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Procédure de limitation de la portée d’un brevet devant l’INPI - Francis AHNER– Avril 2011 PROCEDURE DE LIMITATION DE LA PORTEE DUN BREVET DEVANT L’INPI Par Francis AHNER Associé Conseil en Propriété Industrielle Cabinet REGIMBEAU La dernière version de la Convention sur le Brevet Européen (CBE) a offert aux titulaires de droits de brevets des opportunités pour limiter l’objet des revendications de leurs titres après leur délivrance définitive. Cette procédure de limitation centralisée a été mise en place pour permettre aux brevetés de tenir compte d’antériorités tardivement révélées, qui interdiraient aux brevetés d’exercer leurs droits en raison d’une portée trop étendue et donc contestable. Le législateur français, dans le cadre de la loi de la modernisation de l’économie (n°2008-776 du 4 août 2008, art 132.VI), a voulu emboîter le pas de la Conférence Diplomatique qui, dans sa révision de la CBE de novembre 2000, a ajouté cette possibilité de limitation du brevet après sa délivrance et à l’initiative de son titulaire. Bien entendu, cette nouvelle disposition du CPI est limitée aux brevets français ou aux seules parties françaises des brevets européens. Par une telle opportunité offerte au breveté, le législateur a espéré soulager les tribunaux français en réduisant le contentieux de nullité des brevets. L’avenir nous dira si pareil objectif a été atteint. Il faudra toutefois veiller à ce que cette mesure de limitation soit utilisée à bon escient, c’est-à-dire dans le but de permettre au breveté de se présenter devant les tribunaux avec un brevet qui ne soulève plus guère de difficulté quant à sa validité. On peut toutefois craindre que, sous couvert de limitation, cette procédure soit davantage exploitée par le breveté pour adapter ses revendications de manière à coller le plus étroitement possible à des réalisations concurrentes qui se sont développées au fil des années après la délivrance du brevet. Pour éviter un usage abusif ou détourné de cette procédure de limitation, des garde-fous existent dans le cadre des articles L.613-24 et 25 pour la partie législative et R.613-45 et R.617-2 pour la partie réglementaire. D’autres

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Procédure de limitation de la portée d’un brevet devant l’INPI - Francis AHNER– Avril 2011

PROCEDURE DE LIMITATION

DE LA PORTEE D’UN BREVET DEVANT L’INPI

Par Francis AHNER Associé Conseil en Propriété Industrielle Cabinet REGIMBEAU

La dernière version de la Convention sur le Brevet Européen (CBE) a offert aux titulaires de droits de brevets des opportunités pour limiter l’objet des revendications de leurs titres après leur délivrance définitive. Cette procédure de limitation centralisée a été mise en place pour permettre aux brevetés de tenir compte d’antériorités tardivement révélées, qui interdiraient aux brevetés d’exercer leurs droits en raison d’une portée trop étendue et donc contestable.

Le législateur français, dans le cadre de la loi de la modernisation de l’économie (n°2008-776 du 4 août 2008, art 132.VI), a voulu emboîter le pas de la Conférence Diplomatique qui, dans sa révision de la CBE de novembre 2000, a ajouté cette possibilité de limitation du brevet après sa délivrance et à l’initiative de son titulaire. Bien entendu, cette nouvelle disposition du CPI est limitée aux brevets français ou aux seules parties françaises des brevets européens. Par une telle opportunité offerte au breveté, le législateur a espéré soulager les tribunaux français en réduisant le contentieux de nullité des brevets. L’avenir nous dira si pareil objectif a été atteint. Il faudra toutefois veiller à ce que cette mesure de limitation soit utilisée à bon escient, c’est-à-dire dans le but de permettre au breveté de se présenter devant les tribunaux avec un brevet qui ne soulève plus guère de difficulté quant à sa validité. On peut toutefois craindre que, sous couvert de limitation, cette procédure soit davantage exploitée par le breveté pour adapter ses revendications de manière à coller le plus étroitement possible à des réalisations concurrentes qui se sont développées au fil des années après la délivrance du brevet. Pour éviter un usage abusif ou détourné de cette procédure de limitation, des garde-fous existent dans le cadre des articles L.613-24 et 25 pour la partie législative et R.613-45 et R.617-2 pour la partie réglementaire. D’autres

