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Rémi LEFRANT La critique de cinéma à l’heure d’Internet. Quête de légitimité et hégémonie de la parole du spectateur. Mémoire de recherche pour l’obtention du Master I Cultures et métiers du Web Tuteur : Mr VEZYROGLOU Dimitri Mai 2011

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Rémi LEFRANT

La critique de cinéma à l’heure d’Internet.

Quête de légitimité et hégémonie de la parole du spectateur.

Mémoire de recherche pour l’obtention du Master I Cultures et métiers du Web

Tuteur : Mr VEZYROGLOU Dimitri

Mai 2011

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Remerciements

Ce travail n’aurait pu se faire sans l’aide, le concours, le soutien de certaines personnes que je tiens alors à remercier. Monsieur Lemire Vincent, responsable du Master I Cultures et métiers du Web, qui, grâce à ses cours de méthodologie des études et de la recherche, m’a guidé dans mon cheminement et m’a permis de structurer ce mémoire. Monsieur Vezyroglou Dimitri, maître de conférence en histoire du cinéma à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et chercheur associé à l’Institut National d’Histoire de l’Art, qui, en plus d’avoir apporté un avis extérieur, m’a orienté dans mes lectures, dans mes choix et m’a également ouvert de nombreuses portes, me facilitant l’accès aux personnes que je souhaitais rencontrer. Madame Houcke Anne-Violenne, rédactrice au sein de la revue en ligne Critikat.com et Monsieur Boutin Guillaume, fondateur du site Senscritique.com, qui ont eu la grande amabilité de me consacrer du temps afin et m’accorder un entretien afin d’apporter de nouvelles pièces au sein de mon analyse. Monsieur Viviani Christian, maître de conférence en cinéma à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, membre du comité de la rédaction de la revue Positif et membre du Syndicat français de la critique de cinéma, qui, malgré l’impossibilité de nous rencontrer du fait de nos emplois du temps respectifs, a eu l’amabilité et la patience de répondre à mes e-mails, portant toujours un intérêt à mon égard. Enfin, je souhaiterais remercier toutes les personnes qui ont pris de leur temps pour lire ce mémoire, apporter des corrections ainsi qu’un avis extérieur.

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SOMMAIRE Introduction : ................................................................................................... 2

Chapitre Premier : La critique de cinéma : définitions et histoire ................ 9

1. Nature et fonction de la critique cinématographique ............................................. 10

2. Naissance de la critique de cinéma ......................................................................... 17

3. La critique de cinéma et la « civilisation des images » .......................................... 25

Chapitre II : Critique de cinéma : entre remise en question et mutation ... 33

1. Place « Net » à la critique ....................................................................................... 34

2. Des hauts-lieux de la critique en ligne ................................................................... 41

3. Pouvoir et influence de la critique en ligne ............................................................ 49

Chapitre III : Du spectateur passif au nouveau spectateur ......................... 57

1. Une « cinéphilie 2.0 » ............................................................................................. 58

2. La construction des avis de spectateurs .................................................................. 65

3. Quel avenir pour la critique de cinéma ? ................................................................ 71

Conclusion : .................................................................................................... 79

Bibliographie .................................................................................................. 83

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Introduction :

« En France, tout le monde a deux métiers : le sien et critique de cinéma1

» affirmait François Truffaut, cinéaste de la Nouvelle Vague issu des Cahiers du cinéma. En ce sens, voir des films et aimer en discuter avec passion est, de fait, une manifestation répandue de l’esprit critique de tout un chacun. Le cinéma jouit, en effet, d’un double privilège : il attire un public vaste et diversifié et incite à parler. Des gens de tous âges, de toutes cultures ou de toutes conditions sociales regardent des films et ont envie d’en discuter aussitôt qu’ils se retrouvent en compagnie, que ce soit chez eux, entre amis ou entre collègues de travail. Toute personne a une opinion fondée à propos du film qu’elle vient de voir. Elle émet ses propres jugements et commentaires. Depuis les années 2000 et l’apparition d’Internet, l’adage de François Truffaut prend alors tout son sens. Ce nouveau medium est effectivement apparu comme un nouvel espace de construction de parole autour du cinéma. Comme pour beaucoup d’industries culturelles, Internet et la numérisation ont bouleversé le domaine cinématographique. Internet a, notamment, profondément modifié les conditions d’accès aux informations biographiques et filmographiques qui constituaient, autrefois, la supériorité du cinéphile parisien, bénéficiant par ses fréquentations des salles de cinéma et par ses conversations, d’un certain capital de connaissances cinéphiles. Or, aujourd’hui, il suffit de taper le titre d’un film dans un moteur de recherche pour trouver directement l’information recherchée, qu’elle soit accessible sur un site commercial, une encyclopédie en ligne ou sur le site d’un fan qui met à disposition du public ses propres connaissances. Internet permet, par sa nature, de corriger aussi les erreurs, les coquilles, de mettre à jour des textes et des dossiers informatifs. Internet permet également une interactivité unique entre contenu et lectorat. Mais Internet a, par-dessus tout, démocratisé l’exercice de la critique cinématographique, en permettant au consommateur d’y publier son jugement soit sur un film qui vient de sortir, soit sur un film intéressant à discuter.

Difficile à définir, la critique de cinéma désigne, dans les faits, des pratiques variées. Il existe différentes manières de la concevoir, chacun y allant de son propre positionnement. Le plus souvent entendue comme une analyse sur un film et/ou un avis personnel, elle permet, pour un certain nombre, de fonctionner comme un guide à la consommation : la critique de cinéma sert, avant toute chose, à donner une idée du film avant d’aller le voir ou non ; elle sert à choisir, elle sert à avoir un bon ou un mauvais a priori. Pour d'autres, la critique de cinéma sert à prolonger la vie des films ou, pour d'autres encore, est forcément néfaste et inutile. Néanmoins, dans tous les cas, la critique de cinéma soulève des débats, elle fascine et irrite à la fois. En France, dès l'apparition du cinématographe, en 1895, l'invention suscite de nombreux articles dans la presse. Cependant, jusque dans les premières années du XXème siècle, c'est sous un angle technique que la nouveauté du cinéma est commentée. La critique 1 Cité in NEYRAT Cyril, François Truffaut, Paris, Cahiers du Cinéma, coll. « Grands cinéastes », 2007, p.36.

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cinématographique ne coïncide pas en effet exactement avec l’histoire du cinéma tant il est vrai que la réflexion sur les films a dû attendre plus de deux décennies avant de voir le jour. Née du théâtre et influencée par la littérature, la critique cinématographique a acquis, au fil des années, ses lettres de noblesse comme le cinéma a conquis sa légitimité. Ricciotto Canudo, considéré comme le premier théoricien du cinéma, ayant inventé le terme de « septième art » : « nous avons besoin du Cinéma pour créer l’art total vers lequel tous les autres, depuis toujours, ont tendu2

». De tous les arts, le cinéma est le seul qui ait vu son développement continûment commenté d’autant plus qu’aucun pays n’a connu une activité critique aussi intense ni vu naître autant de revues de cinéma que la France. La grande presse elle-même a souvent accordé une place de choix à l’étude des films et le monde intellectuel et artistique n’a cessé de participer à la réflexion sur cet art. La France a toujours eu ce goût prononcé de la critique, qu’elle s’exerce de manière écrite ou orale. La tradition des ciné-clubs et des « discussions de café » après projection restent prégnants. Néanmoins, comme toute tradition, la critique de cinéma ne cesse d’évoluer, d’être questionnée, remodelée, réajustée. La critique est mouvante.

En ce sens, l’explosion du medium Internet, depuis quelques années maintenant, apporte une nouvelle mutation, effrayante pour certains mais libératrice pour d’autres ; « la grande toile est, sinon désormais la plus importante, une nouvelle épuisette critique du grand écran3 ». D’un point de vue quantitatif, les chiffres sont éloquents : il y a désormais plus de revues de cinéma commerciales sur Internet qu'il n'y a de revues commerciales papier. De plus, un « webzine » français de cinéma, de par sa facilité de lecture à divers endroits notamment, peut être lu chaque mois jusqu’au million de lecteurs. Un site de cinéma moyen accueille aisément trente mille internautes mensuellement4. Le paysage de la critique de cinéma s’est ainsi silencieusement mais grandement modifié ces dernières années, elle agit et s’agite désormais en majorité sur Internet. Ce nouveau medium serait-il, dès lors, en train de tuer les revues papier ? Cette question est légitime tant les problèmes économiques de plus en plus fréquents des revues papier de cinéma comme les Cahiers du cinéma ou encore Repérages indiquent, en partie, les stigmates de cette forte émergence de la critique cinéma sur Internet5

2 CANUDO Ricciotto, Manifeste des Sept Arts, Paris, Séguier, coll. « Carré d’art », 1995 (édition originale de 1922).

. Ces stigmates restant inévitablement proportionnelles au nombre grandissant d’internautes, en particulier des jeunes cinéphiles, souvent plus à même de « surfer sur la

3 TYLSKI Alexandre, « Analyse d’une critique de cinéma dominante », Cadrage.net, octobre 2003 [disponible sur : www.cadrage.net/dossier/internet_c/internet_critique.htm. Consulté le 12 février 2011]. 4 Source : « France : les usages du Web par les internautes », Le Journal du Net, octobre 2010 [disponible sur : www.journaldunet.com. Consulté le 12 février 2011]. 5 Les Cahiers du cinéma est une revue française mensuelle de cinéma créée en 1951 par André BAZIN, Jacques DONIOL-VALCROZE, Joseph-Marie LO DUCA et Léonide KEIGEL. Repérages est une revue française bimestrielle ou trimestrielle de cinéma créée en 1998 sous la direction de Nicholas SCHMERKIN.

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toile ». Par ailleurs, ces stigmates sont aussi proportionnelles à l’invasion croissante d’une publicité actualisée et actualisable grâce aux possibilités commerciales et promotionnelles d’Internet. Les affiches des festivals se voient de plus en plus vêtues de logos de sites Internet de cinéma et les sites de cinéma organisent aussi, désormais, des festivals, voire même, les créent : le Festival International du Film d’Internet, présidé par le responsable du webzine de cinéma Ecran Noir, par exemple6

. Mais d’autres enjeux apparaissent autour de ce phénomène. D’un point de vue qualitatif particulièrement, que peut-on dire de l’apport d’Internet en terme de critique de cinéma ? Quelles sont ses forces et ses limites ? Autant de questions qui posent les fondements de notre analyse à savoir si la critique a changé de mains et de sens. Alors que les années 2000 ont fait apparaître l’émergence du web 2.0 et, avec lui, l’accroissement des blogs, chats ou autres forums de discussions sur le cinéma cultivant alors les discussions, les analyses et les passions, cet enjeu pose implicitement la question de la légitimité de ce que l’on pourrait qualifier de « webcritique de cinéma ». Quid aussi des critiques de films, journalistes et experts ? Tandis que beaucoup de professionnels jugent ces nouveaux espaces d'échanges de commentaires comme une accumulation de textes mal écrits, mal argumentés voire consuméristes, d’autres voient en Internet a contrario, un espace quasiment illimité pour aborder un réalisateur, un film ou un thème sans subir la contrainte du nombre de caractères imposée par le papier. Internet apparaît ainsi comme un cas particulier capable de brouiller les pistes. S’il propose des sites permettant l’échange de critiques, la publication de jugements cinéphiles amateurs, on trouve également sur Internet des espaces similaires à ceux de la presse traditionnelle, des sites où un ou plusieurs critiques s’expriment en leur nom.

Si elle n’a pas, le plus souvent, une influence immédiate, la critique de cinéma impose peu à peu des noms qui ont contribué ou contribuent de manière décisive à l’histoire du cinéma. L’ouvrage d’André Bazin, Qu’est-ce que le cinéma ? en est une preuve irréfutable. Ce recueil composé des principaux articles écrits par ce célèbre critique dans les Cahiers du cinéma apporte en effet une culture générale nécessaire sur le cinéma derrière un point de vue indéniable7. Il en va de même pour l’ouvrage de Serge Daney qui, en plus d’apporter son point de vue, relate l’importance de la politique dans les critiques des Cahiers du cinéma au cours des années 19608. De fait, la spécificité de la critique de cinéma réside également dans son histoire. Une histoire particulièrement riche, que l’on ne peut négliger, racontée dans les moindres détails par Michel Ciment et Jacques Zimmer dans leur œuvre La critique de cinéma en France9

6 Webzine français de cinéma créé en 1996 par Vincy THOMAS.

. Plus synthétique, Jean-Michel Frodon et René Prédal ont respectivement rapporté l’histoire de la critique de cinéma au sein de leurs livres avec néanmoins certaines nuances : si le premier s’attarde sur le métier de critique, le second se tourne davantage sur les

7 BAZIN André, Qu’est-ce que le cinéma ?, Paris, Cerf, 1976. 8 DANEY Serge, La maison cinéma et le monde, le temps des Cahiers (1962-1981), Paris, P.O.L, 2001. 9 CIMENT Michel et ZIMMER Jacques (dir.), La critique de cinéma en France : histoire, anthologie, dictionnaire, Paris, Ramsay, 1997.

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revues de cinéma10. Mais la critique de cinéma est aussi héritière de la critique d’art, littéraire et théâtrale, son évolution ne peut donc se comprendre sans la transformation progressive de la critique culturelle. Ainsi, l’analyse de sociologues et d’historiens permet de consolider les fondements de l’évolution du positionnement intellectuel de cette critique culturelle tout en rapportant celle-ci à la naissance de la critique cinématographique et la conquête de sa légitimité11. D’autre part, comment comprendre et analyser l’émergence des nouveaux espaces d’échanges critiques et l’engouement pour ceux-ci sans s’attarder sur un autre aspect fondamental de la culture cinématographique : la cinéphilie ? Quand Antoine de Baecque et Thierry Frémaux parlent de « l’invention d’une culture » établissant une histoire et une historiographie de la cinéphilie12, d’autres auteurs, tels que Laurent Jullier et Jean-Marc Leveratto, montrent davantage comment la consommation cinématographique s’est individualisée sous l’effet de la globalisation de l’échange cinématographique et du développement des nouvelles technologies dont Internet13

.

Est alors venu le temps de se pencher sur ce nouveau support et sa rencontre avec le cinéma. Bien que certains articles, essentiellement en ligne, traitent de cette médiation, peu d’articles ou d’ouvrages s’attachent précisément à la confrontation entre critique cinématographique et Internet. A noter cependant l’article de Laurence Allard intitulé « Cinéphiles à vos claviers ! » qui questionne radicalement les concepts mêmes de public et de spectateurs à partir d’une enquête sur les manifestations publiques des interprétations spectatorielles14. A travers son livre, Comment parler de cinéma ?, Jean-Max Méjean s’interroge, quant à lui, sur la place et le rôle d’Internet face aux critiques15. Bien évidemment, ce qui sera développé tout au long de notre analyse ne peut reposer uniquement sur ces quelques ouvrages dont les plus importants ont été cités. Comment passer outre la lecture des grandes revues qui ont marquées l’histoire de la critique cinématographique telles que les Cahiers du cinéma, Positif ou encore Trafic16

10 FRODON Jean-Michel, La critique de cinéma, Paris, Cahiers du cinéma, coll. « les petits cahiers », 2008.

? Le domaine économique n’a pas non plus été épargné. Bien qu’occupant une place minime au sein de notre sujet, on ne peut comprendre l’influence de la critique sans appréhender l’impact de celle-ci sur la consommation. Enfin, si Internet sera mis à l’épreuve tout au long de ce raisonnement, il n’en est pas moins qu’il a fourni quelques renseignements utiles et précieux.

PREDAL René, La critique de cinéma, Paris, Armand Colin, 2004. 11 ARCHONDOULIS-JACCARD Nelly, GAUTHIER Christophe, LAURENT Sébastien et alii, Mil neuf cent, revue d'histoire intellectuelle : Puissance et impuissance de la critique, n°26, 2008. 12 BAECQUE (de) Antoine. de et FREMAUX Thierry., « La cinéphilie ou l'invention d'une culture », Vingtième Siècle. Revue d'histoire, n° 46, avril-juin 1995. 13 JULLIER Laurent et LEVERATTO Jean-Marc, Cinéphiles et cinéphilies, Paris, Armand Colin, coll. « Cinéma / Arts visuels », 2010. 14 ALLARD Laurence, « Cinéphiles, à vos claviers ! Réception, public et cinéma », Réseaux, n° 99, vol.18, 2000. 15 MEJEAN Jean-Max (dir.), Comment parler de cinéma ?, Paris, Editions L’Harmattan, coll. « Audiovisuel et communication », 2005. 16 Positif est une revue française mensuelle de cinéma créée en 1952 par Bernard CHARDERE. Trafic est une revue française trimestrielle de cinéma créée en 1991 par Jean-Claude BIETTE et Serge DANEY.

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Ce nouveau medium qu’est Internet va, par ailleurs, servir de support d’observation pour approfondir notre analyse. En effet, afin de répondre au mieux aux questions que l’on a posées, il est inévitable d’étudier en profondeur certains espaces communautaires, les plus marquants sans doute. Suivant une typologie, certes un peu prosaïque, l’analyse de ces terrains portera sur une comparaison de deux catégories de sites en ligne autour de la critique de cinéma : des sites présentant des critiques d’amateurs, de spectateurs ainsi que des sites proposant des critiques davantage professionnelles. Axé sur la promotion des nouveaux films en salles et en DVD et l'information concernant la programmation, Allocine.fr répertorie aussi toutes les critiques presse à propos d’un film. Par ailleurs et surtout, il propose aux internautes de s'inscrire au site, leur permettant de poster sur les forums de leur choix, de réagir aux films via leurs critiques personnelles. Des blogs y sont également hébergés. Chaque film, chaque acteur, chaque réalisateur possède son propre forum que chacun est libre d'étoffer. Etant le site cinématographique le plus consulté, il s’agira d’observer la place qu’occupe les « critiques spectateurs » par rapport aux « critiques presse ». Quels types d’échanges y-a-t-il sur les forums ou blogs internes aux sites ? Quelles critiques sont les plus regardées : lesquelles ont le plus d’impact ? Enfin, une analyse sur le fond de ces « critiques spectateurs » sera présentée : qu’apportent-elles de plus ou de moins que les critiques professionnelles ?

Pour ne pas analyser uniquement les spécificités d’Allocine.fr et dans un souci de

comparaison, il est apparu intéressant d’analyser, de la même manière, les « avis des internautes » du site Cinefil.com. Sans doute le portail français de cinéma le plus ancien, ce site possède des informations très succinctes et un moteur de recherche limité. Néanmoins, il se pose comme une alternative à Allocine.fr avec un répertoire de critiques presse et les avis des internautes pour chaque film. Il est, du reste, amusant de noter la nuance établi par Cinefil.com : concernant les spectateurs, ce dernier parle d’ « avis » tandis qu’Allocine.fr utilise le terme de « critiques ». Dans la lignée de ces sites, on s’attardera plus spécifiquement à l’étude d’un forum : celui de Commeaucinema.com. Les discussions présentes sur ce forum mêlant journalistes et spectateurs. Le choix de ce site se situe dans son « histoire » puisqu’il est devenu, en 2007, le premier site de cinéma web 2.0 totalement interactif en proposant des « widgets » à partager sur des blogs, pages personnelles ou les réseaux sociaux même si les critiques ne se font encore qu’à travers un forum néanmoins riche. De fait, le dernier terrain d’analyse portera sur un site qui se décrit lui-même comme le « Facebook de la critique cinématographique » : Senscritique.com. Ce site récemment apparu marque alors un nouveau changement dans l’univers de la critique de cinéma avec l’intégration totale du web 2.017

17 Senscritique.com est officiellement apparu en décembre 2010.

. J’ai, de plus, eu la chance de pouvoir réaliser un entretien avec l’un des fondateurs de ce site

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apportant alors, en complément, certaines réponses sur l’avenir de la critique cinématographique et surtout aux métiers de critique.

D’autre part, vient alors l’analyse des sites qui se revendiquent plus professionnels à

commencer par Cadrage.net ou encore Critikat.com. Créé fin 2004, ce site est « né d’un désir commun : défendre et promouvoir une autre idée du cinéma ». Il a pour objectif de construire des ponts entre le grand public et une approche analytique du cinéma. Co-fondateur du site et directeur de la rédaction, Clément Graminiès18 défend une rigueur et une exigence éditoriales. En pariant sur la qualité, Critikat.com réussi à réunir des partenaires comme la Cinémathèque française ou encore de nombreux festivals comme le Festival du Film Français de Grande-Bretagne pour l’édition 2007. Tenant sa légitimité de son fondateur et des partenaires, ce site, permettra de se rendre compte de la qualité des critiques de cinéma et de leur impact sur les spectateurs, d’autant que j’ai eu la chance de rencontrer Anne-Violenne Houcke, l’une des rédactrices de cette revue en ligne. On s’interrogera également sur le fait de voir si des sites comme celui-ci viennent en complémentarité aux célèbres revues papiers ou au contraire en remplacement, comme le symbole d’une mutation. Cette question prenant tout sons sens à travers Spectres du cinéma19. Né en 2008 grâce à une dizaine de fidèles des Cahiers du cinéma mécontents de l'évolution du site de la revue et surtout de la gestion du forum, ceux-ci ayant « avant tout l'envie de se faire plaisir dans une écriture sans limite de longueur ni contrainte commerciale et d'échanger au mieux avec les internautes20

», ce site est en réalité une revue uniquement disponible et téléchargeable en ligne composé d’un forum et d’un blog. Enfin, pour clore cette étude, il aurait été intéressant d’analyser le forum des Cahiers du cinéma. Cette célèbre revue s’est en effet mise à Internet. Cependant, le site ne connaît pas le même succès que la revue papier qui, elle-même, est en déclin. Malgré un forum toujours actif au début de notre étude, ce-dernier a fini par fermer ces portes, perdant de son professionnalisme. Pourquoi ces revues qui, autrefois, faisaient les grands noms de la critique de cinéma en France n’arrivent-ils pas à garder un nom malgré leur passage à Internet ? Comment à évoluer le forum des Cahiers du cinéma ? Les références en matière de critiques ont-elles toujours un impact important sur les spectateurs ? Autant de questions auxquelles on tentera d’apporter des réponses.

Multiple et développant plusieurs courants, la critique de cinéma pèse sur le devenir du cinéma. Si elle change assurément dans ses langages, elle mue également dans l’utilisation qu’on en fait. Beaucoup réinventent les réceptions de la critique et la manière de les partager avec d‘autres. Nous nous proposons alors d’aborder la critique de cinéma selon plusieurs axes afin d’offrir une vision aussi large que précise en gardant, pour fil rouge, son évolution et sa 18 Clément GRAMINIES est un journaliste ayant obtenu une maîtrise d’arts du spectacle mention cinéma et passionné par la critique cinématographique. 19 http://www.spectresducinema.org 20 Ibid., dans la rubrique « à propos ».

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dynamique ; la critique de cinéma se présentant sous des formes diverses qui n’ont pas toutes le même intérêt. Abordant d’entrée les questions de sa nature et de sa naissance, nous tenterons alors de proposer un certain nombre de définitions de la critique cinématographique qui nous conduira à traiter de son histoire aussi bien générale que spécifique à travers les revues spécialisées. Cela nous amènera ensuite à jauger la réalité du pouvoir de la critique, son influence, ses combats d’hier et d’aujourd’hui dans une mouvance entre critique et nouveau support de communication. La critique étant désormais ouverte, offerte à tous les âges, à tous les regards, à toutes les mains, nous finirons par explorer ces nouveaux acteurs autrefois passifs mais aujourd’hui décisifs.

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La critique de cinéma : définitions et histoire

Chapitre Premier

Attachée à l’étude des œuvres, la critique de cinéma s’est imposée, en France, comme un genre à part entière. Réputée subjective ou idéologique, elle est, pour beaucoup, seule garante de la légitimité du patrimoine : « l’artiste n’existe que sous le regard du critique. Il n’existe pas d’artiste sans commentaire ! La mort du commentaire signifie la disparition de l’artiste21

». De fait, la critique possède un rôle important mais comment le définir ? Nécessaire à l’accompagnement du spectateur et à l’approfondissement des recherches esthétiques propres aux études cinématographiques, la critique de cinéma se décline, en fait, sous divers champs. S’il est complexe de caractériser précisément ce qu’est la critique de cinéma, il n’en est pas moins qu’il est indéniable de s’y atteler pour comprendre la mutation que cette dernière est en train de subir. Survolant un panel de définitions, nous tenterons de délimiter notre approche à quelques grands thèmes au fondement de la critique. Féminin et masculin à la fois, le mot « critique » est également le reflet d’une profession. Il s’agira alors, au-delà de cela, de mettre en évidence les enjeux de cette activité, son inscription dans le cadre des media et surtout l’importance de l’écriture. Corporation singulière, les critiques ont mis du temps à gagner leur légitimité ; cela permettra alors de mieux appréhender ce qui distingue les critiques des simples cinéphiles. Du reste, de cinéphile à cinéphilie, il n’y a qu’un pas que nous ne manquerons pas d’effectuer. Phénomène incontestable de notre étude, nous reviendrons, dans ce premier chapitre sur l’histoire de la cinéphilie et, au travers elle, sur les principaux repères qui ont jalonné l’histoire de la critique de cinéma.

Suivant une approche socio-historique, ce premier chapitre servira alors d’armature à notre analyse. Comment comprendre et analyser la critique d’aujourd’hui sans en comprendre ses véritables sens ? Comment examiner les bouleversements provoqués par le medium Internet sans évoquer l’histoire de la critique cinématographique ?

21 Michel CIMENT in HOUBEN Jean-François, Feux croisés sur la critique : dix-sept entretiens, Paris, Cerf, coll. « 7ème art », 1999, p. 31.

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1. Nature et fonction de la critique cinématographique

Lorsqu’on lui a demandé de définir la critique de cinéma, Jean Douchet, cinéaste et critique aux Cahiers du cinéma de 1950 à 1960, répondit : « critiquer, c’est l’art d’aimer22

». Or, critiquer n’est pas chose si simple. A la fois manière d’expliquer et de juger une œuvre, en l’occurrence un film, la critique de cinéma ne possède pas de définitions justes et apporte parfois de nombreuses confusions, entre engouement, fascination et hostilité. Aussi commencerons-nous par proposer un certain nombre de définitions, de distinctions afin de clarifier les idées et montrer qu’il existe différentes manières de comprendre l’expression « critique de cinéma » qui se décline aussi bien au féminin qu’au masculin.

1.1 La critique de cinéma : différentes approches, différents statuts

Etymologiquement, le mot « critique » vient du mot grec krisis qui signifie également « crise ». La critique doit-elle alors forcément adopter une position négative comme le suggère, du reste, l’usage courant du nom et de l’adjectif « critique » ? Il n’en est rien. L’origine du mot ne renvoie pas nécessairement à un sentiment d’affrontement. Même si cela peut être évidemment possible, la critique doit davantage être considérée comme « une mise en écart23 ». En réalité, la critique relèverait alors d’un exercice décisif propre à tout être humain : l’esprit critique. L’importance accordée à la description des films, à leur évaluation selon des critères de goût ou de sens, à la possibilité d’un travail réflexif sur le cinéma, déploient les acceptations de l’expression « critique de cinéma ». Tirant ainsi sa noblesse de l’expression d’un avis personnel, la critique cinématographique est néanmoins remplie de spécificités. L’étude de la critique est complexe. Au premier abord, la fonction principale de la critique est d’assurer une médiation entre le film et le public. Comme l’affirme René Prédal, la critique de cinéma est « un produit hybride écartelé entre l’information, la communication et l’expression24 ». En ce sens, la critique a pour rôle de renseigner tout en touchant un lectorat, en influençant ses choix en matière de spectacle. Pour Louis Séguin, « la critique est affaire de provocation plus que de conviction. Le meilleur rôle qu’elle puisse avoir est de susciter, à propos d’un film, des réactions, de préférence violentes, chez le lecteur25

22 Jean DOUCHET, en réponse à l’enquête sur la critique in « La critique », Cahiers du cinéma, n° 126, décembre 1961, p. 7.

». La critique jouerait alors pleinement son rôle qu’après la projection, quand le spectateur a vu le film et que peut alors s’engager un fructueux échange entre l’avis

23 FRODON Jean-Michel, La critique de cinéma, op. cit., p. 9. 24 PREDAL René, La critique de cinéma, op. cit., p. 10. 25 Louis SEGUIN, en réponse à l’enquête sur la critique in « La critique », Cahiers du cinéma, n° 126, décembre 1961, p. 16.

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argumenté du critique et les réactions d’un spectateur demandant au film de lui procurer autre chose qu’un simple divertissement. Pourtant, la critique peut également endosser le rôle de guide, aidant le spectateur à déterminer le choix du spectateur. Elle serait, en ce cas, éminente avant la projection. Produit de loisir, un film est susceptible d’une évaluation en terme d’efficacité à remplir son rôle, la critique qui s’appuie sur cette conception peut donc, en effet, se contenter de fonctionner comme une sorte de guide à la consommation.

On le voit, la critique de cinéma est, sans conteste, difficile à cadrer. Tirant parti des richesses de la critique littéraire et artistique, forgeant des concepts, des outils, des théories, la critique cinématographique offre une juxtaposition de textes de nature hétéroclite : critique de forme littéraire, recherche du « beau », application de certains principes critiques venus d’autres arts ou tentative d’inventer un goût spécifique aux images en mouvement. La critique de cinéma peut alors prendre diverses formes. Bien qu’étant un genre à part entière, la critique de cinéma est « par vocation herméneutique, par facilité normative, par facilité impressionniste et en pratique esthétique26

». En d’autres termes, la critique cinématographique s’attache tout d’abord à expliquer le film. Elle en recherche le sens par une étude méticuleuse de l’architecture. Sous cette forme, la critique saisit alors la spécificité du regard porté par le cinéaste sur son histoire et ses personnages. La critique ne démontre plus exclusivement la subtilité psychologique de l’auteur mais davantage son métier de metteur en scène :

« L’œuvre de Welles est singulièrement riche en abus de confiance (The Lady From Shanghaï) ou en amitiés trahies (Othello). La complicité – étrange et scandaleuse – qui lie quelques temps Falstaff et le jeune prince rend de plus en plus évidente ce qu’elle passe sous silence : leur différence de nature. Mais il n’y aurait entre eux nulle fascination si chacun ne se sentait justement radicalement autre, symboles de deux mondes complémentaires et ennemis, comme pile et face d’une même pièce. D’un côté, Falstaff qui vit de son passé, de ce qu’il est déjà, dans l’entropie d’une liberté délibérément gâchée. De l’autre, le futur Henri V qui n’est rien encore, qui sera peut-être un grand roi s’il découvre ce juste rapport entre l’effort à fournir et le but à atteindre, l’austérité et la rigueur qui rendent le pouvoir utilisable27

».

Apparue en littérature dans les années 1850 en instituant l’idée de classicisme, la critique dite normative gagne le cinéma autour de 1950, période où sont alors résolus les soucis techniques et leurs conséquences des débuts du cinéma parlant. Cette époque connaissant, de plus, une révolution esthétique dans le cinéma, de nouvelles règles apparaissent au sein de la critique : les règles du langage, du récit et des genres. La critique cinématographique s’attache donc aux champs-contrechamps, aux mouvements d’appareil, aux cadrages ainsi qu’à la transparence technologique ou encore à la logique psychologique et 26 PREDAL René, La critique de cinéma, op. cit., p. 51. 27 Serge Daney explique, à propos du film Falstaff d’Orson Welles, que ce dernier n’incarne que des vaincus et que, fidèle en cela à Shakespeare, tout son cinéma est une réflexion sur l’idée même de pouvoir in DANEY Serge, « Chimes at Midnight, Welles au pouvoir », Cahiers du cinéma, n° 181, août 1966, p. 28.

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narrative. Pour autant, la critique ne répond pas à un dogme particulier : il n’y a pas de véritable grammaire du langage cinématographique. Par ailleurs, la mise en avant de la subjectivité du critique peut également amorcer fermement le dialogue. La critique impressionniste trouve alors son équilibre entre objectivité et subjectivité, entre le contexte, les apports historiques et l’avis du critique, ses opinions, ses idées. Critique de cinéma et neutralité semblent alors incompatibles. Si la fonction première de la critique est de parler des films, elle a, en outre, saisi systématiquement toutes les occasions de réfléchir sur sa nature. Cherchant la signification d’un film, sa raison d’être, elle se révèle être une critique d’information. Mais lorsque que la critique de cinéma s’attarde moins à discerner ce qui fait le film qu’à s’identifier à lui, on parle alors de critique de sensation s’opposant, du fait, à la critique d’explication qui vise davantage la satisfaction de l’esprit du spectateur en exposant comment est composée la scène. Tentant d’expliquer les usages réels et divers qui sont faits de la formule « critique de cinéma », il convient, probablement, de retenir la définition de Joël Magny qui voit dans la critique « un raisonnement qui doit démontrer, convaincre le lecteur mais aussi se convaincre soi-même, c'est-à-dire éclaircir ses propres idées28

». A partir de l’analyse d’un film, on suit, en effet, une certaine pensée critique pour produire une réflexion. Il convient en particulier de raconter l’histoire d’un film et de l’interpréter pour en livrer le sens. Plus que ces définitions, l’enjeu de la critique cinématographique réside, en fait, dans son écriture, rendre compte d’un film, images et sons, dans un certain langage. L’écriture est une spécificité importante de l’activité critique ; c’est, incontestablement, à travers elle que s’effectue concrètement le travail du critique.

1.2 Le métier de critique Pour Michel Mourlet, « l’efficacité de la critique ne repose sur rien d’autre que sur la séduction des mots29

». De fait, nul ne peut réfuter l’idée que la critique est un genre littéraire à part entière, mais, en ce cas, le critique est-il un journaliste ou un écrivain ? La réponse à cette question pourrait résider dans le choix du support : journaliste dans la presse, écrivain dans les revues et les livres. Seulement, cela n’est pas si simple.

« Si l’on compare une notule d’un quotidien de province avec un texte publié dans la revue Etudes cinématographiques, la distinction [entre journaliste et écrivain] semble valable, mais un texte de Jean-Michel Frodon dans Le Monde et un article sur un film secondaire dans le magazine Première inversent la hiérarchie30

28 HOUBEN Jean-François, Feux croisés sur la critique : dix-sept entretiens, Paris, Cerf, coll. « 7ème art », 1999, p. 292.

».

29 MOURLET Michel, Cahiers du cinéma, n° 163, janvier 1960, p. 18. 30 PREDAL René, La critique de cinéma, op. cit., p. 15.

