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Roberte Armand 08 Les 3N et l'épouvantail 1975 03

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LES TROIS N ET L'ÉPOUVANTAIL

par Roberte ARMAND

ON ne voit pas tous les jours un épouvantail qui change de vêtements! Nouvelle piste pour les Trois N, qui se lancent à la recherche d'un drôle de blessé dans une clinique pas comme les autres, d'un testament introuvable, d'un village enfoui et d'un trésor.

Les voilà bientôt en pleine aventure. Aux prises avec deux louches individus, le sympathique trio va montrer, une fois de plus, qu'il sait se débrouiller dans les situations les plus périlleuses !

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ROBERTE ARMAND

LES

ET L’EPOUVANTAILILLUSTRATIONS DE

HENRIETTE MUNIERE

HACHETTE

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Série les

1. Les 3N et les voleurs d’images 1971 062. Les 3N et la maison brulée 1972 043. Les 3N et l’étrange voisin1972 094. Les 3N et les jumelles 1972 11 5. Les 3N et le chien jaune 1973 036. Les 3N et le bouton d’argent 1973 107. Les 3N et la pêche miraculeuse 1974 058. Les 3N et l’épouvantail 1975 039. Les 3N tendent un piège 1975 0810. Les 3N et le puits hanté 1976 0411. Les 3N sont sur la voie 1977 0812. Les 3N et les trois cygnes 1978 0613. Les 3N et le serpent python 1979 0114. Les 3N et les chats birmans 1979 10

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TABLE

I. L'ouragan 6II. Le carnet d'adresses 17

III. L'ambulance 27IV. Une lettre 39V. Le chien pipo 49

VI. L'entrée de service 60VII. Chambre 15 70

VIII. Le chariot 80IX. Le trio enquête 90X. L'archéologue 104

XI. Par monts et par vaux 114XII. Le ravin 123

XIII. Un œil au beurre noir 132XIV. Le récit du concierge 141XV. Les murs ont des oreilles 152

XVI. Un stratagème 161XVII. Le trésor 172

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CHAPITRE PREMIER

L'ouragan

«EST-CE qu'on rentre bientôt? » demanda Nathalie.

Elle parlait d'une voix étouffée, car une longue écharpe de laine faisait trois fois le tour de son cou et lui couvrait la bouche.

Son frère Nicolas — dit Nick haussa les épaules.

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« On vient à peine de sortir! D'ailleurs, c'est toi qui as insisté pour qu'on se promène, alors?

— Alors, je ne savais pas qu'il faisait si froid!— On est pourtant au mois d'avril, déclara le

jeune garçon, en jetant un coup d'œil sur la campagne où les premiers bourgeons commençaient à poindre.

— Volny est en altitude, expliqua Noël. Et puis, il y a ce vent...

— ... un vent assez fort pour soulever même une grosse fille comme Nathalie! » jeta Nick, en guettant du coin de l'œil la réaction de sa sœur.

Un grognement de protestation traversa l'épaisseur de la laine.

« Toi, alors, tu es... »Noël coupa court à la prise de bec qu'il sentait

venir.« Comme ce serait dommage si Nattie nous

était enlevée! dit-il en riant. Pour éviter cette catastrophe, je vais la tenir solidement. »

Et il saisit un coin de L'écharpe, en criant : « Demi-tour! On rentre à la maison! »

Nick s'empara de l'autre extrémité, et c'est dans cet équipage que les enfants regagnèrent la villa de leur oncle vétérinaire. Elle leur parut plus accueillante que jamais.

Cinq minutes plus tard, le trio était installé au

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salon, où la tante Rose avait allumé un bon feu de bois. Tout en se rôtissant le dos, Nathalie observait les deux garçons qui jouaient aux dames, chacun selon son tempérament. Nick, incapable de rester en place, remuait sans cesse sur sa chaise, se grattait la tête, ou encore faisait un petit tour dans la pièce. Noël, au contraire, se tenait tranquille et réfléchissait longtemps avant d'avancer ses pions.

« Comme ils sont différents! » pensa la fillette.Ils ne se ressemblaient pas physiquement non

plus : Nick, à onze ans, était brun et vigoureux; Noël, son aîné d'un an, très grand, très mince, avait des cheveux blonds et des yeux bleus. Les parents de Nick et Nathalie l'avaient adopté depuis qu'il était orphelin.

« Noël, Nicolas et Nathalie, les Trois N! » chantonna joyeusement la petite fille.

Mais personne ne l'entendit, car sa voix fut couverte par une sorte de hurlement venant du dehors. En même temps, un souffle d'air glacial s'insinua jusque dans la pièce et fit vaciller la flamme des bûches.

« Qu'est-ce qui se passe? sursauta Nick. Oh! là, là, comme il fait noir, tout d'un coup! »

En effet, le ciel s'était brusquement assombri. Or, il n'était que trois heures de l'après-midi.

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D'un même élan, les Trois N se ruèrent vers la porte-fenêtre et collèrent le nez contre la vitre. Quel spectacle! Les arbres du jardin étaient tous courbés dans la même direction par un vent furieux : on aurait dit qu'ils allaient se casser. Des feuilles, de la poussière, des débris de toutes sortes volaient très haut dans l'air. La maison elle-même, quoique solide, gémissait comme un navire dans la tempête. Le bruit du vent, pareil à une immense plainte, était si fort que Nick dut crier pour se faire entendre.

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« J'ai l'impression qu'on est rentré à temps!— Grâce à moi! » triompha Nathalie. Elle se

tut. Un petit frisson lui parcourut ledos, au souvenir de la plaisanterie de son frère.

Un pareil vent pourrait-il vraiment emporter quelqu'un?

Comme en écho à ses pensées, Noël remarqua:« Je souhaite que personne ne se trouve dehors

en ce moment! C'est un véritable ouragan.»Nick crut bon de détendre l'atmosphère par une

plaisanterie :« Dans certains pays, dit-il, les ouragans sont

de vrais fléaux. Aussi leur donne-t-on un nom... généralement féminin. » Il cligna de l'œil en regardant sa sœur et ajouta : « Ouragan Nathalie, pourquoi pas? »

D'abord suffoquée d'indignation, la fillette retrouva bien vite l'usage de la parole,

« En français, répliqua-t-elle, ouragan est un mot masculin. Aussi serait-il préférable de l'appeler « ouragan Nicolas! »

— Et tac! fit Noël, réprimant une envie de rire devant la mine déconfite de son cousin. Bien répliqué, non? »

Nick ne répondit pas. D'ailleurs, il était bien . difficile de soutenir une conversation, avec le

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bruit qui ne faisait que s'amplifier. Aussi le trio se contenta-t-il d'observer le déchaînement de la nature. Pendant une demi-heure, les Trois N restèrent à la même place, près de la fenêtre.

Puis l'ouragan — si c'en était un — partit comme il était venu. Le vent s'apaisa, le ciel s'éclaircit. Les enfants accompagnèrent l'oncle Edouard au jardin pour évaluer les dégâts, qui se limitaient à quelques tuiles tombées, quelques branches cassées. La tante Rosé déclara qu'elle allait préparer un bon goûter : tout le monde en avait besoin, après ces émotions! Nathalie trouva l'idée excellente.

A quatre heures et demie, il faisait vraiment beau. Alors la fillette proposa une nouvelle promenade.

« Accepté! dit Noël.— Tu ne changeras pas d'avis au bout de deux

cents mètres? demanda Nick, méfiant.— Non, non! promis! »Les Trois N s'emmitouflèrent dans leurs

lainages, sortirent de la maison, et prirent un chemin qui conduisait au village d'Avray en serpentant à travers une plaine limitée de chaque côté par des collines. L'ouragan avait laissé des traces : de menus branchages jonchaient la route, provenant des buissons qui la bordaient. Ceux-ci

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avaient leurs feuilles nouvelles saupoudrées d'une fine poussière. Mais le froid était moins vif qu'en début d'après-midi, et la promenade parut agréable aux trois enfants.

Après deux kilomètres de parcours environ, en longeant un champ envahi d'herbes folles et de broussailles, Nathalie poussa une exclamation :

« L'épouvantail a disparu! »Il lui semblait avoir toujours vu en cet endroit

le vieux mannequin vêtu de loques, dont la tête, faite d'une bouteille, était coiffée d'un feutre délavé. Sans doute avait-il été planté là autrefois pour faire peur aux oiseaux qui chapardaient les récoltes? En tous cas, il avait fini de jouer son rôle: le fermier était mort, et le champ était en friche. Mais nul n'avait eu l'idée d'enlever l'épouvantai!.

« Le vent l'aura cassé, dit Noël.— Quel dommage! soupira la fillette. Je

l'aimais bien. »Tout à coup elle saisit le bras de son cousin et

balbutia :« Regarde! Le... le... revoilà. Et il marche! »Effectivement, l'épouvantail qui n'était que

renversé, s'était redressé comme par enchantement, et avançait par saccades dans la direction des deux enfants.

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Nathalie était terrorisée. Noël, lui, se montrait sceptique : il ne croyait pas aux épouvantails ambulants. Et puis, comme par hasard, Nick avait AUSSI disparu. Tiens, tiens!

« Coucou! » cria soudain une voix bien connue.

Et la tête rieuse de Nick émergea d'entre les bardes de l'épouvantai!.

La fillette retrouva sa voix pour protester.« C'était donc toi? On n'a pas idée de... de... me

faire une pareille frayeur!— Ah, ah! s'esclaffa le jeune garçon. Avec toi,

au moins, ça vaut la peine! Tu marches toujours.— L'épouvantail marchait, lui aussi, dit

Noël en riant. Mais pas tout seul!— Avoue que l'idée était fameuse! se vanta

son cousin.— Tout à l'heure, quand tu t'es mis à courir

devant nous, je me suis demandé où tu allais! fit remarquer Nathalie.

— J'avais repéré l'épouvantai! bien avant vous! expliqua Nick. Il était couché par terre. »

— Le pauvre! soupira de nouveau Nathalie.— Quoi! s'indigna son frère. Tu t'apitoies sur

un épouvantai!? Ah! C'est bien d'une fille, de faire du sentiment à propos d'un morceau de bois!

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—. Elle a bien le droit! la défendit Noël. Il me plaisait, à moi aussi. Un épouvantail, c'est très folklorique.

— Eh bien, remets-le debout, si tu y tiens. Il sera un peu plus court, voilà tout.

— Ses habits sont vraiment trop vilains, déclara Nathalie. Si on lui en trouvait de plus beaux, alors ça vaudrait la peine de le replanter.

— Où les prendre, ces vêtements? demanda Nick, qui commençait à s'intéresser au projet de sa sœur.

— La tante Rosé nous en donnera peut-être?

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— D'accord : allons le lui demander. » Une fois de plus, les Trois N regagnèrent en

courant l'hospitalière maison des Besson.« Tante Rosé! » appela la fillette dès que le trio

eut franchi le seuil.L'oncle Edouard apparut sur l'escalier. Il avait

son chapeau sur la tête, et achevait de boutonner son pardessus.

— Votre tante est allée faire des courses au village, dit-il. Moi-même, je m'apprêtais à partir : un fermier m'a téléphoné pour sa vache malade. Un vétérinaire ne doit pas faire attendre ses clients...

— Quel ennui! fit Nathalie avec une moue si chagrine, que l'oncle Edouard en fut attendri.

— Si je peux faire quelque chose pour vous?... proposa-t-il.

— Oh, oui, tu le peux, mon cher petit oncle! s'écria la fillette en se jetant à son cou. N'aurais-tu pas des vêtements très vieux, tellement vieux qu'ils ne te servent plus?

— Bien sûr que si! C'est pour habiller un pauvre vagabond?

— Eh bien... euh, non... pas tout à fait.— Comment, pas tout à fait? »Ce fut Nick qui répondit : « II s'agit bien d'un

vieux bonhomme, mais il est en bois.

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— Un épouvantai! », précisa Noël. D'abord stupéfait, l'oncle Edouard finit par

déclarer avec un bon sourire :« Eh bien, pourquoi pas? Un épouvantail a

bien le droit d'être habillé, après tout. Et les vieux vêtements, ce n'est pas ce qui manque dans cette maison!

— Oh! chic, chic! s'écria la fillette en sautillant de joie. Où faut-il les prendre, ces vieux habits?

— Dans le renfoncement qui se trouve sous l'escalier : vous verrez, il y en a une malle pleine. Et maintenant, il faut que je file. Au revoir, les enfants! Amusez-vous bien!

— Merci, oncle Edouard! »La porte avait à peine claqué derrière M.

Besson, que déjà Nathalie se dirigeait vers le recoin obscur qu'il lui avait indiqué.

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CHAPITRE II

Le carnet d'adresses

NATHALIE resta cinq bonnes minutes à farfouiller dans la vieille malle, pleine à craquer de vêtements usagés. Les deux garçons, demeurés dans le hall, l'entendirent pousser des exclamations de plaisir — preuve qu'elle trouvait ce qu'elle cherchait. En effet, elle reparut bientôt, portant sur le bras une veste et un pantalon de toile dont il était impossible de déterminer la teinte primitive, car de nombreux

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lavages les avaient rendus presque 'blancs. De plus, elle exhiba fièrement un canotier dont la paille défraîchie s'ornait d'un ruban noir : cette trouvaille fit s'extasier les deux autres.

« Et maintenant, allons vite rhabiller l'épouvantail! » décida Nathalie en se précipitant hors de la maison.

Noël lui emboîta le pas avec bonne humeur, et Nick suivit, mi-amusé, mi-grognon.

« Quelle occupation stupide! » grommela-t-il, regrettant de s'être laissé entraîner à de pareils enfantillages.

Mais, une fois sur place, il se prit au jeu, et c'est volontiers qu'il aida les deux autres à enlever les vieilles hardes à l'épouvantail, puis à le revêtir de ses nouveaux habits.

Lorsqu'enfin le pantalon fut fixé sur une des traverses horizontales, la veste boutonnée, le canotier campé sur la bouteille, le vieux bonhomme en bois avait presque une apparence humaine.

« Un vrai gentleman! apprécia Nick en prenant du recul pour mieux l'admirer. Il ne lui manque que la parole.

— Reste à le replanter, dit Noël. Est-ce qu'on le remet au même endroit?

— Oh! non! fit sa cousine. Jusqu'ici, il était

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à moitié caché par ce buisson. Maintenant que le voilà si beau, il mérite d'être plus en vue. Pourquoi ne pas le placer au milieu du champ?

— Comme tu voudras », acquiesça l'aîné du trio.

Ce fut Nick qui se chargea fie l'opération, après avoir élagué l'extrémité cassée avec son canif. Ensuite ce lui fut facile d'enfoncer le pied de l'épouvantail dans la terre meuble d'une taupinière.

Voilà qui était fait! Contents d'eux, les Trois N prirent le chemin du retour, non sans un dernier regard au vieux bonhomme qui, les bras

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étendus, paraissait leur dire « au revoir ».

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Un peu plus tard, M et Mme Besson et leurs petits-neveux se trouvaient de nouveau réunis dans la tiède atmosphère de la villa. L'oncle Edouard venait de rentrer, et s'était aussitôt emparé des journaux arrivés du matin.

« Ma journée a été si remplie que j'ai à peine eu le temps d'y jeter un coup d'œil! » remarqua-t-il.

Assis dans un bon fauteuil, il se plongea dans la lecture, tandis que Noël et Nick reprenaient leur jeu interrompu, sous la surveillance attentive de Nathalie.

Quelques instants plus tard, la tante Rosé pénétrait dans la pièce, l'air soucieux.

« Dis-moi, Edouard, demanda-t-elle, as-tu pensé à appeler le plombier?

— Le plombier? répéta l'oncle Edouard. Ah! oui, pour le chauffe-eau... Je m'en occupe tout de suite. »

Il posa à regret son journal, fouilla dans la poche intérieure de son veston, et en tira un carnet d'adresses qu'il consulta rapidement. Aussitôt, un réel agacement se peignit sur son visage.

« Naturellement, le numéro de téléphone du

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plombier se trouve dans mon vieux carnet d'adresses! » La tante Rosé sourit et fit remarquer, l’air moqueur :

« Et naturellement, tu ne sais plus ou tu as rangé: ce vieux carnet?

— Mais sil répondit l'oncle Edouard. Je l'ai laissé dans ma veste de toile beige! »

Il ajouta en fronçant les sourcils : « Je sais où est le carnet... mais je ne sais pas où est la veste! — Suspendue à quelque patère, suggéra la tante Rosé. Attends, je vais voir. »

Elle revint au bout de quelques minutes, visiblement contrariée.

« Je ne la trouve nulle part! »Ce fut au tour de M. Besson de se lever et

d'aller inspecter portemanteaux et penderies. Les Trois N se mirent de la partie, mais leurs recherches furent vaines : la veste avait bel et bien disparu.

Depuis un moment déjà, Nathalie était assaillie d'un doute terrible. « Une veste de toile beige », avait dit le vétérinaire. Or, celle dont les Trois N avaient affublé l'épouvantai! avait pu être beige, en son temps.

« Pourtant, je l'ai prise dans la malle, comme me l'a dit l'oncle Edouard, pensa

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Nathalie. Seulement, au-dessus de cette malle, il y a un portemanteau, et la veste a pu tomber... »

Un appel de la tante Rosé, invitant la famille à passer à table, interrompit momentanément les pensées inquiètes de la fillette.

Hélas! ce fut bien pire après le repas, lorsque les garçons l'attirèrent sur le vieux sofa au fond du salon et que Nick déclara :

« Toi," tu n'en rates pas une! Tu as encore fait une belle bêtise! La veste, c'est l'épouvantail qui l'a... et le carnet d'adresses avec!

— Je le crains, moi aussi », ajouta Noël. Ainsi, son frère et son cousin confirmaient ses propres doutes. C'est tout juste si Nathalie n'éclata pas en sanglots.

« Que... Qu'est-ce qu'on va... faire? balbutia-t-elle.

— Aller dare-dare rechercher cette veste! décida Nick en se levant d'un bond.

— Il fait nuit noire, objecta son cousin.— Et après? Tu as peur de l'obscurité,

maintenant?— L'oncle Edouard a dit qu'il renonçait

pour ce soir à chercher sa veste, fit remarquer Nathalie. Faisons comme lui : attendons demain matin. »

Nick se laissa fléchir. Après tout, ça ne

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l'enchantait pas tellement, lui non plus, de sortir par cette nuit froide!

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Les Trois N se levèrent de bonne heure, avec l'idée d'aller récupérer au plus vite le carnet d'adresses de l'oncle Edouard. Le petit déjeuner expédié, ils se dirigèrent donc une fois de plus vers le champ de l'épouvantai!.

Il faisait encore frais, mais la journée promettait d'être belle. Les garçons sifflaient joyeusement en marchant. Seule, Nathalie semblait soucieuse.

« Et si quelqu'un avait pris le carnet? suggéra-t-elle brusquement.

— Pour quoi faire? répliqua Nick. Pour téléphoner au plombier à la place de l'oncle Edouard? Par ailleurs, qui aurait l'idée de fouiller un épouvantai!? Ma pauvre Nathalie, tu... »

Le jeune garçon n'acheva pas sa phrase, car le champ était maintenant en vue. Et, en plein milieu du champ, se dressait l'épouvantail. Depuis la veille, il avait changé d'apparence...

« Par exemple! s'exclama Nick. Est-ce que j'ai des visions? Ces habits...

— ... ne sont plus ceux d'hier! » acheva sa sœur d'une toute petite voix.

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En effet, au lieu de la veste et du pantalon de toile, le mannequin de bois était maintenant vêtu d'un pyjama rayé! Le canotier avait également disparu, laissant à nu la bouteille qui faisait fonction de. tête.

« C'est... c'est une histoire à dormir debout! bafouilla Noël.

— C'est le cas de le dire! ironisa son cousin. L'épouvantail est bien debout, et en pyjama!

— Un pyjama? répéta Nathalie. Pourquoi un pyjama?

— Mais voyons.» parce qu'il sort du lit, lui

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aussi! plaisanta Nick. Il n'a pas encore eu le temps de se rhabiller! »

La fillette ne put s'empêcher de rire, mais redevint grave aussitôt.

« Et le carnet d'adresses?— Disparu avec la veste, répondit Noël. A

moins que... non, ce serait trop extraordinaire! »Ce disant, il s'approcha de l'épouvantai!, et tâta

les poches de la veste de pyjama : elles étaient vides.

« Pourquoi avoir volé ces habits? demanda Nick. Pour les remplacer par ce pyjama... »

Sa question resta sans réponse. Pas plus que ses cousins, Noël, la « grosse tête » du trio, n'arrivait à s'expliquer cette étrange substitution.

Nathalie prit une décision soudaine :« Rentrons! Je vais avouer tout de suite à

l'oncle Edouard que j'ai perdu son carnet : ça lui évitera de chercher. »

C'était, en effet, la meilleure chose à faire. Mais qu'allait dire M. Besson en apprenant la bêtise de sa petite-nièce? Connaissant son indulgence, Nathalie n'était guère effrayée. Cependant, elle1 ne se sentait pas très fière.

Les Trois N regagnèrent donc rapidement la villa et allèrent trouver leur grand-oncle.

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« Oncle Edouard... murmura Nathalie,

penaude.— Oui, ma petite fille?— Je voudrais te dire.. Pour ton carnet...— Mon carnet? répéta l'oncle Edouard. Tu

veux parler de mon vieux carnet d'adresses?— Oui, précisément...— Ah! je l'ai retrouvé! »Les trois enfants en eurent le souffle coupé.

