est

attendu). Autrement dit, la protection de l’enfant est concernée quand il y a danger et

conflit entre la volonté collective (l’institution représentée par le magistrat) et la volonté

individuelle (celle des parents). Le changement vise essentiellement à combler les écarts

entre les comportements « déviants » et l’usage commun de la plupart d’entre nous qui

résulte de la norme.

Toutefois, de cette triangulaire, Institution, Usagers, Association, nous pouvons observer

les limites actuelles du travail social « classique ». En effet, il ressort des interactions une

normalisation exacerbée qui se situe dans une logique de domination, un formalisme

technique associé à un processus bureaucratique et des stratégies d’acteur pour lutter contre

toute forme de stigmatisation et de disqualification sociale.

Nous allons maintenant observer les relations qu’entretiennent ses différents organes entre

eux. Notre analyse portera sur les interactions entre les trois sous-systèmes suivants : le

tribunal pour Enfant, les usagers et l’association.

2.1.1) La relation entre le tribunal et l’association

Entre le tribunal et la sauvegarde13, on ne peut que constater une très grande

proximité géographique et une histoire intimement liée. Nous parlons couramment de

« mandat judiciaire » alors que ce terme est impropre52

. Les juges restent les pourvoyeurs

51

P. Steiner, la sociologie de Durkheim, la découverte, repères, Paris, 1998, p. 30 52

Comme le souligne Jean Pierre Bartolomé, « il ne s’agit pas d’ergoter sur des questions de vocabulaire

mais de rendre clair ce qui est confus, car de la manière dont un centre agrée ou un délégué à la Protection de

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 30

de mesures éducatives et la survie des services AEMO mais également la SIE dépend en

grande partie d’un quota minimum d’enfants suivis (30)53

par année. Nous sommes, de ce

fait, dans une relation assez ambiguë vis-à-vis d’eux. Théoriquement, nous sommes

reconnus comme une association proposant ses services dans l’accompagnement éducatif

par les magistrats, ce qui pourrait impliquer que l’association est dans un rapport d’égalité.

Le juge n’a aucun pouvoir vis-à-vis de l’intervention et de ce fait, il n’est pas en position

hiérarchique avec les services, les professionnels ou toutes formes d’actions éducatives.

Cependant, la grande dépendance financière et la politique institutionnelle (à l’échelon

associatif) laisse entrevoir une tout autre réalité. En effet, certains juges n’hésitent pas à

présenter les intervenants associatifs comme des membres de leur équipe et imposent la

présence des travailleurs sociaux ou à défaut d’un collègue ou d’un représentant du service,

aux audiences (alors que les convocations ne nous sont pas adressées, seuls les rapports

sont obligatoires et définis par la loi). De plus, en cas de divergences de vue entre les

magistrats et nous, il est risqué de se confronter trop ouvertement à la position d’un juge.

Les rapports et autres notes transmis aux juges constituent le mode de communication le

plus utilisé entre les magistrats et les travailleurs sociaux. Ils représentent en quelque sorte,

un compte rendu détaillant de l’évolution des situations suivies et une carte de visite de

l’association. En ce sens, un document bien argumenté donne du crédit à notre action.

Autrement dit, les visas de direction sur les écrits rendus occupent une place importante

pour les chefs de service et la direction car les écrits représentent bien plus qu’un mode de

transmission d’informations objectives : « L’organisation crée du pouvoir simplement par

la façon dont elle organise la communication et les flux d’information entre ses unités et

ses membres »54

. On peut s’interroger néanmoins sur la place qu’occupent les attendus du

juge dans une action éducative, notamment si l’association n’exerce plus son pouvoir

d’interpellation. Ils deviennent une référence à l’action éducative en l’absence de

références théoriques solides et d’une méthodologie qui ne propose que d’ajouter des

procédures aux procédures.

Bien sûr nous ne pouvons écarter dans les faits, l’Aide Sociale à l’Enfance qui est en

réalité notre financeur réel et qui a un pouvoir de sanction financière et un pouvoir de

l’Enfance explique son intervention aux familles et aux jeunes, dépend une grande partie de la conception

qu’ils s’en font et il importe dès lors d’éviter les pièges du vocabulaire. L’article 1984 du code civil définit le

mandat : c’est « un acte par lequel une personne donne à un autre le pouvoir de faire quelque chose pour le

mandant et en son nom ». En réalité, l’application des mesures décidées par le Tribunal pour Enfant est en

réalité non de la compétence du pouvoir judiciaire, mais du pouvoir exécutif. » 53

Chiffre fourni par l’association, 1 enfant suivi pour un prix de journée de 7 euros par jour. 54

Crozier et Friedberg, l’acteur et le système, Seuil, coll. Point, Paris, 1977, p.56

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 31

contrôle qui s’exerce sur l’établissement. Il est d’ailleurs curieux de constater que la

relation semble davantage rééquilibrée, sous doute parce qu’il s’agit de travailleurs

sociaux. Comme nous, ils emploient le même langage.

Pour pouvoir remplir son rôle de magistrat, le juge a besoin d’informations lui permettant

de prendre des décisions éclairées. Il peut les obtenir en demandant un rapport de fin

d’intervention dans un délai de 5 semaines (pour respecter le débat contradictoire) ou une

note d’information pour actualiser la situation familiale. A l’issue de la période définie par

le jugement ou l’ordonnance, une audience permet de convoquer les intéressés (enfants,

parents), d’inviter les travailleurs sociaux titulaires de la mesure pour discuter de

l’évolution du travail éducatif et parfois faire un bilan de la situation. Remarquons

également que les temps d’audience constituent des temps de recadrage de la

problématique pour réajuster les objectifs d’intervention. Ils peuvent également modifier

les relations entre les différents partenaires, tant dans le sens d’une ouverture que dans la

sens d’une rigidification des rapports de force. Le respect de la période de transmission est

essentiel à double titre, elle répond à la loi qui garantit à l’usager un temps nécessaire au

contradictoire et lui réattribue une capacité d’action. Pour le juge la transmission de

l’information, avec plus ou moins de retard, va affecter sa capacité d’action et de réflexion.

2.1.2) La relation entre le Tribunal et les usagers

« Le pouvoir n’est pas l’attribut d’une personne, il caractérise la nature de la relation »55

Le juge est l’instance décisionnelle. Dans une situation-problème, où le mineur est en

danger, c’est lui qui doit prendre la décision de déterminer quelles sera la mesure qui sera

exercée, qui servira au mieux les intérêts de la personne titulaire de l’intervention. Dans la

grande majorité des cas, le magistrat souhaite l’adhésion des parents ou des enfants plutôt

que de leur imposer. Toutefois, quelques soit la posture des deux acteurs, il n’en demeure

pas moins qu’il s’agit d’une mesure de contrainte.

Crozier et Freiberg nous rappellent que : « …deux moyens sont simultanément utilisés pour

obtenir un consensus. On peut y arriver par la contrainte ou son corollaire, la

manipulation affective et ou idéologique, bref, par la soumission imposée à la volonté et

55

Ibid, p 19

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aux objectifs de l’ensemble. Ou bien par le contrat, c’est-à-dire la négociation et la

marchandage, qui peuvent se dérouler de façon explicite aussi bien qu’implicite.»56

La régulation sociale qui s’applique dans ce contexte, accorde au magistrat le pouvoir de

contraindre un individu à modifier des actions jugées « déviantes » afin qu’elles ne

viennent pas désorganiser l’ordre social. Il est évident que les personnes concernées par

une mesure judiciaire voient, par nécessité, leur liberté d’agir limitée et souvent le

changement s’impose à eux. Pour Michel Foucault, « on pourrait voir dans ces

politiques… des processus visant moins de cohésion sociale que la normalisation des

individus. »57

Dans une société où l’individu est définie par sa capacité d’agir, d’être autonome58

,

l’intervention judiciaire représente pour l’enfant et sa famille, un désaveu sociétal qui par

jugement sanctionne des pratiques éducatives considérées comme déviantes ou à risques.

Par effet pervers, elle attribue un stigmate59

(attribut qui jette un discrédit sur celui qui le

porte) souvent vécu par les parents comme un « étiquetage ». Selon, H Becker, la déviance

n’est pas un dysfonctionnement de conduite en référence à une norme, mai la qualification

d’un individu par un groupe social : « Le déviant est celui auquel cette étiquette a été

appliquée avec succès, le comportement déviant est celui auquel la collectivité attache une

étiquette. ». De plus, l’étiquetage conduit souvent à des mécanismes d’identification qui

enferme les individus dans un statut de « déviant » qui progressivement rend impossible

toute forme de participation avec un groupe composé d’éléments plus conformes : « dans

de telles conditions, il est difficile pour un individu de se conformer aux normes qu’il ne

comptait ni ne souhaitait transgresser… »60

. Dans le cas notamment où les reproches

portent sur les parents, il est difficile d’éviter que l’intervention éducative soit vécue

comme une forme de chantage dont les enfants sont les otages. Il n’est pas rare d’entendre

en audience ou de lire dans les attendus, « en l’absence de modifications notoires des

pratiques familiales, nous envisagerons un placement des enfants… »61

.

En ce qui concerne le juge, son rôle est d’instruire et d’appliquer la loi à travers des

mesures. Il répond de ce fait aux prérogatives prévues dans le cadre de l’article 375 du

56

Ibid, p 21 57

M Foucault, Surveiller et punir, éditions Gallimard, Paris, 1993 58

En référence à Ehrenberg, l’individu incertain, Hachette littérature, Paris, 1995 59

E. Goffman, stigmate : les usages sociaux des handicaps, édition de minuit, Paris, 1975 60

H. Becker, Outsider, Etude de la sociologie de la déviance, Métaillé, Paris, 1985, p.57 61

Phrase récupérée sur un jugement pour un renouvellement d’une mesure AEMO lors de lecture de dossier

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code civil concernant l’enfance en danger. Il sollicite régulièrement l’avis d’ « enquêteur

sociaux » ou d’une équipe d’investigation pour dresser une vision clinique de la situation

sociale, éducative et psychologique. A cet égard, le magistrat compte sur eux pour qu’eux-

mêmes proposent des orientations souhaitables en fonction du problème présent. Dans tous

les cas, le Juge des Enfants se positionne sur les faits, mais il fixe ses attendus en fonction

de la situation et de la faisabilité du projet. Il peut, dans certains cas, se mobiliser dans une

collaboration étroite pouvant jouer un rôle actif dans la stratégie du changement. Dans

d’autres cas, le juge peut se montrer très précis dans ses attendus, si sa décision est éclairée

par un avis « d’expert, de technicien » mais il préférera rester imprécis si l’usager ne se

conforme pas à ses exigences.

Il conserve toute liberté de manœuvre et d’appréciation, mettre à exécution des possibles

menaces (d’incarcération ou de retrait de l’enfant dans la famille…), modifier sa position,

si celle-ci ne sert pas l’intérêt du mineur. D’aucuns diront que certaines mesures éducatives

notamment aux yeux des usagers, deviennent dans les représentations véhiculées, des

moyens dissuasifs car elles sont formulées et vécues comme de véritables punitions qui

tendent à disqualifier socialement les parents.

2.1.3) La relation entre l’association (via ses professionnels) et les usagers

Le départ d’une mesure AEMO peut souvent se considérer comme une négociation.

La mise en lien des différents acteurs sociaux va se jauger dans notre capacité à mettre en

parole la situation de conflit. Autrement dit, c’est à la charge de l’institution éducative de

transformer les injonctions du magistrat (faites aux parents) en objectifs de travail qui

prennent en compte la réalité des individus avec leur potentiel et leur rythme d’évolution.

Cette étape est nécessaire car elle vise essentiellement à reprendre les attendus du juge sans

pour autant apparaitre aux yeux de l’usager comme un simple exécutant. Cette posture

nous laisse l’autonomie nécessaire pour négocier un « contrat »62

avec l’usager. Négocier

ne signifie pas que l’on sorte du cadre contraignant mais bien de créer un espace dans un

maillage juridique complexe où la personne peut être sujet ou partenaire d’une négociation

dans laquelle elle peut trouver un intérêt pour elle-même.

62

Document Individuel de Prise en Charge qui fixe les objectifs d’intervention (décret 2004-1274 du 26

novembre 2004 mentionné à l’article 311-4 du code de l’Action Sociale et des Familles)

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 34

La négociation sert à établir les modalités d’intervention, les règles du jeu, afin que chaque

acteur et notamment les usagers puissent y trouver une autonomie même relative. Chaque

individu appréhende différemment une intervention sous contrainte et dans le processus

d’intervention, plusieurs stratégies peuvent apparaitre qui se situent souvent autour de

même typologie de comportement, entre l’acceptation, la fuite ou l’opposition…63

. La

reconnaissance et la justice deviennent rapidement un enjeu dans la relation avec le

professionnel et les réactions multiples en défiance, voir méfiance vis-à-vis de

l’intervenant sont souvent les manifestations des représentations des usagers concernant

cette « police des familles » qui vient pointer leurs dysfonctionnements. Dans les 3

comportements répertoriés, les professionnels font remonter leur impuissance. Dans le cas

numéro un, il y a adhésion de l’enfant et sa famille, ils répondent à la commande sociale

sans pour autant développer des compétences parentales, le risque, c’est celui d’un retour

des mesures car l’intervention s’est basée essentiellement sur un aspect capacitaire et n’a

pas réussi à développer les compétences implicites des familles. Dans cette configuration,

la mesure répond aux attendus en occultant les besoins réels des familles.

Dans les situations où les personnes ne souhaitent pas la mesure qui leur est imposée

s’élabore : « un jeu négatif, un jeu structuré par des punitions et non plus des

récompenses64

».

Pour la personne qui refuse l’aide parce qu’elle le contraint à changer, il est fréquent qu’il

n’y voit pas l’affirmation de sa dignité et qu’il y place des limites dans l’intrusion de son

espace intime. Il prend alors le risque par une attitude d’opposition de renforcer les

convictions du mandant (qui peut penser que l’enfant et sa famille ne mesurent pas le degré

de gravité du danger), voire de renforcer son pouvoir de coercition.

Les représentations sociales des professionnels influencent également leurs évaluations et

leurs modes d’intervention auprès des familles socialement disqualifiées. Des dérives ne

sont pas à exclure, notamment le risque d’un « assujettissement à la norme 65

» tendant à

réduire le sujet en objet. Cette posture n’interroge pas les besoins réels des familles et ne

dit rien des conditions dont elles disposent pour se rendre conforme à la norme. Elle n’est

63

Article sur Albert Hirschman : Exit, Voice, Loyalty, alternative économique, n°247, mai 2006

L’auteur montre que les individus ont trois choix lorsqu’ ils sont mécontents : une réaction silencieuse (Exit),

le renoncement à l’action (Loyalty) et la protestation (Voice). 64

Op cit, p 20 65

Boutinet, J.P, Anthropologie du projet, Puf, coll. Psychologie d’Aujourd’hui, Paris, 1992

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 35

pas loin de s’apparenter à une violence symbolique au sens ou l’entend Pierre Bourdieu, à

savoir l’imposition par un pouvoir arbitraire, d’un arbitraire culturel.

2.2) Le projet d’intervention : Programmer l’action en vue de produire le

changement souhaité

L’intervention éducative peut se définir tel que nous l’observons sur le terrain, comme une

succession d’actions qui vise à répondre à la commande sociale (attendus du juge).L’action

éducative peut se traduire par un ensemble de stratégies pour tenter d’interrompre le « jeu

sans fin » dont sont prisonnier les membres de la famille. Enfermés dans une reproduction

à l’identique, ils ne possèdent pas les outils qui leur ouvriraient des possibilités

d’adaptation nouvelle. Dans cette optique, chaque acteur, de sa place, va devoir s’organiser

afin pour les uns de donner un cadre juridique qui favorise le développement de la

personne, pour les seconds d’adapter les moyens en fonction du rythme et des possibilités

des individus et enfin un usager dont la participation est souhaité pour ne pas dire

souhaitable. Le principe de la loi de 2002, renforcé par la loi de 2005 puis de 2007, vise

par ce partenariat peu ordinaire, à favoriser « l’inclusion sociale »66

des usagers. Si le

« partenariat »67

se décline selon différentes formes, et avec des acteurs dotés de pouvoirs

variables animés de logiques et de motivations différentes, il nécessite, en revanche des

règles strictes admises et comprises par tous.

Le projet d’intervention comme support à l’action

Nous proposons ici une démarche empirique d’intervention que pourrait suivre un

intervenant, elle est basée sur notre expérience collective, en collaboration avec plusieurs

collègues du service AEMO. Notre action se base sur trois grands principes dans la

construction d’un projet commun association, Enfant et sa famille, magistrats : le sens de

la démarche collective -recherche des intérêts communs, l’engagement mutuel, la

recherche d’adhésion et de réciprocité- , la place des acteurs dans le partenariat- des

acteurs qui peuvent faire valoir leurs différences, la place du conflit comme débat

contradictoire, le sens de l’action dans une logique de changement- la cohérence du

projet.

66

Concept que nous définirons dans le chapitre 3 67

Nous l’étudierons sous l’angle de la sociologie des organisations, notamment au travers des travaux de

Crozier…

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 36

Le sens de la démarche collective

Pour cerner et mieux comprendre les processus et les interactions dans ce paragraphe, nous

tentons de définir la place du projet et son incidence sur les pratiques éducatives. Le projet

est un construit social qui engage chaque acteur, en fonction de ses moyens, à s’organiser,

à s’unir et ce, dans l’accomplissement d’objectifs communs. Chaque acteur poursuit sa

propre logique et pose des actes en fonction de sa rationalité propre. L’action collective est

en ce sens une contrainte. A cet égard, le partenariat est un outil au service d’une action,

engageant l’institution, l’association et les usagers dans la réalisation d’un projet commun.

Sur le terrain, les premiers entretiens entre le professionnel et la famille s’orientent

essentiellement à mieux cerner la réalité familiale. En s’appuyant sur un intérêt commun -a

minima- apporter aides et conseils aux familles, une négociation se réalise, elle va tenir

compte des divers constats effectués par le professionnel des pratiques familiales. Elle tient

compte également d’un état des lieux global, éducatif, social, pédagogique, pour proposer

en fonction du « capital social » et de la coopération des parties, un projet qui est une

tentative de relier la volonté institutionnelle de changer le fonctionnement familial et de

prendre en compte ce qui est possible à un moment donné, pour une période donnée et par

rapport à un système de contrainte indépendant de la volonté des acteurs.

Le document individuel de prise en charge est le résultat écrit des étapes décrites

précédemment. Il se construit en fonction des premières évaluations des professionnels

mais également il s’appuie également sur les attendus définis par le mandant. On peut

toutefois, s’interroger sur l’engagement des usagers. En effet, le partenariat relève de choix

élaborés par ceux qui vont le construire. C’est avant tout une volonté de coopérer.

Néanmoins, pour Fabrice Dhume, « les logiques d’obligation ou d’injonction au

partenariat sont un non-sens68

». Comme nous l’avons constaté, la contrainte judiciaire

biaise les comportements et fait douter d’un réel engagement mutuel. En effet, les attendus

du juge sont souvent une référence aux interventions éducatives et de ce fait les objectifs

de la mesure s’ils collent trop aux attendus du juge sont souvent vécus par l’enfant et sa

famille comme un changement programmé sous contrainte.

Néanmoins, il résulte de cette volonté d’agir ensemble un engagement des différents

acteurs qui dépasse la seule réalisation d’une action commune. La place de chacun, bien

que différente, se construit en fonction du statut et des compétences dans une logique de

68

F. DHUME, Du Travail social au Travail ensemble, ASH, 2ème

édition, 2010, p. 112

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 37

changement, de progrès. Malgré les inégalités de statuts, il semble évident que chaque

acteur, institution-association-usager assume une part de responsabilité qui incombe au

collectif. Autrement dit, la mise en œuvre des objectifs du DIPC conduit les uns et les

autres à partager la responsabilité morale, juridique et pratique.

2.3) La place des acteurs dans le partenariat - l’égalité de statut des partenaires

Définition du « partenariat »

Le partenariat a fait l’objet d’une définition officielle :

« Coopération entre des personnes ou des institutions généralement différentes par leur

nature et leurs activités. L’apport de contributions mutuelles différentes (financement,

personnel…) permet de réaliser un projet commun ».69

Il existe toutefois, d’autres définitions où le partenariat peut se définir comme « un rapport

complémentaire et équitable entre deux parties différentes par leur nature, leur mission,

leurs activités, leurs ressources et leur mode de fonctionnement. Dans ce rapport les deux

parties sont des contributions mutuelles différentes mais jugées essentielles. Le partenariat

est donc fondé sur un respect et une reconnaissance mutuelle des contributions et des

parties impliquées dans un rapport d’interdépendance. De plus, le partenariat laisse la

place à des espaces de négociations où les parties peuvent définir leur projet commun.70

»

On le remarque, on ne peut dissocier le partenariat du projet. Pour Fabrice Dhume, le

partenariat est un outil qui engage plusieurs acteurs dans la réalisation d’un projet

commun. « Cette action est collective dans les sens où elle engage des acteurs différents

qui partagent a minima un intérêt commun pour l’action et s’accordent sur ses objectifs et

sur le sens de l’action (valeurs) ».

En résumé, l’intervention doit à minima, proposer une démarche volontairement

coopérative qui comporte plusieurs phases nécessaires dans la construction d’un projet

collectif. Retenons l’idée qu’il ne s’agit pas de changer un individu mais un système en en

modifiant les interactions et les règles, et le diagnostic aura pour objet le système dans son

ensemble. L’idée générale réside dans un engagement libre et réciproque, une

69

Commission de terminologie et de néologie du domaine social, Bulletin Officiel, Vocabulaire du domaine

social, Ministère de l’emploi et de la solidarité, n°2002/1 bis, Fascicule Spécial. 70

Jean Yves Barreyre, Brigitte Bouquet, André Chantreau, Pierre Lassus, Dictionnaire critique d’Action

sociale, Bayard, coll. « Travail social », Paris, 1995, p. 272

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 38

responsabilité partagée, une institution accessible et une égalité de statut des partenaires,

l’ensemble de ses points favorisant ainsi l’inclusion sociale des usagers.

Dans les rapports sociaux complexes et teintés de contradiction, l’intervention sous

contrainte oppose souvent deux formes de réalité, celle des familles et celle de l’institution.

Plus particulièrement, un hiatus est souvent évoqué entre le temps des familles et le temps

judiciaire et réfère alors au respect des personnes, à la nécessité d’être bien compris par

elles, au besoin de respecter le rythme des familles pour que les difficultés puissent

s’exprimer et « être travaillées ». Dans ce contexte, le partenariat peut être associé à une

forme de contractualisation dans un cadre spécifique. Cela suppose une égalité de statut

des partenaires. Ce principe est réaffirmé très fortement par les divers textes de lois71

, il

offre ainsi la possibilité de devenir acteur de son propre changement. Il s’agit bien là de

reconnaitre l’usager comme un citoyen à part entière. L’usager a ainsi la possibilité de faire

valoir un certain nombre de droits, droit au respect (dans l’accueil, l’écoute), un droit de

réponse et d’expression et un accès libre aux institutions (consulter les dossiers, appel dans

les 12 jours de la décision judiciaire, présence aux audiences…). Autrement dit le

partenariat doit permettre de dépasser les différences, sans les nier ni les réduire.

2.4) Le projet est-il un support à l’inclusion sociale ?

Il semble à ce jour évident de dire que le public concerné par les mesures

judiciaires a changé. Au-delà de l’augmentation de la pauvreté, il est souvent dans une

situation de cumul des difficultés tel que l’isolement social, des habitats insalubres, des

problèmes scolaires massifs, des filiations peu établies, des dépendances aux produits

toxiques et des pathologies psychiques qui entrainent de fait, un déficit de l’autorité

parentale mais également massifient les phénomènes d’exclusion. Pour lutter contre

l’exclusion, nous l’avons vu, la loi de 2002 tente d’inscrire l’individu dans une pratique de

la citoyenneté.

71

Loi du 02/01/2002, rénovant l’action sociale et médico-sociale, loi de lutte contre les exclusions n°98.657,

la loi de février 2005 sur l’égalité des chances, le plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion

sociale, circulaire du Premier Ministre préparatoire aux contrats de ville 2000-2006, huitième paragraphe :

« La participation des habitants renvoie donc à la crédibilité de l’aptitude des institutions à traiter

efficacement ce qui touche ceux-ci de près. »

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 39

En se basant sur ces divers constats, l’inclusion sociale suppose l’accès du citoyen aux

institutions, aux libres accès aux services sociaux, à la culture et globalement lui réaccorde

une part de pouvoir, une liberté d’agir dans la prise de décision.

Autrement dit, il ne s’agit plus d’élaborer des politiques sectorielles, mais de proposer une

action intégrée ayant comme finalité l’inclusion sociale.

En s’appuyant sur les dernières lois72

en faveur de la participation des usagers et à l’instar

du rapport Naves73

, toute forme de projet doit favoriser la participation de l’usager. Pour

revenir plus particulièrement au contexte de l’AEMO, le projet doit favoriser l’autonomie

du public et sur ce point a le mérite d’introduire l’inclusion sociale. Cette inclusion prend,

en pratique, deux formes :

La participation de l’usager est recherchée et souhaitée (au-delà de son

adhésion)

Un accès direct aux instances et institutions

La participation de l’usager

Sur le terrain, les professionnels en AEMO sont tenus de prendre en considération les

mutations sociales et les nouvelles configurations familiales car il ne peut envisager un

changement durable sans prendre en considération la situation familiale globale. Il se situe

ainsi, au-delà de la guidance éducative, comme une plate-forme sociale qui oriente les

usagers en fonction de leurs besoins réels. Le projet suppose ainsi, un engagement

réciproque, un partage des responsabilités, un statut et des droits reconnus et ce malgré les

différences et une volonté commune de négocier.

Pour ce faire, la participation et l’expression de l’usager s’avèrent indispensables tant dans

l’accompagnement que de son écoute. Cette nouvelle approche vise essentiellement de se

72

La participation de l’usager et l’expression des usagers sont des principes affirmés par la loi de 2002-2

rénovant l’action sociale et médico-sociale. Il est en effet précisé que sont assurés à la personne du

bénéficiaire :

Art L311-3 – (…) « La participation directe(…) à la conception et à la mise en œuvre du projet d’accueil et

d’accompagnement qui le concerne ».

Art L311-6 : « Afin d’associer les personnes bénéficiaires des prestations au fonctionnement de

l’établissement ou du service. Il est institué soit un conseil de la vie sociale, soit d’autres formes de

participation. » 73

« Des évaluations majoritairement insuffisante et des pratiques qui n’évolue guère malgré une forte

implication des acteurs »

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 40

rapprocher de la réalité des individus et de les conduire progressivement d’un « faire

faire » à « un agir ensemble 74

».

L’accès aux institutions

L’accès aux services et infrastructures de base, en l’occurrence la santé, le logement (droit

au logement, mesure ASELL…), aux services du Conseil Général (instruction de dossier

d’aide financière..), à la culture (actions à visée socialisante, inscription ALSH, Colonie,

aide financière pour des vacances aux pays d’origine..) constitue l’un des aspects les plus

importants de cette nouvelle approche « globale ». Conscient de la nécessité de permettre

aux usagers de se saisir des dispositifs de droit commun, il n’est pas rare que le projet

d’intervention aboutisse à un large partenariat comprenant les services de santé (axe

thérapeutique individuel ou familial, la PMI, le CAMPS, le CMPP…), l’habitat

(relogement, insalubrité des lieux…), les services de l’éducation Nationale, les divers

entrepreneurs pour des éventuels stages et contrat d’apprentissage, l’accès au droit(CMU,

CAF…).

En garantissant à chaque usager à l’intérieur comme à l’extérieur une place sans

stigmatisation ou exclusion dans les instances ou les institutions, le projet, en théorie, est

alors plus qu’un collectif d’acteurs mais l’émergence d’un acteur collectif. Il restaure de

l’intérêt pour chacune des parties et notamment chez l’usager, une capacité d’agir, de

favoriser la confiance, de créer des espaces de certitude qui donnent à l’enfant et sa famille

le sentiment d’appartenir à une équipe, le sentiment d’être cause de son changement.

Le partenariat apporte un éclairage à l’Action Educative en Milieu Ouvert, il se situe dans

une approche moderniste de l’action sociale. Néanmoins, le poids des représentations dans

les interactions entre les principaux acteurs, l’usager- l’association-le magistrat, nous a fait

apparaitre l’aspect stigmatisant de l’intervention. De plus, on ne peut que s’interroger sur

la perception des parents de ces institutions qui ne manquent pas de les critiquer, de les

traiter de « défaillants » ou de « démissionnaires » et qui contribuent à les disqualifier.

Pour autant, la loi de 2002-2 souligne l’importance de maintenir l’usager au centre du

dispositif, de favoriser son intégration. Le projet doit être le support d’intérêts communs et

le partenariat un outil au service d’une action engageant plusieurs acteurs. Entre

disqualification et inclusion, entre nécessité d’agir et liberté d’acteur, c’est dans ces

paradoxes que l’AEMO, plus que jamais, souligne sa particularité. 74

Op cit, p 117

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 41

A la lumière de cet état des lieux général et spécifique, nous avons opté pour la question de

recherche suivante : « En quoi l’Action Educative en Milieu ouvert, dans le cadre

d’une mesure judiciaire, est-elle un vecteur d’inclusion ou de disqualification

sociale ?

CHAPITRE 3 INSCRIPTION THEORIQUE ET HYPOTHESE

Nous l’avons vu, une mesure AEMO est le résultat d’un conflit qui permet de

comprendre les relations sociales sous l’angle des confrontations entre les volontés

individuelles (famille) et les volontés de groupe (institution). En d’autres termes, il s’agit

de combler l’écart qui existe entre le fonctionnement familial et la pratique commune à

l’ensemble. La commande sociale vise essentiellement un changement des attitudes

déviantes. Toutefois, le législateur a souhaité moderniser l’action sociale et notamment la

place de l’usager qui se situe désormais au centre du dispositif. Il s’agit de faire participer

l’usager, d’être acteur de son changement. Le projet d’intervention devient alors le support

des intérêts collectifs. Toutefois, dans un système sous contrainte, la référence aux attendus

fait fonction de repère pour les travailleurs sociaux notamment s’il y a carence de repères

politiques (à l’échelon de l’association). De ce fait, le travailleur social se place dans une

dépendance vis-à-vis des magistrats, et c’est la place laissée au débat contradictoire qui est

questionnée. Le paradoxe se situe essentiellement dans le respect des familles, d’accepter

qu’elles fonctionnent sur des valeurs et des normes différentes (qui sont souvent

l’expression de leurs conditions d’existence), en respectant leur rythme, mais avec, en

finalité, qu’elles se conforment à minima aux modèles sociaux d’éducation validés

socialement. Le contrôle social peut alors réduire les marges de liberté, et conduire les

individus titulaires de l’intervention judiciaire comme une forme de disqualification.

3.1) La régulation sociale : d’une logique de normalisation à l’inclusion sociale

Le terme d’inclusion sociale est de plus en plus utilisé tant par les médias que les politiques

ou le secteur associatif. On doit la paternité du concept à Niklas Luhmann (1927-1998) qui

utilise ce terme pour définir les rapports de l’individu avec les systèmes sociaux.

L’inclusion sociale est un concept qui se définit d’abord par ce contre quoi il entend lutter :

l’exclusion. Pour Coluche : « les hommes sont tous égaux mais certains le sont plus que

d’autres », c’est cet écart entre idéal démocratique et réalité sociale et économique que

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 42

tend à vouloir compenser ce terme, celui de reconstruire un projet collectif où chacun des

acteurs fait partie intégrante.

Par prolongement nous citerons, le sociologue B. ROHENER qui indique : « Etudier la

cohésion sociale, c’est se demander comment un système social tient ensemble75

. » Pour

Durkheim, l’équilibre social se situe, d’une part, dans la cohésion des rapports sociaux et

d’autre part, dans la cohésion des représentations collectives. « La cohésion sociale d’une

société repose sur une morale faite de valeurs collectivement partagées et rationnellement

fondées 76

». Autrement dit la société existe en tant qu’ensemble cohérent et ordonné, par

des règles qui régissent la vie des hommes en société et permettent leur coopération. Par

conséquent, la garantie de la cohésion sociale d’une société se fonde sur deux processus

complémentaires, l’intégration et la régulation.

L’intégration résulte de l’incorporation des représentations et des pratiques propres à

une société et reflète, pour un individu, une volonté de vivre ensemble, un sentiment

d’appartenance à un projet commun.