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On l’aura compris, tout comme la critique de cinéma, le métier de critique peut être maintes fois interrogé. En réalité, la critique de cinéma est liée à l’écriture mais s’exprime dans les media. Le métier de critique de cinéma est, en effet, un métier qui se situe au croisement de deux mondes : le monde du cinéma et le monde des media. Il faut alors distinguer deux types de critiques : le journalisme et la réflexion, mêlant théorie du cinéma et analyse. La première a pour fonction de juger, de se faire guide du spectateur ; la seconde est d'une tendance davantage universitaire, elle privilégie ici une analyse désintéressée du film. Ainsi, la première catégorie implique de « simples » journalistes qui disposent d'une carte de presse délivrée par la Commission de la carte d’identité nationale des journalistes professionnels alors que la seconde est composée de journalistes spécialisés qui disposent aussi de la « carte verte », une carte de critique de cinéma délivrée par une commission où siègent les représentants de l’Etat et des professions concernées31

. De fait, le critique de cinéma possède une légitimité incontestable, chose que n’ont pas nécessairement les spectateurs internautes.

Dans le monde du cinéma, le critique de cinéma a pour principal interlocuteur l’attaché de presse, un employé du distributeur d’un film, chargé d’aider à sa promotion auprès des media. Pour les distributeurs, les critiques sont des relais utiles qui assurent au film une visibilité dans les media et, le cas échéant, incitent les lecteurs à aller le voir. Néanmoins, ils peuvent aussi nuire à la carrière commerciale du film soient parce qu’ils n’en parlent pas, ou peu, soit parce qu’ils dissuadent les lecteurs de se déplacer. Ainsi, pour s’assurer que les critiques parleront des films, si possible de manière élogieuse, l’attaché de presse dispose de deux principaux outils. D’une part, il fabrique un « dossier de presse » qui donne aux critiques les principales informations sur le film (nom des acteurs et des techniciens, durée, date de sortie, synopsis) ainsi qu’un certain nombre d’informations telles que la filmographie des principaux protagonistes du film ou encore des documents de référence à propos du réalisateur, du producteur… D’autre part, l’autre outil dont l’attaché de presse dispose est la projection de presse, une séance spéciale organisée avant la sortie des films à l’usage exclusif des critiques32

31 Deux syndicats représentent les critiques de cinéma, le Syndicat national de la critique et l’Union des journalistes de cinéma.

. Les projections de presse se sont généralisées dans les années 1960. Auparavant, il n’était pas rare que les critiques aient à attendre la sortie en salle, et donc ne publiaient leurs textes qu’après. Par ailleurs, les projections de presse contribuent également à constituer les critiques en un groupe différent du public, voyant les films ensemble et selon un autre calendrier. Ce phénomène étant conforté par une autre occasion pour les critiques de voir les films en avance : les festivals offrant aux professionnels la possibilité de découvrir

(cf. FORD Charles et JEANNE René, Le cinéma et la presse, Paris, Armand Colin, coll. « Kiosque », 1961) 32 Les critiques n’ont pas les mêmes obligations de délais. Les critiques des mensuels ont besoin d’avoir vu les films bien avant que ceux qui travaillent pour les quotidiens, notamment. Ces séances s’étalent sur plusieurs semaines avant la date prévue pour la sortie nationale.

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des nouveautés du monde entier comme les festivals de Cannes, de Deauville ou encore de La Rochelle, pour ne citer que les importants.

Depuis les années 2000 et les possibilités qu’offrent les nouvelles technologies,

l’usage des « screeners » (DVD destinés aux acheteurs et aux critiques) se généralise pour diverses raisons : moins chers que l’organisation de projections de presse pour le distributeur, ils permettent un accès plus souple au film pour les critiques. Medium constamment en évolution, cette pratique devrait être prochainement supplantée par la possibilité de visionner les films sur les sites Internet des distributeurs, à condition que les mesures anti-piratage soient au point et que tous les critiques disposent du haut débit, ce qui n’est pas encore le cas aujourd’hui ; sans compter les différents points de vue sur ce nouveau support. Deux camps, effectivement, apparaissent. Il y a ceux qui sont contre cette évolution démontrant qu’il est dommageable que des films qui sont conçus pour être vus dans une salle de cinéma soient découverts sur un écran de petite taille, perdant alors les valeurs du cinéma (vision collective, obscurité de la salle…). Puis, il y a ceux qui trouvent des avantages à cette évolution : Internet permet de poursuivre une recherche et une réflexion sur un film avant de rédiger la critique (possibilité de revoir tout ou partie du film au moment d’écrire sa critique)33

.

On le voit, les critiques de cinéma forment une véritable corporation distincte du public. Si tout le monde peut discuter sur un film, tout le monde ne semble pouvoir exercer l’activité de critique en tant que tel d’autant plus qu’au regard de l’histoire, les critiques ont été en permanence amenés à imposer et réimposer leur légitimité. La place de la critique au sein d’une publication dépend de nombreux facteurs. D’une part, au travers de la subjectivité au jugement de valeur, la nature du travail critique est, à certains égards, en divergence avec les autres pratiques journalistiques ; si bien que le critique apparaît comme étant mis à l’écart.

« L’activité critique réduite à la portion congrue, et même dans certains cas transformée en notulettes de taille ridicule, s’est trouvée exilée dans des pages ou des suppléments réservés aux services et aux loisirs par la plupart des grands newsmagazines (Le Nouvel Obs, L’Express, Le Point…)34

».

Le combat des critiques pour imposer leur légitimité s’est sans cesse renouvelé, la reconnaissance et le statut de critique n’étant pas choses simples à acquérir même si la question du statut de la critique se pose néanmoins différemment dans une revue de cinéma. Effectivement, sa légitimité et sa prééminence sur les autres rédactions sont admises voire évidentes. Dans tous les cas, la critique est, on l’a dit, un geste personnel. Ainsi, les lecteurs assidus de telle ou telle presse, de telle ou telle revue reconnaissent, au fil du temps, l’écriture des critiques, leurs signatures. Une certaine relation naît alors entre le critique et le spectateur 33 cf. BOURBON Jérôme et FRODON Jean-Michel (dir.), L’œil critique, Bruxelles, De Boeck, coll. « Media recherches », 2002. 34 FRODON Jean-Michel, La critique de cinéma, Paris, Cahiers du cinéma, coll. « les petits cahiers », 2008, p. 39.

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au travers du support papier. Cette relation est, certes, accentuée au sein des revues historiques comme Les Cahiers du cinéma ou Positif, mais c’est également le cas pour des magazines dits « grand public » comme Première, Studio ou encore Ciné-Live où les critiques ont chacun leur personnalité, leur ton, leur manière de s’exprimer35

. Mais une autre relation est présente entre le critique et le spectateur. Cette relation est, en réalité, davantage une pratique commune aux deux protagonistes : la cinéphilie. Connaissant son véritable essor dans les années 1940, c’est de là que sont nés les grands critiques et c’est au nom de cette passion pour le cinéma que se sont exprimés ces derniers.

1.3 La cinéphilie : entre supériorité de l’expert et jugement du spectateur

« La cinéphilie désigne la culture cinématographique, au double sens d’un savoir acquis par l’expérience des films et d’une action de cultiver le plaisir cinématographique. Elle recouvre tout à la fois la mémoire et la capacité à juger acquise au contact d’une technique artistique fréquentée pendant notre loisir d’homme libre36

».

Considérée comme une manière de voir les films, d’en parler, puis de diffuser ce discours, la cinéphilie est, en quelque sorte, une manière de considérer le cinéma dans son contexte. D’un point de vue historique, le discours cinéphile apparaît, en France, dès les années 1920. Laurent Jullier et Jean-Marc Leveratto propose de distinguer trois époques de la cinéphilie37. La première époque, dans les années 1920, est celle d’une cinéphilie portée par les élites européennes et les artistes d’avant-garde. Parmi les premiers à s'éprendre de ce qui n'était pas encore considéré comme le « septième art », Louis Delluc fut l’un des premiers créateurs de ciné-clubs, entre 1917 et 192438. Cette première période a connu un certain ralentissement aux environs des années 1930, à l’approche de la Seconde Guerre mondiale. Une seconde vague, nettement plus importante, est représentée juste après ce conflit par les Cahiers du cinéma et l’essor des ciné-clubs39

. Enfin, commençant au milieu des années 1980, apparaît une troisième étape qui se caractérise par la prise de distance par rapport aux grandes théories exposées par les critiques.

La fin de la guerre entraîne, en France, une période de fréquentation des salles de cinéma sans précédent. Cet enthousiasme, observable pendant l’Occupation, où l’on

35 voir infra (2.3 Une nouvelle façon de penser la critique (1944-1960)). 36 JULLIER Laurent, LEVERATTO Jean-Marc, Cinéphiles et cinéphilies, Paris, Armand Colin, coll. « Cinéma / Arts visuels », 2010, p. 3. 37 Ibid, p. 37-38. 38 Louis Delluc (1890-1924) est l’un des premiers théoriciens et critiques indépendants en France. Il fut également réalisateur et scénariste. 39 voir infra (2.3 Une nouvelle façon de penser la critique (1944-1960)).

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comptabilisait 300 millions de spectateurs en 1942 et 1943, s’accroît jusqu’à atteindre les 400 millions à la Libération et 424 millions au cours de l’année 194740. Cela s’explique notamment par la quantité extraordinaire des films de production hollywoodienne présentés dans les salles de cinéma françaises mais aussi et surtout par le fait que l’après-guerre est une période où le cinéma « se définit comme une contre-culture41 ». Comme l’ont démontré les études d’Antoine de Baecque et Thierry Frémaux, la cinéphilie est au cœur de l’histoire du cinéma et est ancrée dans l’histoire culturelle ; celle-ci croisant différentes problématiques liées à la cinéphilie42

. La constitution d’un public autour d’un film, la prolongation d’une tradition de critique d’art, l’influence de certains courants de pensées fondent en effet la cinéphilie. Si elle se normalise dans les années 1930 sous l’effet du travail que suscite le loisir cinématographique, elle s’institutionnalise dans les années 1950 marquant une étape importante. Elle représente, en effet, le moment de la conquête de l’écriture par des spectateurs. Cela va donner naissance à l’écriture cinéphile et, par élargissement, à la critique cinématographique qui s’impose alors légitimement.

« Avant d’être critique de cinéma, on est en premier lieu cinéphile et l’on éprouve ensuite le besoin de faire partager la passion que l’on ressent pour l’objet de sa critique43 ». Dans son enquête sur le métier de critique, en 1984, la revue Cinéma 84 demandait aux professionnels : « Comment êtes-vous venus à la critique de cinéma ? ». Les réponses confirment alors la citation de René Prédal : 59% des personnes interrogées sont devenues critiques par la cinéphilie uniquement, 16% par le journalisme et 21% par la cinéphilie et le journalisme44. De fait, le critique est d’abord un amateur, un amoureux du cinéma oscillant entre passion et curiosité (goût de la découverte, de la nouveauté). Abonnés aux revues spécialisées, certains lecteurs envoient un jour un texte au comité de rédaction de leur publication favorite où ils rêvent d’y écrire. La cinéphilie devient alors un mode de perception élitiste, on parle de cinéphilie « parisienne », une cinéphilie aristocratique, quelque peu snob. Ces critiques revendiquent le jugement esthétique : pour eux, le cinéma est beaucoup plus qu’une affaire de représentation et mérite d’être considéré comme une occasion de jugement esthétique. « On ne peut devenir cinéphile en ce sens que par son investissement personnel et par son exigence esthétique, par le traitement de chaque film comme un objet singulier45

De là, nous vient une question. La cinéphilie se réduit-elle au discours savant sur le cinéma et sur certains films véhiculés par les media et les revues spécialisées ? La réponse est

».

40 Source : CHOLLET Laurent, « Cours, camarade... La séance a commencé », L'Homme et la société, n° 142, avril 2001, p. 46. 41 BAECQUE (de) Antoine, Les Cahiers du cinéma, histoire d’une revue, tome 1 : A l’assaut d cinéma (1951-1959), Paris, Cahiers du cinéma, 1991, p. 26. 42 BAECQUE (de) Antoine et FREMAUX Thierry, « La cinéphilie ou l'invention d'une culture », Vingtième Siècle. Revue d'histoire, n° 46, avril-juin 1995. 43 PREDAL René, La critique de cinéma, Paris, Armand Colin, 2004, p. 8. 44 « La critique en question », Cinéma 84, n° 301, janvier 1984. 45 JULLIER Laurent et LEVERATTO Jean-Marc, Cinéphiles et cinéphilies, op cit., p. 124.

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non. Il existe en effet plusieurs manières d’appréhender le cinéma. Au-delà de la cinéphilie savante, il existe une cinéphilie ordinaire qui ne sort part du cadre de la conversation amicale et intime, celle de l’amateur de cinéma ordinaire. D’un point de vue sociologique, en tant qu’expression d’un amour pour le cinéma, la cinéphilie ne peut se réduire à un discours d’intellectuels. La cinéphilie est une conduite partagée par tous ceux qui se sont attachés, à travers leur consommation régulière de films, au cinéma. Or, cette cinéphilie sort de son silence aujourd’hui. Alors que les critiques de cinéma, comme évoqué précédemment, ont mis du temps à s’imposer et à gagner en légitimité, cette « cinéphilie de masse »46, ces nouveaux amateurs éclairés inquiètent les professionnels d’autant plus qu’Internet, on le verra, « a contribué à renforcer de manière spectaculaire ces cinéphiles ordinaires, profanes, décomplexées, qui n’existaient que dans le cadre familial, ou amical47

».

Comprendre la critique de cinéma et son métier, c’est comprendre sa mutation actuelle, les inquiétudes face aux nouveaux espaces de communication. Mais cela n’est pas tout. Alors que l’on se pose nombre de questions sur ce qu’est la critique aujourd’hui, comment faire fi de ce qu’elle a été autrefois. Bien que les critiques ne soient pas tous d’accord sur ces critères, voici les qualités demandées à un bon critique48. Tout d’abord, il y a l’amour du cinéma. Vient ensuite une connaissance approfondie de la technique cinématographique et une grande qualité d’écriture, il faut du style, être lisible, clair et pédagogique. Enfin, il faut avoir le sens de la hiérarchie, d’une échelle de valeur qui permette des comparaisons pertinentes. Mais le critique doit aussi avoir une culture, être un spécialiste du cinéma et s’appuyer sur les courants et les théories critiques du passé : « un critique digne de ce nom devrait toujours avoir quelques gouttes de son histoire dans ses veines49

».

2. Naissance de la critique de cinéma A l’heure où beaucoup se posent la question du chemin que prend la critique de cinéma, il n’est pas inutile de jeter un regard rétrospectif sur ce qu’elle a été avec ses défaillances et ses accomplissements. Alors que la place accordée à l’analyse des films dans les quotidiens, les hebdomadaires et même les mensuels, diminue chaque année davantage au bénéfice du reportage promotionnel ou du simple commentaire sur Internet, il est bon de mesurer la richesse que peut représenter le libre exercice d’un jugement critique50

46 Expression de Laurent JULLIER et Jean-Marc LEVERATTO in Cinéphiles et cinéphilies, op cit., p39.

. Sachant

47 DUPUY-SALLE Manuel, chercheur à l’Université Stendhal de Grenoble in MURAT Pierre, « Faut-il brûler les critiques ? », Télérama, n° 3194, avril 2011, p. 48. 48 cf. LAURENT Sébastien, « Critiquer », Mil neuf cent, n° 26, janvier 2008, p. 9. 49 MURAT Pierre, « Faut-il brûler les critiques ? », Télérama, n° 3194, avril 2011, p. 48. 50 voir infra (chap. II – 1.2 Revues spécialisées : déclin ou évolution ?).

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qu’il est difficile d’analyser un fait sans en comprendre ses origines, aussi allons nous observer le paysage de la critique cinématographique au travers des événements qui l’ont fait naître.

2.1 Légitimation d’un art et entrée dans les mœurs journalistiques (1895-1930)

Les premiers articles sur le cinéma sont ceux qui rendent compte de la présentation de l’invention des frères Lumière à savoir quelques mentions dans la presse lyonnaise, début juin 1895 puis après la première projection publique de cinématographe, le 28 décembre 1895. En effet, le 30 décembre paraissent les deux premiers articles rendant compte de la projection, dans Le Radical et La Poste51. Néanmoins, il ne s’agit pas de textes critiques mais de descriptifs informatifs traitant de cette nouveauté à la fois scientifique et spectaculaire à laquelle va rapidement s’intéresser le public. Très vite, des revues voient le jour, accordant un intérêt particulier au cinéma au point d’y consacrer, cette fois, des articles de fond. La première du genre étant Ombres et lumière52. En novembre 1897, Léon Gaumont, soucieux d’assurer le bon rendement commercial de ses productions (jusqu’en 1907, les films sont vendus et non loués), lance la première publication corporative : La Mise au point53. A côté d’informations strictement techniques, concernant la qualité des appareils, leur prix de vente, la primauté du label Gaumont sur tous ses concurrents, on trouve de couts renseignements sur les premiers films produits par la firme sans pour autant, on s’en doute, qu’il y ait un regard critique. Concurrent direct de Léon Gaumont, Charles Pathé ne tarde pas à suivre son exemple en lançant un Bulletin phonographique et cinématographique54

. On l’aura compris, la critique de cinéma des origines s’est, très tôt, exprimée dans une presse spécialisée. Cependant, cette presse, de type corporatif ou promotionnel, destinée en priorité à une clientèle d’exploitants voire aux scientifiques s’intéressant à cette nouvelle invention, propose des articles de vulgarisation ou de publicité pour tel ou tel appareil. Ces textes ne relèvent pas véritablement de la critique mais amorcent pourtant un courant.

On peut dater de 1908 l’apparition des premiers vraies critiques de films, essayant de dépasser la promotion et le résumé de scénario, à propos de L’Assassinat du Duc de Guise. Ce film est le premier se revendiquant du « cinéma d’art », cherchant ses lettres de noblesse

51 cf. MAGNY Joël (dir.), « Histoire des théories du cinéma », Paris, CinémAction, n°20, 2ème trimestre 1982 (réédité par Corlet-Télérama en 1991), 260 p. 52 Cette revue est, à l’origine, un journal mensuel de photographie qui paraît dès juillet 1895. 53 Léon Gaumont (1864-1946) est un inventeur et un industriel français, pionnier de l’industrie du cinéma. 54 Charles Pathé (1863-1957) est un industriel et un producteur de films pour le cinéma.

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culturelle dans la reproduction d’une pièce de théâtre55. Les premières critiques qui paraissent à cette occasion sont alors signées par des critiques de théâtre, sous l’appui de la critique littéraire. Apparaît ainsi un double processus de légitimation ; « on est passé, insensiblement, de l’âge des forains, ces analphabètes, à celui des intellectuels56». Néanmoins, il faut attendre la Première Guerre mondiale pour qu’une nouvelle génération de cinéphiles apparaisse, consciente de la nécessité d’un apport esthétique libre. L’impulsion est donnée par Ricciotto Canudo, homme de lettres d’origine italienne établi à Paris, quand il trouve dès 1911, l’expression « septième art » qui sera finalement adoptée57 ; ce dernier tentant de dégager la spécificité d’un art cinématographique face à beaucoup d’intellectuels sceptiques dénigrant le cinéma, à cette époque. On le voit, il a fallu quelques coups de force à la fois de l’actualité cinématographique et de la réflexion des gens de lettres pour provoquer l’écriture de textes critiques. Toujours est-il qu’à partir de 1914, une véritable presse cinématographique spécialisée se constitue. Cette presse envisage différentes approches possibles, entre presse corporative destinée prioritairement aux professionnels et exploitants (Hebdo-Film, Le Cinéopse, Cinéma-spectacle ou encore La Cinématographie française) et revues davantage centrées sur l’analyse (Le Film, L’Argus du cinéma, Ciné pour tous). En 1915, la diffusion, en France, du film Forfaiture suscite une nouvelle vague de vocations58

. Frappés par le style du film, de nombreux intellectuels amateurs d’art éprouvent le besoin d’exprimer leur enthousiasme et de le faire partager aux lecteurs des magazines littéraires ou des pages « spectacles » de la presse quotidienne.

« Et soudain, une nouveauté : un critique de cinéma se manifeste dans Paris-Midi. Il s’appelle Louis Delluc. Il semble indépendant de tout, sauf de ses partis pris. Il adore le cinéma. Il le vénère à l’égal des plus hautes créations de l’esprit […] il a publié les premières pages sur le cinéma que l’on puisse retenir en créant véritablement la critique des images mouvantes, lui insufflant le sang, la vie, l’audace59

».

Louis Delluc, signant son premier article en 1917, est considéré comme le premier grand nom de la critique de cinéma. Assurant une rubrique régulière dans deux quotidiens, Paris-Midi et Bonsoir, il écrit aussi dans l’hebdomadaire Le Film avant de créer lui-même Le Journal du Ciné-Club et Cinéa, des revues grand public. Véritable fondateur de l’activité de critique de films, pour Jean-Michel Frodon60

55 Ce film tente de légitimer le cinéma comme un art et notamment à travers ces acteurs principaux (Charles Le Bargy et André Calmette issus de la Comédie Française), son scénario (écrit par Henri Lavedan, Académicien français) et sa musique (composée par Camille Saint-Saëns, issu du Conservatoire national).

, Louis Delluc crée également l’expression

56 CIMENT Michel et ZIMMER Jacques (dir.), La critique de cinéma en France : histoire, anthologie, dictionnaire, Paris, Ramsay, 1997, p. 15. 57 cf. CANUDO Ricciotto, Manifeste des Sept Arts, Paris, Séguier, coll. « Carré d’art », 1995 (édition originale de 1922). 58 Forfaiture (The Cheat) est un film américain de Cecil B. DeMille. 59 CIMENT Michel et ZIMMER Jacques (dir.), La critique de cinéma en France […], op. cit., p. 17. 60 FRODON Jean-Michel, La critique de cinéma, Paris, Cahiers du cinéma, coll. « les petits cahiers », 2008, p. 48.

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« ciné-club » et lance le mouvement qui portera ce nom et qui jouera un rôle majeur pendant quarante ans61

.

« [Louis Delluc] substitue des jugements clairs, précis, ironiques parfois, sincères toujours, exprimés en un style dru et incisif. Par là, il sut faire partager ses enthousiasmes, convaincre les réfractaires, encourager les hésitants. Sans se perdre dans des considérations esthétiques, que le cinéma ne permettait pas encore, il va droit à l’essentiel, souligne les qualités d’une œuvre, les explicites ou donne ses raisons et de là, tire toujours des conclusions qui vont du particulier (le film) au général (le cinéma lui-même)62

».

Il faut toutefois souligner que Louis Delluc n’était pas le seul, à l’époque, à jeter les bases d’une véritable critique de cinéma. A la suite et autour de lui, au cours des années 1920, une première génération de critiques professionnels apparaît dont les principaux tenants sont René Jeanne, Emile Vuillermoz ou encore Léon Moussinac. Ces critiques mettent en œuvre un travail intellectuellement ambitieux, comparable à la critique littéraire, théâtrale ou picturale et revendiquent des opinions divergentes, marquées notamment par les engagements politiques des différents auteurs63. Un grand nombre de périodiques spécialisés vont surgir entre 1920 et 1929, Michel Ciment et Jacques Zimmer en dénombrent une cinquantaine dont dix pour la seule année 192264

. Parmi eux, il y a notamment Cinémagazine, Cinéa-Ciné, Ciné-Miroir ou encore Mon Ciné. Ces revues se tiennent à égale distance du public populaire et du cercle cinéphile mêlant industrie cinématographique et art ou culte des vedettes et réflexion sur l’évolution du cinéma.

Si une première génération de critiques professionnels s’affirme alors, simultanément de grands écrivains s’intéressent de près au cinéma. Louis Aragon, Robert Desnos, Jean Cocteau, Antonin Artaud se mettent à écrire sur le cinéma. On assiste ainsi à l’essor d’une théorie esthétique du cinéma. Entre art littéraire, journalisme et réflexion théorique, la critique de cinéma se consolide à l’aube du cinéma parlant.

2.2 Les affrontements politiques (les années 1930 et l’Occupation)

La crise économique de 1929 qui gagne l’Europe et la France s’accompagne d’une crise politique à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. C’est, par ailleurs, le temps des tumultes, celui de Staline, Hitler, Mussolini, des guerres d’Abyssinie ou d’Espagne. Tout cela

61 Aujourd’hui, du reste, le principal prix remis par un jury de critique est le Prix Louis Delluc, créé en 1937 et souvent surnommé le Goncourt du cinéma. 62 MITRY Jean, Louis Delluc, Paris, L’Avant-Scène, coll. « Anthologie du cinéma », 1971, p. 37. 63 cf. GAUTHIER Christophe, « L’introuvable critique. Légitimation de l’art et hybridation des discours aux sources de la critique cinématographique », Mil neuf cent, n°26, janvier 2008. 64 CIMENT Michel et ZIMMER Jacques (dir.), La critique de cinéma en France […], op. cit., p. 19.

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suffit à attribuer aux années 1930 une physionomie différente de la décennie précédente. Le changement est particulièrement sensible dans la vie intellectuelle française, dans les débats et les publications ; la politique et l’idéologie occupant une place de plus en plus importante et particulièrement le clivage gauche-droite. Malgré une prise moins directe avec toute cette actualité, le cinéma n’échappe pas à ces nouveaux affrontements. Films sociaux ou politiques destinés à faire réagir les spectateurs vont avoir le même effet sur les critiques. En effet, à travers ces films, les critiques vont être amenés à dévoiler leurs opinions, qui sont avant tout celles des journaux où ils écrivent. Obligés de prendre parti les critiques se trouvent alors automatiquement dans un des clans qui s’affrontent alors ; certains avec emportement, d’autres avec modération. Parallèlement, les années 1930 voient l’arrivée du cinéma parlant, méprisé par la plupart des critiques qui soulèvent la question de « la mort du cinéma comme art autonome65 ». Beaucoup redoutent, en effet, que le cinéma soit supplanté par le théâtre filmé. C’est alors que Marcel Pagnol ou Sacha Guitry vont s’inscrire contre les défenseurs du muet défendant « les puissances du cinéma rehaussées par le verbe66

».

Mais, on le disait, cette époque est surtout marquée par les affrontements politiques. Coup d’Etat manqué de la droite en 1934, victoire électorale de la gauche en 1936 marquent l’entrée retentissante de l’idéologie dans la critique de cinéma qui se lance dans des combats passionnés. Une partie des critiques ne juge alors plus qu’avec leurs convictions politiques. Les grands débats se construisant autour de sujets polémiques (la censure, la xénophobie), techniques (la couleur, le relief), politiques (la crise, l’organisation du cinéma) ou encore autour du culte des vedettes. L’esthétique dégénère également rapidement en politique et notamment à propos du réalisme poétique et des disputes qu’il provoque67

. Cette critique des années 1930 a mauvaise réputation, elle est, en réalité, délibérément ignorée. Pourtant, ce constat doit être tempéré.

« Si les circonstances ont rarement permis que la critique des années 30 fût une critique de réflexion, cela ne signifie pas qu’elle fût pauvre en talents, ni sans qualité. Critique d’humeur pour sa meilleur part, critique impressionniste à l’image de ce qu’offrait de mieux la critique littéraire, elle fut aussi dans quelque cas une critique brillante, voire étincelante, pétrie d’intelligence et de culture, même dans les polémiques les plus hasardeuses68

».

A cet égard, de grands noms de la critique apparaissent tels que Roger Leenhardt, Pierre Bost, Henri Jeanson ou encore Marcel Achard. Parmi eux, Georges Sadoul devient une figure importante de la critique de cinéma et incarne, au cours de trois décennies, « la critique communiste par excellence69

65 FRODON Jean-Michel, La critique de cinéma, op. cit., p. 51.

». En revanche, la grande presse est absente dans l’histoire de la

66 Sacha GUITRY cité in Ibid, p. 51. 67 cf. CIMENT Michel et ZIMMER Jacques (dir.), La critique de cinéma en France […], op. cit., p. 39-40. 68 Ibid, p. 32. 69 PREDAL René, La critique de cinéma, Paris, Armand Colin, 2004, p. 35.

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critique sur cette période. Cette absence s’explique principalement par le fait que cette presse est accusée de vénalité, soumise aux pressions et aux consignes des agents de publicité, Roger Leenhardt constatant que « la presse parisienne n’offre aucune rubrique cinématographique à laquelle se fier » et invoquant « la vénalité des quotidiens liés par des contrats publicitaires70

». Toutefois, il est à noter, pour cette époque, la création de la Cinémathèque française par Henri Langlois, Georges Franju, Jean Mitry et Paul-Auguste Harlé en 1935. Cette institution va devenir, après la Seconde Guerre mondiale, une véritable école de la critique.

L’armistice de juin 1940 et l’Occupation mettent paradoxalement fin aux combats critiques en faisant place nette au profit de la presse de droite, de préférence collaboratrice et fasciste. Pendant l’Occupation, le pouvoir et la presse sont en effet entre les mains des collaborateurs, la plupart des critiques soutenant l’Allemagne nazie à l’image de Lucien Rebatet qui devient le véritable critique vedette de la période 1940-1944. Exprimant d’abord un fort antisémitisme à tout ce qui vient d’Allemagne, ce dernier trouve ensuite son vrai combat dans la défense nationaliste exacerbée du cinéma français. Bien qu’il reste jusqu’à sa mort un fidèle de l’idéologie nazie, il n’en ait pas moins qui lui a été reconnu une certaine justesse de jugement esthétique et une liberté d’esprit dans le domaine de l’art71. En réalité, Lucien Rebatet s’intéresse à la qualité des films plus qu’aux engagements de ceux qui les ont faits offrant une nouvelle articulation entre idéologie et esthétique. Cette époque voit également, évidemment, apparaître des journaux clandestins comme L’Echo des étudiants ou encore Combat où débute André Bazin, qui fondera, en 1951, l’une des plus célèbres revues spécialisées sur le cinéma : Les Cahiers du cinéma. Avec lui, « c’est une ère nouvelle, un âge moderne qui fait son entrée avec éclat72

».

2.3 Une nouvelle façon de penser la critique (1944-1960) A la Libération, le retour sur les écrans des films américains stimule un goût pour le cinéma déjà intense, marquant ce que l’on commence à appeler la cinéphilie73

70 LEENHARDT Roger in CIMENT Michel et ZIMMER Jacques (dir.), La critique de cinéma en France […], op. cit., p. 34.

. Un mouvement large gagne tout le pays et concerne des millions de spectateurs : les ciné-clubs. Le plus souvent créés par des sections locales de partis politiques, surtout le Parti Communiste français, ou de syndicats, ou par des églises ou des mouvements religieux, fortement reliés au réseau enseignant, les ciné-clubs présentent régulièrement des films dans

71 cf. Ibid, p. 50-52. 72 CIMENT Michel et ZIMMER Jacques (dir.), La critique de cinéma en France […], op. cit., p. 53. 73 voir supra (1.3 La cinéphilie : entre supériorité de l’expert et jugement du spectateur).

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un autre contexte que les salles commerciales74

. Ces ciné-clubs généralisent, en fait, l’idée qu’un film appelle un débat, une réflexion partagée. Les ciné-clubs sont un espace de liberté, il existe des ciné-clubs de ville, des ciné-clubs élitaires ou luxueux. Ils forment une génération de jeunes spectateurs passionnés à une lecture différente, référencée, active du fait cinématographique. Les ciné-clubs sont un lieu où se développe une critique orale. Ils accompagnent et amplifient la réceptivité d’un vaste public à la critique dans une ambiance entretenue par les animateurs de ces ciné-clubs. Simultanément se développe un autre mouvement de cinéphilie autour de la Cinémathèque française. Ce lieu va effectivement donner naissance à des critiques de nouvelle génération mais également à certains ciné-clubs particulièrement militants comme le club Objectif 49, fondé en 1948 par Roger Leenhardt.

« On ne s’exprime pas seulement par l’écriture. Mais aussi par la parole et l’action. Poussé par mes jeunes camarades qui étaient, outre Bazin, Astruc et Tacchella, Truffaut, Kast, Doniol-Valcroze, Rivette et peut-être Rohmer, je fondai Objectif 49. Objectif était plus qu’un ciné-club. […] C’est la lourde servitude, mais aussi la chance unique du cinéma, d’être voué à plaire à un large, un très large public. Alors que tous les arts traditionnels ont évolué depuis la Renaissance vers des formules réservées à une mince élite privilégiée de la fortune ou de la culture, le cinéma est congénitalement destiné aux foules du monde entier. […] Là encore, c’est au génie de l’artiste et au travail du critique de discerner les bonnes nouveautés des mauvaises, les audaces auxquelles le public s’habituera plus tard de celles qui sont incompatibles avec le caractère populaire du cinéma75

».

Cette période d’après-guerre marque une volonté d’assainir la pratique de la critique cinématographique en réfléchissant à sa nature et à ses fonctions. Dès 1943, André Bazin écrivait, dans L’Echo des Etudiants, un article intitulé « Pour une critique cinématographique »76

. Cet article est, en vérité, une critique de la critique. André Bazin s’attaque au caractère limité des chroniques cinématographiques, à l'absence de culture de ceux qui les font et invite à une certaine spécialisation du métier. On y voit une nouvelle façon de penser la critique. Pour lui, l’évolution de la critique de cinéma doit suivre celle du public.

« On se demande des fois avec colère si ceux qui entreprennent d’écrire du cinéma ont une notion élémentaire de ses moyens d’expression car du moins ils n’en soufflent mot. Imagine-t-on une critique d’opéra qui ne critiquerait que le livret ? Or, on chercherait en vain dans la plupart de nos chroniques de films une opinion sur le décor ou sur la qualité de la photographie, des jugements sur l’utilisation du son, des précisions sur le découpage, en un mot sur ce qui fait la matière même du cinéma » et d’ajouter, à propos de la presse : « cette critique des hebdomadaires est importante, c’est elle qui peut recruter en faveur du cinéma un public cultivé, c’est elle qui crée les mouvements

74 cf. CHOLLET Laurent, « Cours, camarade... La séance a commencé », L'Homme et la société, n° 142, avril 2001, p. 48. 75 LEENHARDT Roger, Chroniques de cinéma, Paris, Cahiers du cinéma, coll. « Ecrits », 1986, p. 96. 76 Le texte intégral est repris in BAZIN André, Le Cinéma français de la Libération à la Nouvelle Vague (1945-1958), Paris, Cahiers du cinéma, coll. « Cinéma essais », p. 104-110.

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d’opinions. C’est pourquoi elle doit être vigoureusement militante, c’est pourquoi aussi son amollissement nous semble une trahison, une merveilleuse occasion gâchée77

».

