Roques - Valde Artificialiter

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  • 7/26/2019 Roques - Valde Artificialiter

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    VALDE ARTIFICIALITER :

    LE

    SENS D UN CONTRESENS

    Dans sa traduction de la

    Hirarchie cleste

    du pseudo-Denys,

    Jean Scot rigne, entre autres inexactitudes plus ou moins graves,

    a rendu par un contresens

    absolu

    l'adverbe aTE^v (valde arti-

    ficialiter) qui constitue un hapax dans

    le

    corpus dionysien et

    propos duquel semble se manifester une divergence

    assez radicale

    entre les deux auteurs. On voudrait prsenter rapidement

    le

    pas

    sage

    et

    sa

    traduction, s'interroger

    sur

    les

    positions

    doctrinales

    rellement

    impliques par

    l'adverbe

    dionysien, montrer

    comment

    Jean Scot a

    essay

    d'expliquer la pense de Denys sur ce point,

    souligner enfin que cette interprtation est destine confirmer

    l'une des thses

    majeures

    de Jean Scot.

    *

    *

    II

    s'agit

    d'une

    phrase de Hirarchie cleste

    II.

    Le

    chapitre

    est

    consacr expliquer

    et

    justifier l'emploi des symboles

    par l cri

    ture. Plus prcisment, Denys veut y

    prouver

    que

    c'est

    en toute

    convenance que l'criture recourt aussi des symboles di

    ssemblables ^. Mais l'ensemble du

    chapitre,

    comme le trait

    (1) C'est le

    titre

    mme de ce

    chap.

    II de Hirarchie

    cleste

    :

    xt

    7TpSTr6vTto

    x

    6eta xocl

    opdcvia

    xod

    8i xcov

    vofiolcov

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    lui-mme,

    se propose en ralit de lgitimer et d'interprter toute

    la symbolique biblique, qu'il s'agisse des reprsentations de

    Dieu

    ou des

    anges

    ou des

    ralits

    divines , et quels que soient la nature

    et

    le

    niveau de

    ces reprsentations.

    Dans

    ce

    contexte

    nous

    sont

    proposs la phrase et l'adverbe

    qui vont

    nous

    retenir.

    En voici la

    teneur,

    avec

    la

    traduction

    correspondante de

    Jean

    Scot

    :

    DENYS JEAN SCOT

    Kal yp aTE^v r\ 0so- Etenim valde artificialiter

    Xoyia Tat

    7noi7)Ttxat

    lepo- theologia factitiis sacris for-

    inl Tiv

    o^Tjfxa- mationibus in non

    figuratis

    vocv s^pTjaaTO, tv intellectibus

    usa

    est, nos-

    xaG'

    yjfxa,

    w ep7)Tai,

    vouv trum, ut

    dictum

    est,

    animum

    3,

    xal

    tyj

    ofocsia

    revelans,

    et

    ipsi

    propria

    et

    xal

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    33

    selon laquelle

    l'criture

    (OeoXoYia) ^ reprsente les intelligences

    sans figure

    que

    sont

    les anges

    (tv t,ayyi\x.fi,

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    34

    emprunts directement

    aux

    plus belles ralits de

    l'univers

    et l'art humain n'y intervient aucunement. Entre ces deux

    de

    symboles,

    ressemblants et dissemblables,

    Denys

    bien une sorte de distinction logique, reprise d'ailleurs

    Jean Scot. Mais il

    ne

    s'agit

    en

    ralit

    que

    d'une rpartition de

    empirique,

    plus ou

    moins

    flottante,

    qui

    n'est

    mme

    pas

    par l'criture et

    qui correspond

    simplement

    une classi

    ication

    commode pour

    l'intelligence

    qui s'applique

    comprendre

    La

    mme

    remarque s'impose pour une seconde rpartition qui

    rdonne

    les symboles selon trois

    niveaux

    : les symboles qui

    parais

    ent e haut prix (tcov covic[jt,aai)j

    d'nigmes

    difficiles dchiffrer (SuaOewpyjTOi alv^y^aai) et de figures dont

    on ne discerne le sens qu'avec peine (ttoi ox

    eSidcxpixov

    &/p\jai),

    diffusant une

    lumire

    proportionne

    nos

    faibles regards pour

    ne les point

    blesser

    (J>

    aSevaiv 6tysaiv

    6Xa6 l7uX[jii{>aaa)

    (EH V, 501

    BC)

    cf.

    L'univers dionysien, p. 171-174. Mais l'humanit est

    en

    tat ou

    en

    acte cons

    tant

    d'ducation

    :

    celle-ci

    est commence par

    le

    catchumnat

    prparatoire

    au

    baptme,

    dont

    l'enseignement

    de

    base

    est

    l'criture,

    avec

    ses

    symboles notamment

    (cf. L'univers dion., p. 184-186

    et

    192-196); elle est

    poursuivie

    au cours de cha

    cune des actions

    sacramentaires

    o

    l'criture et

    la symbolique scripturaire

    tiennent

    une

    place

    qui n'est

    certes

    pas exclusive, mais qui reste importante

    (EH,

    ch.

    II

    VII;

    cf.

    L'univers dion., p. 246-302).

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    symbolique.

    A cette fin,

    l'criture

    procde avec soin (fj)

    \

    en

    toute

    sagesse

    (irvcrotpo) ^. Et ceux qui sont nourris 'de

    l cri

    ture

    t forms

    par

    elle, les moines

    en

    tout premier lieu,

    ont

    atteint

    la

    philosophie

    trs parfaite

    (TeXeiorr/jv

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    * *

    En traduisant dcTS/v par valde artificialiter, Jean Scot

    trans

    forme un adverbe ngatif en une formule adverbiale superlative de

    sens rigoureusement oppos. L'imagerie biblique, trangre

    l'art

    et simple, au jugement de Denys,

    devient ainsi,

    pour Jean

    Scot, une uvre de grand art, une prsentation extrmement ing

    nieuse, un

    montage des mieux

    russis.

    La contradiction

    ne

    peut

    pas tre

    plus absolue.

    La mprise d'rigne, si mprise

    il

    y a, ne

    saurait tre

    explique

    par une variante ou un tat dfectueux du manuscrit

    grec

    BN 437 ^\

    sur lequel Jean Scot, aprs Hilduin, a traduit l'uvre

    de

    Denys :

    le manuscrit, trs clair et

    parfaitement

    lisible dans ce passage,

    porte

    bien octs^voo

    ^2^. De plus, Hilduin

    traduit

    ici parfaitement par

    inartificiose

    ^3\ et

    nous

    savons

    que

    Jean Scot disposait,

    pour sa

    propre

    traduction,

    de la traduction d'Hilduin (4) :

    ce

    qui rend

    le

    contresens

    encore

    moins explicable. Sans doute, comme

    beaucoup

    de traducteurs

    l'gard

    de

    leurs

    devanciers, Jean Scot

    prouve-t-il

    en maints passages un plaisir

    certain

    traduire

    autrement qu'Hil-

    duin

    et

    le

    corriger

    . Mais,

    outre

    que ces corrections sont

    souvent

    minimes,

    il

    ne

    les

    fait

    pas, du

    moins

    sciemment, contre

    le

    sens

    vident du

    grec. Peut-tre pourrait-on

    suggrer

    avec Thry

    qu'il

    a pu

    lire suts^v (sic), au

    lieu

    de rs/v

    (5).

    Mais si la

    d.

    cit., Introd., p.

    LXIV-LXXI;

    E.

    Corsini,

    II trattato

    De

    divinis nominibus

    dello pseudo-Dionigi e i

    commenti

    neoplatonici

    al

    Parmenide , Turin,

    1962.

    Rappelons,

    en

    revanche, qu'on a faussement attribu Denys des

    traits

    de

    mtorologie et d'astronomie (Structures

    thologiques,

    p. 116, n. 1).

    (1) Sur

    ce

    ms., voir G. Thry, Scot rigne traducteur de

    Denys,

    dans Bulle

    tin

    u

    Cange

    VI,

    1931,

    p.

    9;

    tudes

    dionysiennes

    I,

    p.

    4-9

    et

    63-100.

    (2)

    Fol. 3

    v, 1. 10.

    Signalons

    toutefois que le ms. porte xt/y^C, (driv de

    cTexvo), sans art, au hasard, grossirement, et

    non

    pas dCTexv;

    (driv

    de

    dCTSXV7))> simplement, sans artifice, d'o, par extension : rellement, absolu

    ment.

    Ce

    dtail n'importe gure la signification du terme. Beaucoup plus i

    portant est le fait que l'dition critique de Heil ne relve

    ici

    aucune variante

    pour

    le mot lui-mme.

    (3) Thry, tudes dion., II, p. 10, 1. 6. C'est un

    procd

    de traduction familier

    Hilduin de

    rendre l'alpha

    privatif par le in- prfixe.

    (4) Thry, Jean Scot traducteur de Denys, p. 9 :

    De

    plus, Scot

    avait

    sous les

    yeux

    la

    premire traduction

    de

    Denys

    faite

    par

    Hilduin.

    Une

    comparaison minut

    ieuse entre les

    deux

    textes le prouve

    l'vidence ;

    illustrations

    de cette affi

    rmation dans tudes dion. I, en particulier p. 162-167.

    (5) Thry, tudes dion. II, p.

    10,

    n. 2. Liddell Scott

    donne

    seulement la forme

    exxvto (drive de

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    37

    confusion entre les deux

    adverbes est

    possible

    phontiquement, on

    doit rappeler

    que

    l'excellente graphie de BN

    grec

    437

    ne

    peut ici

    laisser aucune

    espce

    d'hsitation

    un

    lecteur

    moyennement

    attentif.

    Il ne semble donc pas possible d'expliquer le contresens de Jean

    Scot

    par

    la

    prcipitation

    ou

    par

    une

    lecture matriellement

    inexacte.

    L'

    erreur pourrait bien, au contraire, manquer de spontanit

    et rsulter

    d'une

    prise de position trs

    consciente,

    trs

    mrement

    rflchie, devant un

    texte jug

    doctrinalement inadmissible dans

    sa

    littralit

    et

    qui

    ne pouvait

    devenir acceptable

    qu en y

    changeant

    un

    adverbe

    litigieux. Jean Scot est en effet un lecteur

    attentif et

    un traducteur intelligent .

    A

    l'inverse d'Hilduin qui ne s'lve

    gure au-dessus d'un mot mot courte vue, il s'interroge con

    stamment

    sur

    les

    implications

    et

    les

    consquences

    des

    termes

    et

    des phrases qu'il

    traduit.

    Lorsqu'il les reprend et les utilise lui-

    mme,

    il les

    explique

    et

    indique en quel

    sens il les retient.