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dispositions ont été ajoutées dans des textes législatifs encore à l’état de projet, qui viendront compléter les articles L.613-24 et L.613-45 (voir annexe). A ce jour, les requêtes en procédure de limitation devant l’INPI restent relativement rares, puisqu’elles se chiffrent à environ 50. Il existe cependant déjà plusieurs contentieux devant la Cour d’Appel de Paris portant tous sur l’appréciation de la notion de limitation. A priori, ces recours formés contre les décisions du Directeur de l’INPI peuvent émaner soit du Breveté, soit de Tiers (Art. L.411-4 et Art. R.411-19-1 CPI), comme l’avait affirmé la jurisprudence dans le cas d’un tiers à qui la décision du directeur de l’INPI faisait grief (Paris, 13 déc 1979, PIBD 1980, III, p25). Cependant, la Cour de Paris dans un arrêt récent (CA PARIS 30 mars 2011 RG2010/10045, PIBD n°942 du 15 juin 2011, III, 421, p19) vient de refuser cette possibilité de recours à un tiers au motif qu’il n’avait pas démontré qu’il avait un intérêt à agir. Il est certain que la vérification du caractère limitatif de la modification requise pourra toujours être effectuée par les juges au fond en application des nouvelles dispositions de l’article L.613-25 d). Tel n’est cependant pas le cas de la vérification de la conformité aux dispositions de l’article L.612-6.

• Sur quel titre peut-on requérir une limitation ?

La requête en limitation ne peut viser qu’un seul brevet à la fois. Dans la pratique, l’INPI accepte tout aussi bien une limitation d’un brevet national français, que de la seule partie française d’un brevet européen désignant la France. A l’inverse, lorsqu’une demande de limitation est en cours devant l’Office Européen des Brevets, une autre demande de limitation de la partie française de ce même brevet européen ne peut être valablement présentée. Ce principe est rappelé dans l’Article 12 qui instaure le dernier alinéa du futur art. L.613-24. En revanche, rien ne semble devoir s’opposer à une nouvelle demande de limitation de la seule partie française d’un brevet européen ayant déjà fait entièrement l’objet d’une limitation centralisée dans le cadre de l’Art. 105 bis CBE.

• Qui peut demander la limitation ?

Selon l’art. L.613-24, seul le propriétaire du brevet inscrit, au jour de la requête, sur le registre national des brevets (ou son mandataire), peut valablement présenter une telle requête. En cas de pluralité de titulaires, la demande de limitation ne peut être effectuée que si elle est requise par l’ensemble des copropriétaires.

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• Où présenter la requête ?

Selon l’art. L.613-24 une telle requête est présentée devant l’INPI. A ce jour, la procédure devant l’INPI est relativement rapide, puisque l’on compte en moyenne au maximum 2 à 3 mois avant l’acceptation de la limitation dans le cas bien sûr où aucune difficulté majeure n’est rencontrée. Il est très vraisemblable que cette rapidité ne va pas perdurer dans l’avenir, compte tenu notamment de l’ouverture de la procédure à des tiers qui peuvent intervenir par le biais d’observations. Il faudra en tout état de cause attendre un délai de deux mois à compter de l’inscription de la requête en limitation au registre national des brevets. Puis un délai de deux mois sera octroyé au breveté pour répondre à ces observations.

• Comment présenter la requête ?

L’art. R.613-45 précise que cette requête doit nécessairement être présentée par écrit. Un nouveau jeu de revendications modifiées, le cas échéant une description et des dessins adaptés, doivent être déposés auprès de l’INPI. L’INPI a édité un formulaire à cet effet et bien évidemment la requête est soumise au paiement d’une redevance d’un montant de € 250 à ce jour. On peut également s’interroger sur la manière dont sera conduite une telle procédure de limitation pour la partie française d’un brevet européen dont la langue de la procédure est l’allemand ou l’anglais, et pour laquelle conformément à l’article L.614-7, seul le texte du brevet rédigé en allemand ou en anglais fait foi.

