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LES 3 N ET LES CHATS BIRMANS

par Roberte ARMAND

QUAND on s'attend à être reçu par une amie accueillante dans une confortable villa, c'est bien désagréable de trouver porte close, surtout s'il pleut et que la nuit tombe...

C'est ce qui arrive aux 3 N qui, en compagnie de Mlle Biche et du chien Hercule, s'apprêtaient à passer de paisibles vacances.

Mais à quelque chose malheur est bon : cet incident sera pour les 3 N le début d'une aventure où leur astuce et leur ténacité feront merveille, face à deux énigmatiques chats birmans...

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Série les

I. Les 3N et les voleurs d’images 1971 06II. Les 3N et la maison brulée 1972 04

III. Les 3N et l’étrange voisin1972 09IV. Les 3N et les jumelles 1972 11 V. Les 3N et le chien jaune 1973 03

VI. Les 3N et le bouton d’argent 1973 10VII. Les 3N et la pêche miraculeuse 1974 05

VIII. Les 3N et l’épouvantail 1975 03IX. Les 3N tendent un piège 1975 08X. Les 3N et le puits hanté 1976 04

XI. Les 3N sont sur la voie 1977 08XII. Les 3N et les trois cygnes 1978 06

XIII. Les 3N et le serpent python 1979 01XIV. Les 3N et les chats birmans 1979 10

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ROBERTE ARMAND

LES

ET LES CHATS BIRMANS

ILLUSTRATIONS DE HENRIETTE MUNIÉRE

HACHETTE

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TABLE

I. La maison au bord de l'étang 6II. La cabane 19

III. Les chats 30IV. Une découverte 41V. Le monstre du lac 54

VI. Des photos 64VII. Le rêve de Nathalie 75

VIII. Une partie de ballon 87IX. Allô, allô! 99X. La bouteille 107

XI. A Lamurac 118XII. La maison de repos 127

XIII. Révélations 140XIV. Le troisième chat 153XV. Le balcon 165

XVI. Un goûter au jardin 175

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CHAPITRE PREMIER

La maison au bord de l'étang

MLLE BICHE, son sac tyrolien sur le dos, son chien Hercule sur les talons, jaillit de la petite gare de Lamurac à la vitesse d'un train express. Les enfants Renaud la suivaient, tout aussi chargés. La vieille demoiselle se dirigea vers une maisonnette qui faisait face à la gare. On pouvait y lire, en grosses lettres noires:

SERVICE DES CARS

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La porte s'ouvrit brusquement sous la poussée de l'arrivante, ce qui fit sursauter un employé joufflu et moustachu, qui paraissait somnoler derrière son guichet.

« S'il vous plaît, monsieur, quatre billets pour le car de Mireval », demanda Mlle Biche avec autorité.

L'employé ouvrit des yeux étonnés.« Mais... il est parti depuis une demi-heure ce car! »

s'exclama-t-il.Il ajouta, désignant une horloge murale qui

marquait 18 h 35 : « Le départ était pour six heures. »Un triple « Oh! » retentit derrière le dos de la vieille

demoiselle : c'étaient les Trois N qui exprimaient ainsi leur déception.

Les Trois N? Trois enfants qui utilisaient ce «code» pour se désigner entré eux, leurs prénoms commençant tous par la lettre « N » : Noël, Nicolas, Nathalie. Un trio très uni, dont les membres étaient pourtant fort dissemblables. Noël, qui avait douze ans, était le cousin des deux autres... presque leur frère depuis que, devenu orphelin, il avait été adopté par M. et Mme Renaud. Grand, blond, mince et tranquille, il savait faire régner la paix entre Nicolas, (dit Nick) onze ans, brun et turbulent et sa sœur Nathalie, âgée de neuf ans, qui avait une figure poupine et des yeux bleus malicieux sous sa frange de cheveux clairs.

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Cependant Mlle Biche poursuivait son interrogatoire.

« Et le prochain car, à quelle heure part-il?— Samedi matin, sept heures. » Or on était un

mercredi.« Quoi! rugit la vieille demoiselle en donnant sur le

comptoir un coup de poing qui ébranla quelques tampons encreurs et fit crouler une pile d'horaires, vous n'allez pas me dire que ce village où nous nous rendons n'est desservi que deux fois par semaine? C'est insupportable, inadmissible, scandaleux! (A chaque adjectif, sa voix montait d'un ton.)

— Que voulez-vous, ma bonne dame! Ce car, il ne travaille que les jours de marché.

— Je vois! laissa tomber la « bonne dame » d'un ton cinglant. Votre Lamurac n'est qu'un trou perdu! »

Puis elle tourna les talons, laissant l'employé du car éberlué et incapable de riposter.

Les Trois N la suivirent, un peu gênés de cette « sortie » qui était pourtant bien dans la manière de leur vieille amie, par ailleurs la plus gentille personne de la terre. Celle-ci se dirigea vers une antique Citroën rangée devant la gare et portant le mot « taxi » à l'avant du toit. Elle avait le capot soulevé, et un homme était en train de fourrager dans le moteur.

« Pouvez-vous nous emmener à Mireval, ces enfants et moi? » demanda Mlle Biche.

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L'homme se releva, montrant un visage cramoisi et des mains enduites de graisse.

« Ça ne serait pas de refus, répondit-il, mais vous voyez bien que je suis en panne!

— Alors, dites-moi s'il y a d'autres taxis.— Deux en tout, mais mon collègue est parti pour

une longue course. Savoir quand il reviendra!... »Sur ce, il se replongea dans son moteur, et la vieille

demoiselle fit volte-face, plus ulcérée que jamais. Quant aux Trois N, ils étaient en proie à la consternation. Et c'est dans un silence accablé que les quatre voyageurs se laissèrent bientôt tomber sur un banc, dans un petit square proche de la gare.

« Décidément, aujourd'hui tout va mal! grogna Nick.

— Le fait est que nous jouons de malchance, approuva Noël. D'abord ce premier train qui s'arrête plus d'une heure en rase campagne, on ne sait pourquoi...

— ... et qui nous fait rater la correspondance, reprit son cousin. Le deuxième qu'il a fallu attendre... Le car qui, lui, ne nous a pas attendus, et, pour finir, pas même un taxi. Nous voilà frais!

— Je le voudrais bien, moi, être frais! plaisanta l'aîné du trio en épongeant son front moite. Quelle chaleur! »

Le fait est que cette journée de juillet se montrait encore lourde et orageuse à l'approche du crépuscule.

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« Alors, qu'est-ce qu'on va faire? demanda Nathalie d'une petite voix éplorée. C'est encore loin, ce village où nous allons?

— Onze kilomètres », répondit Mlle Biche d'un air sombre.

Mais, une minute plus tard, elle sautait sur ses pieds avec entrain et déclarait avec un grand sourire :

« Inutile de nous lamenter : ne sommes-nous pas des sportifs, vous et moi?

_ Vous surtout », marmonna la petite fille inquiète en se rappelant à quel point la culture physique était le dada favori de la vieille demoiselle. Elle ajouta avec appréhension :

« Vous voulez dire que... qu'on va les faire à pied, tous ces kilomètres?

— Pourquoi pas?— Onze kilomètres à pied, ça use, ça use...

chantonna Nick d'une voix de fausset.— Peut-être bien que nous pourrons faire de l'auto-

stop? » supposa Noël.C'était plutôt pour encourager sa cousine, car il

n'espérait guère rencontrer la voiture providentielle qui les chargerait, eux, leurs sacs et Hercule pour faire bonne mesure. Ce Mireval, où le car ne se rendait que deux fois par semaine, paraissait être un endroit ignoré des touristes. Il nichait quelque part au cœur d'une de ces petites montagnes qui entouraient le gros bourg de Lamurac.

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N'empêche qu'à ces paroles d'espoir, Nathalie se rasséréna. Et bien plus encore quand elle entendit la proposition de Mlle Biche :

« Nous allons acheter quelques provisions et nous pique-niquerons un peu plus loin, sur le bord du chemin.»

C'est ainsi que, munie d'une grosse couronne de pain, de pâté de campagne et de fruits, la petite troupe aborda courageusement une route secondaire qui en s'éloignant de Lamurac, ne tarda pas à grimper. A vrai dire, ce n'était pas une promenade d'agrément! La chaleur était toujours pénible, malgré la nuit proche dont la venue était encore hâtée par les grosses nuées emplissant le ciel. Et les sacs pesaient lourd sur les épaules. Ils

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contenaient, entre autres, un duvet pour chacun. « Je ne veux pas être une cause de travail pour cette chère Mme Deloche, avait déclaré Mlle Biche. C'est déjà si gentil de sa part de nous inviter! Or je sais qu'elle a beaucoup de peine à se procurer une aide ménagère, dans son petit village. »

N'empêche que ces sacs étaient fort encombrants, si bien que Nathalie regardait d'un œil d'envie le chien Hercule, le seul à ne pas en porter. Aussi trottait-il allègrement derrière sa maîtresse, sans la quitter d'une semelle. D'ailleurs, ils avaient beaucoup de points communs : leur taille minuscule, leur toison bouclée d'un brun grisâtre, leur énergie débordante. Vers huit heures et demie, il faisait déjà très sombre, et la moitié du chemin environ avait été parcourue, mais pas une seule automobile n'avait doublé les promeneurs, si ce n'est une camionnette qui avait aussitôt tourné dans une cour de ferme.

« Arrêtons-nous ici », proposa un peu plus tard la vieille demoiselle, en désignant un talus au pied duquel coulait un ruisseau.

On mangea « sur le pouce » des tartines de pâté, on but quelques gorgées d'eau pour faire passer, puis on reprit la route tout en croquant des abricots et des pêches. Après cette halte qui aurait dû redonner des forces à la petite troupe, la fatigue, au contraire, se fit sentir. Surtout pour Nathalie qui se mit à boitiller en arrière-garde.

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« Allons, fais un petit effort! l'encouragea Noël.— J'ai mal au pied : je crois bien que c'est une

ampoule! gémit l'éclopée.— Une ampoule! C'est sans doute pour éclairer

notre route? plaisanta Nick. Comme c'est gentil de ta part! »

Sa sœur haussa les épaules d'un air excédé :« Toi et tes astuces bêtes! »Sans rien dire, Noël lui prit son sac et le porta sous

son bras. Ainsi allégée, Nathalie allongea de nouveau le pas.

Dans l'obscurité devenue presque complète, la petite troupe avançait avec de moins en moins d'entrain. Pour rompre le silence devenu pesant, Mlle Biche se mit à raconter une fois de plus les circonstances de sa rencontre avec Mme Deloche, leur future hôtesse. Toutes deux s'étaient trouvées, l'été précédent, dans le même hôtel d'une petite ville d'eaux.

« Et cette dame paraissait tellement s'ennuyer, poursuivit la narratrice, que j'ai décidé de la distraire. Cela n'a pas été facile! Nous avons le même âge, mais des tempéraments bien différents. Une personne charmante, mais ayant les nerfs fragiles. Avec ça, tout à fait dépourvue d'esprit sportif. Eh bien! croyez-moi, je l'ai entraînée dans des marches à pied, des excursions, et elle m'a fort bien suivie. »

Les Trois N n'en doutaient pas : Mlle Biche

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avait l'esprit de décision et son dynamisme était contagieux. Eux-mêmes, malgré ses petits travers, considéraient comme un privilège de passer des vacances en sa compagnie. Mme Deloche avait dû également l'apprécier, comme le prouvait la suite du récit :

« Nous sommes restées très bonnes amies, affirmait la maîtresse d'Hercule. Pourtant, nous ne nous sommes pas revues; mais nous avons beaucoup correspondu et, quand elle m'a invitée à venir passer quinze jours dans sa villa, j'ai proposé de vous y amener. Elle a tout de suite accepté.

— Très généreux de sa part, apprécia Noël. A quatre, nous serons plutôt encombrants!

— Elle m'a affirmé que non. Depuis son récent veuvage, elle est très seule dans sa grande maison. Son mari est mort il y a six mois. Il faisait du commerce avec les pays d'Asie, spécialement l'Inde et la Birmanie. C'est là-bas que la fièvre jaune l'a emporté. »

Il y eut encore un long silence, que rompit Mlle Biche en déclarant pensivement :

« Il y a deux choses qui me chiffonnent un peu cependant.

— Lesquelles? questionnèrent les enfants d'une seule voix.

— Tout d'abord, la présence chez elle de deux chats birmans : son mari les lui avait expédiés de leur pays d'origine. Or je crains qu'Hercule... »

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La vieille demoiselle menaça gentiment du doigt le caniche qu'elle avait fini par prendre dans ses bras, car il manifestait des signes de fatigue.

« Tu me promets de ne pas importuner ces précieuses petites bêtes, n'est-ce pas Hercule?

— Ouah, ouah! » fut la réponse de l'interpellé, ce qui parut satisfaire sa maîtresse qui avait sans doute interprété « Oui, oui! »

« Et cette autre chose qui vous chiffonne? demanda Nathalie.

— C'est le post-scriptum de sa dernière lettre, arrivée hier. Il disait à peu près ceci : « J'ai hâte de vous revoir, chère amie, mais en même temps j'éprouve un peu de scrupule. Il se passe ici « d'étranges choses. »

— Oh, oh! bizarre, en effet! » commenta Nick d'un air réjoui, comme chaque fois qu'il flairait un mystère.

Sa sœur, elle, ne dit rien, mais se rapprocha un peu plus de son cousin. Elle commençait à trouver cette expédition moins amusante... pour ne pas dire, inquiétante!

Le petit groupe marchait de nouveau en silence, et la route, obstinément déserte, semblait ne devoir jamais finir quand Nick s'exclama :

« Voilà l'étang! »En effet, une étendue d'eau, dont on ne pouvait

distinguer les contours, miroitait faiblement sur la gauche, un peu en contrebas.

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« C'est donc que nous arrivons bientôt! s'écria joyeusement Mlle Biche. Mon amie m'a beaucoup parlé de ce grand étang, presque un lac, qu'elle peut contempler depuis le balcon de sa chambre.

— Pas très réjouissant comme spectacle! » marmotta Nathalie.

Cette eau noire d'où semblait monter une moiteur malsaine, ce ciel plombé lui causaient un sourd malaise. Si au moins étaient apparues les rassurantes lumières d'une habitation! Or les trois enfants et leur vieille amie avaient beau écarquiller les yeux, ils ne voyaient que des herbes ou des ramures agitées par un vent léger. Pas trace de présence humaine.

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Enfin, après une cinquantaine de mètres sur la route qui continuait à grimper, ils aperçurent sur la droite, une masse sombre. Peu à peu sa forme se précisa, et Mlle Biche reconnut Le Castelet, la maison de Mme Deloche qu'elle avait vue en photo. Mais pourquoi aucune lumière n'y brillait-elle?

« Mon amie a dû renoncer à nous attendre et aller se coucher, conclut la vieille demoiselle, mais son ton était perplexe.

— Il est en effet 10 h 20, remarqua Noël qui avait un cadran lumineux à sa montre.

— Dans ce cas, il faut la réveiller, lança Nick d'un ton péremptoire. Nous n'allons quand même pas coucher à la belle étoile... d'autant plus que, des étoiles, il n'y en a guère!

— D'accord. Allons sonner à la porte », accepta Mlle Biche.

Par une ouverture pratiquée dans une haie de thuyas, la petite troupe pénétra dans ce qui devait être un jardin d'agrément. Elle suivit une allée, monta quelques marches et se trouva devant une porte en bois massif. Alors la vieille demoiselle appuya résolument sur la sonnette et puis, dans le silence, chacun attendit.

Rien. Pas le moindre bruit.La maîtresse d'Hercule pressa de nouveau le

bouton; une fois, deux fois... toujours rien!Ou plutôt... Nathalie, la première, perçut une sorte

de glissement, comme si quelqu'un, à l'intérieur,

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marchait à pas feutrés; puis ce bruit ténu cessa : l'occupant avait dû atteindre la porte, mais celle-ci resta fermée.

Depuis un moment déjà, le caniche, sur les bras de sa maîtresse, faisait entendre un sourd grondement; lui aussi avait détecté une présence invisible.

« II y a quelqu'un là-dedans! » chuchota la petite fille d'une voix altérée.

Son frère, non moins troublé qu'elle, colla l'oreille contre le panneau; il lui sembla capter le bruit léger d'une respiration.

« Nathalie a raison, murmura-t-il. Mais alors... pourquoi? »

La vieille demoiselle se décida soudain à employer les grands moyens. Elle tambourina contre le panneau à plusieurs reprises en criant d'une voix forte :

« C'est moi, Mlle Biche, avec les trois enfants que vous avez invités. Ouvrez-nous, je vous en prie, chère madame Deloche! »

Pas de réponse. La personne, quelle qu'elle soit, qui se trouvait de l'autre côté de la porte, faisait la sourde oreille.

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CHAPITRE II

La cabane

MLLE BICHE fit mine de heurter encore une fois le panneau, mais n'acheva pas son geste.

« Allons-nous-en », dit-elle simplement.Les Trois N obéirent sans protester. A sa suite ils

traversèrent à nouveau le jardin, puis rejoignirent la route et se remirent à marcher. La haie cessa bientôt, faisant place à un champ à l'orée duquel se dressait un chêne centenaire. C'est là que le petit groupe s'arrêta, les enfants se serrant frileusement autour de leur vieille amie. Ils s'apercevaient soudain qu'avec la nuit et

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l'altitude, la fraîcheur était venue. Sans compter cette humidité enveloppante qui montait de l'eau toute proche. Et, brusquement, un concert d'exclamations succéda au silence contraint que le trio avait gardé jusqu'ici.

« Un drôle d'accueil! s'écria Nick.— Nous arrivons aussi à une drôle d'heure, admit

Noël, mais ce n'est pas une raison pour...— ... nous fermer la porte au nez! acheva

Nathalie.— La fermer? Sûrement pas, ironisa son frère,

puisqu'elle n'a même pas été ouverte.— Cette Mme Deloche que vous disiez si

hospitalière...! » remarqua la fillette en s'adressant à Mlle Biche.

Cette dernière secoua énergiquement la tête et laissa tomber d'un ton sans appel : « Ce n'était pas Mme Deloche!

— Quoi! Qu'est-ce qui vous fait dire ça? s'étonna Nick.

— Deux raisons bien simples : la première, c'est que mon amie, si craintive soit-elle, n'aurait plus hésité à m'ouvrir quand je me suis nommée.

— Et la seconde raison?- L'attitude d'Hercule, voyons! Il n'aurait jamais

grogné si Mme Deloche, qu'il aimait beaucoup, s'était trouvée de l'autre côté de la porte. Donc, il a senti la présence d'un étranger.

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— Et s'il s'agissait seulement des chats? supposa Noël. On peut imaginer que votre amie dormait trop fort pour nous entendre et que ce sont eux qui...

— Non et non! protesta Nathalie. C'était une personne, pas un animal, que j'ai entendu marcher...

— ... et respirer, ajouta son frère.— Bizarre! commenta Noël d'un ton préoccupé.

Pourquoi Mme Deloche semble-t-elle absente de sa maison, et qui est cet étranger qui a pris sa place?

— Je me le demande et j'avoue que je suis inquiète pour ma pauvre amie, déclara Mlle Biche d'un air soucieux.

— D'accord, mais nous ferions bien de nous inquiéter pour nous-mêmes, remarqua le plus jeune des garçons. Nous voilà décidément condamnés à coucher dehors!

— Oh, non! Il fait trop froid, et j'aurais bien trop peur! protesta sa sœur.

— Mes pauvres enfants! s'écria Mlle Biche en serrant Nathalie contre elle. C'est ma faute, ce qui nous arrive. Si j'avais su...! »

Nick voulut protester en disant qu'une aventure était toujours bien accueillie par les Trois N, mais une rafale de vent emporta ses paroles. Une courte accalmie suivit. Et, comme pour rendre la situation encore plus critique, la pluie se mit à tomber. Les quatre promeneurs pouvaient percevoir son bruit ténu sur les feuilles du gros arbre qui les abritait provisoirement.

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« Il est urgent de trouver un refuge! » proclama Mlle Biche.

En même temps, elle tournait la tête de tous côtés avec l'espoir d'apercevoir une lumière vers laquelle le petit groupe en détresse pourrait se diriger. Les enfants l'imitèrent, mais ce fut en vain : le ciel, la terre, l'étang, tout était d'un même noir d'encre.

« On n'y voit goutte, mais on entend... des gouttes, remarqua Nick, à qui aucune circonstance n'ôtait le goût de la plaisanterie.

— Non seulement on les entend, mais on les sent! » répliqua son cousin.

L'averse, en effet, allait s'intensifiant, et l'abri du feuillage serait bientôt inefficace.

« Et si on retournait à la villa? suggéra Nathalie. Peut-être qu'en voyant le temps qu'il fait, le... l'occupant se montrerait plus hospitalier?

— Y retourner? Jamais! répondit fièrement la vieille demoiselle. En avant, les enfants! Le village n'est guère qu'à deux ou trois kilomètres.

— Ben voyons! Une petite promenade de rien du tout! » ironisa Nick parlant « dans sa barbe ».

Il aimait bien Mlle Biche, mais trouvait qu'elle minimisait un peu trop les difficultés. Une marche à pied, c'est bien beau, mais quand il fait sec et qu'on y voit clair. Noël, lui, remarqua tout haut :

« Nous serons trempés comme des soupes avant d'avoir fait deux cents mètres.

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— Et puis, est-ce qu'il y a seulement un hôtel dans ce village? demanda sa cousine. D'ailleurs, à cette heure-ci, tout le monde doit dormir!

— Vous avez raison, admit Mlle Biche. Nous devons trouver une autre solution, et sans tarder. »

Facile à dire, en cet endroit désertique et par cette nuit noire! Néanmoins, comme la pluie avait ralenti, les quatre compagnons reprirent leur marche. Peu à peu, leurs yeux s'habituant à l'obscurité, ils commençaient à distinguer quelques détails.

C'est ainsi que Nick, jouant une fois de plus les éclaireurs, tendit soudain le doigt en direction d'une forme sombre aux contours géométriques qui se dressait en contrebas de la route, non loin de l'étang.

« Une cabane! s'écria-t-il.— Une cabane! répéta Nathalie, avec la même voix

extasiée qu'elle aurait eue pour dire « un palais ».— Allons vérifier », décida Noël qui n'osait y

croire.Déjà son cousin partait à la recherche d'un moyen

d'accès qui les conduirait vers ce providentiel abri.« II nous faudrait une lampe de poche, remarqua-t-

il.— J'en ai bien une, déclara Mlle Biche, mais elle

se trouvé au fond de mon sac. Le temps de la chercher...»

Un cri de triomphe l'interrompit.

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« Hourra! Je crois avoir trouvé un sentier.C'était Nick qui déjà, en tâtonnant du pied, suivait

la pente raide d'un étroit chemin caillouteux. Le raidillon s'aplanit bientôt, et le jeune explorateur découvrit une construction de planches.

« C'est bien une cabane », annonça-t-il.Pas un palais en tout cas et, tandis que les autres se

hâtaient de le rejoindre, il examinait sa trouvaille d'un œil perplexe.

« Minable! » dit-il enfin, après avoir fait le tour de la bâtisse. De forme rectangulaire, elle mesurait environ cinq mètres sur trois et ne possédait

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que deux ouvertures : une petite fenêtre dont une des vitres était brisée et, face à l'étang, une large porte à deux battants. Le toit à double pente était en planches, comme les murs.

« Une hutte de pêcheur, supposa Noël qui venait de rejoindre son cousin.

— Ou plutôt un hangar à bateaux », affirmaNick.Par la porte branlante, que nulle serrure ne bloquait

et que le vent faisait battre, les deux cousins s'introduisirent dans l'unique pièce : elle était vide.

« Voyons ce château! fit gaiement Mlle Biche apparaissant à son tour, suivie de Nathalie qui s'était chargée du caniche. Hum! comme hôtel « trois étoiles », on fait mieux. Mais nous avirons de quoi nous abriter cette nuit, n'est-ce pas l'essentiel? »

La fillette fit la moue. Le premier moment d'excitation passé, ce refuge humide et sombre ne l'attirait guère. Mais elle se dit avec raison que cette misérable cahute au sol de terre battue valait mieux, pour y dormir, que la campagne éventée, détrempée, avec le ciel noir pour seul toit.

Déjà les quatre compagnons occupaient les lieux et déposaient leurs sacs à même le sol. Le premier soin de Mlle Biche fut de fouiller le sien pour en retirer sa lampe de poche qu'elle alluma aussitôt. Cela ne donnait qu'une faible lumière,

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mais il n'en fallut pas plus pour remonter le moral de la troupe. Chacun regarda d'un œil moins critique la cabane devenue gîte provisoire. De toute évidence, elle était abandonnée depuis longtemps, comme le prouvait son état de délabrement. Les deux garçons se mirent à fureter dans les recoins obscurs où des objets étaient entassés pêle-mêle.

« Un morceau de toile triangulaire! annonça Nick, c'est sûrement une voile : donc il s'agit bien d'un hangar à bateaux.

— J'avais raison, moi aussi, enchérit Noël en brandissant une épuisette au fond troué, puis un grand filet non moins éculé... Quelqu'un entreposait ici ses instruments de pêche.

