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E 41 MCM Barthes Y a-t-il un code un système de signes dans la représentation analogique qu’est l’image ? Barthes propose d’étudier la publicité parce que la signification de l’image est intentionnelle. L’image a ici valeur de message. C’est donc une facilité, mais aussi une sécurité épistémologique. Les attributs des produits proposés forment les Sé du message publicitaire. Et comme l’image publicitaire a pour but de vendre, et pour cela, faire bien passer son message, ces Sé seront clairs. Les signes de l’image publicitaire sont formes en vue d’une meilleure lecture : elle est franche, elle met en évidence son intention. 1. Les trois messages : 1. 1. Le message linguistique : légende, étiquettes. Mais il existe un second niveau d’analyse, en dehors de la dénotation : le nom Panzani renvoie à l’italianité. C’est donc un signifiant de connotation qui émerge ici. Les données sont tantôt Sa et tantôt Sé ; cela dépendra du code précis où l’on insère ces données. En fonction des choix linguistiques qui sont les nôtres, se dégagera, outre le sens premier (la dénotation), un sens second : la connotation. Ex. : mourir et crever Ils donnent des indications sur notre origine sociale, mais pas seulement, ils peuvent indiquer nos sentiments (crever)/ au référent, sur le contexte (niveau de langue). La valeur supplémentaire est liée à ma vision des choses, l’école artistique, mes convictions politiques (caricature). Sa Sa Pottier : linguistique : connotation est une partie de sa signification, ensemble des valeurs qui viennent se rajouter aux traits dénotatifs, lesquels sont liées aux propriétés du référent discursif. Signifiant de connotation (connotateur) : le matériau, graphique, sonore, la construction syntaxe Signifié de connotation : connotation stylistique (niveau de langue), énonciative (affectives, socioculturelles, idéologiques), et toutes sortes de valeurs ajoutées de provenance diverse. Bien que secondes, les connotations ne sont pas pour autant secondaires par rapport aux contenus dénotatifs : elles jouent un rôle fondamental dans le discours ordinaire. La publicité exploite pleinement cette idée de connotation. Mais comme il n’y a qu’un seul code, on ne notera qu’un seul message. 1. 2. Message iconique codé : Signes discontinus (car il faut les repérer aux différents endroits de l’image, les reconstituer) : Différents signes : Sé 1. : Le retour du marché : il génère deux valeurs (connotations) euphoriques : la fraîcheur et la préparation . Les Sa de ce signe sont le filet, les provisions déballées, en vrac. Ici, la seule connaissance des us et coutumes actuels permet de lire ce signe. Sé 2 : l’italianité : Sa : la couleur des légumes et de l’affiche. Rmque : redondance avec la connotation du Sa linguistique. Cette connotation, en tant que telle, est culturelle. Il faut être français pour voir l’italianité (les Italiens ne la verraient pas). Cette connotation est fondée sur le stéréotype. Sé 3 : La préparation culinaire totale, l’équivalence entre les produits et les produits naturels. Sa, les objets différents serrés, rassemblés. Sé 4 : la nature morte. Ici, il est nécessaire d’avoir un savoir culturel. Rmque : la place dans la revue, et l’omniprésence des étiquettes Panzani nous livrent un dernier message : celui du fait qu’il s’agit d’une pub (se méfier avec les publi-reportages de nos jours). 1

Roland Barthes - Semiologie de L'Image (Cours) 40P

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E 41 MCM

Barthes

Y a-t-il un code un système de signes dans la représentation analogique qu’est l’image ?

Barthes propose d’étudier la publicité parce que la signification de l’image est intentionnelle. L’image a ici valeur de message. C’est donc une facilité, mais aussi une sécurité épistémologique.

Les attributs des produits proposés forment les Sé du message publicitaire. Et comme l’image publicitaire a pour but de vendre, et pour cela, faire bien passer son message, ces Sé seront clairs.

Les signes de l’image publicitaire sont formes en vue d’une meilleure lecture : elle est franche,

elle met en évidence son intention.

1. Les trois messages :

1. 1. Le message linguistique :

légende, étiquettes. Mais il existe un second niveau d’analyse, en dehors de la dénotation : le nom Panzani renvoie à l’italianité. C’est donc un signifiant de connotation qui émerge ici. Les données sont tantôt Sa et tantôt Sé ; cela dépendra du code précis où l’on insère ces données. En fonction des choix linguistiques qui sont les nôtres, se dégagera, outre le sens premier (la dénotation), un

sens second : la connotation. Ex. : mourir et crever Ils donnent des indications sur notre origine sociale, mais pas seulement, ils peuvent indiquer nos sentiments

(crever)/ au référent, sur le contexte (niveau de langue). La valeur supplémentaire est liée à ma vision des choses, l’école artistique, mes convictions politiques

(caricature). Sa Sé Sa Sé

Pottier : linguistique : connotation est une partie de sa signification, ensemble des valeurs qui viennent se rajouter aux traits dénotatifs, lesquels sont liées aux propriétés du référent discursif. Signifiant de connotation (connotateur) : le matériau, graphique, sonore, la construction syntaxe Signifié de connotation : connotation stylistique (niveau de langue), énonciative (affectives, socioculturelles, idéologiques), et toutes sortes de valeurs ajoutées de provenance diverse.

Bien que secondes, les connotations ne sont pas pour autant secondaires par rapport aux

contenus dénotatifs : elles jouent un rôle fondamental dans le discours ordinaire. La publicité exploite pleinement cette idée de connotation. Mais comme il n’y a qu’un seul code, on ne notera qu’un seul message.

1. 2. Message iconique codé :

Signes discontinus (car il faut les repérer aux différents endroits de l’image, les reconstituer) : Différents signes :

Sé 1. : Le retour du marché : il génère deux valeurs (connotations) euphoriques : la fraîcheur et la préparation . Les Sa de ce signe sont le filet, les provisions déballées, en vrac. Ici, la seule connaissance des us et coutumes actuels permet de lire ce signe.

Sé 2 : l’italianité : Sa : la couleur des légumes et de l’affiche. Rmque : redondance avec la connotation du Sa linguistique. Cette connotation, en tant que telle, est culturelle. Il faut être français pour voir l’italianité (les Italiens ne la verraient pas). Cette connotation est fondée sur le stéréotype.

Sé 3 : La préparation culinaire totale, l’équivalence entre les produits et les produits naturels. Sa, les objets différents serrés, rassemblés.

Sé 4 : la nature morte. Ici, il est nécessaire d’avoir un savoir culturel. Rmque : la place dans la revue, et l’omniprésence des étiquettes Panzani nous livrent un dernier message :

celui du fait qu’il s’agit d’une pub (se méfier avec les publi-reportages de nos jours).

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4 signes qui forment un ensemble cohérent Leur lecture est liée à un savoir culturel et renvoie à des signifiés globaux pénétrés de valeurs

euphoriques. Pour Hjelmslev, une expression dénote le contenu auquel elle est associée. Le problème de la référence est moins important. En effet, sa théorie porte sur le sémiologique. Il ne

s’intéresse pas au rapport entre le signe et son référent, mais à la structure interne du signe, au rapport Sa/Sé, au pouvoir de signification.

Pour lui, le rapport au référent relève de l’usage de la langue, de la pragmatique. Il oppose sémiotique dénotative et sémiotique connotative :

� Dans la sémiologie dénotative, ni le plan du contenu, ni le plan de l’expression n’est une sémiotique. Langue dans son usage ordinaire

� Dans la sémiologie connotative, le plan de l’expression est constitué par une sémiotique. Sémiotique dont l’un des plans est une sémiotique.

Alors que dans la sémiologie dénotative, le plan de l’expression dénote le plan du contenu, dans la sémio connotative, les plans de l’expression et du contenu d’une sémiologie dénotative deviennent le plan de l’expression d’une sémiologie connotative.

� La connotation devient un superstrat sémantique. � Il dépend de la structure générale d’un système de signification. � Mais la conception de Hjelmslev est restrictive (accents régionaux, caractéristiques stylistiques). Connotation : un signe devient un indice. Un élément d’une entité bifaciale devient un élément d’une autre entité bifaciale. C’est un indice constitué

par un signe : le signe dénotatif, est traité comme s’il était tjrs intentionnel, i. e. comme s’il était tjrs un signal, et la réalisation de la face signifiante d’un autre signe : le signe connotatif.

Il y a donc connotation quand la face signifiante et la face signifiée d’un signe deviennent ensemble la face signifiante d’un autre signe.

Remarque : Le connotateur est en fait un indice, un indice dont le statut varie selon qu’il résulte ou non d’un choix du locuteur.

1. 3. Message iconique non codé :

L’image réunit dans le même espace un certain nombre d’objets identifiables, et pas seulement des formes et des couleurs.

Sé : objets réels de la scène, Sa : les référents.

Ici, le rapport Sa/ Sé est quasi tautologique. Ici, c’est une image non codée. Nous n’avons pas besoin de savoir pour lire l’image. Nous sommes

dans la dénotation. Rmque : il existe des règles de transcription de l’image, qui peuvent ne pas être purement iconiques.

Mais cette part d’arbitraire dépend de la culture : dessin de face et de profil (cf. Égypte ancienne) ; Dürer

dessine son rhinocéros avec des écailles et des jointures proches de celle d’une armure car il veut faire comprendre à ses contemporains à quoi correspond la peu de cet animal, ; la cartographie européenne indique le tracé des rues par deux traits parallèles et la cartographie US se contente d’un trait : les européens sont plus sensibles à la largeur des rues, alors que les américains sont plus sensibles à leur orientation.Le plan du métro de paris met en avant la longueur des tracés et les itinéraires, alors que le plan du métro londonien met en évidence la position relative des stations.

Ressemblance : — sélection des traits du réel, (moustache pour les chats, cornes pour les vaches),

— règles de transformation : règles de perspective, conventions cartographiques. Une même réalité peut faire l’objet de traitements iconiques très différents, en fonction des cultures. (arbitrarité).

Le réalisme n’est autre chose que l’association d’une certaine sélection et de certaines règles de transformation dans une culture donnée à un moment donné (cf. notion de réalisme en littérature).

Message littéral vs message symbolique Message perceptif vs message culturel Le message littéral correspond à la dénotation de l’image. Ce sont les informations brutes que nous

apportent les éléments, individuellement, ou par leurs relations. Le message symbolique correspond à la connotation de l’image. Il est difficile de séparer ces deux derniers messages, car ils ont la même substance. Le lecteur les reçoit en

même temps.

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C’est une des caractéristiques de l’image de masse.

1. 4. rapport entre les 3 messages :

Le message littéral est le support du message symbolique : l’image littérale est dénotée, l’image symbolique est connotée. (puisque le Sé de la première sert de Sa à la seconde).

2. Le message linguistique :

Quelles sont les fonctions du message linguistique/ messages iconiques ?

2. 1. L’ancrage :

/ message littéral : l’image est par définition polysémique, ses Sé sont flottants (cf. connotation).

Le but est de fixer le Sé (les éléments du Sé). C’est le rôle du message linguistique. Il aide à identifier les éléments de la scène et la scène elle-même.

C’est une description (partielle) et dénotée de l’image. Elle m’aide à choisir le bon niveau de perception. Elle permet d’accorder le regard (cf. pubs gag)

et l’intellection.

/message symbolique : il ne guide plus l’identification, mais l’interprétation (éviter les valeurs dysphoriques). Il guide la connotation. Il téléguide le sens.

Ce guidage fonctionne par sélection de certains éléments, et évincement d’autres.

2. 2. Le relais :

l’image est dans un rapport complémentaire avec le texte. C’est le cas de la BD, du dessin d’humour. Les images et le texte sont des éléments d’un même message au niveau supérieur : la narration. Rmque : les deux fonctions peuvent coexister dans la même image. Mais le poids de l’un ou de l’autre est important pour comprendre/interpréter l’image.

3. L’image dénotée :

dans le message publicitaire, l’image dénotée pure n’existe pas. Cf. supra/ motivation. Ici, l’utilisation de la photographie crée l’illusion de l’image brute, alors qu’il y a cadrage, lumière, distance,

etc. Même le brut est connoté (connoté brut). La photo provoque la conscience de l’avoir été là. => nouvelle catégorie spatio-temporelle : le ici et autrefois. La photo est ici, mais elle n’est pas une présence. Cependant, cet avoir été là est important. Il place une

pseudo-vérité, il désintellectualise le message, il en fait un message naturel. Mais l’image dénotée a ici un rôle majeur, celui de naturaliser le message symbolique, elle

innocente l’artifice sémantique de la connotation.

4. Rhétorique de l’image :

Le message symbolique est composé de signes discontinus. La lecture de ces signes est puisée dans un code culturel. En tant que message connoté, sa lecture est

variable en fonction des individus. Mais cette lecture n’est pas aléatoire, elle dépend des savoirs investis dans l’image. Ces savoirs peuvent être typologisés. La lecture peut être plurielle, cette pluralité pouvant s’adresser à différents lecteurs ou à un lecteur pluriel.

L’image est traversée par le système du sens. La langue de l’image n’est pas que la parole émise, elle est aussi la parole reçue : elle doit inclure

les surprises du sens. (important en publicité).

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Méthode : les sèmes s’organisent en champs associatifs, en articulations paradigmatiques, voire même en

oppositions. Pour cela, il faut faire l’inventaire des systèmes de connotation. Ensuite, on pourra reconstituer les axes.

Sa = connotateurs Ensemble des connotateurs = rhétorique

La rhétorique de l’image (i. e. classement des connotateurs) est :

Spécifique : elle est soumise aux contraintes de la vision, Générale : les figures ne sont que des rapports formels d’éléments.

Les connotateurs constituent des traits discontinus. Ils ne remplissent pas toute la lexie, leur lecture ne

l’épuise pas. Tous les éléments de la lexie ne peuvent être transformés en connotateurs, il reste tjrs dans le

discours une certaine dénotation, indispensable au discours (cf. supra). => C’est le syntagme du message du message dénoté qui naturalise le système du message connoté. La connotation est un système : elle ne peut se définir qu’en termes de paradigme. La dénotation est un syntagme, elle associe els éléments sans système. Les connotateurs, discontinus, sont liés, actualisés (en tant que connotateurs), par le syntagme de

dénotation.

Conclusion

Pour Barthes, la connotation est au centre de la sémiologie. Le champ de la connotation est plus large et plus systématique et plus rigoureux. /Chien/ dénote « mammifère canin » et dénote « fidélité », « mépris », « avarice », « pénibilité ». La connotation dépend des codes linguistiques et sociaux précis, de conventions théoriques ou idéologiques.

(black, negro, nigger) Chez Barthes comme chez Hjelmslev, la connotation appartient au plan du discours. Pour lui, tout est signe : le vêtement qui sert à couvrir est signifiant, la nourriture qui sert à nourrir est

signifiante. Dans l’affiche des pâtes Panzani, il est des signifiés de connotation comme l’italianité, signifiés dont les

supports sont aussi bien linguistiques (consonance du nom du produit, le recours à la langue italienne pour certains fragments du texte) qu’iconiques (objets représentés, symboles de la gastronomie italienne, et les couleurs italiennes).

Les connotations ne sont pas erratiques, mais elles peuvent s’organiser en réseau, former des isotopies.

tout usage est converti en signe de ces usages. Signe fonction Ex. : un objet communique la fonction qu’il rend possible. Fonction première : signification non intentionnelle ; la construction de l’objet vise sa fonctionnalité, le fait

de remplir une fonction, non de la signifier. Fonction seconde : les caractéristiques de l’objet sont plus visibles (escalier avec grosse rampe) . Dans certains cas, la fonction seconde prévaut sur la fonction première, au point de l’éliminer. Ex. : vêtements , automobiles, queue de pie, tutu

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Le logo

1. Le logotype, blason des temps modernes

« Il existe cinq millions de marques dans le monde. Un homme occidental reçoit quotidiennement 2'000 images, 20'000 stimuli visuels et 500 marques (parmi lesquelles il n’en retiendra que dix en fin de journée). Les trois quarts des informations reçues par un individu sont visuelles. Le logo est donc une arme visuelle dans la bataille économique ».

C’est dire que le logo constitue à proprement parler la clé de voûte de l’identité visuelle d’une entreprise ou d’une institution : même les pays, à l’instar de l’Espagne, possèdent leur propre logo.

1. 1. Le logo : une histoire pas si ordinaire

Le logo semble avoir précédé l’écriture : signes astronomiques, signes du Zodiaque et autres croix religieuses sont les témoins ancestraux des logotypes des temps modernes. Puis vinrent les cachets et sceaux du Moyen Âge, les fers des éleveurs, les blasons et armoiries des chevaliers, les symboles collectifs des corporations, etc. C’est d’ailleurs entre le XVIe et le XVIIIe siècle que fleurissent ces marques identitaires, précurseurs des logos contemporains. Mais ce n’est que vers la fin du XIXe siècle, à la suite de la révolution industrielle, de la naissance de la publicité moderne, du renforcement de la concurrence et de l’arrivée du régime de surproduction, que le logo prend tout son sens : cristalliser l’attention, puis la confiance du consommateur autour d’une marque. Le logo devient alors un sceau l’authentifiant, la légalisant. À tel point qu’aujourd’hui plus encore qu’hier, la marque et son logo sont indissociablement liés.

1. 2. Logo = Marque : une approche quantitative

Il existe un rapport direct et inaliénable entre le logo et la marque : « Les logos participent de l’immiscion des marques commerciales dans le paysage affectif des individus de manière à créer des attitudes favorables durables à l’égard de ces marques. ».

Ce rapprochement n’est pas fortuit. Lorsque l’on sait que Pepsi-Cola, souhaitant modifier les codes graphiques du Cola (passant du blanc - rouge au bleu – rouge) a dépensé 500 millions de dollars en 1995 pour l’opération de liftage de son identité visuelle, que la BNP a dépensé 100 millions de francs français pour son lifting en 1987

Le logo est l’emblème de l’entreprise, comme les armoiries d’une famille royale, le blason du chevalier

masqué.

1. 3. Les fonctions du logo

Le logo, unité constitutive de l’identité visuelle de l’entreprise, se compose de signes alphanumériques (chiffres et lettres) ou iconiques (images) établissant la représentation graphique ou typographique de la raison sociale, voire d’une dénomination de produit ou de service.

Mais pourquoi ce petit sigle, généralement reproduit sur quelques millimètres carrés, mérite-t-il qu’on lui porte une telle attention, et qu’on lui attribue une telle valeur marchande ? En d’autres mots, quelle est sa vocation ?

Son don d’ubiquité fait qu’on le rencontre aussi bien en signature des publicités, en caution des produits dont il se fait le garant, qu’en symbole de valeurs qu’il véhicule par le sponsoring, le mécénat ou le parrainage. Sa spécificité est d’être présent sur l’ensemble des dispositifs de communication de l’entreprise. Ses fonctions sont donc variées, à la fois signe d’identification, signe d’engagement et signe de valorisation de l’entreprise. Mais son premier rôle est de renvoyer l’ensemble des productions discursives à un émetteur unique.

Au final, ses fonctions, multiples, peuvent se ramener à quatre : a. Fonction d’identification (reconnaissance, distinction) b. Fonction de certification (signature, caution) c. Fonction d’appartenance (agent communautaire, filiation) d. Fonction symbolique (ambassadeur et condensateur de valeurs) ex. : Le logo Coca-Cola bénéficie d’une telle notoriété qu’il peut être traduit, tronqué, transmué, il reste

immédiatement attribué.

1. 3. 1. La fonction d’identification

La première fonction, la fonction d’identification, répond au contexte dans lequel se trouve l’entreprise ou l’institution : un milieu concurrentiel. Dès lors, le logo sert à se singulariser face à la concurrence, à se faire reconnaître : le logo est un accélérateur de notoriété. Le logo Coca-Cola est à tel point prégnant dans la mémoire collective que ses déclinaisons dans des langues étrangères comme l’Arabe ou le Japonais ne posent aucun problème d’identification (Coca traduit).

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1. 3. 2. La fonction de certification

La seconde fonction, la fonction de certification, sert à signer, juridiquement parlant, les produits issus de l’entreprise : caution de qualité, gage de pérennité, garantie de service après vente, etc. Il certifie aussi l’origine du produit et du producteur. Le logo Darty, par exemple, garantit un service irréprochable par sa signatur22.

1. 3. 3. La fonction d’appartenance

La troisième fonction, la fonction d’appartenance, répond au besoin contemporain de rallier les différentes ramifications d’une même entité, l’entreprise. Globalisation, fusions, développement de marchés horizontaux et verticaux, diversification de la clientèle, participent tous à une dispersion géographique et à une dématérialisation de l’entreprise, qui a dès lors besoin de fédérer ses différents acteurs autour d’un signe commun, un signe d’identification consensuelle : le logo. Nestlé ou Danone, marques ombrelles, en apposant leur logo respectif sur différents produits, leur confèrent d’abord un signe d’appartenance, tant à la production (producteurs comme actionnaires) qu’à la consommation.

1. 3. 4. La fonction symbolique

Enfin, la quatrième fonction, la fonction symbolique, est destinée à condenser et à véhiculer, par le graphisme du logo, les valeurs fondamentales de l’entreprise : sa vocation, sa philosophie. Le logo doit véritablement incarner les valeurs qui justifient l’existence même de l’entreprise : le logo résume l’entreprise. Son rôle pragmatique est véritablement d’enrichir et de densifier les relations de la marque avec ses interlocuteurs : consommateurs, mais aussi producteurs, actionnaires, etc. Et ses valeurs sont aussi là pour faire agir le consommateur : le logo est une injonction à l'achat, un « vendeur silencieux » . Le logo Marlboro incarne la virilité sauvage des plaines américaines. Le logo Kuoni (le nom inscrit dans une sphère représentant la terre) concrétise l’activité mondiale de l’agence de voyage. Le logo Benetton est, de ce point de vue, aussi riche en enseignement qu’en symbolique. La couleur verte

incarne la nature verdoyante des grandes prairies où paissent les moutons producteurs de laine. L’écriture blanche relaie quant à elle la couleur de la pure laine vierge. Le rectangle est enfin l’expression de la perfection. L’ensemble est d’une cohérence parfaite.