Nick fut le premier à réagir :« Tu as donc retrouvé ta veste? demanda-t-il.— Oui, bien sûr, répondit M. Besson. Je

l'avais laissée dans ma « clinique » au fond du jardin, là où je soigne mes animaux...

— Eh bien, voilà une bonne nouvelle! conclut Nathalie. Oncle Edouard, tu ne peux pas t'imaginer à quel point nous sommes soulagés! »

Et les Trois N quittèrent la pièce, suivis du regard par un oncle Edouard éberlué.

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CHAPITRE III

L'ambulance

« OUF ! L'histoire du carnet était élucidée! Restait à résoudre l'énigme de l'épouvantail. Qui avait troqué le vieux costume de toile contre un pyjama, et pourquoi?

« Le vol des vêtements n'a, en soi, rien d'étonnant, déclara Noël. Ce qui est mystérieux,

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c'est ce troc... — C'est ce truc, tu veux dire? Corrigea Nathalie.

— Non, je veux bien dire ce troc, cet échange,.. »

Brusquement, Nick sauta sur ses pieds en s'écriant :

« Trêve de bavardage! Je propose d'aller enquêter sur place. En rendant une nouvelle visite à l'épouvantail, nous trouverons peut-être des indices?

— D'accord! » acceptèrent d'une seule voix Noël et Nathalie.

Tout en suivant les deux garçons, cette dernière était songeuse. Pour un peu, elle aurait vu de la magie dans cette histoire. Qui sait si l'épouvantail n'allait pas leur réserver encore quelque surprise?

Pourtant, en approchant du champ dans lequel il se dressait, la fillette vit tout de suite qu'il n'en était rien : le vieux bonhomme de bois était toujours vêtu du même pyjama à rayures, et sa tête de verre, sans couvre-chef, brillait aux premiers rayons du soleil. Nathalie ne put s'empêcher d'en faire la réflexion tout haut :

« Il n'a pas changé!

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— Eh bien, quoi! se moqua son frère. Tu t'attendais sans doute à ce qu'il ait revêtu un costume de ville avec chemise et cravate?

— Bien sûr que non, mais...— Examinons le pyjama, invita Noël. Il se

peut qu'un nom y soit marqué, ou au moins des initiales. '»

A l'intérieur du col, il y avait bien deux étiquettes : sur l'une était imprimée la mention : «100 °/o coton », sur l'autre le numéro 3.

« Nous voilà bien avancés! bougonna Nick.— Pourtant, ce numéro 3 veut peut-être dire

quelque chose. » supposa Nathalie.Mais Noël la détrompa :« Malheureusement non : il indique seulement

la taille du vêtement.— Voyons les poches », décida Nick.Noël les avait déjà fouillées, mais

superficiellement. Explorées à fond, elles livrèrent, coincée dans un angle, une petite pilule blanche.

« Un médicament, diagnostiqua Nick. Tiens, tiens! »

Cette mince trouvaille ne les avançant guère, les trois « détectives » se mirent à chercher des traces de pas sur le sol. Ils n'eurent pas davantage de succès : l'herbe sèche n'avait gardé aucune empreinte.

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« Si bien que nous ne savons ni d'où venait cet individu, ni où il est allé », conclut Nick rageur.

À la grande déception du trio, l'enquête paraissait déjà finie. Or, s'étant levés tôt, les

Trois N avaient une longue matinée devant eux, qu'il s'agissait de remplir.

« Si on rentrait à travers champs? proposa Noël. L'oncle Edouard m'a dit qu'on trouvait des morilles le long des talus.

— Bonne idée! approuva Nick. Les morilles, c'est moins intéressant que les indices, mais meilleur en omelette! »

Or les Trois N ne trouvèrent pas de champignons.

Par contre, ils firent une autre découverte. Cinq cents mètres plus loin, un petit bouquet d'arbres s'élevait au milieu d'un pré. Nathalie s'y dirigea. Soudain les garçons l'entendirent pousser un cri :

« Venez vite! J'ai trouvé... l'épouvantail »Les deux cousins échangèrent des regards

ahuris.« Elle déménage! dit Nick péremptoire.— Allons-y! » invita Noël, une pointe

d'inquiétude dans la voix.Ils trouvèrent la fillette immobile et comme

hébétée. Elle leur désigna du doigt un homme

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endormi sur l'herbe, et répéta d'une voix sans timbre : « C'est l'épouvantai!! »

Effectivement, l'inconnu, qu'on voyait de

dos, était vêtu d'un vieux costume de toile, et un canotier était posé sur sa tête.

« Ma parole, elle a raison! » articula péniblement Nick.

Mais Noël avait déjà repris son sang-froid.« Pas de quoi s'affoler, dit-il. Il s'agit tout

simplement d'un vagabond qui s'est emparé des habits de l'épouvantai!.

— ... et qui lui a laissé en échange son pyjama? Bizarre! commenta Nick. On comprendrait mieux s'il lui avait fait don de ses vieilles guenilles. De toute façon, nous allons savoir. »

Ce disant, le jeune garçon se pencha sur l'homme endormi avec l'intention de lui taper sur l'épaule.

« Oh! non, protesta Nathalie pas du tout rassurée. Il va peut-être se fâcher, si on interrompt sa sieste! »

Trop tard! Le geste était fait. Brusquement tiré du sommeil, le dormeur se redressa d'une seule pièce et regarda les nouveaux venus d'un air égaré. A la surprise des enfants, il s'agissait d'un homme jeune : vingt-cinq ans tout au plus. Malgré son

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visage mal rasé, son aspect loqueteux, ce personnage paraissait parfaitement inoffensif. Bien plus, la vue des enfants sembla l'effrayer.

« Oh non, protesta Nathalie, il va peut-être se fâcher.

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« Non, non, je ne retournerai pas là-bas! s'écria-t-il. Allez-vous-en!

— Rassurez-vous, monsieur, on ne vous veut aucun mal, dit Noël d'un ton apaisant.

— Retourner où? » questionna Nick. Pour toute réponse, l'homme répéta : « Allez-vous-en! »

Il se mit debout, mais chancela et il serait retombé, si les garçons ne s'étaient précipités pour le soutenir.

« Un malade », supposa Noël, qui se souvint brusquement de la pilule trouvée dans la poche du pyjama.

Le vagabond examina tour à tour les trois enfants, et le soulagement se peignit sur ses traits.

« Qui... êtes-vous? balbutia-t-il.— Noël, Nicolas et Nathalie Renaud, répondit

vivement la fillette. Et nous sommes en vacances chez notre oncle Besson, le vétérinaire. »

L'homme eut un sursaut d'étonnement.« Besson!... » répéta-t-il, comme si ce nom lui

rappelait quelque chose.Surpris de cette réaction, les Trois N le

pressèrent de questions. Mais le sursaut d'énergie qui avait animé le vagabond pendant un court moment semblait s'être dissipé. Il reprit son

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air égaré, et tout ce qu'en tirèrent les Trois N, ce furent des mots sans suite :

« Aller... fleuri... Besson... »Que signifiait ce discours? Les Trois N se le

demandèrent, perplexes, jusqu'au moment où l'homme fit mine de se mettre en route. En même temps il répétait : « Aller... chez... Besson. »

Cette fois, l'invite était claire : pour une mystérieuse raison, l'inconnu désirait rencontrer l'oncle Edouard. Les Trois N décidèrent donc de l'emmener avec eux. Bien entendu, Nick et Noël continuèrent à le soutenir, car sa démarche était de plus en plus chancelante.

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Mais enfin la petite troupe réussit à regagner le chemin, et à partir de là ce fut plus facile.

Les enfants et leur protégé avaient parcouru environ deux cents mètres en direction de la villa des Besson, quand un bruit de moteur se fit entendre derrière eux. Nathalie tourna la tête, et vit une longue automobile blanche qui fonçait droit sur leur groupe.

« Une ambulance! » cria-t-elle.Les quatre piétons venaient juste de se ranger

contre les buissons qui bordaient l'étroit chemin, quand la voiture passa près d'eux, et stoppa presque aussitôt dans Un grand bruit de freins. Deux hommes en jaillirent : le chauffeur en livrée,

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et un infirmier en blouse blanche. Ce dernier, un individu grand et large, au torse puissant, s'écria :

« C'est bien lui! »Et, se précipitant vers le pseudo-vagabond, il

essaya de l'entraîner jusqu'à l'ambulance.Le jeune homme était devenu très pâle. Il cria r

« Non, non! » et résista de toutes ses forces, s'agrippant à l'épaule de Nick comme à une bouée de sauvetage.

. La colère empourpra le visage du géant, qui ordonna :

« Tu vas me suivre, compris? »Il le saisit à bras le corps et le souleva comme

un fétu.« Tout doux, Gaston! » intervint le chauffeur,

qui, contrairement à son compagnon, était petit, maigre et sec, avec un regard rusé.

L'infirmier, penaud, lâcha sa victime, qui, remise brutalement sur ses pieds, vacilla et faillit tomber. Une fois de plus, les deux cousins le retinrent.

« C'est une honte! s'indigna Noël. De quel droit voulez-vous emmener cet homme? .

— Et vous de quoi vous mêlez-vous? aboya l'infirmier.

— Ne t'énerve pas, Gaston, dit le chauffeur, avec un sourire mielleux sur son visage chafouin.

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Ces jeunes gens ont posé une question, pourquoi ne pas leur répondre? Apprenez, mes enfants, que cet homme est un malade, qui s'est échappé cette nuit de la clinique La Sapinière. C'est sur l'ordre de notre patron, le docteur Gaubert, que nous sommes partis à sa recherche.

— Dans ce cas, répliqua Nick, traitez-le avec douceur, au lieu de le brusquer comme a fait votre camarade.

— Bien obligé, puisqu'il refuse d'obéir! grommela l'infirmier.

— Je suppose, poursuivit le chauffeur, que vous vous êtes rendu compte de son état? Sans doute vous a-t-il tenu des propos... bizarres?

— Euh... pas vraiment! répondit Nick sans se compromettre.

— De toute façon, il ne faut pas en tenir compte. La fièvre le rend un peu... »

L'homme n'acheva pas, mais eut un geste éloquent en se frappant le front avec l'index.

« Et maintenant, désolé, mais nous devons le ramener à la clinique, conclut le chauffeur. Vas-y, Gaston. »

Le colosse s'approcha du jeune homme et le prit par le bras. Tout d'abord, le malade parut se résigner à son sort et se laissa entraîner. Mais, au moment de rejoindre la voiture, il fit

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une brusque volte-face et fixa ardemment les Trois N. Cette fois, il n'y avait plus trace de fièvre dans le regard qu'il leur lança. On y lisait une intense supplication. Puis ses lèvres formèrent quelques mots, que les enfants devinèrent plutôt qu'ils ne les entendirent : « Il faut absolument que je vous parle! » Les deux hommes, eux, ne s'étaient rendu compte de rien. '

Ensuite tout alla très vite. Poussé, tiraillé par l'infirmier, le jeune homme pénétra dans l'ambulance. Les portière claquèrent, le véhicule démarra, fit demi-tour % dans un champ, et repartit à toute allure dans la direction d'où il était venu.

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CHAPITRE IV

Une lettre

LES ENFANTS restèrent plantés sur la route, regardant s'éloigner l'ambulance. Cela faisait un moment qu'elle, avait disparu, et pas un mot n'avait encore été prononcé par les Trois N en proie à un sourd malaise.

La première, Nathalie rompit le silence. « Vous n'auriez pas dû le laisser emmener!

déclara-t-elle d'une voix altérée par l'émotion.

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— Tu en as de bonnes! répartit son frère. Le moyen, s'il te plaît, de s'opposer à cet infirmier bâti comme une armoire à glace?

— Le chauffeur, lui, était plus poli, mais tout aussi déplaisant, remarqua Noël, De toute façon, nous n'étions pas de taille à lutter!

— D'ailleurs, commenta Nick, leur histoire tenait debout. Je suis prêt à croire que ce type avait la fièvre. Il sera mieux couché dans un lit que sur l'herbe! N'empêche que ses dernières paroles me tracassent.

-— Moi aussi, approuva Noël pensif. Il veut nous parler. Pourquoi?

—? Sûrement parce qu'il court un danger. Sa répugnance à monter dans l'ambulance le prouve.

— Peut-être que les deux hommes étaient des bandits déguisés? » suggéra Nathalie.

Son cousin hocha la tête, l'air peu convaincu.« En tout cas, l'ambulance était authentique. Il

y a d'ailleurs une clinique à quelques kilomètres d'ici : j'ai entendu l'oncle Edouard en parler. Elle s'est installée, il y a peu de temps, dans les bâtiments d'une ancienne ferme.

— Il faudra qu'on se renseigne, déclara Nick, et qu'on essaie d'avoir une entrevue avec le malade.

— Nous ne connaissons même pas son nom!

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fit Noël. D'ailleurs, je doute qu'on nous laisse entrer.

— Une clinique n'est pas une prison!— Sans doute, mais on y permet rarement la

visite des enfants. »Nathalie avait l'air préoccupé. « Je me

demande s'il est un peu... enfin... s'il a vraiment l'esprit dérangé?

— Ce qui est certain, c'est que le chauffeur voulait nous le faire croire, répondit son frère. Avez-vous entendu, quand il nous a dit de ne pas tenir compte des propos du malade?

— Oui : comme s'il craignait qu'il nous ait fait des révélations, opina Noël.

— Quand même, ce jeune homme avait dé drôles de façons! insista la fillette. Par exemple, cette idée de se déguiser en épouvantail! »

Nick leva les yeux au ciel d'un air découragé.« Si tu n'avais pas une cervelle tout juste

grosse comme une noix, tu aurais déjà compris! Imagine un malade se sauvant d'une clinique la nuit. De quoi est-il vêtu?

— D'un pyjama. Ah! j'y suis. Il lui fallait des vêtements pour circuler de jour, alors il a pris ceux de l'épouvantail.

— Ce qui prouve qu'il n'était pas fou! commenta Noël.

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— Bref, tout est clair de ce côté-là, conclut Nick. Ce qui l'est moins, c'est la raison de sa fuite. Les malades n'ont pas pour habitude de

-quitter leur lit pour aller courir la campagne! Croyez-moi, il doit se passer des choses louches dans cette clinique.

— Le mieux, ce serait de se documenter auprès de l'oncle Edouard », proposa Noël.

Plus question de chercher des morilles. Les enfants regagnèrent la villa, et se rendirent auprès de M. Besson, occupé à soigner ses animaux dans la « clinique » au fond du jardin. Le trio fit une entrée tumultueuse dans la grande pièce carrelée de blanc où le vétérinaire gardait quelques pensionnaires à plumes ou à poils.

« Qu'est-ce que c'est que cette invasion de barbares? demanda le grand-oncle avec un sourire indulgent.

— Nous venons admirer ta clinique, et te demander des renseignements sur une autre, appelée La Sapinière, expliqua Nick.

— Ah! Tu veux parler de la clinique privée du docteur Gaubert?

— Exactement. Qu'est-ce que c'est que cet oiseau-là? »

La voix aiguë de Nathalie lança de façon inattendue :

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« Tu vois bien que c'est un perroquet! » Un triple éclat de rire accueillit "cette réponse. Effectivement, Nick se trouvait placé près d'un perchoir où se tenait un vieux perroquet à moitié déplumé : un des « clients » de l'oncle Edouard.

« Je ne vois pas ce qu'il y a de risible dans ce que j'ai dit! protesta Nathalie très vexée.

— Il y a que tu parles à tort et à travers-comme un perroquet! pouffa Nick. Je voulais parler du docteur Gaubert!

— ... et tu en parlais de façon fort impolie, fit M. Besson en le menaçant du doigt. Apprends qu'il s'agit d'un homme très distingué, et d'un vrai savant. Quant à sa clinique, elle a une excellente réputation.

— Ah! bon. »Les Trois N échangèrent des regards étonnés et

presque déçus. Ainsi, La Sapinière n'était pas le repaire de bandits qu'ils avaient, cru! Alors, pourquoi cet appel au secours que leur avait en quelque sorte lancé le pseudo-vagabond?

Cependant leurs questions avaient réussi à piquer la curiosité du grand-oncle.

« Quel est ce nouveau mystère à propos d'une clinique? demanda-t-il.

— Figure-toi, oncle Edouard, expliqua

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Noël, que nous avons rencontré ce matin un malade échappé de La Sapinière : un homme jeune, qui avait la fièvre et qui délirait. Une ambulance est venue, avec deux hommes qui l'ont embarqué de force. Or, ces deux hommes nous ont fait une drôle d'impression.

— Et vous en avez conclu que l'établissement qui les emploie est un endroit peu recommandable? dit M. Besson en souriant. Je reconnais bien là l'imagination fertile de mes petits-neveux!

— Pourtant, protesta Nick, ce malade,..— ... est jeune, dites-vous, et paraissait

n'avoir pas toute sa tête?— C'est un peu ça.— Dans ce cas, réfléchit le vétérinaire, qui sait

s'il ne s'agit pas de cet automobiliste qui a eu un accident près de Volny, il y a quelques jours? J'ai entendu dire qu'il souffrait d'un traumatisme crânien, et qu'on l'avait transporté à La Sapinière.

— Tu as sûrement raison, oncle Edouard! s'écria Noël. Ce choc sur le crâne expliquerait son comportement bizarre.

— Bon, dit le vétérinaire, vous savez maintenant ce que vous vouliez savoir? Dans ce cas, mes enfants, laissez-moi continuer mon travail et allez jouer, voulez-vous? »

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En quittant le laboratoire, les Trois N étaient songeurs, et aucun d'entre eux n'avait envie de s'amuser, comme le leur avait conseillé leur grand-oncle. La température s'étant adoucie, as s'assirent sur un banc du jardin et se livrèrent à des commentaires sur ce qu'ils venaient d'apprendre.

« Cette histoire de traumatisme ne me satisfait pas, dit Nick. D'accord, ça permet de comprendre les propos incohérents du garçon, mais pas sa fuite...

— ... ni ses dernières paroles, appuya Nathalie. Il a un message à nous confier, et ne veut pas que les autres le sachent. Donc...

— Donc, reprit son frère, objectif numéro 1 pour les Trois N : pénétrer dans la clinique envers et contre tout, et recueillir ce message. »

Pour cette expédition, il fut décidé qu'on attendrait l'après-midi. Il y avait certainement des heures fixées pour les visites, et on pourrait toujours faire une tentative de ce côté-là.

Le temps passa lentement au gré des trois « détectives » rongés d'impatience. Sur le coup de midi, l'oncle Edouard revint de sa clinique, et son premier soin fut d'ouvrir son courrier que la tante Rosé avait placé bien en vue près de son couvert. -

« Par exemple! s'écria-t-il. Une lettre de mon

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ami Arthur Fleury! Il y a des siècles que je n'ai entendu parler -de lui!

— Fleury, l'archéologue? questionna Mme Besson.

— Lui-même. Ce brave Arthur! Dire que nous avons usé nos fonds de culotte sur les bancs du même collège, lui et moi, et qu'il est maintenant un homme célèbre dans le monde de la science!

— A quelle occasion t'écrit-il?— Attends que je jette un coup d'œil sur sa

lettre, qui est fort longue. Tiens, tiens! Il vient s'installer à Volny pour quelques jours, et me demande de lui retenir une chambre à l'hôtel.

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— A l'hôtel? Bien sûr que non! Nous avons de quoi le loger à la maison, décida aussitôt la tante Rosé.

— Bon, je vais lui répondre aujourd'hui même en lui transmettant ton offre, accepta l'oncle Edouard. En attendant, je vois qu'il y à de bonnes choses sur cette table : il est temps d'y faire honneur! »

Mais l'un des convives au moins ne prêta qu'une attention distraite à ce qu'il mangeait : Noël, qu'une idée tenaillait depuis que l'oncle Edouard avait mentionné le nom de son ami. C'est avec impatience que le jeune garçon attendit la fin du repas. Alors, il attira ses cousins sur le vieux sofa et les questionna.

« Avez-vous entendu le nom de cet archéologue qui va venir? Arthur Fleuryl

— Eh bien, quoi? répliqua Nick, Qu'est-ce que tu y trouves d'extraordinaire, à ce nom? C'est joli, c'est poétique, ça évoque...

— Fleury, enfin, ça ne te dit rien? coupa Noël.— Rien d'autre que ce que je t'ai dit. Oh! mais

si. Attends...— J'y suis! s'écria Nathalie. L'épouvantail...

enfin, je veux dire... l'homme qui s'était déguisé en épouvantail... a prononcé ce mot : fleuri. J'ai même cru qu'il parlait d'un jardin...

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— Toujours très Imaginative, ma petite sœur! se moqua Nick. Donc, il parlait d'un M. Fleury, et voilà pourquoi il associait ce nom à celui de Besson!

— Ce que je me demande, réfléchit tout haut Noël, c'est le lien qu'il peut y avoir entre ce jeune homme et l'ami de l'oncle Edouard. »

Or, au même moment, "M. Besson terminait la lecture de sa lettre. Il fit signe aux enfants, qui l'entourèrent aussitôt.

« Voilà qui va vous intéresser! dit-il en brandissant la missive.

— Raconte, oncle Edouard! pria Nathalie.— Le mieux, c'est que vous lisiez cette lettre

vous-mêmes, suggéra le vétérinaire. Vous y trouverez sans douté " les réponses aux questions que vous vous posez. »

Nick s'en empara vivement, et le trio alla de nouveau s'installer sur le sofa pour y déchiffrer les pattes de mouche couvrant de nombreux feuillets.

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CHAPITRE V

Le chien Pipo

LA LETTRE de l'archéologue était un vrai roman fleuve, et, en outre, truffée de termes- savants. Aussi, lorsque Noël en eut achevé la lecture à voix haute, Nathalie déclara qu'elle n'y avait rien compris.

