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 76  SCIENCES ET AVENIR - JUIN 2010 SANTÉ PUBLIQUE Courses hippiques, événements sportifs, poker… Dès ce mois- ci, chacun peut désormais  parier sur tout, pa rtout, tout le temps. A la seule condition de déclarer avoir plus de 18 ans et de posséder une carte de paie- ment. Car la légalisation des pa- ris en ligne fait sortir « l’enfer du jeu » du milieu restreint des cercles et des casinos pour l’ins- taller… à domicile. Certes, les joueurs n’ont pas attendu la loi pour parier sur Internet. Trois millions de Français le fe- raient déjà régulièrement et un sur cinq y dépenserait plus de 50  par mois (1). Mais l’accès facilité aux sites accrédités et une offre démultipliée ne vont- ils pas favoriser l’explosion du nombre d’« accros » ? Sans grand risque, parions que oui ! Les spécialistes sont inquiets. « Le nombre de joueurs en ligne va augmenter, mais la  fréquence du jeu va elle aussi s’accélérer , affirme ainsi le Dr Marc Valleur, psychiatre, chef de service à l’hôpital Marmot- tan, à Paris. Si ce n’était pas le cas, les opérateurs n’investi-  raient p as auss i massivement dans le marketing. » Des données récentes montrent en effet que les Français jouent de plus en plus. En vingt-cinq ans, ils ont doublé leur mise, avec en moyenne 130  par an et par habitant (2). Dans le même temps, le nombre d’inter- dits de casino a explosé. Il a été multiplié par trois en dix ans, et l’augmentation a même été de 53 % entre 2005 et 2010,  portant à 34 075 le nombre de  person nes interd ites. Il n’y a donc aucune raison pour que la tendance s’inverse, d’autant moins s’il devient très facile et autorisé de jouer en ligne à domicile… Pourtant, à l’heure où « appa-  raît pour la premiè re fois dans  nos socié tés un type de jeu en- tièrement lié à l’extension des techniques de communica- tion » – selon l’Inserm –, nul ne sait qui sont précisément les  joueurs en danger, ni combien ils sont au juste. « Le joueur, ce  n’est pas c elui qui j oue mai s celui qui rejoue », écrit le sociologue Jean-Pierre Marti- gnoni-Hutin, de l’université Lyon-II. Alors qu’aux Etats- Unis ou en Australie, il a été établi que ce phénomène pou-  vait toucher jusqu’à 5 % de la  populatio n, aucune e nquête de ce genre n’a été menée France. Seul un travail, conduit par l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies, devrait venir combler cette lacune… mais pas avant 2011. En attendant, il faut donc se contenter de projections d’études internationales. Et les chiffres ont de quoi faire frémir. On estime en effet que 1 à 2 % de la population fran- çaise sont touchés, soit entre 600 000 et 1 200 000 personnes. Presque autant que de consom- mateurs de cocaïne dans l’Hexagone !  Autre sujet d’inquiétude pour les spécialistes : le jeu en ligne  présent e des caracté ristiques très différentes du jeu tradition- L’ouverture des paris sur Internet risque d’entraîner une explosion du nombre de joueurs dépendants. Les spécialistes réclament des moyens pour la recherche et les soins. Rien n’arrête la fièvre du nel, qui en accentue la dangero- sité. « Il apparaît plus à risque en raison de l’immédiateté des  réactions qu’il requiert », af- firme ainsi le Dr Jean-Luc Ve- nisse, responsable du service d’addictologie au centre hospi- talier universitaire de Nantes. Dépossédé du cérémonial des casinos, marqué par l’isolement à domicile, l’anonymat et l’ab- sence de limite temporelle, le  jeu peut prend re un tour drama - tique. Sans que l’on sache anti- ciper les conséquences d’une telle pratique. « C’est d’autant  plus préo ccup ant que ces situa - tions de paris répétés sont jus- tement celles où l’autorégula- tion est très faible. » Il est en  j eu En France, il faudra attendre 2011 pour avoir une étude précise du phénomène    S    E    B    A    S    T    I    E    N     N    O    G    I    E    R    /    I    P    3

S&a - Juin 2010 - Addictions Jeux

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Addiction aux jeux

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  • 76 SCIENCES ET AVENIR - JUIN 2010

