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Zoom : La crise sur le gâteau ************************************************************************************************ Nous sommes entrés de plein en 2008 dans « la pire crise économique depuis 1929 » nous répète-t-on à l’envie (et jusqu’au dégoût). L’éclatement de la bulle immobilière aux Etats-Unis ainsi que la banqueroute de leurs institutions financières a entraîné la faillite (ou du moins de graves difficultés) dans les institutions financières du monde entier. De là, le marasme s’est répandu à ‘l’économie réelle’ et le fameux effet de trickle-down s’est vu enfin mis en œuvre, mais de manière négative. Dans un monde où la sphère économique est hégémonique, et de plus en plus omni-présente, les effets d’une crise économique ne peuvent être que particulièrement néfastes, et surtout, encore et toujours, envers les plus fragiles. Le comment… Pour essayer de comprendre cette crise, il faut savoir ce qu’est une bulle en économie. Une bulle, c’est l’apogée des comportements moutonniers (les savants parlent de ‘mimétisme’) et cupides des acteurs de l’économie, et en particulier de ceux qui s’adonnent à la finance et la spéculation. La bulle gonfle, gonfle, gonfle… et elle éclate. Les bulles ne sont pas rares, elles permettent un enrichissement intensif certains en profitant plus que d’autres, mais quand elles éclatent, tous pâtissent (selon une formule chère au cœur des capitalistes : à la socialisation des pertes s’associe la privatisation des bénéfices…). Qu’on se souvienne des bourses asiatiques en 1997, ou d’Internet en 2001, pour ne citer que les bulles les plus récentes… La bulle immobilière qui a éclaté en 2007 a mis plus longtemps à advenir : elle n’en sera que plus féroce. Et elle n’a pas fini de faire parler d’elle. Ce qui est particulièrement douloureux ici, c’est que c’était la bulle immobilière, aux dimensions proprement monstrueuses, qui alimentait l’emballement du crédit (cela et l’épargne des chinois, mais ceci, sans être une autre histoire, n’est pas au cœur de notre sujet) dans de nombreux pays. En effet, tant que les prix montent (plus que l’inflation et les taux d’intérêts) – comme c’était le cas, de manière vertigineuse, avec le marché de l’immobilier, acheter c’est spéculer ! On peut emprunter de l’argent, acquérir un bien (comme une maison) ou un montage financier (plus ou moins exotique) et le revendre : il ne reste alors plus qu’à rembourser le crédit et empocher la plus-value. « … les financiers ne considèrent que le rendement global de leurs investissements. Ils ne distinguent pas entre revenus et plus-value. Dans une économie spéculative fondée sur l’endettement, où l’on joue avec de l’argent emprunté autant, voire plus, qu’avec son propre argent, aussi longtemps que le prix du mètre carré ou que les cours de Bourse montent, vos investissement prennent de la valeur, et les banques, qui veulent elles aussi prendre part à la fête, sont prêtes à vous prêter toujours plus. De quoi faire de nouveaux investissements et entretenir la montée du prix du mètre carré ou des cours de Bourse ! Résultat : Quand bien même le niveau des loyers ou des dividendes Quelques chiffres Nombre moyen de cartes de crédit par Américain : 5 Nombre moyen d’Indiens par carte de crédit : 64,6 Foreign Policy cité par Le cahier d’été du Plan B (2009) « 150 milliards de dollars ont été versés au titre de bonus dans les cinq plus grandes banques d’affaires américaines entre 2002 et 2007 (…) Et en 2008 ? Encore 18 milliards de dollars alors que les banques perdaient des centaines de milliards. » Alternatives Économiques 07-08/09 « C’était il y a un peu plus d’un an : les gouvernements secouraient les banques au frais du contribuable. Mission accomplie. Mais à quel prix ? L’Organisation de Coopération et de développement économique (OCDE) évalue à 11400 milliards de dollars [11.400.000.000.000] les sommes mobilisées par ce sauvetage » Le Monde diplomatique 02/10

Round 1

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Le déclenchement

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Zoom : La crise sur le gâteau ************************************************************************************************ Nous sommes entrés de plein en 2008 dans « la pire crise économique depuis 1929 » nous répète-t-on à l’envie (et jusqu’au dégoût). L’éclatement de la bulle immobilière aux Etats-Unis ainsi que la banqueroute de leurs institutions financières a entraîné la faillite (ou du moins de graves difficultés) dans les institutions financières du monde entier. De là, le marasme s’est répandu à ‘l’économie réelle’ et le fameux effet de trickle-down s’est vu enfin mis en œuvre, mais de manière négative. Dans un monde où la sphère économique est hégémonique, et de plus en plus omni-présente, les effets d’une crise économique ne peuvent être que particulièrement néfastes, et surtout, encore et toujours, envers les plus fragiles.

