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C. R. Acad. Sci. Paris, t. 326, Skrie II b, p. 243-250, 1998 Endommagement, fatigue, rupture/Damage, fatigue, rupture 1. Introduction La mecanique de la rupture est une discipline recente ; apres les premiers travaux fondateurs de Griffith [l], elle est quelque peu tombee dans l’oubli et ce n’est qu’a partir de 1950: avec les travaux de Williams [2], Irwin [3], Rice et Tracey [4], Gurson [5] qu’elle a veritablement pris son essor. Son objet est l’etude des fissures dans les materiaux solides. Son but est de prevoir et de prevenir, dans Confhnce invitie prononcbe par l’auteur 21l’occasion de son klection. 125 l-8069/98/03260243 0 Acadtmie des SciencesMsevier, Paris 243

Rupture fragile et rupture ductile

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C. R. Acad. Sci. Paris, t. 326, Skrie II b, p. 243-250, 1998 Endommagement, fatigue, rupture/Damage, fatigue, rupture

1. Introduction

La mecanique de la rupture est une discipline recente ; apres les premiers travaux fondateurs de Griffith [l], elle est quelque peu tombee dans l’oubli et ce n’est qu’a partir de 1950: avec les travaux de Williams [2], Irwin [3], Rice et Tracey [4], Gurson [5] qu’elle a veritablement pris son essor. Son objet est l’etude des fissures dans les materiaux solides. Son but est de prevoir et de prevenir, dans

Confhnce invitie prononcbe par l’auteur 21 l’occasion de son klection.

125 l-8069/98/03260243 0 Acadtmie des SciencesMsevier, Paris 243

la mesure du possible, l’apparition (on dit aussi l’amor~age ou l’initiation) et la propagation de ces defauts. Elle est t&s utilisee dans les industries de pointe (dronautique, nucleaire).

Une fissure est consideree, au moins en mecanique de la rupture fragile, comme une surface de discontinuite du deplacement et des contraintes. On neglige ainsi t&s generalement l’ecartement des faces, ou k?vres, de la fissure. On suppose aussi, sauf exception, que les lbvres sont libres de tome traction exercee. Ces demieres sont lirnitees par une ligne appelee lefi-ant de fissure, qui se deplace ou se N propage >> dans le materiau, en engendrant ainsi un agrandissement continu de la fissure.

Si l’on lake de c&e lafutigue, la mecanique de la rupture se subdivise en deux sous-disciplines dont les preoccupations et les methodes n’ont que peu de rapports : la mecanique de la rupture fragile et la mecanique de la rupture ductile. L’origine de la difference provient fondamentalement des mecanismes differents qui president a la rupture, sur lesquels nous reviendrons. Ces differences se manifestent a l’echelle macroscopique par le fait que la plasticite est peu importante en rupture fragile (le ma&au demeure essentiellement Clastique, sauf au voisinage immediat du front de fissure, si bien qu’il se dtforme peu avant la rupture : c’est pourquoi on parle de ma&au flag&), mais tres importante en rupture ductile, au point que l’on peut le plus souvent ignorer l’elasticitt (la plasticite est << envahis- Sante Y, si bien que le materiau se deforme beaucoup avant de se rompre : c’est pourquoi on parle de materiau ductile). Des exemples types de materiaux fragiles sont le verre, et les metaux a basse temperature (en general inferieure a l’ambiante). Des exemples types de mattriaux ductiles sont les metaux a temperature moyenne ou &levee, et de maniere plus get&ale, tous les materiaux a une temperature voisine du point de fusion.

2. La mkanique de la rupture fragile

Du point de vue microscopique, la rupture fragile se caracterise le plus souvent, au moins dans les materiaux a structure cristalline, par une rupture transgranulaire, c’est-a-dire se produisant & l’interieur des grains (monocristaux), le long de plans atomiques bien definis : ces plans atorniques s’ecartent progressivement l’un de l’autre. 11 en resulte, a l’examen micrographique, un << facies N de rupture brillant : la surface de rupture est constituee de petites facettes planes ou << marches d’escalier >> r&flCchissant la lumiere. Cependant, comme nous allons le voir, la mecanique de la rupture fragile ignore completement ce mecanisme et ne retient qu’une chose, le caractere essentiellement Clastique du comportement, meme en presence de la fissure ; le phtnombne de rupture est introduit de maniere purement phtnomenologique.

