Rudolf Steiner - Etudes Psychologiques

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  • Rudolf Steiner Etudes psychologiques

    Culture Pratique de la pense

    *

    Nervosit et le moi *

    Tempraments

  • RUDOLF STEINER CULTURE PRATIQUE DE LA PENSE

    NERVOSIT ET LE MOI TEMPRAMENTS

  • RUDOLF STEINER

    Culture Pratique de la Pense

    Nervosit et le Moi

    Tempraments

    4e dition

    5 confrences faites dans diffrentes villes

    en 1909 et 1912

    Traduction franaise

    Editions Anthroposophiques Romandes 11, rue Verdaine 1204 Genve

    1994

  • Traduction faite d'aprs un stnogramme non revu par l'auteur, l'dition originale porte le titre:

    Praktische Ausbildung des Denkens 13e dition 1979 de Bibliographie N 108 Traduction M. Delacroix

    Nervosith und Ichheit 5e dition 1979 de Bibliographie N 143 Traduction Andr Spicher

    Das Geheimnis der menschlichen Temperamente Zusammengestellt durch Englert-Faye 5e dition 1980

    1994 Tous droits rservs by Editions Anthroposophiques Romandes

    Traduction autorise par la Rudolf Steiner-Nachlassverwaltung Dornach/Suisse

    Imprim par Slatkine / Suisse ISBN 2-88189-065-2

  • TABLE DES MATIRES

    Culture pratique de la pense Karlsruhe, 18 janvier 1909 11 L'anthroposophie adapte la vie concrte. Comment acqurir une ide juste de ce qu'est la pense. Observa-tion des phnomnes atmosphriques. Souplesse et mo-bilit de la pense. Autres exercices. S'arracher aux au-tomatismes de la vie courante. Exercice pour la mmoire. Erreurs de jugement: myopie intellectuelle. Entraner la pense sur des phnomnes naturels.

    Nervosit et le Moi Munich, 11 janvier 1912 40 Nervosit, prcipitation, manque de dcision. Etats ma-ladifs sans cause organique. Alcoolisme politique. Bourrage de crne scolaire. Divorce entre la tte et le coeur. Exercices contre le manque de mmoire. Renforce-ment du corps thrique. Contrle des mouvements ds-ordonns. Modification volontaire de l'criture. Exer-cices pour acqurir une reprsentation de soi-mme. Im-portance de dvelopper la volont. Domination du Moi sur le corps astral. Suppression de la critique injustifie.

    Tempraments Munich, 9 janvier 1909 Karlsruhe, 19 janvier 1909 Berlin, 4 mars 1909 67

    Comprhension d'autrui dans la vie journalire grce la connaissance anthroposophique des tempraments. Le temprament: rencontre de deux courants, l'hrdit et le fruit des incarnations antrieures; rsultat des rap-ports rciproques des quatre corps. Les tempraments

  • colrique, sanguin, flegmatique, mlancolique et leur correspondance avec chacun des quatre corps. Expres-sion travers les systmes organiques. Principes pda-gogiques qui dcoulent de la connaissance des tempra-ments. Direction donner un temprament pendant l'enfance. Dangers des divers tempraments. Gurison dans le sens de l'anthroposophie.

    Ouvrages de Rudolf Steiner disponibles en langue franaise 137

  • IMPRIM D'APRS UN STNOGRAMME

    Au sujet de ces publications prives, Rudolf Steiner s'exprime de la manire suivante dans son autobiogra-phie Mein Lebensgang (35e et 36e chapitre, mars 1925):

    C'est en qualit de communications orales et non destines l'impression que le contenu de ces publica-tions a t conu ...

    Il n'y est question nulle part, mme si peu que ce soit, de quelque chose qui ne serait pas une pure donne de l'Anthroposophie, laquelle est en train de s'difier...

    Toute personne qui lit ces publications prives peut, dans le plein sens du terme, les considrer prcisment comme ce que l'Anthroposophie veut exprimer. C'est pourquoi l'on a pu sans scrupule s'carter de la rgle selon laquelle on ne devait rpandre ces textes imprims que dans le cercle des membres de notre Socit. Il fau-dra seulement passer sur quelques imperfections de langage dans ces esquisses que je n'ai pas revues avant leur parution.

    On ne pourra accorder la capacit de juger le contenu d'une telle publication prive qu'aux personnes qui le liront en connaissance de cause. Et le moins que l'on puisse exiger des lecteurs de presque tous ces textes est qu'ils aient une connaissance anthroposophique de l'tre humain et du cosmos, pour autant que sa nature est dcrite dans l'Anthroposophie, ainsi que la connais-sance de ce qui, sur les communications du monde spirituel, s'y trouve en qualit d'histoire de l'Anthro-posophie.

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  • CULTURE PRATIQUE DE LA PENSE Karlsruhe, z8 janvier 1909

    Il peut paratre trange que l'anthroposo-phie veuille donner des conseils en vue de l'acquisition d'une pense pratique, car ceux. qui se tiennent en dehors ont vite fait de s'ima-giner que l'anthroposophie n'a rien voir avec la vie concrte ni avec une quelconque appli-cation pratique. Mais une telle opinion ne s'ap-puie que sur une vue extrieure et superficielle des choses. En ralit, les - considrations qui vont suivre peuvent trouver leur application dans les moindres dtails de la vie quotidienne; elles peuvent tout instant donner naissance un tat d'me, un sentiment d'assurance et de fermet face la vie.

    Les gens qui se disent pratiques prtendent agir selon les principes les plus pratiques. Or, si l'on y regarde de plus prs, on dcouvrira que la soi-disant pense pratique n'a sou-vent d'une pense que le nom, et qu'elle n'est qu'une succession d'ides reues et d'habitudes mentales. Si vous observez d'une faon parfai-tement objective la pense des gens prati-ques, si vous examinez ce qu'on appelle ordi-nairement l'esprit pratique, vous trouverez frquemment qu'il n'y a l que peu d'exp-rience vcue, que ce qu'on appelle pratique

    II

  • consiste... avoir assimil ce qu'a dit le matre, ce qu'a pens celui qui a fabriqu tel ou tel objet, et comment il faut se comporter en con-squence. Et si vous pensez autrement, on vous considrera comme un homme dpourvu de sens pratique, car votre pense ne concorde plus avec ce que les gens ont appris.

    Cependant, toutes les fois qu'on a dcou-vert quelque chose de rellement pratique, la dcouverte a t le fait d'un homme qui, premire vue, n'avait rien qui le dsignt pour cela. Prenez par exemple nos timbres-poste. On serait tent de croire que c'est un spcia-liste de l'administration des Postes qui les a invents. Pas du tout. Au dbut du sicle der-nier, c'tait encore toute une affaire que d'en-voyer une lettre. Il fallait se rendre un en-droit spcial o l'on confiait les lettres, puis il fallait consulter une srie de registres et accomplir toutes sortes de formalits. Le sys-tme d'affranchissement que nous connaissons aujourd'hui ne remonte gure plus de soixante ans. Et les timbres ont t invents, non par un homme de l'art, mais par quelqu'un qui n'avait rien voir avec la Poste, l'Anglais Hill.

    Et lorsque l'ide des timbres fut ne, le ministre qui tait alors charg des Postes d-clara en substance au Parlement anglais: Pre-mirement, il est faux de croire que cette simplification fera tellement augmenter le tra-fic, comme le veut ce pauvre Hill; deuxi-mement, en admettant mme que ce soit le

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  • cas, l'office des Postes de Londres n'y suffi-rait plus.

    Pas un instant, l'ide n'avait effleur ce grand spcialiste que c'tait au btiment s'adapter au trafic, et non au trafic s'adap-ter au btiment! Malgr cela, en un temps relativement court, l'ide du non-spcialiste l'emporta sur celle du spcialiste: aujourd'hui, il nous parat tout naturel d'affranchir les let-tres avec des timbres.

    Il en fut de mme pour les chemins de fer. Lorsqu'en 1835 on parla de construire la pre-mire voie ferre allemande de Nuremberg Furth, le Collge des mdecins bavarois, qui l'on avait demand une expertise, dclara qu'il n'tait pas prudent de construire des chemins de fer, mais que si l'on y tenait absolument, il fallait tout au moins lever une haute palis-sade des deux cts de la voie, pour que les passants n'aient pas de choc nerveux ou de commotion crbrale.

    Quand il s'est agi de construire la ligne Berlin-Potsdam, le grand-matre des Postes Stengler a dit: Je fais partir tous les jours deux voitures de poste pour Potsdam et elles ne sont pas pleines. Si les gens tiennent abso-lument jeter leur argent par les fentres, et bien qu'ils le fassent directement!

    C'est que les ralits de la vie dpassent les spcialistes, ceux-l mme qui se croient des gens pratiques.

    Il faut bien distinguer la vraie pense de

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  • ce qu'on appelle communment la pense pratique et qui ne procde en fait que par associations d'ides toutes faites.

    Je vais vous raconter une petite histoire qui m'est arrive: elle servira d'introduction nos rflexions tout l'heure. Quand j'tais tu-diant, un de mes jeunes camarades est venu un jour me trouver. Il tait plein de cette joie que l'on observe chez les gens qui ont une ide vraiment astucieuse. Il me dit: Il faut que j'aille voir tout de suite le professeur Radinger (qui enseignait alors la mcanique l'institut)! J'ai fait une dcouverte sensationnelle: j'ai trouv qu'une trs petite quantit d'nergie, convenablement transforme, peut fournir un travail norme avec une seule machine! Il ne put m'en dire davantage, tant i1 tait press. Mais il ne vit pas le professeur en question, si bien qu'il revint et m'expliqua toute l'affaire. J'avais tout de suite flair une histoire de mou-vement perptuel, mais, aprs tout, pourquoi. pas? Pourtant, lorsqu'il eut fini ses explica-tions, je dus lui dclarer: Vois-tu... ta dcou-verte tmoigne d'un esprit pntrant, mais, du point de vue pratique, elle me fait penser quelqu'un qui monterait dans un wagon de chemin de fer et qui pousserait de toutes ses forces, croyant ainsi le faire avancer! C'est ce principe qui a prsid ton invention. Il en convint et ne retourna pas voir le profes-seur.

    C'est ainsi qu'on peut, si j'ose dire, s'enclore

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  • dans sa propre pense. Dans de rares cas trs particuliers, l'erreur saute aux yeux; mais dans la vie, il y a beaucoup de gens qui s'enferrent de la sorte, sans que ce soit toujours aussi frap-pant que dans notre exemple._ L'observateur qui pntre dans la ralit des choses sait qu'un grand nombre de processus mentaux se drou-lent ainsi; il constate que bien souvent les hommes sont comme ces voyageurs qui pous-sent le wagon de l'intrieur et s'imaginent que ce sont eux qui le font avancer. Bien des choses se passeraient diffremment si les hommes ne ressemblaient pas ces voyageurs.

    La vritable pratique de la pense suppose que l'on ait le sentiment, l'ide juste de ce qu'est la pense. Comment l'acqurir? Nul ne peut avoir une ide juste de la pense tant qu'il croit que c'est quelque chose qui ne se passe qu'en l'homme, dans sa tte ou dans son me. Tant qu'on aura cette ide fausse, on ne pourra pas trouver le vritable usage de la pense ni exiger d'elle ce qu'on peut en atten dre. Qui veut se faire de la pense une ide juste doit se dire: Si je peux concevoir des penses sur les choses, si je peux pntrer dans leur structure intime par la pense, il faut bien que les penses prexistent dans les choses. Les choses doivent tre structures selon les lois de la pense; alors seulement je puis en tirer, en des penses.

