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Sac, un foudre de guerre

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Sac en carton, filtre de cheminée et rideau récupérés en 1943 par ma grand-mère dans une maison abandonnée. Je l'ai reproduis d'après une photographie d'époque et avec ses souvenirs. Ce travail est accompagné d'une édition offerte au publique retranscrivant nos conversations. 2011

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SAC,Un foudre de Guerre

JEREMY GOBE

ÉDITION PERSONNELLE

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Je suis Sculpteur.

Parce que je me lève le matin pour sculpter. Et que quand je n’ai rien à sculpter, je reste allongé.Je suis aussi fils, petit-fils et neveux de militaire.

Voir mes parents défiler le jour du 14 juillet, ne pas les voir parce qu’ils sont partis en mission, entendre ma grand mère parler du gendarme qu’elle a épousé.J’ai grandi avec l’idée de la guerre.Un mot qui flotte au dessus de ma tête, dans un brouillard.Rien de réel, pas de forme, juste un mot.

Le seul moment où je pouvais toucher la guerre, c’est quand on allait au monument aux morts.Un socle rectangulaire qui m’arrivait à l’épaule, qui portait un soldat allongé, fusil à la main, et un chien assis à côté de lui.Sur le socle, face à moi, une plaque de marbre gris gravée avec des noms dorés, pas tous, avec le temps.J’ai appris bien plus tard que ces noms étaient morts.

Je ne vais plus au monument aux morts.Parce que mes parents ne défilent plus, et que même si ils défilaient je ne vis plus avec eux.Pour autant, la guerre reste un brouillard.

Mais depuis peu, c’est différent.Je n’ai plus le choix, le temps m’oblige à prendre une décision.Je perds mes grands-parents.Mes parents sont-grands parents.Après eux il n’y aura plus la guerre dans notre famille, juste un brouillard dans nos têtes.

Comme un monument, je veux une sculpture à toucher, pour me souve-nir.J’ai déjà essayé avant, sans succès.

Mais aujourd’hui, j’ai appris quelque chose sur mes grands parents.Alors on a parlé, on s’est vus, et on l’a fait ce sac, notre monument.

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« Oui ?

Désolé de ne pas avoir appelé, je travaille tout le temps en ce moment.

Oui je sais, c’est pour ça que je ne t’appelle pas.

Ça va vous ?

Comme on peut.

Pépé, ses oreilles ?

Non. On ne fait que des aller-retours à Vannes. On fatigue. Mais toi les cours ?

Il doit finir le traitement, et au prix des appareils ils pourraient bien les régler. L’école ça va, j’y suis tôt le matin et tard le soir.

C’est bien, tu travailles dur. On est fiers de toi, et tes parents aussi.

Merci, je ne sais pas. J’espère. Je fais tout pour.

On a vu ton internet.

Mon site.

Oui sans doute. On n’a pas compris mais on a vu des choses très jolies.

Merci.

Tu ne devineras jamais ce que je fais. Du tricot. Ton grand père tricotait, avec sa mère.

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Moi j’étais couturière.

Tu ne m’as jamais dit. Je ne pouvais pas travailler, femme de gendarme à l’époque...Mais avant ton grand-père, si. A Dinard, le plus grand atelier, on faisait les robes de la Reine d’Angle-terre. Je tricotais aussi. J’ai cousu toute ma vie, les vêtements de ta mère, tous. Je n’ai jamais su.

Avec mes doigts maintenant, je ne peux plus. Je ne t’ai jamais vue coudre, ni tricoter.

J’avais un beau succès.Avec mes sacs surtout.

Tes Sacs ?

Pendant la guerre, on n’avait rien.Ton grand-père à Paris dans la résistance avec les pompiers.Je devais travailler. J’ai récupéré du carton, du tissu, des rideaux dans les maisons vides, et j’ai fait des sacs.

Tu as des photos? Je ne sais pas, sans doute. Mais de la guerre oui.

Je ne les ai jamais vues.

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Je te les montrerai cet été.

Je ne sais pas quand mémé.

Je sais.

Je ferai tout pour.

Je sais.

Tu pourras regarder si tu trouves des photos?

Des sacs ?

Oui.

D’accord on va regarder avec ton grand père.

Je vous appelle dimanche.

Je ne sais plus quand t’appeler.

Ne t’inquiètes pas je ne sors pas.

Bisous.

A dimanche.

Et l’atelier ?

Pas de nouvelles.»

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Je n’ai plus pensé qu’à ce sac.

J’avais beaucoup travaillé depuis quelques mois.J’inventais des histoires, celles des autres avec des objets que je trou-vais.

Ma grand mère, la guerre, son sac, notre famille.Moi aussi j’ai une histoire.