Le comment… Pour essayer de comprendre cette crise, il faut savoir ce qu’est une bulle en économie. Une bulle, c’est l’apogée des comportements moutonniers (les savants parlent de ‘mimétisme’) et cupides des acteurs de l’économie, et en particulier de ceux qui s’adonnent à la finance et la spéculation. La bulle gonfle, gonfle, gonfle… et elle éclate. Les bulles ne sont pas rares, elles permettent un enrichissement intensif – certains en profitant plus que d’autres, mais quand elles éclatent, tous pâtissent (selon une formule chère au cœur des capitalistes : à la socialisation des pertes s’associe la privatisation des bénéfices…). Qu’on se souvienne des bourses asiatiques en 1997, ou d’Internet en 2001, pour ne citer que les bulles les plus récentes… La bulle immobilière qui a éclaté en 2007 a mis plus longtemps à advenir : elle n’en sera que plus féroce. Et elle n’a pas fini de faire parler d’elle.

Ce qui est particulièrement douloureux ici, c’est que c’était la bulle immobilière, aux dimensions proprement monstrueuses, qui alimentait l’emballement du crédit (cela et l’épargne des chinois, mais ceci, sans être une autre histoire, n’est pas au cœur de notre sujet) dans de nombreux pays. En effet, tant que les prix montent (plus que l’inflation et les taux d’intérêts) – comme c’était le cas, de manière vertigineuse, avec le marché de l’immobilier, acheter c’est spéculer ! On peut emprunter de l’argent, acquérir un bien (comme une maison) ou un montage financier (plus ou moins exotique) et le revendre : il ne reste alors plus qu’à rembourser le crédit et empocher la plus-value. « … les financiers ne considèrent que le rendement global de leurs investissements. Ils ne distinguent pas entre revenus et plus-value. Dans une économie spéculative fondée sur l’endettement, où l’on joue avec de l’argent emprunté autant, voire plus, qu’avec son propre argent, aussi longtemps que le prix du mètre carré

ou que les cours de Bourse montent, vos investissement prennent de la valeur, et les banques, qui veulent elles aussi prendre part à la fête, sont prêtes à vous prêter toujours plus. De quoi faire de nouveaux investissements et entretenir la montée du prix du mètre carré ou des cours de Bourse ! Résultat : Quand bien même le niveau des loyers ou des dividendes

Quelques chiffres Nombre moyen de cartes de crédit par Américain : 5 Nombre moyen d’Indiens par carte de crédit : 64,6

Foreign Policy cité par Le cahier d’été du Plan B (2009)

« 150 milliards de dollars ont été versés au titre de bonus dans les cinq plus grandes banques d’affaires américaines entre 2002 et 2007 (…) Et en 2008 ? Encore 18 milliards de dollars alors que les banques perdaient des centaines de milliards. » Alternatives Économiques 07-08/09 « C’était il y a un peu plus d’un an : les gouvernements secouraient les banques au frais du contribuable. Mission accomplie. Mais à quel prix ? L’Organisation de Coopération et de développement économique (OCDE) évalue à 11400 milliards de dollars [11.400.000.000.000] les sommes mobilisées par ce sauvetage »

