4
Tous les laboratoires pharmaceutiques du monde rêvent de meHre au point un médicament qui ferait maigrir sans trop d'effets secondaires. On ne I'a pas encore trouvé. Mais grace aux travaux de recherche, on perçoit mieux la complexité du problème. ans le monde, le nombre d'obèses augmente de jour en jour. Beaucoup de gens vivent malle fait d'habiter un corps aussi encombrant. Les gros gabarits échappent aussi aux canons esthétiques en vigueur. Enfin et surtout, le surpoids augmente nettement le risque de développer des maladies comme le diabète, les thromboses ou même le cancer. Ces dernières décennies, de nombreuses e SPORT&VIEn' 144 stratégies ont été essayées pour gom mer l'excès pondéral. Les firmes pharmaceu- tiques redoublent d'efforts et d'inventivité pour essayer, par exemple, de réduire l'ab- sorption des graisses au niveau intestinal ou faire fondre les graisses de réserve en produi- sant une activation artificielle du métabo- lisme. Certains médicaments se révèlent effi- caces. Mais aucun n'est dénué d'effets secondaires. L'usage de psychotropes, par exemple. Ils permettent de mieux résister rs! Objectif bruneI

rs! - CORE

  • Upload
    others

  • View
    3

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: rs! - CORE

Tous les laboratoires pharmaceutiques du monderêvent de meHre au point un médicament qui feraitmaigrir sans trop d'effets secondaires. On ne I'a pasencore trouvé. Mais grace aux travaux de recherche,on perçoit mieux la complexité du problème.

ans le monde, le nombred'obèses augmente de jour enjour. Beaucoup de gens viventmalle fait d'habiter un corpsaussi encombrant. Les grosgabarits échappent aussi aux

canons esthétiques en vigueur. Enfin etsurtout, le surpoids augmente nettement lerisque de développer des maladies comme lediabète, les thromboses ou même le cancer.Ces dernières décennies, de nombreuses

e SPORT&VIEn' 144

stratégies ont été essayées pour gom merl'excès pondéral. Les firmes pharmaceu-tiques redoublent d'efforts et d'inventivitépour essayer, par exemple, de réduire l'ab-sorption des graisses au niveau intestinal oufaire fondre les graisses de réserve en produi-sant une activation artificielle du métabo-lisme. Certains médicaments se révèlent effi-caces. Mais aucun n'est dénué d'effetssecondaires. L'usage de psychotropes, parexemple. Ils permettent de mieux résister

rs!

Objectif bruneI

Page 2: rs! - CORE

Le flacon que toutle monde cherchalt

BAl BA, UN HEUREUXÉVÉNEMENT!

aux privations en atténuant la sensation defaim. Mais cela se traduit souvent par desproblèmes d' ordre psychique, l'instaurationd'une dépendance ou la détérioration desvalves cardiaques comme on l'a vu récem-ment dans le scandale du Médiator. L'échecest à ce point systématique que les cher-cheurs se demandent si on n'a pas commisl'erreur de prendre le problème à l'envers.On cherchait à tout prix à augmenter ladépense, alors qu'il aurait peut-être mieuxvalu porter son attention SUf les mécanismesde stockage et le type de graisse do nt ondésire se débarrasser. A l'instar du «bon» etdu «mauvaiss cholestérol, on en arriveaujourd'hui à considérer différemment deuxtypes de tissu adipeux aux comportementsopposés: le blanc et le brun.

Chaud dedansClassiquement, le tissu adipeux est décritcomme une masse blanche. C' est en effet ce àquo i iJ ressemble au microscope. Le tissuadipeux brun est beaucoup plus rare etprésente des caractéristiques différentes.D'abord, iJ est bourré de mitochondries.D'oü sa couleur plus foncée! Deplus, il joue un róle importantdans la thermogenèse. Cetissu brun disséminédans l'organisme chauffeles organes et la peau gräce àun mécanisme de «décou-plage». Qu'entend-on parlà? Disons que, normale-ment, il existe une