    SANT PUBLIQUE

    Courses hippiques, vnements sportifs, poker Ds ce mois-ci, chacun peut dsormais parier sur tout, partout, tout le temps. A la seule condition de dclarer avoir plus de 18 ans et de possder une carte de paie-ment. Car la lgalisation des pa-ris en ligne fait sortir lenfer du jeu du milieu restreint des cercles et des casinos pour lins-taller domicile. Certes, les joueurs nont pas attendu la loi pour parier sur Internet. Trois millions de Franais le fe-raient dj rgulirement et un sur cinq y dpenserait plus de 50 par mois (1). Mais laccs facilit aux sites accrdits et une offre dmultiplie ne vont-ils pas favoriser lexplosion du nombre d accros ? Sans grand risque, parions que oui ! Les spcialistes sont inquiets. Le nombre de joueurs en ligne va augmenter, mais la frquence du jeu va elle aussi sacclrer, affirme ainsi le Dr Marc Valleur, psychiatre, chef de service lhpital Marmot-tan, Paris. Si ce ntait pas le cas, les oprateurs ninvesti-raient pas aussi massivement dans le marketing.

    Des donnes rcentes montrent en effet que les Franais jouent de plus en plus. En vingt-cinq ans, ils ont doubl leur mise, avec en moyenne 130 par an et par habitant (2). Dans le mme temps, le nombre dinter-dits de casino a explos. Il a t multipli par trois en dix ans, et laugmentation a mme t de 53 % entre 2005 et 2010, portant 34 075 le nombre de

    personnes interdites. Il ny a donc aucune raison pour que la tendance sinverse, dautant moins sil devient trs facile et autoris de jouer en ligne domicile Pourtant, lheure o appa-rat pour la premire fois dans nos socits un type de jeu en-tirement li lextension des techniques de communica-

    tion selon lInserm , nul ne sait qui sont prcisment les joueurs en danger, ni combien ils sont au juste. Le joueur, ce nest pas celui qui joue mais celui qui rejoue , crit le sociologue Jean-Pierre Marti-gnoni-Hutin, de luniversit Lyon-II. Alors quaux Etats-Unis ou en Australie, il a t tabli que ce phnomne pou-vait toucher jusqu 5 % de la population, aucune enqute de ce genre na t mene France. Seul un travail, conduit par lObservatoire franais des drogues et des toxicomanies, devrait venir combler cette lacune mais pas avant 2011. En attendant, il faut donc se contenter de projections dtudes internationales. Et les chiffres ont de quoi faire frmir. On estime en effet que 1 2 % de la population fran-aise sont touchs, soit entre 600 000 et 1 200 000 personnes. Presque autant que de consom-mateurs de cocane dans lHexagone ! Autre sujet dinquitude pour les spcialistes : le jeu en ligne prsente des caractristiques trs diffrentes du jeu tradition-

    Louverture des paris sur Internet risque dentraner une explosion du nombre de joueurs dpendants. Les spcialistes rclament des moyens pour la recherche et les soins.

    Rien narrte la fivre du

    nel, qui en accentue la dangero-sit. Il apparat plus risque en raison de limmdiatet des ractions quil requiert , af-firme ainsi le Dr Jean-Luc Ve-nisse, responsable du service daddictologie au centre hospi-talier universitaire de Nantes. Dpossd du crmonial des casinos, marqu par lisolement domicile, lanonymat et lab-sence de limite temporelle, le jeu peut prendre un tour drama-tique. Sans que lon sache anti-ciper les consquences dune telle pratique. Cest dautant plus proccupant que ces situa-tions de paris rpts sont jus-tement celles o lautorgula-tion est trs faible. Il est en

    jeu

    En France, il faudra attendre 2011 pour avoir une tude prcise du phnomne

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    effet dautant plus difficile de sarrter de parier quand les propositions fusent et se rp-tent. Or, on ne sait pas non plus avec prcision ce qui se passe dans le cerveau des joueurs pathologiques . Comment nat cette pulsion qui pousse jouer et rejouer encore ? Quels sont les zones et circuits crbraux mobiliss ? Quels sont les neu-romdiateurs impliqus ? Malgr lurgence et le risque li lapparition dun vritable pro-blme de sant publique, peu de chercheurs ont les moyens de sy intresser, lexception no-table de ceux du Centre de neu-rosciences cognitives (CNC) du CNRS, Bron, prs de Lyon.