« C'est parce que tu es idiote! fit Nick en haussant les épaules. — Quel toupet! s'indigna la petite fille. Si

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tu es tellement plus intelligent que moi, m'expliqueras-tu ce que c'est qu'une « solifluction»?

— Eh bien... euh... bafouilla le jeune garçon embarrassé, c'est un truc... un machin...

— Ha! ha! s'esclaffa Nathalie, je constate que mon génial frère n'a pas mieux compris que son idiote de sœur! »

Noël intervînt avec diplomatie.« J'avoue qu'il y a là-dedans des tas de mots

savants qui ne m'ont pas paru très clairs, à moi non plus. Cependant, si vous voulez, je peux vous résumer l'essentiel de la lettre.

— Bonne idée! approuva sa cousine, cependant que Nick prenait l'air résigné de celui qui sait déjà tout.

— Donc, commença Noët, ce M. Fleury annonce à l'oncle Edouard sa prochaine arrivée à Volny. Il compte être ici après-demain, je crois, et séjourner quelque temps dans le pays. La raison de sa venue? Il explique qu'ayant étudié de vieux manuscrits, il est tombé par hasard sur un texte qui lui fait soupçonner l'existence d'un trésor archéologique tout près d'ici.

— Un trésor! répéta Nathalie en ouvrant de grands yeux.

— Peuh! fit Nick. Tu aurais tort de te monter

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la tête, ma fille. Il ne s'agit sûrement ni d'or ni de bijoux. Un trésor, pour un archéologue, c'est un tas de vieilles pierres, ou une momie toute desséchée, ou encore une molaire ayant appartenu à l'homme des cavernes... »

La fillette, toute déçue, se tourna vers son cousin.

« C'est vrai, ce qu'il dit?— Ma foi, c'est un peu ça! acquiesça Noël en

riant. Mais laissez-moi continuer, ou nous n'en finirons pas. Donc, M. Fleury a l'intention de rechercher ce trésor, dont il ignore l'emplacement exact. Et voici maintenant le plus intéressant : il a déjà envoyé sur place un jeune homme du nom de Hubert Clément, qui est en quelque sorte un apprenti archéologue et qui lui sert de secrétaire. Ce Clément est chargé de prospecter le terrain en attendant la venue de son patron, retenu par un congrès... »

Nick fit un bond et s'écria :« Le malade de la clinique, pardi!— Evident! acquiesça Noël.— E.st-ce que M. Fleury sait que son

secrétaire a eu un accident de voiture, questionna Nathalie, et qu'il souffre d'un trau... d'un trau...

— ... matisme, acheva-son .cousin. Il semble

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que non : sa lettre n'en parle pas. Et même, il annonce à l'oncle Edouard la visite d'Hubert Clément.

— Visite qu'il n'a pas pu faire... et pour cause! commenta Nick. Pourtant, je suis prêt à parier qu'il s'est échappé de la clinique parce qu'il avait quelque chose à confier à son patron. Ou, à défaut, à l'ami de celui-ci, M. Besson.

— L'oncle Edouard aurait été bien étonné, remarqua Nathalie, si ce M. Clément s'était présenté à lui dans un vieux costume lui appartenant, et avec ce canotier ridicule! »

Nick, tout à son idée, la fit taire et poursuivit :« Cette visite qu'il voulait faire, c'est nous qui

la lui ferons, et le plus vite possible.— Je t'ai déjà objecté..., commença Noël.— Oui, je sais. Pour les si et les mais, mon

cher cousin est toujours un peu là! Seulement, j'ai mon idée. »

Sans plus d'explications, il s'approcha de M. Besson qui fumait tranquillement sa pipe en parcourant le journal.

« Dis, oncle Edouard, tu as bien l'intention d'aller voir ce malade, n'est-ce pas?

— Quel malade? demanda le lecteur. Ah! Ce jeune archéologue? Eh bien oui, je pense qu'une visite s'impose. Mais j'ai comme une

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idée que le sort de ce garçon intéresse au plus haut point mes petits-neveux. Est-ce que je me trompe?

— Non, oncle Edouard, dirent les Trois N d'une seule voix.

— Et vous alliez proposer de m'accompagner... par pur esprit de charité, naturellement! D'accord. J'accepte de vous y emmener, mais laissez-moi le temps d'achever ma pipe et mon journal. »

Les enfants échangèrent un regard de triomphe.

Un peu plus tard, le trio prenait place dans l'automobile du vétérinaire, qui s'engagea sur la petite route si souvent parcourue depuis la veille.

En approchant du champ de l'épouvantai!, trois têtes se tournèrent dans la même direction, et un « Oh! » de surprise jaillit des trois bouches : le vieux bonhomme de bois n'avait plus d'habit.

Ainsi dépouillé, il avait l'air si minable que Nathalie en fut consternée.

« Quel dommage! » soupira-t-elle.Il lui semblait qu'elle avait perdu un ami.« Oncle Edouard, pria Noël, pourrais-tu

t'arrêter un instant?— Bien volontiers. »Le jeune garçon venait d'apercevoir un petit tas

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de vêtements négligemment jetés par terre : le costume de toile et le canotier.

« Venez, invita-t-il : on va le rhabiller. »Ses cousins ne se le firent pas dire deux fois.Pendant l'opération, menée en un temps record,

Noël expliqua :« Le chauffeur et l'infirmier auront voulu

récupérer le pyjama. Ils ont donc déshabillé l'épouvantail, mais ne se sont pas donné la peine de le rhabiller.

— Ce n'est vraiment pas chic de leur part! » déclara Nathalie.

On repartit. Un kilomètre plus loin, la voiture tourna sur la droite, dans un petit chemin qui aboutissait à la clinique. Celle-ci était un vaste bâtiment aux murs épais et solides : une ancienne ferme, comme l'avait dit Noël, mais modernisée à grand renfort de crépi et de peinture, Tout autour s'étendait un parc fermé par une grille, à travers laquelle on apercevait des pelouses bien tondues parsemées de massifs de fleurs. Derrière le bâtiment, s'élevait le bois de sapins qui avait donné son nom au domaine.

Par le portail ouvert, l'automobile s'engagea sur une allée de graviers. Au passage, un homme en costume bleu marine à boutons dorés et casquette galonnée, qui se tenait sur

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le seuil d'un petit pavillon, fit un grand salut au vétérinaire.

« C'est Hector Louvet, le concierge, expliqua l'oncle Edouard; Chacun sait dans le pays qu'il n'a pas inventé le fil à couper le beurre! Il a été longtemps valet dans l'ancienne ferme. Quand elle a été transformée en clinique par le docteur Gaubert, celui-ci n'a pas voulu chasser le pauvre homme. Aussi lui a-t-il donné ce poste, et ce brave Hector n'est pas peu fier de son bel uniforme! »

La voiture rangée dans le parking spécialement aménagé pour les visiteurs, M. Besson et

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ses petits-neveux gravirent les marches d'un perron, et, par une porte vitrée, pénétrèrent dans un hall. Une employée se tenait assise derrière une table où un panneau indiquait : Renseignements.

« Je désire rendre visite à un malade nommé Hubert Clément, expliqua le vétérinaire. Pouvez-vous me dire le numéro de sa chambre? »

L'employée, qui avait un nez pointu chaussé de grosses lunettes, consulta un fichier, puis répondit :

« Les visites à ce malade sont interdites : ordre du médecin.

— Je suis M. Besson, le vétérinaire, plaida l'oncle Edouard, et je connais personnellement le docteur Gaubert. Peut-être me permettrait-il...

— Aucune exception n'est admise », coupa sèchement l'employée.

Puis elle se replongea dans ses fiches, sans plus prêter attention aux visiteurs. Ceux-ci se retirèrent, horriblement désappointés en ce qui concernait les Trois N. Quand ils furent de nouveau dans le jardin, ce fut un concert de protestations :

« Quel accueil charmant! s'écria Noël.—Un vrai dragon! appuya sa cousine.— Il n'y a vraiment pas moyen de contacter

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le docteur sans passer par Intermédiaire de ce cerbère? » insista Nlck.

M. Besson secoua la tête.« Peut-être, mais je n'en ferai rien. Hubert

Clément est sans doute très fatigué à la suite de son escapade, d'où cette interdiction.

— Le pauvre! compatit Nathalie.— Je téléphonerai demain pour avoir de ses

nouvelles », promit l'oncle Edouard.Mais cela ne consola pas les trois enfants, qui

faisaient grise mine en remontant dans l'auto.Comme celle-ci franchissait à nouveau le

portail, un homme, avec de grands gestes, fit signe au conducteur de stopper : c'était Hector Louvet. L'oncle Edouard freina, se pencha par la portière et demanda :

« Que se passe-t-il?— C'est pour le chien Pipo, expliqua

hâtivement le concierge, qui roulait des yeux affolés sous sa belle casquette galonnée. Je ne sais pas ce qui lui prend— il étouffe! »

Déjà le vétérinaire avait sauté hors de la voiture et ordonnait :

« Montrez-le-moi! »Louvet l'entraîna vers une niche située derrière

le pavillon où il logeait. Bien entendu, les Trois N suivirent, dévorés de curiosité. Un

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spectacle assez lamentable les attendait : couché sur le flanc, un vieux chien de berger haletait péniblement. De temps à autre un gémissement lui échappait, et il levait vers le concierge un regard suppliant. Tandis que M, Besson s'agenouillait près de la pauvre bête et l'examinait, Hector expliqua :

« C'est le chien de feu mon maître, que j'ai recueilli à sa mort. Il a bien quinze ou seize ans maintenant, je ne sais plus. »

Cependant, le vétérinaire, ayant retroussé sa manche, introduisait sa main dans la gueule du chien. Et brusquement, il poussa une exclamation de triomphe en brandissant quelque chose.

« Voilà le responsable, dit-il. C'est un morceau d'os qui s'était coincé dans le gosier. Le pauvre Pipo est presque édenté à force de vieillesse : il faudra éviter désormais de lui donner des aliments trop durs. »

Déjà le chien se remettait sur ses pattes. Coupant court aux marques de gratitude d'Hector, l'oncle Edouard lui demanda de quoi se laver les mains. Le concierge le fit entrer dans sa loge, qui était petite et encombrée, puis lui amena une cuvette d'eau tiède et une serviette.

« Vous avez sauvé le chien de mon maître :

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grand merci, monsieur Besson », ne cessait-il de répéter.

Quelques minutes plus tard, après avoir pris congé du brave homme qui agita longuement la main dans leur direction, les trois enfants et leur grand-oncle remontèrent en automobile.

« Et voilà : une visite manquée! » commenta Noël.

Ce n'était pas l'avis de Nick, qui arborait un large sourire.

« Penses-tu! dit-il à mi-voix. Un coup pour rien, d'accord! Mais fais-moi confiance : il y aura une suite! »

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CHAPITRE VI

L'entrée de service

EN ATTENDANT cette suite promise par Nick, les Trois N jugèrent utile de se renseigner sur La Sapinière. Aussi, pendant le trajet de retour, le grand-oncle fut-il bombardé de questions.

A qui appartenait la ferme avant sa transformation en clinique? demanda Noël.

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— Mais, voyons, intervint Nathalie; tu as entendu aussi bien que moi! Le propriétaire s'appelait M. Feu... un drôle de nom, d'ailleurs!

— Quoi! Qu'est-ce que tu chantes là ! » s'exclama Nick ahuri.

Un peu décontenancée, la fillette expliqua : « Tout à l'heure, le concierge, en parlant de

Pipo, a dit : « le chien de f eu .mon maître. »Tu vois bien!— Ce que je sais, c'est que tu n'en rates pas

une, de bêtise! » répondit Nick entre deux éclats de rire.

Noël lui-même se retenait de pouffer. Seul, l'oncle Edouard réussit à garder son sérieux pour expliquer à Nathalie mortifiée :

« Feu est un vieux mot qui signifie « décédé ». En réalité ce fermier s'appelait Alphonse Pichon. C'était un vieil homme solitaire, sans femme ni enfants, qui gérait son domaine avec l'aide d'un unique valet.

— Hector Louvet?— Lui-même. Sur la fin de sa vie, Pichon a

renoncé au travail de la terre, devenu trop dur pour lui. Il s'est contenté de cultiver son jardin et d'élever quelques poules et quelques lapins. Mais il a gardé son fidèle Hector, qui l'a servi jusqu'au bout.

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— Et le docteur Gaubert, dans tout ça? interrogea Nick.

— J'y arrive. Ce médecin cherchait à faire construire Une clinique de plein air. La ferme de Pichon lui a plu : il a réussi à la lui acheter en viager.

— Viager! Qu'est-ce que ça veut dire? questionna Nathalie.

— Que le docteur Gaubert payait une pension au vieux fermier, moyennant quoi, à la mort de celui-ci, la ferme lui appartiendrait. Mais j'ai entendu dire que Pichon avait cédé seulement les bâtiments et le terrain qui l'entoure... ce qui constitue l'actuelle clinique et son parc.

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— Et le reste des terres? s'enquit Noël.— J'ignore à qui elles ont été attribuées. Sans

doute aux héritiers du vieux fermier... s'il en existe.»

On arrivait à la villa. Le vétérinaire rentra sa voiture au garage, puis se rendit à son cabinet de consultation.

Demeurés entre eux, les Trois N se concertèrent.

« On saute sur nos vélos et on retourne là-bas! invita Nick.

— Tu comptes réussir à forcer la porte de la clinique? demanda son cousin.

— Pas tout de suite. Je voudrais d'abord interroger le concierge. Il ne pourra rien nous refuser, maintenant que l'oncle Edouard a sauvé son chien.

— Hum! Je doute qu'il nous soit d'un grand secours! Il ne paraît pas déborder d'intelligence...

— ... lui non plus! » acheva Nick en regardant sa sœur avec malice.

A sa grande surprise, celle-ci ne réagit pas.« De toute façon, poursuivit le jeune garçon,

l'intelligence n'a rien à voir là-dedans. Il connaît les lieux à fond, c'est ce qui m'intéresse.

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— D'accord pour cette expédition, dit Noël. Mais je refuse de l'entreprendre tout de suite. Attendons au moins que le jour baisse. »

Nathalie se rangea immédiatement à l'avis de son cousin, si bien que Nick dut céder à un contre deux. Sa patience, qui était courte, fut mise à rude épreuve. Vers les six heures il n'y tint plus.

« II fait assez sombre, maintenant! assura-t-il. En route! »

Les Trois N enfourchèrent leurs vélos, et pédalèrent allègrement sur le chemin de La Sapinière. Arrivés à proximité de la clinique, ils cachèrent leurs engins dans un fourré. Puis ils gagnèrent à pied le pavillon du concierge. Ce dernier était chez lui, en train de manger en compagnie de Pipo — lequel paraissait tout à fait en forme.

« Bonjour, monsieur. Je pense que vous nous reconnaissez? dit Noël. Nous sommes venus tout à l'heure avec notre oncle, M. Besson.

— Bien sûr! acquiesça Hector Louvet. Je n'oublie pas les services rendus, moi! Sans lui, mon pauvre cabot...

— Nous l'avions accompagné pour rendre visite à un malade, coupa Nick. Hubert Clément, vous connaissez?

Ils alignèrent à pied le pavillon du concierge,»

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— Euh, non! répondit le concierge, fronçant les sourcils dans un grand effort de réflexion.

— Un jeune homme qui a été victime d'un accident d'auto! insista Noël.

— Ah! j'y suis! s'écria l'ex-valet de ferme. Celui qui a reçu un coup sur le crâne, et qui s'est sauvé cette nuit?

— Justement. Savez-vous où on l'a mis?— Bien sûr, que je le sais! Les malades un peu

agités, on leur donne la chambre numéro 15, celle qui a des barreaux devant la fenêtre. Elle est au premier étage.

— Mais ce jeune homme n'est pas un agité! protesta Nathalie. S'il s'est sauvé, c'est que... »

Elle se tut, car son frère venait de lui écraser les orteils en signe d'avertissement. Changeant aussitôt de sujet, le jeune garçon remarqua :

« Vous habitez une bien belle clinique! Je suppose que vous en connaissez tous les recoins?

— Et comment! se rengorgea l'homme. J'y étais déjà au temps où c'était la ferme à M. Pichon! »

Nick fit un clin d'œil à son cousin, qui entra aussitôt dans le jeu. A l'aide de questions habiles, auxquelles l'ex-valet répondit complaisamment, les Trois N réussirent à se

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faire une idée exacte de la configuration des lieux.

Le parc, tout d'abord : celui-ci n'était entouré d'une grille que sur trois côtés, le quatrième étant occupé par le petit bois. Donc, pour y entrer ou pour en sortir, pas de problème.

Quant à la maison, elle possédait deux issues : la grande porte empruntée par les visiteurs, et, à l'opposé, l'entrée des fournisseurs donnant sur les cuisines. L'une et l'autre étaient fermées après neuf heures du soir.

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Satisfaits des renseignements qu'ils venaient de glaner, les enfants prirent congé d'Hector Louvet. Une fois dehors, Nick, promu chef de file, entraîna les deux autres le long de la grille, de façon à atteindre le bois de sapins. Comme sa sœur traînait en arrière, il l'apostropha vivement.

« Dépêche-toi, Nathalie!— J'avancerais plus vite, si je n'avais pas si

mal à un pied! riposta la fillette. Quand tu marches sur les orteils de quelqu'un, toi, alors, tu n'y vas pas de main morte!

— De pied mort! rectifia Nick. D'ailleurs, si je t'ai écrasé le pied, c'est pour t'éviter de faire une gaffe... une de plus!

— Méchant, va!— Chut! intervint Noël. On va finir par vous

entendre de la clinique! »Le frère et la sœur, un peu confus, se turent

aussitôt.Les Trois N avaient maintenant atteint le petit

bois. Tournant à angle droit, ils marchèrent sous les sapins. Il y faisait sombre, et Nathalie, craintive, alla , prendre la main de son cousin.

Après quelques dizaines de mètres, Nick s'arrêta brusquement.

« Voici l'entrée de service, chuchota-t-il.

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C'est par là que je vais essayer de pénétrer dans la place.

Sur la face arrière du bâtiment, on distinguait en effet une petite porte fermée.

« C'est imprudent! estima Noël. A cette heure-ci, il y a sûrement beaucoup de monde dans les cuisines : regarde toutes ces fenêtres éclairées!

— Eh bien, justement! Je passerai plus facilement inaperçu.

— N'y va pas, Nick », pria Nathalie, toute rancune envolée.

Rien n'y fit : le jeune garçon resta inébranlable dans sa décision. Il recommanda aux deux autres de l'attendre à cet. endroit, se glissa entre les sapins, franchit en courant la zone sans arbres qui séparait le bois de la maison, et s'arrêta enfin devant la petite porte. Il attendit quelques secondes, puis tourna lentement la poignée. Noël et Nathalie le virent s'engouffrer à l'intérieur de la clinique, et peu après la porte se referma derrière lui.

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CHAPITRE VII

Chambre 15

NICK se trouvait dans un étroit couloir faiblement éclairé. Par contre, de la lumière filtrait au-dessus d'une porte donnant sur une pièce dans laquelle .on faisait grand bruit. De plus, il en sortait d'alléchantes odeurs.

« La cuisine », supposa le jeune garçon. Il avança sur la pointe des pieds, mais à

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peine avait-il dépassé cette porte qu'elle s'ouvrit.

Quelqu'un allait sortir!Nick chercha un endroit où se dissimuler. Une

autre porte faisait suite : il tourna une clef, et trouva... un placard si rempli de vaisselle, qu'un chat n'aurait pu s'y loger.

« Vite, une autre issue! »C'est grâce à la lumière provenant de la

cuisine, dont la porte était maintenant grande ouverte, que Nick en découvrit une autre sur la cloison opposée. Un simple loquet à soulever, et la cachette idéale se présenta à lui : c'était une resserre, dans laquelle des quantités de provisions étaient rangées sur des étagères. Comme il venait d'y pénétrer, il vit sortir de la cuisine une employée traînant une table roulante couverte de mets. Par chance, elle marchait à reculons, et ne se retourna qu'une fois la table engagée dan» le couloir. Mais déjà le jeune garçon se trouvait en sécurité.

« Cette femme va porter les repas aux malades, pensa-t-il. Dès qu'elle aura pris de l'avance, je sortirai de là. »

Ce qu'il fit au bout d'une minute à peine. Un coup d'œil circonspect sur le couloir lui apprit qu'il était de nouveau désert. Nick le

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parcourut rapidement, et déboucha, par une porte battante, sur un palier au milieu duquel se trouvait une cage d'ascenseur. A côté s'amorçait un escalier.

Il nota que la cabine de l'ascenseur était en train de monter : l'employée et sa table, sans doute. Alors il emprunta l'escalier, aux marches recouvertes d'un tapis : parfait pour étouffer le bruit de ses pas!

Arrivé au premier étage, il dut se plaquer contre le mur : la femme sortait de l'ascenseur en tirant la table. L'opération terminée, elle se dirigea vers une porté marquée d'un 7, et disparut dans une chambre. Alors Nick prit à tout hasard le couloir de gauche, examinant chaque porte, et parvint ainsi au numéro 10. Ensuite, plus rien : il avait choisi le mauvais côté!

« C'est bien ma chance! » maugréa-t-il.Il dut attendre, avant de repartir en sens

inverse, que l'employée eût quitté la chambre 7 pour pénétrer dans la 8. Alors Nick fonça de l'autre côté du couloir, qu'il longea hâtivement. A première vue, pas de chambre 15! Pourtant, Hector avait dit « au premier étage »!