1. 3. 5. Entre information et émotion, la métaphore

En suivant l’évolution du logo d’une entreprise centenaire, on peut embrasser l’histoire de sa vocation. Comme le remarque B. Heilbrunn, le logo est « le lieu d’une tension entre sa vertu fonctionnelle qui vise à

transmettre de l’information sur le produit ou l’organisation et sa vertu émotionnelle qui vise à susciter de l’émotion, du plaisir et à s’ériger en objet esthétique » . Du point de vue fonctionnel, le logo est la représentation graphique officielle d’une organisation ou d’une marque. Dans ce sens, il participe à la mise en place d’un système d’identité visuelle, dans lequel il joue le rôle principal. Mais, du point de vue émotionnel, il se fait l’ambassadeur des valeurs de l’entreprise. Certes, limité à un espace graphique extrêmement restreint, il ne peut pas rendre compte de la totalité des valeurs de l’entreprise : le logo ne peut aspirer à la complétude. Amené à sélectionner et à condenser les valeurs primordiales de l’entreprise, ainsi que le fait la métaphore, qui met l’accent sur un point de comparaison (Achille est un lion = il est courageux ; accent mis sur son courage et non sur le reste de sa personnalité).

Par exemple, le logo de la Caisse d’Epargne traduit métaphoriquement l’idée d’épargne, l’écureuil étant un petit animal sympathique, chez qui mettre de côté des provisions pour l’hiver relève de l’instinct, les deux F opposés pour le CFCF, le mammouth de la marque Mammut pour la résistance au froid.

Peirce envisage l’image comme une sous-catégorie de l’icône, signe spécifique dont le Sa est en relation

d’analogie avec ce qu’il représente. Il existe , selon 3 types d’analogies, dont nous ne traiterons que la métaphore.

La métaphore met en jeu un parallélisme qualitatif. Peirce voit la métaphore comme un procédé de substitution mettant en relation une proposition explicite, ou montrée, mise en relation avec une proposition implicite, ou non montrée, et entretenant avec celle-ci des relations de parallélisme qualitatif ou de comparaison implicite.

Le travail de parallélisme se fait donc de façon implicite et comparative. Le logo NRJ est l’équivalent de la métaphore « Achille est un lion », le parallélisme étant à effectuer entre la

panthère bondissante et la valeur de dynamisme de l’entreprise. Mais la métaphore peut être exploitée dans la publicité elle-même : la publicité Woolmark est une

métaphore visuelle, qui met en lien direct le produit et son origine (métonymie) par le biais du logo, lui même iconique. Le produit possède les mêmes qualités que les moutons : il est « naturel, vrai ». dans cette publicité, le slogan « La laine est vraie » a une fonction d’ancrage qui permet de décrypter la métaphore visuelle.

La publicité Fusalp est également une métaphore qui ne fonctionne que conjointement avec le slogan « Le sport dans la peau », elle-même métaphorique, qui occupe ici une fonction de relais.

1. 4. Le logo en tant que signe

Le logo est un signe en tant qu’il représente l’entreprise et ses valeurs Signe : ce qui sert à communiquer quelque chose à quelqu’un Le signe est quelque chose mis à la place d’autre chose :

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Un signe est quelque chose qui tient lieu pour quelqu’un de quelque chose sous quelque rapport

ou à quelque titre (C. S. Peirce)

En tant que signe, on peut considérer qu’il est composé d’un signifiant, d’un signifié et d’un référent. :

Le Sa du logo est son aspect visuel Le Sé du logo est les valeurs de l’entreprise, la marque ou l’institution auxquelles il renvoie (la

sécurité, la solidité, l’exotisme, etc…) Le référent du logo est l’entreprise, l’institution ou la marque qu’il représente .

Il permet de communiquer avec économie et de sécurité EX. : un logo permet de véhiculer toutes les valeurs d’une entreprise dans un espace réduit, et sa conception implique sa pacification sémantique (cf. infra).

1. 4. 1. Le modèle tétradique

Mais, en sémiologie, on considère que le signe comprend 4 éléments : —Sa — Sé — Référent Stimulus Sa Sé Stimulus référent Aucun de ces éléments ne peut exister indépendamment Un pur Sa n’existe pas, car un Sa n’existe qu’avec un Sé (cf. Saussure) 1. 4. 1. 1. Stimulus :

En effet, il est important de faire entrer le stimulus dans la représentation du processus sémiotique, dans la mesure où sans stimulus, il n’y a pas de sémïose, puisque le signe n’est pas perçu.

EX. : un aveugle ne peut percevoir les panneaux du code de la route, ils ne signifient rien pour lui, Un sourd ne peut entendre le sifflet d’un agent, il ne peut donc s’arrêter.

C’est la face concrète du signe, transmissible par le canal en direction des 5 sens

EX : forme du dessin Position de la girouette Lumière rouge/rétine Goût du chocolat </douceur

� Support actif du signe, c’est par lui que le sujet entre en relation avec le signe, � Ne possède aucune signification en soi, � N’est signifiant que s’il correspond à un modèle abstrait, prévu par le code, � Est associé à un modèle théorique de ce stimulus : le Sa.

RMQUE : le stimulus est approximatif

EX. : un feu rouge, pour un daltonien n’est pas rouge, mais simplement placé en haut), le bleu/blanc/rouge du drapeau français connaît différentes variantes de couleur, le tigre Peujot peut connaître différentes représentations.

Ce qui compte, c’est le contraste, la possibilité d’être repéré EX. : le bleu/blanc/rouge du drapeau français connaît différentes variantes de couleur, ce qui permet de le repérer, c’est le contraste des couleurs. Le rouge du panneau « sens interdit » peut avoir été terni par la pluie, le vent, mais ce qui compte, c’est le contraste entre le rouge et le blanc.

1. 4. 1. 2. Le Sa : C’est un modèle,

Un modèle est une image que l’on se fait de quelque chose que l’on ne peut observer directement. Il sert à représenter le non-représentable, les choses abstraites

Modèle : représentation idéalisée d’une chose ou d’un ensemble de choses

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EX : les nombres, le schéma de Shannon, le plan d’une ville

Le Sa n’a de statut que dans un code, et ne vaut que par rapport à un Sé

EX. : le feu rouge n’a pas de signification en dehors du code de la route (ailleurs, n’implique pas de stop, comme dans une vitrine), le dessin d’un œil ne veut rien dire, si ce n’est dans le code hiéroglyphique.

1. 4. 1. 3. Le Sé

C’est aussi un modèle. C’est une image mentale provoquée par le Sa, et qui correspond au Réf., représentation que l’on

se fait d’une classe de choses EX : image d’un arbre quand on entend le son /arbr,/, idée d ’ « arrêt » quand on voit le feu rouge, l’idée de « pizza » quand on sent une odeur.

On pense à un arbre, mais ce n’est pas tous les arbres, /arbr/ renvoie à la classe des arbres, de tous les types.

� Le Sé est une abstraction, car nous sommes face à des classes d’objets, � Peut exister en dehors des classes d’objets, pour des choses abstraites, des choses qui n’existent pas.

EX. : licorne, les dinosaures

1. 4. 1. 4. Le Réf. :

C’est ce dont il est question dans un processus de communication ou de signification donné=> Le Réf. est particulier, =>c’est une actualisation du Sé ! particulier ne veut pas dire singulier � Ce n’est pas un objet du monde (cf. abstraction, licorne qui sont des référents), mais la projection de

nos modèles sur les stimuli venant de la réalité EX. : pour les gens en général, la neige est une entité simple, pour un skieur, il y différentes formes de neiges, et pour lui, le mot neige renverra à une neige standard (vs poudreuse, par exemple), pour un eskimo, c’est générique, puisqu’il conçoit un grand nombre de neiges différentes.

� C’est un objet du monde en tant qu’il peut être associé à un modèle, en tant qu’il fait partie d’une classe.

EX. : un objet inconnu provenant d’une planète extra-terrestre n’aura de référent, car on ne sait pas à quoi cela correspond. Pour quelqu’un qui n’a jamais fait de mathématiques fondamentales, un quaternion ne renvoie à rien.

1. 4. 1. 5. Solidarité des éléments du signe L’association de ces 4 éléments forme le signe. Le signe n’existe pas en dehors du processus de signification Le stimulus n’est un stimulus sémiotique que parce qu’il actualise le modèle qu’est le Sa (modèle),

le Sa n’est un Sa que parce qu’il est associé à un Sé, un Réf. n’est un Réf. que parce qu’il est associé

à un Sé qui le range dans une classe d’objets.

EX. : — un stimulus lumineux n’est sémiotique que s’il correspond à un élément d’un code, comme les pictogrammes, — Un pictogramme n’est un signifiant dans le code dès que s’il rentre dans les caractéristiques du pictogramme (stylisation), Le sens de ce pictogramme n’est un signifié que s’il renvoie à une situation proposée par les pictogrammes (un pictogramme indiquant « j’ai faim » n’a pas de sens dans l’utilisation des pictogrammes, qui sont des ordres ou des indications, Les indications du pictogramme n’ont un référent que si on connaît l’existence de la situation (cf..pictogramme de la vague).

1. 4. 2. Le signe iconique (visuel)

En sémiologie de l’image, On remplace la notion de Sé par celle de type. — le référent est l’objet dont le signe visuel rend compte. C’est l’objet en tant que membre d’une classe,

et non comme somme inorganisée de stimuli, c’est un stimulus déjà sémiotisé. (une licorne n’existe pas, les personnages décrits dans les romans de SF non plus, pourtant ils peuvent être dessinés)

— le stimulus est le support matériel du signe (tache noire sur papier blanc, courbes, lignes, etc..)

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— le Sa est la matérialisation du type — Le type est une représentation mentale, crée par l’expérience vécue ou livresque.

Le référent est singulier et possède des caractéristiques spatiales et chromatiques ; le type est une classe, et a des caractéristiques conceptuelles. Le type est différent du Sé en ce que son rôle est de gérer l’équivalence (co-typie) entre Sa et référent, il permet la reconnaissance du référent dans le Sa. En effet, les représentations ne sont pas la réalité, et il existe toujours une différence entre les deux. C’est par les dimensions conceptuelles du type que la reconnaissance est possible.

1. 5. Quatre types de logo

Le logo recourt à un langage syncrétique, mêlant les codes linguistique, iconique et plastique. Comme tente de le représenter le schéma, les différents logos se répartissent sur un axe horizontal allant des formes les plus linguistiques aux formes les plus iconiques, le système plastique intervenant pour sa part de manière prépondérante et systématique :

1. 5. 1. Les logotypes simples

À l’extrême droite du schéma, le logo alphanumérique, expression la plus dépouillée de la marque, se compose exclusivement de signes alphanumériques : Coca-Cola et New Man en sont de bons exemples.

Une typographie particulière – majuscules ou minuscules, répartition, silhouette du mot, personnalisation typographique, empattement, fonte, graisse, lettres calligraphiques, lettres gestuelles, lettres dessinées en mode contour, etc. – leur confère originalité et personnalité. À cela s’ajoutent encore des organisateurs comme le croisement des lettres, leur superposition, leur encastrement, leur entrelacement, etc.

1. 5. 2. Les logotypes complexes

Entre les deux extrêmes, les logos mixtes font se rencontrer, de manière plus ou moins concomitante, les deux systèmes de signes que sont le scriptural et l’iconique. Les logos, lorsqu’ils reprennent le nom complet de la marque dans une écriture caractéristique, peuvent aussi être contenu dans un symbole visuel simple (rond, carré, ovale) : Lu, Benetton, Ford, Orange. L’encerclement est de ce point de vue caractéristique. La symbolique du cercle est immédiatement perçue comme la délimitation entre un intérieur et un extérieur : la ville et son enceinte, la nation et ses frontières et, au-delà, le fantasme collectif de l’Origine, qui renvoie toute communauté à l’image de l’œuf et de l’enfant dans le ventre de sa mère. À chaque forme correspond ainsi un réseau de significations.

1. 5. 3. Les logotypes siglotypes

Parmi les logos, on peut distinguer ceux qui, comme les exemples susmentionnés, reprennent le nom complet de la marque, de ceux qui se forment sur la base :

• d’abréviations (mot raccourci dont on garde les premières lettres ou l’initiale ou la finale) : Swiss pour Swissair Lines.

• d’acronymes plus ou moins conventionnels (groupe de mots raccourcis en conservant la début de chaque mot) : ComCom pour Commission fédérale de la communication.

• de sigles (groupe de mots raccourcis en ne conservant que la première lettre de chaque mot) : CFF pour Chemins de Fer Fédéraux.

Le logo peut être injecté dans une fiction… La représentation visuelle d’un sigle peut alors se faire sous la forme simple ou symbolique. On pense à CIA

pour " Central Intelligence Agency ", au K pour " Kodak Certains de ces sigles sont meilleurs que d’autres. On préférera par exemple NASA pour " National Aeronautics and Space Administration " ou Fiat pour " Fabrica Italiana Automobile Torino ", à IBM, dont on a perdu le sens originel (" International Business Machines ") ou encore BMW pour " Bayerische Motor Werk ". Plus original encore, le logo NRJ a cela de particulier de dériver d’une " abréviation phonétique " de son nom : " énergie ". Associé à la panthère, c’est l’un des logos les plus réussis du marché.

À mi-chemin entre sigles linguistiques et sigles iconiques, ces siglotypes peuvent tendre ainsi à plus

d’iconisation, à l’instar du logo Carrefour. Le logo Suzuki, qui reprend le S initial de la marque, a été fortement iconisé. Ils y voient " un S stylisé, selon

une calligraphie proche d’une écriture japonaise au pinceau, et converti en un idéogramme ". Un autre exemple nous est donné par Christian Delorme. Spécialiste de la création de logos, il décrit le logo du Comité Français Contre la Faim en ces termes : « Les deux « F » dos-à-dos traduisent Français contre la Faim, les deux « C » représentent les deux hémisphères et le décalage entre deux mondes, celui qui a faim et l’autre » .

1. 5. 4. Les icotypes

À l’autre extrême, nous rencontrons les logos purement iconiques. Le nom est alors inscrit (en totalité ou en partie) dans une représentation iconique (image ou figure en liaison avec l’article de l’entreprise ou la nature des produits) : Roc, Rhodia, Gaz de France, Kuoni. L’emblème peut ainsi servir à préciser l’origine géographique, le métier ou la philosophie de l’entreprise. Allusif ou arbitraire, il peut se réaliser à travers cinq grandes formes :

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• les figures géométriques (Adidas et ses trois bandes) • les objets ou instruments (Elf et sa pointe de foreuse) • les personnages réels ou imaginaires (Michelin et son bibendum) • les animaux (Caisse d’épargne et son écureuil) • les végétaux ou minéraux (Air Canada et sa feuille d’érable) Ces symboles peuvent aller des formes les plus figuratives – un bonhomme pour Michelin, un cheval pour

Ferrari, un lion pour Peugeot, un crocodile pour Lacoste, une coquille Saint-Jacques pour Shell, une fleur pour Yoplait, etc. – aux formes les moins figuratives, les plus abstraites – une croix pour Mercedes, une pentastar pour Chrysler, etc. C’est également le cas de formes plus originales, comme les chevrons de Citroën (représentation stylisée de la denture particulière des engrenages, qui firent la renommée de Citroën) ou le losange de Renault (symbole des calandres pointues des voitures du début du siècle). C’est enfin à Nike que revient la palme avec son Swoosh, généralement interprété comme une virgule, mais qui représente en réalité les ailes de la déesse grecque Nike (le mot " nike " signifie " victoire " en grec). Cet icotype a un tel degré d’universalité qu’il peut servir à lui seul de publicité

l’importance de l’adéquation entre le visuel retenu et la mission de l’entreprise. Choisir l’image stylisée d’un

oiseau pour une compagnie aérienne peut être tentant, mais risque d’être trop largement inscrit dans les conventions pour pouvoir profiter d’un impact tangible, une, une réelle mémorisation, une résonance discriminatoire… À l’inverse, l’intérêt primordial des icotypes est d’instituer presque naturellement son internationalisation.

1. 6. Logo et relation au modèle

Comme tout signe, ce qui signifie entretient avec son modèle des relations que les sémiologues se sont efforcés de distinguer et de classer ; selon la classification de C. S. Peirce

1. 6. 1. Arbitrarité et motivation

Arbitraire : la forme du Sa est indépendante de celle du rèf. ; le rapport du signe à son objet est établi par pure convention.

Motivé : forme du Sa est déterminée par celle du rèf.

Ex. : la plupart des signes : la langue, la symbolique des couleurs, celle des fleurs, sont arbitraires La direction indiquée par la girouette la photo, les traces de pas sont des signes motivés.

Il existe deux sortes de motivations : la motivation par contiguïté (girouette) et la motivation par ressemblance (photo).

motivé arbitraire Indices symboles Icônes Signes (au sens strict)

Un objet n’a pas de statut sémiotique préétabli, ils ne sont ni motivés, ni arbitraires en soi.

Ex. : /rouge/ : icône si une tomate ou un poivron, symbole si code de la route (« danger »). Dessin de fourchette : icône, mais symbole si dans un guide de restauration. Photo du Che : icône, symbole de la révolte, index, car elle renvoie à une réalité historique (cf. pub). Motivation : différents types de motivation : extrinsèque entre le signe et la réalité

extralinguistique (ex. : entre le logo et l’entreprise ), intrinsèque entre le Signe et les autres

éléments relevant de la même sémiotique (le logo et le nom de l’entreprise) .

1. 6. 2. Typologie

Il y a variation dans la terminologie. Les catégories ne sont pas étanches : un signe peut être un indice, mais aussi une icône, certaines icônes

peuvent jouer un rôle symbolique. C’est un modèle théorique et non empirique.

1. 6. 2. 1. Indices Signes motivés par contiguïté Ex. : fumée pour feu, bruit du verre brisé pour une bêtise, trace de pas dans la neige, bronzage pour le soleil, trace blanche pour les lunettes, mousse pour l’humidité, chaleur d’un lit rappelant l’adultère, odeur de brûlé pour « plat loupé ». On appelle indice tout élément visuel ou non qui entretient un rapport de cause à effet avec l’idée ou l’objet auquel il renvoie. Certaines images sont fortement indicielles, et le logo l’est par définition, puisqu’il renvoie à l’entreprise ou la marque à laquelle il est associé.

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Mais au delà, il est des logos dont la forme matérielle, le Sa sont des indices : la pointe de foreuse de Elf, la calandre de voiture Renault. Les logos reprenant les noms des marques par abréviation sont des indices (Volkswagen). 1. 6. 2. 2. Icônes Signes motivés par ressemblance.

Ex. : photocopie, image, image dans le miroir, plan de l’architecte, carte géographique, plan d’une ville, maquette d’avion, contrefaçon vestimentaire, bruitage au cinéma, imitation des bruits, onomatopées, L’iconicité d’une image consiste dans le degré de similitude qu’elle entretient avec l’objet qu’elle tend à représenter .

Il serait raisonnable de considérer des échelles de motivation : le dessin est moins motivé que la photo, la photo noir & blanc est moins motivée que la photo couleur, etc.

Mais, un signe totalement motivé se confondrait avec le référent (trompe l’œil, cf. les appeaux). De ce fait, il ne s’agirait pas un signe, puisque le signe est quelque chose de mis à la place d’autre chose. => même motivé, un signe renferme une +/- grande part d’arbitraire

Les logos Woolmark qui représente une pelote de laine. Cette relation peut être entre le nom de la marque et l’institution/marque : le chameau Camel, le jaguar de

Jaguar, la vache (qui rit) de La Vache qui Rit., l’araignée de Spider, le Mammouth de Mammut, Shell et le coquillage. 1. 6. 2. 3. Symboles Signes arbitraires.

Ex. /noir/ pour « deuil », /blanc/ pour « pureté », /vert/ pour « soucis de l’environnement », /croissant/ pour « islam », /cochon/ pour « saleté », /balance/ pour « justice.

N’importe quoi peut être un symbole, car ils peuvent être très socialisés. Le symbole est un signe codé qui peut ne présenter aucune similitude avec ce à quoi il réfère ; il peut aussi présenter certains degrés de similitudes (comme les hiéroglyphes égyptiens).

L’écureuil, symbolise l’épargne, le Swooch Nike qui symbolise la victoire, le CFCF. Par définition, un logo est symbole, puisque c’est arbitrairement qu’il a été décidé qu’il

représentait l’entreprise, la marque ou l’institution auquel il renvoie. 1. 6. 2. 4. Signes au sens strict (catégorie non peircienne) Arbitraires

La plupart des signes linguistiques, mais aussi les N° de téléphone. Les logos reprenant les noms de marque : Coca cola , Newman

Si l’on s’attache à la stricte forme du logo, son Sa, on peut définir les relations suivantes : Les logotypes simples signes Les logotypes complexes symboles Les logotypes siglotypes indices Les icotypes icônes

De fait, les difficultés à interpréter les logos, mais tous les signes en général selon les catégories (une trace de pas est l’indice d’un marcheur, mais aussi l’icône de son pied), vient de la difficulté à différencier Sé et référent. L’un comme l’autre sont des entités culturelles, qui divergent en fonction des cultures (cf. Sapi Whorf). Le marketing exploite amplement cette écart entre Sé et Référent : le logo de la caisse d’épargne est une icône d’écureil (référent), qui signifie « épargne et prévoyance » (signifié).

Le contexte pragmatique dans lequel on appréhende un signe nous indique l’usage qu’on veut en

faire, et donc, la catégorie sémiotique dans laquelle on peut le ranger. => C’est toujours un contexte, i. e. un ensemble d’associations particulières qui : en fait un signe de telle ou telle catégorie (icône, symbole, indice, etc.) donne à un objet son statut à l’intérieur du signe (Sa, Sé, ref).

Cf. Harvest Intenational : indiciaire devenu iconique. Le lien de motivation s’étiole avec le temps, l’habitude (l’interprétation ne se fait plus, cf. Carrefour), et le

contexte (difficulté à voir un tracteur en fonction des origines de la personne qui voit le signe).

2. Les critères de qualité d’un bon logo

Pour qu’un logo soit de qualité, il doit d’abord être en adéquation avec les attentes tant de l’entreprise que de ses clients. De ce point de vue, bien que multiples, les significations attribuées à un logo ne sont ni

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aléatoires, ni infinies. Trois critères permettent de mesurer la qualité d’un logo : sa cohérence (1), sa richesse sémantique (2) et sa modularité (3).

2. 1. La cohérence : la polyvalence ne doit pas céder à la cacophonie

La première propriété d’un bon logo est sa cohérence. À le considérer non pas comme un regroupement aléatoire de textes, d’images et de couleurs, mais comme un assemblage répondant à une logique déterminée, le logo constitue une entité unifiée et se suffisant à elle-même. Il doit être identifiable et original, pour être attribué, mémorisé et se soustraire ainsi de la concurrence féroce des autres logos.

« En cas d’opposition ou de confrontation entre deux symboles, celui qui domine est toujours le symbole monolithique, celui qui possède une unité de signification. Car symbole signifie émotion. Et sans émotion, pas de mémorisation ». Le logo doit être perçu avant d’être vu : unique, il doit s’astreindre au dépouillement absolu.

Il s’agit de la syntagmatique du logo : chacun de ses éléments entretient des relations avec les autres. Les relations syntagmatiques mettent en relation des éléments co-présents.