Il s’agit alors d’un véritable plan de reconstruction de la critique de cinéma, ce qui fait d’André Bazin d’être « le seul critique qui l’ait été complètement78 ». C’est dans ce contexte que naissent de très nombreuses revues. Dans l’immédiat après-guerre, deux d’entre elles accueillent la quasi-totalité des critiques de l’époque : La Revue du cinéma et L’Ecran français79. Naissent aussi, dès 1946, deux autres titres importants : Téléciné, publié sous l’égide d’organisations catholiques et Image et son qui émane d’une puissante association d’enseignants. A noter également, en 1947, la création de la revue Radio-Loisir qui continue, en 1949, sous le nom de Radio-Cinéma-Télévision pour devenir, en 1960, Télérama. A côté de nombreux autres titres plus éphémères, 1951 voit la naissance des Cahiers du cinéma. Fondé par Jacques Doniol-Valcroze et André Bazin, cette nouvelle revue se place dans la continuité de La Revue du cinéma. Encadrés par des pages de publicité, deux parties s’équilibrent au sein de chaque numéro : des articles de fond puis des critiques et des notes biographiques. Antoine de Baecque note que « dans leurs premières années, les Cahiers n’ont pas de ligne éditoriale fixe ni fixée80 ». Mais l’arrivée de François Truffaut marque un tournant dans l’histoire de la revue. Il apporte, en effet, un ton offensif, mis au service d’une stratégie de rupture et de conquête au nom des « Jeunes Turcs », ces jeunes critiques nommés Jean-Luc Godard, Eric Rohmer ou encore Claude Chabrol. En effet, les années 1950 sont marquées par la lutte menée par ces « Jeunes Turcs »81

. Ces derniers défendent le cinéma hollywoodien (Hitchcock, Hawks) et attaquent le cinéma français dominant tandis que les « anciens » défendent, au contraire, ce cinéma français. C’est, du reste, en faveur de ces « Jeunes Turcs » que les Cahiers du cinéma élaborent la « Politique des auteurs » qui vise à mieux établir le statut artistique du cinéma, toujours largement contesté à l’époque. Les critiques de la revue refusent également de soumettre leurs choix artistiques à un message politique du film. Entre 1956 et 1958, le paysage de la critique change. Au-delà de ce conflit générationnel et des polémiques, elle apparaît plus sérieuse sur son information, plus responsable.

En 1952 sort pour la première fois la revue Positif, fondée par Bernard Chardère. Alors que les Cahiers du cinéma occultent la politique, Positif est, quant à elle,

77 Ibid, p. 106-107. 78 GODARD Jean-Luc cité in « La critique », Les Dossiers de l’écran [disponible sur : http://www.ecrannoir.fr/dossiers/critique/histoire2.htm]. 79 La Revue du cinéma est créée en 1928 par le journaliste Jean-George Auriol. Elle connaît deux périodes de parutions distinctes : de 1928 à 1931 et de 1946 à octobre 1948. L’Ecran français compte parmi ses collaborateurs Alexandre Astruc, André Bazin ou encore Pierre Kast. Elle paraît de 1945 à 1950. 80 BAECQUE (de) Antoine (dir.), Petite anthologie des Cahiers du cinéma : Critique et cinéphilie, tome 6, Paris, Cahiers du cinéma, 2001, p. 97. 81 cf. CIMENT Michel et ZIMMER Jacques (dir.), La critique de cinéma en France […], op. cit., p. 82-83.

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indéniablement ancrée à gauche, l’analyse des films se conjuguant assez souvent avec des engagements politiques. Par ailleurs, à travers ces deux revues, la critique de cinéma se trouve divisée en deux grandes attitudes : partir de l’auteur pour aller au film, ce que font les Cahiers du cinéma ou partir du film pour remonter à l’auteur, ce que fait Positif. Schématiquement, on peut dire que Positif privilégie un rapport descriptif au cinéma, fondé sur le contenu des films et l’accumulation des connaissances tandis que les Cahiers du cinéma s’attardent davantage à ce qui se joue dans les films et aux choix de la mise en scène. Ainsi, à l’aube des années 1960, tout oppose les deux revues, celles-ci cultivant la polémique et se critiquant régulièrement avec violence, chacune dans ses propres articles, c’est ce que l’on appelle « la guerre des revues », guerre qui est, certes moins virulente, mais toujours d’actualité. Bien évidemment, beaucoup d’autres revues voient le jour entre la Libération et 1960 mais il n’est pas dans notre objectif de faire un catalogue de celles-ci, souhaitant nous concentrer sur ce qui a fait la critique de cinéma afin de mieux appréhender ce qu’elle est aujourd’hui82

. Ciné-clubs, cinémathèques, revues contribuent alors au dynamisme d’une cinéphilie fortement active et engendrant une énorme production de paroles, d’écrits et de réflexions sur la critique de cinéma. On le voit, la critique, qui a mis du temps à s’imposer, a su évoluer à travers les nouveaux courants, les nouveaux mouvements et les nouvelles techniques. Seulement, de nouveaux supports vont apparaitre, transformant une nouvelle fois la critique de cinéma mais, cette fois-ci, pour la faire entrer dans des temps difficiles.

3. La critique de cinéma et la « civilisation des images » Alors que la critique de cinéma connaît son âge d’or durant la décennie 1950 et notamment au travers des revues papiers, de nouveaux supports s’imposent dans le courant des années 1960 reléguant parfois le cinéma au second plan ; on pense notamment à la télévision qui occupent une place de plus en plus importante dans les foyers français. Alors que la Nouvelle Vague révolutionne le cinéma français et pousse la critique a jouer un nouveau rôle décisif dans cette étape majeure du cinéma, le développement des images numériques, qui transforme la manière de faire et de faire circuler images et sons, réinterroge la définition même de la critique cinématographique confrontée à la multiplications des régimes d’images et la multiplicité des media.

82 cf. pour cela, le site http://www.revues-de-cinema.net qui a recensé tous les magazines, livres, fanzines et revues consacrés au cinéma.

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3.1 La radio, la télévision et Internet (de 1960 à aujourd’hui)

La fin des années 1950 voit l’explosion d’une révolution moderne du cinéma au sein de laquelle les jeunes critiques des Cahiers du cinéma (les « Jeunes Turcs »), devenus réalisateurs jouent un rôle central : ils lancent un nouveau cinéma français, ce qu’on appelle la Nouvelle Vague83. La critique prend vigoureusement parti pour ou contre ce bouleversement, elle s’agite et pose les bases d’un nouveau débat qui accroit les querelles entre revues, notamment Positif et les Cahiers du cinéma. Par ailleurs, jusque là indifférents à la politique, les Cahiers du cinéma s’attardent sur les grands enjeux politiques de la décennie : les mouvements contestataires en Occident et de libérations nationales dans le Tiers-Monde, l’aggravation des crises dans le Bloc communiste ou encore Mai 6884. Une réflexion sur les enjeux politiques de la mise en scène apparaît alors incarnée par une nouvelle génération de critiques dont Jacques Aumont ou encore André Téchiné. Par ailleurs, les années 1960 voient la critique dialoguer avec les grands intellectuels de l’époque : les Cahiers du cinéma accueillant Roland Barthes, Michel Foucault ou bien Claude Lévi-Strauss85

. La critique de cinéma connaît alors également son âge d’or dans les News Magazines (France Observateur, L’Express,…) où les critiques mettent en évidence les enjeux esthétiques et politiques et constituent des références intellectuelles, références relayées par les émissions de radio.

En 1957, la création de l’émission de débats critiques Le Masque et la Plume sur Paris-Inter (qui deviendra France Inter) montre une nouvelle forme de critique de cinéma86. Les intervenants sont des critiques de la presse écrite qui viennent formuler en quelques phrases orales ce qu’ils écrivent sous des formes plus développées et plus sophistiquées. Si ces débats connaissent un grand succès d’audience87

83La Nouvelle Vague se définit par ses techniques cinématographiques révolutionnaires pour l'époque. Ce mouvement s'inscrit dans le contexte historique de l'époque et traduit les mouvements de société : début des Trente Glorieuses, des révoltes étudiantes, guerre d'Algérie, Mouvement de libération des femmes... La nouvelle Vague ne se limite pas à un nouveau genre cinématographique, mais se fait, par le vent de liberté qu'elle apporte, l'instantanéité d'une époque (ex : Les 400 coups de François Truffaut en 1960, A bout de souffle de Jean-Luc Godard en 1961).

, on ne peut réellement parler de critique mais plus de théâtralisation des relations entre critiques. Si la source du travail critique, à savoir l’écriture, n’est pas forcément remise en question au travers ce media, les critiques qui

84 BAECQUE (de) Antoine (dir.), Petite anthologie des Cahiers du cinéma : Critique et cinéphilie, tome 6, Paris, Cahiers du cinéma, 2001, p. 143-156. 85 cf. GAUTHIER Christophe, « L’introuvable critique. Légitimation de l’art et hybridation des discours aux sources de la critique cinématographique », Mil neuf cent, n°26, janvier 2008, p. 66-71. 86 L’émission est, en réalité, créée en 1955 par Michel Polac et François-Régis Bastide. Traitant du théâtre et de la littérature dans un premier temps, le cinéma y fait son entrée en 1957. 87 selon Jean-Michel FRODON in FRODON Jean-Michel, La critique de cinéma, Paris, Cahiers du cinéma, coll. « les petits cahiers », 2008, p. 19.

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s’expriment à la radio écrivant leurs textes comme à l’accoutumée et le lisent ensuite, les formats radiophoniques sont généralement plus courts, ce qui réduit l’activité critique. Cette activité critique est encore plus réduite à la télévision d’autant qu’elle n’est pas bien vue des producteurs et des distributeurs. Aussi, les nouveaux films n’ont droit, sur chaque chaîne, qu’à des émissions de promotion.

« Les producteurs et les distributeurs de films se méfient d’une parole libre, et le cas échéant négative, sur un média aussi puissant. Et ils ont d’autant plus facilement obtenu des chaînes de télévision la mise à l’écart de la critique que ces mêmes chaînes sont, en France, d’importants producteurs et diffuseurs de films, où ils ont des intérêts financiers considérables88

».

Les chaînes disposent, en effet, de gros moyens promotionnels pour les films auxquels elles sont liées, avec des reportages et des portraits comme Cinéastes de notre temps, Cinéma, cinémas, où jamais ne filtre la moindre négativité89. Les tentatives d’utiliser la télévision comme dispositif critique sont alors extrêmement marginales. Ces nouveaux supports font alors mal à la critique et au cinéma en général. La fréquentation des salles de cinéma qui atteint 355 millions de spectateurs en 1960 ne cessera de décroître pour n’atteindre que 184 millions de spectateurs au début des années 197090

. Cela s’expliquant, évidemment, par l’arrivée massive de la télévision dans les foyers, entre autre ; télévision, voyages, restaurants devenant les loisirs privilégiés des Français.

Face à cela, les revues subissent alors également des temps difficiles, surtout dans les années 1980-1990, périodes qui marquent un profond bouleversement de la configuration nationale des revues91. Outre les nouveaux loisirs évoqués ci-dessus, la grande presse offre de plus en plus d’articles de qualité, aux jugements plus justes, diminuant ainsi la place occupée par les revues spécialisées92

88 Ibid, p. 21.

. Mais il faut également souligner l’effondrement du mouvement ciné-clubs qui avait notamment été à la base de la naissance des revues puis de leur prospérité. Les causes de cette disparition sont multiples mais disons que la principale raison de cet chute reste évidemment la programmation de films à la télévision qui remplace les contraintes de lieu et d’horaire de la séance unique du ciné-club. Du reste, si le film vu à la télévision n’est pas exactement celui vu en salle (taille de l’écran, obscurité,…), cela n’a pas, pour autant renforcé la critique de cinéma ou encore provoqué une nouvelle attitude critique. Les critiques, qui ont désormais descendu d’un rang (voire de plusieurs) se retrouvant, pour

89 Cinéastes de notre temps est une collection de documentaires, chacun consacré à un cinéaste, produite par Janine Bazin et André S. Labarthe, dont le premier épisode a été diffusé en 1964. Cinéma, Cinémas est un magazine diffusé de janvier 1982 à novembre 1991, produit par le réalisateur Claude Ventura, la journaliste Anne Andreu et le critique Michel Boujut. 90 Source : CIMENT Michel et ZIMMER Jacques (dir.), La critique de cinéma en France […], op. cit., p. 93. 91 voir infra (chap. II – 1.2 Revues spécialisées : déclin ou évolution ?) 92 cf. TYLSKI Alexandre, « Analyse d’une critique de cinéma dominante », Cadrage.net, octobre 2003 [disponible sur : www.cadrage.net/dossier/internet_c/internet_critique.htm. Consulté le 28 mars 2011].

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certains, dans les pages des programmes télévisuels, essayent davantage de travailler sur les effets du temps : le film a-t-il vieilli ? Néanmoins, avec l’apparition du DVD, né en 1995, la situation est différente. En effet, ce support né en 1995 et se développant au fil des ans suscite de véritables rubriques critiques spécifiques pour une grande partie justifiées par l’existence des bonus consistant surtout en séquences coupées, scènes finales modifiées ou encore versions longues remontées pour la sortie DVD93

. Des questions autour de l’identité de l’œuvre se posent alors : le scénario est-il forcément celui de la version originale ?

Dès le milieu du XXème siècle, les nouvelles technologies transforment alors la manière d’écrire et de faire circuler les écrits ; Internet brouillant, de plus, les pistes. On trouve en effet sur Internet aussi bien des espaces similaires à ceux de la presse traditionnelle (des sites où un ou plusieurs critiques s’expriment en leur nom) et des espaces d’échanges de commentaires entre internautes : chats, forums, blogs… Ces commentaires s’apparentent à ce qui peut se dire entre amis ou collègues, à la sortie d’une projection ou au travail, ils participent à la création d’une communauté virtuelle, communauté dont la parole, on le verra, peut être très efficace. Il s’agit incontestablement, en effet, d’un nouvel espace de construction de parole autour du cinéma dont les critiques auraient tort de récuser l’importance et la singularité. La situation se complexifie davantage avec des sites jouant un rôle intermédiaire où des groupes d’amateurs poursuivent des échanges appliqués et parfois très détaillés, souvent, du reste, sur un genre cinématographique particulier : films fantastiques, films d’horreur, films d’arts martiaux,… Ces écrits et échanges ne disqualifient-ils pas le travail critique en tant que tel ? Là réside toute la question. La critique de cinéma, au cours de la première décennie du XXIème est ainsi confrontée, comme le cinéma lui-même du reste, à une baisse d’intensité et à une moindre définition de ses frontières. La montée en puissance des autres régimes d’image, la pression des techniques marketing, la mondialisation et bien sûr la révolution des modes de diffusion par Internet sont autant de phénomènes qui contribuent à réinterroger la nature et les usages du travail critique d’autant plus qu’il existe également des interférences avec les champs universitaires.

3.2 Des ciné-clubs à l’Université : l’émergence d’une nouvelle génération de critiques

La critique de cinéma a longtemps été, comme on a pu le démontrer, le seul lieu spécialisé et institutionnalisé d’une parole sur le cinéma. Seulement, cette situation a évolué avec l’entrée du cinéma dans les établissements d’enseignement et leur progressive extension. Des instituteurs et des professeurs du secondaire sont amenés à montrer des films et à en

93 On pense notamment à la trilogie du Seigneur des Anneaux ou encore, plus récemment, à Avatar.

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parler dans de multiples contextes. A l’université s’est, par ailleurs, développé un corps spécialisé d’enseignants en cinéma.

« [Parmi ces enseignants] des économistes, des historiens, des sociologues, qui ont pour objectif d’appliquer au cinéma les pratiques de leur discipline et, dans le meilleur des cas, d’utiliser les films eux-mêmes pour faire progresser leur domaine scientifique. On trouve aussi, et même surtout, des professeurs d’esthétique du cinéma, dont l’approche paraît comparable à celle des critiques94

».

Les études d’esthétiques du cinéma sont, du reste, issues de la critique. En effet, les premiers enseignants en la matière étaient auparavant des critiques « qui ont littéralement forcé les portes de l’université pour y faire une place au cinéma95 ».Néanmoins, il nous semble nécessaire de nuancer ces propos. En effet, dans son principe, le travail universitaire est distinct du travail critique. Sa visée n’est pas la même, ni sa posture vis-à-vis des films comme vis-à-vis des destinataires : des étudiants et non plus des lecteurs. Un critique n’est pas un professeur. Par définition moins subjectif, un professeur est dans la position d’une transmission de savoir alors qu’un critique n’est pas, du moins au premier abord, celui qui transmet un savoir mais celui qui, à partir d’un vécu, donne un point de vue émotionnel sur un film. « Ces deux approches sont d’autant plus légitimes et fécondes qu’elles prennent en compte ce qui les distingue96

». La génération actuelle de critiques est, ainsi, plutôt de profil universitaire. Les étudiants de troisième cycle sont souvent invités à écrire dans certaines revues comme Positif, CinémAction, Contre Bande ou Etudes cinématographique par leurs enseignants, collaborateurs influents de ces publications dorénavant. Ces échanges assurent alors une étroite continuité entre les critiques des revues et les analyses cinématographiques publiées dans les collections éditées par les Centres de recherches universitaires. Dans les premiers temps pratiquée par les cinéastes eux-mêmes, l’analyse d’une séquence d’un film (ou analyse séquentielle) est devenue un exercice universitaire privilégié.

Par ailleurs, ces étudiants, en phase avec les nouvelles technologies et notamment Internet permettent de pérenniser une certaine critique « sérieuse » sur ce nouveau support à l’image de Critikat.com97. Par ailleurs, pionnière du genre, Cadrage.net est la première revue universitaire française en ligne98

94 MEJEAN Jean-Max (dir.), Comment parler de cinéma ?, Paris, L’Harmattan, coll. « Audiovisuel et communication », 2005, p. 87.

. Fondée à Montréal en 1998, cette revue a entièrement été réalisée par des universitaires de différents pays. Cadrage.net cultive des relations de travail et de soutien médiatique et scientifique avec de nombreuses universités et institutions françaises, européennes et américaines, mais également avec de multiples salles, associations, festivals, revues, éditeurs et distributeurs de cinéma en France et à l'étranger. C’est une revue

95 PREDAL René, La critique de cinéma, Paris, Armand Colin, 2004, p. 114. 96 FRODON Jean-Michel, La critique de cinéma, Paris, Cahiers du cinéma, coll. « les petits cahiers », 2008, p. 25. 97 http://www.critikat.com, voir infra (chap. II – 2.2 Un pont avec le grand public). 98 http://www.cadrage.net/index.html

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universitaire à comité de lecture. Son directeur Alexandre Tylski, qui écrit également à Positif et enseigne à l’Université Toulouse II-Le Mirail, souligne l'importance de ce comité de lecture des textes publiés. Il se réjouit même de l'austérité des pages qui, sans interactivité, réunissent, selon lui, « entre 50.000 et 100.000 lecteurs par mois » et « participent de la diversité des sites de cinéma »99

.

Cependant, au vue de l’histoire de la critique que l’on a retracé, une question se pose. Ces étudiants, ces nouveaux critiques sont-ils de véritables cinéphiles ? Peuvent-ils comparer les films d’aujourd’hui aux anciens ? Sont-ils curieux ? En effet, on l’a longuement évoqué, le goût se forme et résulte d’une longue fréquentation des salles de cinéma. La critique de cinéma doit commencer par le contact avec des films de tous âges et de toutes natures. Il ne suffit pas de se contenter de la « sortie de la semaine » et d’écrire un article dessus pour être critique de cinéma. C’est cette histoire, cette mémoire, cette cinéphilie et leur prise en compte qui conditionne l’activité de critique.

3.3 La critique de cinéma dans le monde : brève comparaison

Notre étude porte uniquement sur la critique de cinéma en France. Seulement, il nous ait apparu non négligeable de la comparer avec ce qu’elle est dans le reste du monde, voir où elle se situe, quelle place elle occupe. Bien évidemment cette comparaison ne sera pas exhaustive, une vision complète de la situation mondiale demandant bien plus de pages. Même si la critique de cinéma est née en France et a trouvé, dans ce pays, un terrain particulièrement favorable, il y a une critique cinématographique et des grands critiques dans d’autres pays. L’Italie a vu se développer, dans l’après-guerre, une activité critique comparable à celle de la France : un rôle comparable des revues, le passage à la réalisation de certains critiques et une forte présence dans la grande presse généraliste100

. Aujourd’hui, la critique de cinéma italienne est très affaiblie, comme son cinéma en général, sous l’effet du raz de marée télévisuel qu’a connu le pays depuis la privatisation dans les années 1990. D’autres pays connaissent ces mêmes phénomènes, ces mêmes situations, surtout en Europe. Même s’il ne faut pas surévaluer cet aspect, la situation française a fait, en réalité, modèle à bien des égards.

99 TYLSKI Alexandre (directeur de la revue Cadrage.net), cité in CHAVEROU Eric, « La webcritique de cinéma, de Twitter aux textes sans limites », septembre 2009 [entretien radiophonique disponible sur : http://www.franceculture.com/2009-09-07-la-webcritique-de-cinema-de-twitter-aux-textes-sans-limites.html. Consulté le 06 avril 2011]. 100 cf. HENNEBELLE Guy et GUY Agnès (dir.), Les Revues de cinéma dans le monde, Paris, Corlet-Télérama, 1993, p. 94-102.

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Aux Etats-Unis, où l’écriture sur le cinéma a toujours été très riche, la critique de cinéma peut être résumée par quelques modèles101. Ce pays a connu des grands critiques au sens classique ayant joués un rôle décisif pour accompagner l’art du cinéma selon leurs propres orientations comme par exemple Pauline Kael ou Vincent Candy pour le New York Times ou encore Annette Michelson du côté des revues et de l’université102. Mais, aux Etats-Unis, plus qu’ailleurs, la puissance de la communication tend à asservir la plupart des pratiques critiques aux exigences du marché. Néanmoins, une forme de résistance apparaît prenant deux dimensions particulières : « la revendication autobiographique et la médiation philosophique103 ». La critique de cinéma américaine a également croisé des lectures différentes selon le rapport entre les sexes (Gender Studies) et entre les peuples (Post-Colonial Studies)104

. Comme dans la plupart des pays aujourd’hui, mais peut-être avec un temps d’avance pour les Américains, cette critique s’exerce désormais principalement sur des sites Internet. Ces sites revendiquant le croisement d’un « je » très affirmé avec une inscription de l’écriture cinématographique dans un cadre plus vaste. Aux Etats-Unis, les critiques qui ont le pouvoir désormais écrivent sur Internet.

En Grande-Bretagne, la critique de cinéma s’est construite en s’imposant contre la domination d’autres arts, le théâtre et la littérature surtout. Connaissant, elle aussi, la création d’un grand nombre de revues spécialisées, la Grande-Bretagne se voit dotée de « la revue la plus célèbre du monde avec les Cahiers du cinéma », selon Guy Hennebelle105

101 cf. Ibid, p. 158-179.

: Sight and Sound, une revue fondée par le British Film Institute (BFI) en 1932 et qui, aujourd’hui encore, reste une revue des plus influentes du cinéma avec Screen, créée en 1969 par le même BFI. A noter, la création, en 2001, d’une revue intitulée Studies in French Cinema, publiée par des universitaires d’Exeter et de Newcastle, exclusivement consacré au cinéma français. Dans chaque pays ou presque, on trouverait des situations singulières autour de la critique de cinéma comme en Russie où celle-ci est marquée par l’héritage de la théorie esthétique portée par les avant-gardes des années 1920-1930 ou encore au Portugal où le travail de la critique s’est forgé dans la résistance à la dictature. Dans les pays aux cinémas émergents, l’Asie ou l’Amérique latine, ou renaissants comme en Europe de l’Est, la critique de cinéma joue un rôle important, qui utilise souvent Internet comme moyen de communication, utilisant ce medium comme un espace identifié servant à accompagner leurs films et à déployer leurs enjeux esthétiques. A noter, enfin, le site australien sensesofcinema.com qui a réussi la mise

102 En 1975, Annette Michelson, avec Rosalind E. Krauss, fonde la revue October magazine dont l’objectif est de créer un lien entre la critique contemporaine et la critique académique. 103 Selon les termes de Guy HENNEBELLE in HENNEBELLE Guy et GUY Agnès (dir.), Les Revues de cinéma dans le monde, op. cit., p. 166. 104 Pour les rapports entre les sexes, cf. SELLIER Geneviève, « Gender studies et études filmiques », septembre 2005 [disponible sur : http://lmsi.net/Gender-Studies-et-etudes-filmiques,463. Consulté le 08 avril 2011]. 105 HENNEBELLE Guy et GUY Agnès (dir.), Les Revues de cinéma dans le monde, Paris, Corlet-Télérama, 1993, p. 123.

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en place d’une communauté dans laquelle des internautes américains, européens ou australiens, dialoguent, soit sur les films qu’ils voient à peu près en même temps (puisque, aujourd’hui, les sorties mondiales sont assez généralisées), soit sur des films qui passent un peu en contrebande parce qu’ils sont beaucoup plus rares, mais que l’un a vu et qu’il fait partager aux autres grâce à cette communauté. Les idées se discutent ainsi à peu près au même moment à Saint-Pétersbourg, Vienne, Paris, Londres, Philadelphie…106

*

Aucun pays sans doute n’a connu une activité critique aussi intense ni vu naître autant de revues de cinéma que la France. Essentiellement installée dans la presse par des informations ou des annonces publicitaires dans les premiers temps, la critique de cinéma n’avait rien de commun avec une analyse proprement dite d’un film. Néanmoins, de tous les arts, le cinéma est, sans doute, le seul qui ait vu son développement continuellement commenté et donné lieu à des débats souvent houleux et passionnés. La grande presse elle-même, ayant finalement accordée une place de choix à la critique cinématographique, n’a cessé de participer à la réflexion sur les films. Si le XXIème siècle a littéralement bouleversé l’activité critique et a contribué à réinterroger dramatiquement la nature et les usages du travail critique, la fonction et l’utilité de la critique, il n’en ait pas moins que, certes, son statut évolue mais sa raison d’être ne disparaît pas : « il est toujours d’actualité d’aimer et de penser le cinéma, de permettre, avec les films, de mieux comprendre le monde dans lequel nous vivons107

».

106 http://www.sensesofcinema.com 107 Gérard Lenne, dans un entretien réalisé par Jean-Max MEJEAN in MEJEAN Jean-Max (dir.), Comment parler de cinéma ?, Paris, L’Harmattan, coll. « Audiovisuel et communication », 2005, p. 26.

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Critique de cinéma : entre remise en question et mutation

Chapitre II

Alors que certains critiques semblent vouloir s’accrocher exclusivement à l’ère du papier, d’autres évoluent depuis plusieurs années maintenant sur le web. Le paysage de la critique s’est grandement modifié ces dernières années. Mais cette nouvelle vague de la critique reste encore tabou et beaucoup de journalistes de la presse écrite tentent de masquer cette réalité108. La critique de cinéma a toujours été indécise et problématique bien qu’autrefois les critiques restaient singuliers et leurs avis faisaient autorité. Beaucoup aujourd’hui parlent de la mort d’une profession : « la critique meurt sans faire de bruit109 ». La presse papier est, dans le monde entier, en perte de vitesse. Pendant plus d'un siècle, elle a vaillamment résisté à la concurrence de la radio, puis de la télévision mais l'irruption d'Internet a changé la donne. Le premier tournant est venu des Etats-Unis où des grands titres ont lâché sur le web tout ou partie de leur contenu ; les éditeurs européens suivant alors le mouvement. Tout se joue désormais sur la toile. En France, depuis 2009, la presse papier a perdu 8 % d'investissements publicitaires bruts, les salles de cinéma 10,5 %, contre 8,1 % de progression pour internet110

. C’est pourquoi, face à cette « crise du papier », certains professionnels décident de franchir le pas et tentent de jouer leurs cartes sur Internet. Mais comment ont-ils franchis le pas ? Sont-ils toujours aussi suivi ?

On prêtait un pouvoir énorme à la critique. Qu’en est-il exactement aujourd’hui ? A l’heure où la dépréciation du métier se fait sentir, nous verrons que certains sites tirent leur épingle du jeu. Même malmenée, la critique de cinéma continue d’avoir une certaine influence car « comme un consommateur qui doit chercher des informations avant l’achat d’un produit, le spectateur doit trouver des informations sur le film qu’il veut aller voir111

».

108 cf. un article de Télérama.fr daté du 25 octobre 2003 [disponible sur http://www.telerama.fr/cinema/?=MAF2135358&srub=1#haut. Consulté le 22 décembre 2010]. 109 DERIAZ Françoise, « Sauve qui peut (la critique) », Ciné-Bulletin, n°410, décembre 2009, p. 1. 110 Source : ibid, p. 3. 111 ASTOUS (d’) Alain et COLBERT François, « La consultation de critiques de films et son impact sur la consommation », Gestion, vol. 28, premier trimestre 2003, p. 1.

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1. Place « Net » à la critique Les nouveaux media ont toujours mis un certains temps avant d’acquérir une réelle légitimité. Très peu de rubriques internautes trouvent grâce aux yeux des intellectuels et il existe une indéniable frilosité envers ce qui est diffusé sur le web. Multiforme, ce nouveau medium pose différentes questions, particulièrement sur notre sujet. La critique est-elle la même ? Est-ce la même écriture ? Y respecte-t-on les mêmes codes que dans la presse papier ? Autant de questions auxquelles nous tenterons d’apporter des éléments de réponse au travers des sites « professionnels » qui tirent leur légitimité par leur réel travail critique. Tout cela nous conduira également à nous interroger sur l’influence de la critique de cinéma : est-elle toujours importante aux yeux du spectateur ?

1.1 L’installation d’une « webcritique » de cinéma Toute consultation d’un moteur de recherche sur Internet nous le fait constater, en un clic on trouve nombre de pages offrant des articles sous forme écrite, filmée ou enregistrée, le tout en direct ou en différé. Reportages, interviews, documentaires, films et bandes-annonces recouvrent cet espace virtuel. Plus ou moins personnels, de nombreux sites sur le cinéma coexistent à ce jour, chacun revendiquant leur spécificité. Blogs, sites reprenant des articles parus dans la grande presse, revues en ligne ou encore forums de discussion sont multiples et prennent des formes diverses. Ces sites sont très différents les uns des autres par leur style, leur ligne éditoriale, leur genre ou même leurs objectifs. Pourtant, tous ont leur place et sont relativement autonomes. Les éditeurs ne dépendent, en effet, pour la grande majorité, d’aucune autorité de régulation qui leur attribuerait un canal de diffusion, d’aucune imprimerie, d’aucun intermédiaire omniprésent assurant leur diffusion. Les propos, les informations peuvent ainsi être totalement indépendant de la production, de la distribution ou, a contrario, émanent de celle-là même à l’image des distributeurs qui, montant leur propre site, y diffusent bandes-annonces, interviews, reportages (on s’en doute biaisés) sur les films qu’ils sortent. Ces mêmes distributeurs créent parfois des sites propres au long métrage, portant leurs noms où le discours est alors explicitement orienté. De même, on trouve des sites émanent de telle ou telle télévision, défendant un film dont elle est partie prenante112

112 C’est notamment le cas de France Télévision avec des films comme La Graine et le Mulet, Un secret, Faut que ça danse ou encore de Studiocanal (anciennement Canal+ vidéo) avec des films tels que The Tourist ou La princesse de Montpensier.

. Là encore, le discours est proche de la propagande publicitaire. C’est alors à l’utilisateur de choisir d’autant qu’il est possible, grâce aux potentialités qu’offrent le medium, de naviguer en quelques clics entre ces divers sites : l’internaute peut rapidement passé d’un site

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promotionnel à un site plus relatif. C’est, du reste, cette existence démesurée qui serait la véritable innovation apportée par le web. Source de difficultés, terre d’avenir ou complémentarité désormais indispensable des revues papiers, une « webcritique de cinéma » prend alors forme113. Internet devient, en effet, un espace d’expression important qui permet, en plus d’écrire, de mettre du son, de l’image, des extraits vidéo et qui permet de réagir face à ces expressions. Un débat constant et ouvert s’offre alors et non plus un débat fermé comme cela est sur les revues papiers. Mais que trouve-t-on alors sur Internet en termes de critique ? Il apparaît que la critique de film sur Internet, dans son contenu même, se base sur les diverses traditions de la critique : des fiches techniques, des anecdotes et une analyse proprement dite. Par ailleurs, comme cela se retrouve dans les « jeunes revues » telles que Première ou Studio Ciné Live, on retrouve énormément d’expressions stéréotypés114. Des expressions maintes fois répétés que l’on trouve également désormais sur les affiches des films, ainsi, par exemple, l’inévitable formule que l’on peut retrouver : « Un film aux effets spéciaux époustouflants » ou parfois plus courtes, et souvent tiré de leur contexte : « Brillant », « Emouvant »115. Mais, qui est au fondement de cette « webcritique de cinéma » ? C’est alors que l’on distingue deux types de critiques. La première se traduit par la présence de blogs et de forums de discussions qui donnent une vraie place aux propos du spectateur. On peut alors citer pour cela Vodkaster.com, Allocine.fr, Commeaucinema.com, Cinefil.com, Fandecinema.com et bien d’autres où des amateurs postent leurs critiques ou du moins leurs émotions116

. Ces forums de discussions, ces blogs, ces « avis » sur les sites de cinéma fleurissent et cultivent les discussions, les analyses, les croisements, les passions.

Parallèlement à cela, il existe sur Internet des sites qui acquièrent leurs lettres de noblesse par leur activité critique. Les chroniques sont davantage éclairées, argumentées. Dans la lignée de la tradition de la critique cinématographique, ces sites acquièrent petit à petit une certaine légitimité à travers des critiques qui interrogent leur pratique et la relativisent. A l’image de fluctuat.net, plume-noir.com, chronicart.com ou critikat.com, ces sites défendent aujourd’hui un réel point de vue critique si bien que leurs critiques participent de plus en plus aux débats, de la même manière que leurs homologues écrivant au sein de prestigieuses revues papiers. Mais le bouleversement induit par Internet est aussi à voir dans son mode de consommation. Dans un entretien avec Gérard Lenne, critique de cinéma et ex-président du Syndicat français de la critique de cinéma, Jean-Max Méjean pose la question

113 voir infra (1.2 Revues spécialisées : déclin ou (r)évolution ?). 114 idem. 115 cf. « Cinéma et Internet, on se fait une toile ? », L’Express, juin 2008 [disponible sur : http://www.lexpress.fr/culture/cinema/on-se-fait-une-toile_516865.html?p=2. Consulté le 11 avril 2011]. 116 Une liste de sites dédiés à la cinéphilie, non exhaustive mais néanmoins intéressante, est disponible à l’adresse suivante : http://www.cineclubdecaen.com/analyse/listesites.htm.