La régulation désigne « l’ensemble des pressions directes ou indirectes exercées sur

des membres individuels ou collectifs d’un groupe ou d’un société pour corriger les

écarts de comportements, d’expression ou d’attitude à l’égard des règles et des

normes adoptées par le groupe social de référence . »77

. Pour la conception

conflictualiste, la régulation sociale est un enjeu. La règle sociale est élaborée par la

rencontre et la négociation de groupes différents dans les valeurs qu’ils défendent.

Toute règle commune découle d’un compromis entre groupes rivaux. La régulation

sociale est donc la résultante d’un conflit plus ou moins institutionnalisé dont la

finalité reste le changement volontaire ou subi.

Pour des auteurs comme Nicolas Lebrun, Putman, Muzafer Shérif, la normalisation est un

processus qui permet à un groupe de converger vers des dispositions culturelles, sociales,

économiques… communes. Si un individu ou un groupe d’individu opte volontairement

ou involontairement pour d’autres attitudes jugées déviantes, il se marginalise et accentue

les risques d’exclusion. L’inclusion vise ainsi à lutter contre tous les phénomènes propices

à exclusion. On peut concevoir l’inclusion selon 4 dimensions : la dimension de

75

N. Lebrun, Cohésion et Inclusion sociale, Ed think Tank européen pour la solidarité – janvier 2009 76

E. Durkheim, De la division du travail social, Quadridge, Presse Universitaire de France, Paris, 1930, p 26

et 27 77

R. Boudon, P. Besnard, M. Cherkaoui, B.P. Lecuyer, Dictionnaire de la sociologie, librairie Larousse,

1989, p.189

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 43

consommation, la dimension de production, la dimension de l’engagement politique et la

dimension des interactions sociales.

En résumé, l’inclusion sociale vise essentiellement à lutter contre l’exclusion. C’est

permettre à un individu l’exercice de sa citoyenneté, de lui réaccorder une part de décision

et à faciliter un accès aux infrastructures et aux institutions, de l’impliquer et de garantir

son engagement. Globalement, c’est favoriser sa participation en opposition à l’exclusion

qui est le fait pour un individu de voir les liens sociaux (institution, groupes sociaux…) qui

le rattachent à la société se rompre.

3.2) La disqualification sociale

L’exclusion peut s’envisager sous 3 approches complémentaires :

La disqualification sociale

La désaffiliation

La désinsertion

Nous vous proposons pour la désinsertion et la désaffiliation une signification dans son

acception la plus étendue : la désinsertion, c’est la perte de lien identitaire d’un individu

qui construit en toute partialité une identité d’exclu. C’est-à-dire que l’individu va se

considérer comme n’ayant pas sa place dans la société. Concernant la désaffiliation, c’est

Robert Castel qui met en évidence une forme d’exclusion fondée sur une crise de

l’intégration par le travail d’une part et d’autre part une atteinte à l’insertion par la famille.

La disqualification sociale envisage l’exclusion comme une construction sociale, comme

une carrière. C’est un processus « d’affaiblissement ou de rupture des liens sociaux d’un

individu au sens de la perte de la protection et de reconnaissance sociale78

» à la suite

d’évènements (familiaux, sociaux, professionnels….) qui, progressivement, l’ont fragilisé.

Le concept de disqualification sociale est apparu chez Serge Paugam lors d’une enquête

réalisée à Saint Brieuc auprès d’une population en grande fragilité économique. Cinq

éléments principaux définissent ce concept :

La stigmatisation79

: les usagers titulaires d’une mesure AEMO considère l’intervention

éducative comme un attribut qui altère leur identité et modifie leur rapport avec les autres.

78

S. Paugam, La Disqualification sociale : essai sur la nouvelle pauvreté, PUF, Paris, 2002 79

Concept mise en avant par E. Goffman, Stigmate : les usages sociaux des handicaps, édition de minuit,

Paris, 1975.

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Ainsi, selon Paugam : « C’est le fait même d’être aidé ou assisté qui assigne les

« pauvres » à une carrière spécifique, altère leur identité préalable et devient « un

stigmate » marquant l’ensemble de leur rapport autrui 80

». L’humiliation ou la honte que

génère chez eux, l’intervention sous contrainte, les empêchent de développer un sentiment

d’appartenance.

Le deuxième élément du concept c’est la relation interdépendante entre les disqualifiés et

la société dont ils font partis. L’AEMO a une fonction de régulation sociale et si la mesure

judiciaire les disqualifie à leurs yeux et aux regards d’autrui, ils restent soumis aux mêmes

règles en vigueur avec l’obligation de changement. Pour Paugam : « ce qui est

sociologiquement pertinent, ce n’est pas la pauvreté en tant que telle, mais la relation

d’interdépendance entre la population qui est socialement désignée comme pauvre et la

société dont elle fait partie(…) ».

Le troisième élément concerne la capacité d’agir de l’individu disqualifié. En effet, même

soumis à la désapprobation sociale, l’usager conserve la capacité d’être acteur de son

changement, et par là même, son inclusion sociale.

Le quatrième élément relève directement de la relation entre les politique d’assistance et le

disqualifié social qui se voit assigné un statut de déviant et alimente une forme

d’incertitude génératrice d’angoisse collective. Dans nos métiers, généralement, on parle

de « cas sociaux », pour désigner une forme d’appartenance à une catégorie. Toutefois, le

terrain nous rappelle que nul n’est à l’abri d’un évènement qui nous ferait basculer

progressivement dans l’exclusion.

Le dernier élément, le processus de disqualification, se définit en fonction des conditions

socio-historiques d’une société. En France, la crise économique a remis en cause les

identités sociales et familiales, les repères sociologiques traditionnels d’intégration, l’école,

le travail, la famille et la solidarité abstraite de l’état providence.

En résumé, il n’existe pas une dichotomie entre l’inclusion et la disqualification sociale, il

s’agit de deux concepts qui cohabitent dans notre société. En d’autres termes, l’exclusion

est un processus réversible et non une fatalité. Il n’y a pas d’exclus en soi mais des

processus d’exclusion qui créent des exclus et ces derniers n’existent que par rapport à

cette catégorie et au processus d’inclusion qui en découle. Suivant Michel Foucault : « on

80

S. Paugam, op. cit.

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 45

pourrait voir dans les politiques de lutte contre l’exclusion des processus disciplinaires

visant moins la volonté de cohésion sociale que la normalisation des individus. 81

», ainsi,

derrière les divers discours politiques et au travers des volontés affichés des acteurs publics

de construire des dispositifs visant l’inclusion sociale, c’est la place de l’usager qui se joue

dans un système d’acteur, dans une lutte des places à trois (institution et association) dont

l’objectif est de garantir sa liberté d’autonomie notamment, dans une système sous

contrainte.

3.3) La contrainte de l’action collective et le processus bureaucratique

L’AEMO s’inscrit dans une forme de régulation sociale nécessaire pour réduire les

écarts des comportements des usagers à la norme sociale. A cet égard, l’intervention

éducative relève d’un système sous contrainte. En pratique, nous avons relevé que la

contrainte produit des effets « indésirables » tant sur les professionnels, les institutions que

sur les usagers bénéficiaires de ce type d’intervention. En effet, nous avons mis en valeur

des pratiques stigmatisantes et enfermantes, un « collage aux attendus » source d’une

surestimation de la contrainte et des stratégies des usagers (inertie, opposition, fuite,

adhésion de façade…) qui sont autant de zone d’incertitude et d’écueil à la construction

d’une action collective commune.

C’est la sociologie des organisations et notamment Michel Crozier qui nous

démontre les effets négatifs en termes de participation et d’initiative des acteurs produit par

des règles trop restrictives. Or, ces règles visent essentiellement à élucider des effets

pervers d’une décision. « Dans leur acception la plus générale, ceux-ci désignent les effets

inattendus, non voulus et à la limite aberrants sur le plan collectif, d’une multitude de

choix autonomes 82

».

Tout un pan du « retour de l’acteur », prôné par les politiques publiques et notamment par

la loi de 2002 est inspiré par la sociologie des organisations et notamment la démarche

consistant à passer d’un collectif d’acteur à un acteur collectif. Pour Crozier, l’action

collective commune est une contrainte en elle-même car elle n’est pas un phénomène

naturel mais un construit social, impliquant chaque acteur qui compose l’action. Dans cette

approche, l’accent est mis sur le pouvoir détenu par les membres de l’organisation qui

utilisent les zones d’incertitude pour accroître leur sphère d’influence par des stratégies.

81

M. Foucault, surveiller et punir, éditions Gallimard, Paris, 1993 82

M. Crozier et Friedberg, l’acteur et le système, Seuil, coll. Point, Paris, 1977

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Dans cette conception, chaque acteur possède son système d’action, toutefois, les marges

de liberté fluctuent en fonction de la place occupée par l’acteur dans l’organisation et de

l’information qu’il possède.

La construction d’un projet comme le support des intérêts collectif passe ainsi soit

par la contrainte ou son corolaire la manipulation affective, soit par le contrat qui constitue

le résultat d’une négociation ou chaque acteur va tenter dans l’intérêt du groupe, d’atténuer

les incertitudes. « L’incertitude en générale ou les incertitudes spécifiques, comme nous le

verrons, constituent la ressource fondamentale de toute négociation »83

.

3.4) Le projet comme support des intérêts collectif

Empreint de cette conclusion, nous avons envisagé de réfléchir aux enjeux et aux

conflits liés à la négociation de projet et aux confrontations qui les sous-entendent en

AEMO. Au cœur du questionnement posé, il y a en effet l’identité du secteur et de ses

professions. Ce qui est en jeu, c’est, nous semble-t-il, l’évaluation et l’appréciation des

réponses proposées en AEMO à un public fragilisé socialement et pouvant potentiellement

mettre en danger des enfants. Autrement dit, nous allons nous intéresser à la démarche de

projet dans le cadre d’une AEMO.

Il nous semble, dans un premier temps nécessaire rapidement, de faire un balayage des

divers auteurs qui ont écrit sur le concept.

Pour Jean-Bernard Paturet, la notion de « projet » trouve sa source en occident au XVème

siècle. C’est dans le secteur de l’architecture qu’est devenu prégnante la nécessité d’une

anticipation méthodique, seule capable d’engendrer une réalisation technique. Les contours

de tout projet sont envisagés ici comme un but associé à une technique, une idée mais aussi

la manière de la réaliser.

Son étymologie est la même que celle de projection, du latin « Projacere », jeter devant. En

se référant au Grand Robert, nous pouvons attribuer au projet deux sens importants ;

« situation que l’on pense atteindre » et « ébauche de dessin, plan ». Pour Jean Pierre

Boutinet, il parle « d’anticipation opératoire individuelle ou collective d’un futur

désiré »84

.

Le concept projet implique toujours 4 mots clés : objectifs-activités-résultats-délais.

83

Op cit 84

J P Boutinet, Anthropologie du Projet, paris, PUF, 1992, psychologie d’aujourd’hui

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En AEMO, le projet est à la fois un outil essentiel de liberté et une procédure d’imposition

d’une politique nécessaire de régulation sociale. L’origine existentialiste fondant le projet

comme nécessité de la liberté peut s’opposer alors aux contraintes d’un changement

obligatoire. Nous retrouvons ici, la dialectique entre nécessité et liberté dans les formes

proches de celles décrites par Marx à propos des sociétés : « l’homme fait librement son

histoire mais dans des conditions non librement déterminées par lui ».

Des auteurs comme Boutinet ou Castoriadis précisent que le projet comporte des risques et

des paradoxes dont il s’agit d’être conscient dont l’intervention des professionnels sur la

notion et la méthodologie de projet. Ardoino distingue le projet-visée du projet-

programme. Un projet basé sur les valeurs de chacun et un projet programme qui serait

davantage la succession des actions visant un changement.

Le projet ne doit pas devenir une justification de l’action proposée par des experts œuvrant

pour l’individu. Le risque est de considérer les personnes concernées comme des données

et non comme des acteurs du processus de changement. Le projet ne peut se définir comme

une succession d’actions ou de programmes définis par un choix politique décidé en amont

sans un lien réel ou antérieur avec le diagnostic. Pour Ardoino et Vial, tout projet s’inscrit

dans une articulation de plusieurs projets, le projet du magistrat, le projet des familles, le

projet du professionnel, le projet d’intervention serait alors le point de convergence de

l’ensemble de ses projets.

3.5) Hypothèse de travail

L’hypothèse : Dans un système sous contrainte de type AEMO, la co-construction

d’un projet d’intervention (point de convergence des intérêts de chacun des acteurs)

repose sur la reconnaissance et le respect des acteurs et de leur position interactive

Sous hypothèse 1 : le projet d’intervention en AEMO, répond à une commande

sociale qui vise un changement où chaque partenaire est auteur. Chacun est légitime

dans son approche du changement et dans sa différence.

Sous hypothèse 2 : le projet est un construit social où chaque acteur s’associe à une

démarche qui vise à répondre à la fois à la commande et la demande.

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Partie II La méthodologie de l’enquête

Avant de présenter notre méthodologie d’enquête, il est intéressant de résumer

rapidement les divers facteurs qui nous ont amenés à envisager l’A.E.M.O comme un

vecteur d’inclusion sociale ou de disqualification. Nous avons procédé en 3 temps, nous

avons étudié les interactions entre les divers acteurs qui participent à une mesure d’Action

Educative en Milieu Ouvert. Nous avons pu constater que le comportement des uns (juge

par exemple) induit le comportement de l’autre (famille ou professionnel). Nous avons

ainsi pu considérer les rapports de force qui génèrent une intervention éducative dans un

système sous contrainte et le paradoxe que suscite le décalage entre une volonté plus

participative de la loi de 2002 (proposant un partenariat) et l’obligation d’un changement

obligatoire. Il est évident que dans une telle organisation, nous ne pouvons occulter les

stratégies d’acteur et les zones d’incertitude. En effet, les enjeux pour les usagers, les

professionnels ou les magistrats ne se situent pas aux mêmes niveaux et l’absence d’un

projet collectif, support des intérêts individuels, provoque des jeux de pouvoir. Après un

état des lieux où nous nous sommes attardés sur les interactions, les zones d’incertitude

dans un système sous contrainte, nous avons émis l’hypothèse que la co-construction d’un

projet d’intervention (point de convergence des intérêts de chacun des acteurs) repose sur

la reconnaissance et le respect des acteurs et de leur position interactive dans un système

sous contrainte de type AEMO.

Cette partie va tenter de répondre à cette affirmation en s’appuyant sur une méthodologie

d’enquête que nous allons présenter dans le chapitre 1, puis dans le chapitre 2, nous

commenterons les résultats obtenus. L’idée générale, moteur de la réflexion, est de mesurer

les écarts entre les aspirations législatives visant une plus grande participation des usagers

et la pratique des travailleurs sociaux en milieu ouvert. L’idée sous-jacente est de cerner

l’impact pour les divers acteurs usagers, magistrat et professionnel d’une action collective

sous contrainte. Dans ce cadre, nous avons confronté notre hypothèse à notre terrain

d’étude et diversifier nos informateurs, des professionnels, des usagers (parents et enfants)

et magistrats afin de mieux cerner la pratique de projet dans le secteur et d’appréhender les

enjeux des acteurs dans l’élaboration et la mise en œuvre du projet d’intervention.

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CHAPITRE 1 Présentation de l’enquête

Ce chapitre se divise en 3 grands paragraphes. Nous allons présenter les publics

interrogés, explicitant les motivations qui nous ont conduits à opter pour ce type de profil

et ce notamment pour les usagers et les professionnels. Nous allons dans un second

paragraphe aborder les outils d’enquête, l’approche et le type d’entretien qui ont été

utilisés. Le troisième paragraphe aborde les limites auxquelles nous avons été soumis et les

précautions méthodologiques que nous avons dû effectuer pour mener à bien notre

enquête.

1.1) Présentation du public

Comme nous l’avons indiqué en introduction de ce chapitre, ce paragraphe est consacré au

profil des personnes interrogées et aux conditions particulières des entretiens. La

diversification des acteurs, usagers, professionnels, magistrats nous apporte un éclairage

sur les différences de leur place et de leur rapport au projet « d’intervention ».

1.1.1) Le profil retenu parmi le panel des usagers

En ce qui concerne l’échantillon, nous avons rapidement pris conscience des enjeux

importants que représente une AEMO en exercice tant sur la liberté de parole que sur la

prise de recul concernant nos critères autour de l’inclusion et la disqualification sociale. A

cet égard, nous avons interrogé :

Des usagers sortis du dispositif avant le début de l’enquête, septembre 2012,

Toute condition sociale confondue

Appartenant à plusieurs communautés

Relevant de plusieurs secteurs géographiques (5ème

, 8ème

, 9ème

, 10ème

, 13ème

)

Celles qui ont répandu aux questionnaires de satisfaction proposés par

l’institution en fin d’intervention.

Ce panel est composé de 10 familles (enfant et parents) sorties du dispositif entre 1 an et 4

ans. Pour trois d’entre-elles, l’intervention éducative a été renouvelée au moins une fois.

Pour la totalité de l’échantillon, les enfants à ce jour, vivent au domicile parental et étaient

présents lors de l’entretien.

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 50

Nos échanges se sont concentrés sur les places qu’ils ont occupées dans la construction du

projet d’intervention, s’ils ont été associés à la démarche de projet. A-t-on pris en

considération leurs besoins réels ou leur a-t-on imposé une commande sociale sans mesurer

leur condition d’existence (leur rythme de vie, leurs potentialités, leur environnement).

1.1.2) Le panel des professionnels retenus

En ce qui concerne les travailleurs sociaux, les critères retenus sont les suivant :

Le sexe

L’âge

La fonction

L’ancienneté dans le service

Le secteur d’intervention (lieu d’exercice de sa pratique)

L’âge, le sexe et l’ancienneté ont tenté de répondre à l’hypothèse que le rapport au projet

ou à l’exercice d’une mesure AEMO pouvait être influencé par une période, par un

contexte social donné, par une expérience. L’enjeu, c’est de vérifier si les professionnels

dont l’expérience est plus importante que 10 ans (2002) ont perçu des modifications dans

la conception du travail et dans le rapport aux usagers. Ont-ils un regard différent sur la

pratique de projet et comment perçoivent-ils les places de chacun des acteurs ? Existe-t-il

une différence d’interprétation entre les jeunes professionnels et d’autres plus chevronnés ?

La fonction questionnait une éventuelle spécificité autour de la place sociale d’un discours

cadre dans le rapport au projet et plus globalement dans le rapport aux institutions et aux

usagers compte tenu de la loi de 2002 et aux nouvelles exigences actuelles des politiques

publiques.

Le lieu d’exercice professionnel doit prendre en considération les spécificités des secteurs

de Marseille notamment s’agissant des besoins sociaux et de la probabilité de pratiques

différentielles en fonction des services. Ce point est à prendre en considération dans le

rapport des usagers au projet.

Nous avons ainsi questionné 20 professionnels tous en poste au moment où nous les avons

rencontrés pour réaliser l’entretien : 8 Assistantes Sociales et 8 Educateurs Spécialisés, 1

psychologue, 2 chefs de service et le Directeur du pôle enfance de l’association.

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L’ensemble des personnes interrogés a été contacté après accord de la direction et pour

presque la totalité, nos contacts ont été pris suite à une réunion institutionnelle pour 14

d’entre eux, les cadres fonctionnels et opérationnels ont été sollicités par la suite, afin que

l’enquête puisse se montrer représentative de l’organigramme de l’association, terrain de

l’étude.

Par ailleurs, pour plus de réalisme nous proposons des prénoms pour chaque citation qui ne

correspondent pas aux personnes interrogées pour respecter l’anonymat de chacun.

1.1.3) Le profil du panel retenu au niveau des Magistrats

Nous avons pu interroger 3 magistrats, deux sont toujours en poste et le troisième n’exerce

plus de fonctions sur Marseille. Le groupe est composé de 2 femmes et d’un homme, Juge

des enfants depuis 3 à 20 ans.

Nos échanges se sont essentiellement orientés sur les représentations des magistrats

concernant la mise en œuvre de la mesure judiciaire, de la manière dont ils appréhendent

les évolutions des situations familiales et la place qu’ils laissent aux débats contradictoires

aux usagers. De plus, la relation avec les professionnels est-elle toujours celle

« d’experts85

» de l’intervention éducative à institution ou n’y a-t-il pas parfois, une

relation de mandant à exécutant ? Notre sous hypothèse se réfléchit ainsi, Le projet en

AEMO répond à une commande sociale qui vise le changement et ou chaque partenaire est

auteur. Chacun est légitime dans son propre désir, dans sa différence.

1.2) Le choix de l’outil d’investigation

Notre approche se veut résolument compréhensive car elle apporte un éclairage sur

les motivations de chacun des acteurs et permet une démarche qualitative. Elle nécessite

pour le travail d’entretien et d’observation une certaine empathie. Toutefois, pour

circonscrire toute forme de jugement de valeurs et qui laisserait transpirer une subjectivité

de l’auteur, nous avons pris la décision d’étudier le « rapport à la commande sociale » des

acteurs en tenant compte de la réalité sociale de chacun. Nous nous sommes ainsi

concentrés à rationaliser les actes posés, la parole des acteurs et donc de mieux comprendre

le sens des comportements de chacun dans un système sous contrainte.

85

Propos d’un magistrat qui présente les travailleurs sociaux comme des « experts » de l’action éducative.

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1.2.2) La démarche qualitative

Nous avons élaboré un guide d’entretien pour nous permettre d’explorer plus finement

qu’il ne l’était possible avec un questionnaire, les enjeux et les conflits liés à la

construction de projet et aux confrontations qui les sous-tendent dans le secteur de

l’AEMO. La perception du besoin par un acteur, quel qu’il soit, ne cesse d’être influencée

par ses valeurs, ses représentations et sa place sociale. Le constat est d’autant plus valable

pour le public (dans le déni ou pas du besoin) mais aussi des associations et des politiques

publiques en vigueur à un moment donné et dans un lieu donné.

De ce fait, la nécessité de prendre en considération la subjectivité de chacun, a facilité nos

tentatives de compréhension des comportements des acteurs en AEMO.

Comme nous l’avons indiqué en introduction de chapitre, nos choix méthodologiques se

sont référés à la sociologie compréhensive et dans un courant interactionniste en référence

à H. BECKER, « Pour comprendre le processus, le chercheur doit prendre le rôle de

l’acteur dont il se propose d’étudier le comportement. Puisque l’interprétation est

construite par l’acteur sous forme d’objets désignés et appréciés, de significations

acquises et de décisions prises, le processus doit être considéré du point du vue de

l’acteur ». Il propose l’idée d’un construit social qui serait la résultante des comportements

des acteurs en interaction avec leur environnement et non celle d’une réalité donnée.

Il s’agit de mettre en valeur un discours et les représentations des acteurs (juge,

intervenants sociaux et famille) dans la construction d’un projet et du conflit qu’il va

générer.

Nous nous sommes attachés à retranscrire de manière la plus fidèle les différences

d’interprétation de la norme sociale et de la manière dont est vécue par chacun des acteurs,

la régulation sociale² dans le cadre de l’AEMO.

1.2.3) Trame de l’entretien

Concernant notre technique d’enquête nous nous sommes appuyé sur le manuel de

Raymond Quivy et Luc Van Campenhoudt, « manuel de recherche en science social ».

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1.2.3.1) Pour les Professionnels :

La méthode:

L’intérêt de l’entretien comme technique de recherche repose sur la grande latitude qu’il

laisse aux personnes interviewées. Régulièrement utilisé dans les sciences sociales, il

permet de comprendre les interactions entre les individus. L’entretien vise une démarche

participative et ainsi, permet d’instaurer un débat qui n’existait pas auparavant. Il ne s’agit

pas seulement de prélever des informations mais d’une « parole sociale86

» où l’échange et

la communication occupent une part essentielle.

Pour les professionnels, nous avons opté pour un entretien semi-directif, en ce sens où nous

avons pu poser des questions précises sans pour autant enfermer la parole de la personne

interrogée. Au préalable, nous avons élaboré une grille d’entretien avec une question

ouverte, « parlez-nous de votre pratique en AEMO », pour débuter l’entretien afin de ne

pas trop rapidement introduire le sujet. Sur le plan technique, nous nous sommes laissé le

choix de l’ordre des questions en fonction de l’échange avec le professionnel. Toutefois,

une dernière question plus ciblée sur la problématique a été proposée en conclusion, dans

l’éventualité où, pendant l’entretien, elle n’a pas été suffisamment abordée.

Les objectifs

Les objectifs des entretiens auprès des professionnels visent essentiellement :

Identifier les places occupées par le professionnel dans l’élaboration d’un

projet d’intervention éducative.

Cerner la place de l’attendu dans la construction de son action

Repérer les actions d’accompagnement mise en place auprès des usagers

pour favoriser le développement de compétences et l’élaboration d’un projet

commun

Identifier les espaces proposés par le professionnel pour écouter et

comprendre les demandes du public et les conditions de vie dans laquelle va

s’exercer l’intervention éducative en milieu ouvert.

86

A Blanchet et A Gotman, « L’enquête et ses méthodes : l’entretien », Nathan, collection 128, Paris, p17

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Thématique des entretiens des professionnels

Empreint de ses objectifs, nous avons élaboré un entretien qui est catégorisé en 3 domaines

touchant à l’intervention du professionnel :

Pertinence et cohérence de l’action, il s’agit de définir le projet-visée.

Traduction stratégique des attendus du juge. c’est la faisabilité et le sens

donné à l’action entre attendu du magistrat et évaluation des potentialités

des usagers

Représentations du professionnel dans la mise en œuvre du projet et limites.

1.2.3.2) Pour les usagers

La méthode

Dans le cadre de cette enquête, nous avons collectionné de nombreux témoignages de

personnes qui souffrent ou ont souffert directement ou indirectement d’une intervention

éducative de type AEMO.

Nos entretiens ont été plutôt libres et courts. En effet, l’entretien collectif s’est imposé à

nous car l’ensemble des membres de la cellule familiale a été présent au cours des divers

témoignages. Pour réaliser un entretien collectif, nous nous sommes inspirés de travaux de

Sophie Duchesne et Florence Haegel, « l’enquête et ses méthodes – L’entretien Collectif ».

Ce choix d’utiliser l’entretien collectif s’est avéré pertinent car il a favorisé la prise de

position de chacun en interaction les uns des autres et permis de discuter à postériori des

résultats de l’intervention entre les membres d’une même famille. C’est un genre

d’interview qui interroge deux ou plusieurs personnes en même temps (de 2 à 5 maximum

dans le cadre de notre enquête) qui est assez peu structuré et qui accorde à l’interviewer

une grande liberté pour pouvoir réagir en fonction des propos des interviewés.

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Objectifs de l’entretien

En fonction de notre hypothèse de travail, nous avons fixé trois grands objectifs :

Repérer les besoins, les attentes voir les demandes formulés explicitement

ou implicitement auprès des professionnels dans la construction du projet

d’intervention.

Identifier les conditions et les moyens misent à la disposition des usagers

pour favoriser leur participation et leur accorder une information lisible et

compréhensible pour éviter toute forme d’exclusion

Evaluer les obstacles qui les ont empêchés de s’approprier l’autonomie

nécessaire pour « agir ensemble » en partenariat.

Thématique des entretiens avec les usagers

Pour répondre à ses objectifs, nous avons réfléchi à un entretien que l’on a catégorisé en 4

indicateurs touchant sur la place occupée dans le cadre d’une intervention éducative de

type AEMO :

La part des représentations des usagers dans la mise en œuvre d’une Action

éducative en Milieu Ouvert

La confrontation des valeurs et le rapport à la norme, la reconnaissance de

leur place dans la construction d’un projet qui vise essentiellement le

changement de leur fonctionnement.

Les attitudes stratégiques lors des diverses actions proposées par les autres

acteurs

La participation des usagers dans une forme de citoyenneté et d’intégration

et la disqualification subie le cas échéant.

1.2.3.3) Pour les Institutions

La méthode d’entretien pour les Juges des Enfants

Avant de débuter l’entretien, nous avons expliqué le but de l’interview et l’objet de

notre recherche. Nous avons également pris conscience de l’enjeu pour les magistrats de

dévoiler leurs conceptions d’une organisation sous contrainte et sur ce point, nous les

avons rassurés sur le respect de l’anonymat pour l’ensemble des personnes interrogées. Les

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3 juges ont néanmoins souhaité lire le guide d’entretien avant de commencer l’interview.

Dans ce contexte, nous avons opté pour un entretien semi-directif qui accorde une certaine

liberté dans un cadre relativement strict. Concernant les magistrats, ils n’ont pas souhaité

être enregistrés et nous avons, de ce fait, pris des notes. Cette méthode d’entretien auprès

de ce public, nous a permis d’explorer le terrain, de peaufiner notre regard. A cet égard,

les entretiens sont des témoignages ressources qui ont permis une approche globale des

interactions entre les principaux acteurs qui interviennent dans une procédure de type

AEMO.

Le choix de ces 3 magistrats ne s’est pas fait au hasard. Nous avons exclus ceux avec

lesquels nous « collaborons » pour éviter un entretien où la personne interrogée cherche à

nous donner la « bonne réponse ». Nous avons d’ailleurs exclus, le premier entretien car il

s’est avéré inexploitable. En effet, la juge des enfants avait le même secteur d’activité que

l’auteur du mémoire et a de ce fait, orientée consciemment ou inconsciemment ses

réponses pour correspondre à notre hypothèse. Nous en avons conclu qu’une trop grande

proximité nuit à la qualité de l’entretien.

Les objectifs de l’entretien

Les entretiens menés auprès des juges des enfants visent 4 objectifs :

Identifier les espaces mis en place par les magistrats pour favoriser le débat

contradictoire, l’écoute, les attentes et les demandes des usagers, ceux des

professionnels dans l’exercice d’une mesure AEMO. Il s’agit de déterminer

la place accordée dans les échanges avec les autres acteurs dans

l’élaboration des attendus

Repérer les actions d’accompagnement lors d’ouverture de mesure qui

favorise l’acceptation et l’adhésion des usagers. Il s’agit de présenter le

contexte et les pratiques utilisées mais également leur inscription dans un

contexte politique, économique et sociale.

Définir le contexte de travail des Magistrats, il s’agit de repérer les limites

du débat contradictoire et les contraintes légales et professionnelles.

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 57

Identifier le poids des représentations que peuvent avoir les magistrats, des

conditions d’existence des usagers, tant dans la décision que dans

l’élaboration des attendus du jugement

Thématique des entretiens avec les Juges des Enfants

Pour répondre à ses objectifs, nous avons défini 4 indicateurs principaux :

La place accordée aux autres acteurs dans la construction de l’attendu entre

reconnaissance et imposition.

Les attitudes stratégiques développées afin de favoriser la collaboration ou à

minima, l’adhésion de chacun, le contrôle exercé pour s’assurer des résultats de la

commande et la part de liberté accordée à chacun pour réaliser les objectifs

convenus dans les attendus.

Les confrontations des valeurs et le sens donné aux attentes des usagers

bénéficiaires d’une mesure judiciaire de type Action Educative en Milieu ouvert.

En conclusion notre étude s’attache essentiellement à vérifier si dans un système sous

contrainte, le projet d’intervention d’une AEMO peut se construire sans prendre en

considération le projet de vie des usagers et sans prendre en considération le projet

associatif ou si l’ensemble des projets s’articulent les uns aux autres.

1.3) Les limites de l’investigation

1.3.1) Le repérage de l’échantillon

Pour des raisons organisationnelles et de temps, le repérage n’a pu s’effectuer lors

des réunions institutionnelles comme il avait été convenu avec l’équipe de direction. Par

conséquence, nous n’avons pu travailler sur l’échantillon prévu (30 professionnels) qui

s’est retrouvé restreint par une participation moindre des cadres que celle prévues. De ce

fait, la plupart des enquêtés n’occupent pas une fonction hiérarchique, ceci atténue notre

analyse des places sociales de l’institution et le coté représentatif de l’organigramme.

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 58

En ce qui concerne, les usagers, nous nous sommes confrontés à beaucoup de refus en

grande partie liés à des réticences de devoir revenir « sur une période délicate de notre

vie ». Une autre limite se situe dans la représentation des magistrats. En effet, nous

n’avons pu exploités que 3 des 4 interviews et nous avons connu beaucoup de refus en

grande partie revendiquant notamment le devoir de réserve dont est soumis le juge dans

l’exercice de ses fonctions.