Le Monde diplomatique 02/10

stagne, vous pouvez avoir intérêt à acheter des mètres carrés ou des actions tant que la conviction collective est que ça va continuer à monter. Tant que ‘les marchés’ y croient, comme on dit dans la presse financière, chacun investit ; et si chacun investit, ça ne peut que continuer à monter ! Et combien de temps ça peut durer ? Nul n’en sait trop rien ! On répète que les arbres ne montent pas jusqu’au ciel, mais comme nul ne sait quelle est la hauteur du ciel, cela laisse de la marge… » (Alternatives Économiques, 07-08/09) Et à un moment le château de cartes vacille et s’écroule. Les

actifs perdent de leur valeur, les acteurs veulent donc les vendre au plus tôt pour limiter leur moins-value, provoquant… une baisse de la valeur de leurs actifs ! Etc. C’est le retour du comportement moutonnier. Prenons l’exemple des maisons. Si les ménages ne peuvent plus rembourser leurs traites, normalement, ce n’est pas grave : on saisit la maison et on la revend. Sur un marché haussier, c’est même l’occasion de réaliser un bénéfice. Si les maisons ne valent plus rien, c’est plus problématique ! Il devient très difficile de les vendre, et si on y arrive tout de

même, on est très loin de rentrer dans ses frais. C’est l’occasion de revenir sur l’une des nombreuses absurdités de cette crise : à cause des cessations de paiements et des saisies qui les ont suivi, les banques se sont retrouvées propriétaires de nombreux biens (maisons, voitures…) qu’elles ne peuvent pas vendre (ou qu’elles doivent brader), mais qui ne leur servent à rien ! Pour reprendre une terminologie classique, elles détiennent des valeurs d’usage en otage, parce que celles-ci n’ont plus de valeur d’échange !

… et le pourquoi. C’est avant tout la financiarisation de l’économie qui est responsable de la crise actuelle, et ceci à plusieurs titres. Tout d’abord par la folie de l’actionnariat, et du pouvoir que celui-ci donne aux détenteurs de capitaux – les

banques et les particuliers (ou les entreprises) qui leur confient leur épargne à travers les fonds de pensions et autres hedge funds. « C’est vers la fin des années 1980 qu’à commencé à s’imposer le diktat de la création de valeur pour l’actionnaire, ou shareholder value (…) Ce concept a non seulement bouleversé

l’organisation et le fonctionnement traditionnels des entreprises, mais aussi la cohésion sociale de la quasi-totalité des pays industrialisés. Issue des départements ‘fusions et acquisitions’ des banques d’affaires anglo-saxonnes, la shareholder value visait initialement à déterminer le gain pour l’actionnaire d’une opération de fusion ou de

Comment osez vous… « Gestionnaires de faillites, tripoteurs des deniers publics, commis voyageurs des trusts multinationaux, fanatiques de l’argent à tous prix, imprésarios politiques en quête d’une clientèle imbécile subjuguée par la peur et le dégoût, vous vous moquez de laisser à nos enfants une terre arasée de sa faune et de sa flore, stérilisée par les engrais et leurs substituts génétiques, polluée par les mafias nucléaires et pétrochimiques. Vous avez livré le secteur public au secteur privé, dont le seul souci est d’engendrer des bénéfices. La privatisation précipite le délabrement d’entreprises et de services qui n’appartiennent pas à l’État mais aux citoyens. Ceux-ci les ont payés de leurs impôts. En les soldant aux requins de l’affairisme, vous tombez, comme de vulgaires malfaiteurs, sous le coup de l’abus de confiance et du détournement de fonds.

* Sermonneurs hypocrites, comment osez vous sans vergogne prêcher les vertus du travail alors que vous liquidez des secteurs entiers de la métallurgie, du textile, de la construction, et que vous mettez en faillite les petites entreprises d’utilité publique ? Comment avez vous le front de prôner une politique de l’emploi alors que vous condamnez au chômage des milliers de familles sur les instances des multinationales qui jugent plus rentable d’investir en Bourse que dans les secteurs prioritaires ?