    Au sein de lquipe neuro-ima-gerie cognitive, prise de dci-sion et rcompense dirige par Jean-Claude Dreher, Guillaume Sescousse a mis en place un protocole original, soutenu par la Mission dinfor-mation et de lutte contre les drogues et la toxicomanie (Mildt). Objectif : observer, grce limagerie crbrale, ce qui se passe dans le cerveau dun joueur quand il joue, parie et ressent donc du plaisir. Nous savons quargent, nour-riture et sexe activent les mmes rgions crbrales, ex-plique le jeune doctorant. Les neurones dopaminergiques sont impliqus, mais len-

    semble reste trs complexe, la dopamine intervenant dans le plaisir mais aussi dans lap-prentissage et la motivation. Nous pensons que les joueurs pathologiques prsentent une hyperactivit crbrale dans des zones comme le cortex orbi-to-frontal, mais cela doit tre confirm. Pour le chercheur lyonnais, la principale difficult a dabord consist trouver la matire premire, savoir des cerveaux de joueurs. Le doctorant a eu lan dernier lide de passer une petite annonce dans les jour-naux de la rgion et de distri-buer des dpliants dans les casi-nos : Pour exprience

    30 MILLIONS de personnes en France ont jou au moins

    une fois un jeu de hasard

    ou dargent dans lanne.

    1% 2 % de la population franaise seraient

    des joueurs compulsifs

    (estimation).

    + 11 % dinterdictions de casinos par an.

    2 3 MILLIARDS deuros de chiffre daffaires prvu

    pour les jeux en ligne

    (10 milliards en Europe

    dici 2012).

    REPRES

    Lanonymat, lisolement domicile, limmdiatet des ractions et la possibilit de jouer 24 h/24 rendent le jeu en ligne trs risqu.

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    SANT PUBLIQUE

    indemnise, cherche vo-lontaires hommes, droitiers, 18-55 ans, jouant souvent et rgulirement des jeux dar-gent. (3) Un soir dhiver, cest sur un forum Internet de joueurs anonymes que Sylvain, jeune chmeur endett de 35 ans, a lu ces lignes. Jai d perdre 250 000 en quinze ans, reconnat-il aujourdhui. Ce soir-l, je navais plus un sou en poche. Alors jai dcid de participer lexprience car javais besoin de manger. Aprs entretien, sa candidature est retenue. Guillaume Ses-cousse et Philippe Domenech, psychiatre, excluent en effet

    certains profils comme celui des patients psychotiques, d-pendants lalcool, au tabac, les polyaddictions tant fr-quentes chez les joueurs exces-sifs. Pourquoi cette exclusion ? Pour travailler sur des cerveaux 100 % consacrs au jeu et non pollus par dautres substances. Le jour du rendez-vous, Sylvain sinstalle dans le caisson dima-gerie par rsonance magntique fonctionnelle (IRMf) afin que les chercheurs enregistrent en direct son activit crbrale. Un botier la main, il fixe lcran plac au-dessus de sa tte. Bonne chance ! lui lance

    Guillaume Sescousse. Dans un premier temps, des formes go-mtriques, triangles ou carrs, dfilent rapidement et de ma-nire rptitive sous ses yeux. Pour le triangle, la consigne est dappuyer sur le bouton de gauche du botier, pour le carr, cest droite. Une tche simple, pour assurer la vigilance. En cas derreur, il ne se passe rien. Mais pour les bonnes rponses, des images de rcompense, ap-paraissant de manire alatoire, sont proposes au joueur. Deux types sont ainsi prvus : de lar-gent avec lassurance pour Sylvain de repartir avec des gains sonnants et trbuchants

    ou des images rotiques. Dans les deux cas, lintensit varie : plus ou moins dargent, des photos plus ou moins sugges-tives et uniquement de tristes pixels gris si la rponse est mauvaise. Nous cherchons ainsi savoir si le plaisir provoqu mobilise des zones crbrales communes ou dif-frentes. Nous demandons ga-lement au joueur de noter son degr de satisfaction sur une chelle afin de vrifier sil existe ou non un lien entre lin-tensit du plaisir ressenti et lactivit crbrale recueillie. Guillaume Sescousse suit le d-roul des oprations sur son or-

    Le jeu est-il une drogue comme les autres ? Il ny a toujours pas de consensus au-jourdhui pour placer le jeu pathologique sur un plan dgalit avec la toxicomanie ou lalcoolisme. Mais les addictions sans dro-gues sont de plus en plus considres comme de vraies pathologies, mritant des actions de prvention et de soins dans le cadre dune politique de sant publique. Or, la dpendance au jeu reste la moins dis-cute. Aujourdhui, elle est pense en rf-rence aux addictions avec drogue . Mais lextension des recherches sur les addic-tions va pousser les repenser globale-ment. Cest la notion de drogue qui pour-rait tre dbattue. Peut-tre a-t-on trop longtemps pris lhrone comme modle, ce qui a mis au premier plan la dpendance physique et le caractre quotidien de la d-pendance. Mais rappelons que toutes les ad-dictions sont la rencontre dune person-nalit, dun produit, et dun moment socioculturel .