— Peu importe à quoi sert cette cabane, trancha la vieille demoiselle. Pour cette nuit, elle est promue dortoir. Nous allons y installer dare-dare nos sacs de couchage et justement, mes garçons, vos trouvailles vont nous être utiles. Etalez donc sur le sol ces toiles et ces filets; ils serviront de matelas de fortune. »

Sous son impulsion, la « chambre à coucher » fut prête en un temps record : trois duvets placés côte à côte pour les Trois N; le quatrième, celui de Mlle Biche, disposé un peu à l'écart et perpendiculairement aux autres. Enfin, comme la sagesse le conseillait, les quatre réfugiés se hâtèrent de s'enfouir dans leurs sacs respectifs, après s'être contentés d'enlever leurs souliers.

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Hercule, quant à lui, vint se blottir aux pieds de sa maîtresse.

Sur le toit de planches, l'averse crépitait de plus belle. Qu'importait aux Trois N et à leur vieille amie? Ils se trouvaient à l'abri, bien au chaud dans leurs duvets. Cinq minutes plus tard, tous quatre sombraient enfin dans un sommeil réparateur.

** *

Après cette nuit mouvementée, Noël fut le premier à ouvrir les yeux. 0 surprise! C'était un rayon de soleil filtrant par une fente entre deux

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planches, qui l'avait réveillé. Le soleil! Le beau temps était-il revenu? Pour s'en assurer, il se glissa hors de son sac de couchage, en faisant le moins de bruit possible pour ne pas troubler le sommeil des trois autres. Puis il saisit ses souliers et gagna la porte. Il dut, pour pouvoir sortir, dénouer la ficelle que Nick avait utilisée la veille en guise de serrure.

Dehors, il faisait encore frais, mais le ciel était pur, sans le moindre nuage. Quelle chance! Du coup, le paysage n'avait plus rien de lugubre, bien au contraire! La cabane était plantée à quelques dizaines de mètres du petit lac. Au bord de celui-ci, les roseaux poussaient en abondance. Par une trouée qu'on y avait pratiquée, Noël put apercevoir l'eau, d'un beau vert glauque. La rive opposée lui apparut aussi, montueuse et boisée.

Soudain, le jeune garçon fut tiré de sa contemplation par un bruit de pas. Il tourna vivement la tête : un homme dévalait le sentier menant à la cabane. De taille moyenne, il portait un pull-over à col roulé, un pantalon de toile et des espadrilles. Il avait des cheveux bruns ondulés rejetés en arrière, et un collier de barbe encadrait son visage étroit au profil aquilin. Quant à ses yeux, on ne les voyait pas, car ils étaient cachés derrière des lunettes noires.

Instinctivement, Noël recula derrière la cabane. Déjà l'homme l'avait dépassé et se dirigeait vers les roseaux au milieu desquels il s'enfonça, sur la

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gauche. Il paraissait avoir un but précis. Lequel? Noël allait peut-être l'apprendre, mais-Ce fut juste le moment que choisit Mlle Biche pour faire sa sortie. Ayant endossé un survêtement de couleur orange avec des raies bleu pâle elle s'apprêtait de toute évidence à exécuter sa gymnastique matinale. Bien entendu, son caniche la suivait de près. Après avoir respiré à fond deux ou trois fois (Noël aurait juré qu'Hercule en faisait autant), la vieille demoiselle, les coudes au corps, amorça un sprint. Le bruit de ses pas sur les cailloux alerta l'inconnu qui jaillit d'entre les roseaux et se trouva nez à nez avec Mlle Biche. L'ébahissement se peignit sur le visage de cette dernière, tandis qu'un rictus de colère déformait le visage de l'homme. Sans un mot, il tourna les talons, escalada vivement le sentier et ne tarda pas à disparaître.

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CHAPITRE III

Les chats

LA VIEILLE DEMOISELLE était restée figée sur place, l'air indigné. Elle sursauta en apercevant Noël qui sortait de sa cachette.

« Est-ce qu'il est parti? interrogea le jeune garçon.— Mais oui! et le plus fort, c'est qu'il s'est sauvé en

me voyant, comme si je faisais peur aux gens, moi, Adélaïde Biche! Serions-nous tombés chez les sauvages? »

IDéjà Noël n'écoutait plus : il s'était élancé sur les

traces de l'inconnu. Ayant gravi le raidillon, il se

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retrouva sur la route. Là, ne voyant âme qui vive, il eut une courte hésitation. Le promeneur matinal avait-il pris sur la droite, en direction du Castelet, ou sur la gauche, côté village? Poussé par son instinct, le jeune garçon opta pour la droite. Qui sait si cet individu au comportement bizarre n'était pas le même qui occupait, la veille, la maison de Mme Deloche? Eh bien, le jeune garçon allait vérifier!

Il atteignit bientôt la haie de thuyas, la suivit en se baissant et glissa un œil par l'ouverture tenant lieu de portail. Ce fut pour apercevoir le barbu, sur le perron. Il tira une clef de sa poche, ouvrit la porte, entra et referma bruyamment le panneau.

« Il paraît bien être chez lui, se dit Noël. C'est un peu fort! Et Mme Deloche, dans tout ça? »

Pour en avoir le cœur net, le jeune garçon décida de s'introduire dans la propriété. Les thuyas l'entouraient complètement, mais ils étaient très clairsemés sur l'arrière. Ce fut de ce côté-là, par un intervalle entre deux arbustes, que l'explorateur pénétra dans un jardin potager en friche. Puis il s'approcha d'une porte-fenêtre et, prudemment, jeta un regard à l'intérieur : il aperçut une cuisine en désordre. Dans cette cuisine, un homme, toujours le même. Il était tout bonnement occupé à préparer du café.

Un cri de triomphe l'interrompit.

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« Puisqu'il est ici, il rie se trouve pas ailleurs... comme dirait La Palice », pensa Noël.

Aussi prit-il moins de précautions pour inspecter les autres pièces du rez-de-chaussée. Comme il était légèrement surélevé, il dut se hisser à la force des poignets sur le rebord des fenêtres, II vit ainsi une office et deux chambres, vides. Mais peut-être l'occupante se trouvait-elle à l'étage? Peu probable, car tous les volets étaient clos. Ou bien dormait-elle encore? En tout cas, la demeure entière, malgré ses élégantes proportions qui la faisaient ressembler à un petit château, avait un air de tristesse, presque d'abandon. Dans le jardin de fleurs, sur le devant, quelques rosés fanées que l'on avait oublié de couper, s'effeuillaient sur les plates-bandes. Cela ne ressemblait pas à sa propriétaire, telle que Mlle Biche l'avait décrite aux Trois N avant leur départ.

« Elle n'est pas ici », décida Noël.Et ce fut cette même conclusion qu'il répéta devant

les trois autres, cinq minutes plus tard (Nick et Nathalie s'étaient levés à leur tour), en contant son escapade.

« Ou alors, elle est malade, suggéra sa cousine.— Ou bien ce type la séquestre », supposa encore

le plus Imaginatif des trois.La vieille amie des Renaud pâlit visiblement. « II

nous faut vérifier dès que possible, déclara-t-elle avec fermeté.

— De quelle façon?

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— En rendant visite à ce... à cet individu. Et cette fois, je vous assure que je l'obligerai à nous ouvrir sa porte... dussé-je l'enfoncer! »

Son ardeur combative gagna Nick, qui proposa :« On y va tout de suite?— Mais... mais... on n'a pas eu de petit déjeuner!

fit remarquer timidement Nathalie.— Pas possible! gloussa son frère. Cette fille doit

avoir un réveil dans l'estomac, qui fait «drelin, drelin! » quand il est l'heure de manger!

— Elle a raison! la défendit Mlle Biche. Il nous faut d'abord prendre des forces. Pour commencer, d'ailleurs, je propose... »

Les Trois N étaient d'avance résignés à l'entendre dire « un peu de culture physique ». Mais non!

« ... un brin de toilette dans l'étang, poursuivit la maîtresse d'Hercule. Rien de tel pour nous mettre en forme. »

L'eau était bien froide, et les provisions qui restaient de la veille constituaient un déjeuner assez maigre. Cependant, un quart d'heure plus tard, les quatre compagnons se sentaient d'attaque pour aborder l'adversaire sur son propre terrain. Mlle Biche en tête, ils se mirent en route, accompagnés d'Hercule que Nathalie tenait en laisse. Ils se retrouvèrent bientôt sur le perron du Castelet. Alors la vieille demoiselle appuya impérativement sur la sonnette.

Quelle surprise! Son geste, cette fois, eut de

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l'effet. Un pas retentit à l'intérieur, puis un battant s'ouvrit... juste assez pour laisser passer une tête barbue. C'était l'inconnu du matin, mais il avait enlevé ses lunettes, et le regard froid de ses yeux, d'un bleu très clair, scrutait les arrivants. « Que voulez-vous? demanda-t-il d'un ton rogue.

— Voir Mme Deloche.— Elle n'est pas ici.— Mais enfin, c'est impossible! s'emporta

Mlle Biche, brandissant une feuille de papier sous le nez de l'homme. Voici une lettre d'elle, datée d'il y a dix jours : elle m'y invite à venir séjourner dans sa villa avec mes trois jeunes amis. En voilà une autre, plus récente, qui confirme cette invitation. Et j'ai moi-même répondu, annonçant notre arrivée pour hier après-midi. Nous avons été retardés, mais ce n'est pas une raison pour...

— Je vous répète qu'elle est absente. J'ignorais qu'elle attendait des invités, et ce n'est pas à moi de les recevoir à sa place!

— Pourtant, vous y êtes bien, à sa place. Et de quel droit?

— Du droit qu'a un beau-frère de venir habiter chez sa belle-sœur. »

D'abord interloquée, Mlle Biche réagit très vite. Jouant la stupéfaction, elle laissa tomber :

« Vous, son beau-frère? C'est difficile à croire! »L'inconnu parut vexé.

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« Et pourquoi donc, s'il vous plaît? Son mari était mon frère aîné. Qu'y a-t-il là d'extraordinaire?

— Oh! rien..., à part le fait que Mme Deloche m'avait décrit son mari comme un homme aimable, poli... « civilisé » en un mot. J'avais tort de m'imaginer que les frères se ressemblent, voilà tout! »

A mesure qu'elle parlait, le teint de l'homme, sous l'effet de la colère, virait au rouge et son regard se faisait menaçant. Les Trois N commençaient à se sentir mal à l'aise.

C'est alors qu'un léger incident se produisit, qui détendit un peu l'atmosphère. Hercule en fut le responsable, et peut-être aussi Nathalie qui, captivée par cette scène, ne tenait pas assez fermement la laisse du chien. Celui-ci, depuis un moment, s'était mis à grogner. Comme le ton de la conversation avait monté, il dut croire sa maîtresse en danger. Toujours est-il qu'il se rua soudain sur l'adversaire avec l'intention évidente de le mordre au mollet. L'homme fit un bond de côté, si bien que le battant de la porte qu'il tenait, s'ouvrit largement. L'imprudente, entraînée par le chien, s'engouffra dans la maison. Elle avait parcouru quelques mètres lorsqu'elle put enfin maîtriser le caniche. Aussitôt elle jeta un œil curieux sur ce qui l'entourait : Nathalie se trouvait dans un grand hall rectangulaire, avec, sur sa gauche, un escalier de bois ciré. De part et d'autre de la première marche, elle aperçut, posés par terre...

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non, décidément c'était trop drôle! Ces deux figurines de porcelaine ne représentaient-elles pas...?

Un grand éclat de rire la secoua tout à coup, et c'est riant toujours qu'elle revint sur ses pas en entraînant Hercule. Tous les autres avaient l'air médusé, y compris le beau-frère de Mme Deloche, qui sortit de derrière la porte pour demander :

« Qu'est-ce qui vous prend? Je ne vois pas ce qu'il y a de si drôle! »

Les deux autres « N » et Mlle Biche ne comprenaient pas, eux non plus.

« Explique-nous, enfin! » s'impatienta Nick.Sa sœur, à mots entrecoupés, réussit enfin à

prononcer :« Les chats... vous savez, les chats birmans si

précieux? Eh bien, je les ai vus. Mais... ah! ah! Ce ne sont pas des chats vivants... ah! ah! Ils sont... en porcelaine!

— En porcelaine! » répondirent les deux garçons et la vieille demoiselle d'une seule voix.

Et trois têtes curieuses s'introduisirent par l'ouverture de la porte.

« Mais oui, je les aperçois! cria Nick.— Moi aussi, moi aussi! »Le beau-frère fixait également les figurines qui

représentaient deux chats de teinte dorée, plus grands que nature, en position assise. Quand il se retourna, il avait une expression bizarre. Les yeux plissés par la curiosité, il demanda :

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« Vous connaissiez donc l'existence de ces chats?— Oui, répondit Mlle Biche. Mme Deloche

m'avait parlé d'eux dans une de ses lettres, disant que son mari les lui avait expédiés de Birmanie. Mais il est évident qu'il y a eu quiproquo : j'avais cru comprendre qu'il s'agissait de vrais chats.

— Les vrais existent peut-être? » suggéra Noël.

L'homme secoua la tête.« Il n'y a pas d'animal domestique dans cette

maison. »Il paraissait soudain moins agressif. Il prit même un

ton doucereux pour demander :« Ainsi, ma belle-sœur attachait assez d'importance

à ces chats pour vous parler d'eux? Que disait-elle exactement?

— Rien de plus, coupa sèchement la vieille demoiselle. Il y a eu confusion, un point, c'est tout. Parlons plutôt de votre belle-sœur. Pourquoi cette absence soudaine? Est-elle souffrante? Dans ce cas il faut que ce soit grave, pour qu'elle ne m'en ait pas avertie! »

Le barbu hocha la tête d'un air faussement désolé.« Grave, non, mais ennuyeux. Depuis la mort de

mon frère, elle souffrait de dépression. Son état s'étant aggravé, le docteur a jugé bon de l'envoyer en maison de repos. »

Mlle Biche n'avait pas l'air très convaincu.

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« Bizarre que cette aggravation lui soit venue aussi subitement! Et cette maison de repos, où se trouve-t-elle? J'ai, bien sûr, l'intention d'aller voir mon amie.

— Pas question! répondit le beau-frère. Les visites sont formellement interdites : ordre du médecin.

— Dans ce cas, donnez-moi son adresse, je pourrai au moins lui écrire.

— Pas de lettres non plus. Je regrette. » Sur ce, profitant de ce que Nathalie et Hercule

avaient rejoint le petit groupe demeuré sur le seuil, il referma la porte sur un sec « au revoir », mais il la rouvrit presque aussitôt, juste assez pour lancer par l'entrebâillement :

« Au fait, le hangar que vous occupez fait partie de la propriété; je vous prie de bien vouloir l’évacuer. »

Là-dessus le panneau se referma; définitivement, cette fois.

Mlle Biche et les enfants restèrent un moment interdits. Enfin la vieille demoiselle put articuler trois mots, trois seulement, mais qui furent énoncés avec beaucoup d'énergie :

« Le grossier personnage! »Après quoi elle tourna les talons, suivie par les

Trois N et le chien, en file indienne.« Où allons-nous? demanda Nathalie.— Sans doute reprendre nos sacs laissés à la

cabane, supposa Noël.

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— ... et nous chercher un autre gîte », ajouta son cousin.

Mlle Biche s'arrêta si brusquement qu'il y eut des collisions en chaîne.

« Un autre gîte? Pas question! déclara-t-elle en relevant la tête d'un air de défi. Ah! Ce monsieur est pressé de nous voir partir? Il est gêné par notre voisinage? Eh bien, nous resterons. Vous êtes d'accord, n'est-ce pas, les enfants?

— Oui, oui! fit Nick sincère.— Ou...i », acquiesça Noël d'un ton moins

convaincu.Nathalie ne dit rien, mais soupira en secret. Certes,

ce vieux hangar avait été le bienvenu, la nuit précédente, pour les quatre voyageurs sans abri. Mais pouvait-il souffrir la comparaison avec la belle maison dont elle venait d'entrevoir l'intérieur? Certes non!

Noël dut deviner les regrets de sa cousine, car il se pencha vers elle et lui glissa dans l'oreille :

« Tu verras : nous allons jouer aux robinsons, et ce sera très amusant. »

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CHAPITRE IV

Une découverte

Noël avait toujours raison, c'était du moins l'avis de Nathalie. Et, puisqu'il affirmait .qu'on allait bien s'amuser, elle ne demandait qu'à le croire. Nick, de son côté, se réjouissait à l'idée d'aménager le « terrain conquis ». C'est donc en se livrant à de joyeuses anticipations que les Trois N retournèrent vers la cabane, suivis par •une Mlle Biche toute songeuse.

Aussi, grandes furent leur surprise et leur

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déception quand la vieille demoiselle, examinant le hangar, secoua la tête et s'écria :

« Non décidément, nous ne pouvons pas rester là-dedans. Il nous faut chercher un gîte plus confortable.

— Mais, mademoiselle, se récria Nick, tout à l'heure vous avez dit...

— J'ai dit, j'ai dit... oui, bien sûr! Seulement, c'était sous l'effet de la colère : ce malappris qui prétendait nous chasser a éveillé mon esprit de contradiction. Maintenant que j'ai eu le temps de réfléchir, je trouve plus raisonnable de quitter cet endroit.

— Pour où? demanda Nathalie, d'une voix qui trahissait son manque d'enthousiasme.

— Pour Mireval, bien sûr : c'est l'agglomération la plus proche. Sans doute y trouverons nous ce que nous cherchons. »

Et, sans plus écouter les protestations des enfants, elle les entraîna au pas gymnastique en direction du village. Celui-ci, de faible importance, était niché au creux d'un vallon, sur une route départementale.

« Un ravissant petit-trou-pas-cher! » jugea Nick.Pas d'hôtel. La partie commerçante se réduisait à un

café-restaurant et à une épicerie.« Peut-être que nous trouverons à nous loger chez

l'habitant? » suggéra la maîtresse d'Hercule.Pour le savoir, elle se dirigea vers la mairie toute

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proche, et posa des questions à une secrétaire complaisante. Celle-ci l'envoya chez une certaine Mme Louvat, la seule personne dans le village susceptible de louer des chambres. Toujours flanquée des Trois N et d'Hercule, la vieille demoiselle se rendit à l'adresse indiquée.

« Je regrette, lui dit l'éventuelle logeuse, mais j'ai en ce moment de la famille qui occupe mes chambres. Revenez au début de la semaine prochaine, elles seront sans doute libérées. »

Que faire?« Retourner à la cabane... en attendant, suggéra

Nick, dont la figure s'éclairait au fur et à mesure que celle de Mlle Biche s'assombrissait.

— D'accord! » fit celle-ci après quelques secondes de réflexion.

Cette décision prise, elle retrouva instantanément son entrain, et c'est d'un pas alerte qu'elle entraîna sa petite troupe vers l'épicerie.

« Car, expliqua-t-elle aux Trois N, nous avons besoin d'un tas de choses pour notre installation. Voyons quelles sont les ressources de cette petite boutique. »

C'était simple : on y vendait de tout, ou presque. Si bien que les Trois N et leur vieille amie reprirent bientôt le chemin de la cabane, les bras chargés de paquets, de cornets, de boîtes et de bouteilles. Mais ce qu'ils rapportaient de plus précieux, c'était une adresse : celle de la « ferme des Peupliers ». Là vivait, en compagnie de sa fille et

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de son gendre, une certaine Fanny Galichet, ancienne employée de maison au Castelet.

« Même qu'elle y fait encore le ménage une fois par semaine, assura l’épicière. Si quelqu'un peut vous renseigner sur Mme Deloche, c'est bien elle. Au village on la connaît peu, cette dame : elle fait presque tous ses achats à Lamurac. »

Un bon tuyau, qu'il faudrait utiliser au plus vite. Mais pour l'instant, il s'agissait de se réinstaller dans le hangar à bateaux en l'aménageant. Ce ne fut pas un mince travail! Nettoyer le sol et les murs avec un balai de roseaux; des feuilles séchées de ces mêmes roseaux (matière première inépuisable), confectionner un tapis pour les sacs

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de couchage; poser un carreau en plastique transparent à la fenêtre; fabriquer un système de fermeture pour la porte avec des morceaux de bois, des clous et de la ficelle... eh bien, tout cela se fit dans une atmosphère de gaieté et de bonne humeur. Un peu avant midi, le « dortoir » était prêt, tandis qu'à l'extérieur, un foyer de pierres plates, déjà garni de petit bois, n'attendait plus que le bon vouloir de la cuisinière... c'est-à-dire de Mlle Biche. Celle-ci, avec son habituelle efficacité, entreprit alors de préparer le repas.

Trois quarts d'heure plus tard, chacun s'installait sur un siège de son choix pour faire honneur au menu : salade de tomates, riz aux saucisses, fromage et fruits. Un vrai régal qui ne fut troublé qu'au dessert.

A ce moment, un grondement d'Hercule fit lever la tête aux convives : l'occupant du Castelet était arrêté sur le chemin et les contemplait. La surprise, puis la colère se peignirent successivement sur son visage. Mais, sans un mot, il tourna les talons et disparut.

Un léger malaise s'empara du petit groupe,. La vieille demoiselle tenta de le dissiper en disant gaiement:

« Eh bien! ce charmant monsieur connaît maintenant notre intention de rester. Tant mieux! Il n'aura quand même pas le toupet de nous déloger! »

Etait-elle vraiment aussi tranquille qu'elle le

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paraissait? Sûrement pas. Car, au moment de partir pour la visite prévue, elle décida :

« Allez-y sans moi, mes enfants. Je ne crois pas très prudent de laisser nos affaires sans surveillance. »

Si bien que les Trois N se mirent en route sans elle, avec la ferme intention de ne pas s'attarder. Il leur déplaisait de laisser leur vieille amie seule, avec un voisin aussi inquiétant.

La ferme des Peupliers se trouvait à quelque distance du village, dans un hameau de trois maisons. Une jeune femme d'aspect robuste, avec un marmot accroché à sa jupe, accueillit les arrivants.

« Je suis la fille de Mme Galichet, dit-elle. Ma mère est absente pour quelques jours elle est allée voir mon frère qui habite la ville.

— Dommage! remarqua Noël. Nous aurions aimé qu'elle nous parle de Mme Deloche. Nous étions invités chez cette dame, et...

— Ah! C'est vous les enfants qu'elle attendait? Il y avait aussi une demoiselle... Cerf, ou quelque chose comme ça.

— Biche, rectifia Nathalie.— C'est ça : Biche. Ainsi, vous êtes venus quand

même? Pourtant, à la demande de Mme Deloche, ma mère a envoyé un télégramme pour vous décommander.

— Quand ça?— Hier matin.

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— Trop tard : nous étions déjà partis, déclara Nick. Et le beau-frère de Mme Deloche nous a fait une réception... plutôt fraîche.

— Ça ne m'étonne pas, fit la jeune femme en haussant les épaules. Ma mère dit que c'est un ours mal léché. Mais, quand même, c'est une chance qu'il ait été là quand sa belle-sœur a pris... euh... ses crises.

— Des crises de quoi, au fait? » demanda Noël.

La fille de Mme Galichet parut hésiter.« Elle a eu... comment dire? Des hallucinations.— Des hallucinations! répéta Nathalie. Qu'est-ce

que c'est, au juste?— Eh bien... elle a cru voir des choses qui

n'existent pas. »L'enfant sentit sa gorge se serrer. C'est d'une voix

altérée qu'elle demanda :« Des... des fantômes, par exemple?— Ou des soucoupes volantes? » supposa Nick à

son tour.La fermière secoua la tête.« Non, non, rien de tout ça. Il était question de

monstre, de serpent géant sortant du lac... que sais-je? Voulez-vous mon avis? Pour la pauvre dame, c'est là-dedans que ça ne tourne pas rond. »

Ce disant, la fille de Mme Galichet se frappait le front avec l'index.

« Connaissez-vous l'adresse de la maison de

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repos où le docteur l'a fait entrer ? demanda encore Noël.

— Ça non.— Et le nom de ce docteur?— Pas davantage. »Bref, c'est avec le sentiment d'un demi-échec que

les Trois N reprirent le chemin du campement. Sa sœur marchait si vite que Nick la rabroua.

« Dis donc, en voilà une allure! Si tu as de la graisse à faire fondre, ce n'est pas mon cas, ni celui de Noël! »

Nathalie ignora l'allusion.« Je suis inquiète... pour Mlle Biche, haleta-t-elle.— Tu crois que le type va s'en prendre à elle?— Pas lui, mais... le monstre. »Un double éclat de rire accueillit cette réponse.« Non, mais... tu crois à ces sornettes? se moqua

Nick. Enfin, tu as entendu ce qu'a dit la fermière : Mme Deloche a cru voir des choses...

— ... qui n'existent pas, justement, poursuivit Noël. Pourquoi veux-tu qu'un « monstre » imaginaire s'attaque à nous?

— Bien sûr, vous avez raison, admit sa cousine mal convaincue. N'empêche que je me méfie de ce drôle de lac. »

Elle consentit cependant à ralentir le pas, mais on la sentait impatiente d'arriver. Or, quand le trio déboucha sur la route qui dominait la grève,

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le spectacle qui s'offrit à lui était des plus rassurants : Mlle Biche, sa robe relevée jusqu'aux genoux, « faisait trempette » dans l'étang. Hercule imitait sa maîtresse, mais à l'extrême bord : il en fallait si peu pour le submerger!

Dès qu'elle aperçut les enfants, la vieille demoiselle les héla joyeusement :

« Venez vite vous baigner! L'eau est délicieuse. Mais auparavant, racontez-moi ce que vous avez appris.»