1.3.2) La passation des entretiens

1.3.2.1) Les conditions matérielles

Nous avons procédé pour chaque interview de la même manière, nous avons rempli une

fiche signalétique pour préciser le profil de l’interviewé puis il a été présenté le contexte de

recherche de l’intervieweur. Le temps des entretiens a fluctué en fonction des individus.

Après déduction d’une rapide introduction pour annoncer le thème du mémoire, en début

d’entretien et les remerciements d’usage pour conclure, nous avons dû nous adapter au

rythme des réponses de l’enquêteur car certains peu loquaces, se contentaient de répondre

aux questions posées, alors que d’autres pouvaient, plus bavards, argumenter davantage.

Cette configuration explique les écarts de temps des divers entretiens.

A l’exception des magistrats, nous avons eu la possibilité de pouvoir enregistrer la quasi-

totalité des entretiens à l’aide d’un téléphone portable associé à une prise de note. Nous

avons à chaque fois sollicités l’autorisation des personnes. Nous nous sommes d’ailleurs,

rendus compte que très rapidement, nos interlocuteurs occultaient l’enregistreur qui de ce

fait n’a pas été une entrave à la libération des propos recueillis. Compte tenu du manque de

temps disponible pendant la période de travail, nous avons dû nous résoudre à effectuer des

entretiens après les heures de travail. L’association a mis à notre disposition des bureaux

afin de pouvoir réaliser nos entretiens dans des conditions le plus optimales concernant les

professionnels. Les entretiens ont duré entre 20 et 45 minutes. L’ensemble des personnes

interviewées ont manifesté une grande satisfaction à témoigner. Ce qui s’est exprimé, c’est

l’appréciation de pouvoir par cette intermédiaire, trouver un lieu d’écoute, de parole qui

permet une analyse un peu distancée des pratiques et un exutoire à l’absence de

reconnaissance du travail fourni tant dans l’application des attendus que dans la

construction d’une action collective commune.

Pour les usagers, la totalité des entretiens se sont déroulés à leur domicile et en présence de

toute la cellule familiale. Nous avons tenté de limiter dans le temps, les entretiens (45

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 59

minutes à 1 heure 30 minutes) pour maintenir un haut degré de concentration des

personnes interrogées et de l’intervieweur.

Concernant les entretiens avec les magistrats, la plupart du temps ils se sont effectués pour

2 cas entre deux audiences (10 à 20 minutes) et pour le troisième dans le bureau du juge (1

heure). Comme nous l’avons indiqué précédemment tous les magistrats ont souhaité

connaitre le thème du mémoire et le guide d’entretien avant de débuter.

Il a été stipulé à chacun de nos interlocuteurs le caractère anonyme des propos relatés dans

ce mémoire.

Nous nous sommes également interrogés sur les « off », ces discussions après interview

avec un cadre moins formel, où de nombreux échanges ont été riches en enseignements.

Après réflexion, nous avons souhaité les intégrer dans le mémoire avec accord des

intéressés tant la qualité des propos éclairait notre problématique.

1.3.2.2) Les limites des entretiens

Les conditions et limites des entretiens avec les professionnels

La totalité des entretiens s’est effectuée sur 15 jours. En effet, nous avons dû réajuster

notre fonctionnement car la plupart des travailleurs sociaux ont souhaité être interrogé

pendant leur temps de permanence physique et téléphonique. Or, nous nous sommes

rapidement rendu compte des limites de cette formule. Outre le fait que les propos

pouvaient être influencés par les différents professionnels qui entraient et sortaient du

bureau, les sonneries des téléphones et autres interventions inopinées de divers acteurs

présents dans notre proximité ont fortement parasité le contenu de l’entretien.

C’est pourquoi nous avons, par la suite, proposé des entretiens hors temps de travail pour

bénéficier de locaux vides et préférable à l’exercice d’entretien. Les entretiens ont été

effectués à un rythme soutenu, d’autant qu’une partie de nos données ont disparu suite au

vol de notre outils d’enregistrement. Le recueil des données s’est alors réalisé par

l’intermédiaire des notes. Ceci n’a pas été sans entrainer des incidences notamment par une

trop grande interprétation lors des dépouillements. Certains entretiens se sont, en

conséquence révélés inexploitables.

De plus, l’utilisation du guide lors d’un entretien semi directif présente certains avantages

comme préparer ses questions et anticiper des relances éventuelles, toutefois, les questions

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 60

n’ont pas toujours été posées dans l’ordre du guide mais davantage en fonction des

réponses et des arguments de la personne interrogée.

Les conditions d’entretien avec les usagers

Les conditions ont souvent été identiques, l’ensemble de la famille est présent, famille

recomposée, famille monoparentale, famille nucléaire ou divorcée, nous avons procédé de

la même manière, assis autour d’une table, chaque personne réagissait à sa convenance.

Nous avons souhaité un entretien non directif durant lequel nous avons tenté d’être le

moins actif possible et de laisser un maximum de latitude aux personnes interviewées.

Toutefois, cette technique cache plusieurs inconvénients qui peuvent falsifier les résultats :

Les personnes s’influence par exemple Clara B trouve que sa mère va trop

loin lorsqu’elle raconte ses frustrations et relate la place négative dans

laquelle elle s’est sentie enfermée au début de l’intervention éducative.

Monsieur Bill et madame Rav se corrigeaient mutuellement. « c’est en 2007

Jean Pierre, non tu te trompes c’est en 2008 que la mesure a débuté… »

Chaque personne parlait de son coté, si bien que nous avons perdu de

précieuses informations.

Pendant l’entretien, il est arrivé que les personnes interrogées changent

d’avis. Par exemple madame Rav parle pendant tout l’entretien des

injustices subies, de la violence des institutions puis à l’écoute de monsieur

Bill, son compagnon, elle revenait sur ses propos en mettant en évidence les

bienfaits de la mesure AEMO.

Les conditions et les limites des entretiens avec les magistrats

Les conditions n’ont pas toujours été optimales lors des entretiens avec les juges des

enfants à la fois par la complexité de la scène et du contexte, entre deux audiences, par le

temps imparti, un entretien de 15 minutes ou l’on doit être en permanence concentré, et par

la prise de note qui hache la fluidité de l’échange. De plus, l’autorité de l’individu ou plutôt

l’autorité parfois symbolique de la fonction ne permet pas toujours de faire preuve

sagacité. Pourtant, il s’agit d’amener la personne à décrire son intervention, à partir

d’éléments concrets et de revenir sur sa conception d’un agir ensemble.

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 61

Nous avons été vigilants dans la méthodologie d’entretien, à ne pas placer l’interviewé en

difficulté dans une place « d’ignorant », à repréciser les questions pour une meilleure

compréhension, à instaurer un climat de confiance pour libérer la parole et veiller à ce que

notre interlocuteur ne tente pas de vouloir donner « la bonne réponse ». Malgré toute ces

attentions, nous ne pouvons pas affirmer une parfaite objectivité des témoignages

recueillis.

1.4) Présentation de l’outil d’analyse

En ce qui concerne les recueils des données, nous avons souhaité une

retranscription la plus fidèle possible. Nous avons ainsi réécouté les divers entretiens

enregistrés et la réécriture se veut la plus proche possible des interactions réalisées pendant

l’échange. Nous faisons ainsi figurer, les silences, les hésitations, les fautes de français…

Pour les entretiens que nous n’avons pas pu enregistrer, nous avons tenté, en fonction des

notes prises, d’interpréter le moins possible pour ne pas orienter les réponses et pour nous

montrer fidèle à notre place de chercheur.

Le code des retranscriptions se présente ainsi, les silences (silence), le téléphone sonne ou

une personne entre (interruption situationnelle) ou une réaction (rires ou gestes effectués),

lorsque deux personnes se coupent la parole (…), quand l’interviewé cite une autre

personne nous utilisons des guillemets (« … »). En ce qui concerne les « off line », nous

les préciserons chaque fois pour différencier les réponses de l’entretien proprement dit.

Les dimensions

Il existe divers niveau d’implication ou de prise de responsabilité dans la participation des

acteurs. Elle se mesure en fonction de l’information possédée par les acteurs qui va

atténuer ou non les zones d’incertitude, les potentialités de chacun à négocier notamment

dans le cadre de débat contradictoire, la part de chacun à prendre des responsabilités.

On ne peut mesurer les places de chacun dans la construction d’un projet commun

et plus particulièrement à cerner la dimension partenariale en fonction de la reconnaissance

de chaque acteur (de sa visibilité et de sa capacité à accéder et utiliser de ses droits), dans

le partage des décisions et la délégation de certaines fonctions. Le poids des

représentations peut influencer le rapport et les interactions entre les acteurs d’une mesure

AEMO. Le rapport de chacun des acteurs à la commande sociale et à la norme sociale

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 62

relève des représentations sociales (partage ou non de valeurs communes) et de sa propre

représentation de soi (place de victime, image positive…).

La dimension de la participation avec des indicateurs comme l’engagement, la négociation

ou le degré de l’information.

1.5) Les Tableaux

Nous avons souhaité réaliser des tableaux à double entrées qui ont favorisé une

meilleure lecture des réponses des personnes interviewés et de ce fait nous ont accordé une

plus grande latitude pour effectuer une étude comparative. (Voir annexe7)

La méthodologie de recherche que nous avons utilisé est bien évidemment la nôtre, à un

moment donné et pour un public donné et nous devons encore une fois avoir les

précautions d’usage et rappeler les limites de sa portée tant au niveau de l’analyse que des

résultats obtenus. Il s’agit davantage d’un éclairage sur des interactions en lien avec notre

hypothèse que d’une analyse clinique de la situation professionnelle et sociales des divers

acteurs dont nous ne sommes en aucun cas le porte-parole.

Eu égard à ces limites, la modestie est de mise quant au statut de ce mémoire. Cependant,

les données rassemblées nous semblent, au-delà des précautions méthodologiques, riches

d’enseignements et porteuses aux travers des paroles des acteurs interrogés, des questions

essentielles qui nous sont incontournables dans l’exercice d’une mesure AEMO.

Chapitre 2 Les résultats obtenus

Dans ce chapitre, nous allons tenter de clarifier les représentations afférentes aux

pratiques de projet dans le secteur de l’AEMO. Nous nous sommes attachés à explorer, à

travers trois dimensions, la participation, les représentations, le partenariat, pouvant se

retrouver dans notion de projet, les comportements des acteurs dans la construction et les

modalités d’une mesure judiciaire. Dans une seconde partie, nous mettons en évidence

ainsi la cohérence du projet d’intervention éducative, les valeurs sous-jacentes aux

pratiques, le processus d’élaboration du projet et les conflits entre acteurs. La pratique de

projet en AEMO met en évidence une lutte des places dans une relation tripartite à

l’origine de jeux d’alliance et met en évidence la contrainte d’une action collective

commune. Au cœur du questionnement posé par le mémoire, c’est l’identité d’un secteur

en profonde mutation suite à l’application des lois de 2002 et 2007, qui est en jeu. C’est,

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 63

nous semble-t-il, l’appréciation et l’évaluation, des réponses proposées en AEMO à un

public fragilisé socialement et judiciairement, repéré comme pouvant mettre en danger,

potentiellement ou réellement, un enfant. Compte tenu de la multiplicité des situations, des

problématiques de secteurs, il semble évident que la réponse aux besoins est différente et

que l’on ne peut pas établir de manière objective une intervention-type. La perception des

besoins par un acteur, quel qu’il soit ne cesse d’être influencée par ses valeurs, ses

représentations et sa place sociale. Le constat est d’autant plus valable pour le public (dans

le déni ou pas du besoin), mais aussi des associations, des intervenants sociaux et des

politiques publiques en vigueur à un moment donné et dans un lieu donné.

2.1) La construction de projet : entre désir et méfiance

L’analyse des résultats obtenus nous indique qu’il existe une forme d’ambiguïté du

concept projet pour la plupart des personnes interrogées, travailleurs sociaux, magistrat et

usagers. Nous remarquons en effet, qu’en fonction des places occupées, leur rapport au

projet « d’intervention » ne sont pas les mêmes. Cette divergence des réalités peut ainsi

opposer une vision des magistrats qui soulignent une liberté d’agir pour les usagers et

relativise la contrainte et des familles qui s’insurgent contre une procédure qui impose une

commande sociale. L’origine existentialiste fondant le projet comme un outil de liberté

peut alors s’opposer à l’origine économique du concept, plus restrictive. Le choix des

marges de liberté dans un système sous contrainte, dépend de la place que l’on accorde à

l’autre acteur, nous distinguons ainsi trois types d’acteur, le magistrat ou « l’acteur clé87

»,

le travailleur social ou « l’acteur facilitateur » et les usagers « l’acteur faible ». Dans ce

contexte, on se situe dans la dialectique des sociétés de Marx, « l’homme fait librement son

histoire mais dans des conditions non librement déterminées par lui ».

Dès lors, il n’est pas étonnant que les deux attitudes que nous avons rencontrées

fréquemment chez les travailleurs sociaux, les usagers et les Juges dans leur rapport au

projet d’intervention se résument par le désir et la méfiance, ce qui reflète également la

manière dont est souvent considérée l’AEMO entre Aide ou Contrôle, nous dirons plutôt

entre nécessité d’intervention et liberté d’agir même si de manière général, le clivage n’est

pas aussi net que cela.

87

Propos repris à madame Quiriau, directrice générale de la CNAPE (Convention Nationale des Associations

de Protection de l’Enfant) lors de son intervention pour le 50ème

anniversaire du service AEMO, le 15 mai

2013 et que nous avons trouvé très adapté pour illustrer notre étude.

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 64

2.1.1) Le projet, un outil, une référence, un désir

Massivement la plupart des acteurs reconnaissent que l’on ne peut agir sur de l’intuition ou

du hasard. La nécessité de fonder son acte sur une référence devient un garde-fou

indispensable pour éviter toute dérive. L’enjeu pour les différents acteurs, est d’articuler

leur projet individuel dans un projet collectif.

2.1.1.1) Pour les Professionnels associatifs

En ce qui concerne les travailleurs sociaux, certains soulignent l’importance d’agir

dans une enveloppe juridique et politique, d’autre attendent des consignes claires tant au

niveau de l’échelon associatif (projet d’établissement) que sur un plan des valeurs. En

effet, Bruno, 20 ans d’ancienneté ne perçoit dans le projet associatif qu’une soumission

aux tutelles : « ce qu’on appelle projet institutionnel n’est rien de plus qu’un protocole

d’accord avec les juges et le département, l’un nous mandate, l’autre nous finance. Il n’y a

pas de place à l’articulation avec les familles ». A entendre ses propos, il semble bien que

l’échelon associatif et son projet font carence au moment même où les mutations sociales

le rendent encore plus nécessaire que par le passé. Le sens et la réappropriation de l’action

ne peuvent se réaliser sans une identité, sans le sentiment d’appartenance, sans un

sentiment « d’être cause » confie le directeur du Pôle Enfance.

Plusieurs aspects du projet sont exprimés spontanément, il fait souvent référence au projet

d’établissement :

La création et l’évolution d’outils, les réunions de Projet, évaluation des

situations, fiches relais pour garantir un suivi de l’accompagnement

éducatif…

Pour Anne-sophie, 19 ans d’ancienneté, « J’ai pu mesurer la différence

avant 2002 et maintenant… Le projet est indispensable car il encadre et

évalue notre pratique… cela évite toute les dérives ». Le projet apparait ici

comme une référence en terme éthique face aux difficultés et à la diversité

des situations rencontrées sur le terrain. Il s’agit d’un apport professionnel

d’outils et un moyen d’uniformiser les pratiques.

La mise en place de procédures techniques en réponse à la loi de 2002 et

2007 ou spécifique à une démarche de projet : objet de la démarche-qualité,

d’évaluation, diagnostic…. Elle rythme la mesure éducative en fixant des

repères temporels pour les professionnels. Pour Sonia, 1 an d’expérience et

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 65

nouvellement diplômé : « depuis que je suis embauchée, personne ne m’a

parlé du projet de l’association. Je sais qu’il existe, mais je m’intéresse

davantage à la méthodologie de travail car elle fixe les procédures de mon

intervention auprès des divers partenaires… ».

L’idée d’un collectif déterminante pour tenir ensemble, de valeurs

communes qui régissent le lien moral et favorise le lien social, avancer et

construire ensemble sont des termes qui reviennent de manière récurrente.

Cet aspect du projet est un facteur important dans la prise en compte des

places de chaque sujet et qui règle son rapport à l’autre. Pour plusieurs

professionnels, il s’agit d’un élément prévalent à la mise en place d’outils

ou de procédures car il conditionne le déroulement de toute les

interventions.

Le projet est souhaité comme porteur de sens en général et de valeurs en particuliers. Le

souci de considérer les familles comme sujet est souvent mis en avant pour souligner

l’importance du projet associatif comme l’indique Ludwine : « la justice ne peut pas

palier à toute les carences et mettre les familles sous tutelle sociale. Il faut sortir de cette

impasse si nous souhaitons rétablir la place des familles au centre du dispositif. Ce n’est

pas à la justice de définir les valeurs. Les parents, des valeurs, ils en ont. Nous devons les

écouter autrement et nous donner les moyens de le faire ». La crainte d’une intervention

éducative qui débouche sur une stigmatisation plus grande des familles est ici explicite et

met en relief les dangers de dérive individuelle souvent à l’origine d’une grande méfiance

des usagers vis-à-vis des travailleurs sociaux.

Une troisième réflexion enfin, présente le projet associatif comme le porteur d’une identité

collective et politique. Dans ce cadre, il est censé proposer une lecture commune de la loi

de 2002 notamment et des missions afin d’éviter des pratiques contradictoires au sein

d’une même association. Pour Denise, chef de service : « la loi et les missions ne suffisent

pas en tant que telles, le projet doit les interpréter et définir l’enveloppe juridique et les

espaces de liberté que nous avons dans l’exercice de notre intervention ».

Le débat sous-jacent est celui du rôle des associations. Dans le cadre de mutations

profondes de l’intervention sociale et dans une période de crise économique et sociale, les

professionnels ressentent le besoin grandissant d’inscrire leurs pratiques individuelles dans

une dimension collective et assise sur des valeurs affirmées. En l’absence de celle-ci, les

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 66

craintes d’une stigmatisation, voire d’une disqualification sociale des publics et des dérives

de « toute-puissance » sont explicitement formulées.

2.1.1.2) Le projet des Familles

Pour les usagers le projet représente souvent les limites de son autonomie. Souvent, il

s’agit de faire le choix entre la confiance et l’angoisse que leurs inspire une mesure

judiciaire souvent considérée comme une contrainte. Cet aspect confiance est déterminant

dans la construction d’une action collective commune car c’est la construction d’une

relation de proximité entre le professionnel et l’usager qui va atténuer les zones

d’incertitude que génère une Action Educative en Milieu Ouvert.

Pour madame RAV : « Monsieur, l’espace d’un instant, vous qui êtes papa pouvez

comprendre ce que le système m’a fait subir, j’ai perdu mon fils, ma place de mère et mon

travail… J’ai été dépossédée de tout ce qui avait une importance… A aucun moment on ne

m’a accordé une place ou même informée, j’ai été immédiatement étiquetée et rejetée(…)

l’accès à mon dossier m’a permis de prendre du recul ce qui s’est passé et j’ai de ce fait,

mieux accepté l’intervention éducative… J’ai pu enfin comprendre et me positionner. »

Ce témoignage nous démontre que la confiance ne s’enseigne pas, bien au contraire, elle se

crée de manière personnelle par un cheminement, par le biais d’une rencontre. Nous

abordons ici, la pédagogie de projet qui va favoriser le passage d’une forme de

conditionnement de l’action éducative à une conscientisation des usagers. Les familles en

AEMO ne sont ni en opposition systématique ni en conformité complète avec la norme

sociale, elles ne sont pas plus ni absolument différentes du travailleur social qui intervient

ni entièrement ressemblantes, leurs comportements ne sont ni totalement déstructurés ni

totalement déstructurant. C’est bien la question de l’évaluation du tolérable dans un

contexte social et juridique précis qui est ici posée, c’est-à-dire la question des valeurs à

partir desquelles se réalise toutes formes d’évaluation.

2.1.1.3) Le projet vu par les magistrats

« nous apportons maintenant des détails sur le contenu de la mesure en donnant des

indications au service sur des actions à mener par exemple, l’établissement d’un travail

thérapeutique pour un enfant, gérer la scolarité, il y a souvent des précisions autrement dit

si la loi n’apporte pas de précisions sur le contenu des mesures, le juge, lui en apporte

beaucoup plus… »

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Au-delà de la connotation technique, ce qui est souligné dans ce discours c’est l’impression

d’une recherche de sens, celui d’appartenir ou de proposer un cadre commun. C’est

également un point de référence pour tous les acteurs, à cet égard, elle détermine la

commande et suscite la demande. Par ailleurs, l’enjeu est d’organiser l’intervention. Il

s’agit d’une étape importante car le cadre du partenariat implique de prendre en compte et

d’articuler les compétences de chacun. Ici, il est nécessaire de prendre en compte les

capacités, les compétences, les intéressements. Un autre juge met en évidence un tournant

dans l’action éducative, la volonté de construire un projet, une vision où l’enfant et ses

parents concourent à la réalisation des objectifs définis. « On est passé de jugement pour

action éducative en milieu ouvert sans limite temporelle, jusqu’à décision contraire, à des

jugements où les attendus sont plus précis. Notre soucis est de favoriser le débat

contradictoire et de nous assurer de l’adhésion des parents et de l’enfant ». Ce témoignage

démontre que la temporalité est devenue un enjeu majeur, elle délimite l’intervention

sensibilise les usagers à se positionner. En fait, il s’agit de faire partager une décision et

théoriquement de définir et organiser les moyens et les places de chacun. La définition des

places prend les relais autour des compétences de chacun et des volontés des divers acteurs

à agir ensemble. Il est alors important de distinguer trois choses :

Ce que l’on est capable de faire ou pas et ce pourquoi on a besoin de

l’autre

La délégation de fonction, qu’est ce qui relève du service, des usagers et

du magistrat

Une connaissance précise des possibilités des usagers, « il ne sert à rien

de prononcer des attendus infaisables, et de ce fait mettre en difficulté

l’enfant et sa famille, l’attendu doit favoriser un mieux-être, un

changement possible ».

Le regard croisé est souhaité car il doit permettre par la confrontation de créer une

organisation tenant compte des places et des rôles respectifs. Les magistrats se positionnent

également comme l’organe régulateur des activités distribuées. Nous mettons en valeur ici

la restitution des tâches qui s’effectue lors des audiences. Cet espace devient alors un lieu

de circulation de l’information et garantit également que l’on ne cesse de produire du sens.

C’est également un lieu où s’exerce « la controverse, le débat, les désaccords et les

conflits qui peuvent à terme sans régulation perturber la mise en œuvre du projet », des

dissonances qu’il s’agit d’accueillir pour les magistrats dans le cadre de régulation

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 68

(audience de renouvellement ou audience sollicitée par l’un des acteurs…) et d’organiser

dans une scène collective sa résolution dans une logique « autant faire se peut »

démocratique.

2.1.2) L’évaluation du projet

Deux positions se démarquent des divers témoignages obtenus et ce par l’ensemble des

acteurs qui se sont exprimés sur la place de l’évaluation dans les bilans et les projets :

Celle de la place des acteurs les uns par rapport aux autres,

Celle que les autorités assignent et auxquelles chacun doit se conformer.

Dans le premier cas, l’évaluation est orientée vers ce qui a causé la mise en place d’une

mesure AEMO, les moyens utilisés, les initiatives induites et leur production ; cette

formalisation est articulée avec le cadre juridique et les principes prônés par les lois de

2002 et 2007 qui incite les personnes participantes à construire du collectif. Pour illustrer

ses propos, nous nous appuyons sur Cécilia, Educatrice Spécialisée depuis 15 ans : « Nous

avions plus de latitude par le passé, on accordait aux parents et à l’enfant le temps

d’accepter la mesure, maintenant après réception du jugement, nous avons 15 jours pour

les contacter, un mois pour élaborer avec eux le Document Individuel de Prise en Charge

(DIPC), deux mois pour faire un bilan de la situation et 4 mois dans le cadre

d’ordonnance pour transmettre aux Juges une première évaluation, et cela avec 30 jeunes

en suivi par travailleur social. On oublie que chaque famille est différente et qu’il est

dangereux de vouloir tout maitriser. » La temporalité du projet ici, est encore mis en

évidence, avec une discordance des objectifs de l’intervention et la réalité des moyens

fournis sur le terrain. Il est d’ailleurs régulièrement revenu chez les professionnels qu’ils

ont une « obligation de moyens et pas de résultats ».

Dans la seconde situation, l’évaluation est en premier lieu orientée vers la réponse à la

conformité, une réduction des écarts et un changement vers la norme. Dans ce cadre la

participation de chacun est conditionnée par l’approche du résultat à atteindre et défini

notamment par les attendus. On retrouve ici une certaine contradiction entre liberté et

nécessité d’agir entre prévention et contrôle social.

Pour Monsieur P, juge des enfants : « La loi du 02 janvier 2002, place l’usager au centre

des dispositifs d’action sociale et médico-sociale et qui leur accorde un certain nombre de

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 69

droit dans leur rapport aux services sociaux et médico-sociaux comme le respect à la

dignité, à la vie privée, de la sécurité… Dans les questions concernant les enfants, le droit

de participer pour les parents et pour leur enfant à l’élaboration et à la conception et à la

mise en œuvre des projets et des actions qui les concernent sous réserve que les parents

aient reconnu l’autorité judiciaire… le principe est celui-là il y a obligation d’associer les

parents et les enfants à l’élaboration des projets qui les concernent, le droit à

l’individualisation et à la qualité de la prise en charge dans l’accompagnement dans le but

de favoriser le développement et l’autonomie et l’insertion des personnes ».

Autrement dit la réalisation d’un projet en partenariat implique deux niveaux d’évaluation

distinct mais complémentaire au niveau du collectif qui a porté l’action : les résultats du

projet, ceux-ci sont à évaluer avec le collectif, Juge, travailleur sociaux et usagers. Les

audiences sont d’ailleurs souvent les lieux ou les informations circulent sur les différents

niveaux de changement, de réfléchir aux procédures et aux moyens proposés permettant de

faire une critique, d’interpréter et de réfléchir ensemble à des valeurs communes de ce qui

a été fait.

L’évaluation du collectif et la pertinence du partenariat : C’est ici le fonctionnement du

collectif que l’on interroge autour des actions menées afin de réaliser les objectifs des

projets. C’est souvent le moment ou les acteurs abordent la qualité de l’adhésion de

chacun, les rôles tenus et parfois abordent les situations litigieuses.

Il est évident qu’en fonction des places occupées le regard sur le projet et les actions

entreprises n’est pas toujours le même notamment si l’on se place au niveau de l’usager,

que des travailleurs sociaux ou des Institutions. C’est finalement la capacité d’interpeller

les autres acteurs qui va être abordée autour des représentations qui sont à l’origine des

incertitudes, voire de la méfiance que peuvent ressentir les divers partenaires vis-à-vis du

projet liée à l’intervention éducative.

2.2) Les inquiétudes : Le poids des représentations

Dans le paragraphe précédent, nous avons vu qu’un projet ne peut se construire sans

partenaire. Chaque institution ou chaque organisation qui s’est engagé dans un partenariat

doit pouvoir vérifier et mesurer la pertinence de ses choix et de ses engagements. Nous

allons maintenant aborder les rencontres entre les acteurs dans la construction et

l’articulation des projets et d’actions communes. Les professionnels de l’intervention

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 70

éducative dans leur grande majorité, évoquent de manière récurrente le risque des dérives

car beaucoup questionnent moins le principe de projet que ses conditions d’élaboration. La

prégnance de la logique judiciaire dans une démarche de projet avec les familles où le

poids des représentations n’est pas sans incidence sur la construction d’une logique

commune. Pour Moscovci, la représentation sociale, est « système de valeurs, de notions et

de pratiques relatives à des objets, des aspects ou des dimensions du milieu social, qui

permet non seulement la stabilisation du cadre de vie des individus et des groupes, mais

qui constitue également un instrument d’orientation de la perception des situations et

d’élaboration des réponses 88

».

2.2.1) Les représentations s’attachant à l’aspect instrumentalisant du projet

Le poids des représentations chez les professionnels a des répercussions dans la

construction du projet d’intervention. En effet, le projet est souvent perçu comme venant

nier le caractère unique de chaque famille. Force est de constater que dans le secteur, les

documents utilisés appelés « projets », projet d’intervention, projet socio-éducatif,

document Individuel de Prise en Charge ou les rapports font davantage références à des

objectifs qu’à des finalités, à une méthode de travail qu’une analyse réelle des besoins et

des contextes, les aspects organisationnels qu’aux références sociologiques. C’est souvent

le projet comme instrument permettant de définir des buts et des objectifs qui est dénoncé.

Le danger est d’agir en incitant voir en obligeant des parents et des enfants à agir en

conformité avec des objectifs définis par et pour eux.

Pour Ludiwine 11 ans d’ancienneté : « On essaye d’avoir un projet mais c’est souvent

difficile. Le projet est très large pour laisser de la souplesse à l’intervenant. Chaque

famille est différente, il faut nous laisser de la souplesse. »

Ou encore : « Le projet, c’est le compromis entre le cadre d’intervention, ce qu’on

comprend des attentes du magistrat, des difficultés de la famille notamment si elle est très

carencée et de ce qu’on est capable de faire. »

« Chacun fait comme il peut, en fonction de son vécu et de son style, on ne m’a jamais dit

comment faire avec les familles, j’ai appris sur le terrain »

88

S. MOSCOVICI, cité par Gustave-Nicolas FISCHER, Les concepts fondamentaux de la psychologie

sociale, Paris, Dunod, 1996, p. 125

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 71

Nous avons compris ses réactions, non pas comme une démotivation mais comme une

difficulté à prendre une distance des conditions réelles d’existences des personnes

bénéficiaires d’une AEMO, mais également et surtout sur le libre arbitre laissé à chacun

pour construire un projet qui souvent est conçu de façon isolée. Toute les personnes que

nous avons entendu, nous ont à chaque fois fait remonter une posture et une éthique

professionnelle, par contre, elles ont pour une grande majorité souligné, les disparités

rencontrées au sein d’une même équipe, avec le sentiment d’agir seul et ainsi prendre le

risque pour chacun d’agir ou de construire une action ou un projet en fonction de ce qu’il

est et des représentations que chaque professionnel peut avoir sur la situation sociale ou

familiale des usagers.

Christelle, assistante sociale depuis 5 ans : « il n’existe pas de conflit, pas de désaccord en

réunion, chacun est dans son coin… On ne veut pas se livrer et parler de nos difficultés de

peur de se sentir jugé. »

Ou encore « nous sollicitons la confiance des familles mais je n’ai pas celle de mes

collègues. »

« Les familles sont carencées, je tente d’agir pour le bien de l’enfant…J’ai pas toujours le

temps d’expliquer ma démarche, je me sens souvent seule dans l’exercice de la mesure ».

Ce débat sur l’aspect enfermant du projet pose la question de la légitimité et du sens de

leur intervention. La volonté d’agir en respectant les libertés des usagers est une valeur

professionnelle à laquelle font référence de nombreux professionnels et est une manière

également d’éviter de trop s’engager vis-à-vis d’une action pouvant heurter des convictions

personnelles. De plus, l’aspect paradoxal que nous avons plusieurs fois soulevé entre

nécessité et liberté, « apporter aide et conseil à la famille… » peut parfois amplifier une

forme d’impuissance qui ressort souvent chez les professionnels.

Cécilia, « On peut tenter de faire évoluer des gens, mais il faut qu’on m’explique pourquoi

il y a tant de retour de situations qui se poursuivent pendant de nombreuses années où

encore pourquoi des mesures non renouvelées reviennent peu de temps plus tard… »

Pour Bruno, « je crois que le problème dans le suivi éducatif, c’est que l’on tente de

répondre trop rapidement à la commande et de ce fait on ne peut avoir une analyse plus

précise des difficultés réelles des familles »

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 72

Ces deux témoignages abordent un problème plus profond autour de l’intervention en

AEMO où les travailleurs sociaux utilisent des moyens d’intervention micro-sociaux, alors

que les solutions sont souvent macro-sociales. Autrement dit l’intervention éducative

s’arrête souvent à une vision capacitaire des usagers, « sont-ils capables ou non de

changer » alors qu’un travail sur les compétences pourrait favoriser un épanouissement des

individus et permettre un changement durable. Le second point relève des contraintes des

tutelles qui rationalise les choix budgétaires, notamment en cette période de crise, la

révision générale des politiques publiques dont le leitmotiv reste « mieux à moyen

constant », l’émergence dans le social de plus de contrôle, d’évaluation des pratiques, de la

démarche qualité, ont conduit les travailleurs sociaux a parfois bruler des étapes dans les

objectifs définis et d’opter pour une attitude plus techniciste où les méthodologies, les

objectifs, le choix des priorités cessent d’être des moyens au service du public, mais risque

de devenir des fins.