Pendant cette conversation, elle m’a enfin donné l’objet dont j’avais besoin pour la raconter.

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« Allô ?

J’allais appeler ce soir.

Ton atelier, des nouvelles ? On s’inquiète.Je ne dois pas te le dire, ta mère va me tuer, mais si tu trouvais ça serait si bien.

J’ai eu des nouvelles, mais je suis dans le métro.Je vais à l’école. Je vous appelle ce soir.

D’accord, à ce soir.»

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Je n’ai pas rappelé le soir.Je devais le faire.J’aurais pu.Mais je n’avais pas envie.

Sans bonne nouvelle à annoncer, je n’ai pas trouvé l’énergie de prendre le combiné dans la main, de composer le numéro et d’avoir une conver-sation que je connaissais d’avance.

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« Désolé, je suis rentré tard hier soir.

C’est ce que j’ai dit à ton grand père.On sait que tu travailles.

C’est fini pour l’atelier.Ils refusent les étudiants.

Tu trouveras. Tu as toujours eu de la chance.

Je ne m’inquiète pas, alors toi non plus ne t’inquiètes pas.

Je m’inquiète, ta mère est comme ça, et toi aussi.

Je sais, mais il ne faut pas. Je tiens vraiment de toi. Et de pépé.

Tu es de notre côté.

Je ne sais pas, sans doute. Du côté militaire.Tout le monde l’est chez nous.

C’est à cause de pépé. Ça va ses oreilles?

Pas tellement. L’équilibre.Il marche dans le grenier.

Je sais. Mais ça va mieux depuis que je suis venu.

Ça ne peut pas empirer.

Ça ne va pas?

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Le moral.

Vous allez faire la promenade à la plage?

Il fait trop froid.

Ça ira mieux quand vous allez ressortir.

Les photos, tu en as retrouvées ?

Je n’ai pas cherché, avec nos soucis.Mais je ne pense pas.C’est loin tout ça.

Regardes et tu me dis.

On verra.

J’ai vraiment envie de les voir.

On va finir la toilette.Dès que tu as des nouvelles, tu nous dis.

Bisous et bisous pépé.

Je lui dis.Il n’entend pas avec le téléphone.

A dimanche.»

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J’avais oublié que ma grand mère ne me parlait que de leur santé et de mes études.A cause de notre conversation sur le sac, la guerre et sa vie.

Qu’a-t-elle d’autre ?On ne va pas parler art contemporain.

J’aime les appeler pour entendre les mêmes mots, comme je déteste parfois me sentir obligé de les appeler pour entendre ces mêmes mots.

Je me suis demandé, en raccrochant, si j’allais réussir à ce que l’on se parle, vraiment, sans savoir à l’avance ce que l’on allait se dire.

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« Allô ?

Ça va?

La routine à l’école, et pas trop le temps pour autre chose.

Ton frère t’as dit ?

L’entretien ?

Oui. On croise les doigts, ça serait si bien pour lui.

C’est sur.

Et toi ?

Pas de nouvelles.

On attend alors.

Quand tu sais tu nous dis. Et à ton oncle aussi, vous êtes comme ses enfants.Il demande toujours tu sais.

Oui.

Je n’ai pas trouvé les photos.

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Tu as cherché ?

On n’a pas trop regardé avec ton grand père. Je ne me souviens pas.

J’en ai parlé. De toi, l’atelier de couture et les sacs.J’aimerais vraiment savoir comment tu faisais.

C’est loin, je ne sais plus.

Tu te rappelles la vidéo que je voulais faire.Parler de nous. Que tout le monde est militaire.J’ai arrêté. Là je sais ce que je veux faire.

J’aimerais refaire un sac avec toi.

Je ne sais pas. On est vieux tu sais.Regardes ton grand père avec ses oreilles.

Je sais. Réfléchis et on en reparle.

D’accord. On va boire l’apéro.

Bon kir.

Il t’entend.

Super.»

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Je n’ai pensé qu’à moi.

Est- ce que je fais tout ça pour nous ?

Ma famille.Je les utilise pour mon idéal d’une oeuvre juste. Pour arrêter de prendre l’histoire des autres.

Et s’ils ne voulaient pas me parler ?Si ce qu’ils voulaient c’est ce que l’on se donne déjà ?

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« Oui ?

J’ai eu des nouvelles pour l’atelier.C’est bon !

Attends.Raymond viens voir, c’est Jérémy.Il est là.

Je disais à mémé, c’est bon pour l’atelier.

On est si heureux.Je te le dis maintenant, on s’inquiétait. On sait que tu fais ce que tu peux et tu le mérites.

Un super endroit, c’est grand et je peux y vivre.