    Qui sont les joueurs pathologiques ? On peut distinguer trois grands types d ad-

    dicts : les joueurs impulsifs, chercheurs de sensations fortes, preneurs de risque, transgresseurs , qui ressemblent aux classiques toxicomanes, plutt masculins et jeunes. Les seconds sont des joueurs par automdication , qui tentent dou-blier un traumatisme, comme lannonce dune maladie grave, la perte dun emploi, un divorce difficile, ou qui anesthsient leurs angoisses, luttent contre un tat dpressif. Il y a l des femmes, parfois des personnes ges, autant que de jeunes hommes. Enfin, les joueurs dhabitude ou de culture, pour qui jouer a toujours fait partie du mode de vie. A la suite dun gros gain, ils simaginent invincibles, ou au contraire, aprs une perte inattendue, ils entrent dans la spirale addictive en tentant de se refaire .

    Vous opposez les jeux de sensation aux jeux de rve. Pourriez-vous d-tailler ? En France, depuis 1933, la Loterie natio-nale symbolisait le jeu de rve. Aujourdhui, cest le Loto ou lEuro Millions. Gagner lEuro Millions est un fantasme de toute-

    puissance infantile. On y joue pour imagi-ner que tout devienne possible : le pactole est moins un espoir de gain que la projec-tion dun dsir de toute-puissance. Limpor-tant, dans ces jeux, ce sont les rves veills que lon peut faire, en attendant le rsultat. Ces grandes loteries peuvent tre critiques au niveau moral mais elles ne crent pas de dpendances. Les jeux de sensation, eux, sont reprsen-ts par la machine sous, lgalise en France en 1987. Ils taient rservs aux ca-sinos et aux cercles. Il sagit ici moins de rver que de se procurer des sensations, travers les dcharges dadrnaline, du fait de la grande frquence des moments o le gain ou la perte sont possibles. Ce sont aus-si ces jeux qui peuvent donner une illusion de contrle, le joueur simaginant matriser le hasard. Tel le Rapido de la FDJ ou les Courses par courses du PMU. Ces jeux donnent lieu laddiction, le poker et les pronostics procurant des sensations fortes, et possiblement, une surestimation de son habilet. Propos recueillis par S. R.-M.

    DR MARC VALLEUR Chef du service de soin aux toxicomanes de lhpital Marmottan, Paris

    Jouer pour se procurer des sensations Si lespoir de gagner au Loto permet de projeter un dsir de toute-puissance, les casinos, plus addictifs, donnent une illusion de contrle.

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    gaux devant le jeu. Un travail publi par Jean-Claude Dreher en collaboration avec le Natio-nal Institute of Mental Health (Bethesda, Etats-Unis) en 2008 (4) a montr que lactiva-tion du systme crbral de r-compense dpendait de la ver-sion de certains de nos gnes, COMT3 et DAT4, impliqus dans la rgulation du taux de dopamine. Chez les porteurs de certains allles de ces gnes, la dgradation de la dopamine est moins rapide et le systme de rcompense est alors davan-

    tage activ, dtaille Jean-Claude Drher. Nous avons aussi dmontr que le cerveau des personnes ges est moins sensible aux rcompenses mo-ntaires que les plus jeunes. Une observation sans explica-tion pour linstant. Pour trouver dautres tudes pionnires, il faut se rendre en Californie o une quipe du Caltech vient de publier dans la revue PNAS un travail centr, cette fois, sur lamygdale, un noyau crbral du lobe temporal. L, deux pa-tientes prsentant des lsions

    de cette zone en raison dune af-fection neurologique rare ont t soumises une batterie de questions portant sur des paris dargent. Leurs rponses ont t compares celles de sujets sains. Rsultat : elles navaient plus aucune inhibition pour pa-rier de fortes sommes. Conclu-sion des chercheurs : lamyg-dale intervient dans la peur de perdre.Autre axe de recherche, recom-mand par une expertise de lIn-serm : le rle du stress. La ques-tion est de savoir si le