• Quand présenter la requête ?

L’art. L.613-24 précise qu’une telle requête peut être présentée à tout moment. Cela signifie que la demande de limitation peut être valablement présentée à partir de la publication de la mention de délivrance du brevet français ou du brevet européen. Une telle requête peut être présentée jusqu’à l’expiration du brevet et même après l’expiration de ce dernier si le breveté démontre son intérêt légitime. Bien sûr une telle requête de limitation n’a de sens que dans la mesure où il n’existe pas de décision d’annulation totale du brevet, qui a la force de la chose jugée. Ainsi, il semble parfaitement possible de pouvoir présenter une telle requête la première fois en cause d’appel (art. 564 CPC). La question se pose toutefois de manière plus délicate dans le cadre d’une décision de première instance d’annulation du brevet assortie de l’exécution provisoire.

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Enfin, il est possible de présenter plusieurs requêtes successivement au cours d’une même instance devant un tribunal. Toutefois, l’art. L.613-25 in fine prévoit que, dans le cas où plusieurs limitations seraient présentées au cours de la même instance, le tribunal pourrait assimiler un tel comportement à une manœuvre dilatoire ou abusive et condamner le breveté à une amende civile d’un montant maximum de € 3 000 sans préjudice des dommages et intérêts qui seraient réclamés. Une autre difficulté peut également surgir dans le cadre d’une présentation unique mais tardive, par exemple à la veille de l’audience des plaidoiries, d’une telle demande de limitation. Le tribunal devrait alors être saisi au fond. Malgré l’art. R.617-2, il apparaît que l’art. L.611-2 exclut que cette procédure puisse être directement appliquée à un certificat complémentaire de protection (CCP). Dans la pratique, une limitation d’une revendication du brevet de base du CCP se traduira ipso facto par une limitation de la protection du produit ayant fait l’objet du CCP, en application des dispositions de l’art. 4 du Règlement (CE) n° 469/2009. Observation : Il semble que cette nouvelle procédure de limitation doive pouvoir coexister avec la disposition de l’art. L.613-27 CPI qui, en cas d’annulation judiciaire partielle du brevet, renvoie le titulaire devant l’INPI pour présenter une nouvelle rédaction des revendications modifiées en conformité avec le dispositif du jugement d’annulation partielle.

• Conditions d’acceptation de la demande de limitation

En cas de licence ou droits de gage, il est nécessaire de présenter le consentement écrit du licencié ou du créancier gagiste (voir art. R.613-45). A cet égard, il convient d’observer que l’art. R.613-45 prévoit en cas de droits réels, de gages ou de licences inscrits au registre national des brevets, l’obligation de l’accompagnement du consentement des titulaires de ces droits. Comme il s’agit d’une procédure écrite, le formulaire de l’INPI précise qu’il convient de joindre un consentement écrit de la part du licencié ou du créancier. Une des questions restant aujourd’hui posées est relative à la forme d’un tel accord. Faut-il un accord spécial accompagnant la requête et précisant la portée de la limitation ? Ou bien le principe même d’un tel consentement peut-il être prévu par anticipation dans le cadre d’un contrat de licence ?

La rédaction même du contrat peut prévoir aux origines un certain nombre de solutions, en fonction de l’amplitude de la limitation, telles qu’un mode de révision du prix de la licence adaptée à la portée limitée du brevet, voire la résiliation complète du contrat.

En tout état de cause, le contrat de licence devrait dans l’avenir prévoir l’obligation pour le breveté de produire son consentement écrit accompagnant la demande de limitation de la part du breveté.