    Nous devons nous reprsenter qu'il en va du monde extrieur comme d'une horloge. On

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  • a trs souvent compar l'organisme humain une horloge; mais la plupart du temps, les gens oublient l'essentiel, savoir qu'il y a aussi un horloger. Il faut bien reconnatre que les rouages ne se sont pas combins tout seuls pour faire marcher l'horloge, mais qu'au dpart il y a eu un horloger pour la fabriquer. On n'a pas le droit d'oublier l'horloger! C'est par ses penses que l'horloge a t faite. Elles se sont en quelque sorte dverses dans l'horloge, dans l'objet. Il en va de mme pour les produits et les phnomnes de la nature. Quand il est ques-tion de produits du travail humain, cela saute aux yeux; par contre, ds qu'il s'agit de phno-mnes naturels, on a plus de mal le dcou-vrir, et pourtant ce sont aussi des processus spirituels, l'arrire-plan desquels se tiennent des entits spirituelles.

    Et lorsque l'homme rflchit sur les objets, il ne fait que rflchir sur ce qui a d'abord t mis en eux. Croire que le monde a t produit par la pense et qu'il continue se produire ainsi, c'est la premire condition pour rendre fconde l'activit pensante proprement dite.

    C'est toujours la ngation de la ralit spi-rituelle dans le monde qui produit, jusque dans le domaine scientifique, les pires aberrations. Prenons un exemple. On vous dira: Notre systme plantaire s'est form partir d'une nbuleuse originelle, qui s'est mise tourner, puis s'est condense en un astre central dont

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  • se sont dtachs des anneaux et des sphres, et c'est ainsi, mcaniquement, que s'est consti-- tu tout le systme plantaire. C'est commet-tre une erreur grossire. On fait aujourd'hui de belles dmonstrations de ce systme. Dans les coles, on fait voir aux enfants une petite exprience: on verse dans un verre d'eau une goutte d'huile, on y pique une aiguille et on imprime au tout un mouvement rotatif. Alors de petites gouttes se mettent graviter autour de la grosse, et l'on obtient un systme plan-taire en miniature, et l'on a dmontr l'lve du moins le croit-on qu'il s'est form de faon purement mcanique. C'est une aberra-tion que de tirer pareilles conclusions d'une telle exprience; car l'oprateur qui les trans-pose dans la cosmologie n'oublie qu'une chose, qu'il peut tre bon d'oublier en gnral, mais pas dans cette circonstance: il s'oublie lui-mme, il oublie que c'est lui qui a imprim au liquide le mouvement de rotation. S'il n'avait pas t l, s'il n'tait pas intervenu, les petites gouttes ne se seraient jamais dta-ches. Ce n'est qu'en tenant compte de cette intervention et en l'appliquant au systme pla-ntaire qu'il pourrait dire que l'activit de sa pense a t complte.

    De nos jours, ces erreurs de jugement jouent un rle considrable, jusque dans ce qu'on appelle aujourd'hui la Science. Or, elles ont bien plus d'importance qu'on ne l'imagine habi-tuellement.

    7 I

  • Si l'on veut parler rellement de pense pra-tique, il faut savoir qu'on ne peut extraire une pense que d'un monde qui en contient dj. De mme qu'on ne peut puiser de l'eau que dans un verre o il y en a effectivement, de mme on ne peut puiser des penses que dans des choses qui en contiennent. Et l'on ne trouve des penses dans l'univers que parce qu'il est construit selon des penses. S'il n'en tait pas ainsi, il serait absolument impossible de penser. Quand on arrive ressentir ce que nous disons

    .ici, on parvient aisment dpasser la pense abstraite. Si l'on fait pleinement confiance la pense qui est derrire les choses, si l'on croit que les phnomnes de la vie sont rgls selon les lois de la pense, alors, si l'on a ce sentiment, on se convertira sans peine une mthode de pense fonde sur la ralit.

    Nous allons maintenant tudier un aspect de cette mthode particulirement important pour ceux qui se rclament de l'anthroposo-phie. Si l'on est pntr de l'ide que le monde des phnomnes est fait de penses, on com-prendra qu'il est essentiel d'acqurir une ma-nire de penser juste.

    Supposons que quelqu'un se dise: Je veux cultiver ma pense pour qu'elle sache toujours s'adapter la vie; il devra appliquer les rgles qui vont suivre. Et ces rgles, il faut bien les comprendre: ce sont des principes vritable-ment pratiques_ et, pour peu que l'on s'efforce de les suivre avec persvrance, on obtient

  • des rsultats certains; la pense finit par deve-nir pratique, mme si, au dbut, il semble en tre autrement, et elle fait mme des exp-riences tout autres encore, lorsqu'on travaille dans ce sens.

    Imaginons quelqu'un qui se mette expri-menter de la manire suivante: il s'applique tudier un certain processus qui lui est ais-ment accessible et qu'il peut observer avec prcision disons, par exemple, les phno-mnes atmosphriques. Un soir, il observe la forme des nuages, le coucher du soleil, etc., et il conserve en lui une image prcise de ce qu'il a observ. Il tente de maintenir cette image un certain temps dans son esprit; il en retient les moindres dtails, et tache de les conserver jusqu'au lendemain. Le lendemain, la mme heure, ou un autre moment de la journe, il reprend ses observations mtoro-logiques et de nouveau il essaie de s'en faire une image exacte.

    En se crant ainsi des images prcises de phnomnes successifs, il se rendra compte qu'il enrichit et intensifie peu peu sa pense; car ce qui empche la pense d'tre pratique, c'est que, lorsqu'il s'agit de phnomnes successifs, on a trop souvent tendance laisser chapper les dtails pour n'en garder que des reprsen-tations gnrales et confuses. Ce qui est pr-cieux et mme essentiel, pour rendre la pense fconde, c'est de s'en faire des images prcises, surtout quand il s'agit de sries de phnomnes

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  • et de se dire ensuite: Hier la chose tait aujourd'hui elle est autrement, tout en vo-quant devant l'me, en images aussi concrtes que possibles, les deux phnomnes distincts.

    Il n'y a l au dpart qu'une expression par-ticulire de la confiance que nous faisons la pense cosmique. Il ne faut pas se hter de tirer des conclusions de ses observations du jour et d'en dduire le temps qu'il fera le len-demain. Cette hte corromprait notre pense! Il faut bien plutt faire confiance, croire que dans la ralit extrieure les choses s'encha-nent, qu'il y a un rapport entre aujourd'hui et demain. Au lieu de se livrer la spculation, il faut commencer par se faire des reprsenta-tions aussi exactes que possible des phnomnes qui se succdent dans le temps, rflchir des-sus, et laisser ensuite ces images persister l'une ct de l'autre et se mtamorphoser l'une en l'autre. C'est l un principe tout fait dter-min auquel il faut se conformer, si l'on veut dvelopper une pense vraiment objective. Sur-tout quand il s'agit de phnomnes que l'on ne comprend pas et dont on n'a pas encore saisi le lien. Aussi est-ce prcisment quand il s'agit de processus encore incomprhensibles, comme par exemple les phnomnes atmo-sphriques, qu'il faut faire confiance: puisque ceux-ci s'enchanent dans le monde extrieur, ils peuvent aussi provoquer en nous des encha-nements. Mais cela doit se faire sans interven-tion de la pense, rien qu'en images. Il faut

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  • se dire: Je ne sais encore rien des rapports, mais je vais laisser ces choses vivre en moi et attendre l'effet de cette assimilation, en m'abs-tenant de spculations htives. Vous croirez sans peine que si l'homme s'attache ainsi, en vitant de penser, visualiser en images aussi exactes que possible, des phnomnes succes-sifs, il peut se passer quelque chose dans les couches secrtes de la nature humaine.

    Les reprsentations ont pour sige le corps astral. Et ce corps astral, lorsque l'homme se livre des spculations, demeure asservi au Moi. Mais il ne se borne pas cette activit consciente, il est aussi en relation avec l'uni-vers entier.

    Or, dans la mesure o nous nous abstenons de spculations arbitraires pour nous concen-trer uniquement sur des images de phnomnes successifs, les penses qui animent l'univers agissent en nous et s'inscrivent dans notre corps astral, sans mme que nous en ayons conscience. En suivant par l'observation la marche des vnements, en prenant dans notre pense, autant que possible sans les troubler, les images de ces vnements et en les laissant agir en nous, nous devenons toujours plus intel-ligents dans les parties de notre tre qui chap-pent la conscience.

    Si alors nous arrivons, propos de phno-mnes qui ont entre eux un rapport intrinsque, mtamorphoser la nouvelle image en l'autre, suivant la transition qui s'est produite dans la

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  • nature, nous constaterons au bout d'un certain temps que notre pense a gagn en souplesse et en mobilit.

    Voil comment nous devons nous compor-ter vis--vis de phnomnes que nous ne com-prenons pas encore; mais l'gard de ceux que nous comprenons, notre attitude doit tre un peu diffrente. C'est le cas, par exemple, des vnements de notre vie quotidienne.

    Supposons que quelqu'un disons un voi-sin ait fait telle ou telle chose. Nous nous demanderons: Pourquoi a-t-il fait cela? Peut-tre l'a-t-il fait aujourd'hui pour prparer autre chose qu'il va faire demain? Pour l'ins-tant, n'allons pas plus loin; reprsentons-nous seulement ce qu'il a fait, bien en dtail, et tentons de visualiser ce qu'il fera demain. Disons-nous: Voil ce qu'il fera demain, et attendons, pour voir ce qu'il fera effective-ment. Il se peut que le lendemain nous cons-tations qu'il a agi comme nous l'avions prvu. Il se peut aussi qu'il ait agi tout diffremment. En ce cas, nous tenterons de corriger notre pense en fonction de la ralit.

    Ainsi, nous prenons dans le prsent des faits dont nous suivons en pense l'volution pos-sible dans l'avenir, et nous attendons, pour voir ce qui va se passer. Nous pouvons choisir aussi bien des actions humaines que d'autres phnomnes. Ds que nous saisissons quelque chose, tchons de nous reprsenter ce qui, notre avis, doit en rsulter. Si la suite attendue

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  • se produit, tout va bien: notre pense tait correcte. Sinon, essayons de rflchir, pour dcouvrir o rside notre erreur, tentons de corriger nos penses errones en cherchant cal-mement d'o vient la faute et quelle est sa nature.

    Mais si notre prvision s'est rvle exacte, gardons-nous soigneusement d'en faire talage et de crier tout venant: Je l'avais bien dit!

    C'est l encore un principe qui dcoule de notre foi en une ncessit intrieure qui sous-tend les choses et les vnements, en un l-ment qui, dans la ralit mme, pousse les choses en avant. Et cet lment qui fait tout voluer d'aujourd'hui demain, ce sont des forces de penses. Si nous nous concentrons sur les choses, nous pouvons prendre cons-cience de ces forces de pense. De tels exer-cices nous les manifestent, et chaque fois que se ralise ce que nous avions prvu, nous som-mes en accord avec elles; alors nous avons un rapport intrieur avec l'activit pensante relle des choses.