2.2.2) Le projet et le risque de dérive, la résistance au projet

Le poids des représentations chez les usagers est un élément important à prendre en

compte dans la mise en œuvre du projet d’intervention. Elle peut avoir pour conséquence

une résistance au projet chez le public bénéficiaire d’une mesure AEMO.Nous l’avons

expliqué précédemment, le travail qui s’applique en AEMO est centré exclusivement sur la

famille. Il n’intègre que très peu les relations qui s’exercent entre la famille et

l’environnement social sauf en ce qui concerne les activités à visées socialisantes de

l’enfant. Or, les interactions entre la famille et son environnement ne cessent d’évoluer.

Aujourd’hui, les situations socio-économiques de certaines familles présentent de telles

multiplicités de problématiques, filiation incertaine, problème d’addiction, montée de la

précarité, que cela rend toute forme d’inclusion sociale difficile notamment auprès de ce

public fortement disqualifié.

Certains parents ne sont pas démissionnaires mais ils ont perdu une part de la confiance et

de l’estime d’eux-mêmes. Un soutien est nécessaire pour leur permettre de les soulager

dans les responsabilités quotidiennes mais également de prendre du recul par rapport aux

problèmes qui les enferment. Il s’agit alors de cibler des objectifs précis qui répondent à un

besoin réel en prenant en considération les conditions d’existence.

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 73

Dans le cas où les difficultés les plus graves sont d’ordre socio-économique, intervenir sur

l’individu où sur ses fonctionnements internes risque, comme en témoigne les différents

usagers, de renforcer leur disqualification. Cette configuration s’accentue lorsque le

modèle proposé s’impose aux familles et limite leur marge de manœuvre individuelle

laissant craindre « un assujettissement à la norme »89

.

Madame B et sa fille Clara illustrent ce propos : « J’ai sollicité une aide car je rencontrai

des difficultés financières. Cette préoccupation devenait telle que j’avais des problèmes

pour éduquer ma fille. Contrairement à ce que je pensais je me suis sentie dépossédée de

mon autorité et les éducateurs et la juge me matraquaient pour que je change de vie. Mais

monsieur, c’est ma vie, ils n’ont pas compris ma condition, ma manière de vivre. Ils ont

voulu me prendre mon enfant alors que je voulais améliorer mon quotidien. Changer mais

pourquoi ? Je suis devenu du jour au lendemain une mauvaise mère à l’école de ma fille…

J’ai perdu confiance en moi... »

Ce discours témoigne de l’incompréhension que peuvent ressentir les usagers (parents et

enfants) concernant la mise en place d’un projet dont ils ne perçoivent ni le sens ni

l’intérêt. Par ailleurs, un autre point surprenant, c’est le sentiment de mal être que génère

l’intervention AEMO pour cette maman.

Les représentations de l’intervenant chez les familles sont également à prendre en

considération dans la co-construction d’un projet d’intervention. Les aprioris négatifs

parasitent beaucoup la construction d’une relation de proximité. Pour madame P et ses 6

enfants, « pour nous, monsieur, l’éducatrice du juge, c’était madame l’Etat…»

Pour monsieur F, « avec l’intervention éducative, j’étais père à 1 %... »

Pour madame et Monsieur D et leurs 4 enfants, « l’AEMO, c’est pour aider les parents à

changer sinon elle enlève les enfants. »

Pour un grand nombre de famille interrogées, la crainte de perdre l’enfant, de perdre leur

place de parent, de perdre leur place dans la société, renforcent la vision négative que peut

provoquer l’intervention, « l’AEMO a bouleversé ma vie, les remises en question

incessante m’ont fortement déstabilisé, il m’a fallu du temps pour comprendre…j’ai cru

89

BOUTINET Jean-Pierre : Anthropologie du projet, Paris, PUF, coll. Psychologie d’aujourd’hui, 1992

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 74

perdre mes enfants…et j’ai alors commencé à démissionner de ma place de mère(…), j’ai

préféré jouer le jeu du juge» et va dicter leurs conduites et leurs rapports aux autres

acteurs.

L’AEMO peut en effet, s’avérer déstabilisante si une information le plus lisible possible

n’est pas diffusée laissant alors, les usagers prisonniers de leurs représentations. Il découle

de cette configuration une volonté de toucher les limites de leur autonomie dans un

système sous contrainte. Cette recherche de la liberté d’agir va les conduire à mettre en

place des stratégies notamment si la construction d’un projet d’intervention est vécue

comme l’imposition d’un pouvoir arbitraire. La contrainte se surajoute à la contrainte

notamment lorsque l’AEMO est un facteur de disqualification. Il est évident qu’une grille

de lecture des interactions de chaque acteur ne peut s’effectuer que dans une analyse

systémique permettant de nous aider à mieux cerner les comportements de chacun dans le

cadre de la construction d’un projet dans un système sous contrainte.

Le projet interroge le rapport de chacun au monde, à l’environnement et à sa conception du

modèle à vivre en société. On se situe alors dans le registre des valeurs. Nous savons que

les valeurs sont empreintes d’une forte charge affective, car elles révèlent une dimension

personnelle, acquise principalement lors des phases de socialisation qui vont de l’enfance

dans la sphère familiale à la construction d’identification aux modèles sociologiques que

peuvent fournir l’école, le travail, le quartier, l’environnement social. Poser la démarche de

projet sous cet angle oblige à ouvrir le débat dans le cadre d’une intervention qui

questionnerait les points de divergences, les points de convergences, avec une analyse des

contradictions… forçant ainsi les partenaires (juge, travailleur social et usagers) à se

définir une identité commune au risque de voir un éclatement de la cohésion du groupe.

Les témoignages convergent tous vers une seule idée : l’absence de construction d’un

travail ensemble, de la construction de valeurs communes, d’accorder du temps à tous les

acteurs, conduit inévitablement à l’éclatement du groupe et le projet collectif, dans une

impasse.

2.2.3) Le projet- programme : une commande sociale

Le projet ne peut se résumer à une succession d’objectifs et d’action, il est une

construction sociale qui doit prendre en considération les possibilités de chacun et

s’inscrire dans une volonté commune d’un changement. Dans une organisation sous

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 75

contrainte, la loi accorde aux magistrats le pouvoir de décision relevant de la sphère

éthique et politique. Il est intéressant d’avoir un éclairage sur la manière dont les

magistrats se représentent la complexité des situations familiales et la place qu’ils

s’accordent dans la construction et la mise en œuvre d’un projet commun dans une

triangulaire magistrat-travailleur social-usager.

Pour Madame le Juge B, « il n’y a pas de contrainte puisque les usagers ont la liberté

d’agir ou non… », Ces propos soulignent le bouleversement de tendance chez les juges

des Enfants qui conformément à la loi du 02 mars 2002 réaffirme le principe de

responsabilisation des usagers. Cette attitude manifeste la volonté de dépasser l’usage

mécaniste de l’intervention éducative essentiellement tournée vers une prise en charge

globale vers un accompagnement progressif et moderniste de l’usager dans une place

valorisante. Il semble ainsi, nécessaire de modifier le système des dispositifs sociaux

encore enclin à distribuer aux usagers des aides « clé en main », à des usagers

revendicatifs de « droits à ». Mettre l’usager au centre du dispositif, c’est promouvoir sa

place en tant que citoyen, sa place de sujet de droit en lui offrant la possibilité de devenir

acteur de son changement. Cette nouvelle pratique se confronte à la réalité d’un

fonctionnement social où les services AEMO se présentent comme un soutien et dont les

actions s’apparentent davantage à une forme d’assistance. Cette nouvelle approche a

conduit également les professionnels à revoir leur pratique. L’aide proposée est encadrée et

définie dans le temps. La loi de 2002 et le décret du 14 mars 2002 vont imposer aux

services AEMO de nouvelles contraintes qui vont avoir des répercussions dans l’exercice

d’une mesure.

« Dans les services d’AEMO, cette loi a eu beaucoup de conséquences qui n’ont d’ailleurs

pas fini selon moi de produire leurs effets et qui se sont traduits notamment par les

conditions et la production de documents pour déterminer comment on pouvait faire

respecter ses droits, des parents. On a ainsi élaboré un livret d’accueil, la charte des

droits et libertés des personnes accueillies, les modalités de participation aux

fonctionnements des établissements, comment favoriser l’expression des usagers par des

groupes de travail…et enfin les documents individuel de Prise en Charge… »,

Ou encore : « Ces textes ont introduit une évolution sensible des pratiques professionnelles

en imposant aux services AEMO des contraintes fortes pour respecter certaines

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 76

procédures puisque ce sont ces droits des familles et des enfants d’ailleurs qui ont été

renforcés tout au long de ses dernières années »

L’intervention éducative se met en œuvre dans une enveloppe juridique qui fixe le cadre

d’intervention, les magistrats réaffirment les principes de la loi qui accordent aux usagers

une place de citoyen dans le sens d’agir dans la vie de la cité. A cet égard et en souscrivant

aux principes de la loi, il s’agit de reconnaitre l’usager détenteur de ses droits, de sa

capacité d’agir, de le respecter et de proposer des modalités d’intervention en collaboration

avec l’enfant et ses parents. On peut néanmoins s’interroger sur les représentations qui

agissent dans ce discours qui peut à certains égards être très éloigné des préoccupations

aux quotidiens de familles fortement disqualifiées. Pour madame Rav et son fils Dean :

« lorsque le juge a prononcé la mesure AEMO, des lors tout a basculé, nous avons compris

que nous n’avions plus le mêmes droits qu’avant. On s’est senti rejeté et on a eu le

sentiment d’être trompé, information et dignité, plus je faisais confiance au corps médical,

au corps enseignant à la magistrature, sans parler des équipes d’assistantes sociales, on

est devenu le maillon faible d’un système qui nous a brisé. »Il ne suffit pas d’accorder des

droits pour que les personnes s’en saisissent notamment si leur inquiétude reste figée sur

leurs difficultés d’ordre socio-économique où sur la crainte de perdre leur statut le plus

précieux : être parent. Ce type de traitement social dans le contexte économique de crise ou

le travail a perdu de sa capacité intégrative, dans une société en perte d’identité sociale,

c’est de stigmatiser davantage « les exclus » et de nier l’autre comme un partenaire. Pour

citer Bourdieu ; « Qu’est-ce qu’un citoyen qui doit faire la preuve, à chaque instant ? »

Dans ce cas, on est alors bien loin de la promotion de « l’usager-acteur », de son

expression et de sa participation.

2.3) La participation des usagers-acteurs dans l’institution : une incompatibilité ?

A partir des divers éléments que nous a donné le recueil d’informations des

interviews, il nous parait intéressant d’ouvrir notre propos sur l’impact d’un projet

d’intervention dans le cadre d’une mesure judiciaire afin de mesurer le degré d’implication

lié à la responsabilisation et à la négociation des acteurs en fonction d’attendu trop

prégnant ou dans le cas contraire lorsque la commande sociale est moins précise et nous

croiserons ces données en fonction des caractéristiques familiales.

Lors des entretiens avec les professionnels, nous nous sommes rendu compte que les

travailleurs sociaux abordent les difficultés familiales vues par les phénomènes d’exclusion

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 77

engendrés par le contexte social. Peu font référence à une approche collective ou/et à une

dimension plus politique (à l’échelon de l’association qui fixe le sens de l’intervention).

Les attendus sont de ce fait, perçus comme donnant une orientation, une direction au

travail.

Pour Christelle, une jeune professionnelle : « …Plus le libellé de l’ordonnance est

construit, détaillé, plus il constitue une référence pour le travail à fournir… »

Pour le chef de service, la qualité de l’attendu joue dans la mise en œuvre de

l’intervention : « les attendus du jugement, c’est beaucoup là-dessus que les éducateurs se

basent… »

Pour Bruno : « Il existe des jugements où on trouve généralement l’AEMO visera

à…préparera à…, parfois on a des jugements qui listent nos objectifs de travail avec la

famille. Le projet serait davantage de répondre aux attendus du juge… »

Pour Nathalie : « le mandat, c’est le socle de notre intervention, je fais souvent référence à

cela dans mes interventions. »

Franck : « j’ai l’impression que des attendus trop précis m’enferment dans mon

intervention et mes actions sont davantage des réponses à la commande que sur les

besoins des familles… »

Nous pouvons nous rendre compte que chez les travailleurs sociaux, les attendus d’un

jugement font débat, certains les perçoivent comme un support à l’action éducative,

d’autres pensent qu’il est nécessaire de laisser une part de liberté aux divers intervenants

pour favoriser une participation de chacun. La prégnance fait débat d’autant chez les juges

des enfants, l’évolution de la loi de 2002 et 2007 impliquant davantage les parents, qui

dans une volonté de chercher l’adhésion des usagers, n’hésitent plus à faire des jugements

avec des objectifs déterminés. Pour Madame S, juge des Enfants : « les magistrats doivent

interpréter la loi et fixer un cadre d’intervention. Je rappelle que nous sommes passés de

jugement qui actait l’intervention éducative sans objectif précis (jusqu’à décision

contraire) à une plus grande implication des magistrats qui limitent dans le temps les

interventions et posent des attendus »

Toutefois, nous ne devons pas exclure l’importance des enjeux sociaux liés à la notion

« d’enfance en danger » car le danger comprend une part de subjectivité. Or, c’est cette

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 78

notion de danger qui légitime une intervention en protection de l’enfance et autorise une

investigation dans l’intimité des familles. C’est dans l’esprit de vérifier s’il existe un écart

entre les motifs du signalement et ceux mentionnés dans les rapports que nous avons étudié

en consultant les dossiers, des familles interrogées. Il fut étonnant de voir que dans trois

cas sur dix, il existe un réel écart entre les motifs. En effet, concernant les 3 dossiers, le

juge des enfants mentionnent mésententes familiales et problèmes financiers, pour un

dossier de préparer le placement alors que les professionnels évaluent des parents

immatures et dans le cas du placement préconise un maintien à domicile avec renfort de

TISF (voir Annexe9).

Si les attendus sont reconnus par tous les professionnels et les magistrats comme des axes

de travail, en fonction des rencontres du magistrat avec la famille lors des audiences et

selon la possibilité des familles de recourir ou non à leur droits sociaux, assisté d’un avocat

par exemple, les attendus peuvent ou non se transformer en objectifs d’un projet selon que

la famille est actrice ou non.

Accorder un rôle décisionnaire à un usager, titulaire de droit demande au juge des Enfants

de développer de nouvelles finalités autres que le seul effet pédagogique chez les parents et

l’enfant. 2 points importants :

La finalité doit être compatible avec la volonté du magistrat,

Pour monsieur Pier conseiller à la cour d’appel : « Il y a un grand enjeu, c’est la nécessité

pour les services d’AEMO d’être capable d’intervenir en coopération avec les autres

services sociaux. C’est un sujet complexe car dès lors qu’une AEMO est ordonnée, il

s’’agit d’une mesure unique, les services sociaux du Conseil Général se retirent ou sont

plus hésitants à mettre en œuvre des prestations complémentaires comme des TISF… »

Dans un autre registre, monsieur Pi juge des enfants, « il n’existe pas de système sous

contrainte, la famille garde le droit d’accepter ou de refuser, c’est à elle de manifester sa

volonté. »

La famille doit avoir la possibilité de recourir à ses droits, cela suppose qu’elle est

reconnue comme légitime par les autres acteurs, mais également l’usager doit pouvoir

solliciter ses connaissances juridiques et son expérience face à des experts que peuvent

représenter le travailleur social et le magistrat. Pour les parents interrogées nous avons pu

mesurer les difficultés à pouvoir recourir à la totalité de leurs droits sociaux notamment

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 79

pour les situations ou les personnes semblaient le plus enfermées dans des phénomènes

d’exclusion. C’est souvent les familles les plus aisées, madame Rav et madame B dont les

connaissances et les moyens humains et financiers leurs ont garanti une place dans la

discussion ou ce qui est le cas pour madame RAV conduit à une procédure à l’encontre de

l’Aide Sociale à l’Enfance.

Madame RAV extrait de son entretien : « Monsieur, la procédure est longue mais je tiens à

ce que les personnes qui sont à l’origine de mon supplice reconnaissent leurs erreurs tant

sur le plan médical mais toute la machine administrative et judiciaire…heureusement que

j’ai été accompagné par ma famille et mes amis, que mes ressources financières m’ont

garanti l’aide d’avocats…Monsieur la loi de 2007, qui stipule accorder une place au

parent est une mauvaise loi… »

Toutefois, ces deux cas restent des exceptions. Pour la plupart des familles interrogées, ce

qui revient souvent c’est l’isolement et le sentiment d’impuissance. Pour madame Bech :

« lors des audiences, le juge cite le rapport de l’éducateur puis nous demande notre avis et

on doit en 10 minutes raconter nos vies », pour madame Pat, « on avait beau dire à

monsieur le juge que nous voulions récupérer nos enfants de toute façons il écoutait

l’éducatrice et comme elle ne pouvait pas nous encaisser… »

Si cette forme de gouvernance se revendique comme une innovation démocratique, il

ressort de nos entretiens que cette innovation ne peut se passer d’un processus temporel et

dépend d’un contexte social où l’acteur est plus ou moins enclin à mettre en œuvre cette

participation. Le sentiment « d’inutilité » qui entraine parfois un abandon des participants

concoure alors au manque de représentativité des usagers dans le dispositif. « La plupart

des décisions sont issues de négociation internes aux appareils, à leur segment et à leur

corporation ».90

Il ne suffit pas d’accorder des droits ou de multiplier les dispositifs pour

diminuer les inégalités. En effet, si le principe de la participation semble acquis par tous les

acteurs, c’est souvent les volontaires les « plus aptes » qui composent les instances

représentatives. Nous sommes dans une « société programmée 91

» ou l’homme est capable

d’agir sur son semblable, « société produite dans un rapport conflictuel de domination

culturelle et sa reconnaissance de l’autre ». Pour approfondir cette référence, l’usager est

soumis à une double pression, celle des magistrats et celles des travailleurs sociaux peu

90

F. Dubet, Le déclin des institutions, Chapitre 7, l’Epreuve des faits, Seuil, 2002, p 397 91

A Touraine, Les grandes questions de notre temps, in science Humaine, hors- série n°34, septembre et

novembre 2001

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 80

enclin à se dessaisir de leurs prérogatives. Ils souhaitent maintenir leurs positions et ainsi

rendent la plupart des instances représentantes des usagers en AEMO vidées de leur

potentialité à pouvoir devenir un véritable pouvoir consultatif.

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 81

PARTIE III le paradoxe des valeurs ou la confrontation des mondes

Au regard de nos résultats nous pouvons penser que le modèle actuel ne permet pas

à chacun de prendre une place d’acteur dans l’intervention sous contrainte. Dans une

perspective où chacun de sa place opte pour son projet, cette posture ne favorise pas l’idée

d’une démarche collective commune. Le passage d’un monde à un autre fait surgir les

écarts qui existent entre trois conceptions, trois volontés, trois formes de vision qui ne se

retrouvent pas dans le même destin. Dans le chapitre 1, nous allons reprendre les résultats

de notre enquête et vérifier l’opérationnalité de notre hypothèse. Nous allons également

tenter de faire ressortir, d’une part, les freins qui limitent la construction d’un projet

commun en milieu ouvert et d’autre part les facteurs qui permettent de l’envisager.

Le chapitre 2 tente de répondre aux nouveaux questionnements avec l’appui des théories

sur le Développement Social Local, l’empowerment avec l’aide de la sociologie de la

traduction.

Le chapitre 3 est consacré aux préconisations que nous pouvons envisager et répondre en

pratique à notre désir de revisiter le modèle d’intervention actuel.

Chapitre 1 : retour sur l’hypothèse où le changement imaginaire ou

l’imaginaire du changement

Une analyse des résultats obtenus de notre enquête nous apprend qu’il existe un réel

décalage entre les aspirations des politiques publiques qui affirment la liberté d’agir des

usagers bénéficiaires d’une mesure AEMO et ce, en accordant des droits fondamentaux

compatibles avec un minimum social et leur participation à toute élaboration et

construction de projet. Partant de cette définition de l’inclusion sociale, un nouveau modèle

de gouvernance devait favoriser une autonomie des divers acteurs impliqués dans un

système sous contrainte avec une plus grande participation et un accès aux infrastructures

(accès au dossier). Notre hypothèse dans cette nouvelle organisation était de fonder le

projet, outil du changement, comme le point de convergence des objectifs de chaque

partenaire supposant ainsi le respect et la reconnaissance de tous les acteurs. Or, la

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 82

demande sociale qui commande la mesure AEMO n’est pas abordée sous l’angle de la

coopération ou de l’adaptation aux réalités de chacun mais se situe davantage dans une

logique de domination. L’usager apparait souvent dans le discours des familles comme

dominé, non pas comme un interlocuteur audible et dans le non recours à la totalité de ses

droits sociaux devenant un vecteur aggravant d’exclusion.

1.1) L’inégalité des places de chacun des acteurs dans la construction du projet

Le fonctionnement de l’AEMO est-il un dysfonctionnement social ?L’ordonnance d’une

assistance éducative en faveur d’un ou de plusieurs enfants est majoritairement vécue

comme l’intervention d’un acteur extérieur et peut de ce fait apparaitre brutale, même si

elle correspond à un besoin. Elle tend vers un changement. Si pour les majorités des

familles, la mesure judiciaire s’impose à tous par son caractère officiel et symbolique, de

nombreuses tensions apparaissent dans l’élaboration du projet d’intervention. Les familles

situent l’écart entre un accompagnement au changement et les intervenants qui essaient de

le maitriser. Le sentiment d’être dépossédé de ses droits d’une part et de subir une

domination d’autre part est souvent l’enjeu de conflit important dans la conception d’un

projet commun. Pour autant, les familles témoignent qu’une action éducative dans le temps

favorise les échanges, crée une proximité et permets aux acteurs de mieux cerner les

tenants et les aboutissants des situations familiales complexes dans lesquelles ils

s’immiscent. Dans tous les cas, l’intervention éducative est investie par l’imaginaire, par

les représentations des acteurs du magistrat au travailleur social titulaire de la mesure et

surtout des usagers. Ardoino92

suppose que l’on peut parler à la manière d’un

psychanalyste de transfert et contre-transfert. Comme l’intervention éducative est instaurée

à l’occasion de dysfonctionnements familiaux, de blocages notamment dus à des

séparations douloureuses, de dérapages violent verbaux ou physiques, l’action éducative

est supposée apporter aide et conseil, une assistance et parfois une réparation. « Ainsi, les

conceptions du développement des organisations et de la sociothérapie se rejoignent, en

définitive, et s’allient pour la défense d’un certain ordre social93

».

L’analyse sociale d’une situation peut s’avérer dérangeante selon la vision du monde les

références et valeurs culturelles des intervenants et produire des confrontations de monde.

J ARDOINO, L’intervention institutionnelle: imaginaire du changement ou changement imaginaire, édition

ED Payot, Paris, 1980 93

Ibid p 17

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 83

Les considérations d’un magistrat ou d’un travailleur social à produire du changement

s’opposent à la logique d’usage qui se situe dans réponse immédiate à des besoins souvent

primaire, manger par exemple. Ce changement peut remettre en question leurs valeurs, leur

projet de vie, leur réalité sociale…

Dans cette configuration, les deux projets-visée diffèrent par leur relation différente à

l’instituant(le changement, l’innovation) et à l’institué94

(le système, l’establishment). Dans

cette relation à trois, l’usager apparait comme un « acteur faible » bien éloigné des

préoccupations politiques de promouvoir sa capacité d’agir, d’en faire un interlocuteur

privilégié d’une action éducative qui reste une contrainte.

1.1.1) Les usagers = l’acteur faible95

Nous l’avons démontré, les relations dans la construction de projet dans un système sous

contrainte ne sont pas égalitaires. Cette situation n’est pas sans incidence sur la place du

projet. L’origine existentialiste fonde le projet comme une nécessité de la liberté. Pour les

usagers, notre étude démontre que de nombreuses familles parlent de relations avec les

institutions et les services associatifs, souvent fondées sur la domination ou pour utiliser un

vocabulaire plus psycho-affectif de la fragilité, de la vulnérabilité, de la faiblesse.

Dans une perspective d’une meilleure lecture des interrelations entre les participants au

projet, nous parlons « d’acteur faible » en mettant l’accent sur la relation de pouvoir et sur

les capacités des individus. Dans cette perspective, de nombreux témoignages donnent des

exemples

Un système qui présente les parents comme « défaillant, carencé » et les culpabilise.

La relation ne s’inscrit pas dans le cadre d’une négociation mais d’un conflit. De

nombreuses familles témoignent de ce ressenti d’être dépossédé, de ne pas se sentir

investi, de subir…

La construction de situation d’urgence, les ordonnances d’assistance éducative sont

instaurées pour l’essentielle après dysfonctionnement. La mesure AEMO depuis la

loi de 2007 ne peut revêtir un caractère préventif et, de ce fait, enferme les parents à

se construire comme acteur faible

94

Ibid P 21 95

JP Payet et D. Laforgue, F.Giuliani, « La voix des acteurs faibles. De l’indignité à la reconnaissance », PU

Rennes, coll. « le sens social », 2008, 246p

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 84

Un temps des familles en décalage avec le temps judiciaire, instaurer une relation de

proximité prend du temps, elle implique pour l’intervenant sociale de ne pas

restreindre le temps de présence et d’échanger…attention à trop de paternalisme ou

à l’inverse à l’infantilisme.

Un langage peu ou prou adapté, trop spécialisé et pas accessible

Les écueils dans la construction d’une relation institutionnelle-professionnelle-usager

En fonction des résultats obtenus, nous pouvons identifier 4 principaux écueils à

l’élaboration d’un projet commun :

L’écueil des valeurs, des représentations négatives. L’absence d’un référentiel

commun amène l’ensemble des intervenants à agir en fonction de valeurs

individuelles et laisse place aux représentations sociales. En effet, il est parfois

difficile de ne pas juger l’individu qui ne respecte pas la norme, d’autant qu’il se

construit une attitude, une stratégie pour se protéger de ce jugement normatif. Nous

avons identifié la recherche de faille, la défiance, l’inertie, l’opposition…

L’aveu d’impuissance, le système hermétique qui peut parfois donner l’impression

de se sentir démuni, que la situation est insurmontable…C’est l’attitude de madame

Rav qui pendant tout l’entretien ressasse sans cesse sa frustration de lutter contre un

système qui l’a encore plus « fragilisée ».

L’écueil de la prise en charge, les résistances. Un décalage profond entre la

demande de l’usager (si demande, nous l’avons vu ce n’est jamais clair) et la

commande. Cette différence est importante car elle impacte les interactions. En

effet, la commande est le produit de négociation entre l’usager et l’intervenant, c’est

un contrat régissant les rapports entre les acteurs. Ce contrat stipule, les grandes

orientations du projet, la méthode, le programme et la durée d’intervention (qui est

négociable). La demande, elle, émane de l’usager, c’est un désir, son implication

dépend d’ailleurs de ce désir auquel cas, l’intervention ne répond à rien.

L’écueil de l’injonction à l’autonomie, tous les usagers ne sont pas en capacité

d’agir seul, une mauvaise évaluation de la situation par le professionnel peut

accentuer le phénomène d’affaiblissement et exacerber le sentiment d’impuissance

Une parfaite compréhension de la situation sociale et familiale nécessite « un pas de côté »

important du professionnel. La place de l’usager, loin d’être acquise dépend de la volonté

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 85

des autres acteurs à le reconnaitre, à lui accorder une visibilité, une voix audible et de

travailler ensemble. Un autre regard sur les normes, qui, d’une part, peuvent être

inaccessibles d’un point de vue pratique aux acteurs faibles, et d’autre part, nécessitent

également d’être pluralisées. Notre enquête met en exergue une double difficulté. D’une

part, la disqualification accroit les inégalités d’action et d’autre part les actions des

individus se jouent dans les failles du système.

1.1.2) L’intervenant sociale en AEMO = un agent double

Notre étude met en évidence, chez les travailleurs sociaux, la recherche de leur

identité. Un des points nodaux de cette recherche concerne la question des valeurs. D’une

part, en effet, les travailleurs sociaux se réclament proches de valeurs fortes de type

humaniste accordant à l’usager une place centrale dans la conception et la mise en œuvre

du projet d’intervention. D’autre part, ces mêmes professionnels renvoient les valeurs à

une sphère plus individuelle, plus personnelle et du non-conflit. C’est essentiellement

l’absence de débat sur les valeurs qui finalement est apparu comme le trait dominant dans

les réponses obtenues. L’absence d’un système multi référentiels conduit les

professionnels à fonder leur pratique sur leurs représentations et de ce fait, l’analyse peut

parfois s’avérer « réductionniste ». A l’évidence, il existe un décalage entre le « vouloir

être » des travailleurs sociaux en termes de valeurs et le fonctionnement quotidien qui

questionne le modèle même d’intervention la représentation des usagers. Nous l’avons vu,

il n’est pas aisé pour les travailleurs sociaux de se positionner clairement sur leur place

dans l’élaboration d’un projet d’intervention. Il semble que pour une grande part des

personnes interrogées, les représentations impacte sur les orientations de la mesure

judiciaire. Lorsque Ludwine expose une situation pour expliquer son ambivalence, autour

d’une mère addicte à l’alcool, elle se questionne autour de : doit-elle aider cette maman à

se soigner ou doit-elle protéger son enfant de ses agissements ? Pour sortir de ce dilemme,

certains travailleurs sociaux parlent de « missions » qu’ils remplissent en travaillant pour le

bien des usagers à leur insu et fondent leur posture sur les attendus du Juge. Des lors,

l’intervenant peut se situer dans une posture professionnelle comme étant au service de la

majorité pour socialiser les marginaux et les déviants. Au contraire il peut se situer dans

une volonté de se consacrer à venir en aide aux plus disqualifiés du système et pose

inévitablement la question de comment les travailleurs se sociaux se positionnent dans ce

système. La commande sociale surpasse t’elle la demande ? Pour reprendre les propos de

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 86

Ludiwine : « le contrôle que j’exerce au nom de notre société est-il plus important que

d’apporter de l’aide et cela m’interroge entre dois-je travailler les attendus ou aborder les

vrais problèmes de fond…favoriser des compétences parfois implicites… ». Même si cette

bipolarité est ici un peu simplifiée, nous l’avons régulièrement rencontré sous des formes

nuancées. Karine 1 an d’expérience : « nous remplissons une mission par le représentant

de la société qui nous paie. » ou Gisèle 35ans d’expérience : « nous ne sommes pas les

chiens de garde de la société qui produit elle-même ses exclus… »

On ne peut nier l’incontestable influence qu’exercent les attendus tant sur la construction

du projet que dans les modalités de l’intervention. L’attendu de l’institution fixe la

référence pour une meilleure compréhension de la commande sociale, il pose les grands

axes de l’intervention judiciaire. Il représente un symbole fort, celui de la loi qui s’impose

à tous d’une part, mais également le point d’appuis pour les professionnels, les

représentants de l’institution judiciaire et les usagers d’une obligation de produire du

changement d’autre part. La large majorité des travailleurs sociaux citent les attendus et

l’attrait qu’ils exercent comme favorisant la compréhension de la commande sociale. Ils

n’hésitent pas à se référer à l’évaluation du magistrat dans la réponse aux besoins des

familles, en oubliant parfois leur capacité d’interpellation. Sur ce dernier point, nous

pouvons nous rendre compte que la méthodologie et les procédures d’intervention

marquent, là encore, une réelle difficulté du travailleur sociaux à distinguer ce qui relève

de la commande sociale et de la demande. Nous pouvons analyser qu’en ce qui concerne la

commande, la négociation entre l’intervenant et l’usager est souvent délicate et le contrat

méthodologique (DIPC) par exemple n’est pas toujours compris et saisi par l’ensemble des

acteurs. De plus, l’absence d’informations précises concernant les grandes lignes

stratégiques, la méthodologie utilisée, le programme d’action et la durée rendent souvent le

projet d’intervention illisible et ne répond pas toujours à une demande ou un besoin réel

des familles.