    Et sa

    rflexion sur

    les

    textes traduits

    et emprunts

    devient videmment

    plus attentive s'il estime que, directement ou indirectement, ses

    propres positions s'y trouvent confirmes ou menaces. Or, de ce-

    point de vue, la

    phrase

    de

    Denys

    ne pouvait que l'inquiter. L ad

    verbe T/vw

    voquait

    ncessairement

    aux yeux de Jean Scot

    une

    certaine doctrine

    des

    arts

    libraux

    (artes

    librales,

    te^voci).

    La manire ngative

    dont

    cet adverbe qualifie la

    fonction

    symbol

    ique e la GsoXoyia impliquait sans aucun

    doute,

    pour lui, une

    disjonction, voire une opposition entre l'criture

    et les artes

    l ib

    rales,

    et,

    par voie de consquence, entre l'criture

    et l'intelligence

    elle-mme, si l'on admet que les

    art

    es librales

    entrent

    dans l'essence

    mme de Yintellectus. Toutes implications qui, nous allons le voir,

    contredisent directement

    des positions

    centrales et

    des principes

    fondamentaux

    du

    systme rignien.

    S il se ft agi d'un autre pre ou,

    plus forte raison, d'un auteur

    profane, il est trs

    probable que

    Jean Scot

    aurait traduit

    littralement,

    sans se

    proccuper autrement d'un

    sens qu'il

    pouvait,

    selon ses

    propres dclarations

    de

    mthode,

    accepter ou

    rejeter au

    nom de la

    recta

    ratio

    &K Et nous

    savons

    qu'en fait il a choisi entre

    des auto

    rits discordantes ou contradictoires, et qu'il s'est cart avec

    fermet de plusieurs d'entre elles sur tels

    problmes

    prcis ^2).

    (1) Voir sur ce point les dclarations de DDN I, 513 AC.

    (2) M. Cappuyns,

    Jean

    Scot rigne :

    sa

    vie, son uvre,

    sa pense,

    Paris-

    Louvain,

    1933,

    p.

    280-290, apporte

    plusieurs exemples

    qui illustrent la

    prise

    de

    oosition

    de Jean Scot sur

    ce point.

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    38

    Mais,

    avec Denys, la

    position

    de

    Jean Scot

    est plus dlicate.

    Ce

    pre est vnrable

    et

    respectable entre tous, puisque,

    selon

    la

    lgende accrdite en

    Occident

    par la

    Passio

    d'Hilduin (1)

    et

    reprise par Jean Scot &\ il fut le converti et le disciple de Paul,

    le disciple de Hirothe, un autre personnage des temps aposto

    liques.

    Ses

    crits,

    tenus

    pour

    presque

    contemporains

    des

    livres

    du

    nouveau testament, bnficient

    ce titre d'un

    crdit

    excep

    tionnel,

    presque gal celui dont

    bnficie l'criture

    elle-mme.

    C'est la raison

    pour

    laquelle

    Jean Scot

    n'a jamais voulu

    se mettre

    en

    contradiction avec

    Denys. Lorsque, pour expliquer sa

    propre

    laboration doctrinale, il ne peut pas suivre la lettre un ense

    ignement dionysien, il en propose une explication plus ou moins

    ingnieuse, qui

    n'est d'ailleurs pas

    toujours dpourvue de justesse,

    et

    qui

    lui permet

    de

    penser autrement

    que

    le

    texte

    invoqu

    sans

    paratre s'opposer

    lui

  • 7/26/2019 Roques - Valde Artificialiter

    9/42

    39

    puisqu'il

    suffit

    de

    substituer mentalement

    st^vw

    Tels nous semblent avoir pu tre, pour l'essentiel, le processus

    psychologique et le raisonnement au terme desquels Jean Scot

    s'est rsolu faire

    son

    contresens. Nous voudrions

    confirmer

    l'hypothse

    en

    examinant d'abord quelques prsentations par

    Jean

    Scot

    de

    textes

    diony

    siens

    qu'il

    estime

    relatifs

    au

    prsent

    sujet,

    en

    proposant ensuite quelques

    passages

    de Jean Scot lui-mme

    sur

    les arts

    libraux

    dans leurs rapports avec

    Yintellectus

    et,

    par

    Y intellectus, avec

    l'criture.

    Quinze

    ans

    environ aprs

    avoir

    traduit la

    phrase

    de Denys que

    nous

    venons

    de rapporter,

    Jean

    Scot

    en

    propose l'explication dans

    ses Expositiones in ierarchiam caelestem ^. II convient donc

    d'examiner ce

    passage

    par priorit. En

    voici

    le

    dbut

    : C'est

    en

    effet, dit [Denys], avec un grand art (multum

    artificiose) que

    la parole de

    Dieu

    (theologia = soXoyta), c'est--dire cette vertu

    inhrente

    par nature

    aux

    intelligences humaines (Ma videlicet

    virtus,

    quae

    naturaliter

    humanis

    inest mentibus) et

    qui doit

    les

    faire rechercher,

    scruter,

    contempler

    et

    aimer

    les raisons

    divines

    (ad divinas

    rationes

    quaerendas, investigandas, contemplandas,

    amandas), a recouru

    de

    saintes images fabriques, c'est--dire

    modeles (factitiis, hoc est, fictis imaginibus... usa est = rcd

    7toi7)Tt,xoa tspo7T;Aacmat ^piQ^aTo) pour symboliser les intel

    ligences

    divines qui sont dpourvues de toute figure et de toute

    forme

    circonscrites

    et sensibles (ad significandos

    divinos

    intellectus

    qui

    omni

    figura et

    forma

    circumscripta et sensibili

    carent

    = ztz\

    tc5v a3(Y)|Aa'rfoT6)v vocov) ^2K

    De

    cette paraphrase assez banale,

    on

    peut cependant

    dgager

    deux

    points

    propos

    desquels

    se rvlent

    dj

    les options propres

    rigne. C'est videmment d'abord l'expression adverbiale :

    multum artificiose, qui correspond

    l'rs^vco de

    Denys,

    et qui

    est

    rigoureusement

    quivalente du valde artificialiter de la tra-

    (1)

    Selon

    M.

    Cappuyns, la

    Versio

    Dionysii vit probablement

    le jour

    entre

    860 et 862 (o. c, p.

    158), c'est--dire

    avant la composition du De divisione

    naturae

    dont les

    dates

    extrmes

    seraient

    862-866

    (ibid.,

    p. 189) les

    Expositiones

    super

    ierarchiam caelestem,

    postrieures

    au

    DDN,

    auraient

    t

    composes

    entre

    865-870 {ibid., p. 220).

    (2) Exp., II, 146 A. Au lieu de

    circumscripta

    (= ms. Douai Bibl.

    mun.

    202),

    Migne donne ici

    scripta : le

    texte de Douai 202

    nous a

    t communiqu par

    Mlle

    J. Barbet

    qui

    prpare l'dition critique

    des

    Expositiones.

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    40

    &\

    En second lieu, Jean Scot donne une dfinition de la

    qu'on ne

    trouve nulle part chez Denys. Il

    ne

    la conoit

    ni peut-tre essentiellement comme venant de

    et propose du dehors,

    historiquement,

    par

    l'intermdiaire

    porte-parole de Dieu (OsoXoyoi). La OeoXoya, parole de Dieu

    parole

    sur

    Dieu,

    est

    d'abord

    dans l'intelligence humaine ^2^.

    apparat ainsi plutt comme une parole de l'homme lui-mme,

    est

    prsente

    comme une

    vertu

    ou un pouvoir

    qui se trouve naturellement dans l'intelligence (naturaliter

    inest mentibus) et

    par

    lequel l'intelligence

    cherche,

    contemple

    et aime les raisons divines

    . Il est

    clair

    que

    Scot

    envisage ici l'intelligence

    (vou)

    au

    niveau

    des

    causes

    ou

    des raisons

    divines qu'il

    mentionne express

    'intelligence

    est

    dans

    le

    Verbe;

    elle

    connat

    dans

    le

    Verbe

    qu'elle

    peut connatre de Dieu et des tres crs; cre sans

    mais aussi cratrice, ternelle et une dans le Verbe, elle

    une

    connaissance une,

    indivise, parfaite

    (3). C'est

    l la

    originelle de l'intelligence et

    ce

    sera

    sa condition finale;

    ce n'est pas sa condition prsente.

    On sait que ces deux conditions contraires sont rattaches la

    de

    la double cration : la premire, selon l'image de

    {ad

    imaginent),

    et

    la seconde, selon

    les

    sexes (masculum

    et

    creavit eos) (4). Or si, par la

    premire cration,

    l intell

    onnat de plein droit toute chose et cre tout , y compris

    propre science de Dieu

    (OsoXoyta),

    dans

    l'indivisible

    unit

    u Verbe auquel elle s'identifie

    (5),

    par

    la seconde

    cration, en

    elle se

    trouve

    affaiblie

    et

    limite dans

    son

    pouvoir de

    raison

    du pch originel; sa connaissance

    est

    soumise

    rgime

    des

    sens et de la raison discursive, dans la dispersion

    la

    division

    inhrentes

    au

    monde de

    l'espace

    et

    du

    temps

    qui

    est

    le sien ^6'.

    Et

    si, dans son premier

    tat,

    l'intelligence tait

    (1) Cf.

    l'expression

    : artificiosa Scriptura de DDN I, 512

    A.

    (2) Jean Scot

    traduit le

    terme voo par plusieurs

    synonymes

    :

    vou a Graecis,

    nostris intellectus, velanimus,

    vel

    mens

    dicitur

    (DDNH, 574

    B).

    On

    ne s'ton

    as de voir employer indiffremment dans

    3a

    suite l'un ou l'autre de ces

    termes.

    (3)

    Sur

    la

    doctrine

    des

    causes

    primordiales,

    voir

    Remarques

    sur

    la

    signif

    de

    J.

    S.

    .,

    dans Mlanges

    A.

    Combes (= Divinitas, 1, 1967), p.

    270-291.

    (4) Cf. Remarques, p. 300-307.

    (5) Remarques, p.

    310-315.

    (6) Remarques, p.

    296-297.

  • 7/26/2019 Roques - Valde Artificialiter

    11/42

    4.1

    elle-mme sa propre GeoXoyta, dans le

    second,

    au contraire,

    elle a

    perdu

    l'essentiel de sa science de Dieu et

    des tres

    crs, et

    elle ne peut tenter de le retrouver qu'avec

    l'aide

    extrieure d'une

    criture qui lui est

    empiriquement

    propose.

    La suite du passage insiste prcisment sur

    1' art

    et

    1'

    ing

    niosit

    (arte...,

    ingeniose)

    avec

    lesquels

    l'criture

    relve

    les

    intelligences

    dchues.