    Nous prenons ainsi l'habitude de penser, non pas d'une faon arbitraire, mais en accord avec la ncessit intrieure, avec la nature des choses.

    A ces exercices on peut en ajouter un autre: tout vnement qui se produit aujourd'hui est en rapport avec ce qui est arriv hier. Mettons qu'un enfant ait fait une btise; quelles en sont les raisons? Remontons le cours des vnements jusqu' la veille, reconstituons les causes que

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  • nous ignorons. Disons-nous: Je crois que si tel vnement se produit aujourd'hui, c'est qu'il s'est annonc hier ou avant-hier par tel ou tel autre. On s'informe ensuite de ce qui s'est effectivement pass, et l'on voit si l'on a eu raison ou tort. Si l'on a su trouver la vraie cause, tant mieux! Mais si l'on s'est tromp, il faut essayer d'lucider l'erreur et de com-prendre pourquoi l'enchanement de nos pen-ses ne concorde pas avec celui des faits rels.

    L'essentiel, c'est de prendre le temps de con-sidrer les choses comme si nous tions en elles, de plonger dans les choses, dans la dynamique des penses qui les animent.

    Ds ce moment, nous remarquons que nous faisons de plus en plus corps avec les choses; nous n'avons plus du tout le sentiment qu'elles sont l'extrieur, nous avons l'impression que notre pense se meut l'intrieur des choses. Quand on en est ce stade, bien des mystres s'clairent.

    Quelqu'un qui avait atteint ce degr de conscience et dont la pense vivait en per-manence dans les choses, c'est Goethe. Le psy-chologue Heinroth a crit en 1822 dans son Trait d'anthropologie que la pense de Goethe tait une pense objective, et Goethe lui-mme a vivement apprci cette dfinition. Il voulait dire par l qu'une pense de cette nature n'est pas distincte des choses; elle reste au-dedans des choses, elle volue au sein de

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  • leur ncessit. Chez Goethe, la pense tait une perception, et la perception une pense.

    Goethe est all trs loin dans ce sens. Com-bien de fois, ayant regard par sa fentre pour une raison quelconque, il lui est arriv de dire: Il va pleuvoir d'ici trois heures, et il en tait ainsi! D'aprs le petit bout de ciel qu'il aper-cevait de sa fentre, il pouvait prvoir le temps qu'il ferait plusieurs heures l'avance. Sa pen-se, fidlement et intimement lie aux phno-mnes, lui permettait de sentir ce qui, partir de l'vnement prsent, prparait celui qui tait venir.

    Avec une telle discipline de la pense, on peut aller bien plus loin qu'on ne l'imagine ordinairement. Si l'on applique les principes que nous venons d'exposer, on constatera que la pense devient vraiment pratique, que notre horizon s'largit et que les phnomnes nous sont plus intelligibles qu'avant. Peu peu notre attitude l'gard des choses et des gens se modifiera totalement. C'est toute une vo-lution qui s'opre en nous et qui transforme notre comportement d'une manire radicale. L'effort d'un homme qui tend par sa pense une relle communion avec les choses peut avoir une porte considrable; car l'efficacit d'une pense soumise une telle cole est mi-nemment pratique.

    Et voici un autre exercice qui convient sp-cialement aux gens dont les ides n'arrivent jamais propos. Ce que de telles personnes

    2S

  • devraient faire, c'est d'essayer avant tout de ne pas laisser leur pense s'adonner au cours des choses de ce monde et d'viter de se livrer aux impressions qu'apportent toutes choses. La plupart du temps, lorsqu'une personne dispose d'une demi-heure pour se reposer, elle laisse vagabonder sa pense: de fil en aiguille, ses penses sautent de coq--l'ne n'en plus finir. Ou bien tel ou tel souci la proccupe: en un clin d'oeil il se faufile dans le champ de sa conscience et l'accapare totalement. Si l'on agit ainsi, on ne parviendra jamais avoir les ides justes au moment juste. Pour acqurir la prsence d'esprit, il faut procder de la ma-nire suivante; lorsqu'on a une demi-heure de repos devant soi, il faut se dire: Chaque fois que j'aurai du temps libre, je veux rflchir un sujet que je choisirai moi-mme, et que j'introduirai dans ma conscience de propos dlibr. Par exemple, je vais repenser une aventure qui m'est arrive il y a quelque temps, disons au cours d'une promenade que j'ai faite il y a deux ans; je vais, en toute libert faire monter en ma pense mes expriences d'alors, et je vais m'y adonner, ne serait-ce que cinq minutes. Pendant ces cinq minutes, tout le reste sera banni! C'est moi qui choisis mon sujet de rflexion. Ce choix n'a pas besoin d'tre compliqu. L'essentiel, ce n'est pas d'agir sur sa pense par des exercices difficiles, c'est de s'arracher aux automatismes de la vie cou-rante. Il suffit pour cela que le sujet choisi z6

  • chappe au rseau d'impressions qui nous en-serre dans la journe. Quand on manque d'ins-piration, quand on n'a vraiment pas d'ide, on a toujours la ressource d'ouvrir un livre et de rflchir sur les premires lignes qui nous tombent sous les yeux. Ou encore on peut se dire: Aujourd'hui je vais penser telle chose que j'ai vue un moment donn en allant au travail le matin et laquelle normalement je n'aurais pas prt attention. Car il faut que ce soit quelque chose qui sorte de la routine quotidienne et quoi l'on n'aurait pas pens autrement.

    Si l'on fait et refait systmatiquement de tels exercices, il se produit effectivement que l'on ait des inspirations au moment voulu, que l'on ait au bon moment l'ide que l'on doit avoir. La pense devient mobile, ce qui est d'une importance considrable pour la vie pra-tique.

    Voici un autre exercice, spcialement indi-qu pour la mmoire. On essaie d'abord de se rappeler en gros, comme on le fait habituel-lement, un vnement quelconque, par exem-ple de la veille. Gnralement, nos souvenirs ne sont que grisailles; quand on a rencontr quelqu'un la veille, c'est dj bien beau si l'on a retenu son nom! Mais si nous voulons dve-lopper notre mmoire, nous ne pouvons pas nous contenter de si peu. Soyons bien per-suads de ceci: il faut s'exercer de faon syst-matique, en se disant: Je veux me rappeler

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  • avec prcision la personne que j'ai vue hier, et aussi le coin de la rue o je l'ai aperue, et puis tout ce qu'il y avait autour. Je veux m'en faire une image exacte: bien me repr-senter son costume, son veston, tous les d-tails. C'est alors que la plupart des gens s'aper-cevront qu'ils en sont parfaitement incapables, que cela leur est tout fait impossible. Ils pren-dront conscience de tout ce qui leur manque pour se faire une reprsentation vraiment ima-ge de ce qu'ils ont vu et peru la veille.

    Partons du cas le plus frquent, o l'on n'est pas en mesure de se rappeler ce qu'on a vcu la veille: en gnral, c'est que l'on a mal ob-serv. Un professeur de Facult en a fait l'exp-rience avec ses auditeurs: sur trente personnes prsentes, deux seulement avaient observ un phnomne correctement; les vingt-huit autres s'taient trompes dans leurs observations! Or, une bonne mmoire est fille d'une observation fidle. Pour dvelopper sa mmoire, il faut donc commencer par bien observer. Et, par ricochet, une bonne observation engendre une mmoire fidle.

    Que faut-il donc faire quand on est inca-pable de se rappeler exactement ce qu'on a vcu la veille?

    Pour commencer, qu'on rtablisse les sou-venirs prcis, jusqu' la limite du possible; et qu'ensuite, au-del, on entreprenne bravement de se reprsenter les dtails manquants, mme s'ils sont faux, pourvu que l'on parvienne

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  • reformer un tout. Supposons que vous ayez compltement oubli si le monsieur que vous avez rencontr portait un complet brun ou noir; vous imaginerez alors qu'il avait un veston brun et un pantalon brun; qu'il avait des bou-tons de telle et telle couleur son veston, et une cravate jaune. Puis vous dcrirez les lieux; le mur tait jaune, vous avez crois deux pas-sants, un grand gauche, un petit droite, etc.

    Tout ce dont vous vous souvenez, vous l'in-corporez l'image; et lorsque vous n'arrivez plus vous rappeler, vous supplez les dtails manquants, pour avoir l'esprit une image complte. Bien sr, celle-ci est fausse, mais l'effort que vous aurez fait pour avoir une image complte vous permettra de mieux ob-server l'avenir. Rptez cet exercice, sans vous dcourager. Et quand vous l'aurez fait cinquante fois, la cinquante-et-unime vous saurez parfaitement dcrire l'aspect et le cos-tume de la personne rencontre; vous vous rappellerez tous les dtails, jusqu'aux boutons de son veston. Dsormais vous ne laisserez plus rien chapper, et tout s'inscrira dans votre mmoire.

    Ainsi, c'est en aiguisant votre sens de l'ob-servation que vous aurez amlior la fidlit de votre mmoire, car celle-ci est fille du sens de l'observation.

    Ce qui importe, c'est de ne pas se contenter du nom, des traits essentiels, mais de se faire des reprsentations aussi images et aussi com-

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  • pites que possible; et quand la mmoire fait dfaut, on complte arbitrairement l'image pour qu'elle forme un tout. En agissant ainsi, nous verrons bientt que, par ce dtour, notre mmoire gagne en fidlit.

    Comme vous voyez, on peut effectivement enseigner ce qu'on pourrait appeler des tours de main pour rendre la pense de plus en plus pratique.

    Voici encore une indication particulire-ment importante: quand on a une ide en tte, on est impatient de la voir ralise. On cher-che la meilleure faon de procder et l'on arrive telle ou telle conclusion. C'est tout naturel. Mais ce n'est pas ainsi 9ue l'on acquiert une pense pratique. Toute precipitation est proscrire: loin de nous faire avancer, elle nous fait reculer. Dans ce domaine, il faut avoir de la patience.

    Admettons qu'on ait telle chose faire, mais qu'il faille, quant la manire, choisir entre telle ou telle possibilit. Ds lors, il faut s'armer de patience et tcher de se reprsenter ce qui arriverait si l'on choisissait telle solution et ce qui se produirait dans tel autre cas.

    Naturellement, on trouvera toujours de bonnes raisons pour prfrer l'une ou l'autre, mais pour l'instant, il faut justement se garder de prendre une dcision; il vaut mieux essayer de se reprsenter en dtail deux possibilits, et puis se dire: Cela suffit pour le moment; maintenant, n'y pensons plus.

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  • Il y a des gens que cela rend nerveux; et il n'est pas facile de rprimer l'impatience, mais c'est un exercice extrmement profitable. Il faut se dire: Il peut arriver ceci, il peut arri-ver cela. A prsent, pensons autre chose. Si c'est possible, remettons l'action au lende-main: quand nous reprendrons l'examen des deux possibilits, nous dcouvrirons qu'entre-temps les choses ont chang et que maintenant nous pouvons nous dcider meilleur escient. Les choses ont leur ncessit intrieure, et si nous vitons la hte arbitraire, laissant tra-vailler en nous et elle travaillera! cette ncessit intrieure, le lendemain, notre pense nous apparatra comme enrichie, et nous pour-rons prendre une dcision plus sage. C'est extrmement utile!