Le changement concerne avant tout le rapport de chacun à la situation et pose le problème

des représentations. Nous concluons sur l’opposition qu’il ressort de notre analyse sur les

valeurs et la place que le travailleur social accorde à l’usager. Elle se situe entre

conditionnement et conscientisation, entre déterminisme social et interactionnisme. Pour le

premier cas, les valeurs sont perçues comme extérieures aux individus transmises par un

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 87

environnement, une réalité extérieure96

, « On observe rien de semblable dans

l’organisme...jamais une cellule ou un organe ne cherche à usurper un autre rôle que

celui qui lui revient ». A l’inverse, Piaget insiste sur les jeux d’enfant et le caractère

d’acteur et de valeurs dans l’expérience en interaction avec d’autres. Le travailleur social

est pour toute ses raisons un agent double détenteur d’une demande et mandaté pour

réaliser une commande sociale. Pour résumer, l’intervention sous contrainte n’est pas

toujours la manifestation d’un contrôle social, d’autres facteurs entre en considération et

notamment la manière dont est perçue l’intervenant par l’usager. La clarification des

représentations de chaque acteur est un passage indispensable pour dépasser les multiples

écueils à la construction d’un projet commun et ainsi favoriser une approche non

« pathologisante » et non normatif dans un contexte normatif.

L’incertitude et les représentations d’une intervention judiciaire renforcent la

disqualification pour des individus à la recherche d’une respectabilité, d’une place plus

conforme. C’est dans cette perspective, que va s’exacerber le sentiment, pour ses acteurs

(affaiblis), d’une faillite familiale et sociale. Il s’agit du facteur déterminant de la

prééminence de l’institution judiciaire. Par ce pouvoir d’influence, elle rappelle qu’elle se

soucie à la fois de l’intérêt général (comme le garant de la norme sociale) et de l’intérêt

individuel de l’enfant. Le changement devient alors une nécessité et il s’impose aux

familles. Cette situation fait apparaitre, dans les relations des Trois acteurs, des places

inégales dans la codécision et dans la co-construction d’un projet ensemble. D’un côté, des

travailleurs sociaux, agent double, d’une autre côté, une institution judiciaire et par

extension l’AEMO plus puissante que jamais et enfin des usagers, « acteur faible » dont la

capacité d’autonomie reste à définir.

1.1.3) Les Institutions « les acteurs clés97

»

Notons tout d’abord, une certaine unanimité de l’ensemble des acteurs du système pour

présenter les magistrats, mais de manière plus globale, les institutions comme les

représentants d’une autorité qu’elle soit politique, juridique ou économique. D’ailleurs, les

personnes interrogées (en majeur partie des magistrats) se présentent comme « titulaire

96

Emile Durkheim, De la division du travail social, PUF, 1992, coll. Quadrige, P. 367 97

Termes de madame présidente du CNAEMO lors du colloque sur les 50 ans de l’AEMO de la

Sauvegarde13.

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 88

d’un pouvoir qu’il n’exerce pas en son nom personnel98

» et nous pourrions ajouter mais

au nom d’une norme impersonnelle car le fait de commander lui-même obéit à une norme :

ce n’est pas une liberté arbitraire, ni une grâce, ni un privilège. Cela suppose que l’attendu

du juge s’assimile à une commande sociale.

C’est cette compétence, c'est-à-dire le champ d’intervention des possibles objets sur

lesquels peut s’exercer le commandement qui délimite le pourvoir légitime de la personne.

Face au citoyen, à l’usager ou à un acteur associatif, il ya une hiérarchie de « supérieurs ».

Notre recherche met en exergue cette inégalité de traitement face aux projets. En effet, il

est reconnu par chacun que l’attendu exerce une prégnance forte dans la conception et

l’élaboration du projet. Nous pouvons mettre en lumière dans les propos des professionnels

et des personnes bénéficiaires d’une mesure AEMO, les difficultés à s’opposer à un

magistrat et de ce fait, la faible capacité de négociation des autres acteurs. L’autorité

judiciaire légitime un pouvoir chez de nombreux usagers qui limite le recours à

l’intégralité de leurs droits sociaux. En fonction des résultats obtenus et avec l’appui des

textes de Max weber sur l’autorité, nous pouvons penser que le pouvoir influence le sens

de l’intervention et quelque part le changement proposé dans le projet d’intervention.

Prenons l’exemple de ce magistrat qui ; pendant l’entretien ; nous affirme que la contrainte

ne s’exerce pas réellement car l’usager à le « loisir d’accepter le changement ou de le

refuser ». L’auteur de cette idée fait référence à la loi du 05 mars 2007 qui prône le

principe du débat contradictoire. Il est indéniable à ce niveau de réflexion de se ranger à

son avis. Toutefois, il continue en signalant qu’une absence d’adhésion, les

« parents »s’exposent « à d’éventuelles mesures coercitives ». On se situe ici dans

l’hypothèse, ou si le changement désiré se produit, alors le magistrat a exercé un contrôle

positif, mais s’il produit un changement négatif ou s’il y a des résistances au changement,

il peut renforcer les dispositifs de contrainte. On remarque dans ces propos une carence

profonde de coordination entre les autres acteurs, mais aussi une contradiction dans la

pratique dans les objectifs généraux poursuivis par les institutions et ceux poursuivis par

les pouvoirs publics qui visent une plus grande autonomie de l’usager. Dans cette

organisation, les places de chacun ne sont que trop identifiées et ne favorisent pas

l’expression des autres acteurs, et de ce fait, ne contribue pas à développer une approche

98

Propos repris lors de l’allocution de Madame Soulier, présidente du Tribunal de Marseille lors du 50ème

anniversaire du service AEMO

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 89

collective d’une situation familiale ou sociale. De plus, nous ne pouvons pas ignorer

l’impact de la dimension économique dans la mise en œuvre d’une mesure AEMO.

La dimension économique.

C’est sans doute l’augmentation croissante du coût des dépenses, dues aux actions de

l’Aide Sociale à l’Enfance en faveurs d’un public de plus en plus en difficulté, qui

constitue la dimension déterminante des nouvelles politiques actuelles. Pour la Directrice

de l’aide sociale à l’enfance, la déjudiciarisation dans le département des Bouches du

Rhône n’a pas eu lieu. De ce fait, « l’AEMO a un coût…elle doit agir vite et avec le plus

de résultats possibles ». Cette phrase présente la situation dans laquelle de plus en plus de

structures associatives sont enfermées dans l’exercice de leurs actions éducatives ou

sociales à la recherche de la plus grande efficience possible. De nos jours, la rigueur

budgétaire est un leitmotiv important et un point non négligeable à prendre en

considération dans l’exercice d’une mesure judiciaire. En effet, le magistrat reste le grand

pourvoyeur des mesures éducatives et dans un contexte politique et social qui souhaite

favoriser les dispositifs de droits communs, les directions des associations sont attentives à

maintenir le magistrat comme un interlocuteur privilégié dans la construction et

l’élaboration du projet de l’enfant. Dans cette perspective, les associations ont de plus en

plus perdu de leur pouvoir d’interpellation vis-à-vis des politiques ou du judiciaire. Les

enjeux économiques ont circonscrit le jeu des luttes des places pour favoriser une

intervention éducative plus « rentable ». De multiples procédures enferment toute forme de

créativité éducative, pour des actions programmées précises et déterminées. Cette dernière

remarque à son importance. En effet, selon les sujets-acteurs auxquels se référent un projet,

compte tenu des contraintes actuelles, il peut s’assimiler à un contrôle et perdre ainsi l’idée

de liberté d’agir, de participation sans contrainte, d’une négociation possible…De plus,

l’enjeu financier a conduit les intervenant sociaux dans un paradoxe : d’une part les tutelles

demandent aux associations d’agir en partenaire et d’autre part considère le cadre associatif

comme des prestataires de services. Prenant pour exemple, une mesure ASELL99

et une

mesure AEMO, les deux apportaient à l’usager une prise en charge globale. Aujourd’hui

l’une et l’autre ne peuvent coexister ensemble etc. L’individuation associative prend le

relais dans l’action sociale collective et de ce fait remet en question le principe même du

projet qui est le support des intérêts communs.

99

Accompagnement Social éducatif lié au logement

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 90

En décrivant la manière dont chaque acteur perçoit l’intérêt d’une mesure éducative, nous

avons pu mesurer le degré d’implication et de responsabilité de chacun. Or, la logique

d’exclusion reste présente en dépit des diverses lois (2002 et 2007) favorisant la

participation des usagers. A l’image d’une société inégalitaire nous avons des institutions

inégalitaires avec un impact sur les institutions associatives et d’intervention sociale qui

finissent elles aussi, par se retourner contre ceux pour qui elles existent, les usagers.

L’intervention éducative s’enferme dans une logique capacitaire de l’usager et occulte

faute de temps, de moyens, de pouvoir travailler plus en profondeur sur le développement

des compétences.

1.2) Construire du sens dans un environnement paradoxal

Nous l’avons vu le changement concerne le rapport de chacun à la situation.

Intervenir à plusieurs peut alors enrichir le processus, mais également empêche

l’intervenant de se faire phagocyter par l’usager ou le mandataire. Or, il s’avère difficile

pour les intervenants sociaux d’appréhender de l’intérieur, à partir des individus eux-

mêmes et de modifier leur pratique éducative durablement, mais également leurs

représentations. D’ailleurs, professionnels et usagers s’interrogent sur la portée réelle des

changements liés à l’intervention éducative qu’ils soient organisationnels ou individuels.

Prenons l’exemple de Madame B et sa fille Clara, avec le recul de 2 ans, elles parlent de

l’impact de l’AEMO dans leur fonctionnement quotidien. « Monsieur, ma fille et moi, on a

pas changé, nous avons toujours nos fonctionnements, nos valeurs…. Mais pendant la

mesure du juge on a fait ce que l’éducateur nous disait…par contre, il nous a fait voir ce

qu’il n’allait pas…je ne sais pas si on a changé, je ne pense pas. ». Nous abordons ici, les

stratégies d’acteur. Elles expriment la ou les manières dont les acteurs sociaux gèrent les

rapports aux projets, les contraintes et les déterminations extérieures en fonction de leurs

propres ressources. Or, l’émancipation des participants, la capacité d’une population en

souffrance ou disqualifié à devenir auteur, « s’autoriser à » semble s’inscrire dans un

ensemble de valeurs humanistes pour ne pas dire idéales. Néanmoins, les rapports sociaux

sont en partie déterminés par une relation que l’on peut qualifier de subordination.

Beaucoup de professionnels distinguent la pratique idéale : où les intervenants sociaux sont

tenus de s’abstenir de toute manipulation du processus : tout doit être dit, négocié et

réajusté, d’une réalité qui met en tension un phénomène organisationnel, « je peux

contrôler une procédure, je n’ai pas toujours les moyens d’évaluer le processus » comme

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 91

l’exprime Bruno éducateur, puis d’ajouter : «il est impossible de connaitre la réalité d’une

situation familiale en suivant 30 mesures d’AEMO ». Chacun des acteurs est conscient

qu’il est nécessaire de contractualiser davantage avec les familles et que le projet est en fait

un programme. Une succession d’action visant essentiellement à répondre à la commande

et qui ne s’inscrit pas dans une visée pédagogique. Le propos de Bruno souligne la

difficulté des professionnels d’agir sur les causes profondes des dysfonctionnements mais

d’envisager l’intervention comme un ensemble d’action visant à réduire les écarts avec la

norme. Cette distinction est fondamentale. Elle souligne les limites du modèle actuel, avec

un lien de subordination entre les acteurs, une rentabilité de l’intervention éducative, une

inégalité des acteurs dans l’élaboration du projet et de ce fait une faible implication en

fonction des places occupées. Les professionnels plaident également à plus de prévention

en amont, pour une plus grande sensibilisation des parents et de l’enfant.

En conclusion, le projet en AEMO ne vise pas à modifier en profondeur les

fonctionnements familiaux ou sociaux mais de permettre à la famille et à l’enfant de

prendre conscience de ses difficultés par des actions programmées visant à les résoudre.

1.3) Le projet comme une contrainte

Comment expliquer que le projet soit devenu à ce point un passage obligé dans la

construction d’une intervention éducative ? En s’appuyant sur les travaux de Marie-

Christine Jaillet100

et en fonction des divers témoignages obtenus dans le cadre de notre

enquête, nous proposons l’idée que le projet constitue un des effets de l’individuation de

nos organisations sociales actuelles. Les familles et les enfants n’ont plus les mêmes

références sociologiques et ne se reconnaissent pas dans le projet social proposé. Pour

Ehrenberg101

, la situation tranche avec celle que nous avons connue par le passé où les

déterminismes sociaux pesaient davantage. Prenons ce témoignage de Franck, éducateur

spécialisé depuis 13 ans, « par le passé, les jeunes s’identifiaient à l’intervenant,

maintenant ils ont d’autres références sportives, culturelles qui ne sont pas toujours en

adéquation avec mes conseils éducatifs ». L’individu aspire à la fois à son autonomie et à

son épanouissement, il est désormais appelé à être auteur de son histoire. Cette liberté de

choix, de son mode de vie, de ses activités légales ou illégales conduit les individus à

100

MC. Jaillet, de la généralisation de l’injonction au projet in revue EMPAM n°45, L’inédit du projet, ed. Erès, Ramonville St-Agne, 2002. 101

A. Ehrenberg, Le culte de la performance, Calmann-Lévy, Pluriel, Paris, 1991, 323p.

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 92

exprimer un projet, à se projeter dans un lieu ou une situation mais place l’individu dans

l’obligation de la faire. On se situe dans le culte de la réussite avec une transformation

majeure, le déclin des disciplines collectives vers une montée de l’individualisme102

l’individu sous prétexte de rechercher son autonomie se retrouve seul confronté à

l’incertain. Incertitude qui est bien évidemment différemment appréciée selon le degré

d’inclusion sociale.

Cette forte pression d’accomplissement, les travailleurs sociaux la connaissent et ils

rappellent souvent que certains usagers sont placés dans une situation de vie matérielle ou

psychique trop précaire pour être compatible avec la moindre capacité à se projeter hors de

l’exigence du quotidien le plus prégnant. Monsieur F illustre ce propos, « madame l’Etat

(l’assistante sociale) me demandait d’aller voir ma fille sur Marseille pour maintenir le

lien Père-fille. Mais en habitant Lyon, il m’était impossible d’assumer financièrement les

trajets régulièrement…Je ne lui en veux pas, c’était une demande du juge, elle a essayé de

me trouver des financements…», cet autre exemple est également significatif de madame

B : « Le jugement me donnait la possibilité de récupérer mes filles, 3 jours semaines, sans

prendre en considération ma situation sociale, pas d’électricité et pas de revenu… et en

audience, comme je n’ai pu les prendre régulièrement le juge me qualifie de mère

démissionnaire… J’ai craqué Monsieur…»

Les interviews ont également fait ressortir l’idée d’un projet- bilan de compétence. C’est la

situation où le juge ou les intervenants sociaux évaluent les compétences voir les capacités

des parents ou de l’enfant à sortir de la situation actuelle et de se rendre conforme à la

commande. A cet effet, le bilan se présente comme un moyen, souvent validé sur un plan

institutionnel ou associatif pour traiter les difficultés sur un plan rationnel. L’idée est de

définir et de lister les potentialités de l’individu. Pour de nombreux professionnels, cette

méthode d’intervention évite les pièges d’une intervention arbitraire, une mobilisation de

l’individu et elle apporte une perspective qui permet de créer un espace de liberté.

Nous aborderons le projet-représentation qui a été également cité. C’est lorsque les

représentations des acteurs structurent la réalité sociale et lui impose une forme. C’est

souvent le cas lorsque démarre la mesure AEMO. Les familles sont enfermées dans des

stéréotypes, « l’éducateur va m’enlever mes enfants », d’idées préconçues, « les parents en

AEMO sont des parents carencés », ou « le magistrat a un rôle de régulateur ». Au pire, le

102

A. Ehrenberg, L’individu incertain, Hachette Littérature, 1999, Paris, 351 p.

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 93

projet reste une chimère, un souhait, au mieux, il s’apparente à la méthode Coué mais ne

répond pas aux besoins réels.

1.4) Conclusion : un projet d’acteur mais pas de partenaire = hypothèse invalide

En début de mémoire, nous avons réalisé un état des lieux concernant les interactions entre

les divers acteurs d’une mesure judiciaire de type AEMO. Nous avons constaté les réelles

difficultés à élaborer un projet commun ou chacun de sa place pouvait envisager un

changement. En fonction du système dont nous avons mesuré les limites, nous avons

proposé l’hypothèse suivante visant : Dans un système sous contrainte de type AEMO, la

co-construction d’un projet d’intervention (point de convergence des intérêts de chacun

des acteurs) repose sur la reconnaissance et le respect des acteurs et de leur position

interactive

Nos résultats démontrent que de trop nombreux conflits viennent entraver la pratique de

projet dans une intervention éducative judiciaire. Les divers enjeux sociaux que recouvre

la notion de projet démontrent que dans notre société contemporaine, l’individu ne peut

exister sans projet. Il est devenu un outil indispensable, évaluable et interrogeable à tout

moment et apparait par bien des aspects comme une nouvelle contrainte sociale. En

AEMO, le décalage est encore plus prégnant tant la complexité des relations entre les

acteurs rend délicate toute approche démocratique. Les relations de subordination se

résument souvent à un intervenant « expert » diligenté par le juge pour « réparer, contrôler,

modifier les dysfonctionnements » d’un public que nous avons baptisé l’acteur « faible ».

Une approche trop technique peut conduire à morceler, découper un temps d’intervention

et ne plus susciter le débat, la négociation. La conséquence directe, c’est de ne pas

permettre à l’usager une implication nécessaire pour engager sa responsabilité dans la

construction d’un « agir ensemble ». Par ailleurs, le projet s’apparente bien souvent à un

programme où les actions rythmées par une méthodologie ou plutôt des procédures

s’inscrivent davantage dans une rationalisation des coûts. Par bien des égards, nous

pouvons penser que la part de responsabilité des usagers tant souhaitée par les pouvoirs

publics, n’est autre que le reflet d’une nécessité financière qui conduit certains acteurs à

parler de partenariat sans se soucier des responsabilités qu’implique le terme, mais

seulement dicté par le déficit de moyens, et non par le désir de faire mieux ou de faire

autrement.

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 94

A l’issu de ce travail, aucune affirmation n’est de mise. L’hypothèse que nous avons

formulée est invalidée. La place des acteurs ne permet pas une négociation dans le temps et

les enjeux financiers sont devenus un facteur à prendre en considération. Par ailleurs, la

différence entre commande et demande dont sont confrontés les travailleurs sociaux dans

leur pratique de projet, nous semble se dessiner plus nettement. Ce dessin est encore flou

mais pour en saisir les contours nous souhaitons proposer une nouvelle hypothèse :

Susciter la participation et l’implication des acteurs en AEMO dépend d’une

compréhension des référentiels qui animent les politiques et les divers acteurs dans

une intervention sociale.

Chapitre 2 Un modèle à revisiter

A L’issue de ce travail, aucune affirmation n’est de mise. Nous pouvons envisager

quelques chantiers à ouvrir. Les freins et les opportunités ainsi que les contradictions du

système actuel se dessinent toutefois plus nettement. Ceux-ci sont le résultat d’une réalité

complexe qui s’ancre à la fois dans des facteurs matériels objectifs et d’un système de

responsabilité individuelle appliquée aux intervenants et aux publics.

Dans ce chapitre, après un rapide rappel des résultats de l’étude, nous proposons une

définition du Développement comme nouvelle démarche favorisant l’implication et la

participation des acteurs à un projet global, le troisième point aborde la nécessité d’un

diagnostic partagé et une évaluation participative.

2.1) Rappel des résultats de l’étude et perspectives

Nous avons vu que plusieurs facteurs pèsent sur la volonté des intervenants mais

également ont un impact dans la relation entre les acteurs :

Une évolution croissante des contraintes budgétaires avec une rationalisation des coûts, des

quotas minimaux de mesure, un pouvoir politique qui demande des réponses immédiates…

pèsent lourdement dans le fonctionnement et les marges de manœuvre qui peuvent exister

en AEMO.

Un public en mutation, dont la complexification des problématiques interpelle sur la place

que peuvent occuper ces familles. Les travailleurs sociaux ont bien conscience d’agir dans

un contexte socio-économique dégradé engendrant de l’exclusion et dont les missions de

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 95

l’AEMO intègrent une dimension complexe auxquelles les familles ne peuvent pas

toujours accéder (apporter aide et conseil, l’approche leur échappe souvent).

Beaucoup de facteurs concourent à faire l’impasse sur la question du sens. L’absence d’un

réel débat sur les valeurs, les limites des politiques sociales actuelles et les techniques

d’intervention au niveau des références théoriques mais également de l’analyse

individuelle par les intervenants de situations sans cesse plus complexes conduit les divers

acteurs à se réfugier soit dans la loi soit dans une technicité afin de rationaliser

l’intervention.

Ceci n’est pas sans effet sur les divers intervenants qui mettent en exergue cette souffrance

sociale103

qu’ils vivent bien souvent par le poids du contexte économique. Les interactions

entre finalités de l’intervention (commande sociale, projet associatif et projet avec les

familles) et les objectifs de la protection de l’enfance ne sont pas clarifiés .Notre étude a

mis en évidence un point important, une trop grande régulation nuit à l’autonomie et à

l’inclusion des usagers et une plus grande inclusion des usagers réduit le contrôle exercé

par les autres acteurs de l’AEMO.

Devons-nous pour autant penser que le système actuel sur lequel fonctionne l’AEMO est

voué à une impasse. A ce jour, il reste le pire des systèmes à l’exception de tous les autres

pour paraphraser Winston Churchill104

. L’enjeu est ailleurs, c’est celui du vivre ensemble

dans un registre républicain qui n’envisage l’autre que dans l’intégration. Or, de nouvelles

notions apparaissent fondées sur une logique participative, dans une prise en compte de

plusieurs dimensions où les systèmes d’acteurs interagissent et agissent pour concourir à

co-construire une action collective qui vise à promouvoir une synergie des acteurs. En

s’inspirant des diverses théories liée au Développement Sociale Local, et en formulant une

approche basée à la fois sur la confrontation d’idée et une démarche participative, nous

nous proposons d’envisager plusieurs perspectives.

103

E Durkheim, Le suicide, PUF, coll. « quadrige grands textes », 2007, 463 p 104

« La démocratie est le pire des régimes à l’exception de tous les autres »

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 96

2.2) Le Développement Social Local

Définition

Le développement Social Local est un concept largement repris par l’ensemble des

acteurs institutionnels et de la société civil qui recouvre des réalités diverses. Pour le

dictionnaire critique de l’action sociale : « le développement local est un processus qui

permet d’inventer certaines solutions aux problèmes économiques et sociaux et de les

mettre en œuvre avec ceux qui en sont les acteurs et les bénéficiaires.105

»

En France, le Développement Social Local est apparu lors de la prise de conscience des

politiques d’aménagement du territoire de trouver une alternative à une stratégie « top-

down » descendante qui n’était pas pleinement efficace pour une stratégie « bottom up »

approche ascendante, qui apparait comme un principe de la démarche du DSL.

Nous citerons la définition de Xavier Greffe106

: C’est un processus de diversification et

d’enrichissement des activités économiques et sociales à partir de la mobilisation et de la

coordination de ses ressources et de ses énergies. »

Pour Philip Mondolfo107

: le développement social est une pratique multi dimensionnelle

qui distingue quatre manières de « faire » du développement :

Le faire pour, faire avec, faire part, faire durable. Pour lui, la notion de développement est

multi dimensionnelle car elle est à la « croisé de facteurs, s’attachant à valoriser

efficacement les richesses internes et externes afin de répondre aux besoins humains et

essenties dans la domaine de la santé, de l’éducation, des droits politiques, de la

sécurité. »

Pour résumé, Le projet de développement a pour but d’intervenir face à une situation

donnée pour la rendre plus conforme aux principes, systèmes de valeurs et à l’idée que les

acteurs responsables du projet se font de la société. C’est un processus volontaire et

valorisant les ressources internes et externes.

105

J.Y Barreyre (sous sa direction), Dictionnaire Critique d’Action sociale, éditions Bayard, coll. « Travail

social », Paris, 1995, p. 129 106

Citation tirée dossier d’étude N°70, juillet 2005, Le développement Social Local, Les acteurs, les outils,

les métiers. CERAT. Institut d’Etude Politique de Grenoble. 107

P. Mondolfo, Travail social et développement, Dunod, Paris, 2001

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 97

Les principes du Développement Social Local

Comme le dit Jean-Louis Sanchez, délégué général de l’ODAS108

, « notre regard médico-

social est plus axé sur les faiblesses que sur les potentialités des personnes. L’objectif

premier ne doit pas être seulement d’accompagner les familles en difficulté mais d’éviter

qu’elles le deviennent. D’où le concept de prévenance ou de développement social,

réponse à une crise qui atteint aujourd’hui l’ensemble de la société. »

Le Développement Social Local109

privilégie une démarche ascendante créant les

conditions d’une participation des habitants. Ses principales orientations visent à :

Favoriser une citoyenneté active par laquelle les individus deviennent acteurs et

auteurs (s’autoriser à) de leur changement

Créer les conditions d’une véritable expression des usagers, qu’elle soit

individuelle ou collective, et générer des modes de concertation et de coopération

avec les institutions (école, Conseil Général, commune…) et le secteur associatif

local.

Favoriser la lutte contre toutes les formes d’exclusion ou de disqualification

sociale liée à l’ouverture d’une mesure AEMO.

Une des originalités du Développement social local, c’est la volonté de chercher un

système stable de normes et de significations partagées par l’ensemble des acteurs et de

leurs éviter une interprétation de la réalité et « invente la vie dans un bricolage

permanent 110

».Le projet de développement a pour but d’intervenir face à des situations

jugées par le magistrat, pour rendre la situation plus conforme aux principes, aux systèmes

de valeurs et à l’idée que les acteurs, responsables et impliqués, dans le projet se font de la

société. Dans cette perspective, toutes formes d’intervention judiciaire doit prendre en

considération une dimension sociale, culturelle, économique et fait des lieux de vie, des

territoires, des espaces de projet.

Les enjeux du Développement social local

L’un des principaux enjeux du Développement social local c’est de passer, pour les acteurs

les plus faibles et les exclus et plus particulièrement dans un système sous contrainte

108

Observatoire de l’Action Sociale Décentralisée 109

Définition largement inspirée de JM. Gourvil et Michel Kaiser, Se former au développement social local 110

A. COULON, L’éthno-méthodologie, PUF, Que sais-je, 1987, p 26

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 98

judiciaire, de l’indignité à la reconnaissance. Il ne s’agit pas ici d’occulter la mise en

danger de l’enfant souvent à l’origine d’une mesure judiciaire mais de se doter d’outils

pour éviter que cela se reproduise autant que faire se peut, en impliquant les parents et

l’enfant à participer à l’intervention éducative. Nous nous situons dans une quête de sens.

Or, dans le contexte judiciaire, il n’appartient pas à l’usager de préciser, seul, quels sont les

problèmes qu’il rencontre et sur quoi les objectifs de l’intervention vont porter. On peut

parler « d’acteur dominé ».

Un acteur dominé ne veut pas dire qu’il est docile ou passif mais fait néanmoins référence

à la subordination des acteurs que nous avons mis en valeur dans ce mémoire dans le cadre

d’une mesure judiciaire. Or, un système de contrainte exclut l’acteur le plus faible. Du

moins, c’est ce que pense Alain Touraine lorsqu’il met en évidence les dangers de la

sociologie de l’ordre qui ne laisse pas de place aux mouvements, aux changements et donc

à la liberté. Dans le même registre Paulo Freire dans la pédagogie des opprimés : « Le

développement est un processus volontaire des forces endogènes, il met en action une

synergie pour enclencher une dynamique de projet global, auto-entretenu111

». Autrement

dit les incitations relevant de la régulation sociale ne sont que des contraintes, mais aussi

des opportunités à travers lesquelles les dynamiques d’actions collectives peuvent évoluer

tout en restant sous le contrôle de ceux qui les conduisent. Le processus de développement

pose la question de l’environnement (quand il est ressource) dans ce qu’il a d’inventif et de

potentialités et des rapports qu’entretiennent les individus et les institutions. Le

développement social local est le support à une gouvernance démocratique qui favorise

l’émergence d’un pouvoir partagé entre plusieurs acteurs qui participent « le plus

possible » au processus de décision. Pour Hall, il parle de « tournant Gramscien112

», c’est

l’idée que les acteurs dominés ont aussi une influence et un point de vue si tenté qu’ils se

regroupent. Dans ce modèle l’intérêt général ne peut plus être considéré comme supérieur à

l’agrégation d’intérêt de particulier. Le projet est alors le résultat de rapport de force et,

toute action menée, même avec délégation de service public doit systématiquement être

soumise à des procédures d’évaluation « en amont » en fonction de critères objectifs

multiréférentiels.

111

P. N. Denieuil et HoudaLaroussi- Dossier d’étude N°69, juin 2005, Le développement social local.

Origine et filiation, t. I, laboratoire de sociologie du changement des institutions, IRESCO, Paris 112

A. Beitone, C. Dollo, J.Gervasoni. C. Rodriguez, Sciences sociales, éditions Dalloz, coll.sirey, 2009, Paris,

p.495

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 99

Le grand principe du développement social local reste la lutte contre l’habitus113

, celui

d’une culture fondée sur un classement hiérarchique allant du plus légitime au moins

légitime. Comme nous l’avons souligné par ailleurs, la multiréférentialité permet

d’échapper à une analyse réductionniste des situations. Dans la mesure où plusieurs

individus entreprennent d’élaborer un projet ensemble, ils interagissent. Les relations de

pouvoir restent incontournables entre partenaires. Toutefois, la communication est le point

central par laquelle les échanges d’information se réalisent. En apparence, c’est un langage

commun, unique mais qui souvent peut traduire des représentations liées à son histoire et à

son rapport aux autres, aux croyances, à des valeurs, à une culture, à des émotions qui

finalement sont souvent des langages bien différents. Entre autre acception de la

multiréférentialité, nous optons pour celle d’Ardoino : « Assumant pleinement l’hypothèse

de la complexité, voire de l’hyper-complexité, de la réalité à propos de laquelle on

s’interroge, l’approche multiréférentielle se propose une lecture plurielle de ses

objets(pratiques ou théoriques), sous différents angles, impliquant autant de regards

spécifiques que de langages, appropriés aux descriptions requises, en fonction de systèmes

de références distincts, supposés, ou reconnus explicitement non-réductibles les uns ou

autres, c’est-à-dire hétérogènes.114

». En s’appuyant sur cette définition, nous pouvons

mesurer combien la pratique de projet, notamment en AEMO ou ce dernier est

« commandé » à partir d’injonction judiciaire, contient, à partir d’une même notion, des

sens différents selon la perception des acteurs. A cet égard, l’approche multiréférentielle

est un outil pour lutter contre une communication à double contrainte de Bateson115

et

favorise ainsi l’implication de chacun.

Alain Touraine pense qu’il est possible de rendre compatible égalité et différence, il prône

un principe universaliste qui garantirait la communication entre les individus et des

groupes sociaux et culturellement différents : « il n’y a pas de société multiculturelle

possible sans un recours à un principe universaliste qui permette la communication entre

les individus et des groupes sociaux et culturels différents116

». Il précise par ailleurs, que

cela est possible, s’il n’appartient pas un intérêt supérieur qui définit le normal et le

déviant : « mais il n’y a pas non plus de société multiculturelle possible, si ce principe

113

Concept mis en évidence par P. Bourdieu. 114

J. Ardoino, paru dans Pratiques de formation –analyses, Université Paris 8, Formation permanente, N°25-

26, janvier-décembre 1993, « L’approche multiréférentielle (plurielle) des situations éducatives et

formatives ». 115

Op cit. 116

A. Touraine, Pourrions-nous vivre ensemble ? Egaux et différents, Fayard, coll. Biblio essai, 1997, p. 494

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 100

universaliste commande une conception de l’organisation sociale et de la vie personnelle

qu’il soit jugé normal ou supérieur aux autres. » Dans cette perspective, il s’agit de ne plus

se montrer un « consommateur » d’action sociale passif mais se montrer capable de recul

critique à l’égard de la production de service et du contenu des prestations tout en évitant

les stratégies et les freins au changement en invoquant par exemple des « alibis culturels ».

La pluralité des acteurs favorisent une « approche globale117

». Elle implique de réfléchir

sur ses pratiques et de concevoir les changements, de les mettre en œuvre et de les évaluer

pour procéder à d’éventuels réajustements ensemble. Cette approche vise à émanciper les

participants ou les populations en souffrance, les exclus, qui s’autorisent (être auteur de)à

se positionner individuellement et de s’inscrire dans un groupe.