Noël rapporta leur conversation avec la jeune fermière. Quand il parla des « hallucinations » de Mme Deloche, la vieille demoiselle s'écria :

« Oh, par exemple, voilà qui est surprenant! Je

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connaissais l'état dépressif de ma pauvre amie. Mais cela n'explique pas un comportement aussi bizarre! »

Tandis qu'elle réfléchissait, le front plissé, les enfants se préparaient pour la baignade. Moins enthousiaste que les garçons, Nathalie avait cependant réussi à dominer son appréhension concernant le lac. Tel qu'elle le voyait maintenant, sous le soleil qui faisait miroiter son eau verte, il lui paraissait vraiment inoffensif!

A son tour, Mlle Biche se dirigea vers la cabane pour revêtir son maillot de bain. Au passage elle recommanda :

« Vous, les garçons, allez vérifier que le fond ne descend pas trop vite : ces lacs de montagne sont souvent trompeurs. N'oubliez pas que la petite...

— ... nage à peu près comme un sac de patates, acheva Nick. Entendu, je vais voir. »

Nathalie haussa les épaules.« Tu manques de logique! D'habitude, tu prétends

que la graisse flotte! »Sans répondre, son frère se rua dans l'eau, la tête la

première. Il revint, tout ruisselant, avec cette information :

« On a pied jusqu'à trois ou quatre mètres du bord. Ensuite, ça s'enfonce brusquement.

— Ne va pas au large, Nattie! recommanda Noël, prudent.

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Promis! » dit sa cousine. Et elle se lança à la nage.Les deux garçons s'apprêtaient à la suivre quand

une exclamation de Mlle Biche les fit retourner :« Mon pauvre petit Hercule! »Le caniche sortait de l'eau en boitillant. Sa

maîtresse examina une de ses pattes, qui paraissait le faire souffrir quand il la posait par terre : elle vit qu'un minuscule morceau de verre s'y était enfoncé. Une petite « opération » s'imposait, et pour cela, il fallait être deux : l'aîné du trio offrit

ses services.« Mais, dit-il à Nick, je te charge de surveillerNathalie.— D'accord. »C'est avec, dans les oreilles, les gémissements du

caniche, que le jeune garçon se remit à l'eau. Et, pour lui, la corvée commença : c'en était une, pour cet amateur de grands fonds et de nages rapides, d'accompagner sa sœur, qui ne connaissait que la brasse et restait près du bord. Petit à petit, cependant, elle s'était éloignée du campement. Et comme la côte, en cet endroit, était légèrement incurvée, la nageuse cessa bientôt d'être visible pour Noël et Mlle Biche. Mais pourquoi se seraient-ils inquiétés? Ils savaient que Nick veillait sur sa sœur.

Du moins en fut-il ainsi pendant un moment. Nathalie allait son petit bonhomme de chemin, et

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son frère, tout en musardant à droite et à gauche, avait l'œil sur elle.

Mais soudain, comme il tournait la tête vers la berge envahie de roseaux, le jeune garçon crut voir... vit avec certitude... une tache verte, d'un vert qui tranchait sur celui des feuilles entourant l'objet. Car il s'agissait d'un objet posé sur le sol.

« Qu'est-ce que ça peut bien être? » se demanda Nick dévoré de curiosité.

Un regard vers sa sœur la lui montra qui continuait d'avancer, mais avec une lenteur rassurante.

« Bah! Elle fait presque du sur-place .: j'ai le temps d'aller voir! » se dit le jeune garçon qui, tel le lièvre de la fable, était tout à fait sûr de rattraper la « tortue ».

Il marcha jusqu'à la rive en pataugeant dans l'eau vaseuse. Le sol, où les roseaux poussaient dru, était également spongieux. Mais Nick ne se souciait ni de l'humidité ni du contact rugueux des plantes, presque aussi hautes que lui : il n'avait d'yeux que pour la « chose » peinte en vert cru, et dont la forme se précisait peu à peu. On aurait dit... une grosse bouteille.

« Mais oui! une bouteille de plongée! se dit-il quand il se fut approché. Qu'est-ce qu'elle fait là? »

Il remarqua un long tuyau de caoutchouc qui, fixé à l'embout, traînait ensuite sur le sol, puis se perdait entre les tiges des roseaux.

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S'agissait-il d'une bouteille hors d'usage? Pourtant, elle avait bon aspect, et paraissait encore pleine, comme Nick le devina en la soupesant. Mieux : il ouvrit le robinet, et le chuintement du gaz s'échappant par le tuyau lui en apporta la preuve.

Le jeune garçon était intrigué. Que faisait cette bouteille de plongée, abandonnée sur le. rivage en un endroit d'accès difficile? Pourquoi ce tuyau? Où emmenait-il cet air comprimé qui ordinairement est utilisé, pour permettre à un plongeur de respirer? Cherchant la réponse à cette dernière question, Nick suivit le tuyau : il aboutissait au lac. Mais, loin de s'interrompre, il disparaissait dans l'eau.

Jusqu'où? Nick aurait peut-être plongé pour le savoir, s'il ne s'était tout à coup avisé d'un oubli : le robinet était resté ouvert! Quelques instants plus tard, le mal était réparé. Le jeune garçon s'attarda encore à examiner la bouteille, mais sa conscience lui souffla brusquement :

« Oh! là, là! Et Nathalie? »Vite, il courut à nouveau jusqu'au bord de l'eau, et

regarda à gauche, puis à droite : aussi loin que portait son regard, le lac était absolument désert.

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CHAPITRE V

Le monstre du lac

NATHALIE était contente de sentir sur elle le regard de Nick, même en sachant fort bien que son frère critiquait sa lenteur. Tant pis! Le fait d'être ainsi protégée valait bien une petite moquerie! Toute seule, elle aurait hésité à s'aventurer si loin. Aussi tournait-elle souvent la tête pour vérifier que Nick était toujours là.

Quel saisissement quand elle s'aperçut qu'il n'y était plus! Indécise, elle se mit debout, et fut un peu rassurée en sentant sous ses pieds le fond

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de sable mêlé de vase. L'eau ne lui arrivait que jusqu'à la taille, mais elle était si trouble que la baigneuse n'apercevait plus ses orteils.

« J'ai eu tort de venir ici! » pensa-t-elle.Etreinte soudain par l'angoisse d'être seule, Nathalie

regarda autour d'elle pour faire le point : côté rivage, des roseaux et encore des roseaux; au-delà, une sorte de falaise au faîte de laquelle serpentait la route; enfin, un peu en retrait/le Castelet dont la masse imposante dominait le paysage.

« Qui sait, se demanda-t-elle, si l'homme n'est pas posté derrière une fenêtre, en train de m'épier? »

Résolument, l'enfant tourna le dos à la maison, et son regard erra de nouveau sur le lac. Peut-être que Nick, dans son impatience, avait foncé vers le large et s'apprêtait maintenant à revenir?

Mais quelque chose surgit hors de l'eau, et ce n'était pas Nick. C'était...

« Le monstre ! » cria Nathalie.Mais le cri s'étrangla dans sa gorge serrée par une

affreuse angoisse. En même temps, elle ne pouvait détacher les yeux de la « bête » (c'en était une, autant qu'elle pouvait juger) qui lentement prenait forme. On aurait dit un serpent gigantesque. A vrai dire, seules émergeaient deux anses en forme de demi-cercles, ainsi qu'une tête prolongée par une langue rouge et fourchue... mais l'imagination de Nathalie complétait l'affreuse vision.

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Elle eut enfin le courage de se détourner de l'hallucinant spectacle et de courir, d'une seule traite, jusqu'à la rive. Une trouée dans les roseaux ménageait ici une petite crique arrondie, où elle se laissa tomber, absolument sans forces. Le sol mou était imbibé d'eau, ce qui ne l'empêcha pas de s'y coucher, face contre terre, pour ne plus rien voir. A coup sûr, la « bête » allait la poursuivre, mais elle était incapable de faire un geste de plus pour lui échapper.

Résignée, elle attendit de longues, interminables minutes durant lesquelles sa pensée vola vers son frère, son cousin et Mlle Biche, qui devaient déjà s'inquiéter à son sujet. Si au moins elle pouvait les alerter par ses cris! Mais il lui était décidément impossible d'émettre un son.

***

« Quoi! Nathalie n'est pas avec vous? » demanda Nick d'une voix angoissée.

Sa première idée avait été de rallier le campement où, peut-être, sa sœur était revenue en se retrouvant seule? Or il s'était bel et bien trompé.

Noël devint tout pâle.« Mais enfin, elle était avec toi tout à l'heure!

répondit-il. Tu as donc cessé de la surveiller?— Eh bien... oui... mais pour quelques instants

seulement », avoua le plus jeune en baissant la tête.Mlle Biche avait entendu cette conversation.

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Très alarmée, elle réussit tout de même à garder son calme.

« Nathalie ne peut être bien loin, dit-elle. Tu es sûr, Nick, qu'elle ne risquait pas de perdre pied, là où elle nageait?

— Absolument. Je la suivais de près, et l'eau m'arrivait à peine à la ceinture.

— Dans ce cas, elle aura tout simplement voulu se reposer, et...

— Oui, c'est sûrement ça! s'écria le jeune garçon à qui ces paroles redonnaient espoir. Pour peu qu'elle ait regagné la berge, il y avait tellement de roseaux qu'elle s'est trouvée cachée derrière eux.

— Pourquoi ne l'as-tu pas appelée? demanda Noël.— Je l'ai fait, mais elle ne m'a pas répondu. En tout

cas, j'y retourne!— Je t'accompagne.— Quand vous l'aurez trouvée, venez vite me le

dire! recommanda Mlle Biche. Pendant ce temps je vais regagner la route, pour avoir une vue plongeante sur le lac.

Déjà les deux garçons s'étaient jetés à l'eau et la fendaient d'un crawl rapide. Pour une fois, Noël n'était pas le plus lent : il se maintenait sans peine au niveau de Nick, pourtant le meilleur nageur de la famille.

« A croire que la peur lui donne des ailes... ou plutôt des nageoires! » pensa celui-ci, mais il garda cette réflexion pour lui. L'heure n'était pas à la

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plaisanterie. Le jeune garçon s'en voulait terriblement d'avoir « failli au devoir », et son imagination lui représentait les dangers que sa sœur avait pu courir par sa faute. Tout ça parce qu'il s'était montré trop curieux…

Tiens, à propos, la bouteille de plongée...? Dans son désarroi, il l'avait presque oubliée. Pourtant, il fallait essayer de la retrouver : elle servirait de point de repère.

Il aperçut soudain la tache verte entre les roseaux et annonça :

« C'est ici que j'ai laissé Nathalie.— Voilà qui est précis remarqua Noël. Eh bien!

ralentissons. » Donnant l'exemple, il avança, pouce par pouce, tout en fouillant la berge du regard. Quelques mètres plus loin, une crique apparut. Vers le fond, couchée sur le sable humide, il y avait une petite silhouette immobile : Nathalie!

L'aîné du trio poussa un cri de triomphe : « Elle est ici! Je l'ai trouvée! »

— Hourra! » s'exclama Nick à son tour. Mais leur joie se mua vite en inquiétude : la petite fille ne bougeait pas, et son corps tout entier était animé d'un tremblement convulsif. Quelque chose lui était arrivé. Quoi?

« Nathalie! » cria encore Noël.Alors seulement elle se redressa, aperçut les deux

garçons et dit faiblement : « Vous, enfin! » Puis, continuant de tourner la tête, elle fixa un point sur le lac, et ses yeux s'écarquillèrent.

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« Il n'y est plus! s'écria-t-elle.— Qui? demanda doucement Noël.— Le., le monstre! »Les deux cousins échangèrent un regard ahuri, puis,

à leur tour, scrutèrent la surface de l'eau. Elle était parfaitement unie. Seul, le vol de quelques insectes venait en troubler la surface.

« Tu as rêvé fit le plus jeune en haussant les épaules. Ou alors le soleil t'a tapé sur la tête!

— Puisque je te dis que je l'ai vu!— Comment expliques-tu alors qu'il n'y soit plus?— C'est peut-être que j'ai des haï... des

hallucinations, moi aussi? » bredouilla Nathalie. Et elle

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se mit à pleurer à gros sanglots.Noël intervint avec son calme habituel.« Ecoute, ma petite Nattie, tu vas tout me raconter,

à moi. Pendant ce temps, Nick ira rassurer Mlle Biche qui se fait du mauvais sang à ton sujet.

— D'accord, accepta son cousin, ravi d'échapper à une scène de larmes. Il était ému, sans vouloir le montrer, et plein de remords car, pensait-il, tout était arrivé par sa faute. Sa petite sœur, déjà impressionnée par les racontars de la fermière, avait cédé à la panique en se voyant seule. Le soleil et la fatigue aidant, elle avait laissé divaguer son imagination. Et, maintenant, elle prenait ces divagations pour la réalité.

Mais, tout en s'éloignant à la nage, le jeune garçon se mit à éprouver des doutes. Imaginative, Nathalie l'était. Mais de là à inventer une pareille histoire et à la croire vraie... non et non, cela ne lui ressemblait pas. En d'autres circonstances, tout aussi dramatiques, elle avait toujours fait preuve d'un solide bon sens.

Peu à peu, dans l'esprit de Nick, une idée germait, si vague qu'il ne pouvait la préciser. Ce ne fut qu'au retour, après avoir porté la bonne nouvelle à Mlle Biche (sans toutefois l'inquiéter en parlant de « visions ») que se produisit le déclic. Exactement quand Nick passa une fois de plus à côté de la bouteille de plongée.

« Je crois que j'ai une idée! cria-t-il, très excité. Noël, Nathalie, écoutez donc! »

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Son cousin, sans tenir compte de ces dernières paroles, le prit à part.

« Sais-tu que je commence à me poser des questions? Je croyais, comme toi, que Nathalie divaguait. Je l'ai calmée, j'ai écouté son histoire en essayant de lui démontrer que ça ne tenait pas debout. Eh bien, elle n'en démord pas, et m'a presque convaincu à mon tour. Elle a vraiment vu quelque chose. »

Il s'attendait évidemment à être contredit, mais fut bien étonné.

« C'est aussi mon avis, déclara Nick le plus sérieusement du monde.

— Quoi! Qu'est-ce qui t'a fait changer si vite d'opinion?

— La bouteille de plongée.— Quelle bouteille?— Je vais tout te raconter, mais il faut que Nathalie

écoute : ainsi, elle sera rassurée sur ses prétendues hallucinations. »

Et, devant sa sœur et son cousin très intéressés, il narra sa découverte. Quand il eut fini, la petite fille avait l'air déçu.

— Tout ça n'explique pas... le monstre, dit-elle.— Moi, je commence à comprendre », affirma

Noël.Nick reprit la parole :« Deux choses m'ont paru louches : d'abord, cette

bouteille cachée dans les roseaux, car je suis à peu près sûr qu'on a voulu la camoufler, et, la

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preuve, c'est qu'on l'a peinte en vert. Comment je m'en suis aperçu? Tout simplement parce que le travail a été bâclé; l'ancienne teinte jaune apparaît encore par endroits. Et puis, malheureusement pour le peintre amateur, le vert qu'il a choisi n'est pas tout à fait celui des roseaux, ce qui m'a permis de découvrir le « pot aux roses ». »

Sa sœur avait l'air « paumée ».« Qu'est-ce que c'est que ces couleurs dont tu

parles? Du vert, du jaune, et maintenant... du rosé? »Les deux garçons se retinrent de rire. Après tout, si

elle se montrait peu réceptive, Nathalie avait des excuses!

« Le pot aux roses, expliqua Noël, c'est le secret d'une affaire, et Nick l'a découvert... grâce à la couleur de la peinture, justement.

— Ah, bon!— Le second détail qui m'a rendu méfiant,

poursuivit le plus jeune des garçons, c'est la présence de ce long tuyau qui part de la bouteille et disparaît dans le lac. Où va-t-il? Maintenant, ça me paraît évident.

— Pas à moi », avoua sa sœur.Encore une fois, Nick s'abstint de la taquiner et

reprit :« C'est simple : je vais te faire une démonstration.

Reste ici avec Noël, regarde le lac et, surtout, n'aie pas peur. »

Sur ce, il disparut entre les roseaux. Quelques

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minutes plus tard, l'aîné et sa cousine, qui avaient les yeux rivés sur la surface de l'eau, en virent lentement sortir... le corps onduleux d'un gros serpent. Ou plutôt la moitié de son corps, l'autre partie restant immergée. Mais ils pouvaient distinguer nettement sa peau tachetée et sa langue rouge. Nathalie ne put s'empêcher de pousser un cri et de se cacher les yeux avec les mains. Elle sentit sur son épaule le contact rassurant de la main de Noël, et l'entendit prononcer de sa voix posée : « Tu n'as rien à craindre, ma petite Nattie. » Alors, elle regarda de nouveau. O surprise! L'horrible bête s'enfonçait lentement dans l'eau. Un instant plus tard, elle avait disparu.

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CHAPITRE VI

Des photos

A CE MOMENT-LÀ, Nick surgit des roseaux, l'air triomphant.

« Alors, vous avez vu? Ça a gazé!— Oui, et c'est bien le cas de le dire! » répliqua

Noël en souriant.Nathalie était déjà remise de ses émotions.« Exactement comme tout à l'heure, approuva-t-

elle, sauf que je n'avais pas vu le « monstre » disparaître dans l'eau, comme maintenant. »

Elle regarda son frère avec admiration.« Alors, ce coup-ci, c'est toi qui...?

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— C'est moi! fit Nick en bombant le torse. Apparition à volonté, en quelque sorte.

— Bravo! Et tu t'es servi, pour ça, d'une bouteille de plongée? J'aimerais la voir.

— Rien de plus facile. Allons-y! »Il entraîna les deux autres, le long du rivage,

jusqu'à l'endroit où le tuyau émergeait des roseaux et la bouteille apparut à travers le feuillage.

« Tu vois, Nattie, expliqua Nick, je tourne le robinet, comme ça, et l'air comprimé passe par le tuyau et va gonfler le faux serpent. Alors... »

Il s'interrompit en voyant Noël fermer le robinet.« Qu'est-ce qui te prend?— Je t'expliquerai tout à l'heure... continue!— Je parlais donc du serpent : quand on le gonfle,

il sort de l'eau, exactement comme une bouée.— Une bouée! » répéta Nathalie.Elle en avait possédé une, quand elle apprenait à

nager. Se pouvait-il que la « bête » qui lui avait causé cette terrible frayeur soit comparable à un objet aussi inoffensif ? Par réaction, elle eut envie de rire, mais un détail la frappa soudain :

« Et toi, observa-t-elle, comment se fait-il que tu n'aies pas vu le « monstre » en même temps que moi?

— D'abord, j'avais les yeux baissés, pour suivre le tuyau, répondit Nick, puis j'ai fait brusquement demi-tour pour aller fermer le robinet. Le

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temps que je revienne, « il » avait déjà disparu.— Un monstre escamotable en somme, plaisanta

Noël.— Oui, et ça me paraît bizarre, remarqua sa

cousine qui, décidément, avait repris ses esprits. D'habitude, quand une bouée a été gonflée, elle ne s'enfonce pas tout de suite dans l'eau!

- Mais dis donc, tu as raison, admit Nick en fronçant les sourcils. Pourquoi ce « monstre » disparaît-il lorsqu'on- coupe l'arrivée d'air? J'avoue que je nage!

— ... et c'est encore le cas de le dire, répliqua son cousin. Moi, je crois qu'il s'agit d'une question d'équilibre entre plusieurs forces.

— Ah! bon, firent le frère et la sœur avec une grimace.

— Ecoutez-moi bien : le pseudo-serpent, qui doit être en caoutchouc ou en matière plastique, est muni d'une valve très sensible. Celle-ci s'entrouvre dès que l'air comprimé cesse de pousser contre Jes parois. Le boyau se vide alors et s'enfonce... parce qu'il est lesté de quelques gros cailloux. Que pensez-vous de mon explication, hein?... ça bouillonne là-dedans!

— Formidable! s'exclama Nick. Je vais vérifier dare-dare.

— Comment t'y prendras-tu? s'inquiéta Nathalie.

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— Pardi! en suivant le tuyau sous l'eau jusqu'à ce qu'il me conduise au « monstre ».

— N'y va pas! pria sa sœur alarmée.— Et pourquoi donc? Tu t'imagines encore que ce

faux serpent peut me dévorer tout cru?— Bien sûr que non, mais... j'ai peur, voilà! » Noël

n'était pas très enthousiaste, lui non plus. « Je préférerais y aller moi-même », dit-il.

Son cousin balaya illico cette proposition :« Allons, allons! Tu sais bien que l'as de la nage

sous-marine, c'est moi! »Cette affirmation peu modeste, mais véridique,

convainquit les deux autres et c'est le cœur battant que, du rivage où le trio s'était rendu, ils virent Nick partir à la nage. De temps à autre, il piquait une tête, cherchant évidemment à repérer la présence du tuyau. Soudain, il disparut sous l'eau pendant quelques secondes, reparut, plongea de nouveau...

« Je trouve... qu'il reste... bien longtemps! » remarqua Nathalie que l'émotion faisait bégayer.

Noël ne répondit pas. Lui aussi sentait l'inquiétude le gagner. Il allait se décider à partir à la recherche de son cousin lorsque celui-ci jaillit littéralement hors de l'eau, dégoulinant et à demi suffoqué.

Dès qu'il eut repris son souffle, il cria : « Je l'ai vu! », puis revint à la nage. Peu après, il abordait près des deux autres qui le pressèrent de questions.

« A quelle profondeur es-tu descendu?

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— Comment est-il? »

Encore quelques exercices respiratoires, et le plongeur parla.

« A quelques mètres du bord, il y a un bas-fond : c'est là qu'il repose, tout dégonflé, tout minable. Je t'assure, Nathalie, qu'il ne te ferait plus peur! Et sais-tu comment il a été fabriqué?

— Non. Dis vite!— Tout simplement en utilisant de vieilles

chambres à air coupées en deux. Ce sont ces morceaux qui, recollés tête-bêche, forment les ondulations de cet animal... « sinusoïdal », comme dirait mon professeur de mathématiques! Quelques taches de peinture par là-dessus, et le tour est joué! »

Il s'arrêta, mais de nouveau les questions fusèrent : « Et la tête?

— Et la langue?— Et la queue? » Nick se mit à rire.« Dites donc, on croirait que vous voulez me faire

chanter l'histoire du vilain serpent sur l'air de « gentille alouette »! Eh bien, c'est facile à comprendre : les deux extrémités ont été grossièrement bricolées; une langue, découpée, peinte en rouge et collée du côté de la tête. Vu de loin, et compte tenu de l'affolement que cause cette apparition, ça fait son petit effet.

— Evidemment, réfléchit Noël, ce prétendu

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monstre était destiné à être vu de loin; tu as raison.— Du Castelet, par exemple, précisa Nick.— C'est mon idée.— La mienne aussi.— Alors, devina la cadette, ce monstre était donc

fait pour effrayer Mme Deloche, pas moi!— Bien sûr! acquiesça Nick. Si tu as bénéficié du

spectacle, toi, c'est par pur hasard.— Je m'en serais passée! s'exclama Nathalie avec

une grimace.— Mais quel heureux hasard, tout de même!

remarqua Noël. Surtout pour Mme Deloche, car nous savons maintenant qu'elle ne souffre pas

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plus d'hallucinations que vous et moi. Quelqu'un a voulu le lui faire croire, tout simplement. Quelqu’un qui la sait malade des nerfs, donc prête à « gober » n'importe quoi.

— Et ce quelqu'un, c'est son beau-frère?— Ça paraît probable. » Nick n'admettait pas le

doute.« Bien sûr que c'est lui, affirma-t-il. Quand Mme

Deloche a-t-elle piqué ses prétendues crises? Au moment où ce type était en visite chez elle, comme par hasard. Et qui s'est occupé de la faire soigner? Lui, encore lui.

— Tu crois que le médecin est complice? demanda Nathalie.

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-— Pas du tout, répondit Noël. Je pense même que le beau-frère a fait venir celui qui la soigne habituellement. Mme Deloche a les nerfs malades et suit un traitement. Voilà qu'en plus elle parle de ce « monstre du lac » qu'elle est seule à avoir vu, et pour cause! Comment réagit son docteur? En l'éloignant pour un temps de chez elle, puisque c'est là que se produisent ses « hallucinations », vraies ou fausses.

— Fausses! dit Nick péremptoire. Nous venons de le prouver. Ainsi nous pourrons confondre ce type, et...

— ... et grâce à nous, poursuivit sa sœur, Mme Deloche reviendra dans sa maison... et nous y invitera.

—- Oh! là, là! comme vous allez vite en besogne, s'exclama Noël. Tout ça n'est pas si facile!

— Et pourquoi donc, monsieur le pessimiste? s'insurgea Nick.

— Parce que la preuve dont tu parles, nous l'avons, nous, mais pas Mme Deloche. Encore faut-il la lui apporter, or nous ne savons même pas où elle est.

— Nous finirons bien par la retrouver!— Sans doute mais, d'ici là, son beau-frère aura

détruit la preuve.— Comment? demanda Nathalie.— En enlevant la bouteille de plongée, ainsi que le

faux serpent.— Je trouve même qu'il a été idiot de ne pas le

faire tout de suite, remarqua Nick.

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— Idiot? Je ne crois pas, réfuta son cousin. Peut-être que tout simplement, il n'en a pas eu le temps.

— Comment ça?— Réfléchis un peu : Mme Deloche est partie de

chez elle hier ou avant-hier — pas en ambulance certainement, elle n'était pas assez malade pour ça. Son beau-frère, qui avait sûrement tout intérêt à jouer les parents attentionnés, a dû l'emmener dans sa propre voiture. Le temps de l'installer dans la maison de repos, de voir le docteur, etc., sans doute venait-il de regagner le Castelet quand nous sommes arrivés...