    Paraphrasant

    ici encore

    Denys,

    Jean Scot

    souligne de nouveau

    le

    caractre naturellement adapt de cette

    symbolique. Mais il

    laisse

    aussi clairement

    entendre

    que

    ses

    l

    ments et illustrations, emprunts aux

    ralits

    de l'univers des sens,

    ne

    nous sont connaturels

    que pour un temps (adhuc)

    :

    le temps

    de la

    condition

    charnelle

    que nous ont value

    nos

    pchs ^K Cette

    remarque est de la plus haute importance pour l'valuation du rle

    rel de

    l'criture,

    qu'on

    va

    lire

    la

    fin

    de

    ce

    dveloppement.

    Mais avant d'en

    venir

    cette conclusion, Jean Scot insiste de

    nouveau

    sur

    la liaison trs troite entre les artes et

    l'criture dont

    la fonction et les procds sont mis en parallle avec ceux de la

    posie moralisatrice, didactique ou pique. Comme la posie,

    l cri

    ure oit duquer des

    intelligences en tat

    d'enfance et les conduire

    leur

    maturit.

    Cette

    maturit toutefois

    n'est rien

    d'autre

    pour

    une

    intelligence que

    son

    retour sa condition premire o elle

    trouve et

    cre en

    elle-mme sa propre

    science

    de

    Dieu

    et

    de

    tout,

    et

    o,

    par

    consquent, elle peut se

    passer

    d'une

    GsoXoyta offerte

    dans

    l his

    toire et du dehors.

    Mais on doit rapporter ici les propres termes de Jean Scot :

    C'est

    comme si [Denys] s'exprimait clairement de la manire

    suivante : de mme que l'art de la posie (ars poetica), par des

    contes invents ou des comparaisons allgoriques (perfictas fabulas

    allegoricasque similitudines), labore un enseignement d'ordre

    moral

    ou physique

    (moralem

    doctrinam

    seu physicam

    componit)

    (2)

    pour former

    les

    intelligences humaines

    (ad humanorum animorum

    (1) Exp. II, 146 AB :

    tali

    namque arte fictarum imaginum animum nostrum

    relevons

    (ou : revelans),

    velut

    expressius transferri

    potest,

    animo nostro

    consu-

    lens, ipsique animo

    propria et

    connaturali

    rductions,

    quae videlicet ingeniose

    in

    imaginibus

    rerum

    sensibilium formatur, quae nobis adhuc

    in

    carne constU

    tutis

    connaturales

    propter

    delicta nostra

    sunt,

    providens ad ipsum,

    hoc est,

    ad

    ipsius

    animi

    reductionem,

    sanctas

    Scripturas

    anagogicas,

    sursum

    scilicet

    animum

    ducentes,

    conformavit

    .

    On

    notera

    combien la paraphrase

    est

    proche

    des termes

    mmes

    de Denys; mais on relvera

    aussi

    les

    termes

    : arts,

    ingeniose

    qui font

    cho au valde artificialiter de la

    traduction.

    (2) Quelques

    mss : componunt.

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    exercitationem),

    et c'est bien l

    ce que

    font les potes piques

    {heroicorum

    poetarum) dont l'art consiste louer

    les

    exploits et

    la conduite de

    leurs

    hros

    {virorum

    fortium facta et

    mores figurate

    laudant)

    (1)

    de mme

    l'[art] thologique, la

    manire

    d'un

    pote {ita theologica ^

    veluti quaedam poetria), modle

    la sainte

    criture

    selon des images fabriques {sanctam

    Scripturam

    fictis

    imaginationibus . . . conformt) pour l'adapter notre intelligence

    {ad

    consultum

    nostri animi

    = rv

    xa0

    7)(x

    vouv vacrxet];a(xv7))

    et lever

    {reductionem

    = vaycoy^v) [cette intelligence]

    partir

    des

    sens corporels

    extrieurs,

    comme

    partir de la

    condition imparfaite

    de

    l'enfant

    {veluti ex quadam imperfecta pueiitia), jusqu la

    connaissance parfaite des

    ralits

    intelligibles {in rerum intelligi-

    bilium

    perfectam cognitionem), qu'on peut comparer

    la pleine

    maturit

    de

    l'homme

    intrieur

    {tanquam

    in

    quamdam

    interioris

    hominis grandaevitatem) (3\

    Telle est la

    fonction

    empirique et prsente

    de

    la BsoXoyia :

    elle doit duquer des intelligences affaiblies, selon les rgles mmes

    de l'intelligence que sont les artes, la posie par exemple; mais

    cette tche provisoire accomplie, l'intelligence seule

    subsiste,

    et

    (1)

    Sur

    cette

    fonction

    de

    la

    posie

    profane,

    voir,

    par ex.

    :

    F.

    Buffire,

    Les

    mythes d'Homre

    et

    la

    pense grecque,

    Paris, 1956; J. Ppin, Mythe

    et

    allgorie :

    les

    origines

    grecques

    et

    les contestations

    judo-chrtiennes, Paris,

    1958. Ajoutons

    que Jean Scot a eu

    au moins

    un

    prcurseur pour

    l'interprtation de

    ce passage

    de

    Denys.

    Maxime le Confesseur (ou

    Jean

    de Scythopolis?), Scholia in

    librum de Coelesti Hierarchia

    (PG

    4, 36 CD)

    commente ainsi

    l'adjectif

    tcoiyjti-

    xa du texte de

    Denys

    : "Oti

    xal

    7roi7)Tixa x opvia cni(ji6oXa

    o Trap 7row}Ta't

    avTocofjtivoi, >

    iepo vJjp ox cpjai (7roi)T

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    43

    la

    QeoKoyioL

    devient

    inutile, comme

    elle

    l'et

    t

    sans

    le

    pch :

    L'intelligence

    humaine

    (humanus animus)

    n'a pas t cre

    cause de (propter) la

    divine criture

    dont elle n'aurait

    aucun besoin

    sans son

    pch (cujus nullo modo indigeret, si

    non

    peccaret) ;

    mais

    c'est

    cause de

    l'intelligence humaine

    que la sainte criture a t

    compose

    (contexta) selon la

    diversit

    de

    ses

    symboles

    et

    de ses

    enseignements, pour que, par cette

    initiation

    (introductionem),

    notre nature rationnelle

    (rationalis

    nostra

    natura), que sa

    propre

    faute avait fait dchoir de la contemplation de la vrit, ft

    ramene

    vers le

    sommet

    de la

    contemplation

    pure

    dont elle jouissait

    son

    origine (iterum in pristinam

    suae

    contemplationis

    reduceretur

    altitudinem) ^\

    En fait, le commentaire

    direct

    de la

    phrase

    de Denys a

    li

    de

    manire

    extrmement

    troite

    la

    fonction

    de l'criture aux

    arts

    l ib

    raux et spcialement, pour les

    passages

    bibliques ici

    voqus,

    la posie : c'est l pour le moins une manire surprenante de com

    menter

    YGKjrzyytc,

    de

    Denys. En deuxime lieu,

    contre

    Denys

    encore, Jean Scot

    subordonne

    fondamentalement la GsoXoyta

    l'intelligence.

    Celle-ci est chronologiquement

    et axiologiquement

    suprieure

    l'criture, puisqu'elle possde

    ternellement, dans

    l'unit et dans sa

    totalit,

    la science que l'criture propose dans

    le temps,

    l'tat

    divis

    et

    partiel.

    Sans

    doute, dans la

    condition

    prsente (adhuc), l'criture est bien

    1'

    ducatrice qui relve

    l'intelligence

    dchue.

    Mais, apparemment

    du

    moins,

    elle ne

    peut

    accomplir

    sa fonction

    qu'en se conformant aux disciplines

    ou aux

    arts libraux.

    On

    peut donc se

    demander si cette

    liaison de fait

    entre

    artes et 0soXoyia

    se

    double

    d'une liaison de droit,

    s'interroger

    sur

    la

    vraie nature

    des

    artes selon Jean

    Scot

    et sur

    leur rapport

    avec Vintellectus, essayer de voir,

    enfin,

    les consquences qui

    peuvent

    en

    dcouler

    pour

    l'criture

    elle-mme

    et

    pour

    son

    inter

    prtation.

    * *

    La premire

    question

    reoit une rponse affirmative dans

    Expo-

    sitiones

    I.

    Jean

    Scot

    y explique

    encore

    une formule de

    Denys

    :

    Les enseignements sacrs que l'criture donne d'une

    manire

    discursive

    {ou

    :

    tale)

    sont

    l'image

    de

    la

    plnitude

    que

    la contemp

    lation

    apporte

    l'intelligence : -nj xonr vouv

    (1) Exp.

    II, 146 C.

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    44

    Up

    L'adjectif Sis^oSixo voque tout de suite pour le comment

    ateura doctrine des sept arts libraux : septem disciplinas,

    quas

    philosohi librales appellant

    ^2^.

    Et, aprs un court

    dveloppement sur

    l'unit de

    tous

    les arts dans

    le

    Christ,

    source

    de

    toute

    sagesse

    ^, Jean Scot conclut par ces formules

    dcisives:

    Tous les

    arts naturels

    [= libraux] concourent

    signi

    fier

    e Christ de manire symbolique, [ces arts] dans les limites

    desquels

    est

    inclue

    la totalit de

    l'criture

    divine (... Christus...,

    in cujus significationem typicam omnes naturales artes, intra

    quarum terminos tota divina concluditur

    Scriptura,

    concurrunt).

    Car il n'existe aucun passage de

    l'criture dont

    soient absentes

    les rgles des arts

    libraux

    (Nulla

    enim

    sacra Scriptura est,

    quae

    regulis

    liberalium careat

    disciplinarum)

    (4>.

    Ainsi

    les

    arts

    sont

    non seulement

    prsents la totalit

    de l'criture, mais celle-ci

    est

    pour

    ainsi dire

    enferme

    dans leurs

    limites .

    C'est dire,

    quivalemment, qu'il est impossible qu'existe une

    criture

    en

    dehors des rgles des artes.

    L'affirmation

    est aussi hardie que

    nette.

    Elle est

    d'ailleurs taye sur

    un rapprochement qui donne aux

    artes une condition analogue

    celle de vou. De mme

    en effet

    que

    le

    voG

    est

    une

    image

    de

    Dieu

    et

    de la

    Trinit,

    pareillement

    les artes

    sont

    une

    image du Christ.

    Le rapprochement parat

    inspir

    par l'ide de cours, de

    course

    ou de

    courant

    (cours d eau,

    en particulier)

    dans

    laquelle

    on

    trouve la

    signification

    la plus

    connue de

    l'adjectif

    Ste^o&x : Aiso8ix item disc

    plinas

    notiore interpretatione decursativas possumus accipere (5).

    Or,

    comme

    les

    eaux multiples venues de sources

    diverses confluent

    et

    s'coulent

    dans

    le

    lit

    d'un

    fleuve unique,

    pareillement

    les arts

    libraux

    et

    naturels

    s'unissent

    dans

    le sens

    un

    et

    identique de la

    contemplation

    intrieure,

    que le Christ,

    source suprme de

    toute

    (1)

    CH

    1,

    121

    D, comment par

    Exp.

    1, 139 C-140

    A.

