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COMPTE-RENDU DE CONGRÈS © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés 13 AMC pratique Hors série 1 février 2012 L a gravité des complications thrombo-emboliques de la FA, les difficultés d’utilisation du traitement anti- coagulant actuellement disponible sous la forme des AVK, expliquent les efforts de développement de traite- ments anti-thrombotiques originaux efficaces, plus simples d’utilisation, en préservant au mieux du risque hémorra- gique. Le développement des anti-thrombotiques oraux de type inhibiteur du facteur X activé (FXa) s’inscrit dans l’objectif d’une alternative aux AVK, efficace, sûre et bien tolérée. Dans la cascade de la coagulation, le FXa, en devenant un élément du complexe prothrombinique, occupe une place déterminante. Le FXa permet l’activation de la prothrombine en thrombine, l’enzyme-clé de la coagulation qui trans- forme le fibrinogène en fibrine, structure de base essentielle du thrombus (figure 1). Après les preuves de son efficacité et sa sécurité d’utilisa- tion dans le traitement de la maladie thrombo-embolique veineuse (EINSTEIN-DVT) [1], le rivaroxaban, ouvre égale- ment une nouvelle ère thérapeutique dans la fibrillation atriale (FA) grâce aux résultats de l’étude ROCKET-AF [2]. Anti-Xa oral direct, spécifique, son action est rapide, sa biodisponibilté est forte. Sa demi-vie est courte (5 à 9 heures chez le volontaire sain jeune, 11 à 13 heures chez le sujet âgé). Son élimination est mixte, hépato-rénale. Un tiers est éliminé par le rein sous forme inchangée, deux tiers sont métabolisés par le foie éliminés à part égale dans les selles et les urines [3,4,5,6,7]. ROCKET-AF : la preuve du bénéfice du rivaroxaban dans le traitement de la FA ROCKET-AF, étude randomisée de phase III, multi- centrique, internationale, en double aveugle et double placebo, fait la démonstration du bénéfice et de la sécu- rité d’utilisation du rivaroxaban, en monothérapie, en une seule prise par jour, pour la prévention des accidents emboliques centraux et périphériques de la FA à risque embolique modéré à élevé (CHADS 2  ≥ 2). Dans cet essai thérapeutique de non-infériorité, de grande envergure (n = 14264), contre la référence anticoagulante orale, un anti-vitamine K (AVK), la warfarine, le rivaroxaban prescrit à la posologie de 20 mg en une prise orale par jour (15 mg en une prise par jour en cas de ClCr entre 49 et 30 ml/mn) se révèle significativement, et pour le moins, non inférieur pour prévenir les AVC et les embo- lies périphériques liées à la FA (critère principal de juge- ment, -21 %, p < 0,001) au cours d’un suivi moyen de deux mois. Avec un taux annuel d’événements de 1,7 % contre 2,2 % (-21 %, p = 0,02), le rivaroxaban se révèle même significativement supérieur à la warfarine, dans l’analyse des patients effectivement sous l’effet du trai- tement anti-thrombotique de l’étude. Les taux d’inter- ruption de traitement sont comparables dans les groupes rivaroxaban et warfarine soit respectivement 23,7 % et 22,2 % [2]. D’après les communications de R. Callif (Durham, USA), J. Alexander (Durham, USA), R. Giugliano (Boston, USA), A. Turpie (Hamilton, Canada) Rédigé par J.-P. Kevorkian Médecine Interne B. Hôpital Lariboisière, Paris, France [email protected] Rivaroxaban : un anti-thrombotique original

Rivaroxaban: un anti-thrombotique original

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Page 1: Rivaroxaban: un anti-thrombotique original

COMPTE-RENDU DE CONGRÈS

© 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés 13AMC pratique Hors série 1 février 2012

La gravité des complications thrombo-emboliques de la FA, les difficultés d’utilisation du traitement anti-coagulant actuellement disponible sous la forme des