Que faire? Dans sa perplexité, Nick ne vit pas s'ouvrir la porte de la chambre 14... et se

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trouva nez à nez avec un malade en robe de chambre, qui lui jeta un regard surpris. Brusquement, le garçon se décida.

« S'il vous plaît, monsieur, la chambre 15?— La chambre 15? répéta l'homme. Ah! oui.

C'est celle qui est dans le renfoncement au bout du couloir, »

Nick remercia, et courut à l'endroit indiqué. Pas étonnant s'il n'avait rien vu! Au fond d'une sorte de niche obscure, il y avait une porte sur laquelle était peint le numéro 15. Pour l'ouvrir, il dut tourner une clef. Après la première porte, une seconde, celle-là capitonnée et munie d'un verrou. Et le jeune garçon se trouva brusquement plongé dans l'atmosphère moite d'une chambre de malade. Aucune lampe n'était allumée, et c'est à peine si l'arrivant distingua une silhouette allongée dans un lit.

« Monsieur! chuchota-t-il.— Hein! Qui est là? » fit l'homme en

sursautant.Ouf! Cette voix parut familière au jeune

garçon.« C'est moi, Nicolas Renaud, souffla-t-il.

Vous savez? On s'est déjà rencontrés ce matin... et il y avait aussi ma sœur et mon cousin.

Ah! oui, les trois enfants? »

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— Le ton du jeune homme exprimait le soulagement.

« Ainsi, vous avez pu me retrouver? Je n'y comptais guère. Ils m'ont enfermé ici, et c'est comme si j'étais en prison.

— Qui, i7s?— Les deux hommes qui m'ont rattrapé ce

matin. Les mêmes qui... mais il faut d'abord que je vous' explique...

— Cela ne vous fatiguera pas trop?— Oh! vous savez, je vais déjà bien mieux!— Alors, pourquoi interdit-on les visites?— Ils ont intérêt à ce que je ne parle à

personne. Mon escapade a fourni un excellent

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prétexte pour me boucler. Maintenant, je vous en prie, écoutez-moi! »

Alors commença un long récit, que Nick enregistra dans les moindres détails :

Hubert Clément, envoyé à Volny par son patron, avait donc été victime d'un accident avant même d'y parvenir : un pneu éclaté, puis la rencontre brutale avec un arbre... Des villageois, le trouvant inanimé au milieu des débris de sa voiture, le transportèrent à La Sapinière. Malheureusement, la clinique était au complet. Ne pouvant le renvoyer dans cet état, l'économe lui avait fait préparer un lit dans une salle du dernier étage, qui servait habituellement de débarras. C'est là qu'au cours de la nuit précédente, le blessé était pour la première fois sorti de l'inconscience. Ce qu'il vit alors lui fit croire que son délire persistait : deux hommes rôdaient dans la pièce, examinant à la lueur d'une lampe de poche les vieux meubles qui l'encombraient.

Or Hubert ne rêvait pas : il s'agissait bien de deux individus en chair et en os, lesquels, ignorant sans doute sa présence, parlaient entre eux sans se gêner, bien qu'à voix basse.

« Ce maudit papier n'a pas,.l'air d'être ici! dit l'un des deux, une espèce de colosse.

— Pourtant, quand j'ai tiré les vers du nez à ce

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pauvre Hector, répondit son compagnon, qui était petit et maigre, il m'a affirmé que le testament avait dû être écrit.

— Seulement, voilà! Il ne l'a jamais retrouvé..., et nous pas davantage!

— Le vieux l'aura caché soigneusement avant de mourir.

— Pourquoi ici plutôt qu'ailleurs?— Mon pauvre Gaston, ce que tu peux être

bouché! Les vieilleries provenant de l'ancienne ferme n'ont pas été encore jetées : tout a été rassemblé dans les combles, en particulier dans cette pièce. Tu comprends, maintenant?

— Oui, Raoul. Mais à force de chercher sans rien trouver, je commence à ne plus y croire!

— Moi» je suis sûr qu'on y arrivera. Seulement, le temps presse! Arthur Fleury, l'archéologue, arrivera sous peu dans le pays. Nous devons à tout prix le devancer. »

Ensuite, le silence régna, car les deux compères se livraient activement à leurs fouilles : ils ouvraient des tiroirs, soulevaient des planches, glissaient les mains dans des rainures... en vain, semblait-il,

« Voyons le lit! dit soudain le plus petit. Les sommiers constituent d'excellentes cachettes. »

Plus mort que vif, le blessé les entendit

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venir. Alors il se hâta de feindre le sommeil. Mais quand une lourde main se posa sur lui, il ne put s'empêcher de sursauter.

Le dénommé Gaston laissa échapper un juron.« II y a quelqu'un de couché dans ce lit, dit-il.

Il ne dort pas. Donc, il a tout entendu.— Pas sûr, répliqua son compagnon. Il

paraît plutôt mal en point!— Tout de même, il faut faire quelque chose

pour l'empêcher de jaser, au cas où...— Tu as raison : on s'en occupera dès demain

matin. Maintenant, filons!

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— Et voilà! conclut le malade. Cette conversation m'avait appris une chose : d'une façon que je ne m'explique pas encore, ces deux individus cherchent à contrecarrer les projets de mon patron. Il faut absolument les en empêcher. »

Le blessé avait presque crié ces dernières paroles. Ensuite il se tut, apparemment épuisé.

Il reprit au bout d'un moment : « C'est cette idée qui m'a poussé à fuir : je devais sans tarder avertir M. Fleury. Ou du moins, s'il n'était pas encore venu, entrer en relations avec son ami, M. Besson. J'ai attendu l'aube pour me glisser dans les couloirs de la clinique, et j'en suis sorti grâce à une fenêtre du rez-de-chaussée laissée ouverte. J'ai marché un peu au hasard, et, dans un champ; m'est apparu un épouvantail : il m'a fourni des vêtements plus décents qu'un pyjama. J'ai continué à errer, cherchant à gagner le village. Mais un malaise m'a pris, j'ai dû m'étendre par terre, et... la suite, vous la connaissez. »

Une nouvelle pause, puis le blessé murmura :« Je compte sur vous pour mettre en garde M.

Fleury. C'est le type même du savant qui vit dans les nuages. Il est si bon, si naïf... aidez-le, je vous en prie!

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— Promis! » dit gravement Nick.Soudain, il y eut un bruit de pas dans le

couloir.« On vient! jeta le malade. Vite, cachez-

vous!»« C'est sûrement la femme qui apporte le

repas », pensa le jeune garçon tout en se glissant sous le lit.

Mais ce n'était pas elle. La première porte fut brutalement plaquée contre le mur, puis la seconde, quelqu'un fit irruption dans la chambre, et presque aussitôt la lumière inonda la pièce. De sa cachette, Nick aperçut deux grands pieds surmontés d'un pantalon : un homme!

Alors il sut, sans doute possible, qu'il s'agissait de Gaston, l'infirmier.

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CHAPITRE VIII

Le chariot

NICK eut immédiatement confirmation de ses soupçons, car une voix forte, qu'il reconnut trop bien, éclata dans le silence :

« Qui est entré dans cette chambre et n'a pas refermé les portes à clef en ressortant? » vociféra l'arrivant.

L'infirmier — car c'était lui — ajouta d'un

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ton plus calme : « Je parie que c'est cette écervelée d'Anna, quand elle est venue apporter le repas! »

« Ouf! pensa Nick. Du moment qu'il croit tenir la responsable, il ne cherchera pas plus loin. »

Hélas! Son soulagement fut de courte durée, car peu de temps après on frappa à la porte... et la serveuse fit son entrée avec la table roulante. A vrai dire, le jeune garçon ne vit que les roues de la table, et les pieds d'Anna. Mais cela lui suffit pour comprendre que c'en était fini de sa relative sécurité. L'infirmier, cherchant qui avait ouvert les portes, penserait à un visiteur venu de l'extérieur... et ne tarderait pas à le découvrir.

Effectivement l'homme, après un temps de réflexion, s'écria :

« Il y a quelqu'un dans cette chambre ! » et il se mit à fureter un peu partout, en commençant par le placard. Ensuite il revint vers le lit, et se baissa pour regarder dessous.

Fort heureusement Nick ne l'avait pas attendu : il avait rampé pour s'en extraire, et, toujours courbé, opérait maintenant un mouvement tournant destiné à le rapprocher de l'entrée. Or la serveuse n'avait pas refermé les portes, ce qui donnait une chance au jeune

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garçon. De plus, la table roulante formait partiellement écran entre lui et l'infirmier, occupé en ce moment à se remettre sur pieds : opération pénible qui lui arracha des grognements.

Mais derrière la table il y avait Anna, restée plantée en cet endroit pour observer la scène dont le sens devait lui échapper. Nick décida de jouer son va-tout. Penché en avant, il prit son élan et franchit en un éclair la distance qui le séparait de la première porte.

Un cri jaillit, poussé par Anna :« Quelqu'un vient de sortir! »« Catastrophe! » pensa Nick en accélérant son

allure. « J'en étais sûr! aboya l'infirmier. Laissez-moi

passer, vous! »Il y eut un nouveau cri de la part de la

serveuse, qu'il avait dû bousculer, puis un bruit de vaisselle brisée : la table roulante avait mal résisté à l'assaut! Mieux : un chapelet d'imprécations fit comprendre au fugitif que l'homme pataugeait dans les sauces renversées.

« Bonne affaire, se dit Nick en riant intérieurement. C'est autant de gagné pour moi! »

En effet, il put franchir la seconde porte, puis suivre le couloir jusqu'au palier, sans

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apercevoir derrière lui la massive silhouette de l'adversaire.

Mais il se trouvait devant un dilemme : quelle voie emprunter? Naturellement, il aurait eu intérêt à redescendre l'escalier pour tenter de gagner la sortie. Or il jugea la chose impossible, car juste à ce moment, quelqu'un en gravissait les marches. Restait l'autre partie du couloir, ou l'escalier vers le haut. Le couloir, il le savait, aboutissait à une impasse. Alors il choisit l'escalier.

Mais les précieuses secondes qu'il avait perdues à hésiter, l'adversaire les avait mises à profit : il apparut comme Nick se trouvait à mi-étage, et grimpa aussitôt à sa suite.

Arrivé au palier supérieur, le jeune garçon, vit un autre couloir, et le prit à tout hasard sur la gauche. Des chambres, encore des chambres...

Ah! Voilà qui était nouveau : une porte sans numéro, mais avec une inscription :

« Salle de pansements », lut-il.Il l'ouvrit sans difficulté, entra, puis referma et

s'adossa au chambranle pour reprendre son souffle. En même temps il examinait son refuge, cherchant avec des yeux affolés quelque recoin où se blottir : rien! Il n'y avait, dans cette pièce, que des vitrines bourrées de flacons et d'instruments à usage

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médical. Or, déjà le pas de son poursuivant résonnait sur le palier, hésitait, repartait — ô joie! — dans la partie opposée du couloir.

Vite! Il fallait profiter de ce sursis. C'est alors qu'à la faible lumière qui régnait dans la salle, Nick posa les yeux sur une sorte de long chariot recouvert de moleskine et monté sur quatre roues caoutchoutées. Un drap plié était posé sur la tablette horizontale.

« Ce truc doit servir à transporter les malades», pensa-t-il.

A ce moment il y eut un choc de hauts talons sur le carrelage du couloir, accompagné d'un bruit de voix féminines. Les pas s'arrêtèrent devant la porte de la salle de pansements.

« Plus une seconde à perdre! » se dit Nick.Saisi d'une inspiration, il se glissa sous le

chariot, et, arc-boutant ses pieds et ses mains contre les montants, se plaqua sous la couchette.

« Comme position confortable, on fait mieux!» pensa-t-il.

Mais il n'avait pas le choix. L'essentiel était de passer inaperçu. Pour cela, en se contorsionnant, il réussit à- défaire le drap pour en faire retomber les pans sur les côtés.

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Il était grand temps! Deux femmes arrivèrent — deux infirmières, jugea Nick — et firent de la lumière. Optimiste, le jeune garçon supposa : « Elles viennent seulement chercher un objet. Si je ne bouge pas, elles repartiront sans me voir. »

Il ne se trompait pas. Mais l'objet que venaient prendre les arrivantes n'était ni un flacon, ni une bande de gaze.

« Ce chariot fera l'affaire, dit l'une d'elles. C'est pour le malade du 4. Le docteur veut qu'on le lui amène à la salle d'opérations pour un examen.

— Si tard que ça? s'étonna l'autre.— Que veux-tu! Ses journées sont très

chargées, en ce moment. »Tout en parlant, les infirmières avaient mis le

chariot en mouvement. L'une poussant, l'autre tirant, elles le firent sortir de la salle de pansements, éteignirent, refermèrent la porte.

Nick, atterré, se plaqua davantage encore contre la couchette, regrettant de ne pas être aussi plat qu'une sole... et aussi léger qu'une plume! Les deux femmes n'allaient-elles pas s'apercevoir de ce fardeau supplémentaire? Justement la première remarqua :

« Il est bien lourd, ce chariot!— C'est vrai : les roues doivent avoir

besoin d'être graissées, répondit la deuxième.

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— Et ce drap qui est tout défait...! Tu m'aides à le replier?

— Rien ne presse : nous le ferons en arrivant. Ecoute plutôt... »

Un flot de paroles suivit : apparemment, les deux infirmières avaient des tas de choses passionnantes à se raconter, et c'est ce qui Valut à Nick de ne pas être découvert. Malgré tout, sa situation n'avait rien d'enviable : ses muscles raidis étaient menacés de crampe. Tiendrait-il encore longtemps? Il frémit en pensant à ce qui se passerait s'il lâchait prise.

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Gaston se trouvait sûrement dans les parages! A cette idée, il fit appel à toute son énergie pour mieux se cramponner.

De toute façon, il lui faudrait bien sortir de là-dessous à un moment ou à un autre, et comment le faire sans attirer l'attention? Il décida d'attendre — si possible — l'instant où les infirmières feraient passer le malade de son lit dans le chariot.

Soudain, il nota que le véhicule avait stoppé sur le palier. Puis il comprit que ses convoyeuses appelaient l'ascenseur pour descendre à la chambre 4. Ouf! La délivrance était proche.

Mais, comme la cabine venait d'arriver, un pas lourd se fit à nouveau entendre... et l'infirmier s'approcha, si près que Nick aurait pu le toucher.

« Vous n'avez pas vu quelqu'un qui fuyait? demanda-t-il.

— Non, répondit l'une des femmes. Est-ce qu'il s'agit encore du malade de la nuit dernière? »

L'homme marmotta une réponse inaudible et s'éloigna. Une onde de soulagement submergea Nick. Elle fut de courte durée. Le chariot avait déjà deux roues dans la cabine, quand une sorte de rugissement retentit :

« Arrêtez! Je le vois : il est caché là-dessous! »

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Dans le brouhaha qui suivit, Nick perçut les exclamations de surprise des infirmières, les ordres jetés par Gaston :

« Otez-vous de là! Laissez-moi l'attraper! »Le jeune garçon, affolé, réagit avec rapidité.

Tandis que l'homme se saisissait du chariot et le tirait en arrière, il opéra un mouvement inverse qui l'amena au niveau de la cabine. Alors il se laissa tomber sur le plancher de celle-ci.

Tandis que la porte se refermait automatiquement devant Nick, un réflexe lui fit appuyer sur le bouton marqué « R.C. » : rez-de-chaussée. L'ascenseur se mit en mouvement, et son passager entendit des vociférations, suivies d'une cavalcade de pas : Gaston et les infirmières tentaient de le rejoindre en empruntant l'escalier.

« Plus vite! Plus vite! » murmura le jeune garçon en trépignant, comme si l'ascenseur avait pu l'entendre et lui obéir.

Bien que la descente lui parût d'une mortelle lenteur, Nick arriva pourtant en bas bon premier. Il entendait encore, bien au-dessus de lui, les pas qui ébranlaient les marches.

Il jaillit hors de la cabine et se rua sur la

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porte battante. Par chance, le couloir desservant les cuisines était désert. Et bientôt le fugitif franchissait le seuil de l'entrée des fournisseurs et se retrouvait dehors.

Il était libre!Enfin, provisoirement, car l'infirmier pouvait

surgir d'un instant à l'autre. Aussi le jeune garçon prit-il sa course en direction du bois de sapins plongé dans l'obscurité. Arrive sous le couvert, il émit un petit sifflement : un sifflement identique lui répondit, et deux ombres sortirent de derrière un arbre.

« Alors? questionna Noël.— Tu as pu le voir? dit Nathalie.— Tout à l'heure,..! balbutia Nick, Sauvons-

nous vite! »Sans plus de questions, les deux autres

détalèrent à sa suite.Tandis qu'ils contournaient le parc de la

clinique, les trois enfants ne firent aucune rencontre fâcheuse. Ils retrouvèrent leurs bicyclettes, et, sans allumer leurs lanternes, se mirent à pédaler de toutes leurs forces en direction de ce havre de sécurité que représentait pour eux la villa de l'oncle Edouard.

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CHAPITRE IX

Le trio enquête

UN GRAVE conciliabule se tenait, le lendemain matin, dans la maisonnette au fond du jardin où les Trois N avaient leur salle de jeux. Nick, le héros de l'aventure de la veille, avait été chaudement félicité par les deux autres pour son esprit d'initiative et son sang-froid.

« Le fait est, dit-il en essayant de prendre un

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air modeste, que le bilan de cette visite clandestine à la clinique est tout à fait positif. D'abord, l'énigme de l'épouvantai! se trouve complètement résolue...

— En effet, approuva Noël.— En plus, nous avons appris que deux

hommes, Gaston et Raoul, veulent damer le pion à M. Fleury.

— Encore vrai. Et tu penses, comme moi, qu'ils sont à la recherche...

— ... du trésor, oui. ils comptent s'en emparer avant l'archéologue. Tout ça, c'est l'évidence même.

— Alors, intervint Nathalie, tu crois que l'infirmier et le chauffeur s'intéressent .aux vieilles pierres, aux momies, aux...

— Bien sûr que non! réfuta Nick en haussant les épaules. Ces hommes n'ont qu'une envie : remplir leurs poches...- et certainement avec autre chose que des cailloux!

— Pourtant, tu m'as dit qu'un trésor archéologique...

— J'ai dit ça... comme j'aurais dit autre chose, pour t'empêcher de rêver. Mais, dans ce cas particulier, je suis prêt à parier qu'il s'agit d'un vrai trésor.

— Admettons, dit Noël. Jusqu'ici, l'affaire

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est claire. Mais pour le reste, il y a des quantités de points obscurs.

—Je te trouve bien difficile! protesta Nick. Lesquels, par exemple?

— Eh bien, comment expliques-tu que les deux hommes soient au courant de l'existence de ce trésor? »

Nick fit la grimace.« Là, j'avoue que je sèche. Il y a une histoire de

testament, dont l'ancien valet de ferme a eu connaissance et qu'il a révélée au chauffeur...

— Le testament du « vieux », répéta Nathalie. Quel vieux? »

Ce fut Noël qui répondit :« II ne peut s'agir que d'Alphonse Pichon,

l'ancien fermier. Mais lui, comment savait-il? Et pourquoi un testament? Destiné à qui? Comment se fait-il qu'il ait disparu?

— De grâce, assez de points d'interrogation! s'écria Nick en se bouchant les oreilles. C'est bon, tu m'as convaincu : mon entrevue avec Hubert ne nous a appris qu'une partie de la vérité. Dans ce cas, je suis décidé à la découvrir tout entière.

— Pas toi tout seul, mais les Trois N! rectifia sa sœur.

— Naturellement!

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— Tu parais oublier, remarqua Noël de sa voix posée, que cette affaire intéresse en premier lieu M. Fleury, l'archéologue.

— Nous le mettrons au courant, bien sûr. Justement il doit arriver...

— ... demain à midi, précisa Nathalie. La tante Rosé est en train de lui préparer la chambre d'amis, et j'ai promis de l'aider à confectionner le repas, qui sera délicieux. Il y aura...

— Taratata! coupa Nick. .C'est bien de toi, de te préoccuper de menus alors que nous avons une affaire grave à résoudre!

—: Tellement grave, que je me demande si nous ne devrions pas en parler à l'oncle Edouard », suggéra Noël.

Son cousin ne paraissait pas très chaud.« Hum! Il faudra alors lui avouer notre équipée

d'hier soir, remarqua-t-il. Il n'appréciera pas tellement, j'en ai peur!

— C'est vrai, admit Noël. Attendons plutôt la venue de M. Fleury, et nous nous dépêcherons de le mettre au courant.

— Jusque-là, les Trois N vont se croiser les bras? regretta Nathalie.

— Bien sûr que non! répondit son frère. Nous allons au contraire profiter, de ce délai pour faire une enquête.

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— Que proposes-tu pour commencer? demanda Noël.

— D'aller à notre tour « tirer les vers au nez » à Hector. Ce qu'il a raconté à Raoul, il consentira sûrement à nous le répéter.

— L'idée est bonne, approuva Noël, mais...— Mais... quoi? s'impatienta Nick. Vas-y,

mon vieux, déballe tes restrictions : avec toi, j'ai l'habitude!

— Il y a que tu es maintenant « brûlé » aux yeux des deux hommes, et nous avec, répondit son cousin. Est-il bien prudent de retourner là-bas?

— Prudent, non, mais utile à la cause de la Science! déclara Nick d'un air très noble, Les Trois N, par ma bouche, ont promis d'aider M. Fleury...