* Les gens au pouvoir n’ont d’autres armes que celles que vous leur donnez. A vos cris de rage, il leur suffit de rétorquer : ‘de quoi vous plaignez-vous ? N’est-ce pas vous qui nous avez élus démocratiquement ? Vous étiez là,

inertes, sans initiatives, dépourvus d’idées. Vous nous laissiez le champ libre. Rien ne nous empêche donc de gouverner comme nous l’entendons. Vous nous traitez d’incompétents et d’imbéciles, mais votre passivité, votre résignation, votre inertie, votre sottise, pour tout dire, n’accordent-elles pas un blanc-seing au crétinisme que vous nous imputez ?’ »

Raoul Vaneigem. Dans Siné Hébdo, 22 octobre 2008

rachat entre deux entreprises. Elle est peu à peu devenue l’étalon des performances financières de l’entreprise, au détriment de toute logique économique et industrielle. Les entreprises, jusqu’alors sommées de grossir, fusionner, s’avaler ou disparaître au nom des économies d’échelle et de la course à la taille critique, ne le furent plus désormais qu’en vue de servir une rémunération maximale à leurs actionnaires. Laquelle d’ailleurs ne dépendait plus uniquement d’une distribution de dividendes (généralement calculés à partir du bénéfice), mais de plus en plus de la hausse du cours de l’action de la société. » (Le Monde diplomatique, 03/09) C’est cette logique de création de valeur pour l’actionnaire qui est le plus puissant moteur des plans ‘sociaux’, des délocalisations et de la compression de la masse salariale. Cette compression de la masse salariale est alors la cause d’un autre problème : pour écouler

les productions des entreprises, il faut que les ménages disposent d’argent pour se porter acquéreurs. Si les salaires ne permettent plus de consommer, il reste le crédit : on a ouvert les vannes à fond. Et c’est d’ailleurs ce qui est à l’origine des problèmes de subprimes dont on a tant entendu parler et qui ont joué un rôle tout particulier dans le déclenchement de la crise. Normalement quand on prête, on s’assure que son débiteur possède de solides garanties (d’où l’expression, aujourd’hui désuète, ‘on ne prête qu’aux riches’). Mais dans l’euphorie financière de ces dernières années on s’est mis à prêter – surtout dans les pays anglo-saxons – à des ménages dits ‘ninja’ (no income, no job, no asset – pas de revenus, pas de travail, pas de patrimoine) pour que ceux-ci puissent se porter acquéreurs, par exemple, de leurs logements. Ce sont ces créances que l’on appelle les

subprimes (par opposition aux créances primes – premier choix – des emprunteurs qui disposent de garanties). Pour ‘ventiler’ (distribuer) les risques et créer toujours plus d’argent, on a alors eu recours à la titrisation : « La titrisation, disons-le franchement, c’était une sacrée bonne idée. Tellement bonne que, même aujourd’hui, il n’est pas question de l’interdire. Mais d’abord, expliquons : imaginez que vous êtes banquier. Votre métier, c’est de prêter de l’argent en faisant une petite marge au passage. L’argent prêté vient se déposer dans vos caisses, ce qui vous permet de

faire de nouveau crédits. Mais le système a ses limites. Les autorités vous interdisent de prendre trop de risques. Notamment, les crédits que vous accordez ne doivent pas être un multiple trop élevé de vos capitaux propres, c’est à dire de l’argent qui est vraiment à vous, ou plutôt à vos actionnaires. Ainsi, si certains emprunteurs font défaut, vos pertes pourront être prises en charge en puisant dans votre capital, sans remettre en cause votre capacité à rembourser les sommes que vos clients ont déposées dans vos caisses ou qu’ils vous ont prêtées. Comment alors prêter plus pour gagner plus ? Comment trouver une astuce qui permette d’avoir davantage d’argent à remettre dans le circuit en réduisant les risques ? C’est là que la titrisation rentre en scène. Prenons un exemple au hasard, imaginons que vous avez prêté 200000 dollars à un ménage peu fortuné du Nouveau Mexique pour acheter sa maison. Vous allez revendre ce prêt sur les marchés financiers, comme on vend un titre financier, par exemple, une action ou une obligation, d’où le mot titrisation. L’acheteur du prêt (un autre organisme financier le plus souvent) hérite de la créance et du risque qui va avec. Et vous, vous avez récupéré des bons dollars sonnants et trébuchants que vous allez pouvoir prêter à nouveau, en attendant de titriser ce nouveau prêt à son tour… (…) Tout cela était donc sûr, nous expliquaient les meilleurs spécialistes. Aujourd’hui, on est tout à fait sûr que ce n’était pas sûr du tout. Car à force d’être découpé, revendu, redécoupé et encore revendu, en ajoutant quelques pincées d’effet de levier, le risque n’était plus nulle part, mais partout. » (Alternatives Économiques, 07-08/09). Il ne manquait plus qu’une crise de confiance, à laquelle on a assisté, pour que s’écroule la finance mondiale.