2.3) Conflit de proximité et coopération

Un autre enjeu du développement social local vise à proposer un nouveau lien social basé

sur la coopération ou le conflit (dans l’optique de rechercher une réaction) des divers

intervenants. Le risque est une des caractéristiques de nos sociétés modernes et la gestion

du risque en AEMO est aussi un sujet de préoccupation pour l’ensemble des acteurs. En

effet, la gestion du risque n’est pas la même en fonction de la place que l’on occupe dans

l’organisation. Cette problématique du risque est développée par de nombreuses théories et

peut s’apparenter à une critique de notre société moderne qui tend à intensifier des

phénomènes globaux (telle la mondialisation) et une montée en puissance de

l’individuation avec une recherche des individus de la plus grande autonomie. Cette

opposition se retrouve dans nombreuses strates de la société.

Les conflits de proximité plus particulièrement dans le cadre du développement local nous

intéressent davantage car ils apparaissent à l’intersection de l’expérience individuelle et de

l’action collective. En effet, l’individu en quête constante d’autonomie, opte pour des

postures parfois contradictoires, un temps se montrant distant vis-à-vis des institutions et

en recherche d’appropriation des instances collectives locales. Pour faire face à ce

dilemme, le Développement Social Local tente de favoriser la construction d’instance

locale permettant aux individus d’orienter davantage le changement118

.

117

R. Barbier, La recherche-action, Economica, coll. Anthropos, Paris, 1996, 109p 118

P.N. Denoeil, H. Laroussi, dossier d’étude N° 69, juin 2005, Le Développement Social Local, origine et filiation, Tome 1, Iresco, paris.

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Pour Gilles Sénécal119

de l’INRS-Urbanisation, culture et société-, il est réducteur de penser

le conflit de proximité comme une opposition entre individualisme et la société, il est

nécessaire de l’envisager au niveau des espaces géographiques. Ainsi, de nombreux

auteurs utilisent sans renier leur ancrage géographique, les termes d’acteur,

d’interactionnisme symbolique, d’intervention sociale, d’individualisme méthodologique

au niveau du territoire. Les espaces et les lieux de vie des individus occupent désormais,

une place importante concernant les concepts et les méthodologies qui s’intéressent à

« l’identification de la dimension individuelle de la société », une manière de percevoir

l’individu, acteur (spatial) utilisateur de stratégies lors de ses interactions avec d’autres

opérateurs.

Le conflit de proximité est une fenêtre sur les milieux de vie et les relations entre acteurs

locaux qui construisent des situations où est abordée la perspective de changement. Cela

renvoie à des situations partagées par les acteurs dans lesquelles se nouent les interactions

sociales. Pour Erving Goffman, le conflit de proximité se comprend comme un rituel

d’interaction.

Une approche sociologique du conflit est inséparable d’une option psychologique,

philosophique, sociale générale selon que l’on considère l’individu ou la société comme

source du conflit. On distingue les sociologies du conflit et celles du consensus ou de la

cohésion sociale. En effet, on ne peut mélanger des auteurs comme Karl Marx qui met

l’accent sur la lutte des classes et qui élabore des outils de compréhension de la production

et de l’appropriation de richesse et Raymond Boudon et Bourricaud, par exemple lorsqu’ils

parlent des interactions individuelles.

Le terme conflit recoupe une multiplicité de formes observables, à des échelles fortement

variables, d’un conflit entre états (qui peuvent aller jusqu’à un conflit armé) aux conflits

interindividuels entre désirs et normes sociales. Les conflits sont souvent l’expression

d’antagonismes ouverts entre des individus ou des groupes d’individu, l’objet étant de

modifier le rapport de force. Dans le cas d’une mesure AEMO, le nombre d’intervenant

(triade : usager, travailleur social, Juge des Enfants) va générer, selon Caplow120

, la

probabilité d’émergence d’alliances ou d’arbitrage fort.

119

G. Sénécal, cahier de géographie du Québec, vol 49, n°138 déc, p 277-285 120

T. Caplow, Deux contre un, Armand Colin, Paris, 1971

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2.4) La sociologie dit de l’individualisme méthodologique

Aujourd’hui en France, une grande part de la sociologie dominante repose sur ce

que l’on appelle l’individualisme méthodologique qui fait des acteurs individuels, les

éléments premiers de l’analyse. Ce courant repose sur l’idée qu’un phénomène social

s’explique par l’agrégation de comportements individuels. L’acteur va rechercher dans son

action à maximiser son intérêt et va ainsi rationaliser ses choix. Or les comportements

individuels constituent autant de source de conflit de tout genre et dans un système fait

d’interactions et d’interdépendances (une société par exemple), les conflits seraient autant

de dysfonctionnements, d’effets de composition121

(effets pervers) qui seraient le résultat

de l’addition de comportements individuels mais non prévus par les acteurs dans leurs

calculs. BOUDON et BOURRICAUD vont également approfondir leur réflexion par

l’étude de comportement, notamment la formalisation des choix et des rationalités des

acteurs. Selon Raymond Boudon, la logique du conflit, c’est la logique de l’interprétation

des situations par les acteurs qui choisissent des degrés de coopération et de conflit

souhaitable pour eux, des comportements stratégiques122

, où le problème n’est plus la

complexité de l’information mais l’incertitude sur le comportement et les caractéristiques

d’autrui, en faisant référence à la théorie des jeux (le dilemme du prisonnier), des

asymétries d’information, etc…

La théorie sociologique a mis l’accent sur la discordance fréquente entre les objectifs

recherchés et les résultats obtenus. Des effets pervers peuvent résulter de l’agrégation de

comportements rationnels individuels.

On oppose d’ailleurs cette conception du conflit à la sociologie de la régulation. L’idée est

de cerner comment l’individu fait valoir ses propres intérêts et s’engage à les défendre dans

des relations de réciprocité. Dans ce cas, le conflit est d’abord un débat sur les normes

sociales qui régissent les interactions sociales dans les situations de proximité.

Pour autant, elles ne sont pas incompatibles. Le conflit reste un temps de débat. En AEMO,

nous parlons de favoriser le principe du contradictoire, qui apparait, avant tout, comme des

tentatives de construire des normes sociales qui régissent « le vivre ensemble ». La

négociation et la concertation permettant de rechercher des objectifs communs et de

121

R. Boudon, La place du désordre, Paris, PUF, 1984 122

R. Boudon et F. Bourricaud, « Dictionnaire critique de la sociologie », PUF, Quadridge dico poche,

paris, 2004, 713 p

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 103

réguler sa vision du changement. Pour citer Fabrice Dhume, « il faut réintroduire de la

contradiction, la critique, la tension qui est au cœur même de l’action(…)Travailler

ensemble, c’est d’abord et essentiellement produire du conflit, du désaccord…et donc se

confronter et négocier. Refuser cela, ce n’est ni plus ni moins refuser de travailler

ensemble ; c’est se cantonner à la surface et glisser sur les choses, produire des coquilles

vides et des discours de bonne intention… sans assumer sa responsabilité dans le

processus de changement123

. » C’est dans cette état d’esprit que doit s’envisager l’acteur

réseau de l’école de la traduction. C’est une approche qui privilégie l’étude des actions

collectives notamment des jeux d’acteur, dans une situation de conflit. D’aucun parle

également d’approche de la transaction sociale ou de démocratie technique. La thèse de

l’acteur réseau retient la notion d’acteur stratégique et de zones d’incertitudes de la

sociologie des organisations de Crozier ainsi qu’un intérêt pour l’étude des controverses

empruntées aux démarches de démocraties participatives. Les forums hybrides124

reposent

sur l’idée de coopération et désignent les dispositifs de regroupement réunissant des

individus et des groupes dans le but de traiter des risques, de faire l’inventaire des choix

possibles et de définir un projet commun. C’est également une manière de décrire le

processus par lequel les acteurs en situation d’inégalité, interagissent pour définir du sens

et des valeurs communément partagés.

2.5) La question des espaces en AEMO et de référentiels communs

En AEMO, les questions des espaces et du territoire sont essentielles car

l’intervention éducative intervient à la fois dans un espace public et un espace privé. D’une

part, elle intervient dans un espace public car les comportements familiaux sont

suffisamment dégradés pour nécessiter une intervention publique et d’autre part,

l’intervention judiciaire se déroule dans un espace privé. Jean Bernard Dumortier distingue

4 directions à explorer : l’intime et le public, la notion d’espace symbolique, la notion

d’espace social et la notion d’espace de droit. En effet, la mesure d’assistance éducative

met à jour souvent des comportements inadaptés qui jusqu’alors se passaient à domicile.

L’AEMO touche à l’intimité des familles. Cette présence parfois mal vécue, met

123

Article de F. Dhume paru dans Pensons’i, journal de l’insertion des CEMEA de Basse-Normandie, N°4,

mai 2002, « Qu’est-ce que le partenariat ? Contribution à la construction d’un espace de sens 124

M. Callon, P Lascoume, Y. Barthe, Agir dans une monde incertain. Essai sur la démocratie technique, le

seuil, coll.la couleur des idées, Paris, 358 p

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 104

l’intervenant social en marge de « l’espace privé » comme un voleur d’image, un

« paparazzi ». L’espace symbolique est un lieu de rencontre, de controverse, un lieu

d’échanges et d’ajustements. L’espace de droit reflète les positions de chacun des acteurs

et fixe les limites de chacun. Cela pose la question des référentiels implicites. En effet, les

référentiels de la gestion du risque sont différents en fonction des acteurs.

L’approche du juge lorsqu’il ordonne une mesure d’assistance éducative fonde sa décision

sur une évaluation du risque. C’est une approche minimaliste, normalement car le

magistrat acte si le danger persiste ou non. Il se base sur la maltraitance dans une vision

capacitaire et non sur une évaluation de compétences.

Le référentiel éducatif, c’est une approche maximaliste. Il s’agit de positions structurelles

qui oscillent régulièrement entre nécessité et liberté. Néanmoins, la confrontation des

référentiels peut aboutir à des sources de tension, voire de conflit.

En référence à ce diagnostic rapide, nous pouvons mesurer l’importance de ne pas minorer

l’impact de l’environnement dans une intervention judiciaire. Les conflits existent à

plusieurs niveaux mais ils restent une source importante d’échanges et de débat qui doit

favoriser le principe du contradictoire. C’est dans cet esprit que nous envisageons le

développement social local qui doit viser principalement à mieux intégrer les divers acteurs

d’un système et notamment les plus défavorisés, les exclus en renforçant leur statut et leur

dignité. C’est une autre manière d’envisager le changement mais surtout une possibilité de

lutter contre les diverses résistances. Dans une optique de rechercher un référentiel

commun, la multiréférentialité pourrait apporter un éclairage des situations tant au niveau

psychologique que sur un plan sociologique, économique et parfois politique. Dans une

perspective de développement intégré, le champ de l’action sociale se trouve élargie en

apportant une contribution importante au développement local par la production de lien

social et générant une plus grande réappropriation des instances locales et une plus grande

reconnaissance des individus par la société.

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 105

Chapitre 3 Une nouvelle approche de la pratique professionnelle

Le développement de nos idées nous a conduits à aborder des domaines assez

variés. Nous avons procédé çà et là, à des hypothèses sur les thèmes qui nous paraissaient

importants pour d’une part, prendre conscience des jeux d’acteur et d’autre part de

l’incertitude qu’accompagne toute forme d’intervention d’une mesure judiciaire. Ce

chapitre a pour ambition de réfléchir ensemble sur un fonctionnement différent dont

l’objectif méthodologique est de proposer un processus qui conduit chacun des

intervenants, magistrat, professionnel associatif, usager mais également en incorporant

d’autres acteurs locaux, à construire un projet commun fondé sur un diagnostic partagé et

une évaluation participative ou négociée et ce en s’inspirant des principes du DSL et en

tentant de les appliquer à l’AEMO.

Depuis l’élaboration des lois de 1958 concernant la Protection de l’Enfance, les pratiques

ont su évoluer en fonction des logiques politiques qu’elles soient au niveau budgétaire que

dans la prise en charge d’une population dont les problématiques se complexifient. La loi

de 2002 a été un révélateur d’une volonté politique de promouvoir l’usager comme acteur

de son changement. Or, devenir acteur ne se décrète pas, notamment chez des usagers dont

la souffrance sociale (difficultés sur un plan psychologique et difficultés à trouver leur

place dans la société) inhibe souvent toute velléité participative. Bien sûr, des outils ont été

créés mais peu répondent à ce besoin de passer d’une invisibilité à une visibilité.

Pourtant le droit de l’enfant et des familles et notamment celui de l’autorité parentale a

incontestablement évolué dans le bon sens avec la volonté d’une part, d’un implication

parentale plus importante et d’autre part une volonté de limiter les risques potentiels de

dérives juridiques ou éducatives « dérive du narcissisme ou de l’autosuffisance par

négation du lien social »125

qui assimile toute forme d’intervention à un assujettissement à

la norme :

« Chaque acteur ou plus précisément l’acteur qui l’incarne, tend à s’autosuffire lui-même ;

il reste toujours le produit du narcissisme inscrit au cœur de l’individu ou de

l’organisation ; sa propre logique, comme celle des acteurs qui le promeuvent, se veut être

autonome par rapport à l’environnement social et n’avoir de compte à rendre qu’aux

instances d’évaluation que ces acteurs eux-mêmes ont prévues à cet effet. Ainsi, chacun

125

J.P. Boutinet, Anthropologie du projet, Paris, PUF, 1992, coll. Psychologie d’aujourd’hui.

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 106

prend le risque de s’enfermer dans son propre projet sans se soucier de l’instance

susceptible de valider, voire de fédérer les différentes initiatives en les ouvrant les unes

aux autres ». Devant la tentation fusionnelle, le risque est de voir s’exacerber les

particularismes institutionnels.

Mais nous avons pu le voir l’absence d’un référentiel commun, d’une ligne directrice à

toute forme d’intervention est un manque important dans la création d’une intervention qui

reconnaisse la place de chacun dans une organisation où encore de nos jours, et malgré une

réelle volonté de tous, un lien de subordination reste prégnant et entrave les marges

d’autonomie possible notamment des usagers.

Notre souhait dans cette partie est de proposer un autre modèle de fonctionnement, une

approche « souhaitable ». La finalité de ses préconisations reste pédagogique et ne propose

pas d’outils concret mais soumet une idée essentielle celle de passer d’une vision

capacitaire de l’usager vers une approche visant le développement de compétences parfois

implicites de l’enfant et sa familles. Il s’agit de lutter contre les causes du

dysfonctionnement et pas seulement circonscrire le dysfonctionnement. Pour cela, avec

l’appui des théories sur le développement social local, l’approche multiréférentielle, la

volonté de créer le débat que nous avons présenté au chapitre précédent, nous avons

hiérarchisé trois grandes priorités :

Une approche davantage basé sur les interactions à l’échelle du territoire,

Une volonté de participation et de débats démocratiques en proposant une plus grande

communication

Enfin l’élaboration d’un diagnostic partagé et d’une évaluation participative ou négociée

Nos préconisations ont été élaborées et réfléchies sous 3 angles d’approches :

Structurelle : l’organisation ou le système actuel doit avoir les moyens de

produire du changement

Fonctionnelle : elles doivent être faisables pour l’ensemble des acteurs

Temporelle : nos préconisations doivent ou peuvent faire l’objet de négociation

entre les parties

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 107

3.1) Redéfinir du sens dans un système sous contrainte

L’environnement en AEMO reste vaste. Il comprend toutes les relations existantes

entre chaque acteur, de l’usager avec les institutions scolaires, avec la police, avec le

travail, les relations entre les habitants du même territoire, le secteur associatif mais

également les représentations que le territoire renvoie au grand public. En effet, on ne peut

concevoir une même intervention sur le quartier de la Cayolle126

que sur le centre-ville de

Marseille car d’une part, le contexte géographique n’est pas le même mais également

l’investissement des acteurs locaux est bien différent notamment au niveau des élus locaux.

La population, à grande majorité issu de l’immigration, ne se comporte pas de la même

manière que celle de la Cayolle dont les habitants vivent et agissent comme s’il s’agissait

d’une enclave, l’accès au territoire restant strictement réservée. La grande difficulté de la

relation, c’est la place que prend le secret. Parler publiquement d’une situation de détresse

ou des dysfonctionnements familiaux restent soumis au regard de l’autre. Participer à des

manifestations au niveau local engage au-delà de la relation d’aide, l’individu à la

communauté et permet de restaurer une cohésion sociale. Il devient alors un temps

d’échange où le professionnel occupe une place à l’extérieur mais vit les interactions de

l’intérieur. Il semble ainsi important de mobiliser les ressources locales comme un liant.

Le sens d’un évènement, d’une situation, d’une relation ou toute élaboration de projet doit

se construire autour de 4 axes forts :

Une information, entre les divers acteurs, claire et compréhensible.

S’entendre sur un vocabulaire commun constitue une part importante de la

communication. L’information doit davantage circuler mais l’autre difficulté

est de traduire les émotions, un vécu du quotidien qu’il faut traduire en terme

accessible notamment pour des personnes extérieures. Par exemple le mot

« placement » n’a pas le même sens pour un enfant, ses parents, le

professionnel ou le magistrat.

Clarifier les représentations. En effet, pris dans l’urgence des situations, dans

la réponse immédiate, dans les contradictions qui jaillissent parfois dans le

cadre d’une intervention éducative, il semble nécessaire pour chaque acteur

de se représenter ce qu’ils font et de le faire partager aux autres.

126

Quartier sensible de Marseille situé à l’extrémité sud de la commune dans le 9ème

arrondissement

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 108

Respecter les valeurs de chacun. La diversité culturelle, les diverses

approches religieuses, morales ou humanistes divergentes, rendent souvent

difficile l’expression et la cohérence des valeurs des divers acteurs

notamment pour les travailleurs sociaux.

Une démarche de projet fondée sur un diagnostic partagé et une évaluation

participative ou négociée.

Restaurer le sens d’une action passe inévitablement par un processus qui favorise une

communication entre les divers acteurs pour une meilleure compréhension de la réalité de

chacun. La communication peut se baser sur le conflit afin de confronter les valeurs, les

finalités et la vision du changement que chacun conçoit de sa place.

3.2) Une communication basée sur le conflit

Pour de nombreux professionnels, la mesure judiciaire est instaurée lorsqu’il y a un

danger pourl’enfant et peut se présenter comme un conflit entre les volontés collectives

représentées par le magistrat et les volontés individuelles, les parents. Toutefois, il serait

réducteur de penser que le conflit se résume en une opposition entre individualisme et la

société.

Dans notre approche, le conflit doit être la source d’un débat contradictoire, une possibilité

laissée aux divers acteurs de s’inscrire dans une démarche collective par des temps de

débats qui visent essentiellement à ajuster les objectifs de chacun et de concourir à un

espace de réflexion commun. C’est également un outil de communication important qui

doit permettre l’échange des acteurs et proposer une forme de reconnaissance notamment

des parents et de l’enfant qui ont la possibilité de se faire entendre. En effet, un diagnostic

partagé passe inévitablement par une étape de confrontation pour faire coïncider dans une

démarche de projet, la commande sociale et la demande.

Cela suppose de savoir :

Qui l’on est, il s’agit d’être clair sur son positionnement dans l’organisation, sur

ses méthodes d’intervention, sa déontologie, ses valeurs…

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 109

Le dire soi-même, c’est adapter les vocabulaires à l’autre, c’est reconnaitre l’autre

dans ses potentialités, ses compétences et favoriser une parole sociale. Le dire soit

même, c’est également s’accorder le droit d’être auteur (de s’autoriser à)…

Dire ce que l’on veut, c'est-à-dire construire ensemble le sens de l’action, expliciter

sa finalité (qui n’est d’ailleurs par toujours très claire selon le même corps de

métier en fonction des référentiels du risque notamment…) et sa direction,

confronter les valeurs, se mettre d’accord sur des objectifs communs partagée par

tous.

Laisser le regard de l’autre en confrontant les représentations des uns et des autres.

Il est évident que ce processus doit pouvoir s’adapter à une triple dimension temporelle :

Celle des contraintes de chacun. Il existe un hiatus entre temps judiciaire et temps

des familles

Le temps pour construire un dispositif complexe qui favorise l’implication et la

participation de chacun en fonction de sa place, construire un diagnostic partagé

Celui nécessaire du changement et de l’évaluation participative et ou négociée.

3.3) L’approche multi référentielle : la fin du Case-work à la française

On ne peut défendre notre position sans faire référence au fondement de l’aide

psycho-sociale ou du case-work. En effet, les fondateurs américains du case-work

envisageaient l’homme dans une construction basée sur le regard de l’autre, sur la

confrontation dans la norme, de ses valeurs. De ce fait, le développement personnel et

social sont liés. Dans notre société française, nous avons induit un dualisme entre aide à la

personne et action collective notamment dans la manière dont est envisagée l’intervention

éducative. Nous n’avons pas la prétention de réinventer une nouvelle méthodologie mais

de la « toiletter » afin de la réarticuler à nos modes d’intervention dans un contexte social

et économique complexe. Dans la protection de l’enfance globalement et plus

particulièrement en AEMO, la présentation des situations familiales se basent

essentiellement sur l’individu occultant, voire niant, les interactions sociales qui peuvent

exister à l’échelle du territoire. L’organisation familiale est ainsi décortiquer sur une vision

et une approche psychologique qui souvent ne permet pas une compréhension des enjeux

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 110

sociaux qui existent au sein de la cellule familiale.Il est nécessaire d’ouvrir notre champ de

compréhension à d’autres références sociologiques, ethno-clinique, géographiques pour

une approche plus globale de l’individu dans le territoire. Une approche interculturelle

permet de mieux cerner les diveress stratégies identitaires et donner au travailleur social la

possibilité d’être un acteur traducteur pour les usagers et les institutions afin de faire

coulisser deux réalités, une extérieure et une intérieure, cette dernière peuplée de

fantasmes et de représentations.

Pour résumer, une intervention éducative doit prendre conscience et connaissance de :

La complexité des individus à la fois le besoin d’individuation et celui

d’appartenir à un groupe (souvent le groupe d’appartenance se situe au

niveau du quartier)

Cerner les clivages entre l’insertion sociale et le développement personnel

de l’individu

Procéder à une analyse macro-sociale

Construire des ateliers à thèmes qui concilient un aspect individuel et

collectif. A l’instar de forum hybride, il s’agit pour les usagers de se

confronter à une autre réalité et d’envisager de manière collective des

solutions individuelles. Il s’agit d’exposer ouvertement ses difficultés

qu’elles soient liées à un problème éducatif ou social et avec la

collaboration du groupe chercher des solutions qui relève de la faisabilité.

C’est avant tout devenir une force de proposition vis-à-vis des actions

éducatives qui seront proposées.

Nous devons nous questionner sur la place de l’usager dans l’intervention et l’équilibre

des caractères individuels et collectifs dans notre démarche. L’intervention éducative doit

utiliser une pédagogie collective qui réponde aux besoins individuels.

3.4) Une approche participative de la démarche de projet

Le pouvoir d’agir, la participation ne se décrète pas. Toutes formes de mobilisation,

d’implication, d’engagement, de responsabilités exigent une pédagogie. La pédagogie de

projet part du principe que c’est en agissant que l’usager se construit. La loi du 02 janvier

2002 et la loi du 05 mars 2007 précisent d’ailleurs, que la pratique de projet permet de faire

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 111

endosser à l’enfant et sa famille une place d’acteur. En référence à Jacques Ardoino « le

détail ordonné, la prévision de ce que l’on entend faire ultérieurement : le schéma, la mise

en forme logique de ce qui est anticipé. Les éléments communs sont indéniables et

rassurants. »127

L’auteur aborde ici, la construction d’un projet-visée, d’une finalité

commune ou chacun se reconnait dans l’élaboration car l’ensemble des acteurs sont dans

une approche pédagogique. Il défend également l’idée de valeurs communes nécessaire

pour impliquer tous les acteurs.

Il en va de même dans la construction d’un projet en AEMO où le changement est sollicité.

Toutefois, sans une conscientisation des dysfonctionnements et sans repérer les ressources

tant au niveau de l’individu que de son environnement, le changement reste un imaginaire

qui dépend souvent de la place qu’occupe l’acteur dans le système de la Protection de

l’Enfance sous mandat judiciaire. L’apport de la pédagogie de projet amène les usagers à

s’investir, à prendre des décisions, à travailler en équipe, à être force de proposition, ce qui

constitue, dans une logique de changement une approche intéressante. La pédagogie de

projet favorise la mutualisation des objectifs et de la démarche, parce qu’elle implique

l’ensemble des acteurs et développe une coopération négociée permettant à l’enfant et sa

famille d’endosser un nouveau statut, en agissant sur ses propres apprentissages. Cette

démarche de projet conduit les usagers à découvrir ou à faire émerger des compétences

implicites parfois insoupçonnées par l’usager lui-même. L’interaction avec l’organisation

collective, la mise en œuvre et la répartition des tâches leur permet de s’inscrire dans une

place d’acteur voire d’auteur. Par ailleurs, la nécessité de la planification que la démarche

de projet impose, les allers retours importants entre la théorie et la pratique (d’où la

nécessité d’une approche multi référentielles), entre l’action et la prise d’information, sont

autant de vecteurs d’apprentissages effectifs. Le préalable se situe dans la volonté des

acteurs sur le terrain, c’est la volonté de l’ensemble des intervenants d’agir dans un travail

ensemble pour une problématique donné à un moment donné. Il s’agit d’accepter pour

chacun de perdre une partie de la maitrise. L’élaboration d’un diagnostic partagé passe par

une autre étape, notamment pour les usagers, d’acquérir la capacité de prendre la parole et

de pouvoir être entendu… Il s’agit d’élever la capacité de pouvoir, dans une optique où il

s’agit davantage d’un devoir que d’un droit. Pour s’inscrire dans le principe d’Althusser,

faire remonter la demande pour lutter contre la domination des autres acteurs. A l’instar de

l’empowerment, la reconnaissance des citoyens d’exercer un pouvoir, c’est le processus de

127

J. Ardoino, Finalement, il n’y a jamais de pédagogie sans projet, Education permanente N°86 février 87.

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 112

mobilisation qui devient parallèlement un vecteur de lutte contre l’exclusion et l’isolement.

Deux des maux dont nous l’avons vu souffrent les acteurs.

Une évaluation participative ou négociée (voir schéma : annexe 8)

L’évaluation, nous apparait comme un exercice incontournable dans le secteur de la

Protection de l’enfance. Nous situons l’évaluation à la jonction de la connaissance et de

l’action. L’évaluation d’un projet, d’un programme ou d’une action marque la fin d’un

processus ou d’une procédure pour conclure sur les résultats obtenus et les éventuels

ajustements. L’évaluation en AEMO reste complexe car elle reflète souvent l’histoire

personnelle de l’évaluateur et du regard qu’il pose sur une situation selon la place qu’il

occupe. En effet, les temps de réunion (appelés Projet Socio-éducatif à la Sauvegarde13)

sont souvent plus l’objet de présentation succincte axée sur les petits détails de la vie

quotidienne, de récit de vie que sur des observations cliniques ou d’une approche socio-

culturelle voire macro-sociale.

Une de nos préconisations vise à construire une évaluation avec l’ensemble des acteurs. Il

s’agit de prendre en considération le regard, les attentes et les éventuelles demandes des

différents partenaires. C’est pourquoi, le modèle d’une évaluation participative ou négociée

est prôné. Il est évident qu’une telle démarche rencontre les réticences de chacun qui ne

doivent pas être sous-estimées. Les espaces symboliques comme les audiences ou les

plateformes associatives dans les quartiers peuvent constituer des lieux de discussion et de

négociation. Il s’agit d’inclure chaque acteur, magistrat, enfant et sa famille, travailleurs

sociaux, dans une démarche de projet, créer un comité de pilotage où bien évidemment,

l’usager est partie prenant et de tenter, par une approche commune et un vocabulaire

adapté, de répondre à un réel besoin de connaissance en vue d’une prise de décision. A cet

égard, chaque participant apporte une part active à la construction d’un sens commun.

Abordée de cette manière, nous faisons référence à une évaluation permettant aux diverses

parties de rétroagir, de réajuster les objectifs de leurs actes tout au long de l’intervention et

ne pas seulement se contenter, comme c’est le cas aujourd’hui, en fin de mesure de

solliciter l’avis des parents et de l’enfant concernant la poursuite ou non de l’intervention

éducative. Dans ce cadre d’intervention, l’évaluation en AEMO peut devenir un

formidable outil de changement et de connaissances. Toutefois, il reste important de

préciser que les diverses évaluations doivent s’effectuer dans le cadre d’un référentiel

commun (voir proposition de référentiel, annexe 10). En effet, si l’évaluation reste un outil

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 113

formidable d’aide à la décision, il est indispensable d’associer chacun pour une plus grande

légitimité ou une plus grande pertinence des nouveaux objectifs qui émergeront des

négociations, de ce fait, il s’agit de préciser les divers types d’évaluation128

:

Evaluation des besoins

Evaluation du processus

Evaluation des effets

Evaluation des impacts

Evaluation de la pertinence

Evaluation de la performance

Evaluation du risque…

L’apport de la multiréférentialité va alors soutenir l’idée d’une approche globale de la

situation. Les références théoriques et la méthode proposée sont bien sûr diverses et aucune

d’entre elles ne peut prétendre rendre compte de l’ensemble des facteurs intervenant dans

la situation familiale et sur le développement de l’enfant. Néanmoins, une approche

pluridisciplinaire a le mérite de nous proposer différents champs de vision. La psychologie

développementale intervient pour nous fournir des repères quant au développement social,

cognitif affectif et moteur de l’enfant.

Les théories transgénérationnelles nous éclairent sur les relations entre générations et les

modes de communication au sein d’une même famille. Elles peuvent expliquer les

processus reproductif ou les résiliences éventuelles.

La psychanalyse nous rappelle entre autres la complexité des situations et les paradoxes

que peuvent générer les comportements pulsionnels de violence et d’amour qui parfois

animent les relations enfants et parents.

Une approche sociologique, sociologie de l’exclusion ou de la déviance,

organisationnelle… nous apportent un éclairage sur les diverses interactions et

interrelations et la place qu’occupe l’enfant et sa famille dans les divers espaces. Elles

expliquent également leurs relations aux institutions.

L’interculturalité est une référence importante concernant l’inclusion sociale et les alibis

culturels qui entravent toute forme d’intégration ou d’insertion sociale.

128

Manuel de l’évaluation participative et négociée, p14 et p 29

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 114

La théorie de l’attachement, les concepts de dépendance et de contre-dépendance, pose la

nécessité de construire un lien d’attachement « sécure » pour assoir une dynamique de

développement optimal dans tous les registres.

Cette liste n’est bien évidemment pas exhaustive et d’autres références peuvent influer sur

l’évaluation que peuvent effectuer les divers partenaires sur une situation. La création d’un

référentiel comme support à l’évaluation collective est indispensable et passe par un

processus créatif et innovant.

En nous inspirant de ce qui est fait en Allemagne ou au Canada, nous avons tenté de créer

une base de travail à soumettre à d’autres praticiens, experts, parents, et divers partenaires

notamment magistrats et instituteurs (voir annexe 10).

L’évaluation participative ou négociée met en œuvre un processus évaluatif selon une

démarche de coopération entre des évaluateurs et des personnes concernées par

l’évaluation mais qui ne sont pas des évaluateurs professionnels. Nos objectifs sont

multiples, accroître les chances de réussite du processus, par soucis démocratique,

favoriser une participation citoyenne, avoir une meilleure connaissance des enjeux et enfin,

nous pensons qu’il n’existe pas une réalité unique mais une pluralité de point de vue qui est

essentielle à la construction d’un argument. Dans notre optique l’information n’est plus

descendante mais ascendante et doit élargir le champ de connaissance et de vision à des

acteurs qui ne sont pas tous jugés légitimes par l’ensemble des intervenants129

.

Ceci dit, nous sommes conscients des limites de cette démarche car elle tient à une volonté

commune de toute les parties, de juger légitime le regard de l’autre et de lutter contre des

pratiques encore tenaces dans la Protection de l’enfance sous mandat judiciaire, de

fonctionnements bureaucratiques et hiérarchisés. Toutefois, la conduite de ce projet nous

permet d’identifier les conditions à réunir pour une alliance de la recherche et de la

pratique au service à la fois du développement des connaissances et d’une co-construction

d’une nouvelle praxis. La finalisation d’une telle démarche est participative à double titre :

d’une part, elle intègre l’acteur visé par le changement dans le processus (par une prise de

parole et débat parfois contradictoire) et la création d’un référentiel adopté par l’ensemble

et qui constitue une méthode de travail à la fois engageante et mobilisatrice.