Il existe des règles syntagmatiques qui régissent les combinaisons des signes. le choix de styliser le nom de la marque Coca Cola est concomitant à celui de sa création. Les

courbes sinueuses du nom de la marque sont restées quasiment inchangées en plus d’un siècle. C’est dire qu’avec la couleur blanche sur fond rouge, le style d’écriture est somme toute l’élément le plus marquant de l’identité visuelle de la marque. Ce n’est que dans les années septante qu’un lifting du logo complète le nom-logo par une ruban ondulé, qui chapeaute le nom de la marque en empruntant ses courbes sinueuses. Cet ensemble fait du logo de Coca-Cola un système parfaitement cohérent grâce à sa simplicité : deux couleurs, un nom, une typographie, une courbe.

2. 2. La modularité : prévoir les réaménagements au fil du temps et des cultures

La deuxième propriété d’un bon logo est sa modularité. Tout en mettant en place un système de signes cohérent et contraignant, le logo doit aussi répondre à des qualités de flexibilité, d’adaptabilité et de souplesse.

Tout d’abord, le logo doit s’imposer dans le temps : l’espérance de vie d’un logo varie entre cinq et trente ans selon le type d’entreprise, bien que Coca-Cola (1886), Michelin (1898) et Shell (1904) soient centenaires. Plus il sera intemporel, plus l’entreprise pourra capitaliser en perception, notoriété et mémorisation, s’imposant dans la mémoire collective.

Ensuite, un logo doit pouvoir être décliné sur des supports très variés, tant en taille qu’en qualité de reproduction :

Au final, le logo doit concilier le présent et l’avenir, le ici et le là-bas, le petit et le grand, l’horizontal et le vertical, etc.

Il s’agit de la paradigmatique : un paradigme est l’ensemble des éléments pouvant subvenir à un certain point de l’énoncé, et qui doivent, de ce fait, avoir un ou plusieurs points en commun. Ces éléments ne sont pas co-présents dans le syntagme. L’ensemble qu’ils forment est une simple potentialité.

la modularité est la qualité la plus caractéristique du logo Coca-Cola. Ce dernier frappe en effet par son intemporalité, puisqu’il a traversé le XXe siècle sans prendre une ride. Même son lifting le plus important, dans les années septante, n’a pas touché à ses traits originaux. Plus que sa modularité temporelle, c’est sa capacité à rester moderne qui surprend.Ses traits forts en font un logo étonnamment flexible d’une culture à l’autre. Le fait que sa traduction soit possible dans une vingtaine de langues prouve que ce dernier ne constitue plus un texte, mais un système autonome stabilisé à l’extrême.

Les classes paradigmatiques sont homogènes ; l’homogénéité est définie par le fait que ces éléments peuvent apparaître au même endroit d’un syntagme donné ; deux unités peuvent être substituées l’une à l’autre, et l’énoncé reste le « grammatical », i. e. conforme au code.

Lorsque l’un de ses codes est modifié, les autres invariants prennent le relais pour garantir sa reconnaissance : la traduction dans des langues étrangères, l’impression en noir-blanc, l’inversion du code chromatique (Coca-Cola Light), le découpage et même la transmutation ne remettent jamais en cause la reconnaissance du système.

Voir logo Danone.

Les invariants du logo Coca-Cola lui permettent une traduction dans plus de vingt langues sans risques d’échec dans l’attribution.

Le découpage ne compromet en rien la reconnaissance du logo et son attribution. Même la transmutation du nom de la marque n’entame pas son attribution.

Le besoin d’invariants forts est d’autant plus important pour Coca-Cola depuis qu’il propose une gamme élargie de produits (1975), dont le Coke sans caféine, le Diet Coke ou encore le Cherry Coke, le Vanilla Coke. Ainsi, Coca-Cola a pu sans autres inverser son chromatisme (rouge sur fond blanc à blanc sur fond rouge) pour illustrer son produit " light ", le Diet Coke. Chaque sous-logo doit être en mesure de témoigner à la fois de son appartenance à la marque mère et de sa singularité.

L’exemple Coca-Cola démontre ainsi comment un logo doit en même temps pouvoir être décliné dans le temps (évoluer), dans l’espace (selon les supports), dans l’aire géographique (selon les cultures, les langues, etc.) et dans le marché (entre marques et sous-marques).

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Accepter que le logo soit une figure identitaire suppose la coexistence de facteurs de permanence et d’innovation dans la gestion de l’identité visuelle.

Ce fait est lié à la solidarité du syntagme et du paradigme : le syntagme garantit l’homogénéité

du paradigme. L’homogénéité du paradigme est définie par le fait que ces éléments peuvent apparaître au même endroit d’un syntagme donné.

C’est par les invariants (couleurs, ruban, opposition chromatique, graphie) et la combinaison

syntagmatique de ceux-ci que le logo peut être décliné. Variant/paradigme Invariant/syntagme Nom Couleurs, ruban, graphie Alphabet Couleurs, ruban, Couleurs (Diet Coke, Vanilla Coke) Graphie, ruban, langue, oppositions chromatiques L’homogénéité du paradigme n’existe pas en soi, comme le montre le tableau précédent. Le paradigme n’existe que parce qu’il est en rapport avec des syntagmes donnés.

2. 3. La richesse sémantique : canaliser les indésirables de l’originalité.

La troisième propriété d’un bon logo est sa richesse sémantique endiguée : tout ambiguïté ou source de confusion peut conduire à la dérive. Si le logo doit répondre aux attentes de différents publics (dirigeants, salariés, actionnaires, clients, etc.), rivaliser avec les logos concurrents et, enfin, incarner les valeurs primordiales de l’entreprise, il doit aussi véhiculer certaines valeurs sans communiquer les valeurs opposées. En d’autres mots, rechercher une pacification sémantique.

Le logo de Procter & Gamble a dû être modifié après que des rumeurs ont prétendu que ce dernier comportait des messages subliminaux sataniques.

La mésaventure de Procter et Gamble est, à cet égard, édifiante. En 1980, une rumeur est née aux Etats-Unis, selon laquelle la firme aurait recours à des messages subliminaux sataniques pour renforcer ses ventes. Son logo représentait un vieillard en forme de croissant de lune, contemplant treize étoiles réparties dans un ciel sombre. Or, des esprits mal intentionnés virent dans les plis de la barbe le nombre 666, nombre satanique par excellence. Le nombre 13, empreint de superstition, a encore aggravé la situation. La firme a finalement abdiqué en changeant son logo, après 5 ans de procès et des pertes financières chiffrées en millions.

La simplicité du logo Coca Cola lui garantit une enclave sémantique. Certes, tant les couleurs que les formes peuvent suggérer diverses valeurs connotée. Mais ce sont plus les valeurs construites par les actions publicitaires que le logo lui-même qui sont à l’origine du foisonnement sémantique du ce dernier.

Orange, entre permanence et changement : les invariants. Un logo n’est pas en assemblage d’éléments mis en relation de manière aléatoire. Plutôt que de le considérer comme une entité monolithique, il convient de le penser en termes

systémiques. logo est « un ensemble d’éléments interdépendants qui prennent sens par les relations

fonctionnelles qu’ils établissement entre eux ». Il s’agit de se départir d’une vision fixiste du logo, qui le considérerait comme une entité de signification

figée. Un logo doit se faire équilibriste entre une volonté de permanence et une manifestation de changement.

Lorsqu’un logo est défini avec précision, tous ses éléments, qu’ils soient textes, images ou couleurs, sont clairement arrêtés. Cette systématique permet de jouer sur ces invariants, contraignants mais non involutifs. Analyser une identité visuelle oblige donc à dégager les éléments de sa grammaire visuelle.

Selon Gérard Caron, la « hiérarchie des outils d’expression visuelle […] sont, dans l’ordre et d’abord, la couleur, suivie de la forme et du mot et enfin du nombre ». Le logo emblématique de l’opérateur Orange Communication peut servir d’illustration .

Le logo de la marque Orange est en parfaitement adéquation avec son nom, sa mission et sa

philosophie.

a. Orange a opté pour des classes de socio-styles, alternative qui se reflète dans les trois « outils d’expression visuelle » : couleur, forme et mot.La couleur orange étant apaisante et équilibrante, elle a permis à Orange de s’opposer au stress généré par la technologie. Elle est aussi une couleur spirituelle (bouddhisme), en parfaite adéquation avec l’image écolo-mystique investie par la marque. Substitut du soleil, de la lumière, conviant l’idée de liens chaleureux, de mise en contact entre les hommes, elle s’adapte parfaitement à un opérateur de téléphonie mobile.

b. « La forme induit des émotions, des attitudes ou des comportements d’achat spontanés difficiles parfois à modifier » . Il suffit de penser au domaine automobile pour percevoir l’importance de la forme : les réussites commerciales d’une Coccinelle ou d’une 2CV sont d’abord dues à leur forme originale et à contre-courant. À côté des formes primitives, comme le cercle, le carré et le triangle, existent des combinaisons comme la croix, la spirale, l’ovale, et plus généralement, la verticalité et l’horizontalité.Les « formes primitives ont l’énorme avantage d’entrer en contact direct avec la culture capitalisée inconsciemment par l’homme depuis des millénaires ». Le carré est le symbole de la chose achevée. Il représente l’unité solide qui transcende le temps. Il est le

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symbole des quatre points cardinaux et, plus largement, de l’universalité. Solidité et universalité du carré conviennent pleinement à une firme qui se veut leader en communication.

c. Le mot, désignant l’entreprise ou le produit, permet enfin l’échange communicationnel : il permet sa reconnaissance et sa valorisation, autrement dit son existence. Pour Gérard Caron, « à la différence de la couleur et de la forme qui sont des langages innés, la reconnaissance d’un mot implique l’apprentissage de la lecture ». À l’instar d’un Apple ou d’un Sony, facile à prononcer dans toutes les langues, le choix du nom Orange a été dicté par sa vocation internationale : ce mot est identique à l’écriture dans de nombreuses langues et reprend son premier invariant, la couleur. Cette logique implacable va même plus loin, puisque l’orange, couleur de l’avenir et de la lumière, relaye l’idée forte du slogan de marque : « The future is bright. The future is orange » ". La boucle est bouclée.

2. 4. Pour conclure : le test de la fragmentation

Comme le rappelle Christian Delorme, « le logo caractéristique, pertinent, original, spécifique, ne rappelle aucun autre logo. Il est percutant, crée l’émotion, force la communication et anticipe le besoin ». Après avoir mesuré sa cohérence, sa richesse sémantique et sa modularité, pour vérifier ultimement sa spécificité, il est possible de recourir au test de la fragmentation monochromatique. : cela consiste à sélectionner un fragment du logo dans sa version noir-blanc et d’en évaluer son degré de reconnaissance et d’identification (cf. tranparent).

L’importance des invariants : le chromatisme Si le chromatisme peut être d’une importance capitale dans la qualité esthétique d’un logo, il ne faut jamais

perdre de vue qu’un logo doit conserver ses qualités de reconnaissance et d’identification lorsqu’il est en noir-blanc. Les graphistes conseillent même d’opérer les premières recherches en noir et blanc, privilégiant de la sorte la forme à la couleur : une faiblesse de conception ne sera pas sauvée par la couleur !

Cela dit, chaque marque s’associe à une couleur précise, comme autant de codes chromatiques inscrits dans la mémoire collective : Rouge Marlboro, Auchan, Coca-Cola, 24Heures, Ferrari, Alfa

Roméo, Virgin Orange Orange communication, Le Matin, Coop, Veuve Cliquot,

Hermès, Bic, EasyJet Jaune Kodak, Shell, Poste Vert Benetton, Perrier, BP, Seven Up Bleu , IBM, Gauloises, ONU, Pepsi-Cola, Nivéa Violet Waterman, Milka

Ce tableau, pâle reflet d’une réalité sans limites, pâtit encore de l’absence des non-couleurs, le noir et le

blanc, d’une richesse symbolique inépuisable, et des différentes nuances L’importance du chromatisme est tel que Pepsi, pour concurrencer Coca, a tenté de modifier les codes

chromatiques lié au cola (rouge-blanc). Une publicité Pepsi est révélatrice de cette tentative de coup de force chromatique. Ce ne sont plus des marques de sodas qui s’affrontent, mais des marques-couleurs, des codes chromatiques à prétentions universelles.

Le chromatisme fait partie de ce que l’on appelle les signes plastiques (vs signes iconiques). Le signe plastique mobilise des codes reposant sur les lignes, les couleurs, les textures, prise indépendamment d’un quelconque renvoi mimétique. Contrairement aux Sa iconiques, les Sa plastiques ne sont pas des unités discrètes.

C’est parce que leurs Sé sont souvent des classes floues que le rapport entre Sa et Sé plastique est plurivoque.

3. Le logotype : du bricolage au détournement

En publicité, les logos peuvent rencontrer des récupérations originales qui leur donnent un statut autre qu’une simple signature.

3. 1. Le logo dans tous ses états : isotopie et redondance

D’aucuns pensent que le logo est voué à un rôle de signature, de préférence dans le coin inférieur droit de la publicité. Mais peut-on vraiment croire que ce dernier se confine uniquement à ce rôle ? Dans le monde de la publicité, le logo connaît toutes les transformations. Le fait qu’il doive être déclinable dans le temps, les espaces médiatiques, les cultures et les marchés, sert la création.

L’utilisation originale d’un logo, souvent le fruit d’une relation fonctionnelle entre ce dernier et une autre unité de la publicité, se manifeste de différentes manières et révèle diverses stratégies.

3. 1. 1. Le logo intégré.

La publicité New Man est entièrement structurée autour du logo de la marque. Celui-ci a été créé par R. Loewy pour être lisible dans les deux sens. Ainsi, quelle que soit la position du vêtement, le logo est lisible. Ici, cette lisibilité du logo est réinvestie pour souligner la polyvalence de la marque en termes de vêtements : urbains ou plus adaptés à la campagne, habillés ou détendus . L’homme moderne (« new man ») s’adapte à toutes les situations, et possède diverses facettes.

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Isotopie : itérations d’unités linguistique (ex. : les chevaux hennissent ; Bergère, oh Tour

Eiffel : isotopie des traits de la verticalité ; isotopie de l’italianité de la publicité Panzani).Un

énoncé dont la redondance des traits assure l’homogénéité du sens est dit isotope.

La publicité souligne cette idée par une isotopie de la symétrie : Moto vs cheval => modernitévs tradition ; urbanité vs nature Symétrie verticale de l’image Symétrie diagonale des coins métalliques présents sur les poches des jeans de la marque Une publicité Diamir – fixation pour ski de randonnée – pousse ce fonctionnement à l’extrême. Le logo et

l’illustration répondent aux mêmes invariants chromatiques : blanc, bleu et vert. Les deux flèches du logo sont relayées par le mouvement du skieur et par le slogan d’accroche (" Two-in-one "). Enfin, le nom de la marque se retrouve dans le visuel. Une série de correspondances unit ainsi le logo au visuel.

Outre les yeux, d’autres parties du corps servent aussi de relais au logo, souvent par le biais de tatouages ou de piercings. (Fusalp) affiche en tatouage le logo de la marque. La cohérence d’ensemble est régie par le relais du slogan : « Le sport dans la peau » .

La publicité appartient à la catégorie des discours pluricodes (texte et image, signes visuels et signes linguistiques). Pour qu’il y ait un discours pluricode, il faut qu’une certaine convention (un code), nous amène à considérer les divers éléments comme constituant un tout.

=> Une des fonctions du discours pluricode est d’élever le taux de redondance de l’énoncé : c’est sa

fonction sémantique. (Mammut). Dans le discours pluricode, certains signes servent de connecteurs à d’autres signes. Ainsi, dans

la publicité, une partie du message verbal sert à mettre en liaison le reste du message verbal avec le message iconique (Diamir, Fusalp). Ce sont les interactions syntaxiques.

Certains logos sont pluricodes (les logo complexes) : les logos Mammut, Camel, Spider sont de ce type.

La publicité Mammut, contrairement à la plupart des publicités, où le logo se superpose à la publicité sans logique apparente, systématise les liens entre constituants et logo : rondeur, rouge-noir et défenses du logo sont incarnées dans le visuel par les lentilles rouges et le piercing. Un rapport étroit s’établit ainsi entre les éléments forts du visuel (yeux, piercing) et le logo.

3. 1. 2. L’itération du logo.

Le logo forme un tout avec le nom de la marque et son slogan. Or, ces éléments ont pour caractéristique intrinsèque l’itération, puisqu’ils sont reproduits sur de longues périodes et sur des supports très variés. Mais le logo peut aussi connaître une autre forme de répétition., de redondance Une publicité Volkswagen décline, sur un espace réduit, trois formes de son logo : une première en signature, une seconde sur le capot du produit représenté, incarnant le nez d’un visage souriant, et enfin une troisième, représentation tronquée en arrière-fond. Cette dernière représentation confirme la qualité fondamentale de reconnaissance de ce logo, puisqu’il supporte aisément le test de la fragmentation.

Dans une logique semblable, une publicité Opel intègre son logo au visuel. L’idée de cercle est récupérée pour symboliser l’universalité de la marque et incarner le cercle fermé, traduisant visuellement la stratégie de fidélisation à la marque. On notera au passage que le nom de la marque, signature mise à part, apparaît sept fois entre le slogan d’accroche, les textes du visuel et le pavé rédactionnel.

3. 1. 3. La starisation du logo.

L’usage systématisé du logo, lorsqu’il est poussé à l’extrême, devient l’élément unique du visuel. À l’instar de l’incontournable Swoosh Nike (qui peut paraître en solitaire dans une publicité).

De manière similaire, lorsque le logo profite d’une notoriété mondiale, il peut devenir la star incontestée de la publicité, phénomène prévalant dans une publicité Michelin, où Bibendum, personnage publicitaire le plus célèbre au monde, se suffit à lui-même.

Le logo peut aussi servir les distributeurs. Une publicité SportxX recourt aux blocs logo-marque pour dessiner les formes d’une coureuse. Ce sont ces logos qui font la crédibilité du magasin de sport qui possède toutes les grandes marques connues.

3. 1. 4. Le logo comme métaphore.

Le logo peut être découpé, répété, imité, etc., mais surtout une partie de ce dernier, généralement son invariant iconique, peut servir de relais symbolique ou métaphorique, comme un nez dans le cas de la publicité Volkswagen.

Une publicité Cébé fait de son logo l’essence même de l’évolution de son produit : les lunettes de soleil. La marque opère ainsi le coup de force d’instaurer un lien direct entre le logo et le produit (là où il n’y en avait aucun). Le slogan « Evolution » sert ici de relais à la métaphore : les lunettes CB sont le stade ultime de l’évolution de la technologie de la lunetterie.

L’utilisation originale d’un logo est en définitive le fruit d’une relation fonctionnelle entre de

dernier et une autre unité de la publicité : un slogan ; un visuel ; un produit.

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3. 2. L’évolution du/des logo

La généalogie des logos de Renault est en opposition avec le travail des publicitaire pour les lunettes CB. En effet, l’évolution du logo Renault montre la transformation du statut sémiotique du signe : symbolique (les initiales), puis iconique (la voiture, le char), de nouveau indiciaire (la calandre) évoluant de plus en plus vers le symbolique.

Les spécialistes s’accordent pour conseiller de partir de la pratique du bricolage, qui consiste à adapter les invariants du logo au fil du temps et des variations cultures. Certains invariants seront conservés, d’autres seront modifiés, d’autres pourront même être supprimés.

Ainsi, Renault conserve la forme circulaire, puis la calandre, puis le losange. Ils reflètent aussi bien les changements que la permanence de l’entreprise, tout en se faisant les témoins de

l’évolution esthétique contemporaine.

3. 3. Le démarcage : les relations d’opposition

Outre la métaphore, comme l’indique son étymologie grecque (logos = discours), le logo synthétise aussi un univers discursif. De ce fait, le logo réunit deux histoires.

L’histoire de la marque d’abord, par l’évolution de son logo, ou de ses logos. L’histoire, ensuite, du rôle ou du programme que s’attribue l’entreprise.

Par exemple, à l’opposé de Coca-Cola, qui s’institue comme leader du marché des sodas, Virgin s’affirme comme alternative anticonformiste, à l’image de son fondateur, Richard Brandson. (et garde le même code couleur en variant la graphie).

IBM contre Apple Comme nous l’avons suggéré, le logo est d’abord un système d’identification nécessaire dans un marché

concurrentiel. La pomme Apple se faisait au début le contrepoint, l’alternative au monde IBM (arbre). À son origine (1956), le logo IBM avait été conçu à partir de trois lettres en typographie égyptienne

retravaillée, pour constituer un bloc unitaire (on notera tout particulièrement l’empattement dissymétrique de la lettre M, et les deux " yeux " carrés du B). Cette typographie incarne la puissance et la régularité. Ce n’est qu’en 1962 que Paul Rand, auteur du logo, le fait traverser par des bandes horizontales (le nombre peut varier selon le support), lui donnant ainsi son aspect contemporain. Selon Jean-Marie Floch, " le graphiste souhaitait doter le logo d’une plus grande force d’impact et en faire l’expression de la rapidité et de l’efficacité ". La puissance de ce logo est décuplée par son caractère monochromatique, le bleu constituant la couleur " institutionnelle " de la marque, à tel point qu’IBM est également connu sous le nom de " Big Blue "…

Le logo Apple a connu une tout autre histoire. Conçu en 1977 par Rob Janov, il provient d’une idée

antérieure, un logo représentant Newton sous un pommier (1975). Dès l’origine, c’est donc tout un programme qui est convoqué. La réduction de cette idée originelle à la seule pomme tisse un nouveau réseau de sens :

• La pomme est en parfaite adéquation avec le nom de la marque. • La pomme croquée évoque, dans un pays fortement inscrit dans la tradition judéo-chrétienne, le péché

originel, un objet de tentation et de désir, de refus des règles et des conventions. • La pomme fait aussi référence à la " Big Apple ", New York, symbole de la créativité et de la réussite. • Son caractère multicolore (couleurs de l’arc-en-ciel dans le désordre) évoque lui aussi un épisode de la

Genèse : suite à l’épopée de Noé, il symbolise la volonté de Dieu de ne plus détruire l’humanité. Mais l’arc-en-ciel incarne plus généralement à la fois la voie d’accès au savoir et le lien entre la terre et le ciel, chemin emprunté par les anges.

• Enfin, la complexité chromatique souligne la qualité d’exécution, nécessitant à l’époque un savoir-faire d’impression hors du commun.