L’odieux modèle français La France souffre moins de la crise que d’autres pays du monde, en particulier les Etats-Unis et les pays de l’Union européenne. Serait-ce grâce à la formidable réactivité de nos dirigeants ? Non. Les nombreuses faiblesses de leur plan de relance ont été abondamment mises en évidence. En fait il semblerait que ce soit grâce aux fameux ‘modèle français’ (que Sarkozy et consorts voudraient transformer en modèle réduit). Pour faire simple, c’est principalement grâce à la redistribution des ressources (impôts & aides sociales), ainsi qu’au puissant amortisseur de chocs que représente la Sécurité sociale (assurance maladie, assurance chômage…) que la situation des français est moins grave qu’ailleurs. Ce fameux, cet odieux modèle français ! ce monstre combattu par TOUS les politiques modernes de droites comme de gôche. On a tant entendu parler des modèles, moins archaïques, anglo-saxons de la finance et allemand du tout export . La finance a déclenché cette crise, et le modèle du tout export s’est trouvé fort dépourvu quand la déprime mondiale fut venue…

Moraliser le capitalisme ! Les architectes de cet immense fiasco (dirigeants économiques, politiques…) n’ont plus que cette expression à la bouche. Il faut moraliser le capitalisme ! Et les incendiaires se proposent de jouer eux-mêmes les pompiers. Les voleurs se proposent de devenir gendarmes. Et les gros chefs de gros pays ont décidé de s’atteler à la tâche, à travers le G20. Vous ne rêvez pas, le G20 (Le G8 s’est élargi pour essayez de regagner un peu de crédibilité – pas de légitimité. De cela, il n’en a jamais eu) ! « Au premier abord, on ne devrait pas faire la fine bouche en jugeant la volonté réformatrice des principaux acteurs de ce sommet [il y en a eu plusieurs sur le même thème] : tout le spectre des nuisances dont semble capable la finance paraît couvert. On promet de s’attaquer aux paradis fiscaux (…), on ambitionne de mieux contrôler les hedges funds, on veut revenir sur les normes comptables (…), on veut repenser les ratios prudentiels des établissement financier (…), on veut remodeler les rémunérations des acteurs des marchés (…), on se prépare à mieux encadrer le travail des agences de notations (…), on souhaite renforcer la capacité de prêt du FMI, on parle même de ‘réengager les mécanismes de titrisation sur des bases saines’. Dix huit mois plus tôt, personne n’aurait ramassé par terre un tract altermondialiste comportant ces mêmes têtes de chapitre. Plusieurs raisons plaident cependant pour ne pas faire crédit trop

facilement à cette volonté réformatrice (dans l’incertitude… restons liquides !). La première est que les acteurs ne sont pas forcement d’accord sur les chantiers prioritaires, ni sur la profondeur des remèdes à envisager, ni sur les dispositifs à adopter. La seconde est que cette phase de gestion institutionnelle de la crise reste tout de même d’inspiration très libérale. L’approche reste celle de la ‘gestion des risques’… que l’on ne s’interdit pas de créer » (Le Monde diplomatique, 04/09). De plus, l’exhaustivité même de cette liste de chantiers peut faire douter. Mais il est vrai qu’il faut parfois vraiment tout changer pour que rien ne change… Quand la situation devient critique, un autre moyen pour que rien ne change, c’est de désigner des coupables à la vindicte populaire. Et à quel festival avons nous eu droit ! La faute à Madoff, à Kerviel, aux banquiers, aux boîtes d’audit, à la FED… Ne soyons pas dupes. « Comme toujours lorsqu’il s’agit de s’attaquer à une évidence et de résister à son pouvoir d’attraction, défaire la thèse du péché pour lui substituer celle des structures nécessite de prendre le temps d’un détour. A commencer par celui du retour aux logiques qui ont engendré l’emprise de la finance actionnariale sur les entreprises… » (Frédéric Lordon, Et la vertu

sauvera le monde… Après la débâcle financière, le salut par l’‘éthique’ ?). Mais on n’ a pas le temps de s’arrêter pour réfléchir. Le temps c’est de l’argent…