Un premier resultat fondamental est dt? a Williams [2] ; il conceme le comportement asymptotique des contraintes au voisinage du front de fissure, en Clasticite pure et dans le cas statique. Williams a montre que, quels que soient la gtometrie et le chargement, les contraintes sont toujours asymptoti- quement inversement proportionnelles a la racine carree de la distance au front. La geometric et le chargement n’interviennent que par l’intermediaire de trois constantes multiplicatives, notees tradition- nellement K,, Ku, Kn, et appelees fucteurs d’inkznsite’ de contruintes des modes I, II et III respecti- vement. Lorsque Ku = Knl = 0, on dit que la fissure se trouve en situation de mode I pur. La deformation des levres correspond a une ouverture de la fissure ; il s’agit de la situation par excellence qui peut provoquer une propagation du front. Lorsque Ki = Knt = 0, la fissure se trouve en situation de mode II pur. La fissure subit un cisaillement (qu’on qualifie de plan) dans le plan orthogonal a son front. Lorsque Kt = K, = 0, la fissure se trouve sollicitee en mode III pur. Elle subit un cisaillement (qualifie d’untiplun) dans le plan de ses levres.

A partir de ce resultat, Irwin [3] a propose une description heuristique du processus de rupture, dans le cas d’une situation bidimensionnelle (dans un plan orthogonal au front ; l’intersection de ce plan et du front est alors appelee la pointe de la fissure) et du mode I pur (d’ouverture). Sa proposition consiste

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a admettre l’existence d’une nouvelle grandeur caractkistique du ma&au, appelee tknucite’ et notee Z& (comme << valeur critique de K, D), telle que si KI demeure inferieur a Ktc, la fissure ne puisse pas se propager, tandis que si Ki atteint cette valeur, elle puisse le faire. Toute la physique du processus de rupture par separation des plans atomiques se trouve ainsi << resumee B dans la constante phenomenologique K,,. Cette proposition ouvre immediatement la Porte aux applications pratiques. Le travail de l’experimentateur consiste a mesurer la valeur de la tenacitt ; la place nous fait ici dtfaut pour decrire les diverses methodes utilisables a cet effet. Le mecanicien calcuZe, generalement numeriquement par la methode des elements finis ou celle des equations integrales de front&e, mais parfois aussi analytiquement, la valeur de K,, compte tenu d’une part de la geometric de la structure envisagee et de la fissure qu’elle contient, et d’autre part du chargement que cette structure doit subir. 11 compare les valeurs de KI et K,, pour juger de la possibilite qu’a la fissure de se propager ou non. 11 est a noter que cette procedure presuppose toujours l’existence d’une fissure initiale. C’est la une faiblesse et une limitation de la mecanique de la rupture fragile : elle est capable de predire la propagation des fissures, mais non leur amoqage.

Une autre faiblesse de I’approche d’hwin est qu’elle fait jouer un role fondamental a la quantite K,, qui n’a en fait aucune realite physique, puisqu’elle est like a la divergence des contraintes au voisinage de la pointe de fissure, qui est en realite limitee par la plasticit&. Une autre approche ne presentant pas ce defaut est due a Griffith [ 11. Cet auteur a procede a une analyse energetique de la propagation, supposee quasistatique, de la fissure (toujours en situation bidimensionnelle et en mode I pur). 11 a mis en evidence l’importance d’une grandeur appelee tuu de restitution d’knergie et traditionnellement notee G, Cgale au signe pres a la variation d’energie totale (Clastique + potentielle des forces impodes) lorsque la fissure se propage sous chargement constant. 11 a montre que le critbre de propagation s’tcrit naturellement sous la forme G = G,, oti G, (<< valeur critique de G D ) est une nouvelle grandeur caracteristique du materiau. 11 a interprete G, comme une << Cnergie reversible de separation des levres de la fissure P) ; on montrera beaucoup plus tard que cette interpretation Ctait fautive et que G, correspond en realit a la puissance dissipee par plasticitt dans la petite zone plastique situee en pointe de fissure, mais cela ne change rien a l’expression du t< critere de Griffith >>.