— ... et nous sommes prêts à tenir cette promesse, approuva Noël en souriant» Seulement il s'agira de ne pas nous faire repérer. »

Les enfants enfourchèrent donc leurs vélos, mais abandonnèrent ceux-ci à quelque distance de la clinique. Ensuite ils continuèrent à pied en prenant par les champs. Arrivés près du portail de La Sapinière, ils jetèrent un coup d'œil sur la façade : tout paraissait calme. Alors, avec ensemble, le trio courut jusqu'à la porte du pavillon d'Hector Louvet.

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Aux coups frappés par Noël, il y eut le bruit d'un pas tramant à l'intérieur, puis le panneau s'entrouvrit, et le concierge passa une tête mal rasée par l'ouverture. Si les Trois N s'étaient attendus à un accueil chaleureux, ils furent bien déçus.

« Je... ne peux pas vous recevoir, bafouilla l'homme en essayant de refermer la porte.

— Mais, monsieur, nous ne vous dérangerons pas longtemps! insista Nick en glissant son pied dans l'entrebâillement. Juste quelques questions à vous poser.

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— Impossible, je vous dis! répéta le concierge, l'air gêné.

— Enfin, pourquoi? demanda Noël. Vous savez bien que nous sommes vos amis!

— La dernière fois, appuya Nathalie, vous nous avez très bien reçus, après que l'oncle Edouard a guéri votre chien.

— Bien sûr, mais... »L'homme paraissait si malheureux que Noël

lança un clin d'œil aux autres pour leur faire comprendre de ne pas insister. Nick retira son pied, et le concierge, avec un soulagement visible, referma la porte.

« Ça alors! s'écria le plus jeune des garçons, éberlué. Cet homme-là, quelle girouette! Qu'est-ce qui lui prend, de nous recevoir comme des chiens dans un jeu de quilles?

— Moi, j'ai ma petite idée, fît son cousin d'un air entendu. Je vous l'expliquerai quand nous nous serons éloignés d'ici.

— A propos de chien, dit Nathalie, j'aimerais rendre une petite visite à Pipo. Vous m'attendez une minute?

— Bien sûr, et même on t'accompagne. » Les trois N contournèrent le pavillon, et

se dirigèrent vers la niche du vieux chien. Celui-ci les accueillit avec de touchantes

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démonstrations de joie, remuant la queue et poussant des jappements de bienvenue. « Lui, au moins, nous reçoit bien! remarqua Nick en flattant la tête frisée.

— Dommage qu'on n'ait pas pensé à lui apporter une friandise, regretta Nathalie.

— Fouille tes poches, lui conseilla son frère. Comme ce sont de vrais garde-manger, tu y trouveras sûrement quelque chose.

— Les tiennes ressemblent à une boutique de bric-à-brac! » riposta la fillette.

Mais elle obéit à la suggestion de Nick, et dut convenir qu'il avait raison, car elle trouva deux morceaux de sucre au fond d'une de ses poches.

« Ça ne sera pas trop dur pour ses dents?— Penses-tu! » 'Le fait est que Pipo croqua le sucre en un clin

d'œil, puis il remua la queue de plus belle en signe de remerciement.

Mais soudain son humeur parut changer, et il montra les dents tout en émettant un sourd grondement. Destiné à qui? Les Trois N se retournèrent d'un bloc, et aperçurent l'infirmier qui descendait les marches du perron. Fort heureusement, il ne regardait pas de leur côté.

« Vite! Derrière la niche! » jeta Nick.

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Les enfants gagnèrent d'un bond cet abri précaire, mais l'alerte fut de courte durée : l'homme se dirigea vers la porte d'un garage situé dans une aile de la maison, et disparut à l'intérieur.

Noël leva par hasard les yeux sur âne fenêtre s'ouvrant à l'arrière du pavillon. Il y avait un visage collé contre la vitre : celui d'Hector Louvet. Le jeune garçon y lut une expression où se mêlaient la colère et la peur.

Puis l'homme abaissa les yeux, et vit les trois enfants. Alors, l'air embarrassé, il laissa retomber le rideau.

Les Trois N avaient repris la route et discutaient ferme.

« Apparemment, Pipo partage nos antipathies, commenta Nick. Avez-vous vu son air féroce quand il regardait l'infirmier?

— Et la façon dont il grondait! appuya Nathalie. Je suis sûre qu'il avait envie de lui mordre les mollets!

— Dommage qu'il n'ait pas d'assez bonnes^ dents! remarqua Noël en souriant. Par contre, Pipo fait fête aux Trois N. Que faut-il en conclure?

— Que c'est un chien qui a du jugements

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répondit Nick. Son maître devrait en prendre de la graine!

— S'il s'est comporte avec nous comme il l'a. fait, ce n'est pas de sa faute, plaida Noël Tout à l'heure j'en avais là vague idée, maintenant c'est une certitude.

— Explique-toi.— C'est simple : Gaston et Raoul ont

certainement appris que nous étions en bons termes avec Hector, depuis le sauvetage du chien par l'oncle Edouard. Ils ont donc supposé, avec raison, que nous chercherions à lui soutirer des renseignements au sujet de l'ancien, fermier...

— Je vois! interrompit Nick. Pour lui ôter l'envie de parler, ils l'ont tout bonnement menacé d'une raclée. Le procédé est bien dans la manière de cette grande brute d'infirmier!

— ... et de ce faux-jeton de chauffeur, appuya Noël.

— Pauvre Hector! compatit Nathalie. Je comprends son mauvais accueil, maintenant. Et je crois qu'à sa place j'aurais fait comme lui.

— Tu crois, seulement? Moi, j'en suis sûr! railla Nick. Froussarde comme tu l'es...! »

La fillette pinça les lèvres, et Noël se hâta d'enchaîner.

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« L'ennui, c'est que notre enquête se trouve bien compromise, du moment que le principal témoin nous refuse sa collaboration!

— C'est vrai, ça! fit son cousin avec dépit. Nous voilà bloqués. Que faire, maintenant? »

Personne ne répondit, faute d'idée. Alors les Trois N appuyèrent sans ardeur sur leurs pédales pour regagner la villa.

Comme ij fallait bien passer le temps, le trio alla offrir ses services à l'oncle Edouard, qui faisait les premiers semis dans ses plates-bandes : il lui fut dévolu la tâche ingrate de l'arrachage des mauvaises herbes. Noël en profita pour poser

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quelques questions au vétérinaire sur Tex-fermier Pickon, mais n'apprit rien de nouveau.

Peu avant midi, la tante Rosé appela ses petits-neveux pour une course au village : il s'agissait d'aller acheter le pain. C'est avec joie que les enfants sautèrent sur leurs vélos.

Or, à la boulangerie, qui se tenait sur la place de la mairie, on ne vendait pas seulement du pain, mais aussi des bonbons. C'est pourquoi Nathalie en sortit avec une miche dorée sous le bras, et un gros caramel dans la bouche. Le caramel avait été gracieusement offert par Noël. Les yeux perçants de la fillette avisèrent un jeune homme qui, sur le coup de midi, sortait d'une belle demeure s'élevant de l'autre côté de la place.

Les dents collées par l'énorme bonbon, elle réussit à dire :

« C'est le clerc de notaire.— Comprends pas, fit Nick qui avait fort bien

entendu.— Le — clerc — de — notaire! articula

Nathalie, une joue gonflée par le caramel roulé en boule.

— Hein! s'exclama Noël. Attendez une minute : je cours lui dire deux mots.

— Qu'est-ce qui lui prend? s'étonna son cousin. On le connaît à peine, ce garçon! »

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Pourtant, une conversation amicale s'était engagée entre Noël et le clerc. Nick et Nathalie, en s'approchant, comprirent qu'il était question d'Alphonse Pichon, l'ex-fermier.

Le résultat de l'entretien, Noël le résuma peu après à l'intention de ses cousins.

« Pichon, semble-t-il, est bel et bien mort intestat.

— C'est-à-dire... d'une maladie dé l'intestin? » risqua timidement Nathalie.

Bien sûr, elle avait dû dire une bêtise, rien qu'à voir la tête de Nick et même celle de Noël! Le premier, qui riait à s'en décrocher les mâchoires, tenta d'expliquer :

« Intestat... Ha, ha! Ça signifie... hi, hi!...— ... que tu es un idiot... ho, ho! acheva

Nathalie très vexée.— Ce mot veut dire « sans testament »,

intervint Noël.— Rien que ça? Eh bien, ce clerc doit se

tromper, déclara la fillette. Si Gaston et Raoul cherchent ce testament, ça prouve qu'il existe, non?

— Peut-être, mais personne ne l'a retrouvé. Donc, c'est comme s'il n'y en avait pas.

— Pourquoi le notaire s'en occupe-t-il, alors?

— Parce qu'il est chargé de retrouver les

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héritiers. Or personne ne s'est encore présenté. Quant à l'héritage, il se compose de quelques parcelles de terrain situées à une certaine distance de l'ancienne ferme.

~- Je parie que le champ de .L'épouvantai! en fait partie? supposa Nick.

— Oui, justement. »Le trajet de retour se fit en silence, chacun

réfléchissant à ces renseignements. C'était un maigre butin, mais qui donnait aux Trois N l'impression de n'avoir pas tout à fait perdu leur matinée.

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CHAPITRE X

L'archéologue

ARTHUR FLEURY, attendu vers midi le lendemain, arriva fort en retard, au volant d'une antique voiture qui fit dire à Nick :

« II a dû la trouver dans un tombeau égyptien!»

L'homme qui jaillit du véhicule était petit, légèrement bedonnant, avec un crâne aussi lisse qu'un œuf, et quelques poils de barbe grisâtre lui hérissant le menton. Derrière les lunettes

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aux verres bombés, ses yeux bleus avaient un regard bon et naïf.

« Mon vieil Arthur, quelle joie de te revoir après toutes ces années! » s'écria l'oncle Edouard en s'avançant la main tendue.

Le savant la lui serra longuement, et fit de même avec la tante Rosé, en bredouillant des paroles de remerciement pour son hospitalité.

Les Trois N s'approchèrent à leur tour.M. Besson les présenta :« Mes petits-neveux.—i- Charmants enfants! » fit M. Fleury en leur

tapotant distraitement la joue.« II nous prend pour des bébés! » pensa Nick

un peu vexé.Mais le savant avait un sourire si désarmant

qu'on ne pouvait s'empêcher de le trouver sympathique. Les Trois N l'aidèrent à décharger les bagages entassés dans son automobile.

Enfin on passa astable, au grand soulagement de la tante Rosé qui éprouvait de justes inquiétudes pour son bon repas. Hélas! Le rôti était trop cuit,, le soufflé tout aplati. Mais pour l'attention qu'y porta le convive, autant eût-il valu lui servir des pommes de terre bouillies! Il restait le plus souvent la fourchette en l'air, tout occupé à parler de son sujet favori : l'archéologie.

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Les Trois N trouvèrent sa conversation fort ennuyeuse. Mais, au dessert, leur attention s'éveilla: le nom d'Hubert Clément venait d'être prononcé.

« Je suppose qu'il t'a rendu visite, comme je le lui avais conseillé? demanda M. Fleury à son ami. Je n'ai reçu aucune nouvelle de lui. Il est vrai qu'une lettre a pu s'égarer : pour une question de réservation trop tardive, je n'ai pas eu de placé à l'hôtel où je descends d'habitude, dans la ville où a lieu le congrès.

— Il y a plus grave », répondit M. Besson. Et il conta les mésaventures du secrétaire.

L'archéologue parut navré.« Hubert n'est pas seulement un jeune homme

très doué, dit-il. C'est aussi un excellent garçon, pour qui j'ai une affection quasi paternelle — et ceci d'autant plus qu'il est seul au monde.

'— Ne sois pas trop inquiet à son sujet, le rassura l'oncle Edouard. J'ai téléphoné au docteur Gaubert, qui m'affirme que sa vie n'est pas en danger.

— Pourtant, cette interdiction de lui rendre visite?

— Comme il est sujet à des accès de fièvre, le médecin juge préférable de le laisser au calme. »

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Les Trois N échangèrent un coup d'œil entendu : l'interdiction venait du docteur, certes, mais le chauffeur et l'infirmier avaient dû manœuvrer de leur côté. Si bien qu'Hubert se trouvant éliminé, M. Fleury demeurait le seul obstacle sur le chemin conduisant (au trésor. N'avait-il pas tout à craindre de la part de ces adversaires sans scrupules?

La conclusion, c'est qu'il fallait l'avertir au plus tôt du danger qui le menaçait.

Pour le moment, le savant exposait devant son petit auditoire la raison de son séjour à Volny :

En étudiant de vieux manuscrits, il avait appris qu'au troisième siècle de notre ère, une « villa » romaine avait existé au voisinage de l'actuelle bourgade.

« Vous savez sans doute que le mot « villa »> à cette époque, avait un sens beaucoup plus large que maintenant? expliqua le narrateur. C'était,, non pas une simple maison de campagne, mais un village tout entier, comprenant la demeure du maître avec ses dépendances, ainsi que les maisonnettes des esclaves chargés de cultiver ses terres. »

Or ce domaine agricole en pleine prospérité avait été soudain détruit par une solifluction.

Encore ce mot! Les Trois N furent plongés

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dans la perplexité, jusqu'au moment où M. Fleury laissa entendre qu'il s'agissait d'un glissement de terrain.

« Ce n'est que ça? pensa Nick. Pourquoi diable ces savants ne peuvent-ils employer te langage de tout le monde! » - Donc, une colline s'était brusquement écroulée, ensevelissant en une nuit les maisons et leurs habitants. ..

« Le maître de la villa, Octavius Fulvius, était un personnage important venu de Rome pour coloniser ce coin de Gaule, poursuivit l'archéologue. Il est plus que probable que de grandes richesses ont été enterrées avec lui, et c'est pour les retrouver que je suis ici. »

Au mot « richesses », les Trois N avaient dressé l'oreille. Ce trésor enfoui sous la terre, c'était sûrement celui que poursuivaient le chauffeur et l'infirmier!

M. Besson, très intéressé, questionna son ami :« Est-ce que tu connais l'endroit précis où

s'élevait ce village romain? »Le savant secoua la tête.« Hélas! non. D'après le manuscrit que j'ai

déchiffré, je peux seulement délimiter une région peu étendue où ces vestiges ont toutes les chances de se trouver. »

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Ce disant, il déplia une carte détaillée de Volny et de ses environs sur laquelle il avait tracé un cercle au crayon.

« C'est à l'intérieur de ce cercle que je vais limiter mes recherches », dit-il.

M. Besson se pencha sur la carte et hocha la tête.

« Hum! Le programme me paraît assez vaste! C'est tout le terrain qui s'étend du côté du village d'Avray que tu devras explorer : la plaine, et les collines qui la bordent.

— Alors, La Sapinière en fait partie? demanda Noël.

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— Oui, bien sûr.— Peut-être que le trésor est juste au-

dessous de là clinique? supposa Nathalie.— Invraisemblable! » la contredit son frère.

Noël, lui, trouvait l'idée séduisante. Les deux hommes qui recherchaient le trésor n'habitaient-ils pas la clinique, justement?

Oui, mais... le rôle du testament, dans tout ça?« Une belle salade! » pensa le jeune garçon,

qui prêta de nouveau l'oreille à la. conversation.« Comment comptes-tu opérer tes recherches?

demandait le vétérinaire.— En faisant de la géomorphologie, répondit

le savant. J'ai bien pensé à utiliser l'avion, mais c'est un procédé coûteux. »

Les Trois N ouvrirent de grands yeux.« La géomorphologie... ça signifie quoi, au

juste? » questionna Nick.L'archéologue parut étonné, un peu scandalisé

même, qu'on pût ignorer un terme aussi simple. Néanmoins il expliqua patiemment :

« Géomorphologie veut dire : étude de la forme du terrain. Quand un morceau de colline se met à glisser, il .en reste des traces, même après des siècles. De plus, ce glissement de terrain se fait plus volontiers en sol argileux. Vous le voyez, cela

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limite les recherches.— Mais pourquoi l'avion? insista Nathalie.— Eh bien, si des vestiges tels que des murs

de maisons sont enfouis sous la terre, la végétation n'a pas la même teinte en ces endroits-là.

— J'ai compris! s'écria Noël. Ces différences de teintes, on ne peut les voir que de haut... d'un avion, par exemple.

— Exact! » applaudit M. Fleury, qui ajouta, en se tournant vers son ami : « Ces enfants me paraissent avoir une vraie vocation d'archéologues!»

L'oncle Edouard sourit malicieusement.« Si mes petits-neveux ont une vocation, mon

cher Arthur, c'est celle de détectives : ils adorent résoudre les énigmes.

— Eh bien, l'archéologie n'en pose-t-elle pas? répondit le savant. Retrouver une villa romaine enfouie depuis des siècles, par exemple! »

Il parlait avec tant d'enthousiasme que les Trois N se sentirent un commencement d'ardeur pour cette austère science. A vrai dire, ils brûlaient surtout d'élucider un mystère actuel, en relation étroite avec un événement ancien.

Un peu plus tard, M. Fleury manifesta le

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désir d'aller classer des documents dans sa chambre. Les enfants s'empressèrent d'offrir leurs services, qui furent acceptés : pour eux, c'était une excellente occasion de parler en secret à l'archéologue.

C'est après une heure d'un fastidieux travail qu'ils purent enfin aborder le sujet qui les préoccupait. Le savant Venait de leur montrer un parchemin tout jauni, celui-là même où était révélée l'existence de la villa romaine.

« Est-ce que d'autres que vous ont pu le lire, monsieur? demanda Noël.

— Je crois être le premier à avoir posé les yeux dessus, répondit M. Fleury.

— Pourtant, déclara Nick, deux hommes sont au courant de l'existence d'un trésor sous la terre, et veulent vous devancer. »

Les yeux du savant s'agrandirent d'étonnement derrière le verre épais des lunettes.

« Comment le savez-vous? »Le jeune garçon lui répéta les paroles de son

secrétaire. M. Fleury écouta le récit sans broncher, puis secoua doucement la tête.

« Impossible, dit-il enfin. Qui donc oserait faire passer son intérêt personnel avant celui de la Science? Non, mes enfants. Mon cher Hubert a été

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entraîné par son zèle, à moins que la fièvre ne l'ait égaré!

— Pourtant, je vous assure... » commença Nick.

Mais il se tut, découragé. A quoi bon essayer de convaincre cet homme, trop confiant, que quelqu'un menaçait ses chers travaux? Son secrétaire l'avait bien jugé, en affirmant qu'il vivait dans les nuages. Pour l'en faire descendre, ce serait difficile!

Déjà M. Fleury changeait de sujet.« Je pars en campagne demain à l'aube,

déclara-t-il. Qui veut m'accompagner?— Moi! » crièrent en chœur les Trois N.Ils étaient décidés à veiller sur l'archéologue

malgré lui, afin de tenir. la promesse faite à Hubert.

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CHAPITRE XI

Par monts et par vaux

IL FAISAIT frais, de si grand matin, et Nathalie se réjouit d'avoir emporté sa longue écharpe. M. Fleury, tout guilleret, marchait en tête, suivi par les Trois N encore ensommeillés. Le savant était équipé de pied en cap comme pour une expédition lointaine : costume de drap kaki, souliers ferrés, et sur son crâne chauve une invraisemblable casquette à carreaux munie de cache-oreilles. De

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plus, il emportait tout un attirail de géologue et une paire de jumelles,.

La petite troupe sillonna longuement la plaine qui s'étendait en direction d'Avray, puis gagna les collines et en commença l'escalade. L'avance était fort lente, car M. Fleury s'arrêtait à tout moment pour examiner le terrain, dont il prélevait parfois des échantillons. Puis il repartait pour recommencer le même manège un peu plus loin. Bref, il faisait de la géomorphologie.

Mais les enfants étaient loin de trouver .ennuyeuse cette course à travers la nature. La compagnie de l'archéologue les intéressait de plus en plus. Quand il consentait à parler comme tout le monde, sa conversation était passionnante : il connaissait des tas de choses sur les animaux, les minéraux, les plantes et en faisait profiter ses jeunes compagnons.

Si bien que les heures coulèrent rapidement, et que midi trouva les explorateurs au sommet d'un plateau herbeux : exactement l'endroit qu'il fallait pour une halte.

« J'espère que le pique-nique est copieux? Je meurs de faim! s'écria Nick en s'emparant du panier que portait sa sœur.

— La tante Rosé fait toujours bien les

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choses! affirma Nathalie. D'ailleurs, je l'ai aidée.

— Oh! alors, je te fais confiance! Question nourriture, tu es imbattable!

— Cherchons un coin ombragé, et nous appellerons M. Fleury », proposa Noël.

Une fois installés, ils invitèrent l'archéologue à passer à table — enfin, façon de parler! Ce dernier finit par arriver, un bel échantillon de gypse dans la main droite. Nathalie lui mit un sandwich dans la main gauche. Le savant considéra les deux objets d'un œil

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vague, hésita, et finit par porter à sa bouche-le sandwich.

Ouf! Les Trois N avaient eu chaud!Une fois leur appétit calmé, les enfants

s'étendirent sur l'herbe, et leur fatigue était telle, après cette longue matinée, qu'ils s'endormirent.

Noël s'éveilla le premier, et regarda autour de lui : M. Fleury n'était plus là! Affolé, il .secoua les deux autres, et tous trois se mirent à la recherche du savant.

Il n'était pas loin : perché sur un rocher, à l'extrême bord du plateau, il examinait soigneusement à la jumelle le paysage en contrebas. Soulagés, les enfants l'imitèrent... en se servant seulement de leurs yeux.

« Par exemple! s'écria Nick, La Sapinière est juste au-dessous de nous!

— J'aperçois le pavillon du concierge, et la niche de Pipo, enchérit Nathalie.