129

Nous apprenons suite à notre écrit, une expérience réalisée que nous avons retranscrit en annexe.

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 115

Conclusion Générale

La réalisation d’un mémoire est un long processus qui mobilise dans le temps de

nombreuses ressources théoriques, matérielles, humaines relevant du fantasme. C’est aussi,

un outil formidable d’apprentissage et de remise en question. Il nous fait prendre

conscience que les choses sont plus compliquées qu’elles ne paraissent. Sous leur surface

parfois lisse, des enjeux, des paradoxes voire des lignes de forces existent et complexifient

un système que nous pensions maitriser. Une analyse institutionnelle et la recherche-action

sont autant l’objet d’imaginaire et de représentations que le reflet du vécu. L’épreuve de

l’écrit et pire encore de la confrontation d’une idée à la réalité fut intense et surprenante.

C’est alors un cheminement fort intéressant. Il nous a conduits dans notre cas, d’une

observation personnelle que nous avons tenté de confronter à d’autres pour en vérifier

l’occurrence et de passer ainsi d’une idée à un fait. C’est dans cet état d’esprit que nous

avons souhaité réfléchir et présenter un mémoire autour d’une question de recherche visant

à comprendre : En quoi la mesure AEMO est-elle un vecteur d’inclusion sociale ou de

disqualification sociale ?

Une question est souvent l’objet d’une problématisation que nous avons orientée autour

des interactions et interrelations complexes entre les acteurs d’un système sous contrainte

judiciaire. Nous nous sommes attardés sur les jeux d’acteurs et l’incertitude que génèrent la

construction d’un projet d’intervention qui visent la nécessité d’un changement tout en

accordant une large part d’autonomie. Les dispositions légales qui régissent l’intervention

judiciaire et notamment les dernières grandes réformes, la loi du 02 janvier 2002 et la loi

du 05 mars 2007 réformant la Protection de l’Enfance ont centré l’intervention sur

l’usager, sur sa place d’acteur dans ce dispositif, en renforçant sa capacité d’agir et en

encadrant davantage les interventions. L’usager/ acteur/ partenaire/ bénéficiaire, quelque

soit son nom a désormais la possibilité d’être acteur de son changement. Or, une des

grandes faiblesses de ses deux lois, c’est de n’être pas parvenue à favoriser l’inclusion

sociale. La démarche et la volonté politique étaient louables et fondées tant sur une

évolution progressiste, une plus grande participation du public à l’intervention sociale que

sur un phénomène social où des notions de partenariat, d’inclusion, de débat public, sont

apparues visant à d’accorder à l’individu une multiplication de repères, afin que chacun

goûte au mirage de l’égalité.

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 116

Or, nous l’avons vu, devenir acteur ou acteur-partenaire ne se décrète pas. Pire encore, le

non recours au droit des usagers, la peur de la stigmatisation, le regard des institutions sur

des usagers titulaires d’une mesure et l’étiquetage qui en résultent souvent conduisent

l’enfant et sa famille vers une forme de disqualification sociale. On peut également parler

d’une « souffrance sociale » qui se construit par une accentuation des faiblesses

narcissiques (perte de confiance en soi) et une réelle difficulté à trouver sa place dans le

système en AEMO ou plus largement dans notre société. C’est la destruction du lien social

qui nous interroge.

Nous avons alors, mis en évidence que toute action associant l’usager n’est pas forcément

un partenariat car il dépend de ce que l’on entend par usager. En effet, cela dépend du

statut puisque le partenariat se base sur une égalité. C’est ce dernier point qui va invalider

notre hypothèse. Par ailleurs, la difficulté d’ordre technique et méthodologique n’est pas à

exclure. En effet, il est très difficile de mobiliser les usagers sur les questions relevant de

leur fonctionnement familial. Le changement requis par la commande sociale et plus

particulièrement les attendus du juge rendent délicats toute participation à court terme. Un

attendu trop prégnant est souvent vécu par les autres acteurs comme une surestimation de

la contrainte et un collage aux attendus peut devenir l’objet de dérive. Le passage de la

pratique individuelle vers du collectif va nous conduire à proposer une hypothèse, où l’on

sort de pratiques individualisées et personnalisées, pour privilégier dans le processus de

changement les ressources de l’organisation aux déterminismes individuels.

Les résultats de notre enquête va mettre en exergue, dans le cadre d’une mesure éducative

sous mandat judiciaire, une subordination des places qui nous a conduit à distinguer 3

types d’acteur dans le cadre d’intervention en milieu ouvert : le magistrat, l’acteur clé, le

travailleur social, l’acteur facilitateur, traducteur et l’usager qui occupe celle d’acteur

faible. Dire cela ne signifie pas pour autant qu’il est dépourvu de toute possibilité d’agir

mais il reste soumis à un pouvoir décisionnel qui fixe les attendus d’une commande

institutionnelle.

Ce que nous retenons, c’est les confrontations de monde. Le caractère égalitaire de la

culture moderne se confronte à la réalité des pratiques où les enjeux entre les acteurs,

enjeux financiers, une complexification des problématiques, des référentiels différents, un

imaginaire du changement limitent les marges de manœuvres qui peuvent encore exister.

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 117

Autrement dit et pour paraphraser Coluche : « nous sommes tous égaux mais certains le

sont plus que d’autres ». Nous nous situons dans une forme de contradiction démocratique

où les grands principes de la loi de 2002 - de l’usager au centre du dispositif, de

promouvoir l’usager comme un citoyen - se heurtent aux pratiques qui sont en cours et

pour lesquels il est difficile d’envisager un autre fonctionnement. Nous prenons pour

exemple, la sauvegarde13 qui vient de fêter les 50 ans du service AEMO. Une rencontre

est effectuée, les invités sont nombreux, juges des enfants nouveaux et anciens de plusieurs

cabinets, de nombreux professionnels de l’association et d’autres associations, des

formateurs de l’Institut Régional du Travail Social (IRTS), de L’Institut Méditerranéen de

Formation(IMF), des avocats… mais pour les 50 ans du service d’AEMO, pas d’usagers

présents…

Pour citer Ehrenberg, nous sommes en principe égaux et en pratique hiérarchisés en

fonction de principe non égalitaire que nous vivons dans une société stratifiée. Les

positions inaccessibles sont d’autant plus nombreuses que nous descendons dans la

hiérarchie sociale. . « C’est une illusion réaliste qui ne modifie en rien les fondements

hiérarchiques de notre société, un dilemme central de la condition démocratique, de notre

expérience subjective et ordinaire de la vie : la tension entre égalité de principe et

inégalité dans les faits. »130

Dans le cadre de nos résultats d’enquête, nous avons soulevé qu’une trop grande

régulation (contrôle) nuit à l’inclusion sociale et augmente la disqualification sociale et à

contrario, une forte inclusion sociale favorise une plus grande liberté et baisse la régulation

liée à la commande sociale.

Il résulte de nos analyses que le projet proposé aux familles, n’est souvent pas une réponse

à leur besoin réel et l’intervention judiciaire n’a pas toujours pu leur accorder cette

visibilité à laquelle les lois de 2002 et 2007 tendent. Les notions de projet, de

communication, de changement dominent notre culture normative. L’intervention sous

mandat judiciaire s’inscrit dans cette logique car sa visée est de réduire l’écart entre les

dysfonctionnements repérés et la norme. Mais, la disqualification de soi conduit l’individu

progressivement vers une forme d’exclusion que l’on peut envisager comme un

phénomène de notre temps131

dont les conséquences se traduisent par une perte de repère,

130

A. Ehrenberg, la fatigue d’être soi : dépression et société, Odile Jacob, 1998, Paris 131

Op cit

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 118

un isolement, un sentiment d’impuissance. Finalement, toute formulation de projet s’avère

délicate tant la personne disqualifiée communique mal et tant il manque d’appétence et de

motivation pour s’engager et se responsabiliser. Le projet revêt alors un caractère de

contrainte bien éloigné de ses origines existentialistes fondant celui-ci comme une

nécessité de la liberté. C’est le paradoxe de la notion d’aide132

que nous devons interroger

car le projet et les multiples documents d’engagement, en premier lieu, le DIPC sont

souvent des outils dénaturés pour faire accepter à la personne aidée des règles qu’elle est

contrainte d’accepter par nécessité.

C’est la question de la visibilité et de l’engagement qui découle de nos résultats. Nos

préconisations sont largement inspirées du Développement Social Local et adaptées au

fonctionnement d’une mesure d’Action Educative en Milieu Ouvert. Nous cherchons à

restaurer la place de chaque acteur dans la construction d’un projet commun. Notre quête

est de remettre du sens. Mais à quelles conditions et au prix de quelles contraintes ?

L’évolution des problèmes sociaux participe de poser le « travail ensemble » comme

nécessité. Toutefois, « agir ensemble » n’est pas un phénomène naturel, c’est un

« construit social 133

» dont la complexification des interactions pose le problème de son

existence. En nous référant aux théories du Développement Social Local et à la théorie de

la traduction, nous avons tenté de proposer des pistes dans le cadre d’une recherche-action

pour produire de la coopération et réfléchir aux mécanismes pour produire de l’implication

et de l’engagement. L’identité, les rôles, la place de l’environnement la notion d’espace

sont autant de facteurs que la notion de traduction prend en considération pour tenter de

proposer des points de convergence. L’éducateur « traducteur » doit se situer dans une

recomposition du message et favoriser la compréhension de chacun pour une meilleure

coopération des autres acteurs. Il est également responsable d’une qualité de l’écoute que

l’on peut qualifier « d’écoute sensible et multiréférentielle 134

». L’aspect multiréréfentiel

est un point important car il favorise une approche globale des situations. La controverse

est un facteur également indispensable car elle est l’étape intermédiaire à la construction

d’un travail ensemble vers une démarche de projet. C’est cette recherche des convergences

des énergies, ce besoin de trouver un accord entre les parties que nous avons proposé dans

une approche méthodologique plus tournée vers un diagnostic partagé et une évaluation

132

E. Vidalenc, Le défi du partenariat dans le travail social, L’harmattan, Le Travail du social, 2003, 183p 133

M. Crozier et E. Friedberg, L’acteur et le système, essai, seuil, Paris, 1992, p 15 134

R. Barbier, La recherche-action, éditions ECONOMICA, coll. Anthropos, Paris, 1996, p. 65-66

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 119

participative ou négociée. Il est évident que nous nous sommes fortement inspirés de la

démarche de démocratie directe et participative de Porto Allegre et des réflexions de

Freire. Toutefois, nous sommes conscients des limites de notre approche et si nous devions

mettre des précautions méthodologiques, il semble évident que les détenteurs du pouvoir

doivent être favorables à cette émancipation de l’usager sinon, cette tentative peut

rapidement se montrer subversive et exacerber les relations de pouvoir entre chaque acteur.

Ces préconisations sont bien sûr qu’une façon de traiter le problème du changement parmi

d’autres. Elle a, comme principal atout, de limiter les résistances au changement et de

reconnaitre l’ensemble des acteurs à une place.

Pour finir, nous citons, madame Millet, avocate pour enfants : « toute action éducative est

porteuse de changement positif lorsque chaque acteur est à sa place ».

Il est évident qu’intégrer le changement dans un contexte social ou dans un environnement

constitue une autre question qui pose une problématique sous un autre angle.

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d’étude du 18 octobre 2002 dans www.créai-Bourgogne.com

www.legifrance.gouv.fr, site officiel pour consulter les lois, les constitutions, les rapports

gouvernementaux etc.…

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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 124

Sigles

AED : Action Educative à Domicile

AEMO : Action Educative en Milieu Ouvert

ASE : Aide Sociale à l’Enfance

ASELL : Accompagnement Social Educatif Lié au Logement

CNAEMO : Carrefour National de L’Action Educative en Milieu Ouvert

DGAS : Direction Générale Adjointe à la Solidarité

DIPC : Document Individuel de Prise en Charge

IFAR : Intervention Formation Action Recherche

IRTS : Institut Régional du Travail Social

IMF / Institut Méditerranéen de Formation

PSE : Projet Social Educatif

MECS : Maison d’Enfant à Caractère Social

ODAS : Observatoire de l’Action Sociale Décentralisée

ONED : Observatoire National de l’Enfance en Danger

OPP : Ordonnance provisoire de Placement

TISF : Technicien de l’Intervention Sociale et Familiale

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Table des matières Avant-propos 1

Introduction générale 3

Première partie : l’avènement d’une nouvelle place de l’usager au centre du dispositif 8

Chapitre 1 Le cadre d’intervention 8

1.1) Présentation du terrain d’étude 9

1.2) L’aide sous contrainte, les constats 10

1.3) Le projet comme affirmation des libertés 14

1.4) Comment les professionnels de la Sauvegarde13 élaborent et conduisent le projet ? 15

1.5) Les caractéristiques des usagers 16

1.6) L’évolution de la relation usager/institution/association 17

1.7) « L’administration n’est plus là pour dominer mais pour servir » : la loi de 02 janvier

2002. 21

1.8) Une évolution politique : la loi du 05 mars 2007 25

Conclusion : Les lois de 2002 et 2007sont-elles un support à l’inclusion sociale ? 26

CHAPITRE 2 L’AEMO : De la liberté à la nécessité ou l’aide sous contrôle 28

2.1) Les Interactions Usagers, Institutions, Association 29

2.2) Le projet d’intervention : Programmer l’action en vue de produire le changement souhaité

35

2.3) La place des acteurs dans le partenariat - l’égalité de statut des partenaires 37

2.4) Le projet est-il un support à l’inclusion sociale ? 38

CHAPITRE 3 INSCRIPTION THEORIQUE ET HYPOTHESE 41

3.1) La régulation sociale : d’une logique de normalisation à l’inclusion sociale 41

3.2) La disqualification sociale 43

3.3) La contrainte de l’action collective et le processus bureaucratique 45

3.4) Le projet comme support des intérêts collectif 46

3.5) Hypothèse de travail 47

Partie II La méthodologie de l’enquête 48

CHAPITRE 1 Présentation de l’enquête 49

1.1) Présentation du public 49

1.1.2) Le panel des professionnels retenus 50

1.1.3) Le profil du panel retenu au niveau des Magistrats 51

1.2) Le choix de l’outil d’investigation 51

1.3) Les limites de l’investigation 57

1.4) Présentation de l’outil d’analyse 61

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1.5) Les Tableaux 62

Chapitre 2 Les résultats obtenus 62

2.1) La construction de projet : entre désir et méfiance 63

2.2) Les inquiétudes : Le poids des représentations 69

2.3) La participation des usagers-acteurs dans l’institution : une incompatibilité ? 76

PARTIE III le paradoxe des valeurs ou la confrontation des mondes 81

Chapitre 1 : retour sur l’hypothèse où le changement imaginaire ou l’imaginaire du

changement 81

1.1) L’inégalité des places de chacun des acteurs dans la construction du projet 82

1.2) Construire du sens dans un environnement paradoxal 90

1.4) Conclusion : un projet d’acteur mais pas de partenaire = hypothèse invalide 93

Chapitre 2 Un modèle à revisiter 94

2.1) Rappel des résultats de l’étude et perspectives 94

2.2) Le Développement Social Local 96

2.3) Conflit de proximité et coopération 100

2.4) La sociologie dit de l’individualisme méthodologique 102

2.5) La question des espaces en AEMO et de référentiels communs 103

Chapitre 3 Une nouvelle approche de la pratique professionnelle 105

3.1) Redéfinir du sens dans un système sous contrainte 107

3.2) Une communication basée sur le conflit 108

3.3) L’approche multi référentielle : la fin du Case-work à la française 109

3.4) Une approche participative de la démarche de projet 110

Conclusion Générale 115

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1

ANNEXES

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2

Table des matières Annexe 1 : Textes législatifs de références et rapports chronologiques de l’évolution des

conceptions de la protection de l’enfance 3

Annexe 2 : Projet de service de l’Association (Extrait) 5

Annexe 3 : Grille d’entretien pour les professionnels 7

Annexe 4 : Le guide d’entretien avec les familles 8

Annexe 5 Le guide d’entretien avec les magistrats 9

Annexe 6 : Retranscription de l’entretien avec Jean-Michel P. conseillé à la Cour d’Appel d’Aix. 10

Annexe 5 : Retranscription d’un entretien avec les usagers enfants et sa famille 14

Annexe 6 : Entretien d’un professionnel 17

Annexes 7 : Tableaux des dimensions et des indicateurs 19

Annexe 8 : Schémas pour réaliser un diagnostic partagé 23

Annexe 9 : Profil des familles interviewées 24

Annexe 10 : Un outil : référentiel de compétences 27

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3

Annexe 1 : Textes législatifs de références et rapports chronologiques de

l’évolution des conceptions de la protection de l’enfance.

C’est à la fin du 19ème

siècle que l’enfant n’est plus considéré comme un objet mais

comme un sujet de droit :

La notion de « droit de l’enfant » apparaît :

La loi du 24 juillet 1889 dite loi Roussel entend protéger les enfants maltraités

et moralement abandonnés,

La loi de 1898 prévoit l’aggravation des peines lorsque l’auteur du délit est un

ascendant ou le gardien de l’enfant.

Au 20ème

siècle, on reconnaît les droits de l’enfant. Il est alors considéré comme un

individu à part entière :

L’ordonnance du 23 décembre 1958relative à la protection de l’Enfance, le

juge des enfants peut prononcer une mesure d’assistance éducative en faveur

d’un mineur si « la santé, la sécurité ou la moralité sont en danger, ou si les

conditions d’éducation sont gravement compromises. » article 375 du code

civil.

Le décret du 7 janvier 1959 va faire une distinction entre une intervention

judiciaire où le danger est avéré et l’intervention administrative relevant de

l’ASE qui exerce une « action sociale préventive auprès des familles dont les

conditions d’existence risquent de mettre en danger la santé, la sécurité ou la

moralité de leur enfant »

En 1980, le rapport Bianco-Lamy souligne le poids du passé, l’accent est mis

davantage sur l’enfant et moins sur les familles

La loi du 10 juin 1989 relative à la protection des mineurs et à la prévention

des mauvais traitements est votée. Elle a pour effet de redéfinir et de soutenir

le travail des professionnels de l’enfance.

La déclaration des droits de l’enfant du 20 novembre 1989, la Convention

Internationale des Droits de l’Enfant, proclamée par l’Assemblée Générale de

l’Organisation des Nations Unies, énonce au travers de 54 articles les droits

fondamentaux de l’enfant.

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Le rapport Naves-Cathala en juin 2000 préconise une plus grande participation

des parents, il s’agit de redonner aux parents la parole, les éclairer sur leurs

droits et sur ceux de leurs enfants, prendre le temps d’une évaluation concertée.

Le rapport de Claude Roméo en 2001 consacre l’évolution des relations enfant-

parents-professionnels, en indiquant la mise en œuvre d’une politique plus

respectueuse des besoins des usagers.

En 2001, premier Plan National d’Action pour l’inclusion Social : il s’agit d’un

plan de lutte contre les exclusions.

La loi du 02 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale

consacre le principe de l’usager au centre du dispositif.

La loi du 02 janvier 2004 crée l’Observatoire National de l’Enfance en

Danger dont les missions visent à « mieux connaître l’enfance en danger pour

mieux prévenir et mieux prendre en charge ».

Loi du 31 mars 2006 relative à l’égalité des chances et à la lutte contre les

discriminations.

La loi du 5 mars 2007réforme la protection de l’enfance et confie

auxConseilsGénéraux la responsabilité d’assurer le recueil, le traitement et

l’évaluation des informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger.

Elle fait de la prévention un des axes majeurs du dispositif de protection de

l’enfance. Elle aménage le secret professionnel et instaure la primauté de la

protection administrative sur la protection judiciaire

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Annexe 2 : Projet de service de l’Association (Extrait)

PRESENTATION DU SERVICE A.E.M.O.

Le pôle de Protection de l’Enfance de SAUVEGARDE 13 comprend un service

d’Action Educative en Milieu Ouvert qui s’organise en deux grands territoires sur le

département des Bouches-du-Rhône :

Le Nord du département se regroupe en 5 antennesdont l’organisation

administrative se réalise à partir d’un espace de travail situé au 395 Route des

milles à Aix-en-Provence, concentrant la direction du secteur Nord du département

et un secrétariat. Ces antennes sont implantées sur les villes d’ Aix-en-Provence,

Arles-Tarascon, Salon, Martigues et Vitrolles concernant une vaste zone

géographique totalisant 80 communesrelevant de la compétence des tribunaux de

grande instance d’Aix-en-Provence et Tarascon...

Le Sud du département, concerne la ville de Marseille et ses 16 arrondissements

ainsi que le pays d’Aubagne et les communes environnantes (21) relevant de la

compétence du tribunal de grande instance de Marseille. Il regroupe 7 unités de

travail dont 5 dans les locaux du siège administratif, 1 en centre ville de Marseille

et une antenne sur Aubagne.

Le service d’A.E.M.O emploie 195 salariés, correspondant à 183.95 ETP.

Parmi les salariés, nous trouvons des éducateurs-spécialisés, des assistants

sociaux auxquels s’adjoignent puéricultrices, psychologues, pédopsychiatres, et

personnel administratif.

L’activité est assurée par ces professionnels répartis dans les unités de travail

implantées sur le département, chacune étant placée sous l’autorité d’un chef de

service. Les territoires d’AEMO sont dirigés par deux directeurs (Nord/Sud). Une

coordinatrice est chargée de veiller à la cohérence des interventions sur l’ensemble

du département.

Au service d’AEMO est rattachée la mission d’Accueil, Écoute, Information, Conseil

et Orientation, (A.E.I.C.O) mise en place au sein des tribunaux de Marseille et

D’Aix-en-Provence. L’activité d’A.E.I.C.O s’exerce aussi lors des permanences dans

les Maisons de la Justice et du Droit (MJD à Salon-de-Provence, Martigues,

Aubagne, Arles) et dans les Maisons du droit de Gardanne et Vitrolles.

MISSIONS :

L’action éducative en milieu ouvert sur décision judiciaire a pour mission générale

de garantir la protection et les droits de l’enfant en favorisant la pratique de la

parentalité dans le respect des droits des parents et des besoins de l’enfant.

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L’action éducative est tout à la fois une action individuelle et familiale. Elle vise à

resituer l’enfant à une place de sujet à part entière et à mettre fin à la situation qui

compromet sa sécurité ou son développement par le soutien apporté à sa famille.

OBJECTIFS :

La mesure éducative a pour objectif principal de réduire, voire de faire disparaître le

danger encouru par l’enfant tout en le maintenant dans son milieu naturel.

L’atteinte de cet objectif s’articule autour :

- de la mobilisation des parents - de la recherche de leur adhésion - de la promotion de leurs compétences - de l’accompagnement à l’exercice de la parentalité - de la co-construction d’un projet adapté aux besoins de l’enfant.

L’intervention éducative se déroule au moyen de :

- visites à domicile - entretiens et accueil des familles sur les lieux de permanence - liaisons avec les différents partenaires concernés par la situation de la

famille (Conseil Général, UDAF. Sécurité Sociale.) et de l’enfant (établissements scolaires,CMP, centres sociaux….)

- activités individuelles et collectives - accompagnement et orientation des familles vers les services de droit

commun. - orientation des adolescents vers des services d’insertion tels que les CIO, le

SIP (pour ce qui concerne Marseille et Aubagne).

CADRE REGLEMENTAIRE

La mesure d’assistance éducative est prononcée par le juge des enfants lorsque la

« santé, la moralité, la sécurité de l’enfant sont en danger, si les conditions

d’éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont

gravement compromises ».

Chaque fois que possible, le magistrat maintient l’enfant dans son milieu actuel de

vie, à partir duquel s’exerce la mesure.

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Annexe 3 :Grille d’entretien pour les professionnels

1) Parlez-moi de vos pratiques sous mandat judiciaire ?

Le rapport à l’usager ? (Question de relance)

Le rapport à l’institution ?

2) Que pouvez-vous dire de la pratique de projet dans votre institution ?

Projet d’association ? (Question de relance)

De Service ?

Avec les familles ?

C’est quoi pour vous un projet ? Quel lien avec votre intervention ?

3) Quelle place occupe les attendus du magistrat dans l’exercice de votre

intervention ?

4) Y a-t-il souvent des conflits? Avec qui ? comment procédez-vous alors ?

Relance avec le magistrat ?Avec les familles ?

5) Quels éléments vous semblent intervenir de façon déterminante dans la

construction de projet élaboré avec les familles ?

6) Question complémentaire dans le cas où la personne interrogée n’aborde pas la

notion :

Que pensez-vous de la notion de relation partenarialedans la construction d’un projet

d’intervention dans le cadre d’une AEMO ?

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Annexe 4 :Le guide d’entretien avec les familles

Question 1 : Pouvez-vous me parler de l’intervention éducative ?

Relances éventuelles : Comment les choses se sont passées ? Avec le juge ? Avec les

travailleurs sociaux ?

Votre avis, selon vous, a-t-il été entendu ?

Avez-vous vu des changements dans vos relations avec les autres institutions, l’école

par exemple ?

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Annexe 5 Le guide d’entretien avec les magistrats

Question 1 : Qu’est-ce qui détermine pour vous une mesure AEMO ?

Question 2 : Quelle place, selon vous, occupe le Juge des Enfants dans une mesure

AEMO ?

Relance : En cas de conflit avec la famille, comment procédez-vous ?

Dans le cas d’un désaccord avec les travailleurs sociaux, notamment si les objectifs

de travail sont différents des attendus?

Question 3 : Quels sont les moyens nécessaires, à votre avis, pour garantir une parfaite

collaboration de chacun des acteurs dans le cadre d’une mesure AEMO ?

Question 4 : Comment qualifiez-vous vos relations avec le travailleur social ? Avec les

usagers ?

Est-ce pour vous du partenariat ?

Question 5 :L’AEMO pour les enfants et leurs parents est-elle une nécessité ou une

aide qui doit être librement consentie ?

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Annexe 6 :Retranscription de l’entretien avec Jean-Michel P. conseiller à la Cour

d’Appel d’Aix.

« Nous apportons maintenant des détails sur le contenu de la mesure en donnant des

indications au service sur des actions à mener.Par exemple l’établissement d’un

travail thérapeutique pour un enfant, gérer la scolarité.Il y a souvent des précisions,

autrement dit si la loi n’apporte pas de précisions sur le contenu des mesures, le juge,

lui, en apporte beaucoup plus…

Beaucoup de textes pas spécifiques à l’AEMO, pendant la période 1958 – 2007, mais

qui ont eu des conséquences sur les modalités d’intervention.Il y en a 3, d’abord

toutes les lois qui concernent l’exercice de l’autorité parentale, on est passé de la

puissance paternelle qui a disparu en 1970 au principe de l’autorité parentale

conjointe quelque soit le lien juridique qui existe entre les parents et leur enfant,

jusqu’à la loi du 04 mars 2002 qui pose celle du principe de l’autorité parentale

conjointe.

En même temps, on a assisté de manière contradictoire je dirais… (Il met son doigt

sur la bouche), enfin pas tellement, mais plutôt à une évolution importante sur le plan

sociologique de la formation et surtout de la dislocation des familles et aujourd’hui on

a de plus en plus de familles recomposées avec des croisements parfois inextricables

concernant l’exercice de l’autorité parentale. Je pense que ce contexte-là est un

contexte complexe pour les services d’AEMO puisqu’il oblige l’intervenant éducatif à

prendre en compte les droits de l’autorité parentale pour peu qu’il y ait des parents

qui le plus souvent sont séparés et qui ont la responsabilité d’enfants issus d’autorité

parentale différente qui se trouvent dans la même famille. Je pense que cela introduit

une complexité énorme dans le travail des services AEMO. Cela oblige les éducateurs

à acquérir des compétences juridiques et à se questionner dès le départ, d’avoir une

vision claire de la nature et des décisions juridiques qui ont été prises. Pour être clair,

aujourd’hui dans les dossiers, il y a de plus en plus de jugement du JAF.

La loi du 02 janvier 2002 place l’usager au centre des dispositifs d’action sociale et

médico-sociale et leur accorde un certain nombre de droits dans leurs rapports aux

services sociaux et médico-sociaux comme le respect à la dignité, à la vie privée, de la

sécurité, dans les questions concernant les enfants, le droit de participer pour les

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parents et pour leur enfant à l’élaboration et à la conception et à la mise en œuvre des

projets et des actions qui les concernent sous réserve que les parents aient reconnu

l’autorité judiciaire… Le principe est celui-là : il y a obligation d’associer les parents

et les enfants à l’élaboration des projets qui les concernent, le droit à

l’individualisation et à la qualité de la prise en charge dans l’accompagnement dans

le but de favoriser le développement et l’autonomie et l’insertion des personnes. (Il

tousse et reprend sur un ton professoral…).

Dans les services d’AEMO, cette loi a eu beaucoup de conséquences qui n’ont

d’ailleurs pas fini, selon moi, de produire leurs effets qui se sont traduits notamment

par les conditions et la production de documents pour déterminer comment on pouvait

faire respecter les droits des parents. On a ainsi élaboré un livret d’accueil, la charte

des droits et libertés des personnes accueillies, les modalités de participation au

fonctionnement des établissements, comment favoriser l’expression des usagers par

des groupes de travail éventuellement par des questionnaires de satisfaction envoyés

aux parents…et enfin les documents individuel de Prise en Charge… Cette loi pèse

fortement sur l’organisation et le service du milieu ouvert et elle a entraîné des

bouleversements dans les rapports avec les parents dont les droits ont été réaffirmés.

Je pense que c’est un texte important qui a eu des impacts dans la pratique

professionnelle des services AEMO et pas seulement. La procédure de la réforme

d’assistance éducative instaurée par le décret de 14 mars 2002 qui est le résultat de la

commission des chambres.

Le respect du principe du contradictoire permet l’accès au dossier et la connaissance

des rapports versés aux dossiers plus la possibilité pour les mineurs d’accéder aux

avocats. Nous rencontrons d’ailleurs de nos jours de plus en plus d’audiences qui se

déroulent en présence d’avocat pour enfant. Cette question de la communication des

rapports est une question qui s’est posée depuis longtemps mais la réforme a obligé à

réinterroger cette pratique et notamment améliorer la qualité des écrits afin qu’ils

soient compréhensibles car par le passé, ils étaient un peu hermétiques et ne

semblaient être écrits que pour les professionnels, ce qui était d’ailleurs le cas

puisque c’était le juge des enfants qui lisait le rapport. Là, le rapport est aussi destiné

à la famille, il doit être lisible. Il y a d’autres conséquences ; les rapports doivent être

déposés dans les délais qui sont souvent difficiles à faire respecter aux travailleurs

sociaux, mais à partir du moment où on affirme le principe du contradictoire les

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rapports doivent être versé au dossier avant l’audience car ils peuvent être consultés

avant les audiences.Ceci a eu des conséquences également sur le raccourcissement

des mesures, les rapports devant être rendus plus tôt, les échéances ont été

raccourcies. Ces textes ont introduit une évolution sensible des pratiques

professionnelles en imposant aux services AEMO des contraintes fortes pour respecter

certaines procédures puisque ce sont les droits des familles et des enfants d’ailleurs

qui ont été renforcés tout au long de ses dernières années. Mais en même temps, ce

qui est un peu paradoxal, c’est que la mesure AEMO est une mesure souple, adaptable

aux différentes situations, aux différents besoins des familles, elle reste une espèce de

mesure à tout faire. Cette souplesse est un atout parce que, très souvent, au début de

la mesure, on ne sait pas bien, même s’il y a eu une mesure d’investigation au

préalable, le juge n’est pas toujours en capacité de pouvoir déterminer de façon

certaine quel est l’objectif à atteindre et les modalités pour atteindre cet objectif…

Donc c’est important de pouvoir conserver une certaine latitude et une certaine

souplesse.Mais c’est aussi un risque parce que, finalement, au début de l’intervention

personne ne sait comment elle va se développer, le juge est incapable de dire si la

mesure AEMO va commencer dans 8 jours, dans 12 jours, dans 3 semaines ou dans un

mois. Il ne peut pas dire si ce sera un éducateur ou une éducatrice et les fréquences

des rencontres, ces questions-là, concernant les modalités de l’intervention, la famille

a le droit de connaître la mise en œuvre de la mesure prise à son profit.