On est si soulagés.

Je te disais de ne pas t’inquiéter. Je sais.

Et ton frère aussi ça se passe bien.

Je l’ai eu au téléphone.

On a vu le bébé, il est vraiment beau.

Il ressemble à papa, un petit militaire.Maman lui a acheté un manteau de camouflage, pour faire comme Mamie. Elle est gaga.

C’est bien ta mère.

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Tu as trouvé les photos ?

On n’a pas encore cherché.

Je vais essayer de me rappeler et de faire un dessin.

D’accord.

Encore bravo.

Merci.À dimanche.

On est contents.»

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Dans le son de sa voix, j’ai senti de la joie, de la fierté et surtout un soulagement.Elle avait envie de partager plus, mais il fallait d’abord que je la libère.Légère sans son inquiétude, on a commencé à se surprendre.

On n’a plus parlé de sa santé, ou très peu.Seulement quand je posais la question. Seulement quand j’avais sincèrement envie de savoir.

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« Allô ?

C’est mémé.On a retrouvé les photos avec ton grand père. On a des photos de vous petits, ça fait tout drôle.

Oui.

De moi et de ton grand père aussi.On a plein d’albums.Je te montrerai quand on se verra. Et plein d’aiguilles à tricoter pour toi. Avec mes doigts ça fait longtemps qu’elles ne servent à rien. Je n’ai pas trouvé de photos avec mes sacs.Mais ma robe de mariée, c’est moi qui l’ai cousue.

Je ne savais pas.

Pour le sac, je vais retrouver.Je dirai à ton grand père de faire un dessin.

Merci.

Sinon ?

On est ressortis et ton grand père a marché toute la digue.

Et les oreilles?

Ça va.

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On ne t’embête pas plus longtemps.C’était juste pour te dire ça.

Merci. Tu ne m’embêtes pas.

Je sais.»

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C’est comme si elle acceptait d’avoir des souvenirs.Avant on était toujours dans le présent, dans le quotidien.

Quand je tricote dans le métro, on me regarde.Je pensais que ma grand mère ne comprendrait pas.Elle me demande une aquarelle de bord de mer chaque Noël.Mais elle comprend.

Comme si nous avions trouvé un langage commun avec lequel se parler pour la première fois.

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« Oui ?

C’est moi.

Ton expo ?

Je suis désolé. Avec l’accrochage je n’ai pas eu le temps de vous appeler.

On sait. Alors ?

Le vernissage est passé, c’était bien. Papa est venu.

Il était fier ton père, comme nous.

Je ne sais pas. J’espère.

On l’est tous.

Merci.

J’ai retrouvé dans ma tête, pour le sac.

Génial !

Mais je ne sais pas comment expliquer à ton grand père. C’est compliqué. A l’époque on ne mangeait pas.Mon père est mort des gaz.Et ton grand père, sa famille. On y pense toujours.J’avais mon frère, pas Claude, un autre qui est mort.

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Je ne sais pas quoi dire.

Je ne me rappelle pas très bien les sacs. On récupérait les tissus, les rideaux, les draps et du carton.

C’est ce qu’on doit faire, pour notre sac. Récupérer du carton et du tissu et on refait un sac avec tes souvenirs.

Je me rappelle un peu, ça revient doucement.

Et pépé ?

Il ne saurait pas, il était à la guerre.

Je te demandais s’il allait bien.

Comme ça peut, mais ça va. Il marche.

C’est bien.

Je te rappelle quand je me rappelle de quelque chose. Bravo pour ton expo.

Merci à vous deux.»

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C’est très dur.Pour moi parce que je ne sais pas quoi dire.Pour elle parce que les souvenirs sortent, sans contrôle, sans filtre.

Ne pas savoir à l’avance ce que je vais entendre me trouble plus que je ne le pensais.Et ne pas savoir à l’avance ce que ma grand mère me dit place toutes les informations au même niveau.

Encore une bonne nouvelle.Est-ce que c’est ça la clé ?Je dois payer ses souvenirs ?

Au moins je n’ai plus l’impression de l’utiliser.

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« On prenait l’apéritif avec ton grand père et là j’ai vu. La boîte de gâteaux, des Belin que j’ai pris parce que c’est ce qu’il aime. Moi avec mes dents je les mange bien. Tu sais avec mon appareil.

Oui.

Alors j’ai vu la boîte. C’est exactement ça.

De quoi tu parles ?

Pour le sac! Pour le fermoir, j’ai pu expliquer à ton grand père et il a compris.On va pouvoir le faire.

C’est super.

On va voir ce que l’on a et ce qu’il faut acheter.

C’est gentil.

Mais on est Gentil, depuis toujours.