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suivante117 : « et maintenant, quelle est votre position par rapport au rôle de l’Internet dans la critique de cinéma ? », Gérard Lenne répondant : « le véritable problème avec l’Internet est son côté volatil, virtuel, éphémère […] nous sommes devant une autre conception de la critique. Un journal peut être repris mais un site meurt parce que les héritiers ne sont pas intéressés par sa reprise ». En effet, le problème d’Internet à l’heure actuelle, sûrement le plus important, est son manque de modèle fiable, et notamment son manque de modèle économique sûr. « Il faut construire la critique sur Internet, on n’a pas d’autres solutions ; la presse papier est en train de s’effondrer par manque de lecteurs. Il faut vraiment qu’on réussisse à trouver un modèle que l’on n’a pas encore trouvé malheureusement118

».

Dans les divers entretiens réalisés aussi bien avec le rédacteur en chef de critikat.com, l’une des rédactrices du site ou bien le fondateur de Senscritique.com, la même question revient : celle du financement pour pérenniser le site. Un site, comme le souligne judicieusement Anne-Violaine Houcke, est amené à évoluer, « il faut sans cesse le réévaluer pour toujours accrocher le spectateur119 ». Même son de voix chez Senscritique.com où son fondateur est obligé, de plus en plus, de faire appel à la publicité en ajoutant, en plus de la question de la longévité du site, une démarche commerciale dans ses propos : « nous faisons appel à la pub car notre site doit, en plus de cela, nous servir à vivre ; nous sommes avant tout des entrepreneurs120 ». Multiplication des acteurs, problème de financement, d’inscription dans la durée, cela n’est pas sans nous rappeler les difficultés connues par la presse écrite générale et spécialisée à partir de la seconde moitié du XIXème siècle121

. Quid alors de ces revues qui autrefois ont fait les grands temps de la critique de cinéma ? Comment se positionnent-elles face à Internet ? Comment évoluent-elles face à ce medium ?

1.2 Revues spécialisées : déclin ou évolution ? Les années 1980 mais surtout 1990 sont une période difficile pour les revues spécialisées dû prioritairement aux effets de la trilogie télévision-voyages-restaurants. Dès 1978, la revue Télé-Ciné s’arrête, Ecran suit l’année d’après et Cinéma commence à connaître des difficultés financières pour se transformer, en 1985, en hebdomadaire avant de disparaître à la fin de l’année 1991122

117 MEJEAN Jean-Max (dir.), Comment parler de cinéma ?, op. cit., p. 26.

. En 1980, la Revue du Cinéma-Image et son est la première revue

118 HILLAIRE Aurélia (journaliste et éditrice de ruedutheatre.eu et pigiste à Libération) tiré d’un débat vidéo intitulé « Internet : un autre espace pour la promotion des artistes », Festival d’Avignon, juillet 2009 [disponible sur http://blog.kinorezo.com/2009/07/22/festival-davignon-debat-%C2%AB-internet-un-autre-espace-la-promotion-des-artistes-%C2%BB/. Consulté le 14 janvier 2011]. 119 Extrait de l’entretien réalisé avec Anne-Violaine Houcke, rédactrice au sein de Critikat.com. 120 Extrait de l’entretien réalisé avec Guillaume Boutin, fondateur du site Senscritique.com. 121 cf. CHARON Jean-Marie, « De la presse imprimée à la presse numérique », Réseaux, n° 160, février 2010, p. 255-281. 122 cf. PREDAL René, La critique de cinéma, Paris, Armand Colin, 2004, p. 41-44.

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de cinéma avec un tirage de 40 000 exemplaires123. Pourtant, dix ans plus tard, elle est abandonnée par la Ligue de l’Enseignement qui rompt ses liens avec elle124. Elle survit alors un an, trouve un repreneur qui la relance sous le nom de Mensuel du Cinéma mais fini par disparaître également. Au milieu des années 1990, sur un nombre inconsidéré de revues, il n’en reste plus que trois à rester dans la lumière, à savoir Jeune Cinéma, Positif et les Cahiers du cinéma125. La première réussit à conserver son indépendance et s’en sort en réduisant son format à 75 pages à partir de 2000 et en réduisant sa production à sept exemplaires par an. Positif, qui avait rejoint les éditions Opta en 1974 après la faillite de Terrain Vague, est repris par POL en 1991 puis par Jean-Michel Place en 1995126. Malgré tous ces changements de mains, la revue garde néanmoins une identité forte et une certaine influence. Pour ce qui est des Cahiers du cinéma, cela est plus compliqué. En 1989, la revue adopte une nouvelle présentation magazine, l’enquête et l’information l’emportant sur l’analyse et le jugement. L’image des Cahiers du cinéma est toujours brillante si bien que, pour concurrencer la revue, Serge Daney fonde, en 1992, une nouvelle revue trimestrielle, Trafic127. Cette revue a pour objectif de revenir à une réflexion approfondie sur le cinéma. Pendant toute la décennie 1990, les Cahiers du cinéma se cherchent. Racheté par Le Monde à l’aube des années 2000, elle change plusieurs fois de mains jusqu’à connaître trois repreneurs au cours de ces cinq dernières années128. Racheté par le groupe anglais d’édition d’art Phaidon, la revue peine alors à renouveler son lectorat, ce qui entraîne de lourdes conséquences : les ventes passant de 25 982 unités en 2005 à 22 208 en 2010 avec un tirage passant de 42 181 numéros à 34 514 pour la même période129

.

Cette vaste restructuration de la presse culturelle cinématographique s’affaiblit alors fortement mais c’est aussi le cas des magazines sans grande exigence artistique, plus commerciaux. Certes, dix ans après le lancement de Première, Marc Esposito réussit à imposer Studio, en 1986 (devenue Studio Ciné Live depuis 2009, après le rachat par Roulerta, éditeur de Studio, de la revue Ciné Live) mais nombre de magazines du même genre n’ont connu qu’une existence éphémère à l’image de Starfix ou Le Cinéphage130

123 Source : ibid, p. 42.

. De plus, malgré

124 voir supra (chap. I – 2.3 Une nouvelle façon de penser la critique (1944-1960)). 125 idem. 126 cf. PREDAL René, La critique de cinéma, op. cit., p. 41-44. 127 Après avoir fondé la revue Visages du Cinéma en 1962, Serge Daney (1944-1992) débute sa carrière comme critique aux Cahiers du cinéma, en 1964, invité par Jean Douchet. En 1973, il devient même rédacteur en chef de la revue, aux côtés de Serge Toubiana, jusqu’en 1981 où il rejoint le quotidien Libération avant de s’intéresser à la critique de la télévision. Peu de temps avant sa mort, il revient à la critique de cinéma et fonde la revue Trafic. 128 cf. ALEXANDRE Olivier, « Les Cahiers du cinéma sont morts : vive les Cahiers ! », Rue 89, mai 2008 [disponible sur : http://www.rue89.com/2008/05/06/les-cahiers-du-cinema-sont-morts-vive-les-cahiers. Consulté le 11 avril 2011]. 129 Source : http://www.ojd.com/adherent/3305 [consulté le 11 avril 2011]. 130 Starfix était un magazine de cinéma consacré au cinéma de genre. Fondé, entre autres, par Christophe Gans en 1983, le magazine voit sa diffusion stoppée en 1990 dû à un niveau des ventes insuffisants. Le Cinéphage était un magazine qui souhaitait s’inscrire entre Première et Studio. Fondé en 1991 sous l’impulsion de Gilles Boulenger, le magazine disparaît en 1995 pour les mêmes raisons que Starfix.

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des chiffres encore importants grâce à la publicité qui envahit les pages de ces magazines, les tirages et les ventes de Première et Studio Ciné Live sont en perpétuelle diminution : le tirage passant de 245 153 unités en 2005 à 203 668 en 2010 avec des ventes passant de 180 447 numéros à 143 627 pour la même période131. De fait, le modèle de la revue de cinéma qui s’était imposé il y a plus d’un demi-siècle n’est plus, aujourd’hui, majoritaire. Sommairement, il existe deux principales catégories de périodiques sur le cinéma de nos jours : les revues critiques telles que les Cahiers du cinéma, Positif ou Trafic et les magazines « grand public » qui laissent moins de place à la critique, favorisant davantage les photographies et des effets « glamour » pour séduire le lecteur, comme Première ou Studio Ciné Live132

.

Dès lors, beaucoup peuvent s’inquiéter de la tournure que prend la critique de cinéma et de la survie des revues papier. Pour combattre cela, certaines revues papier ont pris à bras le corps la mutation Internet en proposant des sites annexes à leur publication. C’est notamment le cas de Mad Movies ou encore de Première133. Seulement, une grande majorité des revues, et notamment les véritables revues critiques ne possèdent pas de sites Internet au travers desquels ils pourraient perpétuer leur activité critique. Prenons l’exemple des trois grandes revues critiques précédemment citées à savoir Trafic, Positif et les Cahiers du cinéma. Concernant la première, aucun site Internet n’a été créé. Pour ce qui est des deux autres, des sites existent mais sous forme de vitrines promotionnelles ; aucune activité critique n’est réalisée. Ces sites, à but commercial, ne présentent que la couverture, le sommaire et deux articles extraits de l'édition papier du numéro en cours134

131 Source : http://www.ojd.com/adherent/4488 [consulté le 11 avril 2011].

. Pourtant, les Cahiers du cinéma ont tenté de s'adapter à l'ère numérique. En 2003, la revue crée le site Internet cahiersducinema.com. Ce dernier offre un catalogue de tous les numéros parus depuis la création de la revue, en 1951, soit 70 000 pages et plus de 54 années d'archives et surtout des analyses de films ainsi que des critiques effectuées par des membres de la revue papier. Quelques mois plus tard, cahiersducinema.com se dote d’un forum dont la gestion est tenue par ces mêmes membres. Se développent alors de véritables discussions et débats cinéphiliques entre professionnels et amateurs. Un pont avec le grand public se construit. Cependant, basant son modèle économique uniquement sur l’abonnement et l’achat des revues en ligne, pour garder son indépendance, le site Internet est rapidement déficitaire : si les lecteurs n’achètent plus la revue papier en kiosque, en toute logique ils ne le font pas davantage en ligne. Au fil des mois, de moins en moins d’articles sont présentés sur le site, les critiques délaissant ce nouveau support. En conséquence, le forum est peu géré par ces experts et de moins en moins actualisé. Prenant alors la forme d’un forum de discussion traditionnel

132 Seuls les noms les plus célèbres ont été cités. Il y a encore en effet des publications plus discrètes et davantage thématiques comme CinémAction ou monographiques avec Etudes Cinématographiques et des organes spécialisés tels que L’Avant-Scène Cinéma ou professionnels comme Le Film Français. 133 voir annexe I. 134 idem.

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où seuls les cinéphiles amateurs interviennent, les débats où échanges sur le cinéma, sur les films deviennent rares, remplacés par des « discussions de café » souvent sur des sujets qui dérivent rapidement du cinéma. En 2005, cahiersducinema.com subit alors une refonte pour devenir ce qu’il est aujourd’hui, une vitrine promotionnelle135. En janvier 2011, le forum des Cahiers du cinéma ferme ses discussions puis fini par disparaître136. Néanmoins, depuis mars 2007, les Cahiers du cinéma se déclinent en édition numérique complète, une version anglaise et payante de la revue, disponible uniquement sur le site e-cahiersducinema.com137. La revue tente alors de se raccrocher à sa réputation en jouant la carte de l’international138

.

Ne souhaitant pas faire appel à la publicité pour garder une certaine indépendance, modèle de financements pourtant dominant sur ce medium, les revues de cinéma ont alors des difficultés à exister sur Internet. Pour autant, des revues (sur)vivent sur le web. Ainsi, outre les problèmes de financement, la toile pose d’autres écueils.

« Internet demande une organisation en plus par rapport à la revue papier, une organisation qui nécessite un investissement quotidien ou hebdomadaire alors que la revue papier est un investissement mensuel. Par ailleurs, dans la mesure où les rédacteurs, chez Positif notamment, ont des engagements ailleurs, il est possible qu’ils ne puissent pas nécessairement avoir cet investissement139

».

Plutôt que de parler de déclin, il faut davantage parler de difficultés d’adaptation des revues papiers, particulièrement des plus anciennes, à l’Internet. Question de génération ? Peut-être. Toujours est-il, les sites web de ces grandes revues ne proposent pas de contenus alternatifs, se résumant à une simple « page d’accueil ». Pourtant, divers sites trouvent peu à peu leur voie sur ce medium, sachant exploiter les nombreuses possibilités qu’il offre.

1.3 Un espace sans limite ni contrainte « Internet donne une vraie liberté, à plusieurs niveaux, une liberté qui permet une grande flexibilité, une grande souplesse dans l’écriture par rapport à une revue papier140

135 voir annexe I.

». En effet, Internet permet aux critiques de films, journalistes et experts, un espace quasi-

136 Souhaitant analyser en profondeur l’évolution du forum des Cahiers du cinéma, la fermeture surprise de ce dernier a mis un frein à cette étude. Néanmoins, j’ai eu le temps de constater que les discussions sur ce forum relevaient davantage à des échanges de sociabilité plutôt que des échanges cinématographiques. En revanche, j’aurais aimé avoir le temps de voir ce que proposait le forum auparavant. Pourquoi a-t-il perdu de son professionnalisme ? Pourquoi les « experts » ont quitté ce forum ? Si les réponses ne peuvent être apportées, la fermeture du forum est la preuve qu’il y a une véritable difficulté pour les Cahiers du cinéma de revivre sur Internet. 137 voir annexe I. 138 Rappel : le groupe d’édition des Cahiers du cinéma est, par ailleurs, anglais. 139 Extrait de l’entretien réalisé avec Anne-Violaine Houcke, rédactrice au sein de Critikat.com. 140 Idem.

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illimité pour aborder un réalisateur, un film ou un thème dans la longueur et la profondeur. Ce qui fait la part belle d’Internet est bien son absence de contraintes en terme de nombre de caractères. Même si la lecture sur le net nécessite plutôt un format court, un article sur un film, un acteur, un réalisateur peut faire une demi-page comme plusieurs141

. Le rédacteur n’est pas limité sur Internet. Dans une revue papier, le processus est en effet inversé, les critiques doivent répondre à des formats très précis, ne dépassant pas les deux pages et respectant, le plus souvent, la taille des chroniques journalistiques. Ecrire au sujet du cinéma sur Internet est une véritable richesse. La flexibilité et la liberté dans l’écriture permettent en effet de développer plusieurs regards sur un film ou d’affiner son regard avec plus de profondeurs. Par ailleurs, Internet permet aux rédacteurs de choisir ce qu’ils veulent mettre en avant ou non en fonction de l’actualité. Contrairement aux revues hebdomadaires ou mensuelles, Internet offre la possibilité de réagir presque instantanément à l’actualité comme le décès d’un acteur, d’un réalisateur, les premières images d’un film. Car le web admet l’insertion de vidéos ou de sons.

« Internet est un passage obligé, c’est un formidable moyen d’expression qui permet d’aborder un grand nombre de films142 ». En considérant le nombre de productions qui sortent chaque semaine dans les salles, il est impossible pour les critiques de voir tous les films sous peine de ne pas avoir le temps d’écrire. Avec cette évolution des supports, en plus des « screeners », le web offre une grande diversité de critique de films, allant du blockbuster au petit film d’auteur étranger143

141 cf. la critique du film Inland Empire de David Lynch (2007) sur le site cadrage.net (revue universitaire française de cinéma en ligne).

. En dépassant la contrainte du format de la revue papier, un site Internet peut référencer un nombre de pages quasi-illimité. Chaque film, sous contrainte du nombre de rédacteurs, peut être traité. Par ailleurs, la relative facilité de l’édition des sites, comparée à la lourdeur logistique et économique des revues papier, des magazines, est déterminante dans l’approche même de la critique de cinéma, de son contenu. Les fameuses « dead line » et les notions de « mensuel » n’ont presque plus de sens sur Internet et permettent aux rédacteurs plus de temps parfois, plus de réflexions et de maturation. C’est peut-être cela qui fonde la légitimité de la critique de cinéma sur Internet. Circonscrite à des espaces de plus en plus restreint dans la presse écrite, on dit la critique cinématographique réduite dans son expression. Or, Internet ouvre des portes à l’expression pouvant repousser l’analyse toujours plus loin. A l'heure où chacun peut librement donner son opinion sur la toile, ouvrir un blog, réagir à un article, donner une note à un film, une place pour le forage, le décodage, la mise en perspective des œuvres s’accentue avec des critiques qui accompagnent

142 LAVIOLLETTE Mathieu (journaliste à evene.fr) tiré d’un débat vidéo intitulé « Internet : un autre espace pour la promotion des artistes », Festival d’Avignon, juillet 2009 [disponible sur http://blog.kinorezo.com/2009/07/22/festival-davignon-debat-%C2%AB-internet-un-autre-espace-la-promotion-des-artistes-%C2%BB/. Consulté le 14 janvier 2011]. 143 Pour les « screeners », voir supra (chap. I – 1.2 Le métier de critiques).

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l'œuvre en l'interrogeant de l'intérieur. Au profit d'un accompagnement promotionnel des films, de hauts-lieux de la critique de cinéma s’affirment sur Internet s’inscrivant, pour certains dans la plus pure tradition des revues papier.

« Heureusement, on trouve encore des îlots de résistance, des sanctuaires où la critique peut encore faire son travail : juger, partager, diviser […] J'ai foi dans le fait que les critiques qui écrivent bien et qui ont du plaisir à le faire seront toujours visibles. Je crois en l'avenir de l'écriture journalistique qui s'impose par sa qualité, sa sophistication, sa profondeur144

».

2. Des hauts-lieux de la critique en ligne Alors qu’au Canada, aux Etats-Unis ou encore en Australie, entre autres, les sites cinématographiques sont conçus et écrits depuis un moment maintenant par des professionnels et des universitaires du cinéma reconnus, la France reste encore en retard en termes de sites « experts » sur le cinéma. Néanmoins, depuis quelques années, la France cherche à unir la critique et la théorie du cinéma avec Internet en proposant des revues de cinéma en ligne et des sites autour du cinéma fondés et réalisés, et légitimés, par des professionnels et des universitaires. Ces sites parient sur leurs contenus et leur rigueur.

2.1 L’affirmation d’une cinéphilie savante « Il y a une vraie difficulté de la critique à prolonger ce qu’elle a été145 ». C’est pourtant à cela que tentent de s’employer certains cinéphiles à travers une réelle presse culturelle en ligne. Relevant de l’analyse et se plaçant ainsi dans la lignée de la tradition de la critique cinématographique, des sites dédiés à la critique de cinéma acquièrent progressivement une réelle légitimité. Pionnière du genre, Cadrage.net se décrit comme étant « la première revue en ligne universitaire française de cinéma »146. Créée en 1998 au Québec, l’idée de cette revue en ligne est de « proposer une revue de qualité, de niveau universitaire qui fait un petit peu bande à part dans l’Internet français actuellement147

144 ASSAYAS Olivier (réalisateur et scénariste), cité in « La critique a-t-elle perdu tout sens critique ? », Télérama, janvier 2010 [disponible sur : http://www.telerama.fr/monde/la-critique-a-t-elle-perdu-tout-sens-critique,51771.php. Consulté le 22 février 2011].

». Cette revue en ligne, malgré toutes les possibilités qu’offrent le web, est assez austère : peu d’iconographies,

145 BAECQUE (de) Antoine, « Les cinéphilies, une communauté nomade », Fiches du cinéma, juillet 2009 [disponible sur : http://www.fichesducinema.com/spip/spip.php?article1435. Consulté le 19 avril 2011]. 146 voir annexe II. 147 TYLSKI Alexandre (directeur de la revue Cadrage.net), cité in CHAVEROU Eric, « La webcritique de cinéma, de Twitter aux textes sans limites », septembre 2009 [entretien radiophonique disponible sur : http://www.franceculture.com/2009-09-07-la-webcritique-de-cinema-de-twitter-aux-textes-sans-limites.html. Consulté le 06 avril 2011].

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pas de vidéos. Pourquoi ce choix ? La réponse se trouve dans son contenu. Comparé aux sites commerciaux tels que Premiere.fr, Allocine.fr ou Commeaucinema.com, ce site propose quelque chose de fiable. L’objectif de Cadrage.net est de travailler le contenu, le texte. Le comité de lecture et de rédaction de cette revue est composé d’une dizaine d’universitaires, ce qui offre des textes, des analyses de hauts-niveaux. A travers divers angles d’approches, Cadrage.net offre des textes en longueur, plus en profondeur et de référence. Avec des critiques allant parfois jusqu’à quinze pages, différents regards peuvent être portés sur un même film : un regard plus philosophique, plus esthétique et avec toujours beaucoup d’exigence. La possibilité d’émanciper le regard porté sur un film résulte en effet des possibilités qu’offre Internet. La grande majorité des revues en ligne ou sites spécialisés, comme Critikat.com créé en 2004, descendant de l’Université, celle-ci fait alors entrer le film dans l’ordre du discours, valorisant la capacité à parler, capacité dont l’écriture en est la norme148. Cette attention au discours sur un film pour sa valeur propre, on l’a vu, est inséparable de la reconnaissance de la critique professionnelle. C’est en effet la revendication éthique de l’effort que requiert le jugement universitaire qui constitue la marque de ces sites et revues en lignes par opposition aux jugements ordinaires des spectateurs. Une critique parue sur Cadrage.net à propos du film Star Wars III a notamment secoué certains fans de la saga et certains cinéphiles. Pour la première fois, ils avaient, en effet, un texte Internet qui était plus en profondeur sur le phénomène Star Wars et notamment sur ce que le film peut susciter comme réflexion149. L’attention du détail est, de plus, ce qui caractérise la construction d’un discours esthétique sur le web. La valorisation de moments de révélation advenus au cours d’une projection est un des traits de cette « webcritique » experte. Le format proposé par les revues papier offre, effectivement, peu de place aux détails150

.

La supériorité de l’expert s’affirme alors sur Internet. Ces nouveaux lieux de la critique professionnelle se présentent, du reste, comme des combattants de l’art cinématographique, « luttant contre le détournement du public par l’industrie culturelle151

Alors que la majorité des nouvelles revues papier ne s’intéressent qu’aux films « grand public », aux films aux budgets conséquents ou aux stars, les sites experts du Net peuvent traiter de sujets pas toujours commerciaux. Grâce aux possibilités techniques de ce medium, des analyses sur des cinéastes, des périodes de films ou sur des films d’auteurs sont présents. Ces derniers sont, en effet, souvent boudés par les spectateurs, l’institutionnalisation du

».

148 voir annexe II. 149 voir annexe III. 150 A noter, sur ce souci du détail, le site erreursdefilm.com devenu officiellement professionnelle (marque déposée) en mars 2010. Ce site contient, en grande partie, des erreurs de raccords dans les films mais contient également des clins d'œil ou des liaisons entre films. 151 JULLIER Laurent, LEVERATTO Jean-Marc, Cinéphiles et cinéphilies, Paris, Armand Colin, coll. « Cinéma / Arts visuels », 2010, p. 145.

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cinéma d’auteur est souvent objet de dérision dans le grand public152

. Ces sites professionnels en ligne ne répondant pas (pour le moment) aux pressions des distributeurs et revendiquant ainsi leur indépendance traitent davantage du cinéma d’auteur comme pour le rendre plus populaire. On retrouve effectivement, dans ces critiques, l’idée d’une démocratisation culturelle, l’idée de développer ce genre de cinéma pour des personnes qui jusque-là pensaient encore que le cinéma d’auteur était réservé à une élite.

« La prolifération de l’expertise cinéphile qu’autorisent les nouvelles technologies oblige à repenser en profondeur la politique culturelle française, et la philosophie de la démocratisation culturelle qui a permis de la promouvoir et qu’elle a servi, à son tour, à promouvoir. Nous devons substituer au ton apocalyptique longtemps affectionné par une partie de l’élite française cultivée un discours plus réaliste. Pour paraphraser Umberto Eco, l’expérience domestique que chacun d’entre nous peut faire aujourd’hui de l’industrie culturelle nous oblige à rompre aussi bien avec « le discours simpliste […], sans aucune perspective critique, assez fréquemment lié à l’intérêt des producteurs153

».

Ainsi, à une époque où beaucoup de sociologues commencent à relever l’injustice sociale et culturelle qui résulte de l’inégalité d’accès à Internet, il est important d’être attentif plutôt qu’à la menace contre la création artistique que constituerait la numérisation, aux aspirations culturelles des consommateurs qu’elle permet de satisfaire154. Permettant de travailler la longueur, la correction, l’interactivité, des sujets pas toujours commerciaux, Internet a bel et bien un effet positif, ici, à travers son rôle sur l’esprit de la critique. « Au fur et à mesure, on va se rendre compte qu’Internet brasse tant de public différent potentiel que l’idée de travailler des contenus plus fournis, plus variés est peut-être une forme d’avenir pour ces sites155

».

2.2 Un pont avec le grand public A la lecture de la rubrique « qui sommes-nous ? » du site Critikat.com, on peut y trouver l’idée « d’un désir commun : défendre et promouvoir une autre idée du cinéma […] pour construire des ponts entre le grand public et une approche analytique du septième

152 Laurent JULLIER et Jean-Marc LEVERATTO citent un extrait d’un sketch de la série Un gars, une fille qui exploite de façon significative cette humeur du grand public (le couple discute juste avant la projection) : « Elle : Annie m’a dit que c’était un film hermétique mais très intense. Lui : Ah oui ? Ecoute j’ai hâte de voir à quoi ça ressemble, un film qui s’appelle Placenta… bon. Elle : C’est du cinéma d’auteur ! Il faut s’intéresser à ce genre de cinéma ! Lui : C’est à eux à s’intéresser à nous ! On est 3 dans la salle, ils sont 25 à l’affiche, tu crois ça toi ?! ». 153 JULLIER Laurent, LEVERATTO Jean-Marc, Cinéphiles et cinéphilies, op. cit., p. 152. 154 cf. « Un accès inégal aux technologies de l’information », Observatoire des inégalités, janvier 2010 [disponible sur : http://www.inegalites.fr/spip.php?article467&id_mot=98. Consulté le 03 février 2011]. 155 TYLSKI Alexandre (directeur de la revue Cadrage.net), cité in CHAVEROU Eric, « La webcritique de cinéma, de Twitter aux textes sans limites », septembre 2009 [entretien radiophonique disponible sur : http://www.franceculture.com/2009-09-07-la-webcritique-de-cinema-de-twitter-aux-textes-sans-limites.html. Consulté le 06 avril 2011].

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art156 ». Pourtant, s’attachant, dès les premiers temps, à une rigueur dans les écrits, Critikat.com n’a pas eu la volonté première de séduire un plus large public et d’être alors moins exigeant dans son approche du cinéma157

.

« On a gardé cette approche là dès le départ en se disant que si l’on devait, dans un premier temps, être reconnu, ce serait par nos pairs, disons par d’autres journaux, par des festivals, par des attachés de presse avec lesquels nous avons une étroite collaboration, et on a fait le pari que ce serait en passant par là qu’on finirait par atteindre le grand public158

».

Ce choix tactique, plutôt payant puisque le site recense environ 2 500 visiteurs uniques par jour, passe aussi par l’interactivité159

. En effet, Critikat.com possède une rubrique « courriers des lecteurs ». Cette dernière permet d’encourager l’interactivité, d’avoir un retour de la part des lecteurs sur les contenus du site. A travers le côté virtuel d’Internet, réside alors cette volonté de rester dans le contact avec les personnes. Alors que dans les journaux ou revues papier, il est difficile d’interagir avec les rédacteurs, sur Internet, il n’y a plus cette barrière. Il est aisé pour quiconque lira une critique sur le site de donner son opinion sur ce qui est dit ; que ce soit positif ou négatif, ces divers retours permettent alors aux rédacteurs de continuer dans leur voie ou au contraire d’opérer certains changements afin de répondre au mieux aux attentes des lecteurs.

Cette interactivité se retrouve encore davantage dans le forum des Spectres du cinéma. Espaces de discussion publique, les forums ne sont pas souvent pris au sérieux et notamment lorsqu’il s’agit de cinéma. Or, ces espaces d'expression sont aussi parfois de hauts-lieux de la critique en ligne, Spectres du cinéma étant un symbole de ces forums de qualité. Cette revue en ligne, composée d'un forum et d'un blog, est née en 2008160. Les tenants de cette revue sont en réalité d’anciens fidèles des Cahiers du cinéma mécontents de l'évolution de la revue et surtout de la gestion du forum où ils se retrouvaient161

. Alors que le site est davantage une vitrine et le blog une plateforme pour télécharger la revue, le forum est la priorité des rédacteurs.

« L’idée est de se faire plaisir en écrivant des textes longs qui répondent à aucun intérêt commercial, qui ne doit respecter aucune limite de longueur, puisqu’il y a des gens qui écrivent beaucoup et très longuement. Ce qui nous réunit est tout simplement

156 Rubrique « Qui sommes-nous ? », Critikat.com [disponible sur : http://www.critikat.com/Qui-sommes-nous.html]. 157 GRAMINIES Clément (directeur de la rédaction et fondateur de Critikat.com), cité in CHAVEROU Eric, « La webcritique de cinéma, de Twitter aux textes sans limites », septembre 2009 [entretien radiophonique disponible sur : http://www.franceculture.com/2009-09-07-la-webcritique-de-cinema-de-twitter-aux-textes-sans-limites.html. Consulté le 06 avril 2011]. 158 Extrait de ce même entretien. 159 Source : CHAVEROU Eric, « La webcritique de cinéma […] », op. cit. 160 voir annexe II. 161 voir supra (1.2 Revues spécialisées : déclin ou évolution ?).

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ce plaisir à écrire et qu’on avait développé durant toutes ces années sur le forum des Cahiers162

».

Le but de ce forum est en effet de parler librement des films qui sortent, qui paraissent importants aux yeux des rédacteurs ou de tout film qui a, un jour, amené à une discussion au sein du comité de rédaction. On retrouve effectivement, sur le forum des Spectres du cinéma des discussions autour de films très anciens hors de toute actualité comme des films venant de sortir163

. L’esprit du forum repose sur l’échange entre amateurs et professionnels tout en sachant que ces professionnels ne sont pas forcément des critiques à l’origine. Les intervenants viennent de milieux très différents avec des activités professionnelles qui ne sont parfois pas liées au cinéma : ils se considèrent alors comme des cinéphiles éclairés. On le voit, ils se donnent du mal dans les textes qu’ils écrivent. C’est une façon de produire une manière de penser le cinéma qui n’est absolument pas gouverner par un cadre, un milieu ou un réseau. Le forum est, du reste, construit sur l’idée qu’il n’y a pas de différence visible entre les lecteurs et les rédacteurs ; les discussions s’installent naturellement.

« On écrivait sur le forum des Cahiers du cinéma mais on a eu l’impression que les critiques ou les discussions qu’on essayait d’avoir ne trouvaient pas un réel répondant de la part des rédacteurs. Or, si c’est pour laisser les lecteurs discuter entre eux sans qu’il y ait de réelles échanges avec les rédacteurs, je pense qu’au bout de quelques temps, c’est un peu décevant164

».

La modération de ce forum se fait sur la qualité des échanges. Afin de ne pas finir comme le forum des Cahiers du cinéma, les rédacteurs insistent beaucoup sur la qualité des échanges, l’argumentation apportée par les internautes, leur discours. Ce forum peut alors s’apparenter aux discussions de ciné-clubs, qui connurent une immense popularité dans les années 1950-1960 où des dizaines de personnes (voire plus) réunies dans un même lieu pouvaient parler longuement, et de manière parfois approfondie, du film auquel elles venaient d’assister165

.

D’autre part, toutes ces revues en ligne ou sites spécialisés sont également un pont avec le grand public en termes de recrutement. Les jeunes chercheurs ou les apprentis-journalistes trouvent grâce à Internet un terrain idéal et libre pour parler de cinéma (Plume Noire, par exemple) et ce, sans avoir à passer par une voie hiérarchique toute « militaire ». En

162 MESS-BAUMANN Adèle (rédactrice au sein de Spectres du cinéma), cité in CHAVEROU Eric, « La webcritique de cinéma, de Twitter aux textes sans limites », septembre 2009 [entretien radiophonique disponible sur : http://www.franceculture.com/2009-09-07-la-webcritique-de-cinema-de-twitter-aux-textes-sans-limites.html. Consulté le 06 avril 2011]. 163 voir annexe IV. 164 MESS-BAUMANN Adèle (rédactrice au sein de Spectres du cinéma), cité in CHAVEROU Eric, « La webcritique de cinéma […] », op. cit. 165 voir supra (chap. 1 – 2.3 Une nouvelle façon de penser la critique (1944-1960)).

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effet, auparavant, un jeune rédacteur se devait d’écrire des mini-critiques de fin de magazine avant de pouvoir passer, avec l’âge, à l’écriture de critiques plus longues166

.

« Je pense que c’est ça l’intérêt des revues Internet, c’est qu’elles sont très ouvertes aux jeunes rédacteurs, notamment à des rédacteurs qui n’ont pas nécessairement de formation en cinéma, ce qui été mon cas lorsque j’ai commencé à écrire, à faire de la critique cinématographique. Ayant commencé à étudier le cinéma très tard, postuler dans une revue papier, c’est évident que jamais je n’aurais été prise, c’est un monde très fermé et il y a, en plus, une question de renon. Je n’étais pas légitime on va dire, alors que dans les revues Internet, la question de la légitimité se pose différemment. A Critikat, tout le monde n’a pas de formation universitaire cinématographique, tout le monde n’a pas nécessairement de pratique dans l’activité critique cinématographique. […] La manière dont se passe le recrutement à Critikat est que chacun envoie un CV mais aussi une critique de film, ce qui permet au rédacteur en chef de se faire une idée sur le style, sur la manière d’argumenter, sur les capacités rédactionnelles et puis si cela plaît, on lui laisse sa chance et on voit comment cela se passe au fur et à mesure167

».

Les revues en ligne sont effectivement ouvertes aux jeunes cinéphiles avides de parler sur les films. Rencontrant des barrières dans les revues papier, ils trouvent plus facilement leur place au sein des revues Internet168. Enfin, il y a un côté pédagogique qui ressort de ces revues ou sites Internet à l’instar de la plupart des associations ou institutions autour de l’éducation à l’image qui, eux aussi, ne s’y sont pas trompés en proposant des bases de données, des blogs pédagogiques pour les étudiants et les enseignants. Cadrage.net édite notamment douze sites pédagogiques de cinéma supervisés par des spécialistes et universitaires sur des sujets très variés, de la saga Matrix au mythe de l’Atlantide169

.