    Supposez, par exemple, qu'on vous demande conseil sur une rsolution prendre. Patience! Ne vous prcipitez pas pour donner votre avis; commencez par vous reprsenter les diffrentes possibilits, sans prendre aucune dcision; con-tentez-vous de laisser tranquillement ces pos-sibilits agir en vous comme des forces. La sagesse populaire dit que la nuit porte con-seil, qu'il faut dormir sur un problme avant de le rsoudre.

    Mais il ne suffit pas de dormir dessus! Il faut d'abord se reprsenter deux ou mieux, plusieurs possibilits, qui continueront tra-vailler en vous dans le sommeil, sans la par-ticipation de votre Moi conscient; et ensuite

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  • vous reviendrez votre affaire. Vous verrez qu'ainsi vous veillez en vous des facults pro-fondes de pense, et qu'alors vous saurez pen-ser d'une manire toujours plus pratique et plus raliste.

    Or, ce que l'homme cherche est toujours trouver dans le monde: qu'il soit un ouvrier son tabli ou un paysan derrire sa charrue, ou qu'il appartienne aux classes dites privil-gies, s'il s'entrane ainsi, les choses les plus quotidiennes de la vie feront de lui un pen-seur pratique. Il verra et comprendra tout autrement les choses du monde. Et, bien que ces exercices aient l'air, au dbut, d'tre pure-ment intrieurs, en ralit ils sont efficaces pour le monde extrieur, ils sont, justement pour le monde extrieur, d'une importance extrme; ils ont une porte incalculable.

    Je vais vous montrer par un exemple quel point il est ncessaire d'avoir une pense vraiment pratique: Supposez qu'un homme prenne une chelle et monte dans un arbre, pour une raison quelconque; il fait une chute et se tue. La premire ide qui vous vient, n'est-ce pas, c'est qu'il s'est tu en tombant. Vous direz que la chute est la cause, et la mort la consquence. Le lien de cause effet vous parait vident. Mais il se peut fort bien que vous vous trompiez. Il se peut que, pendant qu'il tait l-haut, notre homme ait eu une attaque, et qu'il soit tomb la suite de cette crise cardiaque. Les choses se sont passes

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  • exactement comme s'il tait tomb vivant, et ce qui lui est arriv aurait fort bien pu cau-ser sa mort. C'est ainsi qu'on, peut complte-ment intervertir cause et effet.

    Dans cet exemple, l'erreur saute aux yeux; mais dans bien des cas c'est moins vident. De nos jours, les fautes de pense de ce genre se multiplient, jusque, il faut bien le dire, dans le domaine scientifique, o les raisonnements qui prennent l'effet pour la cause sont monnaie courante. Mais les gens ne s'en aperoivent pas, pour la simple raison qu'ils ne se sont pas reprsents les diverses possibilits de la pen-se.

    Un dernier exemple vous fera toucher du doigt la faon dont naissent de telles erreurs et vous montrera que si l'on pratique les exer-cices que je viens d'indiquer, cela n'arrivera plus. Supposez qu'un savant se dise que l'homme tel qu'il est aujourd'hui descend du singe; autrement dit, ce que j'observe dans les singes, les forces du singe, tout cela se per-fectionne et l'homme en rsulte. Pour bien faire ressortir la signification de la pense en cette affaire, nous supposerons que, pour une raison quelconque, l'homme qui tient ce rai-sonnement se trouve tout seul sur la terre. A part lui, il n'y aurait l que ces singes dont sa thorie prtend qu'ils peuvent donner nais-sance des hommes. Il tudiera bien soigneu- sement ce singe et il se fera un concept prcis et dtaill de tout ce qu'implique le singe.

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  • Qu'il essaie, aprs cela, de faire dcouler du concept singe le concept homme sans avoir jamais vu d'homme: Il constatera qu'il n'y parvient pas; son concept singe ne se transfor-mera jamais en concept homme.

    S'il avait acquis l'habitude de penser juste, il se dirait: Mon concept ne se transforme pas en moi: le concept singe ne donne pas naissance au concept homme. Par consquent, ce que je vois dans le singe ne peut pas devenir homme, sinon il faudrait que mon concept lui aussi puisse se transformer. Il faut donc que quelque chose d'autre intervienne que je ne peux pas voir. Autrement dit, derrire le singe sensible, notre homme devrait imaginer un lment suprasensible, qu'il ne peut perce-voir, et qui effectuerait cette transformation en homme.

    Ici, notre intention n'est pas de mesurer l'impossibilit de la chose, mais simplement de montrer l'erreur de pense qui se cache der-rire cette thorie. Si notre savant pensait cor-rectement, il serait amen se rendre compte qu'il lui est impossible de maintenir sa thorie s'il ne veut pas faire intervenir un lment suprasensible.

    Rflchissez-y, et vous verrez que bien des gens ont fait ici une erreur de pense monu-mentale. Pareilles erreurs pourront tre vi-tes l'avenir, si l'on exerce sa pense comme nous l'avons indiqu.

    Une grande partie de la littrature contem-

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  • poraine, notamment des publications scienti-fiques, contient tant de penses tordues, faus-ses, qu' celui qui sait penser vraiment juste, elles infligent, jusque dans le corps, de relles souffrances lorsqu'il est oblig de les lire jus-qu'au bout. Bien entendu, cette remarque ne s'applique absolument pas l'norme somme d'observations que la science doit ses m-thodes objectives.

    Venons-en un autre chapitre: celui de la myopie intellectuelle. C'est vrai, on ne se rend pas compte en gnral que la pense s'loigne de la ralit, et qu'elle n'est pour une grande part qu'une suite d'habitudes et d'automa-tismes. Aussi les jugements d'une personne qui a une connaissance profonde de la vie et du monde sont-ils trs diffrents de ceux d'un homme qui ne les saisit que peu, ou pas du tout, comme par exemple un penseur matria-liste.

    Seulement, pour convaincre un tel homme par des arguments, si bons soient-ils, ce n'est pas facile! Entreprendre de convaincre par des raisonnements quelqu'un qui connat mal la vie, c'est souvent peine perdue, parce qu'il ne saisit pas les raisons que vous avez d'affir-mer ceci ou cela. Par exemple, s'il a pris l'habi-tude de ne voir partout que de la matire, il restera prisonnier de cette habitude.

    A l'heure actuelle, ce ne sont gnralement pas les arguments qui fondent les opinions: c'est la routine, dont les gens sont devenus

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  • esclaves et qui domine toute leur sensibilit. Quand ils avancent des arguments, ils font disparatre leurs sentiments et leur sensibilit derrire le masque des ides reues.

    Ainsi, trs souvent, ce n'est pas seulement le dsir qui est le pre de la pense, comme l'affirme un proverbe, mais tous les sentiments et les mcanismes mentaux.

    Celui qui connat la vie sait bien que dans l'existence on n'arrive gure convaincre les gens par des raisonnements logiques. Ce qui les dcide est quelque chose de bien plus pro-fond.

    Prenons, par exemple, notre mouvement anthroposophique: il y a certes de bonnes rai- sons pour qu'il existe et qu'il se fasse un tra- vail dans ses diverses branches. Mais chacun d'entre nous constate qu'aprs y avoir tra- vaill un certain temps, il se met penser, sentir et ragir d'une manire nouvelle. Car, dans ce travail, on ne se contente pas de trou- ver des arguments logiques, on cherche lar-gir le champ de ses sentiments et de ses sen-sations.

    Et tel homme qui, peut-tre, il y a quelques annes, n'a eu que railleries pour la Science spirituelle, aprs avoir cout une premire confrence, trouve prsent clair comme de l'eau de roche ce qui nagure lui paraissait tre le comble de l'absurde! En collaborant avec le mouvement de la Science spirituelle, nous ne transformons pas seulement notre pen-

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  • se: nous ouvrons toute notre me des pers-pectives plus vastes. Il faut se rendre compte que la coloration de nos penses vient de zones psychiques bien plus profondes qu'on ne le croit ordinairement. Nos opinions sont dictes par certaines sensations, certains sentiments intimes. Les arguments logiques ne sont qu'une faade, un masque qui cache des sentiments, des motions et habitudes de pense.

    Pour en arriver apprcier les raisons logi-ques, il faut apprendre aimer la logique. Mais ce n'est que lorsqu'on aimera l'objecti-vit, le ralisme, que les raisons logiques de-viendront dcisives. On apprend progressive-ment penser de faon objective, en faisant abstraction de toute prfrence pour telle ou telle ide; alors l'horizon s'largit et l'on de-vient pratique; non pas pratique dans le sens de ceux dont l'intelligence ne sait que suivre les sentiers battus, mais en ce sens qu'on ap-prend penser en partant des choses.

    Le vritable sens pratique nat d'une pense objective, d'une pense qui dcoule de la ra-lit mme. Nous n'apprendrons nous laisser instruire par les choses que si nous nous y entranons; et les exercices doivent se faire sur des choses saines. C'est--dire des choses o la civilisation n'a que peu de part, et qui sont le moins fausses: les phnomnes de la nature.

    S'entraner sur des phnomnes naturels, comme nous l'avons indiqu aujourd'hui, voil

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  • qui fait de nous des penseurs pratiques, voil qui est vraiment pratique! L'occupation la plus prosaque sera aborde avec un sens pratique si nous duquons l'lment de base: la pense. En travaillant sur nous-mmes de la faon indique, nous donnons naissance un cou-rant de pense pratique.

    La proccupation du mouvement anthro-posophique doit tre de lancer dans la vie des gens vraiment pratiques. L'essentiel n'est pas de pouvoir croire ceci ou cela, mais d'arriver bien voir les choses. La manire dont la Science spirituelle pntre notre me pour la rendre active et pour largir notre champ de vision est beaucoup plus importante que toutes les thories qui s'lveraient vers le spirituel en faisant bon march de la ralit sensible. En cela l'anthroposophie est quelque chose de vraiment pratique.

    C'est une mission importante du mouvement anthroposophique que de rendre la pense hu-maine assez mobile, assez exerce pour voir l'esprit derrire les choses. Si l'anthroposophie allume en nous cette facult, elle fondera une nouvelle culture o l'on ne verra jamais plus lesgens pousser les wagons de l'intrieur! Cela coulera de source. Si l'on a appris bien pen-ser quand il s'agit de grandes choses, on saura aussi le faire propos d'une cuillre soupe! Et pas seulement propos d'une cuillre . soupe: dans tous les domaines, les gens devien-dront plus pratiques; qu'il s'agisse de planter

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  • un clou ou d'accrocher un tableau au mur, ils le feront d'une faon plus pratique qu'ils ne l'auraient fait sans cela. Il est trs impor-tant que nous apprenions considrer la vie psycho-spirituelle comme un tout, et que cette manire de voir nous incite tout faire d'une faon toujours plus pratique.

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  • NERVOSIT ET LE MOI Munich, t z janvier z 9 r 2

    Il me faut aujourd'hui attirer votre atten-tion sur des lments relatifs plus d'une question que nous connaissons dj, mais qui peuvent cependant tre utiles certains d'entre nous, et aussi nous amener une conception plus prcise de la nature humaine, et de sa connexion avec l'univers.