    (2) Exp. I, 139 C. La

    liaison

    qu'tablit Jean Scot

    entre

    les

    deux

    notions appar

    at ncore dans la

    traduction

    de l'adverbe SteoSixco de DN

    VII,

    868

    B, par

    artificiose

    (Versio,

    1154 A);

    le mme

    adverbe de DN II,

    637 B,

    est traduit

    par

    decursim

    (

    Versio,

    1120

    B)

    qui

    est

    l'un

    des

    synonymes latins

    du

    terme grec

    pro

    poss par Exp. I, 139 C.

    (3) Exp.

    I, 139

    C-140 A. Nous allons revenir

    sur

    ce

    thme.

    (4)

    Exp.

    1, 140

    A.

    (5) Exp. 1, 139 C.

  • 7/26/2019 Roques - Valde Artificialiter

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    4e

    sagesse,

    insinue de toutes parts, grce

    aux

    [disciplines]

    diverses

    qui scrutent l'criture (1). Et, estime Jean Scot, l'explication est

    peut-tre confirme par le Psaume I, 3, o il est prcisment

    question de

    decursus

    aquarum, toc Sis^oSoo

    -r&v

    Srcov

    (2).

    Une

    image semblable est

    applique, ailleurs et

    plusieurs

    reprises,

    au

    Verbe

    lui-mme,

    dont

    la

    course

    est

    et

    cre tous les

    tres

    ^3^.

    Sous

    ce

    rapport, il existe donc une

    similitude assez troite entre le

    Christ-Verbe, source de toute

    sagesse,

    et

    les arts

    libraux qui

    confluent,

    concourent

    et s'unissent dans le

    Christ,

    que le Christ

    rpand dans la totalit de l'criture dont ils constituent les normes

    constantes, ou, pour reprendre les

    termes

    de Jean Scot, les

    bornes,

    les limites , la clture {terminos... concluditur).

    Ainsi les artes entrent dans l'criture, dans la totalit de

    l cri

    ture,

    comme des disciplines

    rgulatrices

    qu'impose

    la sagesse

    du

    Christ. Et

    cette

    rgulation

    est

    universelle et ncessaire.

    Deux affi

    rmations

    qui

    dpassent

    singulirement

    la porte de la

    phrase ano

    dine

    de Denys sur l'enseignement tal ou discursif de l'criture

    (tix

    * *

    On le voit, Jean Scot

    commentateur

    s'attache surtout prsenter

    un Denys rignien . Les

    positions

    qu'il expose, propos ou

    l'occasion d'une indication assez frle et vague (Expositiones I,

    139 C-140

    A),

    ou par l' artifice

    d'un contre-sens caractris

    (Expositiones

    II,

    146 AC), sont

    en

    ralit les positions mmes qu'il

    dveloppe

    dans

    le

    reste de son uvre

    o

    sont constamment

    dfen

    dues a lgitimit

    et

    la

    ncessit des artes

    librales, soit dans l'cri-

    (1) Exp. I, 139 C-140

    A

    : Ut

    enim

    multae

    aquae ex diversis fontibus

    in

    unius

    fluminis alveum confluunt

    atque decurrunt, ita naturales

    et

    librales

    disciplinae

    in una eademque internae

    contemplationis

    significatione adunantur,

    quam summus fons

    totius

    sapientiae, qui est

    Christus,

    undique per diversas

    theologiae

    speculationes

    insinut

    .

    (2)

    Exp.

    I, 140

    A.

    (3) Cf. Remarques, p.

    274.

    Dans ce sens, Jean Scot utilise frquemment Psaume

    147, 15

    :

    Velociter

    currit

    sermo

    ejus

    ,

    et

    aussi

    Sag.

    VIII,

    1

    :

    attingit

    a

    fine

    usque ad finem

    (voir, par

    ex., les

    dveloppements

    de DDN

    III,

    642 C-643 B).

    Ajoutons que l'tymologie 8s6-8ev est

    aussi

    reprise

    par

    Jean Scot

    pour carac

    triser la course

    du

    Verbe

    travers la

    cration,

    cette course tant elle-

    mme

    l'acte

    crateur

    (cf. DDN

    I, 452 BD, 453 BC, 460

    A, par ex.).

  • 7/26/2019 Roques - Valde Artificialiter

    16/42

    46

    ture elle-mme, soit chez les exgtes de l'criture &K

    Cette

    attitude

    est commande par

    la

    dignit

    mme

    que Jean

    Scot recon

    nat ux artes.

    Les arts libraux, en effet, ne sont pas le rsultat d'une invention

    humaine plus ou moins

    fantaisiste,

    imaginative ou irrationnelle.

    Ils ont t crs par Dieu dans la nature mme des choses ,

    comme il est dit propos de la dialectique, mais avec l'intention

    vidente d'inclure

    tous

    les arts : Ac per

    hoc

    intelligitur, quod

    ars

    Ma, quae...

    &iaXexTix7)

    dicitur, non ab humanis machina-

    tionibus sitfacta,

    sed

    in natura rerum, ab

    auctore

    omnium artium,

    quae vere

    artes

    sunt, condita, et a

    sapientibus

    inventa, et

    ad uti-

    litatem solerti rerum

    indagine usitata ^2\ L'art ne

    saurait

    tre,

    en particulier, une humana machinatio, dans la mesure o le

    deuxime

    terme,

    souvent

    pjoratif chez

    Jean

    Scot,

    impliquerait

    une faute, une intention mauvaise, un manque d'intelligence, ou

    ces

    trois

    inconvnients runis W. Il appartient de plein droit

    l'ordre des

    natures

    cres par Dieu, et c'est pourquoi on

    parlera

    indiffremment Partes librales

    ou H

    artes naturales,

    les deux

    (1)

    Signalons

    seulement,

    entre autres,

    deux passages o

    sont

    prsents

    les

    artes, leurs dfinitions globales

    ou

    respectives

    et

    leurs

    fonctions

    :

    DDN

    1, 475

    AB;

    V, 868 D-870 C;

    cf.

    DDN III, 651 A-652 D,

    pour

    l'arithmtique; DDN

    I,

    463 B

    et

    IV,

    749

    A, pour la

    dialectique. On ngligera

    ici les

    prsentations, vrai

    dire

    nombreuses,

    que

    Jean

    Scot

    propose

    des

    divers arts.

    (2) DDN IV, 748 D-749

    A. Le

    inventa

    ne

    doit pas s'entendre, semble-t-il,

    d'une

    dcouverte

    l'extrieur de

    soi, mais

    plutt

    d'une prise

    de conscience des

    artes par le

    voO

    et dans le vou, ainsi qu'il est prcis

    en

    DDN III, 658 B (ci-

    dessous, p. 49, n. 2).

    (3)

    De

    praed. I, 4, 359 C ( propos de Godescalc) : nova

    nunc

    machinamento

    murum

    munitae

    fidei

    solvere temptat

    ;

    Exp.

    IX,

    215

    D

    :

    miserrimarumque

    rationabilium animarum

    irrationabilia machinamenta

    ; DDN III, 724 C (

    propos des conjectures humaines et du recours immodr

    l'explication

    par

    le miracle)

    : Plus ergo

    tenet

    divina

    virtus et

    naturarum ratio, quam quod

    machi-

    natur

    humana cogitatio

    ; V,

    870

    B (opposition irrelle des artes la natura) :

    si

    [artes] secundum

    naturam

    non

    sunt, sed secundum

    humana

    machinamenta ;

    873 D ( propos

    du

    diable) : malitiae suae machinamenta ; 970

    A

    : quod

    vanissimis mortalium

    opinionibus

    machinatum est ;

    973

    C : superstitiosa

    falsissimaque machinamenta ;

    1019

    D : diabolicae

    astutiae

    machinamenta .

    En revanche, nous

    relevons

    quelques emplois o le terme signifie,

    sans

    note pjo

    rative,

    l'ingniosit de l'intelligence

    ou

    de

    l'instinct

    animal

    :

    Exp.

    XV (Dond.,

    p. 296, 1.

    5

    et 11, propos de l'aigle et des intelligences clestes dont il est le sym

    bole :

    bene

    machinatur quo argumento

    predam

    qua vivat rapere valeat...; agi-

    liter divina

    mysteria

    penetrare

    machinantur; DDN

    I,

    512 B :

    Quid tibi viderer

    his

    argumentationibus

    machinari .

  • 7/26/2019 Roques - Valde Artificialiter

    17/42

    47

    caractrisant d'ailleurs

    souvent

    la fois

    le substantif (1).

    n tant

    que natures,

    les artes subsistent ternellement dans les

    primordiales

    cres par

    Dieu, et

    elles-mmes

    cratrices. Mais

    de prciser les conditions et les

    modalits

    de cette

    C'est dans

    l'intelligence

    qui est, pour ainsi dire, leur lieu ,

    tous les arts subsistent dans l'unit. Les dfinitions que donne

    qui sont dans l'intelligence et sont cres par elle,

    en effet

    d'un art dtermin;

    ce

    titre,

    elles

    sont inclues

    cet art qui

    ne

    peut tre

    lui-mme

    qu'inclus dans

    l'intelligence.

    e

    disciple d'rigne

    en convient en ces termes

    :

    His rationibus

    fateri

    non

    esse locum [artium liberalium] nisi in

    animo

    vco, intellectu, mente]. Si enim definitio omnis in

    disciplina

    et disciplina in animo, necessario locus omnis, quia

    definitio

    non

    alibi

    nisi in

    animo

    erit ^2'.

    L'inclusion

    des arts dans l'intelligence

    n'est pas adventice ou

    mais essentielle, et c'est pourquoi

    ils

    sont ternels et

    l'intelligence

    elle-mme : Ne te semble-t-il

    et conforme une raison certaine , demande

    son disciple qui va l'approuver, d'estimer que toutes

    disciplines librales rsident dans cette partie de l'me

    qu'on

    vpyst.a,

    c'est--dire

    acte

    (omnes

    librales

    disciplinas

    ea

    parte, quae vlpysia,

    id est operatio animae dicitur,

    (3). Car

    c'est

    en toute vrit que

    les

    recherches

    des

    ont abouti cette

    dcouverte

    (a

    philosophis

    veraciter

    repertumque est) que les arts sont ternels {artes esse

    et qu'ils

    tiennent

    toujours

    l'me

    de

    manire

    immuable

    immutabiliter animae adhaerere), non pas d'une manire

    les ferait apparatre comme de

    simples

    accidents {quasi acci-

    quaedam

    ipsius

    esse

    videantur),

    mais

    bien comme des

    vertus

    (1) Exp. I, 139 C : naturales et librales disciplinae ; 140 A :

    naturelles

    liberalium disciplinarum ; DDNlll,

    658

    B : ars

    naturalis...; naturalium

    ; III,

    651 D

    ( propos de l'arithmtique) :

    M. Est ergo

    ars Ma

    natu

    D. Etiam et nulla naturalior (suit,

    ibid.,

    652 A, une allusion justificative

    Sag. XI, 21 : -omnia

    in

    mensura et numro et pondre disposuisti);\ , 749 A :

    ira

    natura

    rerum

    condita (dialectique et

    autres arts) ; 774 C :

    naturalium

    quas

    librales

    appellant .