— Et moi, je croîs voir autre chose, ajouta Noël. Regardez cette fenêtre, tout en haut de la clinique : il y a quelqu'un dans l'encadrement.

— C'est vrai, approuva la fillette. Et... je crois bien que c'est Raoul.

— Hein! s'exclama Nick en faisant un bond. Attendez un peu. »

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II courut vers M. Fleury et revint avec les jumelles qu'il s'était fait prêter, puis il les braqua dans la direction indiquée.

« C'est bien lui! annonça-t-il. Et tenez-vous bien! Il est tout bonnement en train de nous observer... avec des jumelles, lui aussi!

— Fais voir! » s'écrièrent les deux autres en chœur.

Après examen, Noël, puis Nathalie durent convenir que Nick avait raison. A n'en pas douter, le chauffeur avait repéré le petit groupe et surveillait ses faits et gestes.

Dans quel but?Cette découverte mit les Trois N mal à l'aise.

Le danger qui menaçait l'archéologue n'était pas un fruit de leur imagination : ils en étaient sûrs maintenant. Plus que jamais, ils se promirent de veiller sur leur nouvel ami.

Cependant le reste de la journée se passa sans incidents. Quand enfin les explorateurs prirent le chemin du retour, à la nuit tombée, M. Fleury n'avait encore rien trouvé, mais se montrait fort optimiste.

« Le but approche, mes enfants! » répétait-il en se frottant les mains.

Tant mieux! Mais pour les Trois N exténués, seul comptait pour le moment un but plus

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immédiat : la maison du grand-oncle où les attendaient leurs lits. Ils y arrivèrent enfin, mangèrent du bout des lèvres et s'endormirent d'un sommeil pesant.

Si pesant, que les rayons d'un soleil déjà haut les éveillèrent le lendemain matin. Noël consulta sa montre : elle marquait dix heures. Le jeune garçon, son cousin sur les talons, descendit en trombe à la cuisine où s'activait la tante Rosé.

« Où est M. Fleury?— Parti depuis six heures ce matin. Il a bien

recommandé de ne pas vous réveiller, pensant que la journée d'hier avait été rude pour vous.

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— Pourtant, s'écria Nick, nous tenions absolument à l'accompagner.

— Oui, absolument! » répéta Nathalie apparaissant à son tour.

L'air consterné des trois enfants fit sourire la tante Rosé.

« Vous êtes décidément mordus pour l'archéologie!

— Ce n'est pas ça, mais... », commença la fillette.

Un regard de Nick la fit taire.« Ma foi, c'est vrai que ça nous plaît bien, dit-

il. Est-ce que M. Fleury rentrera pour le repas?— Il a demandé de ne pas l'attendre, répondit

Mme Besson. J'ai insisté pour lui préparer un en-cas. Il ne voulait pas, affirmant qu'il serait de retour en début d'après-midi. »

Les Trois N se consultèrent. Fallait-il tenter de le rejoindre? Il était déjà bien tard! Alors ils s'armèrent de patience, et se livrèrent à des jeux pour passer le temps. Mais le cœur n'y était pas : une sourde inquiétude les rongeait. Il s'y mêlait une pointe de remords, pour n'avoir pas su tenir leur promesse. Comme ils s'en voudraient, si quelque chose arrivait à l'archéologue!

A deux heures de l'après-midi, celui-ci n'était

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pas rentré. A trois heures, pas davantage. L'inquiétude devint de l'angoisse, et les enfants décidèrent de partir à sa recherche.

Mais quelle direction prendre?« Celle de la colline que nous n'avions pas fini

d'explorer hier », proposa Noël.Les Trois N accomplirent aussi vite que

possible la première partie du trajet, celle qui se faisait en plaine. Ensuite, ils grimpèrent le long d'un sentier assez raide. De temps à autre, ils s'arrêtaient pour crier en chœur :

« Mon — sieur — Fleu— ry! »Mais seul leur répondait l'écho de la colline.Vers le sommet, un petit bois se présenta et la

marche devint plus agréable. Mais, depuis un moment, Nathalie traînait en arrière. Mal remise des fatigues de la veille, elle avait grande envie de prendre un instant de repos. Arrivée dans une clairière, elle n'y tint plus. Une souche d'arbre semblait l'inviter à s'asseoir : elle s'y laissa tomber et regarda autour d'elle. Des bûcherons avaient dû travailler là, car des troncs gisaient à même le sol> et les branches sciées par leurs soins, toutes de même longueur, étaient assemblées en un grand tas de forme cubique.

La fillette se sentait délicieusement bien et s'abandonnait à une douce torpeur, quand un

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cri lointain la fit sursauter. Qui l'avait poussé? Elle pensa à Noël, à Nick et à M. Fleury, et l'anxiété l'envahit. Mais, n'entendant plus rien, elle se rassura peu à peu. Peut-être le cri venait-il d'une bête de la forêt?

Un chant d'oiseau, dans un arbre voisin, lui fit lever la tête. Et alors elle vit... une casquette à carreaux suspendue à une branche basse.

Le couvre-chef de M. Fleury!Vite! Il fallait avertir les deux autres. Elle

s'empara de la casquette et ouvrit la bouche pour lancer son appel... mais la referma : elle venait d'entendre un bruit de pas, et son instinct l'avertissait de se taire. Ce pas... à qui appartenait-il? Pas à Nick, ni à Noël, elle en était sûre.

En effet, Nathalie vit déboucher dans la clairière un homme à la carrure puissante dont la vue la glaça d'effroi : c'était Gaston.

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CHAPITRE XII

Le ravin

SECOUANT sa frayeur, la petite fille chercha des yeux une cachette. Difficile, dans cette clairière! Faute de mieux, elle se dissimula derrière le tas de bois. L'homme l'avait-il vue? Peut-être pas, car il fonçait droit devant lui, un mauvais sourire sur les lèvres : on aurait dit qu'il se réjouissait de quelque chose. Sans

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qu'elle sût pourquoi, la fillette en eut froid dans le dos.

Pourtant il semblait qu'elle n'eût rien à craindre pour elle-même, car l'infirmier contourna le tas de bois sans regarder derrière, et poursuivit son chemin. C'est seulement quand elle cessa de le voir que Nathalie se remit en route.

Mais où se diriger? Noël et Nick devaient être loin maintenant et elle n'osait pas les appeler, de crainte d'alerter Gaston. Alors elle erra à travers bois, et bientôt se trouva complètement perdue. Elle s'arrêta, s'adossa à un arbre et se mit à pleurer.

Un bruit éclata de nouveau, dans la direction prise par l'infirmier. Cette fois elle en devina sans peine la provenance : un chien poussait un hurlement de douleur, suivi d'une série d'aboiements furieux. Tout de suite, Nathalie eut une pensée pour Pipo.

Elle ne se trompait pas : quelques minutes plus tard elle le vit apparaître, la langue pendante et boitillant légèrement : elle supposa que le vieux chien avait lui aussi rencontré Gaston, et que ce dernier lui avait donné un coup de pied.

« Le vilain bonhomme! » pensa-t-elle.En tout cas, c'était une présence rassurante.

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Pour mieux garder l'animal près d'elle, Nathalie le tint fermement par le collier. Puis elle repartit sur la trace des garçons.

Quel soulagement quand elle entendit s leurs voix! Ils la cherchaient eux aussi, l'appelant de temps en temps par son nom. Les retrouvailles furent joyeuses. Mais, presque aussitôt, la fillette entama le récit de ses observations et montra la casquette qu'elle n'avait pas lâchée.

« Voilà qui est à la fois réjouissant et inquiétant! commenta Noël. Cette casquette, que M. Fleury a dû oublier au cours d'une halte, prouve qu'il est passé par ici : tant mieux. Mais ce cri perçu par Nathalie... et la présence de Gaston... »

Pas besoin de s'expliquer davantage : les deux autres avaient compris et partageaient ses appréhensions. Que faire? Retrouver l'archéologue de toute urgence, bien sûr!

« Une idée! dit. Nick. Pourquoi ne pas utiliser le flair de Pipo? Nous avons la chance de posséder un objet appartenant à M. Fleury : la casquette. »

Il la mit sous le nez du vieux chien, qui la flaira longuement. « Maintenant, cherche, mon bon chien, cherche! » l'encouragea le jeune garçon.

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L'animal, le nez ail sol, décrivit un grand cercle et finit par découvrir une piste, car il partit en flèche dans une direction déterminée. Les Trois -N le suivirent, pleins d'espoir.

Dix minutes plus tard, quittant l'abri des arbres, ils débouchèrent sur un sommet. Une fois de plus, ils dominaient la plaine. Et ce qu'ils apercevaient au-dessous d'eux, c'était le champ de l'épouvantai!. Mats que d'obstacles pour l'atteindre! D'abord, une pente fortement inclinée, rendue glissante par un ruissellement d'eau. Ensuite, une brusque coupure formant un petit ravin dont les enfants ne pouvaient voir le fond.

Le chien s'arrêta et se mit à aboyer.« Je crois que nous brûlons! s'écria Noël.

J'aperçois une empreinte de pas dans l'argile mouillée : des semelles à clous. M. Fleury est venu jusqu'ici! ,

— ... et il a glissé dans le ravin! acheva Nick, la gorge serrée par l'angoisse.

— Appelons-le », proposa Nathalie. -De nouveau le triple cri retentit : « Monsieur

Fleury! »Puis les Trois N prêtèrent l'oreille... et

perçurent un faible son qui venait du fond du ravin: « Hou-hou! »

Les enfants furent si soulagés qu'ils ne

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s'aperçurent pas de la disparition du chien. Déjà ils cherchaient un moyen de gagner le bord de l'entaille sans utiliser la dangereuse pente mouillée. Un petit sentier qui s'amorçait un peu plus loin le leur permit.

Et, brusquement, leurs regards plongèrent dans une dépression arrondie en forme de cuvette. A mi-hauteur, un petit méplat coupait la paroi. De l'herbe et des arbustes avaient poussé sur cette plate-forme, et un homme s'y trouvait, agrippé aux branches qui avaient dû amortir sa chute. D'un instant à l'autre celles-ci pouvaient céder, et ce serait la glissade jusqu'au fond du ravin. M. Fleury — car c’était lui — leva la tête lorsque les enfants le hélèrent, et ses yeux de myope clignèrent comme s'il ne les voyait pas.

« II a perdu ses lunettes dans sa chute », remarqua Noël.

Nick mit les mains en porte-voix et cria : « Nous allons essayer de vous tirer de là! » Malgré sa situation critique, l'archéologue eut le courage de sourire.

« J'étais sûr que vous viendriez », dit-il simplement.

Tant de confiance toucha les Trois N. « Je tente la descente », annonça Nick. Facile à dire, mais pas à faire! Le jeune garçon, pourtant doué en

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gymnastique, mit beaucoup de temps pour parvenir jusqu'à la plate' forme. Pour cela il utilisa, comme prises, les rares touffes d'herbe poussant sur la paroi. Enfin il rejoignit l'archéologue.

Restait à faire suivre à celui-ci le même chemin en sens inverse.

« Pourrez-vous grimper à ma suite, monsieur? demanda Nick sans grande conviction.

— Je ne crois pas, répondit le savant sans s'émouvoir. En tombant, je me suis foulé une cheville. »

« Catastrophe! » pensèrent en même temps

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les Trois N. Car Noël et Nathalie, à genoux au bord du ravin, avaient tout entendu.

Que faire maintenant? Le découragement gagna le petit groupe, et chacun resta muet, cherchant désespérément une solution.

Le silence fut rompu par un aboiement venant, non pas d'en haut mais d'en face. Et Pipo apparut sur l'autre bord de la cuvette. Immédiatement derrière lui, Hector Louvet. Ce dernier embrassa la scène d'un coup d'œil, et demanda :

« Avez-vous besoin d'aide?— Et comment! répondit Nick. Pourriez-

vous aller chercher une corde?— Je reviens tout de suite », répondit

l'homme.A vrai dire, il se vantait, car il lui fallut une

demi-heure pour reparaître avec l'objet demandé. Entre-temps, en faisant un long détour, Nathalie et son cousin avaient pu gagner le fond de la dépression.

Noël se pencha pour ramasser quelque chose qui brillait dans l'herbe : les lunettes de M. Fleury. Par chance, elles étaient intactes. Mais juste à côté, il nota la présence d'une longue bûche de bois qui avait été de toute évidence coupée à la scie. Or il n'y avait pas d'arbres aux alentours.

« Pourriez-vous aller chercher une corde? »

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« Elle est tout à fait semblable à celles du tas dans la clairière », assura la fillette.

Cette trouvaille laissa le jeune garçon rêveur.Le sauvetage de l'archéologue fut long et

pénible. Il fallut le ceinturer avec la corde, puis le faire descendre, et enfin le hisser sur le bord opposé du ravin. De là une pente douce rejoignait la plaine.

Jugeant sans doute qu'il en avait assez fait, Hector Louvet s'éclipsa discrètement, Pipo sur les talons. Les Trois N n'eurent même pas la possibilité de le remercier.

Le rescapé se trouvait maintenant en terrain plat. Comme il lui fallait marcher à cloche-pied, soutenu par les deux garçons, Noël se dit que le retour n'en finirait pas. Il prit une décision soudaine :

« Je vais chercher l'oncle Edouard avec son auto. Vous, Monsieur, attendez-moi ici. Mes cousins resteront avec vous. »

Il se mit à courir, et se retourna au bout d'un moment. Le savant et ses deux gardiens s'étaient installés dans le champ de l'épouvantail , juste au pied de celui-ci. Dans le crépuscule, le mannequin de bois, les bras étendus, paraissait veiller sur M. Fleury et ses jeunes compagnons.

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CHAPITRE XIII

Un œil au beurre noir

« T'AVAIS bien deviné que votre subit « engouement pour l'archéologue cachait quelque mystère! » déclara l'oncle Edouard en souriant.

Il avait écouté attentivement le récit que Noël, d'accord avec ses cousins, lui avait fait des récents événements. Cet entretien avait lieu le même soir, dans le laboratoire du vétérinaire.

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M. Fleury, dont la cheville avait été soignée, était déjà au lit avec un somnifère. Il s'était montré surexcité, au retour de sa malencontreuse expédition, ne cessant de répéter :

« Dire que me voilà handicapé au moment où je tenais enfin la solution! »

Des explications avaient suivi, aussi savantes que touffues. Les enfants ne les écoutèrent que d'une oreille, tant ils étaient préoccupés par ce qui s'était passé dans la journée.

Et maintenant, le temps des révélations était venu, car l'affaire devenait décidément trop grave!

« Pourquoi ne m'avoir pas mis au courant plus tôt? demanda l'oncle Edouard avec un soupçon de reproche dans la voix.

— C'est que... j'avais peur d'être grondé, avoua Nick. Et puis, nous ne pensions pas que quelqu'un puisse être en danger... jusqu'à hier.

— Tu veux parler de l'accident de mon ami Arthur?

— Du pseudo-accident, oui. » M. Besson sursauta.

« D'après vous, demanda-t-il, quelqu'un l'aurait poussé?

— Pas exactement, intervint Noël. M. Fleury, alors qu'il se trouvait sur la pente, a reçu dans les chevilles une bille de bois, qui

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lui a fait perdre l'équilibre. Et cette bille de bois, quelqu'un l'avait bel et bien fait rouler depuis le sommet.

— Gaston : c'est sûrement lui, affirma Nathalie,

— Voilà une grave accusation! s'écria l'oncle Edouard. En avez-vous la preuve?

— Pas vraiment la preuve, avoua Noël, mais de fortes présomptions, ça oui! D'abord Nathalie a entendu un cri et, peu de temps après, elle a croisé l'infirmier... De plus", j'ai ramassé au fond du ravin une bûche provenant d'un tas de bois situé à deux cents mètres au moins du sommet : elle n'a pas pu arriver là toute seule!

— C'est en effet fort troublant, admit l'oncle Edouard. Arthur, lui, ne s'est rendu compte de rien?

— Il se rappelle seulement qu'un choc l'a déséquilibré, mais en ignore la cause.

— Je le reconnais bien là : il est si distrait! commenta M. Besson.

— Et si confiant! appuya Noël. Quand je lui ai suggéré que quelqu'un avait causé sa chute exprès, il a refusé de me croire.

— Voilà qui rend difficile notre tâche, si nous voulons empêcher ces deux individus de nuire, reprit le vétérinaire. Porter plainte

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contre eux? Arthur s'y opposera. Et de toute façon, nos preuves sont insuffisantes. Comme l'a dit Noël, ce ne sont que des présomptions.

— Il y a le témoignage d'Hubert Clément.,.? suggéra Nick.

— Encore moins convaincant! Une conversation entendue la nuit, par un homme, blessé à la tête...!

— Je comprends : on pensera qu'il est...— ... toc-toc! acheva Nathalie en se frappant

le front avec l'index, comme l'avait fait le chauffeur quelques jours auparavant.

— C'est trop fort! ragea Nick. On ne peut tout de même pas laisser en liberté ces bandits!

— Sans compter qu'ils vont profiter de l'accident de M. Fleury pour le devancer! appuya Noël.

— Je ne vois pas comment les empêcher, répondit l'oncle Edouard d'un air perplexe. En tout cas, nous serons quatre désormais à veiller sur notre ami. Et comme il lui sera difficile de bouger...

— Pas sûr! rétorqua Nick. Cet homme-là serait capable de faire encore de l'archéologie avec les deux bras et les deux jambes dans le plâtre! »

Le vétérinaire ne put s'empêcher de rire.

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« Tu l'as bien jugé! Mais ne crains rien : je saurai le contraindre au repos.

— Si au moins nous pouvions le remplacer! regretta Noël. Malheureusement, nous ne sommes pas assez savants!

— Il y a au moins une chose que nous pouvons faire, remarqua son cousin : aller remercier Hector Louvet : il l'a bien mérité!

— Pipo aussi, appuya Nathalie.— Entendu : nous irons- dès demain,

accepta Noël.— Surtout, soyez prudents! recommanda

M. Besson. Vous avez pu constater que ces hommes sont capables de tout! »

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Il se leva pour clore l'entretien, ajoutant :« Maintenant, vite au lit! Après cette

éprouvante journée, vous devez avoir besoin de repos! »

Les Trois N donnèrent raison à leur grand' oncle en faisant presque le tour du cadran. Aussi se sentaient-ils frais et dispos le lendemain matin, et décidés plus que jamais à donner suite à leur projet.

Ils allèrent d'abord prendre des nouvelles de M. Fleury : lui aussi avait passé une nuit calme. Mais, comme il fallait s'y attendre, il réclamait à grands cris le droit de repartir en expédition en s'appuyant sur deux cannes. L'oncle Edouard fut inflexible.

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Un peu plus tard, les enfants roulaient à nouveau sur la route de la clinique. Une fois encore, ils dissimulèrent leurs machines derrière un buisson et continuèrent à pied.

Personne de visible à l'intérieur du parc : le trio s'enhardit à franchir le portail, et se trouva dans l'enceinte de La Sapinière. Après une courte hésitation, Nathalie prit une décision :

« Allons d'abord voir Pipo! J'ai quelque chose pour lui. »

C'était un morceau de brioche prélevé sur son petit déjeuner. Elle s'en était privée en faveur du chien, qui ne manquerait pas de lui manifester sa reconnaissance.

Elle se trompait : Pipo n'était pas d'humeur à se montrer gourmand, même pour de la brioche. Tout de suite, les enfants s'en rendirent compte en s'approchant de sa niche. Il gisait par terre, les yeux clos, l'air si abattu qu'il n'eut même pas la force de tourner la tête vers les arrivants.

« Il paraît malade! dit Noël.— Un client pour l'oncle Edouard », épilogua

Nick.La fillette s'agenouilla près du chien, lui

prodiguant des caresses.« Qu'est-ce que tu as, mon pauvre Pipo? »

demanda-t-elle d'une voix émue.

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Pour toute réponse, l'animal se contenta de gémir doucement.

Au même moment, il y eut un léger bruit qui alerta le petit groupe : quelqu'un frappait contre une vitre, celle de la fenêtre située à l'arrière du pavillon. Et, comme la dernière fois, une tête apparut derrière le rideau soulevé : celle d'Hector Louvet. Mais un Hector Louvet presque méconnaissable, avec un œil au beurre noir, une grosse bosse sur le front, un nez rouge et tuméfié. De nouveau il cogna contré la vitre et, d'un signe de la main, invita les Trois N à faire le tour pour entrer chez lui.

Quelques secondes plus tard, les enfants frappaient à la porte du pavillon. Celle-ci fut ouverte immédiatement, et Louvet s'effaça pour les laisser entrer, non sans jeter un regard méfiant sur les alentours. Après quoi, il referma soigneusement la porte en donnant un tour de clef.

Ses façons de conspirateur auraient paru comiques en toute autre circonstance. Mais, ainsi défiguré, le pauvre homme ne prêtait pas à rire. Au contraire, à sa vue, une sourde inquiétude assaillit les Trois N.

« Venez vous asseoir », invita le concierge.Il poussa ses hôtes dans un salon minuscule

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qui faisait suite à la cuisine. Pour tous meubles, cette pièce contenait une table basse et quelques sièges.

Nick se laissa choir dans un fauteuil et demanda à brûle-pourpoint :

« Qui est-ce qui vous a arrangé comme ça?— C'est lui! répondit l'homme avec rancune.— L'infirmier?— Oui. Il m'est tombé dessus hier soir par

surprise, et m'a roué de coups.— Et Pipo? questionna Nathalie.— Pipo aussi, répondit Hector d'un air sombre.