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Enfin, en cas de pluralité de titulaires, la limitation ne peut être effectuée que si elle est requise par l’ensemble des copropriétaires. La question se pose donc de savoir si l’un des copropriétaires, ayant obtenu mandat pour gérer l’ensemble de la copropriété, peut agir seul en limitation du brevet devant l’INPI dans la mesure où le règlement de copropriété l’y autoriserait explicitement et que ce dernier soit inscrit au Registre National des Brevets. A ce jour, il n’est pas sûr que l’INPI accepte qu’une telle demande de limitation soit présentée par une seule personne mandataire des autres copropriétaires. Enfin, il faut qu’il s’agisse d’une véritable limitation et les nouvelles revendications présentées doivent répondre aux exigences de l’art. L.612-6, c’est-à-dire doivent être claires, concises et se fonder sur la description. Si l’une quelconque de ces conditions n’est pas remplie, la demande de limitation est rejetée par le Directeur de l’INPI.

• Dans quel cadre cette limitation est-elle possible ?

La limitation est possible en dehors de toute action judiciaire ou bien dans le cadre d’une action en nullité engagée à titre principal ou bien en défense à titre reconventionnel dans une action en contrefaçon de brevet. L’art. L.613-25 précise que dans le cadre d’une action en nullité du brevet, c’est le brevet ainsi limité devant l’INPI qui constitue l’objet de l’action en nullité engagée. a) lorsque la procédure de limitation est requise dans le cadre d’une action au fond, la ou les parties peuvent renoncer à faire appel de la décision du Directeur de l’INPI, pour contester la limitation du brevet directement devant ses juges du fond. b) lorsque la requête en limitation est faite dans le cadre d’une action au fond, le tribunal peut décider un sursis à statuer voire, compte tenu de la procédure relativement rapide de limitation, envoyer le procès à une date suffisamment lointaine :

� TGI de Toulouse -20 mars 2008- dans une affaire VINCIENCE contre INSTITUT EUROPEEN DE BIOLOGIE CELLULAIRE, et

� TGI de Paris -7 avril 2009- dans une affaire GEORGIA – PACIFIC France contre DELIPAPIER.

NB : ces deux décisions de sursis à statuer concernent en fait une procédure de limitation centralisée d’un brevet européen dans le cadre de l’Art. 105bis CBE.

• Comment la notion de limitation va-t-elle être interprétée ?

L’INPI est chargé de vérifier en premier lieu que les nouvelles revendications proposées correspondent bien à une limitation de la portée du brevet selon les termes de l’art. L.613-24 § 1.

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Dans la pratique une telle notion peut soulever de réelles difficultés d’interprétation. De surcroît, l’art. L.613-25 a été enrichi d’une nouvelle cause d’annulation du brevet au paragraphe d). Le brevet pourra ainsi être déclaré nul par décision de justice, si, après limitation, l’étendue de la protection conférée par le brevet a été accrue. L’INPI travaille actuellement à l’élaboration de Directives d’examen venant préciser, dans la pratique à quoi peut correspondre une telle limitation. Quelques questions relatives à l’interprétation de cette notion de limitation peuvent soulever des difficultés. Tout d’abord, observons que le breveté n’a aucune obligation d’invoquer la raison pour laquelle il entend procéder à une limitation de sa revendication. Il n’est donc en particulier pas obligé de communiquer un document de technique antérieure qu’il juge pertinent et qui justifie la mise en œuvre d’une telle procédure. De son côté, l’Examinateur n’est évidemment soumis à aucune mesure de contrôle à cet égard. La situation pourrait être appréciée différemment dans le cas d’une limitation par disclaimer (voir infra). � L’Examinateur en particulier n’est absolument pas habilité à analyser la

brevetabilité de l’objet de la revendication limitée. Il n’analysera donc nullement la nouveauté ou l’activité inventive de l’objet de la revendication ; il ne devrait pas davantage être autorisé à rejeter une demande de limitation par exemple au seul motif que cette dernière reposait sur l’introduction d’une caractéristique de posologie dans la revendication qu’il interpréterait ainsi comme une méthode de traitement thérapeutique du corps humain exclue de la brevetabilité en raison de sa contrariété à l’art. L.611-16.