Un autre apport fondamental d’bwin [3] est d’avoir demontre l’equivalence de son approche et de celle de Griffith, c’est-a-dire l’equivalence des criteres de propagation KI = K,, et G = G,. Cette demonstration passe par la preuve d’une relation celebre, appelee << relation d’bwin D, reliant KI et G. (Cette relation est d’ailleurs a premiere vue fort &range, puisqu’elle relie une quantite Cminem- ment Zocale, caracterisant l’<< intensite B de la singularite des contraintes au voisinage de la pointe de fissure, a une quantite essentiellement globale, puisque reliee a l’energie totale de la structure). 11 resulte de cette relation l’tquivalence des criteres d’bwin et de Griffith, les quantites critiques KI, et G, &ant reliees par la mCme relation que KI et G. Cela permet de mieux justifier le critere d’bwin portant sur K,, puisqu’il Cquivaut a un autre cridre portant sur une quantite ( G) dont la signification physique est, contrairement a celle de la grandeur K,, indeniable.

Lorsque la fissure se trouve en situation de mode mixte I + II, le probleme peut demeurer bidimensionnel mais devient neanmoins nettement plus compliqd, car l’experience montre que la fissure ne se propage pas dans son prolongement, mais tourne brutalement (on parle de branchement et d’angle de branchement) autour de la direction dtfinie par le front. Ainsi le critere doit maintenant indiquer non seulement l’intensid du chargement provoquant la propagation, mais Cgalement la nouvelle direction que prend la fissure. Cette demiere question a aliment6 d’abondantes controverses dans les anntes 1970 et 1980, mais toute discussion sur ce point a maintenant virtuellement cesse. 11 est actuellement communement admis que la fissure, en situation de mode mixte I + II, << branche N imn-kdiatement pour se retrouver en situation de mode I pur (principe de symktrie Eocale de

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Goldstein et Salganik [6]). Chose curieuse, ce ne sont pas les arguments, d’ailleurs assez confus, de Goldstein et Salganik qui ont mene a ce consensus mais un autre, d’une extreme simplicite, mais qui n’a CtC clairement formulC que par Amestoy et Leblond [7]. Cet argument est le suivant. Tous les auteurs s’accordent sur le fait qu’au moins dans les materiaux isotropes consider& ici, la presence de mode II entraine immediatement un branchement. Or, en situation de mode mixte I + II, apres le branchement initial, la fissure se propage de man&e reguliere, sans nouveau branchement. 11 en resulte (contraposee de la proposition prectdente) que Kn s’annule lors de toute la propagation suivant le branchement initial, et done en particulier lorsque la longueur de cette extension est encore infinitesimale, ce qui est la conclusion recherchee.

Par ailleurs, plusieurs auteurs, parmi lesquels Bilby et Cardew [8], Wu [9] et Amestoy et al. [lo], ont montre, dans un cas particulier, que les facteurs d’intensite Kr*, Kn* juste apt-es branchement s’expriment (lineairement) en fonction des facteurs d’intensite K,, K,, juste avant branchement, par l’intermediaire d’une matrice dependant de l’angle de branchement 9. Le caractere universeE de ce resultat, c’est-a-dire le fait qu’il s’applique en realite en toute circonstance, quels que soient la geometric et le chargement, a ensuite &C Ctabli par Leblond et Amestoy [ 1 l] et confirme par Leguillon [ 121. La relation K,;( K,, K,, ; v, ) = 0 foumie par le principe de symetrie locale per-met alors de calculer l’angle de branchement q en fonction uniquement du << rapport de mixite >> Ku/K,. Cet angle croit de 0 a 77,3” lorsque K,, /K, croit de 0 a + 00. Les valeurs ainsi predites sont en tres bon accord avec l’experience.