— Je vois, l'interrompit Nathalie, et depuis,

c'est notre présence qui l'a gêné. Tant pis pour lui!— Eh bien, justement, nous sommes encore là pour

lui mettre des bâtons dans les roues! s'écria son frère.

— Mais nous n'y serons pas toujours, objecta Noël.— C'est vrai. Alors, comment faire?— J'ai bien une idée... hésita Noël.— Vas-y, on t'écoute.— Tu sais que j'ai apporté mon appareil-photo à

développement instantané, l'ancien appareil de mon oncle, qu'il m'a prêté pour les vacances?

— Je comprends : tu veux photographier le monstre!

-— ... et 'aussi la bouteille de plongée. Tu comprends, maintenant, pourquoi je t'ai empêché de la

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vider : il faut qu'il reste assez d!air comprimé pour faire émerger le serpent au moins une fois.

— Noël, tu es génial! Courons vite chercher cet appareil...

— ... et dépêchons-nous d'aller tout raconter à Mlle Biche, ajouta Nathalie. Elle doit commencer à trouver le temps long, toute seule! »

Le trio retourna donc au campement en utilisant la voie la plus rapide : celle du lac. Pendant que Noël fouillait dans ses affaires, Nick et sa sœur entreprirent, au profit de Mlle Biche, un récit accéléré et quelque peu décousu des derniers incidents. La vieille demoiselle n'y comprit

pas grand-chose, si bien qu'elle décida de retourner sur les lieux avec les enfants. C'est ce qu'elle fit en marchant dans l'eau, avec Hercule dans les bras, Hercule dont la patte allait beaucoup mieux, mais qu'elle gardait sous surveillance.

Quelques instants plus tard, Noël, sa cousine, leur vieille amie et son chien se trouvaient groupés dans la petite crique, tandis que le troisième « N » était en faction près de la bouteille.

« Prêt! » cria l'aîné du trio en braquant son appareil en direction du lac.

Bientôt, à la surface, apparut le « monstre », d'aspect plus redoutable que jamais... à première vue du moins. Mlle Biche poussa un « Oh! » de saisissement, Hercule aboya, mais Nathalie resta stoïque : elle commençait à être blasée!

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Un déclic : la photo était prise. L'opérateur attendit un moment, puis tira latéralement sur le film pour l'extraire et enfin détacha le papier qui le masquait.

« Réussi! commenta-t-il.— Fais voir? Oh! c'est tout à fait ressemblant!

apprécia sa cousine. Les couleurs sont bien rendues. Regardez, mademoiselle. »

Ainsi interpellée, la vieille amie des Renaud sursauta vivement : depuis l'étonnant spectacle, elle paraissait plongée dans une profonde méditation.

« Parfait, dit-elle, mais... m'expliquerez-vous clairement à quoi rime cette mascarade?

— D'accord! fit l'aîné du trio en refermant son appareil. Nous en reparlerons tout à l'heure, quand nous aurons rejoint Nick près de la bouteille de plongée. »

Nathalie et Mlle Biche s'éloignèrent, l'une guidant l'autre. Au moment de les suivre, Noël jeta un regard au « serpent d'eau » qui s'enfonçait déjà. Puis une soudaine impulsion le fit se retourner.

Par exemple! Rêvait-il? Il aurait juré qu'au premier étage du Castelet, quelqu'un — dont il crut même voir la main

— refermait des persiennes.

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CHAPITRE VII

Le rêve de Nathalie

MLLE BICHE, l'air sombre, les mains derrière le dos, arpentait le terrain devant la cabane. Hercule la suivait pas à pas, tandis que les Trois N, assis à même le sol, observaient leur manège avec amusement.

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« Depuis le temps que ça dure, ils ont dû faire des kilomètres! pensa Nick, assez porté à l'exagération.

— Le vaurien! Le bandit! se mit à vitupérer la

vieille demoiselle, les yeux tournés vers le Castelet invisible. Inventer une pareille machination pour effrayer une personne en mauvaise santé, c'est une abomination! Ah! Si je le tenais, cet affreux individu!

— Il ne doit pas nous porter dans son cœur, lui non plus! remarqua Nick. Notre présence est drôlement gênante pour lui, et s'il pouvait nous éliminer...

— Nous éliminer? Qu'il ose! » s'écria Mlle Biche en faisant volte-face si brusquement qu'elle manqua marcher sur le caniche.

Mais son regard se posa sur les enfants, et son excitation tomba d'un coup. « Seulement, il y a vous trois, dit-elle, et je n'ai pas le droit de vous faire courir de risques. Jusqu'ici, je croyais seulement avoir affaire à un malappris, or votre dernière découverte montre que c'est aussi un homme sans scrupules. Je me demande même si je ne devrais pas raconter l'affaire aux gendarmes. Pourtant... une chose m'arrête : il s'agit d'un parent de Mme Deloche, et je pense que ça l'ennuierait qu'on divulgue une histoire de famille. Par contre, en ce qui nous concerne, la prudence voudrait que nous quittions le voisinage de cet énergumène.

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— Ah, non alors! protesta Nick. Partir juste au moment où ça commence à devenir intéressant, ce serait trop dommage! »

Il ajouta d'un ton pompeux : « D'ailleurs, ce

n'est pas notre habitude de capituler devant l'adversaire! »

Ce dernier argument triompha des scrupules de la vieille demoiselle.

« D'accord, je veux bien rester, dit-elle. De toute façon nous ne serions pas allés bien loin, car il nous reste une mission à remplir : retrouver Mme Deloche et lui dévoiler la supercherie dont elle a été victime.

— Il y a mieux à faire, déclara Nick : comprendre le pourquoi de cette supercherie. Nous pourrions mener une enquête, et...

— Pas question! coupa la vieille demoiselle. Je connais trop votre goût pour l'aventure, et les dangers auxquels il vous expose. Pour cette fois, vous le mettrez en veilleuse. Compris? »

Ces paroles étaient prononcées d'un ton sans appel, et le jeune garçon n'insista pas.

« Encore une recommandation, ajouta la vieille demoiselle. Nous devons, par prudence, laisser ignorer à cet homme que nous l'avons démasqué. »

Noël, qui n'avait rien dit jusqu'alors, murmura entre ses dents :

« Peut-être bien qu'il sait déjà à quoi s'en tenir? »

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Nick fut le seul à l'entendre et lui jeta un regard interrogateur. Il avait remarqué combien son cousin paraissait soucieux, depuis leur retour au campement, et se demandait pourquoi. Aussi

se promit-il de lui parler seul à seul, aussitôt que l'occasion s'en présenterait.

Il la trouva peu après : Mlle Biche s'apprêtait à faire cuire le repas du soir avec l'aide de Nathalie.

« Allez donc nous chercher une provision de bois! » demanda-t-elle aux deux garçons.

Ceux-ci s'éloignèrent en direction du vieux chêne et, dès qu'ils furent hors de portée de voix, Nick questionna son cousin :

« Dis donc, tu n'as pas l'air dans ton assiette. Quelque chose qui ne va pas? »

Noël raconta ce qu'il avait vu... ou cru voir,

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quand il s'était retourné vers le Castelet après avoir photographié le faux serpent.

« Cette fenêtre, qui est en réalité une porte-fenêtre, se trouve au premier étage et donne sur un balcon, dit-il.

— Par exemple! s'exclama Nick. C'est celle de la chambre de Mme Deloche. Dans sa lettre à Mlle Biche, elle parlait de son balcon dominant le lac.

— Possible, mais où veux-tu en venir?— Eh bien... qui sait si son beau-frère ne la tient

pas captive chez elle? Après tout, nous n'avons aucune preuve qu'elle soit entrée en maison de repos. Il suffisait d'en faire courir le bruit. »

Noël réfléchit, puis secoua la tête.

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« Tu fais du roman! Si elle était prisonnière, Mme Deloche pourrait appeler au secours depuis son balcon.

— Evidemment! admit le plus jeune.— Par contre, ce balcon étant un excellent poste

d'observation, le beau-frère s'y est installé pour nous espionner. En particulier, il a pu me voir photographier le prétendu monstre, et c'est très embêtant.

— Ça oui! Qu'est-ce qu'on peut faire?— Pour commencer, mettre la photo en lieu sûr.— Ou ça ?La cabane est ouverte à tous les vents.

Comme endroit sûr, on fait mieux!

— Aussi chercherons-nous dès ce soir une autre cachette. En tout cas, pas un mot à Mlle Biche ni à Nathalie.

— Motus et bouche cousue! » promit Nick. Le repas, ce soir-là, ne fut guère animé! Tout à

leurs réflexions, les garçons ne prêtèrent aucune attention à ce qu'ils mangeaient. Nathalie, de son côté, s'endormit à moitié sur son assiette : c'était la conséquence des émotions de cette journée. A peine sortie de « table », la petite fille alla se coucher, si bien qu'elle ignora la mystérieuse occupation à laquelle se livrèrent son frère et son cousin, un peu plus tard, à la faveur de l'obscurité.

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Ayant gagné la rive du lac, ils le longèrent un petit moment sur la droite, là où les roseaux étaient particulièrement denses. Noël apportait les deux photos (celle du faux serpent et une autre, représentant la bouteille de plongée avec le tuyau) ainsi qu'un sac en plastique. Nick avait discrètement récupéré la bouteille d'eau minérale vidée au dernier repas. Les photos roulées en cylindres, puis enveloppées dans le plastique, purent aisément passer par le goulot de la bouteille. Celle-ci fut lestée avec des cailloux, puis soigneusement rebouchée. Pour finir, Nick se déchaussa et alla l'immerger à deux mètres environ du bord. Il l'enfonça le plus possible dans le fond sableux, puis la masqua à l'aide de deux pierres plates.

« Voilà qui est parfait! s'écria-t-il en prenant du

recul pour mieux admirer son œuvre. Le type peut toujours chercher : il n'y verra que du feu...

— ... ou plutôt « que de l'eau », rectifia Noël. Ouf! Je crois que je dormirai plus tranquille maintenant!

— Moi, je n'irai pas encore faire dodo... pas avant d'avoir discuté avec toi de cette affaire.

— Tiens, comme ça se trouve! C'était aussi mon intention.

— Eh bien, restons ici : Mlle Biche ne va pas s'inquiéter de nous avant un bon moment. »

La vieille demoiselle, imitée par son chien, était en effet occupée à faire, autour de la cabane, son footing quotidien si fâcheusement interrompu le matin même.

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« Asseyons-nous, proposa Noël, et faisons le point.»

Installés face à l'étang dont l'eau sombre clapotait doucement, dissimulés par les hautes tiges des roseaux, les deux cousins se sentaient isolés du monde. Ce décor un peu mystérieux convenait parfaitement à la résolution d'une énigme. Nick eut un petit frisson d'excitation.

Après un silence, Noël reprit la parole :« L'affaire se résume en peu de mots : Mme

Deloche nous invite au Castelet mais quand nous y arrivons, elle n'est plus là. Son beau-frère, qui occupe la maison, prétend qu'elle est malade et fait une cure de repos. Nous découvrons qu'elle

a tout bonnement été effrayée par un pseudo monstre, mais qu'il s'agit d'une supercherie... dont l'auteur n'est autre que le beau-frère. Reste à savoir quel est son but.

— Ça paraît évident, dit Nick. Il a voulu rester seul au Castelet.

— Pas de doute là-dessus. Mais pourquoi?— Parce qu'il y cherche quelque chose. On ne

monte pas une pareille mise en scène sans qu'il y ait « anguille sous roche ». »

Noël se mit à rire.« Est-ce que cette anguille ne serait pas plutôt un

chat? Deux chats, pour être exact?— Tu veux dire... les chats birmans?

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— Tout juste! Ces deux figurines de porcelaine auxquelles Mme Deloche devait attacher de l'importance, puisqu'elle en a parlé à Mlle Biche dans une lettre.

— Dis donc, tu as sûrement raison! s'écria Nick. Je me rappelle comme l'œil du beau-frère s'est allumé quand Nathalie a fait la gaffe. »

Noël se hâta de défendre sa cousine. « Je ne vois pas en quoi elle a gaffé!

— Mais si, voyons, rappelle-toi qu'elle a crié bien fort : « J'ai vu les chats birmans si précieux! »

Le jeune garçon avait prononcé ces dernières paroles d'une voix suraiguë, imitant si bien sa sœur que Noël ne put s'empêcher de rire.

« Tu as raison, admit-il. Mais Nathalie ne pouvait

pas savoir. Quant au beau-frère, il paraissait tout ignorer au sujet de ces chats.

— C'est bien ce que je dis : l'exclamation de ma chère gaffeuse de sœur l'aura mis sur la piste... si c'en est une. »

II ajouta, perplexe : « Bizarre, tout de même, qu'il ait fait tout ce cinéma pour chercher quelque chose... sans savoir quoi. »

Noël se concentra un moment.« Je suggère une explication, dit-il enfin. Il a peut-

être appris que son frère, peu avant sa mort, avait expédié chez lui un objet de grand prix?

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Il ignore ce que c'est, mais espère le trouver en fouillant le Castelet.

— Et tu crois que Mme Deloche laisserait ce « trésor » bien en vue, dans une maison aussi isolée? »

Noël avait réponse à tout.« Peut-être n'en connaît-elle pas la valeur-tout

simplement parce que son mari comptait tout lui dire à son retour... et qu'il n'est jamais revenu?

— Ça se tient, admit Nick. Et ce trésor, ce serait cette paire de minets?

— Une simple supposition de ma part, mais qui paraît vraisemblable.

— Il faudrait vérifier.— Oui, mais comment? »

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Ce fut au tour de Nick de réfléchir... à sa manière à lui, c'est-à-dire en se trémoussant et en se grattant la tête.

« Je sèche, dit-il bientôt. Enfin... c'est une manière de parler, parce que cet endroit est drôlement humide!

— Je n'ai pas d'idée non plus, avoua Noël. Peut-être que la nuit nous portera conseil? »

Juste à cet instant retentit la voix de Mlle Biche : « Noël, Nick, où êtes-vous? »

Allons, il était temps d'aller dormir! D'ailleurs les deux garçons ne demandaient pas mieux : comme pour Nathalie, cette journée, riche en événements, les avait fatigués.

La nuit fut calme, au moins pour trois dormeurs sur quatre.

Seule Nathalie déclara qu'elle avait fait un rêve, presque un cauchemar :

« J'entendais quelqu'un qui marchait près de la cabane, expliqua-t-elle, et puis une sorte de raclement, comme si cette personne traînait par terre un objet lourd.. J'ai cru qu'elle allait entrer, et ça m'a fait peur. J'ai voulu crier et je ne pouvais pas. Puis plus rien. »

Les deux garçons échangèrent un regard inquiet. Et si ce rêve n'en était pas un? D'un commun accord, ils allèrent inspecter le sol, près de la hutte : aucune trace visible sur le terrain caillouteux. Alors Nick s'éclipsa discrètement, fila vers le lac et disparut sur la droite, derrière les roseaux. Une minute plus tard il était de

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retour, l'air soulagé. A la question muette de Noël, il répondit en abaissant les paupières.

« Ouf! Les photos sont toujours là! » interpréta l'aîné.

Mais une autre idée les tracassait. Aussi, pendant que Mlle Biche et Nathalie préparaient le petit déjeuner, tous deux se hâtèrent en direction de la crique où, la veille, leur cadette avait éprouvé une telle frayeur. Bien vite, les soupçons de Nick se changèrent en certitude : plus de bouteille de plongée, ni de tuyau! Sans un mot, il plongea. Peu après il revenait près de son cousin, l'air sombre. Alors?

— Le faux serpent a disparu, lui aussi. »Ainsi le beau-frère de Mme Deloche, sans doute

levé dès l'aube, avait profité de leur sommeil pour faire disparaître les traces de sa supercherie.

« Evidemment, il fallait s'y attendre, commenta Noël. Nous ne pouvions pas monter la garde jour et nuit!

— Heureusement qu'il nous reste les photos! » remarqua son cousin.

Il ajouta d'un air résolu : « Maintenant, plus moyen de rester les bras croisés. Il faut que nous agissions.

— Malgré la défense de Mlle Biche? hésita Noël.— Mais bien sûr! Elle espérait nous éviter d'être

« mouillés » dans cette histoire. Ce qu'elle ignore, c'est qu'avec le coup des photos, nous sommes dans le bain!»

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Noël regarda son cousin tout trempé, grelottant dans la fraîcheur du matin, et dit en riant :

« Ce qui saute aux yeux, c'est que, toi au moins, tu y es! »

CHAPITRE VIII

Une partie de ballon

FRICTIONNÉS, rhabillés, les deux cousins dégustaient avec plaisir un bol de chocolat bien chaud. Mlle Biche avait commencé par gronder Nick.

« A-t-on idée de faire un plongeon d'aussi bonne heure?

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— Ce n'était pas pour mon plaisir », répondit le jeune garçon.

Et, comme lui et Noël étaient convenus de le faire, il révéla à la vieille demoiselle et à

Nathalie la disparition du « monstre » et de ses accessoires.

« Oh! alors, mon rêve n'en était pas un! s'écria sa sœur. Ce que j'ai entendu s'est réellement passé?

— Certainement, approuva Noël. Le bonhomme transportait son matériel et, comme c'était lourd, il le laissait traîner sur le sol.

— Ainsi ce vilain monsieur a réussi à escamoter, sous notre nez, la preuve de son forfait! » remarqua Mlle Biche d'un air contrarié.

Mais son optimisme naturel reprit vite le dessus.« Bah! Il l'aurait fait à un moment ou à un autre.

L'essentiel, c'est que nous ayons les photos. Dis-moi, Noël, tu les as bien rangées, au moins?

— Oh, oui, mademoiselle, n'ayez aucune crainte », répondit l'aîné du trio.

Mais il se garda de préciser l'endroit où lui et Nick les avaient mises : un tel excès de Précautions aurait paru bizarre à leur vieille amie.

« Est-ce que ces photos peuvent vraiment servir à accuser ce méchant homme? demanda Nathalie.

— L'accuser ? Je ne crois pas, répondit Mlle Biche. Il n'a malheureusement pas laissé sa signature sur son œuvre. Mais les photos suffiront à

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convaincre le docteur de Mme Deloche que sa cliente n'a pas l'esprit dérangé. Je suis décidée à le rencontrer dès que possible.

— Aujourd'hui, alors? »La vieille demoiselle réfléchit. « Evidemment, répondit-elle enfin, le plus tôt serait

le mieux:. Mais il y a la question des moyens de transport : en allant à Lamurac aujourd'hui, nous devrons faire la route à pied... ou appeler un improbable taxi, tandis que demain, qui est un samedi, nous pourrons profiter du car bihebdomadaire.^

— C'est la meilleure solution, approuva Nick. Après tout, le délai n'est pas bien long! »

Nathalie avait une autre question à poser à Mlle Biche : ;

« Et, pour dénicher le docteur de Mme Deloche, que comptez-vous faire?

— Tout simplement me rendre à la poste et consulter l'annuaire à la rubrique « médecins ». Il n'y en a sûrement pas beaucoup, dans une aussi petite ville : je les visiterai l'un après l'autre.

— Et quand vous aurez trouvé le bon, vous lui montrerez les photos?

— Naturellement. »Le repas matinal s'achevait. Une fois de plus, Noël

avait avalé la nourriture sans y prendre garde. Il paraissait distrait, comme s'il réfléchissait intensément.

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Soudain son regard s'éclaira, et il eut une exclamation étouffée :

« Les photos... mais oui! »Que voulait-il dire? Nick n'eut plus qu'une idée :

savoir ce que son cousin avait dans sa « grosse

tête » : certainement un moyen de faire avancer l'enquête. Il l'apprit bientôt, car Noël l'attira dans un coin et lui parla dans le creux de l'oreille, Le plus jeune siffla d'admiration.

« C'est simple, mais il fallait y penser, commenta-t-il. Seulement... tu es sûr qu'il faut y mêler Nathalie?

— Mais oui! ce sera plus vraisemblable.— D'accord. »

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Alors Noël entra discrètement dans la cabane et en ressortit bientôt en dissimulant un objet. Pendant ce temps, Nick annonçait tout haut :

« Nous allons faire une partie de ballon dans un champ. Tu viens, Nattie?

— Oh oui! accepta sa sœur, tout heureuse. Mais

(elle se tourna vers Mlle Biche), vous ne voulez pas que je vous aide, mademoiselle?

— Pas du tout! répondit la maîtresse d'Hercule» Je suis contente que vous vous amusiez, mes enfants. Il faut bien que vous profitiez de vos vacances! Quant à moi, avec la cuisine, le rangement, j'ai largement de quoi m'occuper.

— Merci, mademoiselle! »Les deux garçons avaient un peu de remords à l'idée

de tromper leur vieille amie. Qu'aurait-elle pensé, en apprenant que le champ" dont il était question se trouvait juste derrière le Castelet? Tout en s'y dirigeant, Noël et Nick mirent Nathalie au courant de leur plan. Bien qu'un peu inquiète à l'idée d'affronter à nouveau l'adversaire, la petite fille fut contente « d'en être ».

« Mais, remarqua-t-elle, c'est Noël qui prendra tous les risques.

— Eh bien, tant mieux! répliqua son cousin, d'habitude, c'est toujours Nick. D'ailleurs je n'aurai pas grand-chose à craindre si vous jouez bien votre rôle. »

Quelques minutes plus tard, Les Trois N engageaient, à vingt mètres à peine du Castelet, une partie de ballon endiablée. Noël avait repéré dès la

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veille ce terrain plat, séparé de l'arrière du domaine par la haie de thuyas. Juste à côté, un petit bois pourrait, le cas échéant, servir de refuge.

Tout en se lançant et se relançant le ballon, les joueurs criaient à tue-tête, avec l'espoir que leurs

clameurs exaspéreraient l'occupant de la maison.« Surtout s'il s'est rendormi après son équipée

nocturne, remarqua Noël. Réveillé par nous, il sera d'une humeur de dogue. »

Cet espoir s'avéra fondé. Bientôt, à l'étage, des volets furent repoussés brutalement, et une tête aux cheveux et à la barbe embroussaillés apparut à la fenêtre. A la vue des enfants, l'homme brandit le poing. Mais les Trois N, faisant comme s'ils n'avaient rien vu, continuèrent leur jeu ponctué de bruyantes exclamations.

Un quart d'heure s'écoula encore.« Cette fois, il doit être descendu à la cuisine .pour

déjeuner, supputa l'aîné du trio. Je file. Vous savez ce qui vous reste à faire?

— Oui, oui, compte sur nous! répondit Nick.— Bonne chance! » ajouta Nathalie.Leur tâche consistait, pour le moment, à poursuivre

le jeu, mais en faisant,-à eux deux, autant de bruit qu'à trois. Autrement dit, l'adversaire devait ignorer le départ d'un des joueurs.

« Attrape, Noël! » cria le plus jeune des garçons. Puis, un instant plus tard, en déguisant sa voix :

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Alors, Nathalie, tu le renvoies ce ballon? A toi, Nick », répondit la cadette. Et ainsi de suite.

Pendant que se déroulait cette comédie (pour le plus grand amusement de ses acteurs), l'aîné se dirigeait vers les thuyas formant la bordure

latérale du jardin, et se baissait pour ramasser

l'objet qu'il avait déposé au pied de l'un d'eux. Ce n'était autre qu'un appareil photographique. Le jeune garçon se mit en faction entre deux arbustes dont les branches, peu fournies, lui laissaient voir l'arrière de la maison. Et il attendit. Ce ne fut pas long. Un projectile venant du, champ où jouaient ses cousins passa par-dessus la haie et vint heurter la fenêtre de la cuisine : c'était le ballon. Il y eut beaucoup de bruit, mais pas de casse.

« Bien visé, Nick! » applaudit mentalement Noël.Il dut réprimer une envie de rire en entendant la

voix faussement indignée de son cousin qui s'exclamait :« Ce que tu peux être maladroit, mon pauvre

Noël!»L'effet de cette manœuvre ne se fit pas attendre. La

porte-fenêtre s'ouvrit brutalement, et le beau-frère de Mme Deloche jaillit hors de la pièce. D'un air rageur, il se baissa pour ramasser le ballon, mais, au lieu de le renvoyer, le garda sous son bras et franchit la haie au pas de course : de toute évidence, il voulait attraper ces gamins insolents qui troublaient sa paix et leur donner une correction.

Bientôt, Noël avait cessé de le voir : c'était exactement ce qu'il espérait. Il n'eut aucune peine à se

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glisser à son tour à travers la haie, et, de là, gagna la cuisine dont la porte était restée grande ouverte.

Il nota au passage, sur la table, les traces d'un petit déjeuner interrompu.

Après la cuisine, le jeune garçon trouva un petit couloir où donnaient plusieurs portes. La première qu'il ouvrit le fit accéder à une salle à manger. Il la traversa, ouvrit une autre porte et aboutit dans le hall d'entrée, éclairé par deux petites fenêtres. Face à lui, la grande porte; à sa droite, encadrant l'escalier de bois ciré, les deux figurines de porcelaine. Elles n'avaient pas changé de place depuis la veille,

« Ouf! pensa-t-il avec soulagement. J'avais peur qu'il ne les ait fait disparaître, en se rendant compte qu'elles nous intéressaient. Vite, une

photo! »Car telle était son idée. La même en somme qu'il

avait eue pour le pseudo-monstre : prendre en photo les deux chats. Mais, cette fois, c'était dans un tout autre but.