2.3 Une légitimité qui a du mal à s’affirmer On l’a évoqué, les revues en ligne ou sites experts tiennent leur légitimité de leurs rédacteurs, pour la plupart des universitaires, des professeurs qui se sont spécialisés, à un moment de leur vie, dans l’écriture sur le cinéma. Cependant, cette légitimité n’a pas encore un écho retentissant. La question qui se pose est alors celle de la considération de la légitimité d’une revue Internet par rapport à une revue papier. En termes scientifique et universitaire, le

166 C’est notamment le cas pour les deux grandes revues papier que sont Positif et les Cahiers du cinéma. 167 Extrait de l’entretien réalisé avec Anne-Violaine Houcke, rédactrice au sein de Critikat.com. 168 A noter cependant que la grande majorité des sites ou revues en ligne fonctionne sur le principe du bénévolat. Que ce soit pour Critikat.com, Cadrage.net ou Spectres du cinéma (pour ne citer qu’eux), les rédacteurs ne sont pas payés. Le modèle économique du web reposant sur la gratuité et ces revues ou sites, ne souhaitant pas faire appel à la publicité afin de garder leur indépendance, ne perçoivent aucun revenu : les rédacteurs ne peuvent donc être payés. Anne-Violaine Houcke me confiant, du reste, que tout ce qui était déplacements aux projections de presse ou aux festivals étaient souvent à sa charge et qu’elle était parfois obligée de contribuer financièrement (« une bricole » selon ses termes) afin de pérenniser et développer le site. Contrairement aux revues papier qui répondent à un modèle économique précis, il est alors compréhensible que les revues en ligne soient, même si ce n’est pas l’unique point qu’il faut retenir, plus ouvertes. 169 voir annexe V.

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papier a toujours été (et est toujours) plus légitime. D’ailleurs, à ce propos, assez significativement, la critique d’art en ligne existe assez peu si ce n’est pour le cinéma170

. Les refus ou en tout cas les réticences pour les autres arts d’avoir de vrais sites critiques en ligne montrent bien qu’il y a encore une forme de non légitimité de ce qu’est une critique sur Internet. Cela joue, du reste, probablement dans le fait que certains sites conservent une revue papier, à l’instar des Spectres du cinéma qui, s’ils ne publient pas la revue en kiosque, proposent néanmoins une revue papier téléchargeable en ligne via leur blog. Cette revue reflète ce que sont les revues papier traditionnelles avec des agencements entre les textes, l’introduction d’images et de captures d’écran qui font sens ou encore la création de dossiers avec des textes qui se répondent.

« Le travail effectué autour de la revue téléchargeable nous demande de réfléchir autrement que sur Internet. Il y a toute une réflexion qui peut s’élaborer à partir du moment où l’on parle en termes d’objet fini. […] A travers cela, nous essayons de promouvoir notre légitimité en revenant, entre guillemets, à un format traditionnel. Outre le fait que beaucoup de personnes n’aiment pas lire des textes sur un écran d’ordinateur, beaucoup considèrent également que le travail est plus appliqué à l’intérieur d’une revue papier171

».

Il y aurait alors une nostalgie du papier alors qu’en termes de diffusion, une revue est davantage visible sur Internet qu’au format papier. Au demeurant, Anne-Violaine Houcke, lors de notre entretien, nous a confié qu’une question était souvent posée à Critikat.com : pourquoi le site ne développe pas une revue papier ? Pourquoi se contenter d’une revue en ligne ? L’idée est alors que le papier est toujours plus prestigieux. Dans l’esprit des gens, le papier a toujours plus de légitimité. Cela peut alors également être une explication dans le recul des grandes revues d’autrefois à passer à l’Internet. Internet est plus récent, sa légitimité n’est pas reconnu même globalement. De plus, l'absence d’un « filtre » d'évaluation en amont, comme un comité de lecture ou un comité de rédaction par exemple, tend a dévaluer et à banaliser le contenu de nombreux sites. Or, un contenu se retrouve d'ailleurs souvent à l'identique d'une adresse à l'autre, avec les mêmes erreurs et les mêmes approximations, sans qu’il ne soit vérifié. C’est alors, entre autre, sur cet argument que s’appuient les critiques papier.

« C'est tout de même un point essentiel, qui fait que les contenus de l'Internet ne sont pas équivalents à ceux d'une revue ou d'un livre ou par exemple, pour lequel l'auteur a dû travailler en étroite collaboration avec un rédacteur en chef, un éditeur ou un

170 Pour rappel, le cinéma est aussi une industrie et est plus populaire que tout autre type d’art, ce qui justifie la présence plus grande de la critique de cinéma sur le web. 171 MESS-BAUMANN Adèle (rédactrice au sein de Spectres du cinéma), cité in CHAVEROU Eric, « La webcritique de cinéma, de Twitter aux textes sans limites », septembre 2009 [entretien radiophonique disponible sur : http://www.franceculture.com/2009-09-07-la-webcritique-de-cinema-de-twitter-aux-textes-sans-limites.html. Consulté le 06 avril 2011].

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directeur de collection, et s'accorder à leurs exigences légitimes. […] Majoritairement, un site Internet est rédigé en solitaire alors que l'élaboration d'une revue imprimée est un travail de groupe, où les idées sont testées, élaborées et affûtées au contact de ceux qui composent ce groupe172

».

Au sein de cette citation, on aperçoit bien le dédain des critiques papier face à l’émergence du Net. En effet, les revues Internet, selon Youri Deschamps, perdraient leurs « exigences légitimes » du fait de leur méthode de travail. Or, les méthodes qu’il cite pour les revues papier sont pourtant les mêmes que pour les revues en ligne. Pour les Spectres du cinéma, même si les rédacteurs défendent l’idée du « chacun fait ce qu’il veut », il y a des échanges permanents entre les rédacteurs d’où l’instauration d’un comité de lecture. Chaque rédacteur lance ses idées, les textes qu’ils désirent écrire, cela est discuté au sein du comité et, sauf désaccord important sur le fond, ces textes sont ensuite publiés. Il en va de même pour le site Cadrage.net où le comité de lecture, composé d’une dizaine d’universitaires, lit les textes qui lui sont envoyés par les différents rédacteurs et en discute avant de les publier. De même, Critikat.com souhaite conserver un projet éditorial. Au niveau de leurs rédacteurs, sont organisées des réunions tous les deux mois pour que la rédaction ne soit pas seulement virtuelle mais que les gens se voient physiquement. D’autre part, il y a également beaucoup d’échanges, via les mails notamment, entre les rédacteurs et le rédacteur en chef afin de déterminer notamment, en fonction des films que chacun a vu, quel sera le « film de la semaine ». Enfin, Critikat.com dispose également d’un comité de lecture, composé de quatre à cinq personnes chargées de relire tous les articles envoyés. « On est vraiment attaché à faire cet accompagnement. […] Tout se fait de manière collégial, collective et dans le respect de chacun173

».

D’autre part, de nombreux professionnels s’attachent à être également visibles sur Internet. Pour preuve, les différents blogs existant dont celui de Joachim Lepastier, critique aux Cahiers du cinéma, intitulé « 365 ouvrables », celui de Thomas Sotinel, critique pour le journal Le Monde nommé « Premières prises », celui du directeur de la Cinémathèque française, Serge Toubiana174

172 DESCHAMPS Youri (rédacteur en chef de la revue Eclipses), entretiens réalisé en novembre 2008 par le site revues-de-cinema.net [disponible sur : http://www.revues-de-cinema.net/Entretiens/Carriere_Deschamps%20Youri_2008-11-04.html. Consulté le 12 avril 2011].

ou encore celui de Michel Reilhac, directeur du Cinéma d’Arte France. Bien que la noblesse et la crédibilité des propos reviennent toujours aux critiques « papier », la critique de cinéma dominante reste pourtant la même sur le web ; seul le support semble changer. Néanmoins, avec Internet, se pose la question de l’archive. Qu’adviendra-t-il de tous ces contenus une fois que les serveurs seront tombés ? Un livre ou une revue sont des objets que les bibliothèques, les institutions et les particuliers acquièrent et conservent, leur

173 Extrait de l’entretien réalisé avec Anne-Violaine Houcke, rédactrice au sein de Critikat.com. 174 Il existe de nombreux blogs mais il serait inapproprié d’en dresser un catalogue.

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assurant ainsi une pérennité sur le long terme, et par là la possibilité de leur transmission ; chose que, pour le moment, le medium Internet ne garantit pas.

3. Pouvoir et influence de la critique en ligne « La seule chose que je sais de la critique cinématographique, c’est qu’elle ne sert à rien175

». A travers cette citation de la fin des années 1960, Pierre Marcabru, critique au sein des Cahiers du cinéma à l’époque et aujourd’hui critique dramatique au Figaro, jette un pavé dans la marre. La question est alors posée : à quoi servent les critiques ? Cette question est toujours d’actualité, si ce n’est même peut-être plus qu’à l’époque. Si les critiques ont longtemps été utiles dans la défense du cinéma comme art et ont souvent été des références dans la manière d’appréhender les films, qu’en est-il aujourd’hui ? Alors que les spectateurs lisent de moins en moins les revues papiers, s’intéressent-ils davantage aux critiques en ligne ?

3.1 Les effets économiques et politiques de la critique Comme on a pu le constater, il est très difficile pour les critiques de conserver leur indépendance d’esprit et d’écriture dans un environnement qui cherche à les influencer. L’ambivalence entre critique et publicité est complexe. Le critique est fréquemment sollicité comme défenseur du film, au nom de la position de faiblesse de celui-ci sur le marché. Le cinéma étant considéré comme une industrie, la critique est ainsi prise dans des stratégies de communication et de commercialisation. Les productions hollywoodiennes, par exemple, dépensent énormément d’argent afin de convaincre, par tous les moyens, des gens du monde entier de payer pour voir les films ; les techniques de marketing étant, du reste, de plus en plus sophistiquées. C’est alors au sein de cet environnement que travaillent les critiques aujourd’hui y compris lorsqu’ils doivent affronter le dénigrement de ce qu’ils font au nom de l’écart entre le goût du public, attesté par la réussite commerciale du film, et les choix de la critique. Cette confusion des genres est, du reste, assez étrange : en quoi les critiques devraient-ils refléter l’opinion moyenne du public ? Or, cette pratique est de plus en plus fréquente dans les media et notamment sur Internet, en témoigne la publication des chiffres du box-office sans le moindre commentaire ou, plus encore, les « notes » des critiques176

175 MARCABRU Pierre, cité in CIMENT Michel et ZIMMER Jacques (dir.), La critique de cinéma en France : histoire, anthologie, dictionnaire, Paris, Ramsay, 1997, p. 93.

. En effet, la logique promotionnelle président à l’utilisation par le web de signalétiques inspirées par les guides du consommateur : petits cœurs, étoiles et autres « smiley » souriants ou grimaçants proposent une notation, en fonction de critères implicites recouverts par des

176 voir annexe VI.

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adjectifs qui n’évoquent pas grand chose : « excellent », « pas mal », « médiocre »,… et d’injonctions qui ne signifient pratiquement rien : « à voir absolument », « à fuir »,…177

Ces affichages qui prétendent traduire et synthétiser, dans le meilleur des cas, un travail critique, en sont pourtant la négation puisque l’activité critique est celle de l’écriture et de ce qui se construit grâce à cette écriture : chez le critique lui-même par l’activité d’écrire et chez le lecteur, du fait de ce que produit chez lui cette écriture.

Les pressions exercées par les distributeurs mettent alors un frein aux revues « sérieuses » en ligne. A l’instar des revues papier, qui certes étaient (et le sont encore) soumises à ces mêmes pressions, les lecteurs ont l’obligation d’acheter celles-ci s’ils veulent en lire le contenu. Or, le modèle économique est tout à fait différent, tout ce qui est publié en ligne est gratuit.

« Maintenir son indépendance, cela suppose aussi de savoir refuser des partenariats qui pourraient quand même être prestigieux par refus de parler d’un film en bien alors qu’on le pense mauvais. Typiquement, on est parfois partenaire de sorties DVD. Avant d’accepter un partenariat, le rédacteur en chef nous emmène à l’ensemble de la rédaction pour savoir s’il y a des rédacteurs qui souhaitent couvrir la sortie du film et si c’est un film qui ne nous semble pas défendable pour divers types de raisons, dans ce cas, on refuse le partenariat alors qu’il pourrait être un atout pour notre revue178

».

L’ensemble des critiques sont en effet l’objet de propositions de la part des distributeurs : offres de voyages pour rencontrer des personnalités liées au film, offres de reportages durant le tournage, accès privilégié à une vedette, cadeaux divers,…179 Il arrive aussi que des distributeurs, anticipant un mauvais accueil critique, préfèrent ne pas organiser de projection de presse (ou la fassent juste avant sa sortie) ou excluent certains critiques des projections180. Ces différentes pratiques soulignent au combien, si la collaboration entre critiques, attachés de presse et distributeurs est indispensable au travail des uns des autres, leurs visées sont profondément différentes181. De fait, la question du rôle de la critique de cinéma est de plus en plus soulevée alors que ce n’est pas le cas des études sur la critique littéraire qui ne se soucie guère de savoir si elle fait vendre des livres ou non182

177 idem.

. A l’heure d’Internet, les questions économiques reviennent régulièrement au détriment du sens même de la critique alors qu’il est important de le souligner une nouvelle fois, la critique n’est pas faite pour modifier la carrière commerciale des films (même si elle le fait « inconsciemment »).

178 Extrait de l’entretien réalisé avec Anne-Violaine Houcke, rédactrice au sein de Critikat.com. 179 cf. FRODON Jean-Michel, La critique de cinéma, Paris, Cahiers du cinéma, coll. « les petits cahiers », 2008, p. 33-36. 180 cf. « La révolution Internet et le rôle des critiques », allocine.fr [disponible sur : http://www.allocine.fr/article/dossiers/cinema/dossier-18591446/?page=5&tab=0. Consulté le 07 avril 2011]. 181 voir supra (chap. I – 1.2 Le métier de critique). 182En 2010, Camping 2 connaît un succès commercial (7ème place dans le top 10 des films à succès en France pour cette année là, avec 3,9 millions d’entrées) alors que le film n’est pas soutenu par la critique. On peut alors y voir une victoire des techniques promotionnelles contre l’avis des critiques.

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Ensuite, il est évident que ces questions ne sont pas les mêmes selon les films : une grosse production disposant par ailleurs d’énormes moyens promotionnels, grâce à la publicité mais aussi à la notoriété de ses acteurs ou actrices par exemple, dépendra moins du traitement critique qu’un film sans moyens financiers, sans vedette, sans partenariat avec de grandes chaînes de télévision,…183

.

La critique perd-t-elle alors tout pouvoir ? « Si la nature artistique du cinéma fonde la démarche critique, réciproquement c’est la critique qui vient sans cesse réaffirmer la dimension artistique du cinéma184 ». Dans de nombreux pays, à commencer par les deux plus grands producteurs de films, l’Inde et les Etats-Unis, le cinéma est considéré comme relevant de l’industrie des loisirs. En revanche, la dimension culturelle du cinéma telle qu’elle est perçue en France constitue la base d’un système de soutien par les pouvoirs publics. C’est au nom des enjeux culturels que le Centre national de la cinématographie (CNC) a été rattaché au Ministère de la Culture en 1958185. Ainsi, au nom de la dimension artistique du cinéma, un dispositif juridique et réglementaire a été mis en place entourant le cinéma et ses métiers, y compris celui de critique, destiné à ne pas laisser place aux seules logiques économiques, grâce au prélèvement de taxes spécifiques, à l’action de commissions d’aides sélectives,…186 Tout cela a, du reste, joué un rôle central en faveur de la diversité culturelle par l’assemblé générale de l’UNESCO en novembre 2006187. En ce sens, « la critique comme instance de labellisation culturelle du cinéma » est vu comme un pilier du processus qui accompagne les possibilités de production et de diffusion des films, possibilités qui ne pourraient exister dans un univers uniquement structuré par les lois du marché188

. Globalement, c’est l’ensemble des professionnels qui bénéficient d’un système qui ne tire sa légitimité que de la définition culturelle du cinéma, définition entretenu par l’existence même d’une critique indépendante soutenue par les nouvelles revues en ligne. C’est donc en partie grâce à la critique que continuent d’être réalisé un grand nombre de film.

3.2 L’impact des critiques sur la consommation de films Dans toutes les disciplines artistiques, on prête un pouvoir énorme à la critique, celui de faire ou de défaire une opération sur la base d’un simple article. On croit que les spectateurs potentiels n’attendent que les critiques pour faire leur choix. Qu’en est-il exactement ? Face à un nouveau film, le spectateur se trouve dans une « situation de risque »

183 voir infra (3.2 L’impact des critiques sur la consommation de film). 184 ESQUENAZI Jean-Pierre et ODIN Roger, Cinéma et réception, Paris, Hermès Sciences Publication, 2000, p. 87. 185 Le CNC dépendait, auparavant, du ministère de l’industrie. 186 cf. GRAS Pierre, L’économie du cinéma, Cahiers du cinéma, coll. « les petits cahiers », Paris, 2006. 187 cf. GERMANN Christophe, « Diversité culturelle à l’OMC et à l’UNESCO à l’exemple du cinéma », Revue internationale de droit économique, mars 2004, p. 325-354. 188 Ibid, p. 332.

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puisqu’il ne peut savoir à l’avance si le film qu’il désire aller voir lui apportera les bénéfices escomptés. Appréciera-t-il le film ? Considérera-t-il qu’il en a eu pour son argent ? Comme il ne peut anticiper tout cela, le spectateur doit alors chercher des informations avant la séance. Divers choix s’ouvrent alors à lui : il peut se fier aux informations fournies par le distributeur du film, informations évidemment biaisées, soit consulter une personne de son entourage qui est déjà allée voir le film, soit lire les critiques de films. Selon l’étude de François Colbert et Alain d’Astous, professeurs à HEC Montréal, le degré de consultation des critiques de film dépend de quatre variables psychologiques qui sont le degré de connaissance du cinéma (la cinéphilie, en outre), l’estime de soi, la sensibilité à l’influence sociale et le degré d’implication par rapport au cinéma189

. L’utilisation de la critique lors de la décision d’aller au cinéma peut être vue comme un processus d’acquisition de l’information par le spectateur. Sur le degré de connaissance du cinéma, l’étude des deux professeurs démontrent qu’un amateur de cinéma, un cinéphile éclairé, aura moins tendance à consulter les critiques de films et se montrera moins influençable. En revanche, un spectateur qui s’y connaît moins bien en matière de cinéma cherchera à conforter son opinion au moyen d’une recherche d’informations préalable à la décision en consultant l’avis des critiques. Ainsi, on peut en déduire que la première catégorie se fiera plutôt à la réputation du réalisateur, notamment, alors que la seconde catégorie sera plus influencée par la réputation du critique. Comme dans les revues papier, les rédacteurs sur Internet ont chacun leur style, leur ton, leur préférence, il est donc assez simple pour le spectateur de se référer, par habitude, à l’un d’entre eux.

Toujours selon cette même étude, plus le spectateur a une grande confiance en soi, plus il se fiera à son propre jugement avant d’aller voir un film, consultant alors moins les critiques de cinéma. Beaucoup de décisions de consommation sont influencées par l’opinion des autres lorsque ces derniers fournissent une information pertinente sur des produits ou des services. En témoigne, l’accroissement des avis des acheteurs sur de plus en plus de sites de consommation divers sur Internet, pour tout type de produit (bricolage, alimentation, high-tech, …). Le choix d’une sortie pour aller voir un nouveau film n’échappe à cette règle. La sensibilité à l’influence sociale joue un rôle significatif dans la consultation de critiques de films. Plus le consommateur sent une pression sociale de la part de son entourage, plus il cherchera à conforter son opinion en consultant les critiques, d’abord « expertes » puis celles d’autres spectateurs. Par ailleurs, les personnes qui consultent les critiques réagissent différemment aux informations contenues dans une critique de film. On sait que le style d’un critique influence sa crédibilité. En outre, une opinion positive de la part d’un critique qui a la réputation d’être sévère amènera le spectateur à croire cette opinion et à penser que le film devrait être bon puisque ce critique n’a pas pour habitude d’être tendre envers un nouveau

189 cf. ASTOUS (d’) Alain et COLBERT François, « La consultation de critiques de films et son impact sur la consommation », Gestion, vol. 28, premier trimestre 2003, p. 12-17.

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film190. Les consommateurs qui consultent rarement les critiques sont plus exposés à une information positive puisque leur source d’information principale est la publicité faite autour du film. En conséquence, ces spectateurs ne vont pas juger la critique dans sa profondeur puisqu’elle est conforme à ce qu’ils attendent. En revanche, une critique négative remettra en question leurs attentes, les poussant à s’informer davantage. Il paraît bien évidemment qu’a contrario, ceux qui consultent fréquemment les critiques seront plus suspicieux face à la publicité des producteurs de films. Quand l’opinion d’un critique n’est pas ce à quoi le spectateur s’attendait, par exemple lorsqu’elle est négative dans le cas d’une personne qui ne consulte pas souvent la critique et positive dans le cas d’une personne qui consulte fréquemment la critique, ce spectateur cherchera davantage à découvrir les facteurs qui pourraient expliquer cela191

. En résumé, ce processus consistera à examiner le style du critique et ses biais quant au réalisateur ou à un nouveau film.

Il est donc possible de répartir les spectateurs en deux groupes : celui qui consulte beaucoup la critique et celui qui la consulte peu. La critique de cinéma a un impact sur le processus de recherche d’information du spectateur pour un nouveau film en fonction de la façon dont celui-ci interprétera cette critique. Selon que la critique sera positive ou non et selon leur consultation de critique de films, les spectateurs auront des réactions très variées. En étudiant divers sites spécialisés, diverses critiques postées aussi bien par les professionnels que par les amateurs, on constate que malgré une critique positive, un film ne réalise pas son potentiel prévu au guichet alors qu’une critique négative n’a pratiquement aucune influence sur la popularité d’un film. Une critique positive ne convaincra pas nécessairement les personnes qui consultent souvent cette source d’information si la critique adopte une positivité habituelle ou si ce critique adopte une opinion positive à propos d’un réalisateur qu’il estime. De la même manière, une opinion négative de la part d’un nouveau critique n’aura pas, on peut s’en douter, un impact très grand. Les critiques perdraient alors tout de même de leur influence malgré leur nombre grandissant sur le Net et la variété de celles-ci. Les critiques n’auraient alors finalement que peu d’influence sur les choix des consommateurs, d’autres facteurs se révélant plus déterminants. En effet, la présence de célébrités dans un film et son budget sont des éléments qui peuvent fortement modérer l’impact d’une critique : dans le cas d’un film qui dispose d’un casting prestigieux, la décision des consommateurs d’aller voir ce film sera plus forte que n’importe quelle mauvaise critique192

190 cf. ASTOUS (d’) Alain, TOUIL Nadia, « Consumer evaluations of movies on the basis of critics’ judgments », Psychology & Marketing, vol. 16, avril 1999, p. 677-694.

. Par conséquent, il n’y a pas de relation de cause à effet entre une bonne critique et un succès au box-office, ou entre une mauvaise critique et des résultats en salle décevants. Les

191 cf. ASTOUS (d’) Alain et COLBERT François, « La consultation de critiques de films […] », op. cit, p. 12-17. 192 En 2010, le casting du film The Expendables a fait venir plus de deux millions de spectateurs dans les salles de cinéma alors que la critique était plutôt négative.

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critiques peuvent prédire les succès au box-office à long-terme, mais ne sont pas toujours capables d’influencer significativement les choix des spectateurs.

3.3 La fréquentation des sites spécialisés Le métier de critique a évolué, ce n’est d’ailleurs plus vraiment un métier mais plutôt une passion qu’il est facile de concilier avec une autre occupation grâce à Internet. Les critiques en ligne sont devenus plus nombreuses que les critiques « papier », et ne sont pas moins légitimes que ces derniers. Comme on a pu l’évoquer, les « cyber-critiques » n’étant pas rémunérés pour leurs textes, ils écrivent car ils sont passionnés et ont quelque chose à dire, c’est pourquoi leurs critiques sont bien souvent de qualité. Il y a aujourd’hui un nombre important de gens qui écrivent ou qui lisent des critiques, et ce grâce à Internet. Néanmoins, malgré l’effervescence de tous les sites de qualité et leur facilité d’accès pour n’importe qui dispose d’une connexion Internet, la méfiance qu’ont certains critiques professionnels vis-à-vis de ce medium se retrouve également chez certains lecteurs. Pour Darryl Campbell, les critiques d’aujourd’hui peuvent être classés en trois catégories. Il y a tout d’abord, selon ses propres termes, « les machines à baratin », qui semblent apprécier une grande majorité des films qu’ils ont à critiquer ; se pose alors le problème de la sincérité. Par ailleurs, il y aurait également « les critiques de l’ancienne génération », qui affectionnent les longs discours sur l’histoire du cinéma, utilisent un vocabulaire expert, et s’adressent surtout à un public d’initiés. Enfin, la troisième catégorie, plus discrète, voire inexistante selon lui, regroupe les critiques qui essaient de n’appartenir à aucune des deux premières193. Intéressons nous à cette deuxième catégorie. En effet, malgré la volonté de construire un pont avec le grand public, des sites comme Cadrage.net ou encore Critikat.com paraissent encore quelques peu élitistes aux yeux des spectateurs entraînant parfois une véritable déconnexion194

193 CAMPBELL Darryl, « Twilight of the Gods (of Film Criticism) », The Bygone Bureau, juin 2010 [disponible sur : http://bygonebureau.com/2010/06/14/twilight-of-the-gods/. Consulté le 19 avril 2011].

. Malgré l’ambition de séduire le public le plus large possible pour le cinéma d’auteur, ce dernier reste perçu comme intellectuel, élitiste, parfois même austère et ennuyeux. Cela étant, même si les chiffres sont bien loin de ceux des sites commerciaux, la fréquentation de ces hauts-lieux de la critique en ligne n’est pas insignifiante. Alexandre Tylski, directeur de la revue Cadrage.net, se réjouit, par exemple, de réunir entre 50 000 et 100 000 lecteurs par mois tout comme Clément Graminiès, directeur de la rédaction et fondateur de Critikat.com, qui se félicite de rassembler 2 500 internautes chaque jour. Enfin, si nous n’avons pas pu trouver de chiffres sur

194 voir supra (2.2 Un pont avec le grand public).

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la fréquentation du site des Spectres du cinéma, nous savons que le blog attire environ 50 visiteurs par jours avec un forum qui compte 76 membres195

.

En réalité, la « faible » fréquentation de ces sites ne se résume pas à une perte de confiance des spectateurs vis-à-vis des critiques, comme pourrait le sous-entendre Darryl Campbell, mais plutôt à une multitude de facteurs, facteurs autrefois minimes mais aujourd’hui indéniables. Ces facteurs sont la télévision, la publicité, les bandes-annonces et le bouche-à-oreille. L'étude « l'impact des outils promotionnels » réalisée par Médiamétrie en octobre 2010 auprès de 1 264 spectateurs de cinéma, montre que pour susciter l'envie d'aller voir un film au cinéma, le bouche-à-oreille devance les critiques professionnels ainsi que la publicité puis également la télévision196. L’avis de nos amis, de nos collègues, l’avis des autres spectateurs tient alors une très grande place aujourd’hui197. Néanmoins, point étonnant de cette étude, parmi les différents outils marketing, c'est la bande-annonce dans les salles de cinéma qui incite le plus, et de loin, les spectateurs, devant la bande-annonce sur internet, l'affichage dans les salles et la bande-annonce à la télévision. Malgré tous les bouleversements, la salle de cinéma fait office de résistante et démontre qu’elle demeure un endroit unique ; il était important de le souligner. Pour en revenir à la question de la fréquentation des sites spécialisés sur le cinéma, il n’y a nul doute que la première chose à laquelle pensent les personnes lorsqu’on leur parle de cinéma sur Internet, c’est le site Allocine.fr. Avec plus de 6,5 millions de visiteurs uniques par mois, ce site occupe une situation de leadership absolument écrasante sur tous ses concurrents, bien qu’il n’y ait pas véritablement de concurrents, outre le site Commeaucinema.com que l’on pourrait définir comme un clone d’Allocine.fr mais ne recueillant que le dixième de son score198

.

Allocine.fr provient d’un service d'informations téléphoniques sur les programmes de cinéma fondé au début des années 1990, qui a ensuite été transposé sur le web en 1997. Souvent résumé à un endroit où l’on peut retrouver horaires de films et bandes annonces, Allocine.fr défend une volonté éditoriale, avec le développement de contenus propres au site à travers les « news », les interviews, les dossiers… Depuis 2003, année symbolisée par une renaissance du site suite à divers problèmes économiques et actionnariaux, cette volonté est

195 Sources : CHAVEROU Eric, « La webcritique de cinéma, de Twitter aux textes sans limites », septembre 2009 [disponible sur : http://www.franceculture.com/2009-09-07-la-webcritique-de-cinema-de-twitter-aux-textes-sans-limites.html. Consulté le 06 avril 2011] ainsi que http://spectresducinema.blogspot.com/ (blog de la revue des Spectres du cinéma) et http://spectresducinema.1fr1.net/memberlist (liste des membres de la revue des Spectres du cinéma) 196 « Bilan cinéma 2010 : l'année des records au cinéma », Médiamétrie, février 2011 [disponible sur : http://www.mediametrie.fr/cinema/communiques/bilan-cinema-2010-l-annee-des-records-au-cinema.php?id=407. Consulté le 19 avril 2011]. 197 voir infra (chapitre III). 198 Source : LECLERC Tanguy, « www.allocine.fr », E-marketing.fr, septembre 2008 [disponible sur : http://www.e-marketing.fr/Marketing-Direct/Article/www-allocine-fr-3169-1.htm&t=www-allocine-fr. Consulté le 20 avril 2011].

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d’autant plus flagrante quant au regard de la composition de la rédaction qui n’a cessé de gonfler passant de quatre à vingt personnes qui se définissent comme des « journalistes à temps plein entièrement dédiés à Allocine.fr laissant la place à tous les films, bons ou mauvais199

». Pour autant et paradoxalement, Allocine.fr ne dispose pas de critiques de films écrites par les membres de la rédaction du site. Aussi étonnant que cela puisse paraître, Allocine.fr n’a pas de signatures propres. Alors qu’ils se décrivent comme des « journalistes », les rédacteurs mettent en avant le reflet des critiques de la presse à travers leur rubrique « presse ». Pourtant, Allocine.fr a été créé au tout début du web ; les rédacteurs auraient alors pu, dès le départ, prendre le credo d’être le premier site de critiques en ligne mais ont préféré se tourner vers l’information. En réalité, il y a autre chose qui peut expliquer cela. Si les rédacteurs se définissent comme des « journalistes », il est important de souligner qu’Allocine est, à l’origine, une entreprise de services et de télécommunications ; le statut de « journaliste » ne pouvant alors être reconnu. Dans le fond, Allocine.fr est une plateforme d’informations-cinéma basée sur l’interactivité et la collaboration. Ce qui fait le succès d’Allocine.fr est le développement plus qu’exponentiel de son côté communautaire. En effet, le site donne tous les outils nécessaires aux internautes pour trouver le film qu’ils désirent aller voir et après, c’est à eux d’en faire la critique, de donner leurs avis. Allocine.fr a été l’un des premiers sites à donner la parole aux spectateurs.

* Il existe belle et bien une critique professionnelle sur Internet au travers de sites réactifs qui ne transigent pas sur la qualité des contenus. Majoritairement indépendants et libérés de toute contrainte éditoriale ou économique (encore que la question du financement reste sans réponse), les sites professionnels de la critique de cinéma en ligne imposent leur ligne, leur style au travers d’une cinéphilie savante qui sait exploiter toutes les possibilités qu’offre le web. Ouvrant des voies aux jeunes critiques, cette « webcritique de cinéma » experte permet également une plus grande proximité avec le grand public. Néanmoins le principal atout d'Internet constitue aussi sa principale limite. La multiplication des sites, des blogs, des forums fait que ces hauts-lieux de la critique en ligne se fondent dans la masse au détriment de leur légitimité, qui plus est, encore instable. L’importance et le crédit accordés à ces sites par le public restent encore inégaux. Si le web a fait évoluer la critique de cinéma dans sa plus pure tradition, le web 2.0 se fait l’écho d’une nouvelle voix, celle de l’internaute-spectateur.

199 Rubrique « A propos de », Allocine.fr [disponible sur : http://www.allocine.fr/service/apropos/].

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Du spectateur passif au nouveau spectateur

Chapitre III

« Internet est extrêmement propice aux pratiques cinéphiles. Il a donné à l’idée du « tous critiques », une vie possible et élargie. Elle produit des choses intéressantes, et en même temps elle pose un gros problème, puisqu’en ouvrant les portes à l’écriture de chacun Internet a créé une très forte crise de la critique. Parce qu’il y a trop d’écrits. On trouve beaucoup de critiques sur Internet, à travers des blogs et des sites spécialisés, mais aussi un parasitage général des grands sites d’information, avec cette volonté de donner son avis, d’intervenir, de façon parfois intempestive, d’ailleurs, sur les textes des autres, et notamment sur les textes de la « critique officielle ». C’est quelque chose d’assez réjouissant et qui en même temps n’est pas toujours à la hauteur de ce que l’on pourrait espérer200

».

Les réseaux sociaux, les chats, les forums, les blogs modifient les comportements d’écriture de la critique cinématographique ; elle est plus directe, plus droite, plus courte et répond à la demande instantanée de qui se connecte sur le réseau. Par ailleurs, les comportements de lecture ne sont pas les mêmes ; on ne lit pas : on absorbe, on visualise, on est inondé d’informations. Tout s’inscrit dans une frugalité de l’instant, dans l’idée d’une péremption imminente : il faut vite parler d’un film avant de passer à un autre. Le web 2.0, l’esprit communautaire, l’appel à l’interactivité est le langage de la connexion spontanée et immédiate. La critique n’appartient plus alors à un cercle fermé ; tout à chacun peut s’improviser critique. Mais l’effet est tout aussi pernicieux. Si la critique spontanée appartient certes à tout le monde, cependant l’analyse de fond n’est pas l’apanage de tous. Comme le défend nombre de professionnels, chroniquer, écrire sur le cinéma est un métier ; « la critique cinématographique se doit d’être professionnelle, sérieuse, rigoureuse, réfléchie201

».