Il a voulu me défendre, vous comprenez. Alors l'autre l'a bourré de coups de pied jusqu'à ce qu'il tombe par terre. »

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CHAPITRE XIV

Le récit du concierge

« QUELLE BRUTE! s'indigna Nathalie. Frapper un pauvre vieux chien! — ... et un homme qui fait la moitié de son poids! enchérit Noël.

- Oh! n'ayez crainte! riposta le concierge en bombant son maigre torse. Il a eu droit à quelques coups de pied dans les jarrets :. j'ai de la défense, moi! Mais pas le vieux Pipo. Cet homme-là, c'est... c'est... »

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L'indignation faisait bégayer Hector..« ... un lâche, acheva Nick. Mais... la raison de

cette rossée?— Je crois la deviner, dit Noël. Il a voulu

punir le chien et son maître d'avoir contribué au sauvetage de M. Fleury.

— Tout juste! approuva Hector. Il fallait entendre ses reproches, pendant qu'il me battait! Et quand je lui ai dit que je me plaindrais auprès du docteur Gaubert, il m'en a promis le double, si je le faisais.

— Maintenant, au moins, nos soupçons sont confirmés, remarqua Nick. Gaston savait que l'archéologue était au fond du ravin, donc c'est lui qui l'y a poussé.

— Bien sûr, que c'est lui, déclara le concierge. Même que je l'ai vu faire.

— Formidable! triompha Nick. Nous tenons donc un témoin! Mais... par quel hasard? »

Il ne s'agissait pas tellement de hasard, à vrai dire. Depuis la veille, Hector avait remarqué que Raoul espionnait le « monsieur savant » en séjour chez les Besson. Et bien sûr, il s'était douté que ce n'était pas dans une bonne intention. Alors, ce jour-là vers trois heures, voyant Gaston sortir de la

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clinique et se diriger vers les collines, «l'avait tout bonnement suivi de loin en compagnie de Pipo. Un peu plus tard, posté sur l'autre versant du ravin, il avait assisté impuissant à la chute de M. Fleury, provoquée par un objet que l'infirmier avait fait rouler sur la pente. C'est à ce moment que le chien avait quitté son maître, pour le rejoindre un peu plus tard. La suite dé 1 histoire, les Trois N la connaissaient.

Cependant, ce récit avait ramené les pensées de Nathalie vers la pauvre bête.

« Est-ce qu'au moins Pipa guérira? s'inquiéta-t-elle.

— Bien sûr ! la rassura son cousin. Nous demanderons à l'oncle Edouard de le soigner, et tu sais comme il est habile! »

Louvet approuva énergiquement, mais il gardait un air malheureux. Apparemment, il avait quelque chose sur le cœur. Tout à coup, il se décida,

« Faites excuse pour le mauvais accueil de l'autre jour, dit-il. C'est de la faute de Gaston : il m'avait menacé...

— C'est déjà oublié, coupa Noël.— Vous en vouloir, alors que vous nous avez

tellement aidés? Il ne manquerait plus que ça! appuya Nick.

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— C'est bien honnête de votre part! s'écria Hector en retrouvant le sourire. D'ailleurs, maintenant que j'ai compris ce que valait cet homme, plus question de lui obéir! Posez-moi toutes les questions que vous voulez : je suis prêt à répondre. »

Les Trois N échangèrent une œillade triomphante.

« Vas-y, Noel », invita Nick.L'aîné du trio se livra à un interrogatoire serré,

auquel le concierge répondit avec une bonne volonté évidente! Peu à peu, les enfants arrivèrent à reconstituer l'histoire du testament :

« Tout a commencé il y a deux ans, expliqua Hector. Je vivais alors à la ferme en compagnie de mon maître... »

A cette époque, le vieux fermier avait déjà cessé de travailler : la rente viagère que lui versait le docteur Gaubert lui assurait de quoi vivre largement. S'il ne travaillait plus, il se promenait beaucoup, et son chien Pipo l'accompagnait fidèlement dans ses tournées.

Un après-midi, le vieil homme rentra à la ferme sans son chien. Hector le vit s'emparer d'une pioche, et repartir. Un peu plus tard, c'est la lanterne de l'écurie qu'il vint chercher. Enfin, au bout de deux heures, le fermier et

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l'animal rentraient ensemble, et le valet remarqua que son maître paraissait agité niais rayonnant.

« Hector, lui dit-il un peu plus tard, je suis devenu un homme riche. »

Et comme l'autre ouvrait des yeux ronds, il lui expliqua : « J'ai trouvé un trésor sous la terre... grâce à Pipo, qui a disparu dans un trou en poursuivant une belette.

— Un trou! répéta Louvet. Et où est-il, ce trou? »

Le fermier se mit à rire.« Tu voudrais bien le savoir, pas vrai? Eh bien,

non, mon brave Hector. Ni toi, ni personne... enfin, pas encore. Ce trou, je l'ai rebouché soigneusement, et bien malin qui le retrouvera!

— Mais enfin... vous ne voulez pas devenir riche?

— À mon âge, l'argent ne m'intéresse plus, répondit le vieil homme. Mais la célébrité, ça oui! Crois-moi, Hector : un jour viendra où le nom d'Alphonse Pichon sera connu bien au-delà de ce village. »

Le valet s'imagina que son maître radotait... et n'y pensa plus. Si bien que la vie à la ferme recommença comme avant.

Au bout d'un an, Alphonse Pichon se mit à

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décliner, et dut garder la chambre. Un jour, il appela son valet.

« Hector, donne-moi de quoi écrire : je veux faire mon testament. »

Louvet apporta une feuille de papier blanc, un sous-main et un stylo à bille, puis s'en fut vaquer à ses travaux.

Une heure après, il entendit un gémissement venant de la chambre de son maître, et, s'étant précipité, trouva celui-ci à demi écroulé sur son siège. Le stylo était tombé à terre, le sous-main également, mais la feuille de papier

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n'était pas visible. Le malade eut le temps de murmurer de façon très distincte :

« Ecrit... testament... qui indique... trésor. Le... porter... au... notaire. »

Ce furent ses dernières paroles, car il devint par la suite incapable de parler ni de bouger. Le médecin diagnostiqua une attaque. Alphonse Pichon devait en mourir trois semaines plus tard.

Entre-temps, Hector avait cherché le testament, mais ne put mettre la main dessus. Le notaire eut donc la tâche de trouver d'éventuels héritiers pour les parcelles de terre non comprises dans le viager.

Ensuite le docteur Gaubert prit possession de la ferme, et les travaux pour la transformer en clinique furent entrepris. Il venait souvent visiter le chantier, conduit par son chauffeur Raoul Chaffardeau. C'est ainsi que ce dernier fit la connaissance d'Hector, autorisé à habiter dans une dépendance de la ferme. Un jour que Raoul avait payé un verre à Hector au café du village, la langue de l'ex-valet se délia : il parla du testament introuvable et du trésor qu'il était censé indiquer. Le chauffeur, ayant obtenu tous les détails qu'il désirait, fit jurer à Hector de garder le secret. Moyennant quoi il lui promit d'user de

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son influence auprès du docteur Gaubert pour lui faire obtenir le poste de concierge dans la future clinique.

Peu après l'ouverture de celle-ci, arriva Gaston Mazet, l'infirmier. Chaffardeau en fit son complice — peut-être se connaissaient-ils déjà? — et tous deux se mirent en chasse pour dénicher le testament. Personne ne se douta de leur manège... jusqu'au jour où Hubert Clément fut amené, blessé, à La Sapinière.

Le narrateur se tut, et les Trois N restèrent un moment silencieux, faisant le point de ce qu'ils venaient d'apprendre. C'était beaucoup et c'était encore trop peu. Alphonse Pichon était tombé par hasard sur le trésor que poursuivait l'archéologue : cela, ils l'avaient déjà deviné. Et le testament, que contenait-il? Sans doute des précisions sur le lieu de la découverte : un trou dans le sol, par où avait disparu Pipa. Or ce trou avait été rebouché par les soins du fermier. Comment le retrouver?

« C'est le testament qu'il nous, faut, conclut Nick.

— Existe-t-il seulement? demanda Noël, Alphonse Pichon était vieux, malade...

— Il existe! déclara Hector d'un ton sans réplique. J'avais apporté à mon maître -une

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feuille de papier blanc pour qu'il le rédige. Quand je suis revenu, elle avait disparu. Et puis, pourquoi aurait-il parlé comme il l'a fait? Il était encore lucide, à ce moment-là.

— C'est assez convaincant, en effet, admit Noël. Peut-être alors l'a-t-il caché après l'avoir écrit?

— Invraisemblable! réfuta Nick. Pourquoi le cacher, s'il désirait qu'on le porte au notaire?

— Bonne remarque, apprécia son cousin. La conclusion, c'est que M. Pichon n'a pas caché ce papier, mais qu'il a été égaré, d'une façon ou d'une autre.

— Le vent l'a peut-être emporté? suggéra Nathalie.

— Impossible, trancha Hector. Mon maître se trouvait dans sa chambre, et la fenêtre était fermée.»

La fillette, qui n'était jamais à court d'imagination, supposa encore qu'une souris avait grignoté le papier. Mais cette hypothèse n'eut aucun succès.

« Il est peut-être tombé dans le feu? » supposa Nick.

Le concierge balaya cette suggestion comme les précédentes :

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« Le feu n'était pas allumé. »Il y eut de nouveau un silence lourd de

réflexion, et soudain Noël questionna :« M. Pichon écrivait-il devant un bureau? Ou

un secrétaire?— Pas du tout, répondit Hector. II était assis

dans son fauteuil, avec le sous-main sur les genoux.

— Un fauteuil! répéta Nick. Un de ces anciens sièges en tapisserie, avec un dossier raide?

— Mais non! Un fauteuil moderne, en cuir, qu'il avait commandé sur catalogue dans un grand magasin.

— Je suppose qu'il se trouve relégué au grenier, avec les autres meubles? » demanda Noël.

Louvet secoua la tête.« Comme il était encore en bon état, je l'ai

transporté dans ma loge.— Quoi! s'exclama Nick très ^excité.

Comment se fait-il, alors, que Raoul et Gaston ignorent ce détail?

— Ils ne me l'ont pas demandé!— Et ce fauteuil, où est-il?— Eh bien, vous êtes justement assis dessus,

répondit le concierge sans s'émouvoir.— Quoi! » répéta Nick.

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Et il plongea fébrilement les mains entre le coussin et les accoudoirs du fauteuil. Il en retira successivement : un bouton, une pièce de monnaie, une épingle. Au fur et à mesure, son visage reflétait une déception de plus en plus vive.

Nathalie se précipita à la rescousse.« Laisse-moi faire, offrit-elle. J'ai des doigts

plus petits que les tiens. »En tirant la langue, elle glissa une main dans le

mince intervalle. Soudain son visage s'éclaira. Elle cria : « Je l'ai! » et, quelques secondes plus tard, elle brandissait une feuille de papier blanc portant des mots écrits à l'encre noire.

Nick lui arracha le feuillet des mains, y jeta un coup d'œil, et, prenant une large inspiration, se mit à lire à haute voix :

Ceci est mon testament.

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CHAPITRE XV

Les murs ont des oreilles

NICK s'apprêtait à poursuivre, quand sa sœur lui intima l'ordre de se taire.

« J'ai cru entendre Pipo gronder », dit-elle.Aussitôt les Trois N se ruèrent vers la fenêtre,

celle-là même qui donnait sur l'arrière du pavillon, et d'où l'on pouvait voir la niche. Or, le vieux chien avait légèrement changé de

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place, mais il n'y avait personne auprès de lui. « Fausse alerte, conclut Noël. Continue,

Nick. »Le jeune garçon reprit sa lecture :« Je soussigné Pichon Alphonse, sain de

corps et d'esprit, déclare léguer à la commune de Volny...

— Par exemple! s'exclama Nathalie. Une commune qui fait un héritage? C'est trop drôle!

— Quand tu auras fini de m'interrompre, toi alors! grommela Nick, qui poursuivit : — ... à la commune de Volny, un terrain situé le long de la route d'Avray, au lieu dit « Le Buissonnet », à charge pour ladite commune de donner mon nom à un musée où seront exposés les objets de valeur se trouvant dans le sous-sol de ce champ. L'emplacement exact de l'entrée de la galerie conduisant au trésor est marqué par un épouvantail que j'y ai placé...

— Le champ de l'épouvantail! s'écrièrent d'une seule voix Nathalie et son cousin.

— Il nous poursuit, décidément! remarqua Nick. Si au moins on avait pu deviner...!

— Il aurait fallu être bien malins... ou savants comme M. Fleury », rectifia Noël.

Il tendit la main vers le précieux testament.

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« Donne : je veux l'examiner. »Or Nick avait lu l'essentiel : le reste n'était que

formules sans intérêt. Mais le vieux fermier n'avait oublié ni la date, ni la signature.

« II me paraît valable », conclut Noël en rendant le papier à son cousin.

Le concierge paraissait plongé dans une profonde réflexion.

« L'épouvantail! répéta-t-il. C'est bien vrai que mon maître l'a changé de place juste à cette époque. Même que ça m'a étonné, vu que ce champ était inculte depuis des années.

— En tout cas, réjouissons-nous que le testament soit tombé dans nos mains et non dans celles des deux bandits! » remarqua Noël.

A peine venait-il de parler qu'un nouveau grondement se fit entendre à l'arrière du pavillon : encore Pipo! Cette fois, tout le monde l'entendit. Quatre têtes se- tournèrent vers la fenêtre..., et les occupants de la petite pièce virent, avec horreur, le visage de l'infirmier apparaissant juste à la hauteur de l'appui. Ses yeux enfoncés fixaient méchamment le petit groupe médusé. Puis le poing énorme de Gaston s'abattit sur le montant de la fenêtre, qui s'ouvrit instantanément. Alors on vit le colosse soulever comme une plume le chauffeur jusqu'ici invisible, en ordonnant ;

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« Vas-y, Raoul! Quand tu auras tourné la clef, j'entrerai à mon tour, mais par la porte. Quant à vous, ne bougez pas, et surtout n'essayez pas de l'arrêter, sinon...! »

Cette menace s'adressait aux Trois N et à leur hôte, qui n'eurent pas la moindre envié de désobéir.

Tandis que le chauffeur traversait le pavillon, Nick se mit à penser au testament, qu'il tenait encore à la main. Il fallait le mettre en lieu sûr, et vite. Mais où? Ses yeux firent le tour de la pièce, s'attardèrent sur les murs sans ornements, sur les sièges, sur la petite table qui se trouvait juste derrière lui. Sur cette table, un tas de vieilles revues toutes cornées à force d'avoir été feuilletées.

« Pas le choix, pensa-t-il. Je vais glisser le papier entre deux pages : c'est un coup à risquer. »

Il fit passer le feuillet derrière son dos et l'introduisit dans une revue, presque au bas de la pile. Pendant ce temps, Gaston promenait sur le groupe le regard méfiant de ses petits yeux, mais il ne parut pas se douter du manège de Nick. Celui-ci n'était pourtant pas satisfait.

« La cachette est vraiment trop simple! se dit-il. Oh! Une idée! »

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Il tira de sa poche une barre de chewing-gum et, toujours avec des gestes furtifs, l'introduisit dans sa bouche.

Cependant Raoul avait ouvert la. porte, et son complice le rejoignit à l'intérieur. Ensemble, ils s'avancèrent vers les occupants du salon.

« Merci d'avoir travaillé pour nous! déclara le chauffeur d'un ton suave. Ce n'est que justice, d'ailleurs. Ce testament, nous l'aurions déjà trouvé, si Hector nous avait mieux renseignés.

— Il a besoin d'une leçon : laisse-moi la lui donner! » gronda l'infirmier.

L'autre le retint.« A quoi bon, puisque nous savons ce que nous

voulions savoir? Ce garçon — il désignait Nick — a poussé l'obligeance jusqu'à nous faire la lecture à haute et intelligible voix! »

L'intéressé était rouge de fureur contenue. Ainsi, les deux bandits se trouvaient depuis un moment sous la fenêtre, ne perdant rien de ce qui se passait dans la pièce!

Nathalie pensa aussitôt :« J'avais raison, quand j'ai entendu grogner

Pipo une première fois. »Mais elle n'en tira aucune gloire.« A propos, il nous le faut, ce testament, dit

l'infirmier. Donne-le-nous, gamin.

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— Essayez toujours de le prendre! répondit Nick, qui se mit à mâcher son chewing-gum, puis l'engloutit avec un grand effort apparent. Il' faudrait pour cela que vous m'ouvriez l'estomac!

— Quoi! Tu l'as avalé? rugit Gaston, en prenant le jeune garçon par l'épaule et le secouant comme un prunier.

Une fois de plus, le chauffeur tempéra la fureur de son complice.

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« Inutile de te fâcher, Gaston : Ce papier est détruit? Tant pis pour les bénéficiaires du

testament, tant mieux pour nous. Nous connaissons l'emplacement du trésor, c'est l'essentiel.

— Tu as raison, admit l'infirmier, lâchant à regret l'épaule de sa victime. Tout de même, ce gamin méritait une bonne leçon! »

Nick, après ce traitement, mit un moment à reprendre son souffle. Il se pencha vers son cousin et lui glissa dans l'oreille :

« Décidément, le passe-temps favori de Gaston consiste à rosser les autres! »

Pour toute réponse, Noël mit un doigt sur ses lèvres : il essayait d'entendre la conversation des deux complices, qui se consultaient au sujet des prisonniers.

« On les boucle ici, et on court s'occuper du trésor? suggéra l'infirmier.

— Tu n'y penses pas! » dit Raoul.Et, désignant la fenêtre restée ouverte, il

ajouta: « Ils auraient, tôt fait de se sauver par là!— Pas si on les ligote.— Trop compliqué : il faudrait des mètres et

des mètres de corde. Où les prendre? Et puis, les gosses sont malins : j'aime mieux les avoir à l'œil.

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— Tu ne veux tout de même pas qu'on s'embarrasse d'eux?

— Si, justement. J'ai mon idée : l'ambulance.— Eh bien, quoi, l'ambulance?— Ne devrions-nous pas la sortir pour aller

chercher un malade?— Si, mais dans une heure seulement.— Aucune importance! trancha Raoul. Le

docteur n'y regardera pas de si près! »Et sur le ton du commandement, il expliqua : «

Tu vas rester ici et les surveiller. Moi, pendant ce temps, j'amène l'ambulance près du pavillon, et j'ouvre toute grande la porte arrière. A ce moment tu fais sortir les prisonniers. Mais attention! Il faut que cette opération se fasse en silence! »

Pendant que le chauffeur exposait son plan, les Trois N étaient passés par des sentiments divers : crainte, consternation. Un peu d'espoir leur vint à la pensée qu'ils passeraient quelques instants dehors, avant d'être enfermés dans l'ambulance. Peut-être qu'en se mettant à crier, ils attireraient l'attention des occupants de la clinique?

La suite de la conversation leur enleva cette envie.

« C'est simple, dit Gaston en s'emparant du bras de Nathalie, qu'il serra très fort. S'ils essaient

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seulement de pousser un cri, c'est la gosse qui écopera. »

Il accentua son étreinte : la fillette, sous l'effet de la douleur, se mit à pleurer silencieusement.

« Brute! » jeta Nick entre ses dents.Noël serra les poings, prêt à se ruer contre le

colosse. Mais il comprit que celui-ci l'écraserait comme une mouche. Alors il se força au calme, et attendit la suite. .

Ce ne fut pas long. Raoul alla ouvrir le garage et fit sortir le long véhicule, qui vint se ranger doucement à un mètre à peine de l'entrée du pavillon. Alors Gaston ouvrit là porte, poussant devant lui, en file indienne, Hectpr, Noël et Nick. Lui-même fermait la marche en maintenant Nathalie devant lui. Tout ce monde s'engouffra dans la cabine arrière, dont la porte se referma d'un coup sec. Puis Raoul se mit au volant, et l'ambulance sortit lentement de la clinique pour prendre la route qui conduisait au champ de l'épouvantail.

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CHAPITRE XVI

Un stratagème

LES TROIS N examinèrent leur étroite prison : à l'avant, deux sièges, dont celui du conducteur. Un troisième dans la cabine arrière, sur lequel se laissa tomber Gaston. Le long d'une paroi, une couchette destinée aux malades. Une couverture y était posée, et c'est là-dessus que s'assirent les captifs, sauf Nathalie que l'infirmier tenait toujours contre lui.

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Dès que la voiture eut gagné la route, elle prit de la vitesse, et quelques minutes plus tard les enfants aperçurent l'épouvantai! dressé au milieu du champ : on arrivait aux « Buissonnets ».

« Je vais dissimuler l'ambulance dans ce petit bois, juste en face », décida Raoul.

Il obliqua brusquement dans un chemin poussiéreux, et, peu après, le véhicule stoppait au milieu d'une futaie.

« Comme ça, on ne nous verra pas depuis la route, déclara le chauffeur. Et maintenant, il s'agit de s'organiser. »

Il réfléchit un moment, puis ajouta : « Toi, Gaston, tu vas t'occuper du trésor. Moi...

— Il me faudrait des outils, coupa l'infirmier. Y as-tu pensé?

__ Bien sûr! répondit le petit homme. J'aide la tête, moi! Regarde sous la couchette : j'y

ai dissimulé une pelle et une pioche.— Otez-vous de là! cria Gaston à l'adresse des

deux garçons et d'Hector.Il trouva effectivement les outils à l'endroit

indiqué.« Et alors? demanda-t-il.— Il faut donc tout te dire! protesta son

complice. Dépêche-toi d'aller creuser la terre sous l'épouvantai! : tu trouveras sans doute

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Gaston sortit la voiture, emportant une pette et une pioche.

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rapidement l'entrée d'une galerie. A ce moment, appelle-moi.