Ça vous va bien comme nom.

Ça va être long et on ne va pas pouvoir le faire au téléphone.

Je vais venir. Il faut que je m’organise, avec les cours.Mais je vais venir.

Si tu peux.On serait si contents.C’est vraiment ça, la boîte de gâteaux.

Je te laisse.»

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Elle ne m’a pas donné de souvenirs depuis quelques conversations.Tout est devenu très pratique, matériel.Est-ce que c’est devenu un simple atelier couture, une occupation ?

En même temps, voir que le présent est plus léger, c’est aussi bien.Je m’y plais.Je dis toujours que je n’ai pas le temps, pas l’argent.

Là j’ai trouvé les deux.

Je prenais les choses avec distance. Alors j’y vais. On va se voir, se parler, se toucher.

On va faire une vraie sculpture.

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« Encore bravo.

Merci.

On a regardé avec ton grand père et on a le carton. On en a plein le grenier. Il voulait les jeter. Tu vois ça sert. J’ai plein de tissus, on en a assez pour faire un sac.Après tu feras ce que tu veux, c’est pas pour être beau, c’est juste un modèle. On a du fil et pour le fermoir on prendra du velcro.

Tu me diras ce qu’il faut que je ramène. Je sais pas encore quand je pourrai venir.Dès que je sais je vous dis.

Il faudra plus que deux jours pour coudre. On ne peut pas nous. Avec mes doigts.J’ai essayé, j’ai trop mal.

Ne t’ inquiète pas. Tu me montreras et je ferai.

On a d’autres photos aussi. Pendant la guerre.On a souffert avec ton grand père.Quand son cousin, qu’on a retrouvé pendu avec la bouche cousue.

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On en parlera quand je viendrai.

On n’a jamais vraiment parlé de ça. Pépé ne parle pas beaucoup.

Ton grand père n’est pas bavard.Mais quand tu viendras, on verra.

Sinon ça va ?

Ça va. Tu as une bonne voix aujourd’hui.

Oui.»

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Ils ont souffert.Et moi je leur demande de ressentir tout ça à nouveau.Je me dis que ce n’est qu’un sac.

Le brouillard de la guerre se dissipe un peu.Pour eux, c’est le souvenir de ne rien avoir.Au-delà de la souffrance, des pertes, c’est ce qui revient.

Pour mon grand père, c’est sans doute aussi la mort, la violence.Mais il ne parle pas.

Comme dit ma grand mère :«On verra quand tu viendras.»

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« On est allés dans le grenier.On a trouvé les anciens tissus, je m’en servais à l’époque.C’est bien pour toi si c’est vieux. Il est encore beau.

Ça ira très bien.

J’ai acheté du fil, de la colle et du velcro, et j’ai lavé le tissu avec ton grand père.

Il ne fallait pas.

Tu gardes les factures.

Non.

Mémé.

Je me rappelle que j’en avais fait un avec du velours marron. Les poignées aussi. On va pouvoir le refaire. On va y arriver.

Je vous appelle mardi ou mercredi.

Si tu viens en train, on pourra venir te chercher.

Tu es sure, pour pépé.

Ne t’inquiètes pas. On est allés à Vannes encore hier.

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Je viendrai en train alors.

Ça va être long de faire ça. Il faudra plus de deux jours.

Tu me l’as déjà dit.

Tu nous paieras comment avec ton grand père, c’est du travail tout ça.

Vous serez exposés à Paris, c’est déjà pas mal.

On connaît Paris.Il y a dix ans on aurait dit oui.

Aujourd’hui, on est vieux.

Non.

Si.

Je vous rappelle mercredi.»

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J’ai l’impression que mon idée me glisse des doigts.Ou au contraire va plus loin que ce que je pensais.

Les conversations qui suivirent n’étaient que pratiques.Mon arrivée, ce que je voudrai manger, les rendez-vous prévus.

J’ai senti qu’on ne parlerait qu’en commençant à coudre.

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Je suis rentré.On a passé cinq jours ensemble.On a commencé à couper, coudre, assembler, parler.A leur rythme, celui de leurs capacités, de leurs douleurs.

Je ne raconterai plus rien.La guerre, ma famille.Je sais maintenant que se sont des détails que tout le monde peut rempla-cer avec les siens.

Je suis arrivé au bout du chemin.Sur la ligne de départ, je voulais faire un monument.A mi-parcours, je me demandais qui je pourrais intéresser avec mes histoires.

Maintenant je vois un sac, et c’est déjà exceptionnel.

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JEREMY GOBE

Édition personnelle2011

N° /50Tirée en 50 exemplaires sur papier DCP, en impression

numérique.

14,8 x 21 cm

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