S’affrontent alors deux mondes : celui du professionnalisme et celui de l’amateurisme. Pour autant, la distinction entre critiques professionnels et critiques amateurs n’est pas évidente. On considère que les critiques professionnels sont ceux pour qui la critique est un métier et les critiques novices sont ces amateurs de cinéma qui décident de rendre leurs opinions publiques. Mais en prenant le terme de « professionnalisme » au sens large, pourquoi ne pas admettre que les bloggeurs publiant régulièrement des critiques de films et les spectateurs s’exprimant sur des forums spécialisés pourraient en faire partie ?

200 BAECQUE (de) Antoine, « Les cinéphilies, une communauté nomade », Fiches du cinéma, juillet 2009 [disponible sur : http://www.fichesducinema.com/spip/spip.php?article1435. Consulté le 19 avril 2011]. 201 BURDEAU Emmanuel (critique aux Cahiers du cinéma), cité in ARDJOUM Samir, « Où va la critique de cinéma ? », Il était une fois le cinéma, article non daté [disponible sur : http://www.iletaitunefoislecinema.com/chronique/2518/ou-va-la-critique-de-cinema. Consulté le 18 février 2011].

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1. Une « cinéphilie 2.0 » L’expression de « cinéphilie 2.0 », qui qualifie les pratiques de la cinéphilie sur Internet, a été lancée par le site Vodkaster.com202. Ce site, fondé en 2008, se présente comme une plateforme vidéo, gratuite et collaborative, entièrement dédiée aux extraits de films. Son fondateur, Cyril Barthet, a entrepris de « faire de Vodkaster la référence mondiale en matière de scènes de films, et réconcilier ainsi deux mondes qui ont un peu de mal à se comprendre : cinéma et web 2.0203

». En effet, le site offre la possibilité de visionner des extraits de films, d’en ajouter mais aussi et surtout de les commenter. Permettant aux internautes ayant peu de connaissances techniques de s'approprier les nouvelles fonctionnalités d’Internet, le web 2.0 contribue ainsi, à travers l’interactivité, les échanges, les communautés, à démocratiser l’activité critique.

1.1 Une personnalisation de la consommation En 2010, la fréquentation des salles de cinéma est en hausse, 37,6 millions de personnes vivant en France métropolitaine se sont rendues au cinéma dans le courant de l’année, ce qui représente 65,4% de la population204. Pour autant de plus en plus de films sont visionnés à domicile. Alors que certains cinéphiles entretiennent un rapport particulier avec la salle de cinéma et tendent à assimiler film et séance cinématographique, d’autres reconnaissent la consommation à domicile comme une consommation à part entière. Ces nouveaux cinéphiles boudent en réalité l’évolution des salles de cinéma, démontrant des expériences négatives sur le multiplex qualifié de « non-lieu » où le sentiment d’anonymat et de rationalisation est fortement ressenti, comme une sorte de dépersonnalisation205. Mais l’individualisation de la cinéphilie résulte d’abord, et avant tout, du fait que le marché des DVD d’un côté et le téléchargement p2p sur Internet de l’autre autorisent la privatisation complète de la consommation des nouveautés cinématographiques comme d’anciens films206

.

« Je ne suis pas un grand adepte des salles obscures, et ce pour plusieurs raisons. Déjà car la plupart des salles sont devenues des restaurants plutôt qu’un endroit calme et sympa pour regarder un film tranquillement. Entendre de bruits de paquets plastiques, de mains cherchant des popcorns ou des bruits de bouches tout simplement est vraiment

202 voir annexe VII. 203 BARTHET Cyril dans la rubrique « A propos de Vodkaster », Vodkaster.com [disponible sur : http://www.vodkaster.com/A-propos-de-Vodkaster]. 204 Source : « Bilan cinéma 2010 : l'année des records au cinéma », Médiamétrie, février 2011 [disponible sur : http://www.mediametrie.fr/cinema/communiques/bilan-cinema-2010-l-annee-des-records-au-cinema.php?id=407. Consulté le 19 avril 2011]. 205 cf. JULLIER Laurent, LEVERATTO Jean-Marc, Cinéphiles et cinéphilies, Paris, Armand Colin, coll. « Cinéma / Arts visuels », 2010, p. 155-157. 206 Le p2p (ou peer-to-peer) est un système qui permet à plusieurs ordinateurs de communiquer via un réseau, de partager simplement des objets mais également des flux multimédia continus (streaming) sur Internet.

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insupportable. Si on couple ça à des sièges assez inconfortables ou bien des projections dégueulasses avec des images floues au possible dans certains cinés, et bien j’en sors plus énervé surtout au prix de la place. […] Donc, je me mets mon p’tit film sur mon écran plat HD, calé sur mon canapé ou sur mon lit et là je peux être dans le calme et dans de bonnes conditions pour réfléchir à ce que je regarde. Ma collection de DVD personnelle est très limitée selon moi. Elle se compose de toute la filmographie de Burton et de Tarantino en version collector dans la plus grande partie. […] Tout le reste de mes films se trouve dans un disque dur multimédia de 500 Go. Du film pour ado marrant en passant par le film d’action qui ne fait pas réfléchir mais aussi et surtout du cinéma bien plus intelligent : Nosferatu, Metropolis, les Chaplin, tous les Larry Clark, tous les Kubrick et bien d’autres207

».

Si ces propos peuvent résonner comme une manière de tuer le cinéma à travers la non fréquentation des salles et surtout le téléchargement, très souvent illégal, de films sur Internet, on peut néanmoins aborder cette citation d’un angle différent. Effectivement, on peut observer, ici, une certaine éthique du spectateur. Il fait l’effort d’accorder au film toute l’attention qu’il mérite et notamment l’attention intellectuelle : il s’agit de « réfléchir à ce que je regarde ». Par ailleurs, autre point intéressant, la partie « collection ». En stockant, ici sur un disque dur, une collection de films issus de genres particulièrement différents, les nouveaux cinéphiles constituent une sorte de patrimoine cinématographique propre à eux-mêmes. L’expertise caractéristique de la cinéphilie d’autrefois s’était construite sur la base d’une forme de consommation cinématographique réservée à un petit nombre d’individus pouvant s’y consacrer pour des raisons à la fois spatiale (le nombre important de salles à Paris) et sociale208

. Aujourd’hui, c’est la distribution de cette expertise qui caractérise la cinéphilie. La numérisation, permettant la circulation massive et le visionnement à volonté des films, entraîne une popularisation des films anciens et l’accès rapide aux nouveautés cinématographiques.

La numérisation génère ainsi un autre rapport avec ce que l’on pourrait appelé la « mémoire cinématographique » pour le bénéfice du plus grand nombre. La domestication du film a permis la démocratisation du « culte du fragment209

207 Propos d’un jeune cinéphile, cité in JULLIER Laurent, LEVERATTO Jean-Marc, Cinéphiles et cinéphilies, op. cit., p. 158.

». Outre le fait que le DVD est répétable à l’infini, regarder seulement une séquence de film sur un DVD que l’on possède est très simple, tout comme sur des sites, tel que YouTube, qui normalisent cette pratique. La numérisation permet alors à beaucoup la concrétisation matérielle d’une passion que les amateurs ne pouvaient cultiver, la facilité d’accès et la plus grande disponibilité des films permettent une meilleure connaissance du cinéma, l’expérience cinématographique comptant pour beaucoup lorsque l’on veut porter un jugement sur un film. La consommation d’un film

208 voir supra (chap. I – 2. Naissance de la critique de cinéma). 209 Expression tirée du site Vodkaster.com, dans la rubrique « A propos de Vodkaster » [disponible sur : http://www.vodkaster.com/A-propos-de-Vodkaster].

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devient une pratique individuelle, dans un cadre intimiste, comme la lecture d’un livre. Au lieu de bâtir une histoire commune du cinéma, les nouveaux cinéphiles restent chez eux et développent la leur. Ils se créent des vidéothèques comme certains se créent des bibliothèques. A défaut de se conformer à l’histoire du cinéma, ils défendent leur propre histoire du cinéma. Sur ce point, il y a alors l’apport personnel du spectateur qui vient s’ajouter, le fait de sortir d’une traditionnelle liste des plus grands films selon des critères universels. Ce processus a donc également pour vertu de protéger, ne serait-ce qu’un peu, le souvenir de films sur lesquels l’unanimité ne s’attarde pas, sans empêcher pour autant les grands classiques établis de continuer à mettre tout le monde d’accord. Le cinéphile « ordinaire » acquiert alors, par ses propres moyens, une légitimité intellectuelle en même temps qu’un intérêt esthétique. L’accroissement de son capital culturel, pour reprendre les termes du sociologue Pierre Bourdieu, tient aussi dans la circulation d’une masse d’informations sur le cinéma sur Internet. Certes, cette distribution de l’expertise peut être contestée au nom de l’inégalité d’accès à l’équipement informatique en fonction du revenu. Elle peut l’être également au nom de la possibilité de jouissance inégale qui résulte de la différence d’éducation, certaines personnes sont illettrées, et des rapports de sociaux de sexe, le loisir des femmes étant souvent accaparé par les tâches ménagères et éducatives210. Néanmoins, s’il est nécessaire de relativiser l’usage d’Internet en fonction des positions sociales des individus, on ne doit pas faire, cependant, oublier la généralisation de l’équipement des foyers et la normalisation de l’usage culturel quotidien du web211

. Internet a profondément modifié les conditions d’accès aux informations biographiques et filmiques qui constituaient la supériorité du cinéphile parisien aguerri, c’est-à-dire bénéficiant par ses fréquentations des salles parisiennes et par ses conversations d’un capital de connaissances cinéphiles. Or, Internet met le spectateur curieux à égalité avec ce genre de cinéphilie. Il suffit de taper le titre d’un film dans un moteur de recherche pour trouver directement l’information recherchée, qu’elle soit accessible directement sur un site commercial, une encyclopédie en ligne ou le site d’un fan qui met à la disposition du public ses propres connaissances. Mais Internet, surtout, a démocratisé l’exercice de la critique cinématographique en permettant au simple spectateur d’y publier son jugement soit sur un film qui vient de sortir, soit sur un film intéressant à discuter.

210 cf. LEONTSINI Mary et LEVERATTO Jean-Marc, Internet et la sociabilité littéraire, Paris, BPI, coll. « Etudes et recherche », 2008, p. 40-42. 211 cf. « France : équipement haut débit », Le Journal du Net, septembre 2010 [disponible sur : http://www.journaldunet.com/cc/02_equipement/equip_hautdebit_fr.shtml. Consulté le 22 avril 2011].

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1.2 L’échange de critiques

« La cinéphilie fonctionne maintenant beaucoup autour de ce qui se dit dans les communautés, Facebook, Twitter, les forums de discussion, les différentes sources de recommandation. Cela crée un phénomène d'appropriation plus fort, car on suit les recommandations de ses amis plus que celles du critique212

».

Alors qu’autrefois les critiques de cinéma étaient confinés en une corporation originale dont les avis faisaient autorité, aujourd’hui, la principale caractéristique d’Internet et du web 2.0 est de donner une voix aux spectateurs. Ces nouvelles évolutions veulent en quelque sorte, faire comprendre aux spectateurs qu’ils peuvent aussi s’exprimer, dire ce qu’ils ont à dire au sujet du cinéma. La critique de cinéma est désormais ouverte à tout le monde. Ce nouvel enthousiasme provoque alors un déferlement de blogs, de sites, d’avis sur la Toile. Bien que l’ensemble de ces productions amateurs rend visible des pratiques cinéphiles qui ne sont pas forcément nouvelles (les « fanzines », par exemple, existent depuis longtemps), Internet a contribué à renforcer les cinéphiles « ordinaires » qui n’existaient que dans le cadre familial ou amical. Par rapport à d’autres arts, tout le monde a le droit de parler sur le cinéma, tout le monde a un avis à apporter. Preuve de cette effervescence, la montée de la participation accrue des spectateurs sur divers forums ou encore sur Allocine.fr, leader français des sites de cinéma, qui compte plus d’un million de membres213

212 REILHAC Michel (directeur d’Arte France Cinéma), cité in POTTIER Jean-Marie, « Cinéphilie d’aujourd’hui », Challenges.fr, septembre 2010 [disponible sur : http://www.challenges.fr/styles/recit/0223.031901/?xtmc=leonardo_dicaprio&xtcr=7. Consulté le 16 février 2011].

. Sur ces supports d’expression inédits, la question est alors de savoir comment s’accomplit dans les différents messages l’activité critique ? La première chose que l’on remarque sur les forums est que tout sujet peut être source d’un débat. En effet, la première page est, le plus souvent, composé d’une longue liste de sujets indiquant le nombre de messages y figurant, en référence au titre du premier d’entre eux. On peut alors choisir de lire les messages sur tel ou tel thème. Certains énoncent des demandes ou des questions sur divers sujets, la plupart d’entre elles ne trouvant pas de réponses car l’objectif principal n’est pas de répondre à de simples questions de type « quels acteurs jouent dans tel film ? » mais plutôt de partager une passion sur un film, un réalisateur, un acteur. La culture que les cinéphiles emmagasinent intimement à travers la domestication du spectacle cinématographique est amenée à être diffusé, comme la preuve de l’acquisition d’une certaine érudition. Les listes sont, de fait, omniprésentes sur les forums. Une pratique classificatoire obsessionnelle, chez les cinéphiles, consiste, du reste, à dresser la liste des meilleurs films de l’année. Ainsi, les nouveaux cinéphiles se créent une collection de goûts privés qu’ils décident de soumettre au regard et au jugement du public. L’érudition acquise est

213 Source : LECLERC Tanguy, « www.allocine.fr », E-marketing.fr, septembre 2008 [disponible sur : http://www.e-marketing.fr/Marketing-Direct/Article/www-allocine-fr-3169-1.htm&t=www-allocine-fr. Consulté le 20 avril 2011].

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alors partagée, sa propre connaissance devenant, en quelque sorte, un bien commun dans l’espace du forum214

.

De façon caractéristique, il semble que tout message offre une occasion de commentaires qui donnent lieu, à leur tour, à des discussions. La mise en série d’opinions, ainsi occasionnée, n’intervient pas seulement pour ce type d’exercice cinéphilique mais également dans le cas des critiques de films. Les internautes ayant pour habitude communicationnelle de citer un extrait des messages précédents et de les commenter, tout fragment discursif est redéfini comme ressource interactionnelle. La création d’un groupe engage une autre logique éditoriale qui soustrait au flux conversationnel des écrits critiques pouvant être reçus en tant que tels. En effet, l’une des caractéristique du web 2.0 est l’idée de communautés, communautés évidemment virtuelles. Allocine.fr a été l’un des premiers sites à s’intéresser à ce phénomène et à sentir qu’elles avaient un rôle à jouer dans l’avenir de la critique215. Prenons l’exemple de son « Club 300 »216. Ce club rassemble des bloggeurs et certains utilisateurs des forums recensés sur Allocine.fr mais également des bloggeurs ou utilisateurs des forums hors Allocine.fr. Ces différents internautes sont « choisis » en fonction de leur influence sur le Net : ceux qui débattent le plus, ceux dont les avis sont parmi les plus regardés. L’objectif du site, vis-à-vis de ce club, est de proposer aux membres de voir certains films en avant-première pour qu’ils aient la possibilité ensuite de partager leurs impressions : de lancer le « buzz » positif ou négatif sur le web. De fait, à travers cette communauté, le site offre aux spectateurs et aux fans de cinéma une place de choix par rapport à la critique. Ce phénomène est par ailleurs ce qui est au fondement du site Senscritque.com qui se définit comme « le Facebook de la critique de cinéma217

».

« A l’heure du 2.0, il nous est apparu invraisemblable que personne n’ait eu l’idée de créer une sorte de Facebook de la critique de cinéma. Du coup, nous nous sommes engouffrés dans la brèche et de là est partie Senscritique. […] Le plus important dans le site, c’est la communauté. Le bouche-à-oreille est quelque chose de très important aujourd’hui dans le cinéma. Avant d’aller voir un film, les gens ne consultent plus les critiques, ils demandent l’avis de leurs amis qui l’ont déjà vu. Ainsi, notre objectif est d’avoir, sur un même site, les avis de tous nos amis, collègues ou autres plutôt que de les appeler un par un pour savoir s’ils l’ont vu et si oui, ce qu’ils en ont pensé218

».

Loin du discours académique, avec un vocabulaire, une orthographe, un style plus relâchés, nombres d’internautes s’approprient cependant les instruments des critiques

214 voir annexe VIII. 215 voir annexe IX. 216 Le nom de ce club n’a pas été choisi, à l’origine, pour obtenir le nombre de 300 membres mais a été choisi en rapport au film 300 de Zack Snyder. Le club compte aujourd’hui, du reste, plus de 300 membres et tend à s’agrandir. 217 Extrait de l’entretien réalisé avec Guillaume Boutin, fondateur du site Senscritique.com. Voir annexe X. 218 Ibid.

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d’autrefois, conscients qu’ils sont d’être observés et de contribuer à alimenter une circularité infinie de paroles sur le cinéma. Mais l’évolution de la cinéphilie qu’Internet permet d’observer ne se réduit pas à une évolution culturelle, au sens d’une évolution purement intellectuelle. Le film, sur ce support, n’est pas seulement un objet d’expertise, il est également un instrument de sociabilité.

1.3 La sociabilité cinématographique à travers la publication d’un jugement

Lorsque l’on s’intéresse aux forums de discussion sur Internet concernant le cinéma, les films, on se rend compte qu’appréhender ce medium dans le seul cadre d’échanges de critiques, d’échanges cinéphiles qui lui sont propres ne suffit pas. En effet, ces espaces d’expressions sont également le témoin des rapports de sociabilité qu’un film permet d’entretenir. A explorer les forums, on constate que les sujets de discussion obtenant le plus grand nombre de réponses sont ceux qui s’éloignent des films à proprement parler. Le film devient alors un simple prétexte à des discussions d’ordre sociétal, historique ou autres, dont le film fait plus ou moins écho. Le Teen movie (ou « film pour adolescent ») en est l’exemple le plus clairvoyant. Période de la vie où l’on se cherche, où l’on explore sa propre personnalité, les adolescent offrent un bel exemple de cette utilisation des forums de cinéma comme échappatoire. « Les chroniques du Teen movie ont pour objet de décrypter le cinéma montrant la vie adolescente, et une tribune afin de partager sur les problématiques de cet âge219 ». A partir de films comme la saga des American Pie ou encore Supergrave, les forums de discussion se transforment rapidement en « radios libres » pour adolescents où éducation sexuelle et pratiques de la vie courante prennent le pas sur la critique du film. Il en va de même pour des sujets plus graves comme au travers du film Virgin Suicides où les jeunes cinéphiles débattent sur le mal être profond de certains de leurs amis. Toutes ces discussions, restant néanmoins liés aux films eux-mêmes, créent alors une atmosphère de familiarité et permettent la constitution d’une communauté interprétative soudée. Ces phénomènes de sociabilité autour de la publication d’un jugement s’observent également sur des « blockbusters » comme Harry Potter, Avatar ou encore Inception, où de véritables communautés de fans se forment sur le web au sein des forums et même à l’extérieur de ces-derniers220

.

A travers ces communautés, les internautes-spectateurs valorisent leur expérience, leur capacité de se cultiver par eux-mêmes. Ils affirment, en réalité, leur résistance face aux critiques professionnels qui regardent souvent ces « blockbusters » comme des films 219 Accroche du site Melty.fr, site pour jeunes cinéphiles qui défend également un côté communautaire [disponible sur : http://www.melty.fr/teen-movie-w-1014.html#teen-movie-w-1014.html]. 220 voir annexe XI.

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commerciaux. De même, il y a un désir, pour certains, de se positionner face au nombre de films qui sortent chaque semaine. Alors qu’en moyenne sortent seize films par semaine, il est impossible aussi bien pour la presse papier que pour les revues en ligne de couvrir toutes ces sorties en donnant, par ailleurs, des critiques équivalentes aussi bien sur le fond que sur la forme. C’est alors que les internautes-spectateurs aiment à marquer également leur indépendance en s’attardant sur des films que peu de monde regarde comme des objets intéressants esthétiquement ou culturellement, allant jusqu’à se réjouir de les avoir trouvés et choisis eux-mêmes. Tout cela conduit ainsi à une construction esthétique de la sociabilité cinéphile, ces communautés revendiquant publiquement un certain genre de savoir cinéphile dont ils éprouvent l’intérêt esthétique. On trouve, sur le web, l’affirmation, la défense et la promotion de plusieurs genres de goûts cinématographiques ; la promotion consistant à redonner vie et considération à des films non seulement peu visibles mas aussi écartés par les critiques de cinéma traditionnels221. Via l’échange sur Internet, l’affirmation d’un goût individuel partageable se transforme en une affirmation d’une posture esthétique non-conformiste par rapport au cinéma en général. on pourrait alors parler de communautés esthétiques où les membres défendent l’autonomie de leur jugement esthétique et valorisent des films dont la qualité réside particulièrement dans les discussions apportées autour de cette autonomie. Ces internautes-spectateurs qui se fédèrent entre eux, qui s’entre-interrogent, qui, en quelque sorte, co-équipent s’échappent alors de toutes formes d’alignement institutionnel. Ce phénomène peut, du reste, tomber dans l’extrême, si l’on peut dire, avec des communautés virtuelles qui se focalisent sur des films complètement marginaux en cultivant des genres tels que le « nanar » ou le « trash » où l’on retrouve un intérêt identitaire de la part des fans qui souhaitent faire reconnaître l’importance des différences de sensibilité dans l’intérêt de l’expérience cinématographique222

.

L’analyse des discussions sur les forums a fait alors émerger l’existence d’une habitude relationnelle, entre certains membres, se déclinant dans l’échange de goûts partagés pour certains films, à travers la seule communication sur des films. Entre plusieurs intervenants d’un forum se créent alors des affinités, des conversations parallèles et privées se nouent parfois également par l’intermédiaire du courrier électronique, dont les adresses ont été échangées au cours des discussions. En ce sens, les jugements de goût instaurent des communautés de goûts électives. La publication d’un jugement à propos d’un film sur Internet favorise alors l’interactivité entre les spectateurs et, par extension, une certaine forme de sociabilité qui peut se continuer hors des forums. De fait, Internet change complètement la manière d’exercer l’activité critique, critique qui devient, le plus souvent, un prétexte à la rencontre. Pour autant, un désir critique existe où l’expérience cinématographique acquise

221 voir annexe I (le site Internet de la revue Mad Movies qui s’est spécialisée dans le cinéma fantastique). 222 cf. JULLIER Laurent, LEVERATTO Jean-Marc, Cinéphiles et cinéphilies, Paris, Armand Colin, coll. « Cinéma / Arts visuels », 2010, p. 186-195.

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individuellement par les nouveaux cinéphiles est déployée sur le Net. Mais qu’apportent ces critiques de plus ou de moins que celles des professionnels ?

2. La construction des avis de spectateurs Manuel Dupuy-Salle, chercheur en sciences de l’information et de la communication à l’université Stendhal de Grenoble, évoque l’idée qu’il serait aberrant de constater la mort de la critique au moment même où « Internet a prouvé l’existence d’un public impliqué, capable de démontrer des compétences critiques et de révéler, aussi, une immense palette de goûts223

». Critiques en herbe, signant par des surnoms ou des pseudonymes derrière lesquels ils peuvent se cacher, pour beaucoup leur parole semble désincarnée, les écrits se résumant à des sentiments. Si cette catégorie de spectateurs existe effectivement, il n’en est pas moins que dans les forums, blogs ou autres lieux de rencontre cinéphile, certains internautes exposent des critiques argumentées, justifiées pouvant parfois s’apparenter à des critiques d’experts.

2.1 Entre critique et conversation informelle Exclusivités, bandes-annonces, reprises mais encore films loués, achetés en DVD, vus en « screaming » sur Internet ou programmés par la télévision, sont examinés dans des textes critiques. Ces textes présentent des formats discursifs variés, allant de la simple expression d’une impression subjective au compte rendu critique argumenté. Si la majorité d’entre eux sont structurés selon un format de conversation informelle, la dimension conversationnelle originelle de la critique cinématographique se trouvent reconduites dans les écrits électroniques des nouveaux cinéphiles, qui, comme autrefois, poursuivent des discussions argumentées interminables après la projection des films. Discuter d’un film permet d’étayer les jugements esthétiques et de partager les sentiments qu’il a provoqués avec d’autres spectateurs. Pour ceux qui ont été touchés par le film, les messages permettent de prolonger encore les sentiments suscités allant vers un partage des émotions. A travers la mise en commun des expériences esthétiques et la publication des interprétations, ces espaces de communication se structurent formellement comme des espaces d’intercompréhension. S’agit-il alors de s’’entendre sur une définition commune du film selon un processus de « montée en généralité » des jugements ? La mise en commun des expériences, des opinions et des jugements conduit-elle à un consensus indiscutable au sujet de l’interprétation du film ? Certaines séquences conversationnelles évoquent en effet un ensemble interprétatif des expériences esthétiques. Chaque nouveau message est introduit par la formulation d’un accord

223 DUPUY-SALLE Manuel, « L’intégration des fans dans les stratégies de valorisation de contenus contribue-t-elle au développement des « industries créatives » ? », Tic&Société (revue en ligne) , Vol. 4, mars 2011 [disponible sur : http://ticetsociete.revues.org/905. Consulté le 22 avril 2011].

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sur le jugement précédent grâce à la reprise des mêmes expressions : « je suis bien d’accord avec toi » vient répondre à un « tout à fait d’accord » ou encore, phénomène récent, le « + 1 » symbole du « j’aime »224. Par ailleurs, d’autres séquences démontrent une structure hybride, typique de ces critiques « ordinaires » de films, oscillant sans cesse entre discours critique argumenté et conversation informelle225

. Ces deux grands types énonciatifs appréciatifs s’entremêlent ainsi, l’un rattachant l’évaluation à informer autrui ce qu’il pense des commentaires des autres, l’autre informant autrui des propriétés du film, sur lequel se fondent parfois les critiques de la presse cinématographique. La personnalité des spectateurs est alors fortement présente dans ces critiques, c’est aussi et certainement pour cela que les sites préfèrent utiliser le terme d’ « avis » plutôt que de « critiques ».

Ces séries de discussions cinéphiles, sous leurs formats variés et hybrides délivrent plusieurs interprétations des films sur la base desquelles s’accomplissent les échanges. Ces discussions évoquent différentes lectures d’un film, telles qu’elles se trouvent articulées après visionnement de celui-ci. Ces lectures sont à relier à l’analyse de Laurence Allard qui, dans son article, évoque le fait qu’il existe, à travers ces critiques conversationnelles, des « modes de décodage », selon ses propres termes226. Ces « modes de décodage » sont distingués en fonction de « la modalité intentionnelle qui caractérise le statut, le positionnement, que le spectateur prête à l’énonciateur du film227 ». Autrement-dit, ces contrats de lecture sont distingués en fonction de l’image, en fonction de ce qui est pris à l’origine du film (le réalisateur, la société de production,…). Parmi ces modes, il y a ce qu’elle appelle le mode de « lecture documentarisante » où le film devient un objet social ; l’institution cinématographique en tant qu’institution sociale étant construite comme l’origine concrète des images et des sons228. Les forums de discussion autour des films fonctionnent alors plutôt comme un espace de publicisation des opinions au sens d’espace de mise en visibilité de différentes interprétations. Les auteurs des commentaires donnent à lire, en somme, une gamme de répertoires interprétatifs. De fait, ils incarnent des rôles qui déterminent, en partie, la lecture et l’interprétation d’un film. Autrement-dit, « en payant sa place le spectateur s’approprie non seulement un siège mais un regard ; regard dont l’identité le constitue pendant la durée d’un film, le dote d’un rôle, d’une contenance, d’un emploi229

224 voir annexe XII.

». A travers

225 voir annexe XIII. 226 cf. ALLARD Laurence, « Cinéphiles, à vos claviers ! Réception, public et cinéma », Réseaux, n° 99, vol.18, 2000, p. 144-149. 227 Ibid., p. 147. 228 Pour Laurence ALLARD, la « lecture documentarisante » est fondée sur la « construction par le spectateur d’un énonciateur présupposé réel, renvoyant au plan des modalités de fonctionnement à une pluralité d’énonciateurs réels (caméra, cinéma, réalisateur…). Des lectures documentarisantes peuvent donc s’appliquer à un film de fiction (en considrant des décors naturels qui lui sont donnés à voir comme un énonciateur réel) et à différents niveaux d’un même film (que celui-ci soit, ou non, un documentaire », Ibid., p. 148. 229 DAYAN Daniel, cité in MONTEBELLO Fabrice, « Usages sociaux et usages populaires du cinéma : la question des amateurs », Iris, n° 17, novembre 1994, p. 36.

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cet ensemble de répertoires interprétatifs, différentes identités, différents rôles se concrétisent dans des actes de réception qui peuvent parfois engendrer certaines disputes entre cinéphiles.

2.2 Modérer les avis des spectateurs La cinéphilie savante reposait sur le regard expert d’un critique faisant autorité. Mais la cinéphilie d’aujourd’hui, marquée par le web 2.0 et la culture participative, a intégré l’absence d’un avis unique et la nécessité de tenir compte de l’ensemble des avis, des jugements des spectateurs. Tandis qu’autrefois, la critique de cinéma se présentait sous la forme d’un discours indiscutable de qualification ou de disqualification artistique autour d’un film, de nos jours, chez les internautes-spectateurs, elle se présente sous la forme d’une assemblée discutant la qualité du film non seulement d’un point de vue technique mais aussi d’un point de vue esthétique et éthique. En d’autres termes, chaque cinéphile essaie d’imposer sa critique cinématographique comme supérieur à celle des autres. De fait, ce phénomène explique également la différence entre critiques professionnels et spectateurs « ordinaires ». Il y a, chez ces derniers, le souci de l’avis des autres, la crainte ou la satisfaction de voir autrui avoir le même avis ou un avis différent de celui porté. L’avis personnel domine alors, avis qui peut, parfois, poser des problèmes d’ordre éthique justement. En effet, grâce à Internet et au web 2.0, la critique est ouverte à tous, et davantage la critique cinématographique, le cinéma étant reconnu comme un art populaire.

« Le danger d’Internet est d’avoir un nombre incroyable d’écrits. Il y a une telle rapidité entre le moment où l’on écrit et le moment où l’on met en ligne que certains individus en profitent pour balancer leurs idées, leurs opinions en prenant le film pour prétexte. […] Internet, c’est un espace passionnant, il y a plein de sources, plein de questions, c’est un medium qui rassemble des gens de divers horizons, de tout âge, des gens de 20 ans, de 50 ans ; sur le Net, on trouve alors de bonnes choses mais on trouve aussi le pire avec des gens qui écrivent n’importe quoi. C’est pour cela que sur notre site, on doit soigner la communauté, vérifier chaque critique, les modérer et s’il y a problème, on « check ». Pour l’instant, ça va parce qu’on en est qu’au début mais il va vite falloir trouver une solution lorsque le site accueillera plus de personnes…c’est ça aussi la rançon du succès !230

».

La célébration d’un film et la critique qui est adressé peut fait ressortir des comportements difficilement tolérables. C’est pourquoi tous les sites, forums, chats ou autres blogs, qui ont offert aux spectateurs le droit à la critique, se retrouvent régulièrement dans la crainte du débordement.

230 Extrait de l’entretien réalisé avec Guillaume Boutin, fondateur du site Senscritique.com.

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« La prise de parole du spectateur a été, dès le début, une grosse crainte de la rédaction. Sur Allocine, le spectateur joue un rôle très important, on lui donne une grande place à travers le Club 300, les forums, les critiques… On a dû alors mettre un certain nombre de barrières, beaucoup de modération qui se fait en amont ; la grande majorité des contenus qui sont postés sur le site sont forcément relue par quelqu’un […]. Une de nos craintes était qu’il y ait des fausses infos, des infos préjudiciables en terme d’insultes ou autres messages racistes ou autres. On a quelqu’un en interne et aussi des sociétés spécialisées dans la modération231

».

En réalité, Allocine.fr compte plus d’un million de membres dont seulement une vingtaine d’entre eux, choisis selon leurs actions sur le site, leur influence, contrôle le contenu des commentaires, « ce sont des bénévoles, très fiers de leur position, qui passent le plus clair de leur temps chez eux, à supprimer tout débordement raciste ou diffamatoire232 ». Il est alors très difficile de contrôler tout ce qui est publié sur le Net et notamment au vu du grand nombre d’utilisateurs. Certains distributeurs ont même, du reste, tenté de créer de faux intervenants sur ces sites, afin d'encenser leurs productions et d'amorcer une rumeur favorable233

. Seulement, le « piège » ne fonctionne jamais longtemps car les internautes ont une façon particulière de s'exprimer et repèrent alors très vite les intrus.

Plutôt que de diriger le spectateur, il y a une volonté de maîtriser ses critiques. Néanmoins, cela est une vaste ambition car Internet est un medium tentaculaire, plus que ne l'ont jamais été ses concurrents papier ou audiovisuels. L’internaute se sent libre de dire ce qu’il veut, ce qu’il pense. Malheureusement, la critique de cinéma se retrouve alors très souvent au second plan, le film devient un lieu de dispute, une bataille d’opinions politiques, sociétaux ou autres. Pour autant, lorsqu’elle est reliée entièrement au film, la dispute peut-être bénéfique à la critique cinématographique ; pour preuve le film Inception, qui a enflammé les interprétations et les débats sur le web poussant parfois les spectateurs entre eux à argumenter leurs propos234

. La lecture des forums et des avis des spectateurs nous démontre une nouvelle fois que le jugement cinématographique peut provenir d’une réaction à une stimulation tout comme se construire collectivement. C’est alors dans ce dernier sens qu’il faut comprendre la notion de « communauté d’interprétation ». Plutôt que de désigner ce qui oriente le jugement du spectateur, elle exprime le fit que l’échange entre cinéphiles permet à chacun de construire sa propre expertise d’un film, tout en intégrant celle d’autrui.

231 SARDET Yoann (rédacteur en chef d’Allocine.fr), cité in « Cinéma et Internet, on se fait une toile ? », L’Express, juin 2008 [disponible sur : http://www.lexpress.fr/culture/cinema/on-se-fait-une-toile_516865.html?p=2. Consulté le 11 avril 2011]. 232 KREBS Frédéric (directeur général adjoint du marketing d’Allocine.fr), cité in ibid. 233 En 2001, le studio Columbia avait inventé un dénommé David Manning dont les « critiques » figuraient sur les affiches des films distribués par le studio (Animal ! L’animal… notamment). Ce dernier a été attaqué en justice par des associations de spectateurs. 234 Film américain réalisé par Christopher Nolan, sorti en juillet 2010.