Au final, en renvoyant le lecteur à Jean-Marie Floch pour une analyse plus approfondie, on peut résumer de

la sorte les oppositions entre les deux logos : IBM Apple code linguistique code iconique mono bloc courbes monochrome multicolore couleur froide couleurs chaudes symbolisme pauvre symbolisme riche

Jean-Marie Floch y voit une volonté d’Apple de se positionner face à son concurrent : « En adoptant la

pomme croquée Apple désigne clairement son adversaire, et avoue son ambition. Avec un véritable logo, simple et fort, avec la reprise du motif des rayures et l’inversion systématique des invariants plastiques d’IBM, Apple se met littéralement face à « Big Blue » , comme en position de défi. ». Le logo IBM incarnerait la qualité des services alors que la pomme Apple évoquerait la liberté et la convivialité. Ces deux logos fonctionnent comme des concurrents sur le marché informatique. Ils participent tous deux à la traduction visuelle de l’histoire de l’informatique et produisent simultanément un discours sur l’informatique, sur la manière de la comprendre, de la percevoir.

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Le sens se construit sur la notion d’opposition : il n’advient qu’à travers des différenciations structurantes. (la petitesse ne s’appréhende que dans sa relation à la notion de grandeur ; en morse, le point n’existe que par l’existence du trait).

La valeur d’un élément dépend des relations qu’il entretient avec les autres éléments (qu’ils soient physiques ou conceptuels). La valeur d’un élément est d’abord négative : elle se définit parce ce qui n’est pas elle.

(a) Apple IBM (b) (non b) Innovation Tradition (non a) Liberté Service a-b : relation de contrariété, non a-non b : relation de subcontrariété a-non a et b-non b : relations de contradiction a- non b et b-non a : relations d’implication.

3. 4. Le détournement des logos : isotopie et allotopie

Les qualités de déclinaison sert aussi au détournement des logos par les groupes anti-mondialisation ou anti-capitalisme. Toutes les grandes marques subissent ainsi des détournements se basant sur les mêmes principes de recyclage des invariants : Nike voit son Swoosh cassé ou transformé en une croix qui n’est pas sans rappeler la croix gammée ; le chameau de Camel se transforme en squelette ; le casque de Gauloise se réduit en tête de mort.

Une contre-publicité récupère l’ensemble des codes de la marque Darty. Formes et couleurs – les invariants du logo – sont conservées. Seuls changent discrètement le nom et le slogan de marque, qui passent respectivement de « Darty » à « Dirty » (« sale ») et de « Le contrat de confiance » à « Le contrat de conscience » (cf. Auchan, Calvin Klein). La force du détournement est de parvenir à conserver une attribution semblable à celle du logo original, tout en communiquant d’autres valeurs.

C’est par la redondance des traits syntagmatiques (logo, quasi-homonymes et slogan, comme dans le cas de Auchan, Darty) que l’on reconnaît la marque.

La redondance crée une attente, puisqu’elle implique un élément du paradigme ; elle suscite l’attente d’une unité appartenant à un paradigme donné.

Dans le cas du détournement, cette attente est trompée : Dirty et non Darty, conscience pour confiance,fuck pour Ford ou Fnac, vodka pour Nokia (connecting people).

Quant cette homogénéité du sens n’est pas assurée, que l’isotopie est rompue, l’énoncé est dit allotope.

3. 4. 1. Les quatres stades de la production de figure

La première étape est l’identification de l’isotopie de l’énoncé. Pour Auchan, c’est la consommation (Caddie, marque, objets).

Mais on constate une allotopie (le rouge gorge mort, l’air déprimé de la consommatrice). Il y a violation des règles de combinaison : une femme déprimée et non une ménagère heureuse de consommer, un oiseau mort plutôt qu’un rouge gorge. En d’autres termes, une dysphorie au sain d’un discours par définition euphorique.

Cette allotopie peut être résolue au nom du principe de coopération : on associe le degré perçu « femme déprimée » au degré conçu « femme enjouée » et « oiseau mort » à « oiseau vivant ».

Puis on calcule la relation dialectique entre « femme déprimée » et « femme heureuse de consommer », « oiseau mort » et « oiseau vivant ». On projette les éléments issus de la représentation du perçu sur la référent du conçu. La consommation chez Auchan, ce n’est pas la vie (mais plutôt la négation de la vie)« La vie, la vraie » prend alors un autre sens (la réalité que la pub nous cache).

3. 4. 2. Les trois niveaux

il s’agit d’un phénomène rhétorique : Le niveau porteur (porte sur une unité, n) « porte » la figure ; c’est celui de l’oiseau mort, de la

femme déprimée. Il ne correspond pas au type stabilisé dans la communication publicitaire en raison de son caractère dysphorique.

Le niveau révélateur (porte sur un contexte plus vaste, n+ 1)est le contexte qui permet de définir l’isotopie de la consommation ; c’est aussi toute la charte graphique des publicités Auchan. C’est cet ensemble qui permet d’identifier l’allotopie dysphorique, mais aussi de la partie de l’énoncé qui fera l’objet de réévaluation rhétorique.

Le niveau formateur (inférieur à l’unité, n-1) est essentiellement au sein du logo. On constate que l’opération rhétorique porte sur des éléments de rang inférieur à l’unité : ce n’est pas l’oiseau qui induit la lecture rhétorique, c’est le fait qu’il soit mort. De la même manière, la publicité Calvin Klone n’est perceptible en termes de parodie que par le changement d’une lettre. Dans ces deux cas, les publicités sont très proches des publicités plagiées. La publicité Dirty, qui, à l’inverse, est très éloignée du code graphique et visuel de la marque est également interprétable grâce aux modification linguistiques.

Conclusion : La parodie de pub n’est donc pertinente et fonctionnelle que pour qui connaît la publicité critiquée. On peut donc dire qu’elle favorise la culture publicitaire. C’est le pouvoir d’identification du logo à l’entreprise qui autorise la lecture rhétorique des publicités parodiques

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E 41 MCM

Sémiologie du langage publicitaire

Introduction générale Traits pertinents et sémiotisation Le signe comme interprétant Le code

1. Approche globale de l’image

1. 1. Une typologie des publicités

publicités référentielles / mythiques / substantielles / obliques

1. 3. Expression et contenu

2. Approche méthodique de l’annonce publicitaire

L’image publicitaire et ses fonctions : • Une fonction implicative • Une fonction esthétique

2.1. Les signes plastiques

2. 1. 1. Les effets photographiques

Les angles de prise de vue : Les effets de perspective et de profondeur de champ. L’éclairage de la photo

2. 1. 2. Le cadrage

L’index L’échelle de plans

2.2. Les éléments iconiques

Le visuel Le pack shot

2. 3. Les éléments linguistiques

• Le slogan d’accroche (titre, accroche, head line), • Slogan d'assise (base line) • Le slogan de marque (ou corporate). • La signature : c’est le nom de la firme, de la marque ou de la griffe.

o Le nom de la marque est à proprement parler la signature de l’annonce. o le logo constitue, avec le nom de la marque, la signature de l’annonce.

• Le rédactionnel (pavé rédactionnel) D’autres éléments, plus marginaux, se rencontrent cependant dans certains types d’annonce, comme les coupons de commande ou de participation à des concours, ou, plus localement, l’indication de nocivité du tabac ou des dangers de l’alcool.

• Enfin, les « satellites » sont les éléments, mi-textes, mi-images, de plus ou moins faible superficie, qui s’égrainent sur l’annonce.

2. 4. Analyse du message publicitaire

2. 4. 1. Les deux types de contraintes du message publicitaire

— Les contraintes fonctionnelles : — Les contraintes linguistiques

Effet de balance progression régulière d’un nombre de syllabes valorisation des positions extrêmes tant au plan phonique que syntaxique,

antonymie.

� Les slogans publicitaires comportent souvent des jeux de mots, ou des jeux sur la substance phonique, qui peuvent parfois souligner une construction binaire, ce qui augmente sa capacité mémorielle.

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� Il est souvent composé de mots abstraits indéterminés, qui peuvent être investis par le spectateur en raison de leurs pluralités de connotations.

2. 4. 2. La pragmatique du message

• La persuasion : • L’implication • L’accroche :

2. 4. 2. La rhétorique du message

Un discours peut en imiter un autre en suivant deux stratégies : la captation et la subversion : — capter un texte, c’est imiter en allant dans le même sens que lui (slogan qui imite le proverbe), — subvertir un texte, c’est imiter en visant la disqualification de celui-ci. On est dans la stratégie de

parodie. L’imitation peut porter sur deux plans distinctifs : les genres de discours et les textes attestés : • la captation du genre proverbial « se dépasser, c’est essentiel » (RTL). Ici, le slogan a les propriétés

linguistiques d’un proverbe et pourrait s’employer comme tel. La captation d’un proverbe attesté, comme dans le cas de Lee Cooper fonctionne différemment : le public peut sans difficulté retrouver le proverbe capté.

• Pour qu’il y ait subversion d’un genre de discours, il faut imaginer un slogan qui parodierait le proverbe, qui contesterait le genre même du proverbe, tournerait en dérision la sagesse du proverbe. Les médias attaquent rarement ce discours figé, qui a valeur de stéréotype, dans la mesure où la publicité cherche en général à conforter ce genre de stéréotypes. Cependant, dans certains cas de figure de positionnement anticonformiste, ou dans la parodie de pub, c’est possible. « La vie, la vraie », « Le contrat de conscience ».

3. Le rapport texte/image

3. 1. Des relations dialectiques

fonction d’ancrage (fixer le sens), en orientant la lecture de l’image dans la direction recherchée par l’annonceur. Non seulement le langage permet d’éviter des erreurs d’identification, mais de plus, il « constitue une sorte d’étau qui empêche les sens connotés de proliférer soit vers des régions trop individuelles… soit vers des valeurs dysphoriques » : « Donc le langage, par la discrimination qu’il apporte, exerce la fonction paradoxale d’autoriser l’ambiguïté iconique ».

L’ambiguïté iconique de la publicité, peut être résolue par le slogan. Sa deuxième fonction, dite de relais (fournir des sens complémentaires), consiste à apporter au lecteur des

informations supplémentaires (identification des lieux, des personnes…) que ne peut pas véhiculer l’image. Rien à voir ici avec une fonction de relais, c’est l’image qui ancre le sens linguistique dans la

publicité tout particulièrement, les fonctions d’ancrage et de relais peuvent aisément circuler dans les deux sens.

=> Quatre types de messages En croisant les textes et les images à dominante dénotée ou connotée, L. Bardin propose de distinguer

quatre types de messages verbo-iconiques :

CODE ICONIQUE TYPES DE MESSAGES DÉNOTATION CONNOTATION

DÉNOTATION 1. Message informatif 3. Message à légende CODE LINGUISTIQUE CONNOTATION 2. Message à illustration 4. Message symbolique

1. Le message informatif est constitué d’un texte informatif et d’une image rationnelle. Il y a une libre

circulation du sens entre texte et image, les deux constituants venant s’enrichir mutuellement (Boucheron). 2. Le message à illustration est constitué d’un texte subjectif, connoté, et d’une image rationnelle. L’image

ancre le sens du texte, voire le complète.(« Don’t be too square » (Swatch), « Never stop exploring » (The North Face), « Nous protégeons tous vos penchants » (Dainese)).

3. Le message à légende est constitué d’un texte informatif et d’une image symbolique, fortement connotée. Le texte ancre le sens de l’image, ou le complète. (Rossignol Scratch

4. Enfin, le message symbolique est constitué d’un texte subjectif, connoté, et d’une image symbolique, fortement connotée. Ce dernier genre semble, au final, dissoudre le rapport entre le texte et l’image. (Bandit, Rossignol, Ricard « Respectons l’eau »).

Remarques : • Entre ces quatre types “purs” existent des types intermédiaires selon les nuances de degré du

dénotatif (rationnel, fonctionnel, précis, monosémique, etc.) et du connotatif (symbolique, poétique, ambigu, polysémique, etc.) .

• D’autre part, la publicité est confrontée à la double contrainte de devoir séduire tout en informant.Selon L. Bardin, « De la vient son oscillation nécessaire entre le pôle de l’esthétique, de la créativité, de l’affectif, de l’émotionnel et le pôle de l’information et de la précision du sens (…) en matière de publicité, nous pouvons faire l’hypothèse que l’efficacité dépend de la transmission correcte de l’information et de la séduction du message ». La publicité moderne devrait, semble-t-il, privilégier les messages à illustration et les messages à légende. Toutefois, les différents types de produits ne nécessitent pas tous la même part d’information et de séduction.

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• En dépit de sa séduisante simplicité, cette typologie n’explore que les publicités recourant à la fois au texte et à l’image, excluant ainsi les « publicités rédactionnelles » (uniquement du texte) et les « publicités visuelles » (uniquement de l’image, Perrier). Elle ne s’interroge pas non plus sur le rapport quantitatif entre texte et image, qui n’est pourtant pas étranger à la question de la connotation. L’image, par exemple, est parfois soigneusement évitée, soit pour ne pas choquer (l’illustration de certains sujets est prohibée par la morale sociale), soit pour simuler l’objectivité, la dénotation pure.

• De plus, cette typologie ne tient pas compte des différentes formes de textes (slogans, pavé rédactionnel, marque) et d’images (logo, pack shot, visuel), ni du troisième système de signes que constituent les composants plastiques (système chromatique, grain de l’image, cadrage, typographie, etc.) qui eux aussi sont doués d’un pouvoir de dénotation ou de connotation.

• Enfin, Laurence Bardin ne pose pas réellement le rapport texte/image. En effet, celui-ci ne doit pas seulement être pensé en termes de dénotation et de connotation, mais également dans le rapport de l’un à l’autre. Une image et un texte dénotés peuvent produire un message global énigmatique, complexe, ésotérique. Le degré d’opacité d’une publicité ne peut donc pas être mesuré en fonction du seul degré de connotation de ses éléments pris séparément, mais doit faire intervenir le degré de cohérence entre ces différents constituants. L. Bardin le reconnaît elle-même, lorsqu’elle souligne que « l’importance est de saisir que la co-présence de l’un et de l’autre dans un même message ne se traduit pas par une somme (texte + image), mais par une interrelation (texte <-> image), et que de cette interrelation surgit un sens nouveau, supplémentaire.

En fait, L. Bardin cherche à montrer que tant les caractéristiques de l’image que celles du texte ne sont actualisées que dans une lecture individuelle, propre à chaque récepteur du message. Elle met ainsi le doigt sur le fait que la symbolique d’un message peut considérablement varier selon les lectures individuelles : « Chaque récepteur interprète, quantitativement et qualitativement, un message fortement connoté en fonction de son background individuel et social (histoire personnelle, groupe culturel d’appartenance ou de référence, maîtrise des symboles et mythes susceptibles d’être rencontrés dans un message et nécessitant un apprentissage antérieur pour être identifiés) ».

En définitive, l’intérêt de ce modèle réside, selon nous, dans l’exploration des choix disponibles entre publicité purement informative et publicité ésotérique. Il fournit également un outil d’évaluation du degré d’opacité du ou des sens d’une publicité, tout en rappelant qu’à chaque mot, à chaque couleur et à chaque image correspond un tissu de sens dont il s’agit de maîtriser la dispersion et d’évaluer l’impact.

3. 2. Les 6 fonctions du rapport texte/image

P. Léon part d’un constat identique pour s’interroger sur les principes organisateurs de la conjugaison image/texte. En dépassant la dichotomie ancrage/relais, il parvient à distinguer six fonctions différenciées d’étayage du texte par l’image.

• La fonction de confortation est le degré minimal de l’étayage. Entre redondance et développement, l’image a pour tâche de conforter le contenu verbal tout en y infusant des affects, explicitant de la sorte les attendus du texte. En d’autres termes, elle donne une représentation sensible de ce que dit le texte de manière conceptuelle, elle injecte des sentiments, du rêve, etc. (Dreamcast, Boucheron, Sony).

• Dans la fonction d’invalidation, l’image invalide les termes du texte qu’elle illustre en les contredisant, « preuve à l’appui ». Il y a un dédoublement de l’instance énonciative, l’émetteur du verbal n’étant plus le même que celui de l’image. L’image peut aller jusqu’à ironiser sur les termes de l’énoncé verbal. Bien évidemment, cette fonction est réflexive, dans le sens où il est difficile de déterminer si c’est l’image qui ironise sur le texte ou le contraire. (« Its a Great Day », Gore Tex) Il y a un divorce entre ce que l’image montre et ce que le texte dit. La production publicitaire offre cependant des exemples beaucoup plus virulents, où l’ironie devient plus qu’évidente. L’opposition entre le texte et l’image peut même virer au pugilat, à la rupture totale de cohérence entre l’un et l’autre ! (parodies).

• Par sa fonction d’implication, l’image suggère ce qui ne peut être dit sous peine de sortir du “politiquement correct”. Tout en renchérissant sur les propos tenus, elle peut raviver, chez le lecteur, une mémoire iconique enfouie. Cette fonction semble se manifester sous deux formes. La fonction d’hyperbole, très courante en publicité, permet le renchérissement (607). À côté, et sans l’exclure, se profile celle que l’on pourrait qualifier de " fonction suggestive ". Celle-ci implicite les références informulées. L’image a la capacité de raviver chez le lecteur des représentations que le texte ne peut expliciter frontalement, comme c’est le cas des publicités qui jouent avec les règles socioculturelles ou juridiques : le " porno chic ", la publicité comparative, la publicité mensongère, etc. (Sauza).

• La fonction de figuration relève du domaine de la représentation symbolique. L’image a pour tâche de figurer des concepts et des situations, au risque même d’une dérive vers le stéréotype. Ève, lorsqu’elle est stéréotypée, est vêtue d’une feuille de vigne, porte de longs cheveux bruns, et tient une pomme dans la main. Un serpent l’accompagne parfois. (Cutty Sark, BMW).

• Par la fonction d’énonciation, l’image divulgue l’identité de l’émetteur du message. La fonction d’énonciation peut en premier lieu désigner le « slogan phylactère », terme technique donné aux bulles des bandes dessinées, dans lesquelles sont retranscrites les paroles ou les pensées des personnages (Sauza). L’image divulgue l’identité fictive de l’émetteur du message, qui peut renforcer le poids des mots, soit par son caractère public, soit par la nature de son témoignage. Il y a là une véritable volonté d’interpellation qui vise à impliquer le lecteur tout en lui demandant de se reconnaître en tant qu’interlocuteur immédiat. En second lieu, l’image peut mettre en scène le récepteur du message (Cébé, « You are protected »). En troisième lieu enfin, les deux entités de l’interaction, à savoir l’émetteur et le récepteur, peuvent être convoquées simultanément. De ce point de vue, la publicité semble être caractérisée par une confusion quasi systématique entre les instances

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d’énonciation internes (personnages) et les instances d’énonciation externes (annonceur, consommateur). La publicité, recherchant une implication maximale du lecteur face à elle-même, favorise invariablement soit les processus d’identification — où il y a (con)fusion entre instance interne et instance externe —, soit les processus d’interpellation — où il y a une simulation de dialogue entre l’annonce (interne) et le lecteur (externe).

• Dans la fonction d’élucidation, l’image dévoile les procédés poétiques à travers lesquels le texte a été élaboré : jeux de mots, métaphores, etc. Extrêmement rare en presse écrite pour des questions de pertinence, cette fonction est beaucoup plus fréquente en publicité. Là encore il est possible d’affiner la typologie en distinguant deux formes. La première consiste à dévoiler par l’image un procédé poétique du texte. La deuxième inverse le rapport texte/image, le texte venant alors expliciter l’image. (The North Face, Dainese, Rossignol Scrath).

Les fonctions de Paul Léon nécessitent dès lors quelques ajustements. Comme nous l’avons vu, certaines

d’entre elles, notamment celle d’élucidation et d’énonciation, doivent être complexifiées de manière à bien faire apparaître les différents sens qu’elles peuvent prendre selon les cas.

Par ailleurs, si les fonctions de confortation, d’invalidation, d’élucidation et d’implication semblent pouvoir se manifester dans les deux sens, celles de figuration et d’énonciation ne semblent pouvoir aller que dans le sens image -> texte.

L’intérêt de cette approche est de poser la question du rapport texte/image : la co-présence de l’un et de l’autre dans un même message ne se traduit pas par une somme (texte + image), mais par une interrelation (texte <-> image), laquelle engendre un sens nouveau, supplémentaire. La photographie publicitaire recourt par ailleurs à des montages mêlant des images de diverses natures. Il suffit par exemple d’observer le mode d’intégration du produit dans le reste du visuel pour se convaincre de la complexification accrue du rapport texte-image.

En résumé, Paul Léon démontre que si le texte peut étayer l’image, l’image peut à son tour venir étayer le texte. Ses propositions permettent de s’interroger sur la cohérence entre les deux systèmes de signes. L’intérêt de son approche est de poser la question de leur rapport : la co-présence de l’un et de l’autre dans un même message ne se traduit pas par une somme (texte + image), mais par une interrelation (texte <-> image), laquelle engendre un sens nouveau, supplémentaire. Ce principe systémique devrait être automatiquement pris en compte lors de la création publicitaire. Les circulations de sens entre les différents constituants d’une annonce peuvent venir renforcer ou, au contraire, interférer sur le concept qui a guidé la création d’une annonce. L’intérêt de ces six fonctions est de permettre de s’interroger consciemment sur le rôle réellement imparti à chaque élément de l’annonce.

Enfin, il s’agit de ne pas perdre de vue que c’est au lecteur que revient le pouvoir d’activer ces différents rapports texte/image. Le postulat selon lequel la lecture, tant du texte que de l’image, n’est pas une réception passive du sens par le lecteur, impose de penser systématiquement la complexité d’ensemble de l’annonce.

4. Les hyperstructures canoniques

Si le lecteur construit activement un sens toujours singulier de l’annonce, il est néanmoins possible de contraindre en partie son parcours interprétatif. Le sens global passe par les rapports entre les différents constituants, dont l’un des plus importants est sans nul doute le rapport entre slogan et visuel. Mais parallèlement, la structure générale de l’annonce définit des parcours de lecture privilégiés, qui jouent un rôle capital dans le guidage du lecteur.

Douée d’une géographie très particulière, l’hyperstructure publicitaire est avant tout un attrape-regard. Pour amener ensuite les lecteurs à lui trouver un sens dans un laps de temps extrêmement court, ses divers éléments sont subtilement arrangés dans l’espace et distribués de sorte que le regard soit amené vers les surfaces porteuses d’informations clés : représentation du produit, nom de la marque ou encore logo. Or, les messages publicitaires étant rarement parcourus d’un bout à l’autre, l’incorporation d’instructions de lecture vise à compenser ce manque d’attention chronique. Dès lors, si le lecteur construit activement un sens toujours singulier de l’annonce, la mise en page, les proportions, la perspective, l’utilisation des couleurs, des tons, des harmonies et des contrastes, des formes ou encore des polices d’imprimerie, sont autant d’éléments qui vont contraindre en partie son parcours de lecture.