Quant a l’intensite du chargement necessaire pour provoquer la propagation, on admet qu’elle demeure donnee par le critere Q Cnergetique N de Griffith G = G, (la valeur de G tenant compte du fait que la propagation n’est plus rectiligne mais device, et dependant done de 9). La question du critbre de propagation en mode mixte I + II se trouve done ainsi reglee. Cela ne doit pas occulter le fait que la situation n’est pas totalement satisfaisante du point de vue theorique, car les deux parties du critere (donnant respectivement l’angle de branchement et l’intensite du chargement induisant la propagation) ne << derivent >) pas d’un principe unique mais decoulent d’arguments distincts, totalement deconnectes.

Dans le cas du mode mixte I + III, le problbme, mCme initialement bidimensionnel, ne peut le demeurer. En effet, comme en mode I + II, la fissure tend a se rapprocher d’une situation de mode I pur. Cela exige ici une rotation progressive, au tours de la propagation, du front autour de la direction de propagation, qui detruit le caractere bidimensionnel ; on parle de de’versement du front (voir par exemple les experiences de Yates et Mohamed [ 131). Lorsque le corps est de grande epaisseur suivant la direction du front, la totalite de ce dernier ne peut deverser simultanement, si bien qu’il se <r: casse >> en petites zones dtversant independamment les unes des autres ; on parle de << segmentation >> du front (voir les experiences de Sommer [14]). On voit que la situation devient encore considtrable- ment plus complexe qu’en mode mixte I + II. Sur le plan theorique, le probleme consiste a trouver un ou plusieurs crithes permettant de d&r-ire quantitativement les phenomenes de deversement et de segmentation du front, c’est-a-dire de predire tant la << vitesse de deversement >> (variation de l’angle de rotation du front autour de l’axe de propagation lorsque le front se propage), que la taille des petits segments dans le cas de la segmentation. Disons tout de suite que cet objectif est a l’heure actuelle loin d’etre atteint.

Les travaux les plus avarices dans ce domaine sont d&its dam les theses, dirigees par Leblond, de Mouchrif [ 151 et Lazarus [ 161. La contribution de Mouchrif a consisd a dtmontrer, au terme de calculs longs et difficiles combinant une technique de developpements asymptotiques raccordes et la theorie des fonctions d’une variable complexe, que la configuration dtversee du front est Cnergetiquement plus q< favoriste >> que la configuration non deversee, en ce sens que le taux de restitution d’bnergie G au milieu de la zone dtversee est plus ClevC dans la premiere configuration. Lazarus est allee plus loin

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en proposant un critere qui lui a permis de reproduire quantitativement, avec des erreurs raisonna- bles, des vitesses de deversement qu’elle a effectivement observees en pratique, dans le cas d’un front suffisamment court pour Cviter la segmentation. Elle est partie du constat qu’un critere purement local Ctait irremediablement voue d’avance a l’echec, puisqu’il predirait, tous les points du front << voyant )> le meme chargement, le m&me trajet de propagation pour tous ces points, en contradiction avec le phbnomene de deversement ; d’oii l’idee d’un critere global, portant sur la totalite du front. 11 est alors tentant de supposer que la vitesse de deversement prend la valeur maximisant la valeur moyenne de G le long du front. Malheureusement, un tel critere conduit encore a la conclusion erronee qu’il ne peut y avoir de deversement. La Porte de sortie proposee par Lazarus consiste a appliquer ce critere non dans la configuration initiale (rectiligne) du front, mais dans la configuration obtenue apres propagation sur une distance caracteristique 6,. Dans l’approche de Lazarus, la valeur de ce parametre, Cvidemment essentielle dans l’analyse, est deduite, par une procedure impossible a detailler ici, des experiences elles-memes et non de considerations theori- ques. La prediction theorique de cette valeur caracteristique S, constitue un nouveau probleme ouvert.