L'appareil braqué sur les deux statuettes, il eut tôt fait d'appuyer sur le déclencheur.

« Mission accomplie! » se dit-il.Cependant, au lieu de s'éloigner bien vite, comme

la prudence le lui conseillait, il voulut attendre le développement. Avec cette lumière un peu chiche, la

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photo serait-elle bonne? Mieux valait s'en assurer. Dans le cas contraire, il en prendrait une autre.

Les secondes lui parurent longues. Enfin il sortit

le film, enleva le papier et le froissa pour le mettre dans sa poche.

Au même moment, il y eut un craquement quelque part dans la maison. Le jeune garçon sursauta et amorça un repli stratégique. Mais déjà le silence était revenu : il s'agissait d'une fausse alerte.

Rassuré, il reporta les yeux sur la photo. Eh bien! il avait de la chance. Les deux chats apparaissaient nettement sur le rectangle de carton et jusqu'à la teinte dorée de la porcelaine qui se trouvait parfaitement respectée.

Content de lui, Noël referma l'appareil avec des gestes un peu fébriles, vérifia que la photo était

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sèche et l'empocha, puis il se hâta de partir en empruntant le même chemin qu'à l'aller. De toute évidence, la maison était encore vide de son occupant : le fugitif ne rencontra aucun obstacle jusqu’à la cuisine. Un regard par la porte-fenêtre encore ouverte lui montra le jardin désert. Il allait s'y élancer, lorsqu'une pensée gênante l'arrêta net :

« Le papier... celui qui recouvrait le film! »En un éclair, il se revit en train de l'enlever, avec

l'intention de le fourrer dans sa poche. Et puis cette fausse alerte s'était produite, et... il avait maintenant la sensation que sa main, rendue maladroite par la peur, n'avait pas achevé le geste.

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« Pas d'affolement! se dit-il, c'est bien facile à vérifier! »

Or, en fouillant dans sa' poche, il trouva la photo, mais pas le papier. Une seule explication : il l'avait laissé tomber dans le hall; il devait y retourner.

Noël traversa pour la troisième fois la cuisine, puis le couloir, et enfin la salle à manger; ce fut un miracle si, dans sa hâte, il n'accrocha pas quelque meuble. Le hall lui apparut. Déjà ses yeux en exploraient le sol dallé, se posaient enfin sur le papier, quand... il y eut un bruit de porte qu'on ouvre, puis qu'on claque en la refermant. Et ce bruit ne venait pas de l'arrière de la maison, comme s'y attendait Noël, mais de la façade

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même. L'occupant du Castelet venait d'y entrer en utilisant la grande porte. Si bien qu'il se trouvait maintenant dans le hall, à deux pas du jeune garçon qui était resté dans la salle à manger.

Celui-ci eut un réflexe immédiat : comme la porte de cette pièce était restée ouverte, il recula d'un pas et se glissa derrière. L'œil collé contre la fente, entre le vantail et le chambranle, il observait ce qui se passait dans le hall, osant à peine respirer dans la crainte d'être découvert.

Tout d'abord, l'arrivant resta immobile, haletant comme quelqu'un qui cherche à retrouver son souffle. Noël en déduisit que Nick et Nathalie l'avaient bien fait courir et il leur vota mentalement des félicitations. Mais, pendant cette pause, les yeux fureteurs de l'homme se posaient sur les diverses parties de la pièce, si bien que son regard accrocha le seul objet insolite qui s'y trouvât : le papier gisant sur le carrelage. Il alla le ramasser, l'examina sur une face, puis sur une autre, apparemment sans succès. Enfin, il s'approcha d'une fenêtre pour le voir plus nettement.

Cette fois il dut comprendre, car son visage exprima la fureur. Il dit tout haut :

« Les maudits gamins! Ils m'ont bien eu! »Alors, comme si une idée lui traversait

brusquement la tête, il fonça vers la porte ouverte derrière laquelle se tenait Noël.

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CHAPITRE IX

Allô, allô!

ENTRE lui et l'homme, il n'y avait que l'épaisseur d'un panneau de bois qui pouvait être aisément contourné. Que se passerait-il alors? Alerté par la découverte du « négatif », l'occupant du Castelet était certainement furieux contre ce photographe amateur qu'il devait soupçonner d'être encore dans la place.

Fort heureusement, emporté par son élan, l'homme franchit la porte sans se retourner. Un

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soulagement intense, mais de courte durée, s'empara de Noël; en effet, il l'entendait fouiller à la hâte les autres pièces du rez-de-chaussée. Une porte se ferma, une clef fut tournée.

« Il a bouclé la cuisine, devina Noël. Bientôt ce sera le tour de l'entrée principale : donc il cherche à me faire prisonnier. »

Perspective angoissante! Aussi, le jeune garçon n'attendit pas le retour de l'autre pour quitter sa cachette et passer dans le hall. Quelques pas encore, et il franchirait la porte d'entrée. Alors, vive la liberté! Hélas! il était déjà trop tard : l'homme revenait. Impossible d'utiliser cette issue sans être vu... Noël se précipita dans l'escalier en jetant, au passage, un regard amer sur les deux chats de porcelaine figés dans leur attitude impassible. Pourtant, n'étaient-ils pas la cause de tout?

A mi-course, le fugitif risqua un coup d'œil en bas : son poursuivant avait regagné le hall. Comme l'avait deviné Noël, son premier geste fut d'aller verrouiller la porte. Il espérait donc toujours le prendre au piège! Déjà, l'homme se dirigeait vers l'escalier; en gravissait lentement les degrés.

Mais Noël qui avait atteint le palier et venait d'y découvrir quatre portes, se jeta sur le premier loquet venu : il résistait. Le second par bonheur, joua sans bruit, et le vantail une fois poussé, dévoila une chambre à coucher élégamment meublée, au sol recouvert d'une épaisse

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moquette. Derrière une porte-fenêtre, les persiennes, incomplètement fermées, laissaient entrevoir un balcon.

« La chambre de Mme Deloche! » devina Noël.Le pas pesant de son poursuivant résonnait à

présent dans le couloir.« Il vient! murmura le jeune garçon épouvanté. Que

faire? »Se cacher, vite. Sous le lit? Trop facile. Dans la

penderie? Trop risqué. Où, alors?Peu visible dans la pénombre, une petite porte se

dessinait à même le mur. Noël en fit jouer la clé et scruta l'antre obscur, une sorte de réduit dont le plafond en soupente rejoignait le sol. Une quantité de boîtes, de caisses et de cartons y étaient entassés.

Le jeune garçon hésitait sur le seuil, lorsqu'un bruit de toux l'avertit de la présence toute proche de l'ennemi. Noël, qui ne pouvait plus reculer, se glissa dans le petit grenier, tira la porte sur lui et la maintint fermée de ses deux mains crispées sur la serrure. Mais si, de l'intérieur, c'était le seul moyen de se barricader, de l'autre côté, par contre, quelqu'un pouvait aisément faire tourner la clé. Aïe! ne s'était-il pas involontairement jeté dans un guêpier?

Trop tard pour se raviser : l'homme, lui sernbla-t-il, entrait dans la chambre, car Noël venait d'entendre la porte s'ouvrir, puis se fermer. Ensuite, plus rien : la moquette étouffait le bruit de ses pas.

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Impossible de situer l'adversaire! Où était-il? Que faisait-il?

Noël, soudain, fut pris d'une irrésistible envie de se blottir au fond du réduit ou de se cacher dans cette caisse de bois blanc sur laquelle le mot « FRAGILE » s'étalait en grosses lettres noires. Mais il ne fallait surtout pas lâcher cette porte qui, en s'entrouvrant toute seule, risquait d'attirer l'attention. Il devait continuer à rester parfaitement immobile et supporter, stoïquement, la fatigue qui gagnait les muscles de sa main.

La situation devenait presque intenable quand... une sonnerie insistante se fit entendre, venant du rez-de-chaussée.

Le jeune garçon ne se rua pas impulsivement hors de son refuge. C'était peut-être une feinte, après tout? Mais non : un coup d'œil glissé par le panneau à peine entrouvert lui montra que la pièce était vide.

Sauvé! Enfin... provisoirement. Il s'agissait encore de sortir d'une maison aux portes fermées, sans alerter son occupant en train de répondre au téléphone. Au fait, où se trouvait l'appareil? Noël ne se rappelait pas l'avoir vu, dans sa rapide traversée de la maison.

Il eut bientôt une réponse à cette question. Arrivé dans le hall, il perçut le bruit, entrecoupé de silences, d'une conversation à sens unique. Cela venait de derrière la cloison. Non de la salle à manger, mais d'une pièce voisine. Une chance!

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Le fugitif se hâtait déjà vers l'arrière du Castelet quand un mot, saisi au vol, le fit s'arrêter net : « chats », disait au téléphone le beau-frère de Mme Deloche. Cela devenait intéressant! Oubliant toute prudence, le jeune garçon alla coller son oreille contre la cloison. Il entendait mal. Des bribes de phrases seulement lui parvenaient : « Mais non... rien trouvé... essaierai encore... éviter... casser... méfiance... ma belle-sœur. Entendu, je te... »

Ce fut soudain le silence. L'homme écoutait-il une éventuelle réponse? Ou bien avait-il raccroché? Noël ne perdit pas son temps à se le demander. Il fila comme une flèche, jusqu'à la cuisine, y entra, mais dédaigna la porte-fenêtre verrouillée. Par contre il emprunta une autre porte qui donnait accès à une office minuscule, éclairée par une fenêtre carrée placée en hauteur. Le jeune garçon grimpa sur une petite table et se glissa par l'étroite ouverture. Un saut de deux mètres environ, et les pieds du fugitif touchèrent le sol. Sans mal. D'un bond il gagna les thuyas au fond du jardin, puis le champ où avait eu lieu la partie de ballon, et enfin le petit bois voisin. Là, caché par les arbres, il se sentit enfin libre.

Il venait de s'arrêter pour reprendre son souffle, quand une silhouette surgit à ses côtés.

« Nathalie! s'exclama Noël. Tu étais donc dans les parages?

— Bien sûr! Je surveillais la porte de derrière

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et Nick, celle de devant. Et comme tu ne ressortais pas, j'étais très, très inquiète. Je m'apprêtais à repartir quand je t'ai vu, enfin! »

L'enfant avait débité tout ce discours d'une petite voix enrouée par l'émotion.

« J'ai eu des difficultés, expliqua brièvement son cousin. Je vous raconterai. Pour le moment, allons rejoindre Nick. »

Ils le trouvèrent sur la route, guettant la façade du Castelet par l'ouverture de la haie. Lui aussi parut très soulagé.

« Tu peux te vanter de nous avoir fait peur! s'écria-t-il. As-tu réussi, au moins?

— Oui, en un sens. Mais le résultat de l'opération n'est pas entièrement positif. Figurez-vous que, maintenant, nous sommes tous les trois « brûlés ».

— Brûlés! répéta sa cousine sans comprendre. - Je veux dire que le type sait que je suis entré dans la maison, et que vous m'avez aidé à le faire.

— Comment ça?— Raconte! »Noël ne voulut pas répondre à ces questions

pressantes avant d'avoir trouvé un endroit tranquille. Les Trois N finirent par s'installer à l'ombre du chêne qui les avait abrités le premier soir. Et l'aîné conta son aventure. Ses cousins commencèrent par applaudir à ses prouesses en photographie, mais l'histoire du papier tombé les rembrunit.

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« En somme, c'est exactement comme si tu avais laissé ta carte de visite! commenta Nick. Et le ballon dans la vitre nous désigne comme tes complices.

— Il y a plus ennuyeux que ça. Hier soir, tu parlais de gaffe...

— De gaffe! Qui a gaffé? demanda Nathalie prise d'un soupçon.

— Euh... personne... ou plutôt si : moi, en faisant cette fausse manœuvre. Ce n'est pas un papier ordinaire que j'ai laissé tomber, mais un négatif. Autrement dit, on y devine la forme des chats, par contraste. Et l'autre s'en est aperçu, j'en suis sûr.

— Aïe, aïe! s'exclama Nick. C'est pire qu'un ennui : une catastrophe! Le type va plus que jamais fixer son attention sur ces bestioles, en sachant que d'autres s'y intéressent : les Trois N. En somme, nous voilà quatre dans la course.

— Cinq! rectifia Noël. Le beau-frère de Mme Deloche a un complice.

— Où as-tu péché ce renseignement? »Le jeune garçon acheva le récit de son passage

mouvementé au Castelet, et, pour finir, tenta de répéter les quelques mots prononcés au téléphone par son adversaire... ceux du moins qu'il avait pu

« Ça ne veut pas dire grand-chose! commenta sa cousine.

— Je crois que si. A mon avis, notre bonhomme attendait ce coup de fil, et c'est ce qui m'a sauvé. Sans

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doute le complice voulait-il savoir où en étaient les recherches? Le beau-frère Deloche a mentionné les chats, ajoutant qu'il n'avait rien trouvé, mais chercherait encore. Toutefois, pour ne pas exciter la méfiance de sa belle-sœur, il voulait éviter de les casser.

— Bravo! applaudit Nick. Tu es un as. Bref, nous avons deux adversaires au lieu d'un. Et, pour les contrer, nous possédons... des photos. C'est peu!

— Je me demande bien à quoi peut servir celle des chats birmans! remarqua Nathalie.

— Oh! toi, quand tu comprendras du premier coup, on sonnera les cloches! fit Nick moqueur. Apprends, ma fille, qu'avec cette photo nous allons faire le tour des antiquaires de Lamurac où nous nous rendons demain.

— Oui, et alors?— Alors, nous tâcherons d'apprendre par eux si ces

chats de porcelaine sont vraiment aussi précieux que nous le pensons.

— Et s'ils nous disent que non?— Dans ce cas, je donnerai ma langue... aux chats!

» riposta le jeune garçon en manière de plaisanterie.

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CHAPITRE X

La bouteille

CE FUT au tour des deux plus jeunes de raconter comment ils avaient détourné l'attention de l'occupant du Castelet en l'entraînant à leur suite.

« Ce que je craignais, expliqua Nick, c'est qu'il se contente de confisquer le ballon. Heureusement, il a dû penser que la leçon ne serait pas suffisante, et il a cherché à nous attraper. Tu te rends compte? Se mesurer à Nicolas Renaud, champion de course à pied! »

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Noël ne put s'empêcher de rire en entendant cette vantardise.

« Mais, remarqua-t-il, il y avait Nathalie, qui court vite, mais pas autant qu'un adulte...

— Eh bien, justement! Je lui ai fait signe de se planquer, et c'est moi tout seul qui ai mené le jeu. Je faisais semblant de mollir, et puis, hop! je repartais au moment où le type croyait me saisir. Si bien que je lui ai fait faire des tas de détours. A la fin, épuisé et fou de rage, il a préféré abandonner.

— Bravo! Mais qu'a-t-il fait du ballon? » Nick prit un air embarrassé.

« Eh bien... euh... Histoire de se venger, il l'a jeté de toutes ses forces en direction du lac. Avant de le chercher, nous attendions que tu sortes.

— Dans ce cas, allons-y maintenant », proposa l'aîné du trio.

Les enfants redescendirent au campement où Mlle Biche était occupée à éplucher des pommes de terre.

« Alors, vous avez fait une bonne partie, les enfants? interrogea-t-elle.

— Excellente, merci.— Tant mieux! Maintenant, rangez vite le ballon

et venez m'aider.— C'est que... nous l'avons égaré, bredouilla Nick.

Le... nous... enfin... ce ballon a été lancé un

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peu trop fort : il a dû tomber sur la rive.— Ah! Je comprends maintenant pourquoi j'ai

entendu un « plouf » alors que je me trouvais dans la cabane. Au même moment, Hercule s'est mis à grogner. Curieux, non? »

Les Trois N n'étaient pas de cet avis, mais se gardèrent de le dire.

« Allez donc le chercher et prenez le chien avec vous : son flair pourra vous aider, offrit la vieille demoiselle.

— D'accord. Malheureusement, si Hercule était très doué quand

il s'agissait de repérer l'ennemi commun, il ne valait rien pour la recherche des ballons égarés. Il fallut près d'une heure aux Trois N pour retrouver le leur, en passant au peigne fin une grande surface plantée de roseaux. Enfin ils le dénichèrent : il flottait tout près de la rive.

« A croire que la fureur a décuplé les forces du bonhomme! » remarqua Nick.

Le reste de la matinée se passa en préparatifs culinaires. Nathalie confectionna toute seule une crème pour le dessert et, comme la tablette de chocolat qu'elle avait utilisée contenait deux vignettes, elle décida d'en faire la collection.

« Fais voir! dit Nick. Quelle horreur! Des chenilles. Tu ne vas pas garder les images de ces affreuses bestioles?

— Pourquoi pas? intervint Noël. Une vilaine chenille, ça devient plus tard un beau papillon!»

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Son cousin se mit à ricaner.« Ne te fais pas d'illusions : c'est le chocolat qui

intéresse ma petite sœur et non la zoologie! »Vexée, Nathalie pinça les lèvres. Mais elle reprit sa

bonne humeur en recevant des compliments sur sa crème qui fut appréciée de tous, même d'Hercule dont la petite langue rosé nettoya consciencieusement le plat.

Le repas se termina de bonne heure : Mlle Biche avait proposé une promenade qui durerait tout l'après-midi. Il s'agissait de faire le tour du lac et de gravir le sommet boisé qui se dressait sur l'autre rive. C'était fort tentant, mais les deux garçons (et même Nathalie qui avait été mise dans le secret) craignaient que l'adversaire ne profite de leur absence pour chercher à leur dérober les photos du « monstre ». Impossible, malheureusement, de faire partager cette appréhension à Mlle Biche, puisqu'elle ignorait une partie de la vérité, à savoir que le beau-frère de Mme Deloche se doutait de l'existence de ces photos.

Aussi les enfants suivirent-ils leur vieille amie dans cette excursion, et, ma foi, ils y prirent grand plaisir. Il régnait une température délicieuse sous les sapins de la forêt. De plus, les promeneurs eurent la chance d'y découvrir des fraises sauvages et quelques champignons comestibles.

Il était six heures du soir lorsque les Trois N, Mlle Biche et le chien rentrèrent au campement. Et alors... il leur apparut tout de suite que leur

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installation avait reçu la visite redoutée par les plus jeunes : le foyer était démoli, les provisions éparpillées. A l'intérieur de la cabane, c'était pire encore : couchettes en désordre, sacs vidés de leur contenu, celui-ci gisant sur le sol...

« L'affreux personnage! s'écria Mlle Biche. Il a voulu nous punir d'être restés malgré sa défense! »

Une fois de plus les Trois N évitèrent de la contredire, bien que leur propre interprétation des faits fût différente.

Et, naturellement, leur première pensée fut pour la bouteille de plastique contenant les photos. Nick y courut, suivi par Nathalie, pendant que Noël aidait leur vieille amie à réparer les

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dégâts. Le plus jeune des garçons était si inquiet, que sans y prendre garde il pénétra dans l'eau avec ses sandales.

O joie! La bouteille était toujours à sa place avec son précieux contenu. Nick la brandit triomphalement.

« Je suis bien contente! applaudit Nathalie. Mais avoue tout de même que c'est une drôle de cachette!

— Mademoiselle-la-critique serait bien incapable d'en trouver une meilleure! riposta Nick.

Il se pencha pour remettre la bouteille exactement à sa place. Au même moment, Nathalie qui le regardait faire, eut la sensation que quelqu'un les épiait.' Elle se retourna brusquement : rien.

Ou plutôt... en levant les yeux, elle crut voir s'agiter les branches d'un buisson, au bord de la route, comme si un animal... ou une personne, était passé au travers. Inquiète, elle attira l'attention de son frère.

« Fais gaffe! J'ai cru voir quelque chose bouger... là-haut. »

Nick fit aussitôt volte-face, et scruta le paysage en direction du doigt tendu de Nathalie. Il ne vit qu'une route déserte, un buisson immobile, et haussa les épaules.

« Toi et ta frousse perpétuelle! » dit-il moqueur.Admettant qu'elle avait pu se tromper, sa sœur

n'insista pas. Après tout, elle ne demandait qu'à être rassurée.

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D'ailleurs, quelques minutes plus tard, elle avait déjà oublié l'incident. Elle et Nick s'étaient mis à la tâche pour aider Noël et Mlle Biche. Le bouleversement résultant du passage de l'adversaire était, heureusement, plus spectaculaire que profond. Si bien que, moins d'une heure plus tard, l'ordre était suffisamment rétabli pour que la vieille demoiselle pût se remettre à cuisiner sur le foyer reconstruit.

La fatigue causée par ces rangements, ajoutée à celle de la promenade, incita tout le monde à se coucher tôt. Mais le sommeil qui avait bientôt gagné les garçons, Mlle Biche et son chien, fuyait obstinément Nathalie. La scène vécue au bord de l'eau lui était revenue en mémoire et elle se sentait mal à l'aise, mécontente d'elle-même.

« J'aurais dû au moins en parler à Noël : il m'aurait crue, lui! » se reprochait-elle.

Un moment, elle fut tentée de réveiller les deux garçons. Mais ils dormaient si profondément qu'elle n'eut pas le cœur de le faire. Quant à Mlle Biche, un ronflement léger sortait de son sac de couchage, et celui qu'émettait Hercule semblait un accompagnement en sourdine. La petite fille n'eut pas envie d'en rire : elle était bien trop préoccupée!

Elle sombra dans une sorte de rêve éveillé, où les faits se mirent à s'ordonner tout seuls, et de façon si logique qu'elle eut l'impression d'avoir tout compris. Mais bien sûr! C'était d'une clarté

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aveuglante. Alors elle sut exactement ce qu'elle devait faire.

Elle se mit debout et se livra à une mystérieuse occupation, avec des gestes si précis qu'aucun des trois autres ne fut dérangé dans son sommeil. Elle sortit ensuite de la cabane, tâtonna quelques instants et finit par trouver ce qu'elle cherchait.

Enfin, elle se dirigea comme une somnambule vers l'endroit où Nick avait immergé la bouteille. Il n'était pas encore très tard, et la cadette du trio voyait suffisamment pour se guider. Pieds nus (elle n'avait pas pensé à se chausser), elle entra dans l'étang après avoir retroussé les jambes de son pantalon de pyjama. Le contact de l'eau

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la fit frissonner, mais c'était sans importance. Elle avait une tâche à accomplir; elle irait jusqu’au bout.

Cinq minutes plus tard, Nathalie se glissait à nouveau dans son sac de couchage encore tiède. Pourtant, elle eut du mal à se réchauffer. Son intention était de rester éveillée, mais comme c'était difficile! Elle tint bon un moment, employant divers trucs tels que pinçons, histoires qu'on se raconte à soi-même...

Rien n'y fit. Le sommeil la terrassa bientôt; un sommeil assez léger cependant, pour qu'un grognement du caniche réussît à l'en faire sortir. Le chien dressait sa tête frisée et faisait entendre ce bruit de gorge qui était, chez lui, signe de colère.

« Calme-toi, Hercule », fit Nathalie en caressant doucement le petit animal.

Puis, avec un soupir, elle quitta de nouveau son duvet et alla coller son visage contre la petite fenêtre où un morceau de plastique transparent tenait lieu de carreau.

Elle ne s'était pas trompée, pas plus d'ailleurs que le caniche : « Il » déambulait à peu de distance de la cabane, tenant à la main une lampe de poche allumée, et se dirigeait vers le lac. Quelques longues minutes s'écoulèrent, durant lesquelles l'enfant demeura au même endroit, immobile et transie. Un nouveau grondement d'Hercule, puis un crissement de gravier : l'homme revenait.

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Cette fois, sa lampe était éteinte, mais Nathalie put voir nettement l'objet qu'il portait. Elle crut même lire, sur le visage barbu, une expression de triomphe.

Elle-même se mit à rire sans bruit, et c'est avec le sentiment d'avoir bien manœuvré qu'elle regagna sa couchette. Il ne lui fallut que quelques secondes pour s'endormir profondément.

** *

Après cette nuit écourtée, Nathalie aurait volontiers prolongé son somme. Impossible : quelqu'un lui secouait l'épaule sans douceur. Elle ouvrit les yeux, juste pour s'apercevoir qu'il faisait grand jour, les referma aussitôt et se tourna de l'autre côté. Mais la main de son tourmenteur accentua les secousses. En même temps elle entendait une voix irritée qui disait :

« Une vraie souche, cette fille! Allez, debout, et en vitesse! »

Bien sûr, c'était Nick : elle aurait dû s'en douter!Elle se mit péniblement sur son séant. « Qu'est-ce

que tu veux, à la fin?— Te faire lever. Il se passe une chose grave.— Une chose grave! répéta la dormeuse dont le

cerveau engourdi était lent à comprendre. Quoi donc? »Elle regarda son frère, puis son cousin debout

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derrière lui, et vit deux visages à l'expression soucieuse. Ce fut Noël qui répondit :

« La bouteille contenant les photos a disparu! » Contrairement à toute attente, la nouvelle ne parut pas affecter beaucoup Nathalie qui dit en souriant :

« Ah, ce n'est que ça? Vous m'avez fait peur!— Que ça! répéta Nick, à demi étranglé par

l'indignation. Tu n'as donc pas compris que ce sont des documents ir-rem-pla-çables?

— Bien 'sûr que si. La preuve! »Nathalie plongea la main dans son sac de couchage

et en extirpa... la bouteille de plastique, dans laquelle on apercevait, par transparence, les deux photos enroulées en cylindres.