Si la production publicitaire est infinie, elle répond néanmoins à un certain nombre de règles plus ou moins établies. L’observation sur un large corpus suggère ainsi l’existence d’un modèle de base. La partie supérieure de l’hyperstructure publicitaire serait constituée d’un slogan d’accroche chapeautant le visuel. En bas à gauche de l’annonce viendraient se placer le pavé rédactionnel et le slogan d’assise. Enfin, en bas à droite se trouveraient le pack shot, en guise de signature, et le nom de la marque, complétée de son slogan et de son logo :

Si certaines de ces constructions nécessitent plus que d’autres des forts parcours de lecture, quoi qu’il en soit, une bonne annonce se doit d’inviter les regards à suivre des lignes, des courbes, des voies qui devraient idéalement les conduire au produit, à sa marque, à son nom. Tel est le devoir des parcours de lecture.

Les recherches de laboratoire sont encore loin d’avoir donné une réponse définitive sur un hypothétique schéma contraignant l’exploration oculaire d’une page ou plus localement d’une image. À tel point que l’on pourrait se demander si la recherche de modèles généralisables de parcours de lecture n’est pas chimérique.

Selon certains chercheurs, il n’y aurait pas de parcours standard, car les parcours se renouvelleraient selon la nature de l’annonce, le lecteur et les circonstances de lecture. Le parcours, c’est-à-dire la séquence des fixations oculaires, se structurerait plutôt selon le but poursuivi par le lecteur.

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Un certain nombre de constats semblent pourtant attestés : • La plus grande attention serait portée au tiers supérieur gauche de l’annonce. • Le regard se fixerait sur les éléments de l’annonce qui portent le plus grand sens. • Les paramètres affectifs et situationnels auraient une influence sur l’ordre des fixations. La finalité

(informer vs flâner) influencerait la durée et le parcours du regardeur. • L’œil retournerait aux éléments de l’image identifiés comme essentiels et abandonnerait les

éléments jugés secondaires. Il existe quatre modèles de parcours de lecture.

• De nombreuses études ont mis en évidence un parcours de lecture en Z, partant d’un point situé dans le premier tiers supérieur gauche de la page, suivant un parcours en Z, et s’achevant en bas, à droite de l’annonce. Conformément aux habitudes occidentales, dans cette lecture de type scriptural, le lecteur, après avoir parcouru l’annonce selon ce tracé, reviendrait dans un second temps sur d’éventuels éléments qu’il aurait jugés intéressants. Ce modèle semble être privilégié par les maquettistes publicitaires. De plus, sur cet espace réduit qui sert de clôture au parcours de lecture, la marque se démultiplie : le logo, le nom du produit, le nom de la marque et le slogan. Le parcours de lecture se clôt ainsi sur une surenchère de signatures. (Mammut, SportXX).

• Parallèlement à ce balayage de nature scripturale, la publicité se sert d’autres parcours, fondés sur des organisations géométriques. Certaines études ont permis d’observer un parcours circulaire.Le balayage partirait du coin supérieur gauche, ferait un premier tour de l’annonce en rasant les marges, puis un deuxième tour à circonférence plus réduite, et ainsi de suite jusqu’à ce que la surface soit entièrement couverte (Ricard, Opel, Diamir). Ce modèle en spirale peut être généralisé en balayage circulaire, qui peut prendre diverses formes : forme irradiante, privilégié par la géométrie de ses éléments, fusion produit et visuel en composition amalgamée, etc.

• Les parcours en miroir se basent sur la duplication en reflet du visuel et du slogan d’accroche. Ils présentent plusieurs variantes, mais semblent s’organiser principalement autour d’un axe horizontal ou vertical (Swatch). Jouant sur un parcours de lecture par rebondissements (type Ping-pong) (607), ce type de publicités fonde fréquemment son argumentation autour d’un principe de comparaison entre un avant et un après ou un sans et un avec (S. Pérèle). Il peut même emprunter au jeu “ Trouvez les sept erreurs ” sa structure pour établir la comparaison de manière ludique. Les découpages vertical et horizontal peuvent enfin s’imbriquer dans une même annonce et suggérer la réunification de deux extrêmes (New Man).

• Enfin, dans le parcours quadrillé, l’annonce se voit fragmentée en bandes verticales et horizontales (Dainese). Un tel parcours suscite soit une lecture segmentée, soit une lecture démultipliée. Dans le premier cas de figure, l’annonce est structurée à la manière d’une bande dessinée. Dans le second cas, la lecture se voit démultipliée. L’annonce offre alors divers espaces de lecture non reliés entre eux.Le couplage d’espaces quadrillés peut ainsi aller d’une logique indéfectible à une anarchie achevée.

Il existe bien évidemment d’autres archétypes, tirant parti d’autres configurations géométriques. À

l’extrémité inverse, certaines annonces n’hésitent pas à bouleverser les attentes du public en proposant des agencements inattendus. D’autre part, les différents parcours de lecture évoqués ne s’excluent pas mutuellement. Enfin, il convient de rappeler que ces derniers restent des instructions de lecture non contraignantes que le lecteur est libre de suivre, et ce, bien souvent, de manière totalement inconsciente.

L’hyperstructure publicitaire trouve son intérêt ailleurs. Elle oblige à considérer de manière systématique l’annonce publicitaire comme un tout signifiant, constitué d’éléments linguistiques, plastiques et iconiques et, à partir de là, à définir des logiques de lecture, des modèles canoniques, et des rapports entre les différents constituants. Elle devrait permettre, dans un second temps, de s’interroger sur l’ensemble de ses éléments transtextuels.

5. L’évolution de la publicité

Pour G. Cornu, l’évolution de la publicité montre une tendance à l’effacement du texte au profit de l’image, et à la simplification des éléments iconiques, qui se traduit par la réduction de ses attributs, i. e. les figures secondaires porteuses des valeurs du produit.

Cette assertion, déjà ancienne, est contredite par P. Léon (cf. supra).Mais on peut considérer qu’elle est valable pour l’évolution d’un communication de marque (cf. Benetton).

Remarque : cette typologie ne tient pas compte des différentes composantes de l’image, et de leurs interrelations.

Pour G. Cornu, on passe ainsi de l’allégorie à l’emblème : la juxtaposition-collage-composition (cf. supra ; Panzani) fait place un « morceau » d’allégorie, ou à une allégorie condensée offrant l’avantage d’une meilleure mémorisation visuelle (Rossignol Bandit, différents signes de la liberté : skis, pain avec la lime, barreaux, parodie des films d’évasion).

En fixant en une seule forme les valeurs éparpillées sur plusieurs attributs, l’emblème opère un transfert. Une campagne publicitaire habile consisterait à transférer les valeurs contenues dans l’emblème sur l’image de la marque.

Il y a différents degrés de condensation : — lorsque les valeurs sont éparpillées sur des attributs juxtaposés et répartis autour du produit (image

+ nom) (Panzani), — les valeurs sont condensées dans un emblème qui peut se substituer au produit (Rossignol Bandit), — elles sont fixées dans l’image du produit : celle-ci est emblématique ; le produit a acquis une image

de marque, (Boucheron), — l’image de marque n’a plus besoin de la représentation du produit ; le nom suffit à susciter toutes les

valeurs qui lui sont attachées (Volkswagen),

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— le nom lui-même est remplacé par un signe qui rappelle sans le nommer à la fois le produit et les valeurs. Ce signe travaillé est le logo qui agit comme une marque, une signature ; c’est la marque de l’image de marque (Opel).

La progression de la condensation suit le trajet suivant : Allégorie=> emblème=> logo. — Produit + nom + attributs –valeurs juxtaposées (allégorie) (Panzani, Sony), — Produit + nom + objet emblématique (valeurs superposées) (Nokia, Bandit), — Nom du produit + objet (fusion du produit avec un objet emblématique) (Boucheron), — L’objet design ; le nom n’est pas nécessaire ; à la limite, le produit n’est pas nécessaire non plus ; on

vend un emballage, un objet, une marque de reconnaissance (Volkswagen), — Le logo : le produit + le nom remplacé par un signe. (Opel, Michelin). La condensation fait passer d’un mode de représentation figuré à un mode d’écriture. L’image figurative du produit est progressivement remplacée par un signe conventionnel. Nous arrivons en dernier ressort à la création d’une forme qui sera reconnue d’emblée sans avoir besoin d’être lue.

Pour U. Eco (Le signe), est interprétant tout autre signe ou complexe de signes, qui, dans des circonstances adéquates, traduit le premier signe, et ceci, quelque que soit sa substance.

Ex. : — signes du même code (nom et corporate), — signes relevant de sémies utilisant une autre substance (nom et logo), — objet utilisé comme signe (image du produit), — une connotation émotive ou intellectuelle si étroitement associée à ce signe, que, dans le contexte

approprié, elle en devient le substitut adéquat (concept pour la marque, liberté pour une marque de ski).

L’interprétant n’est pas seulement un signe traduisant un autre signe, c’est surtout et dans tous les cas une expansion du signe, un surcroît cognitif induit par le signe initial (image de marque).

5. 1. Le caractère dynamique de l’interprétant

Pour Peirce, un signe (representamen est quelque chose qui tient lieu pour quelqu’un de quelque chose sous quelque rapport que ce soit. Il s’adresse à quelqu’un, i. e., il crée dans son esprit un signe équivalent ou plus développé. Ce signe créé est l’interprétant du premier signe. Ce signe tient lieu de quelque chose : de son objet. Il tient lieu de cet objet, non sous tous rapports, mais par référence à une sorte d’idée : le fondement du representamen.

Le signe est à son tour une relation à trois termes : (1) ce qui provoque le processus d’enchaînement, (2) son objet, et (3) l’effet que le signe produit ou interprétant.

Au sens large, l’interprétant est le sens du signe ; dans une acception plus étroite, c’est le rapport paradigmatique entre un signe et un autre. (marque et logo, par exemple).

� L’interprétant est donc toujours un signe, qui aura son interprétant qui est un signe. Ex. : mot = signe ; interprétant = définitions et synonymes de dictionnaires. La connotation est un interprétant. Dans une théorique mobilisant la notion d’interprétant, la signification d’un signe, loin d’être un simple renvoi

à l’intérieur d’un système clos, est l’action de ce signe sur l’interprète (sa capacité, ici, à associer automatiquement un signe à une marque).

La pub est un signe d’un objet, elle-même signe d’une marque, elle-même signe de valeurs, etc. C’est pour cette raison que l’on évolue vers une condensation.

Le signe n’est pas un signe à moins qu’il ne puisse se traduire en un autre signe dans lequel il sera plus pleinement développé (qualités de l’objet=>marque=>image de marque). Le processus d’interprétation est en principe illimité : l’interprétant d’un signe est un autre signe, et ceci à

l’infini. Mais, dans les faits, la chaîne des interprétants est souvent interrompue. Un même objet peut être approché grâce à des interprétants variés, qui autorisent des interprétations

approfondies, nouvelles, contradictoires. Le signe est quelque chose qui ouvre sur quelque chose d’autre. => Les signes ne sont pas identiques. Signes : produit de relations constamment relancées entre objets, signes et interprétants. L’habitude fige la chaîne des interprétants. (Cf.Panneaux sur une route connue). Mais si la pratique diffère de la théorie, cela n’empêche pas cette récursivité d’exister

théoriquement.

5. 2. L’interprétant publicitaire

Pour G. Cornu, l’essentiel de la rhétorique publicitaire porte sur la qualification de la marque ; on ne vend pas un produit, mais un emblème de la marque, au sens d’un morceau de celle-ci. Le produit est un morceau d’un ensemble des valeurs contenues dans l’image de marque. Ces valeurs sont empruntées à un stock d’images mentales : c’est sa définition de l’interprétant de C. S. Peirce.

La sémiose se nourrit de visions du monde, d‘approches sociales, idéologiques, mythiques. Le sémiologue met en évidence les forces qui concourent à la production du signe et à leurs agencements. L’image publicitaire

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nous apparaît comme un ensemble graphique où l’écriture elle-même est exploitée dans sa dimension iconique ; elle agit comme une empreinte visuelle et psychique.

La sémiose illimitée se bloque plus ou moins rapidement selon la richesse, la qualité de l’image. Pour Cornu, l’interprétation s’arrête en général sur un interprétant final qui est un stéréotype.

Dans la publicité, l’habitude, qui bloque la sémiose illimitée, est artificiellement créée par la réitération, par le matraquage, par les campagnes ; on peut aussi avoir recours aux habitudes sociales en faisant appel aux stéréotypes. C’est pourquoi la majorité des publicités relèvent de la composition allégorique où les éléments signifient des valeurs, afin de bloquer la sémiose.

Pourtant, il arrive que la sémiose se poursuive : le representamen (image réelle) est liée à l’interprétant (stock d’images mentales) par des relations subjectives. Il faut que la sémiose libre et mouvante se double d’une sémiose verrouillée, à laquelle elle sert de toile de fond, qu’elle serve à la valorisation de l’image de marque.

Ce sont donc des images mentales sélectionnées qui nourrissent l’image de marque ; le talent du publicitaire consiste à choisir et orienter ces images communes (interprétants), souvent stéréotypées pour élaborer la publicité (representamen), mais on peut décider de libérer la sémiose.

Objet 1 = objectif publicitaire Image de marque Marque de l’image Empreinte psychique Representamen Interprétant Images publicitaires stock d’images mentales Logo, images, spot Objet 2 = Icône Marque de l’image Empreinte psychique Icône + art

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E 41 MCM

Sémiologie du langage publicitaire

L’approche sémiologique est une lecture qui va construire l’image comme un agencement de signes et de

symboles et de traits visuels pertinents, i. e., porteurs de sens, des Signifiants (Sa), donc (ex. : opposition de couleurs, contrastes clair/obscurs, formes des objets).

Ces traits pertinents n’existent pas en soi, ils résultent d’une sémiotisation qui est le travail du publicitaire. Ils sont agencés afin de former une isotopie qui met en avant une idée significatrice, le « concept » (dynamisme, animalité, douceur, pureté…) qui définit l’axe de communication choisi.

Ces traits pertinents n’existent pas indépendamment de notre interprétation, i. e. ils sont l’effet d’un acte de lecture et d’interprétation qui est conduit sur ce matériau signifiant qu’est l’image. Le signe, en associant une portion de l’univers matériel (sons, odeurs, sensations tactiles, etc.) à une partie de l’univers conceptuel (idées, représentations mentales, valeurs, affects, de l’organisation des objets), organise, structure et l’univers matériel, et l’univers conceptuel.

L’univers matériel ainsi organisé est l’univers des Sa, l’univers conceptuel est celui des Signifié (Sé).

Le signe institue une corrélation entre une portion matérielle de l’univers et une portion conceptuelle de l’univers conceptuel.

C’est ce que Peirce appelle l’interprétant. : Pour Peirce, le signe :

— déclenche une activité : il a pour fonction de représenter un objet,

— représente un objet non dans l’absolu, mais pour interprétant,

— est pris dans un processus ; il n’y a de signe qu’interprété,

— le signe interprétant fait signe à son tour.

Le signe ne peut être pensé qu’avec 2 éléments autres que lui : l’objet et l’interprétant. Peirce intègre la

pragmatique dans sa conception du signe. Il a une conception essentiellement relationnelle, car, selon lui, la

signification relève des relations transmises par les signes et de leur combinatoire plutôt que de leurs propriétés

matérielles.

La condition du signe n’est pas seulement de remplacer, mais celle de l’existence d’une interprétation possible. L’interprétant est à la fois une action et le produit de l’expérience. Il s’agit de mettre en relation des choses les unes avec les autres, d’établir des liens entre des objets et des signes.

Ce qui rend possible cette interprétation est le fait que nous appartenons à une culture donnée. Ex. : L’interprétant est par exemple la mise en relation de la perception visuelle d’une tache circulaire

humide sur une table et le fait qu’un verre a été présent sur la table. C’est à travers un ensemble de conventions, de prescriptions, de modèles de comportement, de règles de

communication qui définissent une culture que nous nous construisons en tant que sujets parlants, que nous acquérons une compétence communicative, i. e. une capacité appropriée à la diversité des situations de communication. Cette compétence n’est pas seulement linguistique, elle est aussi sémiologique ou symbolique, i. e. une aptitude à interpréter des signes autres que linguistiques (kinésiques, proxémiques, vestimentaires, etc..) cette compétence s’acquiert à l’intérieur d’une culture particulière.

CODE : ensemble de règles permettant de produire ou de déchiffrer des signes ou des ensembles

de signes. Le découpage de l’univers proposé par les signes est toujours relatif : il dépend des groupes sociaux ; à l’intérieur de ces groupes, il dépend des personnes et de leur statut ; pour ces personnes, il dépend des circonstances.

=>

LE SIGNE TEMOIGNE D’UNE CERTAINE STRUCTURATION DE L’UNIVERS VALIDE POUR DES

PERSONNES DONNEES, DANS DES CIRCONSTANCES DONNEES.

Les signes ne sont pas toujours univoques. Les signes sont par définition polysémiques, i.e. qu’ils peuvent posséder des significations différentes selon les contextes.

Pour Peirce, un même objet peut être approché grâce à des interprétants variés, qui autorisent des interprétations approfondies, nouvelles, contradictoires.

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1. Approche globale de l’image

La perception d’une image est en général immédiate et globale, les différents éléments de l’image ne peuvent êtres repérés que par un effort d’attention et un balayage visuel systématique. L’image apparaît alors comme un ensemble structuré d’éléments dans laquelle chaque élément ne vaut que dans sa relation aux autres éléments. L’analyse de l’image vise donc à mettre en évidence les éléments de l’image, mais aussi les relations entre ces éléments.

L’image publicitaire est une combinaison structurée, stratégique, intentionnelle.

1. 1. Une typologie des publicités

(cf. Floch, Sémiotique, marketing et communication) Le rapport entre publicité et produit, comme en sémiologie, il y a une réflexion entre le discours et le

monde : se pose la question des fonctions du langage et l’origine du sens.

Publicité référentielle Publicité mythique fonction représentationnelle fonction constructiviste du langage du langage fonction constructiviste fonction représentationnelle déniée déniée Publicité substantielle Publicité oblique

• La publicité référentielle C’est une publicité de la publicité conçue comme adéquation à la réalité, comme la quasi-restitution de celle-

ci. Il s’agit de reconstituer une tranche de vie que le spectateur reconnaisse immédiatement. L’illusion de réalité sera créée par l’adjonction de petits détails, des pratiques et des gestes qui sont ceux des consommateurs. Cet ensemble finit par donner un effet de densité et d’épaisseur au vécu.

La publicité référentielle relève d’une stratégie discursive, d’un ensemble de procédures visant à présenter le discours comme vrai.

Le faire paraître vrai repose sur des discours : Narratifs, Figuratifs, Descriptifs, => Des articulations avant/après, Des renseignements concrets ou anecdotiques (« Ride It ! » (Schöffel)), Pas d’adjectifs ou de slogans (Boucheron), La séparation du texte et de l’image (Dainese), Des dessins réalistes ou des photos. Il s’agit de faire en sorte qu’une partie du discours renvoie à une autre partie du discours. Cette autre partie,

où sera situé le produit, est ainsi construite comme un référent interne. Le texte renvoie à la photo, la recette au produit ou à l’ustensile.

Le référent s’appuie sur la fidélité de la photographie ou du dessin réaliste. Le consommateur est le sujet d’une action, d’un faire pragmatique : il achète le produit. Il est à un temps de

lecture proche de zéro et une compréhension immédiate et une réaction la plus rapide possible. Le consommateur est le sujet d’un faire pragmatique.

• La publicité oblique Elle est la négation de la publicité référentielle. Le sens est à construire ; il n’est pas déjà là. C’est une

publicité du paradoxe, qui va à l’encontre de l’opinion commune, qui joue l’incongru et le non-immédiat : celui qui regarde l’affiche est le sujet d’un faire interprétatif. L’efficacité du discours ne se mesure plus à la rapidité de lecture ou de réaction de la cible.

Le consommateur est le sujet d’un faire cognitif : on met à l’épreuve son intelligence. La publicité oblique fait de la médiateté de sa compréhension une valeur : le lien d’une co-

production du sens par l’énonciataire. (Rip Curl, The North Face) La publicité oblique sera appréciée selon la manipulation acceptée, recherchée, puisqu’elle est gage d’une

modification euphorisante de la perception ou de la vision que l’on a des choses. Elle utilise aussi le mode discursif de l’ironie.

L’ironie est une citation : l’énonciateur convoque dans son discours un système axiologique établi dans d’autres discours que le sien, dont il n’assume pas les valeurs. La distance intellectuelle et le détachement, qui caractérisent l’ironie et la rendent indifférente de tout engagement affectif, permettent de définir son énonciateur comme un sujet selon le savoir et simultanément, le « ne pas croire ».

L’ironie est un renversement et une dénégation, puisqu’elle fait entendre le contraire de ce qu’elle dit tout en le disant. Elle est donc en général antiphrastique, et apparaît ainsi comme un instrument de dénonciation indirecte (cf. les anti-pub), son orientation allant du positif (énoncé), vers le négatif (à entendre). Elle suppose

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donc une cible contre laquelle elle est dirigée ; cette cible représente tous ceux qui assument l’univers axiologique de référence. (Atomic).

L’ironie est un mode de conciliation des subjectivités. Elle stipule l’émergence de l’énonciataire qui à l’énonciateur prête une compétence interprétative remarquable : il le suppose apte à reconstruire convenable à la fois la citation et la dénégation, alors que les marques en sont (plus ou moins) dissimulées. Elle implique une connivence entre énonciateur et énonciataire.

Ici le sens est à construire. • La publicité mythique

C’est une machine à fabriquer du bonheur, à donner du talent à la consommation, effacer l’ennui de l’achat quotidien en habillant le produit de rêve.

Dans la publicité mythique, le sens est dans le fantasme ou l’imaginaire projeté sur le monde pour l’informer et le rendre signifiant.

Le produit sera investi de sens et de valeur par l’histoire imaginée et par l’usage narratif qu’on en a fait. Pour ce faire, il faut avoir recours à des légendes, des héros, des symboles qui sont déjà des produits thématiques puissamment structurés et qui serviront de structure d‘accueil au produit (l’homme de Vinci, l’Ouest américain, Cléopâtre, Cutty Sark). Elle les exploitera tels quels ou les bricolera ensemble. (BMW, Mondial Assistance).