    (2) DDNl,

    475 B;

    cf. la

    dmonstration

    pralable

    d'rigne,

    ibid.,

    474

    B-475

    B.

    (3) Jean Scot

    vient

    de rappeler la division

    en

    oota,

    Svafii,

    vpyeia

    I, 486 BC), avec

    rfrence

    Denys (cf. CH XI, 284 C-285 A) qui applique

    cette division aux intelligences

    clestes.

  • 7/26/2019 Roques - Valde Artificialiter

    18/42

    48

    -

    et des

    actes

    naturels (sed naturales virtutes actionesque) qui en

    aucune faon

    ne

    s'cartent ni

    ne

    peuvent s'carter

    d'elle

    (nullo

    modo

    ab ea recedentes, nec recdere valentes),

    qui ne lui

    viennent

    pas d'ailleurs (non aliunde venientes)

    mais

    se trouvent en elle

    au

    titre de la nature (sed naturaliter ei insitas) si

    bien

    qu'on pourrait

    hsiter dcider

    si

    ce

    sont

    les

    arts

    eux-mmes qui confrent l ter

    nit

    l'me

    (utrum ipsae

    aeternitatem

    ei

    praestent),

    puisqu'ils sont

    ternels et qu'ils tiennent toujours l'me, en sorte qu'ils la ren

    draient

    ternelle (quoniam aeternae sint, eique semper adhae-

    reant,

    ut aeterna sit);

    ou

    si, [au

    contraire], c'est en raison

    de leur

    sujet

    d'adhsion qui

    est l'me,

    que

    l'ternit est confre aux arts

    (an ratione

    subjecti,

    quod est anima,

    artibus aeternitas

    adminis-

    tratur),

    car l'ouata de l'me, sa puissance [S6va[xt]

    et son

    acte

    [vpysia]

    sont ternels

    (ocria

    enim

    animae

    et

    virtus et

    actio

    aeternae sunt); ou si, [enfin], les arts et l'me sont si fortement

    attachs entre eux, tant tous ternels, qu'on

    ne

    peut

    pas

    les dis

    joindre l'une des autres (an ita

    sibi invicem

    coadhaereant,

    dum

    omnes aeternae sint, ut

    a

    se

    invicem segregari

    non

    possint)

    ^K

    Le

    fait que Jean

    Scot

    mette, sans

    la

    repousser

    expressment,

    l'explication, ses

    propres

    yeux hardie, selon

    laquelle l'ternit

    des

    artes pourrait tre

    l'origine

    de l'ternit de l'intelligence,

    est

    extrmement rvlatrice

    de la

    trs

    haute

    dignit

    que

    l'on

    doit

    accorder aux

    artes.

    Mme

    si les deux autres explications, la deuxime

    surtout, lui

    semblent plus

    probables, et quelle

    que

    soit

    d'ailleurs

    celle des trois

    explications proposes

    que

    l'on voudrait

    retenir,

    il reste

    que

    les

    arts sont ternels et immuables comme l'me, qu'ils lui

    sont unis, non pas comme

    des accidents

    mais au titre

    de

    la nature,

    non pas du dehors mais du dedans, et cette union est ternelle,

    immuable, indissociable (aeternas... immutabiliter... nec recedere

    valentes).

    *

    * *

    Cette condition des artes dans l'intelligence est encore prsente

    au livre III du De divisione qui dcrit

    en

    outre leurs

    fonctions

    diver

    ses

    t hirarchises comme rigoureusement accordes,

    concomit

    antest unies

    aux

    fonctions,

    parties ou niveaux

    de

    l'me que sont

    le

    vou

    (intellectus,

    animus,

    mens), le

    Xoyo

    (ratio)

    et

    la

    Stvota

    (1) DDN

    I,

    486

    CD.

  • 7/26/2019 Roques - Valde Artificialiter

    19/42

    (sensus

    interior; ici, memoria), avant leur

    commune

    expansion dans

    l'univers des sens. Le texte met

    en

    parallle la

    procession

    gnrale

    des artes,

    qui est

    la

    procession

    mme

    du

    vou, avec la

    procession

    particulire

    de la

    monade

    qui se

    manifeste

    progressivement dans

    les nombres et qui correspond, elle aussi, la procession du

    vou

    W.

    Nous

    retenons seulement

    le

    premier

    terme du

    parallle :

    Tout

    art naturel, en tant qu'il est contenu dans le sein trs secret de

    la nature

    intellectuelle

    (in secretissimis intellectualis naturae

    [= vou] sinbus continetur), subsiste

    en

    un

    seul

    acte (simul est);

    il est une ralit une et simple (et [est] unum quoddam

    simplex),

    sans parties

    ni divisions,

    sans

    quantit ni

    qualit, sans lieu

    ni

    temps, parfaitement

    affranchi

    de tout accident

    et

    peine

    connu

    de la seule

    intelligence (omnino omnibus

    aecidentibus absolutum,

    ac

    vix

    soli

    intellectui

    cognitum);

    car

    l'intelligence

    ne

    cre

    pas

    les

    arts naturels, mais elle les dcouvre, et cette dcouverte, elle ne la

    fait pas hors

    d'elle-mme,

    mais bien en elle (non enim intellectus

    naturalium artium

    factor

    est, sed inventor, non tamen extra se,

    sed

    intra eas invenit)

    ^\

    mais, en

    tant

    que cet

    art sort lui-mme

    de son propre secret

    o

    il subsiste

    en

    un

    seul acte,

    dans l intell

    igence

    ui le contient

    (dum vero

    ipsa

    ars ab arcanis suis, in quibus

    simul in animo

    [=

    vw, mente,

    intellectu],

    in

    quo

    est),

    il

    commence

    descendre dans la raison selon une procession

    intelligible

    (in

    rationem

    [=

    Xoyov] intelligibili progressione incipit descendere),

    et aussitt il

    commence

    dvoiler peu

    peu

    ses

    normes caches

    en

    des divisions et des

    diffrences

    manifestes (mox paulatim suas

    occultas rgulas apertis divisionibus atque differentiis inchoat

    aperire), mais

    ces

    normes restent encore trs pures et trangres

    toute image

    (adhuc tamen

    purissimas,

    omnique

    imaginatione

    alinas)

    ; et cette premire procession de l'art

    partir

    de

    la

    science

    qui

    mrite

    ce

    nom,

    dans

    laquelle

    il

    subsiste

    originellement,

    s a

    ccomplit dans un passage de l'intelligence dans la raison et par un

    acte de l'intelligence elle-mme (et haec processio prima

    artis

    ab

    ipsa scientia, in qua primitus subsistit, per

    intellectum

    in rati

    onem ipsius intellectus actu perficitur), car tout ce qui passe des

    (1) DDN III, 658 B-659 B.

    (2) Quelques

    mss omettent

    :

    sed

    intra. Cette

    prcision n'est

    pas

    indispensable

    au

    sens

    de la phrase. Le

    vou,

    qui

    pourtant cre

    tout, ne

    cre par

    les artes; il

    les dcouvre seulement,

    en

    ce sens que les artes sont dans le vou? et sont le vou

    lui-mme. Explication semblable

    pour

    le

    inventa

    de DDN IV, 749

    A (ci-dessus,

    p. 46, n- 2).

  • 7/26/2019 Roques - Valde Artificialiter

    20/42

    50

    secrets de la nature

    la

    raison,

    y parvient par l'action de

    l intell

    igence omne

    siquidem,

    quod

    ex

    secretis

    naturae in rationem

    pervertit, per intellectus actionem accedit) ; mais nouveau, comme

    en un deuxime [moment de sa] descente [processive], ce mme art,

    descendant de la

    raison

    dans la mmoire, s'ouvrant peu peu

    davantage dans des

    reprsentations

    images

    comme

    dans des

    formes, se manifeste lui-mme de manire plus claire

    (iterum

    veluti

    secundo

    descensu eadem

    ars

    ex

    ratione

    in memoriam

    des-

    cendens, paulatim apertius in

    phantasiis, veluti

    in

    quibusdam

    formis

    seipsam luculentius dclart) et dans un troisime

    [moment

    de sa] descente, il se rpand dans les sens corporels o il manifeste

    son pouvoir par

    des signes

    sensibles

    travers les

    genres et

    les

    espces,

    toutes leurs divisions, subdivisions et rpartitions {tertio vero

    des

    censu

    ad

    corporales

    sensus

    diffunditur,

    ubi

    sensibilibus signis

    virtutem suam per gnera et species, omnesque

    divisiones suas

    et

    subdivisiones

    et partitiones exerit). Pareillement les

    nombres

    intellectuels se rpandent

    partir de la monade...)

    &\

    Les moments

    de la

    procession

    des

    artes qui

    les font passer

    progressivement

    de l'absolue

    simplicit

    l'extrme

    division

    qui

    caractrise l'univers des sens, sont, on le voit, rigoureusement iden

    tiques aux moments de la procession du vou lui-mme. Ce qui

    ne

    doit

    pas

    tonner,

    puisque

    la procession des

    arts

    s'effectue

    dans

    et par le vou, les arts subsistant eux-mmes dans le vou

    auquel

    ils

    appartiennent par

    nature,

    de manire ternelle, immuable,

    indissociable. Et si

    l'on

    rappelle que les fonctions du

    vou sont

    elles-mmes

    assimiles

    aux relations intrieures

    de la

    Trinit,

    dont le

    vou

    est l'image (2), on doit convenir que la dignit

    des

    artes, confondue avec celle du vo, ne peut pas tre plus grande.

    Le vous

    en

    effet, par son acte mme de

    connaissance,

    est,

    son

    niveau,

    c'est--dire

    dans

    le

    Verbe,

    crateur

    de

    tout,

    comme

    Dieu

    lui-mme ^; les artes, par consquent, le sont aussi.

    (1)

    DDN

    III, 658 BC. On note dans

    tout

    ce passage,

    comme

    dans plusieurs

    des

    passages

    cits dans la prsente tude, le

    caractre

    typiquement et essentie

    llement thophanique ou photophanique ou noophanique de la pro

    cession rignienne.

    (2) Remarques, p. 310-315, spcialement 312-315,

    pour

    les rapprochements :

    voo intellectus Pater;

    Xoyo

    ratio

    Filius; Sivota

    sensus

    interior

    -

    Spiritus.