Alors ? On parle, en sus de moralisation, de rationaliser et même parfois de réguler

(encore un gros mot il n’y a pas si longtemps) le Capitalisme. Le libéralisme financier est

discrédité (disqualifié diront certains), ce qui semble favoriser la réintroduction de

Le bêtisier durable *L’affaire Bernard Madoff, c’est une geste épique pour le début du 21

è siècle. Une

escroquerie qui repose sur un schéma plutôt banal mais effectuée avec un brio hors du commun. Connaissez vous les pyramides ? C’est une ‘pyramide de Ponzi’ qui a servi à cet ancien président du Nasdaq (la bourse des valeurs technologiques) à escroquer 50 milliards de dollars à ses différents clients (Banco Santander, Fortis, HSBC, Natixis, La Fondation Elie Wiesel, Daniel Hechter, Liliane Bettencourt…). Cet homme admiré de tous promettait des retours sur investissement de l’ordre de 20% à un petit groupe très select de clients : il fallait se faire parrainer pour entrer dans la bande ! Il payait en fait les intérêts des anciens avec les capitaux apportés par les nouveaux. *Crise de Foi ou crise de foie ? La crise, ce n’est pas une raison pour ne pas se goinfrer, même – et surtout – pour ceux qui nous y ont conduit. Au plus fort de la crise, Fortis (qui a frôlée la faillite) offre un gueuleton à 150000 euros à 50 de ses traders ; La Caisse régionale du Nord du Crédit Agricole envoie des cadres dirigeants et des administrateurs en safari-photo au Kenya ; la banque Barclays invite ses 120 meilleurs ‘performers’ au Sugar Beach Resort, hôtel 5 étoiles de l’île Maurice… (Tous exemples tirés du canard enchaîné) Mais tout cela, ce n’est rien. Voici les vrais scandales : « Pendant la crise, les dividendes continuent de pleuvoir. Les bénéfices 2008 [du Cac40] sont en chute de 41%. Pourtant, les dividendes versés à leur actionnaires ne baisseront que de 8% » (le canard enchaîné, 18/03/09) et « Les banques font flamber leurs marges. Avec la crise, elles gagnent davantage sur les crédits: leurs prêts sont plus chers, leurs emprunts meilleur marché. » (le canard enchaîné, 10/12/08) *Pan-pan cu-cul ! Les gouvernements ont été particulièrement convaincants dans leurs dénonciations des dérives de l’argent fou… Beaucoup de gesticulations, peu de lois et aucune contrainte…

règles. Allons plus loin : les institutions économiques et financières, ainsi que leurs représentants sont eux mêmes discrédités, éclaboussés par le scandale. Certains considèrent donc que le terrain est propice à l’instauration d’un ‘New Deal’ (une nouvelle donne) économique et social, dont l’intérêt pour les ‘biens publics’ serait à même de contrebalancer les effets les plus néfastes du ‘marché’. C’est, selon nous, sans compter sur l’incroyable capacité de récupération dont fait preuve le système libéral. Si l’on ne change pas les logiques (économiques mais aussi culturelles) qui le sous-tendent, on ne peut que retarder ou colorier sa progression. Est-ce suffisant ? Non.

Le gâteau est infect. Il ne s’agit plus de redistribuer les parts de façon plus équitable, ou de rajouter un peu de ceci, ou d’enlever un peu de cela. Jetons les cuisiniers, et que chacun mette la main à la pâte… Des nouvelles façons de vivre et de produire ensemble doivent être envisagées. La relocalisation des activités de production et de consommation paraît ainsi envisageable – à plusieurs échelons ; régions larges (Europe, Amérique Latine, Asie…), nations, régions, départements, villes, quartiers ou communautés… Le Tabou du protectionnisme doit être brisé, pour que l’on examine froidement la question (A ce propos, se rapporter au très intéressant dossier sur le sujet dans Le Monde diplomatique, 03/09)