3. La mhcanique de la rupture ductile

Les succb de la mecanique de la rupture fragile ont naturellement pousse les mecaniciens a essayer de se contenter, dans le cas de la rupture ductile, d’une simple transposition des m&odes et raisonnements de cette theorie. L’approche qui resulte de cette transposition est traditionnellement qualifiee de globale, en ce sens que comme la mecanique de la rupture fragile, elle ignore dtlib&Cment les details physiques du processus de fracturation. Elle possede encore de nombreux partisans et est couramment utilisbe. Cependant, il est apparu progressivement au fil des annees qu’elle prbente de graves insuffisances. Sans entrer dans les details, il suffit de dire ici que ces insuffisances sont fondamentalement likes a la demarche purement macroscopique de la theorie de la rupture fragile : lorsque le comportement n’est plus strictement Clastique, il n’est plus possible de se contenter de schematiser une fissure comme une surface de discontinuite du deplacement et des contraintes, la dissipation accompagnant la fracture se trouvant concentree sur une ligne (le front de fissure), car cette approche conduit a des paradoxes. 11 devient necessaire de descendre a une Cchelle suffisamment fine pour que la zone oti se produit la rupture apparaisse comme un volume et non une simple ligne, et d’analyser precisbment les mecanismes de rupture. La version la plus modeme, dite approche locale, de la mecanique de la rupture ductile, repose done sur une dtmarche microme’canique et sur un << passage micro-macro >>, contrairement a la mecanique de la rupture fragile purement macroscopique.

Le mecanisme de la rupture ductile est bien identifie depuis longtemps, au moins dans les metaux et alliages, et comprend trois &apes : - d&oh&ion de la matrice me’tallique autour d’inclusions (sulfures, carbures...) ou rupture de ces inclusions, conduisant h la formation de microcavit& ; - grossissement de ces cavitks par Ccoulement plastique de la matrice, sous l’effet de contraintes de traction ; - coalescence de ces cavitt% et formation d’une fissure macroscopique, menant a la mine de la structure.

La premiere Ctape se p&e mal, de par sa complexite, aux analyses thtoriques et fait trb generale- ment l’objet de modelisations purement phtnomenologiques. En revanche, les seconde et troisieme &apes s’y p&tent bien. 11 s’agit la de definir le comportement macroscopique d’un materiau plastique poreux, et plus precisement de d&ire l’adoucissement progressif d’un tel milieu sous l’effet de la

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croissance de la porosite (rapport du volume des vides au volume total de la matiere et des vides), traditionnellement notte f (comme << fraction volumique de vide >>).

C’est done avant tout un probleme de comportement que se pose la mecanique de la rupture ductile, contrairement a la mkmique de la rupture fragile qui suppose ce dernier purement Clastique. Bien entendu, une fois ce comportement defini, il convient ensuite, darts chaque cas pratique, de proctder a un calcul de structure complet pour la piece envisagee. Mais, alors que la simplicite de la loi d’elasticite autorise de nombreux calculs analytiques, particulierement dans les cas bidimensionnels, la complexid du comportement d’un mattriau plastique poreux interdit tout calcul d’interet pratique autre que numerique.

Une premiere contribution importante a CtC apportee par Rice et Tracey [4], qui ont ttudie de man&e approchee, par analyse limite, la croissance d’une cavite initialement spherique sit&e dans un milieu rigide parfaitement plastique obeissant au critere de von Mises et soumis a un chargement uniforme a l’infini. Le resultat majeur de cette etude a CtC de mettre en evidence l’importance determinante, sur la croissance des vides, d’un parametre appelt triaxialite et Cgal au rapport de la contrainte macroscopique moyenne (tiers de la trace du tenseur des contraintes macroscopique) a la contrainte macroscopique Cquivalente de von Mises. Son inconvenient principal Ctait de ne pas debaucher sur un modele de comportement pour un materiau poreux quelconque, la consideration d’un milieu infini entrainant automatiquement la nullite de la porosite J