AVK, expliquent les efforts de développement de traite-ments anti-thrombotiques originaux efficaces, plus simples d’utilisation, en préservant au mieux du risque hémorra-gique. Le développement des anti-thrombotiques oraux de type inhibiteur du facteur X activé (FXa) s’inscrit dans l’objectif d’une alternative aux AVK, efficace, sûre et bien tolérée.Dans la cascade de la coagulation, le FXa, en devenant un élément du complexe prothrombinique, occupe une place déterminante. Le FXa permet l’activation de la pro thrombine en thrombine, l’enzyme-clé de la coagulation qui trans-forme le fibrinogène en fibrine, structure de base essentielle du thrombus (figure 1).Après les preuves de son efficacité et sa sécurité d’utilisa-tion dans le traitement de la maladie thrombo-embolique veineuse (EINSTEIN-DVT) [1], le rivaroxaban, ouvre égale-ment une nouvelle ère thérapeutique dans la fibrillation atriale (FA) grâce aux résultats de l’étude ROCKET-AF [2]. Anti-Xa oral direct, spécifique, son action est rapide, sa biodisponibilté est forte. Sa demi-vie est courte (5 à 9 heures chez le volontaire sain jeune, 11 à 13 heures chez le sujet âgé). Son élimination est mixte, hépato-rénale. Un tiers est éliminé par le rein sous forme inchangée, deux tiers sont métabolisés par le foie éliminés à part égale dans les selles et les urines [3,4,5,6,7].

ROCKET-AF : la preuve du bénéfice du rivaroxaban dans le traitement de la FA

ROCKET-AF, étude randomisée de phase  III, multi-centrique, internationale, en double aveugle et double placebo, fait la démonstration du bénéfice et de la sécu-rité d’utilisation du rivaroxaban, en monothérapie, en une seule prise par jour, pour la prévention des accidents emboliques centraux et périphériques de la FA à risque embolique modéré à élevé (CHADS2 ≥ 2). Dans cet essai thérapeutique de non-infériorité, de grande envergure (n  =  14264), contre la référence anticoagulante orale, un anti-vitamine K (AVK), la warfarine, le rivaroxaban prescrit à la posologie de 20 mg en une prise orale par jour (15 mg en une prise par jour en cas de ClCr entre 49 et 30  ml/mn) se révèle significativement, et pour le moins, non inférieur pour prévenir les AVC et les embo-lies périphériques liées à la FA (critère principal de juge-ment, -21  %, p  <  0,001) au cours d’un suivi moyen de deux mois. Avec un taux annuel d’événements de 1,7 % contre 2,2 % (-21 %, p = 0,02), le rivaroxaban se révèle même significativement supérieur à la warfarine, dans l’analyse des patients effectivement sous l’effet du trai-tement anti-thrombotique de l’étude. Les taux d’inter-ruption de traitement sont comparables dans les groupes rivaroxaban et warfarine soit respectivement 23,7 % et 22,2 % [2].

D’après les communications de R. Callif (Durham, USA), J. Alexander (Durham, USA),R. Giugliano (Boston, USA), A. Turpie (Hamilton, Canada)

Rédigé par J.-P. KevorkianMédecine Interne B. Hôpital Lariboisière, Paris, [email protected]

Rivaroxaban : un anti-thrombotique original

Page 2: Rivaroxaban: un anti-thrombotique original

14 AMC pratique Hors série 1 février 2012

COMPTE-RENDU DE CONGRÈS

crâniennes (0,5 % contre 0,7 %, p = 0,02) et de décès de cause hémorragique sous rivaroxaban comparativement à la warfarine (0,2 % contre 0,5 %, p = 0,003) et les taux de mortalité totale comparables (4,5  % dans le groupe rivaroxaban, 4,9 % dans le groupe warfarine) confortent le profil de tolérance du rivaroxaban [2].En conclusion, dans la FA à risque modéré à élevé, le rivaroxaban, anti-Xa oral, direct et spécifique, en mono-thérapie, en une seule prise par jour, se révèle au moins aussi efficace qu’une stratégie anti-thrombotique orale conventionnelle.

Une comparaison des deux stratégies par rivaroxaban ou warfarine selon le pourcentage du temps dans l’intervalle d’INR 2-3 sous warfarine permet, en outre, de mettre en évidence le bénéfice du rivaroxaban quelle que soit la qualité du traitement par warfarine (tableau 1) [8].Les taux comparables d’événements hémorragiques majeurs et non majeurs cliniquement pertinents (riva-roxaban 14,9 % contre 14,5 %, p = 0,44) et la tolérance comparable des deux stratégies thérapeutiques mettent en évidence la sécurité d’emploi du rivaroxaban. Les taux significativement plus faibles d’hémorragies intra-

Tableau 1. ROCKET-AF. Taux des événements selon la qualité du traitement par warfarine. Comparaison avec le rivaroxaban [8].