Des renationalisations sont sérieusement à étudier. Non seulement pour les banques qui détiennent les cordons de la bourse ; mais également pour des secteurs rentables, qui peuvent fournir de solides ressources à l’État ; et bien sûr pour tous les secteurs d’utilité publique : Fonctions régaliennes, éducation, santé, fourniture d’eau, d’énergie, enlèvement des déchets, communication, production et distribution agroalimentaire… Pour permettre un minimum d’autonomie et d’épanouissement, des ateliers – d’arts et de technique – devraient être mis à disposition du plus grand nombre, ainsi que des jardins ouvriers, des universités populaires, des forums… Cette esquisse d’un programme est utopique, mais pas naïve. « Il existe aux Etats-Unis, comme ailleurs, des forces puissantes qui lutteront pour garantir leurs richesses et leur pouvoir, quoi qu’il en coûte pour l’homme. Ils y parviendront s’ils ne rencontrent pas en face d’eux un public informé et engagé dans l’opposition. C’est à cela qu’il faut travailler. C’est ce qui a été fait pendant la guerre du Vietnam et c’est ce qui se passe aujourd’hui. Il s’agit là d’un combat sans fin, au moins jusqu’à ce que les superpuissances soient transformées par des mouvements révolutionnaires. (…) A mon avis, la lutte contre l’oppression et l’injustice ne finira jamais, mais prendra perpétuellement de nouvelles formes et imposera de nouvelles revendications. Ce n’est pas une raison pour se laisser aller au pessimisme, mais pour s’engager honnêtement et franchement dans la défense de la liberté et de la justice. » (Noam Chomsky, Réponses inédites à mes détracteurs parisiens)

Les Mandarins Ce qui est particulièrement remarquable chez les soi disant ‘élites intellectuelles françaises’, c’est leur faculté de rebondir, et leur manque total de vergogne. Les mêmes qui chantaient allègrement les éloges du système néolibéral tandis que nous allions droit dans le mur, critiquent aujourd’hui ses dérives. Alain Minc (Conseiller des Princes et des Puissants, Plagiaire Servile et Boucher des organes de presse), Dominique de Villepin (Gaston Lagaffe à Matignon), Jean-Marie Messier (Chaussette Trouée) se permettent de donner des leçons de résistance au régime de l’Argent Roi ! Petite sélection de perles glanées ici et là :

« Ainsi du Monde, qui dénonce les fonds spéculatifs dont la crise a rogné le rendement : ‘les hedges funds sont le trou noir de la finance mondiale’ (22.9.08). (…) Un an plus tôt, le même journaliste s’interrogeait dans son supplément ‘Argent’ : ‘Faut-il avoir peur des hedges funds ?’ Bien sûr que non, concluait alors Le Monde, puisque ces fonds – estimés à 1760 milliards d’euros, soit une hausse de 700% en dix ans – ‘sont indispensables au bon fonctionnement des marchés.’ » (Le Plan B, 10/08)

Alain Minc : « amis de la classe dirigeante (…) Mesurez vous que le pays a les nerfs à fleur de peau (…) ? Sentez vous le grondement populiste, la rancœur des aigris, mais aussi le sentiment d’iniquité qui parcourt, comme une lame de fond, le pays ? (…) Amis, de grâce, reprenez vos esprits ! » (cité par le canard enchaîné, 25/03/09) Les Echos : « Cette bulle idéologique, la religion du marché tout puissant, a de grandes ressemblances avec ce que fut l’idéologie du communisme (…). Le rouleau compresseur idéologique libéral a tout balayé sur son passage. Un grand nombre de chefs d’entreprise, d’universitaires, d’éditorialistes [ ! ], de responsables politiques ne juraient plus que par le souverain marché. » (cité par Le Monde diplomatique, 11/08) Laurent Joffrin avant : « Comme ces vieilles forteresses reléguées dans un rôle secondaire par l’évolution de l’art militaire, la masse grisâtre de l’État français ressemble de plus en plus à un château fort inutile. » et après : « Il est temps de reconnaître officiellement que la dépense publique n’est pas toujours un gaspillage » Jacques Attali avant : « La libéralisation des échanges est une nécessité. Elle doit se poursuivre » et après : « Si elle ne maîtrise pas le Golem des marchés qu’elle a contribué à créer, la démocratie elle-même sera remise en cause » (deux exemples tirés du Plan B, 12/08)