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2.3 Le spectateur expert Internet, on le constate, présente un double avantage, celui d’élargir le bouche-à-oreille et de pouvoir comparer le jugement des critiques professionnels à celui des spectateurs amateurs. Loin de servir uniquement à faire circuler des informations sur les films et les cinéastes, des sites comme Allocine.fr, Commeaucinema.com ou Cinefil.com offrent au spectateur, à la recherche d’information sur un film particulier, la possibilité de comparer, au cas par cas, les critiques produites par des professionnels et les jugements de simples spectateurs. Les évaluations de chacun des films (sur une échelle de quatre ou cinq étoiles) se font par des spectateurs amateurs d’une part et des critiques de journaux d’autre part. Ainsi, les sites confrontent jugement des critiques professionnels et avis des consommateurs235. De fait, chaque site donne une double note à chaque film l’une résultant de la moyenne des critiques de la presse, l’autre de la moyenne des avis des internautes. La plupart des journaux de la grande presse et des revues spécialisées est référencé pour les critiques professionnels236. Du côté des spectateurs, il suffit de s’inscrire pour participer. Il existe souvent des différences notables entre les deux évaluations, notamment en ce qui concerne les « blockbusters » et les films d’action. Ceci peut résulter du fait que les internautes sont plus attentifs à la valeur du moment collectif que le film est susceptible d’offrir tandis que les critiques professionnels manifestent d’abord un intérêt artistique et donc des films qui ne constituent pas forcément de moment conviviale en famille ou entre amis. Qu’en est-il alors de la fiabilité des avis des spectateurs ? Cette fiabilité dépend, dans un premier temps, de l’importance de leur participation. Différentes catégories d’internautes-spectateurs sont à distinguer. Dans un premier temps, il y a ceux dont les critiques sont le plus souvent constituées de messages courts, de propos enthousiastes mais non argumentés. Ensuite, il y a ceux qui se donnent la peine d’argumenter leur propos. Ils construisent leurs critiques autour des qualités inhérentes des films et non de leur rapport émotionnel ou intellectuel. Ils proposent des textes critiques rédigés sur le modèle des articles de la presse spécialisée237

. Ils se soucient même parfois, d’inculquer quelques principes cinéphiliques, notamment la prise en compte des critères formels d’un film : scénario, structure, vision du réalisateur…).

Alors que les critiques professionnels n’appréhendent les films que du point de vue de pouvoir, ou non, les classer comme des œuvres, les spectateurs adoptent un point de vue plus pragmatique en mesurant la qualité de chaque film.

« L’évolution de la critique doit être analysée à travers les nouvelles possibilités qu’offre internet. Aujourd’hui, le critique de cinéma du Monde, de Télérama, le critique

235 voir annexe XIV. 236 A noter : pour le moment uniquement présente sur Allocine.fr, Critikat.com est la seule revue en ligne référencée parmi les journaux et revues papiers. Faut-il y voir un gain de légitimité en plus ? 237 voir annexe XV.

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professionnel de cinéma en général, ne sert plus à rien. Les gens ne vont plus voir un film en fonction de ce que les critiques ont écrit. Quelle est la dernière fois que tu es allé voir un film après avoir lu les critiques de cinéma de Télérama, des Cahiers du cinéma ou du Monde ? Cela n’arrive plus. Tu vas voir un film en fonction de tes amis, du « buzz », des informations que tu lis sur Internet. Le point de vue adopté par les critiques de cinéma n’est plus partagée par le gros de la population. Les gens veulent des critiques simples, des critiques à leur portée mais néanmoins argumentées ; le jugement d’un internaute à propos d’un film pourrait très bien être le tien ou celui de ton ami238

».

Voyons alors comment se construit ce point de vue de l’internaute au travers des rubriques « avis des spectateurs ». Le jugement personnel se fonde sur plusieurs critères variés. Les critiques des spectateurs se référent souvent à l’affectif ou à l’étonnement avec des phrases redondantes telles que « Un très bon film si vous êtes d’humeur sentimentale », « Je ne m’attendais pas à être aussi touché par ce film ». Par ailleurs, les spectateurs s’intéressent également beaucoup aux émotions dégagées par les acteurs. Contrairement à la cinéphilie savante qui s’intéresse davantage à l’évaluation technique du film239, l’internaute-spectateur se focalise davantage sur le savoir-faire des acteurs : la vitesse de narration, le jeu de l’acteur vis-à-vis du scénario, le choix du personnage principal… Par ailleurs, les avis négatifs des spectateurs dénoncent souvent les excès de prévisibilité dans le scénario et la présence de trop nombreux clichés240. D’autre part, alors que les critiques essaient de rester objectif, neutre vis-à-vis des films qu’ils voient, les spectateurs apportent une véritable valeur personnel du plaisir que peut leur apporté un film. « Internet rend visible et appréciable d’un point de vue intellectuel ce phénomène inhérent à la conversation artistique. Cette conversation offre l’occasion, lorsqu’elle prend la forme de l’échange d’émotions entre personnes de confiance de révéler son intimité241 ». Cette notion de plaisir, d’émotion produit par un film est caractéristique des nouveaux cinéphiles pour lesquels le cinéma apporte une « une technique de soi242

». En quelque sorte, les spectateurs ne prennent pas le film comme un objet mais le prennent pour eux ; ils se reconnaissent dans l’histoire du film, se retrouvent dans tel acteur… A travers tout cela, on peut alors apercevoir une certaine expertise chez le spectateur expertise qui se ressent de par l’expérience que ce dernier a acquis en regardant un grand nombre de films « offerts » sur le web. Dans une époque où l’image est fortement présente, voire omniprésente, les spectateurs apprennent à réfléchir sur celles-ci, le scénario et la profondeur des personnages prenant le pas, certes peu à peu, sur la qualité des effets spéciaux et la multitude des scènes d’actions.

« Au fil de mes rencontres avec le jeune public, je suis toujours étonné par sa curiosité, son ouverture d’esprit et son enthousiasme, preuve que l’on peut

238 Extrait de l’entretien réalisé avec Guillaume Boutin, fondateur du site Senscritique.com. 239 voir supra (chap. 2 - 2.1 L’affirmation d’une cinéphilie savante). 240 voir annexe XVI. 241 JULLIER Laurent, LEVERATTO Jean-Marc, Cinéphiles et cinéphilies, op. cit., p. 211. 242 Ibid., p. 212.

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proposer autre chose que de simples produits à divertir et infantiliser et que le pop corn n’est pas obligatoire pour passer un bon moment. Surtout, le fait de voir un film permet de s’exprimer, de partager des émotions et de se créer une mémoire de l’image243

».

Bien loin de révéler un aveuglement des spectateurs, victimes d’une frénésie de consommation, les échanges sur Internet nous confirme au contraire l’existence d’une sensibilisation aux enjeux éthiques du cinéma. Cette conduite, qui était auparavant l’apanage du critique professionnel, devient une possibilité offerte à tout internaute par la situation d’échange. Cependant, cette concurrence que constitue la publication de jugements cinéphiles sur le web est perçue négativement, on s’en doute, par de nombreux critiques professionnels.

3. Quel avenir pour la critique de cinéma ? Les nouveaux cinéphiles ont grandi avec la vidéo, suivi le ciné-club du grand au petit écran, acheté des films en DVD et surtout s’agitent quotidiennement sur Internet au travers tout ce que leur offre ce medium. Se construisant alors une certaine expérience cinématographique, ils exercent librement leur activité critique faisant régulièrement de l’ombre aux professionnels qui condamnent, dans leur grande majorité, cette hégémonie de la prise de parole sur le cinéma. Dans une époque où les nouvelles technologies sont en constante évolution, plusieurs questions se posent alors sur l’avenir de la critique de cinéma.

3.1 Le débat sur la qualité

« Tout ce monde bruisse de propos, fondés ou sots, stylés parfois, mais répandus gratuitement dans une profusion d’avis signés Lulu, Jojo, Aïcha ou Marie-Françoise, avec des arguments que le critique avait déjà conçus comme une pige maigre et dans une page qui rétrécit ! Forcément, il ne peut que se sentir un peu bousculé244

».

A l'heure où tout à chacun peut librement donner son opinion sur Internet, ouvrir un blog, réagir à un article, donner une note à un film, beaucoup de professionnels dénoncent un manque de compétences chez ces internautes-spectateurs. Serge Kaganski, critique de cinéma au sein du magazine Les Inrockuptibles, juge les forums de discussion comme une accumulation de « textes à l’emporte-pièce, mal écrits, mal argumentés, avec parfois une agressivité jalouse envers les critiques ou journalistes professionnels245

243 RENARD Eric, « Le cinéma en action du côté des publics », Zéro de conduite, n° 71, janvier 2009 [disponible sur : http://www.zerodeconduite.net/blog/?itemid=18843. Consulté le 23 novembre 2010].

». De nombreux

244 BERNARD Jean-Jacques (président du Syndicat français de la critique de cinéma), cité in MURAT Pierre, « Faut-il brûler les critiques », Télérama, n° 3194, mars 2011, p. 48. 245 KAGANSKI Serge, « Blog à part », Fiches du cinéma, juillet 2009 [disponible sur : http://www.fichesducinema.com/spip/spip.php?article1435. Consulté le 19 avril 2011].

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critiques s’attardent également à démontrer que se trouvent, sur les forums, des considérations purement consuméristes où les spectateurs promouvraient la cinéma comme industrie du divertissement et non comme art. Le phénomène des forums déboucherait ainsi sur une grande part de déception. Par ailleurs, pour beaucoup, on ne peut parler de critiques cinématographiques sur les chats, les blogs, les forums ou les réseaux sociaux car celles-ci trop courtes ; pour eux, ces paroles relèvent davantage de l’oral que de l’écrit et notamment au travers d’expressions tels que « très bon film », « somptueux », « émouvant » qui ne présentent, il est vrai, aucune construction critique. Internet apparaît alors comme un espace entièrement libre où n’importe qui peut avoir l’envie de s’exprimer mais auquel il va manquer un certain corpus nécessaire d’analyse qui est dédié au journalisme, le pouvoir du journaliste étant l’investigation.

« Le journalisme récuse l'ambivalence. La critique est intéressante puisqu'elle a un pied dans chaque monde, elle ressort de l'écriture et appartient à l'univers journalistique. Elle est le témoignage qu'autre chose est possible, qu'un autre rapport à la langue existe. Etre critique, c'est se prononcer sur quelque chose de plus grand que soi. Il n'est donc pas question d'autorité. Comme en justice, tout le monde a le droit de témoigner. Mais tous les témoignages ne se valent pas. Le meilleur témoin est celui qui est capable de se décaler, de se décentrer, de se "désaltérer" plutôt que de fuir au désert du conformisme communicant, se désaltérer plutôt que de se laisser aliéner, plutôt que d'anesthésier sa soif dans le culte du moi246

».

Olivier Assayas, qui a signé de nombreuses critiques de cinéma (notamment aux Cahiers du cinéma) avant d’être réalisateur et scénariste, partage cette notion au point même de regretter l’époque où le critique de cinéma était directement témoin de l'art de faire du cinéma. Il déplore la disparition de ce cheminement dialectique au profit d'une « hypertrophie de la position de critique ».

« Aujourd'hui, la critique cinéma est une fin en soi. On ne considère plus que le rapport à la pratique doive éclairer la réflexion. Jamais je ne me suis défini comme critique. Donner des étoiles ou des notes à des films me procure un sentiment de nausée. C'est l'antithèse de ce à quoi je croyais quand j'étais aux Cahiers. Pour nous, servir de guide au consommateur était le contraire de la raison pour laquelle on écrivait sur les films. Il y avait même un enjeu à ne surtout pas l'être !247

».

Contrairement aux spectateurs, le rôle du critique n’est pas seulement de donner son avis à chaud, mais de réfléchir afin de permettre à ses lecteurs de s’identifier à de véritables analyses face à la multiplication des avis, à faire progresser l’opinion. En effet, la critique a souvent besoin de temps avant de trouver un effet, avant d’imposer un réalisateur que

246 LECLAIR Bertrand (critique littéraire), cité in « La critique a-t-elle perdu tout sens critique ? », Télérama, janvier 2010 [disponible sur : http://www.telerama.fr/monde/la-critique-a-t-elle-perdu-tout-sens-critique,51771.php. Consulté le 22 février 2011] . 247 ASSAYAS Olivier, cité in ibid.

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personne, au départ, ne daigne aller voir248. Le sentiment de solitude du critique perdure mais il a alors changé de nature, le critique, autrefois « seul » car impopulaire, considéré comme borné, prétentieux, lâche ou snob, se trouve désormais isolé de par la masse des anonymes animés par l’important espace d’expression que constitue Internet. Avec ce medium, le côté « tous cinéphiles », qui fait partie de la cinéphilie néglige un autre aspect de celle-ci : le respect pour des grands maîtres, des grands critiques ; « le réflexe un peu démagogique, voire poujadiste, de dénigrement de la critique installée a été renforcé par Internet249

». Ces mêmes notions de poujadisme ou de démagogie ont, du reste, un écho chez Olivier Assayas qui défend le fait qu’une critique n'a d'intérêt que si elle pointe une certaine idée du cinéma dans ses films.

« Les blogueurs ne me gênent pas : ce ne sont après tout que des gens qui parlent depuis leur balcon à d'autres gens en bas qui veulent bien les écouter. Le ton des commentaires sur Internet me met en revanche très mal à l'aise : souvent, on y conteste l'autorité d'autrui au nom de sa propre autorité. J'y vois le reflet d'un poujadisme postmoderne, d'une démagogie contemporaine qui voudrait que tout ce qui se dit dans un lieu de pouvoir soit sujet à caution, tandis que le grand n'importe quoi du Net serait forcément véridique. Il y a une étrange crédulité à penser que le summum de la liberté c'est de naviguer dans un lieu où la parole n'est pas contrôlée250

».

Pour autant, certains critiques professionnels tentent de relativiser le tournant que prend la critique de cinéma aujourd’hui. Jean-Michel Frodon souligne le fait que les échanges et les écrits des spectateurs ne disqualifient pas le travail critique en tant que tel, rappelant que les sites de discussion sur Internet s’apparentent aux discussions des ciné-clubs et que, de fait, « cette pratique, loin de nuire à l’activité critique, en a été le terreau et a offert à la critique nombre de ses meilleurs auteurs et aussi de ses meilleurs lecteurs. Dans une certaine mesure, les sites cinéphiles reconstituent d’une manière différente ces pratiques251

». Par ailleurs, beaucoup s’intéressent aux blogs trouvant dans ces derniers, une manière différente de faire de la cinéphilie, la prolongation d’une pratique cinéphile où certains internautes-spectateurs jouent sur la différence en proposant des analyses plus longues, plus réfléchies, plus écrites.

« Je pense qu’Internet pourrait rendre sa diversité à l’écriture critique et à la cinéphilie. Malheureusement, quand on surfe sur Internet, on voit plutôt la multiplication du même. Mais si on recherche de façon vraiment très attentive sur

248 Il a notamment fallu attendre vingt ans pour que le réalisateur suédois, Ingmar Bergman, obtienne la reconnaissance du public grâce aux critiques qui, par l’analyse de ses films, l’ont imposé dans l’esprit des gens. 249 BAECQUE (de) Antoine, « Les cinéphilies, une communauté nomade », Fiches du cinéma, juillet 2009 [disponible sur : http://www.fichesducinema.com/spip/spip.php?article1435. Consulté le 19 avril 2011]. 250 ASSAYAS Olivier, cité in « La critique a-t-elle perdu tout sens critique ? », Télérama, janvier 2010 [disponible sur : http://www.telerama.fr/monde/la-critique-a-t-elle-perdu-tout-sens-critique,51771.php. Consulté le 22 février 2011] . 251 FRODON Jean-Michel, La critique de cinéma, Paris, Cahiers du cinéma, coll. « les petits cahiers », 2008, p. 23.

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Google, vers les pages 15, 16, 17, on trouve d’autres choses. Les interstices sont possibles, et aller les chercher c’est une attitude fondamentalement cinéphile252

».

En réalité, les critiques professionnels ne voient pas en la prise de parole de parole des spectateurs la fin de la critique mais, on le voit, sont inquiets par la tournure qu’elle prend. C’est de là que règne alors l’éternelle question de la légitimité. Si pour Adèle Mess-Baumann, rédactrice au sein de la revue en ligne Spectres du cinéma, « tout le monde est légitime à dire des choses sur les films253 », cet avis n’est pas toujours partagé, « aujourd’hui, le « buzz » est un brouhaha général où tout le monde est légitime, vous, moi, mon chien… Tout le monde aboie et toutes les caravanes passent254

». Les critiques réduisent ainsi le sens de la prise de parole des spectateurs à une pratique de concurrence sauvage à l’égard du critique professionnel ou à une production d’informations commerciales. Assimilant Internet à un simple espace éditorial, ils font disparaître le plaisir d’échanger entre passionnés de cinéma, qui motive la prise de parole sur les blogs et les forums. Ainsi, plutôt que de parler de concurrence, pourquoi ne pas parler de complémentarité entre une critique professionnelle et une culture de spectateur ?

3.2 Une culture de spectateurs ? L’analyse de la parole des spectateurs s’exprimant sur Internet est guidé par un concept de public. Les groupes de discussion cinéphiles étudiés permettent de réaffirmer la nature de ce qu’est un public. Reposant sur une association de spectateurs anonymes liés dans une communication esthétique, sans contrainte de temps, prolongeant sans fin le plaisir d’un film, ce public incarne de façon idéale une communauté d’interprétation. Caractérisée par une immatérialisation des interactions, Internet apparaît comme un milieu propice à la constitution de communautés sélectives de goûts, mais hors des institutions car c’est l’espace domestique qui se trouve investi par les pratiques culturels. La sphère privée est devenue le lieu principal de la consommation des loisirs culturels, l’accès à la généralité devenant alors inhérent à la penser critique. La critique de cinéma semble avoir trouvé, avec Internet, un medium d’élection. C’est désormais tout à chacun qui peut prétendre à l’écriture critique sur les films, comme on a pu le constater. Les sites dévolus aux exercices de la critique cinématographique ordinaire sont, du reste, répertoriés sur les moteurs de recherche sans hiérarchie ni distinction entre les professionnels de la critique et les simples spectateurs cinéphiles. Un rôle résolument

252 BAECQUE (de) Antoine, « Les cinéphilies, une communauté nomade », Fiches du cinéma, juillet 2009 [disponible sur : http://www.fichesducinema.com/spip/spip.php?article1435. Consulté le 19 avril 2011]. 253 MESS-BAUMANN Adèle (rédactrice au sein de Spectres du cinéma), cité in CHAVEROU Eric, « La webcritique de cinéma, de Twitter aux textes sans limites », septembre 2009 [entretien radiophonique disponible sur : http://www.franceculture.com/2009-09-07-la-webcritique-de-cinema-de-twitter-aux-textes-sans-limites.html. Consulté le 06 avril 2011]. 254 BERNARD Jean-Jacques (président du Syndicat français de la critique de cinéma), cité in MURAT Pierre, « Faut-il brûler les critiques », Télérama, n° 3194, mars 2011, p. 48.

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inédit semble donc appartenir aux amateurs de cinéma qui lisent les critiques, prenant eux-mêmes en charge la fonction de médiation critique.

« L’automédiation critique peut avoir pour conséquence, tout d’abord, une redéfinition de l’institution critique, notamment du point de vue de la question de sa déprofessionnalisation. Le débat autour du bouche-à-oreille apparaît être une façon, pour les cybercinéphiles » de mesurer la portée sociale de leur propre automédiation critique. […] Dans ce processus d’hypertrophie de la sphère privée de la culture, c’est aussi un mouvement de dédifférenciation entre le pôle de la médiation et le pôle de la réception de l’espace public qui peut opéré255

».

Cette « sphère privée de la culture » n’est, par ailleurs, pas uniquement peuplée de simples spectateurs mais également de cinéphiles qui s’octroient un rôle d’expert dans la formation d’un culture cinématographique. De même, certains vont composer des pages personnelles ou des sites sur des réalisateurs, des acteurs, des actrices, des genres de film… Ces sites innombrables renvoient à des formes inédites d’appropriation du cinéma. Ces sites de fans, ces forums de discussion semblent en effet typiques d’un ensemble plus vaste de pratiques culturelles venant traduire la multiplication des expériences de l’expression de soi. Ainsi, il serait légitime de considérer certaines formes culturelles associées au web comme une culture de spectateurs, promus, ou plutôt auto-promus, auteurs de textes, de critiques cinématographiques. Ces internautes-spectateurs, qui apparaissent pour leur grande majorité bien loin des critiques professionnels en terme de qualité, recomposent, d’une certaine manière, l’espace public culturel en proposant des choses différentes de l’autorité suprême du critique. Dans ce mouvement de recomposition de l’espace public culturel, c’est donc une nouvelle définition du public qui se trouve engagé. C’est pourquoi, ces spectateurs de l’ère numérique semblent participer à un nouveau modèle d’acteur construit et légitimé par ailleurs, notamment à travers les slogans des techno-industriels du multimédia tels les argumentaires en faveur des sites de créations de blogs ou nouveaux media interactifs conçus sur mesure comme le pay-per-view, ou même à travers les discours des politiques en matière de démocratisation culturelle de l’Internet256. En effet, le corpus des discours publicitaires autour des nouvelles technologies offre de nombreux exemples d’une telle rhétorique exaltant l’usager en quête d’expression personnelle, telles ces publicités : « révèle ton talent ! », « crée en 1 minute ta page perso ! »257

255 ALLARD Laurence, « Cinéphiles, à vos claviers ! Réception, public et cinéma », Réseaux, n° 99, vol.18, 2000, p. 162.

. Concernant les discours des politiques, on retiendra notamment celui de Philippe Douste-Blazy, ancien ministre de la culture, qui déjà, en 1995,

256 Le pay-per-view (ou « paiement à la séance ») définit une catégorie de canaux de télévision à péage dans lesquels des films, notamment, sont multidiffusés et accessibles à l'unité ou plus exactement à la séance. Ce service est disponible via le satellite ou le câble. Le tarif de chaque programme varie selon la nature du programme commercialisé, l'aspect récent du film par exemple. 257 cf. GUISNEL Jean, « Demain, mode d’emploi », Le Point, novembre 1999 [disponible sur : http://www.lepoint.fr/archives/article.php/73847. Consulté le 23 janvier 2011].

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dans le journal télévisé du soir, déclarait « le spectateur doit devenir acteur »258

. A travers cette phrase, le ministre explicite et légitime alors un nouvel acteur culturel. Autour d’Internet, il ne s’agit plus d’engager une politique culturelle dont le principe est de faire se rencontrer les œuvres et le public mais de mettre en œuvre les moyens matériels afin de socialiser des dispositifs technologiques et de former les usagers à participer à l’invention d’une nouvelle culture de spectateur-acteur. S’articulent alors, autour du web et de la critique de cinéma, deux mondes qui pourraient se complémenter, deux mondes qui se distinguent par leur travail, l’un plus structurel, plus corporatif, l’autre plus libre, moins institutionnel. La critique de cinéma tient encore une place importante, peut-être même plus qu’à une certaine époque, seulement elle n’est plus détenue par les mêmes acteurs. Medium en constante évolution, Internet est l’apanage de la jeune génération, ce dernier continuant d’offrir aux internautes-spectateurs les moyens d’éclore davantage.

3.3 Vers une critique multimédia Internet a permis une recomposition des forces, la critique de cinéma se réinvente, les outils maniés habituellement pour faire de la critique de cinéma, aussi bien les outils techniques que les outils de la pensée, sont, sinon caduques, en train de le devenir. A cet égard, Internet a joué le rôle de révélateur et d’accélérateur. La critique a besoin de changer de ton, de changer de techniques, de changer la manière de parler aux lecteurs, elle a besoin de changer et il semble que tout le monde le ressent. Internet est donc le lieu qui permet d’accélérer tout cela et qui permet de faire prendre conscience, sans doute de manière plus rapide, de la nécessité de changement. Or, malgré des pistes déjà intéressantes sur des blogs, des forums ou autres sites, le champ du multimédia reste n’est pas encore totalement explorer. L’aspect international qu’apporte le web est encore très peu représenté en France au sujet de la critique cinématographique par exemple, alors que la cinéphilie fonctionne désormais à l’échelle internationale ; « certains parlent d’un film qu’ils ont vu avant sa sortie en France, soit parce qu’ils étaient en vacances aux Etats-Unis au moment de sa sortie là-bas par exemple, soit parce qu’ils l’ont téléchargé sur le Net259

258 cf. ALLARD Laurence, « Vers la fin programmé du spectateur ? », Esprit, n° 12, décembre 1997, p. 12-15.

». Le site américain movingimagesource.us publie des textes au moment où une rétrospective d’un film se situe à tel endroit à l’intérieur du pays mais les textes restent disponibles et, d’une certaine manière, redeviennent disponibles au moment où les rétrospectives voyagent. Beaucoup de choses restent à faire en terme de critique de cinéma et Internet est une pièce centrale, parmi d’autres, dans la reconsidération nécessaire des rapports entre la critique et le spectateur, la critique et l’industrie, la critique et les cinéastes. De plus en plus, le web amène l’utilisation de plusieurs media pour faire une critique de film en ligne ; l’analyse de séquence par exemple, qui est le

259 Extrait de l’entretien réalisé avec Guillaume Boutin, fondateur du site Senscritique.com.

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plus vieil exercice de la critique cinématographique, peut se faire autrement. Les critiques peuvent utiliser une vidéo de la séquence, en mettre un autre exemplaire avec des ralentis, des arrêts sur image, faire des agrandissements, mettre leurs voix au lieu de taper un texte sur des moments précis ou sur l’ensemble de la séquence ; cela pouvant être élargi à la critique entière du film. Le fait de pouvoir utiliser tous les media, chose que les magazines ne peuvent évidemment pas concurrencer, peut apporter une nouvelle approche et intéresser les lecteurs parce qu’ils sont confrontés à l’image, à l’image en mouvement propre au cinéma. Du côté du spectateur aussi, Internet amène une nouvelle façon d’analyser un film parfois même avant sa sortie en se centrant sur la bande-annonce. Ce fut notamment le cas pour le film Watchmen, sorti en 2009, très attendu par les fans de la bande dessinée, où, une fois la bande annonce arrivée sur les sites Internet spécialisés, de nombreux internautes se sont emballés et l’ont examiné à l’extrême en utilisant l’analyse comparée de séquence260

. Par ailleurs, le site Allocine.fr travaille beaucoup à avoir une critique multimédia en tentant de lier la critique « texte » à la critique vidéo. Autrement-dit, désormais, même si ce n’est pas encore bien développé, les internautes peuvent se filmer via leur webcam et faire ainsi une critique vidéo sachant que le site essaie de faire en sorte pour que cette critique puisse être postée en direct. Par ailleurs, comme de nombreux sites dorénavant, Allocine.fr se lie à des réseaux sociaux comme Facebook ou Twitter pour que les spectateurs puissent lier leurs utilisations du site à ces sites communautaires. Cela offre alors des passerelles rapides et accentuent le bouche-à-oreille : l’utilisateur postant une critique sur Allocine.fr, cette critique se retrouve sur son profil Facebook. Il y a alors une volonté de créer le plus d’interactivités possibles. Enfin, à terme, avec l’émergence des smartphones, plusieurs sites souhaitent s’installer dans le credo du « tag » avec l’idée du spectateur qui pourrait poster sa critique aussitôt après être sorti de la salle de cinéma via son téléphone portable.

« L’un de nos projets futurs, une fois que le site sera convenablement installé et aura accueilli bon nombre d’inscrits pour continuer de le faire vivre, est de lancer une application pour iPhone et Androïd afin que l’utilisateur puisse suivre sa communauté n’importe mais aussi et surtout afin qu’il puisse réagir à chaud, poster un commentaire, une critique sur un film aussitôt qu’il l’ait vu, que ce soit en sortant du ciné ou en regardant un DVD chez un ami261

».

Cependant, toute cette palette multimédia reste encore très peu développée dans les sites qui cherchent d'abord, le plus souvent, les clés d'un modèle économique et d'une réputation à la hauteur de certaines références « papier ».

260 cf. BOSCHER Anthony, « Analyse de séquence : Watchmen », Fin de séance, avril 2009 [disponible sur : http://www.findeseance.com/Analyse-de-sequence-Watchmen. Consulté le 23 avril 2011]. 261 Extrait de l’entretien réalisé avec Guillaume Boutin, fondateur du site Senscritique.com.

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* La cinéphilie d’aujourd’hui est inséparable de l’acte de regarder des films chez soi un acte qui devient la forme privilégiée d’accès au spectacle cinématographique. Cette cinéphilie s’épanouit dans la possibilité de voir plus de films, et dans l’accès au film rare par l’intermédiaire de sa version numérisée via la télévision câblée le DVD ou Internet et le p2p, le streaming, la VOD (vidéo à la demande). Prolifère alors l’idée du « n’importe quand, n’importe où et sur n’importe quel support ». Tout cela permet alors de forger un spectateur aguerri qui partage sa passion, partage son plaisir sur un film, son jugement, plus ou moins argumenté. A travers une véritable culture, le spectateur devient ainsi acteur aux yeux d’une critique professionnelle qui le dénigre ou l’ignore encore trop souvent.

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Conclusion : « Ne restez pas simple spectateur ». Ce slogan, utilisé par le site Allocine.fr, résume de manière explicite ce qu’Internet, et particulièrement le web 2.0, a apporté à la critique de cinéma et surtout à ceux qui la font. La critique change, la presse spécialisée est confrontée à la crise des ventes avec, pour événement hautement symbolique, la mise en vente maintes fois des Cahiers du cinéma qui éprouvent des difficultés à se pérenniser. Mais, tandis que la presse « papier » est inquiète, malgré les tentatives d’évoluer sur Internet, le web gagne du terrain avec l’émergence d’une nouvelle critique, portée par l’envie de partager la passion du cinéma et servie par l’immense réseau que lui offre le medium. Souvent impopulaires, accusés d’être des « intellos » ou suspectés d’être achetés ou vendus par les distributeurs, les critiques de cinéma professionnels perdent, depuis des années déjà, de leur aura, de leur autorité. Et puis, il y a Internet. Alors que le critique restait, à une certaine époque, un original dont les avis faisaient autorité comme ceux de l’instituteur ou du médecin de famille, aujourd’hui se déversent sur le Net, des blogs par dizaines, des sites par centaines, des avis justifiés ou injustifiés par milliers, qui renforcent l’idée que tout le monde a un avis et que tous ces avis se valent. Ayant rencontrés de nombreux obstacles pour affirmer leur rôle et leur place et peinant à gagner leur légitimité au cours d’une longue période, les critiques professionnels se voient voler la vedette par des amateurs plus ou moins éclairés. Pour ces critiques experts, Internet représente alors un défi, défi qu’il est difficile de remporté. Le modèle économique d’Internet est loin d’être stable ; s’il est assez facile de créer un blog voire un site sur le Net, il est en revanche beaucoup plus difficile de le faire perdurer. Entre la gratuité revendiquée de ce medium, la volonté de maintenir une indépendance vis-à-vis des productions, des distributeurs et le souhait de ne pas faire appel à la publicité, les sites spécialisés sur la critique cinématographique peinent à éclore. Pourtant, certains réussissent le pari comme nous avons pu le constater au travers de sites ou de revues en ligne tels que Cadrage.net, Critikat.com ou encore les Spectres du cinéma. Ces hauts-lieux de la critique de cinéma qui continue de faire vivre une critique professionnelle, experte et affirme une cinéphilie savante, savent utiliser les bénéfices qu’offrent Internet pour que la véritable critique de cinéma garde une place prépondérante. Quant aux critiques de films, aux journalistes et experts, Internet permet, en effet aux journaliste aux experts, un espace quasi-illimité pour aborder un réalisateur, un film ou un thème dans la longueur et la profondeur ; il n’y a pas de limites, pas de contrainte du nombre de caractères comme cela est le cas dans les revues « papier ». Par ailleurs, alors que le marketing entraine une certaine uniformisation de la couverture des sorties cinéma, le rôle du critique n'en est que plus important pour des films plus confidentiels ou jugés « difficiles ». La place réservée aux coups de cœur se réduisant de jour en jour dans la presse, sauf liberté

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éditoriale exceptionnelle, Internet semble être, à ce titre, un bon relais pour les journalistes frustrés de ne pas pouvoir mettre en avant tous les films qui les touchent ; et alerter ainsi les spectateurs, un peu noyés sous l'abondance des sorties et un certain « matraquage » promotionnel. De plus, la relative légèreté de l’édition des sites comparée à la lourdeur logistique et économique des revues papiers apparaît comme déterminante dans l’approche même de la critique, du contenu ; les fameuses « dead line » n’ont, du reste, plus de sens sur Internet et permettent aux rédacteurs d’avoir régulièrement plus de temps, plus de réflexions et de maturation.