� Dans le cadre d’une telle procédure de limitation, est-il possible de

corriger une erreur évidente contenue dans une revendication du brevet initialement délivré ? A notre avis, dans la mesure où la modification globale de la revendication se traduit clairement par une limitation, rien ne devrait interdire la possibilité de profiter d’une telle opportunité pour corriger une erreur évidente. Bien entendu, il faudra éviter que la correction de cette erreur ne constitue elle-même un élargissement de la protection conférée par le brevet.

� Peut-on imaginer dans le cadre d’une requête en limitation, que le

breveté puisse être autorisé à supprimer une caractéristique de la revendication ? Il est a priori légitime de considérer que la suppression d’une caractéristique technique engendre nécessairement un élargissement de la revendication et non pas une limitation. Dans la pratique, il est toutefois des situations où la suppression d’une caractéristique technique peu claire, voire non fondée sur la description, soit autorisée, voire même imposée par l’Examinateur. Dans l’absolu, la suppression d’une caractéristique n’ayant aucun véritable caractère limitant dans la pratique ne devrait soulever aucune difficulté dans l’appréciation d’une revendication globalement limitée par l’introduction d’autres caractéristiques additionnelles.

A cet égard, on peut légitimement s’interroger sur ce que le législateur a entendu définir comme une limitation de la « portée du brevet ». S’il s’agit de désigner l’objet de la revendication, les choses paraissent relativement claires. S’il s’agit de l’étendue de la protection conférée par le brevet, il conviendra bien sûr de considérer les revendications

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interprétées à la lumière de la description et éventuellement des dessins comme l’Art. L.613-2 du CPI ou l’Art. 69 de la CBE nous y invitent, et bien sûr d’y inclure tout élément équivalent. Sur le plan strictement formel, une telle modification de la revendication pourrait se traduire par l’ajout d’une caractéristique additionnelle donnant l’apparence d’une limitation vraie, mais ayant pour conséquence la validation de l’inclusion des équivalents, ce qui s’apparente plutôt à une extension de la portée. Il pourrait par exemple s’agir de l’introduction d’une caractéristique technique fonctionnelle.

� Enfin, la suppression d’une caractéristique dans une revendication

dépendante ne devrait soulever aucune difficulté dans la pratique, dans la mesure où elle conserve une portée plus étroite que la revendication indépendante à laquelle elle se rattache et qui, elle-même, a été clairement limitée.

� Lorsque le brevet délivré comporte des revendications indépendantes de produit, de procédé et d’utilisation, la demande de limitation doit-elle affecter de la même manière chacune des catégories de revendications ? La logique voudrait que l’on réponde par la négative, étant donné qu’une critique d’absence d’unité d’invention ne devrait raisonnablement plus pouvoir être soulevée au stade d’un brevet déjà délivré.

� A notre avis, rien ne doit pouvoir s’opposer à l’introduction d’une

limitation dans une revendication de produits chimiques, tout en maintenant une définition plus large de ces mêmes produits dans le cadre d’une revendication indépendante de procédé ou d’utilisation.

Dans pareil cas, l’étendue de la portée de la revendication de produit a bien été limitée, et c’est bien là l’essentiel.

� Si le passage d’une revendication de produit à une revendication de

procédé ou d’utilisation apparaît clairement comme une limitation de la protection conférée par le brevet, d’autres changements de catégorie de revendications peuvent s’avérer plus délicats.