La publicité mythique n’est pas une simple exploitation directe ou indirecte de ces grands référents culturels populaires. Mais ce qui la définit avant tout c’est la construction de la valeur sémantique du produit par le discours tenu dans l’affiche. La publicité mythique peut aussi viser la construction de la valeur sémantique d’une marque, et non pas seulement un produit ou un service. (The North Face, Bandit, Dreamcast)

Dans la publicité mythique, l’énonciation tend à s’affirmer sans pour autant s’installer dans l’énoncé. Elle affirme sa présence par le bricolage ou l’assemblage de deux motifs, mais aussi par le modelage, la réorganisation de l’image.

L’énonciation mythique s’affirme, elle se veut construction, travail. On peut parler de spectacle pour le spectacle. Elle se sert du produit comme d’un simple prétexte.

• La publicité substantielle Elle est la négation de la publicité mythique et de son idéologie, et refuse la distance, l’ironie de la publicité

oblique. On effectue un recentrage sur le produit dont on assure qu’il possède sa propre valeur, on exploite ses vertus

pour faire de sa nature profonde la vraie star. Elle s’efface par rapport au produit et à sa réalité intrinsèque ; l’acte créatif prend ici la figure de l’épure ; le

travail du publicitaire consiste à refuser toute mode ou toute connotation personnelle. Le mode d’énonciation qui caractérise la publicité substantielle ne produit pas une illusion

référentielle à proprement parler, mais un accommodement avec la réalité. L’effet de sens produit par la publicité substantielle est l’étrangeté du monde, la présence de l’objet face au sujet énonciataire. On a impression que le produit avance vers soi jusqu’à pouvoir le toucher, et, de fait, l’image substantielle privilégie les valeurs tactiles (gros plans, netteté absolue des traits et des formes, rapport souvent frontal).

Il y inversion des relations aux consommateurs : ce sont les objets qui nous regardent. Elle introduit l’idée que la stratégie énonciative de la publicité substantielle propose une émotion esthétique,

i. e. une incapacité soudaine du sujet à maîtriser le monde sensible, une incapacité qui l’ébranle et lui donne le sentiment d’une présence physique venant au-devant de lui. Cette manifestation concrète est d’autant plus forte que le sujet n’a pas encore réussi à projeter sur elle une grille de lecture du monde qui l’organise et la maintienne à bonne distance.

Soudaineté, perte de la maîtrise à comprendre ou à interpréter. (Sauza, Swatch, Perrier, Ricard) On peut subdiviser cette typologie : publicité référentielle et substantielle vs publicité oblique et

mythique. G. Péninou oppose publicité de dénotation et publicité de connotation. Pour lui, la dénotation référentielle est

un sens littéral ; il y a en soi, un référent : le produit. La dénotation est un rapport de conformité à celui-ci. La fonction référentielle établit la relation entre le message te l’objet auquel il réfère.

La connotation sera le fait des associations dérivées, de la non-coïncidence entre le discours et la réalité, et, par là même, le fait d’une production de sens.

Les publicités référentielles, et les discours référentiels, comme tout discours, est une production d’une illusion référentielle par l’exploitation, entre autres, des systèmes connotatifs qui font accorder à tel ou tel signe des vertus de plus ou moins grandes ressemblances avec la réalité. La publicité référentielle n’a rien à voir avec un sens littéral qui coïnciderait avec la réalité. Cette littéralité n’est rien d’autre que l’effet de sens qu’elle cherche à produire, c’est sa visée et non sa nature.

1. 3. Expression et contenu

Cf. publicité News Expression Discontinuité Vs Continuité Contenu /identité/ Vs Identité

L’annonce valorise la cigarette en la comparant à un journal. De même qu’un journal est une création

particulière à partir de nouvelles et d’images sélectionnées et composées, de même, la cigarette News est la création d’un arôme particulier à partir d’un mélange particulier de tabacs.

Le journal et la cigarette réunissent tous deux ces contraires que sont l’identité et l’altérité.

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L’annonce propose un mythe : un style de vie qui concilie deux états contraires : la participation à la vie trépidante des autres et la jouissance d’un rythme, d’une temporalité personnelle. Ce style de vie métonymiquement figuré par la cigarette fait qu’on échappe tout à la fois à la solitude et à l’aliénation. .

Cette proposition est présente dans les deux langages de l’annonce,

2. Approche méthodique de l’annonce publicitaire

L’image publicitaire fonctionne comme une allégorie : à partir des éléments iconiques : à partir des éléments iconiques, elle établit un catalogue de valeurs qui constituent un véritable lexique symbolique de la marque. L’image publicitaire nécessite l’agencement des icônes : c’est une composition artificielle.

Le décodage des images devrait se référer à un lexique iconique implicite caractéristique de notre société et de ses valeurs. On va distinguer :

• Une fonction implicative : relayée par le slogan, ou assumée par celui-ci, • Une fonction référentielle : les éléments présents dans image visent à satisfaire une exigence

minimum de référence et de redondance par le texte ou par la structure de l’image, • Une fonction esthétique : liée à un travail sur les signes, une recherche dans l’agencement et la

combinaison des signes. Tout message publicitaire vise à assumer simultanément ces trois fonctions. En général, dans la publicité, la fonction implicative subordonne les deux autres.

L’hyperstructure publicitaire – qui n’a qu’un élément incontournable, la signature (logo ou nom de la marque)

– voit ses éléments facultatifs répartis entre éléments linguistiques, éléments iconiques et éléments plastiques.

2.1. Les signes plastiques

Les signes plastiques reposent sur des lignes, des couleurs, des textures, prises indépendamment d’un quelconque renvoi mimétique. Ils se subdivisent en texturèmes, formèmes (position, dimension, orientation), les chromèmes (dominante chromatique, luminance, saturation). On retrouve ces signes plastiques dans les effets photographiques.

2. 1. 1. Les effets photographiques

Les angles de prise de vue : angle neutre ou de niveau, plongée, qui a pour effet d’écraser les éléments, auquel on associe des

connotations de petitesse, d’abattement, d’infériorité (Ride it !), contre-plongée : qui a pour effet de grandir les personnages ou les objets,

auquel on associe des connotations de supériorité ou de puissance (Fantastic net economy !),

Les effets de perspective et de profondeur de champ. Ces perspectives dépendent du cadrage des éléments et du type de plan utilisé (le gros plan écrase les perspectives, le plan général crée une perspective). (Dreamcast, Sony vs Hennessy),

L’éclairage de la photo : les éclairages doux atténuent les contours des éléments, induisent une harmonie chromatique, alors que les éclairages durs font ressortir avec netteté les éléments et leurs contours et accentuent les effets de contraste. (Sony vs Michelin).

2. 1. 2. Le cadrage

Cadrer consiste à délimiter une partie de l’espace, un élément, un ensemble d’éléments ; le cadrage résulte donc d’une intention, celle de focaliser l’attention du spectateur sur un élément ou un ensemble d’éléments par une taille de plan particulier.

Le cadrage est un signe indexical.L’index est un signe ayant pour fonction d’attirer l’attention sur un objet déterminé, ou de donner un certain statut à cet objet. Ce type de signes ne fonctionne qu’en présence de l’objet désigné.

Ex. : Le doigt pointé vers un objet. Les objets appelés à devenir des index peuvent être de nature très variable : linguistique (ce type-là), le

titre des livres, les étiquette des tableaux dans les musées. � Tous les signes peuvent être des index (sur une étiquette, ce peut être du langage verbal, un dessin). Le type de renvoi peut être motivé (cf. doigt tendu) ou arbitraire (panneau /chute de pierre/ : n’est indexical que dans un contexte donné est à une distance donnée). Remarque : il peut arriver que l’index donne un statut de signe à l’objet désigné (cf. toute la muséographie fait du tableau une œuvre d’art).

Mais, par d’autres aspects (les formèmes), le cadre peut être considéré comme un signe plastique. On cadre en choisissant à l’intérieur d’une échelle de plans. Cette échelle de plans est définie par référence

au corps du personnage, à son mode d’inscription dans le cadre. Le plan général a pour objet principal un vaste panorama, Le plan d’ensemble prend pour objet principal une grande partie du décor (et ses

éléments caractéristiques), Le plan de demi-ensemble prend pour motif principal un ou plusieurs personnages

intégrés dans le décor qui contribue à les mettre en évidence, Le plan moyen cadre un personnage en pied, Le plan américain cadre le personnage à mi-cuisses ou à hauteur de taille,

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Le plan rapproché coupe le personnage à la poitrine, Le gros plan cadre seulement sur le visage ou une infime partie du décor, Le très gros plan isole un élément du visage ou un détail de l’ensemble.

Dans le plan général et le plan d’ensemble, l’image va prendre une valeur descriptive,

documentaire. On parle d’image perception, qui laisse le spectateur extérieur à l’image représenté, et libre de parcourir à sa convenance les différents éléments présents dans l’image. (Dreamcast),

Du plan de demi-ensemble au plan américain, il y a davantage contrainte de l’œil. L’attention, du fait du cadre, va se focaliser sur la scène représentée . l’image va prendre une valeur dramatique ou narrative. (Atomic, Sony),

Du plan rapproché au gros plan : ce sont des images portrait, à forte charge psychologique ou sentimentale, fortement impressives. L’œil est fortement contraint, l’attention entièrement focalisée. L’image va prendre une valeur affective. (Boucheron, Hennessy).

2.2. Les éléments iconiques

Les signes iconiques fonctionnent par analogie et renvoient mimétiquement à un objet de la réalité.

Les éléments iconiques se subdivisent essentiellement en visuel et pack shot. Le visuel est très souvent la part iconique de l’annonce la plus importante en termes de surface. Il peut représenter aussi bien le produit que son contexte d’utilisation ou encore toute image en rapport avec l’idée de vente.

Le pack shot (également appelé plan produit) désigne la prise de vue en gros plan du produit, qui peut clore aussi bien une annonce presse, une affiche qu’un spot TV. C’est par exemple le rappel visuel du produit, dans son emballage, tel que le consommateur le retrouvera sur le lieu de vente.

Le pack shot, et dans une moindre mesure, certains éléments iconiques (s’ils représentent le produit) est un signe ostensif. Il est là pour montrer. Le signifiant est l’objet montré lui-même.

Le signe ostensif est un objet mis en évidence, non pour lui-même, mais comme représentant une autre chose : un ou plusieurs membres de la classe à laquelle il appartient. Le signe ostensif est un échantillon.

Ex. : Un animal dans un zoo est une représentation de tous les animaux de la même race. Ce n’est plus un

individu, c’est un signe ostensif de la classe. Dans une vitrine, ou dans un bar, une bouteille de Coca n’est plus une bouteille mais un échantillon. L’ensemble de ces éléments se distribuent, lorsqu’ils sont présents, de manière plus ou moins arbitraire sur

l’annonce. Ils répondent cependant à certains modèles canoniques, suivis de manière plus ou moins fidèle. La photographie publicitaire recourt par ailleurs à des montages mêlant des images de diverses natures. Il

suffit par exemple d’observer le mode d’intégration du produit dans le reste du visuel (publicité S. Pérèle : superposition de deux images distinctes ; le produit, en plus d’être placé dans un contexte irréaliste, est de taille disproportionnée).

L’hétérogénéité de ces images publicitaires complexifie fatalement le rapport texte / image. La nature des illustrations est très diversifiée en publicité : montage d’images, images virtuelles,

décadrages… Une annonce publicitaire peut relever d’une suprême simplicité (Boucheron), ou au contraire d’une extrême

complexité (Sony, Nokia). De la sorte, si on est attentif aux diverses places que peut occuper le produit dans l’annonce, on peut observer quatre principaux types de construction de l’image publicitaire :

• En premier lieu, le produit peut être représenté seul, en gros plan, sur une photographie de type studio (Boucheron),

• Mais le produit peut également être représenté dans le cadre d’un contexte, réel ou irréel. Il entre alors dans une construction en contexte. Bien souvent, des lignes de force convergentes conduisent vers un foyer commun qui est le lieu même du produit. Même si le produit est intégré dans une scène animée ou est assisté d’un décor, il détient encore souvent le devant de la scène : la scène représentée est destinée avant tout à focaliser l’attention sur l’objet de la transaction (Perrier, 607, Hennessy).

• Le produit peut également être mis en abîme. Le regard est amené, après s’être porté sur le visuel, à chuter à l’endroit même où s’achève l’exploration – le plus généralement en bas à droite de l’annonce – sur le produit conditionné (pack shot). Cette construction en pack shot induit généralement de forts parcours de lecture (Sauza, Ricard).

• Enfin, le dernier cas est l’absence de représentation du produit. Aussi surprenant que cela puisse paraître, cette construction par l’absence n’est pas le seul apanage des offres de services (produits financiers, assurances, etc.) (Dreamcast, Lire. Fr), mais se retrouve dans le cas de produits à forte implication comme la publicité automobile. La publicité est parfois plus le fait d’une communication institutionnelle qu’une annonce pour la promotion

d’un produit. Mais la publicité est également devenue un produit culturel, ce qui favorise la recherche d’une sympathie envers la marque au détriment de la présentation factuelle du produit (« thank God », Rip Curl). Ce penchant est aidé par la notoriété dont peut profiter ce dernier. Enfin, la construction par l’absence permet de subtilement camoufler la transaction symbolique, la finalité dernière de la publicité : la vente.

Il n’y a pas de séparation franche entre ces différentes représentations. Par exemple, une annonce peut flotter entre construction hors contexte et construction en contexte irréel (Rossignol Scratch, Rossignol Bandit).

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2. 3. Les éléments linguistiques

Il convient tout d’abord de tordre le cou à la croyance tenace selon laquelle de nos jours l’écrit céderait de plus en plus de terrain à l’image. Cette affirmation, renforcée périodiquement par les tenants d’une « société de l’image’ , s’avère sans réels fondements.

L’histoire de la publicité, et des contraintes tant techniques que culturelles qui y sont rattachées, permet d’avoir un regard plus serein sur cet hypothétique abandon de l’écrit au profit de l’image. Entre le Moyen Age et le milieu du 19e siècle, la publicité passait soit par des affiches et des tracts publicitaires, dominés presque exclusivement par l’image, soit par des crieurs, mandatés, au Moyen Age, pour crier dans la rue des informations politiques ou commerciales. À une certaine époque, une place leur était même réservée sur les places publiques. L’analphabétisme était la raison principale de cette absence quasi totale de textes écrits.

Cette tendance s’est affaiblie au cours de la deuxième moitié du 19e siècle et au début du 20e siècle avec le développement de la scolarité obligatoire. La naissance de la publicité de presse écrite est allée de pair avec le recul constant de l’analphabétisme depuis le milieu du 19e siècle. Le texte a alors pris une place prédominante, entre autres à cause de limites techniques qui rendaient l’impression des photographies compliquée. Les procédés d’impression s’étant peu à peu améliorés, les barrières techniques ont pu êtres largement levées depuis.

On est parvenu aujourd’hui à un certain équilibre entre texte et image, équilibre variable selon le type de produit vanté, le type de support et la finalité de l’annonce (informer ou séduire), d’autant que les rôles impartis au texte et à l’image ne sont généralement pas identiques. Les techniques actuelles ont permis de générer et d’affiner deux systèmes qui répondent à des fonctions complémentaires : l’image sert plutôt à la séduction, le texte plutôt à l’information.

Cependant, le panachage culturel, qui semble s’enraciner irrémédiablement, pourrait, dans un avenir plus ou moins proche, renforcer le rôle de l’image, tout en favorisant la généralisation de langues internationales comme l’anglais. Cette tendance se voit confortée par l’illusion de la transculturalité de l’image, c’est-à-dire par la croyance que le sens d’une même image ne varie pas selon les époques, les cultures, les personnes…

Les éléments linguistiques regroupent les trois types de slogans, le pavé rédactionnel, le nom de la marque

et les satellites. • Le slogan d’accroche (titre, accroche, head line), disposé en début d'annonce,

constitue la devise du produit, ciblée sur le moment de la transaction commerciale. Élément linguistique le plus fréquemment lu dans une annonce, son objectif est de retenir l’attention du lecteur et de lui faire mémoriser la promesse publicitaire.

• Slogan d'assise (base line) synthétise généralement la stratégie économique ou la “ promesse ” de la marque. Il peut soit donner des informations supplémentaires sur le produit présenté, soit expliciter le rapport entre le visuel et ce dernier, soit se rattacher au rédactionnel.

• Le slogan de marque (ou corporate) est la devise de cette dernière. Caractérisant le positionnement de la marque dans le long terme, il en devient peu à peu indissociable.

• La signature : c’est le nom de la firme, de la marque ou de la griffe. Elle se situe le plus souvent en bas à gauche de l’annonce dans l’espoir de conclure le parcours visuel du lecteur. Le nom de la marque est à proprement parler la signature de l’annonce. Il apparaît très souvent à proximité du logo et du slogan de marque. À cheval entre linguistique et iconique, le logo constitue, avec le nom de la marque, la signature de l’annonce.

• Le rédactionnel (pavé rédactionnel) est un texte construit, fortement argumentatif, plus “ objectif ” et à forte charge informative. Généralement placée en bas d’annonce, sa typographie est de préférence neutre et de petite taille. Rarement lu, il reste cependant capital puisqu’il apporte des informations supplémentaires aux personnes interpellées par l’annonce (puisqu’elles font l’effort de le lire). Sa fonction est donc argumentative : il décline les arguments.

• D’autres éléments, plus marginaux, se rencontrent cependant dans certains types d’annonce, comme les coupons de commande ou de participation à des concours, ou, plus localement, l’indication de nocivité du tabac ou des dangers de l’alcool.

• Enfin, les « satellites » sont les éléments, mi-textes, mi-images, de plus ou moins faible superficie, qui s’égrainent sur l’annonce. On distingue les satellites d’interpellation (nouveauté, offres spéciales, etc.) des satellites accessoires (notes, adresse, etc.).

2. 4. Analyse du message publicitaire

L’annonce publicitaire étant un message pluricode, scripto-visuel, il convient de s’intéresser à l’économie de ces deux codes. L’écrit est un stimulus faible par rapport à l’image, ce qui implique que l’annonce ne doit pas comporter de textes longs si l’on veut qu’ils soient perçus. Le message linguistique le plus efficace utilise des mots courts et usuels plutôt que des mots longs, rares et complexes : plus un slogan et court, plus il est lisible pour une majorité de lecteurs. (« Just do it », « La force tranquille », « Climb it ! »). la capacité mémorielle immédiate de l’être humain étant réduite, lorsque le slogan est long, on place en général l’information principale en début de phrase.

Le slogan est lié à l’évolution des médias. À l’époque de la réclame, le slogan était diffusé à la radio, comme il devait concentrer l’ essentiel du message publicitaire, il avait une structure très rigide, des rimes, des jeux de mots : « Dubo, Dubon, Dubonnet », « Ya bon Banania », « On a toujours besoin de petits pois chez soi ». De nos jours, le slogan est souvent lu dans les magazines, ou vu à la télévision, il est inséparable de l’image, d’histoires, il est pris dans un flux d’autres signes. Il s’affranchit des structures rigides destinées à être mémorisées. D’autre part, quand la radio était le médium dominant, le nom de la marque était intégré dans le slogan, alors que les structures des slogans modernes séparent très souvent les noms des marques du reste du slogan : « Arrive in better shape, Cathay Pacific », « Mondial assistance. L’impossible pour vous aider », « EDF,

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nous vous devons plus que la lumière ». On cherche néanmoins à faire du slogan une structure autonome (Just do it !), il est surtout un des constituants d’une structure aux multiples dimensions.

Pour évaluer la lisibilité des slogans (au sens large) publicitaires, on utilise de Haas, fondés sur deux

rapports : le rapport mots pleins/mots outils, et le rapport verbe/substantif. Bien entendu, un bon slogan est celui où les mots outils s’effacent au profit des mots pleins.

Le graphisme du slogan a lui-même une importance majeure et tous ces éléments (place, taille, couleur, forme, dessin des lettres) contribuent au mode de lisibilité du slogan et permettent de distinguer entre les slogans à lire et les slogans à voir :

— les énoncés slogans sont des énoncés hiérarchisés autour du noyau verbal, qui s’apparentent à des phrases complètes, plus ou moins complexes. (« Si vous aimez la littérature, mettez-vous au surf ! »),

— les slogans, qui s’apparentent à des phrases nominales . ces structures sans noyau verbal sont proches des structures elliptiques du langage parlé (Bandit, bientôt libre).

En général, le message linguistique est composé d’une structure binaire, une partie servant de définition ou de qualification à l’autre partie. Il y a donc une partie référentielle comportant le nom de la marque qui redouble la fonction référentielle du message linguistique.

2. 4. 1. Les deux types de contraintes du message publicitaire

— Les contraintes fonctionnelles : intégration de la marque connexion avec le produit, compatibilité avec l’image, exploitation de l’espace, rapidité de perception, qualité et durée de la trace mémorielle, puissance du choc, interpellation des personnes cibles, etc. Ces contraintes mettent en jeu des paramètres d’ordre très divers comme la matérialité du support, le fonctionnement cognitif des cibles, le fond culturel et idéologique, sans omettre les finalités commerciales directes.

— Les contraintes linguistiques : la langue fournit un trésor de manipulations possibles, mais il convient d’être prudent.Dès qu’on manipule un mot, un processus de relation est amorcé qui déroule une parole préconstruite qui s’impose avec force (Cf. Publicité Babette : « Je la fouette, etc. » ; Médecins du Monde « Envoyons des hommes voilés en Afghanistan »).

Il y a donc des contraintes réciproques entre la langue et la publicité. En dépit de sa brièveté, le slogan est souvent dense. Il contient un certain nombre de structures

(syntaxiques, sémantiques, lexicales, phonétiques) qui s’influencent mutuellement pour produire du sens. Ces structurations sont formellement régulières (au plan phonique, syntaxique, sémantique) et favorisent l’impact mémoriel.

Effet de balance (« Omo est là, la saleté s’en va », « Amenez votre voiture chez Opel, et votre nouvelle Opel sera encore moins chère »),

répétition de sons, de sèmes pour l’isotopie (« Arc’teryx, evolution in action »), de termes ambigus pour accentuer la multiplicité du sens (« Destination plus loin », « A porter sans oublier de rêver »), de classes syntaxiques pour engendrer la récursivité (« Azarro, pour les hommes qui aiment les femmes qui aiment les hommes »),

progression régulière d’un nombre de syllabes (« Dubo, Dubon, Dubonnet », « Le loto, c’est facile, c’est pas cher, et ça peut rapporter gros »), maintien d’un nombre syllabique lors de la substitution de lexème (« Auchan, La vie, La vraie »),

valorisation des positions extrêmes tant au plan phonique que syntaxique, antonymie (« L’homme a besoin de chaleur, les femmes aussi ! » «Les accessoires ne se voient pas forcément, mais ils sont essentiels »(Odlo) ; « Always fight, never quit » (Nitro)).