    L'anthroposophe aura, il est vrai, trs fr-quemment l'occasion de s'entendre adresser, par des personnes trangres notre mouve-ment, beaucoup d'arguments, en plus des ob-jections et des oppositions de toute sorte expri-mes contre la Science spirituelle, objections dont je viens de parler dans les confrences publiques. En particulier, certaines gens, ru-dits ou non, opposeront toujours bien des arguments au fait que d'aprs la Science spi-rituelle, nous devons parler de la structure de l'tre humain tout entier selon ces quatre par-ties que nous citons toujours: le corps physique, le corps thrique ou vital, le corps astral et le moi. Les sceptiques pourront alors fort bien objecter peu prs ceci: Oui, tout cela se manifeste peut-tre chez l'tre humain qui dveloppe certaines forces caches de l'me, au point qu'il peut constater en lui quelque

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  • chose d'analogue cette structure; mais pour celui qui ne remarque rien de pareil, il ne peut y avoir aucune raison d'adopter une telle opinion.

    Il faut pourtant insister sur le fait suivant: la vie humaine, lorsqu'on s'applique l'exa-miner, ne fait pas que confirmer ce que la connaissance de l'esprit indique; mais lorsqu'on applique ce que l'on peut apprendre de la Science spirituelle en vue de la vie pratique, cette application la vie se rvle extraordi-nairement utile. Et l'on dcouvrira bientt que cette utilit (je ne pense pas ici au sens terre--terre de ce mot, mais l'utilit dans le plus beau sens du terme, utilit pour la vie), que cette utilit, dis-je, peut nous apporter peu peu une sorte de conviction, mme si nous ne voulons pas admettre ce que nous offre l'observation clairvoyante.

    Il n'est que trop connu qu' notre poque on se plaint beaucoup de tout ce qu'implique le mot tant redout de nervosit; il ne faut nullement s'tonner si l'on se sent contraint de conclure qu'il n'y a presque personne qui ne soit nerveux sous quelque rapport. Et com-ment pourrions-nous ne pas trouver conce-vable une pareille affirmation! Abstraction faite des rapports sociaux, des conditions so-ciales auxquelles nous attribuons telle ou telle cause de cette nervosit, il se prsente des tats que l'on peut qualifier de nerveux. Ils se manifestent dans la vie des manires les plus

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  • diverses. Ils apparaissent, peut-on dire, sous la forme la plus bnigne et la moins gnante, du fait que l'homme devient ce que l'on pour-rait appeler un agit mental. C'est ainsi que j'appellerais volontiers un homme incapable de retenir comme il faut une pense, et de la conduire vraiment jusqu' ses consquences; qui saute toujours d'une pense l'autre; lors-qu'on veut l'arrter, il a depuis longtemps pass autre chose. Dans la vie de l'me, la prcipitation est souvent la forme la moins grave de la nervosit.

    Une autre sorte de nervosit consiste, pour les hommes, ne gure savoir s'y prendre avec eux-mmes, ne pouvoir aboutir des dci-sions ncessaires, ne jamais savoir vraiment ce qu'ils doivent faire dans telle ou telle situa-tion. Ces tats peuvent en arriver d'autres, dj plus graves, lorsque cette nervosit se termine progressivement par de vritables tats maladifs dont on ne peut dterminer aucune cause organique. Ces tats ressemblent parfois s'y mprendre des maladies physiques, au point de laisser croire que le sujet a, par exem-ple, une grave maladie d'estomac, alors qu'il souffre uniquement de ce que l'on rsume trs couramment et assez vaguement par le terme de nervosit. Il en est ainsi de maints autres tats; qui ne les connat, qui n'en souffre pas lors-qu'il en est lui-mme afflig, ou lorsque ces tats affligent les personnes de son entourage? Il serait peut-tre exagr de parler, propos

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  • des grands' vnements de la vie publique, d'un alcoolisme politique, et je ne veux pas faire une digression ce sujet. Mais on a parl, ces derniers temps, d'une sorte d'activit nerveuse dans la vie publique, d'une manire qui ne se manifeste vraiment chez l'individu isol que lorsqu'il est un peu pris d'alcool. Le mot a t prononc pour caractriser la manire dont les affaires ont t menes ces derniers mois en Europe. Vous constatez l, dans la vie pu-blique, quelque chose dont on pourrait dire ceci: c'est que dans ce domaine aussi on re-marque, non seulement qu'il y a nervosit, mais que cette nervosit est ressentie comme un vritable malaise. Ainsi, partout est pr-sent un phnomne analogue cette nervo-sit.

    Eh bien, ce que je viens d'indiquer ne s'am-liorera certainement pas l'avenir, mais ne fera qu'empirer. L'avenir n'offre absolument aucune perspective favorable cet gard, si les hommes restent dans leur tat actuel. Car il y a divers lments nuisibles qui influencent considrablement notre vie prsente, et qui se transmettent, pour ainsi dire, comme une pi-dmie, d'une personne l'autre. Ainsi, non seulement celui qui en est atteint est un peu malade; d'autres aussi en sont victimes, qui ne sont peut-tre que faibles, mais tout de mme en sant.

    Il est extrmement nuisible pour notre po-que qu'un grand nombre d'hommes qui vont

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  • occuper des postes levs dans la vie publique fassent leurs tudes comme on les fait main-tenant. Pour des branches entires du savoir, on fait vraiment, l'universit, durant toute l'anne, tout autre chose que d'approfondir la pense et le sujet que les professeurs traitent dans leurs cours. On y va de temps en temps ces cours, mais quant ce que l'on veut vraiment possder, on l'apprend en quelques semaines, autrement dit, on s'en bourre la tte. C'est l qu'est le mal. Comme un tel bour-rage s'tend dans une certaine mesure jus-qu'aux degrs scolaires infrieurs, les incon-vnients n'en sont nullement ngligeables. Lors de ce gavage intellectuel, le fait essentiel est qu'il n'y a aucun lien vritable entre l'intrt psychique, entre le noyau intime de l'tre et ce que l'on ingurgite ainsi. L'opinion qui, dans les coles, rgne parmi les lves, est celle-ci: Ah, si seulement je pouvais bientt avoir oubli ce que j'apprends maintenant!.

    Ainsi, il n'y a point l une volont avide de s'assimiler ce que l'on apprend. Seul un faible lien d'intrt le relie au centre de l'me.

    Il rsulte de cet tat de choses que les hommes peuvent, en une certaine mesure, tre prpars de cette manire participer la vie publique, parce qu'ils se sont bourr la tte de ce qu'ils voulaient apprendre. Mais du fait qu'ils n'y sont pas intimement lis, ils restent psychiquement fort loigns de ce qui se passe dans leur tte. Eh bien, il n'y a rien

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  • de pire pour l'individualit entire de l'homme que d'tre, avec son me et son coeur, tran-ger ce que doit faire sa tte. Ce n'est pas seulement en dsaccord avec l'tre d'un homme volu et sensible; cela influence au plus haut point la force, l'nergie du corps thrique, oui, prcisment du corps thrique. Celui-ci s'affaiblit ainsi de plus en plus, par suite d'une relation insuffisante entre le centre de l'me et l'activit humaine. Plus un homme doit s'occuper de ce qui ne l'intresse pas, plus il affaiblit son corps thrique, son corps vital.

    L'anthroposophie devrait agir, sur les per-sonnes qui s'en imprgnent comme il convient, de manire qu'elles ne se bornent pas appren-dre que l'tre humain se compose d'un corps physique, d'un corps thrique, et ainsi de suite; elle devrait favoriser fortement le dve-loppement correct de ces lments de la nature humaine.

    Si l'on fait une exprience trs simple, mais qu'on la rpte assidment, cette exprience insignifiante peut accomplir de vrais miracles. Pardonnez-moi de vous parler aujourd'hui d'observations isoles, de bagatelles, mais de bagatelles qui peuvent devenir trs impor-tantes pour la vie. En ralit, cela dpend troitement de ce que je viens de dcrire, de ce lger manque de mmoire que l'on mani-feste parfois. C'est l quelque chose d'incom-mode, de dsagrable dans la vie; mais l'An-throposophie peut nous montrer en outre que

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  • c'est immensment nuisible la sant. Et, si trange que ce soit, il est exact que bien des manifestations anormales qui, dans la nature humaine, confinent des tats nettement ma-ladifs, seraient vites si les hommes taient moins oublieux. Mais vous pouvez dire: Oui, les hommes sont oublieux; qui peut en effet se dclarer entirement affranchi de ce man-que de mmoire? Nous nous en assurons faci-lement en jetant un rapide coup d'oeil sur la vie. Prenons un cas vraiment de peu d'im-portance: par exemple, quelqu'un se surprend ne jamais savoir o il a mis les objets qu'il utilise. C'est l, n'est-ce pas, une chose qui arrive dans la vie. L'un ne trouve jamais son crayon, un autre ses boutons de manchettes qu'il a dposs la veille au soir, etc. Il semble la fois trange et banal d'en parler; mais enfin cela se prsente dans la vie. Or, si l'on observe ce qu'on peut apprendre de l'Anthro-posophie, il s'y trouve un bon exercice pour remdier peu peu un tel manque de m-moire, un moyen trs simple: Supposons qu'une dame dpose le soir, disons, une broche, ou un monsieur ses boutons de manchettes, dans un endroit quelconque, et qu'ils s'aperoivent le lendemain matin qu'ils ne peuvent les re-trouver. Vous pouvez dire: Oui, et bien, il n'y a qu' s'habituer les mettre toujours au mme endroit. Mais il ne sera pas possible de le faire pour tous les objets. Nous ne vou-lons pas, pour le moment, parler de cette faon

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  • de se gurir, mais d'un procd beaucoup plus efficace.

    Prenons le cas d'un homme qui remarque son manque de mmoire; il se dirait: Je veux placer les objets des endroits bien distincts, mais jamais je ne veux placer un objet que je devrais retrouver facilement en un lieu dter-min, sans fixer en moi la pense suivante: J'ai mis cet objet tel endroit! Ensuite, on tente d'imprimer n peu en soi l'image de ce qui entoure l'objet. Par exemple, nous dpo-sns une pingle de sret sur le coin d'une table; nous la dposons en pensant: Je mets cette pingle sur ce bord, et je m'imprgne de l'image de l'angle droit qui l'avoisine, du fait que l'pingle est entre les deux cts de l'angle, etc.; puis je m'en vais tranquillement sans plus y penser. Et, mme si je ne russis pas au dbut dans tous les cas, je verrai que, si je persvre, mon manque de mmoire dis-paratra de plus en plus. Ce rsultat provient du fait que l'on a form cette pense trs pr-cise: Je place l'pingle ici. J'ai mis mon moi en rapport avec l'acte que j'ai excut, j'ai ajout une image, une reprsentation image la pense de mon acte; de plus, j'ai mis cet acte en relation avec mon tre intime, indi-qu par le petit mot je. Cette formation d'image est ce qui peut rellement aiguiser, pour ainsi dire, notre mmoire. Nous en reti-rons ainsi un profit pour notre vie, profit qui consiste devenir moins oublieux. Si l'on ne

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  • pouvait obtenir que cela, il n'y aurait pas lieu d'en faire si grand cas. Mais on peut en atten-dre bien davantage.