Ainsi, le passage d’une revendication de procédé de fabrication à une revendication d’utilisation s’apparente davantage à un changement de l’objet de la revendication plutôt qu’à une véritable limitation de son objet. De surcroît, ce changement d’objet de la revendication peut apparaître comme une extension de la portée de la protection conférée par le brevet. On peut en effet imaginer des situations dans lesquelles l’importation d’un produit directement obtenu par un procédé licitement mis en œuvre à l’étranger échapperait à une revendication de procédé, alors que l’utilisation sur le territoire français d’un moyen essentiel, se retrouvant au niveau dudit produit fini, entrerait dans la portée du brevet par le biais de la fourniture de moyens selon l’art. L.613-4. Dans pareille situation, le passage d’une revendication de procédé à une revendication d’utilisation serait assimilable à une extension de la portée du brevet et risquerait donc d’être rejeté. A cet égard, on peut regretter la formulation adoptée par l’art. L.613-24 qui vise une limitation de la

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portée du droit conféré par le brevet, plutôt qu’une limitation de l’objet de la revendication. Le passage d’une revendication d’installation de fabrication à une revendication de procédé de fabrication pourrait déclencher les mêmes critiques, car l’importation du produit directement obtenu par le procédé n’était pas couverte par la revendication initiale d’installation, alors que cette dernière est implantée à l’étranger. Il sera intéressant de voir quelle sera la position de l’INPI et des tribunaux quant à la possibilité d’ouvrir cette procédure de limitation à un changement de catégorie des revendications.

� La limitation par combinaison d’une revendication indépendante avec une

sous-revendication dépendante du brevet délivré ne soulève évidemment aucune difficulté réelle. En revanche, des combinaisons partielles par introduction d’une partie seulement d’une sous-revendication dépendante sera-t-elle autorisée ?

� Peut-on valablement limiter une revendication d’installation à l’aide d’une caractéristique technique qui n’avait jamais été présentée autrement qu’en liaison avec le procédé correspondant.

A fortiori, sera-t-il légitime d’aller rechercher au fond de la description du brevet une caractéristique additionnelle et donc limitative qui ne figurait à aucun endroit dans les revendications du brevet délivré ? Peut-on aller jusqu’à limiter une revendication par introduction d’une caractéristique technique prélevée sur un dessin ? Au cours d’une procédure de contrefaçon sur la base d’un brevet ayant fait l’objet d’une limitation fondée sur la seule description ou les dessins, ce dernier pourrait-il prendre la forme d’un titre modifié ab initio avec une portée relative à une invention n’ayant pas fait l’objet d’une véritable recherche d’antériorité ? En pareille hypothèse, le tribunal peut-il requérir l’établissement d’une nouvelle procédure de rapport de recherche ou d’avis documentaire ?

� L’INPI acceptera-t-il l’introduction de disclaimer dans la mesure où

l’art. L.612-6 précise que les revendications doivent se fonder sur la description ?

Dans la mesure où l’INPI appliquerait les dispositions édictées par la Décision de la Grande Chambre de Recours de l’OEB (G1/03 relative au disclaimer), l’Examinateur pourrait être amené à faire une analyse plus détaillée de la requête. En pareille hypothèse, le breveté serait soumis à une contrainte supplémentaire de fournir le document de technique antérieure justifiant et/ou autorisant l’introduction d’un tel disclaimer. L’Examinateur devrait également contrôler que les différentes conditions de la décision G1/03 sont bien remplies et notamment que le document invoqué n’est opposable qu’au seul titre de la nouveauté et non pas de l’activité inventive. Enfin, reste la question de savoir si un disclaimer peut retrancher de la matière qui était présentée dans la description du brevet comme un

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exemple de mode de réalisation de l’invention, éventuellement comme un mode de réalisation préféré de l’invention. Par une décision du 17 mars 2011, le Tribunal de Grande Instance de Toulouse, dans une affaire Société Vicena contre Institut Européen de Biologie Cellulaire, a considéré qu’un tel type de disclaimer était acceptable dans le cadre d’une limitation intervenue devant l’OEB en application de l’art. 105bis de la CBE.

• Contrôle de la limitation

La licéité des limitations requises est soumise en plus à d’autres conditions. Dans le Code de la Propriété Industrielle français, les dispositions applicables sont édictées par l’art. L.612-6. Dans la CBE, les dispositions de contrôle visent les Art. L.123(3) et 84 de la CBE. Même en cas d’acceptation de la limitation, une modification qui s’avèrerait en réalité être une extension de la portée de la protection conférée, encourrait la nullité (art. L.613-25-c CPI ou art. 138 §1 CBE).