    dinateur portable, de lautre ct dune vitre sans tain. Puis, il demande Sylvain de parier 1, 2 ou 5 sur les sorties pro-bables du rouge et du vert dans un jeu de roulette. Gagn Per-du Pendant quatre heures, lenregistrement des donnes se poursuit, entrecoup de prises de sang. Les liens entre hormones et activit crbrale nous intressent aussi. Cest une approche pionnire. La hantise du jeune chercheur ? Que les joueurs sagitent dans le caisson ! Quelques millimtres, et les images deviendront inin-terprtables Une perte de temps redoute pour cette ex-prience dj trs longue et difficile mettre en place. En dix mois, seuls 12 volontaires ont pu passer dans le caisson. Cette IRM est la seule de toute la rgion tre ddie la re-cherche, et nous ne sommes pas les seuls lutiliser , re-grette Guillaume Sescousse qui prvoit encore plusieurs mois de travail avant lanalyse com-plte des rsultats.Autre versant encore inconnu tudi par lquipe lyonnaise : la gntique. Car il semble bien que nous ne soyons pas tous

    Au Centre de neurosciences cognitives du CNRS de Bron, lactivit crbrale dun joueur

    volontaire, plac dans un caisson dIRMf ( droite), va tre enregistre durant

    des sances de quatre heures afin dtre tudie par les chercheurs.

    Lgaliser les jeux et paris en ligne avant juin,

    date de la coupe du monde de football,

    ctait lobjectif du gouvernement.

    Il a t atteint. Tout est all trs vite malgr des

    discussions houleuses depuis lautomne. Vot

    le 6 avril (299 voix pour, 223 contre), le texte

    de loi a ouvert la concurrence et la rgulation

    le secteur des jeux dargent et de hasard en

    ligne. Le glas du monopole, Franaise des jeux

    et Pari mutuel urbain, a sonn. Une faon, selon

    le gouvernement, de faire le mnage parmi

    plus de 25 000 sites illgaux . Les enjeux

    conomiques sont colossaux, le chiffre

    daffaires du secteur en France tant estim

    plus de 1,5 milliard deuros. Cest la nouvelle

    Autorit de rgulation des jeux en ligne (Arjel)

    que reviendra le soin dattribuer des licences

    dautorisation aux oprateurs remplissant

    les conditions du cahier des charges. Le joueur

    pourra prdire les rsultats des courses

    hippiques, des rencontres sportives, deviner le

    nom du sportif qui tirera le prochain coup franc,

    celui qui copera dun carton jaune

    Bref, parier sans fin et y laisser sa chemise.

    Une loi pour parier sans fin

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  • 80 SCIENCES ET AVENIR - JUIN 2010

    SANT PUBLIQUE

    Pour en savoir plus

    Le Jeu pathologique, Marc Valleur, Christian Bucher, Armand Colin.

    Faites vos jeux, Jean-Pierre Martignoni-Hutin, LHarmattan, 1993.

    Rencontre. Rendez-vous ouvert au grand public sur les addictions comportementales, le 6 octobre, Nantes. Rens. : 02.40.84.76.20.

    Cest un effet secondaire surprenant des

    traitements antiparkinsoniens, prescrits

    pour combler le manque de dopamine

    caractrisant cette affection. A dose leve,

    ils peuvent provoquer des troubles du

    comportement compulsifs et rptitifs tels le jeu

    pathologique mais aussi des achats rpts ou

    une hypersexualit. Heureusement rares,

    ces conduites mnent parfois de vritables

    drames. Comme celui de Didier, qui a perdu

    prs de 160 000 en dix-huit mois et a tent

    plusieurs fois de se suicider. Son addiction

    a disparu avec larrt du traitement, mais il a

    dcid de saisir la Commission de conciliation et

    dindemnisation des accidents mdicaux de

    sa rgion. En 2007, cette dernire a considr

    que le laboratoire et son neurologue auraient d

    lavertir des effets secondaires connus de

    longue date. Sous la pression dune association

    de patients qui la aid dans ses dmarches,

    la Cadus*, lAFSSAPS a, en juillet 2009, envoy

    une lettre aux gnralistes, neurologues et

    psychiatres, les informant du risque de survenue

    de ces troubles. Elle leur demande den

    informer les patients et dtre attentifs une

    modification ventuelle de leur comportement.