    Supposons que l'usage s'tablisse d'entretenir de telles penses en dposant certains objets; cet usage aurait tout simplement pour effet un renforcement du corps thrique. Le corps thrique en est rellement fortifi, il devient sans cesse de plus en plus robuste. Par l'An-throposophie, nous avons appris que le corps thrique ou vital doit tre considr dans une certaine mesure comme porteur de la m-moire. Si nous accomplissons quelque chose qui fortifie notre mmoire, nous pouvons en con-clure d'emble qu'un tel renforcement est pro-fitable notre corps thrique, notre corps vital. Etant anthroposophes, nous n'avons pas nous en tonner. Supposez un homme qui tmoigne d'un certain tat de nervosit. Pour cette raison et non seulement parce qu'il est oublieux vous lui conseillez de faire ce que nous avons indiqu. Vous dites donc cet homme agit ou nerveux d'accompagner de penses correspondantes l'action de dposer des objets. Eh bien, vous constaterez non seulement qu'il amliore sa mmoire, mais que, par suite du renforcement de son corps thrique, il se libre peu peu de son tat nerveux. Vous aurez alors apport par un fait vcu la preuve que nos affirmations concernant le corps th-rique sont exactes. Car, si nous nous compor-tons comme il convient l'gard du corps

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  • thrique, il montre clairement qu'il assimile ces forces; ainsi, ce que nous disons son sujet est juste. En pareil cas, la vie mme dmontre que tout cela est extrmement important.

    Autre chose encore, qui pourrait paratre insignifiante, mais qui est extraordinairement importante! Vous savez que ce que nous ap-pelons le corps thrique et le corps physique confinent troitement l'un l'autre dans la nature humaine. Le corps thrique est direc-tement insr dans le corps physique. Eh bien, vous pouvez, notre poque, faire une obser-vation qui n'est pas tellement rare, une obser-vation qu'ignorent la plupart du temps les gens qui en sont l'objet. Si nous avons en nous une me saine et compatissante, nous aurons vraiment un sentiment de piti pour les per-sonnes sur qui nous pourrons faire cette obser-vation. N'auriez-vous jamais encore, par exem-ple, vu des gens assis au guichet d'un bureau de poste, ou enfin des gens qui crivent beau-coup, et qui font des mouvements tout fait singuliers avant de commencer crire une initiale; qui, avant d'crire un B, font dans l'air quelques gestes, puis crivent. Les choses ne vont pas toujours jusque-l; car c'est dj une disposition un tat fcheux, que les gens soient obligs par leur profession de se com-porter ainsi. Il peut arriver, de plus obser-vez-le une fois qu'en crivant, ils doivent se donner un mouvement brusque chaque trait d'criture, et crivent ainsi par saccades, non

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  • rgulirement en montant et en descendant, mais par saccades. Vous pouvez le remarquer facilement dans les textes crits de cette ma-nire.

    D'aprs nos connaissances de science spiri-tuelle, nous pouvons nous expliquer un tel tat du scripteur de la manire suivante: Chez un tre humain parfaitement sain quant ses corps physique et thrique le corps th-rique, qui est lui-mme- dirig par le corps astral, doit toujours avoir la capacit absolue de s'imposer au corps physique; et le corps physique doit partout et dans tous ses mou- vements tre le serviteur du corps thrique. Lorsque le corps physique excute pour son compte des mouvements qui outrepassent ce que l'me, c'est--dire aussi ce que le corps astral peut vouloir, on a affaire un tat maladif, une prpondrance du corps phy- sique sur le corps thrique. Chez toutes les personnes qui se trouvent dans cet tat, nous avons affaire une faiblesse du corps th- rique, faiblesse qui consiste, pour ce corps, ne plus pouvoir diriger compltement le corps physique. Cette relation anormale entre le corps thrique et le corps physique est, du point de vue occulte, la base de tous les tats de crispation, lesquels dpendent essen-tiellement d'une domination insuffisante du corps thrique sur le corps physique; c'est pourquoi le physique domine et excute de son propre chef toute sorte de mouvements;

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  • tandis que l'tre humain n'est sain dans tout son tre que lorsque tous ses actes sont soumis la volont du corps astral.

    Or, il y a un moyen de venir en aide quelqu'un, si son tat n'a pas trop d'emprise sur lui; il faut alors compter uniquement sur les ralits occultes. Il faut tenir compte du fait que le corps thrique doit tre fortifi. Il faut pour ainsi dire croire son existence et sa capacit d'agir. Supposez qu'un pauvre diable ait vraiment ruin sa sant au point d'agiter continuellement ses doigts avant de prendre son lan pour crire une lettre quel-conque de l'alphabet. Eh bien, il sera bon en tout cas de lui donner le conseil suivant: Prends des vacances, cris moins, et tu te tireras de cet tat. Mais ce n'est l que la moiti du conseil; car on pourrait faire beau-coup mieux en en donnant la seconde moiti, en lui conseillant ceci: Et donne-toi la peine, sans trop t'y forcer un quart d'heure ou une demi-heure par jour y suffisent donne-toi la peine de prendre une autre criture, de modi-fier tes signes, tes paraphes; tu seras ainsi oblig de ne pas crire mcaniquement comme jus-qu' prsent, mais de fixer ton attention!. Disons-lui: Au lieu d'crire le F de cette faon, cris-le plus vertical et d'une forme toute diffrente, de manire tre forc de t'appliquer. Prends l'habitude de peindre tes lettres.

    Si la connaissance spirituelle tait plus r-

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  • pandue, le pauvre diable, revenant de vacances avec son criture change, ne s'entendrait pas dire par ses suprieurs: Tu es compltement fou, mon garon, te voil avec une tout autre criture!. On se rendrait compte qu'il y a l un vritable remde. En effet, pour changer ainsi son criture, on est forc de s'appliquer ce que l'on fait; et c'est l, toujours, mettre le centre de son tre en connexion intime avec l'objet. Le fait de crer cette connexion forti-fie notre corps thrique. Et ainsi nous deve-nons par cela mme des tres plus sains. Il ne serait nullement draisonnable d'exercer syst-matiquement, ds l'enfance, dans l'ducation et l'cole, le renforcement du corps thrique. L'anthroposophie doit faire ds prsent une proposition qui de longtemps encore ne sera pas mise en pratique, parce que longtemps encore, dans les milieux dirigeants de l'du-cation, elle passera pour quelque chose d'in-sens; mais cela ne fait rien.

    Supposons qu'en apprenant a crire aux enfants, on leur inculque d'abord une certaine forme d'criture. Aprs les avoir fait crire ainsi pendant quelques annes, qu'on leur fasse, sans raison apparente, en changer la forme; ce changement, et le renforcement d'attention qui doit l'accompagner, exerceraient alors une influence considrable sur le corps thrique en cours de dveloppement, et bien des tats nerveux ne se produiraient pas.

    Ainsi, voyez-vous, on peut dans la vie faire

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  • quelque chose pour fortifier compltement le corps thrique, le corps vital, et cela est d'une importance extraordinaire; car c'est prcis-ment sa faiblesse qui, notre poque, provoque de nombreux tats vraiment maladifs.

    On peut mme dire, sans aucunement exa-grer, que certaines formes de maladies dment reconnues, et contre lesquelles on ne peut rien pour l'instant, auraient une tout autre volu-tion si le corps thrique tait plus fort; son affaiblissement est prcisment une - caractris-tique de l'humanit actuelle.

    Nous venons d'indiquer ainsi une mthode que l'on peut appeler une culture du corps thrique. C'est bien au corps thrique que nous l'appliquons. On ne peut appliquer quel-que chose ce dont il est possible de nier l'existence, quelque chose qui n'existe pas. En montrant qu'il est utile d'appliquer cer-taines mthodes au corps thrique, en tant capable de prouver que ces mthodes sont effi-caces, on prouve par l-mme qu'il existe bien quelque chose qui est de la nature du corps thrique.

    La vie apporte partout la preuve de ce que peut donner l'Anthroposophie.

    Nous pouvons aussi fortifier essentielle-ment notre corps thrique en faisant autre chose pour amliorer notre mmoire. Peut-tre l'avons-nous dj mentionn ici sous un autre rapport. Dans toutes les formes de mala-die o la nervosit entre en jeu, il faudrait

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  • directement avoir recours des conseils pui-ss cette source. On peut en effet fortifier considrablement le corps thrique si l'on ne se contente point de parcourir seulement en pense ce que l'on sait dj, comme on a cou-tume de le faire, mais en le parcourant en sens inverse, rebours. Par exemple, il faut bien apprendre une fois l'cole les noms d'une srie de souverains, de batailles ou d'autres vnements. On les apprend en ordre chrono-logique. Il est extrmement bon, lorsqu'on les fait apprendre ou qu'on les apprend soi-mme dans l'ordre normal, de se les inculquer aussi dans l'ordre inverse, en s'numrant le tout de la fin au commencement. C'est d'une impor-tance extraordinaire. Car si nous gnralisons cet exercice, nous contribuons un renforce-ment prodigieux de notre corps thrique. Exa-miner fond, de la fin au commencement, des oeuvres dramatiques, ou ce que nous avons lu en fait de narrations ou autres crits ana-logues, est d'une importance capitale pour l'af-fermissement du corps thrique.

    Mais dans la vie actuelle, vous pouvez cons-tater que l'on ne fait presque rien de tout ce que nous venons d'indiquer, qu'on ne l'appli-que nullement; dans l'agitation quotidienne de notre poque, on n'a gure l'occasion de prendre un repos intrieur qui nous permet-trait la pratique de tels exercices. D'ordinaire, l'homme qui exerce une profession est si fati-gu le soir qu'il ne parvient pas se concen-

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  • trer sur les penses mentionnes plus haut. Mais lorsque la Science spirituelle pntrera vrai-ment dans les coeurs et les mes, on verra qu'il est rellement possible d'viter une infinit de maux qui se produisent aujourd'hui; on verra qu'il est possible tout tre humain de trouver le temps ncessaire de tels exercices. Dans le domaine de l'ducation, si l'on donne tout son soin de telles questions, on obtient des rsul-tats prodigieusement favorables.

    Mentionnons encore un dtail qui n'est sans doute pas d'une trs grande utilit dans la vie de l'adulte. Mais si on ne s'en est pas occup dans sa premire jeunesse, il est bon de le faire plus tard. C'est le fait de considrer d'un mme oeil certains de nos actes, qu'ils laissent une trace ou non dans notre vie. A l'gard de notre criture, nous y russissons avec une relative facilit. Je suis mme convaincu que bien des gens se dshabitueraient d'une affreuse cri-ture en essayant de bien regarder, lettre aprs lettre, ce qu'ils ont crit, et en parcourant encore une fois du regard tout leur texte. On peut trs bien faire cela.