� Les slogans publicitaires comportent souvent des jeux de mots, ou des jeux sur la

substance phonique, qui peuvent parfois souligner une construction binaire, ce qui augmente sa capacité mémorielle.

� Il est souvent composé de mots abstraits indéterminés, qui peuvent être investis par le spectateur en raison de leurs pluralités de connotations.

2. 4. 2. La pragmatique du message

• La persuasion : le message est un énoncé slogan, centré sur le produit ou la marque, souvent renforcé par la présence énonciative de l’émetteur. Le message vise à faire croire, à persuader. (« Si vous aimez la littérature, mettez-vous au surf », « plus jamais vous ne jouerez au basket comme avant »),

• L’implication : le message est un énoncé slogan qui se situe sur le registre de l’apostrophe, de l’interpellation directe du spectateur ; il est centré sur le destinataire, il vise à l’implication de la cible. Il sera caractérisé par des formes verbales impératives, des constructions interrogatives, la présence des marques énonciatives du récepteur... Il convient de vérifier si cette implication est redoublée au plan iconique. (« Ride it ! », « Vous trouvez ça normal ? » (Atomic)),

• L’accroche : le message est un slogan qui ne comporte aucune marque de l’émetteur ou du récepteur, il est dense sémantiquement, ce qui lui confère son pouvoir d’accroche. Il vise à capter l’attention, à frapper l’imagination. ( « L’homme a besoin de chaleur, la femme aussi » (Odlo)).

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2. 4. 2. La rhétorique du message

La forme du slogan, qui utilise la fonction poétique de Jakobson, vise tout d’abord sa facilité mémorielle, mais aussi concourt à son pouvoir de séduction, qui réside dans son caractère ludique. Ce ludisme est également à imputer à la reconstruction que doit effectuer le lectorat lorsqu’il décrypte le slogan.

En effet, son pouvoir d’incitation excède toujours le sens explicite : si le slogan agit sur le public, c’est parce qu’« il l’amène à activer des significations implicites qui s’appuient sur un savoir commun et des croyances partagées (…) [Il] puise sa force de persuasion et de séduction dans ce qu’il exprime entre les lignes plus que dans ce qu’il pose explicitement » (Amossy, 2000 : 202).

Pour Maingueneau, il est une sorte de citation (« Pas d’avenir sans connexion » (Connexion), ou « Coca Cola, c’est ça ») et ne se pose pas en responsable des énoncés, qu’il présente comme des citations dont il n’explicite pas la source et que le co-énonciateur est censé connaître (« association de bienfaiteurs, sous vêtements Odlo et pull Odlo »).

Cependant, le slogan est fortement ancré dans une situation d’énonciation. Il peut contenir des embrayeurs et des noms propres, qui peuvent être inséparables d’un contexte particulier. Il faut connaître les noms de marque auxquels il est fait référence, qui relève d’un savoir encyclopédique (« Bandit, bientôt libre » (Rossignol), « Thank God » (Rip Curl)), quant aux embrayeurs, ils ont besoin d’une situation d’énonciation particulière pour se voir affecter un référent (« Nous protégeons tous vos penchants » (Dainese), « Vous trouvez ça normal ? » (Atomic)).

Une des pratiques de la publicité est de laisser percevoir derrière un énoncé d’autres énoncés ou des fragments d’énoncés célèbres. Il s’agit avant tout d’accrocher le lecteur en faisant percevoir deux énoncés en un, tout en mettant en évidence un éthos ludique.

Le phénomène prend une tout autre dimension quand il s’agit non de parasiter un fragment isolé que d’imiter l’ensemble d’un texte ou d’un genre de discours. On sort du cadre limité de l’allusion. Il est alors rare que la relation soit une relation purement ludique entre l’imitant et l’imité. Elle permet au discours imitant de construire son identité.

C’est le cas du slogan qui imite le proverbe : « Les chiens aboient, les Lee Cooper passent ». ici, l’imitation porte sens : pour le slogan, le proverbe constitue une sorte d’idéal, car il espère obtenir l’autorité du proverbe, être universellement connu et accepté par les locuteurs d’une langue, de manière à être utilisé dans toutes circonstances.

Un discours peut en imiter un autre en suivant deux stratégies : la captation et la subversion : — capter un texte, c’est imiter en allant dans le même sens que lui (slogan qui imite le proverbe), — subvertir un texte, c’est imiter en visant la disqualification de celui-ci. On est dans la stratégie de

parodie. L’imitation peut porter sur deux plans distinctifs : les genres de discours et les textes attestés : • la captation du genre proverbial « se dépasser, c’est essentiel » (RTL). Ici, le slogan a les propriétés

linguistiques d’un proverbe et pourrait s’employer comme tel. La captation d’un proverbe attesté, comme dans le cas de Lee Cooper fonctionne différemment : le public peut sans difficulté retrouver le proverbe capté.

• Pour qu’il y ait subversion d’un genre de discours, il faut imaginer un slogan qui parodierait le proverbe, qui contesterait le genre même du proverbe, tournerait en dérision la sagesse du proverbe. Les médias attaquent rarement ce discours figé, qui a valeur de stéréotype, dans la mesure où la publicité cherche en général à conforter ce genre de stéréotypes. Cependant, dans certains cas de figure de positionnement anticonformiste, ou dans la parodie de pub, c’est possible. « La vie, la vraie », « Le contrat de conscience ».

3. Le rapport texte/image

L’un des intérêts majeurs de la notion d’hyperstructure est de penser l’annonce comme génératrice de liens entre différents constituants, dont le sens global est supérieur (et différent de) à la somme de ses parties : le rapport entre les différents constituants, notamment le rapport texte/image, provoque des circulations du sens, entre redondance et répulsion, entre complément et contrepoint, etc.

3. 1. Des relations dialectiques

L. Bardin part d’une critique des fonctions d’ancrage et de relais proposées par Roland Barthes en 1964. Roland Barthes, l’un des fondateurs de la sémiologie moderne, observe que l’image, engendre souvent un

malaise, « la terreur du signe incertain », qui tient à l’indécision du sens à donner parmi tous les sens possibles. Il souligne que, dans l’image, il y a, « sous-jacente à ses signifiants [matérialité graphique], une “ chaîne flottante” de signifiés [sens], dont le lecteur peut choisir certains et ignorer les autres ». Le texte, lorsqu’il y en a un, servirait alors de guide au lecteur et remplirait deux fonctions distinctes.

Pour remédier à l’éparpillement de sens de l’image, la légende, message linguistique, peut d’abord endosser une fonction d’ancrage (fixer le sens), en orientant la lecture de l’image dans la direction recherchée par l’annonceur. Non seulement le langage permet d’éviter des erreurs d’identification, mais de plus, il « constitue une sorte d’étau qui empêche les sens connotés de proliférer soit vers des régions trop individuelles… soit vers des valeurs dysphoriques » : « Donc le langage, par la discrimination qu’il apporte, exerce la fonction paradoxale d’autoriser l’ambiguïté iconique ».

L’ambiguïté iconique de la publicité, peut être résolue par le slogan. Mais le langage ne se cantonne pas à ce « rôle d’extradition sémantique ». Sa deuxième fonction, dite de

relais (fournir des sens complémentaires), consiste à apporter au lecteur des informations supplémentaires (identification des lieux, des personnes…) que ne peut pas véhiculer l’image.

De nombreux auteurs, après R. Barthes, se sont cantonnés dans cette perspective unidirectionnelle, où la légende vient éclairer ou compléter l’image. Or, si cette perspective est en grande partie pertinente dans le cadre de la photographie de presse et de sa légende, elle nécessite par contre un ajustement capital pour

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l’analyse du rapport texte/image dans la publicité. Les deux fonctions d’ancrage et de relais doivent, en publicité, être dédoublées.

L. Bardin pose en effet la question suivante : « Qu’est-ce qui prouve, dans le rapport texte/image, que c’est toujours le texte qui joue le rôle de mode d’emploi ? ». Après tout, le texte n’est pas moins polysémique que l’image : « les mots, eux aussi, ont eu dans l’histoire, et ont encore dans bien des cas, un statut sacré et un aspect affectif et émotionnel ».

La publicité, toujours à la recherche d’innovations, propose parfois des textes impossibles à interpréter sans l’aide de l’image. C’est alors l’image qui vient fixer le sens du texte. (« Respectons l’eau » (Ricard), « Vous trouvez ça normal ? » (Atomic), « Never stop exploring » (The North Face), « Dans le fond, tout est affaire de sérieux » (Odlo)).

Rien à voir ici avec une fonction de relais, c’est l’image qui ancre le sens linguistique dans la publicité tout particulièrement, les fonctions d’ancrage et de relais peuvent aisément circuler dans les deux sens.

Pour dépasser le couple ancrage/relais, L. Bardin recourt aux notions de dénotation et de connotation. Pour elle, la dénotation désigne, « la signification fixée, explicite et partagée par tous (celle qui est dans le dictionnaire) ». La connotation correspond à « l’auréole de sens, plus ou moins importante, qui flottent autour du sens immédiat et officiel. Ceux-ci sont des sens supplémentaires, plus marginaux, diffus, instables, qui se greffent sur le premier, le complètent ou le déforment et qui retentissent de manière variable chez les individus selon leur expérience et leur culture ». Cette distinction reste, aujourd’hui encore, un outil qui peut se révéler pertinent dans l’analyse du discours publicitaire, même si elle a été, par ailleurs, largement contestée.

Il faut en effet admettre qu’un texte, tout comme une image, peut relever d’un certain degré de connotation. Par exemple, le mot " nègre " désigne la même minorité que le mot " noir ", mais il possède une valeur fortement connotée. La connotation doit par conséquent être pensée sur une échelle graduelle qui tienne compte de l’enracinement socioculturel tant de l’image que du texte.

Ainsi, une publicité contre le sida destinée à la Suisse allemande représentait un cornichon, qui, outre le

symbole phallique évident, évoque également la fécondité outre Sarine (à l’instar de la fraise en Suisse romande). La conservation du motif du cornichon dans la campagne destinée à la Suisse Romande prive l’image de sa valeur connotative de “fécondité”, qui donnait pourtant tout son sens au slogan qui lui était rattaché.

=> Quatre types de messages En croisant les textes et les images à dominante dénotée ou connotée, L. Bardin propose de distinguer

quatre types de messages verbo-iconiques :

CODE ICONIQUE TYPES DE MESSAGES DÉNOTATION CONNOTATION

DÉNOTATION 1. Message informatif 3. Message à légende CODE LINGUISTIQUE CONNOTATION 2. Message à illustration 4. Message symbolique

1. Le message informatif est constitué d’un texte informatif et d’une image rationnelle. Il y a une libre

circulation du sens entre texte et image, les deux constituants venant s’enrichir mutuellement (Boucheron). 2. Le message à illustration est constitué d’un texte subjectif, connoté, et d’une image rationnelle. L’image

ancre le sens du texte, voire le complète.(« Don’t be too square » (Swatch), « Never stop exploring » (The North Face), « Nous protégeons tous vos penchants » (Dainese)).

3. Le message à légende est constitué d’un texte informatif et d’une image symbolique, fortement connotée. Le texte ancre le sens de l’image, ou le complète. (Rossignol Scratch

4. Enfin, le message symbolique est constitué d’un texte subjectif, connoté, et d’une image symbolique, fortement connotée. Ce dernier genre semble, au final, dissoudre le rapport entre le texte et l’image. (Bandit, Rossignol, Ricard « Respectons l’eau »).

Remarques : • Entre ces quatre types “purs” existent des types intermédiaires selon les nuances de degré du

dénotatif (rationnel, fonctionnel, précis, monosémique, etc.) et du connotatif (symbolique, poétique, ambigu, polysémique, etc.) .

• D’autre part, la publicité est confrontée à la double contrainte de devoir séduire tout en informant.Selon L. Bardin, « De la vient son oscillation nécessaire entre le pôle de l’esthétique, de la créativité, de l’affectif, de l’émotionnel et le pôle de l’information et de la précision du sens (…) en matière de publicité, nous pouvons faire l’hypothèse que l’efficacité dépend de la transmission correcte de l’information et de la séduction du message ». La publicité moderne devrait, semble-t-il, privilégier les messages à illustration et les messages à légende. Toutefois, les différents types de produits ne nécessitent pas tous la même part d’information et de séduction.

• En dépit de sa séduisante simplicité, cette typologie n’explore que les publicités recourant à la fois au texte et à l’image, excluant ainsi les « publicités rédactionnelles » (uniquement du texte) et les « publicités visuelles » (uniquement de l’image, Perrier). Elle ne s’interroge pas non plus sur le rapport quantitatif entre texte et image, qui n’est pourtant pas étranger à la question de la connotation. L’image, par exemple, est parfois soigneusement évitée, soit pour ne pas choquer (l’illustration de certains sujets est prohibée par la morale sociale), soit pour simuler l’objectivité, la dénotation pure.

• De plus, cette typologie ne tient pas compte des différentes formes de textes (slogans, pavé rédactionnel, marque) et d’images (logo, pack shot, visuel), ni du troisième système de signes que constituent les composants plastiques (système chromatique, grain de l’image, cadrage, typographie, etc.) qui eux aussi sont doués d’un pouvoir de dénotation ou de connotation.

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• Enfin, Laurence Bardin ne pose pas réellement le rapport texte/image. En effet, celui-ci ne doit pas seulement être pensé en termes de dénotation et de connotation, mais également dans le rapport de l’un à l’autre. Une image et un texte dénotés peuvent produire un message global énigmatique, complexe, ésotérique. Le degré d’opacité d’une publicité ne peut donc pas être mesuré en fonction du seul degré de connotation de ses éléments pris séparément, mais doit faire intervenir le degré de cohérence entre ces différents constituants. L. Bardin le reconnaît elle-même, lorsqu’elle souligne que « l’importance est de saisir que la co-présence de l’un et de l’autre dans un même message ne se traduit pas par une somme (texte + image), mais par une interrelation (texte <-> image), et que de cette interrelation surgit un sens nouveau, supplémentaire.

En fait, L. Bardin cherche à montrer que tant les caractéristiques de l’image que celles du texte ne sont actualisées que dans une lecture individuelle, propre à chaque récepteur du message. Elle met ainsi le doigt sur le fait que la symbolique d’un message peut considérablement varier selon les lectures individuelles : « Chaque récepteur interprète, quantitativement et qualitativement, un message fortement connoté en fonction de son background individuel et social (histoire personnelle, groupe culturel d’appartenance ou de référence, maîtrise des symboles et mythes susceptibles d’être rencontrés dans un message et nécessitant un apprentissage antérieur pour être identifiés) ».

En définitive, l’intérêt de ce modèle réside, selon nous, dans l’exploration des choix disponibles entre publicité purement informative et publicité ésotérique. Il fournit également un outil d’évaluation du degré d’opacité du ou des sens d’une publicité, tout en rappelant qu’à chaque mot, à chaque couleur et à chaque image correspond un tissu de sens dont il s’agit de maîtriser la dispersion et d’évaluer l’impact.

3. 2. Les 6 fonctions du rapport texte/image

P. Léon part d’un constat identique pour s’interroger sur les principes organisateurs de la conjugaison image/texte. En dépassant la dichotomie ancrage/relais, il parvient à distinguer six fonctions différenciées d’étayage du texte par l’image.

• La fonction de confortation est le degré minimal de l’étayage. Entre redondance et développement, l’image a pour tâche de conforter le contenu verbal tout en y infusant des affects, explicitant de la sorte les attendus du texte. En d’autres termes, elle donne une représentation sensible de ce que dit le texte de manière conceptuelle, elle injecte des sentiments, du rêve, etc. (Dreamcast, Boucheron, Sony).

• Dans la fonction d’invalidation, l’image invalide les termes du texte qu’elle illustre en les contredisant, « preuve à l’appui ». Il y a un dédoublement de l’instance énonciative, l’émetteur du verbal n’étant plus le même que celui de l’image. L’image peut aller jusqu’à ironiser sur les termes de l’énoncé verbal. Bien évidemment, cette fonction est réflexive, dans le sens où il est difficile de déterminer si c’est l’image qui ironise sur le texte ou le contraire. (« Its a Great Day », Gore Tex) Il y a un divorce entre ce que l’image montre et ce que le texte dit. La production publicitaire offre cependant des exemples beaucoup plus virulents, où l’ironie devient plus qu’évidente. L’opposition entre le texte et l’image peut même virer au pugilat, à la rupture totale de cohérence entre l’un et l’autre ! (parodies).

• Par sa fonction d’implication, l’image suggère ce qui ne peut être dit sous peine de sortir du “politiquement correct”. Tout en renchérissant sur les propos tenus, elle peut raviver, chez le lecteur, une mémoire iconique enfouie. Cette fonction semble se manifester sous deux formes. La fonction d’hyperbole, très courante en publicité, permet le renchérissement (607). À côté, et sans l’exclure, se profile celle que l’on pourrait qualifier de " fonction suggestive ". Celle-ci implicite les références informulées. L’image a la capacité de raviver chez le lecteur des représentations que le texte ne peut expliciter frontalement, comme c’est le cas des publicités qui jouent avec les règles socioculturelles ou juridiques : le " porno chic ", la publicité comparative, la publicité mensongère, etc. (Sauza).

• La fonction de figuration relève du domaine de la représentation symbolique. L’image a pour tâche de figurer des concepts et des situations, au risque même d’une dérive vers le stéréotype. Ève, lorsqu’elle est stéréotypée, est vêtue d’une feuille de vigne, porte de longs cheveux bruns, et tient une pomme dans la main. Un serpent l’accompagne parfois. (Cutty Sark, BMW).

• Par la fonction d’énonciation, l’image divulgue l’identité de l’émetteur du message. La fonction d’énonciation peut en premier lieu désigner le « slogan phylactère », terme technique donné aux bulles des bandes dessinées, dans lesquelles sont retranscrites les paroles ou les pensées des personnages (Sauza). L’image divulgue l’identité fictive de l’émetteur du message, qui peut renforcer le poids des mots, soit par son caractère public, soit par la nature de son témoignage. Il y a là une véritable volonté d’interpellation qui vise à impliquer le lecteur tout en lui demandant de se reconnaître en tant qu’interlocuteur immédiat. En second lieu, l’image peut mettre en scène le récepteur du message (Cébé, « You are protected »). En troisième lieu enfin, les deux entités de l’interaction, à savoir l’émetteur et le récepteur, peuvent être convoquées simultanément. De ce point de vue, la publicité semble être caractérisée par une confusion quasi systématique entre les instances d’énonciation internes (personnages) et les instances d’énonciation externes (annonceur, consommateur). La publicité, recherchant une implication maximale du lecteur face à elle-même, favorise invariablement soit les processus d’identification — où il y a (con)fusion entre instance interne et instance externe —, soit les processus d’interpellation — où il y a une simulation de dialogue entre l’annonce (interne) et le lecteur (externe).

• Dans la fonction d’élucidation, l’image dévoile les procédés poétiques à travers lesquels le texte a été élaboré : jeux de mots, métaphores, etc. Extrêmement rare en presse écrite pour des questions de pertinence, cette fonction est beaucoup plus fréquente en publicité. Là encore il est possible d’affiner la typologie en distinguant deux formes. La première consiste à dévoiler par l’image un

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procédé poétique du texte. La deuxième inverse le rapport texte/image, le texte venant alors expliciter l’image. (The North Face, Dainese, Rossignol Scrath).

Les fonctions de Paul Léon nécessitent dès lors quelques ajustements. Comme nous l’avons vu, certaines

d’entre elles, notamment celle d’élucidation et d’énonciation, doivent être complexifiées de manière à bien faire apparaître les différents sens qu’elles peuvent prendre selon les cas.

Par ailleurs, si les fonctions de confortation, d’invalidation, d’élucidation et d’implication semblent pouvoir se manifester dans les deux sens, celles de figuration et d’énonciation ne semblent pouvoir aller que dans le sens image -> texte.

L’intérêt de cette approche est de poser la question du rapport texte/image : la co-présence de l’un et de l’autre dans un même message ne se traduit pas par une somme (texte + image), mais par une interrelation (texte <-> image), laquelle engendre un sens nouveau, supplémentaire. La photographie publicitaire recourt par ailleurs à des montages mêlant des images de diverses natures. Il suffit par exemple d’observer le mode d’intégration du produit dans le reste du visuel pour se convaincre de la complexification accrue du rapport texte-image.

En résumé, Paul Léon démontre que si le texte peut étayer l’image, l’image peut à son tour venir étayer le texte. Ses propositions permettent de s’interroger sur la cohérence entre les deux systèmes de signes. L’intérêt de son approche est de poser la question de leur rapport : la co-présence de l’un et de l’autre dans un même message ne se traduit pas par une somme (texte + image), mais par une interrelation (texte <-> image), laquelle engendre un sens nouveau, supplémentaire. Ce principe systémique devrait être automatiquement pris en compte lors de la création publicitaire. Les circulations de sens entre les différents constituants d’une annonce peuvent venir renforcer ou, au contraire, interférer sur le concept qui a guidé la création d’une annonce. L’intérêt de ces six fonctions est de permettre de s’interroger consciemment sur le rôle réellement imparti à chaque élément de l’annonce.

Enfin, il s’agit de ne pas perdre de vue que c’est au lecteur que revient le pouvoir d’activer ces différents rapports texte/image. Le postulat selon lequel la lecture, tant du texte que de l’image, n’est pas une réception passive du sens par le lecteur, impose de penser systématiquement la complexité d’ensemble de l’annonce.

4. Les hyperstructures canoniques

Si le lecteur construit activement un sens toujours singulier de l’annonce, il est néanmoins possible de contraindre en partie son parcours interprétatif. Le sens global passe par les rapports entre les différents constituants, dont l’un des plus importants est sans nul doute le rapport entre slogan et visuel. Mais parallèlement, la structure générale de l’annonce définit des parcours de lecture privilégiés, qui jouent un rôle capital dans le guidage du lecteur.

Douée d’une géographie très particulière, l’hyperstructure publicitaire est avant tout un attrape-regard. Pour amener ensuite les lecteurs à lui trouver un sens dans un laps de temps extrêmement court, ses divers éléments sont subtilement arrangés dans l’espace et distribués de sorte que le regard soit amené vers les surfaces porteuses d’informations clés : représentation du produit, nom de la marque ou encore logo. Or, les messages publicitaires étant rarement parcourus d’un bout à l’autre, l’incorporation d’instructions de lecture vise à compenser ce manque d’attention chronique. Dès lors, si le lecteur construit activement un sens toujours singulier de l’annonce, la mise en page, les proportions, la perspective, l’utilisation des couleurs, des tons, des harmonies et des contrastes, des formes ou encore des polices d’imprimerie, sont autant d’éléments qui vont contraindre en partie son parcours de lecture.