— Dis donc, c'est moi qui m'appuie tout seul le boulot?

— Bien sûr : tu es tellement fort! dit Raoul, flatteur. Moi, je surveille les prisonniers : il ne faudrait pas qu'ils nous faussent compagnie maintenant!

— D'accord », accepta Gaston, qui sortit de la voiture en emportant la pioche et la pelle.

Peu après, les Trois N, qui par la vitre arrière pouvaient voir le champ, aperçurent le colosse qui arrachait brutalement l'épouvantail et le lançait à terre un peu plus loin. Nathalie poussa un énorme soupir.

Quant à Raoul, il était sorti derrière son complice, peu désireux sans doute de rester à l'intérieur du petit espace, seul contre quatre. Il ferma les deux portières à clef, ainsi que la porte arrière.

« Bouclés! ragea Nick. Et sans espoir d'évasion, j'en ai peur! »

En effet, tel un gardien de prison, le chauffeur s'était mis à effectuer une ronde autour _du véhicule. Et, à chaque tour, il jetait un long regard à travers les vitres, à l'avant comme à l'arrière. C'est seulement quand il longeait les côtés de

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l'ambulance qu'il lui était impossible de voir l'intérieur, à cause des rideaux qui masquaient les fenêtres.

Noël consulta sa montre, qui était munie d'une trotteuse.

«^Si l'un de nous essayait de s'échapper, il disposerait de trois secondes, annonça-t-il bientôt.

— Nettement insuffisant! commenta Nick d'un ton découragé.

— Pas sûr!— Quoi! Tu aurais une idée?— Peut-être. Laisse-moi réfléchir. Toi,

pendant ce temps, continue à observer Raoul. En particulier, regarde s'il continue à tourner dans le même sens. »

« Noël va sûrement trouver un moyen, pensa Nathalie avec confiance. Il est tellement intelligent! »

Quant à Hector Louvet, il était évident qu'on ne pouvait compter sur son aide : il s'était laissé tomber sur le siège laissé vacant par le départ de Gaston, et restait là, les bras ballants, l'œil vide, une expression de profond désarroi sur son visage.

Soudain Noël leva la main pour réclamer l'attention.

« Je crois que j'ai trouvé », dit-il.Et, calmement, il exposa son idée.

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« Génial! commenta Nick. Mais pourquoi choisir Nathalie et pas moi?

— Parce que je suis la plus mince », répondit la fillette d'un air de défi. Noël se hâta d'approuver.

Nathalie s'attendait à une riposte ironique de la part de son frère, telle que : « Ma petite sœur? Tu as besoin de lunettes, mon pauvre Noël! »

Or, non seulement Nick ne protesta pas, mais il approuva finalement le choix de son cousin.

« Après tout, pour la comédie qu'on va jouer, mieux vaut utiliser Nathalie : ce sera plus vraisemblable.

— Bon. Si tout le monde est d'accord, allons-y! » décida le plus grand.

Et il expliqua à chacun son rôle.Pour commencer, il pria sa cousine de lui

donner son écharpe. Ensuite, aidé de Nick, il disposa la couverture sur la couchette en la faisant gonfler, de façon à simuler la présence d'un corps humain. Pour compléter l'illusion, l'écharpe roulée en boule fut placée en haut, comme si elle entourait une tête invisible.

Entre-temps, la fillette avait reçu l'ordre d'aller se cacher entre le siège avant et celui où était assis le concierge. Les deux garçons

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s'accroupirent alors à la gauche d'Hector, et attendirent.

La réaction de Raoul ne tarda pas à se produire. Arrêté à l'arrière de l'ambulance, il regarda une fois de plus par la vitre, fronça les sourcils, et frappa pour attirer l'attention des prisonniers.

« Hein? s'exclama Nick, feignant la surprise.— Il manque la fille. Où est-elle? » cria le

chauffeur.Noël désigna du doigt la couchette, et déclara :« Votre ami l'infirmier l'a tellement secouée

qu'elle s'est sentie mal : nous l'avons fait s'étendre.»

Les occupants de l'ambulance vécurent alors les instants les plus angoissants d'une matinée pourtant fertile en émotions : Raoul, l'œil méfiant, observa pendant un moment la forme immobile — et pour cause! — étendue sur la couchette.

« S'il continue son examen, il trouvera louche cette immobilité prolongée! » pensa Nick, qui sentait la sueur perler à son front.

Heureusement, lui et son cousin réussirent à garder une attitude détachée. Si bien que le chauffeur reprit sa promenade en rond, toujours dans le même sens, et — semblait-il —

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en ralentissant un peu. Peut-être était-il fatigué?

Par prudence, Noël attendit qu'il eût fait cinq fois le tour de l'ambulance. Entretemps il regarda sa montre, et conclut :

« Maintenant, la durée est de quatre secondes. Je pense que ça suffira. »

Subitement, l'opération fut déclenchée par un ordre qu'il jeta à sa cousine : « Vas-y! »

A partir de ce moment, tout se déroula comme dans un ballet bien réglé, dont Noël aurait été le chef d'orchestre, ses cousins les exécutants.

Dans un premier temps, la fillette se glissa à l'avant, près de la portière de droite que Raoul venait de dépasser. Elle abaissa vivement la vitre, et s'accroupit. Le tout avait duré moins dé quatre secondes. Le chauffeur apparut à l'arrière, puis s'éclipsa.

Ce fut alors à Nick d'entrer en scène : pour commencer, il rejoignit sa sœur. Deux secondes lui suffirent pour la faire passer, les pieds les premiers, à travers l'ouverture. Il lui en restait à peine autant pour remonter et retourner à sa place, entre son cousin et le concierge. Ce fut miracle s'il y parvint, mais, lorsque le visage de Raoul apparut-derrière le pare-brise, tout paraissait normal à l'intérieur du véhicule. De plus, l'opération s'était déroulée

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dans un relatif silence.Quant à Nathalie...« A elle de jouer! murmura Nick d'une voix

altérée.— Bonne chance! » ajouta Noël sur le même

ton, en s'adressant à sa cousine invisible.Puis l'attente commença pour les trois captifs.

Le chauffeur continuait sa ronde comme si rien ne s'était passé : donc, Nathalie avait réussi à s'enfuir. Peu à peu, l'étau d'angoisse qui étreignait les deux garçons se desserra, ils se mirent à respirer plus librement. D'ici peu,

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grâce à la ruse de Noël, les secours allaient arriver.

Vingt minutes s'écoulèrent. Et soudain Gaston fit irruption. Le visage cramoisi, la sueur lui ruisselant jusque dans les yeux, il avait l'air furieux. Il se mit à invectiver son complice.

« J'ai bien eu tort de t'écouter, à propos de cette histoire de trésor! Je n'ai rien trouvé sous l'épouvantai!

— Tu n'as pas dû assez creuser, supposa Raoul.

— Pas assez, pas assez...! Voilà plus d'une demi-heure que je trime tout seul, pendant que toi, tu te promènes, et tu oses me dire ça? Va donc juger sur place : j'ai fait un trou plus grand qu'une baignoire sans rencontrer la moindre galerie. Qu'est-ce que tu en penses?

— Je ne sais pas, moi, répondit le chauffeur. Pourtant, le testament...

— Le testament! répéta l'infirmier d'un ton rageur. Qui sait si ces gosses ne se sont pas moqués de nous? Tiens, file-moi la clef : je veux leur parler. »

Plus morts que vifs, Nick et Noël virent le colosse pénétrer dans l'ambulance. Tout de suite, il remarqua :

« Mais il manque quelqu'un : la gamine! » Au

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même moment il aperçut la forme allongée sur la couchette, et, d'un geste brutal, écarta la couverture. « II n'y à rien là-dessous! glapit-il.

— Comment! Elle à donc réussi à se sauver? s'écria Raoul qui arrivait derrière son camarade.

— Hein! Tu t'es laissé berner par ces gosses, toi qui te crois si malin? tonitrua Gaston. Espèce d'imbécile, va! »

Son complice ne réagit pas à l'insulte : il était devenu très pâle.

« Plus une seconde à perdre, jeta-t-il. Il faut filer. »

Il referma la porte, et courut se mettre au volant. Gaston, médusé, ne protesta pas et le rejoignit à l'avant.

« Et eux, qu'est-ce qu'on en fait? demanda-t-il en désignant les occupants de la cabine.

— On les emmène! »Et l'ambulance démarra brutalement en marche

arrière.

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CHAPITRE XVII

Le trésor

A PEINE NATHALIE eut-elle posé les pieds par terre, qu'elle se laissa tomber à plat ventre et rampa sous le feuillage de façon à s'éloigner au plus vite de l'ambulance. Quand Raoul passa de nouveau devant la portière droite, la fillette était déjà hors de vue.

Elle traversa le petit bois et déboucha dans un pré. Désormais, elle se trouvait en terrain

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découvert, et devait redoubler de précautions. En longeant des haies de noisetiers, qui lui procuraient un abri suffisant, elle fit un grand crochet à travers la campagne et rejoignit enfin là route. Personne en vue : donc sa fuite était passée inaperçue. Ouf!

Tantôt courant, tantôt marchant à grands pas quand elle était par trop essoufflée, elle parcourut le long trajet sans s'octroyer le moindre repos. Le salut de Noël, de Nick et d'Hector ne dépendait-il pas de sa rapidité?

La fillette était absolument sur les genoux: quand enfin lui apparut la maison de l'oncle Edouard. Encore un effort, et elle poussa le portail du jardin, puis courut vers le laboratoire, où, à cette heure, devait se trouver le vétérinaire.

Il y était, occupé à soigner ses animaux.« Oncle... Edouard! » cria Nathalie depuis le

seuil.M. Besson se retourna, et se rendit compte au

premier coup d'œil que sa nièce était bouleversée. Il alla la prendre par la main et lui parla doucement.

« Qu'y a-t-il, ma petite Nathalie?— Vite! Il faut... avertir... les gendarmes! Nick

et Noël... dans... l'ambulance. »Cinq minutes plus tard, ayant réussi à obtenir

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un récit à peu près cohérent de l'aventure, l'oncle Edouard rentrait dans son bureau pour téléphoner à la gendarmerie. Il dut parlementer un moment : le brigadier refusait de prendre au sérieux cette histoire rapportée par une fillette de neuf ans. Mais le vétérinaire avait la réputation d'un homme en qui on pouvait avoir confiance. Et du moment qu'il se portait garant de ses petits-neveux...

« C'est bon, j'arrive avec l'estafette. Nous prendrons la petite fille au passage : elle nous guidera. »

Pour Nathalie, le temps parut long : son imagination lui représentait des périls sans cesse plus grands auxquels étaient exposés les captifs.

Enfin la voiture .noire se rangea le long de la villa, et la fillette, qui attendait devant le portail, s'y engouffra aussitôt. Elle se trouva entourée d'uniformes, et on lui demanda d'indiquer la direction à prendre. L'estafette s'engagea donc sur la route d'Avray, suivie de près par l'automobile de l'oncle Edouard. A côté de lui avait pris place Arthur Fleury, qui, malgré les remontrances de son ami, avait insisté pour faire partie de l'expédition.

Au moment où les deux véhicules approchaient du champ de l’épouvantail, une

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ambulance venant d'un chemin latéral déboucha sur la route en marche arrière. Nathalie poussa un cri :

« Ce sont eux!— Ils nous filent entre les doigts! s'écria le

brigadier consterné. Il va falloir engager une poursuite. Peut-être vaudrait-il mieux faire descendre la fillette? »

Or, au moment où l'ambulance venait de s'arrêter pour repartir en marche avant, on la vit faire deux ou trois soubresauts puis s'immobiliser. Un cri jaillit de l'estafette :

« Stop! Tout le monde dehors. En avant les gars! On va les cerner... mais soyez prudents : n'oubliez pas qu'ils détiennent trois otages! »

***

Noël et Nick n'avaient que trop bien compris l'intention des bandits : devinant qu'ils allaient être poursuivis, ils avaient besoin d'otages qu'ils pourraient, le cas échéant, échanger contre leur liberté. Il fallait à tout prix faire quelque chose...

Les deux garçons se consultèrent du regard, et se comprirent sans échanger une parole. Restait à attendre l'instant propice pour agir : celui où l'ambulance manœuvrerait pour

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repartir dans la direction d'où elle venait — c'est-à-dire en tournant le dos à Volny.

Raoul venait de terminer sa marche arrière et posait déjà le pied sur l'accélérateur, lorsque les deux cousins bondirent sur lui. Le saisissant chacun par un bras, ils le tirèrent vivement en arrière : le petit homme n'atteignant plus les pédales, la voiture fit quelques embardées puis s'arrêta.

Mais il y avait Gaston, qui allait inévitablement réagir pour secourir son complice.

C'est alors qu'Hector Louvet, jusqu'ici passif, se jeta dans l'action. Avisant la longue écharpe rouge de Nathalie, restée sur la couchette, il s'en- saisit et bâillonna le colosse. Celui-ci, avec un grognement de fureur, porta la main à son visage : le concierge en profita pour entourer les poignets de l'homme. Enfin il ramena les deux pans de l'écharpe «t les noua solidement dans le dos de l'adversaire.

Juste à ce moment, l'ambulance fut cernée par les gendarmes, et les portières s'ouvrirent.

« Par exemple! s'exclama l'un des hommes. .Regardez, chef : le travail est déjà terminé. Il ne nous reste plus qu'à cueillir nos clients.

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— Bonne affaire! se réjouit le brigadier, sortant de sa poche deux paires de menottes. Je

vous félicite de votre initiative, jeunes gens!— C'est Hector qui a fait le plus difficile,

déclara Nick. A lui seul, il est venu à bout de l'infirmier. »

Le concierge ne fut pas peu fier de recevoir les compliments qu'il méritait.

Nathalie, descendue de la fourgonnette, se fraya un chemin jusqu'à son frère et à son cousin. Les Trois N, joyeux de se retrouver, se congratulèrent à qui mieux mieux, jusqu'au moment où une 'expression scandalisée apparut sur le visage de la fillette : elle venait d'apercevoir Gaston dans ses liens improvisés.

« Mon écharpe! s'écria-t-elle. Elle va être toute déformée, maintenant! »

Nick faillit s'étrangler d'indignation. Tout ce qu'il réussit à dire, ce fut : « Ah! les filles! » tandis que Noël, en souriant, faisait remarquer à sa cousine :

« Dis donc, tu gagnes au change! Elle a au moins allongé de cinquante centimètres! »

Tandis que les gendarmes embarquaient Gaston et Raoul dans la fourgonnette, M. Fleury s'approcha en boitillant, soutenu par l'oncle Edouard.

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« Est-ce que ces hommes ont mis la main sur le trésor? questionna-t-il.

— Ma foi, je l'ignore, répondit le brigadier.Pour le moment, je les inculpe de tentative

d'enlèvement. Je vous prierai, M. Besson, de passer cet après-midi à la gendarmerie avec vos petits-neveux : j'aurai besoin de leur témoignage. »

Le vétérinaire promit, et l'automobile noire s'éloigna, emmenant les deux prisonniers. Quant à l'ambulance, conduite par un gendarme, elle fut ramenée à la clinique, avec Hector Louvet comme passager.

Les Trois N, restés seuls avec leur oncle et l'archéologue, se dirigèrent vers le champ de l'épouvantail. Un grand trou apparaissait à l'endroit où avait été planté le mannequin de bois, maintenant arraché. Au fond de ce trou, rien que de la terre et des cailloux : pas la moindre amorce de galerie.

« C'est ici que devrait se trouver le trésor, s'il faut en croire le testament, déclara Noël.

— Quel testament? » demanda M. Fleury, qui n'avait pas encore été mis au courant.

Le jeune garçon expliqua toute l'affaire, et conclut :

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« Puisque l'infirmier a creusé à l'endroit indiqué sans rien trouver, c'est que le renseignement était faux. »

L'archéologue avait l'air consterné.« Dans ce cas, je me suis moi-même trompé,

remarqua-t-il, car j'étais également arrivé à la conclusion que la villa romaine était quelque part dans le sous-sol de ce champ. »

Soudain Nick poussa un véritable cri de triomphe.

« J'y suis! Alphonse Pichon a marqué l'emplacement du trou en y plantant l'épouvantail. Or cet épouvantail...

— ... a été déplacé par nous, acheva Nathalie. Auparavant il se trouvait près d'un buisson, là-bas.

—- Nous sommes idiots de n'y avoir pas pensé tout de suite! s'écria le jeune garçon confus.

— Vous êtes bien excusables! intervint l'oncle Edouard. N'importe qui aurait la mémoire embrouillée, après de pareilles émotions!»

Cependant Noël réfléchissait.« L'endroit précis sera facile à découvrir, dit-il

enfin. Quand l'épouvantail a été cassé par l'ouragan, un morceau de bois est resté dans le sol.»

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Les Trois N, d'un même élan, se précipitèrent vers le buisson, et ne tardèrent pas à dénicher le tronçon de bois demeuré en terre.

« Vite, la pioche! » s'écria Nick.Il n'eut qu'à prendre celle que Gaston avait

laissée. Noël s'empara de la pelle, et tous deux se mirent à creuser avec une ardeur qui ravit M. Fleury, décidé à voir en eux de futurs archéologues.

Un quart d'heure plus tard, un« hourrah » retentissant, jailli de la bouche de Nick : la pointe de sa pioche venait de mettre au jour une étroite

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fente. Noël l'élargit à l'aide de la pelle, et bientôt les enfants, munis d'une lampe de poche prêtée par l'oncle Edouard, purent se glisser l'un après l'autre dans une sorte de couloir s'enfonçant en pente douce sous la terre.

Une dénivellation brusque, et la galerie s'élargit tout d'un coup : les explorateurs se trouvaient maintenant dans une pièce d'habitation dont le sol, sous les gravats qui le recouvraient, était en fine mosaïque. Des objets divers l'encombraient : vases, statues, colonnes, dont quelques-unes étaient brisées.

Les Trois N examinaient avec respect ces vestiges d'un autre temps, mais se montraient surpris. Il y avait là, certes, de quoi ravir un archéologue... et non de quoi enrichir des hommes comme le chauffeur et l'infirmier. Alors?

Mais une longue réflexion n'était pas du goût de Nick. Comme toujours il avait hâte d'agir.

« Allons vite faire part de nos découvertes à M. Fleury et à l'oncle Edouard, proposa-t-il.

— Oh! oui! appuya Nathalie. Ils seront sûrement bien contents.

— Mieux encore : organisons un va-et-vient pour transporter quelques-uns de ces objets jusqu'à eux, poursuivit son frère.

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— Ah! non! le contredit Noël. M. Fleury désirera certainement en faire une étude sur place., du moins quand il en sera capable.

— Tu exagères! protesta Nick. Je suis sûr au contraire qu'il est très impatient de connaître ce que contient la salle souterraine.

— Allons lui demander son avis », trancha Nathalie.

Or l'archéologue donna satisfaction à l'un comme à l'autre des deux cousins : ayant écouté avec intérêt la description détaillée que lui fit Noël, il pria les enfants de lui rapporter quelques échantillons de ce qu'ils découvriraient. Juste de quoi se rendre compte.

Ainsi fut fait. A chaque trouvaille qu'on lui présentait, M. Fleury poussait des exclamations de plaisir qui payaient les explorateurs de leurs peines.

Cependant Nick, qui farfouillait dans un coin de la pièce, heurta du pied un grand vase en bronze à demi-enterré. Il fallut la pelle pour le dégager, mais il était si lourd que les efforts réunis des Trois N ne purent réussir à le soulever.

« Enlevons le couvercle », suggéra Noël.Cette fois ce fut facile : quelqu'un avant eux

l'avait déjà descellé : Alphonse Pichon, sans aucun

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doute. Nathalie plongea sa main dans le vase, et en ramena une poignée de pièces d'argent.

— De la monnaie romaine! commenta M. Fleury quand il eut en main quelques-unes de ces pièces. Leur valeur est énorme. Est-ce qu'il y en a beaucoup? »

Dix minutes plus tard, les garçons étaient en mesure de lui donner la réponse exacte. « 1 249! annonça Nick très excité.

— Le voilà, le fameux trésor! » épilogua Noël.

Il devint grave et ajouta : « J'espère que le vœu d'Alphonse Pichon sera respecté, et que tous ces objets précieux seront exposés dans un musée portant son nom?

— J'y veillerai personnellement, promit l'archéologue.

— Nous irons le plus tôt possible récupérer le testament, et le porter au notaire, ajouta l'oncle Edouard.

— Et nous en profiterons pour rendre visite à Hubert Clément, suggéra Nathalie.

— Certainement. Il sera le premier à se réjouir de notre réussite », déclara M. Fleury dont le visage rayonnait.

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Il était midi passé. Il fallut, à regret, quitter les lieux. Mais les Trois N se promirent d'y revenir souvent, en attendant que l'archéologue soit suffisamment remis pour procéder lui-même à des fouilles approfondies.

« Est-ce que ce n'est pas imprudent de laisser toutes ces choses précieuses sans surveillance? demanda Nathalie.

— Plus maintenant que Raoul et Gaston sont sous clef, répondit Noël. Il serait invraisemblable que d'autres voleurs apparaissent subitement! »

Nick alla ramasser l'épouvantail qui gisait à terre et le replanta à l'entrée dut trou.

« Voilà, dit-il, nous allons lui redonner son vrai rôle. »

Et, s'inclinant cérémonieusement devant le vieux mannequin de bois, il prononça d'une voix forte :

« Je te nomme désormais Gardien du Trésor. »

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Les

Noël, Nathalie et Nicolas (Nick).

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LES de Roberte Armand

Série intégrale

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