La progression de la recherche est parfois comparabIe àces mots croisés sur lesquels on planche Iongtemps sansavancer et puis, soudain, on trouve un mot et tous lesautres s'enchaÎnent facilement. Les chercheurs quitravaillent sur la relation entre les myokines et la graissebrune traversent actueIlement une telie phase d'efferves-cence. lis n'oot pas encore mis au jour tous les secrets del'irisine que déjà une nouvelle moIécule pointe Ie bout deson nez. 11 s'agit de la Beta-AminolsoButyric Acid,surnommée Baiba (6). Chimiquement parlant, Baiba est unmétabolite dérivé de la dégradation de la valine et de la tIlymine.On connaissait son existence. Un article scientifique de 1959mentionnait déjà sa présence dans I'urine de personnes irradiées.Depuis quelques années, on savait aussi que I'administration de Baiba àdes souris permet d'oxyder plus de graisse et de les faire maigrir m. cequ'on a découvert c'est que Ie muscle produit cette moIécule et que,comme pour I'irisine, I'exercice physique acereit sa production (6).Mieux encore: iI semblerait que la concentration de Baiba dans lesang soit inversement proportionnelle aux facteurs de risque méta-boIique. Plus on en produit et moins on court de risques de devenirobèse ou diabétique. Enfin, on vient d'apprendre que Baiba exerceun röle similaire à l'irisine dans le brunissement du tissu adipeux.lrisine ou Baiba, à voos de faire votre choi><.A moins que les effetsde ces deux hoonones puissent s'additionner. en n'est probabIe-ment pas au bout de nos surprises.

relation étroite entre l' apport de substratsénergétiques et la production d' énergie utili-sable. Dans les cellules adipeuses brunes, on«découple» cette relation et toute I'énergie setrouve transformée en chaleur, donc del'énergie perdue. Le tissu brun est un peucomme une voiture au point mort. Lemoteur tourne. Il chauffe. Il consomme del'énergie. Mais sans avancer d'un centi-

mètre! Dans l'organisme, cette prouesseest possible gräce à une familie d'en-

zymes appelées VCP (pour «uncou-

pling proteins»). Evidemment, lespersonnes qui possèdent plus detissu brun sont plutót à l'abri d'uneprise de poids. Les calories super-flues sont aussitót transformées en

chaleur. Tandis que celles qui en sontdépourvues, stockent le moindre excé-

dent. On imagine sans peine l'avantage qu'ontirerait à mettre au point une technique quipermettrait de passer de l'un à l'autre. Est-cepossible? Les chercheurs ont déjà identifiéune série de facteurs qui permettent la méta-

morphose. C' est le cas par exempled'une molécule connue sous les

initiales (FGF21) (pour «fibroblastgrowth factor 21») ou des

peptides natriurétiques (ANP et BNP). A l'in-verse, la myostatine produit un effet inhibi-teur. Pourrait-on obtenir le même résultatpar le biais de médicaments? C'est le défi quese sont fixé plusieurs laboratoires dans lemonde et jusqu'à présent, on doit bienadmettre qu'ils ont échoué à reproduirecorrectement les effets de FGF21 ou despeptides natriurétiques, En revanche, iJssonttombés sur une nouveIle molécule qui, selonles études scientifiques les plus récentes,pourrait donner satisfaction: l'irisine.

<,- ,

I •It_/,

'\.J

L'analyse du Hssu adlpeux au micro scoperévàle deux types de cellules grasses,plus ou molns roncées selonleur concentratlon en mltochondrles.

Page 3: rs! - CORE

DES SOURISEl DES HOMMESAu mois de février paraissaient les résultats d'uneétude tout à fait surprenante menée à l'UniversitéGeorgia Regents d'Augusta en Géorgie (USA) quitentait d'établir une corrélation entre le surpoids etla dégradation des aptitudes intelJectuelJeschez desanimaux de laboratoire rendus obèses pour lesbesoins de la cause. Des recherches précédentesavaient déjà mis en évidence un tel retardo Mais onignorait presque tout de la nature de ce Iien. tetravail consistait donc à surveilJer les différentsparamètres, notamment la perméabilité de la