    (3) Cf. DDN IV, 778

    D-779

    A : Ut enim sapientia creatrix, quod est Verbum

    Dei,

    ornnia,

    quae

    in

    eafacta sunt, priusquam firent, vidit, ipsaque visio

    eorum,

    quae, priusquam firent, visa sunt,

    vera

    et incommutabilis aeternaque essentia

    est, ita creata sapientia, quae est

    humana natura,

    omnia,

    quae

    in sefacta sunt,

  • 7/26/2019 Roques - Valde Artificialiter

    21/42

    C.4

    II se

    trouve mme quelques

    passages qui paraissent attribuer

    aux

    artes une espce de

    priorit

    ou

    d'excellence

    causale sur le

    vou. Jean Scot,

    nous

    l'avons vu,

    a

    dj suggr, avec, il est vrai,

    deux autres explications qui ont sans doute sa prfrence, que

    l'ternit

    de l'intelligence

    pourrait

    driver

    de

    l'ternit

    des

    artes

    (1).

    Paralllement et

    sous

    forme

    interrogative

    encore, il suggre une

    priorit

    semblable sous le

    rapport

    du mouvement que

    les

    intell

    igences recevraient galement des artes

    : Et que

    dire des arts

    que les sages nomment

    disciplines

    librales et

    dont,

    bien qu'ils

    demeurent

    en eux-mmes et par eux-mmes dans la

    plnitude,

    l'intgrit et

    l'immutabilit (dum

    in

    semetipsis

    per semetipsas

    plenae,

    integrae,

    immutabilesque permanent)

    ^2\ on dit pourtant

    qu'ils sont soumis au mouvement (moveri tamen dicuntur),

    lorsqu'ils incitent

    le

    regard de l'intelligence rationnelle

    les recher

    cher t

    les dcouvrir et qu'ils

    l'attirent

    les contempler

    eux-

    mmes

    (quando rationabilis animi contuitum

    ad se quaerendas

    inveniendasque permovent, et

    ad

    se considerandas attrahunt),

    en sorte que ces arts eux-mmes

    qui,

    nous l'avons dit, sont par

    eux-mmes immobiles, paraissent cependant subir un mouvement

    dans l'intelligence des sages, alors que [ce sont] les arts [qui]

    meuvent ces intelligences

    (moveri

    tamen in mentibus sapientum

    videantur,

    cum

    eas

    moveant)?

    ^.

    Le

    mouvement

    de l'intelligence serait

    ainsi,

    malgr les appa

    rences contraires, impos

    l'intelligence

    par

    les artes, et non

    pas, inversement, aux artes par

    l'intelligence.

    Par ce mouvement,

    l'intelligence

    serait

    tourne

    vers la recherche, la

    dcouverte

    et

    la

    pleine

    connaissance

    des

    arts immuables et ternels qu'elle porte

    en elle-mme, sous l'impulsion ou l'attrait de ces mmes arts. Cette

    manire de voir

    donne

    encore plus de relief

    l'excellence des

    artes.

    Et

    l'on

    ne

    peut

    pas

    s'tonner,

    ds

    lors,

    que

    Jean

    Scot

    leur

    priusquam firent, cognovit, ipsaque cognitio eorum, quae, priusquam firent,

    cognita sunt,

    vera

    essentia et inconcussa est ; paralllisme

    semblable

    au 779 BC.

    Sur cette position essentielle

    du

    systme, voir encore

    Remarques,

    p. 311-312.

    La diffrence

    entre

    la

    condition

    du Verbe et

    celle

    de l'intelligence humaine est

    que les tres

    crs

    subsistent et sont

    crs

    dans le premier titre de causes (cau-

    saliter), et que la seconde, au contraire, les

    cre

    seulement

    titre d'effets

    (effec-

    tualiter)

    (DDN

    IV,

    779

    BC).

    (1) DDN I, 486 CD. Texte dj cit.

    (2) Soulignons cette

    espce d'autonomie totale

    des

    artes,

    implique

    par

    la

    rptition du rflchi : in semetipsis, per

    semetipsas.

    (3) DDN I, 521 B.

  • 7/26/2019 Roques - Valde Artificialiter

    22/42

    Oi

    assigne,

    comme

    l'intelligence,

    un rle de tout premier plan, en

    quelque

    manire

    exclusif, dans la conception et dans la composition

    de

    l'criture,

    d'une part,

    et,

    d'autre part, dans toute entreprise

    humaine de connatre et d'expliquer en profondeur cette mme

    criture &K

    *

    *

    Ngligeant l'analyse des procds rels de l'criture, ngli

    geant mme peu prs le dtail des explications notiques qu'en

    propose

    Jean Scot, on voudrait

    indiquer

    comment la doctrine des

    artes,

    jointe

    au principe de leur prsence

    rgulatrice toute l cri

    ture,

    pouvait

    apparatre

    comme la

    condition

    ncessaire

    et

    suff

    isante

    d'une hermneutique.

    En droit le vou et les artes qu il contient sont donc premiers.

    Ils subsistent ternellement au niveau des causes primordiales,

    dans le Verbe-Sagesse. Ils sont l'image ou

    l'

    expression la plus

    acheve

    de Dieu, la

    plus

    leve et la

    plus

    parfaite des

    natures,

    celle en qui

    et par

    qui

    sont comprises et

    cres

    toutes

    les

    autres

    natures.

    De

    ce point de

    vue et

    ce

    niveau, l'intelligence et

    les

    artes

    dpassent

    certainement

    en dignit

    et

    l'criture

    et

    la

    cration

    des

    effets

    (en dessous

    des

    causes

    primordiales et

    partir

    de ces causes),

    qu'il s'agisse de

    l'univers des

    sens ou de l'univers des intelligences

    sortis de leurs causes. La connaissance par le vou et ses artes,

    dans

    leur

    puret originelle,

    a

    dj compris avec beaucoup plus

    d'ampleur, de

    profondeur

    et de

    sret

    tout

    ce que

    peuvent

    rvler

    et la nature et

    l'criture;

    et

    c'est

    pourquoi Jean Scot

    a pu affirmer

    que,

    sans le pch,

    l'homme

    n'aurait eu aucun

    besoin

    de l cri

    ture

    2>.

    Cette vidence permet de prciser la porte d'une

    affirmation

    plusieurs fois reprises, selon laquelle la cration et l'criture

    constituent les deux domaines o Dieu s'est rvl. Cette pense

    est illustre par plusieurs mtaphores. La cration (surtout l uni

    vers

    sensible)

    et

    l'criture

    sont les

    deux

    vtements du

    Christ ,

    et

    nous ne

    pouvons

    pas

    ngliger la

    premire

    au profit de la seconde,

    (1) Exp.

    I, 140 A

    :

    intra

    quorum

    [artium]

    terminos tota

    divina

    concluditur

    Scriptura .

    (2) Exp. II, 146 C : cujus [Scripturae] nullo modo

    indigeret

    [homo] si

    non

    eccaret

    .

    Texte

    dj

    cit.

  • 7/26/2019 Roques - Valde Artificialiter

    23/42

    53

    car

    toutes les deux doivent nous instruire

    un

    titre gal &K A il

    leurs,

    cration

    visible

    et criture sont prsentes

    comme la

    rv

    lation

    de la robuste stature

    du Christ (veluti quaedam

    corpu-

    lentia Christi) qui nous permet de comprendre

    tout

    ce que nous

    pouvons

    comprendre

    ^2^.

    La

    mme

    signification

    est

    attribue

    la

    chaussure

    du Christ ou ses

    pieds

    , propos

    de

    Jean I,

    27 ^. Les traces des deux pieds, leurs vestiges , corre

    spondent

    la nature et

    l'criture

    ^4^. Mais on doit observer

    que

    toutes

    ces

    mtaphores se

    rapportent

    deux ordres de

    ralits

    qui

    ne

    sont

    pas

    ternels et

    o

    apparaissent

    l'vidence des limi

    tations

    multiples

    : le monde sensible est divis, successif,

    pris

    sable; l'criture a t compose dans le temps, elle ne dit pas tout,

    et

    mme ce

    qu'elle

    dit est

    soumis aux lois

    empiriques

    du

    langage

    qui

    empchent

    plus qu'ils ne

    favorisent

    une expression adquate

    et totale.

    Aussi bien, dans les passages

    que nous venons

    d'voquer,

    Jean Scot souligne-t-il l'insuffisance de ces deux sources de

    connaissance.

    A propos de la

    nature,

    il parle dj de la raison

    naturelle

    qui

    l'interprte;

    et

    propos de

    l'criture,

    il voque

    sa signification

    intellectuelle

    ou

    spirituelle : & Duo pedes Verbi

    (1) DDN III,

    723

    D :

    -Et

    si duo vestimenta Christi sunt...,

    divinorum

    vide-

    licet eloquiorum

    litera,

    et

    visibilium

    rerum

    species

    sensibilis, cur jubemur unum

    vestimentum [se.

    .

    Scripturam]

    diligenter

    tangere,

    ut

    eum,

    cujus vestimentum

    est, mereamur invenire,

    alterum vero,

    id

    est, creaturam

    visibilem,

    prohibemur

    inquirere?

    (2) DDN V, 1005 B : Mis

    enim

    duobus, litera videlicet

    et

    visibili creatura,

    veluti quaedam corpulentia Christi apparet, quoniam

    in

    eis

    etper

    eas

    intelligitur,

    quantum

    intelligi potest

    .

    (3) Jean Baptiste y dit de

    Jsus

    : cujus

    ego non

    sum dignus ut solvam ejus

    corrigiam

    calceamenti

    .

    (4) Aprs

    une premire interprtation

    o Jean Scot

    voit

    dans

    l'action

    de

    dlier

    la

    courroie

    de la

    chaussure l'explication

    des

    mystres

    relatifs

    l'humanit

    et

    la divinit du Christ, il ajoute

    en

    effet : Potest etiam per

    calceamentum

    Christi

    visibilis creatura et

    sancta

    Scriptura

    significari

    :

    in

    his

    enim vestigia

    sua veluti

    pedes

    suos

    infigit

    {Comment., 307 A).

    La

    suite

    immdiate

    reprend la

    mtaphore

    du

    double

    vtement , qui sera remplace,

    en

    cours d'explication, par celle des

    deux pieds , et applique l'une et l'autre au Verbe :

    Habitus

    quippe Verbi

    est

    creatura visibilis,

    quae eum aperte praedicat,

    pulchritudinem

    suam

    nobis

    manifestans. Habitus quoque

    ejus

    facta est Scriptura, quae

    ejus

    mysteria conti-

    net,

    quorum

    omnium,

    id

    est,

    creaturae

    et

    litterae corrigiam, hoc

    est,

    subtilitatem

    solvere

    indignum

    se

    praecursor existimat. Duo

    pedes Verbi

    sunt,

    quorum

    unus

    est

    naturalis ratio

    visibilis creaturae,

    alter spiritualis intellectus divinae Scrip-

    turae. Unus tegitur sensibilis mundi sensibilibus formis,

    alter

    divinorum api-

    cum,

    hoc

    est, Scripturarum superficie

    (ibid.,

    307 AB).

  • 7/26/2019 Roques - Valde Artificialiter

    24/42

    54

    surit,

    quorum unus est naturalis

    ratio

    visibilis creaturae, alter

    spiritualis intellectus divinae

    Scripturae^.