Par ailleurs, cette « webcritique de cinéma » ouvrent plus facilement des portes aux jeunes chercheurs et apprentis-journalistes qui trouvent, grâce à Internet, un terrain idéal et libre pour parler de cinéma et ce, sans avoir à passer par une voie hiérarchique. Pour rappel, auparavant, un jeune rédacteur se devait d’écrire des mini-critiques de films de fin de magazine avant de pouvoir passer, avec l’âge, à l’écriture de critiques plus longues. La critique cinématographique vit donc, à proprement parler, un grand tournant. A l’instar d’autres formes d’expression artistique, c’est un secteur qui ne peut subsister à l’abri de la nouvelle révolution que constitue Internet. Mais, comme dans n’importe quel processus de transformation, il va de soi que ce phénomène social entraîne aussi bien des avantages que des inconvénients. Si le point négatif demeure dans la difficulté de trouver un modèle économique stable et réside dans le fait que, depuis l’avènement de la critique en ligne, la critique cinématographique sur papier perd progressivement son lectorat, qui trouve dans Internet un outil d’accès nettement plus facile et surtout plus économique, le point positif réside dans la démocratisation du discours portant sur le cinéma qui devient à la portée de tous. Aussi, la critique de cinéma n’est-elle plus exclusivement l’apanage de l’élite intellectuelle. De par ces nombreuses possibilités, Internet a permis la démocratisation de l’expertise, modifiant les conditions d’accès aux informations biographiques et filmographiques qui constituaient la supériorité du cinéphile d’autrefois. Mais Internet, surtout, a démocratisé l’exercice de la critique cinématographique en permettant au simple spectateur d’y publier son jugement. Entre échanges de réelles critiques au sujet d’un film et conversations informelles, la consultation des blogs, forums et divers autres « avis », autorise une vérification immédiate de la distribution de l’expertise cinéphile. Bien souvent jugées comme ne pouvant être considérées comme de véritables critiques car trop courtes, mal argumentées, manquant de professionnalisme ou consuméristes, ces critiques de spectateurs s’affirment pourtant et révèlent parfois des avis, des analyses fortement argumentés dignes d’un critique professionnel. Ces espaces d’expression, lieux de sociabilité où l’échange avec autrui est important, sont de plus en plus suivis par les amateurs dans une époque où l’esprit communautaire règne en maître avec l’importance accordée, plus que tout autre chose, au bouche-à-oreille. La critique de cinéma, autrefois affaire de professionnels où l’hégémonie de

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l’esthétique de l’auteur reflétait le propre de la profession et éclairait l’opinion du spectateur, change de mains et Internet nous rend attentif à la dimension intime de l’expérience cinématographique, à ce monde des affects que le cinéma permet à chacun d’explorer. Mais la cinéphilie d’aujourd’hui ne peut se réduire à une connaissance passionnée du cinéma. Forme de sociabilité basée sur la reconnaissance d’une commune familiarité avec le cinéma, elle passe par l’échange avec d’autres cinéphiles, parents, amis ou étrangers. Internet favorise cette construction sociale de l’expérience artistique qui résulte du passage incessant de l’individuel au collectif, du sentiment de plaisir à son approfondissement collectif. Cet approfondissement collectif instaure un espace intermédiaire entre l’espace public et la vie quotidienne puisqu’il est l’occasion de la publication de son jugement, de la traduction de son émotion. L’accès massif des individus aux études longues, dans la deuxième moitié du XXème siècle, favorise également, on l’a vu la participation à cet espace de débats autour du jugement cinéphile et les moyens de construire une expertise, mobilisant des ressources savantes. Apparaît alors une véritable culture du spectateur dans laquelle ce dernier s’émancipe et devient un acteur incontournable. Cette culture du spectateur sortira peut-être, dans quelques années, une grande signature, un grand nom de la critique, comme ce fut le cas pendant la période des ciné-clubs. Mais qui peut le savoir aujourd’hui ?

La critique de cinéma, si elle n’a pas radicalement changé dans ses langages, a mué dans l’utilisation qu’on en fait. La jeune génération peut davantage s’approprier la critique de cinéma et réinventer les réceptions et la manière de les partager avec autrui. Malgré une critique professionnelle qui persiste et qui persistera, car on aura toujours besoin de grands maîtres, de références autour d’une œuvre, en l’occurrence d’un film, l’activité critique semble néanmoins avoir changé de mains avec Internet. Ce medium, qui a ouvert la critique de cinéma à tout à chacun, à tous les âges, à tous les regards, au monde entier, ne cesse, de plus, d’évoluer, offrant toujours plus de place à ses usagers. Alors que l’on tend vers une critique multimédia, il est important de rappeler que les critiques ont longtemps joué un rôle important, sinon essentiel, dans la défense d’un film ou d’un réalisateur avant que ce dernier n’obtienne une certaine reconnaissance du public. Cependant, au travers de cette étude il semble nécessaire de ne pas opposer les critiques professionnels des critiques amateurs. En effet, il est préférable de parler davantage de complémentarité même si ce terme ne semble pas être l’avis de tout le monde. Internet n’est pas le contraire du papier, on ne lit pas sur Internet, on absorbe des informations. De plus, il y a la question de l’objet, tout ce qui est publié sur Internet est, par définition, éphémère alors que la revue est un objet matériel que l’n peut garder, toucher, manipuler ; il y a et il y aura encore pendant de nombreuses d’années cette nostalgie du papier, un certain traditionalisme autour de la revue « papier ». Mais quid de la légitimité dans tout cela ? Si la revue « papier » est, pour beaucoup gage de légitimité, les revues en ligne observent plus de difficultés à s’affirmer comme étant légitimes. En réalité, les nouveaux media ont toujours mis un certain temps avant d’acquérir une réelle

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légitimité. Très peu de tribunes internautes trouvent grâce aux yeux des intellectuels et il existe une indéniable frilosité envers ce qui est diffusé sur le web. Professionnels et amateurs mènent alors, sur ce sujet, le même combat, comme si tout était à refaire ; et cultiver plus que jamais la légitimité et l’utilité intime et internationale de la grande toile pour le grand écran.

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Bibliographie et webographie

Ensembles généraux sur le cinéma et la cinéphilie

- ALLARD Laurence, « Cinéphiles, à vos claviers ! Réception, public et cinéma », Réseaux, n° 99, vol.18, 2000, p. 131-168.

- ASTRUC Alexandre, Du stylo à la caméra et de la caméra au stylo, Paris, L’Archipel, 1992, 401 p.

- BAECQUE (de) Antoine, La cinéphilie : invention d'un regard, histoire d'une culture 1944-1968, Paris, Fayard, 2002, 404 p.

- BAECQUE (de) Antoine et FREMAUX Thierry, « La cinéphilie ou l'invention d'une culture », Vingtième Siècle. Revue d'histoire, n° 46, avril-juin 1995, p. 133-142.

- BAZIN André, Qu’est-ce que le cinéma ?, Paris, Cerf, 1976, 372 p. - BAZIN André, Le Cinéma français de la Libération à la Nouvelle Vague (1945-1958), Paris, Cahiers du cinéma, coll. « Cinéma essais », 255 p. - BURCH Noël, « Cinéphilie et masculinité », Iris, n° 26, 1998. - CANUDO Ricciotto, Manifeste des Sept Arts, Paris, Séguier, coll. « Carré d’art », 1995 (édition originale de 1922), 30 p. - CHOLLET Laurent, « Cours, camarade... La séance a commencé », L'Homme et la société, n° 142, avril 2001, p. 45-63. - GAUTHIER Christophe, La Passion du cinéma. Cinéphiles, ciné-clubs et salles spécialisées à Paris de 1920 à 1929, Chartres, Association Française de recherche sur l’Histoire du cinéma, 1999, 392 p. - JULLIER Laurent et LEVERATTO Jean-Marc, Cinéphiles et cinéphilies, Paris, Armand Colin, coll. « Cinéma / Arts visuels », 2010, 224 p. - JULLIER Laurent, L’analyse de séquences, Paris, Armand-Colin, 2007, 192 p. - LEVERATTO Jean-Marc, Cinéma, spaghettis, classe ouvrière et immigration, Paris, La Dispute, 2010, 215 p. - LEVERATTO Jean-Marc, La mesure de l’art. Sociologie de la qualité artistique, Paris, La Dispute, 2000, 414 p. - MAGNY Joël (dir.), « Histoire des théories du cinéma », Paris, CinémAction, n°20, 2ème trimestre 1982 (réédité par Corlet-Télérama en 1991), 260 p.

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- MITRY Jean, Louis Delluc, Paris, L’Avant-Scène, coll. « Anthologie du cinéma », 1971, 52 p. - MONTEBELLO Fabrice, Le cinéma en France : depuis les années 1930, Paris, Armand Colin, coll. « Armand Colin Cinéma », 2005, 224 p. - MOURLET Michel, Cahiers du cinéma, n° 163, janvier 1960, p. 18-24. - NEYRAT Cyril, François Truffaut, Paris, Cahiers du cinéma, coll. « Grands cinéastes », 2007, 94 p. - SELLIER Geneviève, Le cinéma au prisme des rapports de sexe, Paris, Broché, coll. « Philosophie et Cinéma », 2009, 128 p. Ensembles généraux sur la critique et les revues de cinéma

- ARCHONDOULIS-JACCARD Nelly, GAUTHIER Christophe, LAURENT Sébastien et alii, Mil neuf cent, revue d'histoire intellectuelle : Puissance et impuissance de la critique, n°26, janvier 2008, 192 p. - BAECQUE (de) Antoine (dir.), Petite anthologie des Cahiers du cinéma : Critique et cinéphilie, tome 6, Paris, Cahiers du cinéma, 2001, 256 p. - BAECQUE (de) Antoine, Les Cahiers du cinéma, histoire d’une revue, tome 1 : A l’assaut d cinéma (1951-1959) ; tome 2 : Cinéma, tours et détours (1959-1981), Paris, Cahiers du cinéma, 1991, 680 p.

- BLANCHOT Marie, « La condition critique », Trafic, n° 2, 1992.

- CIMENT Michel et ZIMMER Jacques (dir.), La critique de cinéma en France : histoire, anthologie, dictionnaire, Paris, Ramsay, 1997, 423 p. - CIMENT Michel, « De la critique dans tous ses états à l’état de la critique », Positif, n° 313, mars 1987. - CIMENT Michel (rassemblé par), dossier « Fonction de la critique », Positif, n° 440, octobre 1997. - COLLET Jean, Après le film, Lyon, Aléas, 2002, 125 p. - DANEY Serge, La maison cinéma et le monde, le temps des Cahiers (1962-1981), Paris, P.O.L, 2001, 570 p. - DANEY Serge, « Chimes at Midnight, Welles au pouvoir », Cahiers du cinéma, n° 181, août 1966, p. 27-28. - DERIAZ Françoise, « Sauve qui peut la critique ! », Ciné-Bulletin, n° 410, décembre 2009, 31 p.

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- FRODON Jean-Michel, La critique de cinéma, Paris, Cahiers du cinéma, coll. « les petits cahiers », 2008, 95 p. - GATTAZ Christophe, « Cinéma, état de la critique », Le Nouveau quotidien, octobre 1996. - GAUTHIER Christophe, Le cinéma passé en revues, Catalogue de l’exposition à la Bifi, octobre 2002. - GOUDET Stéphane (dir.), L’Amour du cinéma, 50 ans de la revue Positif, Paris, Corlet-Télérama, 1993, 578 p. - HENNEBELLE Guy et GUY Agnès, Les Revues de cinéma dans le monde, Paris, Corlet-Télérama, 1993, 264 p. - HOUBEN Jean-François, Feux croisés sur la critique : dix-sept entretiens, Paris, Cerf, coll. « 7ème art », 1999, 360 p. - LAROUCHE Michel et René PREDAL (dir.), Revue d’études cinématographiques : La critique cinématographique, Université de Montréal, coll. « Cinémas », n° 2-3, vol. 6, printemps 1996, 242 p. - LEBESQUE Morvan, MARCABRU Pierre, ROHMER Eric et alii, « La critique », Cahiers du Cinéma, n° 126, décembre 1961. - LEENHARDT Roger, Chroniques de cinéma, Paris, Cahiers du cinéma, coll. « Ecrits », 1986, 236 p. - LUCAS Hans, « Notre enquête sur la critique », Cahiers du cinéma, n° 15, septembre 1952, p. 33-49.

- MEJEAN Jean-Max (dir.), Comment parler de cinéma ?, Paris, L’Harmattan, coll. « Audiovisuel et communication », 2005, 208 p.

- MURAT Pierre, « Faut-il brûler les critiques ? », Télérama, n° 3194, avril 2011, p. 46-48. - PAINLEVE Jean, « Notre enquête sur la critique (les auteurs, fin) », Cahiers du cinéma, n° 21, mars 1953, p. 32-39. - PASOLINI Pier-Paolo, Ecrits sur le cinéma, petits dialogues avec les films, Paris, Petite Bibliothèque des Cahiers du cinéma, 2000, 223 p. - PREDAL René, La critique de cinéma, Paris, Armand Colin, 2004, 128 p. - RIEFFEL Rémy, « L'évolution du positionnement intellectuel de la critique culturelle », Quaderni, n° 60, printemps 2006, p. 55-64.

- ROHMER Eric, Le Goût de la beauté, Paris, L’Etoile, 1984, 272 p.

- WEINBERG Herman G., « Notre enquête sur la critique (les auteurs) », Cahiers du cinéma, n° 20, février 1953, p. 41-48.

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Etudes sur la presse et le cinéma

- BOSSENO Christian (coordonné par), « Le cinéma et la presse », La Revue du cinéma / Image et son, dossier en dix numéros du n° 341, juillet 1979 au n° 355, novembre 1980. - CHARON Jean-Marie, « De la presse imprimée à la presse numérique », Réseaux, n° 160, février 2010, p. 255-281. - DUVAL Pierre, PELEGRIN Daniel et REMOND Adèle, « A quoi servent les critiques de cinéma ? », Télérama, n° 1972, octobre 1987. - FORD Charles et JEANNE René, Le cinéma et la presse, Paris, Armand Colin, coll. « Kiosque », 1961, 296 p. - GUYONNET René, « Le métier de critique », Esprit, n° 6, juin 1960. - LAULAN Anne-Marie, Cinéma, presse et public, Paris, Retz-CEPL, 1978, 205 p. Etudes sur Internet et le cinéma

- ASTOUS (d’) Alain et COLBERT François, « La consultation de critiques de films et son impact sur la consommation », Gestion, vol. 28, premier trimestre 2003, p. 12-17.

- BEAUDOIN Valérie et VELKOVSKA Julia, « Constitution d’un espace de communication sur Internet (forums, pages personnelles, courriers électroniques…) », Réseaux, n° 97, 1999.

- BOULLIER Dominique et CHARLIER Catherine, « A chacun son Internet. Enquête sur les usages ordinaires », Réseaux, n° 86, 1997.

- FLICHY Patrice, Histoire de la communication moderne. Espace public et vie privée, Paris, La Découverte, coll. « Sciences humaines et sociales », 280 p.

- LEONTSINI Mary et LEVERATTO Jean-Marc, Internet et la sociabilité littéraire, Paris, BPI, coll. « Etudes et recherche », 2008, 245 p. Etudes sur le comportement des spectateurs

- ALLARD Laurence, « Dire la réception : culture de masse, expérience esthétique et communication », Réseaux, n° 68, 1994. - ALLARD Laurence, « Vers la fin programmé du spectateur ? », Esprit, n° 12, 1997. - BOURBON Jérôme et FRODON Jean-Michel (dir.), L’œil critique, Bruxelles, De Boeck, coll. « Media recherches », 2002, 178 p.

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- CASETTI Francesco, D’un regard à l’autre. Le film et son spectateur, Lyon, PUL, coll. « Regards et écoutes », 1998, 205 p. - ESQUENAZI Jean-Pierre et ODIN Roger, Cinéma et réception, Paris, Hermès Sciences Publication, 2000, 286 p. - ETHIS Emmanuel, Sociologie du cinéma et de ses publics, Paris, Armand Colin, 2009, 126 p. - JAUSS Hans-Robert, Pour une esthétique de la réception, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1990, 305 p. - JULLIER Laurent et LEVERATTO Jean-Marc (dir.), « L’expérience du spectateur », Degrés, Bruxelles, 2010. - LEVERATTO Jean-Marc, « Histoire du cinéma et expertise culturelle », Politix, n° 61, 2003. - MONTEBELLO Fabrice, « Usages sociaux et usages populaires du cinéma : la question des amateurs », Iris, n° 17, novembre 1994, p. 25-42.

- MONTEBELLO Fabrice, « Les deux peuples du cinéma : usages populaires du cinéma et images du public populaire », Mouvements, n° 27/28, mai-août 2003, p. 113-119.

- ODIN Roger, « Du spectateur fictionnalisant au nouveau spectateur », Iris, n° 8, 1988.

Les articles en ligne sur le cinéma et la critique

- ALEXANDRE Olivier, « Les Cahiers du cinéma sont morts : vive les Cahiers ! », Rue 89, mai 2008 [disponible sur : http://www.rue89.com/2008/05/06/les-cahiers-du-cinema-sont-morts-vive-les-cahiers. Consulté le 11 avril 2011].

- ARDJOUM Samir, « Où va la critique de cinéma ? », Il était une fois le cinéma, article non daté [disponible sur : http://www.iletaitunefoislecinema.com/chronique/2518/ou-va-la-critique-de-cinema. Consulté le 18 février 2011].

- BAECQUE (de) Antoine, « Les cinéphilies, une communauté nomade », Fiches du cinéma, juillet 2009 [disponible sur : http://www.fichesducinema.com/spip/spip.php?article1435. Consulté le 19 avril 2011].

- BOSCHER Anthony, « Analyse de séquence : Watchmen », Fin de séance, avril 2009 [disponible sur : http://www.findeseance.com/Analyse-de-sequence-Watchmen. Consulté le 23 avril 2011].

- CHAVEROU Eric, « La webcritique de cinéma, de Twitter aux textes sans limites », septembre 2009 [disponible sur : http://www.franceculture.com/2009-09-07-la-webcritique-de-cinema-de-twitter-aux-textes-sans-limites.html. Consulté le 06 avril 2011].

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- CAMPBELL Darryl, « Twilight of the Gods (of Film Criticism) », The Bygone Bureau, juin 2010 [disponible sur : http://bygonebureau.com/2010/06/14/twilight-of-the-gods/. Consulté le 19 avril 2011]. - CARRIERE Christophe, « Cinéma et Internet, on se fait une toile ? », L’Express, juin 2008 [disponible sur : http://www.lexpress.fr/culture/cinema/on-se-fait-une-toile_516865.html?p=2. Consulté le 11 avril 2011].

- DESCHAMPS Youri (rédacteur en chef de la revue Eclipses), entretiens réalisé en novembre 2008 par le site revues-de-cinema.net [disponible sur : http://www.revues-de-cinema.net/Entretiens/Carriere_Deschamps%20Youri_2008-11-04.html. Consulté le 12 avril 2011]. - KAGANSKI Serge, « Blog à part », Fiches du cinéma, juillet 2009 [disponible sur : http://www.fichesducinema.com/spip/spip.php?article1435. Consulté le 19 avril 2011]. - LANDROT Marine, « La critique a-t-elle perdu tout sens critique ? », Télérama, janvier 2010 [disponible sur : http://www.telerama.fr/monde/la-critique-a-t-elle-perdu-tout-sens-critique,51771.php. Consulté le 22 février 2011].

- POTTIER Jean-Marie, « Cinéphilie d’aujourd’hui », Challenges.fr, septembre 2010 [disponible sur : http://www.challenges.fr/styles/recit/0223.031901/?xtmc=leonardo_dicaprio&xtcr=7. Consulté le 16 février 2011].

- RENARD Eric, « Le cinéma en action du côté des publics », Zéro de conduite, n° 71, janvier 2009 [disponible sur : http://www.zerodeconduite.net/blog/?itemid=18843. Consulté le 23 novembre 2010].

- TYLSKI Alexandre, « Analyse d’une critique de cinéma dominante », Cadrage.net, octobre 2003 [disponible sur : www.cadrage.net/dossier/internet_c/internet_critique.htm. Consulté le 12 février 2011]. - « La critique », Les Dossiers de l’écran [disponible sur : http://www.ecrannoir.fr/dossiers/critique/histoire2.htm]. - « La révolution Internet et le rôle des critiques », Allocine.fr [disponible sur : http://www.allocine.fr/article/dossiers/cinema/dossier-18591446/?page=5&tab=0. Consulté le 07 avril 2011].

- « Les chiffres de la revue des Cahiers du cinéma », http://www.ojd.com/adherent/3305 [consulté le 11 avril 2011].

- « Les chiffres de la revue Première », http://www.ojd.com/adherent/4488 [consulté le 11 avril 2011].

- « Bilan cinéma 2010 : l'année des records au cinéma », Médiamétrie, février 2011 [disponible sur : http://www.mediametrie.fr/cinema/communiques/bilan-cinema-2010-l-annee-des-records-au-cinema.php?id=407. Consulté le 19 avril 2011].

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Les articles en ligne sur le medium Internet et ses usages

- DUPUY-SALLE Manuel, « L’intégration des fans dans les stratégies de valorisation de contenus contribue-t-elle au développement des « industries créatives » ? », Tic&Société (revue en ligne) , Vol. 4, mars 2011 [disponible sur : http://ticetsociete.revues.org/905. Consulté le 22 avril 2011]. - GUISNEL Jean, « Demain, mode d’emploi », Le Point, novembre 1999 [disponible sur : http://www.lepoint.fr/archives/article.php/73847. Consulté le 23 janvier 2011]. - LECLERC Tanguy, « www.allocine.fr », E-marketing.fr, septembre 2008 [disponible sur : http://www.e-marketing.fr/Marketing-Direct/Article/www-allocine-fr-3169-1.htm&t=www-allocine-fr. Consulté le 20 avril 2011].

- SELLIER Geneviève, « Gender studies et études filmiques », septembre 2005 [disponible sur : http://lmsi.net/Gender-Studies-et-etudes-filmiques,463. Consulté le 08 avril 2011]. - « France : les usages du Web par les internautes », Le Journal du Net, octobre 2010 [disponible sur : www.journaldunet.com. Consulté le 12 février 2011].

- « Internet : un autre espace pour la promotion des artistes », Festival d’Avignon, juillet 2009 [disponible sur http://blog.kinorezo.com/2009/07/22/festival-davignon-debat-%C2%AB-internet-un-autre-espace-la-promotion-des-artistes-%C2%BB/. Consulté le 14 janvier 2011].

- « Un accès inégal aux technologies de l’information », Observatoire des inégalités, janvier 2010 [disponible sur : http://www.inegalites.fr/spip.php?article467&id_mot=98. Consulté le 03 février 2011].

- « France : équipement haut débit », Le Journal du Net, septembre 2010 [disponible sur : http://www.journaldunet.com/cc/02_equipement/equip_hautdebit_fr.shtml. Consulté le 22 avril 2011].

Quelques sites français dédiés au cinéma avec une présence significative de critiques

- www.allocine.fr - www.cadrage.net - www.chronicart.com /cinema - www.cinefil.com - www.cinefiche.com - www.cinetudes.com - www.commeaucinema.com - contrechamp-media.com - www.critikat.com

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- www.ecrannoir.fr - www.findeseance.com - www.fluctuat.net/Cinema - www.revues-de-cinema.net [histoire et actualité des revues de cinéma] - www.revue-eclipses.com - www.spectresducinema.org

Quelques lieux cinéphiliques sur Internet

- http://cherfilm.com - www.fan-de-cinema.com - www.leblogducinema.com - www.melty.fr/cinema - http://mubi.com - www.senscritique.com - www.vodkaster.com

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Table des annexes

ANNEXE I : Du papier au web ....................................................................................................................................

ANNEXE II : Les hauts-lieux de la critique en ligne....................................................................................................

ANNEXE III : La critique de Cadrage.net sur le film Star Wars III ............................................................................

ANNEXE IV : Discussions au sein du forum des Spectres du cinéma .........................................................................

ANNEXE V : Des sites pédagogiques ..........................................................................................................................

ANNEXE VI : Les « notes » des critiques....................................................................................................................

ANNEXE VII : Vodkaster.com.....................................................................................................................................

ANNEXE VIII : Le partage de la culture cinéphile ......................................................................................................

ANNEXE IX : La communauté « allocinéenne » .........................................................................................................

ANNEXE X : Senscritique.com....................................................................................................................................

ANNEXE XI : De véritables communautés de fans......................................................................................................

ANNEXE XII : Formuler un accord sur le jugement de l’autre ....................................................................................

ANNEXE XIII : Entre critique et conversation informelle ...........................................................................................

ANNEXE XIV : Confronter les critiques de la presse aux avis des spectateurs............................................................

ANNEXE XV : Les deux principales catégories des spectateurs experts .....................................................................

ANNEXE XVI : Quand le spectateur dénonce les excès du film..................................................................................

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Annexe I :

Du papier au web

Page des critiques du site tiré de la revue Mad Movies.

Source : http://www.mad-movies.com/Toutes_les_cristiques

Les critiques de la revue Première sur Internet (ici, la critique est adressée au film Twilight 2). Source : http://www.premiere.fr/film/Twilight-Chapitre-2-Tentation/%28affichage%29/press

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Page d’accueil du site Internet de la revue Positif. Source : http://www.revue-positif.net/

Page d’accueil du site Internet de la revue des Cahiers du cinéma. Source : http://www.cahiersducinema.com/

Sur ces deux dernières captures d’écran, il est important de remarquer le côté commercial de ces sites

qui ne proposent rien d’autre que l’achat d’anciennes revues ou un abonnement en ligne.

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Page d’accueil de la revue des Cahiers du cinéma déclinée dans une version anglaise. Source : http://www.e-cahiersducinema.com/

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Annexe II :

Les hauts-lieux de la critique en ligne

Page d’accueil du site Internet Cadrage.net Source : http://www.cadrage.net/

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Page d’accueil du site Internet Critikat.com. Source : http://www.critikat.com/

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Page d’accueil du site Internet Spectres du cinéma. Source : http://www.spectresducinema.org

Page d’accueil du forum des Spectres du cinéma. Source : http://spectresducinema.1fr1.net

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Page d’accueil du blog des Spectres du cinéma. Source : http://spectresducinema.blogspot.com

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Annexe III :

La critique de Cadrage.net sur le film Star Wars III

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Extraits de la critique du film Star Wars III par Corinne Vuillaume, rédactrice sur Cadrage.net. Source : http://www.cadrage.net/films/lucas2005.htm

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Annexe IV :

Discussions au sein du forum des Spectres du cinéma

Discussion entre un lecteur et un rédacteur de la revue Spectres du cinéma autour du film True Grit (sortie en 2011).

Source : http://spectresducinema.1fr1.net/t803p30-true-grit-ethan-and-joel-coen-2010

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Discussion entre les lecteurs de la revue Spectres du cinéma autour du film Man’s Castle (Ceux de la zone), sortie en 1933.

Source : http://spectresducinema.1fr1.net/t840-man-s-castle-ceux-de-la-zone-borzage-1933

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Annexe V :

Des sites pédagogiques

Liste des douze sites pédagogiques de cinéma, éditée par Cadrage.net. Source : http://www.cadrage.net/index.html

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Annexe VI :

Les « notes » des critiques

Les « notes » des critiques pendant le Festival de Cannes 2010, par Le Film français. Source : http://www.guim.fr/blog/2010/05/cannes-2010-les-%C3%A9toiles-de-la-critique.htm

Hélas Bof Pas mal Bien Bravo

Les différentes expressions d’Ulysse, qui symbolise les opinions sur Telerama.fr. Source : http://www.telerama.fr/cinema/

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Annexe VII :

Vodkaster.com

Extraits de la page d’accueil du site Vodkaster.com. Source : http://www.vodkaster.com/

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Annexe VIII :

Le partage de la culture cinéphile

Page d’accueil du forum « Le Coin des CommeAuCinéphiles ». Source : http://forum.commeaucinema.com/forum/viewforum.php?id=21

Tout expérience cinématographique personnelle est bonne à partager. A noter, la phrase d’accueil de ce forum : « Votre meilleur film, votre pire film, votre acteur ou réalisateur préféré… Tout ce que vous ne pouvez pas dire ailleurs, dites-le ici ! ».

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Annexe IX :

La communauté « allocinéenne »

Page d’accueil de la rubrique « Communauté » du site Allocine.fr. NB : sur cette capture d’écran est aussi présentée le menu déroulant de cette rubrique afin de démontrer le grand intérêt du site à

développer cette idée de communauté. Source : http://www.allocine.fr/communaute/

Page d’accueil du « Club 300 ». Source : http://www.allocine.fr/communaute/club-300/

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Annexe X :

Senscritique.com

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Extraits de la page d’accueil « Films » du site Senscritique.com. NB : la rubrique « Activité récente » qui ressemble fortement au « Fil d’actualité » que l’on retrouve sur le réseau social

Facebook. Source : http://www.senscritique.com/films

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Annexe XI :

De véritables communautés de fans

Page d’accueil du site Communaute-avatar.fr. Source : http://www.communaute-avatar.fr/

Page d’accueil du site Harry Potter wiki. Source : http://fr.harrypotter.wikia.com/wiki/Encyclop%C3%A9die_Harry_Potter:Communaut%C3

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Annexe XII :

Formuler un accord sur le jugement de l’autre

Discussions autour du film Une Pure Affaire. Source : http://forum.commeaucinema.com/forum/viewtopic.php?id=5444

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Discussions autour du film Batman, The Dark Night. Source :

http://www.allocine.fr/communaute/forum/message_gen_nofil=586041&cfilm=&refpersonne=&carticle=&refserie=&refmedia=.html

Ce qui est intéressant ici, ce sont les expressions employées par les spectateurs, telles que « je suis d’accord avec toi ! » ou les « + 1 », symboles du « j’aime » du réseau social Facebook.

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Annexe XIII :

Entre critique et conversation informelle

Discussions autour du film The Holiday. Source : http://forum.commeaucinema.com/forum/viewtopic.php?id=1838

On le voit ici, le premier spectateur parle du film tout comme le second mais le dernier revient sur un message posté au préalable qui n’est pas en rapport direct avec le film. Les dernières phrases de Séb14 évoquent même l’envie de parler d’autre chose que du film comme pour lancer une discussion « bon enfant ».

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Annexe XIV :

Confronter les critiques de la presse aux avis des spectateurs

Comparaison des critiques professionnels et des avis des spectateurs sur le film Black Swan. Source : http://www.commeaucinema.com/film/black-swan,163611

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Comparaison des critiques professionnels et des avis des spectateurs sur le film Au-delà. Source : http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=140633.html

En comparant de la même manière les critiques de la presse et les avis des spectateurs (même apparence même place, même modèle), on voit que le spectateur joue désormais un rôle important, à égalité, du moins en apparence, des professionnels.

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Annexe XV :

Les deux principales catégories des spectateurs experts

Avis d’un spectateur (1ère catégorie) sur le film L’Agence. Source : http://www.cinefil.com/film/l-agence-2/critiques

Avis d’un spectateur (2ème catégorie) sur le film Le Discours d’un roi.

Source : http://www.allocine.fr/film/critiquepublic_gen_cfilm=175305.html

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Annexe XVI :

Quand le spectateur dénonce les excès du film

Avis de spectateurs à propos du film Robin des Bois. Source : http://www.cinefil.com/film/robin-des-bois-

9/critiques?operation=1&nombre=66&debut=15&page=2

Avis de spectateurs à propos du film Le Concert. Source : http://www.allocine.fr/film/critiquepublic_gen_cfilm=110666.html?stars=1

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Table des matières

Introduction ..................................................................................................... 2

Chapitre Premier : La critique de cinéma : définitions et histoire ................ 9

1. Nature et fonction de la critique cinématographique ....................................... 101.1 La critique de cinéma : différentes approches, différents statuts ............................... 10

1.2 Le métier de critique .................................................................................................. 12

1.3 La cinéphilie : entre supériorité de l’expert et jugement du spectateur .................... 15

2. Naissance de la critique de cinéma ..................................................................... 172.1 Légitimation d’un art et entrée dans les mœurs journalistiques (1895-1930) ............ 18

2.2 Les affrontements politiques (les années 1930 et l’Occupation) ............................... 20

2.3 Une nouvelle façon de penser la critique (1944-1960) .............................................. 22

3. La critique de cinéma et la « civilisation des images » ..................................... 253.1 La radio, la télévision et Internet (de 1960 à aujourd’hui) ........................................ 26

3.2 Des ciné-clubs à l’Université : l’émergence d’une nouvelle génération de critiques 28

3.3 La critique de cinéma dans le monde : brève comparaison ....................................... 30

Chapitre II : Critique de cinéma : entre remise en question et mutation ... 33

1. Place « Net » à la critique ..................................................................................... 341.1 L’installation d’une « webcritique » de cinéma ......................................................... 34

1.2 Revues spécialisées : déclin ou évolution ? ............................................................... 36

1.3 Un espace sans limite ni contrainte ............................................................................. 39

2. Des hauts-lieux de la critique en ligne ................................................................ 412.1 L’affirmation d’une cinéphilie savante ...................................................................... 41

2.2 Un pont avec le grand public ...................................................................................... 43

2.3 Une légitimité qui a du mal à s’affirmer ..................................................................... 46

3. Pouvoir et influence de la critique en ligne ........................................................ 493.1 Les effets économiques et politiques de la critique .................................................... 49

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3.2 L’impact des critiques sur la consommation de films ................................................. 51

3.3 La fréquentation des sites spécialisés .......................................................................... 54

Chapitre III : Du spectateur passif au nouveau spectateur ......................... 57

1. Une « cinéphilie 2.0 » ............................................................................................ 581.1 Une personnalisation de la consommation ................................................................. 58

1.2 L’échange de critiques ................................................................................................ 61

1.3 La sociabilité cinématographique à travers la publication d’un jugement ............ 63

2. La construction des avis de spectateurs ............................................................. 652.1 Entre critique et conversation informelle ................................................................... 65

2.2 Modérer les avis des spectateurs ................................................................................. 67

2.3 Le spectateur expert .................................................................................................... 69

3. Quel avenir pour la critique de cinéma ? ........................................................... 713.1 Le débat sur la qualité ................................................................................................. 71

3.2 Une culture de spectateurs ? ........................................................................................ 74

3.3 Vers une critique multimédia ...................................................................................... 76

Conclusion ..................................................................................................... 79

Bibliographie et webographie ........................................................................ 83

Annexes ........................................................................................................... 91

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Résumé

Du journalisme à la littérature, entre sollicitations promotionnelles et tentation du guide à la consommation, la critique fascine et irrite à la fois. Héritière de la critique d’art, la critique de cinéma tire sa noblesse de l’expression d’un avis personnel, inspiré par des émotions qui nourrissent une réflexion partagée. Mais la critique cinématographique change, au même titre que ses supports d’expression. Alors que certains semblent vouloir s’accrocher exclusivement à l’ère du papier, d’autres évoluent depuis un moment maintenant dans l’ère du numérique. Vient alors l’occasion de faire le point sur la situation de la critique de cinéma aujourd’hui et de mettre quelques points sur quelques « i ». Les données statistiques et économiques le démontrent : la critique de cinéma, en France, agit et s’agite, désormais en majorité sur Internet. Mais que propose donc de nouveau la grande toile pour aborder le grand écran ? Où résident sa grandeur et sa limite ? Pouvons-nous affirmer pour autant que la critique de film a changé de mains et de sens ?

Mots-clés Critique de cinéma, Internet, cinéphilie, spectateurs, légitimité, critique (profession). Abstract

From journalism to literature, between solicitations and promotional temptation to guide consumption, critical fascinates and irritates both. Heir of art criticism, film criticism derives its nobility of expression of personal opinion, inspired by emotions that feed a shared reflection. But film criticism changes, as well as its media of expression. While some seem to want to cling exclusively to the paper era, others have been evolving for some time now in the digital age. Then comes the opportunity to take stock of the situation of film criticism today and put some points on some "i". The statistical and economic data show this: the film critic, France, and acts agitated, now mostly on the Internet. But then moved again to address the large canvas the big screen? Inhabited its greatness and its limit? Can we say as far as film criticism has changed hands and meaning?

Keywords Film critic, Internet, film buffs, spectators, legitimacy, critic (profession).