« J'ai pensé qu'elles seraient plus en sûreté ici, avec moi, déclara-t-elle d'un air modeste. Et j'ai compris que j'avais eu raison, en voyant le beau-frère de Mme Deloche se diriger vers le lac, cette nuit. »

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CHAPITRE XI

A Lamurac

LA SURPRISE, la joie rendirent les garçons muets pendant quelques instants, puis des exclamations jaillirent :

« Bravo, Nattie! applaudit Noël. — Tu nous enlèves une drôle d'épine du pied! déclara Nick, puis il ajouta, songeur : dis donc, est-ce que cette idée ne t'est pas venue à la suite de cette... euh... fausse alerte... qui pouvait être vraie, après tout?

— De quelle alerte, vraie ou fausse, parlez-vous? » demanda l'aîné du trio.

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Avant de répondre, la petite fille jeta un regard inquiet vers la porte.

« Tu peux parler sans crainte, la rassura son cousin, Mlle Biche n'est pas dans les parages. »

Evidemment! C'était l'heure de sa chère culture physique.

« Eh bien, commença Nathalie, j'ai en effet été alertée, hier soir... »

Suivit le récit de la « sensation » éprouvée au moment où son frère sortait la bouteille de l'eau.

« J'aurais - pu te faire confiance! avoua Nick, l'air penaud.

— Et moi, j'aurais dû insister. Seulement, je n'étais sûre de rien. C'est plus tard, une fois couchée, que tout m'est revenu et j'ai compris que, si le vilain bonhomme avait fait toutes ces fouilles, c'était... euh... pour faire semblant...

— Quoi? s'exclama son frère, mais, depuis l'incident du « négatif », il s'inquiétait, tout simplement... Il sera "venu pour vérifier si nous n'avions pas d'autres documents, plus compromettants. D'ailleurs, le désordre qu'il a laissé en est la preuve!

— Eh bien, justement... tenta d'expliquer Nathalie, le beau-frère Deloche a pensé que... nous penserions que...

— Alors, ça vient, cette preuve par neuf? l'interrompit Nick.

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— La preuve que tu es bête, oui!— Et toi donc, tu es... »Le jeune garçon retint juste à temps une riposte peu

flatteuse pour l'intelligence de sa sœur. Par bonheur, Noël se hâta d'intervenir :

« Je crois que j'ai compris : elle veut dire que l'homme aurait pu chercher les photos discrètement. Or, au contraire, il a semé beaucoup de désordre, exprès pour que nous remarquions tout de suite qu'il était venu. Ainsi, notre premier geste serait, à coup sûr...

— ... de nous précipiter vers la cachette, acheva Nick, la vraie, celle qu'il voulait que nous lui indiquions. Il se tenait donc aux aguets et, naturellement, il a tout vu. »

Le jeune garçon, l'air mortifié, ajouta : « Quel idiot je suis d'être tombé dans le panneau!

— Nous y sommes tous tombés, rectifia son cousin.

— Même moi, au début, concéda Nathalie. Seulement, j'ai eu cette... cette impression et plus tard, en y repensant, la certitude que ce type avait repéré notre cachette et qu'il reviendrait, la nuit, pour prendre la bouteille.

— Alors, tu es allée l'enlever : c'est très courageux de ta part! la félicita Noël.

— Attends, ce n'est pas tout! Pour mieux le tromper, j'ai mis une autre bouteille à la place.

— Vide? supposa Nick.

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— Pas du tout! Devine ce qu'il y avait dedans?— Du gravier?— Oui, bien sûr, mais aussi deux images enroulées

dans du plastique, comme les photos.— Tu ne veux pas dire que tu t'es servie... des

vignettes représentant les chenilles?— Si, justement! »Nick manifesta une bruyante gaieté.« Des chenilles, au lieu d'un, faux serpent! Ah! ah!

je vois d'ici la tête du bonhomme en découvrant la substitution! Nathalie, je n'hésite pas à déclarer que tu t'es montrée géniale!

— Je prends note », fit Noël, riant à son tour. Nathalie était flattée qu'on reconnaisse ses mérites, mais un peu inquiète, tout de même, sur les suites de son exploit.

« Et maintenant, que va faire le beau-frère Deloche? demanda-t-elle.

— Décamper, supposa Nick, toujours confiant. Comme sa tentative pour récupérer les photos a échoué, il doit penser que nous mettrons sa belle-sœur au courant.

— Autrement dit, c'est à son tour d'être « brûlé », poursuivit Noël. Seulement, je suis moins optimiste que toi. Nos deux adversaires ne vont pas renoncer si facilement!

— Mais enfin, que peuvent-ils faire?— Je donnerais gros pour le savoir!— Quoi qu'ils fassent, ils trouveront les

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Trois N sur leur chemin! s'écria Nick d'un air noble. C'est aujourd'hui que nous allons à Lamurac, et, croyez-moi, nous aurons du pain sur la planche.

— A propos de pain... allons déjeuner! invita Nathalie qui avait très faim. J'entends Mlle Biche qui nous appelle. »

Aussitôt la petite fille sauta sur ses pieds et se hâta de s'habiller. Son cousin, pendant ce temps, récupéra les photos qui n'avaient pas du tout souffert de leur séjour dans le lac. Il les confia ensuite à Mlle Biche : n'était-ce pas elle, plutôt que les Trois N, qui aurait l'occasion de les montrer à qui de droit? La vieille demoiselle les plaça dans son sac à main.

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« Celui qui essaierait de me les arracher aurait affaire à forte partie! » déclara-t-elle en redressant fièrement sa taille minuscule.

Et le caniche ponctua ce discours par un « Ouah, ouah! » qui semblait dire :

« N'oubliez pas que je suis là, moi aussi! »A huit heures et demie, les trois enfants, la vieille

demoiselle et le chien prenaient place dans le gros car stationné sur la place de Mireval. Il était déjà à demi plein de villageois et encombré de paniers, sacs et cageots regorgeant de toutes sortes de denrées : œufs, légumes et même animaux de basse-cour. Les gens s'interpellaient, les poules et les canards caquetaient... bref, c'était un spectacle vivant et animé qui divertit beaucoup les arrivants.

Le véhicule finit par s'ébranler. Comme il passait devant le Castelet, les quatre voyageurs purent voir, stationnant devant le perron, une voiture de sport extra-plate.

« Une Triumph », affirma Nick.Pas neuve, certainement, mais repeinte en un jaune

criard. Un homme était occupé à introduire une valise dans le coffre ouvert : le beau-frère Deloche en personne. Le plus jeune des garçons poussa son cousin du coude et chuchota à son intention :

« Tu vois, je te l'avais bien dit : il abandonne!— Je voudrais en être sûr! » répondit Noël; moins

prompt à s'emballer.

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Mlle Biche, qui n'avait rien perdu de la scène, se réjouit sans restriction :

« Bon débarras! Cet encombrant personnage parti, plus rien ne s'oppose à ce que mon amie rentre chez elle...

— ... et nous y invite enfin », acheva Nathalie qui avait de la suite dans les idées:

Le car avait à peine parcouru deux kilomètres lorsque la Triumph jaune, après maints coups de klaxon, réussit à le doubler. Il sembla à Nick, qui était assis à gauche, côté vitre, que son conducteur lui jetait au passage un regard narquois. Mais c'était peut-être un effet de son imagination? N'empêche que le jeune garçon se sentit bouillir de rage impuissante.

« Si au moins, dit-il à Noël, nous pouvions le suivre pour savoir où il va! »

Pas question, bien sûr! Le gros véhicule poussif était bien incapable de lutter de vitesse avec une voiture rapide. Celle-ci disparut bientôt dans un tournant. Enfin, après un trajet qui parut long aux Trois N, le car arriva à Lamurac et vint stopper sur la place de la gare, qui servait occasionnellement de parking. Tandis que les voyageurs sortaient avec une lenteur désespérante du véhicule bondé, les enfants, à tout hasard, cherchèrent des yeux l'auto jaune. Ils ne l'aperçurent pas. Il est vrai que leur examen ne put être poussé bien loin : Mlle Biche les entraînait à vive allure. « Objectif immédiat : la poste, leur dit-elle tout

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en traversant la place. C'est dans cette direction, m'a dit le chauffeur. »

Elle désignait une rue étroite et encombrée, à l'angle de laquelle se dressait le café de la Gare. Nick, resté en arrière pour chercher une barre de chewing-gum dans sa poche, jeta un vague coup d'œil à l'intérieur de l'établissement.

O surprise! Un barbu était attablé devant un café-crème et des croissants : LUI! Le jeune garçon s'arrêta, stupéfait, juste pour voir l'homme regarder sa montre, puis tourner la tête vers la gare. S'apprêtait-il à prendre le train? Peu probable, puisqu'il avait sa Triumph (au fait, où était-elle parquée?). Peut-être-alors attendait-il un voyageur? Tiens, tiens!

Nick ne poussa pas plus loin ses réflexions : ne tenant pas à être vu, il se hâta de rejoindre les autres. Et, bien entendu, il attira l'attention de Noël pour lui faire part de ses observations. L'aîné du trio resta perplexe.

Après un court trajet, le petit groupe atteignit la poste, où l'annuaire du département révéla, pour la ville de Lamurac, les noms de quatre docteurs : Dunand, Jacquin, Molineux et Pauïme.

« Je vais procéder par ordre alphabétique, déclara Mlle Biche. Et je crois, mes enfants, qu'il vaut mieux que je me charge toute seule de cette démarche. Cela ne vous ennuie pas, au moins? » Tout au contraire, les Trois N étaient ravis de ce moment de liberté qui leur était offert, et qu'ils

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mettraient à profit pour mener leur propre enquête. On convint de se retrouver dans une heure, au même endroit.

La vieille demoiselle partie, les enfants n'eurent rien de plus pressé que de rouvrir l'annuaire. Cette fois, ils y cherchaient les antiquaires. Déception! Il n'y en avait pas un seul à Lamurac.

« Mlle Biche avait raison : un vrai trou! » s'écria Nick, la mine longue.

Noël n'était jamais à bout de ressources.« Regardons s'il existe des brocanteurs », proposa-t-

il.Cette fois le trio eut du succès : une boutique de

brocante existait (une seule, il est vrai) tenue par un certain A. Colinot.

« Champ des épinettes, lut encore Nick. Joli nom, mais où est-ce que ça perche? »

A l'autre bout de la ville, comme le leur apprit le premier passant interpellé. Tant pis! De nouveau, l'espoir d'arriver au but soutenait les Trois N. Ils se hâtèrent vers le lieu indiqué.

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CHAPITRE XII

La maison de repos

L'ENDROIT était éloigné, et pour l'atteindre les enfants durent traverser la place du marché. Il y avait tant de monde qui s'y pressait, qu'il leur fallait parfois jouer des coudes pour avancer.

Soudain, entre un marchand qui bradait à .grands cris des cageots de pêches, et un autre qui vantait ses fromages de chèvre, Nathalie repéra une silhouette connue. Pas de doute! Beaucoup mieux vêtue aujourd'hui que dans sa cour de

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ferme, c'était bien la fille de Mme Galichet qui se tenait là. Devant elle, à même le trottoir, elle avait posé un panier rempli d'œufs, et une caisse grillagée où pépiaient des poupins. Tandis que Nathalie se penchait sur les adorables boules de duvet jaune, les garçons s'entretenaient avec la jeune fermière.

« Ma mère est de retour, expliquait celle-ci. Elle est même venue en ville avec moi. Seulement, elle avait rendez-vous chez le dentiste. Je pense qu'elle ne devrait plus tarder. Voulez-vous l'attendre? »

Elle s'interrompit pour vendre une douzaine d'œufs à une cliente. Les Trois N en profitèrent pour se concerter.

« On ferait peut-être bien de la rencontrer, cette Mme Galichet, remarqua Noël. Au cas où Mlle Biche échouerait dans ses recherches...

— Je comprends ton idée, dit Nick. Elle pourrait nous donner le nom du docteur de Mme Deloche, et celui de la maison de repos. Seulement nous risquons de poireauter longtemps...

— ... et il y a le brocanteur à voir », acheva Nathalie.

La jeune fermière, sa cliente partie, se tournait justement vers eux.

« Non décidément, nous ne pouvons pas rester, lui déclara Noël. Nous avons... euh... des courses à faire.

— Quel dommage! Ma mère aurait été ravie de

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vous voir. Mais j'y pense : vous êtes venus comment?

— Par le car.— Mais alors, pourquoi ne pas repartir avec nous?

Il y a suffisamment de place dans la voiture. Départ à midi. Ça vous va?

— Oui... enfin, peut-être, hésita Noël. Ça dépend de ce qui nous reste à faire. En tout cas, merci pour votre offre.

— Ce sera avec plaisir. Si vous vous décidez, trouvez-vous à l'heure dite près de la voiture. C'est une fourgonnette grise dont voici le numéro (elle l'inscrivit sur un bout de papier); et elle est garée... vous voyez cette école? Il y a une ruelle qui la longe : c'est là. »

Les Trois N profitèrent, pour s'éclipser, de ce qu'une cliente s'approchait. Quelques instants plus tard, ils couraient presque sur la route, heureusement peu fréquentée, conduisant au Champ des épinettes. Il s'agissait de rattraper le temps perdu! Les habitations s'espaçaient de plus en plus. Enfin, à l'entrée d'une sorte de terrain vague, leur apparut un hangar en bois brun, devant lequel les objets les plus hétéroclites étaient posés à même le sol : ustensiles noircis, vases ébréchés, fourneaux rouilles, meubles vermoulus...

« Nous n'avons plus qu'à repartir! fit Nick avec une moue dégoûtée. Ceux qui vendent de pareilles horreurs ne s'y Connaissent sûrement pas en chats birmans!

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— Essayons toujours, insista son cousin. Tiens, voilà justement quelqu'un. »

C'était une jeune femme, vêtue d'un blue-jean délavé et d'une chemise paysanne à gros carreaux. Ses cheveux blonds étaient coupés très court. Elle sourit à Nathalie, qui la jugea sympathique.

« Vous cherchez quelque chose?— Oui... enfin... on voudrait savoir... s'il vous

arrive parfois de vendre des statuettes en porcelaine comme... comme celles-ci, bégaya Noël en lui tendant la photo.

— Hum! La porcelaine, les bibelots fragiles, ça n'est pas précisément le genre de la maison! fit-elle en hochant la tête. Pourtant, ces chats... ça me dit quelque chose. »

Elle se tourna vers le hangar et appela : « Alain, viens donc voir! »

Un garçon à moustache tombante, long, maigre, portant le même genre de vêtements que sa femme mais en plus négligé, sortit sans se presser.

« Ben quoi, il n'y a pas le feu! bougonna-t-il après un regard désabusé sur ces trop jeunes clients.

— Non, mais regarde ça. »Il prit la photo qu'elle lui tendait, et son visage

s'éclaira.« Par exemple, mais c'est mon chat! s'exclama-t-il.

Enfin, je veux dire celui-ci (il désignait un seul côté de l'image).

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— Votre chat! dirent en chœur les Trois N médusés.

— Aucun d'eux n'est à vous, puisqu'ils appartiennent à Mme Deloche! ajouta Nathalie.

— Deloche... Deloche... c'est bien son nom! s'écria le brocanteur. Tu te souviens, Agnès, de cette dame qui cherchait un chat en porcelaine dorée pour assortir à un autre qu'elle possédait?

— Oui, maintenant ça me revient », approuva la jeune femme.

L'homme désigna le deuxième chat sur la photo.« Eh bien, l'autre, c'est sûrement celui-là. Et c'est

vrai qu'ils se ressemblent!— Pourtant, objecta Nick, Mme Deloche avait

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reçu de Birmanie deux chats de porcelaine. Pourquoi en aurait-elle acheté encore un?

— Je ne sais pas, moi, répondit le moustachu. Tout ce que je me rappelle, c'est sa joie, à cette dame, quand je lui ai déniché -celui-ci, peu de temps après, dans une vente aux enchères. Un vrai coup de veine! Et je vous assure qu'elle n'a pas marchandé sur le prix! »

Au souvenir de cette bonne affaire, le brocanteur se frotta les mains. Puis il devint songeur et remarqua :

« Mais si vous dites que l'autre a été fabriqué en Birmanie, je suis, sûr que le mien ne vient pas d'aussi loin. Comme chat birman, il est moins authentique... que toc! »

Les enfants rirent poliment à ce jeu de mots. Flatté, le commerçant leur dit d'un ton aimable :

« En somme c'est d'un renseignement que vous aviez besoin? Eh bien, vous l'avez. Bye-bye! »

Accompagnant cet adieu d'un signe de la main, il rentra dans son hangar, suivi par sa femme.

Les Trois N étaient si étonnés par ce qu'ils venaient d'apprendre, qu'ils restèrent un moment figés sur place. Le premier, Nick se secoua.

« Il ne faudrait quand même pas prendre racine ici! s'écria-t-il. Est-ce que vous pensez à notre rendez-vous devant la poste?

— C'est vrai : nous avons juste le temps! » remarqua Noël en consultant sa montre.

Le trio partit d'un bon pas, tout en discutant

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avec animation sur le sujet qui lui tenait à cœur : les chats.

« En somme, nous ne sommes pas plus avancés en ce qui concerne leur valeur, remarqua le plus jeune des garçons. De toute évidence, ce brocanteur était incapable de nous renseigner là-dessus.

— Par contre, il nous a appris quelque chose, rectifia son cousin. C'est que l'un des chats n'est sans doute qu'une copie...

— ... et que Mme Deloche l'a acheté pour l'assortir à l'autre, ajouta Nathalie. Pourquoi ce deuxième chat, qui n'est même pas birman?

— Eh bien, voyons, c'est -pour... pour faire la paire», répondit Nick.

Sa sœur éclata d'un rire moqueur.« Deux chats pour faire une paire? Ah, ah! On

croirait entendre La Palice. A ce compte-là, pourquoi pas trois, ou quatre, ou... une douzaine? »

Vexé, le jeune garçon allait riposter vivement. Mais, se souvenant de sa mésaventure du matin, il se contenta de hausser les épaules. Ce fut Noël qui répondit :

« Douze, ce serait beaucoup. Mais deux, pourquoi pas ? Ça permet, par exemple, d'en placer un de chaque côté de l'escalier, comme au Castelet. Pourtant, dans cette histoire, il semble qu'il y ait trois chats : les deux que Mme Deloche a reçus de Birmanie, et celui qu'elle a acheté au brocanteur.

— C'est vrai, ça! approuva Nick, qui ajouta

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plaisamment : si elle avait la paire, pourquoi faire l'achat... d'un chat?

— Et qu'est devenu le troisième? demanda Nathalie.

— Je l'ignore. La seule personne qui puisse nous le dire, c'est...

— ... Mme Deloche, acheva la fillette. Allons vite la voir! »

Mais il fallait d'abord retrouver Mlle Biche, avec l'espoir qu'elle rapporterait l'adresse cherchée. Or, malgré les cinq minutes. d'avance prises par les Trois N, la vieille demoiselle et son chien se trouvaient avant eux au lieu du rendez-vous.

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Du plus loin, la maîtresse d'Hercule agita le bras dans un geste de triomphe.

« Elle l'a! traduisit Nick. Youpi! » C'était vrai. Tout en entraînant sa petite troupe vers le lieu dit Villedessus où s'élevait la maison de repos Plaisant Séjour, Mlle Biche raconta aux Trois N de quelle façon elle avait mené ses recherches.

« J'ai eu de la chance! Le docteur qui soigne habituellement mon amie se trouvait être le second de la liste : Jacquin. Le premier médecin m'a reçue sans trop me faire attendre, mais le nom « Deloche » ne lui disait rien. Chez Jacquin, une ouvreuse du genre dragon prétendait me faire faire la queue dans la salle d'attente, où se trouvaient déjà une dizaine de clients. Ah, par exemple! Je lui ai montré que je ne me laisse pas marcher sur les pieds, n'est-ce pas, Hercule? Bref, le docteur a consenti à me recevoir entre deux consultations. Un homme affable et compréhensif, mais trop consciencieux pour se fier tout de suite à l'inconnue que je suis. J'ai dû, pour le convaincre de ma bonne foi, lui montrer la lettre d'invitation de Mme Deloche. Ensuite, ayant vu les photos, il a bien admis que sa patiente pourrait rentrer chez elle, du moment que nous avions trouvé la cause de ses prétendues hallucinations. Mais il tient d'abord à la voir, et se rendra à la maison de repos dès la fin de ses consultations. Il m'a tout de même signé un billet de sortie, qui

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prendra effet après sa visite. En attendant, il m'est permis de rencontrer mon amie. »

Elle ajouta d'un ton pénétré : « Je suis si heureuse de la revoir, et de lui porter la bonne nouvelle de sa... guérison! Façon de parler, bien sûr, puisqu'elle n'a pas vraiment été malade. Malheureusement je devrai du même coup lui faire de la peine, en lui apprenant la fourberie de son beau-frère. »

Noël déclara que les Trois N, eux aussi, seraient très contents de faire la connaissance de Mme Deloche. Mais il s'abstint de révéler qu'ils auraient une importante question à lui poser.

Hélas! Après une « grimpette » qui dura un bon quart d'heure, car Plaisant Séjour se dressait au faîte d'une colline, le trio pénétra dans le hall d'entrée à onze heures. Une cruelle déception les attendait.

« Les enfants ne sont pas admis dans l'établissement », leur dit une employée qui se tenait derrière son comptoir à la réception.

D'ailleurs, cette jeune personne trop zélée fit également des difficultés à Mlle Biche.

« Les visites, expliqua-t-elle, ont lieu l'après-midi. A la rigueur le matin, après dix heures et demie, mais seulement pour les proches. »

N'étant pas une « proche », la vieille demoiselle risquait d'être évincée. Mais elle montra une fois de plus qu'elle ne s'en laissait pas imposer si facilement.

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« Dans ce cas, dit-elle d'une voix aiguë, j'exige de parler à la directrice. »

Comme, en même temps, elle brandissait le papier du docteur sous le nez de l'employée, celle-ci n'eut plus qu'à s'incliner.

Quant aux Trois N et à Hercule (qui, lui non plus, n'avait pas trouvé grâce), ils se retrouvèrent dehors. Les enfants, dépités et furieux, se laissèrent tomber sur un banc de pierre placé au centre d'un massif de verdure. N'était leur déception, ils auraient trouvé l'endroit charmant. La maison elle-même était un ancien château dont la gracieuse silhouette se trouvait malheureusement déparée par des ailes de construction plus récente. Quant au parc qui l'entourait, il était champêtre à souhait, avec ses pelouses fleuries coupées par des sentiers sinueux, ses boqueteaux, ses rocailles...

Comme toujours, le moins résigné des trois était Nick, qui n'arrêtait pas de bougonner. A peine assis, il se releva en déclarant : « Je vais faire un tour. Attendez-moi. » Avant que les deux autres aient seulement ouvert la bouche, il avait filé en direction de l'entrée du parc, figurée par un arceau taillé dans une immense haie. Il suivit celle-ci sur la droite et vit qu'elle s'interrompait bientôt, ménageant une aire plane et goudronnée où quelques voitures étaient stationnées. Un parking!

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Le jeune garçon jeta un coup d'œil sur les véhicules rangés là. Son réflexe immédiat fut de sauter en arrière, de façon à être dissimulé par la haie : l'une des automobiles était une Triumph jaune!

« Pas de doute! pensa Nick. C'est celle du beau-frère. Il n'y en a pas deux pour avoir cette horrible teinte! »

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CHAPITRE XIII

Révélations

LE JEUNE GARÇON se ressaisit vite. Après tout -L" qu'avait-il à craindre?

« Rien du' côté parking, se dit-il aussitôt. Si la Triumph est ici, c'est que son propriétaire n'y est pas. Déduction digne de La Palice, comme dirait ma sœur. Où peut se trouver le monsieur? En visite chez sa belle-sœur, de toute évidence. Dans quel but? Sûrement pas pour lui faire des adieux émus : il sait fort bien que nous arrivons derrière

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lui pour démolir sa réputation. Alors? Ben voyons! Pour soutirer à Mme Deloche un renseignement qui l'intéresse, lui. Peut-être au sujet des chats? Peut-être le .même que nous cherchons à obtenir? Oh, oh! Dans ce cas, Noël avait raison : notre bonhomme n'a pas dit son dernier mot, et son départ du Castelet, avec sa valise, n'était qu'une feinte. Il faut que je l'empêche d'y retourner. Comment? J'ai le choix des moyens. Les Trois N n'ont-ils pas, à plusieurs reprises, bricolé les voitures de leurs adversaires? »

II envisagea d'abord de vider le réservoir d'essence.« Non. L'auto ne serait pas immobilisée pour assez

longtemps. Et puis, ça pollue. »Finalement il se résolut à employer le procédé le

plus simple, qui consistait à crever un ou même plusieurs pneus. Bien entendu, dans le fouillis de ses poches se trouvait un canif. Il l'extirpa après quelques ^recherches, l'ouvrit, puis, ayant vérifié que le parking paraissait désert, contourna la haie pour se diriger vers l'auto jaune.

Or, au moment où il allait s'attaquer à la roue arrière droite, il eut l'idée de jeter un coup d'œil à l'intérieur du véhicule. Catastrophe! Un homme, qu'il n'avait pas vu jusqu'ici parce qu'il avait les yeux baissés vers les pneus, était assis sur le siège du passager, à l'avant. D'où il se trouvait, le jeune garçon apercevait des épaules massives revêtues de toile gris clair, ainsi qu'un crâne dégarni. En

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ce moment, cette tête chauve était penchée en direction du cendrier.