    C'est

    introduire

    dans ces deux domaines,

    en

    principe privilgis, de la

    rvlation

    divine, Yintellectus

    ou

    la ratio naturalis.

    Or, par

    ces termes, on

    doit entendre l'activit naturelle du vou, c'est--dire celle

    dont il dispose dans sa condition essentielle et ternelle, au

    ni

    veau

    des

    causes ou

    des

    natures pures. Ce n'est donc qu'en rf

    rence

    au vou, par la lecture

    interprtative

    du vou, que nature

    et criture peuvent remplir leur fonction rvlatrice.

    Des indications semblables accompagnent le premier texte

    rela

    tif ux deux

    vtements du

    Christ

    .

    Jean Scot

    s'y explique

    de la

    manire suivante :

    De mme

    que par les

    sens on

    parvient l i

    ntelligence ainsi par

    la

    cration

    on

    retourne Dieu. Car

    nous

    ne

    devons

    pas,

    comme

    les

    animaux dpourvus

    de

    raison

    (irrationa-

    bilia animalia), limiter notre regard la seule apparence des ralits

    sensibles

    (solam superficiem rerum visibilium... intueri);

    nous

    devons en outre donner la raison de ce que nous percevons par

    nos sens corporels (de his, quae

    corporeo

    sensu percipimus, ratio-

    nem reddere debemus). L'aigle voit avec plus

    d'acuit (acutius)

    l'apparence (speciem) du

    soleil l'homme sage

    voit

    avec

    plus d'acuit

    sa

    position et son

    mouvement dans

    l'espace et

    dans le temps

    (situm

    ...

    et

    motum

    per

    loca

    et

    tempora). Et

    si

    l'homme

    ne vivait

    pas sous le rgime du pch et de la chute qui le fait ressembler

    aux btes de somme,

    ignorerait-il

    les limites parfaites de ce monde

    qui lui appartient en propre, qu'il gouvernerait de manire trs

    juste selon les lois de la nature (numpossessionis suae, mundi hujus,

    perfectos

    terminos

    ignoraret,

    quos naturae legibus

    justissime

    regeret)

    ?

    ^2'. Il

    fallait en effet

    une seconde

    [crature] ang-

    lique

    ^ qui

    lout

    Dieu dans la

    cration sensible, et

    cette

    [crature],

    mme aprs

    sa

    faute,

    n'a

    pas compltement perdu la

    dignit

    de

    sa nature

    (qui nec

    post

    delictum

    naturae dignitatem

    omnino

    perdidit). Il reste en

    effet

    dans l'homme le mouvement de la

    raison

    qui lui fait dsirer la connaissance des choses (rationbilis motus,

    quo

    rerum

    notitiam apptit), et il

    ne

    veut pas tomber dans l'erreur,

    bien

    qu'il

    y

    tombe

    en

    maintes occasions, mais non dans toutes

    (1)

    Comment.,

    307 B.

    (2) Cf. Gre. I, 28-29.

    (3)

    Le

    thme de

    l'galit

    de

    l'homme

    avec l'ange

    (aequalitas angelorum)

    est

    frquent chez

    Jean Scot ; cf. par ex.,

    pour

    le seul chap. 1er des Exp., 137 B, 138 BC,

    140 BC,

    142

    C-143

    A.

  • 7/26/2019 Roques - Valde Artificialiter

    25/42

    oo

    (neque

    falli

    vult, quamvis

    in multis fallatur, non tamen in

    omnibus)

    (1).

    Mme dchue, l'intelligence n'a pas totalement

    perdu

    sa dignit

    de nature; elle

    garde

    sa fonction de connaissance; elle doit seul

    ement

    se dfendre

    de

    l'erreur

    et

    retrouver

    ainsi

    le

    plus

    complte

    mentossible

    l'

    infaillibilit de sa condition originelle. D ail

    leurs, mme dans leur condition

    prsente,

    des hommes

    sages,

    comme Abraham et

    Platon, ont

    pu

    en

    fait, par leur seule

    intell

    igence et

    sans

    l'aide de l'criture, retrouver

    Dieu

    dans la

    nature;

    ce

    qui,

    avant toute theologia, vaut

    Abraham

    le titre

    de

    magnus

    et

    sapiens

    theologus :

    Abraham

    a reconnu

    Dieu, non

    pas

    grce

    la lettre de l'criture qui n'avait pas

    encore

    t compose,

    mais

    par le mouvement circulaire

    des

    astres (non per literas Scripturae,

    quae

    nondum

    confecta

    fuerat,

    verum

    conversione siderum

    Deum

    cognovit). Pourrait-on se risquer dire que, comme les autres

    tres anims

    (sicut

    et cetera

    animalia),

    il regardait,

    sans

    plus, la

    seule

    apparence

    des astres

    (simpliciter

    ...

    solas

    species siderum

    aspiciebat), et qu'il

    ne

    pouvait

    pas parvenir en comprendre

    les

    raisons (non

    autem rationes eorum

    intelligere

    poterat) ? Je n'aurais

    pas

    l'audace d'affirmer cela

    de ce

    grand sage

    en science divine

    (Non

    tamen

    hoc de magno et sapienti theologo

    ausim dicere)

    ^2^.

    Par

    l'exemple

    d'Abraham,

    Jean

    Scot s'estime personnellement

    justifi de recourir des arguments philosophiques (philosophicis

    ratiocinationibus) (3).

    Et

    si les

    sages

    de ce monde (mundanae

    sapientiae periti) se sont tromps

    en ne poussant pas

    leur

    tude

    de la cration

    assez loin pour y

    retrouver

    le Crateur, Platon du

    moins y est

    parvenu (quod

    solus Plato

    legitur fecisse)

    ^K

    Mme

    dans

    sa condition prsente

    et mme

    sans

    criture, l'intelligence

    peut donc

    encore

    trouver, ou retrouver ,

    la vrit

    sur

    Dieu,

    bien

    que

    la chose

    soit

    assez

    exceptionnelle

    (Abraham,

    solus

    Plato).

    Mais elle ne retrouve Dieu et sa rvlation que dans la mesure

    o elle se retrouve elle-mme, dans sa

    puret,

    c'est--dire dans

    sa propre

    nature,

    c'est--dire encore dans l'activit

    stricte

    et vraie

    du vou originel et de ses artes.

    *

    * *

    (1)

    DDN

    III,

    723

    CD.

    (2)

    DDN

    III, 724

    A.

    (3)

    DDN

    III, 724 A qui invoque aussi la

    justification classique des Hbreux

    emportant les dpouilles des gyptiens.

    (4) DDN

    III, 724 AB.

  • 7/26/2019 Roques - Valde Artificialiter

    26/42

    __

    56

    En un sens,

    l'activit

    du vou

    devant

    la nature est plus directe et

    plus simple qu en face de l'criture. Celle-ci, en

    effet,

    s'exprime

    dans un langage discursif, invitablement plus

    prcis,

    plus strict

    et

    plus

    difficile

    comprendre

    que le

    tmoignage silencieux ou,

    du

    moins, non formul, de

    l'univers

    sensible.

    L'intelligence

    et

    les

    artes doivent,

    d'une

    part, s'assimiler

    le langage de la

    OsoXoyta,

    s'en

    nourrir pour leur

    ducation spirituelle

    , et, d'autre part,

    confronter

    en permanence ce langage

    avec

    la science

    et

    les

    normes

    propres

    leur

    nature qu'ils redcouvrent progressivement grce

    l'criture, saisir le biais souvent subtil par lequel vou et OeoXoYta

    peuvent et doivent se rejoindre et concider.

    Car pour Jean Scot,

    vera

    religio et

    vera

    philosophia se confon

    dent

    .

    Cette conviction

    lui

    donne

    une belle

    confiance,

    puisqu'elle

    l'assure au

    dpart

    que

    l'intelligence

    et

    les

    arts,

    dans

    leur

    accep

    tion a plus vraie, ne sauraient trouver nulle

    part,

    dans l'criture,

    une

    assertion

    qui

    les

    contredise vraiment

    eux-mmes. D o la

    formule

    pleine

    d'optimisme par laquelle il rassure

    son

    disciple :

    Qu'aucune autorit ne t'effraie s'il

    s'agit

    de connaissances que

    les considrations droites de la raison t'ont fait accepter.

    L'autorit

    vraie

    ne

    s'oppose

    pas

    la

    droite

    raison, ni la droite

    raison

    l au

    torit

    vraie.

    (2). Or,

    il

    faut le

    souligner,

    V

    auctoritas

    dont

    il

    est

    ici

    question

    n'est

    ni

    celle

    des

    Pres

    ni

    celle

    des

    auteurs

    profanes,

    mais bien

    l'autorit mme de

    l'criture.

    Toutefois,

    du

    principe absolu

    de l'accord entre

    criture et

    raison

    la mise en vidence de cet

    accord,

    propos de

    chacun

    des

    passages de

    l'criture,

    il y a une distance incertaine et variable.

    criture et vou sont d'autant plus

    malaiss

    rapprocher que,

    dans la condition

    prsente,

    ni l'une ni l'autre

    ne reprsente

    un

    terme

    fixe et absolu. Pour l'criture,

    nous

    savons qu'elle est

    un acte

    de

    condescendance

    de

    Dieu

    en

    faveur

    des

    intelligences

    dchues, provisoirement

    incapables

    de

    percevoir

    directement et

    en totalit les vrits divines

    qu'elles

    ont

    dj

    connues de

    manire

    parfaite

    et une,

    leur

    origine,

    au

    niveau

    des

    causes. Cette

    condes

    cendance peut tre reprsente comme une

    espce

    de

    compromis

    (1)

    De

    Praed.

    I,

    1, 358

    A

    : Conficitur inde,

    veram

    esse philosophiam

    veram

    religionem, conversimque veram

    religionem

    esse veram

    philosophiam

    ; sur le

    sens

    de

    ces

    formules,

    voir

    M. Cappuyns,

    o.

    c,

    p.

    304,

    n.

    1

    et

    Remarques,

    p.

    263-

    265.

    (2) DDN I, 511 B :

    Nulla

    itaque

    auctoritas te

    terreat

    ab

    his, quae

    rectae

    contemplationis

    rationabilis

    suasio edocet. Vera

    enim auctoritas

    rectae

    rationi

    non obsistit, neque recta

    ratio

    verae auctoritati .

  • 7/26/2019 Roques - Valde Artificialiter

    27/42

    57

    ou d'attitude provisoire, destins

    rtablir ce qui est

    considr

    comme

    normal,

    naturel et

    juste.