    A titre d'exercice, il y a encore autre chose recommander: C'est de s'efforcer de voir soi-mme sa faon de marcher, les mouvements de sa main, de sa tte, sa manire de rire, etc., bref, de se rendre compte, en images, de tous ses gestes. Trs peu de personnes, en effet (vous pouvez vous en convaincre en les observant suffisamment), savent exactement comment

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  • elles marchent. Trs rares sont celles qui se reprsentent comment on voit leur allure. Mais il est bon de faire quelque chose pour acqurir une reprsentation de soi-mme. Car, sans mme tenir compte du fait que nous nous cor-rigeons certainement par ce moyen, c'est encore d'une influence prodigieusement favorable au renforcement du corps thrique, et aussi la domination du corps astral sur ce dernier. Il ne faut pas pratiquer cela avec excs, ce qui porterait trop la vanit. Mais le fait d'ob-server ses propres gestes, de se reprsenter ses propres actes, a pour consquence l'heureux profit que l'on tire d'une domination sans cesse croissante de son corps astral sur son corps thrique; cela signifie que l'on devient capa-ble, en cas de besoin, de rprimer parfois en soi certaines choses. Les hommes parviennent de moins en moins rprimer volontairement et d'un seul coup certaines de leurs habitudes, ou changer leur manire d'agir. Et c'est pr-cisment une des plus grandes conqutes de l'homme que de pouvoir changer sa manire de faire selon les circonstances. Certes, il ne faut pas crer une cole o l'on apprendrait, pour ainsi dire, contrefaire son criture; car aujourd'hui, vrai dire, les gens apprennent changer les caractres de leur criture lors-qu'ils veulent l'employer mal faire. Mais lorsqu'on se promet de rester tout fait hon-nte, il est bon, pour affermir le corps th-rique, d'adopter une autre manire d'crire. Il

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  • est particulirement bon d'acqurir la capacit de modifier sa manire de faire un travail, de ne pas se sentir astreint le faire toujours de mme. Il n'est pas du tout ncessaire d'tre un partisan fanatique de l'ambidextrit. Mais si l'on essaie, sans exagrer, d'accomplir au moins certaines choses de la main gauche sans continuer davantage, ds que l'on est capable d'y parvenir on exerce ainsi une heureuse influence sur la domination que le corps astral doit exercer sur le corps thri-qu. Fortifier l'tre humain selon les vues de la Science spirituelle, voil ce que la propa-gation de cette science doit apporter notre civilisation.

    C'est surtout ce que l'on pourrait appeler la culture de la volont qui est de toute impor-tance. Nous avons dj fait remarquer que la nervosit se manifeste de plusieurs manires, et plus prcisment par le fait que les gens, notre poque, ne savent souvent pas bien com-ment parvenir faire ce qu'ils dsirent vrai-ment, ou ce qu'ils devraient dsirer. Ils redou-tent aprs coup d'achever ce qu'ils ont entre-pris, et ne parviennent rien de bon. Ce fait, que nous pouvons concevoir comme une cer-taine faiblesse de la volont, provient avant tout d'une matrise insuffisante du moi sur le corps astral. C'est toujours le cas lorsque la faiblesse de la volont en arrive au point que les gens veulent la fois quelque chose et ensuite ne le veulent pas, ou tout au moins,

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  • n'arrivent pas rellement excuter ce qu'ils veulent. Beaucoup d'entre eux ne parviennent jamais vouloir srieusement ce qu'ils veu-lent vouloir.

    Or, il y a un moyen simple de fortifier la volont dans la vie courante, c'est le suivant: rprimer les dsirs qui se manifestent indnia-blement, ne point les raliser, du moins lors-que cela est parfaitement possible et ne nuit personne. Si l'on examine sa propre vie, on trouvera du matin au soir d'innombrables d-sirs que l'on pourrait fort bien raliser sans aucun scrupule, mais on en trouvera aussi une quantit que l'on peut renoncer satisfaire sans causer de mal autrui et sans manquer son devoir; dsirs dont la satisfaction nous ferait un certain plaisir, mais qui peuvent aussi bien rester inassouvis. Si l'on entreprend mthodiquement de rechercher en soi de tels dsirs et de se dire: Non, la satisfaction d'un tel dsir n'est pas immdiatement indispensa-ble, donc si on le rprime systmatiquement, il en rsulte chaque fois, et pour toute espce de dsir, un afflux de volont qui fortifiera l'empire du Moi sur le corps astral. Bien en-tendu, il ne faut pas pratiquer cela sans dis-cernement; le renoncement ne doit causer aucun tort, et la ralisation ne devrait appor-ter rien de plus qu'un sentiment de bien-tre, de la joie, du plaisir. En nous soumettant une telle discipline dans notre vie d'adulte, nous pourrons combler plus d'une lacune que

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  • nglige de diverses manires l'ducation ac-tuelle.

    Sans doute, il est vraiment difficile d'avoir une influence pdagogique dans ce domaine. Car il faut aussi bien considrer que si, tant ducateur, on est mme de raliser un dsir quelconque de son lve, enfant ou adolescent, et qu'on le lui refuse, on ne fera pas que rpri-mer le dsir, mais on provoquera galement une sorte d'antipathie. Cela peut tre mauvais du point de vue pdagogique. De sorte que l'on pourrait dire: Il semble bien problma-tique d'introduire dans les principes ducatifs la rpression des dsirs des lves. On se trouve pour ainsi dire devant un cueil. Si un pre veut duquer son enfant en lui disant le plus souvent possible, par exemple: Non, Charles, tu n'auras pas cela, il provoquera bien davantage l'aversion du garon que le bnfice moral qu'il peut attendre de la rpres-sion du dsir. Alors que faire? pourra-t-on se demander; l'on ne peut donc rien envisager de pareil?

    Il y a pourtant un moyen trs simple de le faire: c'est d'imposer le renoncement non l'lve, mais soi-mme, de manire que l'lve soit bien assur que l'on se refuse telle ou telle chose. Or, dans les sept premires annes de la vie, mais aussi plus tard l'instar d'une rsonance, rgne un puissant instinct d'imita- tion. Et nous verrons que si, en prsence de ceux que nous devons duquer, nous nous refu-

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  • sons ostensiblement quelque chose, ils nous imitent et trouvent que cela mrite bien un effort. Nous aurons de cette manire obtenu quelque chose de fort important. Ainsi nous voyons quel point nos penses doivent tre guides, et diriges comme il convient par ce que peut devenir pour nous la Science spiri-tuelle; elle ne sera plus seulement thorie, mais deviendra sagesse vivante, elle nous portera et nous conduira dans la vie.

    Il y a un moyen trs important de fortifier la domination de notre Moi sur le corps astral. On peut l'apprendre par les deux confrences publiques que j'ai faites ici-mme. En effet, ces confrences avaient la particularit de trai-ter de ce que l'on peut dire pour et contre une question quelconque. Si vous examinez comment les gens se comportent psychologi-quement dans la vie, vous verrez qu'ils s'en tiennent presque toujours, en pense et en action, au pour ou bien au contre. Cela est courant. Mais dans la vie, il n'y a pas un seul sujet dont on ne puisse dire le pour et le contre. Il en est ainsi pour tout, et il est bon de nous habituer ne point considrer seule-ment l'un ou l'autre, mais bien l'un et l'autre. Mme pour ce que nous faisons, il est bon que nous acqurions une ide claire des raisons pour lesquelles nous prfrons, dans certaines circonstances, nous abstenir ou agir, et que nous nous rendions compte qu'il y a des motifs contraires dans les deux cas.

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  • Sur bien des points, la vanit s'oppose ce que nous mettions en lumire les motifs con-traires notre devoir, car les gens n'aimeraient que trop tre tous de braves gens. Il est si facile de se dcerner la qualit de brave homme, si l'on peut se dire que l'on fait uni-quement ce qui est digne d'approbation. Et il est fort dsagrable d'tre convaincu que l'on peut faire bien des objections presque tous nos actes. En ralit et je le dis parce que c'est extrmement important nous ne sommes pas du tout aussi bons que nous le pensons. Ce truisme n'a gure de porte; il ne peut en avoir une que si, propos de chaque action, et bien qu'on l'accomplisse prcisment parce que la vie l'exige, on se reprsente ce qui pourrait nous amener nous en abstenir. Ce que l'on acquiert ainsi, vous pouvez vous le reprsen-ter simplement en votre me de la manire sui-vante: vous avez certainement rencontr des gens dont la volont est si faible qu'ils prf-reraient ne rien dcider du tout par eux-mmes, mais aimeraient que quelqu'un d'autre prenne la dcision pour eux, et qu'ils n'aient qu' l'excuter. Ils se dchargent, pour ainsi dire, de leur responsabilit, et demandent de prf-rence ce qu'ils doivent faire plutt que de trou-ver eux-mmes les motifs de tel ou tel de leurs actes. Je ne cite pas ce cas pour lui donner une importance particulire, mais pour en tirer autre chose. Prenons donc un homme qui aime questionner les autres ce que j'ai dit pourra

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  • susciter la contradiction, et aussi l'approbation; on ne peut presque rien exprimer sur la vie sans tre contredit d'une certaine manire. Prenons, dis-je, le cas d'un questionneur. Il a devant lui deux personnes qui lui donnent leur avis sur le mme sujet. L'une lui dit: Fais cela et l'autre: N'en fais rien. Nous ver-rons que l'un des conseillers l'emportera sur l'autre. Ce sera celui dont l'influence volon-taire est la plus forte. En prsence de quel ph-nomne nous trouvons-nous vraiment? Quel-que insignifiant qu'il paraisse, c'est un phno-mne de la plus haute importance. Si je suis en prsence de deux personnes dont l'une dit oui et l'autre non, et si j'agis selon le oui, la volont de la premire continue d'agir en moi, sa volont a prvalu au point de me donner la force d'agir. Elle l'a emport en moi-mme sur celle d'une autre personne, donc la force d'autrui a eu la victoire en moi. Pen-sez ceci maintenant: Si je ne suis plus en prsence de deux personnes d'avis contraire, mais tout seul; si je me reprsente en mon for intrieur le pour et le contre et m'en donne les motifs; si, sans l'intervention de personne, je dcide et agis de moi-mme parce que j'ai pris parti pour le oui, cela aura dvelopp une grande force, mais cette fois-ci en moi-mme. L'emprise qu'une autre personne avait prcdemment exerce sur moi, je l'ai rempla-ce par une force que j'ai dveloppe en mon me. Ainsi, lorsqu'on se trouve intrieurement

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  • en prsence d'un choix, on fait triompher une force d'une faiblesse. Et c'est extrmement im-portant, car cela fortifie considrablement la domination du moi sur le corps astral.

    Il ne faut point considrer comme une gne le fait de peser srieusement le pour et le con-tre dans les cas o c'est possible; et l'on verra que l'on aura fait beaucoup pour fortifier sa volont en s'efforant de procder comme je l'ai indiqu.

    Mais il y a aussi le revers de la mdaille, ce qui peut entraner non le renforcement, mais l'affaiblissement de la volont. C'est le cas lorsque, aprs avoir apprci les motifs du pour et du contre, on n'agit pas du tout et que, par ngligence, on ne cde ni l'un ni l'au- tre. En apparence, on aura alors cd au non, mais en ralit on n'aura cd qu' la paresse. Il s'ensuit que l'on fera bien de tenir compte du conseil de la Science spirituelle, pour autant que l'on n'entreprendra pas de tels dbats en tat de fatigue, lorsqu'on ne sera pas, de quel- que manire que ce soit, puis, mais lorsqu'on se sentira fort et que l'on pourra se dire: Tu n'es pas fatigu, tu peux vraiment choisir en ton me entre le pour et le contre. Il faut donc se surveiller, afin de n'exercer cette m-thode sur son me qu'au bon moment.