Comme Nick hésitait sur ce qu'il devait faire, l'homme se redressa soudain et mit la main sur la poignée. Avait-il l'intention de sortir? Sans prendre le temps de le vérifier, le jeune Renaud détala, le corps penché en avant comme s'il voulait échapper aux regards du passager de la Triumph. Puis il se dit qu'il n'avait rien à craindre, du moment que cet homme ne le connaissait pas. Il n'en continua pas moins sa course, mais sans prendre autrement de précautions. Une fois à l'abri de la haie, il fit une courte pause, ferma son canif d'un coup sec et le remit dans sa poche en disant entre ses dents : « Raté! »

Mais un autre danger subsistait : le beau-frère Deloche pouvait, en ce moment, quitter l'établissement pour rejoindre le parking. Alors Nick vola, plus qu'il ne courut, jusqu'au banc où les deux autres étaient restés sagement à l'attendre, et s'y laissa tomber avec soulagement. Il n'avait fait aucune rencontre fâcheuse.

« Qu'est-ce qui t'arrive? s'ébahit Noël. Tu arrives sur nous comme un bolide! »'

Son cousin haletait si fort, qu'il lui fallut une bonne minute avant de pouvoir parler. Alors ce fut une avalanche de mots, pour expliquer la présence probable de Deloche cadet à la maison de repos, et celle, indubitable, d'un passager dans sa voiture.

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« Et, bien sûr, ajouta-t-il, le beau-frère s'est arrangé pour arriver avant nous, pendant que nous courions les médecins ou les brocanteurs...

— ... et comme il est un proche parent, on l'a laissé entrer sans histoire, poursuivit Noël. Sauf qu'il a dû attendre dix heures et demie. »

II regarda sa montre. « Onze heures moins, cinq : il ne devrait pas tarder à sortir.

— Mais... le deuxième homme? » demanda Nathalie.

Noël réfléchit.« Je suppose, dit-il enfin, qu'il s'agit du complice

qui téléphonait au beau-frère Deloche. Ce dernier l'aura sans doute convoqué pour la dernière phase de la bataille. Je parie même que ce type est arrivé par le train, ce matin, et que c'est lui que l'autre attendait au café de la gare.

— Tu dois avoir raison : tout se tient, acquiesça Nick.

— Oh! dites donc, remarqua Nathalie, est-ce que ce vilain bonhomme ne va pas se trouver nez à nez avec Mlle Biche?

.— Peut-être pas, puisqu'elle se rendait d'abord chez la directrice. Le temps qu'elle soit reçue; qu'elle expose son cas... »

A cet instant, la porte de l'établissement s'ouvrit, et le barbu apparut sur le seuil. Il regarda autour de lui... sans voir les Trois N, heureusement protégés par le

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massif de verdure. Par contre, quand il passa près d'eux, Hercule faillit tout gâcher en

se mettant à grogner. Bien vite, Nathalie serra le petit museau dans sa main.

Le trio ne bougea pas, ne fit pas un geste, jusqu'au moment où un grondement de moteur l'avertit que l'ennemi quittait la place.

« Si au moins c'était un départ définitif! regretta Nick. Mais je sais qu'ils retournent au Castelet. Et j'enrage à l'idée que j'aurais pu les en empêcher.

— Ce n'est pas ta faute : la présence du complice t'a gêné, le consola Noël. D'ailleurs, tout n'est peut-être pas perdu. Si nous pouvions parler à Mme Deloche...

— Nous le pourrons! déclara son cousin en tapant du pied. Coûte que coûte, j'arriverai jusqu'à elle.

— Comment? demanda Nathalie.— Je ne sais pas encore. Pour le moment, je vais

me poster près de la porte, dans une plate-bande. Tant pis si j'écrase quelques fleurs! Vous, allez attendre Mlle Biche à la sortie du parc et occupez; vous d'elle.

— O.K., accepta Noël. Nous essaierons de lui faire oublier que tu manques à l'appel... ce qui sera difficile, car tu n'es pas de ceux qui passent inaperçus! »

Un peu plus tard, Nick était accroupi dans l'angle entre perron et façade. Sa position n'avait rien de confortable, car le rosier qui le cachait était (comme tous les rosiers) rempli d'épines. L'attente

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lui parut fort longue. Enfin, la porte s'ouvrit à nouveau, cette fois pour laisser passer deux personnes : Mlle Biche, et une dame un peu forte drapée dans un peignoir douillet. Il ne pouvait s'agir que de Mme Deloche. Les deux amies se serrèrent la main avec effusion. Puis la maîtresse d'Hercule s'éloigna en lançant gaiement :

« Au revoir! A bientôt!— A bientôt! » répéta la dame au peignoir en

agitant la main.Nick jubilait derrière un rosier, au point d'en oublier

les épines.« Chic! Elle l'a accompagnée, exactement ce

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que j'espérais. Pourvu qu'elle reste encore un moment! »

Mme Deloche resta, continuant de faire « au revoir » avec la main, jusqu'au moment où Mlle Biche passa sous l'arceau de verdure et disparut. Alors, son amie fit volte-face pour rentrer dans la maison, mais un « Psitt! » retentissant l'arrêta net. En même temps, au prix de trois piqûres supplémentaires, Nick émergea de la plate-bande.

« Vous êtes Mme Deloche? » demanda-t-il précipitamment.

Médusée, elle fit « oui » de la tête.« Moi, c'est Nick... enfin, Nicolas Renaud, l'un des

trois amis de Mlle Biche que vous aviez si gentiment invités. Puis-je vous parler? »

Mme Deloche, après un instant d'hésitation, s'exclama soudain :

« Ah! je comprends. Mon enfant, rassurez-vous, Mlle Biche sort d'ici, elle m'a tout dit!

— Non madame, justement, et voilà pourquoi je dois vous parler, dans votre intérêt. Je vous en prie, faites-moi confiance! »

Sur. le visage de la grosse dame se lisait la surprise, puis vint l'inquiétude; enfin, elle acquiesça. Nick l'entraînait déjà vers le bosquet qui avait, tout à l'heure, abrité les Trois N. Là au moins, la secrétaire débordante de zèle ne pourrait pas les voir.

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« Je vais vous paraître très indiscret... », commença le jeune garçon.

A ces mots, une lueur amusée dansa au fond des yeux de Mme Deloche et Nick, encouragé, poursuivit :

« Votre beau-frère vous a rendu visite?— Oui, convint-elle, et, comme je vous l'ai dit,

Mlle Biche m'a déjà tout raconté sur son inqualifiable conduite.

— Cet homme vous a-t-il posé des questions au sujet des chats birmans? l'interrompit le jeune garçon.

— En quoi cela vous regarde-t-il, et d'ailleurs, comment le savez-vous? ... Pardonnez mon emportement, Nick, mais je suis si bouleversée!

— Oh! c'est bien naturel, madame. Pourtant, le temps presse et je voudrais que vous me disiez si notre homme connaît aussi l'existence de l'autre chat... celui que vous avez acheté au brocanteur de Lamurac? »

L'amie de Mlle Biche, cette fois, resta muette de stupéfaction. Mais, impressionnée sans doute par l'air décidé du jeune garçon et par ce qu'il connaissait de sa vie privée, elle finit par se rendre.

« Eh bien oui! lança-t-elle brusquement. Mais que voulez-vous savoir au juste?

— Tout d'abord... euh... les raisons de cet achat.

— Bah! à quoi bon faire des mystères? soupira

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Mme Deloche. C'est bien simple : mon mari m'avait annoncé l'envoi de deux chats de porcelaine, me disant, dans sa lettre, qu'ils étaient très précieux et qu'il fallait les garder soigneusement jusqu'à son retour... lequel, hélas, n'a jamais eu lieu.

— Vous disait-il pourquoi ils avaient tant de valeur à ses yeux?

— Pas précisément. Bien sûr, je savais déjà que les chats sont des animaux sacrés en Birmanie. Mais à part ça...

— Et le chat du brocanteur?— Il n'a rien de remarquable, sinon une vague

ressemblance avec les deux autres. Seulement, en ouvrant la caisse arrivée de Birmanie, j'ai vu avec consternation que l'un d'eux s'était cassé pendant le transport. Pensant à la contrariété qu'éprouverait mon mari, j'ai cherché à me procurer un autre chat de porcelaine dorée qui le remplacerait provisoirement.

— Provisoirement, dites-vous? Donc, vous n'avez pas jeté le chat cassé?

— Certes non! Il n'avait pas tellement de mal, et j'ai pensé que mon mari pourrait le recoller.

— Dans ce cas, vous savez où sont les morceaux?»Mme Deloche secoua la tête.« Malheureusement non. Ou plutôt, je me rappelle

les avoir placés dans un cagibi au rez-de-chaussée en attendant mieux. Puis quelqu'un les a retirés, sans doute la femme de ménage en veine de rangement.

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— La femme de ménage... Vous voulez dire Mme Galichet?

— Non, pas elle, mais une remplaçante venue de Lamurac. A cette époque, comme chaque année, rna brave Fanny était retenue par les travaux de la ferme. »

Nick en savait assez. Il se leva, et demanda d'un ton grave :

« Tout ce que vous venez de m'apprendre, vous l'avez également dit à votre beau-frère?

— Mais oui. Et je comprends trop tard que je n'aurais pas dû.

— En effet, mais vous ne pouviez pas deviner. Merci, madame. Au revoir! »

Et il s'éclipsa, laissant Mme Deloche un peu éberluée par ce brusque départ.

En moins de cinq minutes, le bon coureur qu'il était rejoignit le petit groupe au pied de la colline.

« Ah, te voilà, vagabond! s'écria Mlle Biche en souriant. Si j'ai bien compris, notre jeune impatient est allé faire un tour dans la campagne, au lieu de m'attendre tranquillement, comme sa sœur et son cousin? »

« Ainsi, voilà l'alibi que m'a trouvé Noël », pensa Nick. Et il dit tout haut : « C'est vrai que je n'aime guère rester immobile. Excusez-moi si je me suis mis en retard.

— Tu es tout excusé, puisque te revoilà. Et

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maintenant que nous sommes tous réunis, je vais vous dire ce qui a été décidé pour Mme Deloche : elle sort aujourd'hui de la maison de repos, et c'est moi qui viendrai la chercher en taxi. J'espère en trouver un, cette fois!

— A quelle heure? demanda Noël.— Au début de l'après-midi.— Quoi! Si tard que ça? s'écria Nick, cachant mal

sa consternation.— Voyons, réfléchis un peu : elle a le docteur à

voir, sa valise à faire, des papiers à remplir... D'ailleurs, il serait peu charitable de la bousculer, après les émotions qu'elle vient de traverser!

— Mais nous, alors?— Figurez-vous que je vous invite au restaurant.

C'est une bonne surprise, non?— Oh, oui, alors! » applaudit Nathalie. Mais elle

se rendit compte qu'elle était seule àréagir ainsi. Noël s'efforçait de sourire, niais on le

sentait peu enthousiaste. Quant à Nick, il faisait une de ces têtes! Sûrement, il avait un projet qui ne « collait » pas avec l'invitation de leur vieille amie. Nathalie s'aperçut même que les garçons restaient en arrière et qu'ils échangeaient quelques paroles à voix très basse.

Mlle Biche se tourna vers les traînards.« Vous ne dites rien vous deux. Ça ne vous plaît

pas, le restaurant?— Bien sûr que si! répondit Noël. Seulement...

nous avons presque promis à Mme Galichet et à

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sa fille de rentrer avec elles, dans leur voiture.— Quoi! Vous les avez rencontrées?— Oui... enfin, sa fille seulement : elle vendait sur

le marché...— ... et elle tient beaucoup à ce que nous

rencontrions sa mère, se hâta d'ajouter Nick. C'est pourquoi nous pensions profiter de leur offre.

— Voilà qui est bien contrariant! commenta la maîtresse d'Hercule, les sourcils froncés. Evidemment, on ne peut décevoir ces braves gens. D'un autre côté, il y a ma promesse à Mme Deloche.

— Bien sûr qu'il faut la tenir, et pour ça vous n'avez pas besoin de nous! » intervint Nathalie.

C'était du stoïcisme de sa part, car l'idée de déjeuner au restaurant lui plaisait énormément. Seulement voilà! Quand on fait partie des Trois N, il faut savoir jouer le jeu!

« Bon! se résigna Mlle Biche. Vous allez partir avec ces deux dames, et moi, de mon côté, j'essaierai de presser le mouvement pour le départ de Mme Deloche. Nous déjeunerons très tard, voilà tout.

— Et le repas au restaurant sera pour une autre fois», conclut Nathalie, réservant ainsi l'avenir.

La vieille demoiselle accompagna les enfants jusqu'à la ruelle où stationnait la fourgonnette grise, qu'ils trouvèrent sans peine. Ils n'eurent que quelques minutes à attendre : la mère et la fille arrivèrent bientôt, chargées de paquets.

Mme Galichet était courte et large, un peu

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« fagotée » dans une robe à fleurs, un ridicule petit chapeau de paille noire posé sur son chignon gris. Mais la chaleur de son sourire, quand elle s'avança la main tendue conquit aussitôt les enfants et Mlle Biche. Et quand la fourgonnette s'ébranla avec les Trois N. à son bord, la vieille demoiselle paraissait tout à fait rassurée sur leur sort.

« Si elle savait ce que nous mijotons! » pensa Nick avec une pointe de remords.

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CHAPITRE XIV

Le troisième chat

NICK avait profité du moment d'agitation créé par le chargement de la voiture pour parler secrètement à Noël et à Nathalie. En quelques phrases, il leur résuma sa conversation avec Mme Deloche. Ce qui les laissa songeurs.

Une fois en route, tout échange de réflexions entre les Trois N devint impossible : Mme Galichet prit la parole, et la garda tout le temps. D'ailleurs son bavardage n'ennuya pas du 'tout les enfants, et même il les intéressa, surtout quand

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il fut question de Rémy Deloche — ainsi se nommait le dernier occupant du Castelet. Il était évident que la vieille Fanny ne l'aimait guère.

« Monsieur Georges, l'aîné, était un très brave homme, mais je n'en dirais pas autant du cadet! Ils avaient quinze ans de différence, et Georges a en quelque sorte servi de père à Rémy, à la mort de leurs parents. Pour la reconnaissance qu'il lui a montrée! Il ne venait voir son frère que pour lui soutirer de l'argent. Pensez donc! Ce bon à rien a essayé tous les métiers, sans jamais persévérer dans aucun. Ces derniers temps, il était vendeur de voitures d'occasion. A la mort de l'aîné, il a continué à « taper » Mme Deloche, qui se laissait faire en souvenir de son mari. Il y a une semaine, le voilà qui vient s'installer sans y être invité, alors qu'on vous attendait, pour bientôt, vous et Mlle Biche. Là encore, la pauvre chère femme n'a rien osé dire. Déprimée comme elle l'était...! Remarquez bien que la présence de son beau-frère a été très utile, quand il lui est arrivé... ce que vous savez. »

Une fois de plus, les Trois N avaient une opinion différente, mais la gardèrent pour eux. Tout en écoutant le "babillage de Fanny Galichet, ils n'avaient pas cessé de surveiller la route. De nombreuses voitures rentraient à Mireval ou dans d'autres villages, mais aucune Triumph jaune ne les doubla. Evidemment! Les adversaires avaient une confortable avance, et devaient déjà se trouver

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au Castelet. A l'idée qu'ils avaient peut-être, à l'heure qu'il était, mis la main sur le troisième chat, Nick bouillait intérieurement. Il aurait voulu presser la fermière, qui conduisait trop lentement à son gré.

On finit pourtant par arriver en vue de la maison Deloche. Mme Galichet se tourna vers les enfants.

« On vous arrête là, ou bien à la ferme? Vous pourriez venir manger avec nous, tous les trois. N'est-ce pas, Gilberte?

— Bien sûr! acquiesça aussitôt la jeune femme. J'ai fait ce matin une grosse tarte à l'oignon : il suffit de la remettre au four. »

Nathalie essaya de chasser cette vision, si tentante pour son estomac déjà creux. Deux invitations refusées en moins d'une heure, cela demandait une forte dose d'héroïsme! Effectivement son cousin répondait :

« Non, merci. Nous attendons Mlle Biche, qui ramène Mme Deloche en taxi.

— Quoi! Madame rentre chez elle? s'exclama la vieille Fanny. En voilà, une bonne nouvelle! Pourquoi ne m'en avez-vous rien dit?

— Parce que je... je n'en ai pas eu le temps. » Ce qui était la pure vérité.

La fourgonnette stoppa à l'angle de la haie, puis démarra de nouveau, allégée de ses jeunes passagers. Les Trois N se retrouvèrent seuls, exactement comme ils l'avaient souhaité. Et c'est alors

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que le sentiment du danger les empoigna. Allaient-ils devoir affronter Rémy et son complice?

Or, quand ils passèrent trois têtes prudentes par l'ouverture de la haie, le jardin leur apparut vide. L'habitation aussi, semblait-il.

« Le champ est libre! exulta Nick. On peut y aller!— Pas si vite! dit son cousin. Faisons d'abord le

tour de la propriété par l'extérieur. »Les deux autres acceptèrent cette suggestion. Bien

leur en prit! Comme ils longeaient les thuyas, sur la droite, ils aperçurent une tache jaune dans la verdure du petit bois : Rémy Deloche avait choisi cet endroit discret pour y stationner.

Le trio rebroussa chemin et alla tenir conciliabule sous le gros chêne.

« Les adversaires sont donc arrivés, conclut Noël, et certainement ils ont déjà pénétré dans la place. Prévisible, mais ennuyeux.

— Ennuyeux ou pas, il faut que l'un de nous y entre aussi, décida Nick. Il y a une grande chance pour que les deux complices ne trouvent pas tout de suite les morceaux du chat. A nous de les battre sur le poteau!

— Facile à dire! Nous n'en savons pas davantage qu'eux, remarqua Nathalie.

— Hum! Tu as malheureusement raison », avoua son frère.

C'est alors que Noël causa à ses cousins une agréable surprise. Il leva l'index et déclara :

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« Eh bien, moi, je crois avoir deviné où se trouve le troisième chat.

— Tu es formidable! s'exclama Nathalie admirative.

— Ne nous fais pas languir! ajouta Nick. Où est-il?»

Son cousin ne répondit pas directement.« A vrai dire, c'est une simple hypothèse. Mais

pendant le trajet, j'ai essayé de me mettre à la place de quelqu'un qui reçoit un bibelot cassé. Que va-t-il en faire?

— Le mettre à la poubelle, répliqua Nick aussitôt. Du moins, ce serait ma réaction, à moi. Mais pas celle de Mme Deloche : je sais qu'elle a gardé le chat pour que son mari puisse le recoller. »

Nathalie avait le front plissé à force de réfléchir.« Moi, dit-elle enfin, je garderais les morceaux dans

la caisse même où j'aurais reçu les chats, pour que personne n'ait l'idée de les jeter.

— Bravo, Nattie! C'est exactement ce à quoi je pense, approuva Noël. Et cette caisse, figurez-vous que je sais où elle se trouve : dans le petit grenier contigu à la chambre de Mme Deloche. »

Dans son enthousiasme, Nick fit un bon en l'air.« Splendide! C'est sûrement ça. Voilà qui nous

donne un net avantage sur nos adversaires, obligés de fouiller la maison de fond en comble. »

Il ajouta, l'air sûr de lui : « Avec ce renseignement,

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je compte mettre tout de suite la main sur le deuxième chat birman.

— Tu comptes? Ah, par exemple! protesta Noël. Il s'agit de moi, pas de toi\

— Et pourquoi donc, s'il te plaît? C'est mon tour, il me semble. Jusqu'à maintenant, tu as été le seul à te risquer dans l'antre du fauve.

— Raison de plus pour que j'y retourne : je connais les lieux.

- Mais si tu m'expliques, je saurai me diriger. Je ne suis pas débile, quand même ! »

Devant l'insistance de son cousin, Noël finit par céder. Mais il tint à lui dessiner un plan de la maison. Comme il n'avait ni papier ni crayon,

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il le traça sur le sol avec la pointe d'un bâton. « J'ai tout compris! affirma Nick. L'essentiel, pour le moment, c'est que j'entre dans la place. Rémy Deloche a dû ouvrir avec sa propre clef : j'espère qu'il n'aura pas refermé derrière lui.

— Je l'espère aussi, dit Noël.— Bon. Maintenant, j'y vais. Vous, attendez-moi

ici : c'est à portée de voix de la maison. Alors, au cas où... »

Sur cette phrase inachevée, mais lourde de sens, il les quitta résolument et marcha, sans se retourner, jusqu'à l'ouverture dans la haie. C'est seulement au moment de la franchir qu'il fit un dernier signe de main. En réponse, deux autres mains s'agitèrent.

Le jeune garçon courut tête baissée jusqu'au perron, en gravit les marches d'une enjambée et se trouva devant la grande porte. Quelle chance! Dans leur hâte, les deux complices l'avaient laissée entrouverte.

Si bien que Nick put pénétrer sans bruit dans le hall, où il s'immobilisa aussitôt. Une rumeur confuse parvenait à ses oreilles : exclamations, bruit de meubles qu'on traîne, de tiroirs qu'on ouvre, d'objets métalliques qu'on heurte... Cela semblait venir d'une pièce voisine.

« Salle à manger ou salon, pensa l'arrivant, se remémorant le plan. En tous cas, ce tam-tam a lieu au rez-de-chaussée : je peux gagner l'étage sans crainte. »

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En quelques pas il atteignit l'escalier, au pied duquel les deux chats semblaient monter la garde. Maintenant qu'il savait, Nick les trouva différents : l'un, celui de droite, avait le cou plus long, les yeux plus fendus, la porcelaine dont il était fait paraissait plus fine. Mais, sans s'attarder à cette comparaison, le visiteur monta rapidement jusqu'à l'étage, vit les quatre portes, dépassa la première, et tourna résolument le loquet de la seconde. Elle s'ouvrit sans difficulté, et la chambre apparut, telle que l'avait décrite Noël. Jusqu’'aux persiennes qui, à demi-fermées, laissaient entrer un jour avare dans la pièce. L'ayant traversée, Nick trouva le petit grenier, en tourna la clef et pénétra dans le réduit. Après quelques secondes, il fut capable de distinguer les boîtes et les cartons entassés plus ou moins en désordre. Parmi eux, une caisse, avec le mot « Fragile » peint en travers. Pour pouvoir l'examiner plus aisément, il la tira jusqu'à la chambre et entreprit de l'ouvrir. Rien de plus facile : le couvercle n'avait pas été recloué. Posé seulement.

Nick plongea son regard à l'intérieur, et ne vit d'abord que de la paille. Il l'écarta et aperçut... un chat en porcelaine tout à fait semblable à celui qui était posé à droite de l'escalier, à ceci près qu'il était amputé d'une oreille, d'une patte et du bout de la queue. Les morceaux cassés gisaient d'ailleurs au fond de la caisse, mêlés à des débris de paille.

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Avec une sorte de respect, le jeune garçon saisit la statuette et la transporta devant la fenêtre.

« Qu'est-ce que ce chat peut bien avoir de particulièrement précieux, à part le fait qu'il vient de Birmanie? » se demanda-t-il.

Les yeux, peut-être? Même pas! D'une belle teinte verte, ils étaient en porcelaine, comme le reste.

Alors Nick secoua la figurine, doucement d'abord, puis plus fort : aucun bruit ne se produisit. Enfin il la retourna. Sur la face inférieure, il y avait une ouverture ronde. Ayant de vagues notions sur la fabrication de la porcelaine, le jeune garçon n'en fut pas étonné : c'était par ce trou qu'on avait fait couler l'excès de « barbotine », (c'est-à-dire de pâte délayée), avant le séchage et la cuisson. Par contre, cet orifice lui permit de jeter un regard à l'intérieur de la statuette.

Soudain, l'ayant inclinée d'une certaine façon, il aperçut, collés contre la paroi, deux cailloux bleu clair. Chacun avait à peu près la taille d'une grosse bille.

Des cailloux pas comme les autres, en tout cas : dans la clarté, pourtant faible, venant de la fenêtre ils réussissaient à lancer mille feux. Nick, qui montrait des dispositions pour la minéralogie, n'eut pas la moindre hésitation.

« Des saphirs! » s'exclama-t-il.Et il s'aperçut que, dans son excitation, il avait parlé

tout haut.

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Ainsi c'était ça, le fameux trésor pour la découverte duquel Rémy Deloche n'avait pas hésité à convaincre sa belle-sœur de maladie nerveuse! Ces saphirs valaient certainement une fortune.

« Une fortune qui n'ira pas dans la poche de ce vilain bonhomme, ni dans celle de son complice! » décida le jeune garçon.

Pour cela il lui fallait s'emparer des deux pierres précieuses, et les remettre à leur vraie propriétaire. Il glissa, non sans peine, la main dans l'ouverture. Son avant-bras suivit plus facilement, et ses doigts se refermèrent enfin sur les saphirs.

On avait utilisé, pour les fixer à la porcelaine, une sorte de poix très épaisse, dans laquelle les cailloux se trouvaient partiellement englués. Les détacher fut cependant assez facile, et Nick eut bientôt sur sa paume les deux pierres précieuses. Elles étaient soigneusement taillées, et brillaient de leurs nombreuses facettes. Il les fourra dans sa poche et entreprit de tout remettre en ordre. Mais, au moment de rentrer le chat dans sa caisse, une idée lui vint :

« Et si j'essayais de mystifier les voleurs? »Il reposa le chat par terre et entreprit la fouille de

ses poches. Ce n'était pas une mince affaire! Elles contenaient une quantité inimaginable de choses sans valeur... à part les saphirs, qu'il mit soigneusement de côté.