Quartile de périodes dans la zone thérapeutique de la warfarine (INR = 2-3)

Rivaroxaban% événements emboliques/an

Warfarine% événements emboliques/an

Risque relatif

0 - 50,6 % 1,8 2,5 0,71

50,7 - 58,5 % 1,9 2,2 0,83

58,6 – 65,7 % 1,9 2,1 0,92

65,7 – 100 % 1,3 1,9 0,74

Figure 1. Site d’action du rivaroxaban et caractéristiques pharmaconinétiques [3].

Rivaroxaban

anti-Xa oral, compétitif, direct, spécifique, en monoprise, pour la prévention des accidents

thrombo-emboliques de la Fibrillation Atriale (FA), non valvulaire

Schéma de la coagulation

et site d’action du Rivaroxaban

Facteur Tissulaire/VIIa

X IX

IXa

Rivaroxaban

VIIIa

Va

Xa

II

½ vie 5-13 heuresÉlimination excrétion rénale directe excrétion hépatique via cytochrome

IIa

Fibrinogène Fibrine

1 3

2 3

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15AMC pratique Hors série 1 février 2012

COMPTE-RENDU DE CONGRÈS

Rivaroxaban est supérieur à la warfarine lorsque les patients prennent le traitement à l’étude.En ITT, intention-de-traiter, le rivaroxaban est non- inferieur à la warfarine mais n’a pas démontré de supériorité.Les taux de saignements et d’effets indésirables sont simi-laires avec significativement moins d’hémorragies intra-crâniennes et de saignements fatales sous rivaroxaban.Le rivaroxaban est une alternative prouvée à la warfarine pour les patients atteints de FA à risque modéré à élevé.

Références[1] Bauersachs R, Berkowitz SD, Brenner B, et al. Oral rivaroxaban for symptom-

atic venous thromboembolism (EINSTEIN-DVT). N Engl J Med 2010 23;363(26):2499-510.

[2] Patel M.R, Mahaffey K.W, Garg J, et al. Rivaroxaban versus warfarin in nonval-vular atrial fibrillation (ROCKET-AF). N Engl J Med 2011;365:883-91.

[3] Perzborn E, Strassburger J, Wilmen A, et al. In vitro and in vivo studies of the novel antithrombotic agent BAY 59-7939--an oral, direct Factor Xa inhibitor. J Thromb Haemost 2005;3:514-21.

[4] Kubitza D, Becka M, Voith B, et al. Safety, pharmacodynamics, and pharmaco-kinetics of single doses of BAY 59-7939, an oral, direct factor Xa inhibitor. Clin Pharmacol Ther 2005 ; 78:412-21.

[5] Kubitza D, Becka M, Wensing G, et al. Safety, pharmacodynamics, and pharma-cokinetics of BAY 59-7939--an oral, direct Factor Xa inhibitor--after multiple dosing in healthy male subjects. Eur J Clin Pharmacol 2005;61:873-80.

[6] Kubitza D, Becka M, Roth A, et al. Dose-escalation study of the pharmacokinet-ics and pharmacodynamics of rivaroxaban in healthy elderly subjects. Curr Med Res Opin 2008;24:2757-65.

[7] Weinz C, Schwartz T, Kubitza D, et al. Metabolism and excretion of rivaroxaban, an oral, direct factor Xa inhibitor, in rats, dogs, and humans. Drug Metab Dispos 2009;37:1056-64.

[8] Patel M.R, Mahaffey K.W, Garg J, et al. Rivaroxaban versus warfarin in nonval-vular atrial fibrillation (ROCKET-AF). N Engl J Med 2011;365:883-91 (suppl appendix).

A

B

Warfarine

Rivaroxaban

Warfarine

Rivaroxaban

6

5

4

3

2

1

0

6

5

4

3

2

1

0

0

10

20

30

40

50

60

70

80

90

100

0

10

20

30

40

50

60

70

80

90

100

0

0 120 240 360 480 600 720 840

0 120 240 360 480 600 720 840

120 240 360 480 600 720 840

0 120 240 360 480 600 720 840

Jours post-randomisation

Jours post-randomisation

Évén

em

en

ts (

%)

Évén

em

en

ts (

%)

Figure 2. Résultats de l’étude ROCKET-AF [2]. Taux des événements du critère principal (AVC, embolies systémiques). A : per-protocole, B : intention de traiter.