Une seconde contribution, d’importance fondamentale celle-la, est due a Gurson [5], Cl&e de Rice. Elle a consist6 en une analyse limite approchee d’une sphere creuse (volume representatif Clementaire typique d’un milieu poreux) plastique, obeissant au critere de von Mises et soumise a un chargement quelconque. L’avantage de la geometric consideree ttait que f pouvait alors prendre des valeurs arbitraires. L’analyse de Gurson a debouch sur un modele macroscopique de comportement complet pour les materiaux ductiles poreux, susceptible d’Ctre incorpore a un code d’elements finis et utilise pour des calculs pratiques de structures sujettes a une rupture ductile. Ce modele comprend trois elements issus du << passage micro-macro >) : un critere de plasticit macroscopique ou apparait, contrairement a ce qui se passe pour le critere de von Mises, la contrainte moyenne (du fait qu’une telle contrainte peut, dans un milieu poreux, provoquer un ecoulement plastique via la croissance des vides) ; une loi d’ecoulement plastique macroscopique associee par normalite au critere (on demontre que la propriete de normalite, respectee a l’echelle micro d’apres le principe de Hill, << passe )F a l’echelle macro) ; enfin une loi d’evolution de la porosite, deduite de l’incompressibilite approchee (l’elasticite &ant negligee) de la matrice metallique. De plus, le modele comprend un quatrieme Clement (essentiel pour les applications pratiques), mais introduit lui de man&e purement heuristique et non par un authentique (< passage micro-macro N : une description des effets d’ecrouis- sage, tenant compte de la croissance des vides.

Le modele de Gurson a deja d’impressionnants succbs a son actif. L’un de ces succbs consiste en la reproduction numtrique du phenombne de rupture << en tronc de cone P d’une Cprouvette axisymetrique lisse (non entaillee) constituee d’un materiau ductile. Dans une telle Cprouvette, chargee en traction, on observe la succession d’evenements suivants. Tout d’abord, le milieu de l’eprouvette se rCtrCcit (on parle de striction) ; ensuite une fissure s’amorce au centre de la partie t< strictionnCe k>, au voisinage de l’axe de symetrie, et se propage horizontalement vers la surface libre ; enfin, au voisinage de cette demikre et jusqu’a la rupture finale de l’eprouvette, elle devie 2145” du plan horizontal, soit vers le haut soit vers le bas, dessinant ainsi, compte tenu de l’axisymetrie, un tronc de cone. Un calcul de structure par elements finis faisant l’hypothese d’un comportement local regi par le modele de Gurson [17] permet de reproduire fidelement une telle succession d’tvenements, ce qui serait totalement impossible dans le cadre de l’<< approche globale P.

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Cependant, le modble de Gurson presente plusieurs insuffisances. Ainsi, des simulations par elements finis du comportement d’un volume representatif Clementaire ayant la forme d’un cylindre a base circulaire contenant une cavid initialement spherique (representant approximativement une cellule Clementaire dans un reseau periodique hexagonal de vides), et soumis a un chargement cyclique 21 triaxialite constante en valeur absolue, ont mis en evidence un effet de << rochet F> de la porosite (augmentation continue de la valeur moyenne de cette derniere au tours des cycles) [ 181. Or, on montre que cet effet n’est pas reproduit par le modele de Gurson et que ce defaut est lie a la modelisation (purement phenomtnologique, rappelons-le) de l’ecrouissage dans ce modble. Dans sa these, dirigee par Leblond, Perrin [19] a propose une amelioration de la prise en compte de l’ecrouissage dans le modele de Gurson, reposant cette fois sur un authentique << passage micro-macro p>, et Leblond et Devaux [ 181 ont montre que cette amelioration permet de reproduire l’effet de << rochet X> de la porosite sous chargement cyclique.