fameuse barrière hémato-encéphalique quiempêche logiquement la pênétration de substancestoxiques dans le tronc cérébral. Dans un premiertem ps, les chercheurs ont gavé des souris pour leurfaire prendre du poids. lis leur prélevèrent ensuiteun peu de sang pour découvrir, sans surprise, quecelui-ci contenait des doses massives d'interleu-kine-1: une substance produite par la graisse etconnue pour attiser la réaction inflammatoire.Normalement, celJe-ci n'est pas censée pénétrerdans le cerveau. Du moins, c'est ce que I'on observechez les souris de poids normal. Chez les sourisobèses, si! L'expérience a montré que I'interleukine-1 traversait la barrière sans encombre et déferlaitdans des zones du cerveau comme I'hippocampe,siège de la mémoire et des processus d'apprentis-sage, ou sa présence à la longue entralnart lasurvenue de diverses lésions. Les tests cognitifsmontraient alors une dégradation de I'intelligence.Les analyses tissulaires révélaient quant à elJes untaux anormale ment bas de substances biochi-miques essentielJes au bon fonctionnement dessynapses. En résumé, il apparaissait que la graisseen surplus entravait le bon fonctionnement céré-bral. Encore falJait-i1en avoir le cceur net. Par Iipo-succion, les chercheurs vidèrent les celJulesgrassesdes souris obèses et constatèrent aussitöt une dimi-nution des concentrations en interleukine-1 et uneamélioration des tests cognitifs. Pour plus de certi-tude encore, ils injectèrent cette graisse à dessouris sveltes et le carrousel repartait dans I'autre

CD SPORT&VIEn' 144

sens. Etonnant, n'est-ce pas? Attention toutefois àne pas extrapoler cette conclusion aux Humains.Avec les rongeurs, on joue sur des variations degabarits qu'on ne rencontre pratiquement jamaisdans la vraie vie. Dans le cadre d'une secondephase de I'expérience, les chercheurs prirent doncI'initiative de procéder de façon moins caricaturale.Làencore, on commençait par engraisser des souriset, lorsqu'elles étaient bien rondouilJettes, on lesdivisa en deux groupes. La moitié faisait du sportà raison de 45 minutes par jour sur tapis de course.L'autre moitié restait oisive. Après douze semainesde ce régime, les différences de poids entreles deux groupes étaient minimes. Mais les spor-tives présentaient forcément plus de muscle etmoins de graisse. on procéda ensuite aux testscognitifs. Bingo! Les souris actives obtenaient debien meilJeures notes. L'analyse de leur hippo-campe révélait aussi une présence normale de tousles marqueurs qui reflètent le bon fonctionnementsynaptique alors que des déséquilibres flagrantsexistaient chez leurs consceurs sédentaires,ainsi que J'existence de foyers d'inflammationprobablement à I'origine de leurs piètres perfor-mances. Conclusions? Le poids ne dit pas tout.On peut être gros ou mince, intelligent ou stupide,doté d'une mémoire d'éléphant ou de poissonrouge. Toutes les combinaisons sont dans la nature.Disons simplement qu'on augmente ses chancesde raisonner clairement en Iimitant sa part degraisses corporelJes et en faisant du sport. Qu'onappartienne à la communauté des souris. .. ou àcelJedes hommes! Anna Muratore

RéférenceA.M. Stranahan et al. Obesity Elicits Interleukin-1Mediated Deficits in Hippocampal Synaptic Plas-ticity. Journalof Neuroscience, 2014

Le portdu casque n'ychange rlen.