    *www.cadus.fr

    Des troubles compulsifs inattendus

    stress et la scrtion de molcules endognes gnre par cet tat (voir S. et A. n 757, mars 2010) peuvent, eux seuls, reproduire les effets neu-rochimiques des drogues clas-siques, dites dabus : Nous voyons en effet des joueurs pa-thologiques qui nont aucune autre addiction ni trouble psy-chique associ , dtaille le Dr Venisse. Do lintrt de me-ner des tudes spcifiquement centres sur ce lien entre stress et jeu. Mais faute de finance-ment solide et prenne, ces tra-vaux ont du mal voir le jour.Car cest l aussi un grand motif dinquitude pour les spcia-listes : en dpit des risques, la nouvelle loi ne prvoit aucun financement spcifique pour la recherche et les filires de soins , regrette Christelle An-dres, directrice du Centre de r-frence sur le jeu excessif (CRJE), une structure hybride ne il y a tout juste un an, situe dans le service des addictions de lhpital de Nantes et en par-tie finance par la Franaise des Jeux et le PMU. Au programme, recherche, enseignement, for-mation et information du public et des personnels de sant. En fait, il ne faut pas seulement explorer la question de laddic-tion, explique Jean-Pierre Mar-tignoni-Hutin. Cest lensemble des consquences sociales, co-nomiques et financires posi-tives et ngatives quil faut tudier. Laspect sant pu-

    blique ne doit pas tre instru-mentalis par ceux, oprateurs ou autres, qui cherchent ex-ploiter le business du jeu com-pulsif. Il devient dailleurs difficile de sy retrouver dans la jungle des services daide, proposs par les oprateurs qui tous ne ju-rent pourtant que par le jeu responsable . A linstar du fu-mer tue sur les paquets de ci-garettes, les sites de jeu affi-chent en effet une bannire discrte mettant en garde contre les excs et proposent parfois un numro tlpho-nique dcoute. Mais lhypocri-sie est ici souveraine. Exemple avec la Franaise des jeux qui dun ct proclame son slogan Restez matre du jeu, fixez vos limites et dans le mme temps est lorigine du Rapido,

    considr comme le plus addic-tif des jeux, avec ses tirages rpts toutes les cinq minutes de 5 heures minuit. Certains oprateurs nhsitent pas non plus offrir 20 50 de mise comme cadeau de bien-venue pour sduire de nou-veaux joueurs. Cette pratique choquante na pas t amende par le texte de loi , regrette Jean-Luc Venisse. En attendant, la vritable prise en charge des joueurs sorganise donc tant bien que mal auprs des structures existantes (5), avec lespoir dune mise en place par lInstitut national de prven-tion et dducation pour la san-t (Ineps) dun numro vert dinformation. Et cet accompagnement des joueurs excessifs, qui repose surtout sur des thrapies cogni-

    tivo-comportementales, reste problmatique. Moins de 10 % dentre eux font une dmarche daide , prcise Jean-Luc Ve-nisse. Ce sont souvent les proches ou la justice qui les mettent en contact avec les structures , poursuit le Dr Yves Bistagnin, qui a cr en 2002 une consultation lhpital de Nice. Il y a quelques annes, ce psychiatre nhsitait pas ac-compagner ses patients sur le lieu du crime, au casino. Cest idal pour traquer in situ leurs penses, se rendre compte de leurs rituels et en discuter en-semble ensuite. Les joueurs sont souvent persuads davoir le contrle. Or, il est essentiel de leur rappeler quon ne peut pas matriser le hasard, que les machines sont conues pour que le casino gagne, pas eux. Il faut les faire dcrocher de leurs croyances. Une thrapie diffi-cile mettre en uvre avec des joueurs en ligne Sans comp-ter que les rsultats sont peu spectaculaires : Un tiers seu-lement sen sort vraiment. Un tiers rechute et lautre est per-du de vue. Cet hiver, Sylvain a choisi de se faire interdire de casino. De-puis, il na pas jou. Enfin, si, lautre jour, un petit billet comme a, en passant. Mais juste pour voir. Mais, l, cest bon. Je me sens fort.

    Sylvie Riou-Milliot

    (1) Ipsos Media CT (2009).(2) Insee 2003.(3) Rens. : 04.37.91.12.44, [email protected](4) Variation in dopamine genes infl uences responsivity of the human reward system in PNAS (22 d-cembre 2008).(5) Adresses de soins sur www.crje.fr, rubrique Espace grand public .

    Moins de 10 % des joueurs dpendants demandent de laide.

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