Un autre dtfaut du modele de Gurson provient du fait qu’il ntglige implicitement les interactions entre cavites, puisque la sphere creuse ayant servi de volume Clementaire reprbentatif pour obtenir le critere macroscopique ne comprend qu’un seul vide. Pour pallier ce defaut, Tvergaard [20] a propose de multi- plier la porosittf, dans l’expression du critere, par un parametre empirique q. A partir de comparaisons avec des simulations micromecaniques par elements finis, il a propose la valeur q = 1,5 pour ce pa- rametre. Pen-in et Leblond [21] ont adopt6 un << schema differentiel B pour determiner une valeur theorique de q, fond6 sur la consideration du probleme type d’une sphere creuse constituee d’un ma- t&au rigide-plastique poreux et soumise a une traction hydrostatique (triaxialite infinie). Cette appro- the mene, dans la limite (seule interessante en pratique) des petites porosites, a la valeur q = 4/e = 1,47, tres proche de celle proposee par Tvergaard. L’experience conduit elle a des valeurs generalement un peu plus ClevCes, typiquement comprises entre 1,5 et 2.

11 convient aussi de noter que la forme des cavites est souvent loin d’etre spherique comme le suppose le modele de Gurson. Pour prendre en compte les efets deforme des vides, au moins dans le cas le plus simple de cavites ellipsdidales axisymttriques (un seul parametre de forme, le rapport des axes), Gologanu et al. [22, 231 et Garajeu [24] ont Ctendu l’analyse limite approchee d’une sphere creuse de Gurson au cas d’un volume representatif Clementaire de forme ellipsoidale axisymttrique, contenant une cavite ellipsdidale confocale et soumis a un chargement axisymetrique. Ces travaux ont tout recemment CtC amtliores par Gologanu [25] dans le cadre de son travail de these, dirige par Leblond. L’introduction des effets de forme des cavites est particulierement pertinente dam le cas de vides tres aplatis ; en effet ces vides influencent notablement le comportement macroscopique, parti- culierement dans le cas d’une traction perpendiculaire a leur plan, alors que le modele de Gurson prevoit a tort que leur influence tend vers zero, f tendant elle-meme vers zero.

Une autre insuffisance du modele de Gurson est l’absence de prise en compte de la coalescence des cavitts, essentielle pour la prediction de la ruine finale. Tvergaard et Needleman [17], pour y remedier, ont propose de multiplier dans l’expression du critere, au-dela d’une certaine porosite critique f, marquant le debut de la coalescence, la porositefpar un facteur empirique 6. A partir de simulations micromecaniques, Koplik et Needleman [26] ont propose des valeurs numeriques de f, et 6. 11s ont trouve que f, depend essentiellement de la porosite initiale, tandis que 6 peut raisonnablement Ctre consider6 comme une constante (de l’ordre de 2-4). Perrin [ 191 puis Gologanu [25] ont mis au point des modeles analytiques simplifies permettant de reproduire les resultats numeriques de Koplik et Needleman, et ainsi de predire de man&e theorique la valeur de la porosite critique de debut de coalescence f,.

Cependant, ces simulations numeriques et ces modeles ne concernent que le cas t&s id&&C d’une repartition phiodique de vides. En r&&t, les vides ne sont pas repartis de man&e homogene et sont souvent regroup& en amas ; cela conduit h un abaissement notable de f,. Le probleme a Cte envisage

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sous l’angle theorique par Perrin [ 191. Ce dernier a employ& pour d&-ire le comportement d’un materiau ductile poreux presentant une repartition inhomogene de vides, une approche << autocohe- rente >> fondle sur la consideration du probleme type d’une sphere composite a deux phases poreuses, mais de porosites differentes, soumise a une traction hydrostatique. 11 a ainsi obtenu des valeurs de f, en presence d’inhomogeneites de la porosite en bon accord avec les resultats de simulations numeriques micromecaniques de Becker [27].

Cependant, de man&e get&ale, la coalescence des cavites est influencee par de multiples facteurs et sa prediction theorique, tenant compte de l’ensemble de ces derniers, constitue un probleme encore largement ouvert.

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