Si la production publicitaire est infinie, elle répond néanmoins à un certain nombre de règles plus ou moins établies. L’observation sur un large corpus suggère ainsi l’existence d’un modèle de base. La partie supérieure de l’hyperstructure publicitaire serait constituée d’un slogan d’accroche chapeautant le visuel. En bas à gauche de l’annonce viendraient se placer le pavé rédactionnel et le slogan d’assise. Enfin, en bas à droite se trouveraient le pack shot, en guise de signature, et le nom de la marque, complétée de son slogan et de son logo :

Si certaines de ces constructions nécessitent plus que d’autres des forts parcours de lecture, quoi qu’il en soit, une bonne annonce se doit d’inviter les regards à suivre des lignes, des courbes, des voies qui devraient idéalement les conduire au produit, à sa marque, à son nom. Tel est le devoir des parcours de lecture.

Les recherches de laboratoire sont encore loin d’avoir donné une réponse définitive sur un hypothétique schéma contraignant l’exploration oculaire d’une page ou plus localement d’une image. À tel point que l’on pourrait se demander si la recherche de modèles généralisables de parcours de lecture n’est pas chimérique.

Selon certains chercheurs, il n’y aurait pas de parcours standard, car les parcours se renouvelleraient selon la nature de l’annonce, le lecteur et les circonstances de lecture. Le parcours, c’est-à-dire la séquence des fixations oculaires, se structurerait plutôt selon le but poursuivi par le lecteur.

Un certain nombre de constats semblent pourtant attestés :

• La plus grande attention serait portée au tiers supérieur gauche de l’annonce. • Le regard se fixerait sur les éléments de l’annonce qui portent le plus grand sens. • Les paramètres affectifs et situationnels auraient une influence sur l’ordre des fixations. La finalité

(informer vs flâner) influencerait la durée et le parcours du regardeur. • L’œil retournerait aux éléments de l’image identifiés comme essentiels et abandonnerait les

éléments jugés secondaires. Il existe quatre modèles de parcours de lecture.

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• De nombreuses études ont mis en évidence un parcours de lecture en Z, partant d’un point situé dans le premier tiers supérieur gauche de la page, suivant un parcours en Z, et s’achevant en bas, à droite de l’annonce. Conformément aux habitudes occidentales, dans cette lecture de type scriptural, le lecteur, après avoir parcouru l’annonce selon ce tracé, reviendrait dans un second temps sur d’éventuels éléments qu’il aurait jugés intéressants. Ce modèle semble être privilégié par les maquettistes publicitaires. De plus, sur cet espace réduit qui sert de clôture au parcours de lecture, la marque se démultiplie : le logo, le nom du produit, le nom de la marque et le slogan. Le parcours de lecture se clôt ainsi sur une surenchère de signatures. (Mammut, SportXX).

• Parallèlement à ce balayage de nature scripturale, la publicité se sert d’autres parcours, fondés sur des organisations géométriques. Certaines études ont permis d’observer un parcours circulaire.Le balayage partirait du coin supérieur gauche, ferait un premier tour de l’annonce en rasant les marges, puis un deuxième tour à circonférence plus réduite, et ainsi de suite jusqu’à ce que la surface soit entièrement couverte (Ricard, Opel, Diamir). Ce modèle en spirale peut être généralisé en balayage circulaire, qui peut prendre diverses formes : forme irradiante, privilégié par la géométrie de ses éléments, fusion produit et visuel en composition amalgamée, etc.

• Les parcours en miroir se basent sur la duplication en reflet du visuel et du slogan d’accroche. Ils présentent plusieurs variantes, mais semblent s’organiser principalement autour d’un axe horizontal ou vertical (Swatch). Jouant sur un parcours de lecture par rebondissements (type Ping-pong) (607), ce type de publicités fonde fréquemment son argumentation autour d’un principe de comparaison entre un avant et un après ou un sans et un avec (S. Pérèle). Il peut même emprunter au jeu “ Trouvez les sept erreurs ” sa structure pour établir la comparaison de manière ludique. Les découpages vertical et horizontal peuvent enfin s’imbriquer dans une même annonce et suggérer la réunification de deux extrêmes (New Man).

• Enfin, dans le parcours quadrillé, l’annonce se voit fragmentée en bandes verticales et horizontales (Dainese). Un tel parcours suscite soit une lecture segmentée, soit une lecture démultipliée. Dans le premier cas de figure, l’annonce est structurée à la manière d’une bande dessinée. Dans le second cas, la lecture se voit démultipliée. L’annonce offre alors divers espaces de lecture non reliés entre eux.Le couplage d’espaces quadrillés peut ainsi aller d’une logique indéfectible à une anarchie achevée.

Il existe bien évidemment d’autres archétypes, tirant parti d’autres configurations géométriques. À

l’extrémité inverse, certaines annonces n’hésitent pas à bouleverser les attentes du public en proposant des agencements inattendus. D’autre part, les différents parcours de lecture évoqués ne s’excluent pas mutuellement. Enfin, il convient de rappeler que ces derniers restent des instructions de lecture non contraignantes que le lecteur est libre de suivre, et ce, bien souvent, de manière totalement inconsciente.

L’hyperstructure publicitaire trouve son intérêt ailleurs. Elle oblige à considérer de manière systématique l’annonce publicitaire comme un tout signifiant, constitué d’éléments linguistiques, plastiques et iconiques et, à partir de là, à définir des logiques de lecture, des modèles canoniques, et des rapports entre les différents constituants. Elle devrait permettre, dans un second temps, de s’interroger sur l’ensemble de ses éléments transtextuels.

5. L’évolution de la publicité

Pour G. Cornu, l’évolution de la publicité montre une tendance à l’effacement du texte au profit de l’image, et à la simplification des éléments iconiques, qui se traduit par la réduction de ses attributs, i. e. les figures secondaires porteuses des valeurs du produit.

Cette assertion, déjà ancienne, est contredite par P. Léon (cf. supra).Mais on peut considérer qu’elle est valable pour l’évolution d’un communication de marque (cf. Benetton).

Remarque : cette typologie ne tient pas compte des différentes composantes de l’image, et de leurs interrelations.

Pour G. Cornu, on passe ainsi de l’allégorie à l’emblème : la juxtaposition-collage-composition (cf. supra ; Panzani) fait place un « morceau » d’allégorie, ou à une allégorie condensée offrant l’avantage d’une meilleure mémorisation visuelle (Rossignol Bandit, différents signes de la liberté : skis, pain avec la lime, barreaux, parodie des films d’évasion).

En fixant en une seule forme les valeurs éparpillées sur plusieurs attributs, l’emblème opère un transfert. Une campagne publicitaire habile consisterait à transférer les valeurs contenues dans l’emblème sur l’image de la marque.

Il y a différents degrés de condensation : — lorsque les valeurs sont éparpillées sur des attributs juxtaposés et répartis autour du produit (image

+ nom) (Panzani), — les valeurs sont condensées dans un emblème qui peut se substituer au produit (Rossignol Bandit), — elles sont fixées dans l’image du produit : celle-ci est emblématique ; le produit a acquis une image

de marque, (Boucheron), — l’image de marque n’a plus besoin de la représentation du produit ; le nom suffit à susciter toutes les

valeurs qui lui sont attachées (Volkswagen), — le nom lui-même est remplacé par un signe qui rappelle sans le nommer à la fois le produit et les

valeurs. Ce signe travaillé est le logo qui agit comme une marque, une signature ; c’est la marque de l’image de marque (Opel).

La progression de la condensation suit le trajet suivant : Allégorie=> emblème=> logo. — Produit + nom + attributs –valeurs juxtaposées (allégorie) (Panzani, Sony), — Produit + nom + objet emblématique (valeurs superposées) (Nokia, Bandit), — Nom du produit + objet (fusion du produit avec un objet emblématique) (Boucheron),

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— L’objet design ; le nom n’est pas nécessaire ; à la limite, le produit n’est pas nécessaire non plus ; on vend un emballage, un objet, une marque de reconnaissance (Volkswagen),

— Le logo : le produit + le nom remplacé par un signe. (Opel, Michelin). La condensation fait passer d’un mode de représentation figuré à un mode d’écriture. L’image figurative du produit est progressivement remplacée par un signe conventionnel. Nous arrivons en dernier ressort à la création d’une forme qui sera reconnue d’emblée sans avoir besoin d’être lue.

Pour U. Eco (Le signe), est interprétant tout autre signe ou complexe de signes, qui, dans des circonstances adéquates, traduit le premier signe, et ceci, quelque que soit sa substance.

Ex. : — signes du même code (nom et corporate), — signes relevant de sémies utilisant une autre substance (nom et logo), — objet utilisé comme signe (image du produit), — une connotation émotive ou intellectuelle si étroitement associée à ce signe, que, dans le contexte

approprié, elle en devient le substitut adéquat (concept pour la marque, liberté pour une marque de ski).

L’interprétant n’est pas seulement un signe traduisant un autre signe, c’est surtout et dans tous les cas une expansion du signe, un surcroît cognitif induit par le signe initial (image de marque).

5. 1. Le caractère dynamique de l’interprétant Pour Peirce, un signe (representamen est quelque chose qui tient lieu pour quelqu’un de quelque chose sous

quelque rapport que ce soit. Il s’adresse à quelqu’un, i. e., il crée dans son esprit un signe équivalent ou plus développé. Ce signe créé est l’interprétant du premier signe. Ce signe tient lieu de quelque chose : de son objet. Il tient lieu de cet objet, non sous tous rapports, mais par référence à une sorte d’idée : le fondement du representamen.

Le signe est à son tour une relation à trois termes : (1) ce qui provoque le processus d’enchaînement, (2) son objet, et (3) l’effet que le signe produit ou interprétant.

Au sens large, l’interprétant est le sens du signe ; dans une acception plus étroite, c’est le rapport paradigmatique entre un signe et un autre. (marque et logo, par exemple).

� L’interprétant est donc toujours un signe, qui aura son interprétant qui est un signe. Ex. : mot = signe ; interprétant = définitions et synonymes de dictionnaires. La connotation est un interprétant. Dans une théorique mobilisant la notion d’interprétant, la signification d’un signe, loin d’être un simple renvoi

à l’intérieur d’un système clos, est l’action de ce signe sur l’interprète (sa capacité, ici, à associer automatiquement un signe à une marque).

La pub est un signe d’un objet, elle-même signe d’une marque, elle-même signe de valeurs, etc. C’est pour cette raison que l’on évolue vers une condensation.

Le signe n’est pas un signe à moins qu’il ne puisse se traduire en un autre signe dans lequel il sera plus pleinement développé (qualités de l’objet=>marque=>image de marque). Le processus d’interprétation est en principe illimité : l’interprétant d’un signe est un autre signe, et ceci à

l’infini. Mais, dans les faits, la chaîne des interprétants est souvent interrompue. Un même objet peut être approché grâce à des interprétants variés, qui autorisent des interprétations

approfondies, nouvelles, contradictoires. Le signe est quelque chose qui ouvre sur quelque chose d’autre. => Les signes ne sont pas identiques. Signes : produit de relations constamment relancées entre objets, signes et interprétants. L’habitude fige la chaîne des interprétants. (Cf.Panneaux sur une route connue). Mais si la pratique diffère de la théorie, cela n’empêche pas cette récursivité d’exister

théoriquement.

5. 2. L’interprétant publicitaire

Pour G. Cornu, l’essentiel de la rhétorique publicitaire porte sur la qualification de la marque ; on ne vend

pas un produit, mais un emblème de la marque, au sens d’un morceau de celle-ci. Le produit est un morceau d’un ensemble des valeurs contenues dans l’image de marque. Ces valeurs sont empruntées à un stock d’images mentales : c’est sa définition de l’interprétant de C. S. Peirce.

La sémiose se nourrit de visions du monde, d‘approches sociales, idéologiques, mythiques. Le sémiologue met en évidence les forces qui concourent à la production du signe et à leurs agencements. L’image publicitaire nous apparaît comme un ensemble graphique où l’écriture elle-même est exploitée dans sa dimension iconique ; elle agit comme une empreinte visuelle et psychique.

La sémiose illimitée se bloque plus ou moins rapidement selon la richesse, la qualité de l’image. Pour Cornu, l’interprétation s’arrête en général sur un interprétant final qui est un stéréotype.

Dans la publicité, l’habitude, qui bloque la sémiose illimitée, est artificiellement créée par la réitération, par le matraquage, par les campagnes ; on peut aussi avoir recours aux habitudes sociales en faisant appel aux

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stéréotypes. C’est pourquoi la majorité des publicités relèvent de la composition allégorique où les éléments signifient des valeurs, afin de bloquer la sémiose.

Pourtant, il arrive que la sémiose se poursuive : le representamen (image réelle) est liée à l’interprétant (stock d’images mentales) par des relations subjectives. Il faut que la sémiose libre et mouvante se double d’une sémiose verrouillée, à laquelle elle sert de toile de fond, qu’elle serve à la valorisation de l’image de marque.

Ce sont donc des images mentales sélectionnées qui nourrissent l’image de marque ; le talent du publicitaire consiste à choisir et orienter ces images communes (interprétants), souvent stéréotypées pour élaborer la publicité (representamen), mais on peut décider de libérer la sémiose.

Objet 1 = objectif publicitaire Image de marque Marque de l’image Empreinte psychique Representamen Interprétant Images publicitaires stock d’images mentales Logo, images, spot Objet 2 = Icône Marque de l’image Empreinte psychique Icône + art

GLOSSAIRE

Acousmatique : se dit d'un son que l'on entend sans voir la source qui en est la cause. L’écoute acousmatique consiste à écouter la bande sonore d’un film sans en regarder les images. Allégorie : figure de style qui fait correspondre des représentations à des idées. Amorce : un personnage ou un objet sont dits en amorce lorsqu’ils apparaissent au bord du cadre, parfois flous. Analogie : ressemblance entre un objet du monde et sa représentation sur l’image. Ancrage (fonction d’) : se manifeste lorsque le message verbal vient renforcer le message porté par l’image. Angle de vue (ou angle de prise de vue) : il varie en fonction de la place de la caméra par rapport à l’objet regardé. L’angle normal est à hauteur du regard. Voir plongée et contre-plongée. Aplat : couleur uniformément répartie sur une surface. Arrière-plan : éléments d’une image perçus comme les plus éloignés de l’œil du spectateur. Axe de regard : axe sous lequel le spectateur voit le ou les personnages dans le plan ou dans l’image. Un personnage peut être filmé de face, de dos, de profil, de trois-quarts gauche ou droite. Bords perdus : se dit d’une image qui couvre une page jusqu’à la rognure, sans marge. Bulle ou phylactère : espace dessiné, relié à la bouche d’un personnage de bande dessinée et contenant son discours sous forme textuelle ou imagée. Cadrage : opération qui détermine le champ visuel enregistré par la caméra. Un cadrage peut être plus ou moins large ou serré. Voir plan et échelle des plans. Cadre : bords de l'image qui marquent les limites de l'espace représenté ou champ. Le cadre sépare le champ du hors-champ. Case (ou vignette) : image généralement cernée d’un trait et faisant partie d’une planche de bande dessinée. Champ : portion d’espace prise en compte par la caméra ou perceptible dans l’image. Il est limité par le cadre. Composition : art de disposer dans le cadre les différents éléments composant une image. La composition hiérarchise et oriente la vision. Voir lignes de force. Connotation : interprétation spontanée associée à un signe et dépendant des références du spectateur. Contre-plongée : angle de vue résultant d’un abaissement du point de vision par rapport au sujet. Contrechamp : portion d’espace opposée au champ. Le champ-contrechamp fait se succéder par montage deux plans aux champs opposés, notamment pour présenter deux interlocuteurs face-à-face. Découpage : description détaillée d’un film, plan par plan. Diégèse : « Tout ce qui appartient à l’histoire racontée, au monde supposé ou proposé par la fiction du film . » (E. Souriau). Sont diégétiques les éléments du film appartenant au monde représenté ; sont extra-diégétiques ceux qui n’y appartiennent pas. Dénotation : signification littérale d’une image mise en évidence par sa description. Echelle des plans (voir cadrage) : Gamme des plans définis selon leur taille : chaque taille de plan correspond à un rapport de surface entre la dimension de l’image et celle du principal motif inscrit dans le cadre. L’échelle des plans permet de nommer et de décrire les plans qui constituent une séquence. Le centre de l’échelle est le plan moyen (personnages cadrés en pied). Par rapport à lui, il y a toute une gradation possible entre le plan d’ensemble (personnages lointains dans un vaste espace), le plan de demi-ensemble (personnages identifiables dans un espace plus ou moins large), le plan américain (personnages coupés à mi-cuisse), le plan rapproché (personnages coupés au-dessus de la ceinture), le gros plan (personnage cadré au visage), le très gros plan (isole un détail, partie du visage, objet). Ellipse : dans un discours narratif, élément d’histoire qui ne donne pas lieu à une narration.

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Enonciateur filmique : instance impersonnelle responsable de l’énonciation. L’énonciateur filmique est généralement effacé de telle sorte que le récit filmique semble se raconter de lui-même pour le spectateur. Il peut aussi marquer sa présence et orienter la réception du film. Espace linéaire : la bande dessinée comme simple succession de cases, lues de gauche à droite. Espace tabulaire : la bande dessinée lue globalement, comme un tableau composé de cases. Focalisation interne : polarisation du récit filmique qui fait partager au spectateur le savoir (foyer cognitif) d’un personnage notamment en donnant accès à son point de vision et à son point d’écoute. Fondu : effet optique qui mêle deux séries d’images (fondu enchaîné) ou qui fait disparaître ou apparaître progressivement une image (fondu au noir ou fondu au blanc). Forme : signe visuel non iconique : figure géométrique, graphème, point, etc. Formes d’adresse : regards, paroles, mentions écrites énoncés de l’intérieur de l’image en direction du spectateur Gros plan : voir échelle des plans. Hors-champ : 1. Espace invisible, généralement contigu au champ, et imaginé par le spectateur. 2. Un personnage ou un objet, présent dans la diégèse mais invisible dans le cadre est dit hors-champ. De même, sont dits hors-champ les sons diégétiques dont la source n’est pas visible dans le champ. Icone (iconique) : signe caractérisé par les traits de ressemblance qu’il entretient avec l’objet qu’il désigne. In : sont dits in les sons dont la source est visible dans le champ. Lignes de force : lignes visibles qui structurent la composition d’une image. Lignes de fuite : dans la représentation en perspective, tracés idéaux se rencontrant au point de fuite. Message iconique : ensemble de signes présents dans une image et tenant à son caractère de représentation d’objets du monde.

Message linguistique : texte associé à une image. Message plastique : ensemble de signes présents dans une image et tenant aux caractéristiques matérielles de l’image.

Métaphore visuelle : figure de style permettant de transférer les connotations d’un signe iconique sur un autre. Métonymie visuelle : figure de style consistant à représenter un fragment du référent pour signifier celui-ci dans sa totalité. Montage : opération consistant à assembler à des fins narratives, rythmiques et expressives les différents éléments visuels et sonores du film. Montage alterné : montage faisant alterner deux séries de plans se rapportant à deux actions simultanées. Nombre d’or : dans le partage asymétrique d’une composition picturale, rapport considéré par les Anciens comme idéal et harmonieux entre la plus grande des deux parties et la plus petite. Off : sont dits off les sons qui n’appartiennent pas à la diégèse. La voix du commentaire est off. Panoramique : mouvement d’appareil correspondant à une rotation de la caméra sur son axe, que celle-ci soit de droite à gauche, de gauche à droite ou verticalement vers le haut ou vers le bas. Perspective : art de représenter les objets sur une surface plane de façon que cette représentation donne l’impression d’une vision « naturelle ». Photogramme : une des images (24 photogrammes par seconde) constituant un film. Phylactère : voir bulle. Plan : 1. Unité de base de la fabrication d’un film. Pellicule impressionnée entre l’ordre « Moteur ! » et l’ordre « Coupez ! ». 2. Unité de base d’un film monté, entre deux collures. 3. Type de cadrage. Voir échelle des plans. 4. Position respective des objets dans la profondeur de champ : premier plan, arrière-plan. Plan rapproché, plan américain, plan moyen, plan de demi-ensemble, plan d’ensemble : voir échelle des plans. Planche : page de bande dessinée, généralement composée de plusieurs cases. Plan-séquence : type de construction cinématographique consistant à traiter en un seul plan l’ensemble d’une scène ou d’une séquence. Plongée : angle de vue résultant d’une élévation du point de vision par rapport au sujet. Point de vision, point d’écoute : si la prise de vues ou la prise de sons paraissent ancrées dans le regard ou l’écoute d’un personnage, on parlera de point de vision interne ou de point d’écoute interne. Lorsque la prise de vues ou la prise de sons ne sont pas ancrées dans la perception d’un personnage, les points de vision et d’écoute seront appelés externes. Points forts : zones où se rencontrent les lignes de force d’une composition. Polysémie : multiplicité des significations d’une image. Profondeur de champ : partie du champ qui est nette dans la troisième dimension et qui contribue à donner l’impression de volume. Raccord : dans le montage, enchaînement simple entre deux plans (cut) ou liaison soulignée par un effet (volet, fondu, etc.). Les règles de raccord en usage sont : le raccord par le mouvement, le raccord par le geste, le raccord par le regard et le raccord par le son. Récitatif : commentaire additionnel, généralement encadré, directement adressé par l’auteur d’une bande dessinée au lecteur. Référent : objet du monde représenté dans l’image. Relais (fonction de) : se manifeste lorsque le message verbal vient suppléer les carences expressives de l’image. Réserve : espace d’un dessin laissé intact, blanc. Rush : prise de vues brute allant de l’ordre « Moteur ! » à l’ordre « Coupez ! ». Les rushes sont choisis, découpés et assemblés au montage. Scénario : texte présentant une histoire destinée à être réalisée cinématographiquement.

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Séquence : suite de plans constituant une unité narrative, le plus souvent dans une unité d’action ou de lieu. Signe : toute image est un ensemble de signes, c’est-à-dire d’éléments matériels (les signifiants) reliés par analogie à des objets du monde (les référents) et associés à des significations (les signifiés). Support : matériau sur lequel l’image est inscrite. Synopsis : récit de quelques pages résumant un film et précédant l’écriture du scénario. Texture : qualité de surface d’une image liée à la matière même de l’image et renvoyant à une perception tactile de celle-ci.

Trajectoire : mouvement d’appareil complexe associant panoramiques et travellings. Travelling : mouvement d’appareil résultant d’une translation de la caméra. Vignette : voir case.

Zoom : mouvement optique semblant rapprocher (zoom avant) ou éloigner (zoom arrière) vivement le sujet de l’œil du spectateur.

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