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« Voyons : couteau, fil de fer, craie... Ah! Nous y voilà! des billes. Des agates, même.

Oh, oh! Ces deux-là sont d'un joli bleu. Un peu trop clair, évidemment, mais enfin, pour des gens pressés... Bah! Essayons toujours! »

Prestement, il introduisit par l'ouverture sa main tenant l'une des agates, et réussit sans peine à fixer celle-ci contre la paroi, grâce à la poix qui s'y trouvait encore. Même opération avec la seconde. Un coup d'œil par l'ouverture lui montra que le résultat était à peine passable. Tant pis! Vite, maintenant : le chat dans la caisse, la paille par-dessus (sans oublier les débris tombés sur la moquette), le couvercle, la caisse replacée dans le grenier. Un tour de clef : tout était en place.

Non, pourtant : le contenu de ses poches gisait encore sur le sol. Il récupéra d'abord les saphirs, puis le reste, en vrac. Cette fois il n'avait plus qu'à repartir.

A cet instant précis lui parvint un bruit de voix venant de l'escalier.

« Je me suis réjoui trop vite. Ils viennent! » pensa-t-il avec angoisse.

La victoire, qu'il croyait déjà tenir, allait-elle se changer en défaite?

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CHAPITRE XV

Le balcon

LE REGARD affolé de Nick fit le tour de la pièce, à la recherche d'une cachette. Comme Noël avant lui, il en compta trois : le grenier, la penderie, le dessous du lit. Aussi peu sûres l'une que l'autre.

« Il est évident qu’ils vont fouiller tous les coins,, même les plus petits, se dit-il. Car ce qu'ils cherchent, ce n'est pas moi, mais les débris du chat. »

Parfaitement logique, et peu encourageant. Où qu'il se mette, Nick ne manquerait pas d'être

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découvert dès que les deux hommes entreraient dans la chambre. Le seul moyen de leur échapper, ce serait de pouvoir en sortir, lui. Mais il y pensait trop tard.

Puis, brusquement, une idée lui traversa la tête. Une de ces idées lumineuses comme il vous en vient parfois dans les cas désespérés.

« Sortir? Bien sûr que c'est possible; en allant sur le balcon! »

Aussitôt pensé, aussitôt exécuté. Il ouvrit sans bruit la porte-fenêtre, écarta davantage les persiennes en enlevant l'anneau de son crochet, et se trouva sur le rectangle de ciment qu'entourait sur trois côtés une grille ouvragée. Sans attendre, il tira vers lui les panneaux vitrés en les raccordant, mais sans pouvoir les fermer complètement, et raccrocha l'anneau de fer.

Alors, il respira longuement, heureux de se trouver à l'air libre. Mais il ne se faisait pas d'illusions : libre, lui ne l'était pas. Pas encore. Les deux complices qui le talonnaient n'hésiteraient pas longtemps : presque à coup sûr, ils visiteraient en premier lieu la chambre de Mme Deloche, et alors... ce ne serait plus pour Nick qu'une question de chance. Les dés étaient jetés, plus moyen de modifier le jeu. Si c'était son jour de malchance, il serait pris, et, chose bien pire, les deux saphirs avec lui.

Cette idée lui parut tellement insupportable, que son cerveau, travaillant à toute vitesse, lui dicta

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le moyen d'y remédier. Penché sur le garde-fou, il se tourna vers le gros chêne dont il apercevait, sur sa droite, le sommet dépassant des thuyas. Alors, les mains en porte-voix il émit un sifflement modulé qui pouvait passer, à la rigueur, pour le cri de la fauvette : pour les Trois N, c'était un signe de ralliement souvent utilisé.

L'effet de cet appel ne se fit pas attendre : Noël, puis Nathalie apparurent à l'entrée du jardin. Levant les yeux, ils aperçurent Nick qui les invitait par de grands gestes à venir se placer sous le balcon. Tandis qu'ils approchaient, il fouilla fébrilement dans ses poches et en retira les saphirs. Résolument, il les laissa tomber : Noël réussit à saisir le premier au vol, le second toucha terre aux pieds de Nathalie, qui se hâta de le ramasser. Tous deux ouvrirent de grands yeux à la vue des précieux cailloux. Il y eut ensuite un dialogue muet, mais que les uns et les autres comprirent parfaitement :

« Maintenant, filez! ordonna Nick avec les mains et avec les lèvres.

— Mais toi? demandèrent sa sœur et son cousin de la même manière.

— Je me débrouillerai. Vite, vite, partez! » Depuis un instant il savait, au bruit qu'avait fait la porte, que les ennemis étaient dans la chambre. Mais il s'efforça de garder un visage impassible. Et même, il essaya de sourire. Alors, quoique à regret, les deux autres tournèrent les

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talons et disparurent bientôt par l'ouverture de la haie.

« Les saphirs sont sauvés : c'est déjà ça! pensa le jeune garçon. A nous trois, maintenant! »

Il alla se placer à l'un des angles du balcon, côté mur, la tête tournée vers la chambre. On y entendait un vague remue-ménage, et par-dessus le tout, quelques réflexions échangées par deux interlocuteurs.

« Rien dans le lit, ni dessous, disait Rémy Deloche (et, mentalement, Nick poussa un « ouf! »)

— Ni dans la penderie, ajoutait une voix plus grave (nouveau « ouf »!)

— Reste le réduit. Je vais voir. »Un silence, puis une exclamation : « Tiens, tiens!

Une caisse d'emballage. Ça pourrait bien être ça? Attends que je l'amène à la lumière. »

Encore une pause, durant laquelle Nick n'entendit rien. Puis soudain, la fenêtre fut ouverte, et l'anneau des persiennes séparé du crochet : Deloche cadet ne se contentait pas du demi-jour!

« S'il replie le vantail, je suis flambé! » se dit Nick.Et son regard plongeait vers le jardin, où se trouvait

le salut. Mais le jeune garçon avait déjà constaté qu'il lui était impossible de l'atteindre depuis le balcon, à moins de risquer un saut de quatre ou cinq mètres. Pas d'arbre à proximité, ni de gouttière le long de la façade, ni de plante grimpante.

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Heureusement, l'adversaire était trop pressé pour accomplir le geste redouté : il se contenta de repousser les persiennes sans les replier, si bien que Nick se trouvait à-demi caché par elles. Il s'enfonça davantage encore dans son encoignure. Sa situation peu enviable avait au moins un avantage : pas un bruit ne lui échappait. Il y eut celui que faisait le couvercle en se rabattant, de la paille que froissaient des mains impatientes. Enfin, un cri : « C'est lui! »

C'était Rémy qui l'avait poussé. A la surprise du guetteur, la voix plus grave ordonna : « Regarde vite s'il contient les saphirs! » Ainsi, à la différence des Trois N, ces hommes savaient ce qu'ils cherchaient? Voilà qui était plutôt inquiétant! Pourtant Nick espérait encore que les agates bleues joueraient leur rôle. Là où elles étaient placées, la main d'un enfant pouvait les atteindre, pas celle d'un homme. Alors, vues de loin-Effectivement, le beau-frère de Mme Deloche poussa un cri de triomphe.

« Je crois les apercevoir... collées à l'intérieur... deux boules bleues : ce ne peut être qu'eux! Emportons le chat et filons! »

Déjà le jeune garçon sentait sa gorge se desserrer sous l'effet d'un soulagement intense, quand l'autre voix laissa tomber :

« Non mais... tu n'es pas un peu sonné? Tu partirais comme ça, sans vérifier? Un butin de cette valeur, ça mérite pourtant qu'on y regarde à deux fois! Alors, même si je devais casser ce bibelot... »

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Il n'acheva pas, mais Nick avait déjà compris : ce deuxième adversaire se montrait bien plus redoutable que l'autre, parce qu'il allait jusqu'au bout. Le jeune garçon eut encore un regard du côté de la liberté, puis il attendit...

Dans la chambre, son sort achevait de se jouer. Le complice avait dû s'emparer du chat et l'examiner, car il s'écriait avec rage :

« Ça, des saphirs? Allons donc! On voit bien que tu n'y connais rien! Pas besoin de les voir de près pour deviner : il s'agit de deux agates... des billes, si tu préfères. Quelqu'un nous a devancés, et, en plus, il s'est moqué de nous!

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— Des billes! répéta Rémy. J'y suis : ce sont ces maudits gamins. Tu sais? Je t'ai parlé d'eux, et de la petite bonne femme batailleuse qui les accompagne, sans compter le cabot...

— Sûr, que ce sont eux. Que je les attrape seulement, et... »

Le ton était si menaçant que, sur son balcon, Nick frémit. Bien davantage encore quand il entendit la suite :

« Mais j'y pense, disait le barbu, ils sont allés bien vite en besogne! Ce matin, je suis arrivé avant eux à Lamurac, et j'ai été le premier à rencontrer ma chère belle-sœur, qui m'a si complaisamment parlé du chat cassé. Elle leur a sûrement raconté la même histoire, mais plus tard, si bien que... tu y comprends quelque chose, toi?

— Ce que je comprends, c'est que l'un des gamins est peut-être encore dans la maison. Je dirai même mieux : dans cette chambre!

— Impossible : nous l'avons entièrement fouillée. A moins que... le petit grenier est très obscur, et...

— ... et, naturellement il ne peut pas s'y être enfermé lui-même. La clef était tournée, n'est-ce pas?

— Oui, en effet. Mais par contre... l'espagnolette de la porte-fenêtre, elle, ne l'était pas. Sur le moment ça ne m'a pas frappé, mais après coup...

— C'est bien ça : le balcon! » rugit le complice de Rémy Deloche.

Tout se passa très vite. Nick eut beau reculer

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dans l'encoignure, les deux hommes eurent tôt fait de le découvrir. Ils le saisirent rudement, chacun par un bras, et le traînèrent presque jusqu'à la chambre. Malgré sa peur, il avait eu le temps d'examiner le deuxième personnage : il avait un aspect très ordinaire. Et même, avec son visage rond, son nez retroussé, son crâne rosé, on l'aurait pris facilement pour un brave père de famille. Pourtant, le captif sentait instinctivement que cet individu pouvait devenir méchant quand il était en proie à la colère, comme maintenant. Par comparaison, Deloche cadet semblait presque inoffensif. Ce fut d'ailleurs lui qui calma son complice, alors qu'il secouait le jeune garçon sans ménagement.

« Inutile de lui faire peur. Si c'est lui qui a les saphirs, il sera bien obligé de nous les donner!

— Je ne les ai pas! déclara Nick, d'une voix qu'il essayait en vain de rendre ferme.

— Tu mens! aboya le deuxième homme.— Pas du tout. Si vous ne me croyez pas, fouillez-

moi. Ou plutôt... tenez!Le jeune garçon quitta successivement ses

espadrilles, son T-shirt, son pantalon, et apparut vêtu seulement d'un slip. Alors, saisissant le pantalon par les jambes, il le secoua : le contenu des poches s'éparpilla sur la moquette. Les deux hommes regardaient ce déballage d'un œil ahuri. Quand une agate apparut, puis deux, puis trois, ce fut un cri de fureur :

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« Tu vois ! Il y a les mêmes billes à l'intérieur du chat. Nieras-tu encore, après ça?

— J'ai seulement dit que je n'avais pas les saphirs. Eh bien, c'est vrai.

— Attends un peu! Je vais vérifier moi-même. » L'homme prit le haut du pantalon, et tira dessus. Mais Nick tint bon. L'autre augmenta son effort : c'était ce qu'attendait le jeune garçon, qui lâcha prise brusquement. Déséquilibré, son adversaire tomba en arrière, et son dos vint heurter l'angle de l'armoire. Ses mains glissèrent sur le bois lisse sans pouvoir s'y raccrocher, et il s'étala de tout son long sur la moquette. Celle-ci amortit le choc, mais, le temps que l'homme se relève, le captif avait foncé vers la porte.

Dans son élan, il faillit mettre le pied sur une bille sortie de sa poche, et qui avait roulé jusque-là. Il l'évita de justesse, et, instinctivement, la ramassa.

Au même moment, Rémy Deloche, d'abord pétrifié de stupeur, tenta de réagir en se ruant à la poursuite du fuyard. Il l'aurait sans doute rejoint, mais... c'est alors que le cerveau actif du jeune garçon lui dicta une manœuvre désespérée : faisant brusquement volte-face, il lança la bille sur la moquette en visant les pieds de l'adversaire. Par chance, (ou plutôt grâce à son adresse) une des semelles du barbu vint se poser lourdement sur l'agate : il n'en fallut pas plus pour qu'il tombe à son tour, non sans lâcher un formidable juron.

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En un clin d'œil, Nick s'empara de la clef, tourna le loquet et franchit la porte. Il la claqua, enfonça la clef dans la serrure et donna un double tour. Déjà deux paires de poings martelaient le panneau, qui résista victorieusement.

« Prenez patience! lança ironiquement le fugitif. Je reviendrai bientôt... accompagné. Si vous vous ennuyez trop pendant ce temps faites donc une partie de billes! »

Puis il se jeta dans le couloir, dévala l'escalier, franchit le hall d'un bond et gagna la sortie.

C'est seulement une fois dehors que Nick se rendit compte qu'il n'était vêtu que d'un slip. Il s'arrêta, confus, et entendit alors un double éclat de rire : tel fut l'accueil de Noël et de Nathalie pour le héros du jour.

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CHAPITRE XVI

Un goûter au jardin

CINQ JOURS s'étaient écoulés depuis ces événements. Dès le retour de Mme Deloche, samedi en début d'après-midi, Mlle Biche et ses jeunes amis s'étaient installés au Castelet. C'est sans regret que les enfants échangèrent l'inconfort de la vieille cabane contre les commodités de la spacieuse villa, d'où l'on dominait le lac et tout le paysage alentour.

De son côté, une fois surmonté le choc que lui avait causé cette histoire, leur hôtesse se montrait

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ravie de l'animation, de la gaieté qui régnaient désormais dans sa maison solitaire. Sans compter qu'elle vouait aux plus jeunes de-ses invités une reconnaissance particulière : ne lui avaient-ils pas restitué, sous la forme de deux beaux saphirs, une fortune dont elle se montrait la première surprise et qui lui serait fort utile dans sa situation de veuve?

Cependant, bien des points restaient à éclaircir dans cette affaire. Aussi Noël, doué d'un esprit curieux et de beaucoup de ténacité, n'eut-il ni paix ni cesse avant d'avoir tout compris. Pour cela, lui et ses cousins posèrent beaucoup de questions, et se réunirent souvent pour de graves conciliabules. Cette enquête n'avait d'ailleurs pas nui aux joyeuses activités de la petite troupe : baignades, excursions et pique-niques s'étaient succédé durant ces premiers jours de vraies vacances.

On était donc au jeudi, et il y avait grand branle-bas au Castelet. Mme Deloche avait décidé, pour remercier ses hôtes, qu'un grand goûter y serait servi, avec Mme Galichet comme pâtissière en chef. A l'issue de ces agapes, Noël raconterait l'« affaire des chats » depuis son début jusqu'à sa conclusion définitive.

Par chance, après une matinée maussade, il faisait un temps radieux cet après-midi-là. Aussi ce fut autour de la table du jardin que les convives (six en tout, en comptant la vieille Fanny), firent honneur aux fraises à la crème, à la tarte aux abricots et au savarin, accompagnés d'un sirop de

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groseilles fabriqué à la ferme. Hercule ne se laissa pas oublier, et il était si irrésistible quand il quémandait un morceau, qu'on le gava littéralement de friandises. Si bien qu'il s'endormit, aussitôt après, sur les genoux de sa maîtresse.

« Ce qui prouve son peu d'intérêt pour les histoires de chats! remarqua Nick en riant.

— S'il s'agissait de chats vivants, il se comporterait tout autrement! rétorqua Mlle Biche. Mais comme ceux dont il est question sont en porcelaine... A propos, vas-y, Noël : nous t'écoutons. » Chacun se cala dans son fauteuil ou sa chaise-longue, et le jeune garçon commença :

« II y a six mois, M. Georges Deloche se trouvait encore en Birmanie pour y faire du commerce : il vendait des denrées d'importation et achetait un peu de tout, en particulier des bibelots et des pierres précieuses. C'est ainsi qu'il acquit deux saphirs bruts d'une rare grosseur. Il les fit tailler sur place, avec l'intention de les rapporter en France. Malheureusement cet achat n'avait pas échappé à son associé, Robert Falvard. Or, depuis quelque temps, M. Deloche concevait des doutes sur l'honnêteté de cet homme. C'est pourquoi, se sentant malade, il voulut soustraire les saphirs à la convoitise de Falvard. Un seul moyen : les expédier en France, mais en les camouflant. Il employa le truc que vous savez, et Mme Deloche reçut deux chats de porcelaine,

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qu'elle devait garder avec soin jusqu'au retour de son mari. Hélas, celui-ci fut emporté par la fièvre jaune avant d'avoir eu le temps de révéler son secret. Après sa mort, Falvard fouilla ses affaires avec l'espoir de s'emparer des saphirs. Ses recherches ayant été vaines, il en conclut que son associé les avait envoyés à sa femme. Mais il ignorait sous quelle forme. »

A ce point de son récit, le narrateur s'arrêta pour reprendre son souffle. Mlle Biche en profita pour demander :

« Comment se fait-il que Falvard n'ait pas eu vent de l'envoi des chats? »

Noël hocha la tête.« Sur ce point, nous ne pouvons faire que des

hypothèses. M. Deloche a-t-il profité d'une absence de son collaborateur? C'est probable. Toujours est-il que Falvard est revenu en France, bien décidé à chercher les pierres précieuses là où elles avaient le plus de chance de se trouver : chez Mme Deloche;

— Et le rôle de mon beau-frère, là-dedans? questionna cette dernière.

— J'y arrive : Falvard le connaissait comme un garçon sans scrupules...

— ... un peu de son genre, quoi! intervint Nick.— Qui se ressemble s'assemble! ajouta

sentencieusement Nathalie.— Bref, reprit Noël, Falvard s'est dit que Rémy

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Deloche pourrait s'introduire facilement au Castelet en tant que parent, alors que lui-même...

— ... n'y serait pas reçu volontiers, acheva Mme Deloche. J'avoue que cet homme m'a toujours été antipathique.

— Donc, Rémy s'est imposé, et vous l'avez supporté parce qu'il était le frère de votre mari, poursuivit le narrateur. Le voilà donc installé dans la place. Pour y chercher quoi? Deux saphirs. Mais la présence de la maîtresse de maison est gênante : il faut l'éliminer.

— D'où la supercherie dont vous avez été victime, ma chère amie, acheva Mlle Biche, compatissante.

— Le faux serpent, remarqua Nick, était fait avec des chambres à air d'auto. Facile, pour quelqu’un dont le métier est de vendre des voitures d'occasion.

— Mais ces chers enfants ont éventé la mèche, ce qui prouve leur remarquable intelligence! » déclara Mme Deloche d'un ton pénétré.

Nathalie rougit, Nick but le compliment comme du petit-lait et prit un air faussement modeste, Noël continua sans sourciller à narrer les faits : « Rémy Deloche avait un avantage sur nous : il savait ce qu'il cherchait. Par contre, il ne savait pas où chercher. Et s'il a orienté ses recherches sur les chats birmans, c'est...

— ... un peu par ma faute, avoua Nathalie.— Surtout par la mienne, rectifia son cousin.

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— Quand je me suis introduit ici pour photographier les chats et que j'ai perdu le négatif, ça lui a mis la puce à l'oreille...

— ... une puce de chat... birman! glissa Nick avec malice.

— Bref, il a examiné les deux statuettes en long et en large, mais n'a rien trouvé, et pour cause! Son complice s'impatientait. Aux coups de téléphone qu'il donnait régulièrement, Rémy répondait toujours par la négative. Alors Falvard a annoncé son arrivée : l'autre est allé l'attendre au train de Paris (où il vit ordinairement), et tous deux se sont rendus à la maison de repos. »

Noël se tourna vers Mme Deloche : « Votre beau-frère vous a interrogée sur les chats, et, sans méfiance, vous lui avez révélé l'existence d'une troisième statuette, destinée à remplacer celle qui s'était cassée pendant le transport. Heureusement, vous n'avez pas pu lui dire où se trouvaient les morceaux. Vous savez comment mon valeureux cousin a pu s'emparer des saphirs et mettre les deux complices sous clef... non sans leur abandonner ses propres dépouilles! »

Ce fut au tour de Nick de rougir, tandis que le reste de la petite assemblée éclatait de rire. Le jeune garçon, bon joueur, s'associa à la gaieté générale. Quand le calme fut revenu, il déclara :

« N'empêche que, mes dépouilles, je les ai récupérées bien vite. Les deux prisonniers étaient

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tellement furieux, qu'ils ont tout balancé par la fenêtre...

— ... y compris le contenu de tes poches, remarqua Nathalie. Quel travail pour tout récupérer! » Son frère ignora l'allusion et poursuivit :

— « Quel tapage ils faisaient, ces. deux hommes! Nous ne savions pas comment les calmer. J'étais d'avis de téléphoner aux gendarmes, mais Noël s'y est opposé...

— Et il a bien fait, affirma Mme Deloche. En souvenir de mon mari qui aimait son jeune frère malgré ses défauts, j'ai préféré passer l'éponge.

— Et le complice a bénéficié de votre indulgence, commenta Mlle Biche. Je vous comprends: j'aurais agi comme vous.

— D'ailleurs, remarqua Noël, ils ont quand même éprouvé une belle peur, quand le gendre de Mme Galichet est venu les délivrer... sur son gros tracteur et muni de son fusil de chasse! Après ça, ils sont partis sans demander leur reste. »

La vieille Fanny, qui n'avait pas encore parlé (la langue doit lui démanger, pensèrent les Trois N), intervint :

« Quand même, dît-elle en accompagnant son discours de nombreux hochements de tête, faut-il avoir l'esprit tordu pour inventer des trucs pareils! Ah, mais! Les voilà gros-Jean comme devant, malgré toute leur astuce. Pour ce qui est de M. Rémy, j'espère qu'il n'aura pas le toupet de revenir. Bon débarras! Si j'étais vous, madame, je

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vendrais ces saphirs, et, avec l'argent que ça rapporterait, je voyagerais, au lieu de rester toute seule dans cette grande maison.

— C'est bien mon intention! affirma Mme Deloche avec un air de décision qui ne lui était pas habituel. Je ne vivrai ici qu'en été, en invitant des amis (elle se tourna en souriant vers Mlle Biche et les Trois N). C'est toujours avec plaisir que je retrouverai mon petit lac...

— ... sans monstre, ne put s'empêcher de glisser Nick.

— ... et vos chats birmans, ajouta Nathalie.— A propos de chats...! » s'écria son frère.Il s'éclipsa rapidement, et revint bientôt en portant

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dans ses bras... un chat de porcelaine. « Le reconnaissez-vous? demanda-t-il à Mme Deloche.

— Mais bien sûr! C'est le chat birman... je veux dire : le seul qui soit arrivé intact.

— Eh bien, vous faites erreur! triompha le jeune garçon. Regardez de plus près. »

La propriétaire du Castelet se pencha sur la figurine et s'exclama :

« Par exemple! Celui-ci a été raccommodé, mais si habilement que je m'y serais trompée, si tu ne m'avais rien dit. Ce serait donc... le deuxième chat?

— Tout juste. Celui de la caisse.— Et c'est toi qui l'as recollé? demanda

Mlle Biche.— Oui, avec l'aide de Noël. Nous avons trouvé une

excellente colle, tout simplement à l'épicerie du village.— Bravo, et merci, merci beaucoup! dit

Mme Deloche tout émue.— Si bien que vous possédez maintenant trois

chats, remarqua Nathalie.—- C'est vrai. Mais deux me suffisent...— ... pour faire une paire! murmura la petite

moqueuse à l'intention de son frère.— ... aussi je suis décidée à vous faire cadeau du

troisième... celui qui ne vient pas de Birmanie. Est-ce que cela vous ferait plaisir?

— Oh, oui! Merci beaucoup! » répondirent les "Trois N en chœur.

Et le trio se rendit en procession à la villa pour

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y déposer le deuxième chat birman à sa vraie place, à gauche de l'escalier.

« Il est la parfaite réplique de l'autre! remarqua Noël en prenant du recul pour examiner la paire de chats, placés symétriquement par rapport à la première marche.

— Parfaite! » répéta Nathalie.Les deux cousins se retournèrent pour quêter

l'approbation de Nick, mais celui-ci ne se rendait même plus compte de leur présence. Il s'était emparé du troisième chat et l'examinait. Puis, d'un geste automatique, il le retourna et introduisit le bras par l'ouverture inférieure.

« Qu'est-ce que tu fais? » demanda Nathalie ébahie.Ce fut Noël qui répondit avec malice : « Ben

voyons... la force de l'habitude! Des fois que quelqu'un aurait eu l'idée de cacher des pierres précieuses dans cet autre chat? »

Gagné par une forte envie de rire, Nick prit la précaution de poser le chat par terre. Alors seulement il donna libre cours à sa gaieté, à laquelle les deux autres «N » firent écho.

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Les

Noël, Nathalie (Nattie) et Nicolas (Nick).

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de Roberte Armand

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LES de Roberte Armand

Série intégrale

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