    Elle est d'abord un compromis

    en

    tant qu'expression, dans

    ce

    sens fondamental qu'elle

    tente

    d'exprimer l'inexprimable : Dieu et ses mystres. Ensuite, dans

    l'ordre mme de l'expression,

    elle

    pousse

    le compromis aussi loin

    ou

    aussi

    bas

    que

    possible,

    puisqu'elle

    ne s'exprime pas seulement

    selon

    les

    lois du

    discours

    rationnel,

    mais

    recourt en outre

    aux

    procds les plus

    humbles,

    les plus matriels, voire les plus

    vils,

    pour se

    rendre

    accessible

    aux

    intelligences dchues comme telles (

    xaG'-yjjxa vou).

    Elle le fait par une manifestation ou une dgradation

    progres

    sivees arts qui

    passent ou descendent

    de leur

    tat

    indivis

    au niveau des causes, dans

    l'univers du Xoyo, puis

    dans

    l'univers

    de la

    Sivoia

    (ou

    de

    la

    memoria),

    enfin

    dans l'univers

    des

    sens.

    Au

    terme

    de leur

    course ou

    de leur

    descente

    processive,

    les

    arts

    ont ainsi

    perdu leur puret originelle, et

    c'est

    pourquoi

    ils s'expriment dans cette bigarrure (7coixtXia) de symboles,

    ressemblants ou dissemblables, nobles ou monstrueux, raisonnables

    ou passionnels, que commentent Jean Scot et

    Denys,

    et qui figurent

    en effet

    dans

    l'criture. On

    peut donc affirmer de

    l'criture

    qu'elle

    est

    un compromis

    d'ordre expressif, progressivement dgrad, et

    qui

    entrane

    une

    dgradation

    parallle

    des

    arts

    par

    lesquels

    elle

    s'exprime.

    Ce compromis a d'ailleurs suivi la dgradation du vou

    qui,

    provisoirement

    dpourvu de sa connaissance totale et une,

    provi

    soirement

    engag

    dans l'histoire, ne saurait retrouver sa plnitude

    et sa puret premires autrement que par les moyens de sa condi

    tion

    rsente : les sens et la raison discursive. Comme expression

    discursive et

    sensible

    de

    Dieu

    et de ses mystres,

    l'criture

    constitue

    pour

    le

    vou

    dchu

    l'instrument

    le

    mieux

    adapt

    de

    ce retour.

    C'est

    l

    toute sa fonction, essentiellement pdagogique,

    au

    service

    de

    l'homme :

    propter

    humanum

    animum

    sacra

    Scriptura, comme

    dit rigne, dans

    le

    passage

    de Expositiones II que nous avons

    comment. Encore faut-il que l'homme

    puisse,

    sache et veuille

    lire cette

    criture.

    Ici prend place un nouveau compromis qu'on pourrait appeler

    initiatique et hirarchique. Jean Scot sait, par la tradition de l'glise

    et

    mme,

    de

    manire

    trs

    prcise, par

    l'enseignement de

    Denys

    (1),

    (1) Cf. L'univers dionysien, p. 184-186 et 192-196.

  • 7/26/2019 Roques - Valde Artificialiter

    28/42

    58

    qu'il existe pour tout chrtien une

    phase

    initiatique o on lui

    dcouvre l'Ecriture. Des prtres, des diacres ou des chrtiens

    dj forms

    l'instruisent,

    pour ainsi dire du dehors, au nom

    d'une

    hirarchie

    qui

    les

    mandate. Mais cette

    initiation

    constitue

    elle-mme un

    nouveau

    compromis par

    rapport au texte et au sens

    de

    l'criture

    qui est dj elle-mme un

    compromis.

    Ainsi,

    pour

    s'ouvrir

    l'intelligence

    dchue et

    y

    pntrer, l'criture

    doit en

    quelque sorte

    tomber

    au-dessous d'elle-mme

    et

    parvenir, par

    l'

    ingniosit

    des ministres

    qui la proposent, jusqu au niveau

    prcis de dchance o l'intelligence, telle

    qu'elle

    est

    mainte

    nant, ourra la recevoir.

    Cette condition infra-scripturaire est proprement celle

    des

    profanes et restera la leur aussi longtemps qu'ils

    ne

    s'ouvriront

    pas

    l'criture.

    Leur

    faute

    ou

    leur

    malheur

    est

    de

    ne

    pas

    s'lever

    au-dessus

    des perceptions brutes des sens corporels : sicut et

    multi

    (=

    la foule

    des profanes)

    carnaliter

    spiritualia cogitantes,

    et ultra ea, quae

    sensu corporeo percipiunt, nihil esse

    immundis

    suis

    cogitationibus

    putantes

    ^. C'est mme, entre autres inten

    tions,

    pour viter le

    traitement

    indiscret ou la profanation

    des

    profanes, que l'enseignement de l'criture est propos dans des

    images

    difficiles,

    voire

    nigmatiques ^2^. Car l'intelligence de l cri

    ture

    rsuppose

    modestie,

    respect

    et

    docilit.

    En revanche, l'accueil ardent et

    humble

    de l'criture est pour

    le

    vou l'amorce de son retour

    lui-mme.

    Il la reoit d'abord

    du

    dehors,

    telle

    qu'elle lui

    est propose

    et

    explique;

    mais

    cette

    att

    itude

    plus ou

    moins

    passive

    se

    transforme progressivement en

    une dmarche plus personnelle qui assimile, de manire pour ainsi

    dire

    plus autonome,

    les

    enseignements

    reus.

    La contemplation et

    la rflexion parfont constamment les lments de l'initiation, pour

    (1) Exp. II, 144 C; 147 AB : carnaliter ac turpiter

    accipiunt [symbola],...

    ita

    ut nullum

    in

    ipsis apparitionibus mysticum

    et

    allegoricum

    inquiratur,

    sed

    veluti

    nuda quaedam

    et simplex

    historia rerum naturaliter

    factarum...

    (147 A;

    notons qu'ici naturaliter est seulement synonyme

    de carnaliter

    et

    ne

    se rfre

    aucunement

    la

    condition

    des natures

    pures

    dans

    leurs

    causes); cf.

    149 B-150 A;

    151 B-152 A.

    (2) Exp. II,

    151

    B-152 C :

    ... sacrant

    secretamque

    veritatem... occultare,

    inviamque multis (=

    profanes)

    ponere per

    incomprehensibilia

    et divina aenig-

    mata

    (151

    BC).

    Mme

    attitude

    secrte

    des

    ministres

    l'gard

    des

    profanes

    :

    ut [ministri] in

    secretis

    animi sancta

    mysteria circumtegant,

    et

    ex

    immunda

    carnaliter cogitantium

    spiritualiaque penitus ignorantium multitudine..., cus-

    todiant mysteria (Exp. II, 173 C-174 A). Dans ces passages. Jean Scot

    se

    fait

    dire

    ctement l'cho de Denys dont il

    commente

    le texte.

  • 7/26/2019 Roques - Valde Artificialiter

    29/42

    59

    atteindre le sens le plus total et le plus

    profond

    de

    l'criture

    :

    c'est

    ce que

    rappelle maintes fois Jean Scot

    en

    citant la phrase

    paulinienne

    sur

    la lettre

    qui

    tue et

    l'esprit qui

    vivifie

    &K

    Mais,

    quels qu'en soient les

    aspects

    et les

    tapes, la

    dcouverte

    de l cri

    ture

    e

    poursuit essentiellement par

    les

    arts

    qui,

    en

    mme

    temps,

    se

    ressaisissent eux-mmes,

    arrtent leur

    course

    descendante et

    s'orientent nouveau vers l'intgrit de leur premire condition.

    Leur tche

    comporte

    ainsi deux fonctions solidaires : reprer

    dans l'criture les formes de langage, les procds, les figures,

    en d'autres termes, les artes

    qu'elle

    met en uvre; par l-mme,

    dterminer

    le sens et la porte du texte sacr. Les arts du vou

    deviennent les

    corrlats

    exacts et

    adapts

    des arts de l'criture,

    et il s'tablit une sorte de dialogue ou d'preuve rciproque

    entre les arts

    qui expriment

    (criture) et les arts

    qui

    dcouvrent

    et

    comprennent

    (vou).

    La

    redcouverte progressive et la reprise

    de possession

    du

    vou

    par lui-mme vont

    ainsi de

    pair

    avec

    un

    approfondissement

    progressif

    de l'criture. Et c'est

    pourquoi on

    ne

    saurait

    assigner un niveau unique et

    stable ni au

    sens de l cri

    ture&\ ni l'hermneutique du vou,

    ni

    leurs arts respectifs.

    On ne suivra pas ici dans

    toutes

    ses applications

    ni

    dans

    son

    ensemble la dmarche notique par laquelle

    les

    artes

    dcouvrent

    l'criture. C'est l une tche aussi vaste que varie.

    Du

    moins

    peut-on en relever

    quelques

    aspects. Pour l'enseignement imag ou

    symbolique

    de la Bible d'abord. Bien que, dans

    ce

    domaine, Jean

    Scot reprenne

    l'essentiel

    de l'hermneutique dionysienne

    dont

    la

    dmarche anagogique n'est au fond qu'une mise en uvre

    (1)

    2

    Cor. II, 6, cit, par ex., par

    Exp.

    II,

    171

    A; DDN IV, 841 C; Comment.,

    318 B.

    (2) La

    multiplicit

    des sens de

    l'criture

    fait l'objet de plusieurs dveloppe

    mentsu applications. L'Esprit saint,

    crateur

    infini de

    l'criture,

    y

    a fait entrer

    une

    infinit

    de sens :

    Infinitus siquidem conditor

    sacrae Scripturae

    in mentibus

    prophetarum, Spiritus sanctus, infinitos

    in

    ea constituit intellectus, ideoque

    nullius expositoris sensus sensum alterius aufert, dummodo

    ut

    sanae fidei

    catholicaeque professioni conveniat, quod

    quisque dicat,

    sive

    aliunde accipiens,

    sive

    a

    seipso,

    a Deo tamen

    illuminatus,

    inveniens

    (DDN III, 690

    BC)

    cf.

    696 A

    :

    dum

    sit

    divinorum

    eloquiorum

    multiplex

    interpretatio

    ;

    IV,

    749

    C

    :

    Est enim multiplex et infinitus divinorum

    eloquiorum intellectus. Siquidem

    in penna

    pavonis

    una eademque

    mirabilis ac

    pulchra innumerabilium colorum

    varietas conspicitur in

    uno

    eodemque loco ejusdem pennae portiunculae ; Exp.

    XIII, 245 D; multiplex

    interprtation

    ( propos des six ailes

    du

    Sraphin).

  • 7/26/2019 Roques - Valde Artificialiter

    30/42

    60

    systmatique de Romains

    I, 20 (1), il

    dgage

    avec beaucoup de

    vigueur et de nettet deux procds de l'criture qui doivent

    commander l'art

    corrlatif de l'exgte : la

    symbolique

    contraire;

    la t