    De plus, une des dmarches de l'esprit qui fortifie minemment la prpondrance du moi sur le corps astral consiste carter de notre me tout ce qui, certains gards, dresse une

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  • opposition entre nous et le reste du monde, entre nous et notre entourage: par consquent, l'anthroposophe devrait se faire un devoir de s'interdire toute critique quelque peu injusti-fie.. Si la critique est objective, ce serait natu-rellement une faiblesse de faire passer pour bon ce qui est mauvais, pour des motifs tirs uniquement de la Science spirituelle. Ce n'est point l ce qu'il faut faire. Non, il nous faut apprendre distinguer ce que nous critiquons sans parti pris de ce que nous trouvons bl-mable parce que c'est gnant pour notre pro-pre personne. Plus nous pouvons nous accou-tumer porter sur notre prochain un jugement indpendant de son attitude notre gard, plus nous augmentons la prpondrance de notre Moi sur notre corps astral. Il est mme bon de renoncer volontairement se dlecter de ses qualits en se disant: Tu es un homme de bien, tu ne critiques pas ton prochain; mais d'y renoncer pour nous fortifier, et ne point trouver une chose mauvaise pour la seule raison qu'elle nous est dsagrable; lorsqu'il s'agit d'opinions sur des personnes, rservons de prfrence notre jugement aux questions dans lesquelles nous ne sommes pas en cause. On verra bientt que, si ce principe parait facile en thorie, son application est extrme-ment difficile. A l'gard, par exemple, d'un homme qui nous a menti, il est bon que nous rprimions l'antipathie que nous inspire ce men-songe. Il ne s'agit pas d'aller rpter d'autres

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  • ce qu'il a racont, mais bien de rprimer notre sentiment d'antipathie. Pour nous faire une opinion de l'homme en question, nous pouvons fort bien mettre profit les remarques qu'il nous est possible de faire, tel ou tel jour, sur lui, sur la manire dont concordent ses actes. Si, sur un mme sujet, il dit un jour blanc et une autre fois noir, il nous suffira de le com-parer, pour ainsi dire, lui-mme, et nous dis-poserons, pour le juger, d'une tout autre base que si nous mettions l'accent sur son comporte-ment envers nous. Il est important de laisser parler les faits par eux-mmes, de comprendre les gens tels qu'ils se montrent dans leur faon d'agir; non de les juger sur des actes isols, mais sur l'ensemble de leurs actes. Mme chez un tre que l'on tient pour un franc coquin, et dont on dit: Celui-l n'agit jamais qu'en fripon, on trouvera bien des lments qui ne s'accor-dent point avec ses actes, qui sont mme en contradiction avec ses actes. Pour se reprsenter en son me la conduite d'un homme, surtout lorsqu'il s'agit de porter un jugement sur lui, il ne faut nullement avoir en vue uniquement ce qu'il est nos yeux. Et il est bon, pour le renforcement de notre Moi, de rflchir au fait que nous pourrions ngliger la plupart, en tout cas les neuf diximes de nos jugements. Un juge-ment sur dix port sur le monde, mais un juge-ment intimement ressenti, voil qui est large-ment suffisant pour la vie. Cette vie ne subira aucun prjudice, mme en ce qui nous concerne,

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  • du fait que nous nous refuserons porter les neuf autres, ce que nous nous permettons trs frquemment.

    Aujourd'hui, je vous ai expos des choses apparemment de peu d'importance; mais nous devons aussi nous donner de temps en temps pour tche d'examiner de telles bagatelles. Car c'est justement ainsi que l'on peut montrer com-bien une petite cause peut avoir de grands effets; et comment nous devons prendre la vie d'une tout autre faon qu' l'ordinaire, si nous voulons acqurir une formation saine et vigou-reuse.

    Tout de mme, si quelqu'un est malade, il ne convient pas toujours de dire: Eh bien! Envoyons-le la pharmacie, il y trouvera ce qu'il lui faut. Ce qui conviendrait, ce serait d'organiser toute la vie de manire que les hommes soient moins frapps par les maladies, ou par des maladies moins accablantes. Elles le seront moins si, par ses petits moyens, l'homme renforce l'influence du Moi sur le corps astral, celle du corps astral sur le corps thrique et celle du corps thrique sur le corps physique. Education de soi et action sur l'duca-tion en gnral, telles peuvent tre prcisment les consquences de notre profonde conviction anthroposophique.

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  • TEMPRAMENTS Munich, 9 janvier 1908

    Karlsruhe, 19 janvier 199 Berlin, 4 mars 1909

    Pour matriser la vie, il faut surprendre ses mystres, voils par la nature physique.

    Dans tous les milieux de la vie spirituelle de l'humanit, il a souvent t rpt avec raison que, dans la vie physique terrestre, c'est l'tre humain lui-mme qui en constitue la plus grande nigme. Il n'est donc pas tonnant qu'une grande part de notre activit scienti-fique, de nos rflexions et de nos penses soient consacres rsoudre l'nigme humaine, con-natre l'essence de la nature humaine.

    Les sciences naturelles aussi bien que la science spirituelle essaient de dchiffrer la grande nigme contenue dans le mot Homme, mais en investigant de cts diffrents. Au fond, la recherche pousse du naturaliste tente d'at-teindre son but final en faisant un tableau de divers processus de la nature afin d'en com-prendre les lois. Et toute science spirituelle recherche les sources de l'existence afin de com-prendre, de dchiffrer l'essence et la destine de l'tre humain.

    Si l'on admet que, d'une faon gnrale, la plus grande nigme pour l'homme est l'homme lui-mme, on voit que dans la vie cet axiome

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  • peut tre approfondi en remarquant ce que chacun de nous prouve en rencontrant une autre personne; au fond, chaque personne est une nigme pour elle-mme autant que pour une autre, en raison de la particularit de sa nature et de son entit. D'ordinaire quand on parle de l'nigme humaine, on vise l'tre hu-main en gnral, sans faire de distinction entre un individu et un autre. Assurment, beaucoup de problmes surgissent, mme si l'on n'essaie que de comprendre l'essence des tres humains en gnral. Mais aujourd'hui, au lieu de nous occuper des nigmes gnrales de l'existence, nous aborderons celle qui n'est pas moins im-portante dans la vie et laquelle nous sommes confronts chaque fois que nous rencontrons une autre personne. Nos semblables sont dans leur tre intrieur individuel le plus intime, d'une diversit combien infinie.

    Si nous embrassons la vie de l'homme, nous devrons bien tenir compte de l'nigme de l'indi-vidu, car, dans notre vie sociale, nos rapports d'homme homme devraient dpendre non seulement de notre intelligence, mais de nos sentiments, de notre sensibilit. Dans chaque cas particulier, c'est ainsi que nous devrions faire face l'nigme individuelle laquelle nous sommes journellement si souvent confron-ts, laquelle nous avons si souvent affaire. Combien il est difficile de voir clairement les diffrents cts de la nature des personnes que nous rencontrons! et combien de choses dpen-

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  • dent de cette connaissance des personnes en rapport avec nous. Mais nous ne pouvons ap-procher que trs lentement de l'nigme humaine individuelle, chaque personne relevant d'un cas particulier, car il faut franchir un large foss, pour passer de ce que l'on appelle la nature humaine en gnral ce qu'on affronte avec chaque tre en particulier.

    S'occuper de l'nigme individuelle humaine sera prcisment une tche particulire de la science spirituelle, de l'anthroposophie, comme nous avons pris l'habitude de l'appeler. Celle-ci doit tre une connaissance qui se rpand directement dans notre vie journalire imm-diate, dans tous nos sentiments et toutes nos sensations, au lieu de se borner nous ap-prendre ce qu'est l'tre humain en gnral. De mme que nos impressions et nos sentiments prennent leur plus bel panouissement dans notre comportement envers notre prochain, de mme la connaissance tire de la science spirituelle montrera justement ses fruits dans la comprhension de notre prochain grce elle.

    Quand dans la vie une personne se prsente nos yeux, du point de vue anthroposophique, nous ne devons jamais oublier que ce que nous percevons extrieurement de la personne n'est qu'une partie, un lment de l'tre humain. Une conception tire de la ralit apparente de la personne prend pour l'tre humain tout en-tier ce que nous tirons de la perception ext-

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  • rieure et de la comPrhension que nous en. avons. L'anthroposophie par contre, nous ap-prend que l'tre humain est extrmement com-pliqu et souvent, ce n'est qu'en approfondis-sant cette complication de la nature humaine que l'on peut voir l'individu sous son vrai jour. L'antroposophie doit nous apprendre ce qu'est le noyau le plus intime de l'tre humain, dont ce que nous voyons de nos yeux, ce que nous pouvons toucher du doigt n'est que l'expression extrieure, l'enveloppe extrieure. Une fois que nous serons mme de concevoir ce qu'est la partie spirituelle intrieure, nous pourrons alors esprer pouvoir comprendre la partie ext-rieure.

    Nous verrons ce sujet que la prsence d'un foss, entre ce que l'on appelle la nature hu-maine en gnral et ce quoi nous sommes con-fronts face chaque individu, n'empche pas de grands groupes humains d'avoir beaucoup de traits en commun. Ceux-ci comprennent les qualits de l'tre humain qui font l'objet de notre tude d'aujourd'hui et que l'on appelle d'habitude le temprament.

    Il suffit de prononcer le mot de tempra-ment pour se rendre compte qu'il y a autant d'nigmes que de personnes. Parmi les types fondamentaux, les nuances fondamentales, on trouve une telle diversit, tant de diffrences entre les personnes, que l'on peut bien dire qu'au sein de ces humeurs, de ces dispositions fondamentales de l'tre humain que l'on nomme

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  • le temprament, s'exprime la vritable nigme de l'existence.

    La nuance fondamentale de l'tre humain joue un rle ds que les nigmes interviennent dans la pratique courante de la vie. Lorsqu'une personne nous fait face, nous sentons que quel-que chose de ses humeurs, de ses dispositions fondamentales vient nous. Il reste donc l'espoir que l'anthroposophie peut nous donner les renseignements ncessaires sur la nature des tempraments. En effet, s'il faut admettre que les tempraments surgissent de l'tre intrieur, ils ne s'en expriment pas moins dans toute l'ap-parence extrieure de la personne. Nanmoins l'nigme humaine ne peut tre dchiffre par une considration de la nature prise extrieure-ment. On ne peut approcher de la teinte carac-tristique de l'tre humain qu'en connaissant ce que la science spirituelle nous apprend son sujet.

    S'il est vrai que chaque personne se montre nous avec son temprament propre, nan-moins nous pouvons distinguer certains grou-pes de tempraments. Nous parlons principale-ment de quatre tempraments humains: du temprament sanguin (nerveux), du colrique, du flegmatique et du mlancolique. En fait les tempraments sont mls de manires infinies chez les individus, si bien que nous pouvons seulement dire que tel ou tel temprament prdomine, dans un trait ou dans l'autre d'une personne. La classification des quatre tempra-

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  • ments n'est donc pas tout fait exacte dans son application aux personnes individuelles, mais d'une faon gnrale, nous pourrons quand mme diviser les tres humains en quatre groupes, selon leurs tempraments.