• Conséquences de la limitation

Selon l’art. L.613-24, les effets de la limitation rétroagissent à la date de dépôt de la demande de brevet, mais quelques interrogations particulières subsistent encore. � Dans l’hypothèse où la saisie-contrefaçon a été effectuée sur la base du

brevet tel que délivré, puis la demande de limitation a été requise avant ou immédiatement après l’assignation en contrefaçon du brevet, n’y a-t-il pas là un risque d’annulation de la saisie-contrefaçon ?

En fonction de la nature exacte de la limitation obtenue, une nouvelle saisie-contrefaçon effectuée sur la base du brevet ainsi limité pourrait s’avérer recommandable.

� Autrement formulé, peut-on envisager l’existence de droits d’intervention au bénéfice des tiers dans l’hypothèse où la limitation se traduirait en réalité par une modification profonde de l’objet de la revendication. Dans la logique même de la limitation, cela semble difficilement justifiable puisque la portée initiale du brevet délivré devait être plus large et devait donc nécessairement également couvrir la contrefaçon présumée poursuivie sur la base du brevet limité. Toutefois, on peut imaginer une situation d’un brevet délivré avec une revendication de produit entachée de nullité, ce qui pourrait inciter un concurrent à exploiter un tel produit clairement non protégeable.

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Dans pareil cas, ne pourrait-on pas considérer qu’une limitation ultérieure centrée sur le procédé de préparation de ce produit ou sur son utilisation particulière soit insusceptible d’être valablement opposée à la poursuite de la commercialisation dudit produit. En d’autres termes, les tiers peuvent-ils dans une telle situation invoquer leur bonne foi pour bénéficier d’un droit d’usage les autorisant à poursuivre leur exploitation, peut-être avec l’obligation de payer une redevance au breveté ?

* * * * * * * *

*

La jurisprudence et les futures Directives d’Examen devant l’INPI ne manqueront pas de nous éclairer un peu plus sur un certain nombre des questions précédemment soulevées.

Par Francis AHNER ([email protected]), Associé Conseil en Propriété Industrielle

Paris, le 15 avril 2011.

A propos du Cabinet Regimbeau :

Le Cabinet Regimbeau, Conseil en Propriété Industrielle, accompagne depuis 80 ans les entreprises et les porteurs de projets des secteurs privés et publics, pour la protection, la valorisation et la rentabilisation de leurs innovations (brevets, marques, dessins et modèles). 10 associés animent une équipe de près de 200 personnes, dont les compétences s'exercent dans tous les aspects stratégiques de la propriété industrielle: veille technologique, contrats de licence, audit de portefeuilles de PI, négociations dans le cadre de partenariat, acquisition des droits, contentieux. L’expertise du Cabinet Regimbeau (présent à Paris, Rennes, Lyon, Grenoble, Montpellier et Munich) permet de répondre à des logiques stratégiques internationales, tout en préservant des relations personnalisées de très haute qualité avec ses clients.

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I

ANNEXE Article L.613-24 Le propriétaire du brevet peut à tout moment soit renoncer à la totalité du brevet ou à une ou plusieurs revendications, soit limiter la portée du brevet en modifiant une ou plusieurs revendications. La requête en renonciation ou en limitation est présentée auprès de l'Institut national de la propriété industrielle dans des conditions fixées par voie réglementaire. Le directeur de l'Institut national de la propriété industrielle examine la conformité de la requête avec les dispositions réglementaires mentionnées à l'alinéa précédent. Les effets de la renonciation ou de la limitation rétroagissent à la date du dépôt de la demande de brevet. Les deuxième et troisième alinéas s'appliquent aux limitations effectuées en application des articles L. 613-25 et L. 614-12. Projet :

Le dernier alinéa de l’article L.613-24 du même code est ainsi modifié :