Je pense que les évolutions de la loi de 2007 posent la question de l’efficacité de la

mesure AEMO, en concurrence avec de nouveaux dispositifs, placement à domicile,

SAPMN…par rapport à une mesure AEMO trop générique au moment où elle est

prononcée. Il semble que l’AEMO gagnerait à continuer à poursuivre un travail

d’adaptation et d’innovation pour être toujours plus efficace et opérationnel dans les

prestations qu’elle peut fournir aux familles et des personnes en difficultés.

En particulier, je pense qu’il y a des points qui posent question : c’est l’élargissement

des possibilités d’intervention des services, nous avons vu qu’il existe des mesures

d’AEMO renforcée, des mesures de travailleuses familiales … Ce n’est pas dans tous

les services, il n’y a pas besoin, je dirais, d’améliorer le contenu des prestations

offertes pour d’adapter à la diversité des situations familiales de façon à ce qu’elles

soient connues au départ. Et puis, il y a un grand enjeu, c’est la nécessité pour les

services d’AEMO d’être capable d’intervenir en coopération avec les autres services

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sociaux. C’est un sujet complexe car dès lors qu’une AEMO est ordonnée, il s’agit

d’une mesure unique, les services sociaux du Conseil Général se retirent ou sont plus

hésitants à mettre en œuvre des prestations complémentaires comme des TISF…

Alors qu’une intervention dans une famille pour être efficace a besoin de concerner

l’enfant et sa famille dans son milieu familial et elle doit aussi intégrer une dimension

matérielle de soutien à la famille pour qu’elle puisse bien évoluer ; je dirai, l’absence

de précision sur le contenu légal d’une mesure AEMO, c’est une chance et aussi un

risque pour utiliser cette dualité pour pouvoir aller dans une plus forte adaptation et

innovation. »

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Annexe 5 :Retranscription d’un entretien avec les usagers enfants et sa famille

Madame RAV et Monsieur Bill et Dean

Madame RAV :« Parler de la mesure AEMO, 4 ans après… »

Monsieur Bill : « Non Flo, c’est 3 ans… »

Madame RAV : Oui… tu en es sûr ? De toute façon, mon dossier est un véritable roman

parsemé de fausses dates y compris de l’énonciation de personnes qui sont intervenues, même

mieux, il est établi un rapport détaillé d’un certain E. B. qui est infirmier au CMP, que nous

n’avons jamais rencontré. Mes ennuis ont démarré avec un interne du centre

pédopsychiatrique de Ste M. qui n’ayant que très peu suivi mon fils signale une situation de

danger. Je suis à l’époque chef d’entreprise, mon mari capitaine naviguant et un interne

signale une situation de danger. En 15 jours, mon fils est hospitalisé, placé, et je deviens du

jour au lendemain une femme, une mère que l’Etat pointe comme délinquante avec par-dessus

le marché un juge des enfants qui vous condamne à une mesure éducative... »

Monsieur Bill : tu exagères Flo, la mesure n’est que le résultat d’une longue descente aux

enfers qui… »

Madame RAV : « Monsieur, l’espace d’un instant, vous qui êtes papa, vous pouvez me

comprendre ce que le système m’a fait subir. J’ai perdu mon fils, ma place de mère et mon

travail. J’ai été dépossédée de tout ce qui avait une importance… A aucun moment, on ne m’a

accordé une place ou même informée, j’ai été immédiatement étiquetée et rejetée. Ma rupture

barbare avec mon fils que je ne pouvais voir qu’en présence d’un professionnel. C’est une

honte de considérer les parents de la sorte. Mon fils a perdu 10 kilos pendant cette période. La

directrice d’école, une amie d’enfance, c’est son regard qui m’a fait le plus mal. J’ai

rapidement perdu toute forme de confiance en moi, je me suis laissée aller et, sans l’appui de

ma famille et de la kyrielle d’avocats qui nous ont épaulés,Dieu seul sait où Dean serait

aujourd’hui.

Monsieur Bill : « ne jette pas tout, la mesure a pu nous faire prendre conscience de nos

dysfonctionnements parentaux. A cette époque, nous avons favorisé nos carrières respectives.

Dean devait suivre… »

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Madame RAV : « Stop, P. A. tu n’étais pas là tu naviguais je ne sais où et j’ai, du moins au

début, géré seule le système.Lorsque le juge a prononcé la mesure AEMO, dès lors tout a

basculé, nous avons compris que nous n’avions plus les mêmes droits qu’avant. On s’est

sentis rejetés et on a eu le sentiment d’être trompés,... informations, dignité, j’ai été salie. Plus

je faisais confiance au corps médical, au corps enseignant, à la magistrature, sans parler des

équipes d’assistantes sociales et plus j’avais l’impression d’être un maillon faible d’un

système qui a brisé ma famille, mon mari, mon fils, ma vie… On pouvait venir chez moi,

vérifier les conditions de vie…C’est vrai que ma maison pue la misère, monsieur, (Elle

montre la piscine de la résidence), nous sommes des privilégiés, je me questionne parfois sur

ceux qui n’ont rien, je me suis senti exclue et sans solution et je fais partie des nantis, alors

eux…

Enfin, l’argent, les amis bien placés et mes connaissances notamment en matières juridiques

m’ont aidée à reprendre ma vie en main. C’est vrai que l’accès à mon dossier m’a permis de

prendre du recul sur ce qui s’est passé et j’ai, de ce fait, mieux accepté l’intervention

éducative… J’ai pu enfin comprendre et me positionner. »

Dean : « J’ai pas compris ce qui s’est passé… le 24 décembre, ma mère est hospitalisée, le 28

décembre, une assistante sociale vient chez mes grands-parents et je me retrouve hospitalisé à

mon tour sans pouvoir rencontrer un membre de ma famille. J’avais 13 ans… J’ai eu honte de

moi… »

Madame RAV : « Monsieur, la procédure est longue, mais je tiens à ce que les personnes qui

sont à l’origine de mon supplice reconnaissent leurs erreurs tant sur le plan médical mais de

toute la machine administrative et judiciaire. Je le répète, heureusement que j’ai été

accompagnée par ma famille et mes amis et que mes ressources financières m’ont garanti

l’aide d’avocats… Monsieur, la loi de 2007 qui stipule accorder une place au parent est une

mauvaise loi. »

Monsieur Bill : « Ma femme a raison, le projet de l’enfant, pour notre cas c’était le projet du

juge. Nous nous sommes conformés à la commande pour en finir le plus rapidement possible.

L’éducateur qui a exercé la mesure a été un réel réconfort, nous avons pu avec lui échanger et

il a pris le temps de nous connaître sans nous juger. Vous savez, je suis Allemand, et nous

nous sommes demandés souvent si nous ne devions pas partir dans mon pays. Mais la vie de

Dean est ici au milieu de sa famille et de ses amis. Cette période est désormais derrière

nous… »

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Madame RAV : « Après la procédure, j’ai envie d’écrire un livre qui relatera nos diverses

confrontations avec le système ».

Monsieur Bill : « la protection de l’Enfance en France, c’est comme la banque, c’est toujours

l’institution qui gagne… »

Le couple, à ce jour, a déposé plainte contre l’Aide Sociale à l’Enfance. La procédure est en

cours.

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Annexe 6 :Entretien d’un professionnel

Ludiwine, 20 ans d’expérience dont 10 en AEMO :

J’interviens sous le cadre de l’article 375, c’est-à-dire l’enfant est en danger. La

mesure que nous avons les acteurs en commun nous oblige à répondre à la commande

du magistrat, et de partir également de la compréhension de la famille de la situation.

Je recherche alors à construire un projet qui réponde à la fois à la commande formulée

par les magistrats, de partir de la réalité familiale, sa prise de conscience ou pas, son

envie d’être aidé ou pas sans oublier mes obligations contractuelles avec ma structure.

En fonction de la problématique, je mets en place des ateliers, des actions, j’actionne

mon réseau et je récolte des informations que je concentre et que je coordonne. J’ai

une vision globale et au travers ce puzzle d’informations, mon rôle est de trouver les

clés pour que chaque acteur puisse agir de sa place dans le sens commun et la

résolution du problème d’origine. La famille donne le ton de l’intervention, c’est elle

qui détermine si l’intervention se passera bien ou pas en fonction de la manière dont il

appréhende l’intervention éducative.

Chaque famille a sa propre réaction à l’intervention éducative, par expérience j’ai

l’impression que la mesure est acceptée en fonction de la culture, du niveau

intellectuel, du territoire…

C’est vraiment aléatoire, cela dépend d’où vient l’information préoccupante…

Les familles souvent sont soumises à leurs représentations, ce qui est redondons c’est

la « peur de perdre leur enfant ». Cette manière de considérer l’intervention judiciaire

revient systématiquement. Cette représentation agit bien sûr, il élabore des stratégies,

se censure, les familles sont souvent très méfiantes. Il est alors important de construire

une relation de proximité qui les rassure et dans laquelle ils peuvent alors sans crainte

s’exposer. Je rappelle que nous ne ferons rien sans eux que dans la procédure, la

famille aura toujours son mot et sa place à prendre. Que la famille et l’AEMO ne

soient pas d’accord, c’est le juge qui décide. Je les informe sur leurs droits et les

devoirs que j’ai vis-à-vis d’eux. Je rappelle que c’est l’investissement dans les actions

qui va lors de l’évaluation nous fournir des informations sur l’efficience de la mesure.

Franck FERRARI : Avez-vous déjà été en conflit avec un magistrat ?

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En désaccord oui, mais en conflit non ! Je distingue les deux car pour moi, ce n’est pas

la même définition un conflit ou un désaccord. Dans le mot conflit, j’y perçoisdes

émotions alors qu’être en désaccord, c’est évaluer une situation d’une manière

différente et l’on perçoit le changement d’une situation en fonction de sa place.

De toute façon, c’est le juge qui détient la décision final. La mesure AEMO, c’est une

famille, un travailleur social et c’est le juge qui décide à la fin. J’essaie toujours

d’avoir une marge de liberté, une autonomie pour mettre en place mon projet…

Ce qui intervient de façon déterminante dans l’élaboration d’un projet, c’est la

confiance, la transparence, la rencontre d’un qui et d’un quoi. Effectivement, c’est

d’abord une rencontre entre un ou plusieurs individus et l’investissement et l’intérêt

que chacun met à la résolution du problème, à favoriser le changement. Il faut que la

famille nous donne un minimum qu’elle nous livre une part de son intime, de sa

sphère privée. Il est alors important de ne pas les juger, de ne pas les positionner en

ignorant. Le respect reste une valeur importante car la manière dont on s’adresse aux

autres va induire le comportement de l’autre. Mais plus que le respect, c’est la

bienveillance qui domine comme un préalable. Je n’hésite pas à instaurer un débat, de

lancer des idées et d’observer comment la famille perçoit l’information car notre

posture va interagir sur l’autre.

Les familles ne sont pas des partenaires car elles sont sous une AEMO judiciaire, en

AED, les diverses parties peuvent à n’importe quelle moment dénoncer les termes du

contrat. Par ailleurs, j’associe le partenaire à un professionnel. Pour les familles, ce

n’est pas un travail, elles ne sont pas rémunérées, il ya, à cet égard, une dimension que

nous ne maîtrisons pas, c’est l’affect. Nous nous gérons notre affect, on peut être en

réaction mais on a les outils pour se distancier, eux non, c’est leur vie qui est en jeu.

Nous ne sommes pas au même niveau et à la même place. Nos attentes ne sont pas les

mêmes. Les familles sont …dans la soumission à la mesure éducative… les termes

sont peut-être trop forts… elles subissent car qu’elles décident ou pas elles doivent

changer car elles ont une épée de Damoclès, d’être stigmatisées, de perdre leur enfant,

d’être reconnues.

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Annexes 7 :Tableaux des dimensions et des indicateurs

Pour la dimension participation :

Ladimension participative

Informations connues

ou zone d’incertitude

Négociation = la place du

débat contradictoire

La prise de

responsabilité

Usagers

Inclusion +

Inclusion -

« Mes connaissances et

mon expérience ont

contribué à faire ma

place dans

l’organisation »

« La mesure judiciaire

m’a isolé, et je me suis

senti impuissant »

« A plusieurs reprises, j’ai

indiqué aux audiences que

je voulais récupérer mes

enfants mais le juge a

toujours suivi

l’éducatrice… »

Je n’ai jamais compris

pourquoi on me demandait

mon avis puisqu’on ne l’a

jamais suivi… »

« L’éducateur nous a mis

en confiance et nous

avons collaboré »

« Je me suis sentie

pointée et j’ai perdu

confiance en moi au

point que le moindre

geste du quotidien j’avais

besoin de l’avis de

l’éducateur »

Travailleur

social

« Je recherche les

potentialités et je mets

dans le temps un projet

où chacun perçoit son

intérêt »

Les attendus du juge

fixent le cadre

d’intervention

« J’ai toujours l’impression

que l’on peut faire plus mais

le temps et le nombre de

mesures ne nous permettent

pas un travail en

profondeur »

« Je base mon travail avec

les familles sur les

attendus »

« A quoi sert un DIPC si

l’usager ne le signe pas »

Juges « Je base mes attendus

sur les rapports des

travailleur sociaux. »

« Mon seul souci est la

réduction de l’écart ou

l’arrêt de la situation de

danger ».

« Je ne juge qu’en

fonction du danger.

L’amélioration des

conditions de vie c’est du

plus ».

Résumé d’analyse : Plus l’inclusion sociale des usagers est établie, plus il participe à

l’intervention éducative. Le recours à leurs droits sociaux se fait quasi automatiquement.

Plus la régulation, le contrôle s’exerce, plusl’intervention se base sur les attendus, il en résulte

une faible participation des acteurs qui limitent leur intervention en fonction de la norme.

Dans ce cas, l’attendu prend un aspect contraignant qui limite toute forme de négociation et

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d’engagement. Il peut conduire à une augmentation de l’incertitude générant isolement,

sentiment d’incertitude, notamment pour les usagers et les professionnels. Dans ce contexte,

les responsabilités individuelles sont exacerbées et conduisent les acteurs à favoriser leurs

intérêts particuliers et ne créé ni un partenariat car les acteurs ne sont pas reconnus, ni un

collectif d’acteurs. Le projet devient alors un programme qui répond, par diverses actions, à

répondre à la commande sociale.

Pour la dimension partenariat :

La dimension partenariale

Reconnaissance des

acteurs

Le partage des décisions Délégation

Usagers « Nous nous sommes

conformés aux

obligations »

« on me demandait de

récupérer mes enfants

sans prendre en

considération que je

n’avais ni électricité ni

les moyens de leurs

donner à manger »

« Monsieur, l’espace d’un

instant, vous qui êtes papa

pouvez comprendre ce que le

système m’a fait subir, j’ai

perdu mon fils, ma place de

mère et mon travail… J’ai été

dépossédé de tout ce qui avait

une importance… A aucun

moment on ne m’a accordé une

place ou même informée, j’ai

été immédiatement été

étiquetée et rejetée(…) »

« j’ai eu l’impression

d’être infantilisé pendant

le temps de

l’intervention »

« Nous avons construit

une relation de confiance

avec l’éducateur(…)

nous avons chacun

trouvé nosplaces »

Travailleur

social

« Nous sommes des

exécutants d’une

commande sociale »

« On a pas le temps

d’aborder les causes

profondes des

dysfonctionnements »

« L’efficience d’une

intervention dépend souvent de

la volonté des familles à

s’investir »

« La famille donne le ton de

l’intervention, c’est elle qui

détermine si l’intervention se

passera bien »

« La justice ne peut pas

palier à toute les

carences et mettre les

familles sous tutelle

sociale »

« l’attendu doit favoriser

un mieux-être, un

changement possible »

Juges « il n’y a pas de

contrainte, l’usager peut

accepter ou refuser

l’intervention »

« seul m’importe le droit

et la fin du danger, si la

mesure a un impactsur

leur quotidien, c’est un

plus »

« Je pense que les évolutions

de la loi de 2007, elle pose la

question de l’efficacité de la

mesure AEMO, en concurrence

avec de nouveau dispositifs,

placement à domicile,

SAPMN »

« Nous fixons nos attendus sur

les rapports et lesnotes que

nous fournissent les

éducateurs »

« Je dirai, l’absence de

précision sur le contenu

légal d’une mesure

AEMO, c’est une chance

et aussi un risque pour

utiliser cette dualité pour

pouvoir aller dans une

plus forte adaptation et

innovation »

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Il semble que ce qui fait obstacle dans la construction d’un partenariat vient essentiellement

d’acteurs qui sont très engagés dans leurs projets et reconnaissent eux-mêmes avoir le « nez

dans le guidon ». Les injonctions au travail coopératif sont nombreuses et pressantes. Les

stratégies de frein sont plus déterminantes surtout s’il s’agit de mettre en place un partenariat

qui nécessite la création d’un collectif d’acteur, à savoir un collectif de compétences.Les

logiques stratégiques sont souvent guidées par des enjeux de pouvoir qui dominent les choix

des acteurs. La recherche de partenariat se heurte à des logiques de fermeture plus ou moins

explicite : refus ouvert de collaboration, pas de délégation et des marges de décision limitées.

Chaque acteur s’enferme dans une reproduction à l’identique de pratiques et refuses de laisser

des marges de pouvoir à l’autre. L’isolement et le sentiment d’impuissance dominent

notamment chez les usagers et les professionnels. La logique de rentabilité économique est

sans doute le plus pernicieux obstacle au partenariat. Globalement, le temps d’intervention

sociale est largement un temps contraint.

Pour la dimension représentations :

Les représentations

Représentations de

soi

Représentations des autres

acteurs

Représentations

Sociales

Usagers « l’AEMO, c’est une

aide qui peut s’avérer

dangereuse».

« je me suis sentie

dévalorisée et

humiliée notamment

lors des visites à mon

domicile ».

« J’ai d’abord pensé que

l’éducateur venait m’enlever

mes enfants ».

« L’AEMO c’est le juge, c’est

la loi, j’ai été jugé mauvais

parent ».

« je suis à l’image de

mon quartier ».

« L’école me demandait

pourquoi je mettais mon

fils le vendredi… c’est

parce que c’est le jour

du poisson »(maman

musulmane).

Travailleur

social

« Nous sommes bien

souvent seuls dans

l’analyse des

difficultés et j’avoue

que je me raccroche à

des valeurs

personnelles faute de

références

collectives ».

« Il semble nécessaire

de bien se comprendre

soi-même dans sa

relation à l’autre »

« Le projet, c’est le compromis

entre le cadre d’intervention,

ce qu’on comprend des attentes

du magistrat, des difficultés de

la famille notamment si elle est

très carencée et de ce qu’on est

capable de faire. »

« Chacun fait comme il peut, en

fonction de son vécu et de son

style, on ne m’a jamais dit

comment faire avec les

familles, j’ai appris sur le

terrain à les respecter et à me

faire respecter»

« La réalité des familles

nous renvoie parfois

l’infaisabilité des

attendus ».

« On doit prendre en

considération la réalité

sociale des usagers pour

mieuxcomprendre la

complexité de

l’intervention et en saisir

leslimites ».

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Juges « avoir des valeurs

n’empêche pas des

attitudes de contrôle

social ».

« le contrôle ne

circonscrit pas toutes

formes d’aide ».

« de nombreux parents ont

perdu certains repères,

certaines valeurs et se

retrouvent dans des situations

compliquées et conflictuelles ».

« Ils sont carencés et dépassés

par l’éducation de leurs

enfants ».

« Précarité sociale et

matérielle, majorité de

familles qui habitent

dans le même quartier

souffrent des mêmes

difficultés ».

La réalité du rapport au projet d’intervention oscille entre désir et méfiance. Le public

soutient un certain nombre de raisons objectives et de raisons personnelles pour justifier de

cette ambivalence. Il y a d’abord la complexité du dispositif et les représentations afférentes,

« vous allez enlever mes enfants »et le changement que le projet désigne comme obligatoire.

Nous avons également soulevé la peur du regard porté sur soi, voire de la stigmatisation,

compte tenu des représentations négatives attachées à la mesure judiciaire de type AEMO. Le

public appréhende également les contreparties, la perte de leur identité, concernant les parents

la perte de leur autorité…

Concernant les professionnels, le mandat est présenté comme un repère précis, ne portant pas

à débat, c’est-à-dire comme élément indiscutable parce qu’objectif. C’est au travers des

attendus que le mandat prend corps. C’est alors le spectre du positionnement professionnel

qui resurgit allant de l’intervenant pour qui trop d’attendus lui retirent ses marges de liberté

aux reproches pour des attendus pas assez précis. Cette double approche reflète la diversité

des juges et leur rapport à la profession. La valeur respect émerge comme la première

revendiquée. L’isolement et une très grande responsabilité individuelle sont également la

source d’un certain épuisement des professionnels.

Concernant les juges, nous pouvons nous rendre compte que la notion de danger est à

géométrie variable d’un juge à l’autre, l’appréciation est différente. Nous pouvons penser que

le quartier ou le territoire joue un impact important dans la prise de décision des magistrats

qui a tendance à identifier les familles à leur environnement. Au travers des résultats obtenus,

nous pensons qu’il y a corrélation entre la dynamique d’un territoire donné et du nombre de

jugements et d’ordonnances.

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Annexe 8 :Schémas pour réaliser un diagnostic partagé

Repérage

Construction d’une problématique qui intègre la

dimension sociale, culturelle, économique et les

institutions

Confrontation des valeurs de chaque acteur

Quelles sont les conditions favorables ?

Quelles sont les freins ?

Construction d’un espace de sens

Repérages des différents acteurs

Indentification des enjeux :

Quelles sont les motivations des

acteurs ?

Information de leur droit

Quel est le niveau d’implication ?

Quelles sont les partenaires en

présence, secteur associatif, les

institutions les familles…

Repérage de la demande, est-

elle en lien avec les conditions

d’existence ?

Quelles sont les potentialités

repérées, les compétences à

développer.

Identification de la

Commande :

Le magistrat formule ses

attendus qui vise à limiter

les écarts entre les

dysfonctionnements

repérés et la norme

Repérage sur le territoire :

Les personnes ressources

La géographie du secteur

Définir les enjeux du

territoire, aspiration et

valeurs du territoire.

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Annexe 9 : Profil des familles interviewées

Les familles interviewées : Monsieur Bill et Madame RAV et leur fils Dean (8ème

)

Madame RAV est chef d’entreprise et Monsieur Bill capitaine naviguant, Dean est un

adolescent de 17 ans.

Origine de la mesure : motifs de la mesure mentionnés dans le jugement :

Diagnostic médical qui présente la mère comme bipolaire et possiblement dangereuse vis-à-

vis de son fils.

Motifs de l’intervention pour les professionnels : le père et la mère fortement insécurisés, père

absent.

Madame BECH et sa fille Clara (10ème

)

Madame occupe un logement insalubre et titulaire du RSA.

Origine de la mesure mentionnée par le Juge des Enfants :Mère et fille ont une relation

fusionnelle qui nuit à la socialisation de l’enfant.

Motifs mentionnés par le travailleur social : problématique sociale importante, logement

précaire, revenus modestes et addiction aux stupéfiants

Monsieur F (5ème

) et sa fille Carla

Monsieur est ingénieur et Madame est infirmière, ils sont séparés.

Origine de la mesure mentionnée par le Juge des Enfants : propos mortifères du père et

relation très conflictuelle avec l’autre parent.

Motif mentionné par le travailleur social : problématique psychologique du père et relation

conflictuelle avec la mère.

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Monsieur et Madame DET et leur fille Charlotte (9ème

)

Monsieur et Madame sont médecins.

Origine de la mesure mentionnée par le Juge des Enfants :séparation très conflictuelle

Motif mentionné par le travailleur social : parents manipulateurs qui utilisent leurs enfants

comme objets de pression.

Monsieur et Madame P et leurs 6 enfants (9ème

),

Monsieur est intérimaire et Madame est caissière.

Origine de la mesure mentionnée par le Juge des Enfants : dysfonctionnements familiaux

importants qui déstructurent les enfants.

Motif mentionné par le travailleur social : père et mère retour de placement, parents démunis

sur un plan social et intellectuel et soutien éducatif.

Madame M’et son fils Nadjim (10ème

)

Origine de la mesure mentionnée par le Juge des Enfants : mère destructrice, accompagner

Madame dans la recherche d’un centre de placement pour son fils.

Motif mentionné par le travailleur social : mère isolée et sans ressources, désorientée par les

attitudes de son fils autiste.

Madame Z et ses 3 enfants (13ème

)

Origine de la mesure mentionnée par le Juge des Enfant : violences conjugales.

Motifs mentionnés par le travailleur social : violences conjugales.

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Madame CHAB et ses deux enfants(13ème

)

Madame est femme de ménage et vit dans un quartier sensible.

Origine de la mesure mentionnée par le Juge des Enfants : mère isolée avec un manque

d’implication dans les actes de la vie quotidienne.

Motifs mentionnés par le travailleur social : mère en souffrance, désorientée par le

comportement violent de ses deux adolescents.

Monsieur et Madame BAR dans le 8ème

Madame, ancienne championne de ski et Monsieur promoteur immobilier.

Origine de la mesure mentionnée par le Juge des Enfants : Phobie scolaire.

Motifs mentionnés par le travailleur social : parents apathiques qui n’ont pas conscience de

leurs responsabilités.

Madame BOUK et ses 4 enfants (13ème

), parents issus de l’immigration. Ils vivent du RSA et

des allocations. Toutefois, ils sont fortement impliqués dans la communauté algérienne

notamment Monsieur, ancien policier.

Origine de la mesure mentionnée par le Juge des Enfants : violence conjugale.

Motifs mentionnés par le travailleur social : fragilité affective, précarité sociale et matérielle,

phénomènes d’exclusion visible.

Une étude comparative rapide nous informe que, dans 4 cas sur dix, les motifs sont

identiques, dont 3 cas sur dix, ils se rapprochent et pour 3 cas, ils sont différents de ceux du

magistrat. Il semble bien que la notion de danger est perçue différemment que l’on soit

magistrat, travailleur social ou usager.

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Annexe 10 : Un outil : référentiel de compétences

Les structures gèrent quotidiennement les compétences de leurs salariés et ceci, sans

nécessairement le traduire dans des outils ou dispositifs spécifiques. Cependant, notre

diagnostic a mis en évidence la nécessité de formaliser ces compétences. Les

compétences renvoient aux savoirs, savoir-faire et comportements à mobiliser et à

combiner pour faire face aux situations de travail.

La réalité du travail des gestionnaires sociaux nous a fait privilégier la construction

d’un référentiel commun comme support à la construction d’un acteur collectif. Cette

orientation suit également les évolutions du travail, la logique des lois de 2002 et de

2007 qui favorise la promotion de l’usager acteur. Il est évident que ce référentiel a été

réfléchi dans l’optique de l’appliquer à une intervention judiciaire ou plus globalement

un système sous contrainte et optimiser ainsi l’investissement des acteurs présents.

Un référentiel de compétence vise à « la redéfinition de la description des emplois

existants en fonction des compétences mobilisées »135

. Ce travail d’élaboration d’un

référentiel de compétence correspond à formalisation d’un cadre collectif.

Le travail réel est cependant difficile à faire figurer de manière exhaustive dans un

référentiel. Pour en rendre compte, nous avons opté pour une démarche très librement

inspirée de la méthode ETED (Emploi-Type Etudié dans sa Dynamique) développée

par le CEREQ (Centre d’étude et de recherche sur les qualifications). Nous avons fait

le même constat que le même emploi-type, ici de gestionnaire social, est susceptible

« d’être exercé par des professionnels de différentes manières, selon les profils des

individus et les contextes d’exercice, et cherchent à rendre compte de cette

variabilité »136

. Compétences à acquérir ont été déduites des entretiens individuels

passés avec les gestionnaires sociaux. Cette démarche correspond à celle de l’ETED

qui vise à saisir une représentation du métier basée sur les descriptions de ceux qui

l’exercent. Ce référentiel n’ambitionne pas un aboutissement tel que l’aurait permis

l’ETED137

.

135

Damien Brochier, « Qualification ou compétence ? », inJean-Jacques PAUL et José ROSE (dir.), op.cit., p.297. 136

Jean-Claude Cadet,« Qu’est-ce que la professionnalisation ? »,inJean-Jacques PAUL et José ROSE (dir.),

op.cit., p.339.

137LIAROUTZOS Olivier, SULZER Emmanuel (coor.), (2006),La méthode ETED : de l'analyse du travail aux

référentiels d'emploi/métier,Relief, n° 14, 82 p.

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REFERENTIEL DE COMPETENCES – TRAVAILLEUR SOCIAUX DE LA SAUVEGARDE13

Description de la compétence

1. Orienter dans le

milieu naturel de

l’enfant

Savoir-faire généraux

1.1 Transmettre et favoriser la transmission

des informations de façon adaptée

Savoir-faire et connaissances associées

1.1.1 Connaître les potentialités et les

limites de l’environnement

1.1.2 Connaître les potentialités et les

limites des personnes accompagnées

1.1.3 Connaître les institutions et les

dispositifs relatifs à la scolarité

1.1.4 Savoir faire émerger des solutions par

l’auto-support

1.2 Médiatiser la relation aux institutions

1.3 Contractualiser l’intervention

1.3.1 Accompagner dans les démarches

(inscription/radiation…) en visant

l’autonomisation

1.3.2 Savoir instaurer une relation de

confiance avec la famille pour

appréhender les parcours scolaires

1.3.3 Maîtriser les théories et les techniques

d’analyse de gestion des conflits

1.3.4 Proposer un cahier des charges, des

termes de référence qui actent les

engagements de chacun

1.4 Inciter au respect de la commande liée

aux attendus

1.4.1 Savoir susciter l’adhésion et

l’implication des acteurs

1.4.2 Mobiliser les usagers autour des droits

et des devoirs des citoyens

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Description de la compétence

2. Construire le projet autour

d’un diagnostic partagé

Savoir-faire généraux

2.1 Reconnaître les acteurs

Savoir-faire et connaissances associées

2.1.1 Savoir cibler les acteurs et les

personnes ressources

2.1.2 Savoir identifier les besoins et les

attentes

2.1.3 Connaître son propre cadre de

référence et celui des autres acteurs

2.2 Construire un partenariat

2.2.1 Mobiliser les partenaires autour de la

construction d’un projet commun

2.2.2 Connaître la méthodologie de projet

2.2.3 Coordonner, animer, réguler le

partenariat institué

2.3 Développer une expertise sur la

construction d’un diagnostic partagé

2.3.1 Connaître le système qui sous-tend la

problématique

2.3.2 Savoir diagnostiquer et évaluer les

situations

2.3.3 Développer une approche

interculturelle

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FERRARI FRANCK SOUTENANCE : Déc 2013

DIPLOME D’ETAT D’INGENIERIE SOCIALE

TITRE : « Je veux que tu veuilles changer »

RESUME :

Dans le champ très complexe de la maltraitance, il est généralement difficile de démêler

les enjeux enchevêtrés et souvent conflictuels des situations et d’arriver à cerner les

objectifs précis pour l’intervention. L’Action Educative en Milieu Ouvert se confronte à

ce jour à des changements sociaux importants - un public en profonde mutation, une

volonté politique de promouvoir la place de l’usager, de l’inclure au centre du

dispositif - qui questionnent les projets, les valeurs et la méthodologie d’intervention

pour l’ensemble des acteurs qui interagissent dans un système sous contrainte. Le défi

se situe dans ce paradoxe : faire adhérer un individu à un changement obligatoire (je

veux que tu veuilles changer). Dans ce mémoire, nous avons tenté de mettre en

évidence les dérives potentielles (disqualification sociale, assujettissement à la norme)

et d’indiquer les rapports de force qui s’instaurent dans le cadre d’une intervention

judiciaire. Notre hypothèse tente de résoudre une équation complexe : accompagner

l’usager de l’indignité vers une reconnaissance, passage légitime pour élaborer et

construire ensemble un projet d’intervention commun. Or, l’articulation des projets de

chaque acteur ne va pas de soi et trouver un point de convergence se confronte à des

réalités différentes. L’attendu du juge devient alors le support de l’intervention qui

limite les marges de liberté des autres acteurs.

Nos préconisations visent à restaurer un pouvoir d’interpellation aux divers

intervenants.

Acteurs - Projet - Système sous contrainte – Participation – inclusion

sociale - disqualification sociale – Développement Social Local- Nécessité- liberté

NOMBRE DE PAGES : 120 Volume(s) annexé(s) : 0 x – 1 - 2

Collège Coopératif Provence Alpes Méditerranée

Europôle Méditerranéen de l’Arbois, BP 50099

13793 AIX-EN-PROVENCE cedex 3