Comment passerdu blanc au brunL'irisine est secrétée par le rnuscle, elle faitdonc partie de la familie des hormonesmyokines au même titre que l'insulin-likegrowthJactor 1 (IGF-l) ou l'interleukine-6(IL-6). Pour l'anecdote, retenez que sonnom «irisine» est un hommage rendu à ladéesse grecque Iris, messagère des dieux(1). Comme les autres rnyokines, l'irisinepasse dans la circulation et agit sur diffé-rents organes. Lesquels? On est encoreloin d'avoir identifié toutes ses cibles. Onsait seulement que le cerveau en fait partieet on mène actuellement des tests pourmesurer son efficacité contre les dégéné-reseences neurologiques de typeAlzheimer. Le tissu adipeux aussi estsensible à sa libération. Cela se passeprobablement en surface des adipocytes.La rencontre de l'irisine et de son récep-teur (non identifié à ce jour) déclencheune chaîne de réactions qui aboutit à laproduction de nouveIles mitochondries etla transformation de graisse blanche engraisse brune, en passant évidemment parle stade de graisse beige. Les dosagesmontrent que cette irisine sécrétée par lemuscle est aussi capable de fluctuer enfonction des situations de vie. Et quel estle facteur qui tire ses taux vers le haut? Jevous le donne en mille: le sport! En tout

cas, c'est ce qui ressort d'expériencesmenées sur des souris (2). Chez

I,' l'homrne, on en reste au stadedes hypothèses. Plusieurs étudesont démontré ce lien (1. 3),D'autres, non (4, 5). En fait, il

semble que la libéra-tion accrue d'iri-

Page 4: rs! - CORE

~

La fin da carrlèra coïnclda louvant àuna axplollon du poldl. Iel, la lootballaurbrllannlqua NallShlpparlay, qualqual molllaulamant aprèl la ratralta.

sine en réponse à un exercice ne seproduise que chez les personnes ayant destaux de base relativement faibles (nonsportives) mais que sa concentration dansle sang ne puisse pas excéder un seuil faci-lement atteint par la part plus active de la

population (les sportifs), selon une situa-tion qui prévaut aussi pour d'autres équi-libres hormonaux. Bien des zonesd'ombre restent évidernment à éclairer,Mais les specialistes jugent plus queprobable I'existence d'un lien ent re laconcentration sanguine d'irisine et l'acti-vité physique. En faisant du sport, on peutdonc transformer le mauvais tissu adipeuxde couleur blanche par un bon tissuadipeux tout bronzél

Bientût, le sport en piluleA ce stade, la question que tout le monde sepose est évidernment: pourrait-on se passerde faire du sport et proposer directementI'irisine sous une forme médicamenteuse?On court-circuiterait ainsi la réaction pouraugmenter la formation de tissu adipeuxbrun et brûler plus de calories. Ce rnédica-ment mimétique de I'exercice existe déjà, II amême été testé avec succès chez des sourisrendues obèses pour l'expérience. Aprèsinjection d'irisine en intraveineuse, cessouris étaient protégées contre la prise depoids et le diabète alors qu' elles conti-

nuaient pourtant à être nourries avec unrégime riche en graisse. A notre connais-sance, personne n'a encore tenté le coupchez les humains. Mais ce\a ne sauraittarder. Sans doute n'avons-nous jamais étéaussi proches de ce rêve de pharmacien quiconsiste à proposer du sport en pilu\e.

Louise Deldicque (KU Leuven)et Marc Francaux

(Université catholique de Louvain)

RÉFÉRENCES(1) Boström et al. A PGCI- -dependent myokine that drivesbrown-jat-like development of white fat and thermogenesis.Nature. 2012; 481: 463-469(2) Hofmann et al. Irisin as a musde-derived honnone stimu-lating thermogenesis - A critical update. Peptides. 2014; 54:89-100(3) Lee et al. Irisin and FGF2I are cold-indued endocrine acti-vators ofbrownfatfunction in humans. CeUMetab. 2013; 19:302-309(4) Timmons et al. Is irisin a human exercise gene? Nature.2012; 488: 9-10(5) Heeksteden et al. Irisin and exercise training in humans-Results from a randomized controlled training trial. BMCMedicine. 2013; 11: 235(6) Roberts el al. Beta-aminoisobutyric acid induces browning ofwhite fat and hepatic beta-oxidation and is inversely correlatedwith cardiometabolic riskjaaors. Ceû Metab. 2014; 19: 96-108(7) Begriche et al. -aminoisobutyric acid prevents diet-induced obesity in mice with partialleptin deficiency. Obesity.2008; 16: 2053-67

SPORT&VIE n'144 G)