« Les dispositions du présent article s’appliquent aux limitations effectuées dans le cadre d’une action en nullité du brevet, sous réserve des limitations présentées auprès de l’Office Européen en application des articles 105 bis et 105 ter de la Convention de Munich » Après l’article L.613-24 du même code, est inséré un article L.613-24-1, ainsi rédigé : « Art. L.613-24-1 – Dans un délai fixé par voie réglementaire, tout tiers peut adresser à l’Institut Nationale de la Propriété Industrielle des observations écrites sur la limitation demandé. L’Institut National de la Propriété notifie ces observations au demandeur qui, dans un délai fixé par voie réglementaire, peut présenter des observations en réponse ou modifier sa requête en limitation. »

II

Article L.613-25 Le brevet est déclaré nul par décision de justice :

[…]

d) Si, après limitation, l'étendue de la protection conférée par le brevet a été accrue.

Si les motifs de nullité n'affectent le brevet qu'en partie, la nullité est prononcée sous la forme d'une limitation correspondante des revendications.

Dans le cadre d'une action en nullité du brevet, son titulaire est habilité à limiter le brevet en modifiant les revendications ; le brevet ainsi limité constitue l'objet de l'action en nullité engagée.

La partie qui, lors d'une même instance, procède à plusieurs limitations de son brevet, de manière dilatoire ou abusive, peut être condamnée à une amende civile d'un montant maximum de 3 000 euros, sans préjudice de dommages et intérêts qui seraient réclamés.

Article R.613-45 La requête en renonciation ou en limitation est faite par une déclaration écrite. La requête doit, pour être recevable : 1° Emaner du titulaire du brevet inscrit, au jour de la requête, sur le registre national des brevets, ou de son mandataire, lequel, sauf s'il a la qualité de conseil en propriété industrielle ou d'avocat, doit joindre à la requête un pouvoir spécial de renonciation ou de limitation.

Si le brevet appartient à plusieurs personnes, la renonciation ou la limitation ne peut être effectuée que si elle est requise par l'ensemble de celles-ci ;

2° Etre accompagnée de la justification du paiement de la redevance prescrite ; 3° Ne viser qu'un seul brevet ;

4° Etre accompagnée, si des droits réels, de gage ou de licence ont été inscrits au registre national des brevets, du consentement des titulaires de ces droits ;

5° Etre accompagnée, lorsque la limitation est requise, du texte complet des revendications modifiées et, le cas échéant, de la description et des dessins tels que modifiés.

Si, lorsque la limitation est demandée, les revendications modifiées ne constituent pas une limitation par rapport aux revendications antérieures du brevet ou si elles ne sont pas conformes aux dispositions de l'article L. 612-6, notification motivée en est faite au demandeur. Un délai lui est imparti pour régulariser sa requête ou présenter des observations. A défaut de régularisation

III

ou d'observations permettant de lever l'objection, la requête est rejetée par décision du directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle.

Les renonciations et limitations sont inscrites au registre national des brevets. Un avis d'inscription est adressé à l'auteur de la renonciation ou de la limitation.

Projet :

Le dernier alinéa de l’article R.613-45 est remplacé par les dispositions suivantes :

« Les renonciations sont inscrites au registre national des brevets, ainsi que les requêtes en limitation et les décisions rendues sur de telles requêtes. Un avis d’inscription est adressé à l’auteur de la renonciation ou de la limitation. »

Article R.617.2

Les articles R. 611-18 à R. 611-20, R. 612-1, R. 612-2, R. 612-5 (1°), R. 612-6, R. 612-7, R. 612-36, R. 612-38, R. 612-52, R. 612-71 (alinéas 1 et 2), R. 612-72, R. 613-45 à R. 613-59 et R. 618-1 à R. 618-3 sont applicables aux demandes de certificat complémentaire de protection et aux certificats complémentaires de protection.

Dans les textes législatifs en projet, les articles 12 et 13 venant compléter l’article L.613-24 et l’article 38 venant compléter l’Art. R.613-45. Ces projets d’articles se lisent comme suit :